Lespwisavann N°03

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Comportement solidaire solidaire et histoire ème continent 66ème continent et musiques musiques et Ka Kaand andCo Co?? populaires populaires

In Lespwisavann, Istwa & Sosyété - Revue Online - ISSN : 1634 - 0507


Image de couv erture – Montage avec détail de « Kè Péyi » (œuv re digitale en ligne), Luk... Must see > http://lespwisavann.com/ke_peyi. htm


Comment et pourquoi parler du passé ? Dans un article de la revue “Cultural Anthropology” parue en Août 2011, Yarimar Bonilla (anthropologue) traite notamment du sujet des formes postcoloniales de production d'archives et l'importance de la praxis historique dans la formation des subjectivités politiques. Elle s’appuie sur l’exemple de la Guadeloupe à travers un regard porté sur le mouvement social de 2009. En mars 2014, dans un article paru dans la partie en ligne de la revue “Perspectives on History” de l’“American Historical Association”, Lillian Guerra (historienne) conclue son article à propos d’un questionnement sur l’intérêt de la chose historique dans et sur la Caraïbe en ces termes : Connaître l'injustice signifie souvent faire quelque chose pour le changer, et là, plus souvent qu'autrement, les gens décident qu'ils préfèrent ne pas savoir. (?!) C’est ainsi qu’à l’instar de ces parcs d’attractions historiques implantés ça-et-là pour dédouaner l’Europe et l’Amérique qui se pensent et se disent “blanches” comme neige et contre les forces occultes sources d’inculturations et d’acculturations, Lespwisavann embrasse la colère “noire” comme nègre pour mieux la transcender et ouvrira sans cesse son cercle d’expression dans un combat à mort, … par amour pour le devoir d’existence.



Comportement solidaire et histoire . 1

Ray mond GAMA, Historien, Chercheur (juin 2001)

* L’offensive opérée par les Hollandais dès la fin du XVIème siècle contre la prédominance espagnole en Europe entraîne un redoublement de l’appétit des Anglais autant que des Français notamment pour la colonisation des terres d’Amérique. Ces nations devancées précisément par les Espagnols et les Portugais dans le Nouveau Monde se montrent particulièrement actives tout au long du XVIIème siècle. Dès les années 1610-1620 des aventuriers Français sillonnent les îles, mais c’est dans l’île de la Tortue que se concentrent les boucaniers qui tirent leur existence du commerce de la viande alors qualifiée « boucanée ». Tous les Européens s’approvisionnent ainsi avant la traversée qui ramène les navires à leur port d’origine. Par ailleurs, nombreux sont les individus sans attache qui vont d’une île à l’autre, se louant à tel capitaine de passage ou se mêlant parfois à la population indigène sans être intégré à la vie de ceux qu’ils considèrent comme des « sauvages ». Les Européens quoique rivaux fondent alors loin de leur pays d’origine des liens de « nouvelle solidarité » qui marquent leurs différences d’avec les Amérindiens. Ce sont tout d’abord les repères extérieurs qui serviront de bornes à ces « nouvelles solidarités ». Mais, les changements intervenus, particulièrement en Guadeloupe, au cours des années 1644-1700 sur le plan économique et social vont faire émerger une donne nouvelle : l’esclavage des nègres ! Ce système économico-social entraînera un profond déploiement de « systèmes de solidarité » qui se révèlent opérant jusque dans la société actuelle. 1

Il s’agit à l’origine d’une conférence intitulée « Racisme et histoire » et tenue lors d’un diner.


Comment les repérer, les classer, les nommer ? Quel est l’état actuel des liens de solidarités ? I – À l’origine : Prédominance des repères extérieurs La « découverte » de l’autre a été pour les Européens une épreuve significative de leur sentiment de supériorité. Pourquoi ? Ce sont des raisons certes complexes qui peuvent expliquer une telle attitude. Pour l’heure ce qui nous semble important à retenir c’est la prédominance des repères extérieurs (peau blanche, peau rouge, peau noire…) qui est exprimée pour voiler des insuffisances de compréhension d’une réalité naturellement diversifié. 1 - Blancs Européens contre Amérindiens

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Dès les premiers pas effectués par les Européens (Espagnols) sur la terre des îles du Nouveau Monde en 1492, la peur de l’autre est un élément fondateur de l’« Américain ». C’est cette peur qui crée le champ d’une nouvelle solidarité : tous contre l’autre ! Blancs Européens contre Amérindiens ! L’intrusion des Anglais, des Français en l’occurrence à Saint-Christophe vers 1626 – 1628 montre précisément que les Européens tout en s’opposant mettent en commun leurs forces pour combattre les Caraïbes. Ils font disparaître ces derniers de cette île qu’ils se partagent. Leur volonté d’étendre leur présence dans les autres petites îles du sud de la Caraïbe les amène à livrer bataille à ces Caraïbes à Antigue, en Guadeloupe, en Dominique, en Martinique, à Sainte-Lucie, à Saint-Vincent… Le nouvel équilibre des forces obtenu vers 1660 conduit à la signature d’un traité de paix à Basse – Terre entre Anglais, Français et Caraïbes. Les Européens auront ainsi introduit de fait dans ces espaces des constructions nouvelles. 2 - Dominants et dominés (Blancs Européens contre Amérindiens et Africains) Le traité de 1660 met fin aux guerres entre les Européens et les 2 Voir les

chroniqueurs : Breton, Dutertre, Labat… du XVIIème siècle.


Amérindiens. De plus, la nouvelle direction prise par la compagnie des Iles d’Amérique qui dès 1644-45 se tourne vers la culture de la canne à sucre au dépend du tabac, ouvre une ère nouvelle en Guadeloupe. La traite négrière devient la source inconditionnelle de main – d’œuvre. Le « bois d’ébène » est la « chose » la plus prisée des « maîtres » de la colonie. Les Amérindiens vaincus, les Africains réduits en esclavage une nouvelle ligne d’opposition distinguent les Européens et les autres. En Guadeloupe, l’implication individuelle (les aventuriers tels que Belin d’Esnanbuc de Saint-Christophe) puis collective (compagnie des Iles d’Amérique en 1635) est suppléée par la puissance d’Etat dès lors que Louis XIV décide de rattacher les colonies directement à la couronne royale en 1672. Autrement dit la solidarité entre « blancs » fonctionne à l’échelle d’une nation. En face de ce bloc dominant se retrouvent tous les dominés : une petite communauté de Caraïbes implantée sur les versants nord et est de la Grande – Terre et une masse de nègres esclaves répartie sur tout l’archipel selon les besoins des grands habitants propriétaires d’habitations diverses. II - Les Nègres : un peuple majoritaire 1 - Nations nègres 3 Dès la fin du XVIIème siècle le nombre d’esclaves dépasse celui des maîtres. Les nègres sont majoritaires. Plusieurs nations sont ainsi mêlées, brassées sur la terre de Guadeloupe. Mais, les solidarités entre les membres d’une même nation sont facilement repérables notamment lors de l’arrivée de nouveaux captifs africains (les bossales). Les dimanches et jour de festivités sont l’occasion de voir s’exprimer dans la convivialité ces lignes originales de partage dans la servitude imposée. Les solidarités atteignent sans aucun doute plus souvent que ne le perçoivent les maîtres les moments de châtiment infligés sur les habitations. Ainsi sur ces espaces se créent des liens de solidarité de condition qui renforcent les autres repères d’ordre ethnique et culturel. Si l’on en croit le Père Labat au début du XVIIIème siècle les nègres sont particulièrement solidaires les uns vis-à-vis des autres. Les nègres du royaume 3 Jean – Baptiste Labat,

463 pages.

Voy age aux Isles, Chronique aventureuse des Caraïbes, 1693-1705, Ed. Phébus, Paris, 1998,


de Juda dit nègres de Guinée, les originaires du Sénégal et du Congo sont nombreux sur les habitations. 2 - Les « sociétés » … repères de solidarités inter – habitations (XVIIIème s. - XIXème s.) Tout au long du XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle les autorités signalent le rôle des « nations » puis des « sociétés », témoignages de la diversification des solidarités chez les nègres et de leur volonté à les préserver en marronnant à l’intérieur du système dominant. Cécile Celma4 nous propose de reprendre plusieurs termes qui recouvrent les principales intentions des protagonistes nègres : « sociétés, réunions, kalenda, fête, cabildo, confréries, convoi, nation… ». Ces « mis en commun » reflète tous des actions collectives qui intéressent un groupe soi de personnes, de familles, etc. Les actions concernées touchent autant les fêtes, les travaux, les circonstances exceptionnelles de la vie (naissance, décès…) et/ou jusque et y compris les mutations sociales (cf. l’affranchissement ou autres). L’église catholique tente alors de récupérer ces actions en faisant bénir les « sociétés », en leur attribuant des noms de saint – patrons. 3 - De l’urbanisation des pratiques solidaires Le développement de la Grande – Terre entraînant le déploiement de Pointe - à - Pitre à la fin du XVIIIème siècle aura pour conséquence l’attirance des bourgs sur les hommes de couleur libres voire sur certains nègres marrons. Des quartiers populeux constituaient un refuge pour nombre de nègres voués à exercer divers petits métiers pour subvenir à leurs besoins. Ces lieux se révèlent des viviers de construction de liens de proximité. Le petit commerce réactive l’esprit des « soussous 5» bien connu au Mali, au Sénégal…dans de nombreux groupes de femmes qui exercent des activités urbaines 6. Suite à l’extension des affranchissements au cours des années 183040, le nombre d’hommes de couleur libres augmente fortement ce qui témoigne de la vitalité des divers maillons de solidarité entre les nègres. C’est le bourg et la ville qui profitent de ces changements. On assiste à un renforcement de 4 Cécile Celma,

Les sociétés d’esclaves aux Antilles : histoire comparative, Document dactylographié, 13 pages. loterie, tontine… ou encore chitou, kalibouka. 6 Djibril Tamsir Niane, Le Soudan occidental au temps des grands empires, XI - XVIème siècle, Ed. Présence Africaine, Paris, 1975 , 271 pages. 5 Ce qui signifie :


l’urbanisation des pratiques solidaires. 4 - Institutionnalisation des solidarités originelles (Mutualités…) au début du XXème siècle À la fin du XIXème siècle la législation autorise la création de nouvelles structures ce qui entraîne une légalisation très poussée des solidarités originelles. Il faut retenir en ce sens la loi de 1864 sur les associations professionnelles, celle de 1884 sur les syndicats, celle de 1901 sur les associations… De très nombreuses sociétés virent alors le jour révélant l’ampleur des pratiques cachées au sein de la majorité de la population, anciens esclaves ou fils d’esclaves. La forme et l’esprit de la mutuelle sont les plus prisés même lorsque les intentions des auteurs visent des objectifs les plus contradictoires. Toutefois, l’aspect qui semble dominant couvre les précarités devant le sort, la soudaineté et le manque de moyens devant la mort… III - Un héritage « esclavocrate » L’héritage, on ne peut en douter, est enfant de l’esclavage. Et, lors même que le système lui - même a été supprimé (27 mai 1848) un ensemble d’éléments directement issus de la période esclavagiste résonnent encore des valeurs de la discrimination ethnique ou raciale. Les bases les plus profondes de l’organisation sociale actuelle s’inspirent de fait de l’ancienne échelle de valeur. 1 – Ténuité des repères Dès 1848, la grande masse des « nouveaux libres » intègre la sphère des « citoyens », élargissant la base des personnes reconnues aptes à prendre une part active dans la vie de leur cité et de la nation française. Il n’y a pourtant pas une société de citoyens guadeloupéens mais une citoyenneté kaléidoscopique au regard des couleurs portés par les uns et les autres avant l’abolition de l’esclavage. L’avènement de la IIIème République (1872-79) ne change pas fondamentalement la donne politique si on considère que les blancs, les mulâtres et les noirs continuaient à se percevoir comme tels. Ce qui nous semble encore plus caractéristique de cette nouvelle étape de la construction de la société guadeloupéenne c’est que la structure de la répartition des moyens de


production reste quasiment la même si l’on s’inspire des anciens modes d’accès à la propriété. Entre 1885 et 1908 la terre et les usines à sucre passe des mains de anciennes familles blanches créoles à celles de propriétaires métropolitains (Paris, Le Havre, Marseille, Bordeaux…) ou Martiniquais (békés). La principale difficulté au sein de la société actuelle c’est que d’un côté il y a la loi, la République qui reconnaît l’égalité de tous les citoyens, d’un autre côté il y a la reproduction des rapports sociaux les plus anciens, c’est – à – dire de la grande époque esclavagiste. La République a be au se placer au - dessus de tous les citoyens (en droit) elle ne les reconnaît pas en fait comme partageant un lieu commun. L’autonomisation des systèmes de solidarité s’accentue devant une disparité aussi profonde. 2 – La puissance des objets La loi, dit – on, garantit et protège l’égalité de tous les citoyens. Comment expliquer la puissance des lobbies qui en matière économique s’assurent la maîtrise de telle ou telle branche sinon de tel ou tel secteur ? Les banques garantissent sur place la pérennisation des principaux possédants qui forment la classe des békés. Paradoxalement, elles orchestrent en un véritable cycle des dépôts de bilan de petites entreprises locales. L’opinion commune reflète dans le langage de tous les jours une réalité non explicite au plan des statistiques officielles : « les blancs sont tous organisés selon leur communauté respective, créoles, békés, libanais, syriens ou juifs…» ; « les indiens se sont organisés pour contrôler certains secteurs »…etc ; « il n’y a que les nègres, fils d’esclaves qui ne soient pas organisés en tant que tels ». Cette photographie de notre société actuelle est certes réductrice, mais elle révèle du moins la véritable puissance des biens matériels, des objets qui déterminent des signes évidents de richesse chez les uns et les autres. 3 – Solidarités… fils d’esclaves… la majorité des Guadeloupéens Parmi les solidarités originelles propres à la population noire majoritaire en Guadeloupe nous pouvons compter plusieurs formes qui ont bravé les siècles en s’adaptant aux conditions nouvelles. - Les koudmen, forme de solidarité dans le travail, quoiqu’en recul assez net, gardent leur pertinence dans les couches les plus déshéritées de la population.


- Les chitou, kalibouka, forme de solidarité financière de proximité, sont très développés au sein des familles nombreuses, dans les cercles amicaux… - Les associations diverses (quadrille, banquets, bals…etc), forme de solidarité les plus ouvertes et le plus souvent liée à la recherche de convivialité, connaissent un regain de dynamisme. Hormis les mutuelles qui représentent la forme la plus modernisée des anciennes solidarités nous ne notons pas l’expression de réelles créations dans ce domaine. Conclusion Devant les problèmes nouveaux que posent la société actuelle (agglomération importante, chômage, drogue, famille décomposée…) les anciennes solidarités semblent peu efficaces ou du moins elles ne satisfont qu’un tout petit nombre de personnes. De plus lorsqu’elles sont présentes elles lient le plus souvent des personnes d’une même ethnie et semblent donc loger des discriminations que la loi républicaine ne peut effacer. Il y a un défi à relever : que la majorité de la population guadeloupéenne s’inspire des pratiques anciennes pour recréer des formes nouvelles de solidarités, par exemple au niveau du système Kalibouka. De toutes les façons, “Pou fè NONM, fo vlé NONM ! NONM jodi sé yè a NONM dèmen !”

7 Trad.

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: impossible de le faire mot à mot… « La v olonté est le fondement de la condition humaine », « Les hommes du Présent constituent le Passé des hommes du Futur ! »



6ème continent & musiques populaires Stéphane GALLAND, journaliste, programmateur-animateur radio, DJ, auditeur-chercheur, « écouteur » (octobre 2016)

* Ce texte, bien qu’assez long, n’est qu’une ébauche. Le sujet en est extrêmement large et ambitieux : l’influence musicale de La Caraïbe dans le champ des musiques populaires du Monde. En ce sens, cette ébauche est pleine d’imperfections assumées, de répétitions, et hautement non académique. J’ai volontairement évacué les références bibliographiques ou les recherches poussées, tant je voulais d’une part gagner du temps face à la difficulté de l’écriture, mais aussi laisser place aux nombreuses intuitions qui m’effleurent depuis des années à force d’écoutes et de réflexions, de conversations et d’échanges divers. Le reste viendra en son temps. C’est une tentative incomplète, en freestyle ; un élan à alimenter dans le futur, à documenter et développer en d’autres essais je l’espère. Le texte est en trois parties : la première comprend quelques réflexions générales sur le 6ème Continent en tant que centre. La deuxième s’intéresse rapidement aux éléments d’unité des musiques nées dans La Caraïbe. La troisième, tel un inventaire et avec tous les défauts du procédé, liste les influences majeures et reconnues que ces musiques ont eues et ont encore sur leurs cousines du pourtour Atlantique, dans un déroulé plus ou moins chronologique du 20 ème siècle.

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ème Continent

méconnu, La Caraïbe est généralement considérée, du point de vue culturel, comme un creuset d’influences accueillies et hybridées de gré ou de force, dans un chaos censé être finalement heureux. Dans la pensée courante comme les recherches avancées, cette « vision chaotique » se cristallise de manière bien compréhensible autour de la géographie de la région : un arc d’îles, par définition séparées les unes des autres par la mer, renvoyées chacune en leurs singularités plutôt que considérées dans les similitudes qui font qu’elles font région voire zone d’influence, que l’on pourrait aussi essayer de considérer en son unicité relative. Ceci contribue à accentuer une parcellisation naturelle des savoirs d’une part, spécialisés par exemple sur les différents genres musicaux (Reggae, AfroCubain…) ; ou encore du ressenti identitaire d’autre part, les populations de la Caraïbe ayant longtemps été renforcées dans l’idée que ce qui fonde leur culture, ce sont leurs spécificités (parfois très marquantes e t influentes, au-delà des frontières de la Jamaïque ou de Cuba, pour citer les mêmes exemples), plus que des éléments d’unité pourtant manifestes, bien que difficiles à théoriser. La nature rhizomique de la région et de son unicité culturelle , contribuent à cette relative invisibilité de son statut de centre. Ainsi on insiste souvent sur les liens culturels avec l’Afrique et l’Europe dont La Caraïbe ne serait, aujourd’hui encore, qu’une dépendance, une périphérie, la résultante de leur choc historique. Malgré cela le vécu Caribéen est une réalité. Tout comme le sentiment d’appartenance ou du moins de connivence, de cousinage, qui peut s’étendre du Brésil au Sud des Etats-Unis, en passant donc par les îles, Grandes et Petites Antilles. Il est donc rare que La Caraïbe soit vue comme une zone d’influence en direction de l’extérieur. Ses frontières sont il est vrai et pour commencer difficiles à définir, et s’étendent au moins jusqu’aux continents américains contigus, sans parler des diasporas. Les mouvements (culturels, intellectuels, politiques, migratoires, musicaux…) de ses peuples vont d’ailleurs dans le sens d’une remise en cause de l’idée de frontière, d’identité fixe, de nation, voire de


géographie même. La présente démarche pourra d’ailleurs (à juste titre ?) sembler rétrograde, mais elle me semble nécessaire, au moins à titre personnel, même si elle est peut-être vouée à l’échec du point de vue théorique et scientifique. Il me semble assez troublant que l'influence culturelle de la Caraïbe en tant que telle ait si peu été souligné. La caricature d’une « mosaïque Caribéenne », irréductible à quelque forme d’unicité, nous renvoie en négatif à l’ignorance qui sévit encore concernant l’Afrique, considérée à l’inverse par beaucoup d’Occidentaux comme un pays unique et uniforme. Même si cela a heureusement beaucoup changé et le doit encore, ce parallélisme entre une Afrique indistincte et une Caraïbe parcellaire a de quoi interroger. Pourtant peu de régions géographiques/culturelles ont eu un ascendant aussi considérable sur le reste du monde, pour ne parler que de la production musicale puisque c’est le phénomène qui nous intéresse. Les Etats-Unis sont l’exception la plus notable, connue et dominante. Une domination particulièrement sensible sur La Caraïbe (la constitution de leurs économies musicales en sont des exemples flagrants), une domination due sans aucun doute à la nature impérialiste inhérente aux cultures capitalistiques Étasuniennes, ainsi qu’à la trompeuse syntonie établie avec ce 6 e Continent d’îles et de mer, avec lequel il existe en effet une part d’identité américaine partagée, dans la définition de laquelle le puissant voisin nous domine sans cesse. À l’inverse, on souhaite ici procéder à un travail d’abord intuitif, qui consisterait à placer au centre le 6e Continent. Un mouvement de la pensée contradictoire puisque l’histoire de ce Continent renvoie sans cesse à celle d’une périphérie (dans la vision et la réalité coloniale), et parce que les cultures Caribéennes semblent procéder en partie d’une externalisation constante de leurs propres composantes. Mais il nous semble aussi nécessaire, au-delà de notre seule personne, de tenter un début de recentrage sur La Caraïbe pour La Caraïbe, centre dont le nom n’est jamais dit ou si peu, et de fait invisible. Une contradiction semble incontournable : ce recentrage ne pourra éviter de passer par les Etats-Unis et les métropoles coloniales, passées ou présentes. C’est aussi souvent de l’extérieur que par exemple, l’existence de différents genres musicaux dans La Caraïbe a été validée et reconnue, dans une catégorisation que pourtant, nous utiliserons comme référence…


2 L’existence même des cultures de la Caraïbe est un défi à l’ordre établi du Monde et à sa hiérarchie socio-économique. Un défi d’autant plus retentissant qu’il résonne depuis des territoires littéralement sous perfusion, secoués aujourd’hui encore par la sauvagerie d’un capitalisme global qu’ils ont grandement contribué à préfigurer, il y a maintenant plusieurs siècles… Leur histoire explique peut-être leur extraordinaire résonance au Monde et dans le Monde. Défi existentiel et négociation permanente à la fois, dans un être au monde moderne d’avant la modernité. La création et le développement des musiques du 6 e Continent se sont ainsi déroulés dans un maillage complexe, qui comprend une dépendance extrême des industries culturelles nationales, à la fois renforcée et contournée par des phénomènes diasporiques massifs par des phénomènes de trans culturation et des allers-retours d’influences qui à la fois utilisent et déjouent la domination culturelle et l’impérialisme économique des puissants. Cette résistance négociée à la domination US et/ou coloniale, l’influence mondiale qu’elles exercent pourtant, par-delà et à travers celle des Etats-Unis et de l’Europe, constituent me semble - t - il un trait commun continu quoique variablement appuyé des musiques de la Caraïbe. Leur universalité éprouvée s’est appuyée sur la puissance de diffusion et d’industrie de ces voisins plus ou moins proches et le plus souvent envahissants. Ces musiques sont des actes d’humanité et de survie littéralement impossibles. Négociations forcées avec les maîtres, elles ont articulé en une syntaxe nouvelle des éléments principalement africains portés par la majeure partie de leurs populations (d’ailleurs c’est peut-être cette dominante africaine qui permettrait de délimiter les frontières de notre Continent), à des influences déterminantes issues des cultures autochtones, européennes, asiatiques, et des deux autres Continents américains.


Il faut aussi souligner les articulations cohérentes, complexes et mouvantes (et ce depuis les débuts du système esclavagiste et colonial, et encore au cœur de nombreuses musiques aujourd’hui), entre émotion et improvisation, lutte et apaisement, call and response, individu et collectif, faisant des musiques du 6e Continent des vecteurs polysémiques si probants, (potentiellement autant que le Blues ou le Jazz identifiés aux Etats-Unis). Ou encore l‘importance du chant comme de la communication non verbale (à commencer par la danse mais pas seulement), et la communion autour de cellules rythmiques synthétiques. Si on a voulu se libérer dans ce texte de toute référence bibliographique précise, pour laisser notre esprit y jouer aussi librement que possible, y compris dans l’erreur et l’approximation, on doit tout de même citer les travaux passionnants de Samuel A. Jr. Floyd. D’après lui les musiques créées dans le 6e Continent seraient invariablement des synthèses opérées sur la base des « cellules » musicales africaines les plus simples, dénominateurs communs issus des territoires d’où ont été déporté les futurs esclaves. Ces cellules sont le plus immédiatement perceptibles comme des cellules rythmiques, mais elles sont aussi des cellules de sens (sens critique, sens de la communauté notamment), voire des cellules sonores (un son qui sera le plus souvent qualifié d’ « impur » du point de vue Occidentalo-colonial), etc... Un peu plus précisément, le Cinquillo et le Tresillo seraient les deux principales de ces « cellules », de ces clés (clave), puisqu’elles ouvrent justement sur plusieurs dimensions simultanées (le rythme, le sens, le chant, le son, la mélodie, la danse, sans même citer les aspects sociétaux…). On retrouverait ces deux formes premières (Cinquillo et Tresillo), dénominateurs communs pour les populations d’origine africaine d’abord, à la base de toutes les musiques Caribéennes, tels des rhizomes musicaux présents en d’infinies variations, modulations, inversions, etc. De ce point de vue toujours, il semble que les usages de ces bases théoriques que sont le Cinquillo et le Tresillo articulent leur multi-dimensionnalité en deux principales modalités, repérables en deux « zones », sur lesquelles s’opèrent de manière sensiblement différente les usages de ces clés « rythmiques ». La « zone » du Son (tel le nom du genre musical apparu à Cuba) et la « zone » du Kalenda se chevauchent en de nombreux points de la Caraïbe et ne sont pas strictement délimitées. Elles constitueraient cependant le patrimoine musical vivant et commun e du 6 Continent, résultant et présidant à de très riches échanges intra-Caribéens


au moins aussi importants que les apports considérés comme « extérieurs », et qui au passage n’ont sans doute jamais été aussi denses qu’aujourd’hui. Peut-être que la nature synthétique relativement simple du Son et du Kalenda, leur multi-dimensionnalité, leur modernité d’avant l’heure, les émotions et visions du monde qu’ils transportent (satire, ferveur, joie indéfectible en seraient certaines) expliquent en partie pourquoi l’influence musicale de La Caraïbe s'est répandue, notamment au siècle dernier, au moins aussi vite que s’est répandue la technologie la plus virale que le monde ait connu, la technologie musicale.


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Ishmael Reed dans son « Mumbo Jumbo » identifie d’une certaine manière le Jazz à un virus. Il n’utilise en fait jamais le mot « Jazz » et lui substitue « Jes Grew », qui est un loa venu plus ou moins directement d’Haïti et de son vaudou. Une hypothèse bien séduisante car La Nouvelle -Orléans, berceau reconnu de cette musique, est sans doute la plus Caribéenne des grandes villes des Etats-Unis. Environ 10000 esclaves haïtiens y arrivent au lendemain de la Révolution de 1804, et pendant tout le 19e siècle c’est la seule ville Étasunienne où les esclaves fraîchement débarqués d’Afrique comme les nègres d’Amérique avaient le droit d’utiliser des tambours, au fameux Congo Square. Les musiques traditionnelles de La Caraïbe pourraient-elles être une sorte de trait d’union supplémentaire entre le feeling Blues (dont elles sont très proches) et celui du Jazz (avec qui elles partagent notamment une dimension improvisationnelle) ? Au moment où, au début du 20e siècle, le vaudouisant Jelly Roll Morton y inventerait le Jazz, déjà pourvu d’une « Teinte Cubaine » (« Spanish Tinge »), suivi par des générations de familles musicales souvent identifiées comme des french creoles, (jusqu’aux Marsalis), sa cousine la Biguine (Kalenda + instrumentarium Occidental) apparaît à Saint-Pierre de La Martinique. Certains, y compris aux Etats-Unis, considère cette dernière comme l’ancêtre du premier. Jazz et caribéanité se recroisent à New-York pendant les années 40 (un peu après que la Biguine ne déferle sur Paris), avec une extrême fertilité encore une fois. L’initié aux rites Abakwa Chano Pozo y travaille avec Dizzy Gillespie notamment, qui croise également le cuivre avec un musicien Cubain alors très influent, Mario Bauza, et de nombreux autres. Le Cubop (« Bebop Cubain ») pourrait être plus que l’ancêtre du Latin Jazz (terme qui circonscrit cette musique de manière vague et inoffensive) : un tournant fondamental et vite marginalisé pour le Jazz. Les travaux de Jerry Gonzalez, autour du répertoire de Thelo nious Monk « cubanisé », pointent avec poésie et justesse dans cette direction d’une


relation, plus ou moins souterraine et invisible, entre musique Afro-Cubaine et Bebop New-Yorkais, et quelques chercheurs universitaires se sont également attelés à cette tâche. Et puis citons encore, en vrac : les origines Caribéennes de nombreux musiciens de jazz comme Sonny Rollins ou Wynton Kelly ; des développements Jazz fulgurants dans La Caraïbe (le terme Jazz Caribéen serait-il un quasieuphémisme ? on repense ici à la Biguine…), portant fruits jusqu’à aujourd’hui avec des générations de musiciens plus ou moins décomplexées sur les accointances entre musiques traditionnelles et Jazz (pour les Antilles françaises et la période actuelle on pense à Christian Laviso, Jacques Schwarz-Bart, Franck Nicolas, Sonny Troupé, Grégory Privat…) ; l’émigration en tous temps de musiciens Caribéens et leur influence au sein des centres de création Jazz que sont New-York et Paris ; l’intérêt marqué et l’expression de la reconnaissance par des musiciens Étasuniens (comme David Murray ou Kenny Garrett à La Guadeloupe)… Jusqu’en 1959 notamment, Cuba est l’une des sources musicales les plus influentes du Monde en matière de musiques populaires (Mambo, Chacha et Rumba en tête), via notamment Paris et New-York. Avant et après la Révolution Cubaine l’influence des musiques emblématiques de la « zone » Son s’exprimera, si ce n’est directement depuis Cuba, via l’Amérique dite Latine (Perez Prado et Benny Moré à Mexico City) ou encore avec la c réation à NewYork de la Salsa par une équipe de musiciens Cubains et Portoricains. L’infiltration de nombreux genres musicaux internationaux par les musiques du 6e Continent pendant la première moitié du 20e siècle pourrait encore être illustrée par l’influence du Calypso, dont les origines remonteraient à Trinidad au début du 19e siècle, sur la musique de variété internationale avec par exemple les choix de la star mondiale Harry Belafonte dans un répertoire forgé dans le chaudron Harlémite. L’industrie pop Occidentale et Étasunienne en premier lieu, puisera dans la richesse Caribéenne tout au long du siècle, empruntant notamment en Jamaïque (à partir des années 70 avec le reggae surtout) ou à diverses musiques latines (avec un pic dans les années 90). L’Afrique ne fait pas exception bien au contraire, et d’ailleurs on a l’impression qu’à l’époque les notions « Jazz » et « Afro-Cubain » semblaient littéralement y être synonymes, colorant conjointement les musiques comme les noms des formations musicales qui exprimaient l’élan d’indépendances nouvellement acquises à partir de la fin des année 50. Le Calypso, via Londres


et son creuset Afro-Caribéen, influencera fortement le Highlife Ghanéen et Nigérian. Ce « retour » massif de musiques inventées sur le 6e Continent vers la Terre-Mère Africaine ne cessera pas comme le montre notamment l’adoption extraordinaire des genres Reggae et Zouk par plusieurs générations de musiciens. Les allers et retours entre Afrique et Caraïbe sont multiples et incessants depuis la période esclavagiste et coloniale jusqu’à nos jours, et ne se limitent pas à des genres musicaux spécifiques mais aussi à des éléments moins circonscrits stylistiquement. Il faudrait par exemple un travail spécifique sur les accointances des cultures guitaristiques Haïtiennes et Congolaises, et sur leurs échos dans l’invention du Zouk par le groupe Kassav’ ou plus récemment, dans les emprunts réalisés par toute une ribambelle de groupes rock et pop Occidentaux (avec plutôt l’Afrique en ligne de mire pour être exact). Burru, Nyabinghi, Ska, Rocksteady, Reggae, Dub, Dancehall… La Jamaïque est une île qui à l’instar de Cuba, a vu naître et se développer des formes musicales multiples, qu’elles soient rituelles ou profanes, dont certaines vont avoir une portée mondiale extraordinaire. Tout comme Cuba encore, des influences Haïtiennes y furent importées au lendemain de la Révolution de 1804 notamment et s’intégrèrent dans le paysage local. Comme sa grande voisine enfin, les échanges avec le grand voisin américain ont été particulièrement denses et déterminants dans l’évolution de certains genres musicaux, qu’ils soient Jamaïcains ou Étasuniens. Londres a par ailleurs été la plaque tournante (via les mouvements Skinhead et Punk) pour le développement Européen puis international du Reggae, dont tout le monde connaît aujourd’hui la portée non seulement musicale mais culturelle, politique, etc… La Jamaïque fût de plus le lieu d’innovations « industrielles » et commerciales exceptionnelles dans le secteur musical : production à la demande, diffusion et distribution ultra-rapides, street marketing, libre-échange et création faisant fi des droits d’auteurs… On a l’impression que l’île fût un laboratoire d’expériences préfigurant les futures évolutions virtuelles de l’industrie musicale mondiale, Internet compris. Le label puis le studio Tuff Gong de Bob Marley proclamèrent une indépendance frondeuse, tandis que VP Records, aujourd’hui domicilié dans le quartier de Jamaica à New-York fait toujours figure de géant du marché Reggae. Il faut enfin insister sur un fait reconnu par de plus en plus de monde mais pourtant loin d’être uniformément établi : le Hip Hop (ou du moins le Rap) a été


inventé à La Jamaïque (où l’on parlait de Toast ou Deejaying, mais le principe de la scansion verbale rythmique sur de la musique enregistrée est le même). Certes, le Hip Hop dans sa pluridisciplinarité (Rap, DJing, Break, Graffiti…) est bien apparu à New-York. Mais son père fondateur notoire, DJ Kool Herc, « inventeur » des fameuses block parties, est un natif de La Jamaïque où il fût bercé au son des sound systems. Il se contenta si j’ose dire (et entre autres choses), d’en exporter le principe à New-York. Depuis, par ailleurs, on ne compte plus les figures majeures du mouvement Hip Hop dont les origines directes ou indirectes se situent sur le 6e Continent : Crazy Legs du Rock Steady Crew, Carlos Mendes, Busta Rhymes, Notorious B.I.G., Heavy D, Fat Joe & The Terror Squad, Phife Dawg, Nicki Minaj, Rihanna… Jamaïcains, Portoricains, Barbadiens… Malgré les origines manifestement enracinées à La Jamaïque du Rap / Toast et des sound systems / block parties, le Hip Hop est uniformément reconnu comme un mouvement Étasunien. Et c’est en effet depuis New-York qu’il exprimera tout son potentiel artistique, culturel et économique, ceci expliquant sans doute l’occultation non négligeable de ses origines, alors que les Jamaïcains revendiquent le Reggae, il est vrai porteur d’un potentiel culturel et économique comparable… À noter qu’en ce sens, Hip Hop et Reggae / Dancehall / Reggaeton furent aussi et sont encore les véhicules de reconfiguration des contours identitaires des jeunesses caribéennes diasporiques ou locales d’abord, et bien au-delà ensuite. Et puis il y a le Dub, virus musical lui aussi issu de La Jamaïque ce qui finit de placer l’île largement en tête parmi les territoires les plus influents de la musique du 20e siècle. En évacuant la voix du chant sonore, le Dub ouvre des espaces inouïs. Ce fût la condition au développement du Toasting et donc du Rap d’une part. D’autre part cette musique à la fois instrumentale et lourde de sens révolutionna l’utilisation des studios d’enregistrement, avant les premiers samplers, tout comme elle précéda l’apparition de toute une variété de styles musicaux instrumentaux, et l’on pense ici aux musiques dites électroniques. Comment ne pas voir dans le Dub l’aîné de la Techno et de la House ? Procédés et techniques sonores, révolution esthétique, engagement politique dénué de mots et démarche philosophique, le Dub pourrait bien être une source qui innerve, de manière imperceptible et omniprésente à la fois, l'ensemble de la culture sonique mondiale d'aujourd'hui, peut être encore plus que le Hip Hop, pourtant globalisé et économiquement surdominant. Avec lui les aspects sociétaux du sound system (et du DJing au sens générique du terme) font de ce


dernier une arme musicale dont les potentialités sont encore à explorer au 21 e siècle, pour le meilleur (la musique comme force agissante et rassembleuse dans l’espace public) et pour le pire (on pense à la diffusion musicale à fort volume comme arme par les États-Unis pendant la guerre en Irak par exemple). Le sound system est toujours le futur. Dans la foulée soulignons que la House Music, forme d’une plasticité équivalente à celle du Dub, fût un lieu d’expression privilégié de nombreux musiciens d’ascendance Caribéenne : il y a la scène New-Yorkaise avec les stars que sont Masters At Work (Little « Louie » Vega est le neveu du chanteur de la Fania Hector Lavoe) ou l’album-momentum « Voyage Of Dreams » de l’Haïtien Jephté Guillaume, et puis Joe Claussell, issu d’une famille Portoricaine, sans même parler de la multitude de musiciens intervenants dans cette House survitaminée de percussions dans la Grosse Pomme ; il y a la scène Londonienne qui se réaffirma en centre de la créativité internationale à la faveur d’un regain d’intérêt pour les syncopes et les phrasés Caribéens, au tournant des années 2000-2010 (avec en parallèle une des plus fameuses réincarnation du Dub, le Dubstep), tandis que les échos des sons de steel drums se font entendre un peu partout, étant par exemple devenus la quasi-marque de fabrique des productions d’un Jamie xx, et que les productions du leader Hip Hop Drake chaloupent régulièrement d’une manière si typiquement Afro-Caribéenne. On terminera cet inventaire en évoquant la supposée prophétie attribuée à Miles Davis dans les années 80 en parlant de Kassav’: « le Zouk est la musique du futur », qui n'a jamais été aussi prêt de se réaliser qu'aujourd'hui, si elle ne l’est pas déjà. Après avoir conquis le monde (et notamment l’Afrique) avec le succès de Kassav’ et les nombreux artistes qu’ils ont inspiré, le Zouk, souvent taxé de ringardise et de doudouisme aux yeux du public Occidental et Français plus particulièrement, se retrouve depuis peu être un genre musical en pointe (parmi d’autres) que ce soit avec le Ghetto Zouk, le Zouk Bass ou via des compilations et mixes de DJs branchés qui s’intéressent à ses prédécesseurs (Bèlè, Gwo Ka, Cadence, Kompa…) et plus récemment au Zouk lui-même. Cela fait maintenant plusieurs siècles que le 6 e Continent se situe à l’avant-garde de la création en matière de musiques populaires, et il n’y a a priori aucune raison que cela cesse. À suivre…



Ka and Co ? Émergence d’une nouvelle mouvance artistique caribéenne ou expression d’une ère de revival ? *

Ka ki KAKO ? (Extraits dun ’article paru sur lespwisavann.org en 2007, Luk GAMA, graphiste) Depuis bientôt environ une dizaine d'année 8, en Guadeloupe en particulier et aux Antilles françaises ensuite, une tendance artistique se développe : le mouvement KAKO. Ce mot est utilisé en premier par Exxòs (MC et DJ du Karukéra Crew) afin de définir sa propre "couleur" musicale. Emprunte de sonorités, mélodies, rythmes, issues des musiques et traditions orales anciennes propres à ces régions, il n'est pas rare qu'il recoure à des samples de morceaux d'anciens disques de gwo-ka d'abord et de tous les autres styles musicaux qui le suivent ensuite dans l'histoire musicale antillaise francophone. Cela donne un nouveau son. Un autre deejay du groupe, Phonie, quant à lui, sur cette même base, s'illustre dans un concept appelé par lui - même : Soopakongo. (…) Cependant cette volonté de créer s'affirme de plus en plus en s'appuyant sur ses ressources locales. Aussi, au fur et à mesure, on constate que la nuance rap américaine s'estompe pour laisser place à une vibration plus caribéenne. Tout cela se passe dans les années 90. À partir de ce moment aussi, un artiste jusqu'alors catalogué zouk, 8 Au

moment où j'écris cet article (octobre 2007)


Dominik Coco, faisant déjà son chemin musical, s'installe aussi dans cette mouvance. Il fait le même travail qu'Exxòs, mais à partir du "son" Zouk. Le même cheminement est pris et on s'éloigne de plus en plus du zouk "classique", qui continue d'exister par ailleurs. (…) Maintenant, de nombreux artistes gravitent autour de ce nouveau mouvement artistique, de façon plus ou moins proche et de manière plus ou moins sincère. La constante est que l'affirmation de soi et surtout la reconnaissance de la culture caribéenne tiennent une place prépondérante dans les créations d'aujourd'hui. Elles sont le signe d'un resserrement des peuples antillais avec leurs racines comme pour lutter contre les forces oppressantes quasi - infinis de la société occidentale actuelle. Je pense que c'est un bon signe pour l'avenir. Cependant, à mon sens, l'authenticité et l'innocente vigueur originelle de beaucoup de ces créations viennent buter sur le puissant "voile" économique international. Et malheureusement, je trouve que beaucoup trop d'initiatives "échouent" sur ces rivages inévitables (semble - t - il) que sont l'appât du gain (au sens large) et le désir de reconnaissance exacerbé (ou gloire). Je pense que le système américain "triomphant", notamment, a placé ces deux dernières "choses" comme les aboutissements de toute "entreprise" (économique, culturelle, sociale, politique et même spirituelle). Et par la même occasion, les énergies créatrices de par le monde ont été "tordues" ou détournées, au point de ne plus savoir qu'elle est leur véritable but. C'est en cela que je pense que les "créateurs" (beaucoup moins répandus que les "créatifs") se doivent de préserver un jardin "sacré". Un lieu où les lois de l'économie de marché n'auront plus accès et où seul comptera "la Vie". Aujourd'hui, contrairement à ce qu'ont pu dire les anciens Caribéens, toutes les nourritures ne sont pas bonnes à manger. Alors que trois éléments continuent de constituer une part essentielle de la base de toute tentative de construction communicationnelle et culturelle : "la pensée", "le langage" et "la parole". Ainsi, le Kako continuera - t- il à se nourrir dans ce tryptique sacré ou sombrera - t - il, lui aussi comme d'autres tentatives d'émancipation historiques, dans les cailles tranchantes de la "p'tite gloriole" ou du "m'as – tu – vu" ?


Mots de créateurs choisis En réponses aux questions de Lespwisavann

* ExXOS (Guadeloupe)

Kako Phonie (Guadeloupe)

Egzotéric (Guadeloupe)

Rafael MAYA (Porto-Rico)

*


ExXOS LS : Dans un monde où la mentalité industrielle est la norme, y compris dans l'art, vous avez l'air d'artisans culturels. Acceptez-vous cette définition ? Si oui, pouvez-vous nous éclairer sur l'intérêt de ce choix ? ExXOS : Artisans culturels, C'est un peu ce que l'on se dit car même venant d'un univers Hip-hop, donc urbain et supposé industriel, nous utilisons des procédés de création musicales vieux de 25 ans dans l'histoire du Rap. Ex. : chercher de vieux vinyles de musiques anciennes, trouver et découper des échantillons dedans pour les utiliser dans une composition de style actuelle. Autre aspect qui pourrait faire de nous des artisans culturels, c'est de recycler des choses "passées" ou négligées de notre propre culture pour en faire


de nouvelles au goût du jour. Comme les artisans, nous recherchons le beau, l'agréable mais aussi l'utile et le fonctionnel. LS : Il y a un discours en Guadeloupe qui vante en permanence "l'ouverture à l'autre". Dans vos productions "purement" Kako, vous semblez porter une vision plutôt tournée sur le "NOU". Est-ce par simple anticonformisme ou pour autre chose ? ExXOS : Nous sommes en vérité, et de fait à cause ou grâce au Hip-hop ouvert à l'autre. C'est juste une question de dosage. :) Nous mettons l'accent sur le "nous" car il est évident pour nous de mettre en valeur notre culture avant celles des autres. Le Hip-Hop est une culture de la réappropriation et le Reggae-Dancehall un enfant du croisement Caraïbes/USA/Africa… Rajoutons à cela que les Antilles sont historiquement des "éponges culturelles" c’est-à-dire des endroits qui ont toujours vécus tournés vers leur "ex colons". Nous essayons de nous servir de nos propres matières premières pour faire ce qu'aurait fait un américain, un africain ou un japonais en termes de musique contemporaine et électronique. Cette addition donne un "Nous" "Tout-Monde" qui ressemble au KakOLabO. Il s'agit d'anti conformisme car nous ne voulons pas ressembler aux produits culturels "industriels" dont on ne saurait identifier l'origine et à la fois de plaisir créatif, car c'est ce mélange qui nous "déchire" le plus et qui interpelle "l'autre". LS : Pouvez-vous nous donner votre avis sur la créativité artistique locale (d'hier comme d'aujourd'hui) et sur son devenir ? ExXOS : Il semblerait que les graines semées hier germent aujourd'hui et il y a du bon grain comme du mauvais. La Nature ayant horreur du vide, ce qui devait se faire se fait. Je m'explique. Ceux qui ont besoin de nostalgie ou de valeur sûre peuvent compter sur un certain "revival" des genres et le retour de groupe mythique en retro -zouk, en reggae jamaïcain, en Hip-hop Boombap classic, en jazz caribéen, etc. car il y a une jeunesse qui crée avec un point de départ décalé, plus loin, plus empre int de tous les genres et capables de faire de tout. Ceux qui veulent que de l'originalité, du nouveau ou des trucs un peu


underground, ont un choix immense sur internet et dans les milieux underground. À mon avis, aujourd'hui le challenge pour tout-un-chacun se situe au niveau de qualité et de la pertinence du contenu proposé ainsi qu'une bonne gestion de la communication. Tout le monde, proclame sans cesse le potentiel caribéen et plus localement antillais mais pour le moment, on est vraiment loin d'en profiter ! Tant d'efforts restent à faire. Comme je dis dans un lyrics, touché lorizon sé on fil ki pa ka bout ! alors travaillons ! lol :D

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https://exxosmetkakola.com

https://soundcloud.com/exxosmetkakola


Phonie LS : Dans la forme, l'ancrage à la culture Hip-hop est évidente. Mais, au-delà de tes origines géographiques, qu'est-ce qui a motivé (et continue de le faire) l'oreille que tu portes sur les expressions musicales caribéennes ? DJ Phonie dit Kako Phonie : En fait, ca à été tout naturel. Quand j’ai commencé à m’intéresser à la production d’instrumentaux Hip Hop et donc aux samples (dit échantillons) à la moitié des années 80, j’ai au départ tout simplement cherché dans la collection de disques de mes parents. Ils étaient rangé en bas dans le meuble de la chaine hi-fi. Dedans j’y ai trouvé de la musique du pays, des iles de la caraïbe mais aussi les grands classiques de la musique française, du jazz, du funk, disco, de la musique latine et brésilienne entre autre...En écoutant tous ces disques j’ai tout de suite ressenti l’intérêt que j’allais porter à la musique antillaise et latine car je les trouvais riche, dansante et parfaite pour les instrumentaux Hip Hop que je cherchais à créer. Du coup je me suis lancé dès 1984-85 à la recherche de ces disques, ce que je n’ai jamais cessé de faire jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai bien sur pas ignoré les autres genres musicaux cité plus haut mais j’ai toujours mis l’accent dans mes


recherches sur la musique des Antilles françaises y compris Haïti, la Réunion et la Guyane...C’est la raison pour laquelle, ces sonorités sont quasiment toujours présente dans ma musique car j’ai appris, avec le temps, à les manier et les inclure subtilement dans mes compositions. La quête de ces disques vinyl, en partie en raison de leur rareté avérée ou supposée, demande dans tous les cas du temps et une patience à toute épreuve, une bonne connaissance de l’histoire de la musique et des musiciens de l’époque et surtout un amour inconditionnel pour l’objet vinyl. C’est devenu avec le temps plus qu’une passion, un mode de vie. C’est d’ailleurs pour ces raisons que des labels européens comme Heavenly Sweetness (Paris) ou encore Strut Records (Londres) ont fait appel à moi pour mes connaissances en la matière pour leurs projets de compilations sur la musique des Antilles françaises (Kouté Jazz, Digital Zandoli Vol. 1&2, Haïti Direct...) LS : Techniquement, on perçoit, en général, dans ton "son", la volonté de faire ressortir le grain et la chaleur des sonorités d'avant l'ère du numérique (dans la qualité des samples comme dans les choix de sons de grosses caisse par exemple). Confirmes-tu cela ? Pourquoi ? Phonie : Techniquement j’ai envie de te dire qu’il n’y a pas de recette , même miracle...le grain etc c’est finalement assez subjectif. Ca l’était moins dans les années 90, aujourd’hui ca n’a plus vraiment de sens. L’arrivée de l’ordinateur a tout chamboulé, même les croyances les plus ancrées. Mon « son », comme tu le dis, sonne « comme ca », tout simplement parce que mes sources sont surtout issu de vinyl, k7, VHS, mais aussi de cd, de mp3 ou encore de youtube...tout est dans le traitement de la source sonore et le résultat qu’on souhaite obtenir. Je viens de l’école Hip Hop de la première heure, des années 80, j’aime les samples et les sampleurs, le son « crade », distordu avec du souffle et de la saturation analogique, du craquement de disque, et en même temps, j’aime qu’il y ai des percussions et des basses fréquences qui donnent du relief et de la « lourdeur » à l’ensemble. On peut obtenir cette « qualité sonore » avec un magnétophone multipistes à k7 du siècle dernier mais on peut aussi l’obtenir avec un logiciel Pro-Tools flambant neuf. Tout dépend de ce qu’on veut et de ce dont on dispose (make the best with what you got).


Je n’utilise pas d’ordinateur dans mes compositions, juste un sampleur, un synthé et surtout des milliers de disques 33 et 45 tours dans lesquels j’échantillonne tous les éléments constitutifs de mes compositions. L’ordinateur vient vraiment en dernier dans la file, il me sert pour ainsi dire de magnéto pour mixer et enregistrer du chant et/ou des instruments additionnels. Au final, peu importe la manière de faire, ce que j’apprécie chez un producteur de Hip Hop comme moi c’est l’intention, la volonté de sonner différemment, la recherche de singularité et surtout de la créativité quant à l’utilisation des samples. Si au final ca donne un bon morceau de musique qui me fait vib rer et fait vibrer les boomers de mes enceintes, on est d’accord... LS : Les créations Kako me semblent prétendre à faire plus que simplement regarder dans un "rétroviseur" culturel. Qu'en penses-tu ? Phonie : Franchement je ne regarde pas dans le rétroviseur (sauf en voiture lol), je regarde bien devant moi, le plus loin possible en évitant de me laisser distraire par les éléments perturbateurs de toute sorte disposés aléatoirement sur ma route...l’idée c’est de s’intéresser, de s’imprégner du travail, d e la lutte de nos anciens. Il faut connaître un peu son histoire, l’histoire de son pays, le(s) contexte(s) socio-politique(s) pour savoir comment et pourquoi les intégrer dans ses créations. Chaque période de lutte et de revendication s’est souvent accompagné d’un courant artistique riche en expérimentation, en recherche de nouveaux procédés, en association de nouveaux éléments...Honnêtement, aujourd’hui j’ai du mal à saisir ce que « créations Kako » veut dire...Si c’est mettre du madras et du Gwo Ka ici et là, à toutes les sauces et dire que c’est Kako, c’est réducteur, faux et dénué de tout intérêt... Au début des années 2000, quand on a commencé à réfléchir avec Exxos à une réelle fusion entre notre héritage culturel, notre patrimoine musical traditionnel (qui n’est d’ailleurs pas uniquement fait de Gwo Ka) et la modernité des éléments que nous a apporté la culture Hip Hop, notre travail allait (et va) bien plus loin que le simple collage, le simple pastiche. 
On faisait déjà ce travail intuitivement auparavant sauf que cette autre manière de faire et de penser n’avait pas de nom, Exxos l’a baptisé : Kako. Depuis, nombreux sont ceux qui, sans vergogne, se sont emparé de ce terme


qui, au fil des années, s’est vidé de son vrai sens et s’est éloigné de son fondement originel pour, souvent, ne nourrir qu’un but mercantile ou un phénomène de mode. Ceux qui aujourd’hui se disent artistes Kako n’en connaissent bien souvent ni les tenants ni les aboutissants et encore moins la réflexion qui a été menée pour en arriver là... LS : Ou ni biten a di ba jenn kréyatè ki ka vini ? Phonie : Non, je déteste jouer le rôle de donneur de leçons.
Mais simplement et humblement je (leur) dirais de, cultiver sa singularité, étudier sans copier le travail de ceux qui ont un réel intérêt pédagogique quelque soit leur origine, culture ou religion. Et enfin, ne jamais désespérer, s’armer de patience et de persévérance, soit on gagne soit on apprend, on ne perd jamais...

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https://kakophonie.bandcamp.com https://www.instagram.com/phranckophonie/


Egzoteric

LS : Te revendiques-tu du mouvement "Kako" ou pas ? Pourquoi ?


Egzotéric : Oui et non. Oui parce qu’en tant que caribéen ayant grandi dans les années 80 en Guadeloupe c’est un mouvement que j’ai vu naître, que j’ai suivi et qui m’a influencé en partie. C’est un esprit qui m’a parlé naturellement car c’est à mon sens le concept évident qui devait émerger de notre jeunesse à travers son expression artistique vu notre patrimoine culturel, notre histoire et notre situation géographique. Il suffisait de lui un donner un nom et de le faire vivre en pleine conscience. Je me rappelle encore de ce que m’avait spontanément évoqué le concept la première fois que j’en ai entendu parler. Il y avait la nourriture (le fruit), la couleur (verdâtre), la musique et son énergie vitale. Trois éléments primordiaux et nécessaires à la vie. J’ai de l’admiration pour le travail de ses instigateurs et fers de lance que ce soit Exxos Mètkakola, KakoPhonie et tout le Kakolabo… Vu tout ce qu’il englobe, symbolise et cristallise, si nous sommes en phase avec nous même, nous sommes intrinsèquement tous un peu Kako. Non, car pas uniquement, ce serait limiter mon approche de l’art et de l’expression. Je cherche la reconnexion avec la nature, les éléments, Le soleil, la lune, les planètes et les étoiles. L'univers qui est à l’intérieur de nous -même. Donc Je me revendique plus d’une convergence de beaucoup de courants ou mouvements non seulement artistiques (Hip-hop, arte povera, street art, etc. s’il faut en nommer quelques-uns) mais aussi philosophiques et spirituels (Zen, Vodun etc…) car j'apprends constamment de toutes mes rencontres et expériences. C'est ce qui façonne l’être et cela se retranscrit naturellement dans ma production. LS : Le mouvement culturel Hip-hop originel (des États-Unis) a déjà largement imprimé de son empreinte les consciences de plusieurs générations d'artistes et autres intellectuels de par le monde et il continue de le faire. Il est très souvent cantonné par les média "main Stream" à plusieurs formes d'expressions et d'esthétiques superficielles. Peux-tu nous parler des liens que tu sembles y trouver et/ou créer avec une forme de spiritualité ? Egzotéric : Tout d'abord le hip-hop originel pour moi existe depuis bien plus longtemps que les États-Unis. Il y est apparu mais découle d'une culture ancestrale qui s'est transmise de l'Afrique en Occident. Des valeurs qu'il prône (paix, amour, unité et s'amuser) jusqu'à l’imagerie, on retrouve des codes


Traditionnels sous une forme urbaine. Là je parle de l'esprit. La philosophie hiphop c'est la connaissance en mouvement, la transformation des énergies négatives en énergie positive, l'expérience par l’expérimentation. On y retrouve le principe de l’alchimie. Le Hip-hop reflète un état d'esprit. Il se vit. Force est de faire une différence entre le mouvement culturel en lui-même et sa forme d'expression la plus commercialement exploitée c'est-à-dire le rap quand on parle de média mainstream. Si on parle uniquement de la musique c'est du divertissement donc le côté « a priori » superficiel à sa place prédominante. Mais même là Il est un miroir de la société, et correspond à une certaine réalité. En 2016 le hip-hop est vraiment une culture mondiale et dans beaucoup de pays, les valeurs de base que véhicule ce mouvement sont encore importantes pour les adeptes de cette forme d'expression et cela se ressent même dans leur production mainstream. Pour ma part, Le but est de se connaître soi-même. L’appréciation que l'on a une d'une chose dépend de son approche. Krs One dit : ”the real hip hop is over here !” Et Dead Prez : ”It's bigger than hip-hop”. C'est-à-dire que le hip hop est tellement large qu'il est en réalité plus grand que tout ce qu'on qualifie catégoriquement de Hip-hop. Le Hip-hop se réinvente constamment et c'est cette approche spirituelle et philosophique qui m'y rattache principalement. C'est elle qui permet de rejoindre les autres mouvements comme un affluent du grand fleuve, car quelle religion ou courant mystique ne prétend pas militer pour la paix, l'amour et l'unité s’il ne fallait garder que ces trois grands principe s. Nous avons les mêmes buts mais pas les mêmes moyens pour les atteindre, les mêmes destinations mais pas les mêmes véhicules pour y arriver. Le dicton hip -hop : « the time is now, the place is here » (par exemple) me rappelle la pureté de la spontanéité, éviter la procrastination et l'illusion de la perfection. Juste être soimême (keep it real), rester en mouvement (keep it moving) etc.... Ce sont des expressions récurrentes qui font partie du parler Hip-hop et qui sont profondes de surtout quand les applique dans son paradigme. Pour revenir au kako, il est autant hip-hop que le hip-hop est une forme de kako. Quand on parle de spiritualité, je pense forcément à l'esprit et aux ancêtres. Joby Bernabé dit : Lèspri ko sé mèt kò. Donc lèspri aw sé mèt « art ». « Pay your dues » m'évoque L'hommage aux anciens. Les miens (comme pour beaucoup de Guadeloupéens) viennent de l'ancien Royaume du Danxome, le Bénin actuel. C'est dans cet esprit que j'ai créé xo[beat]box. J’utilise Le phonème « xo » vient de la langue Fon (une des langues parlée au Bénin) et désigne tout ce qui est créé par la parole ; il se retrouve associé au terme résolument hip-hop et urbain beat-box. Une manière pour moi de célébrer ce lien, cette spiritualité dans mon hip -hop ou une


approche Hip-hop de ma spiritualité. Étant autodidacte, Je considère donc mon art comme le témoin esthétique d'une quête, d'un parcours initiatique. Mon chemin est une voie qui se trace au fur et à mesure que je marche.

LS : Comment perçois-tu l'évolution de la créativité (sur le plan conceptuel) dans les espaces culturels caribéens (dans la caraïbe et/ou en Europe) ? Egzotéric : Nous sommes à l’ère de l’information, donc il y a beaucoup de choses qui se font, qui se créent. Il y a un foisonne ment créatif c’est sûr. L’art occupe de nouveau une place de plus en plus visible dans l’espace. Après sur le plan conceptuel, je t’avoue que je ne suis pas trop au courant. Le projet tiban de Jean-Marc Hunt m’a parlé. LS : Es ou tini on mésaj pou jénérasyon ka monté kon-yé-la ? Egzotéric : Vie, santé, fòs. Stoppons la violence destructrice èvè an nou kouri an savann an nou épi on bon lèspri.

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http://www.thearkemyst.com/xobeatbox/ http://www.thearkemyst.com/behind-the-box/


Ces exemples de cheminement ne sont pas isolés. Dans la Caraïbe, il y a d’autres expériences en cours…


Rafael MAYA

Musicien et militant culturel qui pourrait bien représenter un autre versant de cette mouvance, Rafael Maya est basé à Porto-Rico, il se définit lui-même comme éducateur, compositeur, percussionniste, danseur, réalisateur, chanteur, et folkloriste. Il est très actif et a participé à un peu plus d’une dizaine d’albums. Il fait partie d’une nouvelle génération d’artistes de son pays qui embrassent sans complexes les résurgences africaines de leur culture dans leurs formes les plus traditionnelles comme dans leurs déclinaisons les plus actuelles. Nous l’avions rencontré au détour d’une manifestation culturelle dans la Caraïbe. Aujourd’hui, au détour de quelques clics, il a accepté de nous livrer quelques mots pour illustrer ce que pourraient être les contours d’une personne comme lui, dans le Porto-Rico de 2016. LS : Pouvez-vous nous parler de vous et de votre parcours ? Rafael MAYA : Culturellement, je suis à la fois cubain et portoricain. Je n’ai pas fait d’études musicales. Tout ce que je connais en musique me viens de la rue où j’ai beaucoup appris des maîtres en les regardant jouer et en les observant. J’ai aussi beaucoup appris à partir de vidéos. J’ai passé les 13 dernières années à jouer de la Bomba. Et je pratique d’autres styles portoricains ainsi que d’autres styles caribéens. Mais je me concentre surtout sur la Bomba.


LS : En règle générale, dans la société portoricaine, comment les gens vivent-ils la relation entre leur vie quotidienne et les racines culturelles du pays ? RM : On ne peut pas dire qu’il y ait jamais eu de « véritable » lien entre la Bomba et les portoricains qui vivent sur place. Mais depuis une dizaine d’années, il y a un gros travail de fait dans les écoles et dans les communautés. Aujourd‘hui, on pourrait effectivement dire qu’il y a une somme certaine de connaissances qui circule, parmi les portoricains, à propos de ce qu’est la Bomba. Et nous l'utilisons de manière populaire… pas tout le monde. Mais pour une majorité d’entre – nous, nous l’utilisons de manière à diffuser librement les choses qui sont arrivés et continuent de se passer ici, ainsi que pour parler des différentes « contraintes » que nous avons... LS : Pouvez-vous parler de l'expérience « IFé » et ce qui motive votre engagement ? RM : L’expérience « IFé » c’est juste super ! Parce que c’est un mélange de nos propres cultures. L’ancienne, pour commencer, qui a été avec nous tout ce temps et qui contient tous les genres que l’on pourrait décrire comme afro -caribéens. Mais il y a aussi la religion « Ifá » ... Cela nous pousse à faire de la « bonne » musique. Ce que nous faisons c’est une nouvelle fusion de « l’ancien » et du « nouveau ». Ce qui nous permet d‘accéder à un public beaucoup plus large. Et ce qui me pousse à faire partie de ça, c’est que j’adore la musique et les gens avec qui je travaille. J’adore vraiment la réaction de la communauté, et celles de par le monde, dans lequel nous devons voyager : Toronto, Chicago… Nous avons été aussi en Europe… Tout ça est une vrai belle expérie nce. LS : Auriez-vous un message pour les générations futures ? RM : Le message que j'aurai pour les prochaines générations, c’est que vous devez connaître votre passé pour connaître votre avenir. Donc, essayez de vivre dans le présent, mais aussi d’être conscient de ce qui est arrivé, ce qui se passe et ce qui se passera. Donc, s'il vous plaît, je vous dirais aussi de continuer l'apprentissage de votre passé pour ne pas reproduire les mêmes erreurs que celles de nos ancêtres.


 http://www.rafaelmaya.org



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In Lespwisavann, Istwa & Sosyété www.lespwisavann.org Revue Online - ISSN : 1634 - 0507


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