Number 94 - Janvier 2017

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Janvier 2017 - Numéro 94

http://www.sciencespropos.com

Les nouvelles de l’IEP

Ils ont parlé dans Propos


Janvier 2017

Politique Société

04 06

Présidentielles

02 03

Les candidats

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Tribunes libres

Introduction

Sommaire Éditorial

Actualités

Sommaire

Opinions Réactions

10 12

Le dossier du mois Coup d’oeil dans le rétro

Formule 1 Football

37 38 39

41 42

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Culture

La mémoire Romain Gary Le cinéma

Documentaire Théâtre Séries Littérature

44 45 46 48

Divertissement

Sport

Zoom sur...

Page 15 - Interviews politiques Page 27 - Interviews culturelles Page 34 - Interviews médiatiques

Joute des asso’s Top’pipo

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Propos n°94

Éditorial

Six cent trente-six Par l’Acc’Rauch

Non ce n’est pas le nom d’une salle obscure de l’IEP, ni ton classement de première année. C’est la somme qu’il a fallu que nous trouvions en 24h pour que le numéro El Mundo puisse sortir : « Bon les gars, on a besoin de 636€ pour demain, midi ! »

de l’IEP nous avons finalement pu imprimer le numéro El Mundo à la fac et le distribuer avant les vacances. Mais au-delà de ces évènements particuliers, cette histoire permet de revenir sur un point, et un point capital ! En plus du temps et de l’énergie que nous fournissons pour produire ce journal, il faut se rendre compte du prix réel d’un numéro. Certains seraient favorables pour faire passer le journal gratuitement, partant du principe que sans cet euro, nous distribuerions plus largement le numéro et donc que nous serions plus lus. Certes. Mais d’un autre côté, ça serait oublier le vrai coût des choses. Ça serait oublier que le prix réel d’un numéro, son coût de fabrication est bien plus élevé que cet euro symbolique que nous vous faisons payer ! En conservant ce format magazine de 52 pages couleurs, reliées et au format A4, un numéro coûte en réalité environ 7€ ! Alors lâchez votre euro les gars, c’est peu de chose, on vous l’assure.

Alors comment après quatre numéros l’équipe de Propos a pu en arriver là ? Comment la sortie du numéro spécial El Mundo a-t-elle pu autant être compromise ? Faisons d’abord un petit résumé de la situation à Propos cette année. Pour ceux qui ne l’avaient pas encore compris, nous imprimons le journal en dehors de l’IEP (d’où le logo LCL sur la couverture, bien vu). Alors pourquoi allons-nous nous soumettre aux banques capitalistes et n’imprimons-nous pas directement à l’IEP me direz vous ? Pour la simple et bonne raison qu’imprimer chez notre partenaire LCL est la seule solution économiquement viable pour avoir un numéro de cette qualité : 52 pages reliées et en couleurs. Et ça, ça fait la diff’.

Sinon, à part ça tout va bien ! Propos revient donc pour son 94ème numéro. Cette fois ci, nouvelle année oblige (et on ne va pas se mentir, on n’avait pas trop le time avec les partiels) on s’est dit qu’on allait vous faire revivre les meilleurs moments de Propos. Nous vous proposons donc dans le dossier spécial un florilège de ce qui a fait la grandeur de Propos : les interviews.

Si LCL nous suit depuis le début de l’an née de manière fidèle et efficace, parfois des contraintes extérieures viennent tout gâcher. Une grève de la Poste le jour même ou nous transmettions la maquette a compromis l’impression du numéro. Il nous a fallu trouver une solution de secours en 24h, pour s’assurer que le numéro soit bien distribué avant les vacances de Noel. Cette solution c’était d’imprimer le numéro au service d’imprimerie de l’Unistra. Mais eux, ils sont plus tatillons que chez LCL et après un rapide calcul le prix est tombé : 636€ pour 150 numéros. Or, si la légende veut que la caisse de Propos soit un fabuleux trésor de guerre, la réalité est un peu plus triste. Après avoir gagné neuf fois de suite le prix de la Fondation Varenne (récompensant le meilleur journal étudiant de France) et la récompense qui va avec ; après avoir vendu des milliers de numéros depuis 1991 à 7 francs, 2 euros, 1 euro…, la caisse de Propos s’est malgré tout peu à peu vidée… Ne nous demandez pas comment c’est possible, nous non plus on n’a toujours pas compris. Bref, nous étions donc loin d‘avoir les fonds nécessaires pour imprimer ce numéro à nos frais. Finalement, tout s’est bien fini puisqu’avec le soutien de l’administration

Parce qu’au-delà de WACQTD, du défunt Sciences Potins et des Top 10, Propos c’est aussi des dizaines d’interviews menées depuis 1991. Et attention hein, pas des interviews d’un conseiller municipal du Neudorf ou d’un obscur professeur de Strasbourg. Non, des interviews de personnalités qui ont compté ou qui comptent toujours dans la vie politique, médiatique ou intellectuelle du pays. Qu’elles soient toujours vivantes et en pleine forme (Dany le Rouge), en retrait de la vie politique ou médiatique ou décédés (J. Chi…euh Charles Pasqua), elles ont toutes d’une certaine manière marquées l’histoire du pays. Que ça soit politiquement, culturellement, intellectuellement. Retrouvez dans ce numéro les interviews de M. Serres, J. Chirac, PPA, C. Pasqua, E. Guigou, R. Remond etc. Que du beau monde quoi.

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Actualités - Politique

Les actualités Politique

- 2016, l’année des sondages... tous pourris - Les chiffres de l’année 2016 - Pourquoi si peu de femmes portent plainte pour harcèlement sexuel ?

Société

2016, l’année des sondages... tous pourris Par Jérôme Flury

Mai 2016. A la surprise générale, le club de Leicester est sacré champion d’Angleterre devant les favoris que sont Manchester, Arsenal ou Chelsea. Ce résultat historique défie tous les pronostics les plus fous. Leicester qui la saison précédente avait lutté pour se maintenir en première division, se retrouve coté à 5000 contre 1 au début de la saison. Spécialiste du pari sportif outre-Manche, la société William Hill rappelle que jamais dans l’histoire de la Premier League une équipe n’a été championne alors qu’elle présentait une cote aussi élevée en début de saison. Autant dire que ce n’était pas, mais alors pas du tout prévu…

La meilleure performance collective : J’ai commencé, fidèle à moi-même avec du sport mais là je vais continuer avec l’événement auquel tu as peut-être pensé en lisant le titre (avoue-le). Sans aucun doute, les sondages sur l’élection américaine ont fait fort. Quasiment tous étaient d’accords pour annoncer Hillary Clinton gagnante, avec plus ou moins

d’écart mais souvent plus. N’at-on pas entendu encore à deux semaines du scrutin que Madame Clinton l’emporterait avec plus de 57% des voix ? Non vraiment un raté collectif comme ça est une performance d’anthologie. Ces sondages ont clairement eu une influence néfaste sur les élections et je me demande si de savoir que sa candidate l’emporterait avec tant d’avance n’a pas conduit à la démobilisation de certains électeurs. Lorsqu’on voit le taux de participation général on peut émettre l’hypothèse que ces sondages annonçant depuis longtemps que la gagnante est déjà connue ont pu conduire certains électeurs à penser que leur participation n’allait rien changer au scrutin… Mais ce n’est ici qu’une hypothèse. Ce qui est sûr toutefois c’est que les sondeurs se sont salement trompés. Ces nombreux sondages qui penchaient pour Clinton ont rendu cette élection de Trump encore plus inattendue. Le sondage vraiment sûr : Du côté de la primaire de la droite et du centre, nos Fran-

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çais ont été bons aussi. Sûrs, mais alors sûrs, sûrs, sûrs que Juppé allait remporter cette élection, les sondeurs ont commencé à étudier la probabilité que le maire de Bordeaux remporte le premier tour de la présidentielle, ou encore le score qu’il ferait au second tour, ou encore s’il battrait Marine Le Pen s’il se retrouvait face à elle…ah là là, c’est fini, ces sondages ne serviront plus à rien, Juppé s’est fait éliminer au second tour de la primaire de droite (et du centre !). Les sondages sont « une photographie à un instant donné » mais ne pourront jamais prédire exactement le résultat d’une élection. L’erreur ici a été de commencer à voir déjà pour les élections suivantes alors qu’au final l’hypothèse de base (une victoire de Juppé à la primaire) était fausse. Une dernière prévision erronée ? Le Brexit, qui va être compliqué à mettre en place parce que…(cours de droit de l’UE, 2A), est encore un exemple d’évènement peu attendu en 2016. Peu attendu parce que là encore des


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sondages donnant une prédominance au camp souhaitant rester dans l’Union européenne avaient été publiés. Encore une fois c’est le contraire de ce qui avait été annoncé qui s’est produit. 2016 aura vraiment été une année riche pour les sondeurs qui avaient ainsi presque tout prévu. Autant de performances qui ont conduit Le Parisien à adopter une nouvelle politique pour cette année 2017. En effet le journal a décidé de ne plus commander d’enquêtes d’opinion à propos des élections présidentielles. Finalement le sondage

Actualités -Éditorial Société

n’est pas un grand gage de sûreté. Bon à cette époque de l’année vous avez dû devoir réviser la Méthodologie des Sciences Sociales (MSS pour les intimes) et sans relire mon cours de l’an dernier je me rappelle qu’en trois points, il y a des risques divers, « d’artefact », « de biais » ou encore « d’ethnocentrisme ». Enfin bon, sans développer, retenons qu’un sondage est juste un outil pour se légitimer en tant que candidat « oui écoutez j’étais à 2% les dernières élections, on m’annonce à 7%, preuve que je suis en progression » (Vous avez devi-

né ?) et qu’il ne sera jamais la copie conforme du résultat final. On ne peut prévoir avec exactitude un résultat, d’autant plus si les méthodes sont discutables (un échantillon trop réduit, une question mal formulée…). Il faut veiller à ne pas prendre les sondages pour la réalité. Pour conclure, l’expérience nous a prouvé qu’il est tout aussi compliqué d’élaborer des pronostics au niveau des sujets pouvant tomber en partiels… Non vraiment ne cherchons plus à prévoir ce qui adviendra et analysons plutôt les résultats que les hypothèses.

Pourquoi si peu de femmes portent plainte pour harcèlement sexuel ? Par Jeanne Robles, du Collectif Copines

En France, selon le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes, 80% des femmes salariées considèrent que, dans le monde du travail, les femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes ou des comportements sexistes. En effet la plupart des cas de harcèlement sexuel ont lieu dans un cadre professionnel. Ce harcèlement moral passe généralement par des blagues à consonance sexuelle, des courriels pornographiques, des réflexions sur la tenue des employées, des propositions sexuelles insistantes, certains vont même jusqu’à des attouchements non consentis. Selon l’enquête IFOP pour le défenseur des Droits, en mars 2014, une femme sur 5 a été victime d’harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle et seulement 5% des cas ont été portés devant la justice, ce qui nous laisse imaginer tous ceux qui n’ont pas été recensés. Les femmes confrontées au harcèlement sexuel au travail, car oui la plupart du temps il s’agit de femmes, sont souvent

employées tandis que l’harceleur est la plupart du temps à la tête de l’entreprise, ce qui le place en position de force. Lorsque la personne harcelée refuse, elle est généralement moquée et humiliée devant les autres collègues. Parfois, même le fait de refuser accentue encore plus le processus de harcèlement. Démissionner devient la seule option pour que l’enfer cesse mais c’est un luxe que toutes ne peuvent pas s’offrir La première des conséquences est une dégradation de la santé de la victime. Le repli sur soi, l’agressivité, la perte ou la prise de poids, le mal de ventre chronique, des crises de tétanies, des dépressions ou une dépendance aux médicaments ou aux drogues. Ce ne sont pas que des mots et des gestes déplacés, c’est leur vie qui est en train de basculer. Elles ont honte de ce qui leur arrive, elles sont affaiblies psychologiquement, leur santé se dégrade, elles ne se sentent pas ou peu écoutées. Environ 3 victimes sur 10 n’en ont parlé à personne

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et 65% des victimes estiment qu’elles n’ont pu compter que sur elles-mêmes. Un tiers des victimes ont subi des conséquences sur leur santé ou leur mental. Le professeur psychiatre Charles Perreti dirige la consultation harcèlement sexuel de l’hôpital Saint-Antoine à Paris, il affirme que « le harcèlement sexuel provoque un traumatisme répété sur une longue durée qui atteint profondément l’estime de soi ». En effet, les victimes ont besoin de réaliser un long travail de reconstruction après les faits. On reproche à ces femmes de ne pas parler, en effet on ne peut pas agir si les faits ne sont pas recensés mais bien que ces actes soient punis par deux ans d’emprisonnement et 30 000€ d’amende, 90% des plaintes sont classées sans suite et sur les 10% restant, l’harceleur bénéficie en général d’une relaxe. Il y a déjà assez de raisons évidentes pour ne pas porter plainte, les victimes y ont plus à perdre qu’à gagner. Et la lenteur et l’incohérence de la Justice n’encouragent pas toutes ces femmes à dénoncer leur bourreau. Beau-


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Éditorial - Société Actualités

coup d’affaires de harcèlement sexuel sont considérées sans suite car il n’y aurait pas assez de preuve. Pourtant même dans les cas où les preuves sont accablantes, les juges ne donnent pas suite. Les audiences sont reportées, les victimes doivent s’acharner durant des dizaines d’années pour que leur préjudice soit recon-

nu et puni par la justice, sous la forme de l’inscription de l’infraction au casier judiciaire de l’harceleur. Pour les plus courageuses d’entre elles, la lutte n’est pas finie. Après le procès, si jamais il y en a un, il faut encore se reconstruire ; la plupart ont perdu leur emploi, leur conjoint, leur confiance en elle et sont dans un état psychologique

fragile. Au lieu de blâmer ces victimes qui n’osent pas parler, hommes comme femmes soutenons-les. Le sexisme est partout, dans la rue, au travail, au supermarché, dans nos maisons et il ne concerne pas que les femmes. L’égalité des sexes est une histoire de droits humains, non ?

Les chiffres de 2016 Par Schoenappan

48000

C’est le nombre de mort dû chaque année aux particules fines, en France selon l’agence Santé Publique France.

20%

C’est ce que représente le manque à gagner dû à l’exil fiscal chaque année : entre 60 et 80 milliards. Les chiffres dates de 2012 mais l’affaire des Panama Papers a remis au remis ce problème à la lumière.

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6h ou ... 3mns

Le premier correspond au temps passé sur Facebook : 6h45 par mois en moyenne pour chaque membre... contre 3 minute sur Google plus, selon le Wall Street Journal


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Actualités - Société

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Le nombre de start up françaises dans le classement Fast 500 de Deloitte, qui récompense chaque année les entreprises innovantes avec la plus forte croissance. Ce chiffre place la France à la première place en Europe.

9h36

C’est le temps qu’il faut pour atteindre la fin d’un tableau excel en restant appuyé sur la flèche du bas (mais c’est aussi le constat d’un ennui profond au sein de l’espèce humaine).

170

C’est le nombre de députés européens qui exercent au moins une autre activité selon Integrity Watch. Sur 751 députés, cela représente tout de même plus de 20%. En d’autres termes ils sont à « temps partiel », sans parler des potentiels conflits d’intérêts. Mais finalement est-ce que c’est dérangeant ? Pas particulièrement pour la Commission des Affaires Constitutionnelles (AFCO) du Parlement européen qui a rejeté le mois dernier une proposition visant à interdire les députés européens d’exercer d’autres emplois.

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Présidentielles - Les candidats

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Les Présidentielles Les candidats

- Benoît Hamon, et si un « frondeur » gagnait la primaire citoyenne ?

Benoît Hamon, et si un « frondeur » gagnait la primaire citoyenne ? Par Arnaud Dubuisson

« Faire batte le cœur de la France ». Tel est le slogan du candidat Hamon tel un symbole d’une gauche, actrice d’un renouveau social et au cœur du moteur de la France. Au-delà des symboles de sa candidature, quelles sont les idées phares de cet homme en marge d’être le préféré des électeurs de la primaire ? Les trois priorités comme symboles majeurs de sa candidature : - Le « Revenu universel d’existence ». Preuve que Benoît Hamon est en train de s’affirmer dans cette campagne, il impose ses sujets au cœur du débat. Après son expertise faites dans Les Echos estimée à 300 milliards d’euros de coût par an pour 750€ par citoyen français au-delà de 18 ans, il défend son idée en mettant en lumière les différents financements, qui se chiffrent en milliards, d’un tel projet. - L’école. L’école doit être au cœur des priorités, si ce n’est la priorité principale, selon Hamon. Il trouve détestable une situation dans laquelle les jeunes sont amenés, dès le dé-

but de leurs études, à avoir des comportements inégaux. D’un côté, il y a ceux qui travaillent pour financer leurs études, subissant les mauvaises affaires économiques de leurs parents ou subissant une mauvaise nouvelle de leur banque pendant que d’autres ne sont pas amenés à subir ce problème. Cela participe à une fausse méritocratie selon Hamon, d’où le revenu universel dès 18 ans afin que chacun puisse faire les études souhaitées et éviter un gâchis de talents si certains sont contraints financièrement à quitter le chemin des études longues. - La question du travail, de l’économie, de l’emploi et de l’écologie. Le candidat Hamon souhaite abroger la loi travail, reconnaître le syndrome d’épuisement professionnel dit « burn out » comme maladie professionnelle ou encore créer une taxe sur les richesses créées par les robots, bénéficiant actuellement prioritairement aux actionnaires. Cette dernière peut servir de préservation du modèle social français selon Hamon. Coté emploi, Benoit Hamon compte lancer « un plan massif d’in-

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vestissements dans la rénovation énergétique des bâtiments ». Enfin, un des objectifs ambitieux de Benoit Hamon est celui d’atteindre 50% d’énergies renouvelables dans la part de la production énergétique dès 2025 par l’intermédiaire d’une « aide » pour que chaque foyer s’équipe en matériel de production d’énergie renouvelable domestique. Avis personnel sur la candidature Hamon : Benoît Hamon a bel et bien raison de croire en sa chance car pour la première fois, ce dernier s’apprête à devenir un sérieux prétendant pour représenter le Parti socialiste. Ses idées tournées vers l’avenir révèlent une vision pour la France. Tout comme François Fillon lors de la primaire de la droite et du centre, Benoît Hamon impose ses débats (ici, le revenu universel d’existence), est le préféré de son camp lors des débats (une majorité de sympathisants de gauche ont apprécié positivement la prestation de Benoît Hamon lors du 1er débat organisé sur TF1 le 12 janvier 2017), donne l’image d’un homme d’idées qui les défend en


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ayant une expertise économique ficelée, même si cette dernière est remise en cause par ses concurrents et plus encore, par les différents candidats à l’élection présidentielle. De plus, Benoît Hamon semble partir favori dans les catégories de la population les plus aptes à voter lors de cette élection : les personnes

Présidentielles - Les candidats Éditorial

âgées et les plus jeunes. Les 22 et 29 janvier, les sympathisants de gauche sont appelés à voter à cette « primaire citoyenne » pour leur candidat favori. 1€ par tour pour que Benoît Hamon ou un autre puisse devenir le chef de file d’un Parti socialiste qui devra remonter, quoi qu’il arrive, une pente que certains estiment

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insurmontable. N’oubliez jamais que le monde appartient à ceux qui y croient toujours et font de leur mieux, ici, pour séduire leur électorat. Je miserais sur une victoire de Benoît Hamon à la primaire et vous ?


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Tribunes Libres - Expression

Tribunes libres Expression

- Le covoit’, ou le huis clos de l’angoisse

Réactions

- Le marché français du poisson relancé par des propos sexistes Des Commissaires politique à l’IEP ? Une réponse contre les dérives.

Le covoit’, ou le huis clos de l’angoisse Par Igine Du Bonheur

Il est temps, dans ce journal qui n’aborde que trop brièvement les réels tracas de nos étudiants préférés, de nous pencher sur des problématiques plus triviales que la décadence trumpiste : le déplacement, la locomotion, le voyage. Et oui, le jeune actif aime à se déplacer d’un point A à un point B : de Kiehl à Strasbourg, de Strasbourg à Amsterdam, ou bien même de l’amphithéâtre au bar du coin de la rue pour les moins aventureux. Pour se faire, le covoiturage a pris une place éminente dans l’esprit du jeune mobile, notamment de par son prix attractif et… notamment de par son prix attractif. Il est vrai que les avantages ne sont pas toujours au rendez-vous lors d’un covoiturage : parce qu’un covoit’ ça peut être à 2 dans une mercedes climatisée avec la doublure de Bradley Cooper , mais c’est, le plus souvent, à 5 dans une twingo branlante au doux parfum de sueur. Le voyage se transforme donc plus ou moins en un long chemin de croix, dont le douloureux coup de dague dans les côtes se révèle être les discus-

sions longues, forcées, parfois même gênantes des passagers. Propos, ce mois-ci, soucieux de la quiétude de vos trajets, vous propose de tuer dans l’œuf toute forme de conversation ennuyeuse et gênante par une stratégie complexe et ancestrale : instaurer le malaise. Si vous êtes conducteur c’est facile. Expliquez que vous faites ce trajet dans le but d’aller assister à un stage de récupération de points, vous avez perdu vos deux derniers très récemment sur une petite vieille ma foi fort peu solide. Poussez le vice, expliquez que vous êtes en cavale, que le consentement ce n’est plus ce que c’était, et que, « si maintenant un non c’est plus un oui, ils auraient pu nous prév’nir. » N’oubliez pas de jurer, pour plus d’authenticité. Si vous êtes passager c’est plus complexe. Il s’agit alors de s’intégrer parfaitement, d’adopter une position centrale au sein de la discussion, afin d’y mieux déployer le malaise par la suite. Interrogez avec courtoisie les différents covoitureurs sur les raisons de leur voyage. L’un d’entre eux

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vous retournera la question. Vous prendrez alors une mine désespérée et expliquerez que vous allez enterrer votre chat Miaous, mort il y’a quelques mois, auprès de sa maman. L’un des passagers (le plus futé cela va sans dire) vous demandera alors avec empressement où est le corps du chat ; avec un sourire attendri, vous lui direz qu’il est dans votre sac à main. N’ayez pas peur de rajouter quelque chose comme « et désolée pour l’odeur hein » pour bien enraciner le malaise. Vous rechignez à vous servir des animaux à vos fins personnelles ? Vous avez raison, le veganisme c’est très trendy ces temps-ci. Nous avons pour vous une solution alternative. Après avoir mené tambour battant la discussion, abîmez-vous dans la lecture d’un livre dont les passagers ne peuvent apercevoir la couverture. L’un d’eux vous demandera alors avec courtoisie quel ouvrage captive ainsi votre attention. Faîtes preuve d’imagination, ne citez pas Hitler, il n’est pas assez polémique, ni Finkielkraut, trop obscur, un Alain Soral ou un Eric


Propos n°94

Zemmour quelconque fera l’affaire. Si vous pressentez un seul instant qu’au lieu de faire taire nos covoitureurs, cela les émoustillera, ne prenez pas de risque. Déboutonnez votre chemise, ébouriffez vos cheveux et commencez par aborder votre affection toute particulière pour la fête de l’huma et la guitare sèche, puis fermement mais avec douceur portez petit à petit vos interlocuteurs sur la crise des migrants, finissez par un « c’est pourquoi j’aimerai que chacun de vous accueille un jeune migrant chez lui, afin de créer un monde plus solidaire et uni contre l’adversité ». Normalement, à ce stade là, plus personne ne parle. Si vous servir de la cause migrante pour obtenir la paix dans un covoiturage vous semble (aussi) dénué de toute noblesse, ou si, je ne vous le souhaite pas, vous

Tribunes Libres - Expression

avez un moulin à parole particulièrement récalcitrant à bord, il n’existe plus qu’une seule solution : flatulez. Qu’importe si c’est bruyant ou odorant mais il faut que ce soit au moins l’un des deux. Il s’agit de la sauvegarde de votre paix intérieure pour les trois pro-

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chaines heures enfin ! Sur ces bonnes paroles, qui, je l’espère vous seront très utiles, je vous souhaite de très agréables voyages en covoiturage.


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Tribunes Libres - Réactions

Le marché français du poisson relancé par des propos sexistes Par Von Schtemler

C’est une situation peu commune. Le monde de la pêche française n’en revient toujours pas. La France est un pays de pêche. Le pays se hisse au 3e rang de l'Union européenne avec 643 000 tonnes de poissons par an. En valeur, ce volume de capture représente 1,144 milliard d'euros et l’Invincible Armada de la pêche française se compose de 7880 bateaux. On le comprend ce secteur porteur a une grande importance, notamment pour les pivots géostratégiques mondiaux que sont le Nord-Pas-de-Calais ou l’Aquitaine. La crise de 2008 a par conséquent ébranlé durablement cette source de revenu qu’est la pisciculture. Alors que tout espoir était presque perdu, un événement imprévu a tout changé. En effet une petite phrase

d’un maître de conférence en Histoire de première année à l’Institut d’études politiques de Strasbourg a déclenché la tempête. En affirmant que le rôle des femmes était de « pouvoir acheter le poisson sur le marché » il a provoqué une réaction planétaire. La réaction des marchés financiers ne s’est pas fait attendre. Les investisseurs ont massivement retiré leurs capitaux des entreprises considérées désormais comme moins intéressantes (Apple, Microsoft, Google) pour investir dans les entreprises principales de la pêche, notamment la « COMPAGNIE FRANCAISE DU THON OCEANIQUE » de la ville de Concarneau. Celle-ci a vu son action exploser de plus de 2138%. Egalement les marchés traditionnels ont vu leur fréquentation augmenter comme jaja. La

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recherche de poisson est devenue l’activité principale de centaines de milliers de femmes. Cela pose un sérieux problème à longterme. Comme le souligne le directeur de la « COMPAGNIE DES PECHES SAINT-MALO » : « On peut craindre que l’offre ne puisse suivre la demande. Aujourd’hui les Français consomment près de 5 kilos de poissons par jour et par personne. Tout ça à cause d’un WACQTD … ». La Truite arc-enciel, qui représente aujourd’hui 96% de la production nationale, est particulièrement menacée. Cette affaire a donc été portée devant le Tribunal Pénal International pour le sexisme et la sauvegarde des poissons (TPISSP), spécialement constitué pour l’occasion. Nous attendons encore la décision de la Cour mais Propos s’engage à vous la faire parvenir dès que possible.


Propos n°94

Tribunes Libres - Réactions

Des Commissaires politiques à l’IEP ? Une réponse Comme d’hab, si jamais t’es pas d’accord tu nous écris contre les dérives une réponse dans un bel article (ça marche mieux que Par Jules Féron et Matthieu Roche

Nous tenons à rappeler que nous sommes attachés au principe de l’égalité homme/ femme, et que nous ne cautionnons pas les propos tels que rapportés dans Paye ta Fac. La Charte proposée par Le Collectif Copines envisage la mise en place « d’un référent discrimination ». Il permet de collecter des témoignages anonymes sur les membres de l’IEP. La mise en place de cet outil traduit une volonté d’indépendance par rapport à l’administration. Cependant cela va à l’encontre de la liberté d’expression. D’abord le fonctionnement de cet organisme reste relativement flou. Cette mesure viole la valeur protégée par l’État de droit : le droit à la défense. La prise en compte de témoignages anonymes sans consultations de la personne attaquée constitue une dérive majeure. Cet organisme souhaite juger de manière indépendante ce qui est discriminatoire de ce qui ne l’est pas. Le ré-

les com’ sur facebook askip)

férent tente de manière subtile de se substituer au pouvoir judiciaire. Même si ce référent ne constitue en aucun cas une juridiction, il entend s’appuyer sur une certaine légitimité populaire (par la signature d’une charte). De manière implicite, il déclare alors ce que l’on a le droit de dire ou non. Par ce fait, c’est une atteinte à nos libertés. Bien qu’il garantisse l’anonymat des mises en causes, il révèle de manière implicite leur identité. Un autre droit est violé pour les personnes accusées. Le fait de relayer des citations anonymes et de porter un jugement de valeur sans en apprécier le contexte rompt avec un autre droit : la présomption d’innocence. Il manque cruellement dans ce mécanisme de référent la garantie d’une mise en cause équitable. « Les futurs fascistes se nommeront eux même des antifascistes » Winston Churchill. La liberté d’expression, on se bat pour elle, on manifeste pour elle, on meurt pour elle, depuis no-

tamment l’attentat de Charlie Hebdo et accessoirement la Révolution Française ! À présent, comme auparavant, la doctrine Brejnev est de retour, on traite de fascistes les opposants comme pour discréditer sans débattre ou comprendre les arguments politiques, on dirait que Sciences Po Strasbourg se met, tout simplement, juste à la mode, en introduisant une sorte de Commissaire Politique comme sous l’époque de l’URSS. La censure mènerait sempiternellement ipso facto à la dictature, comme le montre l’Histoire. Le commissaire politique, doté d’une légitimité douteuse, définirait la parole raciste ? Misogyne ? Transphobique ? En se basant sur quel critère ? En prenant compte de quel contexte ? On sait où commence la censure, on ne sait pas où elle s’arrête ! Bref, « Tout a commencé en mystique et tout finira en politique » écrivait Charles Péguy, aujourd’hui tout a commencé en Liberté et finira en censure.

Droit de réponse : la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres Par Le Maq

La liberté d’expression, c’est une notion bien sympathique. Certains souhaiteraient que nous vivions sans aucune limite à nos libertés fondamentales. Pourtant, vivre en société fait que l’exercice de ma liberté peut entrer en contradiction avec l’exercice qu’un autre peut faire de la sienne. À ce moment, quelle liberté privilégier ? Plutôt que de réglementer à tout va, il serait bien de pouvoir s’entendre sur un terrain commun, afin que personne ne se sente blessé par les propos (coucou Propos) ou les actes

d’autrui. C’est plutôt utopique malheureusement. On ne peut pas manifester n’importe comment, au risque de porter atteinte à la liberté d’aller et venir d’autres personnes. On ne peut pas avoir une totale liberté de domicile, puisqu’on doit respecter un principe d’antériorité (ceux qui ont déjà une maison quelque part empêchent les autres de s’y installer). Inutile donc de faire de la liberté un principe fondamental qui serait sans limite. Il est forcément, parce que nous vivons les uns avec les autres, limité.

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Ici, la liberté d’expression est elle-même limitée par la loi : on ne peut dire publiquement des choses que d’autres personnes peuvent trouver choquantes. C’est toujours dur de fixer où se situent les limites de l’humour grinçant et des réelles intentions , tout comme il est dur de savoir où se trouve la limite à ne pas franchir. Quoi qu’il en soit, si certains se sentent choqués, il est nécessaire qu’une action soit entreprise. Il ne s’agit pas forcément de censurer tous les propos, mais de fixer certaines limites pour pouvoir vivre en harmonie.


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Coup d’oeil dans le rétro

Le dossier du mois

Coup d’oeil dans le rétro Page 15 Page 27 Page 34

Interviews politiques Interviews culturelles et intellectuelles Interviews médiatiques

Parce que nous voulions vous faire revivre les meilleurs moments de Propos (mais surtout parce qu’avec les partiels on avait autre chose à faire), nous vous avons concocté pour ce numéro une petite compilation des meilleures interviews réalisées par les équipes de Propos au fur et à mesure des années. Ces interviews concernant l’Europe, le féminisme ou la culture entre autres sujets sont plus que jamais d’actualité. Vous pouvez d’ailleurs redécouvrir l’ensemble de ces numéros précédents sur notre site internet, dans la rubrique archives.

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Propos n°94

Coup d’oeil dans le rétro

Quel baratin, M. Badinter !

Par Karine Dal Canton, Céline Fouettard, Arnaud Cartier, et Richard Frizon. Comme Luxembourg ? Oui, Luxembourg aussi. Il y en aura d’autres, pour des raisons à la fois historiques et géographiques. Je pense que Prague est tout aussi européenne que Strasbourg. Êtes-vous pour le transfert de l’ÉNA à Strasbourg ? Je ne peux pas vous répondre, car j’ai une obligation de réserve en ce qui concerne les actes du gouvernement, bien qu’évidemment j’ai mon idée à ce sujet.

Vous sentez-vous d'abord français ou européen ? Les deux. Il n’y a pas de priorité dans ce domaine. C’est aujourd’hui indissociable. Pourriez-vous abandonner votre nationalité française pour une nationalité européenne ? La question ne se pose pas en ces termes. S’il existait une Europe dans laquelle les États étaient partie intégrantes, comme c’est le cas aux États-Unis, cela ne me gênerait pas. Mais nous n’en sommes pas là. C’est une perspective pour vous, jeunes gens. Quelles sont les raisons qui peuvent amener les jeunes à croire en l’Europe ? Pour vous, l’Europe est la dimension naturelle de l’avenir : ne pas se penser européen c’est faire de la rétroactivité, c’est remonter le

cours de l’histoire. Votre dimension est celle du continent. On n’a pas le choix ? Non, et c’est très bien comme cela. On ne peut pas se replier frileusement face à l’avenir, le regard du passé est monstrueux. Il faut se tourner vers une culture commune, un ensemble de valeurs communes, une perspective d’action beaucoup plus grande, un enrichissement par les contacts, par les amis. Ce sera long à réaliser, mais cela a coûté assez cher à tous nos aînés. Le souvenir d’une Europe des conflits est insupportable. Strasbourg est-elle une ville européenne ? Par vocation, oui. Probablement plus que d’autres villes d’Europe. Il y a quelques villes, qui, naturellement, se pensent européennes.

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Que peuvent attendre les jeunes de l’Europe dans l’avenir ? Rappelez-vous le slogan électoral du Front Populaire en 1936 : “Le pain, la paix, la liberté”. Je vous réponds que vous avez à en attendre le pain, la paix, la liberté, et j’ajoute la culture. Le pain, car l’Europe sera plus prospère ; la paix car sans Europe vous aurez des conflits ; et la liberté car l’Europe ne peut exister qu’en la liberté. Mais n’y a-t-il pas un risque de nouveaux fascismes ? Sûrement, mais cela n’empêche pas que la construction européenne se fera sur “le pain, la paix, la liberté”. Ce qu’on appelle les nouveaux fascismes ou les nouvelles formes de national-populisme seront par définition nationalistes, anti-européennes. Si on parle de discriminations, on retombera dans les pesanteurs tribales, et l’on sait où cela mène.


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Interview de Jacques Chirac : mars 1993

Par Karine Dal Canton, Anne Haefflinger, Richard Frizon, Laurent Gamet, Jean-Noël Petit et Benjamin Quénelle.

Nous voulions vous demander ce qui va bien en France ? Rien ! Je cherche, je ne sais pas. Pas le rugby, pas le football, en politique il n’y a pas grand chose. Le PSG ne marche pas mal. Et Nantes, il faut bien le reconnaître : comme cela, on ne sera pas accusé d’être partial. Quand on évoque à la fois une ville de droite et une ville de gauche, on ne peut pas être suspecté d’être partisan.

Vous ne semblez jamais donner une place à la conjoncture ou à d'autres aspects. Apparemment pour vous, tout est politique : l'homme politique de droite interviendrait et appuierait sur un bouton pour qu'il y ait moins de chômeurs. Il y aurait ainsi des réformes miracles. Si vous les avez, pourquoi n‘y a-t-on pas pensé avant ? Mais parce qu'il n'y en a pas. Je vous ferai une double réponse. La démocratie doit forcément être un affrontement d'idées, qui suppose un choc des convictions. Si tel n'était pas le cas, on arriverait à une espèce de compromis général, d’abstention générale. À partir de là, nous sommes convaincus que le socialisme a échoué et nous le disons. Nous ne sommes pas là pour faire l’apologie de ce qu’il aurait pu faire, de ce qu’il a fait : certaines choses sont bonnes, naturellement. Par exemple, j'ai moimême voté l'abolition de la peine de mort en 1981. Nous n'avons pas été nombreux dans l'actuelle opposition. Je considère que les socialistes ont eu raison d'abolir la peine de mort, mais je trouve que le bilan est terriblement négatif pour ce qui les concerne, nous menant dans une mauvaise situation. Il faut donc réagir. Le bilan est mauvais dans l'absolu, eu égard aux objectifs qu'ils s'étaient fixés. Et je dirai qu'à la limite, les plus grandes critiques contre la politique socialiste proviennent aujourd'hui des rangs même du parti socialiste.

Cela se situe sur le plan interne. Et par rapport à la politique étrangère ? Il y a eu une idée sur le plan européen mais qui n’est toujours pas suivie d’effets. En revanche, il y a, à l’évidence, une atténuation de sa politique traditionnelle, de sa politique méditerranéenne, devenue inexistante. C’est d’autant plus grave qu’un problème comme l’immigration, comme l’insertion de l’Islam en France, est étroitement dépendant des capacités de développement, notamment du Maghreb. On ne peut pas dire qu’il y a encore une politique arabe ; en fait, on cherche une ligne directrice. Le Président de la République, qui assume la responsabilité de la politique étrangère, s'est trompé. Il s'est enfermé dans une conception dépassée : on l'a vu notamment à la chute du Mur de Berlin car il n'a pas cru à la Réunification allemande et nous a mis à cet égard dans une situation impossible. Quelles en sont maintenant les conséquences ? Il en résulte l’affaiblissement important de notre position. Dans les instances internationales - aussi bien dans la Communauté que dans les grandes réunions internationales et en particulier le G7, la voix de la France n’est plus du tout écoutée comme elle le fut, la France est profondément affaiblie. Pour dire la vérité, nous ne pouvons plus défendre nos intérêts dans certains cas. Cette affaire de négociation du GATT est parlante : elle marque bien à quel point nous ne sommes plus capables d'avoir une politique à l'égard des États-Unis, à quel point nous ne sommes plus capables d'être un élément moteur de la construction européenne : de la position de l'Europe.

Si vous arrivez au pouvoir en 1993, quelle initiative prendrez-vous en matière européenne ? Je crois que la France devra être le champion d'une réorientation de la politique européenne. Nous devons avoir une idée de la politique et de la construction européenne confédérale

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- bien que ce mot n'ait pas beaucoup de sens — idée que plus personne ne songe à contester. La construction de l'Europe suppose donc un élargissement de la Communauté aussi rapide que possible, politique d'abord, économique ensuite, aux pays de l'Est européen. La reconstitution de la famille européenne suppose la démocratisation des institutions européennes. On ne peut plus laisser la conduite des affaires de l'Europe à une commission essentiellement composée de personnages qui, peu ou prou, n'ont pas réussi dans leur propre pays. Concrètement, qu’allez-vous proposer pour modifier les institutions européennes ? Que veut dire “diminuer le rôle de la commission” ? Le pouvoir législatif dans la Communauté est un pouvoir qui appartient au Conseil des Ministres. La commission ne devrait avoir qu’un pouvoir réglementaire réduit. Il faut donc d'abord diminuer les pouvoirs de la commission et deuxièmement, faire assumer par le Conseil de Gouvernements le pouvoir législatif que le Traité de Rome lui donne. Enfin, en ce qui concerne les négociations internationales - relevant donc des institutions et de leur démocratisation - on ne peut plus laisser négocier la commission. C’est la fin de toute politique communautaire ? Pas du tout. Je suis favorable à une politique étrangère communautaire pour autant que chaque pays conserve la capacité de prendre les initiatives qu'il entend prendre autant que de besoin. J'ai approuvé Mitterrand quand il est allé à Sarajevo, par exemple. Il sortait d'une réunion communautaire et on l'a accusé de s'être en quelque sorte désolidarisé de la Communauté en faisant ce voyage. Je considère qu'il avait parfaitement raison, la Communauté s'étant montrée dans l'incapacité d'avoir un point de vue commun : la France conserve alors son droit d'initiative et il était légitime que le Président de la République aille apporter


Propos n°94 un témoignage de solidarité à Sarajevo s'il estimait devoir le faire. On ne peut pas laisser négocier les affaires étrangères par des personnes qui ne représentent rien. Voyez M. Delors. .. Ils représentent l'intérêt communautaire. C'est écrit dans le Traité de Rome ! Oui, mais c'est de la théorie ! Quand Hitler disait, je ne suis d'ailleurs pas sûr que ce soit Hitler qui disait "le Pape, combien de divisions ? " C'était Staline qui disait cela, quand M. Bush reçoit M. Delors, on se trouve au sommet du ridicule, car M. Bush lui demande : "M. Delors, combien d'électeurs ?” La démocratie ne fonctionne pas comme cela. Et forcément ce qui doit arriver arrive : il est pulvérisé. Seul le Président en exercice du Conseil de Gouvernements, des chefs d'Etat de Gouvernements, devrait rester, à mon avis trois ans et non pas changer tous les six mois. Cela pourrait être une initiative de votre part ? Oui, de façon à ce que les Chefs d'Etat ne soient pas toujours automatiquement à la queue-leu-leu. Il faut que ce soit le chef d'Etat et de gouvernement qui soit le Président en exercice du Conseil, car lui seul a un pouvoir politique et peut parler d'égal à égal avec le Président des États-Unis, avec le Premier Ministre japonais ou tout autre. Quand on voir arriver M. Delors, cela ne fait pas sérieux ; le résultat en est le compromis de Washington : on cède sur tous les plans. Ce système est absurde, il est pervers, il faut le changer. On connait vos positions divergentes, à vous et à M. Séguin, sur Maastricht. Si vous vous retrouvez un jour Chef de l'Etat et que M. Séguin détient alors un poste important dans le gouvernement, pensez-vous que cela sera crédible ? Comment pensez-vous pouvoir concilier vos intérêts divergents sur la question européenne ? Vous savez, sur cette affaire de Maastricht, nous avons eu des opinions divergentes, comme d'ailleurs dans beaucoup de partis politiques, mais pas sur la vision de l'Europe que nous voulons et donc sur les ini-

Coup d’oeil dans le rétro tiatives que nous voulons prendre. Sur Maastricht, je considérais que ce n'était pas un engagement dangereux, Philippe Séguin pensait que si. Le peuple français a tranché. Les Français nous ont donné raison à tous les deux dans la mesure où ceux qui ont voté "oui" ont expliqué, par les sondages, qu'ils voulaient marquer à titre principal, leur confiance dans la construction européenne. Ceux qui ont voté “non" voulaient marquer, à titre principal, leur défiance vis-à-vis du texte du traité. Les deux opinions étaient finalement complémentaires. Que pensez-vous du fait que la ville de Paris ait 45000 fonctionnaires alors que Bruxelles n'en a que 15000, pour la Commission ? N'estce pas un peu disproportionné ? C’est totalement disproportionné. La ville de Paris a 39000 fonctionnaires : compte tenu de ce qu'il y a à faire, y compris le nettoyage des trottoirs, l'entretien des jardins, je considère que 5000 fonctionnaires seraient très largement suffisants... à Bruxelles. Chaque fois que vous y créez un poste, vous avez très rapidement besoin d'une secrétaire, d'un chef de service, qui a besoin d'une voiture, donc d'un chauffeur, etc... Nous payons tout cela. Mais que font-ils ? Des règlements. L'E.N.A. est-elle selon vous définitivement installée à Strasbourg, ou pourriez-vous remettre en cause cette délocalisation ? L'E.N.A., telle qu'elle est, ne peut pas marcher à Strasbourg. Pour une raison très simple : 80 à 90 % des professeurs de l’E.N.A. sont des hauts fonctionnaires ou des personnalités du monde économique et financier, vivant à Paris, et acceptant de donner leurs cours à Paris, ce qui fait la force et l'originalité de l’E.N.A. Ils n'accepteront pas de donner leurs cours à Strasbourg. Il y aura des personnalités européennes à Strasbourg que l'on ne trouve pas à Paris. Je ne les connais pas. Qu'on fasse un stage, trois mois d'études pour rencontrer des personnalités européennes (qui sont d'ailleurs surtout à Bruxelles ou à Luxembourg) à Strasbourg, je veux bien ; je ne suis pas contre une E.N.A. itinérante. Il faudra d'abord

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examiner le détail d'une adaptation possible d'un stage à Strasbourg pour des contacts européens. Il faudra également prendre une décision sur la formation des futurs hauts fonctionnaires français : doit-on conserver la formation telle qu'elle existe, et à ce moment-là recréer une autre E.N.A. à Paris et faire deux E.N.A., une à Paris et une à Strasbourg pour la formation européenne, ou conserver l’E.N.A. tout court et dans ce cas-là la faire revenir à Paris? Une dernière question : vous estil déjà arrivé de mentir dans votre carrière politique ? Je suis toujours parti d'un principe que j'ai essayé de respecter : quand on ment, on se prend généralement les pieds dans le tapis. S'il y a alors des choses que je ne veux pas dire, j'essaie plutôt de m'en abstenir mais pas de mentir, pour des raisons qui ne sont pas seulement morales. Il ne faut ni mentir ni être en retard. Mais j'ai certainement menti, hélas ! Et vous, M. Séguin ? En politique, je ne crois pas. C'est aussi dangereux en politique qu'en amour : vous vous retrouvez toujours face à vos contradictions. Que pensez-vous de M. de Villiers ? Cela nous a semblé bizarre de vous voir aux côtés de M . de Villiers pendant la campagne du référendum. Je n'avoue rien du tout. Nous avons participé au même gouvernement, nous appartenons tous les deux à l'opposition, nous avions la même position sur Maastricht, on a fait une réunion commune pendant la campagne. Mais que vous inspire le "Combat pour les Valeurs" ? Je ne fais pas partie de " Combat pour les Valeurs ". Si cela m'inspirait, j'en ferai partie. Or, ce n'est pas le cas.


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Interview d’Élisabeth Guigou : juin 1994 Par Jérôme Alemany, Anaël Bello, Marc Omans

Il y a peu de temps, Jacques Attali est venu présenter son livre dans lequel il montre comment l’Europe n’a pas pris son avenir en main, n’a pas été vraiment responsable en 1989 lorsque les pays de l’Est se sont «libérés». Partagez-vous ce jugement ? Oui, je partage le diagnostic, mais je ne partage pas les solutions que Jacques Attali propose.

Pensez-vous comme lui que Maastricht n’est plus applicable en l’état et qu’il faudra réformer profondément le traité ? De toute façon le traité de Maastricht a prévu sa propre révision, c’est déjà une chose. Ensuite je ne partage pas le pessimisme de Jacques Attali sur la monnaie unique : il considère qu’elle ne se fera pas ; moi je considère qu’il n’y a pas de raisons de penser cela. C‘est devenu plus difficile depuis la crise de l'été dernier mais il y a toujours les mêmes raisons de la faire donc je pense qu’il ne faut pas baisser les bras. Je suis peutêtre trop volontariste, mais il a fallu beaucoup de volonté pour faire l’Europe. Récemment à l’occasion d’une interview nous avons rencontré M.Alldén,conseiller de la Suède auprès de la commission de Bruxelles. La Suède affronte actuellement de grosses difficultés intérieures pour savoir si le pays doit se joindre à l’Union Européenne ou non. En octobre il y aura un référendum. Que diriez-vous aux Suédois pour qu’ils nous rejoignent ? Je ne suis peut-être pas la mieux placée pour convaincre les Suédois mais je leur dirais : « Ne croyez pas que l’Europe va vous dépouiller de votre identité suédoise. Elle existe au contraire à partir de nos diversités et vous pouvez nous ai-

der à faire en sorte que l’Europe ne soit pas l’espace du dumping social. Je crois que si on le veut, si la Suède reste isolée et si la France reste isolée, nous aurons plus de risque de perdre notre modèle de société ».

Jusqu’où peut aller l’élargissement de l’U.E., jusqu’à combien de pays et quand ? À combien de pays, je ne sais pas, je ne les ai pas compté. Pour moi, l’UE peut inclure tous les pays d’Europe centrale et orientale. Je ne pense pas qu’elle puisse accueillir les républiques de l'exUnion Soviétique, parce que cela provoquerait un complexe d’encerclement qui est traditionnel déjà en Histoire et qu’il faut éviter. Donc, je crois qu'on ne peut pas étendre les frontières de l’Europe politique jusqu’aux frontières de l’Europe géographique. Je crois que l’Europe culturelle doit inclure toute la Russie, c’est-à—dire au-delà de l’Oural. La culture russe fait partie de la culture européenne. Je crois beaucoup à une Europe à Géographie variable selon les domaines d’action qui intégrerait un plus ou moins grand nombre de pays. Je crois que les États d’Europe centrale et orientale seront prêts à rentrer dans l’U.E. dans quelques années mais le problème est davantage celui d’une réforme des institutions de l’U.E. pour pouvoir tenir le choc. Parce que l’élargissement en soi, c’est bien, c’est une preuve de vitalité? Je pense plus que les États du nord de l’Europe sont des pays à forte tradition sociale, je trouve cela bien. Les pays d’Europe centrale et orientale voudront comme nous une Europe forte, très structurée avec une défense, une armée. Je trouve cela très bien aussi. Ce ne sont pas des pays qui voudront la fin de l’Europe mais il faut muscler les institutions

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auparavant. Quelle est l’autonomie d’un ministre des affaires européennes, quelle est l’autonomie d’un ministre actuel, quelle était la vôtre dans le cadre des rapports complexes avec tous les organes qui participent à la définition de la politique européenne : le président, le premier ministre, le ministre des affaires européenne et le S.G.C.I ? Je ne veux pas parler pour mon successeur. Vous lui poserez la question. Moi, j’ai toujours fait ce que je voulais faire. Peut-être parce que je connaissais très bien l’administration. D’autre part, j’ai très bien travaillé en bonne intelligence avec Roland Dumas et très souvent avec le président directement. Le rôle de ministre des affaires Européennes n’est pas facile parce que vous n’avez pas de domaine en propre. Vous devez irriguer toute l’action gouvernementale de la préoccupation européenne. Il faut donc être complètement transversal, ne pas avoir le complexe de fond de commerce et accepter de vouloir jouer un rôle d’aiguillon au sein du gouvernement que de vouloir défendre son pré carré. J’ai eu une chance folle. J’ai été là pendant deux ans et demi seulement : on a négocié le traité de l’Union Européenne, on l’a fait ratifier. C’était une période particulièrement intense, les événements se sont succédé à l’est... Je suis très heureuse d’avoir vécu cette expérience et je suis très heureuse aussi d'avoir pris du recul. Je trouve que l’alternance a du bon! Qu’est-ce qui va bien en France à votre avis ? Beaucoup de choses, les Français font beaucoup de choses par euxmêmes heureusement. J’espère qu'ils continueront.


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Interview de Bernard Kouchner : novembre 1994 Par la rédaction

Quelle est la relation entre votre initiative et l'Observatoire des Conflits, le projet de Michel Rocard ? Excellente! On va tous adhérer à son observatoire. Il nous donnera un instrument et nous on donnera des voix militantes et de la force. Qu'est-ce que c'est l’Observatoire? Ce sera un endroit où on pourra à la fois avoir une documentation précise pour le Parlement et un regroupement d'informations qu'on se procure d'habitude dans divers endroits, et qui pourraient donner une trame où se marieraient le prix des tomates sur le marché, la sécheresse, la démographie, les atteintes aux droits de l'homme, la liberté religieuse, le pluralisme, etc… On ferait ainsi une analyse scientifique d'une région du monde. En général ces informations se trouvent dans un certain nombre d'universités; les journalistes sont d'un côté, les militants, les membres des ONG sur le terrain, d'un autre. Pourquoi ne pas mettre ça ensemble et avoir une vraie indication ? Cela ne veut pas dire qu'on sache à quelle heure va se déclencher le conflit du Zaïre. Mais il y a des facteurs qu'on appelle en médecine des facteurs de risques. On sait très bien le faire pour la cardiologie, pourquoi ne le fait—on pas pour les guerres ? Quand on aura ça, est-ce qu’on sera capable d'alerter suffisamment l'opinion publique ? Tout le problème est là. L'assemblée pour laquelle vous avez été élu aura pour charge de réformer en 1996 le traité de Maastricht. Comment comptez-vous faire entrer vos réflexions en matière de politique extérieure et de défense commune dans cette révision ?

Le traité de Maastricht autorise des pouvoirs supplémentaires au Parlement et donc il faut s'en servir. Pour le sujet le plus difficile, la politique extérieure est le défense commune, une perspective existe mais rien n'est fait. Les choses se mettent en place très lentement. L'Eurocorps existe à Strasbourg, mais la France, l’Allemagne, la Belgique, l'Espagne, peut-être les Pays-Bas, ce n'est pas encore suffisant. La théorie c'est bien : on va vers une politique extérieure et de défense commune. Mais quand ? On voit que pour le Rwanda, il n'y en a pas eu, de même que pour la Bosnie. A chaque fois le Parlement doit absolument Intervenir, au niveau des résolutions, alerter l'opinion publique, demander aux ministres en exercice de la présidence de venir s'expliquer, voter un budget particulier. Ce sont des moyens d'expression d'un Parlement qui ne s'intéresse qu'au législatif. Nous hurlons en permanence, nous sommes en permanence déçus de ne pas avoir assez de pouvoirs. Cela ne fait rien, il faut continuer. Cette initiative au niveau européen, comme la critique des partis politiques de Daniel Cohn-Bendit, ça ne vous donne pas envie de faire quelque chose au niveau national? J'arrête pas! Simplement il faut des idées neuves pour que la politique soit neuve, sinon on s'ennuie. C'est pas possible, c'est trop mortel ! Et dans le débat présidentiel, vous en voyez ? Oui,oui,oui,oui,oui,. J'ai un mouvement qui s'appelle Réunir, et on va questionner les candidats de façon très précise, sur ces idées neuves. Vous croyez à d'autres formes d'expression politique et de par-

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ticipation ? Que veut dire «société civile» ? Cela veut dire que des organisations comme Médecins Sans Frontières et Médecin du Monde, qui ne faisaient pas de politique croyaient-ils - et ne voulaient pas en faire, en fait ont transformé la vie ; et que le poids des militants des Droits de l'Homme, le poids des individus par rapport à l'exigence de Droits de l'Homme, ont transformé le monde. Les politiques ont suivi. Les idées politiques sont toujours dans la société civile et les hommes politiques vont les pêcher. Il faudrait que la société civile soit directement branchée sur des activités politiques, mais elle ne le souhaite pas. Les ONG, les associations ne veulent pas passer en politique. Si bien qu’on peut toujours aller secourir les victimes, si on laisse la «production» des victimes se faire, on ne fera pas son boulot ! Malheureusement la différence reste très importante entre la société politique et la société civile.


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Interview de Dany le Rouge : novembre 1994 Par Jérôme Alemany

Votre critique des partis politiques traditionnels ça va jusqu'où ? Vous êtes quand même adjoint d'une municipalité importante... Tant que le Parti Vert me supporte, ça va… C'est pas facile pour eux parfois... Non, le grand problème que j'ai avec les partis politiques dans leur ensemble, c'est qu'ils n'arrivent pas à discuter. Un vrai débat politique est toujours difficile : un parti politique propose quelque chose en disant "Voici comment cela doit se passer pour que tout aille bien". Alors que tout le monde sait que c'est une proposition qui a certainement des effets pervers et créera des difficultés. Donc ce n'est pas un débat politique ouvert où on avoue franchement des incertitudes et qui ne permet pas aux autres de dire pourquoi ils sont

contre. C'est le système “Right or wrong my country, Right or wrong my party”. C'est un problème de partis, de communication, de société civile ? L'important c'est la remobilisation des gens. Et je ne crois pas que les partis arriveront à remobiliser la plupart des gens. Il y a un besoin à l'intérieur des sociétés, d'engagement, d'action collective, mais pas seulement dans les partis. Mais les partis offrent toujours les meilleures chances de reconnaissance, en terme de pouvoir. Oui, mais regardez, des gens comme moi ou comme Bernard : si les partis viennent les chercher à un certain moment, c'est que la reconnaissance avait eu lieu

avant. Il y a des tas de possibilités de se lancer dans la société civile et après, de passer un pacte, un accord avec un parti, pour être élu. Je ne veux pas non plus créer un nouveau parti et dire «Moi j'ai la solution». Je crois que la vie politique d'un parti a sa logique. Mais elle ne vit vraiment que s'il y a eu au-dehors des partis une vie politique aussi. Et alors seulement, il y a un va-et-vient possible. Sur les présidentielles "Le meilleur président qu’on peut avoir dans la situation actuelle, pas comme ennemi,mais disons avec qui on dialoguerait critiquement, c'est Delors. Si vous avez le choix entre Balladur, Chirac et Delors, vous choisissez Delors, et après vous le poussez dans ses retranchements..."

Charles Pasqua, politique, pétanque, pastis et présidentielles : décembre 2001 Par la rédaction

Mercredi 14 novembre, 21 heures 30. Dans un petit salon du Sofitel, Charles Pasqua vient d'arriver après avoir achevé une séance de dédicace improvisée en bas de l'amphi 324. Enfin disponible, je l'alpague et l'entraîne vers un petit fauteuil molletonnée pour 4 minutes 22 (montre en main) d'entretien. On va commencer par une petite question légère; vous étiez cadre dans une petite entreprise d'alcools anisés. Est-ce à dire que vous êtes un bon joueur de pétanque ? Charles Pasqua- Oh ! Non pas du tout. Je joue aux boules comme tout le monde, mais je ne suis pas bon du tout !

Donc ce n'est pas le corollaire de tous les employés de Ricard ? Pasqua Ce n'est pas non plus le fait de tous les méridionaux. Tous les méridionaux ne sont pas des joueurs de pétanque, pas plus qu'ils ne sont des champions de belote.

Souverainiste ? Pasqua-(hésitant) Oui, mais ça dépend ce qu'on met dans le mot souverainiste. Souverainiste, cela veut dire être maître chez soi. Ça ne veut pas dire ce que certains veulent comprendre, c'est à dire conservateur. Ce sont deux choses différentes.

Sans transition, politique. On a parfois quelque peu de mal à vous situer dans le paysage français. Vous ambitionnez à être au-dessus des partis. Je vais donc vous proposer quelques qualificatifs et vous allez me dire dans quelle mesure vous vous reconnaissez dans ces termes. Gaulliste ? Pasqua- Oh oui ! Certainement.

Anti-mondialiste ? Pasqua- Si la mondialisation rime avec échanges débridés sur le plan économique: oui. Si au contraire la mondialisation ce sont les échanges internationaux: non. Mais je crois que la mondialisation existe depuis le début des échanges, c'est-à-dire il y a des millénaires, il ne faut pas se leurrer. Mais telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui c'est-à-dire le triomphe de

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l'argent, l'argent roi, l'argent considéré comme le valeur essentielle de la civilisation, c'est là que je ne suis plus d'accord... Humaniste ? C. Pasqua - Oui. certainement. Méridional ? C. Pasqua - Bien évidemment. Jacobin ? C. Pasqua - Oui, d'une certaine manière, mais je suis comme tous les Français. Je suis partagé en deux ; je suis parfois pour un renforcement de l'autorité, et parfois partisan du développement des libertés. Séducteur ? C. Pasqua - Comme tout homme politique. Je crois qu'il faut entraîner. Si la séduction. ça consiste à convaincre pour entraîner, oui sûrement. Et avec les femmes, ça aide d'être dans la politique ? C. Pasqua - Chacun a sa conception de la vie. C'est vrai qu'il y a une certaine attirance des femmes pour les hommes politiques. Est-ce que en tant qu'ancien ministre de l'Intérieur, vous comprenez le malaise des policiers, est-ce que vous avez un sentiment de culpabilité ou de responsabilité ? C. Pasqua - Pas du tout ! D'ailleurs les policiers lorsqu'ils me voient me demandent :« quand est-ce que vous revenez, Monsieur Pasqua ? ». J'étais apprécié dans la corporation. Avec moi, ils se sentaient gouvernés, ils se sentaient commandés. Ils se sentaient aussi respectés et défendus, ce qui n'est pas le cas à l'heure actuelle. Je pense qu'être ministre de l’Intérieur, ça ne consiste pas seulement à voir une bagnole et une cocarde, et à faire le joli coeur au Parlement. Ca veut dire être disponible 24 heures sur

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24 pour assumer ses responsabilités. Il faut que les policiers sachent que leur ministre est là en permanence comme eux. C'est clair (NDLR: M.Pasqua regardait-il Loft Story ?)

a le droit de se défendre. Elle a non seulement le droit de le faire, mais aussi le devoir. Donc même si on l'a supprimée il y a vingt ans, s'il faut la rétablir aujourd'hui on la rétablit.

Un petit cas pratique; si Chirac démissionne demain et que vous accédez à l‘Elysée le 28 décembre, est-ce que vous mettez tous les moyens en œuvre pour retarder le passage à l’Euro (NDLR: en gros, est-ce que vous retardez le jour de l'an ?) C.Pasqua- Moi je considère que le passage l’Euro ne devrait pas entraîner la disparition du franc. Voilà. Autrement dit que l'on ait l’Euro comme monnaie commune, qu'on puisse l'utiliser dans l'ensemble de l’Union, ou même à l'extérieur, pourquoi pas...Mais je ne vois pas pour quelles raisons ça devrait entraîner la disparition du franc.

Donc vous pensez qu’aujourd’hui elle est de nouveau d’actualité ? C. Pasqua - (pianissimo) C’est indispensable

Donc vous souhaitez que les deux monnaies cohabitent ? Charles Pasqua - Absolument. Je trouve ça stupide. ... C. Pasqua -... D'accord. En 1981, après l'arrivée au pouvoir de la gauche, vous avez voté pour l'abolition de la peine de mort, si je ne m'abuse. C. Pasqua - Je ne crois pas que j'ai voté pour l'abolition de la peine de la mort. Mais en vérité, je ne m'en souviens pas. Peut-être que j'ai voté pour l'abolition de la peine de mort, c'est possible. Il y a 15 jours, vous vous êtes prononcé en faveur de son rétablissement pour les crimes vraiment odieux. C. Pasqua - Mais de toute façon en elle même, il ne faut pas considérer la peine de mort comme un tabou. Je veux dire que la société

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Elle devrait faire partie de l’échelle des sanctions juridiques ? C. Pasqua - Tout à fait. En tous les cas il faut que cette menace existe. Parce qu’aujourd’hui, comme je le disais tout à l’heure, la peine de mort, elle est pratiquée par les truands. La peine de mort existe… mais ce sont les honnêtes gens qui la subissent, pas les gangsters. Vous pensez qu’elle pourrait avoir un effet dissuasif ? C. Pasqua - C’est sûr. En 2002, vous préférez voir gagner un européen centriste de droite, type Bayrou, ou un souverainiste de gauche, type Chevènement ? C. Pasqua - Je crois qu’ils n’ont aucune chance ni l’un ni l’autre … (grand éclat de rire et petite tape dans le dos pour me faire comprendre que l’interview est finie). Quelques minutes après cet entretien, autour d’une coupe de champagne, Monsieur Pasqua s’est laissé aller, en comité restreint, à quelques dérapages. Authentique : “L’Europe peut certes s’élargir, même accepter des Polonais ou des Bulgares. Mais 100 000 000 de Turcs : vous vous rendez compte, ce serait de la folie. En plus ce sont des Musulmans. On a déjà les Bosniaques”. Ou encore : “50 ans de communisme ont rendu les Prussiens paresseux et fainéants. Seul le communisme était capable d’un tel exploit”. Sans commentaire.


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Gisèle Halimi et le féminisme : mai 1992 Par Céline Fouchard, Hervé Brasselet, Benjamin Quénelle

Gisèle Halimi, avocate à la cour d'appel de Paris, est présidente du mouvement féministe «Choisir la Cause des Femmes ». Elle a été députée à l'Assemblée Nationale et ambassadrice de France auprès de I'U.N.E.S.C.O. L'entretien a été réalisé au mois de décembre 1991. Madame Edith Cresson était alors la première Première Ministre de France...

Edith Cresson Première Ministre : cette nomination est-elle un échec pour les femmes ? Je crois franchement qu'Edith CRESSON n'a aucune autonomie ! Et c'est pour cela d'ailleurs que Mitterrand l'a choisie : aucun homme n'aurait pu être aussi peu autonome à ce poste qu'elle. Aucun, même dans son propre parti dans son propre courant. Peut-être que les mentalités n'étaient pas prêtes ? Mais, chère Céline. les mentalités ne sont jamais prêtes au moment où l'on fait les choses. La nomination d'une femme Premier Ministre, cela a quand même créé une grande polémique.. . Non. cela n'est pas vrai. C'est pour cela que je lui en veux. Edith Cresson a été accueillie à 50% d'opinions favorables, aussi bien dans l'opposition que dans la majorité. Les trois premières semaines, tout lui était favorable. L'opinion publique se disait : pourquoi pas une femme ? C'est d'ailleurs pour cela que Mitterrand avait réussi son coup : pour la première fois une femme était à Matignon. Cela était objectivement une avancée. Quelles que soient les arrières-pensées du Président. Seulement, j'en veux à Edith Cresson parce que lors de son discours d'investiture elle n'a pas eu un mot sur

les femmes. Elle est bien entendu très anti-féministe. Je la connais : ce n'est pas son truc, cela ne l'intéresse pas.

Comment une femme peut-elle être anti-féministe ? Edith Cresson est anti-féministe. parce qu'elle croit que le féminisme l’éloigne des hommes. C'est tout de même une idée très courante, répandue par les valeurs patriarcales. Combien de fois ai-je entendu: « elle n'est pas assez tarte pour être féministe », ou « elle est trop intelligente pour être féministe », ou « elle est belle, dommage elle est féministe ! ». Peut-être aussi que le féminisme a connu son intégrisme ? Non. il n'a pas eu son intégrisme. Il a eu son avant-garde, ses excès tout à fait nécessaires. Même tout à fait salutaires : ce qu'ont fait les premières féministes pour le droit de vote, personne ne le salue plus. Pourtant, sans elles, il n'y aurait pas eu d'Edith Cresson. C'est pour cela que je lui en veux ; parce qu'elle a le droit d'être anti-féministe, mais elle avait le devoir d'avoir un petit mot pour toutes les féministes, pour remercier les cohortes obscures de femmes qui se sont battues avant elle. Elle avait donc un mot à dire : « Je suis la première femme Première Ministre et je mesure l'honneur. l'importance. la responsabilité... » C'est tout, une phrase ! Mais elle ne l'a pas dite. Le résultat : elle a été rejetée par le corps des hommes et par celui des femmes. Ce rejet-là, ce n'est pas parce qu'elle est une femme. Le féminisme est-il une lutte de gauche ? Non, pas du tout. Le féminisme doit être une lutte tout à fait indépendante. En 1974, le mouvement CHOISIR n'a pas pris position entre

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les deux candidats. Par contre en 1981, entre les deux tours nous avions invité Mitterrand et VGE. Ils avaient tous deux donné leur accord ; mais, à la dernière minute, VGE avait changé son calcul : il voulait mordre sur la droite, il n'avait donc rien à gagner à venir parler aux femmes. CHOISIR, à la différence de 1974, s'est engagé, car VGE n'était pas venu à notre rencontre. Mitterrand, lui, avait fait une série de promesses. Il ne les a bien sûr pas tenues depuis. Par exemple, ses promesses parlaient de 300 000 places de crèches. On en est aujourd'hui à 30 000... La lutte féministe est-elle compatible avec la lutte au sein d'un parti politique ? Je n'ai jamais cru au féminisme à l'intérieur d'un parti. Il faut une totale indépendance.Vous pouvez appartenir à un parti mais à la condition que si un jour les deux engagements entrent en contradiction, vous donnerez d'avance la priorité au féminisme. Lorsque vous êtes dans un parti, il faut également militer dans une association féministe ; car c'est là que les femmes travaillent. Vous pouvez ensuite devenir la porte-parole de cette association dans ce parti. Etes-vous favorable au ministère des Affaires Féminines ? Oui, mais à la condition que la règle de la solidarité gouvernementale ne s'applique jamais à ce ministère. Si le ministre du Budget souhaite supprimer le remboursement de l'lVG pour des raisons de pure économie, le ministre aux Affaires Féminines ne doit pas pour autant avaliser cette décision au nom de la solidarité gouvernementale. Dans le gouvernement ce ministère devrait regrouper une série de morceaux de ministères qui concernent les femmes. Le travail


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des femmes dépendrait alors de ce ministère. Ne risque-t-on pas d'aboutir à une séparation trop systématique ? Ce n'est pas une séparation, mais une manière de mieux colmater les brèches, supprimer les hiatus. Car l'égalité professionnelle est aujourd'hui un leurre. Les souvenirs que j'ai d'il y a trente ans sont encore bien souvent des réalités d'aujourd'hui. Il y a un écart de 30% entre la masse salariale des hommes et des femmes, aujourd'hui comme il y a trentes ans. La discrimination à l'embauche, on la connaît, de même que dans la

promotion ou dans la formation. La loi suffit-elle à provoquer de vrais changements ? J‘avais proposé une nouvelle loi sur le viol : elle permettait aux organisations féministes pour la première fois d'être partie civile au procès. Jusqu'alors, j'avais essayé de plaider pour les femmes violées au nom de CHOISIR . Cela avait été refusé car la législation ne le permettait pas. C'est la même chose qu'il faudrait appliquer sur la loi de l'égalité professionnelle : je ne fais absolument pas confiance aux syndicats pour se battre sur ce thème ; ils s'en moquent. Ils sont dirigés uniquement par des

hommes même quand les travailleuses représentent 80%. Prenez la F.E.N.(Fédération de l’Education nationale ndlr) : les femmes sont à la base majoritaire dans le corps éducatif, mais à la tête du syndicat dominent les hommes. 80% des femmes sont représentées par des hommes. Ils vous disent très franchement, quand vous les acculez, selon leur mentalité, leur morale qu'il est plus important pour un homme d'avoir un métier , une rémunération, une promotion que pour une femme. Ils vous le disent quelle que soit la couleur du syndicat : rien ne ressemble autant à un misogyne de gauche qu'à un misogyne de droite.

Interview croisée, la culture selon J. Lang et M. Schneider Par Anne Haefllinger et Alexandre Rotureau QUELLE CULTURE POUR QUEL MINISTÈRE ? Comment définissez-vous votre mission de Ministre de la Culture ? J.L. : Mon rôle est d'offrir à tous ceux qui le désirent toutes les possibilités d'accès à la culture, à toutes les formes de culture. Cela suppose une volonté d'ouverture vers des publics qui longtemps ont été tenus à l'écart de la vie culturelle de notre pays. Cette action en direction du public a évidemment son corollaire tout naturel dans le soutien aux artistes et aux créateurs. Il faut les aider non seulement en facilitant leurs conditions de travail mais aussi, précisément, en multipliant les occasions de rencontres avec leur public. Par ailleurs, le Ministre de la Culture a aussi la charge de notre patrimoine. Je dois en assurer la sauvegarde en faisant prendre confiance à chacun que ce patrimoine est notre bien commun et que chaque Français doit y avoir accès le plus aisément possible.

M.S. : La question essentielle est de se demander si ce qui a été fait par l’'Etat depuis 1981 relève effectivement d'une action longue; est-ce que le Ministère de la Culture a été effectivement un Ministère de la Culture, ou est-ce qu'il n'a pas été beaucoup plus le Ministère des artistes. En ce sens, il y a comédie, car on n'a pas traité les problèmes de fond, et on s'est servi des artistes pour valoriser l'Etat. et le Ministre qui était en charge de ce secteur. Cependant, il faut nuancer. Il y a eu dans certain secteurs une bonne politique, une vraie politique qui s'est préoccupée des besoins, de la demande, de la démocratisation. Par exemple. doubler la surface d'exposition du Louvre ou maintenir un réseau de librairies vivantes, c'est une bonne politique, qui se préoccupe de la demande. Pour garder l’exemple du livre : c'était plus utile que de subventionner des écrivains pour écrire des livres. Le grand reproche que je fais, c'est que cette politique est restée marginale. LES RAPPORTS CULTURE-ETAT

Comment jugez-vous la façon dont Jack Lang a mené sa mission au Ministère de la Culture ?

L'existence d'un Ministère de la Culture signifie-t-elle que la Culture doit être au service de l'Etat ?

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J .L. : Un Ministère de la Culture ne doit évidemment pas être un outil de propagande, quel qu'en soit le bénéficiaire. Accomplir un ministère, c'est, étymologiquement, rendre un service. Un Ministre est un serviteur de l'Etat, et le Ministère de la Culture doit, avant tout, correspondre à des besoins : ceux des artistes et de tous les citoyens - chaque personne vivant sur notre territoire ayant un droit égal au plaisir et à l'enrichissement dont la lecture, la musique ou le théâtre sont la source. Le Ministère de la Culture a-t-il mis la culture au service de l'Etat ? M.S. : Non, je n'irai pas jusque là. Au contraire, dans un premier temps, il y a eu une politique des artistes, qui était nécessaire afin de légitimer et de donner un coup de projecteur sur l'action culturelle, et d'apprendre aux Français que dépenser de l'argent dans la culture, cela n'était pas une mauvaise dépense, que cela était aussi valable que de le dépenser dans des crèches ou dans des autoroutes. Cela a été le rôle de Lang l, de 81 à 86. En revanche, après, ce que l'on aurait attendu, c’est-à-dire le passage d'une


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politique des artistes et des arts à un Ministère de la Culture, au sens de l'ensemencement de fond. a fait défaut. Finalement, le pouvoir s'est davantage mis au service de la culture que l'inverse. CULTURE ET EDUCATION Le développement de la culture passe certainement par l'éducation. Est-ce dans cette optique que s'inscrit le rapprochement du Ministère de la Culture avec celui de l'Éducation ? J.L. : La culture et l'éducation sont faites pour se marier, par amour et par raison. Tout commence à l'école: la formation artistique, le goût pour la lecture, l'initiation à notre patrimoine, ce qui est fait ou n'est pas fait dès le plus jeune âge sera par la suite déterminant. Les acquis seront très souvent profitables pour toute la vie, tandis que les retards seront ensuite bien difficiles à rattraper. Le regroupement entre les deux Ministères, Éducation et culture, apparaît donc comme une chose toute naturelle. Il permet de rassembler les énergies et de mieux mobiliser les compétences au service d'un seul et même objectif : l'épanouissement de l'individu. Le développement des pratiques culturelles passe certainement par l'éducation. Le rapprochement du Ministère de la Culture avec celui de l'Éducation peut-il être bénéfique à ce sujet ? M.S. : Bien sûr ! Pour remplir les musées, la seule solution est d'apprendre aux enfants depuis le plus jeune âge qu'un tableau, cela se regarde, se lit, se découvre, et que cela n'est pas accessible immédiatement. La culture, contrairement à ce que l'on feint de croire au Ministère de la Culture, ce n'est pas " hip-hop " tout-de-suite. Seule l'Education nationale, dans sa formation générale et non uniquement spécialisée, détient la clef de voûte de la démocratisation de la culture. Finalement, le vrai Ministère de la Culture, c'est l'Education Nationale. Simplement, le problème est de savoir lequel

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des deux Ministères va déteindre sur l'autre. Si celui de l'Éducation apporte de la durée et de la profondeur à la Culture, tant mieux. En revanche, si le Ministère de la Culture donne à celui de l'Éducation son aspect superficiel, paillettes et actions sans lendemain. malheureusement le mariage aura été au détriment de ce qui reste encore de sérieux et de fondamental à l'Éducation nationale. CULTURE ET INTÉGRATION Quelle peut être l'action du Ministère de la Culture dans le cadre d'une politique d'intégration ? J.L. : S'il est un domaine dans lequel l'action culturelle peut jouer un rôle déterminant, c'est bien dans celui de l'intégration des plus défavorisés. Les handicaps socio-économiques se doublent en effet, dans presque tous les cas, d'un très lourd handicap culturel. Ouvrir comme nous l'avons fait depuis plus de dix ans les portes de la culture au plus grand nombre. c'est aussi un combat au sens le plus fort du terme. Cela revient en effet à favoriser l'insertion de chacun dans la vie de la Cité. Il était donc normal que dans ce " plus grand nombre " nous attachions une attention toute particulière aux minorités culturelles,aux personnes en difficulté aux habitants des banlieues culturellement sinistrées. aux personnes handicapées. mais aussi à ceux qui séjournent en prison : bref, à tous ceux qui, pour des raisons diverses. peuvent se sentir exclus et pour qui la lecture, le cinéma ou l'initiation à un instrument de musique peuvent être une clé pour" s'en sortir. Une dernière question à M. Lang :Pensez-vous que le Ministère de la Culture ait joué un rôle en matière d'intégration ? M.S. : Le Ministère de la Culture a refusé tout travail en profondeur, et s'est contenté de baptiser " culture " des pratiques spontanées que sont le rap, le tag, etc. On n'arrive pas à faire passer Jean-Sébastien Bach dans les banlieues, donc on dit que le rap est du même niveau culturel

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ou artistique que J-S Bach. Or il faut distinguer expression et art. Bien sûr que l'intégration culturelle, au sens anthropologique, c’est-à-dire dans un sens très vaste - habillement, nourriture, langage. la forme d'expression que l'on se donne. y compris marquer son territoire comme le font les taggeurs sur les murs - est importante. Mais le Ministère de la Culture est avant tout le Ministère des Ans, et je ne vais pas jusqu'à dire que les tags sont de l'art. D'autres Ministères peuvent très bien intervenir sur le plan de l'intégration : le Ministère de la Ville ou celui de la Jeunesse & des Sports peuvent très bien avoir ce rôle d'intégration sociale, et mieux que ne le fait le Ministère de la Culture. Donner le label " Culture " à des rappeurs paraît les mystifier en leur faisant croire qu'ils font de l'art, et c'est une fonne de mépris. C'est comme si on leur disait : " Votre art, vous le gardez et nous on se garde l'art sérieux. le grand art, on ne cherche même plus à le diffuser et à la partager. Or, ce n'est pas cela, l'intégration. Le fait que L'Etat soutienne ou subventionne telle ou telle activité culturelle ne risque-t-il pas d'aboutir à une culture officielle ? J.L. : Une culture officielle est la négation même de l'idée de culture. Il faut se garder de toutes les formes d'académisme et donner la possibilité de s'exprimer à tous les artistes et les créateurs porteurs d'un projet de qualité. Le Ministre a des conseillers. Les décisions sont souvent collégiales. Il suffit de considérer les choix faits par les Fonds régionaux d'Art contemporain pour vérifier la grande diversité des acquisitions de L'Etat. Depuis dix ans, nous n'avons jamais décrété ce qu'il fallait tenir pour beau. Mais nous avons seulement joué pleinement notre rôle en répondant aux demandes des publics et en offrant les moyens. Quant aux fins, c'est bien sûr à chaque artiste de se les fixer dans le cheminement personnel du travail créateur.


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Causerie philosophique avec Michel Serres : mai 1992 Par Céline Fouchard et Benjamin Quénelle

Alors comme cela vous n’aimez pas les interviews ! pourtant vous avez insisté pendant la conférence sur la nécessité de la transmission du savoir. or l’interview n’est-elle pas un des moyens pour y parvenir ? Michel Serres- Oui, mais c’est un mauvais canal : le journaliste note, puis retranscrit, il y a donc forcément de la perte. C’est un peu comme le jeu du téléphone arabe. Une interview peut-elle être objective ? M. Serres - Parler des interviews c’est comme les média qui parlent des média. Y’en a marre… c’est comme une interview qui parle de l’interview (N.D.L.R : Propos cassé !!). De plus, cela montre qu’on a rien à dire (N.D.L.R : Propos remballé !!).Alors, quelles sont vos questions ? Aux dernières élections régionales, l’écologie a triomphé. Vous qui avez réfléchi sur l’écologie comment avez-vous réagi ? M. Serres - J’ai écrit un livre, le Contrat naturel, qui traite de l’environnement. Lisez-le ! vous remar-

querez que je n’emploie jamais le terme “écologie, car il est compris dans son sens politique ; or l’écologie est avant tout une science de haut niveau. Dans Le Contrat naturel, il s’agit d’établir la philosophie d’un nouveau droit. Ds l’histoire, les découvertes scientifiques se sont toujours heurtées aux instances juridiques. Je voulais présenter les nouveaux rapports entre la science et le droit. “j’ai le droit” dit le savant, “d’être libre dans mes recherches”. Le juriste lui rétorque : “De quel droit dis-tu que tu es plus libre que ton contemporain?” Il naît donc une tension entre la liberté voulue par le savant, et l’égalité recherchée par le juriste. Entre la science et le droit, que faites-vous de la politique ? M. Serres - Oh la politique, vous savez, je suis trop jeune pour en parler . Mais vous qui faites des études de politique. Comment expliquez-vous qu’il y ait deux Michel Serres : celui qui passe à la télé que tout le monde comprend, celui qui écrit des livres qui sont difficilement abordables. M. Serres - La réponse est simple

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et claire : plus personne ne lit. Les riches, les décideurs, les administrateurs, les étudiants, la classe dominante ne lisent plus. Les gens ont l’impression de lire dans Le Nouvel Obs’ ou L’Express, mais ce n’est pas lire : ils ne lisent pas plus de trois cents mots utilisés dans ces journaux, tandis que j’en utilise quarante mille dans mes ouvrages… cela demande donc un effort de compréhension : il faut chercher dans le dictionnaire. Si vous avez des problèmes de poids, d’estomac, de respiration; le médecin vous prescrit un quart d’heure de gymnastique par jour. Vous acceptez et au bout de six mois vous êtes en pleine forme ! Si de la même manière, je vous prescris un quart d’heure de lecture par jour; au bout d’un an vous serez plus intelligente. Rien ne distingue la gymnastique intellectuelle de la gymnastique physique. Cela demande la même concentration, le même effort. Qu’est-ce-qu’un effort ? M. Serres (après réflexion) - L’effort, c’est un surplus de vie. Vous avez au départ une quantité Q de vie. Grâce à l’effort, vous obtenez une quantité Q+ α de vie. Pourtant habituellement, l’effort est quelque chose que l’on rejette, c’est négatif. M. Serres - Refuser l’effort, c’est refuser un surplus de vie. Par exemple je me lève tous les matins


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à cinq heures. La vie d’un intellectuel est proche de celle d’un sportif de haut niveau. Je mène la même vie que Lendl (joueur de tennis tchécoslovaque ndlr).

fois par an ; l’an dernier chez Cavada, cette année chez Pivot. Je fais trois conférences par an en province. En 1992, Strasbourg, Dijon et Bordeaux.

À propos de sport, Jean-Marie Le Pen, que nous avons rencontré l’an dernier, prétend que le sport est valorisé dans la société française alors qu’il est peu pratiqué… M. Serres - Je t’arrête tout de suite. Ce monsieur se trompe sur ce sujet comme sur bien d’autres d’ailleurs. La France est le pays qui fait le plus de sport au monde. Nous n’avons pas beaucoup de sportifs, car la France, à la différence des Etats-Unis, n’a pas d’esclaves, c’est-à-dire des personnes qui ne peuvent s’en sortir que par le sport.

Comment choisissez-vous ? M. Serres - Je fais ce que mon éditeur me dit de faire.

Dans Le Tiers instruit, vous décrivez un match de foot qui se termine lorsque les deux équipes sont à égalité. Il y a alors ni perdant ni gagnant. Le Pen avait violemment réagi contre cette idée qui présente une fausse image de la société où, selon lui, il y a toujours des gagnants et des perdants. De cette inégalité conflictuelle, résulte la vérité ! M. Serres- Avez-vous remarqué que seules les sociétés égalitaires sont des lieux de production de vérité ? Comment définir la performance ? M. Serres - Il y a deux sortes de performance : la lutte et l’oeuvre. La première est une bataille, blessure infligée; la seconde est une production (un livre par exemple). Je préfère l’oeuvre à la lutte. Dans le mot “performance” il y a “per”, ce qui signifie “au-dessus de”. La performance est donc le niveau supérieur de la forme. Certains disent que vous en faites trop. M. Serres- Je passe à la télé une

Faut-il toujours se plier ainsi aux règles ? M. Serres - Il ne faut jamais refuser les règles. Quand il n’y en a plus , il n’y a plus d’art; la création artistique naît de la multiplication des contraintes. La liberté dans la création génère une population d’impuissants. Le style, c’est l’abondance des contraintes. L’artiste est-il plus libre que le scientifique ? M. Serres- Absolument pas, ils font face tous les deux à la même prolifération de contraintes, de mêe pour le sportif. Le tennisman doit accepter la forme de la raquette, la hauteur du filet, l’arbitre. Comment écrivez-vous ? M. Serres- Je m’impose des règles : vous ne trouverez jamais aucun hiatus dans mes livres. Je mets en moyenne quatre à sept ans pour écrire un livre. Pour Éclaircissements, j’ai mis quatre ans et demi ; en revanche pour Le Tiers instruit, vingt et un ans. Comme les tuiles d’un toit, mes livres se superposent et se bâtissent progressivement. Le véritable effort s’inscrit dans le temps. l’effort court donne lieu à des pets. Qu’est-ce-qu’une contrainte ? M. Serres - C’est une définition de physicien et non de littéraire que je vous donne. la contrainte est une force qui pèse. En chimie, l’état le plus libre est l’état gazeux : les molécules glissent. Toutefois à l’état cristallin, les molécules sont organisées. Je n’ai jamais vu de statues gazeuses ! La contrainte est donc

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une mise en forme. L’absence de contrainte, c’est l'instantanéité d’un pet. Accepter la contrainte, est-ce refuser le droit à la révolte ? M. Serres - Il y a toujours des contraintes : dire merde à la loi, c’est se créer une nouvelle contrainte. La responsabilité du politique doit-elle s’inspirer de celle du savant ? M. Serres - La société scientifique n’est pas la même chose que la société civile. La société scientifique est totalement transparent : on sait en temps réel ce que tout le monde recherche. Heureusement dans la société civile, ce n’est pas du tout le cas. Tout le monde ne sait pas tout sur tout le monde. Par exemple, vous, mademoiselle, je ne sais pas ce que vous allez faire ce soir, et je m’en fous, même si ce n’est pas moral ; cela ne me concerne pas : c’est affaire de police. L’existence d’une police constitue un progrès considérable. On vous fait l’apologie de la société grecque, alors que c’était la pire des sociétés : tout le monde savait tout sur tout le monde, et chacun faisait sa propre police. Vous avez été chargé par Edith Cresson, alors Première Ministre, de mettre en place une université à distance, de quoi s’agit-il ? M. Serres - Il existe maintenant des canaux qui suppriment des distances. Alors pourquoi ne pas l’appliquer au savoir ? Le minitel, la télé, la radio,... permettraient à un agriculteur, à un ouvrier, à un marin, bref à tous ceux qui ne peuvent pas se regrouper dans une université de faire quand même des études. En Espagne, avec 350 000 inscrits, c’est un succès.


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PPDA, profession journaliste : mars 1999 Par Simon Loubris

Vous avez fait Sciences-Po, dont un an à Strasbourg, puis à Paris. Est--ce que vous pensez que c'est une bonne formation pour le métier de journaliste ? - Patrick Poivre D'Arvor : Oui, franchement, c'est de loin de tout ce que j'ai fait ce que j'ai trouvé le mieux, comme plateforme pour pouvoir après grappiller ce qu'on veut dans la vie. Le mieux aussi pour la culture générale, et à la limite aussi pour l'adaptation à la vie. Ce sont des choses que l'on oublie souvent dans les universités. Moi j'ai fait du droit, j'ai fait les Langues Orientales, j'ai fait le CFJ (Centre de Formation des Journalistes) également. Le meilleur souvenir que je garde de ma formation, c'est Sciences-Po. Y-a t-il pour vous, une différence entre le journalisme de la presse écrite et le journalisme comme il se pratique à la télévision ? - PPDA : Non, non. Je sais que j'ai commencé par la radio, j'y ai fait 3 ans et demi. Après j'ai fait 7 ans et demi de télévision, et quand je suis parti en 83 de la 2, je suis allé au Journal du Dimanche et à Paris-Match et je n’ai pas eu l'impression de faire des choses différentes. Avant, j'avais travaillé dans des journaux de province, des journaux de toute nature, et pour moi, non, c'est la même base.Les trois médias se différencient, mais c'est la même réponse que l'on doit apporter aux mêmes questions. Pour votre activité actuelle, vous êtes présentateur du J.T. Quelle est exactement votre fonction? Vous vous sentez plutôt présentateur ou plutôt journaliste ? - PPDA : je suis directeur adjoint de l’information et ce que j'aime bien, c'est la préparation du joumal. Au début, quand j'étais sur la 2 notamment, j'étais présentateur,

rédacteur en chef, je n'avais pas les mêmes fonctions que j'ai aujourd'hui. Aujourd‘hui j'ai vraiment la charge du joumal, de l'organisation et de tout. C'est ce qui a pour moi beaucoup d'importance. Donc la partie présentation qui dure entre 20h et 20h40, ce n'est pas capital pour moi, c'est la cerise sur le gâteau. Ce qui m'intéresse le plus c'est la préparation. Mais Justement, comment préparez-vous, comment choisissez-vous les informations les plus marquantes ? Comment effectuez-vous le tri entre les rebelles de Sierra Léone et les troubles au Kosovo ? - PPDA : D'abord j'écoute pas mal les gens qui sont autour de moi, à commencer par la rédactrice en chef. Il y a deux chefs d'information qui me ramènent les informations grapillé par les différents chefs de rubriques, chefs de services... Donc je travaille avec tous ceux là,j'écoute un peu ce qu'ils proposent et c'est dans ma tête qu'à un moment donné je décide de ce qui me paraît être le plus important, aussi bien au moment où on décide de tout, c'est à dire le matin, qu'à 16h lorsqu‘arrive la conférence où cette fois-ci je parle essentiellement de ce qui est la mise en ordre du journal. Ça ce sont les deux moments les plus importants de la journée, où l'on décide à la fois de ce que l'on met, et de l'ordre. Donc c'est un choix très personnel et forcément assez subjectif. Mais bon, j'essaye de marcher au pif quoi ! Ça dépend pas non plus uniquement de l'importance de l’information, mais de la qualité de ce que nous avons nous-mêmes. Parfois, il y a des informations essentielles dont nous n'avons pas de traduction en image par exemple. Ça c'est un problème pour nous.

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Concernant l’image justement, êtes vous partisan du « Tout montrer » pour laisser le spectateur juger ? Pensez-vous que le journaliste doit juste aller chercher l'information pour la présenter au spectateur comme elle est, sans analyse, ou bien faites-vous, dans la sélection, par exemple, déjà un travail de tri et d'analyse de l'information ? - PPDA : Le tri, on le fait obligatoirement, parce qu'on a très peu de temps finalement : 37-38 minutes c'est pas énorme.Cependant, moi je suis pour que l'on donne au spectateur le maximum qui soit de nature à forger sa réaction, son jugement.Et puis après les gens se débrouillent, ils en font ce qu'ils en veulent. Mais au moins, il faut leur donner les éléments de réflexion, les éléments purement informatifs. Eviter de trop commenter. Je suis pas vraiment pour que quelqu'un vienne dans le joumal et fasse un éditorial. Je pense que c'est pas le lieu, notamment pour une grande chaîne, où on a l0 millions de spectateurs. Oui, on doit donner aux gens tous les éléments, et après c’est à eux de se faire leur propre opinion. Est-ce qu'il n'y a pas parfois des dérives ? Auriez vous par exemple été partisan de passer les images de l'agonie d'une petite colombienne, pendant trois jours en direct, en 1985 ? Auriez-vous tout montré ? - PPDA : Non, moi je l'ai dit sur le moment (je ne présentais pas le joumal) aux gens qui présentaient le journal je n'aurais jamais passé cette image. Mais enfin c'est facile à dire lorsque l'on n’est pas la. C'est pour ça que j'ai toujours pondéré ce que j'ai dit. Mais ce que je sais c'est que depuis il y toujours en Colombie des dramatiques


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tremblements de terre et qu'il y a eu des images affreuses qui nous sont arrivées et que j'ai expurgées. Je vois que c'est ce que fait à peu près tout le monde maintenant. En général les horreurs qui nous arrivent d'Algérie ou d'ailleurs, on essaye d'expurger beaucoup. Non,je suis contre l'image gratuite. En même temps, j'accepte ce que me disent ceux qui l'ont passée : “ Ca avait valeur d'exemple”, “Ca aidait la communauté internationale à se mobiliser…”. Mais moi, c'est une image qui me gêne terriblement. Est-ce-que vous pensez que pour le journaliste, il existe une liberté de tout dire ? - PPDA : Oui,je pense qu'il n'y a plus personne aujourd'hui qui se plaigne à la télévision de ne pas pouvoir dire. Avant oui, il y a encore 20-25 ans c‘était le cas, le poids était fort. Tout dire mais pas forcément tout montrer. ll faut faire très attention aux images. ll y a des trucs qui nous obsèdent. Ca vous concerne à Strasbourg par exemple. Quand vous savez qu'il y a des gens dont on sait par avance qu'ils vont se mettre à brûler des voitures au moment du réveillon, qu'est-ce qu'on fait? Est-ce qu'on les attend ? Est-ce que le fait qu'on soit là, ça ne les incite pas à en brûler , Est-ce qu'on ne le fait pas du tout ? Est-ce qu'on n'en parle pas, avec le risque que tous les habitants du quartier disent “ Mais qu'est-ce que c'est que cette télévision qui censure tout, qui ne raconte pas la vérité des choses”. Ça c'est obsessionnel comme genre de question. Et toutes les réponses qu'on apporte, on les apporte sur un jour et déjà le lendemain elles sont différentes. Est-ce qu'avec le manque de recul lié à la nécessité de traiter l'information rapidement, il n'y a pas des dangers de manipulation, comme cela a pu être le cas avec la guerre du Golfe et le faux

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chantier de I‘Imisoara ? Oui, ça on y pense en permanence. ll y a eu une époque où l'on n'y pensait pas tellement pour tout dire, une époque où il y avait une espèce de confiance aveugle faite aux images. La guerre du Golfe, c'était un cas de figure très intéressant parce qu’il n’y avait qu’une seule source d'images, au fond, c'était le Pentagone, et aussi un peu l'armée française, mais de toute façon, tout ça se ressemblait. Donc pas d'image en face, ou des images de propagande, qui étaient clairement afiîchées comme telles. Que faire dans ces cas-là ? Ne rien passer du tout ? La aussi avec le risque de ne pas cloner le point de vue des uns et des autres. Accepter ce qu'on essayait de nous imposer à un moment donné. Ne donner au fond que la voix de l'Amérique sous prétexte que l'on était en guerre contre l'lrak ? Nous, on a fait un autre choix et sur le moment ce choix avait été contesté, mais maintenant, il ne l'est plus: je suis allé faire une interview de Sadam Hussein. ll y a des gens, des journaux qui m'ont insulté: “On ne va pas interviewer Hitler”, “On ne va pas interviewer les ennemis de la France”. Mais c'est un choix qui aujourd'hui serait ratifié, je pense, par davantage de médias. En revanche, passer uniquement des images d'une guerre qui ressemble à une guerre de Nintendo et où on ne sait pas s'il y a des victimes, s'ils vivent ou pas, ça c'est un lourd problème. Et lorsqu'il y a eu tout récemment les bombardements américains et anglais sur l'lrak, on avait un recul totalement différent et on est pas tombés dans ces travers-là. Je crois qu'on apprend chaque année, chaque mois davantage. Les manipulations sont là, à tout moment. Des problèmes comme ça on en a, mais la presse écrite en a largement autant et évidemment elle a sur les heures 11 je tendance à se focaliser beaucoup sur la télévision

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parce qu'elle a bon dos, mais elle a les mêmes problèmes. Timisoara a démarré dans la presse écrite (d'abord à l'A.F.P., puis dans la presse écrite et seulement après la télévision). Mais il faut faire attention, être toujours sur ses gardes. (...) Vous disiez que la pression que le pouvoir politique exerce sur les journalistes a diminué. Mais n'y a-t-il pas un autre pouvoir qui est le pouvoir économique,dans la presse écrite surtout. - PPDA : Oui, on me le dit beaucoup. Quand est arrivée la privatisation de TF1, on a été inquiet. Mais on a eu une seule fois l'incident : un annonceur qui a essayé, sur un sujet relativement mineur de minimiser,de faire une vague pression,vis-à-vis de la régie publicitaire, mais cela ne nous a posé aucun problème. D'abord, moi je suis intervenu en première ligne parce que j’ai dit que si l'on commençait à mettre le doigt là-dedans ce serait un engrenage sans fin. Et puis on avait une chance relative, que d'autres n'ont pas, et qui est que nous, on est plutôt en situation de refuser de la publicité plutôt que d'aller en démarcher. Donc si un annonceur partait, ce ne serait pas un drame : tant pis, un autre le remplacerait. Mais, il y a des journaux qui sont dans des difficultés beaucoup plus grandes, notamment les journaux de presse écrite qui peuvent dépendre d'annonceurs (...) Ce risque-là existe, mais il a toujours existé. Oui, mais par exemple pour Le Figaro la publicité c'est quand même 75 % des recettes. Pour un quotidien d'information, c'est énorme. Quelle indépendance y a-t-il pour ces journaux ? - PPDA : Je crois franchement que cela dépend des gens qui sont à l'intérieur, et là aujourd'hui, alors qu'on moquait beaucoup Le Figaro naguère, tout le monde considère


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Coup d’oeil dans le rétro

que c'est un journal indépendant. Bon, il a une orientation qui est plus à droite, Libération est plus à gauche, mais personne ne va dire que la publicité influe sur le contenu. Mais le plus embêtant c'est la pression en effet de celui qui menace de retirer sa publicité, si jamais... Et en général il retire, et puis il revient un peu plus tard. Donc si l'on commence à avoir la colonne vertébrale un peu trop souple, ils s'engouffrent dedans. Dans quelle mesure la constitution des grands groupes de presse-médias, de groupes de communication (terme plus employé), comme celui de M. Murdoch, représente-t-elle un danger pour l'information et le journalisme ? - PPDA : ll faut rester méfiant, parce qu'en effet c'est colossal, ça devient “tains-frontière”, c'est un peu de Murdoch, un peu de Berlusconi, un peu de Bertelsman. Ils arrivent un peu partout et puis en France, ce sont essentiellement les grands groupes, type Vivendi, Suez, Bouygues, Pinault, on les voit bien, mais en même temps... Le Point est en vérité, contrôlé à 100 % par F. Pinault, ça il y a peu de gens qui le savent. Mais qui peut dire en lisant ce journal qu'il y ait une orientation qui soit organisée, voulue par lui. Non, ça dépend beaucoup des gens qui sont à sa tête. En l’occurrence, Claude lmbert fait tout pour que ce ne soit pas le cas. Je crois qu'il faut rester extrêmement méfiant, mais les gens de Libération qui sont toujours prompts à nous donner des leçons, eux aussi sont contrôlés a 60% par Seydoux et eux ils n’ont pas l’impression d'être dépendants pour autant. Donc, je ne vois pas beaucoup de patrons de presse qui se mêlent directement de ce qui se passe dans les rédactions. Est-ce que vous ne pensez

pas qu'il y aurait une dérive de l'information vers l'information-spectacle comme avec le procès Clinton ? - PPDA : Oui, c'est quelque chose qu'on me dit assez souvent mais on ne me donne pas d'exemple en France. Je suis entièrement d'accord avec vous sur le procès Clinton, moi ça me débecte, ça m’inintéresse. Le procès en lui-même, ce n'est pas grave, mais tout ce qui a précédé vraiment me dégoûte. Mais ce qui me fait plaisir, c'est que l'attitude que j'ai prise au sein de cette rédaction a été suivie sans difficulté par tous les journalistes de la maison, mais aussi par la plupart des autres journalistes. Nous, on n'a pas retransmis en direct leur conférence de presse, leurs témoignages, leurs quatres heures nonstop du procureur Starr, etc... En revanche, eux ils se sont vautrés dedans avec un plaisir tel que les téléspectateurs, les lecteurs et les auditeurs se sont éloignés d'eux. C'est invraisemblable, ce divorce qu'il y a actuellement aux États-Unis entre les médias et l'opinion. Nous, vous pouvez épluchez tous nos journaux, il n'y a pas eu un mot de trop sur ce truc-là (...) Il me semble que cela a été bien traité. J'ai pas vu ça sur CBS, ABC, (on a pas fait un cours de fellation) ni CNN. Je les ai vus en revanche extrêmement contents de raconter ça par le menu, par le travers et tout. Je trouve que les journalistes français dans cette affaire (ils ont d'abord été moqués par les journalistes américains: “Comment ça, ça vous intéresse pas ces histoires-là ? “, “ Et si on disait que votre président fait ceci…” Et tout le monde leur a dit: «mais on s'en fout de ce que fait notre président. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir comment il gouverne, s'il gouverne bien ou s'il gouverne mal “. Et ils étaient assez bluffés. Ca me fait plaisir de voir que rétrospecti-

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vement, l'opinion américaine nous donne raison. Enfin, l'affaire Dumas me semble être un exemple probant, est-ce que l'on respecte suffisamment la présomption d'innocence dans la presse ? - PPDA : Pas du tout. Je crois qu'il faut être tout à fait honnête, c'en est même terrifiant de voir qu'un type interrogé le matin, protégé en principe par le secret de l'instruction, se retrouve déjà dans le journal le lendemain ou parfois même l'après-midi. Quant à la présomption d'innocence, c'est très compliqué parce qu'on s'aperçoit bien que lorsqu'il éclate une affaire, il y a d'abord une sorte de tribunal de l'opinion publique qui se met en place, tribunal trés étrange où se mêlent des journalistes, des hommes politiques. Et les gens se font une opinion et après seulement, arrive le vrai procès et à ce moment, l'affaire est déjà faite et déjà préjugée dans l'esprit des gens. C'est terrible à dire et cela nous pose beaucoup de questions. Moi je suis vraiment interrogatif de ça parce que je ne sais pas comment on va s'en sortir. En plus, ce sont les journaux les meilleurs qui sont les plus pointus sur ces trucslà Le Monde n'arrête pas de sortir le moindre interrogatoire. Qu'est-ce que vous voulez faire avec ça? Alors qu'on sait très bien qui donne les informations, on ne peut pas se cacher derrière notre petit doigt, on sait très bien que ce sont les juges, il y a pas d'autres possibilités et tout le monde laisse faire. Ca pose d'énormes questions.


Propos n°94

Zoom sur - La mémoire

Zoom sur La mémoire

- La courbe de l’oubli

Romain Gary

- Souvenez-vous !

Le cinéma

- Le cinéma français ne fait plus rêver

La courbe de l’oubli Par Schoenappan

Alors que les partiels sont enfin derrière nous, et qu'une impression de vacance s'installe, enfin juste le temps d'un week-end. Il ne faudrait pas s'emballer non plus. Alors que notre mémoire a donc été largement sollicité il pourrait être bon de se pencher un peu là dessus. Parce que même si vous avez plus ou moins tous conscience que plus le temps passe moins vos souvenirs sont précis, voici ci contre ce que Hermann Ebbinghaus appelle la « courbe de l'oubli », qu'il établit dès 1885 en testant sa propre capacité à retenir une liste de syllabes sans signification particulière. Celle-ci permet de systématiser cette idée de manière cohérente, bien qu'il existe encore des débats sur sa forme exacte. En effet notre mémoire est fortement sélective. Par exemple 10 minutes après avoir pris

connaissance d'une information, nous ne somme plus capable que d'en restituer que 80%. On peut en tirer une conclusion : le meilleur moment pour réviser un partiel est bien le plus tard possible, c'est-à-dire les jours précédant le partiel pour un meilleur rapport temps passé à réviser/ quantité de connaissance à ressortir dans la dissertation. Cependant on voit sur le graphique qu’apprendre une information une fois est donc plutôt inutile : donc la stratégie de révision du jour pour le lendemain qui est particulièrement optimale pour réussir ses partiels est complètement inefficace à long terme. Enfin, si vous faites des études pour apprendre des choses, cela va sans dire. Sérieusement êtesvous capable de vous rappeler de tous les cours de l'année dernière ? Bien que les informations stockées varient beaucoup en fonction des personnes, et de l’intérêt porté

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aux dites informations, seriez vous capable de réussir vos partiels/ examens de l'année précédente ? Il y a peu de chances. Ainsi la meilleure manière d'apprendre et retenir des infos c'est de régulièrement rafraîchir sa mémoire, en d'autres termes travailler régulièrement la même chose. Ce n'est pas particulièrement révolutionnaire parce qu'on vous le dit depuis.... longtemps. Le mieux étant un rappel actif, c'est-à-dire écrire, répondre à des questions, etc. Relire son cour, donc être passif peut ne pas suffire, comme disait JLC « il faut passer aux choses sérieuses ». Par exemple lorsqu'on apprend une langue, cela sert pas à grand chose d'apprendre cinquante mots de vocabulaire suite à un excès de motivation, puis ne plus jamais s'en servir. Donc un système éducatif pour être performant, c'est à dire remplir un de ses objectif qui est l'accumulation d'un maximum de connaissances par un maximum


Janvier 2017

Zoom sur - Romain Gary

d'élèves, devrait faire en sorte que ce travail de rafraîchissement se fasse, c'est à dire mettre en place des répétitions espacées de l'information. Pour ça il peut soit compter sur le fait que tous les élèves aient une autodiscipline, une bonne organisation, une volonté de fer ou une passion débordante pour les cours. Soit créer une obligation d'apprendre régulièrement : ce qui peut tout simplement passer par des interrogations régulières.

Parce que la majorité des gens ne le font que peu ou pas du tout. Même si on nous le répète tout le temps. Pourquoi ? Parce qu'on a la flemme, un exposé à préparer à la dernière minute ou un article à écrire pour Propos, bref un tas de bonne raison de remettre ça à plus tard. Il faut reprendre l’idée de Montesquieu selon laquelle il n'est pas nécessaire que les individus soit vertueux dans ce processus si on peut compter sur l'efficacité

des institutions.

apaisante de l’oubli. En 1940 son excès de mémoire le fait entrer dans la Résistance, et d’autres Français, comme lui, commencent à « vivre de mémoire ». Sa connaissance de l’Histoire et de ses bouleversements change sa perception des choses de la vie, et l’empêche de partir « à la poursuite du bleu » à la manière des cerfs-volants de son oncle, à la recherche d’un idéal qui dépasse l’Homme. Ce nihi-

lisme, la négation du réel propre à notre époque, peut comme en 1940 conduire à relativiser la vie humaine et plonger dans l’horreur du totalitarisme. Bien que le roman date de 1980, cette constante évasion constitue un sujet d’une actualité brûlante, incarné dans le roman par le personnage de Lila fuyant la réalité, « sa vieille ennemie ». Implicitement, Romain Gary invite ici les générations futures à une

Plus concrètement si avant chaque TD on avait quelques questions de cours auxquelles il faudrait répondre rapidement en cinq minutes, on pourrait être assuré que la majorité apprendrait beaucoup plus régulièrement, et qu'à long terme on s'en souviendrait plus. Voilà c'est dit, maintenant vous avez le droit de me lancer des pierres.

Souvenez-vous ! Par Grégoire Kieffer

Quelques semaines avant son suicide, Romain Gary publie son dernier roman, Les cerfs-volants, une invitation au souvenir et à la paix. Les dernières pages de sa vie sont dédiées à l’importance de la mémoire pour lutter contre les dangers où peut mener la torpeur d’une vie confortable. Ludovic Fleury ne possède pas en lui, contrairement à nos contemporains, la faculté

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Propos n°94

certaine fidélité au souvenir, et à ne pas tomber dans l’apathie généralisée d’un monde sécurisé. De la même manière dont Stefan Zweig mettait en garde contre le danger du « cocon de sécurité » qui ne laissait en rien présager la Première Guerre mondiale, les aboiements de Hitler dans Les cerfs-volants font rire une France tranquillement confiante et persuadée de l’impossibilité d’une nouvelle guerre. Comparer notre époque et les années 1930 relèverait ici d’un raccourci trop facile et d’un jugement hâtif, deux erreurs empreintes à notre temps. Néanmoins, le nihilisme caractérisant cette époque ancienne se découvre plus que jamais dans les discours actuels, et nous empêche encore maintenant d’écouter le silence des charniers. Il y a autant d’années séparant les Européens de la dernière guerre que dans la vie d’un homme, et les témoins de l’Histoire, ceux qui se souviennent

et donc peuvent mettre en garde contre le délire optimiste et le nationalisme, se font de plus en plus rares. Rien ne nous condamne pourtant à être des générations sans souvenirs. L’impression que le temps se déroule sans nous ne tient qu’à notre immobilisme et à notre « spectateurisme ». Chacun doit pouvoir se confectionner des souvenirs, « ces souvenirs qui peuvent durer toute une vie, pour peu qu’il y ait de la mémoire ». Il suffit ne pas tomber dans le piège de la haine, qui se nourrit de généralités et nous met à l’aise lorsqu’il s’agit d’« étendre le champ de nos ignorances ». Les nouveaux témoins de l’Histoire sont d’ailleurs les boucs émissaires d’aujourd’hui : les familles qui fuient les guerres et les populations equi souffrent. Ils sont la preuve vivante que tout cela -la guerre, les génocides- est loin d’être fini, et que Romain Gary a vu juste en disant que la civilisa-

Zoom sur - Le cinéma

tion et les droits de l’Homme, c’est des roses : « ça sent bon et c’est tout ». Tandis que certains rejettent ces acteurs de l’Histoire et en font des coupables, le jeune Ludovic a le courage de regarder un homme quel qu’il soit dans les yeux et de dire qu’il est innocent. « C’est leur tour dans l’Histoire, voilà tout » finit-il par lâcher à propos des Allemands. L’ère du temps se prête à l’incertitude, à la peur, et donc au rejet de l’autre. Mais une bonne mémoire permet une bonne compréhension, et une bonne compréhension apporte la tolérance et la paix. Lorsqu’on lui dit qu’un jour il va crever de gentillesse, de tolérance et de douceur, Bruno, qui est le frère de Lila et mourra dans un combat aérien, trouve la justesse de répondre : « He bien, à tout prendre, ce n’est pas une mauvaise façon de crever. »

Le cinéma français ne fait plus rêver Par Gigi Abrams

Phrase vue et revue, et pourtant d’une incroyable vérité, le cinéma français semble dans une mauvaise passe. Comme tous les cinémas nationaux en Europe, il semble écrasé par le mastodonte américain qui déferle sur tout le continent. Mais il serait exagéré d’attribuer la seule chute du cinéma français, dans le pays qui a inventé le cinéma, à l’existence des blockbusters comme Transformers. Les causes de cette déchéance sont nombreuses, complexes, et nous allons tenter de les résumer de manière très rapide et très orientée. L’origine de tout cela, c’est le financement du cinéma fran-

çais, construit pour préserver notre culture face aux Américains, la fameuse exception culturelle. Il y a trois façons pour financer un film en France : les studios, le Centre national de cinématographie (CNC, sous l’autorité du ministère de la Culture) et les chaînes de télévision. Pour les studios, pas besoin de détailler, rien de nouveau dans la manière dont ils financent un film. En revanche, ce n’est pas le cas du CNC et des chaînes de télé. Les chaînes de télé vont financer les films qu’elles estiment les plus viables le dimanche soir en prime-time, donc de préférence des comédies avec des pointures du genre (Clavier, Dubosc, Lher-

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mitte). Le CNC lui, est bloqué dans une vision de la culture légitime, qui fait qu’il considère que le cinéma est le prolongement du théâtre de Molière, et ne parle par conséquent qu’aux spectateurs les plus cultivés, donnant ainsi au cinéma français sa réputation de « cinéma chiant ». La conséquence de tout cela est clairement visible : 80 % de la production française, environ, est de la comédie ou du drame ; et en 2016, les recettes du cinéma français se sont effondrées à l’international. Notre industrie a tendance à croire que le cinéma se résume aux genres qui avaient cours dans le théâtre, à l’apogée du rayonnement culturel


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Zoom sur - Le cinéma

de la monarchie. On se retrouve ainsi avec des comédies totalement hallucinantes qui prennent les spectateurs pour des idiots finis, en plus de transmettre parfois des messages intolérants (Aladin avec Kev Adams). Les drames français, eux, ne parlent plus qu’à un public de cinéphiles (ceux qui critiquent les blockbusters américains, disant que c’est plat et que « ce n’est pas du cinéma parce qu’il y a des effets spéciaux ») et au ministère ; ils ont beau faire 200 entrées, mais du moment qu’ils reçoivent une palme, c’est un succès général. Les autres genres cinématographiques sont sous-estimés et méprisés, parce que trop « populaires » : la science-fiction est sous-financée, l’horreur est abandonnée, l’action est martyrisée, les films de guerre mis de côté, etc. Ils ne rentrent pas dans la vision de la culture légitime que se font les artistes français. On considère qu’il n’y a pas de public pour ces genres, alors que les films américains prouvent chaque semaine le contraire. Si les réalisateurs français veulent innover, ils sont obligés de s’expatrier aux ÉtatsUnis, où ils se font broyer par la machine hollywoodienne (Alien 4, Babylon A.D). Un seul studio tente d’innover dans ce paysage triste : Europacorp de Luc Besson. On doit à ce studio Taken, Lock Out, ou encore Möbius. Malgré tous ses défauts et ceux de ses films, Besson est le seul qui ose innover et faire entrer le cinéma français dans le XXIe siècle, et Valerian, et son budget de 170 millions d’euros, constitue un cas unique à ce jour. Il a toujours tenté de faire

autre chose dans le cinéma français, de l’adapter aux codes internationaux, avec plus ou moins de succès. Mais alors, qui blâmer pour cet état des lieux ? Le CNC et sa vision de la culture légitime ? Les chaînes de télévision qui produisent des téléfilms à gros budget

? Les réalisateurs, pour accepter de sortir de tels films et refuser de prendre des risques ? Le public, qui va soutenir les comédies les plus basses parce qu’elles sont « familiales » et jouées par les acteurs de leur enfance ? Les « cinéphiles », ces bourgeois sans aucun goût cinématographique, qui aiment bien les films façon cinéma Odyssée, et donc des films qui ne parlent à personne sinon à eux et au CNC ? Donald Trump ? Le monde ? La galaxie ? En fait, il y a plein de facteurs qui font que le cinéma français se complaît dans sa médiocrité, pleins d’acteurs à blâmer pour cette situation. Ailleurs

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en Europe, les Danois sont devenus les maîtres mondiaux du thriller, les Britanniques des critiques sociales et les Norvégiens sortent des films d’horreur à moyen budget avec des trolls qui sont bons. Ici on va sortir une comédie avec un homme qui se voit obligé d’accueillir des Roms et une autre où une femme se réveille le matin avec un pénis. Faut-il cependant tout jeter dans notre cinéma ? Bien sûr que non. Le cinéma français arrive à produire des films d’une grande qualité, même si ce sont des drames ou de la comédie : Un Français, Made in France, Nous trois ou rien, L’outsider, Couleur de peau miel, etc., la liste est longue. Et il arrive à prendre des risques, en témoignent le film d’action Braqueurs, ou la sortie de quelques thrillers et films de science-fiction, mais dans une certaine discrétion malheureusement (Arès, bientôt Grave). Notre cinéma a la potentiel de rayonner dans le monde, et d’atteindre un niveau de qualité semblable à celui outre-Atlantique, encore faut-il que les maîtres du genre le veuillent. Aujourd’hui, le cinéma français ne fait plus rêver, il ne parle plus à son public, il est déconnecté de ses attentes. Le cinéma américain, avec tous ses défauts, apparaît de plus en plus comme celui le plus apte à fournir des films de qualité dans tous les genres, pour tous les goûts, pour tous les publics. L’exception culturelle n’est plus défendable, le cinéma français doit changer. Sinon il sera mis à terre, et sera cette fois vraiment écrasé par les États-Unis.


Propos n°94

Sport - Formule 1

Tout le sport Formule 1

- La surprise Rosberg

Football

- La superbe année du Racing Club de Strasbourg

La surprise Rosberg Par Jérôme Flury

Au terme d’une saison à nouveau bien terne en matière de suspense (les deux pilotes Mercedes trustant 19 des 21 Grands Prix de la saison), le pilote allemand a remporté le combat qui l’opposait à son coéquipier Lewis Hamilton. Enfin sacré champion du monde comme son père pour la première fois de sa carrière, Rosberg a décidé de mettre fin à celle-ci à la surprise générale. Décidément, sans lui on s’ennuierait au pays de la F1.

Le champion du monde 2016 : Nico Rosberg (Mercedes) Tel père, tel fils. Nico Rosberg, 31 ans, est enfin devenu champion du monde comme son père Keke Rosberg (sacré en 1982). Rien n’a été simple, alors qu’il courait après ce titre depuis plusieurs saisons et semblait avoir pris une avance définitive à 4 courses du terme, il a du faire face à la folle remontée de Lewis Hamilton qui a tout fait pour remporter à nouveau ce trophée. Les deux hommes se sont livré une lutte sans merci (et sans respect des consignes de leur écurie) de laquelle est sorti vainqueur Rosberg sur un écart minime. Si les

deux pilotes Mercedes n’ont eu à faire face à aucune concurrence solide, leur lutte fratricide a donné du piment à une fin de saison qui en avait bien besoin. Nico Rosberg risque de nous manquer l’an prochain. Le vice-champion : Lewis Hamilton (Mercedes) Battu pour 5 minuscules points, (380 contre 385!), l’Anglais a tout donné, quitte à commettre des fautes et à ne pas suivre les consignes. Mais s’il a gagné plus de grands prix que son équipier et concurrent (10 contre 9), Rosberg s’est montré le plus constant. Cette saison s’est peut être jouée sur la casse moteur d’Hamilton lors du grand prix de Malaisie. Se retrouvant seul avec le départ de Rosberg, Lewis Hamilton se pose déjà comme un sérieux prétendant au titre la saison prochaine. Nous verrons bien si Mercedes dominera encore outrageusement la discipline une année de plus ou si les autres écuries parviendront à réaliser un travail suffisant pour leur faire concurrence. Le petit jeune : Max Verstappen

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(Toro Rosso puis Red Bull) Qui ne connait pas encore ce pilote ? Après avoir débuté en F1 sans même avoir son permis (il n’avait que 17 ans), Verstappen a signé une saison plus qu’intéressante. Fils d’un pilote de Formule 1 et d’une championne de Kart, il a connu deux écuries cette saison. Plus jeune pilote à marquer des points en championnat du monde de Formule 1 l’année passée, Verstappen est devenu le plus jeune vainqueur de Grand Prix à la suite de son exceptionnelle performance le 15 mai lors du Grand Prix d’Espagne. Il est également devenu cette saison le plus jeune pilote de l'histoire à réaliser un meilleur tour en course. Coupable d’excès d’engagements parfois, le pilote néerlandais a également signé quelques actions superbes et confirme son statut d’espoir de la F1. Après sa (très) jolie 5è place mondiale, il lui faudra confirmer en 2017 ! Le français : Romain Grosjean (Haas) 6è pour sa première course avec sa nouvelle écurie, Haas, 5è pour sa deuxième et puis… plus


Janvier 2017

Sport - Football

rien. Grosjean a cette saison alterné entre abandons ou finish aux portes des points. Certes le français a du talent et ses remontées de places lors du grand prix d’Australie (parti 19è il termine 6è) ou lors du Grand Prix des Etats Unis (parti 17è il finit 10è) le confirment, mais il n’est pas parvenu à bonifier ses courses et repart avec une 13è place mondiale très moyenne (29 points). Longtemps considéré comme l’avenir de la F1 française, Romain Grosjean a vécu une saison galère et espère repartir sur de meilleures bases pour l’an prochain. Avec une bonne monoplace, il est tout à fait capable de réaliser des exploits. La révélation de la saison : Esteban Ocon (Manor) Je vous l’accorde, ce nom ne sonne pas vraiment français. Mais cocorico, la révélation de la saison est bien bleu blanc rouge ! A tout juste 20 ans, son ascension est fulgurante. Champion de Formule 3 en 2014, il est sacré la saison suivante dans la catégorie GP3. Esteban Ocon est alors nommé en février 2016 pilote de réserve et pilote essayeur de la nouvelle équipe Renault Sport Formula One Team. Après avoir également couru en DTM (pour Deutsche Tourenwagen Masters, championnat de voitures de tourisme allemand)

au début de la saison, Ocon a connu une deuxième moitié d’année 2016 incroyable. En août il remplace Haryanto chez Manor et devient… le plus jeune pilote français au départ d'une épreuve de Formule 1 (décidément, il s’en est passé des choses cette année !) Non seulement le pilote français n’a abandonné à aucune course, mais en plus il a fini à plusieurs reprises devant son coéquipier et a même terminé 12è du Grand Prix du Brésil. Transféré chez l’écurie Force India pour 2017, Ocon peut espérer remporter ses premiers points l’année prochaine…

La bonne nouvelle de la saison Nous voici fin 2016 et il s’agit de réfléchir aux calendriers des prochaines saisons. Et là enfin, le grand prix de France revient au programme dès 2018 ! Ce Grand Prix déjà très attendu se déroulera au circuit du Castellet, le circuit Paul Ricard près d’Aix-en-Provence. De quoi faire verdir les écolo (je vous aime quand même, ne vous inquiétez pas) mais aussi sourire les amateurs de Formule 1 qui vont pouvoir admirer les meilleur pilotes en action très prochainement. Romain Grosjean se réjouit déjà : «J’ai hâte d’être en 2018 pour courir mon premier Grand Prix de France»…

La superbe année du Racing Club de Strasbourg Par Jérôme Flury

L’année 2016 se termine et les bilans se dressent. Le bilan sportif de notre club de cœur à tous est vraiment excellent et l’année 2017 s’annonce déjà belle. Ces joueurs, en photo de couverture de notre groupe Science Po 2A sur facebook ont fait se lever les foules tout au long de l’année et sont peut-être aux portes d’un petit exploit.

Début 2016 Le Racing est toujours en 3è division française (National) mais joue la montée. Après plusieurs années galère dans les divisions inférieures, l’ensemble du club et des supporters aspire à un retour dans le monde professionnel. Au fil des matchs, les joueurs du Racing vont accrocher des victimes à leur tableau de chasse. Ainsi durant la 2è partie de saison de ce championnat 2015-

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2016, ce ne sont pas moins de 8 clubs qui tombent face aux coups d’éclats des bleus et blanc. La défense est très solide et les défaites sont rares, deux seulement entre janvier et juin. Ces résultats conduisent doucement le Racing vers la montée et vers le titre et les supporters se déplacent en nombre aux derniers matchs à domicile. Un public rarement vu à un tel niveau de compétition. Imaginez bien qu’il y avait plus de spectateurs


Propos n°94

aux matchs de Strasbourg en 3è division qu’à certains matchs de Ligue 1 ! Enfin le 27 mai, c’est acté - et même pas à domicile mais après un nul à Belfort…pas si loin - le Racing Club de Strasbourg est assuré de revenir dans le monde professionnel après six ans d’absence. « Voir tout ce public venir sur le terrain à la fin… » se remémore avec bonheur Marc Keller, président du club. Cette promotion en Ligue 2 acquise de main de maître laisse toutefois une question : les bleus et blancs seront-ils à la hauteur ? Lors de leur montée en 3è division quelques saisons plus tôt, les Strasbourgeois avaient connu d’énormes difficultés et ne s’étaient miraculeusement maintenus que grâce aux problèmes financiers d’un concurrent administrativement rétrogradé. Les désormais champions de National vont-ils connaitre les mêmes difficultés d’adaptation dans la division supérieure ? Début 2017 Nous voici donc maintenant un an plus tard, à mi-saison du championnat de Ligue 2. Bon ok de « Domino’s Ligue 2 » maintenant puisque le championnat a depuis cet été un superbe sponsor. Si j’écris ces quelques lignes c’est surtout pour revenir sur ce début de saison 2016-2017 des Strasbourgeois. Début de saison tout simplement exceptionnel. Certes, le Racing n’est pas le premier à faire le coup du promu qui bouscule les plus grands. Ça arrive souvent et rien que cette saison, Amiens, monté en même temps que le Racing est aussi très impressionnant. Mais les Strasbourgeois sont à un niveau auquel on ne les attendait pas forcément. Les voici très bien classés à mi-chemin avec un nombre de points intéressant : « 32 points c’est bien, on aurait signé pour avoir 32 points (…) la vérité ce sera la fin de saison. En tous les cas, moi je suis satisfait des six premiers mois » explique Marc Keller. Pour résumer, 23 rencontres disputées cette saison pour un bilan de 12

Sport - Football

victoires, 5 nuls et 6 défaites. Le président souligne aussi la dynamique et « l’état d’esprit » du groupe. Le Racing se retrouve 4è du championnat et toujours qualifié en Coupe de France. Le premier objectif, celui du maintien devrait être atteint sans encombre. Ensuite il s’agira de « faire le mieux possible », aller le plus haut, donner le plus de plaisir aux spectateurs qui viennent encore une fois en nombre. Le public strasbourgeois est l’un des meilleurs en France et la nouvelle structure du stade mise en place cette année est appréciée par Marc Keller qui parle d’« une grande réussite » et d’« une ambiance incroyable ». Les Racingmen n’ont perdu que deux fois à domicile et peuvent compter sur l’appui de leur public pour engranger le plus de points. Après un petit passage à vide ponctué par 5 matchs sans victoires, les Strasbourgeois ont fini la phase aller en trombe en signant 5 succès consécutifs toutes compétitions confondues et rapportant 12 points sur 12 en championnat. Ce qui porte leur total à 32 avant d’entamer l’année 2017. Le maintien est normalement acquis aux alentours de 42 points. Les Strasbourgeois sont donc à une dizaine de points de se garantir une place dans le championnat pour l’année suivante. A moins de rêver de monter encore plus haut ? Mon avis (qui n’engage que moi ^^) Le Racing n’était pas attendu aussi haut dans le classement à mi-saison. Toutefois c’est l’humilité qui prédomine et Strasbourg ne fait toujours pas partie des favoris à la montée. Même si désormais les am-

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bitions sont croissantes, « Quand on a 32 points, qu’on voit les matchs qu’on fait….évidemment ! (qu’on pense qu’on peut finir haut) » glisse Marc Keller. La montée n’est pas l’objectif capital du club et elle risque d’être compliquée à atteindre. La mauvaise période du Racing en octobre met en lumière certaines limites de l’équipe qui va en plus perdre son buteur en janvier. En effet Khalid Boutaïb, déjà 11 buts cette saison, va participer à la Coupe d’Afrique des Nations avec sa sélection du Maroc. L’équilibre est « fragile » selon le président, les victoires peuvent vite se transformer en défaites. D’autres clubs sont plus attendus en haut du tableau (Reims, Brest, Le Havre ou Lens). Je ne

pense pas que Strasbourg finira sur le podium cette saison. En revanche, ils peuvent obtenir un bon classement et devraient finir dans les dix premiers sans difficultés. Les bleu et blanc ont fait leurs preuves que ce soit sur le plan défensif ou offensif. Il s’agit d’une bonne équipe de Domino’s Ligue 2 qui peut finir aux alentours de la 7è place. Le club a de beaux jours devant lui. Tout se passe bien à tous les niveaux (sportif, financier, en termes d’affluence, d’ambiance et j’en passe). Venez donc y voir un match ! On en garde toujours de bons souvenirs. L’équipe est à suivre comme en conclut son président, « Bien sûr, l’objectif à terme c’est de remonter en Ligue 1 et de pérenniser le club en Ligue 1 »…


Janvier 2017

Culture - Documentaire

Culture Documentaire

- My scientology movie

Théâtre

- L’éloquence sur un air de Sexual Earing

Séries

- Westworld, la meilleure série de 2016 ?

Littérature

My scientology movie Par Léo Perron

Un documentaire sur le culte préféré de ton acteur préféré, Tom Cruise Louis Theroux a toujours apprécié filmer et décrypter les comportements radicaux, extrêmes, voire sectaires (cf. Louis Theroux's Weird Weekend), avec un flegme et un sarcasme aussi britannique que son accent. Qui était alors plus à même que lui pour nous faire rire et réfléchir sur les dérives de l’Église de Scientologie ? Louis Theroux s’est entouré pour filmer son documentaire de repentis de la Scientologie, un ancien cadre, un ancien réalisateur de clip publicitaire pour le culte, un mari qui, pour sortir du culte oppressant, a dû quitter sa femme, son fils et son domaine… Dans un style très subjectif, le reporter cherche à mettre en évidence le culte du secret et les contradictions qui règnent au sein de l’Église de Scientologie. Éga-

lement, le documentaire veut dénoncer la personnalité du leader de l’Église, David Miscavige, et l’influence du culte. Très vite, le tournage de L. Theroux est confronté aux oppositions des pratiquants et des cadres du culte. Le résultat, un film digne des Monty-Pythons – la fiction en moins – où l’on sourit de la puérilité des méthodes de l’Église (et des réponses de L. Theroux) avant de se rendre compte que ces mêmes méthodes ont détruit des vies. My Scientology Movie, John Dower, 2016, 1h39

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- Riad Sattouf


Propos n°94

Culture - Théâtre

L’éloquence sur un air de Sexual Earing Par Florian Martinez

La première description de Dom Juan, « le plus grand des scélérats que la Terre n’ait jamais portés » parviendrait sans l’ombre d’un doute à nous convaincre des vices d’esprit de cet enjôleur du XVIIe. Opportuniste, impie, libertin : pas une seule qualité ne semble sied à celui dont le bonheur se base sur un enchaînement infini de conquêtes. Pourtant, son véritable talent pour l’éloquence éclipse toute l’aversion qu’un spectateur pourrait lui porter. Après ces innombrables femmes séduites et consumées le temps d’un soir, c’est à notre tour de faire les frais de la force séductrice de Dom Juan. Plus encore qu’à la lecture du texte incontournable de Molière, la version de Dom Juan imaginée par Jean-François Sivadier, est une fois de plus dans le répertoire de cet ancien élève du TNS, une mise en scène d’une pièce classique sur un décor contemporain, dynamique et résolument prenant. Dès le début de la pièce, des improvisations naturelles viennent ponctuer les répliques originales et leur apportent une authenticité valorisante. Directement pris à partie par Nicolas Bouchaud, le formidable acteur interprétant Dom Juan, le spectateur n’a guère le temps de s’attarder sur d’autres pensées : la projection sur la scène est immédiate et sans coupure, si bien que l’attention ne fléchit pas une seule fois au cours des deux heures trente de spectacle. Qu’il s’agisse de l’histoire absorbante ou des thèmes évoqués, de la mise en scène mouvante et fantaisiste, ou peut-être plus encore de l’interprétation perspicace, chaque détail vient soutenir le projet de Jean-François Sivadier, celui du triomphe des idées singulières de Dom Juan.

Ce n’est pas grâce à cette pièce, écrite un an après le censuré Tartuffe, que Molière parvient à amoindrir les hostilités que l’Église lui porte. En effet, sa pièce Dom Juan n’est pas la plus fidèle incarnation des valeurs chrétiennes en rigueur au XVIIe. Profondément athée, son personnage ne croit qu’en la force de la raison et laisse parler sans retenue ses sentiments libertins. Il vit dans la luxure et la provocation, a déjà commis un meurtre et déteste par-dessus qu’on lui adresse une remontrance concernant son attitude blasphématoire. Lors d’ultimes provocations, celui-ci n’acceptera de donner l’aumône à un mendiant qu’à l’unique condition que celui-ci profane le Ciel. Ses attaques à l’encontre de la chrétienté, et plus généralement de la Religion, sont d’autant plus désemparentes que Dom Juan les légitime par son éloquence débordante. À la fin de sa pièce, Molière ne peut que propulser son personnage dans les abysses afin de ne pas s’attirer les foudres de son mécène Louis XIV. Près de trois siècles plus tard, Dom Juan ressort victorieux de son duel contre le pari de Pascal : une vie de débauche vaut mille fois plus qu’une vie vertueuse ! Tous les détails de la mise en scène viennent appuyer cette ode au dévergondage et à l’excès. Le décor complexe, profond

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et mouvant révèle minutieusement ses facettes au fur et à mesure de l’intrigue. Chaque acte marque avec vigueur le délitement progressif de la scène, dont les planches du parquet et les rideaux vont peu à peu s’effondrer, comme si le monde chrétien que Dom Juan exècre pourrissait sous les évidences que son esprit nous impose. Ces passages s’opèrent au son de musiques variées, depuis le puissant Dies Irae de Mozart au

sensuel Sexual Healing de Marvin Gaye, détonné en karaoké par Nicolas Bouchaud lui-même. Que dire, enfin, de la merveilleuse interprétation de notre libertin ? Nicolas Bouchaud ne délivre pas seulement un jeu juste, touchant et drôle, mais offre au personnage une ardeur singulière. Sa voix suave, ses improvisations judicieuses et ses honnêtes gestes soulignent et accroissent la puissance des mots acerbes et pleins d’esprit de Dom Juan. En sortant du théâtre, la neige s’abat sur Strasbourg, peut-être comme un signe du Ciel qui tente, en vain, de se défendre fasse l’offense du triomphe de l’éloquence irrévérencieuse de Dom Juan. Dieu est mort, vive Dom Juan.


Janvier 2017

Culture - séries

Westworld, la meilleure série de 2016 ? Par Von Schtemler

À l’heure où sort ce numéro, les partiels sont déjà terminés. Vous voilà de retour à votre statut originel : celui de sciencespiste désœuvré. Par conséquent, c’est le bon moment pour vous parler de l’un des bijoux que nous a réservé 2016 et qui comblera aisément vos soirées les plus flemmardes : Westworld. Westworld c’est la nouvelle série événement d’HBO. Elle est inspirée d’un film de 1973, écrit par Michael Crichton, l’homme à l’origine du roman Jurrasic Park. Peut-être vos parents le connaissent sous la traduction française : MondWest (un titre semi-québécois en somme). La série a été créée par Lisa Joy et son mari Jonathan Nolan. Eh oui c’est bien le petit frère du talentueux Christopher Nolan, avec qui il a collaboré pour l’écriture de nombreux films mémorables comme Memento, Le Prestige ou encore The Dark Knight Rises. Enfin, notons que J. J. Abrams (avec qui Jonathan Nolan avait déjà collaboré sur sa série Person of Interest) est l’un des producteurs de la série. Autant dire que sur le papier, Westworld s’annonçait comme une œuvre mémorable avec du beau monde derrière la caméra. D’autant plus que HBO fait actuellement tout son possible pour créer de nouvelles séries efficaces qui devront rempla-

cer Game of Thrones dans quelques années (la série fétiche de HBO entamera son avant-dernière saison à l’été 2017). Alors, quel bilan ? Westworld est assurément un succès complet. La série nous plonge dans un parc d’attractions futuriste sur le thème du Far West. Ici, la société Delos a reproduit avec un réalisme exceptionnel l’ambiance de l’Amérique du XIXe siècle, grâce à des androïdes (les hôtes) qui interagissent avec les visiteurs. Comme dans un jeu vidéo, des scénarios sont prévus pour amuser le (fortuné) visiteur qui peut agir comme il le souhaite, sans aucune conséquence. Cela signifie que le meurtre ou le viol d’hôte sont monnaie courante, ce qui permet à HBO de nous servir son cocktail maison de sexe et de violence. Mais quand des bugs surviennent lors de la mise à jour des androïdes, le parc doit faire face à de nouveaux problèmes. Après des années d’existence et de reprogrammation, certains hôtes semblent doucement s’éveiller à la conscience. La série brosse une large gamme de sujets. De la bestialité de l’homme libéré de sa responsabilité dans un parc qui laisse libre cours à toutes ses pulsions ; jusqu’à l’éveil de la conscience d’une machine capable de plus d’humanité que son modèle.

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Comme l’explique Nolan, « Les hôtes découvrent qu’ils ont été créés à notre image, mais commencent à se demander si l’humanité est vraiment ce à quoi ils veulent aspirer ». La série invite également à la réflexion sur le rôle de créateur, la transcendance ou encore le transhumanisme. En découle ce qui est peut-être le seul défaut de Westworld : c’est une série « exigeante ». Elle prend du temps à se mettre en place et peut parfois être un peu difficile à suivre, mais c’est pour mieux poser son cadre et les enjeux qui vont accompagner l’évolution des personnages. La série invite vraiment à une réflexion et c’est quelque chose d’assez rare pour être soulignée dans l’univers des séries actuelles. D’un autre côté, que pouvait-on attendre d’autre d’un homme qui a participé à l’écriture d’Interstellar ou du Prestige ? Westworld c’est un peu 10 heures d’un scénario à la Inception. Passons maintenant au concret : qu’est-ce qui fait de Westworld une série si exceptionnelle ? D’abord peut-être la qualité de sa réalisation qui alterne entre le grandiose de l’Ouest sauvage et l’intimité des relations complexes que tissent les personnages. Avec un travail de reconstitution poussé, la série nous offre une plongée dans l’Ouest américain,


Propos n°94

Culture - séries

un univers plutôt rare dans les séries actuelles. En même temps, les scènes dans l’infrastructure de Delos, l’entreprise qui gère le parc, nous proposent des décors froids et lugubres qui dénotent avec la chaleur du parc toujours ensoleillé. Les ateliers de réparation d’hôtes ou les cimetières d’androïdes obsolètes offrent notamment des scènes fortes. Bien sûr que serait une série sans ses acteurs ? HBO n’a pas fait dans la demi-mesure. On a d’abord des acteurs peu connus et exceptionnels : mention spéciale aux deux héroïnes, Evan Rachel Wood qui incarne l’hôte principale, Dolores Abernathy ;

et pourtant si inquiétante. Le talent de ces deux acteurs de renom ne pouvait être qu’un appui solide pour la série, qui s’y repose intelligemment en leur laissant suffisamment de scènes pour crever l’écran. Ces acteurs sont portés par un scénario qui, si vous avez été préservés des spoilers, devrait vous surprendre à de nombreuses reprises. Comme dit plus haut, cela prend du temps à se mettre en place, laissant les premiers épisodes un peu vides. Toutefois, c’est pour mieux s’envoler par la suite, à l’image de nombreux films des Nolan. Si vous êtes amateurs des films comme le Prestige,

J’espère que ces quelques éléments vous auront convaincu de vous plonger dans la série. Ils représentent à mes yeux ses atouts principaux. Si elle n’a pas été récompensée aux Golden Globes (HBO n’a en fait reçu aucun prix malgré ses nombreuses nominations), ses 12 millions

et Thandie Newton particulièrement impressionnante dans son rôle d’hôte tenancière d’un bordel et qui va peu à peu s’engager sur le chemin de la conscience. Mais là où HBO a fait très fort, c’est en faisant appel à deux légendes du cinéma qui n’avaient jamais tenu un rôle régulier dans une série. Il s’agit d’Ed Harris (The Truman Show, Abyss, Un homme d’exception) et du gigantissime Anthony Hopkins (je me limiterais au Silence des Agneaux pour évoquer son talent). Si Ed Harris, avec ses 66 ans, garde toujours cette classe si caractéristique, Hopkins reste le même personnage terrifiant, qui sait être d’une douceur mielleuse

Usual Suspect ou encore Sixième sens, Westworld devrait tout particulièrement vous plaire. Difficile d’en dire plus sans gâcher de nombreuses surprises. Enfin impossible de passer à côté de la musique, composée par le très talentueux Ramin Djawadi qui a notamment travaillé sur Game of Thrones (sans doute le thème musical de l’épisode 10 de la saison 6 vous aura marqué) et Person of Interest. Outre un générique magnifique, des compositions originales réussies et la présence de « Rêverie » de Debussy (forte à propos dans le contexte de la série), il se permet de réarranger

de téléspectateurs par épisode (en incluant les services de replay) en font la série HBO la plus vue pour une première saison, devant Game of Thrones ! Gageons que cette défaite aux Golden Globes, où Netflix a triomphé, notamment avec The Crown, ne pourra que plus motiver HBO à se dépasser. Du calme cependant, la prochaine saison n’est pas prévu avant 2018, les scénaristes préférant finaliser l’écriture avant de s’engager dans le tournage. D’ici là, prenez votre ordinateur, faites le deuil de Zone téléchargement et trouvez un moment pour regarder ce qui est (très subjectivement et prétentieusement) la meilleure série de 2016.

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des chansons modernes qu’il intègre notamment dans des ambiances de saloon : Rolling Stones, Amy Whinehouse ou encore The Animals avec leur musique The House of the Rising Sun. Ce qui donne une ambiance volontairement anachronique très intéressante.


Janvier 2017

Éditorial- Littérature Culture

L’arabe du futur Par Une Moule

Conférence – Riad Sattouf – 29 octobre 2016, Librairie Kléber, Salle Blanche. « L’Arabe du futur » : le titre de la bande dessinée graphique est pour le moins déroutant, mais sa signification, elle, est véridique. L’Arabe du futur, c’est le père de l’auteur qui a de très hautes idées de ce que devrait devenir le monde arabe. « Mon père était issu d’un milieu paysan, dernier d’une longue fratrie. Tous ses frères et sœurs travaillaient aux champs. Il a été mis à l’école et était bon élève ». Élève à la Sorbonne, il est devenu docteur d’histoire contemporaine. Alors qu’Oxford lui proposait un poste, il a préféré aller enseigner à Tripoli « pour Kadhafi », et y a donc emmené sa femme et son fils, Riad. Dans une Libye et une Syrie traversées par un contexte politique particulier, Riad Sattouf raconte son enfance atypique entre un père cultivé, mais « franchement défaillant » et « superstitieux » et une mère bretonne : « j’étais une petite Brigitte Bardot ». Les planches, tantôt bleues quand il rentre épisodiquement en France, tantôt rouge en Syrie et en Libye, lui permettent de s’exprimer librement et sont touchantes, car elles retracent son quotidien « J’ai voulu ne pas m’interdire de raconter ce que j’ai vu. Pour moi, ma famille syrienne est égale à ma famille française, il n’y a aucune raison que je ne la traite pas de la même manière et que je la protège plus. La réalité était un peu plus pire que ce que je raconte ». Riad a appris à lire le français avec les Tintin, qu’il pensait être infini « Le jour où j’ai découvert que quelqu’un était derrière l’écriture de Tintin, j’ai tout de suite su ce que je voulais faire ». L’histoire démarre en 2001, parallèlement aux grands évènements en Syrie. Bien que l’histoire se concentre sur le point de vue du petit Riad, il avoue lui-même que le réel personnage principal est son père. « Je cherchais un point de vue qui ne

soit pas le point de vue autobiographique classique ». « Ça m’a permis de faire de mon père le personnage principal plutôt que ma personne ». Il décrit la fascination que l’enfant pour son père. « Il avait des contradictions très fortes ; il était à la fois pour la modernisation du monde arabe (notamment à travers l’école), mais il pensait que le diable pouvait se cacher dans les femmes. Il rêvait de faire un coup d’État, il était contre la démocratie, et il pensait que si on donnait le droit de vote aux gens, ils voteraient pour des imbéciles. Il ne voulait pas donner le choix aux gens de leur président, car il voulait lui-même être président ». Par rapport à l’antisémitisme « généralisé » du Moyen-Orient à cette époque, quelqu’un qui assistait comme moi à la Conférence demande la position de ses parents : « Mon père était ultra antisémite, il détestait les juifs et il était anti Israël. Ma mère ne prenait pas mon père au sérieux, elle pensait qu’il plaisantait. Il ressemblait à Enrico Macias, et mon père pensait que c’était un bel homme. Il rigolait beaucoup avec ça, mais dans le fond, il était profondément antisémite ». « C’était un mélange de plusieurs choses, il venait d’une génération d’intellectuels arabes traumatisés par les guerres israélo-arabes qu’il voyait comme une humiliation. Il admirait Saddam Hussein, et désirait qu’il y ait une autre grande puissance arabe ». « Ma mère s’est rendu compte rapidement que mon père n’était pas Enrico Macias » Riad admet qu’il ne peut pas généraliser son enfance, et la grande pauvreté qui l’a entouré « Une Syrienne m’avait posé une question lors d’une conférence : excusez-moi, je voulais vous dire que ce que vous dites sur la Syrie ce n’est pas du tout la Syrie, moi je vivais dans une grande ville, j’avais une voiture » Riad en est conscient : « Je ne peux pas généraliser, des gens étaient sans doute très

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Oui on sait il était dans le dernier Propos mais Le Maq fait mal son taf et il en manquait un bout. Déso Élise

heureux dans la Syrie de Kadhafi ». « L’Arabe du futur » reflète également l’intérêt de Sattouf pour la jeunesse en général. Il dessine pendant 9 ans « La vie secrète des jeunes » dans Charlie Hebdo, sort plusieurs films sur ce sujet (vous connaissez probablement le film éponyme Les Beaux Gosses) : « Les enfants, les jeunes, ça me plaît beaucoup. J’aime bien voir comment ils pensent, même quand ils sont cons ils me plaisent bien ! J’aime bien leur façon de voir le monde, car on se rend compte de l’absurdité des comportements d’adultes ». Son tout nouveau bijou « Les Cahiers d’Esther » se consacre à une jeune fille de 11 ans, fille d’un couple d’amis « Ses histoires sont en fait sans histoires. Ses parents s’aiment. Elle a de bonnes notes. Elle est plutôt jolie : les garçons sont amoureux d’elles, et les filles ne l’aiment pas trop à cause de ça. Elle aime Maitre Gims et Kendji Girac[…] Elle appartient à un monde que je ne connais pas ». Étant une grande fan de BD graphiques, l’Arabe du Futur fut pour moi un choix évident, d’autant plus que le contexte ressemblait à deux œuvres similaires qui m’avaient beaucoup plu auparavant : Persepolis et Chroniques de Jérusalem. Pour les fanas comme moi (ou pas du tout d’ailleurs), je citerai également Pyongyang, et Chroniques birmanes de Guy Delisle, dessinateur français contant sa vie d’expatrié avec un bébé sur les bras et une femme qui court partout (elle travaille à MSF), le tout dans de sympathiques dictatures ou autre système politique particulier. L’œuvre de Marjane Satrapi ayant été adaptée en animation, c’est tout naturellement que j’en viens à demander à Mr Sattouf s’il comptait faire de même : « Je ne sais pas encore, j’attends de voir d’avoir fini les 5 tomes » ; « vous imaginez Jamel Debbouze dans le rôle de mon père ? ».


Propos n°94

DivertissementÉditorial - Joute

Divertissement Joute des asso

- La finale Made in Propos

Top’pipo

- Top 10 des trucs improbables qu’on trouve dans le local de Propos

Les vainqueurs écrivent l’histoire, les vaincus la racontent Par Le Maq

Parce qu’à Propos nous avons eu le seum d’écrire une joute pour rien, on ne peut pas s’empêcher de vous la livrer quand même sur papier. Même s’il manquera le ton inimitable et le talent de nos jouteurs adorés, j’ai nommé Etienne et Marie-Alice. Cher jury, cher public, chers vaincus, rebonsoir ! “Les vainqueurs écrivent l’histoire, les vaincus la racontent”. Mais d’où vient donc cet adage ? Après un petit tour sur l’internet mondial, nous pouvons établir un petit top des personnes à qui l’on attribue cette phrase : • Sur le sommet du podium, notre numéro 10 national, j’ai nommé : Booba. • En deuxième position, nous retrouvons une autre éminence franco-française Nabilla Benattia qui précise toutefois : “je ne sais plus qui l’a dit” • Enfin, last but not least : NAPOLÉON. Mais la phrase qu’il a réellement prononcée n’a rien à voir. En vérifiant mieux, aucun

n’est responsable de cette phrase qui est manifestement stupide. Nous allons donc vous expliquer pourquoi. Sur un point pratique déjà : il faut que les vainqueurs sachent écrire pour que l’on se souvienne d’eux. Nombreux sont les peuples à ne pas être dans l’histoire car ils ne possèdent pas d’écriture. On peut ainsi parler des Carthagénois, des peuples d’Amazonie ou de l’île de Pâques mais surtout, de la tribu des Munumbala. Vous ne les connaissez pas ? C’est NORMAL. Tous sont inconnus de l’histoire récente car leurs écrits sont disparus, ou inexistants. Vous avez du mal à suivre ? Prenons des exemples plus modernes : Côté sport, les vainqueurs de la Copa America 2016 ont bien gagné, mais jusqu’à preuve du contraire, ils n’écriront plus grand chose… Un autre exemple, qui vous parlera plus : Ribéry. Il a gagné de nombreux titres, mais il a très peu de chances d’écrire l’histoire un jour. Enfin s’il le fait,

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personne ne le comprendra. Dommage pour nous, heureusement pour la langue française. Écrire l’histoire, à quoi ça sert alors ? Dans beaucoup de pays, la seule version de l’histoire que l’on connaît est celle des autorités, qui usent et abusent de cette histoire écrite pour renforcer leur légitimité. En France, on a constitué un roman national que notre petit Nicolas national se plaît à rappeler : “nos ancêtres sont les Gaulois”. L’histoire que nous tenons pour acquise n’est donc que rarement celle de ceux qui ont fait l’histoire, mais plutôt celle de ceux qui l’ont rédigée. Et ils nous en racontent, des histoires. Nous ne pouvons donc pas faire confiance à nos dirigeants lorsqu’il en est de l’histoire. Ne jamais remettre en cause l’histoire des vainqueurs, cela revient à ne pas vouloir aller vérifier ceux qui disent et affirment cette pensée que l’on nous offre sur un plateau. “Le général de Gaulle n’a-t-il pas


Janvier 2017

Divertissement - Top’pipo

dit que toute la France avait été résistante ?”. Si on le croit, Vichy n’était qu’un détail (UNE PARENTHÈSE) de l’histoire. La France n’était qu’un pays occupé `par nos chers voisins allemands, et qui n’a bien entendu jamais collaboré. Affirmer que les vainqueurs écrivent l’histoire, c’est cautionner toutes ces dérives. Contradicteurs, si je m’étais appelé Élie Bensoussan je n’aurais pas aimé être ton voisin en 1945. Pour rebondir sur un sujet plus léger, nous pouvons vous citer ces quelques lignes de Grégory le Maréchal (LEMARCHAL) : “écris l’histoire, tout ce que tu voudras entre mes lignes.” On peut ainsi affirmer que n’importe qui peut écrire, et ce que l’on voit dans nos livres d’histoire n’est pas souvent la vérité. Nombreux sont les historiens à interpréter l’histoire. Dans ces murs mêmes, certains

professeurs entendent nous faire croire que leurs ancêtres ont marqué l’histoire de France à jamais : nous avons nommé Jean-Louis Clément. Avec un fort accent du sud-ouest : • D’abord son pépé, qui est revenu du front • Puis sa mémé, la marraine de guerre • Son arrière-grand-père, victime de la Terreur • Et son arrière-arrière grande tante, cette bonne pote de Jeanne d’Arc • Et enfin Moïse Clément qui a fait sortir son peuple du pays de Haute-Garonne Qu’en est-il des vaincus ? Ils sont nombreux à avoir écrit l’histoire et à l’avoir marquée ! Que ce soit Vercingétorix dans notre roman national franco-français, ou Hitler qui a fait preuve de son talent littéraire dans Mein Kampf,

tous ces vaincus ont très certainement été au centre de l’histoire. Les vainqueurs ne sont donc pas ceux qui écrivent l’histoire, et les vaincus ne sont donc pas ceux qui la racontent. Indifféremment des vainqueurs ou des vaincus, ce sont bien ceux qui maîtrisent les codes de la communication qui racontent l’histoire. Peu importe de perdre ou de gagner du moment que l’on contrôle les moyens de créer l’histoire. Là est tout l’intérêt. À Propos, on l’a bien compris : tout est couché sur papier. Si nous affirmons aujourd’hui avoir gagné cette joute, et que nous le clamons assez haut et fort, peu importe la vérité, la postérité sera, au pire confuse si les démentis existent, au mieux convaincue de notre victoire ! Tout sera dans le prochain numéro !

Top 10 des trucs improbables qu’on trouve dans le local de Propos Par Le Maq

En franchissant la porte du local 208B, vous pénétrez dans un monde étrange. Résultat d’un demi-siècle d’objets inutiles entassés, de papiers importants égarés, de générations d’élèves traumatisés : bienvenue chez Propos.

top. 1. Un kit sadomaso

Nous nous sommes dit qu’il serait pertinent de vous emmener avec nous découvrir les trésors inavouables de Propos. Nous ne sommes que modestement responsables de tout ceci, il s’agit avant tout des trouvailles ingénieuses de nos chers prédecesseurs. Il est difficile de les classer (et nous en découvrons encore chaque jour...), nous avons donc décidé de procéder à une petite liste non exhaustive sous forme de

Oui. Vous avez bien lu. On vous met une photo à l’appui parce que vous ne nous croiriez pas sinon. Il se compose gentiment d’une veste en cuir, d’un fouet avec des lanières de cuir, et d’un sachet de poudre blanche. Nous ne sommes pas responsables. 2. Des affiches communistes Alors ça, on en a à la pelle. D’ailleurs on pense que le local sert d’entrepos au PCF depuis 1945. Que tu sois plutôt Maoïste ou un fin admirateur de Staline, tu trouveras ton bonheur parmi la collection personnelle de Propos.

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Propos n°94

3. De la littérature de grande classe Pour rédiger nos articles, nous sommes les heureux détenteurs de quelques magazines tels que : - Pirouette - Ornitologie magazine - Relation Client Magazine - Nord Éclair Roubaix - Oooops De quoi passer de bons moments pour se détendre si on fait usage du numéro 1. 4. Des archives en tout genre Une petite photo d’un article chiné dans les DNA il y a un bien longtemps. Mais on en a beaucoup d’autres, venez nous voir pour en savoir plus.

5. Des secrets d’histoire Stéphane Bern sors de ce corps. Par contre, à Propos on a bien énormément de trucs et astuces sur l’IEP, ses assos, ses profs et son administration qui traînent dans nos archives. Savais-tu par exemple que le BDE organisait le Krit il n’y a pas si longtemps ? Que Et Les Gosses a pendant longtemps été une des associations les plus importantes ? Que des

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élèves ont déjà fait scandale en 2003 pour un WEI à 39 euros (vive l’inflation) ? Si tout ça t’intéresse, tu peux faire un tour sur notre site, on continue de travailler sur les archives (mais ça prend du temps donc soyez patients). 6. Des nains de jardin Il fut un temps où Propos avait les moyens de se payer les plus folles lubies. On se demande encore comment c’est possible. Néanmoins, leur présence stimule la créativité au sein de l’équipe, notamment le secrétaire qui a plusieurs fois déjà émis l’idée de «les accrocher au plafond».

7. Des objets désués. Ok toutes les assos ont leur lot de canapés usagés, d’armoires qui tombent en ruine et de bureaux tout cassé. Par contre, estce qu’elles détiennent également ce genre d’objets complétement inutile depuis plus de vingt ans ? Chaine stéréo portative à pile, des timbres avec des prix en francs, des cartes postales du Zaïre, ... À Propos, on aime le rétro.

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8. Des panneaux routiers et des pancartes Aucune explication pour ce grand panneau que vous voyez ici en photo. On cherche par ailleurs le propriétaire d’une pancarte Borat à taille réelle.

9. Des copies d’élèves traumatisés Un demi-point à la colle d’EGE. Tremblez 2A, Hell is coming. 10. Une belle équipe de schlags Le dernier mot du maquettiste pour ce numéro. Je pense parler au nom de toute l’équipe pour dire que nous sommes assez fiers de ce qui a pu être accompli en quelques mois : le guide de rentrée, la parution régulière d’un numéro en couleurs, un format récurrent, un site internet avec de très belles fonctionnalités et qui ne demande qu’à se développer, la participation à des concours... Tout ça c’est grâce au travail de quelques personnes (qui viennent de s’arracher les cheveux pendant 20h dans ce fameux local...), donc un énorme merci à tous ceux qui nous aident chaque mois à écrire, faire (M. Julien Chachay et la banque LCL) et distribuer Propos. Vous êtes géniaux.


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