Avril 2018

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PR POS Numéro 104 - Avril 2018

Dossier spécial Europe

Avril Basketball lituanien

Raphaël Enthoven

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Edité par l’association Propos, association de Loi 1901 domiciliée au Local 208 B, 47 Avenue de la Forêt-Noire, 67 000 Strasbourg proposscpo.fr - contact@proposscpo.fr Présidente - Directrice de la publication : Eva Moysan Secrétaire de rédaction : Laure Solé Trésorière : Nolwenn Giry-Fouquet Mise en Page : Dorian Le Sénéchal Gestion Web : Daoud Jost-Serhir Communication : Victoria Volat & Émile Formery Relations : Florian Martinez & Lise Fortmann Event/relecture : Charles Guimier Caricatures : Léo Hoerter Imprimé par IL LMS REPROGRAPHIE, 20 Avenue de Paris - Immeuble RHONE, 94811 Villejuif Paru en Avril 2018 Dépôt Légal, Avril 2018 ISSN : 2557-793X © Association Propos 2018. Tous droits réservés.

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« Populaire et démocratique »

ÉDITO

Dorian Le Sénéchal Pour ce dernier numéro, c’est de l’Europe dont nous avons voulu vous parler. Qu’on la considère comme un progrès ou une erreur, l’Europe, celle de l’union des 28, est bien loin de l’omnipotence. Certains prêchent son évidence, le Brexit nous a rappelé que cela n’est pas le cas. L’union sans cesse plus étroite des peuples est un magnifique projet, nous avons voulu vous montrer que tous ne le vivent pas de la même manière. Faire cicatriser les blessures des deux guerres mondiales fut une réussite, l’unification d’un continent semble être une tâche autrement plus ardue. Des plages de Lesbos à la moustache de José Bové, c’est un voyage digne d’une liste BDE que nous vous proposons pour ce dernier dossier de l’année.

aussi aux autres associations de l’IEP, à l’administration et a nos partenaires que nous pouvons mois après mois continuer à publier. Le journalisme est un outil dont chacun doit pouvoir se saisir, notre volonté a été d’accompagner ceux qui ont voulu le faire. Nous avons comme tous eu nos problèmes, nos dissensions, commis nos erreurs et tenté de les réparer. De cette expérience nos sommes sortis grandis, nous espérons que le journal aussi. L’heure de rendre les clés du 208B arrive. Certains diront que la fête est finie, pour Propos, elle ne fait que commencer.

PS : À la future équipe, gardez la charte graphique SVP

Depuis l’année dernière, Propos tente de redevenir ce qu’il était à l’origine: le grand journal d’un petit IEP. Pour remplir ce pari, il a fallu oser : oser s’incruster aux conférences de Macron, oser aller aux meetings de Nadine Morano ou oser faire des interviews au milieu des partiels. Cette année ne nous a pas laissé un seul instant de repos, mais elle en a valu les cernes. Ce projet ne s’est pas fait seul, c’est avant tout grâce à vous, nos lecteurs/contributeurs, mais

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SOMMAIRE

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NUMÉRO 104 AVRIL 2018

f /ProposScPo l @propos_scpo mag.proposscpo.fr

A LA UNE Europe p. 6 ACTUALITÉ Le cinéma, un loisir de riches ? p. 24 Le Japon est-il encore cool ? p. 26 INTERNATIONAL L’Asie centrale existe-elle ? p.30 La géopolitique des tubes p.34 Le basketball lituanien : symbole d’indépendance p.36 CULTURE Raphaël Enthoven et la “clé de la joie” p.38 Olivier Guez sur les traces de Mengele p.44 Netflix : notre nouvelle confiture p.41

MAIS AUSSI Mayotte et le droit du sol p.28, Notre expérience dans une école alternative p.29, L’Asie centrale espace de tension entre Pékin et Delhi p.32, Fight Club : Quand la schyzophrénie attaque le spectateur p.42, La douleur d’Emmanuel Finkiel - Une critique cinématographique p.43, WATP p.48, Le mot de la fin p.50 5


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02. NATHALIE les consultations LOISEAU citoyennes européennes

Florian Martinez

“Si nous voulons avancer à nouveau, je souhaite que nous passions par des conventions démocratiques qui feront partie intégrante de la refondation européenne. Je souhaite que nous puissions, pendant six mois, dans tous les pays qui le souhaitent, organiser autour des mêmes questions un vaste débat pour identifier les priorités, les préoccupations, les idées qui nourriront notre feuille de route pour l’Europe de demain. [...] Organisons un débat ouvert, libre, transparent, européen pour construire ce projet qui donnera enfin un contenu et un enjeu à nos élections européennes de 2019.” Emmanuel Macron, Discours de la Sorbonne (26-9-2017)

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rganiser un débat ouvert, concernant les 500 millions de citoyens européens, pour comprendre les enjeux des prochaines élections européennes. Tel est le projet du Président de la République au travers des Consultations citoyennes, dont l’organisation a été transférée à la ministre déléguée aux affaires européennes Nathalie Loiseau. Pierre angulaire de l’ambition européenne d’Emmanuel Macron, ces consultations doivent permettre de relancer la participation citoyenne dans une Union jugée toujours plus technocratique et déconnectée de la réalité. Le Président de la République lancera officiellement le projet le 17 avril prochain, avant de finir au Parlement européen à Strasbourg où il tiendra un discours devant les eurodéputés. Administratrice de longue date au Quai d’Orsay, ancienne directrice de l’Ecole Nationale d’Administration et actuelle Ministre chargée des Affaires Européennes, Nathalie Loiseau a piloté

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la mise en place des Consultations citoyennes. Aujourd’hui, Propos a eu la chance de l’interviewer afin de comprendre les enjeux derrière le projet démocratique et européen du Président de la République. Madame la Ministre, merci d’avoir bien voulu répondre à nos questions. Comment pourriez-vous décrire la philosophie du projet de consultations citoyennes ? Nathalie Loiseau : Au moment où les Etats membres de l’Union européenne travaillent à la refondation du projet européen, il nous paraissait indispensable de renouer le lien avec les citoyens, qui ont souvent l’impression que l‘Europe se construit derrière des portes closes. Ces consultations citoyennes se déroulent dans tous les Etats membres de l’UE. Elles permettent aux citoyens d’exprimer leurs priorités, leurs attentes vis-àvis de l’UE, d’indiquer les politiques européennes qui leur paraissent bien fonctionner et celles qu’il faut réformer.

Ce sera, grâce à des débats partout en Europe d’avril à octobre et à une consultation numérique commune à tous, l’émergence d’un espace public européen inédit : 450 millions de citoyens débattant en même temps des mêmes thèmes d’avenir. Sur l’Europe, depuis trop longtemps, on entend soit les passionnés, soit ceux qui font profession de la détester. Or nous voulons donner la parole à ceux que l’on n’entend jamais, qui se posent des questions, qui ont des commentaires à faire sur ce qu’ils attendent de l’Europe, ce qu’ils apprécient, ce qu’ils critiquent, ce qu’ils proposent. Les consultations citoyennes ne risquent-elles pas d’être une caisse de résonance pour les mouvements eurosceptiques ? N.L : En temps ordinaire, je dirais plutôt que c’est eux qui s’expriment le plus fort. Mais entendons-nous bien : chacun doit pouvoir faire entendre son point de vue. Pour obtenir le label « Consultations citoyennes », les structures, mairies, universités, associations… qui organiseront un débat doivent prendre trois engagements très simples : respecter le pluralisme des opinions, la transparence sur l’organisation de l’événement et la publicité du compterendu des échanges. Notre souhait est bien d’impliquer tous les Français, et pas seulement les plus convaincus ou les plus hostiles ; nous voulons écouter tout le monde, et encourager une discussion raisonnée.

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Les consultations citoyennes constituent l’une des seules concessions accordées par Bruxelles au projet européen du Président de la République : d’autres axes, comme la constitution de listes transnationales, ont été écartées par le Parlement européen. A elles seules, les consultations citoyennes suffiront-elles à accroître la démocratie européenne ? N.L : Depuis sa prise de fonction le Président plaide pour une Europe qui protège. Il est largement entendu : le régime des travailleurs détachés sera réformé, l’Europe de la défense a plus progressé en un an que ces six dernières décennies. C’est vrai aussi pour des instruments de défense commerciale plus efficaces. Même la proposition de liste transnationale pour les élections européennes, qui n’a pas été retenue pour 2019 pour des raisons qui ont surtout à voir à mon sens avec la crispation de quelques partis politiques conservateurs reste discutée pour les élections suivantes. Je rappelle qu’elle est pleinement soutenue par 10 Etats membres. D’autres sujets comme la taxation des GAFA ou le renforcement de la zone euro étaient en dehors du radar il y a un an et sont l’objet de discussions approfondies aujourd’hui. Les Consultations citoyennes, par leur ampleur inédite et leur caractère participatif sont un exercice démocratique unique. Leur résultat viendra nourrir le travail des chefs d’Etat et de gouvernement. Selon vous, quel écho peuvent avoir les consultations citoyennes auprès de la jeunesse ? Pour rappel, aux dernières élections européennes de 2014, sur les 4 votants sur 10 s’étant abstenus de voter, 75% d’entre eux étaient âgés de moins de 25 ans. (Ifop, 25/05/2014, ITélé, Paris Match, Sudradio) N.L : J’espère voir un vrai engagement des jeunes dans ces Consultations citoyennes sur l’Europe pour qu’ils organisent des débats dans leurs universités, leurs associations, leur quartier, qu’ils se fassent entendre. Je

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me suis rendue récemment dans plusieurs établissements en France et ailleurs en Europe pour échanger avec des jeunes qui voteront souvent pour la première fois aux élections européennes de mai 2019. Ils sont tous sauf indifférents et cherchent la réponse européenne aux questions qui les préoccupent : la mobilité, les perspectives d’emploi, la préservation de l’environnement, la protection des libertés… Cela suppose un vrai débat politique européen en 2019. Les consultations citoyennes sont un lieu de débat transpartisan. A travers elles je ne combats qu’un seul parti, celui de l’abstention. J’espère que l’IEP de Strasbourg organisera une consultation ! Toutes les informations nécessaires (kit d’organisation, de communication, modalités de restitution) se trouvent sur consultations-citoyennes.fr et toutes les ressources sur touteleurope. eu. La démocratisation du processus décisionnel de l’Union doit-il être l’un des thèmes majeurs des prochaines élections européennes pour le gouvernement ? N.L : Le Parlement européen est le lieu par excellence de la vie démocratique européenne. Souvenons-nous en outre que le Conseil est composé de chefs d’Etats et de gouvernement désignés démocratiquement ! On peut regretter la complexité du processus décisionnel européen mais certainement pas dire qu’il n’est pas démocratique. Les questions institutionnelles ne sont pas au centre des préoccupations des citoyens, c’est d’ailleurs sans doute parce que l’on s’est focalisé dans le passé sur des débats institutionnels arides que beaucoup d’électeurs se sont détournés du scrutin européen. Ce sont des sujets importants mais ce sont les politiques publiques européennes

qui doivent être au centre des débats : ce que l’Europe peut et doit faire pour ses citoyens. Les institutions nécessaires pour mener ces politiques doivent en découler et non l’inverse. La question qui nous est posée est de savoir comment l’Europe doit relever les défis qui se présentent à elle : la transition énergétique, climatique, numérique, la sécurité et la lutte contre le terrorisme, l’innovation, la gestion des flux migratoires… tout ce qui rendra l’Europe plus forte dans la mondialisation et plus protectrice pour ses citoyens. La fusion des trois sièges du Parlement européen en un unique lieu estelle souhaitable ? Celui-ci doit être maintenu à Strasbourg ? N.L : Le Traité est très clair : le Parlement européen n’a qu’un seul siège et c’est Strasbourg ! Il y a beaucoup de bonnes raisons pour y être attachés et nous le sommes avec détermination. Il est trop souvent reproché aux institutions de l’Union européenne d’être coupées du monde réel dans cette fameuse « bulle bruxelloise ». La présence du Parlement à Strasbourg rapproche les institutions européennes des territoires. Vous noterez d’ailleurs que le siège de la BCE est à Francfort, celui de la CJUE à Luxembourg, que l’Union européenne traite de sécurité maritime à Lisbonne et de sécurité alimentaire à Parme... L’Union Européenne est polycentrique et doit le demeurer. Strasbourg est aussi le symbole de la réconciliation francoallemande qui a fondé la construction européenne. C’est à Strasbourg, dans l’hémicycle du Parlement européen, que le cercueil d’Helmut Kohl a été exposé, et nulle part ailleurs.

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02. L’Europe PATRICE du numérique CHAZERAND Dorian Le Sénéchal

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l’issue de la cinquième et dernière journée de la Semaine européenne 2018, Propos a pu poser quelques questions à Patrice Chazerand, le Directeur général du cabinet de lobbying du numérique DIGITALEUROPE. A l’heure de la mise en oeuvre du RGPD [ndlr. le Règlement général sur la protection des données], cet ancien diplomate et cadre de AT&T France est sans doute l’un des experts incontournables de la législation numérique européenne. Le lobby du numérique est le deuxième plus important aux Etats-Unis. Que pouvez-vous dire de la situation en Europe ?

P.C : C’est sans doute vrai en Europe aussi. DIGITALEUROPE y contribue sans réserve dans la mesure où, en sus des activités de lobby de nos membres, nous tenons certainement le haut du pavé parmi les associations comparables accréditées auprès des institutions européennes.

du jeu vidéo dont la caractéristique première est d’être interactif), deux personnes, deux mois d’échanges avec des décideurs extrêmement ciblés (rapporteur au Parlement et cabinet de la Commissaire à la Société de l’Information) ont suffi à convaincre les décideurs de ce qui leur est très vite apparu comme une évidence. A ceux qui sont férus de comparaisons militaires, je dirais que le lobbying utile est plus souvent l’effet d’une approche stratégique inspirée de Clausewitz (coup d’œil et résolution) que celui de techniques de harcèlement ou, pis encore, de tir de barrage ou de ‘carpet bombing’ qui font insulte à l’intelligence de leurs victimes et à leur faculté d’exercer un jugement indépendant.

Quel est l’impact du RGPD sur les entreprises du numérique en Europe ? P.C : Énorme, comme nous l’avons souligné en séance. S’il n’est pas faux de décrire le RGPD comme une “simple” évolution de la Directive de 1995, cette entreprise de modernisation a pris un caractère tellement ambitieux – frisant le perfectionnisme sur certains aspects – qu’elle a propulsé Bruxelles au rang de ‘capitale mondiale de la réglementation de la protection des données personnelles’, titre qui demeure, sous bénéfice d’inventaire, ‘a dubious privilege’. D’où l’importance de l’engagement de tous à faire connaître et expliquer ses contraintes, mais aussi ses bénéfices. Les autorités de protection des données y travaillent d’arrachepied, de concert avec les institutions

Mais le lobbying relève plus de l’art et de la finesse psychologique que de la propagande. En tout cas il ne doit pas son efficacité à la seule vertu du nombre. J’ai la faiblesse de croire davantage au pouvoir combiné de l’argumentation et de la relation de confiance – disciplines dont on s’imprègne, précisément, à Sciences Po – qu’à celui du rapport de force. J’ai évoqué en séance les instruments qui ont permis au jeu en ligne d’être exempt –par le biais d’un considérant – du dispositif de la Directive sur les services de médias audiovisuels : un argument ultra-simple (la différence entre l’expérience que chacun peut avoir des médias dits ‘passifs’ et celle

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Europe européennes, les gouvernements, des agences semi-publiques, les industriels, etc. L’ampleur de la tâche a suscité l’éclosion d’une ‘cottage industry’ prospère de consultants et autres organismes de formation. Une fois maîtrisé ce nouveau cadre juridique (vraie gageure, surtout pour une PME), la confiance qui en résultera deviendra un avantage concurrentiel. Comme le révèle la triste affaire du Brexit, les industriels sont prompts à réaliser combien l’assurance du respect des règles du jeu participe de la création de confiance (en bref, ils adorent les contraintes qu’ils ont combattues au stade de l’élaboration et failli brûler à leur entrée en vigueur). Et la confiance est la condition sine qua non de relations commerciales durables. C’est encore plus vrai en ligne, où - comme cela a aussi été rappelé en séance - on a trop souvent l’impression d’opérer à l’aveuglette. Le RGPD sera un succès ou un échec collectif de l’Europe, avons-nous conclu lors de notre débat. Comment concilier les intérêts d’acteurs souvent concurrents (Google, Apple, …) ? P.C : C’est le propre des syndicats professionnels que de faire vivre ensemble des membres qui sont concurrents entre eux. Ceux-ci, en dépit de modèles d’affaires légèrement ou profondément différents, trouvent un intérêt à s’exprimer d’une seule voix sur des sujets-clés. Ce qui précède est encore plus vrai d’une association qui compte plus d’une centaine de membres - dont la diversité provient de leur domaine d’activité (IT, électronique grand public, équipements télécom), de leur origine géographique, de leur statut (entreprise ou syndicat professionnel) ou de leur taille (de la startup aux ‘géants de l’internet’) – et qui opère sur la ligne de crête de l’innovation. Nous ne tentons nullement de concilier les ‘business models’, seulement de nous assurer qu’ils soient compatibles avec l’environnement réglementaire

en gestation ou en vigueur. Tenter de concilier les ‘business models’ pourrait nous attirer les foudres des autorités de la concurrence. Mais ce serait surtout une mission impossible puisque, au-delà de la soixantaine de sociétés qui sont nos membres directs, nous portons aussi la voix de plus de 30 000 entreprises de taille petite ou moyenne (y compris des startups) à travers nos 37 associations nationales. Comment gérer les grands écarts entre les domaines du numérique (du hardware au cloud…) ? P.C : C’est la partie la plus passionnante de notre travail quotidien. A l’origine, DIGITALEUROPE s’appelait EICTA et représentait surtout les intérêts du hardware. Au fil de la “servicisation” (néologisme barbare ou barbarisme néologique !) rapide de l’industrie, la quasi-totalité de nos entreprises-membres sont devenues des fournisseurs de services dont la majorité s’illustre aux marches de l’innovation : cloud, Big Data, IoT, Blockchain, IA, etc. Les politiques se posent ouvertement la question de la nécessité éventuelle de leur intervention dans ces domaines pionniers.

Leurs interrogations nous permettent de jouer pleinement notre rôle en éclairant leur jugement à travers consultations publiques, entretiens, conférences, ateliers, etc. Le rapport de Mme Mady

Delvaux sur la robotique et l’IA est un bon exemple à cet égard : pas de décision (jeu de recommandations non contraignantes) mais analyse documentée et pertinente des principales questions posées par l’avancement de ces technologies appelées à modeler l’avenir de notre société. Comme si ces ‘grands écarts’ ne nous suffisaient pas, notre stratégie de croissance repose sur le recrutement de nouveaux membres, non plus seulement au sein de l’industrie ICT, mais dans tous les secteurs dits ‘ICT-driven’ ou ‘data-powered’ : santé, finance, énergie, mobilité, manufacturing, etc. A titre d’exemple, MSD, la grande entreprise pharmaceutique, a adhéré l’an dernier à DIGITALEUROPE. Êtes-vous favorable à un régime de taxation spécial pour le numérique en Europe ? P.C : Dès 2013, la Commission confiait cette réflexion à un groupe d’experts de haut niveau. Celui-ci a rendu son verdict en 2014 : l’intégralité de l’économie étant en voie de numérisation accélérée, il n’y a plus lieu de singulariser l’industrie numérique ; mieux vaut donc examiner les questions de taxation de l’économie sans se laisser fourvoyer par l’adjectif ‘numérique’. Mme Neelie Kroes, alors Vice Présidente de la Commission, avait salué la clairvoyance de cette

recommandation. Ce qui n’empêche pas la consultation la plus récente de la DG TAXUD de s’intituler ‘Fair Taxation of the Digital Economy’, donnant ainsi – faussement, nous assure-t-on – l’impression que le message des experts de 2014 est tombé dans l’oubli. Il serait pourtant vain de nier que les évolutions industrielles et celles des échanges internationaux vers l’intangible posent aux autorités fiscales un double défi, intellectuel et

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Europe pratique. Grosso modo, la technologie numérique se rit des frontières alors que celles-ci constituent le cadre indispensable de toute politique fiscale, inopérante sans repère géographique. L’OCDE, à travers le plan d’action BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), a largement débroussaillé le terrain sous les auspices du G20. Un nouveau rapport est attendu au printemps. Si son contenu devait inciter l’UE ou certains de ses Etats membres à prendre des mesures séparées, au moins sur le court terme, il s’agirait d’une régression par rapport aux engagements antérieurs d’avoir recours à la coopération internationale pour traiter de l’imposition d’activités dont la nature est mondiale. Quelles sont les conséquences du Brexit sur le Marché unique ? Pourrat-on observer un doublage des filières européennes et britanniques ? P.C : La question est d’actualité après l’appel de Boris Johnson en faveur d’une divergence réglementaire en tant qu’instrument de souveraineté de la politique commerciale britannique. Le numérique, outil indispensable de toute activité économique, se trouve ainsi de facto sur la sellette. Les propos de M. Johnson marquent un revirement majeur. En effet, le Royaume-Uni a participé pendant plus de quatre ans à l’élaboration du RGPD avec ses partenaires ; il va l’appliquer à compter du 25 mai. Mais les déclarations de M. Johnson ne vont pas manquer de compliquer une décision éventuelle d’’adequacy’, le moment venu, de la part de la Commission. Si la divergence en matière de protection des données personnelles ne devait

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concerner que les rapports entre Royaume-Uni et Etats-Unis, le mal ne serait pas bien grand dans la mesure où le ‘Privacy Shield’ assure, au moins aujourd’hui, l’alignement nécessaire à cette déclaration d’équivalence au profit de Washington. Mais M. Johnson semblait viser la planète entière dans le cadre d’une stratégie de ‘Global Britain’. C’est pourquoi techUK, notre association nationale britannique, a immédiatement mis en garde son gouvernement contre les graves conséquences d’une telle approche qui lèserait sérieusement non seulement le secteur numérique mais tous ceux qui dépendent de nos technologies.

croissance et d’emploi, d’un marché sans solution de continuité ou ‘seamless’.

Êtes-vous en faveur d’un Marché unique du numérique ? Si oui, pourquoi ?

La fertilisation croisée de l’Art, de la Culture et de l’Entertainment (ACE), d’une part, et, de l’autre, des TIC n’est-elle pas cependant en mesure de fournir à l’Europe un carré d’as ? Cette voie ne contient-elle pas en puissance ‘the ACE card up the EU sleeve’ ? On pourrait le penser au regard de l’incontestable excellence européenne sur ces deux tableaux. Mais ceux qui nous gouvernent ont manifestement une autre appréciation des forces et des faiblesses de l’Europe numérique.

P.C : Oui, sans réserve et depuis longtemps. Nous en avons même été le précurseur à travers notre ‘Vision 2020’ qui remonte à 2010 et a largement inspiré la stratégie numérique des deux Commissions Barroso. Pourquoi ? C’est tout simple : à l’heure où la technologie numérique permet l’effacement des frontières qui est l’une des raisons d’être affichées de l’UE, il est à la fois choquant sur les plans intellectuel et moral, et suicidaire sur le plan pratique de se priver de son propre chef des bénéfices considérables, en matière de

C’est pourtant le cas le plus fréquent dans les services. En particulier, ceux qui sont liés de près ou de loin à l’exercice du droit d’auteur se trouvent empêtrés par l’exploitation territoriale de ces droits. Ni la vision de la Commission, ni celle des industriels, consommateurs et autres parties prenantes n’ont réussi à ébranler un édifice bâti sur un roc – en France, la création par Beaumarchais de la Société des Auteurs dramatiques remonte à 1777 - apparemment inaccessible à la révolution numérique.

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L’emménagement de Sciences Po Strasbourg dans ses nouveaux locaux se profile à l’horizon. En effet les travaux ont repris et se déroulent selon le calendrier fixé. L’école réceptionnera ses nouveaux locaux à la rentrée 2019 et nous nous en réjouissons ! L’école commence à préparer le transfert et la nouvelle organisation de son activité. En parallèle, la campagne de dons «Sciences Po Strasbourg - Horizon 2019» se poursuit, plus motivée que jamais ! Pour nous aider à équiper au mieux ce nouveau bâtiment, nous faisons appel à votre solidarité et à votre générosité. Diplômé(e)s et ami(e)s de Sciences Po Strasbourg, faites un don, laissez votre empreinte ! En 2017, Sciences Po Strasbourg a collecté près de 15 000 euros. Depuis la première campagne de levée de fonds en 2014, Sciences Po Strasbourg a déjà collecté 42 000 euros. 3 espaces connectés, déjà financés.

Notre objectif pour 2018-2019 : collecter 40 000 € À quoi vont servir vos dons ? Soutenir le dynamisme de la vie associative, impulser et permettre de nouveaux projets. Nos 23 associations contribuent à la vie et au rayonnement de l’école à travers l’organisation de nombreux évènements annuels, la réalisation d’un journal, d’émissions de radios, la participation à de prestigieux concours, la mise en oeuvre de projets solidaires…. Offrir aux étudiants des espaces de travail connectés. Les espaces connectés que nous envisageons de déployer au sein du nouveau bâtiment sont des espaces avec du mobilier intégrant des outils technologiques et des solutions multimédia. Conçus pour faciliter la collaboration, ces nouveaux espaces créent un environnement de travail stimulant et modulable, grâce à des outils adaptés, pour la réalisation de projets de groupes, l’organisation de visio-conférences, la réalisation de supports multimédias… Ils facilitent le travail en groupe, y compris à distance. Des espaces de créativité pour inventer de nouveaux projets.

Suivez le projet @challengeshorizon

N’attendez pas et réalisez d’ores et déjà votre don, déductible des impôts grâce à la Fondation Université de Strasbourg. Pour faire un don en ligne : rendez-vous sur http://fondation.unistra.fr/iep-strasbourg

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03. IOÁNNIS MOUZÁLASAux portes Laure Solé et Daoud Jost-Serhir

Il était venu exposer son expérience médicale, associative et politique dans la question migratoire. Ioánnis Mouzálas, ministre grec de l'Immigration dans les gouvernements d'Alexis Tsiprás, a participé à l'une des conférences de la Semaine européenne 2018 autour des "Enjeux actuels de la politique migratoire de l'Union Européenne". Ancien médecin obstétriciengynécologue, il est également l'un des fondateurs de Médecins Sans Frontières. A l'issu de son exposé, Propos a eu l'occasion d'interviewer Ioánnis Mouzálas: une discussion retranscrite et traduite de l'anglais.

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L.S : Bonjour monsieur le Ministre, merci de nous accorder de votre temps. Nous allons vous poser plusieurs questions, la majorité autour de la crise des migrants.

meilleure régulation du flot des migrants. Là encore cela relève de l'expectative mais pensez-vous que cela va se produire ?

D.J-S : Selon vous, est-ce que les lois et conventions internationales des droits de l'homme sont un obstacle à une bonne gestion de la crise des migrants?

I.M : Dans un premier temps, je vais vous dire que ma requête est une requête compliquée et je peux comprendre qu'il y ait des difficultés. Cependant faire des murs n'est pas une bonne idée et je ne crois pas que des murs stoppent l'immigration. Ensuite, nous avons le problème de corruption des certains pays, les difficultés économiques que ceux-ci traversent, si on ne se force pas à se mettre d'accord de temps à autres, les populismes vont prendre le dessus.

IM : Je pense que... les lois et conventions internationales des droits de l'homme aident, à avoir des standards dans l'immigration, mais, probablement que cela freine les procédures. Je ne parle pas de la substance des droits de l'homme, mais je dis qu'on doit inventer des procédures pour rendre les droits de l'homme plus faciles, à surtout avoir des résultats plus rapides. La démocratie c'est de travailler selon les droits de l'homme, en temps réel. Si tu n'es pas capable de le faire, alors les populismes vont prendre le dessus. Par exemple si ça prend des années et des années à distinguer qui est réfugié, qui est immigrant, si tu ne peux pas le faire avec les droits de l'homme, alors, les populismes le feront, et violemment. L.S : En 2016, lors d'un entretien en présence des journalistes vous avez souligné l'existence d'une Europe "à deux vitesses". Selon vous, peut-on espérer une harmonisation des politiques d'immigration dans les temps à venir ? I.M : Je veux une Europe unique, une Europe avec une politique d'immigration commune. C'est une menace : je ne sais pas si ça va marcher, je suis plein d'incertitudes. Mais si on ne fait rien, en fin de compte , il n'y aura plus d'Europe. Il y aura des pays forts et des pays faibles. D.J-S : Vous avez demandé publiquement, à plusieurs reprises, une

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L.S : Cette question porte un peu plus sur la médiatisation : vous êtes l'un des fondateurs de Médecins du Monde, une ONG très précautionneuse avec les couvertures médiatiques excessives. Quelle est votre perception de la responsabilité des médias dans la crise migratoire ? Et quel rôle ont-ils à jouer ? I.M : C'est une question compliquée, parce que nous avons deux signaux différents des médias : le premier c'est que nous devons écouter ce qu'ils disent, parce que même si nous n'aimons pas ce qu'ils disent, cela nous force à regarder les choses en face. Mais d'autre part, il y a beaucoup de fake news et même plus que cela, les médias travaillent de manière très particulière. Ce qu'ils voient, ce dont ils témoignent, c'est une photo, un instant, dans un long film dont nous sommes les acteurs. Tu ne peux pas comprendre un film avec une seule photo. Il faut donc prendre l'information comme une photo dans un film. Il faut mettre la photo, dans le cadre du film. Je vais te donner un exemple : une photo du camp Moria. Deux semaines avant, les conditions du camp étaient bien moins pires, un mois après aussi. Mais la photo qui a été prise au pire moment va être

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Europe celle qui sera gardée. C'est un mensonge, basé sur du vrai, mais c'est un mensonge. On ne sait pas quel rôle on jouera demain dans les médias, alors il ne faut pas être trop sévère avec ce que l'on croit savoir. L.S : En tant que ministre chargé de la politique migratoire, vous avez dû appliquer l’accord UE-Turquie sur la crise des migrants. Que pensez-vous de cet accord ?

sens des droits de l’homme. Non. Cet accord est lui beaucoup plus dans ce sens. Si l’on peut améliorer cet accord, c’est en ajoutant une possibilité d’une « voie légale » vers l’Europe, dans l’esprit de la Convention de Genève. C’est notre objectif politique. Je ne respecte pas ceux qui critiquent l’accord UE-Turquie en assurant qu’il contrevient aux droits de l’homme. Comme si assister à la noyade de 5 000 personnes par an dans la Méditerranée allait dans le sens des droits de l’homme.

IM : Je pense que c’est un à la fois un accord très difficile mais très utile, notamment car il peut servir de base D.J-S : En quoi la crise des migrants pour des accords futurs. Quand on parle influence la vie de tous les jours du de cet accord entre l’Europe et la Turquie, peuple grec ? il est nécessaire de tracer une ligne entre avant et après son application. Avant l’accord, on IM : Comme pouvait compter je vous l’ai Je ne respecte pas ceux 2 000 arrivées en dit, notre qui critiquent l’accord réaction Europe par jour. UE-Turquie en assurant Après l’application fut radicale. de l’accord, on en Nous qu’il contrevient aux comptait 80 par n’avons droits de l’homme. Comme jour. Avant l’accord pas dit aux UE-Turquie, nous si assister à la noyade de Grecs : « devions faire face Regardez la 5 000 personnes par an dans chance que à 5 000 noyades en mer Méditerranée vous avez, il la Méditerranée allait par an. Aujourd’hui, y a plus d’un dans le sens des droits de million de ce n’est plus le cas. Avant l’accord, personnes l’homme la situation pour qui arrivent les réfugiés et les dans notre migrants était catastrophique, comme pays, quel défi ! ». Nous avons dit à notre dans le camp d’Idomeni par exemple. peuple : « C’est une grande difficulté qui s’annonce, qui créera de nouveaux Si vous vous souvenez, Idomeni était le problèmes dans vos vies. Des vies qui Calais grec. Après l’accord, nous avons sont déjà compliquées à cause de la crise eu le temps de créer de nouveaux camps économique. » Nous comprenons tout et infrastructures afin d’améliorer les cela. Nous comprenons que tous ces gens conditions de vie des migrants, en leur qui arrivent sur nos côtes, les passeurs... permettant d’envoyer leurs enfants à Ces gens-là peuvent créer des problèmes. l’école par exemple. On a observé la Mais nous essayons de préserver leurs même amélioration en Turquie. En effet, droits [du peuple grec NDLR], ainsi que après l’application de l’accord, les droits ceux des migrants, à un niveau suffisant des réfugiés en Turquie se sont améliorés, pour qu’aucune des deux parties ne se respectant ainsi la convention de Genève.

sente lésée. Ainsi, nous n’avons pas permis aux populistes ou à l’extrême-droite, de dire au peuple : « Regardez ! À cause de ces gens-là, vous souffrez, vous n’avez même plus le droit d’aller où vous le souhaitez ». Ils n’ont pas pu dire ce genre de choses, car nous avons su créer des structures d’accueil. Plus généralement, le peuple grec montre un bel élan de solidarité. C’est un élan lié au sentiment qu’a pu ressentir le peuple grec. Vous ne pouvez pas comprendre la facilité avec laquelle on peut vouloir aider ces gens lorsqu’ils arrivent sur ces bateaux, désespérés et vulnérables, avec leurs enfants. La réaction naturelle de tout être humain est pourtant, face à une telle vague de migration, la peur. Cette peur est gérée par l'action politique pour devenir soit une réaction solidaire, soit une réaction raciste. Nous avons choisi d’intervenir dans cette crise pour faire tendre notre peuple vers la solidarité et non le racisme. Cela a été facilité par l’histoire de notre peuple. Pendant des centaines d’années, les Grecs ont été des réfugiés, venant des mêmes côtes turques que les réfugiés d’aujourd’hui. De plus, nous avons également été des migrants, souvent illégaux, dans d’autres pays comme l’Australie, les États-Unis, la Belgique ou bien l’Allemagne. C’est une partie récente de notre histoire, une mémoire collective récente qui a beaucoup influencé notre réaction. J’ai moi-même des oncles ou des tantes qui ont émigré illégalement en Allemagne. Si cette mémoire nous aide, il faut comprendre que l’important est la politique que nous menons. Pour l’instant, notre gouvernement fait de son mieux pour orienter le peuple grec vers la voie de la solidarité. Je ne sais pas si nous parviendrons à le faire encore longtemps, si le flux de migrants ne se tarit pas.

Donc, oui, c’est un bon accord. Ce n’est certes pas le meilleur, il pourrait l’être mais pour le juger vous devez vous souvenir de la situation avant et la comparer avec la situation actuelle. Ceux qui critiquent cet accord ont certainement peur de prôner ouvertement une Europe sans frontières, où chacun peut aller où il le désire. C’est une position politique qui n’est pas la mienne. Mais, tout en la désapprouvant, je la respecte et je respecte ceux qui la revendiquent. Toutefois, je ne respecte pas ceux qui, n’assumant pas cette idée, critiquent l’accord UE-Turquie en assurant qu’il contrevient aux droits de l’homme. Comme si assister à la noyade de 5 000 personnes par an dans la Méditerranée allait dans le sens des droits de l’homme. Comme si Calais ou Idomeni allaient dans le sens des droits de l’homme. Comme si ces routes de l’Ouest des Balkans empruntées par des milliers de personnes allaient dans le

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Europe

04.

L’Union européenne et les traités de libre-échange

JOSÉ BOVÉ

Eva Moysan

L

a Librairie Kléber a organisé le 13 mars dernier une conférence intitulée « Vers une régulation de la propriété intellectuelle ? » à laquelle ont participé Catherine Trautmann, Vice-présidente de l’Eurométropole, Christophe Geiger, directeur général du Centre d’Etudes Internationales de la Propriété Intellectuelle (CEIPI) et José Bové. Les débats ont tourné autour des traités de libre-échange, notamment le CETA et le TAFTA, de parfaits exemples pour illustrer ces questions de standardisation internationale des droits d'auteur. Les acteurs ont questionné l’opposition entre multilatéralisme et bilatéralisme en matière de régulation de la propriété intellectuelle. Ils ont ainsi abordé les méthodes de négociation de l’Union européenne et des Etats-Unis, qui sont radicalement différentes. Mme Trautmann explique la supériorité américaine dans ce domaine par leur habitude à convoquer un bataillon de juristes à la table des négociations. Cette inclusion du contentieux dans les débats n’est pas un us européen. Elle souligne également la difficulté à mettre en place un compromis entre les 28 pays de l’UE, ce qui peut parfois les fragiliser lors des discussions. Les participants se sont longuement

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la France, quatorze pays de l’UE et le penchés sur les enjeux du traité de Parlement européen se sont opposés libre-échange entre les Etats-Unis à l’inclusion de l’audiovisuel dans les et l’Union européenne (TAFTA) en négociations du TAFTA. matière de droits d’auteur. Tout Les débats passionnés et les nombreuses comme nombre d’ONG, José Bové a questions de la salle à l’issue de la dénoncé les conséquences néfastes conférence révèlent les inquiétudes du volet « protection de la propriété vis-à-vis de ces traités. Cette question intellectuelle » de l’accord. Si on complexe de la propriété intellectuelle, peut penser que cette protection qui n’est pas la plus abordée, est accrue servira à garantir plus de droits extrêmement intéressante car elle aux petits artistes indépendants, il touche les secteurs de la santé et de la n’en est rien. Celui-ci bénéficierait culture qui sont cruciaux. principalement aux industriels du médicament détenteurs de brevets, et A l’issue de la conférence, nous ce au détriment des patients. avons eu la chance de poser quelques M. Bové a dénoncé le fait que la questions à José Bové. Figure du propriété intellectuelle soit considérée mouvement comme un altermondialiste, investissement “ Un traité dans la version il s'y fait fuitée du TAFTA. constitutionnel c’est connaître par des actions Il souligne que des droits, c’est un retentissantes nombre de telles que des firmes utilisent mode de démocratie, celle-ci à des fins campagnes des valeurs, mais d'arrachages de d’exonération plantations OGM de taxes, sans c’est en rien des et le démontage rien créer au final, ce qui est traités économiques ” d'un McDonald's. pourtant au cœur Le grand public de la propriété le découvre lorsqu'il se porte candidat aux intellectuelle. Il plaide en faveur de élections présidentielles de 2007. l’exception culturelle et affirme que Député européen depuis 2009, il les biens culturels ne doivent être des est particulièrement investi dans biens comme les autres. Rappelons que

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Europe les questions d'agriculture et d'environnement. Les traités de libreéchange sont un sujet essentiel pour lui qui multiplie les prises de position à leur sujet. Jean-Claude Juncker a affirmé que lever le secret des négociations était impossible car cela donnerait trop de marge de manœuvre aux potentiels partenaires de l’UE, dans le cadre du CETA ou du TAFTA (ou TTIP). Êtes-vous d’accord avec cette affirmation ? José Bové : C’est complètement inacceptable de maintenir ce secret, dans la mesure où l’Union Européenne est l’émanation d’un système démocratique, avec notamment l’élection parlementaire. C’est quand même singulier que des parlementaires ne puissent pas avoir accès aux documents, ne puissent pas connaître la façon dont ça se déroule. Et quand on leur donne l’autorisation après multiples batailles, il faut regarder cela dans un bâtiment sans fenêtres, sans téléphone, sans crayon, sans rien. Donc non, c’est juste inacceptable. Cela contribue là aussi à renforcer la méfiance vis-à-vis de l’Union européenne.

Après je me suis allié avec Daniel CohnBendit, qui lui était pour le oui, mais parce qu’on se battait pour la même Europe. C’est pour moi la dernière utopie de dépassement de la logique des Etats et des pays.

Vous êtes un ferme opposant au CETA, aujourd’hui en phase d’application provisoire et du TAFTA, auquel s’opposent à la fois Trump et les gauches européennes. Pensez-vous qu’il y ait une chance que ces traités ne s’appliquent pas ?

Selon vous, quel poids le groupe d’Europe Ecologie – Les Verts a-t-il au sein du Parlement ? Est-ce qu’au sein de la Commission Agriculture et développement rural, dans laquelle vous œuvrez, vous vous sentez écouté ?

J. B. : Je dirais que le TAFTA était déjà mort avant même que Trump soit élu. La bataille était arrivée à un tel niveau qu’il n’y avait pas du tout de possibilité qu’il passe.

J. B. : Nous on n’existe pas en tant que tels car c’est un groupe plus large qui sont les Verts et Alliance libre européenne qui regroupe des écolos et des régionalistes de différents pays européens. Le grand avantage du Parlement européen est qu'il n’y a pas de majorité, c'est-à-dire qu'il n’y a pas un seul parti qui peut avoir la majorité à lui seul. On passe donc notre temps à faire des compromis et à essayer de mettre ensemble plusieurs groupes pour faire une majorité. Sur chaque texte, c’est différent. C’est l'apprentissage d’une autre forme de

Vous qui êtes élu au Parlement européen au sein d’un parti qui revendique une dimension européenne et fédéraliste, vous qualiferiez-vous de « proeuropéen », malgré toutes les critiques que vous avez pu faire à l'encontre de l’Union européenne ? J. B. : C’est parce que je fais des critiques que je peux me dire pro-européen. Je ne suis pas béat. Au contraire, je me suis battu contre le traité constitutionnel en 2005 et je fais partie de ceux qui ont gagné. Je ne me suis pas battu contre le traité car je suis contre l’Europe, c’est parce que je n’étais pas d’accord qu’on mette un certain nombre de textes, notamment tous les traités économiques, dans le traité constitutionnel. Un traité constitutionnel c’est des droits, c’est un mode de démocratie, des valeurs, mais c’est en rien des traités économiques. Donc moi je me suis battu sur cela.

démocratie où ce sont les projets qui comptent. Chacun part de ses principes et parfois, voire même très souvent, on est capable de construire ensemble. Mais heureusement, autrement il n’y aurait pas un texte qui passerait. Donc c’est une vision radicalement différente du principe de l’Assemblée Nationale française qui est uniquement un truc à la baston où tu es d’un côté ou de l’autre mais jamais tu iras construire des choses avec des gens qui ont été élus d'un bord opposé au tien. Et ça c’est nouveau, et ça c’est l’Europe.

On est sur l'application du CETA. Il ne reste plus que la dernière partie où ils sont très embêtés et qui est la question des tribunaux arbitraux, qui n’est pas dans la partie application et qui donc doit arriver après. Pour moi, la question par rapport à cela est que c’est complètement contraire au droit européen. C’est d’ailleurs ce qui vient d’être redit tout à l’heure dans le débat par rapport à la jurisprudence. Je pense que là encore la bataille n’est pas terminée. Il faut que ce soit ratifié par tous les parlements, nationaux ou régionaux dans les pays où il y en a plusieurs. Donc il faut se battre pour essayer d’avoir une majorité dans au moins un des parlements, si ce n’est plus, pour empêcher le CETA de se mettre en œuvre car je pense que c’est un mauvais accord, mais comme tous les accords de libre-échange sont pour moi de mauvais accords. On ne doit être uniquement dans un cadre multilatéral mais il faut effectivement changer les règles de l’OMC par rapport à ça. D’autant plus qu’il y a un élément qui n'est pris en compte dans aucun des traités de libreéchange, qui est la question du climat, et qui n’est pas minime. Donc pour moi l’accord de Paris est au-dessus des accords de libre-échange.

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Europe

05.

PARLEMENT EUROPÉEN

Vers une fin du tryptique rhénan ?

Florian Martinez

L

e siège strasbourgeois du Parlement européen risque-t-il de disparaître ? Cette question récurrente des discussions parlementaires n'a pas fini de faire parler d'elle. Symbole de la réconciliation franco-allemande et de la paix sur le continent, l'ensemble Louise Weiss pourrait perdre un jour l'accueil des séances plénières mensuelles. Avec l'occasion du Brexit et les élections européennes qui approchent, la campagne pour la réunification des sièges à Bruxelles semble avoir gagné un second souffle.

Les partisans du regroupement et ses détracteurs font face à un réel statu quo depuis 25 ans : malgré des tentatives de déstabilisation, les Traités et la Cour de Justice de l'Union garantissent la scission du Parlement en trois sièges. Impuissant, le Parlement européen n'est pas en mesure de choisir librement le lieu pour tenir les séances plénières. Un état de fait que certains eurodéputés aimeraient modifier. Une organisation polycentrique des institutions européennes, protégée par les Traités Depuis la création de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, la détermination du siège des institutions européennes a toujours été un objet de controverses. Face à l'impossible réalisation du projet de "district fédéral" de Jean Monnet, les Etats-membres se querellèrent pour accueillir les centres du pouvoir de "l'Europe politique" qu'ils étaient en train de bâtir. Aucun de ses pères fondateurs ne put établir d'un commun accord le choix d'une seule ville, qui unifierait le siège de toutes les institutions communautaires. Avec les années, trois candidatures crédibles émergèrent dans cette course à la nomination : Strasbourg, Bruxelles et

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Luxembourg. Ainsi furent élevées au rang de capitales européennes les trois métropoles, formant ainsi le socle démocratique d'un pacte aujourd'hui contesté. Le triptyque rhénan accueille la majorité des institutions de l'Union. A l'occasion de la ratification du Traité d'Amsterdam le 2 octobre 1997, l'Union Européenne entérina le compromis d’Édimbourg. Signé durant le Conseil européen de décembre 1992, celui-ci instaura une organisation polycentrique des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Le droit primaire a fixé l'installation du Conseil et de la Commission à Bruxelles et l'accueil de la Cour de Justice à Luxembourg. Le Parlement européen, quant à lui, a été divisé en trois sièges, confiés à Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg. En dépit de l'accord, des contestations régulières s'élèvent contre cet équilibre, notamment à l'encontre de la scission des activités du Parlement. Presque chaque année resurgissent des rapports pour demander la fusion des sièges bruxellois et strasbourgeois. En effet, le partage du travail parlementaire entre trois capitales n'a pas fini d'envenimer les débats entre Etats-membres. Depuis 1992, les douze séances plénières annuelles et la session budgétaire se tiennent obligatoirement à Strasbourg. La présence des députés européens est donc requise en Alsace pour un minimum de quatre jours par mois. Le reste du temps, le travail de toutes les commissions est organisé à Bruxelles, au sein de l'Espace Léopold, tandis que le travail de coordination législative du Secrétariat général est délégué aux 6000 fonctionnaires de Luxembourg. Cette organisation tricéphale des activités du Parlement dérange encore aujourd'hui les eurodéputés, qui ont voté à de nombreuses reprises des résolutions

appelant au regroupement des trois sièges. La dernière tentative en date remonte à février 2017. Portée par le chef de file du groupe ALDE (Alliance des Démocrates et Libéraux Pour l'Europe) Guy Verhofstadt, la proposition entendait initier une réforme profonde des institutions européennes. L'eurodéputé belge rappelait notamment que le Parlement européen devrait avoir un siège unique. Adopté par 283 voix pour, 269 contre et 83 abstentions, la résolution n'a pas trouvé d'écho à Bruxelles. Simple avis des eurodéputés, il ne leur appartient pas légalement le droit de régler cette question. Grâce à la garantie du droit primaire conférée par les Traités, le statut du siège des institutions est un dossier à la charge du Conseil européen et des 27 chefs d'Etats, qui n'en ont pas fait un problème prioritaire. Une guerre pour "la rationalisation des coûts administratifs" Sans pouvoir réellement imposer un changement des Traités, les proregroupement n'ont cessé de se mobiliser pour démontrer l'absurdité d'un partage du travail parlementaire. La querelle entre les deux bâtiments du Parlement se base sur des arguments chiffrés, un grand nombre de rapports d'expertise et un constat : la scission du siège entre Bruxelles et Strasbourg représente un coût non négligeable. Pour remédier au problème, la solution serait pour une majorité d'eurodéputés de laisser le Parlement décider librement de la tenue des plénières à Bruxelles, au détriment de la capitale alsacienne. La liste exhaustive de griefs dressée par les opposants à Strasbourg n'en finit pas. Invoquant une rationalisation des coûts administratifs du budget du Parlement,

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Europe les rapports parlementaires pointent unanimement le surcoût lié aux allersretours mensuels entre la Belgique et la France. La somme se situerait aux alentours de 114 millions d'euros annuels selon les gestionnaires de l'Union. Une autre des conséquence du double siège est celle de l'impact écologique engendré par les déplacements de toute une Assemblée : un impact jugé trop néfaste pour une session plénière de quatre jours seulement. Enfin, les infrastructures de transport strasbourgeoises, notamment concernant l'accès au bâtiment Louise Weiss, sont jugées trop insuffisantes. Autant de défaillances et de désagréments qui justifieraient, selon certains eurodéputés, le rapatriement des séances plénières à Bruxelles. Jusqu'à maintenant, Strasbourg était l'unique cible des frondes contre la scission des sièges. Pour autant, la défense de l'Eurométropole reste solide. Réfutant une approche mercantiliste, les pro-Strasbourg sont régulièrement montés à la barre pour déconstruire l'argumentaire adverse. L'un des chiffres régulièrement mis en avant est celui du coût réel de la division des sièges parlementaires pour le contribuable européen : selon un rapport de l'Association européennes des Jeunes Entrepreneurs (AEJE) de 2014, celui-ci s'élèverait à la modique somme de 10 centimes par citoyen et par an. Ce chiffre, produit par le Parlement européen lui-même et corroboré par la Cour des Comptes de l'Union, suffirait à lui seul à mettre un terme à cette querelle des coûts. Représenté en première ligne par ses élus municipaux, le camp strasbourgeois entend protéger son siège coûte que coûte, notamment en jouant la carte de la symbolique et de l'historicité. Face à "Bruxelles la technocratique", Strasbourg incarnerait une capitale mondiale des Droits de l'Homme et de la démocratie, accueillant en son sein le Conseil de l'Europe et la Cour européenne des Droits de l'Homme.

de Bruxelles serait trop vétuste. En effet, un récent rapport d'expertise a démontré la fragilité architecturale de l'espace Léopold. Sujet à de nombreuses infiltrations d'eau, mal isolé et déficient dans sa protection contre les attaques terroristes, le siège devrait être entièrement rasé pour être reconstruit.

Le coût de l'opération est estimé à plus de 430 millions d'euros selon le Politico, une dépense faramineuse pour le bâtiment que l'on surnomme déjà "Le Caprice des Dieux". Une bataille politique

Les recours aux logiques administratives et budgétaires a été épuisé par les deux camps jusqu'à l'instauration d'un statu quo irrémédiable. Désormais, la bataille des sièges s'est définitivement entériné dans l'arène politique. Au final, cet angle est peut-être la meilleure approche du problème. Puisqu'il appartient au Conseil européen de trancher le problème, il est nécessaire de d'utiliser Loin d'être terminé, les débats autour un spectre d'étude plus large. Du point de la fusion des sièges semble être arrivé de vue des Etats-membres, l'accueil à un statu quo. d'une institution En laissant européenne ou Grâce à la garantie du espérer le troc d'une agence droit primaire conférée de l'Agence constitue un européenne du par les Traités, le statut réel facteur de Médicament puissance : sa perte du siège des institutions de Londres représenterait est un dossier à la charge un dommage et le Collège européen de du Conseil européen et des significatif qu'il Bruges contre faut éviter à tout 27 chefs d'Etats, qui n'en prix. Ainsi, les la réunification ont pas fait un problème des sièges en risques liés au Belgique, le regroupement des prioritaire. sièges sont trop camp bruxellois important. La entendait relocalisation du Parlement européen profiter du Brexit pour mettre un terme entraînerait de facto une remise en cause au compromis d'Edimbourg. Cette totale de l'organisation polycentrique des autre proposition de Guy Verhosftad n'a institutions et agences européennes. Un pourtant guère de chances de se danger que le camp strasbourgeois met concrétiser puisque le Parlement

AVRIL 2018

en avant dans sa défense du bâtiment Louise Weiss. "Les Européens attendent d’abord de l’Union un projet politique, pas une querelle sur la gestion administrative du fonctionnement des institutions", tient à rappeler Nawel Rafik-Elrmini, première adjointe à la Mairie de Strasbourg en charge des affaires européennes. "Déplacer le siège d’une grande institution comme le Parlement européen romprait les équilibres et nécessiterait de revoir la répartition de l’ensemble des institutions et agences de l’Union. Aucun Etat membre n’a intérêt à demander cette renégociation. On se trompe de débat en mettant cette question du siège en avant." En plaidant pour le maintien des trois sièges, les autorités françaises démontrent avoir parfaitement compris que le Parlement ne pourra jamais modifier l'équilibre des capitales européennes. Lors de sa dernière visite à Strasbourg, le Président de la République française Emmanuel Macron soulignait la stature européenne de la capitale. "Je suis pour un projet européen ambitieux où Strasbourg, en tant que l'une des capitales européennes, aura pleinement sa place", avait-il déclaré aux caméras de ProposTV. Ce genre de message prononcé par l'un des 28 chefs d'Etats de l'Union constitue un signal fort pour le Conseil européen. Les votes s'y prenant à la majorité, un long travail de dialogue et de concessions sera nécessaire avant l'obtention d'un consensus. Or, l'histoire de la construction européenne a démontré la complexité d'un objectif. Dans une certaine mesure, l'Union Européenne elle-même n'a pas intérêt à provoquer une réorganisation de ses institutions. Les revers populistes et les critiques dont elles souffre se basent unanimement sur la déconnexion de la bureaucratie européenne avec les réalités du terrain. En fusionnant les trois sièges parlementaires à Bruxelles, les chefs d'Etats renverraient une image extrêmement négative du projet démocratique qu'ils entendent développer. Bien au contraire, un tel symbole pourrait évoquer la soumission du Parlement à la Commission et au Conseil, ce qui le reléguerait au rang de "chambre d'enregistrement législatif". Alors que la France vient de donner le coup d'envoi des Consultations Citoyennes dans toute l'Europe, le maintien d'un statu quo est plus que vital pour que l'Union dépasse la crise existentielle qu'elle traverse. Parce que le Parlement est l'une des rares institutions dans laquelle les citoyens ont encore confiance, la question du partage de ses sièges n'est peut-être pas si anodine que cela.

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Europe

06.

CONTRE

L’Europe des valeurs

Émilien Hertement

L’Union européenne : de l’idéologie au règne des "valeurs"

S

i pour moi l’Union européenne représente avant tout une obscure créature juridique et technocratique ainsi qu’un carcan géopolitique, celle-ci est également porteuse d’une base idéologique et doctrinale. Cette dernière peut regrouper aussi bien des poncifs que les partisans d’une « Europe intégrée » ressassent sans cesse semblables à des mantras comme par exemple le sacrosaint « l’Europe c’est la paix », qu’un système de gouvernement politique que certains voudraient appliquer à l’UE : le fédéralisme. L’UE mobilise enfin un ensemble de valeurs abstraites (Etat de droit, respect des droits de l’homme ...) qui prennent une place centrale dans les arrêts de la CEDH et de la CJUE puisque celles-ci sont présentes dès l’article 2 du TUE. Lorsque l’on aborde avec une personne quelconque le sujet de l’UE (j’entends ici qui ne s’intéresse pas forcément à la politique, au droit communautaire ou au fonctionnement des institutions), bien souvent cette dernière ne mettra pas en exergue les aspects souvent mal connus du grand public que sont le contenu des traités, le processus décisionnel ou les mécanismes institutionnels qui sont fondamentaux dans le fonctionnement de l’UE. Cette même personne exposera généralement son opinion sur le ressenti des politiques menées depuis des années et l’impact sur son quotidien mais si on la questionne plus précisément, ce sera la représentation philosophique que se fait la personne de l’UE qui prévaudra dans son discours. Celle-ci parlera plus volontiers « d’Europe » en général car depuis des années on lui a expliqué que les organisations kafkaïennes et les bâtiments froids de Bruxelles, Francfort, ou encore Strasbourg se confondent avec l’âme des peuples européens, son histoire, que l’Europe ne peut être que

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comme elle est, au fond : l’UE ou le chaos. Il sera donc question ici de remettre en cause tout d’abord les fondements d’un courant théorique s’étant développé peu à peu au fil du 19ème et 20ème siècle jusqu’à devenir l’un des principaux au sein des instances de l’UE et de la sphère politique et administrative en général, puis nous verrons que des valeurs abstraites sont portées au pinacle par l’ensemble des dirigeants européens quand il s’agit de trouver ce qui pourrait lier les conceptions politiques des différents peuples composant l’UE. Le fédéralisme comme aboutissement de « signatures en bas d’un papier » ? La division philosophique originelle concernant l’Union européenne, qui persiste aujourd’hui, refaisant surface avec la montée croissante des partis que l’on surnomme « populistes » est évidemment celle de l’intégration, la question est de savoir si cette dernière doit aller toujours plus loin vers ce que l’on appelle le fédéralisme et la supranationalité ou au contraire revenir à une Europe des patries, composée de nations souveraines. Il est donc ici question d’apporter une réflexion sur cette dichotomie initiale et une critique du principe même de « fédéralisme européen », spécifiquement européen en effet, car selon la formule de Victor Hugo, reprise par Churchill bien des décennies plus tard, celle des « Etats-Unis d’Europe » se cache une réalité pratique bien plus complexe et une véritable interrogation anthropologique sur les notions de peuple, d’Etat et de nation. Le fédéralisme, comme système

politique d’un Etat, se fonde sur la délégation à une autorité centrale de certains pouvoirs (législatif, exécutif, juridique), par des entités disposant d’une large autonomie mais n’étant plus pleinement souveraines (Etats-Unis, Confédération suisse). À la différence du principe d’Etat fédéral, le fédéralisme européen se rapproche bien plus d’une idéologie que d’une réelle possibilité de gouvernement de la zone. En effet ses partisans, bien que, je peux le concevoir, sont sincères dans cet engagement pour une UE composée de « régions » reposant sur les décombres des anciennes nations européennes, ne comprennent pas selon moi la nature profonde des peuples, le lien qui les poussent à se constituer en nation. « En effet c’est l’idée que l’on se fait de la nation qui commande l’idée que l’on se fait de l’Europe », expliquait Philippe Séguin à la tribune de l’Assemblée en 1992 lors de son discours prémonitoire lors de l’institution du traité de Maastricht. Les fédéralistes européens (de droite comme de gauche), martèlent sans cesse que la solution aux problèmes de l’UE serait in fine synonyme de création d’un Etat fédéral européen, se persuadant malgré les échecs, croyant profondément en cette religion séculière. Guy Verhofstadt, député et président du groupe de l’ALDE au Parlement européen explique que « les dirigeants des pays européens n’ont

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Europe pas le choix », qu’en réalité c’est « la seule bonne solution » aux crises. Ces affirmations, si l’on s’y attarde quelque peu, sont révélatrices de ce que le général de Gaulle appelait « un machin » (en parlant de l’ONU), des créations artificielles car ne tirant de légitimité qu’avec des « signatures en bas d’un papier », comme si l’annihilation des nations millénaires et leurs histoires pouvaient prendre racine dans un processus vieux de 50 ans tout au plus, n’étant l’apanage que d’une poignée d’idéologues, de lobbyistes et de technocrates, n’ayant aucun écho chez les peuples. Les fédéralistes pensent pouvoir dissoudre dans un magma supranational les vieilles nations d’Europe, afin de créer un espace sans frontières intérieures, mais il est évident que sans l’existence préalable d’un peuple européen, il est vain de persister dans cette voie, car comme disait Bismarck, l’Europe n’est qu’un expression géographique, il n’existe pas de solidarité entre les peuples allemand et grec, français et letton ou encore espagnol et finlandais (langue, culture, économie etc.). De Gaulle avait compris qu’il n’y avait de réalité politique crédible et tangible que dans la nation et donc intrinsèquement par le peuple qui la compose, Séguin exhortant que cette première : « est le résultat d’un accomplissement, le produit d’une mystérieuse métamorphose par laquelle un peuple devient davantage qu’une communauté solidaire, presque un corps, une âme. » Mais il semble évident que le fédéralisme européen ait remédié au léger encombrement que représente le fait qu’il n’existe pas de peuple européen. Les nations sont des œufs durs, il est donc impossible d’en faire une omelette. Ainsi donc subrepticement depuis des années cette idéologie tente de créer artificiellement ce dont elle rêve mais sans les peuples, la nation étant consubstantielle à la démocratie, le

fédéralisme européen pense pouvoir se passer de l’un et de l’autre (référendum sur le traité Constitutionnel européen de 2005 rejeté par la France et les Pays-Bas puis ratification du traité de Lisbonne pour le remplacer). Faute de gouvernement démocratique et de consentement des peuples, l’UE et les fédéralistes constatant la faillite de leur utopie, ont défini une nouvelle acception du pouvoir, que l’on connait sous le nom de « gouvernance ». Comme tout ceux qui ont voulu unifier l’Europe par les armes dans l’histoire n’y sont pas parvenus, de Charlemagne à Hitler en passant par Napoléon, les concepteurs de la construction européenne telle qu’elle est aujourd’hui, que ce soit Robert Schuman ou Jean Monnet, ont conçu cette méthode d’embastillement par un corsetage juridique et technique, choix qui a permis à cette construction d’obtenir le désintéressement des peuples tout en captant peu à peu le pouvoir décisionnel. La gouvernance permet à la pusillanimité du personnel politique national de décharger ses échecs sur une oligarchie non-élue. Ce nom de gouvernance convient parfaitement pour définir les différents intérêts, non plus seulement ceux des peuples, mais mêlant intérêts privés et économiques qui pullulent au sein de l’UE, bien éloignés du bien commun. Seulement voilà, en construisant cette union dans « le secret des cabinets, la pénombre des commissions, dans le clair-obscur des cours de justice » (Séguin), cela a abouti à ce que Raffaele Simone dans son ouvrage Il mostro mite. Perché l’Occidente non va a sinistra, nomme “le monstre doux” en s’inspirant de Tocqueville. Celui-ci explique : « Le monstre doux » étouffe les libertés et les idées neuves sous une convergence de technologies, produits et outils de formatage des esprits et des mœurs. Ceci permet à des intérêts cyniques une prise de pouvoir dont nous ne sommes pas près de voir le terme. Le « monstre doux » s’impose à la modernité à travers trois commandements : consommer, s’amuser, le culte du corps jeune. » C’est la représentation d’une nouvelle forme de domination qui s’ingérerait jusque dans la vie privée des citoyens, développant un

autoritarisme « plus étendu et plus doux », qui « dégraderait les hommes sans les tourmenter ». Le règne des valeurs comme dernier rempart au populisme ? Cette vision subjective du fédéralisme européen, permet d’adjoindre maintenant une critique des valeurs qui sous-tendent ce projet. À quoi veut-on nous faire adhérer lorsque l’on brandit sans cesse ce que l’on appelle les « valeurs » de l’UE ? En paraphrasant l’une des répliques du film Le Président (1961) sur « l’intérêt de la République », l’on pourrait affirmer que lorsqu’un mauvais coup se mijote, il y a toujours une valeur de l’UE à sauver. Les valeurs de l’UE énumérées à l’article 2 du TUE, sont pour ses dirigeants le frontière ultime à ne pas transgresser pour les Etats avant d’être mis à la marge. Ce Rubicon fût déjà franchit par un certains nombre de nations en Europe : la Hongrie ne souhaitant pas légitimement accueillir la vague d’immigration et le gouvernement polonais ayant visiblement porté atteinte à la fragile sensibilité des bonnes âmes bruxelloises et l’Etat de droit. Si l’on ne devait citer qu’un exemple de ses valeurs, l’on prendrait ce que le professeur Jean-Louis Harouel définit comme « la religion des droits de l’Homme », que cela concerne la crise des migrants et le terrorisme. La CEDH, la Commission et la CJUE depuis des années placent le desiderata des individus, la liberté individuelle et l’accueil de l’autre au cœur des politiques européennes. La première empêchant de prendre des mesures concrètes pour lutter contre le terrorisme islamiste sur les territoires nationaux au nom d’une idéologie humaniste dévoyée. Les autres expliquant de concert, que l’UE, par sa tradition d’accueil plurimillénaire n’a de destin que celui de devenir une terre d’indifférenciation des individus. La culture ne peut plus choisir qui entre chez soi ou non, alors que comme Régis Debray l’explique dans son « éloge des frontières », cette dernière n’est pas un mur, c’est une porte d’entrée, la plupart des personnes ne laisseraient pas entrer n’importe qui à son domicile, il en va de même d’un pays. Les traditions d’un pays, ses coutumes, son histoire, ne peuvent être assimilées que par des individus et non des peuples entiers, si l’on veut conserver l’homogénéité nationale, c’est-à-dire ce qui garantit le « vivre-ensemble » tant convoité par les partisans de l’UE, il est essentiel que les Etats, les nations et les peuples entretiennent ce qui les lie et non les valeurs melliflues qui, loin de rapprocher les êtres, les poussent à se mépriser.

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urope

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L’Europe des valeurs

POUR

Stéphane Chopin

L’Europe des valeurs : mythe ou réalité ?

«M

on espoir est que le 30 mars 2019 [lendemain du départ officiel du Royaume-Uni de l’Union européenne], les Européens se réveilleront dans une Union où nous défendons toutes nos valeurs », a déclaré Jean-Claude Juncker, le Président de la Commission européenne, lors de son discours sur l’état de l’Union en septembre 2017. Pour le Luxembourgeois, l’Union a « toujours été une question de valeurs » et à la lecture de ses propos, celles-ci sont menacées. Mais tout d’abord, de quelles « valeurs » parlons-nous dans le contexte européen ? Ce court essai se concentre sur les valeurs mentionnées dans les traités européens, mais d’autres approches méritent l’attention. Est-ce qu’une « Europe des valeurs » existe ? Selon le droit européen, elle est en place depuis plusieurs décennies. Qu’en est-il vraiment dans la réalité ? Ce court essai apporte quelques éléments de réponse pour un sujet qui a déjà fait et continue de faire couler beaucoup d’encre.

Les valeurs de l’Union européenne : une existence légale progressivement affirmée dans les Traités. Le traité de Lisbonne, pilier de l’UE et du droit européen, détaille les valeurs de l’Union : le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’Etat de droit, le respect des droits de l’Homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont censées être communes aux États membres dans une société européenne caractérisée par « le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes » (article 2 TUE).

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Derrière ce tableau juridique ambitieux, un retour sur l’histoire des valeurs européennes s’impose. A ses débuts, la construction européenne est avant tout un projet de coopération économique dont l’objectif de long terme est d’assurer aux Etats européens un élément rare de leur histoire commune : la paix, valeur fondamentale du projet européen. Les valeurs mentionnées dans le TUE ont été inscrites seulement avec le Traité de Maastricht (1992). Elles ont été par la suite confirmées et complétées par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000), charte qui a ensuite acquis un caractère obligatoire avec Lisbonne (article 6 TUE). Le respect de ces valeurs constitue un droit que les citoyens européens peuvent invoquer à l’encontre d’un acte de l’Union ou d’un des États membres qui leur serait contraire. Ces valeurs sont désormais des éléments de l’identité constitutionnelle de l’Union. D’ailleurs, les États qui souhaitent adhérer à l’UE doivent obligatoirement les respecter pour pouvoir se porter candidat (article 49 TUE). Impossible qu’un Etat pratiquant la peine de mort puisse rejoindre l’UE, par exemple, car cela constituerait une menace à la liberté première du citoyen européen : le droit à la vie. Les citoyens européens sont fiers de ces valeurs, comme le montre l’Eurobaromètre 77 de mai 2012 consacré à ce sujet. Les « droits de l’Homme » sont d’ailleurs la valeur la plus souvent mentionnée par les Européens. Pourtant, la réalité de la crise migratoire de ces dernières années laisse pense que cette valeur est parfois menacée en Europe.

Le respect des valeurs européennes dans l’Union : une réalité contrastée.

Prenons ici l’exemple turc. Depuis la dérive autoritaire du Président Recep Tayyip Erdoğan, la Turquie semble bien loin des valeurs de l’Union telles qu’énoncées dans les Traités et bien loin des critères de Copenhague. L’adhésion de la Turquie à l’Union européenne est impensable actuellement : la mise à mort de l’Etat de droit mais aussi les valeurs très conservatrices d’une majorité de Turcs acquis à la cause de l’AKP – le parti d’Erdoğan – sont les deux clous du cercueil de la candidature turque. Ainsi, les valeurs européennes – placées au cœur du processus d’adhésion - se définiraientelles aussi en opposition à d’autres systèmes de valeurs mettant en avant la communauté plutôt que les libertés individuelles ? Le cas de la Turquie semble le montrer. Cependant, l’Union européenne est sous le feu des critiques concernant le respect de ses propres valeurs. En effet, les imprécisions et zones d’ombre liées à la politique migratoire européenne – mises en avant depuis la crise des réfugiés et migrants ayant débuté à l’été 2015 – sont dénoncées par de nombreux juristes et défenseurs des droits des demandeurs d’asile. L’Italie et la Grèce, dont la position géographique les surexpose aux flux migratoires, attendent toujours le réflexe de solidarité des autres Etats membres. Lorsque des êtres humains sont

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europe enfermés dans des centres de rétention pendant des semaines, voire des mois, dans plusieurs Etats membres de l’UE, on peut se demander si « l’Europe des valeurs » n’est pas une chimère. Ou peut-être que l’Europe des valeurs humanistes et inspirées des Lumières ne s’applique de facto qu’aux citoyens européens … De même, l’accord UE – Turquie signé en mars 2016 pour réguler le flux de demandeurs d’asile provenant du Proche-Orient et se dirigeant vers l’Europe est lui aussi décrié. L’idée d’une « Europe-forteresse » filtrant les demandeurs d’asile semble être aux antipodes de l’Europe des valeurs humanistes et libérales inspirées des Lumières. Plus inquiétant : la Turquie actuelle est celle où des centaines de milliers de fonctionnaires ont été suspendus ou limogés sans explication, où les minorités sexuelles sont régulièrement agressées et où les journalistes critiques du régime sont condamnés à de lourdes peines de prison. Malgré ces réalités bien éloignées des valeurs européennes, l’UE – via les chefs d’Etat et de gouvernement de ses Etats membres – a fait de la Turquie son partenaire principal pour réguler les flux migratoires. Au mépris de ses propres valeurs ? Le sociologue Olivier Galland (directeur de recherche au CNRS) déclare ainsi : « L’Europe des valeurs est constituée de cercles concentriques et plus on s’éloigne du cœur, notamment à l’est du continent, plus l’écart avec ce socle de valeurs s’agrandit ». L’émergence puis le renforcement des « démocraties illibérales » en Hongrie et en Pologne tendent à confirmer cette affirmation. Tout laisse à penser qu’une majorité de Hongrois et de Polonais possède désormais un socle de valeurs fondamentales bien différent des valeurs énoncées dans les traités de l’Union européenne. En Hongrie, la presse d’opposition est muselée et les opposants accusés d’être des agents agissant pour le milliardaire Soros : on est proche de la censure. En Pologne, les réformes menées par le parti ultraconservateur

du PiS mettent en danger les fondements de l’Etat de droit, ce qui a entraîné un conflit politique toujours en cours entre la Commission européenne, gardienne du respect des Traités européens, et Varsovie. La République tchèque et la Slovaquie constituent les deux autres Etats membres du « groupe de Visegrad » et leur hostilité envers les réfugiés ainsi que leur intolérance envers l’Islam les éloignent des valeurs de tolérance prônées par les traités européens. Toutefois, peut-on vraiment parler d’une nette division Ouest / Est de l’Union européenne sur le terrain des valeurs ? Les résultats en constante hausse de formations d’extrême-droite ou de droite extrême dans une vaste majorité d’Etats membres de l’UE (exceptions faites de l’Espagne et du Portugal) peuvent-elles laisser penser que l’Europe a oublié ses valeurs de non-discrimination et de tolérance ? De même, le phénomène #MeToo a entraîné un nouveau focus sur les inégalités entre hommes et femmes en Europe – inégalités présentes depuis le début de la construction européenne. L’UE aurait-elle oublié ses propres valeurs ? Difficile de répondre à une question aussi large dans un texte aussi étroit. Elle semble en tout cas balbutier à ce sujet. Est-ce que l’UE gagnerait à s’inspirer de l’organisation internationale qui l’a précédée dans la construction européenne, le vénérable Conseil de l’Europe (fondé en 1949) ?

« L’Europe des valeurs » incarnée par le Conseil de l’Europe ? Deux éléments principaux viennent soutenir la thèse que l’Europe des droits de l’Homme (se basant sur les valeurs de l’UE) serait à Strasbourg. Tout d’abord, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) est éloquente. Tout citoyen d’un Etat membre du Conseil de l’Europe peut invoquer la Convention européenne des droits de l’Homme et défendre ses droits individuels devant la cour de Strasbourg. Cette protection des libertés individuelles – par ailleurs, l’action du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, notamment en faveur des minorités, suscite l’admiration de nombreux juristes serait-elle la valeur la plus européenne qui soit ? D’autre part, la Commission de Venise - une instance du Conseil de l’Europe méconnue - joue un rôle important dans la promotion de l’État de droit et la démocratie. Surtout, elle se charge d’examiner les suspicions de violation de ces deux valeurs fondamentales des Etats européens. Composée de juges

constitutionnels et de professeurs de droit, elle émet des avis dont la légitimité juridique est incontestable. La Commission s’appuie d’ailleurs à de multiples reprises sur ces avis, dont l’un condamnait les manœuvres du gouvernement polonais mettant en danger l’Etat de droit (notamment la réforme du Tribunal constitutionnel polonais). Enfin, suite à l’annexion de la Crimée par la Russie, les dix-huit députés russes de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe depuis avril 2014. L’invasion d’une partie du territoire d’un autre membre du Conseil de l’Europe n’est effectivement pas une valeur portée par l’organisation internationale basée à Strasbourg. Cependant, sanctionner un membre important (par son poids politique) se paye au niveau financier : dans la foulée de la sanction, la Russie a annoncé ne plus vouloir verser sa contribution annuelle au budget déjà anémique du Conseil de l’Europe, dont l’action est limitée en partie à cause de ces contraintes budgétaires. Le Conseil de l’Europe est traversé par un paradoxe : malgré ses nombreuses actions pour promouvoir et défendre une Europe des valeurs, il compte parmi ses membres des régimes autoritaires comme l’Azerbaïdjan et la Turquie, véritables cauchemars des journalistes. Ainsi, le Conseil de l’Europe ne peut pas non plus prétendre à incarner pleinement une Europe des valeurs. Au final, peut-on imaginer une Europe - que ce soit l’UE ou le Conseil de l’Europe – respectant strictement les valeurs qu’elle a choisies – si on assume que les valeurs incluses dans les traités ou dans les textes constitutionnels sont embrassées par les citoyens européens ? A l’heure actuelle, la realpolitik l’emporte sur cette perspective. Une Europe plus intransigeante sur ses propres valeurs gagnerait en légitimité, que ce soit au niveau de ses Etats membres plus ou moins rebelles ou de ses citoyens. Le débat sur les valeurs européennes est en tout cas bien réel, et pourrait animer la campagne des élections européennes de mai 2019. De là à provoquer un tournant politique au Parlement actuellement dominé par les conservateurs ?

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actualité

Le cinéma, un loisir de riches ?

Anna Agopyan

ACTUALITÉ

Des billets de cinéma à quatre euros pendant trois jours ! … Et ? Évidemment, de notre point de vue germano-centré, une telle offre ne présente aucun intérêt puisque nous pouvons trouver des places entre trois et cinq euros toute l’année grâce à notre merveilleuse carte culture. Pourtant, la promotion dont nous parlons aujourd’hui est très avantageuse pour la quasi-totalité de la population française, et largement plébiscitée, ce qui pose alors la question des facteurs encourageant ou entravant la fréquentation des salles de cinéma.

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Le Printemps du Cinéma, une incitation financière efficace Le Printemps du Cinéma consiste en une tarification spéciale durant un temps limité : toutes les séances de cinéma sont à quatre euros (hors majoration pour les films en 3D ou séances spéciales) pendant trois jours au début du printemps dans les 5800 salles participantes. Organisée par la Fédération Nationale des Cinémas Français (FNCF) en partenariat avec BNP Paribas depuis 2000, cette opération a pour objectif affiché de relancer la fréquentation des cinémas. Elle n’est d’ailleurs pas la seule : la FNCF organise également depuis 1985 la Fête du Cinéma à la fin du mois de juin, ainsi que la Rentrée du Cinéma jusqu’à l’année dernière du moins - sur le même modèle. Ces véritables soldes des places de cinéma semblent alors

atteindre leurs objectifs puisque le Printemps du cinéma a par exemple attiré plus de 2,78 millions de personnes en 2017, soit 13% de plus qu’en 2016. L’importance de tels événements est de plus soulignée par la diffusion dans toutes les salles de France pendant les cinq semaines précédentes d’une vidéo annonce, généralement sur le thème de l’amour, qui cumule au moins 700 000 passages. Les Français et le cinéma, une longue mais infidèle histoire d’amour De telles campagnes promotionnelles et la multiplication par trente du prix du billet de cinéma depuis les années 1950 (le prix moyen étant aujourd’hui de onze euros environ), en parallèle d’une division par deux du nombre d’entrées vendues, interrogent alors sur l’état

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actualité actuel de la fréquentation du cinéma en France. Longtemps bien culturel de masse par excellence, serait-ce désormais un loisir de riches ? Essayons alors de suivre l’évolution de la fréquentation du cinéma en France, et montrons que malgré tous les discours, elle ne se porte plutôt pas si mal, surtout lorsque nous comparons avec d’autres pays. Il est tout d’abord essentiel de comprendre que depuis l’invention du premier film cinématographique par les Frères Lumières en 1895 (La Sortie de l’usine Lumière à Lyon, qui dure à peine 50 secondes), la France a été un chef de file, et est allée jusqu’à revendiquer son exception dans le domaine, notamment grâce au soutien de l’Etat à l‘industrie cinématographique. C’est précisément la vocation du Centre national de la cinématographie (CNC), créé en 1946 et placé sous l’autorité du Ministère de la Culture. L’aide est même financière, puisqu’en 1948, une taxe est prélevée sur chaque billet pour aider au redressement de l’industrie cinématographique. Les années 1950 sont alors des années fastes avec plus

de 400 millions d’entrées vendues. A l’inverse, les décennies 1970, 1980 et 1990, face au développement de la télévision, (on compte alors un poste par foyer, contre seulement 3794 postes sur tout le territoire en 1950), voient la crise du cinéma en France : les guichets n’enregistrent que 184 millions d’entrées en 1970. L’Etat oblige alors les chaînes de télévision à financer le cinéma. En 2004, ces dernières financent ainsi 40% des films produits au cinéma. Une fréquentation globale satisfaisante Qu’en est-il à présent ? Nous pourrions penser que le développement des lecteurs de DVD, mais surtout des plateformes internet – légales et illégales – proposant des films en streaming ou en téléchargement

auraient donné un coup d’arrêt mortel au grand écran. Une telle idée est renforcée par le discours général tenu par les politiques, ainsi que par les initiatives, tel le Printemps du Cinéma. Raté : l’industrie du cinéma se porte très bien en France ! Depuis la fin des années 1990, marquée par des succès comme Titanic (1997, presque 22 millions d’entrées, premier au box-office français) ou Bienvenue chez les Ch’tis (2008, 20 millions d’entrées, deuxième meilleur score), le CNC enregistre en moyenne 200 à 210 millions d’entrées annuelles, des résultats en croissance sur la dernière décennie. La France est ainsi le deuxième pays européen le plus cinéphile juste derrière l’Irlande avec en moyenne 3,17 films vus par personne au cinéma en 2016. Dès lors, si la fréquentation agrégée est plutôt encourageante, notamment lorsque nous la comparons à celle des pays voisins, notre attention doit se porter sur la répartition de cette fréquentation. Le cinéma n’est pas qu’une affaire de sous Dans un premier temps, l’enquête réalisée par le CNC sur l’année 2016 souligne que les catégories socio-professionnelles supérieures (CSP+) sont les plus attirées par le cinéma (26,4%) alors qu’elles ne représentent que 23% de la population. Le taux de pénétration (population cinématographique de ce groupe / population totale de ce groupe) du cinéma dans cette catégorie (77,9 % en 2016) est supérieur à celui constaté pour les CSP- (65,9 % la même année). Ces inégalités se voyaient déjà en 2008 donc avant la crise économique -, selon l’enquête réalisée par Olivier Donnat au profit du Ministère de la Culture : 85% des titulaires d’un diplôme de niveau bac+4 se sont rendus dans une salle de cinéma en 2008, contre 56% des ouvriers. De surcroît, les récentes offres de « luxe », telles la 4DX (l’expérience absolue de cinéma, arrivée en France en 2017, où les sièges en mouvement sont associés à des effets sensoriels spécifiques, tels le vent ou la pluie) ou les salles VIP (champagne, sièges très larges...) pourraient suggérer que le cinéma serait désormais un loisir tourné vers les populations les plus aisées.

plus discriminant est en réalité celui de l’âge : représentant un peu plus du quart de la population totale en 2016, les moins de 25 ans constituent la tranche d’âge la plus consommatrice de cinéma puisque plus de 75 % sont allés au moins une fois au cinéma en 2015. Cette part dépasse même 90 % pour les 15-19 ans la même année. Notons également que la localisation des salles crée d’autres inégalités : concentrée dans les grandes villes, elle pénalise les populations rurales. 76% des Parisiens intra-muros sont ainsi allés au cinéma au moins une fois en 2008, contre 46% des habitants des communes rurales. Surtout, les enquêtes concernant la visualisation des films à la maison soulignent que ceux qui regardent le plus de films chez eux, dont une majorité gratuitement, sont aussi ceux qui vont le plus au cinéma. Le cinéma n’est alors pas qu’une affaire de sous. De plus, les multiplexes (complexe cinématographique comptant au minimum huit salles de cinéma réunies en un seul endroit, à l’instar de notre UGC à proximité du centre commercial Rivetoile) construits au début des années 2000 ont permis de reconquérir une partie du public familial populaire. Le cinéma est ainsi même le bien culturel le plus fréquenté par les classes populaires, si nous comparons aux sorties au théâtre par exemple. Ainsi, même si le nombre d’entrées au cinéma de nos jours est en moyenne deux fois moins élevé que dans les années 1950 et malgré les différences de fréquentation dues aux revenus, le cinéma reste un loisir largement plébiscité en France par toutes les classes sociales (95% des Français sont ainsi allés au cinéma au moins une fois dans leur vie). De nombreux facteurs autres que les inégalités de revenus peuvent expliquer les différences de fréquentation que pointent les enquêtes existantes sur ce sujet. Soyons donc fiers de notre cinéphilie nationale.

Pourtant, les différences en termes de fréquentation ne s’expliquent pas uniquement par des inégalités financières. Le critère le

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actualité

Le soft power nippon :

Le Jap n est-il encore "cool" ? Loris Schaeffer Admettons que je vienne chez vous demain, que pourrais-je y trouver ? Des télévisions SONY ? Des T-shirts Uniqlo ? Et sur les 100 millions de Playstation et Wii vendues dans le monde, en avez-vous une ? Depuis quarante ans, les firmes nippones se sont invitées chez nous, témoin de la puissance culturelle du pays du soleil levant, qui exporte ses produits culturels aux quatre coins du monde. Entre l’attractivité américaine et la puissance chinoise en pleine émergence, le Japon s’appuie sur sa culture pour peser dans la géopolitique régionale via son influence sur les économies et populations, surtout occidentales. Pourtant, le Japon semble à la croisée des chemins quand à la marche à suivre. Explications.

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anga, anime, J-Pop, sushis, plombier à moustache… la liste des produits japonais qui font partie de notre quotidien n’a jamais semblé aussi fournie. Exit l’image d’un pays insulaire renfermé sur lui-même, le Japon cherche à développer son influence culturelle et à apparaître comme un pays ouvert et moderne. Le « soft power » ou, selon Joseph Nye la « capacité à séduire ou persuader les autres États, sans user de la force », trouve un écho particulier ici. Le Japon est très clairement une superpuissance culturelle à travers le « cool Japan », à tel point que cette problématique est intégrée dans les Affaires extérieures et étrangères du pays. En 2007, Taro Aso, ministre des affaires étrangères, s’interrogeait : "Quelle est l'image qui apparaît dans l'esprit des gens quand ils entendent le mot '"Japon" ?". Avant d’ajouter que "plus ce type d'images positives apparaît dans la tête des gens, plus il est facile pour le Japon de faire entendre son point de vue sur le long terme" Car le Japon, géant culturel, machine économique, est un nain politique. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’archipel semble écrasé entre ses deux voisins, de plus en plus remuants. Sans oublier la présence de la Russie ou des dragons asiatiques qui jouent également un certain rôle dans la grande tragédie qu’est devenue l’Asie de l’Est. Le Japon souffre d’une mauvaise image dans la région, due à une certaine ambiguïté sur la mémoire qu’il a vis-à-vis de ses politiques quasigénocidaires en Chine et coloniales ailleurs ; c’est choqué par les violentes émeutes antijaponaises à Bangkok et Jakarta contre le Premier Ministre Kakuei Tanaka,

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en 1974, lors de sa visite dans la région, que Tokyo devint plus conscient du fait qu’il devait donner du Japon une bonne image au plan international. La Japon a donc utilisé ses produits culturels pour se donner une image pacifique, fréquentable, presque assagie. L’objectif est également économique. La New Growth Strategy souhaite quadrupler le nombre de visiteurs étrangers. Elle estime également que 500 000 emplois pourraient émerger de cette capacité à attirer et à exporter, et, tant qu’à faire, profiter de ce capital culturel pour arracher des cerveaux étrangers à ses concurrents. Les trentenaires n’ont-ils pas grandi devant DragonBall et Pokémon ? Les "milléniaux" n’ont-ils pas dévoré Naruto ou One Piece ? Nos jeunes ne sont-ils pas biberonnés à la gamme Nintendo ? De quoi espérer doubler le nombre de travailleurs étrangers hautement

qualifiés ou faire venir 300 000 étudiants étrangers… à quoi bon prêcher auprès de convaincus ? Pourtant, le Japon semble avoir du mal à utiliser cette influence. Ce n’est qu’en 2010 que le Meti (Ministère des affaires étrangères et Ministère de l’économie) a comprit le potentiel d’une telle puissance culturelle avec la création du « Bureau pour la promotion des industries créatives/du cool Japan » dont le but est de promouvoir les industries du cinéma, de la mode, du design… Car le pays souffre d’une chute de tensions de Toyota, de Panasonic et de Sony. Relancer les industries lourdes passe aussi par une politique de « bon voisinage culturel ». Attirer l’attention sur des produits culturels permet de redorer le blason de marchés à fortes plus-values. Pourtant, les politiques ont réagi avec retard… car personne là-bas n’avait anticipé une telle exportation. Le Japon, puissance culturelle malgré lui ? Presque. Comme le fait remarquer Takashi Nishimura, président d’Unijapan (Festival International du Film de Tokyo), « les produits culturels japonais sont pensés et produits pour le marché national », suffisamment grand avec ses 126 millions de consommateurs pour assurer un point de chute confortable en cas d’échec à l’étranger. De telle sorte que les industriels japonais n’ont jamais vraiment prévu de stratégies… et ont laissé la porte ouverte à la concurrence chinoise et sud-coréenne, notamment sur le cinéma, assez dénigré chez les nippons. Cela est également allé de pair avec une perte de contrôle de l’image renvoyée. De nombreux japonais se désolent de voir leur culture

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actualité caricaturée sur ses angles extravagants et regrettent le temps où le Japon était associé à ses vieilles traditions raffinées. Le côté « geek » et « kawai » est en effet assez poussé à l’extrême chez nous, au détriment de la littérature ou de l’art, qui sembleraient presque inexistants tant on nous rabâche l’image d’un pays farfelu. Le soft power nippon connaît également des limites politiques et sociales. Le pays du soleil levant n’a toujours pas assumé son passé impérial vis-à-vis de la Chine et de la Corée du Sud, ce qui handicape son influence culturelle dans ces pays, qui représentent pourtant des marchés essentiels pour le Japon. Le commentaire d'Asahi Shimbun illustre bien cette idée : « Il faut des mois, voire des années, pour construire le respect qui permet de bâtir un soft power – et tout ce qui est acquis peut être perdu en un instant ». Le soft power est très dépendant des affinités politiques des dirigeants. Or, ces dernières années, ce sont les conservateurs qui donnent le change et Shinzo Abe a plusieurs fois laissé passer l’occasion de présenter de véritables excuses sur les actes commis pendant la guerre. Le soleil n’est pas près de se lever sur une renaissances

des rapports entre le Japon et ses deux voisins… Sans oublier que malgré tout, le Japon reste une société assez renfermée. Aucune institution à but internationale type BBC ou CNN n’a été

« Il faut des mois, voire des années, pour construire le respect qui permet de bâtir un soft power – et tout ce qui est acquis peut être perdu en un instant ». — Asahi Shimbun développée. Le Japon peine à incarner des valeurs écologiques ou libérales via les polémiques sur Fukushima ou sur l’identité japonaise et les universités nippones rechignent à recruter des professeurs étrangers, de tel sorte que les meilleurs élèves asiatiques préfèrent les États-Unis ou la Grande-Bretagne au Japon. A se demander si le Japon souhaite vraiment développer son soft power ou juste continuer à exporter des mangas... Car apparaître comme un pays sympathique, « fun », « cool » est une bonne chose. C’en est une meilleure que de le devenir.

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actualité

Une maternité abandonnée

MAYOTTE ET LE DROIT DU SOL L’

Etat français était resté jusque là muet quant à la question migratoire à Mayotte. Ces dernières semaines cependant, l’annonce du gouvernement d’Edouard Philippe est venue heurter les esprits d’une grande partie de la population. Le 8 mars 2018, le gouvernement signalait qu’il réfléchissait à la mise en place d’un statut extraterritorial à la maternité de Mayotte, afin que les très nombreuses naissances n’y « permettent plus obligatoirement d’obtenir la nationalité française ».

accouchant dans cette maternité sont en situation irrégulière et proviennent surtout des Comores, d'après les chiffres de l’Insee. Accoucher à Mayotte permet à ces femmes de donner la nationalité française à leurs enfants et de leur assurer une scolarité, des aides sociales et donc un avenir. Selon les statistiques du Centre Hospitalier de Mayotte, 9674 enfants sont nés à Mayotte en 2017. En comparaison, ce chiffre est deux fois plus élevé qu'au CHRU de Lille, qui comprend pourtant la plus grosse maternité de France métropolitaine.

Ainsi les enfants qui naîtraient dans une situation illégale à Mayotte seraient exclus du droit du sol français et seraient directement déclarés comme Comoriens au registre de l’état-civil. Même si le député La République En Marche Aurélien Taché a révoqué l'affirmation suivante dans un entretien au quotidien La Croix, le projet du gouvernement – qui n'en est qu’au simple stade de la réflexion – impliquerait une complète remise en question du droit du sol. En effet, cela reviendrait à introduire l’idée qu'on on accepte une exception au droit du sol pour cette maternité sur le territoire français. Une exception qui ne concernerait que les naissances d’enfants aux parents d’origine Comorienne. Ici, il s'agirait bien d'une mesure atteignant profondément au droit du sol pour les nouveau-nés aux parents d’origine comorienne, alors même que la loi française est applicable de façon identique sur tout le territoire. Le droit du sol ne devrait donc pas tenir lieu d’exception à Mayotte.

Ce nombre élevé de naissances explique la surpopulation démesurée de l’île. En 2011, on comptait 690 habitants au kilomètre carré, contre 116 en France métropolitaine. De ce fait, il faut considérer la question démographique avec beaucoup d’attention, d’autant plus que la maternité de Mayotte est en grand manque de personnels hospitaliers. Sur place, on déplore de plus en plus le manque de place dans la maternité. Aujourd'hui, certaines mahoraises se voient devoir quitter la maternité seulement deux jours après leur accouchement, parce qu’elles sont couvertes par la Sécurité sociale. Contrairement aux Comoriennes, elles pourront par ailleurs être suivies par une sage-femme libérale. Mariama, se confiant au quotidien 20 minutes, expliquait qu'elle était dans cette situation : « Je me sens défavorisée, alors que je cotise, je paye mes impôts ». En effet les Comoriennes, en situation illégale et ne pouvant donc pas toucher la Sécurité sociale, n’ont d’autres choix que d’accoucher dans la maternité de Mayotte qui est pourtant saturée. Faute de place à Mayotte, on a même proposé à certaines mahoraises d’accoucher à La Réunion afin de soulager les pressions humaines dans le

Une maternité abandonnée et surchargée Rappelons les faits : 70 % des femmes

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Nolwenn Giry-Fouquet

service. Le statut d'extraterritorialité : une solution viable pour Mayotte ? Sur place, la situation est donc critique. Nous pouvons comprendre la fatigue des mahorais, tout comme celle du personnel hospitalier qui doit courir sans arrêt d'une patiente à l'autre. Pour autant, accorder le statut d’extraterritorialité à la maternité de Mayotte serait-il la solution pour régler le problème des naissances sur l'île ? Cette solution, qui semble radicale, ne pourra pas être envisagée pour deux raisons majeures. Dans tous les cas, les Comoriennes souhaitant accoucher sur le territoire français réussiront à le faire en dehors de la maternité. donc à la maison ou dans la brousse. Cette solution ne pourrait être tolérée pour des raisons sanitaires et vitales qui sont évidentes. De plus, cette notion d’extraterritorialité serait inconstitutionnelle. Telle est l'analyse de Serge Slama, professeur de droit public à Grenoble. Interrogé par l’AFP, l’universitaire nous rapporte que la mesure atteindrait aux « principes d'égalité devant la loi et d'indivisibilité du territoire » qui sont inscrits dans la Constitution. Selon lui, l’article 73 stipule que les lois nationales peuvent faire l’objet d’adaptations en outremer, mais que celles-ci ne doivent par avoir de rapport avec la nationalité. Si l’on s’en tient à ces deux simples raisons, le statut d’extraterritorialité de la maternité de Mayotte est donc voué à l’échec. Alors, peut-être qu’il faudrait prendre le problème à sa source, et par conséquent envisager un renforcement du dialogue avec les autorités comoriennes sur ces questions.

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actualité

Notre expérience dans une école alternative :

Christophe Kalfous et Emma Coupard

Après avoir vécu une journée en immersion au sein de l’école Grandir Vert Demain, nous vous proposons de suivre notre journée et de découvrir cette école pas comme les autres. Grandir Vert Demain est une école alternative toute récente qui a ouvert ses portes en septembre 2017 dans le quartier du Neudorf. Le projet a été lancé sous l’impulsion de Tiphaine Linder, actuelle directrice de l’école. Appuyée par une équipe pédagogique autant issue du public que du privé, elle a réussi à créer une école dont le concept a peu d’équivalents sur Strasbourg. L’école propose une pédagogie alternative principalement inspirée de la méthode Montessori et des travaux de Céline Alvarez. L’autonomie et la personnalisation de l’apprentissage sont très présents.

des volcans. Vers 9h30, les enfants se répartissent en deux groupes : les “grands” et les “petits”. Ces groupes sont assez fixes et correspondent à peu près à la maternelle et à la primaire même si certains enfants transitent entre les deux groupes afin de pouvoir s’améliorer là où il peut y avoir parfois des lacunes. Le matin, nous sommes restés avec les “petits”. Nous avons donc assisté à la lecture d’un album sur les volcans à la suite de laquelle les enfants ont restitué leurs connaissances sur le sujet. Nous avons été vraiment impressionnés par la masse et la précision des choses déjà connues par les enfants. Pour le temps de la récréation, les enfants ont le choix entre la traditionnelle récréation en plein air et préparer le repas collectif du midi avec Marie, une des enseignantes.

L’autonomie et la personnalisation de l’apprentissage sont très présents.

Nous sommes arrivés à 8h45 en même temps que les enfants qui sont accueillis à l’école entre 8h30 et 9h le matin. Dès qu’ils arrivent, ils sont pris en charge personnellement par une assistante ou une institutrice. Ils choisissent ensuite une activité parmi un panel assez large mais orienté par l’institutrice en fonction des compétences devant être acquises finalement et de l’avancée de l’enfant. Ainsi, certains enfants choisissent des jeux de mime, tandis que d’autres décident de faire une activité en lien avec le thème de la semaine. Cette semaine, il s’agissait

Au sein de l’atelier cuisine, les enfants cuisinent des recettes proposées par Marie qui a le souci de proposer des repas équilibrés. L’école se fournit en fruits et légumes auprès d’une ferme biodynamique de la région, un parent travaillant en grande surface leur fait aussi don d’invendus. Il faut savoir que la plupart des repas proposés aux enfants sont végétariens voire végétaliens, de l’entrée au dessert. Un repas avec de la viande est proposé en général une fois par mois. Les enfants mettent encore une fois la main à la pâte, ils sont tour à tour chargés de débarrasser la table et de nettoyer.

S’ensuit un temps calme pendant lequel les enfants peuvent faire la sieste, jouer à des jeux de société ou lire des histoires. C’est à ce moment que Marie prend deux enfants pour une séance individuelle de travail personnalisée suivant la méthode Montessori. Nous avons assisté à une séance de grammaire et avons été surpris par tous les outils à la fois manuels et visuels de cette méthode d’apprentissage. Durant l’après-midi, nous avons suivi les "grands" qui ont été chargés de réaliser un exposé par groupe sur le thème du tri des déchets. Là encore le petit nombre rend l’apprentissage plus agréable et l’institutrice peut être plus disponible pour les enfants. Nous avons été conquis par cette école, l’atmosphère y est vraiment chaleureuse et ses membres passionnés. En discutant avec eux, nous avons senti un engagement très fort malgré des difficultés comme le manque financements et de places - ils recherchent pour cela un lieu plus spacieux l’année prochaine. Il faut préciser que l'établissement n'est pas conventionné. L’école reste néanmoins un succès puisque les enfants y ont l’air épanouis et les demandes d’inscription pour l’année prochaine sont nombreuses.

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L'Asie centrale existe-t-elle ?

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uels sont les pays qui composent l’Asie centrale ? Les 5 « Stans », certes, mais l’Asie centrale ne s’y réduit pas. Si tout le monde s’accorde sur l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et le Turkménistan ; il est assez difficile de les lister exhaustivement et certains y ajoutent l’Afghanistan, le Xinjiang chinois, l’Iran, la Turquie ou encore des pays de Transcaucasie (Azerbaïdjan, Géorgie et Arménie), en se référant à l’ex-Turkestan. Ni vraiment un ensemble géographique cohérent, ni vraiment une organisation politique pesant sur la scène internationale… D’où vient l’« Asie centrale » ? La dénomination elle-même cache-t-elle une énième abstraction occidentale et une division géographique peu rationnelle ? Existe-t-il une quelconque unité géopolitique à cette région du monde ? L’Asie centrale est au carrefour de plusieurs civilisations, ce qui s’explique par sa situation géographique, à la croisée des mondes russes, européens et orientaux. De ce fait, elle est un terrain de rivalités sourdes entre diverses puissances : la Russie post-soviétique la considère comme son pré carré, elle est courtisée par la Chine qui cherche à y imposer son jeu et à réactiver les routes de la soie et enfin l’Europe et les Etats-Unis gardent un œil averti sur la région en raison à la fois de ses riches gisements en hydrocarbures mais aussi des mouvements islamistes. Dans ces conditions et devant un manque de cohérence certain, quel avenir géopolitique pour l’Asie centrale ? Quel est la marge de manœuvre de l’entité « Asie centrale » ? A-t-elle intérêt à s’unifier davantage pour gagner en importance ou chaque Etat tend-il davantage à s’intégrer à

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l’ensemble géographique déjà existant le plus proche ? Quelle stratégie s'impose entre chacun des pays composant l’Asie centrale, entre unité et rivalité ? Un passé qui donne le ton Je l’ai esquissé, l'Asie centrale se trouve à la périphérie de nombreuses civilisations : méditerranéenne, arabe, indienne, chinoise, turco-mongole et aujourd'hui russe. Cependant, au moins pour quelques siècles, la région a déjà partagé une même culture sur tout son territoire. Celle-ci se fissure à une époque récente. La soviétisation du XXème siècle échoue à retrouver cette unité passée. L’effondrement de l’URSS fragmente encore plus les Etats modernes, chacun s’engageant sur la voie de la construction nationale - à l’image des pays issus de la dislocation de l’Empire ottoman - reléguant au second plan leur ancienne unité. Cette obligation de constituer des Etatsnation bien définis et aux frontières étanches à la suite du séisme des relations internationales qu’est la fin de la guerre Froide, est également une incroyable opportunité pour les républiques d’Asie centrale, qui ont enfin la possibilité de prendre leur destin en main. Des tentatives de cohésion qui restent sous contrôle étranger Afin de s’assurer une certaine autonomie politique collective et de trouver des solutions à leur enclavement certain, les Etats postsoviétiques se regroupent en 1992 au sein de l’Organisation de coopération économique (ECO). Cette dernière

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international retrouve alors une nouvelle jeunesse, elle qui sommeillait depuis plusieurs décennies et qui regroupe également la Turquie, l’Iran et le Pakistan. Les membres de l’Organisation s’entendent alors pour favoriser un développement commun, qui passe notamment par la facilitation des transports sur ces territoires, le commerce et l’investissement. La Communauté des Etats indépendants (CEI) regroupe également l’Asie centrale dans les domaines politico-militaire et de sécurité. Est également créée l'Organisation de coopération centreasiatique (aujourd’hui Communauté économique centre-asiatique (CECA), qui comprend les membres de la CEI et certains Etats voisins excepté le Turkménistan ; et dont la préoccupation majeure est l’intégration économique et ses relations avec le Kremlin. Non exhaustif, ce petit tableau des différentes appartenances à des entités intégratives permet de montrer que les pays d’Asie centrale, Etats faiblement peuplés et souvent sous-développés, cherchent à gagner en poids dans le monde et à accroître leur développement mais jamais seuls, et souvent sous le contrôle de la Russie. Ce leadership russe est concurrencé par la Turquie, l’Iran et la Chine qui souhaitent devenir des partenaires majeurs des « Stans » d’Asie centrale

et qui profitent de leur proximité géographique et culturelle. Ainsi, dans les faits, les relations commerciales internes aux pays d’Asie centrale restent faibles et ils s’orientent chacun vers d’autres directions même s’il faut souligner qu’ils gravitent tous autour des richesses pétrolières et gazières de la mer Caspienne, exploitées depuis peu. Une unité politique introuvable Politiquement, la situation est complexe et surtout hétérogène en Asie centrale entre le despotisme Turkmène, le Tadjikistan, château d’eau instrumentalisé par la Russie, l’Afghanistan qui a une situation à part du fait des guerres sur son territoire où se mêlent opium et islamisme, la Géorgie et l’Arménie tournés vers l’Europe, le flou de la Turquie, entre Europe et repli autoritaire, l’Iran qui rêve de devenir une puissance régionale indépendante et influente mais isolée politiquement depuis 1979 ou encore la présence de bases militaires de l’OTAN au Turkménistan, en Afghanistan, au Tadjikistan, et au Kirghizstan qui imposent le self-control. L’Asie centrale est donc définitivement aux prises et sous l’influence de plusieurs grandes puissances

internationales mais aussi de puissances régionales qui tentent toutes de se concurrencer pour avoir la mainmise sur ces territoires. La faiblesse des cadres administratifs, souffrant encore du vide laissé par les Russes partis après la chute de l’URSS et le manque de culture démocratique pèsent encore lourd dans l’héritage géopolitique de l’Asie centrale. Ajouté au développement économique très inégal de la région, l’Asie centrale est aujourd’hui une entité qui cherche à gagner en importance sur la scène internationale mais pas encore assez soudée pour constituer un ensemble politique cohérent.

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Espace de tensions entre Pékin et Dehli

L'Asie centrale

Mathilde Michel

Ces dernières années, l’Asie centrale s’est ajoutée à la liste des aires géographiques où se cristallisent les tensions sino-indiennes. Bien qu’ayant pendant des décennies concentré leurs efforts et leurs intérêts sur leur rapport à l’Occident, les dirigeants chinois et indiens entendent aujourd’hui redécouvrir et réinvestir leur environnement régional. Ils manifestent une sensibilité asiatique de plus en plus prononcée, faisant de l’Asie centrale le miroir diplomatique de leur rivalité.

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es guerres sino-indiennes des années 1960 ont laissés des traces dans la conduite actuelle de la diplomatie de l’Inde et de la Chine. Chacun voit l’autre comme un rival menaçant, et ce d’autant plus que les conflits de frontière ne sont pas totalement terminés autour de l’Himalaya. Bien que la Chine semble avoir un avantage économique et politique certain en Asie centrale, l’Inde n’entend pas être en reste, et laisser les Chinois mener seuls la danse dans cette région. L’Asie centrale : rêve d’élargissement de la sphère d’influence chinoise Le potentiel économique et géopolitique de l’Asie centrale semble s’être récemment révélé à la Chine. Pékin envisage actuellement des investissements pharaoniques dans la région, à travers notamment du projet des « Nouvelles routes de la Soie ». Xi Jinping réoriente la géopolitique chinoise vers l’intérieur du continent, dans le but de contrecarrer les influences russe, américaine et indienne qui s’exercent sur ces territoires. Le président Xi a un objectif clair pour l’horizon 2049 (100ème anniversaire du parti communiste chinois) :

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réorganiser l’Asie sur la base d’un système de partenariats politiques et économiques, dont la Chine serait le centre. Ainsi en Asie centrale se met en place une stratégie qui peut être qualifiée de « réalisme institutionnel ». Il s’agit en effet de bâtir de nouvelles infrastructures à l’étranger pour influencer les politiques régionales et mondiales. Cet intérêt porté à l’Asie centrale s’explique à la fois par des raisons économiques et par des enjeux sécuritaires. Les pays centreasiatiques sont en plein développement économique. Ils représenteront bientôt un énorme marché pour écouler la production de biens manufacturés chinois, dont la demande occidentale ne cesse de baisser. De plus, les ressources naturelles de l’Asie centrale, principalement en gaz naturel, présentent un potentiel économique non négligeable pour le géant économique chinois. Mais l’Asie centrale est également le centre d’une politique de sécurisation des frontières chinoises. Il devient nécessaire pour la Chine d’assainir la frontière du Xinjiang, et d’endiguer le terrorisme croissant dans la région. Les Nouvelles routes de la soie, projet annoncé en 2013 par le Président Xi, a pour ambition de relier la

Chine à l’Europe via un vaste réseau multimodal d’infrastructures, tant terrestres que maritimes. L’Asie centrale, pont entre l’Europe de l’Est et la Chine, représente le cœur du projet. De très lourds investissements chinois sont prévus dans la région. Bien que majoritairement présenté comme commercial et économique, et censé être principalement au bénéfice des Etats centre-asiatiques, le projet comprend évidement un volet politique. A terme, il devrait servir les intérêts diplomatiques chinois. Les Nouvelles routes de la soie : ambitions chinoises, craintes indiennes Que ce soit par voie terrestre ou maritime, les plans des Nouvelles routes de la soie ne passent pas, ou presque pas, par l’Inde. La volonté chinoise dans le choix des espaces d’implantation des infrastructures est visiblement de polariser tous les échanges, pour éviter que ceux-ci ne passent par l’Inde ou par la Russie. Ainsi, la première source d’inquiétude pour l’Inde est d’ordre économique. Le développement des relations entre la Chine et l’Asie centrale permettra aux Chinois d’importer plus de matières premières, pour les transformer et les revendre. La

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concurrence industrielle entre l’Inde et la Chine s’en trouverait forcement accrue, à la faveur de la Chine. Ceci alors même que le parc industriel indien est essentiel à la création d’emploi, dans une Inde où la vivacité démographique nécessite d’énormes perspectives de nouvelles embauches, surtout pour les jeunes. Ne pouvant actuellement rivaliser avec la Chine en Asie orientale, l’Inde tente de trouver des alternatives pour contrebalancer le pouvoir que prendrait la République populaire si le projet des routes de la soie était mené à son terme. Des routes intermodales entre l’Inde, l’Iran et la Russie, sont par exemple envisagées, mais pour l’instant rien de concret n’a émergé des entrevues. A ces considérations d’ordre économique, se superposent des inquiétudes sécuritaires. Les conflits de frontières entre la Chine et l’Inde sont toujours en cours et les tensions avec le Pakistan perdurent. Les craintes de l’Inde sont encore accentuées par le fait que, profitant de cette situation, la Chine multiplie ses échanges commerciaux et diplomatiques avec le Pakistan. De surcroît, les Nouvelles routes de la soie risquent d’avoir pour effet de satelliser les Etats centre-asiatiques,

et d’augmenter l’avantage que possède déjà Pékin au sein de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai, organisation commerciale et sécuritaire entre la Russie, la Chine et les pays d’Asie Centrale). Les pays d’Asie centrale, victimes de problèmes sécuritaires seront sans doute poussés à coopérer davantage avec la Chine au lieu de se tourner vers l’Inde. La sécurité de l’Inde étant grandement

Pékin semble enclin à imposer ses méthodes sécuritaires en Asie, une certaine coopération semble se mettre doucement en place entre l’Inde et la Chine concernant la sécurité liée aux menaces de l’Asie centrale. Il n’en demeure pas moins que les tensions perdurent entre Pékin et Dehli. Les agissements chinois en Asie centrale sont une source d’inquiétude pour l’Inde. Celle-ci tente de rattraper

Ne pouvant actuellement rivaliser avec la Chine en Asie orientale, l’Inde tente de trouver des alternatives pour contrebalancer le pouvoir que prendrait la République populaire si le projet des routes de la soie était mené à son terme. liée à celle de l’Asie centrale, celle-ci a rejoint l’OCS en 2017, espérant peser davantage sur les décisions de la Chine concernant la sécurité de la région. D’autant plus qu’il devient urgent de traiter efficacement le terrorisme, la radicalisation, et l’extrémisme qui se développent en Asie centrale, et qui sont une menace pour l’Inde comme pour la Chine. Ainsi, bien que

son retard dans une course économique et diplomatique dans laquelle Pékin a pour l’instant l’avantage. Pourtant l’Inde bénéficie encore d’un atout : les Etats centre-asiatiques craignent une hégémonie économique de la Chine dans la région, et cherchent de plus en plus à attirer d’autres acteurs de poids, aux premiers rangs desquels se trouve l’Inde.

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La géopolitique des tubes

ou le "grand jeu" post-1991 dans la région pontique Arthur Lippry

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a région de la mer Noire entendue au sens géographique le plus large (Wider Balck Sea region) était « endormie » pendant la période de Guerre froide, sorte de muraille maritime entre le pacte de Varsovie et l’OTAN. En revanche, cette région est devenue particulièrement dynamique après 1991 d’une part en raison de l’activité des acteurs locaux et de leur multiplication (la région est en effet marquée depuis 1988 par un processus de fragmentation politique) et d’autre part en raison de l’irruption de nouveaux acteurs (les Etats-Unis et l’Union européenne notamment) dans la région.

Le domaine dans lequel des logiques de coopération/concurrence s’exercent de la manière la plus patente est probablement le domaine de l’énergie. En effet, la mer Caspienne est une source majeure d’extraction d’hydrocarbures devant impérativement transiter par la région pontique pour atteindre les marchés de consommation recherchés (d’où la nécessité de parler de Wider Black Sea Region). Durant la Guerre froide ces ressources étaient sous la maitrise de l’URSS et son implosion a permis la concurrence actuelle. Dans l’immédiat après-1991 la Russie

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ne se préoccupe pas tant de cet enjeu énergétique dans la région pontique et se repose sur les acquis soviétiques. Jusqu’en 2009, 80% des hydrocarbures qu’elle exporte vers l’UE transitent par l’Ukraine (gazoducs Soyouz et Bratstvo et oléoduc Droujba) et 15% par la Biélorussie (Yamal) reprenant ainsi les réseaux établis par l’URSS. Sa politique de puissance énergétique s’étoffe lentement avec la construction d’un gazoduc sous-marin Blue Stream établi en 2003 reliant le Kouban russe à la Turquie afin diversifier ses marchés de distribution (la Russie étant alors et aujourd’hui encore dépendante des achats de l’UE – 40% de son budget fédéral repose sur ces achats). A l’inverse les Etats-Unis s’investissent rapidement dans la région comprenant l’intérêt de négocier avec des producteurs d’hydrocarbures (l'Azerbaïdjan principalement) qui ne sont ni la Russie ni membres de l’OPEP. Dès 1998, les Etats-Unis soutiennent l’oléoduc Bakou-Soupsa acheminant la production azérie au port géorgien de Soupsa. Puis, les Américains structurent leur intérêt et leur soutient financier à la région par la Silk Road Strategy de 1999. Dans ce cadre, Washington participe à la réalisation de deux nouveaux tubes consacrant l’ampleur prise par l’Azerbaïdjan et la

Turquie dans la région pour les enjeux énergétiques. Tout d’abord l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) achevé en 2006 puis, le gazoduc Bakou-TbilissiErzurum (BTE) mis en fonction en 2007. Il faut attendre les crises gazières de 2006 et 2009 entre l’Ukraine et la Russie pour que l’UE et le Kremlin investissent plus largement la région. Ces crises bien que de courtes durées, ont illustré à quel point les deux partenaires UE et Russie étaient dépendants et ce, contrairement aux principes de sécurité énergétique (assurer l’approvisionnement par divers fournisseurs et des sources d’énergie variées – Energy mix). De ce fait, la Russie a achevé en 2009 son gazoduc North Stream en mer Baltique reliant le gaz de Sibérie septentrionale au marché allemand en contournant l’Ukraine. Ce dernier facteur étant devenu depuis 2006 le cœur de la politique énergétique russe. L’UE quant à elle souhaite diversifier ses fournisseurs. Partant, l’ambitieux projet Nabucco est discuté avec l’Azerbaïdjan et le Turkménistan à partir de 2009. Celuici doit approvisionner l’UE en gaz depuis la Caspienne via la Turquie puis rejoindre l’UE en Bulgarie. Or, constatant le menace que représente le projet Nabucco pour sa position de fournisseur principal en gaz de

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l’UE, Gazprom développe un projet analogue et concurrent à Nabucco : le gazoduc sous-marin South Stream. Ce projet dévoilé également en 2009 doit transporter du gaz russe depuis Novossibirsk vers la Bulgarie en passant par les eaux territoriales turques. Les deux projets Nabucco et South Stream sont alors en concurrence économique et politique. La réalisation de South Stream nécessiterait à la Russie moins de temps que Nabucco à l’UE et rendrait inutile la construction d’un deuxième gazoduc sur un même tracé. L’UE cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement tandis que la Russie souhaite demeurer le principal interlocuteur des pays européens pris individuellement et briser tout projet communautaire. Au regard des enjeux, Bruxelles a fait pression sur la Bulgarie afin qu’elle renonce au projet de South Stream tout en étudiant la possibilité d’étendre Nabucco jusqu’à l’Iran. En définitive, constant un risque pour sa rentabilité, l’UE a annoncé l’abandon du projet Nabucco en 2013. Cette annonce est suivie en 2014 par l’abandon du projet de South Stream, son concurrent direct et faisant de la Bulgarie le grand perdant de cette concurrence avortée.

le TransAnatolianPipeline (TANAP) qui distribue du gaz azerbaidjanais partout en Turquie jusqu’à la frontière grecque et a entamé en 2003 de concert avec le gouvernement italien la construction du TransAdriaticPipeline (TAP) reliant justement le premier (TANAP) au marché italien. La concurrence régionale notamment entre l’UE et la Russie n’est aujourd’hui pas achevée mais seulement réduite et déplacée : South Stream est remplacé par Turkish Stream pour la Russie accompagné du projet Tesla Pipeline qui devrait porter le gaz russe à l’Europe centrale par la Turquie et la Serbie. L’UE espère toujours quant à elle réaliser la moitié européenne du projet Nabucco en le reliant au TANAP en Turquie jusqu’à l’Autriche mais par la Bulgarie et la Roumanie. Ainsi, la géopolitique des tubes illustre à quel point la région pontique prise au sens large est dynamique. Les EtatsUnis ont développé une politique rapide et efficace leur permettant

l’accès aux ressources de la Caspienne avec un minimum de pays de transit. L’UE et la Russie sont dans une situation de mutuelle dépendance difficilement surmontable. La Turquie et l’Azerbaïdjan occupent dans ce jeu les positions les plus enviables puisque tous les acteurs cherchent à traiter avec eux. Néanmoins, si l’objectif russe de contourner l’Ukraine est globalement atteint, concernant le corridor sud, les risques liés au transit n’ont pas disparu mais déplacés de l’Ukraine à la Turquie. Enfin, notons la présence récente de la Chine dans l’exploitation des ressources énergétiques de la Caspienne s’inscrivant dans sa politique de projection de puissance en Asie Centrale. Pékin a financé la construction d’usines d’extraction au large de Tengiz (Kazakhstan) ainsi que plusieurs tubes reliant le Kazakhstan et le Turkménistan au marché chinois.

Dans ce grand jeu régional, la Turquie s’est montrée plus discrète que les Européens et les Russes, mais plus habile. En effet, le pouvoir turc s’est efforcé d’obtenir des partenariats énergétiques avec l’ensemble des acteurs de la région. Après avoir remanié sa réglementation de franchissement de la mer de Marmara en 1994 interdisant notamment les supertankers, la Turquie a convaincu la Russie de compenser ce commerce par des tubes. Le gazoduc Blue Stream en 2003 d’abord, puis la Turquie a été de tous les projets russes en mer Noire contournant l’Ukraine : le projet South Stream puis son successeur le Turkish Sream présenté en décembre 2014 reliant la Russie à la Turquie occidentale. De même la Turquie est rapidement devenue un point d’appui pour les Etats-Unis avec les tubes BTC et BTE. Enfin, la Turquie n’a pas manqué de développer sa propre politique de tubes dans la région. Avec son allié Azéri, Ankara a achevé de construire en 2017

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Une sélection, 3 millions d’espoirs

Le basket-ball lituanien, symb le d’indépendance Daoud Jost-Serhir

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l y a des pays où le sport se confond étrangement avec la religion. La Lituanie en est un bel exemple. Dans ce pays d’à peine 2,8 millions d’habitants, il n’y a en effet guère que le catholicisme qui peut faire concurrence à la balle orange. Cette passion nationale éclata en 1937, lorsque l’équipe nationale devint championne d’Europe chez le voisin letton. L’effervescence fut telle que les joueurs mirent des heures à rentrer à Vilnius, s’arrêtant dans chaque village pour célébrer leur triomphe. Longtemps pris au piège au cours de son histoire par des luttes d’influence de puissances étrangères, le basketball a été au cours du XXe siècle une des rares façons pour les Lituaniens de se distinguer comme un peuple et une nation sur la scène européenne et internationale. Ainsi, à l’heure de

l’indépendance du pays au début des années 1990, le basket-ball joua le rôle d’inspiration nationale pour un tout un peuple encore traumatisé par plus de 50 ans d’occupation soviétique souvent violente.

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Un sport pour affirmer sa particularité nationale Pendant la période soviétique, les joueurs lituaniens se devaient de représenter l’URSS lors des compétitions internationales. Toutefois les Lituaniens constituaient souvent l’un des premiers groupes ethniques au sein des sélections alors qu’ils représentaient à peine 1% de la population soviétique. Si les joueurs étaient contraints de ne pas revendiquer leur nationalité, ou pire leurs volontés d’indépendance, sous peine d’être sanctionnés sportivement, le succès de l’URSS était perçu comme une véritable fierté nationale en Lituanie. En effet, lors de la victoire soviétique lors des JO de 1988, quatre des cinq titulaires soviétiques étaient originaires de Kaunas, ville à 100 km de Vilnius. Ces succès furent à l’origine de

sentiments mitigés chez les Lituaniens : ce petit État passionné par la balle orange brillait face à d’autres grandes nations, mais les lauriers de la victoire étaient marqués d’un marteau et d’une faucille, symboles des oppressions et déportations qu’ont pu subir ce peuple pendant plus de 50 ans.

La seule représentation internationale dont les Lituaniens bénéficiaient provenait de ce simple sport. Le basket-ball pouvait permettre au pays de se faire connaître auprès des Américains qui avaient tendance, au grand regret des Lituaniens, à considérer l’intégralité des joueurs soviétiques comme des Russes. Šarūnas Marčiulionis rejoignit les Warriors de Golden State en 1989, révélant aux yeux du monde le talent de ce petit pays balte et son existence au sein de l’URSS. Même si la vie de Marčiulionis aux États-Unis était étroitement surveillée par le KGB, le Lituanien en profita pour revendiquer dès qu’il le pouvait son particularisme national et sa défiance vis-à-vis du communisme soviétique. Vytautas Landsbergis, premier chef d’État de la Lituanie post-soviétique, n’hésite pas à dire que le basket-ball a permis au mouvement d’émancipation

lituanien de s’exprimer sur la scène internationale. C’est donc logique qu’une fois l’indépendance gagnée, les basketteurs lituaniens veuillent une nouvelle fois porter les couleurs et les aspirations de tout un peuple aux yeux du monde entier.

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international 26 ans plus tard, toujours plus qu’un sport Encore aujourd’hui, c’est grâce au basket-ball que les Lituaniens peuvent exister et revendiquer leur histoire et leur nationalité au monde. Ce sont des légendes du jeu comme Arvydas Sabonis et Šarūnas Marčiulionis qui sont, grâce à leur palmarès incroyable et leur investissement extrasportif, des ambassadeurs du pays dans le monde. Leurs exploits en ont inspiré d’autres, comme ceux de la sélection nationale en 2013 ou 2015 (médailles d’argent aux championnats d’Europe) ou de Jonas Valančiūnas, joueur NBA au Raptors de Toronto, véritable star et modèle pour la jeunesse lituanienne.

Barcelone ’92 et l’autre dreamteam En 1992, le monde découvre la fameuse dream-team américaine, portée par Michael Jordan et Magic Johnson. Mais pour les Lituaniens, cette année est surtout l’avènement de leur propre sélection nationale, prête à enfin pouvoir représenter ce peuple désireux de profiter de cette liberté nouvellement acquise. En face, le géant rouge se délite et les Jeux olympiques de Barcelone sont le dernier baroud d’honneur du basket-ball soviétique, sous l’égide d’une Équipe unifiée représentant les pays de la CEI. Ainsi, l’été 1992 fit vivre une épopée olympique extraordinaire au peuple lituanien. À Barcelone, c’est une équipe sans presque aucun financement, dont les maillots psychédéliques furent offerts par un groupe de rock californien (cf. photo) qui incarnait l’espoir de tout un peuple. Au-delà du soutien national, l’équipe attira la sympathie des pays de l’Ouest, des pays baltes et plus globalement de tous ceux qui, à l’instar du peuple lituanien, revendiquaient leur envie de liberté. Un match pour le bronze qui transcende les enjeux sportifs Le hasard fit que le dernier obstacle que durent rencontrer les Lituaniens fut l’Équipe unifiée, représentant l’ancienne oppression soviétique. Le 8 août 1992, c’est bien plus qu’une médaille de bronze qui est en jeu, mais l’honneur même de tout un peuple. En phase de poule, les Géants de la Baltique s’étaient inclinés de 12 points face aux pays de la CEI. Cette fois, la défaite est impossible à imaginer, c’est

la rencontre que tous les Lituaniens attendent depuis des années. Le pays s’est littéralement arrêté pour suivre cette rencontre, enfin une occasion de tenir tête devant le monde entier à l’ancien colon soviétique qui a tant méprisé ce peuple lituanien. Le match est rugueux, les coups sont nombreux. Le président Landsbergis dit même au cours de la rencontre à Valdemaras Chomičius, qui venait de s’ouvrir l’arcade : « Ne vous inquiétez pas. Vous versez votre sang pour la Lituanie ». Les Lituaniens, portés par les leurs, s’imposent sur le fil

La Lituanie est un pays vieux par son histoire, mais manquant cruellement de références et de symboles contemporains du fait de l’occupation russe. La seule constante pour ce pays au XXe siècle est la pratique du basketball de haut niveau, avant, pendant et après la période soviétique. Si les souffrances des Lituaniens et leur lutte pour l’indépendance et la liberté n’ont pas eu l’écho qu’ils méritaient, il est sûr qu’à travers un simple sport, ce peuple de la Baltique a su écrire un beau chapitre des luttes pour l’émancipation nationale et la liberté au XXe siècle.

« Les gars, vous jouez pour le peuple de Lituanie. Oubliez vos ambitions personnelles. Les gens vous regardent, n’en dorment plus la nuit » Vladas Garastas, entraineur de l’équipe lituanienne, avant le match pour la médaille de bronze en 1992.

face à l’un des derniers vestiges de l’Union soviétique. Si le mouvement indépendantiste lituanien a été l’un des moteurs de la chute de l’URSS, c’est là encore les Lituaniens qui parachevèrent la fin de l’Union sportive entre anciens États du bloc de l’Est.

Pour mieux comprendre ce formidable épisode de l’histoire lituanienne et plus globalement la place du basketball en Lituanie, je vous conseille l’excellent documentaire de Marius Markevičius datant de 2012, intitulé The Other Dream Team.

Cette victoire, c’est un symbole pour tout un peuple. La victoire contre l’exURSS fut célébrée dans les rues du pays comme un titre olympique. Le podium et la levée du drapeau jaune-vert-rouge sont une des premières reconnaissances internationales pour les Lituaniens et resteront gravés dans la mémoire collective.

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culture

Au détour d'une pizza dans un restaurant du centreville, Raphaël Enthoven a accepté de répondre à nos questions. Raphaël Enthoven est un philosophe, professeur, écrivain, animateur de radio et de télévision né en 1975 à Paris. Il éclaire l'actualité par la philosophie dans sa courte chronique quotidienne "Le fin mot de l'info" sur Europe 1.

Raphaël Enthoven et la "clé de la joie"

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Charles Guimier

Comment vous est venu votre amour de la philosophie ? Je n’ai pas eu le choix, on m’a dit « tu seras philosophe mon fils » et je me suis plié à cette injonction qui était comme un commandement, comme une prédiction. Et c’est en travaillant la philosophie après que je me suis aperçu que j’aimais ça. Mais j’ai commencé par en faire sans savoir si j’aimerais ou pas.

Vous en réjouissez-vous aujourd'hui ? Absolument. Je suis exactement dans la situation de Gaspard dans La Fortune de Gaspard [NDLR : roman de la comtesse de Ségur paru en 1866] qu’on marie contre son gré à la fille de Monsieur Frölichen et qui découvre quand la fille arrive qu’en fait c’est la plus belle femme du monde. Je suis dans cette situation là : c’est un mariage arrangé dont je me suis arrangé.

Quel est votre philosophe préféré ? Clément Rosset qui est malheureusement inconnu. C’est le fils spirituel de Bergson et Spinoza, ils l’ont eu par GPA. Il est spinoziste dans sa déconstruction de toutes les tentatives d’esquive du réel que l’humanité met en œuvre : de la drogue à la métaphysique. Et il est bergsonien dès qu’il s’occupe du réel lui-même et qu’il se pose la question de savoir ce qu’on peut en connaître et qu’il développe une philosophie du singulier. C’est un immense philosophe, gigantesque et désopilant, ce qui ne gâche rien. [ NDLR : au moment de l'interview, Clément Rosset était encore vivant. Il s'est éteint le 27 mars 2018 à 78 ans à Paris. ]

A partir de quelle classe pensez-vous qu’on devrait enseigner la philosophie ?

On peut l’enseigner techniquement à partir de la seconde. On peut raconter la même chose à un élève de seconde et de terminale, il y a juste le point de départ qui change : on peut se donner un point de départ plus abstrait en terminale ; il faut partir en seconde d’un cas concret mais en réalité on peut les conduire aux mêmes endroits. Et non seulement il

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culture faudrait le faire mais c’est fondamental parce que cela atténuerait la douleur du bac, remplacerait la mythification de l’épreuve de philosophie par le sentiment que c’est une chose nécessaire et utile, cela accoutumerait à la difficulté de la dissertation et cela donnerait le temps aux professeurs de montrer à quel point tout ça est aimable. Je suis un ardent partisan d’un enseignement obligatoire de la philosophie à partir de la classe de la seconde, au moins deux heures par semaine. Combien de temps mettezvous à préparer votre « fin mot de l’info » ?

“ c’est un mariage arrangé dont je me suis arrangé. ”

Ça dépend : parfois une heure, parfois vingt-quatre heures. Quand je n'y arrive pas, quand le sujet est mauvais, quand je dois ramer pour le faire c’est vingtquatre heures et ça donne quelque chose qui en général ne passe pas la journée. Quand ça s’impose avec un sentiment d’évidence complet, j’ai juste à recopier et ça prend une heure. Pourquoi êtes-vous toujours vêtu d'habits noirs ? Je ne sais pas, la question ne s'est jamais posée, ça s'est toujours fait comme ça. Je n'ai jamais regardé qu'un grand espace noir quand je regarde ma garde-robe, ça me simplifie l'existence. Je ne connais pas les autres couleurs en fait... si ! j'ai une chemise fantaisie, grise. Et j'ai même une chemise blanche que je sors les jours de fête. A choisir, préféreriez-vous dîner avec Poutine, Trump ou Kim Jong-Un ? Trump. D’abord parce que la bouffe serait meilleure et puis pour mille raisons objectives : entr'apercevoir le dessous de son crâne lisse recouvert par ses cheveux, l’écouter discourir, confondre la Syrie et l’Irak, assister à un œil concupiscent qui suit une serveuse. Enfin Trump dans ses œuvres, Trump irremplaçable, incroyable, fou. A sa manière cet homme est un chef d’œuvre. C’est un défaut sans défauts, il est parfait dans ses défauts. D’abord Trump est une grande chance pour la démocratie parce qu‘il met tout le monde d’accord. C’est un anti-modèle universel. S’il fallait choisir entre les trois, entre les deux dictateurs, les deux brutes, et ce personnage dément, extravagant, prévisible qu’on peut tenir alternativement pour redoutablement intelligent ou terriblement con... Ah oui Trump, sans hésiter.

Quel est votre humoriste préféré, à part Trump ? Question difficile. [silence] L’Américain Louis C.K.. Il faut regarder son spectacle qui s’appelle Hilarious qui est un chef d’œuvre. C’est un type qui arrive sur scène et pendant les dix premières minutes de son spectacle il récite quasiment du Cioran [NDLR : philosophe, écrivain et poète roumain] : il explique aux gens du public qu’ils vont tous mourir et c’est admirable. Quelle a été votre rencontre la plus marquante ? J’avais dix ans, j’ai vu arriver Dominique Rocheteau qui était pour moi mon idole absolue, le plus grand attaquant de tous les temps. Et soudain cet homme, dont la sueur était sacrée, dont l’image était sublime, qui était pour moi l’équivalent des dieux de l’Olympe se penche vers moi, a posé son œil sur moi et m’a tendu la main. Et je lui ai tendu une main en tremblant et je n’oublierai jamais mon émotion à l’instant où j’ai serré la main de cet homme. Mon émotion et ma déception tout de suite puisque je n’ai serré qu’une main en fait et je me suis aperçu assez vite qu’il était fait de chair et d’os et de sang comme tout le monde et donc c’était très instructif pour moi de le découvrir. Mais j’avais vraiment un doute à ce sujet quand je lui ai serré la

main, J’avais dix ans et je me demandais encore s’il était fait du même métal que les humains. Faites-vous un sport ? Tous les sports, enfin le plus possible. Le tennis, le football, les arts martiaux, la boxe surtout. Regardez-vous des séries ? Lesquelles ? Je suis en ce moment dans la saison 6 de Homeland qui a un petit côté Les Bijoux de la Castafiore avec son côté on ne bouge pas de la ville et on essaye de se dépatouiller de la situation. Mais j’avoue que j’ai été traumatisé par Band of Brothers que je ne connaissais pas. C'est la série que Spielberg et Tom Hanks ont tournée en 2001 et qui raconte le parcours de la 101ème aéroportée depuis les plages normandes jusqu’au nid d’aigle de Hitler. C’est le soldat Ryan sur dix épisodes, c’est absolument remarquable, j’ai été ébloui par ça. Si vous aviez été une femme, laquelle auriez-vous aimé être ? Je serais incapable de répondre à cette question. [silence] J’aurais voulu être Diotime de Mantinée, la prêtresse de l’amour dans le Banquet de Platon, celle

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culture

qui raconte à Socrate la naissance d’Eros. Je me suis toujours demandé quel visage elle avait. Ce serait marrant qu’elle ait un visage d’homme. Quel est votre film préféré ? La vie est belle (1946, Frank Capra)... ou non, Monsieur Smith au Sénat (1939, Capra) avec James Stewart, mon acteur préféré.

“ La liste des trucs que je n'aime pas est plus courte que la liste des trucs que j’aime. ”

En dehors de la philosophie, avez-vous une autre passion ? La liste des trucs que je n'aime pas est plus courte que la liste des trucs que j’aime. Donc ce serait très compliqué pour moi de vous répondre de manière exhaustive. Pour le dire simplement j’aime tout ce qui est bon donc ça fait du monde quand même. J’aime tout ce qui est bon, tout ce qu’il est amusant de savoir, tout ce qu’il est agréable de savoir. Comme dirait Barthes, "vraiment le savoir est une saveur". Donc j’apprends les choses avec le même bonheur que je mange une quatre fromages dans un bon restaurant. [Interviewer : c’est ce que vous venez de manger ?] Oui, enfin ici elle s’appelle trois fromages mais elle en vaut quatre. Souhaitez-vous faire de la politique un jour ? Non, je ne vois pas pourquoi j’en ferais, c’est une galère en démocratie. J’aurais pu être dictateur ou despote éclairé peut-être mais en démocratie l’exercice du pouvoir impose à la fin d’une vérité

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de regarder celle d’en face ; enfin plus exactement l’exercice du pouvoir impose de ne pas regarder la vérité d’en face à la fin d’une vérité et donc ça me gêne, je n’y arrive pas et donc ça me gêne. Aron dit "dans la jungle la velléité ne pardonne pas" et moi si j’étais dans la politique je serais dans la même situation. C’est une façon de s’engager qui m’est totalement étrangère désormais ; j’en ai fait mais ça ne m’intéresse plus. Emmanuel Macron, un philosophe-roi ? Il n’est ni l’un ni l’autre. Ni philosophe ni roi. Il est président et il a fait de la philosophie. Ce qui est intéressant avec Macron c’est qu’il pense sa propre démarche et que ça lui a donné accès à la découverte d’un paradigme nouveau. Ce qu’il a a appris lui a permis de comprendre que le paradigme droite/ gauche était caduc et qu’il fallait spéculer sur un nouveau paradigme qui était "souverainistes contre libéraux" ou "mondialistes contre patriotes" dirait l’extrême-droite. Et c’est en jouant sur ça qu’il a pris ses adversaires de vitesse. Cela dit Macron prend des libertés avec la pensée de Ricoeur, dont il se réclame. Ce qu’il raconte de la façon dont Ricoeur aurait critiqué la laïcité d’abstention est faux. Il y a des petites libertés avec le texte comme ça, c’est utile de les avoir lus pour pouvoir justement rappeler que Ricoeur n’est pas exactement celui qu’on pensait.

Quel est votre plus beau souvenir ? Je ne m’en souviens plus. La philosophie est-elle la clé du bonheur ? Non mais la philosophie est la clé de la joie. C'est-à-dire si par bonheur j’entends la suspension de la douleur d’exister, avec la philosophie on accède à mon avis à un sentiment plus durable et moins inquiet que le bonheur, moins inquiet de disparaître que j’appelle la joie, que Rosset appelle la béatitude, l’allégresse ou la joie aussi et qui en fait consiste dans l’affirmation de nos douleurs et de nos difficultés et dans le sentiment que la douleur est soluble dans le fait de lui faire face, de la regarder en face. C'est ce que Bergson appelle l’école de la joie et j’aime cette idée-là. Le "fin mot" de cette interview ? Les questions sont plus essentielles que les réponses.

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Netflix, notre nouvelle confiture Camille Larminay

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a culture, c’est comme la confiture, moins on en a, plus on l’étale » : rien a priori ne rapproche Netflix* de cet art culinaire si bien maîtrisé par nos grand-mères. Cependant, Netflix aspire à se placer progressivement dans le paysage de la culture légitime, et devient de plus en plus assimilable à la confiture du dicton populaire. Comment Netflix pourrait-il devenir un contenu acceptable socialement, alors que l’« activité » consiste à rester des heures sous sa couette en mangeant des chips ? Est-ce vraiment possible d’étaler ses connaissances en séries Netflix à un repas de bonne société, comme on étale de la confiture sur une biscotte ? Un contenu stratégique Si nous avons choisi de ne nous concentrer que sur le contenu diffusé par Netflix, c’est pour des raisons de praticité et de cohérence. Le contenu télévisuel dans sa globalité est un ensemble hétéroclite, qui s’adresse à plusieurs types de publics, et dont l’analyse en matière de culture n’aurait pu se faire en un millier de mots. Netflix en revanche propose un contenu homogène, distinguable et qui tend à être partagé par tous, sans distinction de classe. En effet, l’abonnement est abordable, d’autant plus qu’il peut être partagé par cinq personnes en même temps – nous ne te jetons pas la pierre, toi qui squatte le compte de ton grand cousin par alliance depuis deux ans, comme 41% des utilisateurs. Usant d’une stratégie marketing efficace, Netflix s’impose en tant que média de masse, grâce à la diversité du contenu proposé, de Downtown Abbey à Breaking Bad, de Gossip Girl à Sense 8. Et Netflix, en proposant des séries étrangères, ne s’arrête pas à la diffusion de la culture américaine - si tu n’as pas encore vu La Casa de Papel, arrête-toi de lire immédiatement et fonce. L’élément surprenant réside dans ce

revirement total de considération. En 2014, France Sud-Ouest titrait « Netflix en France : la chaîne qui fait trembler les médias ». En 2017, le Monde titre « Le rêve d’un "Netflix européen" ». Alors qu’avant son arrivée en France Netflix était une menace pour les diffuseurs télévisuels - ou du moins était perçue ainsi par les médias traditionnels, la plateforme américaine fait aujourd’hui figure de modèle économique envié. En deux ans à peine, Netflix s’est offert le monopole de la diffusion de contenu légal sur Internet. Le réquisitoire anti-Netflix s’est alors éteint de lui-même. Un savoir légitime La controverse lors du festival de Cannes de 2017 est une preuve supplémentaire de la place du média dans la sphère culturelle. Deux films de la plateforme américaine étaient alors retenus dans la sélection officielle pour la Palme d’Or : Ojka de Bong Joon-ho et The Meyerowitz de Noah Baumbach. N’ayant pas été diffusés au cinéma, la légitimité des deux films dans la compétition avait fait débat. Mais la controverse consacre l’apport artistique de la plateforme américaine. La reconnaissance internationale n’est, certes, pas encore acquise, mais l’idée est bien présente : le contenu Netflix pourrait s’élever au même titre que le cinéma traditionnel. Netflix

s’inscrirait donc dans le patrimoine culturel et artistique classique. Netflix est aussi valorisé au niveau académique, au sein même de l’IEP. Est-il nécessaire de se remémorer Mme Benoît-Rohmer, incitant à regarder The Crown afin de comprendre le système constitutionnel anglais, ou M. de Fournoux, interrogeant les fans de House of Cards sur le système constitutionnel américain ? Si Netflix

est mentionné dans un cours de droit constitutionnel, on peut supposer qu’il s’agit d’un contenu académique légitime, a fortiori pour d’autres matières. Une nouvelle littérature ? Netflix devient en fait progressivement assimilable à une bibliothèque digitale, fondée sur un socle commun de références. Chaque utilisateur personnalise sa collection, accessible partout et sur n’importe quel appareil, avec ou sans Internet. Une série Netflix devient un roman dont la lecture est commencée, puis suspendue, puis reprise, et enfin achevée. L’expérience est valorisée socialement : parler de ces « nouveaux romans » est bien commode pour se sortir d’une conversation embarrassante. La série existe alors en dehors de l’expérience personnelle, et devient un atout social. Le partage de références communes facilite le dialogue et rend la complicité instantanée. Cette nouvelle culture se transmet rapidement : les réseaux sociaux jouent pour les séries Netflix le rôle des journaux classiques pour les parutions littéraires. Bien sûr, le propos doit être nuancé : la plateforme s’adresse encore principalement à la frange jeune, connectée et aisée de la population, et peine à élargir sa diffusion aux autres générations et autres catégories économiques. Ecrire cet article ne revient donc pas à faire la publicité de Netflix à un public déjà converti. Il s’agit surtout de souligner le parcours atypique du géant américain au sein de la société française. Nexflixeurs, Netflixeuses, à vous de saisir l’opportunité. * Propos n’a reçu aucun avantage fiscal ou en nature de la part de l’entreprise susmentionnée.

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Fight Club, quand la schizophrénie attaque le spectateur

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here is my mind ? (Où ai-je l’esprit ?) Raisonnant au cœur de la musique du générique final, c’est bien la première chose qu’un spectateur sensé se demanderait à la fin du classique du réalisateur américain David Fincher. Est-ce que ce que j’ai vu était réel ? Ou me suis-je endormi au milieu d’un film tout à fait classique, pour que mon rêve le rende chaotique ? Le narrateur, lui, ne dort jamais, ou une heure par nuit si l’on en croit une phrase entendue au milieu du film. Bossant le jour dans les bureaux d’un constructeur automobile peu honnête, la nuit comme projectionniste pervers dans un cinéma, rien ne semble étrange dans cette vie. Jusqu’à cette addiction aux groupes de soutien, l’explosion de son appartement et la rencontre avec cet « ami à usage unique » dans un avion, et ce développement frénétique – tous les dialogues du film le sont, il vaut mieux s’accrocher et ne pas perdre du temps à réfléchir – vers la création du Fight Club. Une apologie de l'anarchisme ? Mais le Fight Club, et son appendice, le projet Chaos, sont-ils vraiment, comme veulent le comprendre de nombreux fans, une apologie de l’anarchie ? Les citations les plus célèbres du film sont en tout cas de belles maximes critiques de la société de consommation : « Les choses que l’on possède finissent par nous posséder » ; « Ce n’est qu’après avoir tout perdu qu’on est réellement libre de tout » ; « Arrêtez le shopping excessif. Quittez votre boulot. Commencez une bagarre. Prouvez que vous êtes en vie. En ne réclamant pas votre humanité, vous ne deviendrez qu’une statistique. » Le film reste une critique à balles

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réelles de la société de consommation, tant le narrateur en décrit l’absurdité par son besoin compulsif d’avoir le parfait petit appartement Ikea. La folie survient avec la rupture de son confort, qui le transforme peu à peu en meneur anarchiste à mi-temps, en totale contradiction avec son ancienne personnalité. A l’instar du personnage de Patrick Bateman dans American Psycho, le narrateur, malgré son masque de personne sensée, est poussé au bord du précipice de la folie par son quotidien. Mais le film est tout aussi critique visà-vis de la vision anarchiste de Tyler Durden, qui est pourtant sans aucun doute le personnage anarchiste le plus célèbre et célébré du cinéma moderne. Si sa philosophie paraît implacable et sa rhétorique inégalable, certaines scènes soulignent bien l’absurdité de sa pensée et de son projet. C’est le cas de la célébration ridicule de la mort d’un membre de l’équipe de terroristes anarchistes. Fincher souligne alors l’ineptie de la négation de toute notion d’individualité prônée par Durden : « Vous n’êtes pas spéciaux. Vous n’êtes pas un flocon de neige unique et magnifique. Vous êtes la même matière organique en décomposition que n’importe qui d’autre. »

Émile Formery renvoie à la réalité de nombreux mouvements anarchistes qui ont été traditionnellement sexistes. De la même manière, Durden est tout sauf sensible à l’environnement dans le film. Attribuer au personnage un caractère politique paraît alors totalement hors de propos. C’est pourtant le cas de nombreux groupuscules ou fanbases aux Etats-Unis. Et cela ne tient pas qu'à ce film, mais est devenu classique dans le cinéma américain. La teneur anarchiste du film ne tient que dans la représentation personnelle de l’anarchisme du narrateur. Dans les limites de ce qu’il connaît. En écartant cette idée selon laquelle Fight Club est un film sur l’anarchisme, on distingue une réflexion profonde sur les conséquences de notre société sur notre façon de concevoir la folie ou plus précisément la schizophrénie. Le film est aussi et surtout une façon d’aborder l’extériorisation de la violence dans nos sociétés modernes, phénomène déjà étudié par Norbert Elias notamment à travers le hooliganisme. Cette vision du film, qui est correcte, renvoie finalement naturellement au titre de celui-ci, sans surinterprétation politique artificielle.

Le film fait également quelques clins d’œil aux caractéristiques de certains milieux anarchistes déjà dépassés au moment de la sortie du film et qui choqueraient encore plus avec les standards actuels. Le Fight Club ne compte pas de membre féminin et est volontairement sexiste : « Nous sommes une génération d’hommes élevés par des femmes. Je me demande si une autre femme est vraiment ce dont nous avons besoin », ce qui

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La Douleur d'Emmanuel Finkiel, une critique cinématographique Valentine Heitz

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ujourd'hui petit pipo je viens te parler de la douleur. Non, pas celle d'une bande de cire que tu arraches ni celle de mes oreilles quand j'entends un film étranger en VF... Non, rien de tout ça puisque pour ma première critique cinématographique dans Propos, je viens te parler du film La douleur d'Emmanuel Finkiel. Ce film, sorti le 24 janvier 2018 sur grand écran raconte l'histoire tirée du roman de Marguerite Duras. Marguerite (Mélanie Thierry) est une Parisienne résistante dont le mari s'est fait arrêter par la Gestapo puis déporter. En voulant poster un colis à envoyer en direction des camps, la jeune femme fait la connaissance de l'officier français de la Gestapo à l'origine de l'arrestation de Robert (Emmanuel Bourdieu), son mari. Elle va alors entamer une relation faite de manipulations et de fauxsemblants avec cet homme pour lui soutirer des informations sur les conditions de détention de son mari. Puis, après des mois sous l'Occupation, Paris est enfin libérée et les prisonniers reviennent des camps. La seule chose qui anime désormais Marguerite est l'espoir de voir son mari descendre de l'un des trains d'Orsay...

La douleur est un magnifique film puisque au-delà du fait de nous immerger dans le contexte de l'Occupation, il nous plonge dans la psychologie de Marguerite en attente du retour de Robert à la fois inespéré et

synonyme d'angoisse. La jeune femme perd toujours un peu plus d'espoir. Chaque jour qui passe l'éloigne et la détache un peu plus de son mari. Ce long-métrage, bien qu'aillant un thème basique et une chronologie linéaire, se démarque néanmoins par sa puissance, ses plans, sa photographie ainsi que sa psychologie. En effet, les travellings répétitifs, les gros plans sur les visages et les expressions rendent le film d'autant plus vivant. L'enchaînement est fluide et les détails illustrent la dégradation tant physique que psychologique de Marguerite. On peut citer par exemple les volets qui sont presque toujours fermés alors que la jeune femme est à la fenêtre, refusant ainsi d'affronter la réalité du monde qui l'entoure, l'Occupation et la honte qu'elle ressent du fait de sa relation secrète avec Dyonis (Benjamin Biolay), le meilleur ami de Robert. Elle se renferme un peu plus sur elle-même chaque jour. Elle fume beaucoup. Les plans sur sa cigarette sont nombreux, non seulement pour montrer sa dépendance à la cigarette mais aussi pour montrer qu'elle se consume de l'intérieur. Le fait de fumer la tue, cependant cela la maintient aussi en vie puisque c'est un pilier auquel elle s'accroche. L'attente et l'ignorance la rongent. Tous ces hommes qui sont déjà revenus avec les trains et toujours pas de Robert... Va-t-il toquer à la porte ?

quand même faire office de femme forte aux yeux de certaines personnes comme madame Katz (Shulamit Adar) est très difficile à jouer d'autant que beaucoup d'émotions passent par le jeu au-delà de la parole. Ses attitudes, son visage, son silence... Elle parle peu et on retrouverait presque le jeu de Gaspard Ulliel dans Juste la fin du monde de Xavier Dolan. Cependant, la voix off vient contre-balancer cela avec une poésie indescriptible. Un ton feutré, étouffé par l'agonie de l'attente... Les émotions sont là et nous donnent presque l'impression que Robert est un membre de notre famille dont nous attendons désespérément le retour des camps. Je pourrais disserter encore longtemps mais une analyse complète serait bien trop longue. On peut donc retenir que ce film apporte un angle nouveau à la déportation en se focalisant non sur l'acte lui-même et les déportés mais plutôt sur leur famille, l'attente et les aller-retours à la gare plein d'espoir. Cette histoire pleine d'humanité et de sensibilité est magnifique et mérite qu'on lui rende justice. Alors, à vos pop corns, moteur et action !

Le jeu de Mélanie Thierry est incroyable. Son personnage qui se dégrade petit à petit mais qui doit

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Olivier Guez sur les traces de Mengele de Buenos Aires à Sao Paulo Eva Moysan

En novembre dernier, Olivier Guez a reçu le prix Renaudot pour le roman La disparition de Josef Mengele. Ce livre, extrêmement documenté, raconte le parcours de l’ancien médecin d’Auschwitz à travers l’Amérique du Sud après la chute du IIIe Reich. Le personnage principal du roman incarne la quintessence de l’horreur nazie, lui qui est devenu célèbre de par ses expérimentations médicales sur des humains dans les camps de la mort. Les récits de ses expériences morbides ont glacé le sang de tous et sa fuite à la fin de la Seconde Guerre mondiale a nourri de nombreux fantasmes. Il ne sera jamais retrouvé par la police allemande ou le Mossad. Il meurt en 1979 au Brésil, sans avoir été jugé pour ses crimes. Olivier Guez se penche sur cette période de sa vie en s’appuyant sur des travaux historiques récents. Ainsi, il nous livre une non-fiction, proche de la réalité mais également romancée.

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Ce qui frappe le plus dans ce livre, c’est l’écriture, inhabituelle. Cumulant longues périodes, énumérations et répétitions, le récit ne nous laisse pas respirer et requiert toute notre attention. Dès la seconde page du roman, le ton est donné : « Gregor a préféré regarder l’océan et les étoiles ou lire de la poésie allemande dans sa cabine ; il a passé en revue les quatre dernières années de sa vie, depuis qu’il a quitté en catastrophe la Pologne en janvier 1945 et s’est noyé dans la Wehrmacht pour échapper aux griffes de l’Armée rouge : son internement de quelques semaines dans un camp de prisonniers, sa libération parce qu’il possède de faux papiers au nom de Fritz Ullmann, sa planque dans une ferme fleurie en Bavière, non loin de Günzburg, sa ville natale, où il a coupé les foins et trié les patates pendant trois ans en se faisant appeler Fritz Hollmann, puis sa fuite à Pâques, deux mois plus tôt, la traversée des Dolomites sur des chemins

boisés de contrebandiers, l’arrivée en Italie, au Sud-Tyrol, où il est devenu Helmut Gregor, à Gênes enfin, où Kurt le bandit a facilité ses démarches auprès des autorités italiennes et de l’immigration argentine ». Gregor c’est Mengele. L’ancien SS utilise de nombreuses identités au fil du roman, et à chaque fois l’auteur mentionne son nom d’emprunt. Ce choix complique la lecture et force à toujours plus de concentration. Olivier Guez ne laisse pas le lecteur parcourir le roman aisément, comme il l’explique lors d’un entretien au site Diacritik : « Je voulais faire quelque chose d’extrêmement sec, âpre, tendu, il ne fallait pas que le livre soit une zone de confort pour le lecteur ». La lecture est tout sauf fluide. On bute sur les signes de ponctuations, on a hâte que la phrase arrive à son terme, suspendu aux mots comme un élève suspendu aux lèvres de son maître.

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culture Les crimes de Josef Mengele sont derrière lui, pourtant l’horreur est toujours présente. Elle transparait notamment au travers des énumérations, qui sont légion tout au long du roman. La première, à la page 15, décrit le médecin tortionnaire : « Le douanier inspecte ses bagages, les vêtements méticuleusement pliés, le portrait d’une femme blonde délicate, des livres et quelques disques d’opéra, puis grimace en découvrant le contenu de la plus petite valise : des seringues hypodermiques, des cahiers de notes et de schémas anatomiques, des échantillons de sang, des plaquettes de cellules : étrange pour un mécanicien ». C’est un homme soigné, aimant sa femme mais aimant par-dessus tout ses travaux. Il prend des risques insensés pour conserver le fruit de ses recherches. Cela annonce sa personnalité : il ne reniera rien de son passé nazi dans les camps de concentration, et ce tout au long de sa vie, il tient même à en garder une trace. Les accumulations sont largement utilisées afin de décrire l’horreur. Cela est particulièrement notable lors de l’évocation des agissements de médecin de Mengele, au chapitre 40 : « Sur [les] ordres [de Mengele], il a scié des calottes crâniennes, ouvert des thorax, coupé à travers des péricardes, et après avoir miraculeusement échappé à l’enfer, il a consigné l’inimaginable et l’effroyable dans un livre, Médecin à Auschwitz, publié dans l’immédiat après-guerre en Hongrie, et en France en 1961 ». Au fil de la lecture, on remarque que les énumérations sont presque exclusivement utilisées pour des choses négatives. Ces listes ne traitent pas uniquement des crimes de Mengele, il y a également des descriptions des retards et problèmes en Amérique du Sud, des défauts de ses compagnons ou encore des rancœurs du SS. Cette accumulation de points négatifs confère au roman une ambiance sombre, au-delà du récit des abominations à Auschwitz. Au travers des énumérations, on sent également le travail méticuleux de recherche d’Olivier Guez. Il ne nous épargne aucun détail. On le remarque aux pages 41 et 42, lorsqu’il liste les participants à une réception à Buenos Aires. « Il [un ami de Mengele] lui désigne un homme dissimulé derrière une barbiche pointue et des lunettes sombres cerclées de métal noir, « Ante Pavelic, le poglavnik croate » (huit cent cinquante mille victimes serbes, juives et tsiganes), cerné par une haie

d’oustachis ; « Simon Sabiani », l’ancien « maire » de Marseille, condamné à mort en France par contumace, « et ses copains du PPF » ; « Vittorio Mussolini », le deuxième fils du Duce, avec « Carlo Scorza », l’ancien secrétaire général du Parti fasciste ; « Robert Pincemin », qui a dirigé la Milice en Ariège ; « Eduard Roschmann », le boucher de Riga (trente mille juifs lettons assassinés), « pompette, comme d’habitude » ; le physicien «Ronald Richter, le chouchou du président : il lui a promis d’être le premier à réussir la fusion nucléaire». Les crimes de ces rebuts de l’ordre noir déchu sont détaillés et rien, ni personne n’est oublié ; le lecteur doit savoir.

lecture des interviews de l’écrivain, on découvre qu’elle a sans doute eu lieu – il affirme notamment qu’il en est « certain à 95% ». A partir de là, le romancier imagine les détails leur relation, tant sur le plan émotionnel que sur le plan physique. Là encore, on note l’absence de pudeur dans les mots choisis, toujours crus. Guez n’est décidemment pas un adepte des litotes et des euphémismes. Cependant, seule une recherche approfondie de la part du lecteur pour trouver les sources sur lesquelles s’appuie le romancier ou une lecture de ses interviews permet de savoir ce genre de choses. Mais peutêtre est-ce le but d’Olivier Guez que nous étudions ce sujet d’un point de vue historique.

« Je voulais faire quelque chose d’extrêmement sec, âpre, tendu, il ne fallait pas que le livre soit une zone de confort pour le lecteur »

Par ailleurs, la critique que l’on peut faire à ce livre est l’absence de ligne nette entre la fiction et la réalité. Comme il a été rappelé avant, le roman se base sur des travaux précis et récents d’historiens. C’est donc une mine d’informations pour celui qui s’intéresse à cette période. La politique accueillante vis-à-vis des anciens nazis dans l’Argentine sous Perón, la volonté allemande d’unité nationale au sortir de la guerre, les objectifs évolutifs du Mossad dans les années 1960, sont autant de faits historiques exacts énoncés dans le livre. Olivier Guez n’invente pas de personnages n’ayant existé, à part des personnages très subalternes, comme des collègues de travail de Mengele, dont le nom n’est vaguement mentionné qu’une fois. Cependant, on peut parfois s’interroger sur la véracité de certains passages. Si on peut être certain que les rêves de Josef sortent tout droit de l’imagination du romancier, certains aspects du récit touchant à la vie privée du médecin prêtent à confusion. Cette question se pose quant à sa liaison avec Gita Stammer par exemple. A la

Ce roman est structuré avec une rigueur impressionnante. L’épilogue en témoigne tout particulièrement. La dernière énumération est une étude de la dépouille de Mengele : « Pendant ce temps, les experts déterminent le groupe sanguin du squelette, saisissent un cheveu, des poils de moustache, une empreinte digitale, mesurent les os et le fossé entre les incisives supérieures, examinent les vertèbres, les fémurs, un trou dans la joue et la proéminence du front, superposent des photos de Mengele jeune et vieux, consultent son dossier SS où une fracture du bassin des suites d’un accident de moto à Auschwitz est mentionnée » (p.228). Le médecin de la mort, qui a passé des heures à disséquer des cadavres, est désormais un squelette qu’on étudie. La boucle est bouclée. A partir de cette dernière longue période, les phrases se font plus brèves. La lecture devient plus fluide, le rythme plus doux, les répétitions, sources de lourdeur, disparaissent. Les trois dernières pages sont marquées par l’apaisement.

— Olivier Guez

Ainsi, Olivier Guez nous livre un roman de non-fiction sombre, au verbe cru et à l’écriture chirurgicale mais quoi de mieux, en somme, pour le récit de la vie d’un médecin.

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De la composition d’une promo Sciences Po (2) Camille Larminay

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Terminale Zélé : Le Terminale Zélé a brillamment réussi son concours d’entrée, mais il compte exploiter sa réussite au maximum et en faire part à toute la classe. Le Terminal Zélé n’attend qu’une chose : qu’on l’interroge sur la guerre froide ou sur les différents types de socialisation. Il connaît son cours de fidèle ES par cœur, et sa mention Très Bien à la plus dure des épreuves – à savoir le bac – l’emplit d’une confiance aveugle. Voici le premier cours : le Terminal Zélé se lance, il veut répondre à la question du professeur. Les concepts fusent dans sa tête de jeune ambitieux. Il opte pour les termes qui ont l’air le plus sérieux : « La politique est le fonctionnement intrinsèque d’institutions bureaucratiques à visée gouvernementale ». Il se félicite pour sa phrase incompréhensible mais complexe, les gens du groupe TD se retournent vers lui, la situation est tout à son avantage. Mais voilà que le professeur, moins charmé que sa voisine de gauche par cette réponse assurée, s’amuse : « Et donc… Qu’est-ce qu’une institution ? » Le Terminal Zélé n’avait pas prévu la contre-attaque. Il ne peut pas perdre la face devant tout le groupe. Les mots se bousculent, Bernstein et Milza refusent de venir à son secours, c’est la panique. Sa confiance débordante laisse place à la stupeur, et des perles de sueur gouttent sur son beau cahier neuf. « Beu, euh … Je n’ai pas compris votre question ». Le Terminal Zélé espère gagner du temps, mais il a affaire à plus malin que lui. « Donnez-moi au moins un exemple ! » s’écrit le professeur, feignant l’impatience. Le Terminal de moins en moins Zélé est tétanisé, c’est l’apoplexie. Il ne voit aucune issue à cette question bien trop complexe pour lui. Il fait mine de ne pas avoir entendu l’injonction et se réfugie entre les pages de son cahier. Mais le Terminal Zélé ne s’avoue pas vaincu : il arrivera à prouver à la classe l’étendue de sa culture. Quoi de mieux que de prendre la parole pour poser une question ? Sa main se lève. Il veut proposer un exemple d’accroche originale, et ainsi continuer à épater sa voisine de gauche, qui s’est nettement refroidie depuis l’incident du cours précédent. « Pour un sujet sur la vie

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politique pendant la Première Guerre mondiale, peut-on faire une accroche sur la mort de Jean Jaurès en 1914 ? » Il fait suivre sa phrase d’un petit sourire satisfait. Eh oui, il connaît Jaurès, il sait même qu’il a été assassiné et que son prénom, c’est Jean ! Sans attendre la réponse du professeur, il sait déjà que personne n’est à la hauteur de son originalité. Son génie revigoré lui fait même penser à une ouverture sur l’armistice en 1945. Alors que le professeur lui adresse un regard plein de compassion et de pitié, le Terminal Zélé se tourne et lance à sa voisine : « Je peux même te raconter l’assassinat du duc héritier d’Autriche, tu sais … ».

Stressée : Vous ne pourrez apercevoir la Stressée qu’au premier rang de l’amphithéâtre et à la bibliothèque de l’IEP, ce qui rend toute observation difficile. Cependant elle ne manquera pas d’attirer votre attention en TD : elle sait que la participation compte dans la moyenne du semestre. La Stressée n’est pas venue pour faire des crêpes, elle est là pour performer et exploser les plafonds de notation. Le lycée n’est pas loin d’elle ; elle utilisera donc des mêmes méthodes pour arriver à ses fins. La Stressée ne cédera pas à la folie technologique qui emplit l’amphi d’un martèlement sourd : elle se bat pour la survie du papier et de l’encre, des stylos colorés et des fiches bristol. Elle n’a que faire des associations étudiantes : pourquoi utiliser le temps de relecture du cours de MSS à ces distractions pascaliennes ? Elle préfère former un groupe d’entraide scolaire pour les anciens L perdus en microéconomie. Mais ne pensez pas pour autant que la Stressée est à l’aise dans ce fourmillement universitaire. La Stressée est un véritable paradoxe vivant : elle est la plus préparée, mais c’est de loin la plus angoissée.

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Krit

Le florilège du

Toutes les promos étaient présentes à ce fameux kritérium à la maison, c’était le hutième pour certains (“et de loin le meilleur”), du baptême du feu à la ballade de santé annuelle, pas un seul kriteux n’a pu s’empêcher d’évoquer la “nostalkrit” dans ses réponses.

“j'avais peur de recroiser ces alcoolicides de chez Licorne sécurité”.

Pourtant beaucoup, particulièrement dans les premières années, avaient quelques appréhensions face à l’évènement : perdre ses amis, son instrument de musique, un os ou deux… “On me parlait de l’arrivée des délegs comme de la bataille de la Somme”. D’autres craignaient que le bénévolat soit un fardeau insurmontable, il semble qu’au contraire, ç’ait été une expérience amusante pour la plupart. Des kriteux éprouvés par l’aventure Lyonnaise ont avoué garder un trauma à vif quant au service de sécurité de l’an passé

Les plaintes déchirantes des supporters de la danse, du basket, du volley et de la pétanque (pardon?) ont crié à l’injustice face aux défaites, aux poules ainsi qu’aux méthodes de classement. (Bon les gars, il faut s’en remettre, c’est le Krit pas le troisième conflit mondial). Dans la catégorie trauma, le “tekpiment” des aixois et la nudité des lillois ont été évoqués à de (très) nombreuses reprises.

Quelques points semblent noircir ce tableau idyllique: “kéfa Hautepierre”, “#antikrit à Hautepierre”... Comprenne qui pourra.

Les anecdotes de bénévolat ont plié la rédac’, de la candeur des premières à l’absolue grivoiserie des autres, vous êtes vraiment de sacrés loubards! “Ce fameux moment où Rennes à pris un fumigène pour faire son 400m, accompagné de StGer et sa cape.”, “Les faciales de bière quand la tireuse faisait des siennes”, “Une fois le pull strohligan rangé : un sac, une paire de gant, un alibi parfait, 2 pulls et 3 t-shirts de subtilisés”, “un mec qui a pété à mon stand de restauration”, “J’ai trouvé une capote usagée en ramassant les déchets après l’arrivee des délegs... ça devait être un sacré gros fumi”... Oups! on va s’arrêter là.. Le Krit c’est toutes ces petites choses de la vie, mais c’est aussi un événement propice à la romance, permettant

Laure Solé

l’entresoi le plus coquin sous de faux airs d’exotisme. Quoi de mieux que de séduire une jolieAixoise, un beau et galbé Toulousain? Alors passons outre vos petites blagounettes “ah oui j’ai chopé, j’ai chopé la crève”, “j’ai chopé la cyrrhose du foie”... Il semble qu’un très bon nombre d’entre vous a trouvé l’amour à ce Krit, pour une nuit, ou qui sait.. pour une vie. Dédicace à ce fameux “volleyeur parisien qui s'est fait une entorse au bout de 3 min de jeu contre la Strohteam. Sur le terrain il avait pas les épaules, en dehors c'est une autre histoire” Vos plus belles performances sportives? “les cartons de pomme”, “10 bouchons de tekpiment” (La rédac fronce les sourcils, dix bouchons, et tu serais encore en vie…? Mmmhmmh). Nous ajouterons que le “400m casquette de Paris” semble être devenu une discipline à part entière du Krit. La gêne était présente à ce Krit, à tout moment prête à surgir: Le premier soir: ''on se fait chier '' crié par les délégations lors de la partie de Fifa, ainsi que “la tentative de faire sans Josy,”. Ou alors, “Le “pape” lillois le premier jour qui a retiré son pantalon pour glisser des pompotes dans son slip. Rien de choquant connaissant le garçon me direz-vous. Malheureusement, le bonhomme se trouvait à 2 mètres d’une foule d’enfants, abasourdis, alors en récréation.” (On n'arrête jamais les Lillois) Il y’a aussi “Quand saoule, je me suis battue corps et âme avec deux gars de St-Ger pour récupérer mon bandana stroh et que j'ai remarqué le directeur de l’Institut juste en face de moi, désemparé par cette scène et que j'ai hurlé "mais regardezzzz ce que vous me faites faire devant mon directeuuuuur"” (On n'arrête jamais ces Strasbourgeois non plus visiblement…) Pour finir “On a l'impression que la moitié des 1A/2A sont des skinheads maintenant, c'est chouette” et vive le Krit et la strohteam!

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Weill À Tes Propos

Esther MARINI - Formation ZOTERO “On fait des recherches aléatoires “pour se faire plaisir”” “Est-ce que vous avez des questions ou vous voulez que je raconte des choses avant ?” “Vous mettez tous des trucs dans votre sac à dos magique de Dora. Dora l’Exploratrice c’est de votre époque non ? Vous voyez j’essaie de trouver des références adaptées” (essaie) Alexandre BIBERT - TD d’histoire (1A) “A défaut d’être bon en sport, soyez brillants.” Tout en dressant un bilan post-Krit. Wendy PRADELS - TD d’anglais (2A) “When nothing else works you just press all the buttons” Après avoir parlé à l’ordinateur : “Only idiots talk to the machine and fanatically pray to it.” “I don’t read local newspapers. I got the DNA [Dernières Nouvelles d’Alsace] for one year but it was too bad”. Gabriel ECKERT - Réunion pré-Krit “On va gagner, ils vont perdre, mais on peut les respecter !” Benjamin CHEVALIER - TD de sociologie (1A & 2A) “La sociologie c’est l’art de la

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dépression.” “On appelle ça des cercles, Bourdieu il appelle ça des ellipses parce que c’est un poète.” “Parlons de Mischi... qui a un nom de Pokémon mais qui n’est pas un Pokémon, mais bien un spécialiste du PCF.” “Les économistes peuvent très bien expliquer l’année passée mais jamais l’avenir. Si un économiste vous dit quelque chose, faites l’inverse !” “Mancur Olson c’est un économiste du choix rationnel, bref il est un peu concon”. “Quand Christophe Lebon écrit la Psychologie des foules en 1895, on fait face à un double contexte. On est à la fin du XIXe siècle et on est 103 ans avant la victoire de les Bleus à la Coupe du Monde : c’est important.” “Charcot faisait des recherches sur l’hypnose et la suggestion verbale : c’était un peu le Mesmer de l’époque.” Maurice CARREZ - Sport et nationalisme (2A) “J’aime mieux qu’il n’y ait pas un défilé de quéquettes pendant 20 minutes, alors soyez à l’heure s’il vous plaît. “ “C’est très important d’être en concurrence, surtout dans le monde à la con dans lequel nous vivons.”

“Qui ne saute pas n’est pas Strasbourgeois !” “D’ailleurs, les femmes sont exclues de cette organisation, c’est un truc très allemand.” “S’il a survécu à la campagne de Russie, c’est que ce n’était pas un petit kéké hein.” “Il est très aimable. Lui, à mon avis les filles, c’est un mec à fréquenter. A moins que vous n’ayez une autre orientation, il n’y a pas d’obligation.” Précisons que cela s’adressait à un membre de l’association (disposant de compétences informatiques supérieures à la moyenne) préférant conserver l’anonymat. “Faut quand même être con pour faire de la course à pied.” “Les JO qui ont lieu à Anvers … et contre tout d’ailleurs.” “Les Finlandais qui m’ont quand même donné la moitié de leur sang. Merci maman. Il faut savoir remercier sa maman. Surtout quand elle est très âgée. Et parfaitement sourde. Je vous le dis à vous, parce que du coup elle, elle n’entend pas.” “L’Allemagne nazie va donner l’image de petit pays assez sympa. Et croyez-moi y a un paquet de cons qui y ont cru.” Justine FAURE - Histoire des Relations Internationales (2A)

“Le sport, c’est un bon moyen de se faire des amis, de connaître les joies du sexe.” “Mais finalement au fond de lui Staline ... enfin je sais pas j’y étais pas. “

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Maurice Carrez Prix "Humour de vestiaire

Gabriel Eckert Prix "Meilleur supporter de la Strohteam 2018”

Esther Marini Prix "Outsider de l’année"

“Le chapitre VII, qui suit le chapitre VI, et oui, ils sont malins à l’ONU.” “A partir de 1966, la Chine se retire du monde pour se concentrer sur le massacre de sa propre population, ça prend du temps et de l’énergie.” “Je voulais que vous fassiez le silence mais maintenant que vous l’avez fait, bah je suis toute troublée.” Louis DE FOURNOUX LA CHAZE - TD de droit administratif (2A) “Est-ce qu’une pâtisserie peut porter atteinte à la liberté humaine ? C’est chaud quand même !” “Si vous avez la bonne idée de prendre un kebab-bière place Saint-Etienne à 22h01, ça peut vous coûter 68€.”

“Un jour, quand vous aurez votre diplôme, enfin si vous validez ma matière à la fin de l’année...” Haha super vanne #team2,5àlacolle Michel FABREGUET, HIPM (2A) “On peut décrire Keynes comme un épicurien raffiné, amateur d’art averti, pourfendeur de discours convenus, dandy intellectuel, homosexuel, ce qui n’était rien de très original dans les collèges britanniques, où les femmes n’étaient pas admises.” Entendu dans le local : “Les plus chaudes des pompoms ? Garnik et moi bien évidemment!” Un certain Charles Q.

Anne-France DELANNAY, Gestion de l’Entreprise (2A) “Aussi vrai que les 3 mousquetaires sont 4, les 5 forces sont 6.” “Y aura pas cours la semaine prochaine, faut que je m’entraîne pour le Krit.” “Trouvez vous une copine enceinte pour aller au resto, au moins elle boira pas.”

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Ça y est, c'est le dernier numéro de Propos de l'année. Quelle aventure ! Une aventure collective avec des gens différents qui ont tous su apporter leur pierre à l'édifice qu'est notre association. Néanmoins, l'investissement de chacun d'entre eux n'aurait servi à rien sans le soutien de vous tous, lecteurs et sans la participation à l'écriture de nos chers rédacteurs. Il était important de vous remercier chaleureusement. J'espère que ces magazines auront donné au plus grand nombre l'envie d'écrire, de s'informer, de réfléchir et lire toujours plus ou toujours mieux. L'année n'est pas encore totalement finie pour nous mais il est temps de penser à l'équipe suivante. On leur souhaite plein de belles choses : du courage, de la ténacité, de la cohésion et de la réussite tout simplement. Car n'oublions pas, Propos meilleure asso. La rédaction

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