n°106 - Octobre 2018

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Timothé Giordana

Présidente & Directrice de la publication : Camille Larminay Vice-Présidente & Secrétaire de la rédaction : Léonie Fraulob Trésorier : Julien Pairot Maquettiste / mise en page : Océane Maurin Respos Communication : Rémi Fischer et Timothé Giordana Respo Relations : Lucie Coatleven Respo Site : Théo Renou Vice Président en charge du Pôle TV: Paul de Noray Pôle TV : Axellle Heyert, Hugues Foulon, Leila Bröchin Edité par l’association Propos, association de Loi 1901 domiciliée au Local 208 B, 47 Avenue de la Forêt-Noire, 67 000 Strasbourg proposscpo.fr - contact@proposscpo.fr Imprimé par IL LMS REPROGRAPHIE, 20 Avenue de Paris - Immeuble RHONE, 94811 Villejuif Paru en Octobre 2018 Dépôt Légal, Septembre 2018 ISSN : 2557-793X

2 Association Propos 2018. Tous droits réservés. ©

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ÉDITO

Un besoin urgent d'optimisme La démission de M. Nicolas Hulot le 28 août a ravivé les critiques à l’égard de la politique environnementale du gouvernement. Les enjeux écologiques ont donc largement dominé l'espace médiatique le mois dernier mois, notamment grâce aux nombreuses Marches pour le Climat, qui se sont déroulées à Strasbourg et partout en France. Le discours tenu dans les médias est alarmiste : montée des eaux, risques climatiques, destructions des forêts, disparition de la biodiversité … Si la protestation des acteurs politiques et sociaux a été mise en avant, cela s’est cependant fait aux dépents de la promotion d’initiatives nouvelles pour améliorer les choses. Notre rédaction n’a pas voulu céder à ce discours

catastrophiste. Plus qu’un effort momentané ou une poussée de fièvre accidentelle, nous sommes persuadés que le futur nécessite un engagement de long terme. Et il est de notre devoir de le mettre en lumière. Nous faisons donc le pari de n’être ni fatalistes, ni naïfs. Nous sommes conscients qu’éteindre la lumière en quittant une pièce ne sauvera pas la planète, mais que tomber dans le fatalisme ne le fera pas non plus. En effet, pourquoi s’inquiéter du futur si le monde court inévitablement à sa perte ? Nous ne nions cependant pas le besoin d’établir un constat clair de la situation politique, économique, culturelle et environnementale actuelle. Chacun de nos articles

tente d’ailleurs de le dresser. Cet état des lieux est indispensable en vue de créer, d’adapter et d’encourager les mesures réparatrices ! Alternatives aux moteurs de recherche énergivores, au tourisme pollueur, à l’agriculture de la surconsommation, aux manques en termes d’éducation ou de pauvreté … Nos rédacteurs ont su trouver les idées d’aujourd’hui qui feront sans aucun doute le monde de demain. Ces initiatives agissent directement sur l’avenir, et constituent donc le thème de notre numéro d’octobre. Nous tournons ainsi vers lui un œil lucide, et surtout, optimiste. Camille Larminay Directrice de la rédaction

L'INSTANT POÉTIQUE Silence Au-delà du monde souterrain Des fonds abyssaux les fonderies Froides enflamment les cris d’airain Sourds sur les monts les joailleries S’étiolent dans le néant des êtres Auteur anonyme

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S MMAIRE INITIATIVES POUR LE FUTUR

ÉDUCATION « L'enfant d'aujourd'hui fera la société de demain », par Océane Maurin

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CULTURE Les réalisateurs et leurs visions du futur, par Valentine Heitz pour le Club Cinéma

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GREEN FOOD Les perturbateurs endocriniens : un danger réel sans solution concrète ? par Axelle Heyert

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Le végétarisme, par Mathilde Blériot

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Les dessous de l’or vert, par Daphnée Debbie Ricard pour le BDI ALTERNATIVES POSITIVES Agir, tous les jours, par Julien Pairot Rechercher, c’est bien, rechercher responsable, c’est mieux par Margot Philippe

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Le tourisme, une menace silencieuse, par Théo Giubilei

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TRIBUNES LIBRES La civilisation humaine doit opérer une révolution écologique, par Nino Toussaint

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POLITIQUE Reportage à la ZAD par Arthur Koch

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NUMÉRO 106 OCTOBRE 2018

f /ProposScPo l @propos_scpo mag.proposscpo.fr

CULTURE

Cinéma d’art et d’essai, alternative aux “grands méchants multiplexes”? par Manon Bilger

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SI TU SORS, JE SORS

Le Collectif Copines vous explique la loi Schiappa, par Lauriane Charles

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DIVERTISSEMENT

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De la composition d'une promo Sciences Po, par Camille Larminay

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diverissement

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Dossier

« L'enfant d'aujourd'hui fera la société de demain » Immersion dans une ONG à l'île Maurice Océane Maurin

ÉDUCATION

Au bout de la table, Shelby réalise un dessin. Elle vient du quartier défavorisé de Tamarin sur la côte ouest de l’Ile Maurice. Shelby et les enfants de ce quartier, bénéficient de l'aide de l’ONG Les Anges du Soleil. Bâtir un avenir meilleur pour les enfants et les familles défavorisées de l’Île Maurice, tel est le projet de cette ONG au travers d’une chaîne de solidarité dont le bon déroulement est permis par de nombreux bénévoles et par sa créatrice Sylvie Morgillo Gravil. Stigmatisés socio-spatialement, ces enfants sont difficilement acceptés dans les écoles privées malgré les efforts d'intégration menés par l'ONG. Les Anges du Soleil tentent de favoriser la mixité sociale afin de détacher ces enfants de l’enfermement urbain quotidien.

En 2018, environ 1 425 000 touristes étaient attendus sur cette île paradisiaque. Les touristes sont donc plus nombreux que les 1,2 million d'habitants. Alors que quelques logements sociaux voient le jour, l'objectif premier du gouvernement est de faire croître le tourisme. La construction d’hôtels laisse dans l'ombre le peu de projets sociaux existants. C’est en se rendant au cœur de l’ONG « Les Anges du Soleil »,que nous prenons conscience de la misère qui nous entoure. Parmi ces 1,2 million d’habitants, certains habitants des quartiers défavorisés bénéficient de l’aide de l’ONG. C'est le cas de ceux de Tamarin. L’objectif est de briser le cercle vicieux de la pauvreté autant que possible.

ONG Anges du Soleil

Les activités de l'ONG L’éveil tous les jours sauf le mardi : Il se déroule le temps d’un après-midi en petits groupes d'enfants. L’objectif est de les rendre autonomes en leur proposant des activités diverses et variées. Scolarisation dès la maternelle (francophone et anglophone) accompagnée d’un suivi du cursus éducatif, L'accompagnement des familles

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Des ateliers sportifs et artistiques PR POS


Dossier

La question scolaire En termes de combat pour les inégalités sociales, l’Île Maurice est loin d’être un bon élève. L’éducation laisse place aux inégalités sociales dès lors que les écoles maternelles sont privées, inaccessibles aux élèves issus de classes défavorisées. Ces enfants partent déjà avec un train de retard. L’ONG intervient donc dans le cursus éducatif, mais aussi dans l’accompagnement des familles. En effet, la socialisation primaire se faisant essentiellement aux côtés de la famille, lieu fondamental pour l’enfant, l’ONG prend des dispositions afin d’intégrer les parents au processus afin qu’ils se sentent concernés par la question scolaire. L’investissement des parents est donc crucial pour que les apports de l’ONG soient efficients.

Un combat pour la mixité sociale L’ONG Les Anges du Soleil se bat pour développer une mixité sociale au sein des écoles de l’Île Maurice. Pour cela, elle réserve quelques places dans des écoles pour les enfants du quartier de Tamarin, zone où la mixité sociale est trop souvent négligée. Les écoles concernées accordent une coopération limitée à l’ONG. Elles acceptent quelques enfants mais donnent difficilement leur accord pour en accueillir davantage. Nous ne pouvons donc pas affirmer qu’il existe réellement une mixité sociale au sein de ces écoles. Intégrer trop d’élèves issus des cités de Tamarin dissuaderait les parents issus de classes plus favorisées d’y inscrire leurs enfants. En France, le même phénomène alimente cette spirale de

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stigmatisation et de discrimination. L’ONG les Anges du Soleil tente de trouver une solution aux limites imposées par les écoles en créant parallèlement une école alternative : l’Odyssée du Savoir.

L’école alternative : L’Odyssée du savoir En janvier 2018, après deux années de réflexion, naît l’Odyssée du Savoir.Pour cette ONG, ouvrir l’unique école alternative privée de l’Île Maurice paraît être une solution pour imposer une mixité sociale. En effet, ce nouveau concept est prisé des familles aisées. Étant la seule école alternative sur l’Île, les parents pourraient fermer les yeux sur le concept de mixité sociale, a priori contraignant pour eux. L’Odyssée du Savoir, en tant qu’école alternative, doit de respecter une philosophie toute particulière. L’école s’adapte aux besoins de l’enfant en le laissant avancer à son rythme afin de garantir son épanouissement. Le respect et l’autonomie de l’enfant sont au cœur du fonctionnement de l’école comme le décrit Sylvie Morgillo Gravil, créatrice de l’ONG les Anges du Soleil :

« C’est la façon dont on va délivrer la pédagogie qui va changer d’une école traditionnelle ». Le coût de la scolarité est à peu près équivalent à celui des autres écoles privées. Néanmoins, l’ONG paie 50% des frais de scolarité des enfants faisant partie de l'ONG et prend en charge leur transport scolaire. C’est une grosse implication pour l’ONG qui doit trouver les fonds nécessaires. Dans une logique d’accompagnement, l’ONG demande aux parents de participer aux frais de scolarité

afin de ne pas les déresponsabiliser de la question scolaire. Quarante enfants sont attendus à la rentrée de septembre 2018 et dix qui bénéficient de l'aide de l'ONG. L’objectif, à terme, est donc d’accueillir au minimum 25% et au maximum 50% d’élèves issus de ces quartiers défavorisés pendant 11 mois de l’année. Éviter l’isolement de l’enfant est primordial. Il ne faut pas le couper de son environnement initial. L’école alternative tient au respect de sa philosophie où le bonheur de l’enfant est central Comme l’explique Sylvie Morgillo Gravil, la philosophie et la pédagogie sont essentielles pour le bon fonctionnement de l’école.

« On se confronte à des limites. On a beau avoir toute la belle philosophie du monde, mais avoir une formation avec les enfants c’est aussi important ».

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www.angesdusoleil.org

@AngesduSoleil 9


l’été de la rédac’

Shelby

L'éveil L’éveil est encadré par une petite équipe de bénévoles notamment tous les mercredis après-midi. Le temps d’un après-midi, les enfants découvrent des activités diverses et variées qu’ils ne pourraient peut-être pas réaliser seuls dans leur milieu social. Un bâtiment public est mis à disposition de l’ONG. Le local sert à l'accueil des enfants, au goûter et aux activités manuelles. Les espaces extérieurs permettent aux enfants de se défouler dans un cadre sécurisé loin de la circulation particulièrement dangereuse de l'île Maurice. Les bénévoles font tout leur possible pour offrir un cadre accueillant et bénéfique pour ces enfants. En photographiant les enfants et les bénévoles, j'ai découvert l’importance du temps que nous pouvons

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leur accorder. A mon sens, les éclats de rire de ces enfants deviennent significatifs, tels un cadeau pour les bénévoles, et donnent envie à chacun de continuer à les accompagner. Il s'agit de la dernière activité de la séance de l'Éveil pour Shelby. Imperturbable, elle paraît ne pas se soucier de la présence des adultes comme des enfants qui l’entourent. Décoré de fleurs de frangipanier trouvées dans la cour, son dessin est agréable à regarder, précis et réalisé avec passion. Laisser place à l’imagination de l'enfant, c'est aussi le respecter. Ce temps calme accordé à Shelby lui a sûrement permis de s'évader. Ce petit moment d'autonomie corrobore parfaitement avec la philosophie de cette ONG qui collabore avec une école alternative.

Les limites qui posent à l’ONG

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Malheureusement, l’ONG ne détient pas la propriété de ce bâtiment public. Ils ne peuvent donc pas stocker les créations ou le matériel servant aux activités manuelles ou sportives, ce qui oblige les bénévoles à les transporter eux-mêmes quand ils le peuvent. Les activités sur le long terme doivent donc être vigoureusement organisées. L'ONG souhaite néanmoins acquérir un local dont elle serait la propriétaire et où les enfants pourraient avoir accès directement au matériel. Ces bénévoles, à l’écoute de conseils extérieurs, font leur possible pour offrir un moment de bonheur à ces enfants malgré les conditions auxquelles ils doivent faire face.

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Béatrice

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Dossier

Les réalisateurs et leurs visions du futur Valentine Heitz pour le Club Cinéma (BDA)

CULTURE

Les initiatives pour le futur sont nombreuses. Quand certaines sont réalisables voire en cours de réalisation, d’autres restent à l’état de projet ou encore de fantasme. C’est le cas de plusieurs films où les réalisateurs tentent d’apporter leurs visions de notre monde dans quelques années. Ils proposent ainsi des idées pour l’améliorer ou au contraire montrent le désastre vers lequel nous nous dirigeons. Dans cet article, je vais me fonder sur plusieurs films qui offrent chacun des approches différentes du futur. D’abord, quand j’entends parler de futur, il me vient en tête le film Transcendance de Wally Pfister. Pour faire court, le professeur Carter (joué par Johnny Depp) a pour projet de pouvoir dupliquer une conscience h u m a i n e de manière informatique. Lorsqu’il apprend qu’il n’a plus que quelques semaines à vivre tout au plus, sa femme met tout en œuvre pour uploader la conscience de son mari sur des serveurs, une façon pour elle de le maintenir en vie. Mais ce film pousse plus loin la réflexion sur l’intelligence artificielle (I.A.) et ses dérives. En effet, sans spoiler tout le film, Evelyn Carter (jouée par Rebecca Hall) pense que ce projet d’I.A peut résoudre tous les problèmes du

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monde, y compris la déforestation et la famine. En effet, la machine a une réflexion plus poussée que celle de l’homme, ce qui lui permet de trouver des solutions là où l’espèce humaine serait limitée dans ses capacités. Le film aborde le projet comme un talk de TED ce qui donne une dimension sérieuse et réalisable. Le film nous amène réellement à nous questionner sur les enjeux d’une telle expérience. Personnellement, j’ai beaucoup aimé l’intervention d’un homme dans le public qui demande « En fait, vous cherchez à créer un Dieu, votre Dieu ? ». Question à laquelle le scientifique répond par un simple « C’est ce que l’homme a toujours fait non ? ».

« En fait, vous cherchez à créer un Dieu, votre Dieu ? ». Question à laquelle le scientifique répond par un simple « C’est ce que l’homme a toujours fait non ? ».

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Dossier Le film d’animation Wall-E quant à lui met l’accent sur la négligence des hommes vis-à-vis de la planète sur laquelle ils ont vécu pendant des millions d’années. Au lieu de se soucier de ce que la Terre peut devenir, des problèmes climatiques et environnementaux auxquels elle fait face (Coucou Trump !), les hommes préfèrent aménager un vaisseau et s’enfuir

cherchons à faire aujourd’hui ? Nous faisons de plus en plus de recherches pour trouver des traces de ressources sur les autres planètes du système solaire, et des projets visant à envoyer des hommes sur d’autres planètes germent également. N’essaie-ton pas de trouver notre vaisseau spatial, de nous enfuir sur une autre planète au lieu de nous

attaquer au problème premier qu’est la détresse de la Terre ?

avec une panoplie de technologies à bord, comme l’arche de Noé 2.0. Dans ce film, la technologie devient également acteur et se place ici en tant que sauveur, solution pour la survie de l’espèce humaine. Et si ce film transposait ce que nous

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Dans une dimension plus politique, on peut évoquer le film Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol. Le personnage principal, Vincent Freeman, rêve d’aller dans l’espace. Seulement, le centre d’études et de recherches spatiales du nom de Gattaca ne recrute que des personnes génétiquement modifiées. En effet, les avancées de la science ont donné la possibilité aux parents de sélectionner leurs meilleurs traits génétiques pour les transmettre in vitro à leur progéniture. Vincent, lui est un enfant « naturel » et est normalement voué à occuper des emplois sous-considérés. Il doit alors emprunter l’identité de quelqu’un d’autre pour déjouer tous les tests ADN et poursuivre son rêve. La modification génétique est ici abordée comme un dérivé de la médecine au service de l’élitisme, ce qui divise

la société en plusieurs strates selon leur origine génétique. D’autres politiques sont aussi explorées dans d’autres films pour exposer une solution à la famine et à la destruction progressive de la planète. Dans le film Seven Sisters, Tommy Wirkola propose la politique de l’enfant unique comme moyen de lutter contre la surpopulation. Le film plante d’ailleurs le décor sur une planète où la population compte un million d’individus supplémentaire toutes les quatre minutes. Au travers de son long-métrage, Wirkola fait référence à la politique utilisée en Chine entre 1979 et fin 2015. Cette politique avait eu pour effet un vieillissement de la population et une forte baisse de la natalité, poussant le pays à supprimer cette restriction. Les films traitant du futur sont nombreux, et je n’en ai abordé qu’un minuscule échantillon, mais les réflexions derrière chacune de ces œuvres sont intéressantes. Ils nous amènent à nous questionner sur notre avenir et celui de notre société. Les problèmes environnementaux prennent de plus en plus de place dans l’actualité avec les sommets internationaux organisés et des accords signés. On peut d’ailleurs citer la COP 24 qui se tiendra du 3 au 14 Décembre 2018 à Katowice en Pologne. Le numérique quant à lui se développe de plus en plus et fait partie de notre vie de tous les jours mettant en péril le devenir du papier. Il menace également la barrière entre le privé et le public, sujet qui est très justement traité dans le film The Circle de James Ponsoldt. Le sujet est vaste et peut être débattu sous tous les angles. Je te laisse donc petit pipos te faire ta propre opinion du futur et de la manière dont le septième art le présente, plutôt dans une version descriptive, analytique ou bien fondée sur des suppositions.

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Dossier

Les perturbateurs endocriniens : un danger réel sans solution concrète ?

GREEN FOOD

Axelle Heyert Rarement connus, mais souvent sous-estimés, les perturbateurs endocriniens ont fait peu à peu leur apparition avec le développement de la société de consommation. De plus en plus présents dans nos produits utilisés au quotidien, notre exposition quasi-permanente à ces substances aux noms barbares, provoque de nombreux effets indésirables et irréversibles sur notre organisme. Si quelques solutions alternatives semblent émerger pour les éviter, il ne semble pourtant pas aujourd’hui exister une réelle législation qui permettrait de protéger le consommateur en bannissant ces substances des rayons. Il existe aujourd’hui plus de 800 perturbateurs endocriniens différents que l’on peut retrouver dans nos produits de consommation. Ces composés chimiques sont associés à une perturbation endocrinienne, comme par exemple les phtalates, dont le bisphénol A (interdit dans la fabrication des biberons en France depuis 2010), ou les insecticides dont le DDT (diphényl-trichloroéthane interdit dans l’agriculture dans les années 1970 et 1980 dans la majorité des pays industrialisés).

Des composants de plus en plus présents Ainsi, un perturbateur endocrinien désigne « des molécules, naturelles ou produites par l’homme, qui interfèrent, positivement ou négativement, avec les systèmes hormonaux, entraînant des déséquilibres hormonaux au sein de l’organisme », selon l’Encyclopédie Universalis. Les perturbateurs endocriniens peuvent agir soit en imitant l’action d’une hormone naturelle, soit en se fixant sur les récepteurs des hormones naturelles, soit en gênant le mécanisme de production des hormones ou des récepteurs, ce qui change les concentrations d’hormones dans le sang. Il existe trois catégories distinctes de perturbateurs endocriniens. Premièrement les substances produites volontairement pour leur effet hormonal, par exemple les contraceptifs hormonaux comme la pilule ; deuxièmement, les composés naturels comme les phyto-

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estrogènes présents dans une grande variété de plantes comme dans le soja ou dans les céréales ; enfin, les substances chimiques de synthèse fabriquées par l’homme, mais sans que l’effet sur le système hormonal ait été recherché, par exemple les pesticides organochlorés, les herbicides, les plastifiants (bisphénol A), des dioxines… Nous parlerons de cette dernière catégorie en particulier. Les perturbateurs endocriniens sont partout : « ils sont là, ils sont dans les campagnes, dans les villes… », pourraiton affirmer à la manière de Marine Le Pen lors du débat présidentiel d’entredeux-tours. En effet, au domicile, on les retrouve dans toutes les pièces : dans les enduits, les peintures, les dalles imprégnées de phtalates, solvants ou composés perfluorés ; dans les tapis, moquettes, rideaux, coussins, canapés, fauteuils, literie qui contiennent des composés polybromés pour les rendre moins inflammables. Dans la cuisine, les ustensiles contiennent des composés perfluorés dans les revêtements antiadhésif, les emballages traités contre le gras, les nappes imperméabilisées ou des phtalates dans les récipients en plastique ; l’eau du robinet contient des traces d’hormones issues de médicaments et libérées dans les urines ; dans l’alimentation, à la fois dans les fruits, légumes et céréales traités avec pesticides, les aliments gras (viande, poissons, lait) car en bout de chaîne alimentaire et les parabènes utilisés comme conservateurs (E214, E215…). Dans la salle de bains, les perturbateurs endocriniens sont présents partout : dans les médicaments où les phtalates et parabènes sont utilisés comme excipients ; dans les produits cosmétiques, les phtalates sont également présents, mais aussi les parabènes utilisés dans 80% des produits, le triclosan est contenu dans les savons et dentifrices. Au contact même de la peau, ce sont les vêtements neufs qui sont imprégnés de polluants utilisés lors de la fabrication. A l’extérieur, les pesticides organochlorés sont interdits mais leur résistance dans l’environnement continue à polluer à sols et eaux ; il en devient

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Dossier des financements consacrés à la recherche. En effet, les moyens nationaux consacrés à la recherche ont fortement été réduits depuis 2014. De plus, le rapport met en garde sur l’importance de la surveillance de l’exposition aux perturbateurs endocriniens, à la fois des populations, mais aussi de l’environnement.

de même pour les pesticides organophosphorés (utilisés actuellement). L’air est également concerné, puisqu’il est pollué par les produits de combustion dus aux activités humaines : dioxines, furanes…

Une nocivité prouvée Le problème majeur de ces substances provient de leurs effets nocifs sur notre organisme. De nombreuses études récentes révèlent les dangers de l’exposition aux différents perturbateurs endocriniens. D’après l’Agence Santé publique France, le pays voit sa « santé reproductive » se dégrader. En effet, l’agence s’est intéressée à l’influence des perturbateurs endocriniens dans son bulletin hebdomadaire du 3 juillet 2018. Les chiffres sont formels : la concentration du sperme en spermatozoïdes a chuté d’un tiers entre 1989 et 2005, le nombre de cancers des testicules augmente et les cas de puberté précoce se multiplient. Cette dégradation trouve son origine selon l’agence dans des « causes environnementales » même s’il reste difficile de déterminer la part de responsabilité des perturbateurs endocriniens. En 2014, une étude de l’université de Columbia a associé une forte exposition prénatale aux phtalates à une diminution de 6 à 7 points de Q.I. chez les enfants de 7 ans. Le rapport réalisé par l’IGAS (l’Inspection générale des affaires

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sociales) est l’un des premiers à se pencher sur la question des perturbateurs endocriniens. Il a été commandé par le gouvernement en août 2017, afin d’évaluer la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens. Ce rapport tire la sonnette d’alarme : les perturbateurs endocriniens sont suspectés d’être à l’origine de la baisse de qualité du sperme, de l’augmentation de la fréquence d’anomalies du développement des organes ou de la fonction de reproduction et de l’abaissement de l’âge de la puberté. Certains cancers hormonodépendants, des cas de diabète de type 2, ainsi que d’obésité ou d’autisme trouveraient également leur source dans l’exposition aux perturbateurs endocriniens.

Des solutions insuffisantes et limitées Remis en janvier au gouvernement, le rapport de l’Igas appelle la France à amplifier son action vis-à-vis des perturbateurs endocriniens. Celle-ci n’aurait pas mis en œuvre les moyens suffisants pour surveiller et étudier ces substances. La stratégie nationale adoptée en 2014 a donné des résultats positifs : retrait du bisphénol A des rayons, renforcement des contrôle visant la présence de phtalates dans les jouets, soutien à l’innovation industrielle. Mais ces mesures ne sont pas suffisantes pour les auteurs du rapport : le texte alerte sur l’importance

Enfin, le rapport de l’Igas revient sur la nécessité de la France de peser sur la réglementation européenne : celui-ci accable l’UE, pourtant déjà condamnée en 2015 pour son retard sur la question. Au sein de l’UE, il est obligatoire d’afficher la composition d’un produit alimentaire ou cosmétique. Dans le cadre du règlement cosmétique, les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques, dites « CMR » (de catégorie 1A, 1B et 2) sont interdites automatiquement. Cependant, les rapporteurs soulignent que les textes réglementaires de l’UE ne permettent pas d’exclure les perturbateurs endocriniens. Toutefois, en décembre 2017, un texte définissant les perturbateurs endocriniens a été adopté par les Etats membres. De part leur nombre et leur nom interminable, il est difficile pour un consommateur de les retenir tous, et laborieux de les chercher dans la composition inscrite en police 4 et souvent plus longue qu’une dissertation d’histoire rédigée. Il est donc compliqué de parvenir à les éviter complètement soi-même, perdu entre les rayons des supermarchés. C’est pourquoi une application a été créée : Yuka permet de scanner les produits alimentaires et cosmétiques dans le but d’informer le consommateur des substances cancérigènes, allergènes, irritantes ou des perturbateurs endocriniens qu’il contiennent. L’application détecte de plus la dangerosité qu’elle présente pour l’organisme, ce qui lui permet de noter le produit. Pratique et rapide, l’application permet d’éviter efficacement les substances et leurs effets négatifs sur la santé.

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Dossier

Le végétarisme Manger de la viande, c'est naturel... Mathilde Blériot Vous lisez un numéro spécial écologie, vous pouvez vous douter aisément que vous n'y trouverez pas un article couvrant le dernier festival du saucisson ou une recette de fondue bourguignonne. Je m’excuse pour ce titre putaclic, mais désormais j’ai votre attention. Je vais alors essayer de faire un article engagé mais pas chiant, promis.

Mais tout d'abord, reprenons les bases en révisant notre vocabulaire : - Flexitarisme : diminution de la consommation de chair animale, pratique flexible du végétarisme. - Végétarisme : régime alimentaire ne comprenant pas de chair animale (viande, poissons, crustacés...). - Végétalisme : régime alimentaire ne comprenant aucun produit issu de l'exploitation animale. - Véganisme : mode de vie rejetant toute consommation issue de l'exploitation animale (alimentation, mode, loisirs...).

Parmi tous ces modèles alimentaires, aucun n'est parfait, donc juger d'un ton moralisateur le contenu de l'assiette de votre voisin lui donnera uniquement l'envie de vous faire ingurgiter votre tofu par un orifice inadapté.

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Habitués par notre environnement familial à tel ou tel modèle alimentaire, il est difficile de remettre en doute des habitudes qui paraissent si naturelles. Deux points sont essentiels à une prise de conscience collective : l'information et la communication, dans le sens où votre entourage

peut vous aiguiller vers un sujet, mais qu'il n'appartient qu'à vous de construire une opinion cohérente à ce propos. À titre d'exemple, une amie a tenté de me convaincre il y a de cela quatre ans pour que l'on achète du poulet label rouge pour les fajitas, bien entendu, je lui ai dit d'en finir avec ses sensibleries, qu'on allait prendre le moins cher, et cela, sans même essayer de comprendre ses raisons. On en a longuement discuté après et ne voulant pas mourir bête, j'ai fait des recherches sur mon alimentation et particulièrement sur l'impact de celle-ci sur l'environnement. Tout cela a abouti à un passage au pesco-végétarisme (pas de viande, mais toujours du poisson), puis au végétarisme en l'espace de quelques mois. Comme quoi, même en étant bornée, on arrive à se remettre en question, d'autant que pour beaucoup, l'alimentation reste un sujet sensible, et c'était mon cas. Le but de mon article n'est pas de faire de vous un végan aguerri dès la fin de votre lecture, mais simplement de pousser à s'informer sur la question. Selon les sujets qui vous touchent le plus, que ce soit la déforestation, l'éthique animale, la pollution, les ressources terrestres ou encore votre propre santé, il est important de questionner sa consommation, y compris celle de la nourriture que l'on ingère. On entend de nombreux remarques en étant végés, tâchons de les analyser. La première : "Mais tu manges quoi alors ? Et sa variante : "C'est pas un peu fade de manger que de l'herbe ?". Mettons les choses au clair, l'herbe, c'est bon, mais c'est meilleur avec du gravier. Plus sérieusement,

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Dossier on ne mange pas du tofu tous les jours non plus, tout est une question d'habitude, on apprend à intégrer d'autres types d'aliments, notamment les protéines végétales (le houmous, c'est des protéines végétales, à bon entendeur). Des tonnes de recettes existent, on y trouve son compte. Aussi : il paraît qu'en étant végé, on a des énormes carences. C'est vrai que parfois, je titube, j'arrive plus vraiment à tenir sur mes jambes et j'ai les yeux vitreux... Mais rien à voir avec les légumes. Vos muscles ne craignent rien, nombreux sont les sportifs de haut niveau qui ne mangent pas un gramme de viande (Serena Williams pour ne citer qu'elle). L'intolérance des viandards envers les mangeurs de salade naît d'un manque d'information. L'intolérance des végans extrêmes envers les autres consommateurs naît d'un manque de compréhension. À chacun son rythme, mais il est nécessaire de remettre en cause notre modèle alimentaire, d'autant que la France reste, malgré la diminution de la consommation de viande en général, une figure dominante au vu de sa gastronomie.

Le fromage de ta pizza d'hier soir n'est pas Satan, rassuretoi, mais sa production reste un enjeu économique, écologique et sanitaire, rien que cela. (N'ayez crainte, le fromage accompagnera tout de même vos verres de vin lors de la prochaine dégustation d'Oenopo *emojiclind'oeil*). Sans diaboliser tel ou tel aliment, cet exemple servait d'illustration à la nécessité de s'informer et de remettre en question ses habitudes alimentaires. Selon les sujets qui vous touchent le plus, que ce soit la déforestation, l'éthique animale, la pollution, les ressources terrestres ou encore votre propre santé, on trouve toujours une raison de s'y intéresser. L'information appelle l'information, particulièrement quand le sujet est si vaste : plus on en apprend sur un sujet, plus on le creuse par la suite. Par ailleurs, à chacun son rythme : il est bien plus facile d'arrêter ou de diminuer sa

consommation de viande quand on n’aime pas ça. C'est lors de cette remise en question que l'indulgence doit être de mise, car cela peut constituer pour certains une lutte entre le goût, l'habitude et les convictions nouvelles. Je voudrais particulièrement vous conseiller un documentaire, que vous pouvez trouver sur Youtube en vostfr, ou encore sur Netflix : Cowspiracy. Un parcours initiatique de la remise en question alimentaire, très axé sur des considérations écologiques, qui m'a personnellement beaucoup aidée à sauter le pas. Chacun fait ce qu'il veut oui, mais au-delà d'un choix, notre consommation est une responsabilité. C’est en étant réellement informé sur un sujet que l’on peut prendre les bonnes décisions.

Rares sont les végétariens/ végétaliens qui ont grandi avec ces régimes alimentaires, le changement provient d'une prise de conscience des enjeux de notre siècle. Il existe des milliers d'articles, de documentaires, d'études en tout genre sur l'alimentation et on ne peut se contenter d'une information partielle, parfois erronée ou issue d'un bon lobbying des familles. Criez à la théorie du complot, mais "Mangez trois produits laitiers par jour" n'est qu'une immense campagne de com destinée aux jeunes enfants, les futurs consommateurs, qui auront encore ces slogans en tête en faisant leurs courses vingt ans plus tard au Carrefour City du coin : c'est durant notre jeune âge que les habitudes alimentaires se créent, ça serait dommage pour les industriels de ne pas en profiter.

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Le foodporn végé, ça existe aussi Source: le blog Camdewood

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Dossier

Les dessous de l’or vert Daphnée Debbie Ricard pour le BDI Star d’Instagram et fruit aux nombreuses vertus nutritionnelles, l’avocat voit sa demande mondiale augmenter d’années en années. De nombreux pays ont ainsi recentré leur économie sur ce commerce fructueux, comme la Colombie qui a augmenté ses exportations d’avocats de 50% en 2017. Les dessous de ce commerce florissant ne sont néanmoins pas aussi réjouissants qu’un bon « avocado toast ». Dégradation environnementale et tensions politiques, l’avocat devient un enjeu central du commerce du 21e siècle.

Un fruit star capricieux écologiquement La culture et le commerce de l’avocat sont bien plus énergivores que la plupart des aliments de bases dans notre alimentation. Ainsi, il faut en moyenne 1000 litres d’eau pour produire 1 kilo d’avocats contre 180 litres pour un kilo de tomates. Cette forte demande en eau n’a pas empêché l’Andalousie, région pourtant aride, à se lancer dans ce commerce. La région est devenue première productrice d’Europe de ce fruit en vogue. Mais face à ce succès commercial, le déficit en eau ne cesse d’augmenter. La culture de l’avocat est aussi synonyme de déforestation à outrance. Le Mexique, grand producteur mondial a vu 170 000 hectares de ses forêts rasés en 10 ans. Cette déforestation s’accentue par la multiplication des exploitations clandestines que les autorités tentent de combattre. L’exportation n’est également pas sans impact, du fait notamment du transport, de la climatisation

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des containers, du mûrissage avec de l’éthylène en gaz, mais aussi des emballages. L’explosion de ce commerce affecte depuis quelques années directement les habitants des régions productrices. Absence d’eau courante ou dégradation de la santé à cause des pesticides utilisés, l’exploitation de l’or vert n’est pas sans conséquences. Les habitants de l’État mexicain du Michoacán qui est devenu un centre névralgique du commerce mondial de l’avocat, paient le prix de cette nouvelle activité. Ils sont en effet nombreux à se plaindre d’un accroissement des maladies respiratoires et digestives depuis l’intensification de l’agriculture de l’avocat.

De l'avocat aux guerres de gang A ces enjeux écologiques s’ajoutent des tensions politiques nationales et internationales. Au Mexique, le sanguinaire gang de Los Caballeros Templarios sème

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NICK WAGNER / AP, Marché au mexique la terreur au sein des producteurs en imposant notamment des taxes sur les ventes. Face à cette menace, les producteurs s’organisent en milices armées pour défendre leurs exploitations. Mais les tensions ne se limitent pas au territoire national. En effet, le commerce de l’avocat représente aujourd’hui, pour de nombreux pays, un pilier de leur économie. Au Mexique, il assure environ 70 000 emplois permanents. C’est pourquoi les négociations entre le Mexique et les États-Unis relatives au traité de libre-échange nordaméricain deviennent un enjeu central pour l’économie mexicaine et son agriculture tributaires de la demande américaine. Loin de moi l’idée de tomber dans la culpabilisation et le discours qui nous ferait croire qu’on en fait jamais en se disant qu’après tout, à elles seules 100 entreprises sont à l’origine de 71% des émissions des gaz à effet de serre, alors à quoi bon ? Face à l’immobilité des puissances et grands groupes, il me semble nécessaire de rappeler

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l’importance des petits gestes et des initiatives locales. Il ne faut pas attendre que Donald Trump reconnaisse l’urgence climatique pour s’engager écologiquement. Il n’est pas non plus nécessaire d’abandonner tout transport polluant et de renoncer à l’électricité pour devenir un « bon citoyen ». Il n’y a pas de petite action ou d’initiative insignifiante. S’informer sur ses habitudes de consommation représente une étape nécessaire pour mesurer l’impact écologique de notre mode de vie. Si l’on en revient à l’alimentation et ici plus précisément les avocats, des alternatives existent pour consommer de manière plus durable. Consommer moins mais mieux en diminuant sa consommation d’avocats et en favorisant ceux en provenance de la Corse avec un label d’agriculture biologique ou bien ceux marqués par le label de commerce équitable. Si l’on se penche sur le côté nutritionnel, l’avocat est en effet un aliment très

intéressant. Riche en acide oléique principalement constitué d’oméga 9, il réduit le risque de maladies cardiovasculaires. S’ajoutent à cela les vitamines B et E très présentes. Il existe cependant de nombreux aliments aux vertus nutritionnelles tous aussi intéressantes : huile d’olive extra vierge et amandes pour l’oméga 9, graines de tournesol, légumes verts et œufs pour la vitamine E par exemple. L’avocat est l’exemple parmi tant d’autres démontrant qu’il est possible de consommer intelligemment sans pour autant tomber dans le discours extrémiste et fataliste.

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ALTERNATIVES POSITIVES

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Agir, tous les jours Julien Pairot La démission de Nicolas Hulot a sonné aux oreilles de tous comme un aveu d’échec, échec de la mise en place d’une politique environnementale viable et pérenne. Cet évènement a fait sursauter la France entière, des marches pour le climat s’étant organisées sur tout le territoire, de Paris à Toulouse en passant par Rennes. On voit dans ces deux dernières choses assez paradoxales. D’un côté, le rejaillissement d’un fait connu de tous : la planète va mal et il faut agir. Mais ces évenements sont aussi un certain aveu d’impuissance : les simples citoyens seraient condamnés à voir le monde dépérir en attendant que les grands de ce monde décident d’agir. C’est cette impuissance-là que cet article cherche à nier. Attention, il ne s’agit pas pour autant de penser que les États et les grandes entreprises n’ont pas leur part de

responsabilité dans le sort de la planète. On ne vit malheureusement pas dans un monde utopique où la seule bonne volonté permet de faire

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des miracles. Il s’agit plutôt ici de se comporter comme le colibri de Pierre Rabhi et faire sa part. Vous pouvez agir pour la planète, vos gestes de tous les jours peuvent avoir un impact sur son avenir, et cela prend moins de temps que ce qu’on pense. Ce message, c’est celui de Julien Vidal. Ce dernier est porteur d’un projet, que l’on peut retrouver en détails sur le site çacommenceparmoi.org. L’idée de Julien Vidal était de montrer que par de simples petits gestes du quotidien, et quelques mineurs changements dans son mode de vie, il était tout à fait possible de réduire son impact sur la planète. Alors qu’un Français émet environ 10 tonnes de CO2 par an, il n’en émet lui que 2. Comment fait-il ? Eh bien, pendant un an, il a pris chaque jour une initiative éco-citoyenne. Ces 365 petits gestes pour la planète, il les a recensés sur son site Internet. On peut voir parmi ces initiatives le fait de mettre un autocollant Stop Pub sur sa boite aux lettres. Ça ne prend que quelques secondes, et permet d’économiser 40 kg de papier par an. Il propose également d’installer un moteur de recherche solidaire sur son ordinateur et son smartphone, comme Ecosia qui utilise ses revenus afin de lutter contre la déforestation en replantant des arbres.

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Alternatives Positives

On retrouve d’autres conseils, plus connus, comme faire les trajets courts à vélo, trier ses déchets ou acheter des produits issus de l’agriculture biologique. Afin de lutter contre le gaspillage alimentaire également, il existe l’application TooGoodToGo, qui vous permet de récupérer, à prix réduits, les invendus des magasins ou restaurants partenaires de l’application. Finalement, le projet de Julien VIDAL montre qu’il est possible d’agir pour la planète, même en tant que simples citoyens, mais encore mieux, qu’il est possible d’avoir un impact positif sur cette dernière. Si nous adoptions tous ces petits gestes éco-citoyens du quotidien, il ne faudrait plus que 0,8 planète pour subvenir à nos besoins, et le jour du dépassement n’existerait plus. Ne sous-estimez pas l’impact que nous pouvons tous avoir sur la planète, et, tout en restant lucide, il ne faut pas tomber dans

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le défaitisme, mais simplement accepter de changer quelque peu son mode de vie quotidien pour le bien de tous et surtout de la planète.

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Margot Philippe Rechercher, c’est bien, rechercher responsable, c’est mieux Dans nos sociétés ultramodernes, l’impact d'Internet sur l’environnement n’est pas négligeable. L’industrie du web représente ainsi près de 10% des émissions de gaz à effets de serre dans le monde, et c'est plus que l’industrie de l’aviation !

« Qu’as-tu fait aujourd’hui ? » « J’ai surfé un peu sur Wikipédia et j’ai planté quelques arbres à Madagascar. »

Lilo : la goutte d’eau qui fait déborder la solidarité Derrière son joli nom, Lilo est un moteur de recherche qui a aussi une belle ambition. Depuis 2015, il offre aux internautes la possibilité de participer au financement de projets sociaux et environnementaux en redistribuant la somme générée

C’est pourquoi apparaissent aujourd’hui des alternatives aux géants de la recherche que sont Google, Yahoo ou Bing. En moyenne, chacun des 4,12 milliards d’utilisateurs d’internet dans le monde fait gagner à son moteur de recherche plus de 30 euros par an. Et si cet argent pouvait servir des

causes utiles, comme la santé ou l’environnement ? C’est cette idée qui, ces dernières années, a amené plusieurs starts-up à développer une recherche internet utile et responsable : s’il utilise le bon portail de recherche, n’importe quel individu peut désormais servir au financement d'une action solidaire.

Cela paraît improbable, mais c’est pourtant ce que propose depuis 2009 le métamoteur de recherche allemand ECOSIA. Sur le plan technique, il ne s'agit pas d'un moteur de recherche à proprement parler, dans la mesure où les résultats sont en fait générés par les algorithmes de Bing. Il s'agit néanmoins d'un portail à part entière. ECOSIA reverse 80% de ses bénéfices à un programme de reforestation présent partout dans le monde et travaille avec différents partenaires : WeForest et OZG au Burkina Faso, PUR Projet

au Pérou ou encore Eden Projects à Madagascar. Plus de 30 millions d'arbres ont été plantés depuis sa création, ce qui représente plus d’1 milliard de recherches au total, à raison de 45 recherches en moyennes pour planter un arbre. D’ici 2020, la jeune pousse fêtera sûrement son premier milliard de végétaux plantés. Et ce n’est pas tout, en plus de reboiser les forêts, ECOSIA s’engage à limiter ses émissions de CO2 : une solution alternative pour concilier technologie et environnement.

par leurs recherches.

moins connus tels que l’accueil des enfants orphelins au Sénégal ou encore la protection des phoques en baie de Somme.

Ces dons sont représentés par un compteur de “gouttes” et sont reversés à de nombreuses associations ou autres ONG (Organisations Non Gouvernementales). Chaque semaine, un nouveau projet passe en financement et l’argent collecté est reversé mensuellement aux projets. A titre d’exemple, les utilisateurs de Lilo financent en ce moment les associations Sea Shepherd, la SPA, Médecins du Monde et WWF, mais également des projets à plus petite échelle et

Chaque goutte d'eau a une valeur qui varie entre 0,002 et 0,003 €. Grâce à ce système de “métamoteur”, le site interroge les algorithmes des plus grands moteurs de recherche et s’avère être aussi performant et pertinent que ces derniers. Lilo possède également une empreinte carbone neutre afin de limiter son impact environnemental.

Cela se passe sur Ecogine. Ecogine.org est traduit par "Moteur de recherche

Et pour les fans du un moteur de recherche associatif dont les écologique". L'association ecogine.org « made in France »… bénéfices sont reversés à des associations est née le 9 avril 2008. Elle a été créée

environnementales choisies par le vote par trois étudiants de Polytech'Nantes, des internautes. Le nom "Ecogine" est la école d'ingénieurs de l'université de contraction de "Ecological search Engine" Nantes. Aujourd'hui, une partie de

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Dossier la gestion du site a été confiée à l'Association « Pour les Enfants du Pays de Beleyme », une association d’éducation à l’environnement installée en Dordogne. Une autre particularité d'ecogine. org, est d'être le seul moteur à offrir des photos haute définition en fond d'écran qui égayent les

recherches des internautes. Ces photos représentent uniquement des paysages, ou éléments naturels sans activité humaine visible, ce qui valorise souvent le travail d’un photographe professionnel ou amateur. De plus, afin de limiter son impact sur l'environnement, le site compense les gaz à effet de serre (GES) émis lors des

recherches des utilisateurs. Chaque année, une partie des recettes est ainsi redistribuée à un organisme de compensation qui finance des projets visant à réduire les émissions de GES dues aux activités humaines.

Lilo : le nouveau moteur de recherche qui permet de financer gratuitement des projets sociaux et environnementaux innovants. Marion Pivert L'urgence environnementale se fait sentir partout dans le monde. Les alertes citoyennes, scientifiques, médiatiques, voire gouvernementales sur l'impact de la pollution et de la surexploitation des ressources sur la santé humaine et la durabilité de notre planète semblent faire leur chemin. En témoigne la multiplication des initiatives pour l'avènement d'un monde durable (recyclage : bank of plastic, énergies renouvelables, transports et maisons durables, etc.) ainsi que la multiplication des manifestations pour le climat, qui réunissent un nombre croissant de citoyens. C'est cette urgence environnementale qui pousse de plus en plus de citoyens à développer leur projet durable, au vu de la lenteur des politiques gouvernementales plus préoccupées par la croissance du PIB et l'attraction des entreprises que par la préservation de l'environnement. Parmi ces projets, on trouve ceux proposant une alternative écologique et socialement responsable aux moteurs de recherche internet traditionnels comme Google. Car le géant de l'internet est lui aussi bien plus intéressé par la croissance de ses profits que par sa responsabilité

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écologique : selon une étude de 2015 réalisée par la Global e-sustainability, Google est le plus grand pollueur du secteur numérique, avec une activité qui représente 40% de l'empreinte carbone de l'ensemble d'internet. La responsabilité est aussi sociale : Google, par le biais d'un montage fiscal faisant intervenir les PaysBas, l'Irlande et les Bermudes, s'affranchit impunément d'impôts nécessaires aux États pour leurs programmes sociaux par exemple). Parmi ces innovants moteurs de recherche on trouve notamment Lilo, créé par de jeunes Français en 2015. Le principe est simple : chaque recherche que vous effectuez sur internet rapporte de l'argent au moteur de recherche (Google en général) du fait des publicités générées. Si Google utilise cet argent pour augmenter ses profits, Lilo vous propose de convertir l'argent issu de chaque recherche en goutte d'eau. Ces gouttes d'eau vous serviront ensuite à soutenir le projet social ou écologique de votre choix, tels que la construction d'écoquartier ou de villages avec l'association Colibris, le soutien aux migrants avec l'association la Cimade, lutte contre l'élevage industriel avec CIWF France, etc. Faisant le choix d'une politique de transparence, Lilo présente clairement l'utilisation qu'elle fait des gains issus de nos

recherches: 50% est converti en goutte d'eau et utilisé par vous et moi pour financer les projets sociaux et environnementaux, 45% est utilisé pour le fonctionnement de l'entreprise et 5% est investi dans la recherche visant à réduire l'empreinte carbone qu'accompagne l'utilisation d'internet. En plus de vous permettre de financer gratuitement des projets sociaux et environnementaux, Lilo constitue également une plateforme de financement pour de nouveaux projets. Ainsi, tous ceux qui le souhaitent peuvent soumettre leur projet sur le site, sous réserve que le projet soit déjà constitué par une structure légale et bénéficie d'une communauté de 2000 personnes minimum. Ce projet sera alors financé par les utilisateurs de Lilo, à travers les gouttes d'eau. Enfin, il faut ajouter l'engagement de Lilo pour le respect des données des utilisateurs puisque l'entreprise promet de ne pas collecter ni vendre les données de ses utilisateurs. La révolution sociale et écologique dont notre monde a besoin ne se fera pas sans nous. Bien que nous n'ayons pas tous vocation à nous investir dans ce domaine, une participation a minima est possible, notamment grâce à ce moteur de recherche. La seule chose que vous ayez à faire est de télécharger l'application Lilo. Alors n'hésitez pas !

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Le tourisme, une menace silencieuse Théo Giubilei “L’été qui s’enfuit est un ami qui part”. Ce sentiment nostalgique évoqué avec justesse par Victor Hugo a dû être éprouvé par bon nombre de touristes rentrés de voyage et qui ont vu arriver la fin des beaux jours. Cette année encore, plus d’un milliard de personnes ont franchi ou franchiront une frontière internationale. Le tourisme emplit les esprits de souvenirs mais à un coût non négligeable, un coût écologique notamment.

milliard touristes internationaux et, avec un chiffre qui devrait avoisiner les 1,8 milliard d’ici à 2030, l’impact du tourisme ne doit pas être sous-estimé. Taleb Rifai, Secrétaire Général de l’OMT, souligne d’ailleurs que “comme n’importe quelle activité humaine, le tourisme présente des atouts et des inconvénients”. Et des inconvénients il y en a. Une étude parue dans la revue Nature Planet Change le 7 mai dernier montre que le tourisme représente

progression du tourisme étant corrélée au développement du niveau de vie. Si on ne peut nier les bénéfices économiques et sociaux liés au tourisme de masse, celuici constitue une grave menace pour les espaces naturels où il se concentre généralement. Les petits pays comme les Maldives, l’île Maurice, Chypre ou les Seychelles en souffrent largement, le tourisme international représentant entre 30% et 80% des émissions de gaz nationales.

8% des émissions de gaz à effets de serre (en prenant en compte le transport, l’hébergement et la nourriture), soit plus que les 6% des émissions liées aux habitations (chauffage et cuisine) et plus de la moitié des émissions liées au secteur des transports dans son ensemble, qui en représente 14%. Pour l’équipe de scientifiques australo-taïwanais ayant réalisé cette étude “le transport, le shopping et la nourriture sont des contributeurs significatifs”. Sans surprise, la plus grande empreinte carbone liée au tourisme provient des pays les plus développés : la

Le littoral méditerranéen, qui concentre un tiers du tourisme mondial connaît quant à lui de nombreux problèmes d’érosion et de pollution. Même la chaîne himalayenne n’est pas épargnée : l’activité touristique entraîne une surexploitation du bois comme combustible, la dégradation des réseaux de sentiers, la contamination des cours d’eau, la pollution des régions les plus fréquentées en l’absence de moyens adéquats et de politiques pour gérer et disposer des milliers de tonnes de déchets laissés chaque année sur les itinéraires

Activité ancienne, phénomène récent Selon la définition donnée par l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), “un touriste est une personne qui séjourne plus de vingt-quatre heures en un lieu autre que son environnement habituel, et pour quelque raison que ce soit”. C’est avec Thomas Cook, homme d’affaires britannique que naît le tourisme tel que nous le connaissons. Il crée les premiers voyages organisés sur le territoire britannique dans les années 1840. Plus tard avec la révolution des transports, l’accès à l’automobile familiale, le développement des voyages commerciaux par avion, le système de réservation à distance, l’essor de sites dédiés au tourisme comme Tripadvisor, la création de Google Maps, entre autres, le nombre de touristes connaît une croissance fulgurante. En 1955, l’académicien André Siegfried écrivait d’ailleurs “le développement du tourisme suit fidèlement celui de la société”.

Pollueur majeur En 2017, l’Organisation mondiale du tourisme a recensé 1,322

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Dossier de trekking. Le tourisme de masse est également accusé de participer à la disparition progressive des récifs coralliens. Les maux sont nombreux.

Partir plus responsable Alors que faire? Ne plus partir du tout? C’est un moyen qui réduirait drastiquement l’émission de gaz à effets de serre, certes. Toutefois ce n’est ni viable ni préférable tant les conséquences économiques seraient désastreuses pour des pays dont le tourisme représente une grande part de leur économie. Ce serait le cas Chypre où il représente environ 12% du PIB. Ne plus partir trop loin? L’Alsace et la Lorraine c’est bien joli

mais pas très dépaysant et on en a rapidement fait le tour. Ce serait à l’inverse de l’idée de découvertes et d’enrichissement par la rencontre. Il est important d’élargir notre champ de réflexion et de compréhension de l’autre. Ce n’est donc pas non plus un moyen réaliste. Mais voyager autrement est possible, tout du moins voyager plus responsable. Il y a des gestes simples, évidents, comme ne pas jeter ses déchets à la plage et plus largement par terre ; trier même en vacances ; privilégier les transports en commun sur place, entre autres. Ensuite il est important de bien choisir sa destination et son hébergement. Créé en 2003, l’Ecolabel Européen Services d’hébergement touristique a permis à des établissements d’afficher différents engagements : faible consommation d’énergie, faible consommation d’eau, faible production de déchets, utilisation de sources d’énergie renouvelable et éducation des clients en matière d’environnement. Les services de camping peuvent également être labellisés. Cette

labellisation répond à des critères stricts décrits dans des cahiers des charges communs à tous les pays de l’UE. Se diriger vers ce type d’établissement permet de s’éloigner des hôtels à la consommation d’eau et à la production de déchets gargantuesques et donc de réduire son empreinte écologique (notons que d’autres labels existent comme la “Clef verte”, label international ou bien “Gîtes Panda”, label national). Il est également important de choisir son transport en fonction de son émission de CO2. Pour déterminer son émission par trajet, des éco-comparateurs existent (notamment sur le site de l’ADEME). Par exemple, pour un trajet de 2000 km (aller et retour compris), le bilan CO2 est de 284 kg pour le transport par avion (moyen courrier), un nombre qui monte à 341 kg pour le transport avec une voiture moyenne. L’utilisation d’un train grande ligne fait descendre ces chiffres à 23,6 kg. Le TGV est généralement toujours préférable à la voiture, à l’avion et à la moto.

De nombreuses autres façons de faire de l’écotourisme existent, comme la plongée responsable. Pour plus d’informations sur le tourisme durable, responsable, participatif ou solidaire, on peut se tourner vers le site internet www.voyageons-autrement.com.

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Dossier

La civilisation humaine doit opérer une révolution écologique «En matière d’évolution du climat […], au-delà d’un certain seuil, une augmentation des températures pourrait provoquer des changements brusques, imprévisibles et potentiellement irréversibles dont les conséquences, à grande échelle, seraient dévastatrices. A cette étape […] on peut comparer la situation à une panne soudaine de la direction et des freins d’une voiture : dès lors, le conducteur n’a plus la moindre prise ni sur le problème ni sur ses conséquences. » "What We Know: The Reality, Risks and Response to Climate Change", rapport de l’association américaine pour l’avancement des sciences, le plus grand rassemblement de scientifiques au monde, 2014

TRIBUNES LIBRES

Le grand échec gouvernements

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des

En 2009 se sont réunis à Copenhague les gouvernements du monde pour parer à la crise écologique majeure que traverse l'humanité. Cette conférence apparaît comme une date mémorable de l'organisation des grands de ce monde face au changement climatique. Elle demeure également comme la date mémorable du renoncement à un changement de système pourtant nécessaire.

Des mesures insuffisantes Ce jour-là, les organisations politiques représentant l'ensemble des sociétés humaines parviennent enfin à se mettre d'accord sur un objectif ambitieux en terme d'écologie. Ils s'engagent à une série de mesures pour maintenir les températures moyennes sous +2°C par rapport à l'ère préindustrielle. Ils émettent même le souhait fort de le maintenir sous +1,5°C pour sauver une cinquantaine d’États insulaires de la montée des eaux. Un premier problème est apparu depuis : la série de mesures que les gouvernements du monde se sont engagées à adopter sont insuffisantes. La COP21 à Paris en 2015 a vu les gouvernements se rassembler pour définir des mesures à adopter. Malgré l'emballement médiatique et politique positif autour de cette COP21 les engagements des gouvernements sont grandement insuffisants.

Nino Toussaint A supposer que tous les États du monde respectent leurs engagements, les températures mondiales dépasseraient tout de même les seuils critiques. Des simulations ont été menées à partir des engagements pris par les gouvernements à Copenhague et poursuivis lors des COPs ultérieures. Elles montrent que le respect des engagements pris mènerait tout de même à une augmentation plus de +3°C. Une telle augmentation des températures menace directement des millions de personnes qui seront chassées de leurs terres par la montée des eaux. Elle condamne de nombreux petits États à la disparition. Elle va mener à une augmentation considérable des phénomènes climatiques extrêmes comme les typhons par exemple, dont nous subissons une série noire en cette fin d'été, faisant des ravages économiques et humains dans des pays émergents comme développés.

Un engagement politique mondial introuvable De plus, la conférence de Copenhague marque l'impossibilité de trouver une véritable solution mondiale à ce problème pourtant éminemment mondial. L'accord trouvé alors est en effet un accord de dernière minute qui n'a pas été officiellement accepté par tous les États présents. Il est le résultat de négociations entre 26 pays, menées essentiellement à huis clos par les États-Unis, l’Inde, la Chine, le Brésil et l’Afrique du Sud. Les autres États n'ont fait que « prendre note » de l’accord lors de la séance de clôture. Mais le véritable problème de cet accord, voire de l'ensemble des accords sur le climat depuis l'échec

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Dossier Réunion d’État sous-marine du gouvernement des Maldives appelant à trouver un accord mondial sur le climat à la conférence de Copenhague. Audelà de +1,5°C d'augmentation des températures, les Maldives sont condamnées à disparaître sous les eaux. Ce seuil a été atteint fin 2015.

du protocole de Kyoto de 1997, est plus grave encore. C'est le fait qu'ils ne sont pas contraignants. En effet, aucun organe ni mécanisme pour mettre en œuvre une sanction contre les États qui dérogeraient aux traités n'est prévu. Dès lors, les gouvernements risquent tout au plus une sanction symbolique : celle d'être désigné comme celui refusant d'appliquer les accords sur le climat. Mais dans le contexte actuel, marqué par des gouvernants se moquant de l'opinion internationale, cette sanction paraît bien trop faible pour mener à un respect des accords, que ce soit en Russie, aux États-Unis, en Chine ou même en Europe... Pourtant, dans la même période politique, pour des sujets considérés comme autrement plus importants, à savoir l'organisation des échanges capitalistes mondiaux, les gouvernements ont agi. Une alliance mondiale a été trouvée, et a réussi à mettre en place une organisation internationale puissante possédant un pouvoir de sanction contre les États qui dérogeraient aux règles : l'OMC.

La catastrophe mondiale est annoncée Cette incapacité des gouvernements à s'organiser et à prendre au sérieux la crise écologique majeure à laquelle nous faisons face a des conséquences réelles. De fait, nous nous orientons aujourd'hui rapidement

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du niveau de la mer qui mettra des vies en danger. [...] De plus, il n'existe aucune certitude que l'adaptation à un monde plus chaud de 4°C soit possible. »"Baissons la chaleur : phénomènes climatiques extrêmes, impacts régionaux et plaidoyer en faveur de l’adaptation" Rapport du Groupe de la Banque Mondiale, 2013

vers le dépassement des +2°C, et il est certain que nous dépasserons allégrement ces températures à court terme.

Des alertes majeures Les alertes se succèdent prévenant de la nécessité de prendre des actions immédiates pour réduire et parer aux effets du réchauffement climatique. Le 3 septembre de cette année, 200 personnalités françaises de tous les milieux signaient une tribune dans Le Monde : « Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité ». Elles insistent sur la nécessité immédiate et vitale pour tout gouvernement de faire « de la lutte contre ce cataclysme [son] objectif premier et revendiqué ». Des institutions d'ampleur mondiale avertissent de scénarios qui se rapprochent de plus en plus d'un film de fin du monde. Ainsi la Banque Mondiale estime dans un rapport de 2012 que sans une action de grande ampleur, les températures pourraient augmenter en quelques dizaines d'années jusque +4°C. Le Groupe de la Banque Mondiale reprend cette estimation en 2013 :

« Au train où vont les choses, le monde [de la fin du siècle] sera plus chaud de 4°C et sera marqué par des vagues de chaleur extrême, un déclin des réserves mondiales de nourriture, la perte d'écosystèmes, l'appauvrissement de la biodiversité et une hausse

Pour d'autres observateurs, comme l'Agence Internationale de l'Énergie dans un rapport de 2011, l’augmentation des températures pourrait atteindre +6°C. « Même un écolier est en mesure de comprendre qu'un réchauffement d'une telle ampleur aurait des conséquences catastrophiques pour chacun d'entre nous. » commente l'économiste en chef de l'agence. La Doomsday Clock, une horloge conceptuelle gérée par un comité de scientifiques de l'Université de Chicago, sur laquelle minuit représente la fin du monde, nous donne une alerte de plus. Elle a été créée en pleine guerre froide pour avertir de l'imminence possible d'un hiver nucléaire, et avait atteint son point le plus proche de minuit en 1958, il était alors 23h58 sur l'horloge de la fin du monde. Elle a ensuite reculé en 1960 suite à des apaisements de la guerre froide. Aujourd'hui, elle prend également en compte le changement climatique, et en 2018, elle a de nouveau atteint 23h58 en raison de « l'incapacité des dirigeants mondiaux à faire face aux menaces imminentes d'une guerre nucléaire et du changement climatique. ».

Ce qui risque d'arriver a déjà commencé Selon les plus grandes organisations et spécialistes de la planète, le constat est donc clair. Le réchauffement climatique est aujourd’hui inéluctable à court terme. Mais en réalité, il a déjà commencé. Nul ne peut manquer les vagues de chaleur successives qui s'abattent, entre autres sur l'Europe et en France, marque de la dérégulation

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Révélation de la Doomsday Clock à l'occasion de la publication 2018 du "Bulletin of the Atomic Scientists" "It is 2 minutes to midnight"

du climat. Des températures extrêmes sont mesurées partout sur la planète. Cette année, pour la première fois, les glaces les plus solides du pôle Nord se sont fracturées, marquant un point de non-retour. Les territoires vivables pour notre espèce dans le monde se raréfient. L'IDMC (Internal Displacement Monitoring Centre) dénombre déjà plusieurs millions de réfugiés climatiques. Selon l'ONU, le changement climatique pourrait donc jeter 250 millions de personnes sur les routes d'ici à l'année 2050. A titre de comparaison le nombre de Syriens ayant quitté leur pays en guerre, n'atteignait "que" 5 millions en 2017. Pourtant, les gouvernements d'Europe ont déjà les plus grandes difficultés politiques à résister au repli sur soi et à l'envie d'autoritarisme face à cette "vague migratoire", cela même alors que la grande majorité des réfugiés le sont dans des pays voisins. L'impact de l'être humain sur le reste de la planète est désormais établi partout. En terme historique, nous rentrons de plein-pied dans l'anthropocène. Des particules nucléaires issues des explosions à Hiroshima et Nagasaki ont ainsi été retrouvées conservées jusqu'aux glaces vierges de l'Antarctique. La crise écologique s'aggravant de plus en plus, nous sommes aujourd'hui arrivés à une situation qui est celle de la sixième extinction de masse des espèces depuis le début de l'existence terrestre. Selon les prévisions qui se veulent alarmistes, dans le prochain centenaire,

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l'humain pourrait faire partie des espèces qui disparaîtraient.

Le réchauffement n'est pas linéaire Si de telles prévisions alarmistes sont faites par de grands instituts et que l'on peut même observer les effets de ce réchauffement climatique, pourquoi ne semblonsnous pas nous en apercevoir dans notre quotidien ? Au-delà des enjeux sociologiques, politiques et philosophiques soulevés par cette question, la première réponse est mathématique. La courbe des températures mondiales, en cette période de réchauffement, n'est et ne sera, en effet, pas représentative d'une fonction linéaire. Cela signifie que le réchauffement climatique n'est pas graduel, et explique notamment pourquoi, alors que la production de Gaz à Effet de Serre (GES) continue toujours d'augmenter, la décennie 20002010 a connu une certaine stabilité de températures, tandis qu'elle a été précédée et suivie par des périodes de réchauffement brusque du climat mondial. En effet, le réchauffement climatique est un phénomène qui se produit par paliers. Le climat est en effet un système dit métastable. Sa stabilité est suffisante pour que des changements de faible ampleur soient contrecarrés par de nombreux mécanismes. Mais un changement de trop grande ampleur, tel que celui que nous sommes en train d'induire, dépasse

largement ces mécanismes et peut mener à des bouleversements qui in fine rompraient totalement la stabilité du système. Les océans s'approchent dangereusement de leur point maximal d'absorption de chaleur, tout comme les forêts mondiales pour les GES. Au-delà, la perturbation des cycles marins et la saturation des organismes végétaux risquent de tout renverser, et au lieu de rester nos remparts face à un réchauffement incontrôlé de la planète, ces deux systèmes y contribueront activement. Aujourd'hui, la modification du fonctionnement océanique fait remonter des blocs de glace de méthane qui, en passant dans l’atmosphère, va à son tour contribuer au réchauffement climatique : il s'agit d'une réaction en chaîne comme d'innombrables peuvent survenir au sein du système global de notre planète. Ainsi, même si nous stoppions nos productions de GES dès aujourd'hui et adoptions un système politique et économique entièrement compatible avec l'environnement les bouleversements climatiques continueraient de se produire sur des décennies voire des siècles, de manière peut-être irréversible.

Les causes sont structurelles Devant l'ampleur de la catastrophe qui s'annonce deux questions s'imposent : quelles sont les causes de ce dérèglement ? Pourquoi ne réagissons-nous pas ?

La cause de la catastrophe écologique Elle est principalement causée par la surproduction et surconsommation continue au nom des envies humaines qui a pillé les ressources de la planète, notamment les ressources fossiles. Et, pour alimenter cette civilisation qui souhaite toujours plus, la production continue de toujours

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Dossier plus d'énergie, notamment en relâchant d'énormes quantités de GES dans l’atmosphère. En effet, les progrès techniques, sans aucun encadrement dans leurs utilisations, usages et applications, ont mené à une surutilisation des matières premières de la planète. Le symbole de cette surexploitation au niveau mondial est le jour du dépassement. Ce jour de l'année est celui où l'humanité a dépensé toutes les ressources que la Terre peut régénérer au cours de ladite année. En 2018, le jour du dépassement a été atteint plus tôt que jamais, le mercredi 1er août. Ce qui signifie que pour les cinq derniers mois de l'année, l'humanité a vécu à crédit environnemental, en continuant de puiser des ressources impossibles à rembourser à la Terre : cela ne pourra plus durer longtemps.

La cause de la procrastination environnementale « Si nous choisissons de relever ce défi [réduire les émissions de GES], il semble que nous pourrons ralentir substantiellement le rythme du changement climatique, ce qui nous laissera le temps de concevoir des mécanismes permettant de réduire les coûts sociaux et les dommages infligés aux écosystèmes. Mais nous pourrions au contraire décider de fermer les yeux en espérant que tout aille pour le mieux, pour n'assumer les coûts que lorsque la facture arrivera à échéance. » Un scientifique de l'assistance Sommet de la Terre de Rio en 1988

au

Si en 1988, lorsqu'un grand rassemblement international avait souhaité se saisir d'objectif précis de réduction des GES pour la première fois, cette réunion avait effectivement mené gouvernements et grandes entreprises à prendre des actions en ce sens, tout aurait pu être

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différent. Il aurait en effet suffi alors d'efforts modérés pour améliorer considérablement la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Mais comme le souligne le climatologue Michael Mann, « l'amende à la procrastination est forte s'agissant des gaz à effet de serre ». Les changements devront être bien plus radicaux. Alors, pourquoi un tel retard de l'engagement de réelles politiques sur le climat ? La cause de cette procrastination est évidente est connue des tous. Du moins, c'est ce que l'on pourrait croire. Ainsi le 4 août, un seul article à occupé l'intégralité du New York Times est celui de Nathaniel Rich, traitant l’absence de réaction face à la crise climatique mondiale dans les années 80, à l’époque où du point de vue scientifique la question était réglée, mais aussi où les opinions politiques semblaient tenir compte de ce point de vue. Voilà le genre d'exposition que le changement climatique doit avoir ! Selon Rich, à la fin des années 1980, tous les éléments nécessaires pour lancer un programme mondial d'envergure contre le changement climatique existaient : « Toutes les conditions du succès étaient réunies ». Il poursuit par un cri en pleine page : « Tous les faits nous étaient connus, aucun obstacle ne barrait la voie. C’est à dire … aucun, à part nous-mêmes. » Rich accuse donc tout au long de l'article la « nature humaine ».

« Les êtres humains, qu’ils soient membres d’organisations mondiales, de démocraties, d’entreprises, de partis politiques, ou simplement en tant qu’individus, ont conscience du châtiment qu’ils infligeront aux générations futures, mais ils se révèlent incapables de sacrifier leurs habitudes de consommation présentes pour autant. On dirait que nous sommes incapables de nous détacher de notre obsession du présent, notre souci du moyen

terme, notre tendance à chasser le long terme de nos esprits, comme on recrache un poison ». Nathaniel Rich, le 4 août 2018 dans le New York Times

L'étude de ce travail "d'historien" par la journaliste canadienne Naomi Klein dans son article "Capitalism killed our climate momentum, not "human nature"" paru sur le site The Intercept révèle l'erreur dans la défense de cette position. Celleci ne prend aucunement compte de la réalité des oppositions d'intérêt, notamment celles des grandes firmes pollueuses, qui ont pour l'instant tout intérêt à continuer leur commerce. Or, à chaque réunion citée par Rich, selon Naomi Klein, la présence de lobbyistes de ces grands groupes industriels a bloqué les décisions politiques qui auraient dû être prises. Elle utilise cette métaphore : « Essayez d’imaginer un gouvernement étasunien qui chargerait l’industrie du tabac de rédiger les politiques visant à interdire de fumer. Au cas où ce type de réunions échouerait à prendre la moindre mesure concrète, devraiton en conclure à la tendance suicidaire des populations ? Devrait-on, au contraire, pencher pour la corruption d’un système politique à l’agonie ? » Ainsi, s'il apparaît que cette décennie aurait pu être celle de la lutte contre le réchauffement climatique, elle a surtout été celle de l'expansion à la planète entière du modèle néolibéral après la chute du bloc communiste.

La responsabilité des pays occidentaux En tant que premiers émetteurs de GES, les pays occidentaux et développés sont les premiers responsables de la crise mondiale. Ce sont également ceux qui subissent le moins les conséquences du réchauffement climatique aujourd'hui, qu'il s'agisse d'une hasard cruel de la géographie ou

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Dossier d'une conséquence et héritage des systèmes coloniaux. Dès lors et dans le futur, les pays qui ont largement moins contribué au réchauffement climatique, mais en subissant les conséquences de plein fouet, vont avoir la légitimité de se présenter comme "créanciers climatiques". Ainsi, ils pourraient réclamer l'argent et le soutien des grands émetteurs pour couvrir les coûts exorbitants induits par les catastrophes naturelles et pour permettre à leurs économies en développement de se diriger vers des modèles verts notamment en termes d'énergie.

« Des millions de personnes [...] d'un peu partout dans le monde subissent les conséquences néfastes d'un problème auquel elles n'ont pas contribué. [...] Pour inverser la courbe des émissions d'ici dix ans, il nous faut une mobilisation massive, la plus importante de tous les temps. Il nous faut un plan Marshall pour la planète. Ce plan devra prévoir des transferts financiers et technologiques d'une ampleur inédite ; il devra apporter la technologie sur le terrain, dans chaque pays, pour assurer à la fois la réduction des émissions et l'amélioration de la qualité de vie des populations. » Discours de Navarro Llanos, déléguée bolivienne au climat aux Nations Unies, en 2009

La crise économique mondiale battant son plein lorsqu’à été prononcé ce discours, elle a immédiatement enterré cette idée d'un plan Marshall pour la planète. Ainsi, pour parer à un phénomène sur lequel les scientifiques du monde entier reconnaissent, en appliquant des principes d'humanité, il est impossible de se mettre d'accord. Au contraire, beaucoup d'argent est dépensé lors de cette crise pour opérer un sauvetage des banques par les États, au nom des lois de l'économie qui, décrivant le fonctionnement des sociétés humaines du point de vue des échanges, se voient prêter des fonctions normatives imposant un

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modèle de société qui détruit nos chances globales de vivre sur notre planète dans quelques décennies.

Civilisation contre humanité Tout ceci est la preuve d'un problème d'ampleur mondiale qui résulte de l'incompatibilité de notre modèle civilisationnel basé sur une croissance infinie, une consommation excessive et un commerce sans freins avec notre environnement dont les ressources sont finies. Ces deux systèmes sont tellement en contradiction qu'ils ne pourront cohabiter très longtemps. L'un finira par disparaître. Mais en réalité, notre environnement ne pourra jamais disparaître : arrêtons de nous croire maîtres-ses de ce monde. Cette posture issue des valeurs religieuses chrétiennes notamment nous amène à un aveuglement certain nous empêchant de nous rendre compte que notre civilisation capitaliste et l''humanité, ne sont pas des entités distinctes de notre environnement, mais en sont des composantes. Dès lors puisque notre civilisation rentre en opposition avec son environnement, qui est le seul de l'univers connu à permettre la vie humaine, c'est notre modèle social, politique et économique ou l'humanité qui disparaîtra. Cessons donc de croire que c'est l'environnement et son changement qui s'opposent à notre société, ou à l'humanité : en réalité nous sommes devant un affrontement entre notre modèle de civilisation et l'humanité ellemême. Notre responsabilité devant ce constat est de choisir notre camp : sommes-nous pour la poursuite de notre modèle sociétal qui finira par détruire l'humanité pour disparaître lui-même ? Ou sommes nous pour la survie de l'humanité ? En réalité seul ce second choix

est moralement possible. Dès lors, il s'agit pour nous sauver tous de radicalement changer notre modèle de société.

Des changements nécessaires

sont

Face à ces constats d'échecs politiques, d'échecs écologiques, qui vont entraîner de puissantes tensions internationales, des millions de réfugiés climatiques sur les routes, nous devons de toute urgence trouver des changements réalisables, pour ne pas continuer dans le changement climatique et en atténuer autant que possible les effets, ainsi que pour gérer ceci. Nous arrivons dans une période de crise forte pour l'humanité. Cela est bien entendu terrible, mais il apparaît également que cela sera notre chance. Les périodes de crise sont utilisées ces dernières décennies pour faire passer les mesures néolibérales permettant de libérer les marchés des entraves étatiques, comme cela est par exemple analysé dans La Stratégie du Choc : la montée d'un capitalisme du désastre par Naomi Klein. En utilisant des mécanismes similaires, les chocs nous permettront de révolutionner le système pour rendre la civilisation humaine compatible avec son environnement. Dans tous les cas, notre système politique laissera sa place à un autre.

Chacun-e pour soi ou toute-s ensemble « A l'époque [en 1992] ou même au tournant du millénaire, il aurait été possible de respecter l'objectif des 2°C en procédant à des changements progressifs au sein du système politique et économique dominant. Cependant, le changement climatique est le fruit de phénomènes cumulatifs ! Nous [...] devons maintenant composer avec un tout autre destin. Notre continuelle surconsommation de combustibles fossiles nous a fait rater toute possibilité

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Dossier de procéder au "changement progressif" [...]. Aujourd'hui, après 20 ans de simulacres et de mensonges, le respect de la limite de réchauffement de 2°C nécessite d'apporter des changements révolutionnaires au système politique et économique dominant. »

Kevin Anderson, directeur adjoint du Tyndall Centre for Climate Change Research "Why Carbon Prices Can't Deliver the 2°C Target", 2013

Nos civilisations vont glisser dans les prochaines décennies dans des temps de plus en plus durs. Devant ce constat nous devons de toute urgence opérer un choix de société. Le choix est notre et est déjà connu : ce sera chacun-e pour soi ou tou-te-s ensemble. Le chacun-e pour soi est le chemin civilisationnel où les riches des sociétés occidentales continuent leurs démarches d'accumulation matérielle au mépris de tous les dangers écologiques et des impacts sociaux, pensant que leur richesse leur permettra de se protéger, elleux et leurs familles, des conséquences désastreuses du changement climatique. Idée par ailleurs trompeuse : aucune institution si bien organisée soitelle ne peut résister longtemps à un enchaînement trop rapide de catastrophes climatiques. Cela est d'ailleurs très bien démontré dans Comment tout peut basculer : petit manuel de collapsologie à l'égard des générations présentes, de Pablo Serville et Raphaël Stevens. Pour ne prendre qu'un seul argument, rappelons que le réchauffement climatique si rien ne se modifie par rapport aux tendances actuelles pourrait faire monter le niveau moyen de la mer de deux mètres à l'horizon 2100. Or, l'humanité est une civilisation côtière. Selon Stephane Hallegate dans l'article scientifique "Future Flood Losses in Major Coastal Cities" de 2013, on compte parmi les grandes villes vouées à passer sous les eaux : Boston, New York, Los Angeles, Vancouver, Londres, Bombay, Hong-Kong et Shanghai.

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Le chacun-e pour soi est donc le chemin que nous ne devons surtout pas emprunter. C'est l'idéologie qui mène vers les scenarii dystopiques des blockbusterscatastrophe de nos jours : Mad Max, Les Fils de l'Homme, Hunger Games, Elysium... Le tou-te-s ensemble est le chemin civilisationnel où nous choisissons collectivement de mettre un terme aux folies qui nous sont dictées par cette volonté de s'enrichir toujours plus au sein d'un monde aux ressources finies. Il s'agit d'imposer et d'organiser collectivement la transition de larges pans de nos économies et de nos industries vers des modèles compatibles aux impératifs écologiques, de se diriger massivement à très court terme vers les technologies carboneutres et les énergies renouvelables, de réorganiser les appareils étatiques pour rendre de toute urgence notre civilisation compatible avec l'environnement... Ce tou-te-s ensemble doit prendre en compte l'explosion des inégalités à l'échelle mondiale qu'engendre et engendrera le changement climatique. Il doit prévoir de toute urgence des moyens d'apporter de l'aide d'urgence à des centaines de millions de personnes. Il doit se préparer à organiser des flux humains d'une ampleur inconnue jusqu'alors, non pas en rejetant à la mer nos semblables, mais en organisant leur accueil au sein de zones sûres partout dans le monde. La stratégie du tou-te-s ensemble a ses chances d'emporter la bataille idéologique dans la période qui s'amorce. En effet, en période de crise humanitaires, les valeurs de solidarité augmentent. L'humanité se ressent des les crises comme une flamme beaucoup plus vive que dans les périodes d'abondance, comme le prouve A Paradise Built in Hell de Rebecca Solnit en 2009. Ce tou-te-s ensemble suppose cependant que nous soyons conscients que les conséquences

de actions de notre civilisation dans les dernières décennies se produiront dans les prochaines. En raison de cela, nous devons mettre en place dès aujourd'hui des infrastructures, institutions, plans et systèmes sur la base de coopérations internationales les plus larges possibles.

Il faut changer au niveau global Par où pourrait survenir la révolution nécessaire ? Il est impossible de compter sur des startups de l'environnement et des actions locales politique ou associative : aucune action locale ne peut nous sauver seule. Il est impossible de compter sur les industries et grandes firmes dont l'objectif est de faire du profit, si nécessaire en créant et adaptant des marchés dans le contexte réchauffement climatique, mais perdant trop d'argent si elles cherchaient à y remédier : marché du carbone, marché des assurances contre les phénomènes climatiques extrêmes... Il est impossible de compter sur un-e milliardaire providentiel : les superhéros, ça n'existe pas. Il est impossible de compter sur des avancées technologiques majeures telles la géo-ingénierie : les risques engendrés seraient gigantesques et nous avons prouvé notre incapacité à comprendre le climat dans son ensemble.

Nous devons nous organiser politiquement Mais alors, par où peut survenir notre changement de modèle de société ? C'est la question majeure de la troisième partie, intitulée "Parce qu'il faut bien commencer quelque part" de Tout Peut Changer : Capitalisme et Changement climatique, de Naomi Klein, publié en 2015, l'essai qui a largement inspiré cet article. Cet ouvrage prouve que la seule solution qui s'offre à nous passe par un changement global et proprement politique. Au niveau structurel, nous devons faire une révolution : c'est à dire nous réorganiser en

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Dossier prenant en compte les intérêts à long terme des humain-e-s dans toutes nos actions. Certains mouvements politiques se nourrissent aujourd'hui de ce constat : il s'agit pour exemple en France de La France Insoumise ou aux États-Unis de Our Revolution, dont les leaders sont respectivement Jean-Luc Mélenchon et Bernie Sanders. Ces mouvements intègrent au cœur de leur programme les mouvements écologistes et prônent une rupture de société. Rien ne saurait prouver définitivement que les propositions de ruptures soient suffisamment efficaces : mais elles existent. On peut toutefois supposer qu'il peut exister des mouvements pouvant apporter une idée de rupture nécessaire à la survie de l'humanité et n'héritant pas de la gauche radicale, bien qu'actuellement ces idéologies et propositions politiques doivent encore se construire. En somme, il s'agit pour l'humanité d'inventer puis faire appliquer de toute urgence un capitalisme radicalement différent de celui d'aujourd'hui, compatible avec le climat, dont le modèle reste à être trouvé, ou de sortir de celui-ci pour tenter d'éviter la catastrophe. L'action que nous devons mettre en œuvre est donc une action de masse. En tant qu'action de masse elle doit nécessairement être portée par la population du monde, et voir son idéologie conquérir les institutions nationales et internationales.

Il faut agir au niveau international Par essence, tout changement global va devoir être porté au niveau international. Sur ce terrain, certains signes peuvent nous donner de l'espoir : ainsi le 9 septembre, le secrétaire général de l'ONU, M. Antonio Guterres, a lancé un discours à l'attention des dirigeants nationaux, affirmant que « Nous devons rompre avec la paralysie ».

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« Nous sommes à un moment décisif. Si nous ne changeons pas de trajectoire d’ici 2020, nous risquons de rater le moment où nous pouvons encore éviter un changement climatique incontrôlable, avec des conséquences désastreuses pour les individus et tous les systèmes naturels qui nous soutiennent. [...] Ce qui nous manque encore, même après l’accord de Paris, c’est le leadership et l’ambition de faire ce qu’il faut. [...] Le temps est venu pour nos dirigeants de montrer qu’ils se soucient des personnes dont ils ont le destin entre leurs mains. [Dans la transition vers une économie verte], 26 000 milliards de dollars de bénéfices pourraient être réalisés [...] et 24 millions d’emplois créés d’ici 2030.» Antonio Guterres, secrétaire général de l'ONU, discours du 9 septembre 2018

Si ce discours n'entre pas concrètement dans l'ampleur des modifications qui devront être apportées au système, notamment en termes d'interdictions de certaines pratiques et exploitations de ressources et prises de contrôle démocratiques des grands organismes économiques, c'est un bon signal. Si le numéro un de l'ONU se préoccupe effectivement de l'urgence climatique, cela signifie qu'une mobilisation de masse pourrait faire survenir une solution mondiale.

Penser global, agir local Le changement de système doit donc s'opérer au niveau global. Aucune initiative, aussi sympathique soit elle ou importante semble t-elle, ne doit savoir nous satisfaire pleinement tant qu'un changement global du système n'a pas eu lieu. En ce sens, toute construction d'une nouvelle idéologie pouvant répondre aux enjeux énormes imposés par le réchauffement climatique doit pouvoir d'établir au niveau global : il faut penser global.

Si si, "penser global, agir local" a du sens Mais nous devons, tout en gardant cet objectif global en tête, et quoique cela puisse sembler contre-intuitif, agir local. Pourquoi agir local si cela ne peut directement influer sur la situation globale ? Tout d'abord, c'est dans l'action que se crée la réflexion. On se situe plus facilement au milieu des enjeux d'une problématique si l'on essaie d'agir directement pour celle-ci, à notre échelle si petite soit elle. C'est pour ceci que tous les sympathisants à cette cause, en agissant, peuvent comprendre les véritables enjeux de la lutte contre le changement climatique et celle contre ses conséquences. Il est par ailleurs facile de persuader quelqu'un pour qu'il effectue des actions individuelles et concrètes qui vont le mener à se poser les bonnes questions avoir une prise de conscience par luimême de l'enjeu global. Tandis que si l'on apporte les réponses à ces questionnements avant de l'avoir suscité, l'individu peut avoir tendance à se braquer et mobiliser l'ensemble des moyens que lui permet son appareil idéologique pour parer à ce qui peut paraître être une tentative de renversement de ses valeurs. De plus, la somme des actions locales, si elles venaient à être extrêmement nombreuses, sans malheureusement résoudre l'ensemble du problème, aurait sans nul doute des conséquences très bénéfiques, en retardement du changement climatique, mais surtout en sauvegarde des populations. Ainsi, la somme des actions individuelles peut former un début crédible d'une véritable action collective et globale. Enfin, agir local permet d'apporter la visibilité et le vivier au mouvement, et d'intéresser les gens, de leur faire découvrir cette lutte. Cela permet de changer les

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Dossier mentalités, à petits pas. Toutefois nous devons garder l'urgence de la situation en tête : il faut donc changer les mentalités à petits pas certes, mais à petits pas de géants.

Changer nos habitudes individuelles Puisque l'opportunité de la formule est prouvée, une nouvelle question se pose à nous. S'il faut agir au niveau individuel pour convaincre et faire grandir le mouvement, comment agir ? Il est bien sûr possible de s'engager dans des action qui ont du sens : manifestations, marches, création et maintien d'associations et autres organisations qui s'engagent vers l'écologie (comme le Bureau Des Initiatives au sein de l'IEP), et autres évènements locaux. Nous avons besoin de militants écologistes qui organisent des actions proprement écologistes pour lutter contre le changement climatique. Toutefois, l'essentiel de l'action au niveau individuel doit se faire dans les habitudes de vie. Ce sont celles qui sont le plus facilement transmissibles pour entraîner la prise de consciences nécessaire. Il faut donc que nous basculions des maintenant vers des habitudes de vie responsables : réduction ou suppression de l'usage des emballages et du plastiques, réduction ou suppression de la consommation de produits d'origine animale, comportement responsable en ligne (adoption d'un moteur de recherche écologique, anti-spam, réduction du drive...), stop pub, économies d'eau permanentes, utilisation des transports en commun, du vélo et du train, réduction de l'achat de matériel neuf, recyclage, adoption d'une banque plus écologique, boycottage, utilisation des monnaies locales, achats en circuit courts, en bio et en commerce équitables... Toutes les petites habitudes et actions sont bonnes à prendre, et aujourd'hui il est possible de se renseigner

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sur l'impact de nos actions, qui peut ne pas apparaître au premier abord. Mais encore une fois : ne rendons pas les individus responsables du changement climatique. Le dernier documentaire de Cash Investigation sur France 2 intitulé "Plastique, la grande intox" prouve bien que grandes entreprises visent à se dédouaner de leurs responsabilités écologiques en rejetant la faute sur les consommateurs. Ce n'est pas une solution. Si nous devons chacun nous améliorer au niveau individuel, nous devons avant tout permettre un changement global.

Nous devons être exemplaires Si vous lisez cet article, il y a de fortes chances que vous soyez un-e étudiant-e de Sciences Po Strasbourg. Certain-e-s d'entre nous seront des dirigeante-s, journalistes, décideurs et décideuses, cadres, organisateurs et organisatrices, influenceurs et influenceuses de la société de demain. C'est pourquoi nous nous devons d'être exemplaires. Nous nous devons d'être exemplaires car nous ne devons pas tolérer ne pas prendre sérieusement nous-même la crise du climat. Il s’agit là du premier sens de l'exemplarité : soyons intransigeant-e-s envers nous-même sur les questions qui portent à ce sujet car cela sera la seule manière de trouver une efficacité dans nos actions. Dans la limite de notre propre santé mentale et de notre humanité, nous devons donc nous engager en faisant le maximum pour le climat. C'est notre responsabilité morale envers tou-te-s afin d'accéder à une forme de Vertu collective. Nous nous devons d'être exemplaires également parce que nous pourrons faire figure d'exemple, et que ce n'est qu'à ce titre que nos action auront du sens. Toute action individuelle

menée contre le changement climatique est vouée à échouer si elle ne s'inscrit pas dans un mouvement de masse. Mais tout mouvement de masse a ses origines. Un mouvement de masse trouve son origine dans ses initiateurs et initiatrices à proprement parler, celles et ceux qui soudainement mettent le feu aux poudres qui allument le mouvement. Mais surtout celles et ceux qui ont préparé un terrain des idées pour qu’un tel mouvement de masse puisse trouver un support idéologique pour naître, politiques, journalistes, intellectuell-e-s : celles et ceux qui ont placé la poudre à allumer. Alors plaçons la poudre !

« Le jour où le capitalisme sera contraint de tolérer la présence de sociétés non capitalistes, de limiter son appétit de domination et d'admettre que l'offre de matières premières n'est pas infinie, ce jour-là soufflera enfin un vent de changement. S'il existe la moindre lueur d'espoir pour la planète, elle ne réside pas dans les conférences sur la crise du climat ou au sommet des gratte-ciels. Elle se trouve tout en bas, sur le terrain, dans les yeux des gens qui se battent au quotidien pour la protection de leurs forêts, de leurs montagnes et de leurs rivières, parce qu'ils savent que ces forêts, ces montagnes et ces rivières les protègent. Pour réinventer ce monde qui a vraiment mal tourné, il faudra commencer par cesser d'écraser les personnes qui pensent autrement, dont l'imaginaire est étranger au capitalisme comme au communisme - un imaginaire qui envisage tout autrement le bonheur et l'accomplissement de soi. Pour qu'un tel espace philosophique occupe la place qu'il mérite, il faudra accorder de l'espace physique à ceux qui semblent être les gardiens du passé, mais sont en fait les guides de l'avenir. » The Trickledown Revolution, Arundhati Roy, 2010

de

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Les gendarmes à Kolbsheim, © Taranis News

Reportage à la ZAD de Strasbourg

POLITIQUE

Arthur Koch C’est une vieille dame d’un âge déjà bien avancé qui parle à la caméra, éclairée par des lampes de poches. Portant un bonnet vert fluorescent, symbole de sa volonté de défendre la forêt, ses paroles sont pleines d’émotions. « Nos enfants vont mourir. Moi je n’ai plus rien à perdre, j’ai 89 ans. Mais vous savez, toute cette jeunesse qui suit, ils vont être très malades, ces pauvres. Faut pas continuer à détruire la nature comme ça ».

La phrase semble simpliste, mais le contexte s’y prête : dans l’heure qui va suivre, Mme. Janine B.*(1) va subir une attaque de gaz lacrymogènes pour la première fois de sa vie, en tentant de défendre une forêt contre une multinationale. Elle est une figure locale qui reviendra braver les gendarmes mobiles le lendemain et le surlendemain.

« Nos enfants vont mourir. Moi je n’ai plus rien à perdre, à 89 ans. Mais vous savez, toute cette jeunesse qui suit, ils vont être très malades, ces pauvres. Faut pas continuer à détruire la nature comme ça ».

Si la formulation « forêt contre multinationale » peut paraître manichéenne, cela reste pourtant une réalité tout à fait saisissable à quelques kilomètres seulement de Strasbourg. Dans l’optique de désengorger le trafic strasbourgeois sur l’A35, un projet de Grand Contournement Ouest (GCO) a été lancé depuis une dizaine d’années à travers le Kochersberg, une partie de la plaine d’Alsace principalement

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(1) Les noms des particuliers ont étés anonymisés. (2) Le département communication de Vinci n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. Les points de vues de Vinci exprimés dans l’article sont issus des communiqués officiels de l’entreprise.

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Les barricades des activistes n’ont pas tenu longtemps face aux forces de l’ordre ©Taranis News

agricole. Cette nouvelle autoroute baptisée « A355 » servira principalement, et selon ses ardents défenseurs, à décharger l’A35 de ses camions et à rendre ainsi l’air strasbourgeois un peu plus respirable. En effet, cette route sert actuellement de lieu de passage pour l’ensemble des chauffeurs routiers de transport remontant le Rhin, du fait d’une législation française moins prompte aux taxes écologiques ou sur les poids lourds qu’en Allemagne voisine. Après une première attribution invalidée en 2012, le tronçon d’autoroute a été confié à l’entreprise Vinci(2), en concession directe pour 54 ans et ce depuis janvier 2016. Les travaux sont entièrement pris en charge par une filiale de Vinci, Arcos, à la suite d’un autre appel d’offre, et le début du chantier est alors prévu pour « 2018 ». Les bénéfices de cette voie rapide iront donc directement à un acteur privé,

comme c’est le cas sur une grande partie du parc autoroutier français. Le projet est chapeauté par Jean Rottner, président de la région Grand Est, et Robert Herrmann, président de l’Eurométropole de Strasbourg. L’idée d’un G.C.O. date en fait des années 1970, et elle a depuis cette époque cristallisé nombre d’oppositions, aussi bien au niveau local que national. Après l’échec de différentes actions et manifestations antérieures, qui étaient menées par les partis écologistes ou régionalistes et surtout par les habitants des villages situés sur le tracé de la future voie rapide, une Zone à Défendre (Z.A.D.) se crée par prévention au cours de l’été 2017. Depuis l’affaire du camp du Larzac, ces Z.A.D. sont devenues le moyen le plus efficace pour empêcher la tenue d’un chantier destructeur, comme ceux de Notre-Dames des Landes ou de Sievens, pour ne citer que les deux exemples. Avec

la bénédiction de la plupart des habitants des villages avoisinants, des activistes se sont installés de manière durable au sein de la forêt de Kolbsheim, un bois dont la destruction est essentielle pour faire passer le tracé de l’autoroute. Ils construisent des cabanes, installent des infrastructures agricoles qui respectent la biodiversité : il est pour eux tout aussi facile de monter que de démonter leurs habitations, qui ne laissent aucune trace dans la forêt. Le Kochersberg est une région campagnarde très riche composée principalement d’exploitations agricoles et de bosquets. Le couvrir de béton, de bruit et de pollution apparaît d’autant plus absurde que les champs qui s’y trouvent font partie des terres les plus fertiles du Grand Est, notamment grâce à l’assainissement naturel en eau et la qualité des sols. Par ailleurs, la zone sert d’habitat à de nombreux animaux classés comme espèces protégées, avec comme figure de

(3) taxe sur les poids lourds polluants au kilomètre, en projet à la Commission Européenne et attendant son passage au Parlement Européen. Mise en application prévue pour 2021.

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Dossier proue le grand hamster d’alsace, rongeur endémique devenu symbole de lutte contre le GCO. Plusieurs avis défavorables de la part d’acteurs neutres ont ainsi été émis tout au long du projet et s’appliquent encore à la situation actuelle.

Le Gendarme en Ballade « J’ai arrêté la vidéo. J’en avais les larmes aux yeux. ». M. Yann D.*, 19 ans, a découvert la situation au réveil, ce lundi 10 septembre 2018. A sept heures du matin commencent à apparaître les premiers articles et les premières vidéos sur les réseaux sociaux. Les forces de l’ordre, sur ordre du préfet de police du Grand Est M. Jean-Luc Marx, sont intervenues pour dégager la centaine

d’occupants de la forêt. Une action extrêmement rapide et violente, mais également très millimétrée. L’ironie du sort veut que cette action brutale ait lieu seulement deux jours après une triomphale marche « pour le Climat et contre « On était debout toute la nuit. On s’est préparé, on n’a quasiment pas dormi ». M. Dorian Q.*, la vingtaine, décrit les événements en retransmission plusieurs

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caméras. Les défenseurs ont passé la nuit du dimanche ou lundi à consolider leurs barricades, à faire de la reconnaissance et à se soutenir moralement. Ceux-ci n’étaient pas principalement des militants aguerris aux techniques de protection des sous-bois face aux gendarmes, mais surtout les habitants du village, en tête desquels se trouve M. Dany Karcher, maire de Kolbsheim, ainsi que d’autres élus locaux. Ils ne vivent pas tous les jours sur la Z.A.D., mais ils sont venus passer cette nuit blanche pour organiser une opposition correcte aux gendarmes mobiles. « On était lucides, on sauvait qu’on n’allait pas les repousser. Mais on était confiants de les retarder. L’ambiance n’était pas pessimiste », ajoute Dorian. Notre entretien est alors coupé quelques instants, car les « zadistes », réfugiés en

lieu sûr [l’entretient est réalisé le mercredi 12 septembre, NDLR], craignent de voir descendre les gendarmes. L’insécurité est palpable. Ce qui les a surpris, lundi matin, c’est surtout la violence des forces de l’ordre, tout à fait visible sur les images prises par les journalistes présents. Les gendarmes sont arrivés à plus de 500, soit cinq fois plus que les défenseurs, bardés de casques,

armures de kevlar et boucliers antiémeutes. Plusieurs charges ont été menées, avec l’appui habituel de grenades lacrymogènes, dont le bruit résonne à travers les bois. Ils sont arrivés à cinq heures du matin, avant l’aurore. L’affrontement a quelque chose d’une bataille médiévale complètement disproportionnée : les maigres barricades posées par les défenseurs sur la route ou sur les ponts ne tiennent pas longtemps. Saccageant toutes les constructions sur leur passage, les gendarmes progressent rapidement dans la forêt, à coup de flashs lumineux, de gaz et de sommations. Leur stratégie a été on ne peut plus simple : ils ont chargé en masse, gazeuses à la main, puis ont encerclé la forêt en laissant une issue : le but n’était pas de procéder à des arrestations. En effet, le projet étant très controversé, la stratégie de la préfecture a été d’éviter à tout prix la victimation des défenseurs dans les médias. « Les matraques de sortie n’ont pas été utilisées », nous informe l’envoyé de la préfecture - ce fait est fortement contredit par les zadistes. On voit néanmoins sur les images que certains gendarmes étaient équipés d’armes automatiques. Ceux qui portent des boucliers poussent la foule en scandant des invectives fleuries. L’opération doit être policée, efficace et ne pas avoir une trop grande résonance dans les médias nationaux qui sont présents sur place. Pour les forces de l’ordre, il a fallu faire très vite pour faire partir les caméras le plus rapidement possible. Les derniers habitants de la forêt ont été délogés vers 9 heures du matin. M. Karcher a vainement tenté de négocier avec l’envoyé du préfet, sans aucun succès. Quand il lui a été demandé de donner son opinion devant le tribunal administratif,

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associations Les bras levés des manifestants, quelques minutes avant le lancer de grenade lacrymogène @Lou S.

le maire a soupiré : « On ne peut pas émettre d’opinion si vous rendez la situation irréversible ! », avec pour seule réponse de la part de l’officier le sempiternel « Le Droit n’est pas respecté ». Il faut rappeler que les travaux ont commencé alors qu’à l’heure où cet agent de l’Etat prononce ces mots, trois recours restent encore à être examinés par le tribunal administratif de Strasbourg. Le même envoyé de la préfecture rappellera plus tard devant les caméras : « Nous avons rencontré un obstacle qui n’avait rien de pacifique ». La formulation est intéressante. Il fait là référence à quelques lancers de pomme de pins et de jets de peintures sur les boucliers anti-émeutes.

« On ne peut pas émettre d’opinion si vous rendez la situation irréversible !»

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Mamie fait de la Résistance Plus les opposants sont poussés hors du bois, plus la charge est continue. Devant la caméra, les gendarmes mettent des gens par terre, piétinent. Une grand-mère alsacienne marche difficilement en s’appuyant sur un fauteuil roulant, le visage déformé par la « lacrymo ». Elle est suivie d’un mur de boucliers, qui la poussent en avant. Lorsque les opposants arrivent au village, les cloches se mettent à sonner le tocsin. Les gendarmes prennent également des images, que ce soit directement sur le terrain ou par les airs, avec le soutien d’un hélicoptère qui reviendra constamment tourner autour de Kolbsheim toute la journée. A l’appel du maire, et alors que les réactions commencent à se multiplier au cours de la journée, un rassemblement est organisé dans la soirée devant la mairie. Du fait de son trop grand succès, celui-ci est déplacé dans les jardins du château, pour ne pas

bloquer la circulation. L’ambiance y est bon enfant, et le contraste entre les différentes personnes réunies contre l’autoroute est encore une fois saisissant : le propriétaire dudit manoir, la soixantaine, côtoie dans son costume trois-pièces des enfants, des paroissiens, des agriculteurs et des zadistes qui fument couchés dans l’herbe de son parc. Les élus se succèdent sur un tracteur pour parler aux deux-cents personnes présentes, sous la surveillance d’un hélicoptère de police dont le vrombissement constant sonne comme une menace planante (les militants s’amusent d’ailleurs à bien tendre leurs majeurs en direction des caméras de celuici). Les mauvaises nouvelles tombent : à peine la forêt dégagée, Vinci a déjà commencé à abattre des arbres centenaires, plus au sud. Des personnalités politiques apparaissent également : M. José Bové (député européen – Verts/ ALE), toujours prompt à ramener ses moustaches pour ce genre d’événement, annonce être en discussion avec le cabinet de M. François De Rugy, tout nouveau ministre de la transition écologique. La plupart des

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Dossier personnes présentes dans la foule ne sont pas dupes, et M. Bové devra se rendre à l’évidence le lendemain : conservant correctement son travail de parfaite marionnette, M. De Rugy déclare à la télévision que « les travaux sont commencés et on ne peut plus rien y faire ».

A Bout de Souffle Succède Succède ensuite Mme. Karima Delli (députée européenne – Verts/ALE) qui présente une proposition approuvée par M. Jean-Claude Juncker visant à installer une sorte d’« écotaxe »(3) sur l’ensemble de l’Union Européenne au profit du transport ferroviaire. C’est d’ailleurs l’un des arguments qui revient souvent contre le tronçon d’autoroute : on parle d’écologie, mais on construit une autoroute pour les camions, ce qui est un non-sens à l’heure où le fret devrait être de plus en plus opéré par chemin de fer pour des raisons écologiques. Enfin, alors que le Soleil commence à décliner, le maire de Kolbsheim prend encore une fois la parole et appelle ses administrés et leurs soutiens à une marche pacifique vers leur forêt pour « la voir une dernière fois ». Dans la foule, on lui crie que ce n’est sûrement pas la dernière fois qu’il vont la voir, et l’élu rectifie aussitôt avec le sourire. Deux-cents personnes avancent donc dans la pénombre vers l’une des points de passages en forêt. Il y a des enfants. Après avoir franchi un petit pont, la foule se retrouve face à une dizaine de gendarmes tout capitonnés dans leur kevlar, qui visiblement ne s’attendaient pas à retrouver un tel nombre de personnes à cet endroit. La tension commence à monter. Certains activistes invectivent les « gardiens de la paix » qui bloquent l’accès à leurs maisons, soutenus par les villageois. L’ambiance est électrique, le faible nombre des gendarmes pousse ceux-ci à serrer les rangs et réagir violemment à la moindre provocation. Une pomme de pin fuse et s’abat sur le casque de l’un d’entre eux. Ils menacent

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de charger. La négociation a échoué. Les manifestants tendent leurs mains bien haut, pour montrer qu’elles sont vides, mais cela ne suffit visiblement pas à convaincre les forces de l’ordre de leur pacifisme : les gendarmes envoient directement une grenade lacrymogène, qui tombe et explose pile devant Mme. Delli. Alors que la foule recule, elle s’effondre, le visage couvert de gouttes de lacrymogène. La moitié des personnes touchées ne connaissent pas les réflexes à avoir face aux gaz, et ceux qui sont habitués aux interventions policières doivent les aider. Deux autres assauts seront tentés, qui finiront toujours de la même manière.

Massacre à la tronçonneuse Dans les jours qui suivent, de plus en plus d’arbres sont coupés, malgré les actions répétées des activistes. « Ce matin [mercredi 12 septembre], ils ont commencé à interpeller », déclare Dorian. Les gendarmes ont changé de stratégie : les tweets remontés montrant une eurodéputée à terre ont fait baisser le niveau de violence des forces de l’ordres, qui craignent par-dessus le « bad buzz » après les amputations de Notre-Dame des Landes et le meurtre du barrage de Sievens. Par conséquent, ils préfèrent pratiquer des arrestations préventives. Le mercredi matin, les militants ont tenté de bloquer les camions et les ouvriers de Vinci, mais ceuxci étaient lourdement escortés. Un zadiste qui avait commencé à chanter devant eux s’est fait plaquer au sol et arrêter. Trois autres suivront, tous relâchés en fin de journée. M. Karcher, dépité d’avoir été gazé pour la quatrième fois en deux jours sur sa propre commune, a brûlé son écharpe le matin-même, déclarant « J’ai honte pour ma France » et rappelant que dans ce village, c’est lui qui est censé être l’officier de police judiciaire.

« J’ai honte pour ma France » Dans un café strasbourgeois, Mme. Lou S.*, étudiante, raconte les événements de la journée. Elle a encore mal au ventre du fait des lacrymogènes du lundi soir. « A 18h30, on était environ 750 rassemblés à Kolbsheim, après un nouvel appel de Dany. On a fait un die-in [la foule s’est couchée par tranches de 20 secondes, temps qu’il faut pour couper un arbre, NDLR] et il y a encore eu des discours ». Outre MM. Karcher et Bové, la majorité présidentielle est représentée par Mme. Martine Wonner (députée de la 4e circonscription du Bas-Rhin, LREM), qui a elle aussi découvert les joies des gaz le matin même. Son discours, bien qu’hostile au G.C.O., est bien plus policé : elle appelle à attendre les résultats des recours posés par l’association Alsace Nature au tribunal administratif de Strasbourg, dont deux sont prévus pour le surlendemain. Elle annonce la mise en place d’une cellule psychologique pour les habitants de Kolbsheim et environs, et déclare que M. Hulot n’était pas au courant de la situation lorsqu’il était ministre et que M. De Rugy est arrivé trop tard. Quelques insultes fusent de la foule. Après ces discours, habitants et zadistes repartent encore une fois en direction de la forêt. Cette fois-ci, les gendarmes ne feront pas usages de la force, malgré des chants contestataires très provocateurs. Les interpellations du matin et le re-gazage de MM. Karcher, Wonner et Bové font assez mauvais genre dans les médias pour la journée. Jeudi 13 septembre, alors que des vidéos par drones montrent l’ampleur des dégâts sur la forêt, les gendarmes installent des clôtures autour du site. Dans l’attente des réponses du tribunal administratif, aucune grosse action n’a lieu dans la journée.

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Dossier

Wrong Cops Vendredi matin, peu avant 9h. Une cinquantaine d’opposants se réunissent devant le Tribunal Administratif de Strasbourg, où doit être évalué l’un des trois recours qui restent en suspens. « Y’a quasiment aucune chance que ça passe » disait encore Lou la veille. Pourtant, peu avant 19h, l’annonce tombe et est accueillie avec une immense joie par l’ensemble des activistes : le chantier de construction d’un viaduc est suspendu, au motif de la préservation de l’environnement et de la protection des bâtiments historiques. L’Etat est condamné à verser 2000 euros à la partie plaignante, l’association Alsace Nature. Si les dommages faits durant la semaine à la forêt mettront du temps à être réparés, que ce n’est qu’un gain de temps avant la prochaine passe d’armes juridiques et qu’il ne s’agit de la suspension que d’une partie du tracé, les opposants laissent exploser leur joie. Cette victoire sur le plan juridique était inespérée, et elle permettra de faire jurisprudence dans les autres procès prévus dans les semaines suivantes. La situation a tout de même quelque chose d’absurde, lorsque l’on regarde la somme déboursée par l’Etat pour -encore une foisune entreprise totalement privée dépensée… Pour rien. Sinon raser une forêt désormais protégée par la Justice. L’opération policière démesurée qui a eu lieu à partir du 10 septembre 2018 dans le Kochersberg est un total gâchis d’argent public. Était-il nécessaire d’envoyer autant de gendarmes ? Avec autant de moyens ? Le simple coût du carburant de l’hélicoptère qui a survolé Kolbsheim sans grande interruption doit être bien trop élevé pour si peu. Si une paire de « zadistes » excédés ont mentionné les mots « cocktail molotov » après une énième dose de lacrymogène, ils ont immédiatement été rabroués par l’ensemble de la foule dont ils

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faisaient partie. La majorité des personnes présentes n’avaient jamais affronté les forces de l’ordre. La pose de barbelés, le nombre important de gendarmes mobiles était-il réellement pertinent ? La gestion de cette opération mérite d’être questionnée. D’autant plus qu’encore une fois, on parle de dépenses publiques qui se font au profit d’un chantier privé et d’une concession autoroutière. La moralité de ces actions est également très discutable sur la vitesse avec laquelle s’est empressé Vinci de raser la forêt, alors que tous les recours de l’opposition n’étaient pas évalués. Les dommages déjà effectués seront difficilement remédiables. Il faut rappeler que ce projet comprend une plus grande part d’avis négatifs que Notre-Dame des Landes en son temps, par exemple. Il démontre ainsi la stratégie mise en place depuis les gouvernements de M. Nicolas Sarkozy, poursuivie par M. François Hollande et amplifiée sous M. Emmanuel Macron de demander et « d’écouter » tous les avis des acteurs concernés pour la forme mais de n’en tenir aucunement compte et faire advenir le projet le plus rapidement possible. Cela s’est illustré avec les différentes « concertations » qu’a eu le gouvernement avant d’imposer ses projets ou de manière encore plus visible avec le rejet du Rapport Borloo au profit d’un Plan Pauvreté moins onéreux et compliqué à mettre en place.

locales pour leur dire : Il est lancé. Il est déjà parti. ». Ces deux dernières courtes phrases étant fantastiquement démolies par les magistrats du tribunal administratif de Strasbourg le vendredi suivant. A contrario, les « zadistes » montreraient presque un exemple de réussite de la démocratie participative et de la transparence, tant leurs différences (sociales, politiques) sont exacerbées, mais qu’ils parviennent à se fédérer contre un ennemi commun et agir en conséquence, comme le montre le résultat victorieux devant les tribunaux et la sympathie qu’ils ont réussi à gagner de la part de l’opinion publique strasbourgeoise et alsacienne.

Le cas du G.C.O. démontre donc parfaitement les dangers que ces nouvelles stratégies font peser sur la démocratie, dans le sens où les acteurs locaux comme la majorité de la population concernée (fautil rappeler que 5000 personnes au moins ont manifesté samedi 8 septembre à Strasbourg contre le G.C.O…) sont reçus mais n’ont aucun impact. Finalement, c’est notre nouveau Ministre de la Transition Ecologique François de Rugy qui résume le mieux la chose (« Bourdin Direct, 12/09/18, BFMTV-RMC) : « Je rencontrerais et les opposants et les collectivités

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Culture

Cinéma d’art et d’essai, alternative aux “grands méchants multiplexes”? Manon Bilger Y en a marre ! Marre des blockbusters formatés et des films d’action sans profondeur, d’une vacuité affligeante, qui envahissent l’industrie cinématographique ! Marre des distributeurs automatiques et des pop-corn partout ! Marre des salles impersonnelles et toutes identiques, où nous entrons comme des moutons, révélant les instincts grégaires qui sommeillent en nous ! Il faut en finir avec cette spirale commerciale, infernale, qui nous aspire inexorablement. C’est pourquoi j’ai décidé de protester contre le rouleau compresseur des grands méchants multiplexes, toujours plus puissants, plus confortables, et offrant une programmation toujours plus diversifiée, dans un monde du cinéma tiraillé par une concurrence sans merci. N’est-il pas de notre devoir, en tant qu’étudiants engagés, de soutenir les petits cinémas d’art et d’essai qui se font bouffer par ces géants impitoyables ? De rejeter l’anonymat des grands groupes pour revendiquer plus de contacts humains et de lien social ? Mais surtout, de rechercher un peu de beauté et d’authenticité dans un film, pour changer ? C’est forte de cette résolution que je me suis détournée de l’énorme UGC Ciné Cité Strasbourg – qui est aussi l’un des trois plus grands complexes UGC français – pour me retrouver, un beau jour de septembre, dans un charmant petit cinéma d’art et d’essai, j’ai cité, le cinéma Star Saint-Exupéry. Il s’agit, avec le cinéma Star, d’un des cinémas

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historiques du centreville de Strasbourg. Il propose, dans une atmosphère rétro et décalée, des films d’auteur en version originale sous-titrée (VOST).

Critique du film Le Poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan Pour cette fois, j’ai choisi de partir pour la Turquie et c’est Le Poirier sauvage, un film dramatique signé Nuri Bilge Ceylan – titulaire d’une Palme d’or au festival de Cannes pour Winter Sleep –, qui a retenu mon attention par sa bandeannonce prometteuse. Il raconte l’histoire d’un jeune homme passionné de littérature, étudiant à Istanbul, qui rentre dans son village natal d’Anatolie, Canakkale ou le « bled », site archéologique de la ville antique de Troie. Il est muni d’un manuscrit intitulé Le Poirier sauvage – d’où le titre du film. Son rêve : être publié. Un scénario pour le moins intéressant. Pourtant, ce film m’a plongée dans une profonde perplexité. D’abord, la durée, inhabituelle, m’avait échappé : 3h08, quand le soleil brille audehors, cela peut vite paraître interminable. Le personnage principal, Sinan, sorte d’antihéros

plein de colère et de frustration, se promène, en quête de fonds pour publier enfin son livre. Sans réel fil directeur, si ce n’est une relation père-fils tourmentée, le film s’articule autour des déambulations de Sinan dans une ville qu’il méprise. Hautain et dédaigneux, il semble avoir une furieuse envie de provoquer tout ce qui bouge, que ce soit le chien adoré de son père – vendu sans pitié pour récolter l’argent nécessaire à la publication de son livre –, deux imams, un écrivain reconnu ou son père lui-même – dérangé alors qu’il dormait sous un arbre, des fourmis rouges se promenant en toute sérénité sur son corps. Le film comporte en effet certains passages étranges, presque oniriques, que l’on pourrait apparenter au surréalisme : outre celui des fourmis, on peut citer ici la scène où Sinan, après avoir jeté le bras d’une statue dans une rivière, s’enfuit, épouvanté, avant de se

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Culture associations réfugier dans un cheval de bois – référence mythologique au cheval de Troie, sans doute. Parfois, une bribe de dialogue a éveillé mon attention. Une discussion philosophique sur la religion m’a happée un instant, mais on sombre rapidement dans un débat très long qui a une fâcheuse tendance à perdre le spectateur. Un baiser en pleine forêt, joliment filmé, amène également une certaine tension, mais il s’achève sur une morsure et la jeune fille en épouse un autre, Sinan écopant d’une lèvre fendue après s’être battu pour elle. Finalement, son livre, qu’il qualifie de « métaroman autofictif décalé » – original, n’est-ce pas –, ne se vend pas et la seule personne daignant en achever la lecture s’avère être son père,joueurinvétéréauPMUducoin, qu’il déteste autant qu’il le méprise. Triste… Cependant, le film a malgré tout le méritedefaireréfléchir.Contemplatif, il dresse, en filigrane, un tableau socio-cultureldelaTurquieactuelle, etdistillecertainesinformationsaufil des dialogues, en faisant presque un filmengagé.Sinaninsistenotamment sur les 300 000 instituteurs qui attendent un poste, finalement contraints de renoncer à leur rêve de devenir prof de littérature pour se rabattre, par dépit, sur un poste de policier.Autrepointpositif,lesimages sont très belles. Cette première expérience dans un cinéma d’art et d’essai était donc mitigée,maisellem’aintriguéeetm’a donné envie de découvrir d’autres films, peut-être pas en turc cette fois-ci!Alors,cinémad’artetd’essai, alternative aux « grands méchants » multiplexes ? Affaire à suivre…

Interview de Stéphane LIBS, gérant du cinéma Star Comment est né le cinéma ? OCTOBRE 2018

Ilaétécrééilyaàpeuprès35ans.Cette structurenecorrespondpasdutoutà unmodèledecinéma :c’estunancien garageàvélo !Ils’agitainsid’unesorte de maison. Et lorsqu’on ouvre une porte,aulieud’avoirunechambre,on a une salle de cinéma. A l’époque, il y avait de grandes salles généralistes à Strasbourg mais pas de petites salles, d’oùlacréationdececinéma.D’abord directeurd’exploitation,j’airacheté le cinéma Star il y a onze ans, puis le Saint-Exupéry il y a sept ans.

Comment est composée votre programmation ?

nous passons des films plutôt anciens – comme Shining par exemple – et les professeurs sont formés pour transmettre le savoir du cinéma. Être classé art et essai, ce n’est pas juste faire le beau parce qu’on passe des films casaques. C’est avant tout être garant d’une certaine diversité dans le cinéma : il faut créer un besoin.

Pourquoi avez-vous choisi ce métier ? Quel a été votre parcours ?

Depuis plus de dix ans, le métier d’exploitant de salle fait l’objet d’une véritable formation, avec Tous les films ont des distributeurs du juridique, de la technique, de la – ayant droit – qui louent leurs sécurité, du foncier : ce n’est pas films aux exploitants de salles. juste de la programmation. Les Tous les mercredis, les films sortent nouvelles générations sont donc et c’est à ce moment-là que nous très performantes. A mon époque, effectuons la programmation. il s’agissait d’un métier réservé Nous sommes cinq à voir les films principalement à certaines familles et deux à trancher. Notre cinéma, qui le perpétuaient de génération comme la plupart des cinémas en génération. Quand j’étais petit, d’art et d’essai, garde certains ma grand-mère habitait à côté films à l’affiche plus longtemps que d’une salle de cinéma : c’était un les multiplexes pour leur donner refuge, un lieu où je me sentais un peu de durée et leur laisser une bien, qui m’offrait une ouverture chance de trouver leur public. Le sur le monde. C’est dans ce cinéma Poirier Sauvage, par exemple, a été que j’ai tout appris. Au moment gardé cinq semaines. Il nous est d’entrer à l’armée, j’ai pu faire arrivé, très rarement, de projeter objecteur de conscience – refuser des blockbusters, notamment il de porter les armes, en écrivant y a deux ans, avec La Planète des au Président de la République par Singes : pour moi, ce film, bien exemple – et entrer dans une salle qu’à gros budget, a entièrement sa de cinéma associative. J’ai appris place dans la cinéphilie. le métier sur le tas.

Comment vous y prenez-vous pour encourager le public à se déplacer pour l’art et l’essai ? Nous organisons un grand nombre d’évènements et d’animations, notamment des avant-premières avec des venues d’équipes – environ 80 par an –, un festival du film Fantastique, un cinéclub pour les enfants et les lycéens, des soirées jeu vidéo, etc. L’éducation à l’image occupe également une place importante :

Stéphane Libs, gérant du cinéma Star www.festival-entrevues.com

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Si tu sors, je sors

Le Collectif Copines vous explique la loi Schiappa Lauriane Charles La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes a été promulguée le 3 août 2018 mais de nombreuses « fake news » circulent encore à son propos. Si elle reste critiquable sur de nombreux points, que l’on se déclare féministe ou non, la « loi Schiappa » constitue malgré tout une avancée en matière de lutte contre les violences sexuelles et sexistes.

1 Le premier changement concerne l’allongement du délai de prescription de vingt à trente ans pour les crimes sexuels commis sur les mineurs, c’est-à-dire que les victimes ont donc trente ans pour déposer plainte après leur majorité. Cet allongement permet de prendre en compte les phénomènes d’amnésie traumatique durant lesquels le cerveau « oublie » l’événement pour se protéger, avant que l’événement ne remonte à la surface des années plus tard.

2 Le changement le plus complexe concerne la répression des viols et autres abus sexuels commis sur les mineurs de quinze ans ou moins. A l’origine, le projet de loi avait pour but d’introduire une présomption de nonconsentement en-dessous d’un certain âge ; le Conseil d’État a

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cependant estimé que cela pouvait être contraire à la Constitution. Dans la version finale du texte, il n’y a donc pas de présomption de non-consentement. Cela empêche alors une qualification systématique des faits d’atteinte sexuelle en agression sexuelle ou viol. Afin de faciliter quand même cette qualification en agression sexuelle ou viol, la loi instaure l’idée qu’une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur et qu’une autorité de droit ou de fait sont une forme de contrainte morale. Elle précise aussi que « la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ». Ces ajouts ont pour objectif de mettre plus facilement en avant la contrainte morale ou la surprise, car un viol ou une agression sexuelle doivent être caractérisés par la violence, la menace, la contrainte et / ou la surprise pour être démontrés judiciairement. De plus, la loi renforce la peine encourue en cas d’atteinte sexuelle sur mineur, c’est-à-dire quand les éléments caractérisant le viol ou l’agression sexuelle ne sont pas présents.

3 La loi améliore aussi la répression du harcèlement sexuel ou moral. Avant la loi, il ne pouvait s’agir que d’une seule personne répétant à une autre les propos ou comportements « ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». Aujourd’hui, l’infraction pourra être constituée quand les propos ou les comportements sont imposés à une victime par plusieurs personnes, de manière concertée, même si chacune de ces personnes n’a pas agi de façon répétée. Cela permet donc une meilleure lutte contre le cyber-harcèlement.

4 Le dernier point important de la loi est la création de l’infraction « d’outrage sexiste » dont l’auteur

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Si tu sors, je sors

Marlène Schiappa Secrétaire d'État chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes peut désormais être condamné par le biais d'une amende. Il s’agit de harcèlement sexuel sans répétition des faits : l’objectif est de lutter contre le harcèlement de rue. Ces quatre points sont les points principaux de la loi, qui contient cependant d’autres dispositions. La secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes a également envoyé une circulaire aux directeurs d’établissements scolaires afin de les inciter à appliquer la loi datant de 2001 qui instaurait des cours d’éducation sexuelle au collège et au lycée. De nombreuses fake news évoquent un apprentissage de la masturbation dès la maternelle, ce qui est bien évidemment faux et n’apparaît nulle part dans la loi ou dans la circulaire.

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De la composition d'une promo Sciences Po Camille Larminay Vous les côtoyez à l’IEP et vous êtes d’ailleurs sûrement l’un d’eux … Voici la suite des portraits de nos chers camarades d’amphi.

La Parisienne

La Paysanne

Le Dernier Survivant

Pour la Parisienne, tout est mieux à Paname. Elle regrette amèrement le bouillonnement intellectuel de la capitale, le bruit des bouchons sur le périph, les foules de touristes asiatiques et les métros bondés. Elle ne saurait rester à Strasbourg le week-end : comment sortir dans une ville où les bus ne s’arrêtent qu’à 20h ? La Parisienne refuse d’admettre qu’elle a dû venir en « province » faire ses études. La preuve, c’est qu’elle est la seule à dire « IEP de province ». Elle explique à qui veut bien l’entendre que Sciences Po Paris n’était pas assez bien pour elle, et qu’elle a fait le choix – suite à son échec au concours – de ne le rejoindre qu’en troisième année. Tout à Strasbourg est une pâle copie de sa chère et tendre capitale, et la Parisienne résume tout ça en une simple question : com-ment se plaire à la BNU quand on connaît la BNF ?

Si la Paysanne n’assumait pas son village natal avant la rentrée de l’IEP, elle en a fait aujourd’hui son emblème. Frocs et fripes à l’appui, elle adopte et promeut la mode vintage grunge des cam-pagnes : c’est son seul moyen d’existence sociale. Mais la Paysanne est déçue : elle ne peut se faire le maître à chanter du végétariat dans un établissement où la moitié de l’effectif féminin est déjà végan. Alors la Paysanne change de registre : elle sera la self made woman par excellence, celle qui a monté l’échelle de la méritocratie malgré ses bottes en plastique, celle qui a eu 20 au bac en le passant dans une meule de foin. Ainsi, elle méprise les pauvres citadins du haut de son tracteur érigé en trône de fer – ou de paille, selon le point de vue.

Il a tout vu, il a tout vaincu. Le Dernier Survivant était sur le champ de bataille il y a peu, et il n’arrive pas à baisser les armes. Les résultats du concours commun ayant sonné sa retraite, le Der-nier Survivant est l’ancien combattant de la classe prépa. Il raconte à ses semblables ses récits de guerre, il veut faire perdurer la mémoire de sa lutte contre les professeurs de prépa. Une compétition vive s’engage au sujet des bombardements de khôlles et de concours blancs : lequel de ces soldats antiques a été le plus meurtri ? A force de témoignages Tellement Vrai et d’histoires sordides, le Dernier Survivant espère montrer qu’il a acquis ses lettres de noblesse et que les exigences de l’IEP ne sont pas une difficulté pour lui. Mais le Dernier Survivant a une faiblesse. Oui, son cœur reste à jamais brisé d’avoir dû laisser derrière lui des camarades sur le sombre chemin de la Khâgne. Il comble cet abattement en se gorgeant d’un fantastique dédain pour ses congénères lycéens, et con-temple du haut de sa superbe l’outrecuidance de ces jeunes novices. Et dire qu’en juin ils passaient leur bac ! Ces inexpérimentés ne sauraient être à son niveau, et pourtant, en septembre, le dernier survivant retourne se battre : il est sur le banc des rattrapages.

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