Catalogue d'exposition - XXL #2

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Théophile Pillault

Pour la seconde année consécutive, la Fondation Montresso* accueille l’exposition collective XXL. Rero, Hendrik Beikirch, Kouka et David Mesguich figurent au casting de cette nouvelle édition. Vaste rétrospective et écrin créatif hors-format, XXL#2 leur a permis d’égrener leurs interprétations à propos de la démesure, de l’immensité, mais aussi des limites au champ de l’expérimentation artistique. Fil rouge tendu entre ces artistes, le devenir humain a fait vibrer les cordes sensibles des quatre hommes. Originelle chez Kouka, transfrontalière chez David Mesguich, en pleine quête existentielle chez Rero ou hors-format chez Hendrik Beikirch… Les humanités sont ici plurielles, et questionnent l’ordre du monde. Un ordre dont les hommes ne disposent pas, mais dont les artistes peuvent peut-être influer, détourner, réparer parfois, la folle marche. Ici réside un de leurs rôles – magnifié par la carte blanche XXL –, de pouvoir produire et créer les “mesures d’un infini sans mesure”, comme aimait à le dire Antonin Artaud. Le jaillissement d’œuvres que vous vous apprêtez à expérimenter est le fruit de longues résidences préparatoires. Une retraite créative, commune, placée sous les signes de l’échange et du partage. Aussi, à l’heure où curateurs, galeristes et opérateurs du monde de l’Art contemporain déplorent l’absence de grands mouvements et courant artistiques, peut-être est-il temps de leur signaler l’existence, aux portes de l’Atlas, d’un étonnant regroupement de peintres et de plasticien·ne·s, qui construisent, ensemble, de nouvelles solidarités artistiques. Cette nouvelle mouture de la résidence XXL en est l’exemple vibrant.
















Viktor Encre de chine et laque sur toile 320 x 250 cm 2018 pages 20-21 : Vera Peinture et laque sur métal 43 x 25,6 m - Mannhein, Allemagne 2016





À la croisée du WildStyle New Yorkais, des abstractions du maître Richter et du gigantisme minimal de Richard Serra, l’artiste allemand, Hendrik Beikirch est aujourd’hui internationalement reconnu pour l’audace et l’immensité de ses fresques. Hors-frontières et hors-formats, l’homme y capture l’aura de citoyen·ne·s anonymes, pour les mettre à l’honneur dans des bas-reliefs urbains, vus de Paris à New Dehli en passant par Busan en Corée du Sud, où l’homme a notamment peint un mur de plus de soixante-dix mètres de haut. Réalisée en 2012, cette fresque reste, à ce jour, la plus grande façade jamais réalisée en Asie. À l’occasion de ses résidences à Jardin Rouge – initiées depuis juin 2014 –, Hendrick a réalisé vingt-deux portraits de maîtres artisans marocains (les "Maâllem" en arabe, ndr.) à l’encre et acrylique sur toile. Il a ensuite exporté ses visages sur les murs et façades de nombreuses villes, de New York à Rome. Rencontre grand-format entre un peintre et un peuple, ce vaste projet inclusif sera ensuite édité par la Fondation Montresso. Humaniste et généreux, l’ouvrage d’Art Tracing Morocco sera présenté au sein de la librairie Artcurial à l’occasion de la Fiac, en octobre 2016.


“Pour XXL je me suis détaché de ce que j’ai pu produire sur Tracing Morocco” confie Hendrik. L’artiste est parti cette fois-ci dans l’immensité du territoire Sibérien, à la rencontre de ses habitants, dont certains vivent en reclu, dans des zones rurales très éloignées : “la série présentée pour XXL#2, qui s’intitule d’ailleurs Siberia, tente de rendre compte de la chaleur de l’âme russe, mélange ici de culture européenne et asiatique. Aussi, je me suis appliqué à restituer plus de détails et de finesse de trait. Le contraste est toujours très présent dans les visages, mais je crois avoir pu retranscrire désormais des histoires de vie plus denses, et complexes que par le passé. Bien que je reste toujours en quête de belles âmes, et de vécus intenses !” Disposé à droite des œuvres, figure un panel d’objets iconiques, remis à Hendrick par ses modèles sibériens : “Qu’il s’agisse d’une petite boite d’allumettes usagées, d’une carte postale comme d’un cadenas rouillé, cet ensemble d’objets échangés, de trésors intimes, vient sceller les portraits par des reliques, des items qui viennent incarner littéralement le passé et donc les vies de ces personnages.”



Maxim Peinture et laque sur panneaux synthétiques 15 x 17 m - Aarhus, Danemark - 2016 ©Jesper Balleby






Aleksey Encre de chine et laque sur toile 190 x 150 cm 2016 pages 28-29 : Yuri Encre de chine et laque sur toile 190 x 150 cm 2017 Aleksandr Petrovich Encre de chine et laque sur toile 190 x 150 cm 2017 Zoya Encre de chine et laque sur toile 190 x 150 cm 2018




Ivan Encre de chine et laque sur toile 190 x 150 cm 2017


pages 36-37 : Penny black (Exafrica sempera liquid novi) Technique mixte sur papier marouflé sur carton 190 x 150 cm (2) 2018 Penny black (No culture) Technique mixte sur papier marouflé sur carton 190 x 150 cm (2) 2018 Penny black (Aborigine fidelis) Technique mixte sur papier marouflé sur carton 190 x 150 cm (2) 2018 Penny black (Affranchi) Technique mixte sur papier marouflé sur carton 190 x 150 cm (2) 2018 pages 38-39 : Penny black (Territoire libre) Technique mixte sur papier marouflé sur carton 190 x 150 cm (2) 2018







Artiste franco-congolais né à Paris en 1981, Kouka Ntadi se forme aux Beaux-Arts ainsi qu’à l’école de la rue, par l’entremise du Graffiti. Il y a près d’une décennie, il se fait connaître grâce à d’immenses figures peintes de guerriers Bantous. Vêtus dans leurs plus simples appareils, simplement dotés d’une sagaie, ces femmes et hommes premiers, universels, seront vus de Vitry-sur-Seine à Miami. La quête de soi, des origines et de l’identité animent la dynamique de Kouka, peintre pour qui urbanité et espace public répondent de facto à la question de l’accessibilité de l’Art au plus grand nombre. “Je diffuse des bantous un peu partout dans le monde” confie le jeune artiste. “Je travaille depuis désormais une décennie sur cette civilisation, dont le terme Bantous (pour "Les hommes", ndr.), est un peu controversé, puisqu’il s’agit d’une création occidentale. Qu’importe, cet ensemble d’ethnies très disparates a légué une descendance que l’on peut retrouver aujourd’hui aux quatre coins de la planète. Finalement ces guerriers bantous sont devenus mon peuple, mes figures, mes personnages, anonymes mais premiers, originels, à qui je donne une singularité en les diffusant, moi aussi, partout dans l’espace public.” Pour la seconde mouture d’XXL, Kouka Ntati a installé une centaine de totems peints : “l’idée est de livrer ici une véritable forêt de personnages, montés sur socle, donnés à voir dans une scénographie peuplée, très incarnée. En tant que métis, j’aime travailler le noir et


blanc, deux teintes qui font sens pour moi. J’aime les tons bruts et les chromies contrastées. Je tiens à ce que mon geste soit frontal, et que les coulures, comme les coups de pinceaux, soient apparents.” Pour son installation centrale, l’homme s’est servi de madriers en bois, utilisés à l’époque comme matériel de coffrage pour construire le musée : “cette montagne de panneaux et de rebuts de bois m’ont inspiré” commente Kouka. “Finalement, ces éléments opèrent aujourd’hui un retour in situ au cœur du musée.” Inspirée de photos ethnologiques, une série de portraits accompagne également le petit peuple de Kouka : “pendant très longtemps, la photographie constituait le seul témoignage des cultures africaines, principalement orales. Sortir les images de leurs contextes médiatiques ou ethnologiques, leur redonner grâce avec la peinture et l’espace muséal (donc public), c’est les replacer dans un présent, une instantanéité. Sur la base de deux à trois modèles, je peins le même le modèle, à répétition, de façon spontanée et instinctive. Je peins à main levée. Aussi, chaque visage est différent, unique. C’est ce que raconte mon travail, ainsi que la manière dont j’ai empoigné cette carte blanche XXL. Face à l’immensité de l’humanité, nous sommes tous différents, originels, imparfaits… Et finalement très semblables.”











Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront pas la venue du printemps Technique mixte - 91 totems Installation à dimension variable 2018




Falling selfie Sculpture acier sablé 440 x 400 x 269 cm 2018





Toulouse, Marseille ou en Suède… Il faut être tombé nez-à-nez avec une installation de David Mesguich pour envisager toute la puissance créative qui innerve son geste. L’artiste français construit et installe de vastes sculptures géométriques en papier ou en plastique recyclé, in situ, au cœur de la ville. Natures mortes permanentes, bustes ou portraits féminins éphémères, ses travaux dessinent depuis 2009 une cartographie subversive qui libère et questionne les grands espaces urbains face aux enjeux de demain. C’est à Jardin Rouge, en 2016 que sa première sculpture en métal – un portrait de réfugié piégé entre deux mondes – a été pensée et produite. “Frontière, enfermement et franchissement sont au cœur de mon parcours personnel. J’ai une histoire de vie qui a été traversée, très tôt, par l’univers carcéral et la cavale” confie David Mesguich. “Plus tard, j’ai évolué dans le graffiti vandale. Intensément, durant une décennie, de 98 à 2008. Là aussi, il était question de franchissement et de dépassement. Au-delà des résidus esthétiques inhérents à la culture, cette décennie m’a surtout révélé à un mouvement, une manière de se déplacer entre l’extérieur et l’intérieur, le public et l’intime, l’illégal et ce qui est autorisé. Ce geste m’a aidé à révéler, finalement, un vécu que je portais depuis ma naissance. Ce n’est qu’au contact de pratiques artistiques libres que j’ai pu le mettre en mots et en images.”


Pour XXL, l’homme présente deux œuvres : “la première est une installation monumentale éphémère, la seconde est une sculpture, en acier. J’ai abordé la question de la monumentalité à l’échelle de la Fondation sans limite de taille, ni d’occupation d’espace.” Ces deux sculptures sont des portraits de migrants : “à travers leurs vécus, je retrouve mon propre chemin de vie. Même si je n’ai pas eu à franchir les frontières sur des barques… Aujourd’hui mes craintes, mes alarmes sont en phase avec l’actualité d’une Europe qui se transforme lentement en forteresse. Caméras de surveillance, grillage barbelé ou panneaux métalliques sont des matières que j’invoque régulièrement dans mes œuvres… L’esthétique du contrôle, cette fabrique du consentement sécuritaire est extrêmement complexe à porter, car c’est une beauté qui dérange. Mais j’assume cette subjectivité, avec le plus d’honnêteté possible. Je pense qu’elle nous a été imposée durant tellement d’années qu’aujourd’hui, elle crée instantanément des précédents esthétiques et plastiques.”




David Mesguich et Mohamed Tajine préparant la sculpture Falling Selfie, Jardin Rouge, Marrakech 2018






Anti-gravity Résine polyester, fibres de verre et acier 213 x 120 x 62 cm 2018 pages 64-65 : World of fence Polypropylène et acier 450 x 715 x 254 cm 2018






Sans titre - You could talk less... Bas relief - Technique mixte sur bois 173 x 152 cm 2018 pages 70-71 : How much is enough... Acrylique sur béton 3,5 x 70 m 2018 pages 74-75 : Sans titre - Accepte car il n’y a rien d’autre... Bas relief - Technique mixte sur bois 173 x 152 cm 2018 Sans titre - One more picture on my phone... Bas relief - Technique mixte sur bois 173 x 152 cm 2018 pages 76-77 : Sans titre - Ce message ne peut être affiché à cause de son format... Sans titre - I need wifi now... Sans titre - War is peace freedom is slavery ignorance is strength... Sans titre - Update the last version... Livre ancien et lettre adhésives sous résine 52 x 70 cm (4) 2018







Détournement, autocensure, pouvoir normatif des images, message symbolique et propriété intellectuelle… Comme Basquiat, Rero “raye les mots pour les souligner”. À la croisée des pratiques urbaines et de gestes conceptuels inspirés par Duchamp, Debord et bien entendu Roland Barthes, le plasticien questionne ces rhétoriques de l’image ainsi que la “chaîne flottante de signifiés qui s’y combinent.” Intrigantes, lumineuses, riches d’une poésie moderne et transgressive, ses œuvres et installations ont été présentées au Centre Georges Pompidou, à Confluences Paris, au sémillant Antje Øklesund de Berlin et désormais à la Fondation Montresso*. “Pour XXL, j’ai souhaité investir la façade du musée, pour sa portée iconique.” L’artiste y a inscrit HOW MUCH IS ENOUGH, un texte qui vient ancrer une symbolique plurielle : “quelle est la parfaite mesure ? La mesure parfaite d’amour, de travail, d’argent, d’engagement, de passion ? Ce questionnement, après dix-huit années de création, je me l’adresse aussi… D’autant qu’avec cette barre de négation, je joue avec l’ambiguïté de la filiation et du copyright. Est-ce que j’affirme ou au contraire, suis-je en train de nier cette phrase ? Et d’ailleurs, est-ce vraiment moi qui l’ai écrite ? J’aime jouer avec l’engagement comme le désengagement du message, afin qu’un grand nombre d’idées s’y opposent.”


Bas-reliefs, moucharabiehs revisités et interventions sur des ouvrages sous résines… Un ensemble d’œuvres corollaires à HOW MUCH IS ENOUGH se donnent également à voir à l’occasion de la carte blanche XXL : “je suis très attaché à l’objet détourné, dont je questionne souvent l’obsolescence… Mais ces travaux restent des préludes, des œuvres échantillonnées de l’installation centrale. Travailler sur des applications grand-formats en plein air comme ici, c’est aussi retrouver des dynamiques très physiques, héritées du graffiti et de nos travaux passés en rue. Je pense que si je n’avais pas été de grande taille, mon geste aurait été différent, plus contenu je pense.” Une réflexion déconcertante et simpliste en apparence et pourtant très présente et régulièrement entendue à Jardin Rouge, où beaucoup d’artistes font corps avec leur œuvres : “nous sommes issus d’une culture, d’un mouvement où la puissance d’impact prime et domine. Nous sommes des artistes physiques, il ne faut jamais l’oublier.”











Sans titre - Amor fati Bas relief - Aérosol sur bendirs 110 x 362 cm 2018 pages 84-87 : Sans titre - I can’t see the image Bas relief - Technique mixte sur bois 231,5 x 341,5 cm 2018 Sans titre - You will go blind looking at it Bas relief - Technique mixte sur bois 231,5 x 341,5 cm 2018



De la figuration à l’abstraction, ces artistes obligent le spectateur à réfléchir sur la déconstruction de la linguistique de l’Art Contemporain et du Graffiti. Cédrix Crespel, Fenx, Tilt et JonOne explorent autour d’un dialogue ouvert, les articulations, les points de passage et les mises en tension de leurs démarches artistiques. Quatre visions qui ont conduit les artistes à sortir du cadre et à pénétrer le lieu pour mieux envahir les murs, le sol et l’espace tout entier. pages suivantes : Vues de l’exposition XXL#1, Espace d’art Montresso 2016






Présente au Maroc depuis 2009, la Fondation Montresso* a pour mission de soutenir la création et promouvoir la diversité des champs de la recherche artistique actuelle. Par l’entremise de sa résidence artistique Jardin Rouge et de son espace d’art, la Fondation Montresso* s’investi auprès des artistes afin de favoriser une démarche inclusive, au delà des frontières et des normes. Afin d’encourager les rencontres entre les différentes démarches picturales et intellectuelles, la Fondation Montresso* s’engage également activement aux côtés des acteurs culturels locaux en multipliant ses actions hors les murs, participant ainsi à l’essor artistique de Marrakech. Les arts et la culture jouent un rôle capital dans une société contemporaine en pleine mutation. En affirmant une autre dimension du présent, l’art permet à l’individu de s’identifier, s’émouvoir et s’interroger. Parce que les artistes questionnent les rapports au monde et qu’ils ouvrent des perspectives inédites, la Fondation Montresso* se doit d’assurer son rôle de PASSEUR D’ART. Réalisation : Fondation Montresso* © textes : Théophile Pillault Crédits photographiques : Christian Koopmans, Fanny Lopez, Nicolas Gzeley Conception graphique : Fanny Lopez ISBN: 978-9954-9707-6-8 Dépôt légal: 2018MO2080 Imprimeur: Direct Print




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