Au delà du Monde - Dominique Zinkpè

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Quand, à l’occasion d’une énième visite à la résidence d’artistes Jardin Rouge, son fondateur Jean Louis Haguenauer m’a invité à préfacer un futur ouvrage dédié à l’artiste plasticien béninois Dominique Zinkpè, je me suis empressé d’accepter son invitation parce que c’était un honneur et un bonheur pour moi, Ambassadeur représentant le Bénin

d’écrire quelques lignes sur un illustre compatriote.

Très vite, je me suis rendu compte qu’en cherchant les mots pour parler de D. Zinkpè, je n’ai trouvé que des maux. Mal de ne pas pouvoir définir cet artiste que j’ai pourtant rencontré et dont j’ai contemplé les œuvres à plusieurs reprises. Mal également de découvrir que je n’ai pas les bases culturelles et cultuelles suffisantes pour comprendre ses œuvres. Mal enfin de constater que tout béninois que je suis, natif de ce pays de vaudou et de Ouidah, ville historique qui symbolise ce vaudou, j’étais complètement désarmé pour parler de l’œuvre de cet homme à la fois sombre et lumineux.

Qu’est ce qui caractérise cet artiste plasticien ? D’ou puise t’il son inspiration ?

« Les artistes africains convoquent les trois éléments de l’Univers : la nature, l’homme et le Divin pour donner à leurs créations une dimension toute particulière ».

Ces propos de Cheick Anta Diop trouvent leur sens dans la complexité socio-culturelle et cultuelle d’un pays comme le Bénin et peuvent expliquer l’œuvre artistique de Zinkpè qui donne lui-même la clé de lecture de toute la complexité de ses œuvres car, issu d’une famille catholique pratiquante, il assistait à des exercices de culte animiste et a donc l’esprit artistique façonné par cette ambivalence et cette dualité spirituelle.

Que dit Zinkpè de son art de peindre et de sculpter les enfants jumeaux ?

« Je fais bien sûr une peinture profondément animiste mais je me suis concentré aussi sur un sujet précis au niveau pictural : capter l’esprit, l’âme. Je n’ai pas la prétention de capter l’âme de quelqu’un mais j’en éprouve l’envie. C’est la seule chose qu’on n’ait jamais réussi à capter. Aussi, je sonde mon âme car elle est la première que je tente d’élucider. Ma peinture est chargée car j’essaie de saisir et transcrire ce que je ressens. »

« L’histoire des jumeaux est une histoire douloureuse. Je veux sublimer cette identité cultuelle, la transposer, l’adapter au monde de l’art contemporain. Je vois derrière chacune de ces petites figurines, un individu, un être. Je vois aussi une société avec ses qualités et ses parfaites imperfections. »

En lisant ces propos de Zinkpè, je suis désormais en mesure de dire qu’il est juste un funambule s’essayant dans la peinture et la sculpture à relier la tradition au progrès, le clair à l’obscur, le jour à la nuit, le monde de l’invisible au monde du visible.

Zinkpè est un éternel chercheur de l’Universel, du rapprochement des êtres humains dans leurs différences et leurs complexités.

Merci infiniment au geôlier Jean Louis Haguenauer de séquestrer de temps en temps cet esprit libre qu’est Dominique Zinkpè dans sa prison « Jardin Rouge » pour lui permettre de s’en évader à travers des œuvres qui nous interpellent, nous interrogent sur notre passé et notre avenir.

Merci à Monsieur Patrice Talon, Président de la République du Bénin, qui a très vite compris la place importante qu’il faut faire à nos artistes car ce sont eux les véritables Ambassadeurs de notre Culture.

Merci au funambule Dominique Zinkpè de m’avoir, à travers ses œuvres, permis de réfléchir à une nouvelle compréhension du monde !

du Bénin près le

Serge Dagnon Ambassadeur Royaume du Maroc au Maroc,

ENTRE LES MONDES DE D ominique Zinkpè

L’univers plastique de Dominique Zinkpè ne se laisse pas percer par simple volonté, il faut y être initié. Artiste polymorphe créant un univers où plusieurs mondes se rencontrent et s’unissent dans une œuvre magistrale, Zinkpè crée avec Au-delà du monde un parcours artistique sur les traces de son cheminement créatif personnel. Ayant réalisé l’ensemble des œuvres présentées dans l’exposition pendant deux ans de résidence à la Fondation Montresso*, ce corpus témoigne des nombreuses réflexions et échanges menés au long de ses séjours marocains. Sous le credo que l’art permet de révéler s’annonce alors une recherche sur les formes potentielles de l’âme et de l’esprit. Mais comment capter l’âme, sauvage et rebelle, qui est le dénominateur même de l’invisibilité et de tous les doutes qu’elle transporte ?

Dans un amalgame de médiums variés et une liberté d’expression totale, Zinkpè interroge les contours de l’âme qu’il cherche à incorporer par une iconographie oxymorique menant ses questionnements picturaux et spirituels.

Depuis cette volonté d’agir « pour révéler un peu les faces cachées des choses qu’on n’a pas l’habitude de voir »1 se crée un corpus singulier laissant libre cours à l’imagination et à l’interprétation de celui qui crée et de celui qui regarde.

Dominique Zinkpè’s artistic universe is not something that can be experienced simply by chance, but only if you are initiated to it. A multi-disciplinary artist creating a universe where several worlds meet and unite in a masterful work, with Entre les Mondes Zinkpè creates an artistic journey in the footsteps of his personal creative path. Having produced all the works presented in the exhibition during two years of residency at the Montresso* Art Foundation, this body of work bears witness to the many reflections and exchanges that took place during his Moroccan sojourns. Under the credo that art can reveal, a study on the potential forms of the soul and the spirit is initiated. But how to capture the soul, wild and rebellious, which is the very denominator of invisibility and of all the doubts it bears?

In an array of different mediums and with total freedom of expression, Zinkpè questions the soul, which he seeks to capture through an oxymoronic iconography that leads to his pictorial and spiritual questioning.

From this willingness “to reveal a little of the hidden sides of things that we are not used to seeing” 1 a singular body of work is created giving free rein to the imagination and interpretation of his creator and the viewer.

Dans cette quête, c’est d’abord au Bénin que nous renvoient les œuvres présentées. Né à Cotonou en 1969, le rôle de son pays natal est considérable dans le parcours de Zinkpè qui s’inscrit – en tant qu’artiste contemporain – dans l’actualité immédiate du Bénin. Une création faite au et depuis le Bénin qui nous plonge dans le présent et l’actualité artistique saisissante de la restitution des œuvres du trésor d’Abomey. Le retour de vingt-six œuvres magistrales du royaume de Dahomey, pillées par les troupes françaises en 1892, signe un moment artistique décisif, culminant dans l’inauguration, en février 2022, de l’exposition Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui : de la restitution à la révélation au Palais de la Marina à Cotonou.

Ce retour des œuvres des ancêtres constitue un point fort et déterminant pour les artistes béninois dont Dominique Zinkpè, qui participe à l’exposition, aux côtés de trente-trois autres artistes contemporains tels que Nathanaël Vodouhè et Cyprien Tokoudagbe. Ses sculptures magistrales entrent en résonance avec les œuvres royales, tel le trône du roi Ghézo ou encore les statues royales aux apparences anthropomorphes qui célèbrent la création humaine et le pouvoir royal.

Et c’est sous cet aspect d’évocation et de réminiscence d’un monde autre et toujours présent que nous pouvons entrer dans l’exposition Au-delà du monde comme dans un échange à vif entre passé et présent, entre mémoire et transmission.

In this quest, it is first and foremost to Benin that the works presented refer. Born in Cotonou in 1969, the role of his native country is fundamental to Zinkpè’s career, and as a contemporary artist he is part of Benin’s immediate reality. A creation made in and from Benin that plunges us into the present and the striking artistic immediacy of the return of the works of the Abomey treasure. The return of twenty-six masterpieces from the kingdom of Dahomey, looted by French troops in 1892, marks a decisive artistic moment, culminating in the inauguration in February 2022 of the exhibition Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui: de la restitution à la révélation at the Palais de la Marina in Cotonou.

This return of the works of the ancestors is a strong and determining point for Beninese artists, including Dominique Zinkpè, who is taking part in the exhibition, alongside thirty-three other contemporary artists such as Nathanaël Vodouhè and Cyprien Tokoudagbe. His masterful sculptures resonate with royal artifacts, such as the throne of King Ghézo or the anthropomorphic-looking royal statues that celebrate human creation and royal power.

It is from this perspective, that of the evocation and reminiscence of a world that is both distant and ever present, that we can approach the Entre les Mondes exhibition, as in a vibrant dialogue between past and present, between memory and transmission.

Art du Bénin d’hier et d’aujourd’hui - Février 2022 Palais de la Marina - Cotonou

Artiste de la transition, Zinkpè relie l’imaginaire des ancêtres à l’imaginaire contemporain, notamment à travers son utilisation des figurines Ibeji. En mettant en avant cet art traditionnel des figurines Ibeji, dont l’intégration représente dorénavant une des signatures plastiques de Zinkpè, ses œuvres font appel à une tradition ancrée dans l’Afrique de l’Ouest. Particulièrement présente au Bénin, Nigeria, Togo et Ghana, il s’agit d’une culture partagée dont la symbolique première renvoie à la gémellité. Pensées comme une restitution symbolique d’enfants jumeaux décédés, la famille concernée prend soin de ces figurines comme d’êtres vivants qui les accompagnent au quotidien. Le culte des Ibeji se rapproche alors de celui du « Asen », autel portatif dédié aux défunts qui, par ce fait, maintient une présence symbolique accordant un sens de l’immortalité de l’âme. Le maintien d’une présence spirituelle du défunt s’oppose à la disparition physique du corps après la mort et la statuette Ibeji introduit ainsi cette première dualité fondatrice de notre être au monde – vie et mort, présence et absence, âme et corps – qui s’articule chez Zinkpè par la tension entre le visible et l’invisible.

Afin de créer une « écriture nouvelle » de ces figurines Ibeji dont la conception première remonte à plus de trois mille ans, Zinkpè élabore un art du partage à travers lequel l’inspiration première continue à scintiller. Sa création est contemporaine, elle est ancrée dans l’actualité, tout en véhiculant une « identité forte » 2 de ses origines. La question de la provenance de la communauté et de l’individu qu’est l’artiste, s’inscrit dans une revendication en tant qu’artiste africain. Zinkpè met en place un imaginaire iconographique renvoyant à la sculpture africaine sous ses aspects divers, une création où il s’affirme comme artiste africain qui cherche à relever et repenser la morphologie multiple de la sculpture traditionnelle. En partant de cet héritage, ce sont aussi les idées reçues sur l’art africain que Zinkpè apprivoise, déforme et remodèle. La pluralité de son travail plastique se conçoit sous une subtilité ironique qui nous invite à repenser la manière dont nous définissons le monde, les êtres et l’art – dans un refus total de toute univocité. Ce qui en ressort, c’est ce respect pour ce qui a été, pour l’héritage culturel qui permet d’aller vers le renouveau, il ne fait que récupérer ce qui existe déjà 3 Sous l’idée que c’est en répétant qu’on commence à voir le petit bout d’une nouveauté, qui apparaît 4 comme disait Édouard Glissant, Zinkpè installe un équilibre entre ce qui a été et ce qui adviendra. Un travail de réception d’un savoir ancestral qui est transformé en une création novatrice, en quête d’équilibre entre différentes époques, entre différents mondes.

Tels des gardiens de la mémoire, c’est à un parcours spirituel, à une déambulation méditative que nous invitent les sculptures de Zinkpè. Composées à partir d’un assemblage de bois, métal et figurines, elles s’érigent dans la salle sous forme de totems, des figures anthropomorphes évoquant des motifs archaïques renvoyant à l’interférence entre l’Homme et la Nature. Le jeu d’ensemble entre l’élément naturel qu’est le bois et son élaboration en figurine ainsi que l’artefact du métal et de la peinture, relève cette ambivalence de l’Homme tiraillé entre son rattachement aux éléments primaires et son ambition créatrice, une volonté de transformation et de dépassement continu.

Cette vacillation entre l’au-delà et le terre à terre devient particulièrement perceptible à travers sa série de peintures sur bois. Désir (2022), Esprit veilleur (2022), Masque de jalousie (2022), Présence 1 (2022) – ces petits formats retracent les fluctuations de pensées et d’humeurs de l’artiste-même, alternant entre un état de paisibilité et d’affront, entre un détachement momentané et l’emprise des influences extérieures qui suit. Dans une altercation constante avec soi-même, Zinkpè met en avant la dualité de l’être humain, vacillant entre la jalousie et la bienveillance, l’amour et la convoitise.

Tels des gardiens de la mémoire, c’est à un parcours spirituel, à une déambulation méditative que nous invitent les sculptures de Zinkpè.

An artist of change, Zinkpè connects the imagination of the ancestors to the contemporary world, particularly through his use of Ibeji figurines. By highlighting the traditional art of Ibeji figurines, whose integration now represents one of Zinkpè’s visual signatures, his works recall a tradition rooted in West Africa. Particularly present in Benin, Nigeria, Togo and Ghana, it is a shared culture whose primary symbolism refers to twinship. Thought of as a symbolic restitution of deceased twin children, the family in question takes care of these figurines as living beings who accompany them on a daily basis. The cult of the Ibeji is thus similar to that of the “Asen”, a portable altar dedicated to the deceased which, by this fact, maintains a symbolic presence granting a sense of the immortality of the soul. The maintenance of a spiritual presence of the deceased is opposed to the physical disappearance of the body after death and the Ibeji statuette thus introduces this first founding duality of our being in the world - life and death, presence and absence, soul and body - which is articulated in Zinkpè by the tension between the visible and the invisible.

In order to create a “new script” for these Ibeji figurines, whose original conception goes back more than three thousand years, Zinkpè creates an art of sharing through which the original inspiration continues to resonate. His creation is contemporary, anchored in the present, while conveying a “strong identity” 2 of his origins. The question of where the community and the individual artist comes from is part of a statement for an African artist. Zinkpè sets up an iconographic imaginary referring to African sculpture in its various aspects, a creation where he asserts himself as an African artist who seeks to raise and reconsider the manifold morphology of traditional sculpture. Starting from this heritage, it is also the preconceived ideas about African art that Zinkpè tames, distorts and recasts. The plurality of his art is designed in an ironic subtlety that invites us to re-examine the way we define the world, beings and art - in a total refusal of any univocity. What emerges is a respect for the past, for the cultural heritage that allows us to move towards renewal; it merely recovers what already exists 3. Based on the idea that it is by repeating that we begin to see the smallest hint of something new 4 as Édouard Glissant said, Zinkpè establishes a balance between what was and what will be. It is a work based on the assimilation of ancestral knowledge which is transformed into an innovative creation, in a quest for harmony between different eras, between different worlds.

Like guardians of the past, Zinkpè’s sculptures invite us on a spiritual journey, a meditative wander. Made from an assemblage of wood, metal and figurines, they are erected in the room in the form of totems, anthropomorphic figures evoking archaic motifs referring to the interference between Man and Nature. The interplay between the natural element of wood and its elaboration into figurines, as well as the artefact of metal and paint, highlights the ambivalence of Man torn between his attachment to the primary elements and his creative ambition, a desire to transform and continually surpass himself.

This vacillation between the otherworldly and the terrestrial becomes particularly perceptible through his series of paintings on wood. Désir (2022), Esprit veilleur (2022), Masque de jalousie (2022), Présence 1 (2022) - these small formats retrace the fluctuating thoughts and moods of the artist himself, alternating between a state of peacefulness and frustration, between momentary detachment and the ensuing grip of external influences. In a constant confrontation with himself, Zinkpè highlights the duality of the human being, fluctuating between jealousy and benevolence, love and greed.

Like guardians of the past, Zinkpè’s sculptures invite us on a spiritual journey, a meditative wander.

Ayant commencé son parcours artistique par des croquis rapides lors de cérémonies animistes nocturnes, auxquelles il assistait de manière exceptionnelle depuis son adolescence, ses premiers dessins se sont développés par un sens perspicace de l’observation. La photo étant interdite dans les lieux de culte, mais pas le dessin, la représentation picturale de ces expériences signe les premiers pas d’une création se frôlant au monde métaphysique.

Ayant assisté à beaucoup de cérémonies animistes avant de devenir lui-même un initié, Zinkpè se base sur les quatre éléments naturels pour sonder l’essence de l’être humain. En tant qu’apprentissage perpétuel des interactions entre les êtres et les choses, l’animisme l’a amené à voir la vie de manière différente et à changer son regard sur le monde qui l’entoure. Dans l’attention portée à son entourage immédiat, au développement du monde et de l’environnement, Zinkpè fait évoluer le langage de son vocabulaire pictural.

En tant qu’artiste autodidacte, son identité forte et personnelle s’articule à travers sa position d’observateur et de témoin, notant la manière dont la tradition s’allie avec l’art contemporain et l’évolution créative que cela amène. Sensible aux changements et à l’évolution artistique du monde contemporain, l’artiste note que ce qui altère surtout, c’est la manière de traiter un certain sujet alors que les thèmes principaux semblent se poursuivre et rester au centre des questionnements actuels : « Car c’est récurrent, l’être humain ne change pas les mêmes gènes, les mêmes réflexions, les mêmes comportements s’associent. Quand on atteint un niveau plus élevé de maturité, on perçoit autrement la beauté des choses, on voit les éléments naturels, simplement. Ce bruissement d’idées, d’intelligences et de consciences est un patrimoine pour moi » 5

Starting his artistic journey with quick sketches during nocturnal animist ceremonies, which he attended on rare occasions since his adolescence, his first drawings were developed through a perceptive sense of observation. As photography is forbidden in places of worship, but drawing is not, the representation of these experiences marks the first steps of a creation that brushes up against the metaphysical world.

Having attended many animist ceremonies before becoming an initiate himself, Zinkpè uses the four natural elements to probe the essence of the human being. As a lifelong study on the interactions between beings and things, animism has led him to see life differently and to change his view of the world around him. In paying attention to his immediate surroundings, the development of the world and the environment, Zinkpè develops the language of his artistic vocabulary.

As a self-taught artist, his strong and unique identity is expressed through his position as an observer and witness, recording the way in which tradition is blended with contemporary art and the creative evolution that this generates. Sensitive to the changes and artistic progress of the contemporary world, the artist notes that what differs above all is the way in which a certain subject is addressed while the main themes seem to continue and remain at the centre of current questions:

“For it is recurrent, human beings do not change: the same genes, the same thoughts, the same behaviours combine. When we reach a higher level of maturity, we perceive the beauty of things differently, we see the natural elements simply. This bubbling of ideas, intelligence and consciousness is for me a legacy” 5 .

Entre aspiration vers l’au-delà et attachement terrestre, la croyance animiste de Zinkpè le positionne face à la force de la nature incorporée dans les matières et notamment dans le bois utilisé dans ses œuvres, que ce soit pour les sculptures ou le support des peintures. Le bois signifie un apport particulier face au sondage de l’âme humaine, d’autant plus proéminent dans la constitution matérielle des sculptures. Là où d’autres voient une matière inerte, Zinkpè perçoit une source d’énergie qui bat et se transmet par celui qui sait la manier.

Le bois est alors empreint de vie, une énergie vitale qu’il continue à véhiculer et qui entre dans l’œuvre dont il constitue la base. Les sculptures semblent animées par un souffle commun.

Ce sont des œuvres qui par leurs surfaces irrégulières, transpercées par des fentes, et des ouvertures, respirent.

Elles deviennent matière vivante et célèbrent une force fertile à la source de la vie et de la création. Sous-jacente à cette force, la présence féminine est omniprésente et suggérée aussi bien par les courbes des sculptures que par leurs titres.

L’ensemble des œuvres Petite Reine (2022), Maestria women (2022) et Déesse 2 (2022) s’érige en tant que créatrices de vie et guides inspiratrices. La prédominance des couleurs bleues et blanches dans ces œuvres évoque la pureté et l’essence divine. La fertilité est à comprendre aussi bien dans un sens vital et corporel que dans un sens symbolique de Création.

Il s’agit de Naissance, d’un accouchement métaphorique des êtres et des choses qui prend une place prépondérante dans l’univers plastique de Zinkpè. Dans les sculptures, l’assemblage des figurines Ibeji fait référence à la naissance à travers la sacralité de la gémellité. La proéminence visuelle et matérielle du cordon ombilical, que ce soit dans le tableau saillant Cordon ombilical (2022) ou dans la série Origine 1, 2, 3 (2022) est une autre référence plastique à la Naissance.

Faisant à la fois référence à la plus charnelle et prosaïque représentation du corps et de sa venue au monde, cette obsession du cordon s’insère aussi dans la symbolique de la dualité. À la fois rattachement à la terre, suggéré par les cordons pendant vers le bas, le cordon est aussi symbole de Relation, ce qui nous lie à la Mère-Terre, un lien métaphorique célébrant le cycle de la vie et le potentiel créateur.

Between his longing for the hereafter and earthly connection, Zinkpè’s animist belief positions him in relation to the force of nature incorporated into the materials, and in particular the wood used in his works, whether for sculptures or as a support for paintings.

Wood represents a particular element in the exploration of the human soul, which is all the more prominent in the material constitution of the sculptures. Where others see an inert material, Zinkpè perceives a source of energy that pulsates and is transmitted by those who know how to handle it.

The wood is thus imbued with life, a vital energy that it continues to convey and that penetrates the work of which it forms the basis. The sculptures seem to be animated by a shared breath.

They are works that breathe through their irregular surfaces, pierced by cracks and gaps. They become living matter and celebrate a fertile force at the source of life and creation. Underlying this force, the feminine presence is omnipresent and suggested by both the curves of the sculptures and their titles. In all of the works, Petite Reine (2022), Maestria women (2022) and Déesse 2 (2022), stand as creators of life and inspirational guides. The predominance of blue and white colours in these works evokes both purity and the divine essence.

Fertility is to be understood both in a vital and bodily sense and in a symbolic meaning of creation. It is about birth, a metaphorical delivery of beings and things that takes a prominent place in Zinkpè’s creation. In his sculptures, the assembly of Ibeji figures refers to birth through the sacredness of twinship. The visual and material prominence of the umbilical cord, whether in the salient painting Corde ombilicale (2022) or in the series Origine 1, 2, 3 (2022), is another graphic reference to Birth. Referring at the same time to the most carnal and prosaic representation of the body and its coming into the world, this obsession with the cord is also part of the symbolism of duality.

At once a connection to the earth, suggested by the cords hanging downwards, the string is also a symbol of relationships, which links us to Mother Earth, a metaphorical link celebrating the cycle of life and creative potential.

Indiscipline #1 - Février 2018 Espace d’Art Montresso - Marrakech

Le travail plastique de Zinkpè instaure alors un rapport intentionnel et physique qui confère une seconde vie au bois. Entre incorporation profane et symbolique sacrée, les sculptures deviennent « des métaphores qui imposent un rapport entre [lui] et la matière ». Le corps de l’artiste et le corpus de l’œuvre se lient dans le bois et sur les toiles, les supports de la création qui « matérialisent, symbolisent et ravivent cette expérience de la frontière entre deux corps en symbiose comme surface d’inscriptions, avec son caractère paradoxal, qui se retrouve dans l’œuvre d’art, d’être à la fois une surface de séparation et une surface de contact » 6 L’œuvre crée ce territoire de contact entre différentes matières, entre différents corps et entre différents mondes. Ancré dans le monde empirique tout en suggérant les complexités d’un monde métaphysique, la matérialité des œuvres de Zinkpè est l’incorporation-même de l’inconscient de l’artiste et de ses tiraillements : « il y a cette approche de dualité entre la matière et l’être humain que nous sommes » 7 Aussi bien ses sculptures que ses toiles sont animées par l’inscription de son ressenti et de son regard filtrant les impressions extérieures. L’œil de l’artiste reçoit cet impact de l’observation extérieure qu’il cherche à traduire en passant par le ressenti : « Instrument qui se meut lui-même, moyen qui s’invente ses fins, l’œil est ce qui a été ému par un certain impact du monde et le restitue au visible par les traces de la main » 8

L’inscription du corps de l’artiste dans l’œuvre, la confluence graduelle entre corps et corpus se traduit avant tout par le geste de la main.

La création est ce qui résulte de la tension s’alignant ou divaguant entre l’œil et la main, l’image et le geste, l’idée et l’impulsion. Et il s’agit bien de pulsion dans le travail de Zinkpè qui trouve son élan principal dans les phantasmes de la nuit. Recréation nocturne (2022) pose ainsi les bases d’une création oscillant en permanence entre le rêve et la réalité, la rationalité du jour qui se heurte aux silhouettes fantasmagoriques réveillées par la nuit. Au centre de la toile, une figure hybride, mi-oiseau mi-femme flotte devant un arrière-fond sombre, entouré d’ombres spectrales et de masques suggérant la mutabilité des comportements humains, notamment par le masque jaune – personnification de la jalousie. L’artiste qui crée la nuit, en se protégeant du regard des envieux peut-être, est l’artiste qui se laisse aller dans une tentative de re-créer le monde sous des aspects nouveaux. La proéminence de la poitrine et des hanches de la figure au centre de Recréation nocturne en fait une incorporation de la fertilité créatrice et de la naissance de l’œuvre.

Zinkpè’s art thus establishes an intentional and physical relationship that gives a second life to wood.

Between profane embodiment and sacred symbolism, the sculptures become “metaphors that enforce a relationship between [him] and the medium”. The artist’s body and the body of work are linked in the wood and on the canvases, the supports of the creation that “materialize, symbolize and revive this experience of the border between two bodies in symbiosis, as a surface of inscriptions with its paradoxical nature, which is found in the artwork, of being both a surface of separation and a surface of contact” 6

The work creates this territory of contact between different materials, between different bodies and between different worlds. Anchored in the empirical world while suggesting the complexities of a metaphysical world, the materiality of Zinkpè’s works is the very embodiment of the artist’s unconscious and his tensions: “there is this approach of duality between the substance and the human being as we are” 7 Both his sculptures and paintings are animated by the reflection of his experience and his gaze which filters external impressions. The artist’s eye receives this impact of external observation, which he seeks to translate through feeling: “An instrument that moves itself, a means that invents its own ends, the eye is what has been touched by a certain impact of the world and restores it to the visible through the traces of the hand ” 8

The inclusion of the artist’s body in the work, the gradual confluence between body and corpus, is expressed above all by the gesture of the hand.

Creation is what results from the tension aligning or wandering between the eye and the hand, the image and the gesture, the idea and the impulse. It is indeed an impulse that we can detect in Zinkpè’s work, which finds its main impetus in the phantasms of the night. Recréation nocturne (2022) thus lays the foundations of a creation that constantly oscillates between dream and reality, the rationality of the day colliding with the phantasmagorical silhouettes awakened by the night. In the centre of the canvas, a hybrid figure, half-bird, half-woman, floats in front of a dark background, surrounded by spectral shadows and masks suggesting the mutability of human behaviour, notably the yellow mask - the personification of jealousy. The artist who creates at night, perhaps shielding himself from the gaze of the envious, is the artist who lets himself go in an attempt to re-create the world in new ways. The prominence of the figure’s chest and hips in the centre of Recréation nocturne makes it an embodiment of creative fertility and the birth of the work.

Au-delà du Monde donne ainsi à voir une sorte de genèse des réflexions menées par Zinkpè au fil des années, une genèse qui trouve son point culminant dans l’œuvre magistrale du Livre (2022). Réunissant les réflexions et recherches sur les formes de l’intérieur, de l’âme et de l’esprit, Le Livre est l’œuvre charnière et innovatrice – dans sa symbolique et sa matérialité – qui marque le centre de l’exposition Au-delà du monde. Exposée sur un socle en bois, cette œuvre constitue un véritable lieu de rencontre entre l’artiste et le public. Invités à feuilleter ce palimpseste qui raconte et interroge les énigmes des êtres et des choses, l’artiste accorde aux visiteurs le toucher, le rare contact directe entre le corps humain et le corpus de l’œuvre. C’est ce côté tactile qui renforce la présence physique du Livre en tant que surface d’inscription et de contact, telle l’incorporation d’un récit de provenance dont la trame reste à définir.

Le livre accompagne Zinkpè depuis son plus jeune âge et la lecture marque le début de son parcours artistique : « Au commencement, alors que j’étais enfant, j’ai beaucoup lu. C’était pour moi la seule manière d’aborder l’art qui, déjà, m’intéressait. […] À l’époque, dans le pays d’Afrique de l’Ouest, le Bénin dont je suis originaire, l’art comme sujet d’études était relégué au dernier plan. Moi, j’avais juste envie d’œuvrer et les livres d’art, au demeurant, m’y ont beaucoup aidé »9 Artiste autodidacte pendant les vingt premières années de sa création, avant d’être diplômé de l’École supérieure d’art de Clermont-Ferrand, le livre constitue le premier accès libre à la formation de l’art visuel qui reviendra sous de nouvelles facettes tout au long de la trajectoire de Zinkpè.

Au-delà du Monde thus presents a kind of genesis of Zinkpè’s reflections over the years, a genesis that culminates in the masterly work Le Livre (2022). Bringing together reflections and research on the nature of the inner self, the soul and the spirit, Le Livre is the seminal and innovative work - in its symbolism and materiality - that constitutes the centrepiece of the exhibition Au-delà du monde.

Displayed on a wooden base, this work constitutes a unique meeting place between the artist and the public. Invited to browse through this palimpsest that tells and questions the enigmas of beings and things, the artist allows visitors to touch it, the rare direct contact between the human body and the body of work. It is this tactile aspect that reinforces the physical presence of the Book as a surface of transcription and contact, like the incorporation of a narrative of provenance whose weft remains to be defined.

The book has accompanied Zinkpè from a very early age and its reading marks the start of his artistic journey: “In the beginning, when I was a child, read a lot. It was the only way for me to approach art, which already interested me. [...] At the time, in the West African country of Benin, where I come from, art as a subject of study was relegated to the background. I just wanted to work, and art books helped me a lot” 9 . A self-taught artist for the first twenty years of his creation, before graduating from the École supérieure d’art de Clermont-Ferrand, the book constitutes the first free access to the education in visual art, which will return in new forms throughout Zinkpè’s career.

Le grand Livre fait aussi référence à la bible en tant que livre premier du Christianisme, autre croyance ayant fortement marqué le parcours de Zinkpè. Empreint de nombreuses connotations spirituelles et intellectuelles, le livre est un élément formateur d’une importance sans égal dans le parcours de l’artiste. Dans sa nouvelle conception plastique, il appréhende les tensions et contradictions de notre manière d’approcher le chaos-monde – « le choc, l’intrication, les répulsions, les attirances, les connivences, les oppositions, les conflits entre les cultures des peuples dans la totalité-monde contemporaine » 10 Son œuvre invite à un dialogue multilatéral, où les regards se rencontrent et les paroles interagissent afin de célébrer la diversité et les possibilités de l’interprétation de la mondialité. Le lien entre le livre et la peinture qui émerge dans cette innovation plastique se consolide alors avant tout à travers l’acte de la lecture : « La peinture mérite une lecture, comme on lit un livre »11 L’installation du Livre est une œuvre vivante et démonstrative qui nous persuade des manières multiples dont la peinture peut être lue : « c’est une forme de performance d’amener à lire la peinture, parce que regarder une peinture ce n’est pas lire une peinture. J’ai l’impression que souvent nous regardons la peinture […] mais il nous manque la lecture des peintures »12

Devenant un acte à la fois visuel, tactile et cérébral, la lecture de son œuvre constitue un moment d’arrêt, un instant de suspension dans le temps qui permet de réunir le dessin et la parole.

The big book also refers to the Bible as the first book of Christianity, another belief that has strongly influenced Zinkpè’s career. Imbued with many spiritual and intellectual connotations, the book is a shaping element of unrivalled importance in the artist’s career. In his new artistic conception, he apprehends the tensions and contradictions of our way of approaching the “chaos-world” - ‘the clash, the entanglement, the repulsions, the attractions, the connivances, the oppositions, the conflicts between the cultures of the nations in the contemporary whole-world’10. His work invites a multilateral dialogue, where views meet and words interact in order to celebrate diversity and the possibilities of interpreting globalism. The link between the book and the painting that emerges in this aesthetic innovation is then consolidated above all through the act of reading: “Painting deserves a reading, as one reads a book” 11

The Book installation is a lively and demonstrative work that persuades us of the multiple ways in which painting can be read: “It’s a form of performance to get people to read painting, because looking at a painting is not reading a painting. I have the feeling that we often look at painting [...] but we lack the reading of paintings” 12

Becoming a visual, tactile and cerebral act, the reading of his work constitutes a pause, a moment of suspension in time that allows drawing and speech to be brought together.

Dans la réflexion autour de la symbolique de la parole propre à l’être humain, les sculptures reflètent l’espèce humaine dans toutes ses contradictions, son potentiel créateur aussi bien que sa volonté d’oppression et de domination. En nous ramenant aux questionnements fondamentaux de ce qui définit notre vivre ensemble, Prisonnier d’opinion (2022) et Poésie humaine (2022) soulignent ces aspirations opposées et complémentaires dans la constellation contradictoire de l’être humain. Leurs titres évocateurs, l’assemblage des figurines, masques et objets tels que la cuillère ou le cadenas, célèbrent les possibilités créatrices et poétiques de l’esprit humain à travers le langage tout en redoutant son besoin de domination et de contrôle à travers la maîtrise et l’arbitrage de la parole. La parole émise – orale et écrite – est au centre de la réflexion qu’incite Au-delà du monde et s’articule davantage dans les toiles où écriture et peinture se mêlent et se complètent. Ce lien transperce son œuvre jusqu’à aujourd’hui et s’incarne dans un vocabulaire iconographique où le trait se rapproche de la lettre et le mot écrit se lie au coup de pinceau. Dans le processus de Zinkpè, la lettre, l’écriture et finalement le livre raccordent les œuvres à un monde invisible et toujours présent, celui de la transmission des savoirs et des mémoires. Dans le déferlement de réminiscences, la peinture devient le moyen premier pour exprimer la finesse de la ligne qui sépare le rationnel de l’irrationnel, ce que nous voyons et ce que nous ressentons et imaginons, au-delà d’une perception unique : « Essence et existence, imaginaire et réel, visible et invisible, la peinture brouille toutes nos catégories en déployant son univers onirique d’essences charnelles, de ressemblances efficaces de significations muettes » 13 L’onirisme de Zinkpè vacille entre les impulsions de l’instinct et les émois de l’inconscient. C’est alors le corps-même de l’artiste qui se fond dans la toile afin de donner corps à la peinture. Le corps humain devient le médium substantiel de l’œuvre et le geste de la main devient révélateur et créateur de lien dans ce processus : « la main finit par accomplir ce que j’ai ressenti » 14

eflecting on the symbolism of the human word, the sculptures depict the human species in all its contradictions, its creative potential as well as its will to oppress and dominate.

By bringing us back to the fundamental questions of what defines our living together, Prisonnier d’opinion (2022) and Poésie humaine (2022) underline these opposing and complementary aspirations in the contradictory constellation of the human being. Their suggestive titles, the assembly of figurines, masks and objects such as the spoon or the padlock, celebrate the creative and poetic possibilities of the human spirit through language, while at the same time dreading its need for domination and control through the mastery and arbitration of speech.

The spoken word - oral and written - is at the centre of the reflection that Au-delà du monde encourages and is further articulated in the paintings, where writing and painting blend and complement each other. This connection persists in his work to the present day and is embodied in an iconographic vocabulary in which the line comes close to the letter and the written word is linked to the brush stroke. In Zinkpè’s process, the letter, writing and finally the book connect the works to an invisible and ever present world, that of the transmission of knowledge and memories. In the flood of reminiscences, painting becomes the primary means of expressing the fineness of the line that separates the rational from the irrational, what we see and what we feel and imagine, beyond a single perception: “Essence and existence, imaginary and real, visible and invisible, painting blurs all our categories by deploying its dreamlike universe of carnal essences, effective resemblances and silent meanings” 13 Zinkpè’s onirism wavers between the impulses of instinct and the emotions of the unconscious. It is then the artist’s own body that melts into the canvas to give body to the painting. The human body becomes the substantial medium of the work and the gesture of the hand reveals and creates a link in this process: “the hand ends up accomplishing what I have felt” 14

« La peinture mérite une lecture, comme on lit un livre ».
« Painting deserves a reading, as one reads a book ».

La main devient un symbole clé du comportement humain, des liens qu’il peut créer et de son élévation potentielle comme le suggère Élégance humaine (2022) dont la main tendant vers le haut est emblématique pour l’idée du faire ensemble. C’est justement cette notion de partage omniprésente dans les œuvres qui véhicule la valeur du sacré chez Zinkpè : « dans mon cas particulier, mon sacré c’est le partage déjà, je donne, parce que c’est ce que j’accorde –l’énergie que j’accorde au travail, ou ce que le travail fait de moi, qui devient sacré finalement et ça devient fusionnel » 15 La synergie qui s’établit au fur et à mesure entre l’œuvre et l’artiste, le corps et la matière, l’esprit et l’expression complètent cette valeur du partage particulièrement fort dans les sculptures. En s’inscrivant dans un artisanat communautaire, c’est aussi sous un aspect social que se définissent ses œuvres. L’artiste utilise des figurines Ibeji façonnées à la main par des artisans habilités. Sachant qu’une personne peut réaliser entre dix et douze statuettes par jour et que ses sculptures monumentales rassemblent des centaines de figurines, Zinkpè fait appel à « une approche sociale pour essayer de comprendre et respecter que même l’art contemporain c’est une complémentarité de l’art traditionnel qui est aussi source d’inspiration ». De l’unicité à l’ensemble, de l’individu à la communauté, les œuvres de Zinkpè véhiculent une « conscience sociale » 16 une sensation de l’ensemble et de continuité dans le temps et dans l’espace. Quand on parle du travail de Zinkpè on parle alors d’un travail de lien et de relations multiples entre les êtres.

Dans cette philosophie du Lien, le corpus de l’œuvre devient, en synergie avec le corps de l’artiste, un élément de transmission. L’œuvre reflète et projette l’inspiration reçue, et c’est le fait « qu’on se met en condition pour avoir l’inspiration » 17 qui rend la création artistique sacrée pour Zinkpè. La création devient un moment de recueillement et d’introspection telle une méditation spirituelle : « l’art c’est aussi comme dans un monastère, on se pose, on est en position de recevoir pour pouvoir évoluer » 18

Dans cette réception et ce transfert de signes, chaque touche, chaque trait véhicule un sens.

La force de la transmission de signification se concentre dans le trait qui constitue le lien entre le corps et la toile, à travers le geste, et entre l’écriture et la picturalité : « Étymologiquement le trait est ce que l’on tire. Et c’est bien sûr ce signifié premier qui apparente gestuellement l’écriture à l’art pictural » 19 Le trait se déploie sur la surface-support et l’écriture, « [d]éliée d’une origine phonétique, […] est alors pure inscription dans l’espace, et peut valoir esthétiquement à travers ses caractères graphiques et visuels » 20

The hand becomes a key symbol of human behaviour, of the links it can create and of its potential elevation, as suggested by Élégance humaine (2022), whose hand reaching upwards is emblematic of the idea of togetherness. It is precisely this notion of sharing that is omnipresent in the works that conveys the value of the sacred for Zinkpè: “in my particular case, what is sacred to me is sharing, I give, because it is what I grantthe energy I give to the work, or what the work makes of me, that finally becomes sacred and it fusional” 15 .

The synergy that is gradually established between the work and the artist, the body and the material, the spirit and the articulation, completes this value of sharing that is particularly strong in the sculptures. His works are also defined by a social aspect as they are part of a community craft. The artist uses Ibeji figures handcrafted by skilled artisans. Knowing that one person can make between ten and twelve statuettes a day and that his monumental sculptures bring together hundreds of figurines, Zinkpè calls for “a social approach to try to understand and respect that even contemporary art is a complement to traditional art, which is also a source of inspiration.” From the one to the whole, from the individual to the community, Zinkpè’s works convey a “social consciousness” 16 a sense of the whole and of continuity in time and space. When we speak of Zinkpè’s work, we are speaking of a work of connection and multiple relationships between beings.

In this philosophy of the Relationship the body of work becomes, in synergy with the artist’s body, like an instrument of transmission. The work reflects and projects the inspiration received, and it is the fact that “one puts oneself in condition to receive inspiration” 17 that makes artistic creation sacred for Zinkpè. Creation becomes a moment of meditation and introspection like a spiritual meditation: “art is like a monastery, you pause, you are in a position to receive in order to evolve” 18

In this reception and transmission of signs, each gesture, each line conveys a meaning. The strength of the transmission of meaning is concentrated in the stroke which constitutes the link between the body and the canvas, through the gesture, and between writing and painting: “Etymologically the line is what we draw. And it is of course this primary signifier that physically links writing to visual art” 19 The line is spread over the surface-support and writing, “detached from a phonetic origin, [...] becomes solely an inscription in the space and can have an aesthetic value through its graphic and visual characteristics” 20

Inscription dans l’espace qu’elle interroge, l’écriture devient un moyen de sonder le territoire sur lequel elle laisse sa trace. Incité par ses résidences à Jardin Rouge, la récurrence des mots et de l’écriture arabe dans le corpus de Au-delà du monde témoigne forcément de l’impact de la culture marocaine dans sa réflexion et du rôle primordial de la relation qui s’est établie entre Zinkpè et le Maroc. La lettre arabe interpelle l’artiste de par sa sinuosité et c’est surtout sous l’aspect calligraphique que Zinkpè interroge et inclut l’écriture arabe dans son œuvre. Entre ornement et texte, la calligraphie constitue l’art où le dessin et l’écriture s’amalgament au plus haut point. Dans une toile telle que Convoitise et jalousie (2022), le jeu d’ensemble du dessin décoratif et du signifié véhiculé par la lettre fait de la calligraphie un trait d’union entre le monde visible et le monde abstrait. L’art, précisément, renverse, fait glisser, bouleverse l’absence dans la matérialité de ses œuvres, il les transforme en un rêve encore plus puissant, parce qu’il s’appuie sur la puissance de la nature et l’énergie du corps 21 Entre l’introspection et l’imagination les mots tels que bonheur, minuit, amour, beauté, paix surgissent sur les toiles et embrassent des signifiés amples et symboliques. Empreinte de références religieuses et spirituelles, la calligraphie renvoie à l’au-delà dans ses formes plurielles. L’œuvre devient alors l’élément de médiation où l’écriture acquiert une valeur d’intermédiaire entre le monde humain et l’au-delà 22 En brouillant les frontières entre le perceptible et le sensible, l’art détient une valeur sacrée apte à transpercer et à transfigurer le réel. Le réel est donc une fiction nécessaire au réel afin que celui-ci revienne à lui-même, mais transfiguré, en une illusion rigoureuse. Cette extraordinaire opération est le propre de l’art 23

Entre le visible et l’invisible, ce sont les doutes de l’artiste qui tissent la trame des histoires picturales. La couleur prend son essor dans cette traversée de l’esprit où le noir et blanc constituent la base d’une réflexion de la dualité et du tiraillement. Ouverte à l’inconnu, « Une feuille blanche c’est le doute » aux possibilités d’inscriptions multiples : « J’aime bien le fond blanc qui me met en doute, qui me met en face de moi » 24 Défilé d’images intérieures, les toiles deviennent la visualisation de l’introspection de l’artiste, autour de laquelle les autres couleurs s’imposent par leur symbolique véhiculée ainsi que leur portée esthétique. Dans un processus d’extériorisation, le noir symbolise la résolution d’une situation alors que la méditation réflective est liée au blanc. D’où venons-nous ? Vers où allons-nous ? Loin de vouloir apporter des réponses à ce qui est insondable, l’œuvre de Zinkpè nous invite à la fois au recueillement et à l’échange. Chargées d’une inscription mystique, ses œuvres prennent forme par un procédé optique et mental qui suggère une représentation de lois cosmiques. Entre éclosion du chaos et équilibration apaisée, l’œuvre de Zinkpè traduit un monde en suspension où « des scènes de vie insaisissables, des soupçons, des personnalités, des personnes imaginaires », résultent dans des œuvres saisissantes qui ne cessent d’interpeller et même de bouleverser celui qui les regarde.

As an inscription in the space it questions, writing becomes a means of probing the territory on which it leaves its mark. Encouraged by his residencies at Jardin Rouge, the recurrence of Arabic words and writing in the corpus of Au-delà du monde inevitably testifies to the impact of Moroccan culture on the artist’s reflection and to the primordial role of the relationship that has been established between Zinkpè and Morocco. The Arabic letter appeals to the artist through its sinuousness and it is above all through the calligraphic aspect that Zinkpè questions and includes the Arabic script in his work. Between ornament and text, calligraphy constitutes the art where drawing and writing are combined to the highest degree. In a painting such as Convoitise et jalousie (2022), the interaction between the decorative drawing and the meaning conveyed by the letter makes calligraphy a link between the visible and the abstract world. Art in fact subverts, shifts and disrupts the absence in the materiality of its creations, transforming them into an even more powerful dream because it is based on the power of nature and the energy of the body 21 Between introspection and imagination, words such as happiness, midnight, love, beauty and peace appear on his canvases and embrace broad and symbolic meanings. Imbued with religious and spiritual references, the calligraphy refers to the afterlife in its many forms. The artwork thus becomes the element of mediation where writing acquires the status of an intermediary between the human world and the beyond 22 By blurring the boundaries between the perceptible and the sensible, art holds a sacred value capable of transfiguring the real. The real is thus a fiction necessary for the real to return to itself but transformed in a strict illusion. This extraordinary process is the hallmark of art 23 .

Between the visible and the invisible, it is the artist’s doubts that weave the web of visual stories. Colour develops in this journey of the mind where black and white form the basis of a reflection of duality and tension. Open to the unknown, “A white sheet is doubt” with multiple possibilities of inscription: “I like the white background that makes me doubt, that confronts me” 24 A parade of inner images, the canvases become the visualisation of the artist’s introspection around which the other colours stand out through their symbolic content as well as their aesthetic impact. In a process of externalisation, black symbolises the solving of a situation, whereas reflective meditation is linked to white. Where do we come from? Where are we going?

Far from wanting to provide answers to what is unknowable, Zinkpè’s work invites us to both contemplation and dialogue. Charged with mystical meaning, his works take shape through a visual and mental process that suggests a representation of cosmic laws. Between the blossoming of chaos and a peaceful equilibrium, Zinkpè’s work translates a world in suspension where “elusive scenes of life, hints, characters and imaginary people” result in striking pieces that never cease to challenge and even move the viewer.

Entre le visible et l’invisible, ce sont les doutes de l’artiste qui tissent la trame des histoires picturales.
Between the visible and the invisible, it is the artist’s doubts that weave the web of visual stories.

Dans une vision mettant en relation les Êtres et les Mondes, il est avant tout question de Relationnel. Dans la continuité du sens de la communauté qui sous-tend l’ensemble du parcours de Au-delà du Monde, l’installation Taxi Zinkpè signe cette dynamique sociétale de l’œuvre. Emblématique pour le travail de l’artiste, cette œuvre connaît une première version en 2002 où elle est présentée à la Biennale de Dakar et remporte le Prix UEMOA. Se basant sur l’élément du taxi, moyen de transport connu mondialement et particulièrement utilisé dans les pays africains, cette installation aspire à une œuvre empreinte de vie dans laquelle tout un chacun peut se reconnaître. S’insérant dans une idée de mouvement et de propulsion, le taxi incorpore une philosophie du voyage, du parcours personnel et commun, symbolisé par les nombreux passagers. Dans la logique des ready-mades, cette œuvre transpose un élément du quotidien et d’un monde populaire en position de pièce d’art. C’est « une œuvre qui parle, qui est proche de notre réalité sociale » et qui par-là démontre la « facette sociale » de la création. Pensée comme la métaphore-même du voyage aux destinations incertaines, le Taxi symbolise aussi la création artistique à travers la quête.

Au-delà du monde nous invite ainsi à une déambulation artistique ressemblant à parcours initiatique au seuil de l’univers de Zinkpè. Être toujours en quête de l’insaisissable et de l’irreprésentable, l’artiste se meut entre des mondes multiples. S’élargissant à une société du vivant la réflexion de Zinkpè donne lieu à un art de mise en relation entre les êtres et les mondes. Être, c’est être relié. La relation nous accomplit et nous révèle. Elle est ce par quoi s’articulent les êtres, les choses, ainsi que les éléments d’une totalité. Elle en définit les rapports et les modes d’appariement, par liaison, coalescence, combinaison, résonnance, dissonance, disjonction ou disruption 25

Son cheminement individuel se confond dans le reflet de l’avancement de l’humanité dans toutes ses contradictions et ses sublimités. Au croisement des parcours et des pensées, Au-delà du monde touche aux questionnements profonds de ce que cela signifie que d’être au(x) monde(s) – ensemble.

In a vision that connects Beings and Worlds, it is above all a question of Relationality. In the continuity of the sense of community that underlies the entire journey of Au-delà du Monde, the installation Taxi Zinkpè represents the societal dynamics of the piece. Emblematic of the artist’s work, this project was first presented in 2002 at the Dakar Biennale and won the UEMOA Prize. Based on the taxi, a means of transport known worldwide and particularly used in African countries, this installation aspires to be a work full of life in which everyone can identify. The taxi is part of an idea of movement and propulsion and incorporates a philosophy of travel, of personal and common journey, symbolised by the many passengers. In the logic of the ready-mades, this work transforms an element of everyday life and of a popular world into a work of art. It is “a work that speaks, that is close to our social reality” and thus demonstrates the “social facet” of creation. Thought of as a metaphor for the journey to uncertain destinations, the Taxi also symbolises the creation of art through the quest.

Au-delà du monde invites us to an artistic wandering that resembles an initiatory journey to the threshold of Zinkpè’s universe. Always in search of the elusive and the invisible, the artist moves between multiple worlds. By expanding into a society of the living, Zinkpè’s reflection gives rise to an art that links beings and worlds. To be is to be connected. The relationship fulfills and exposes us. It is what articulates beings, things, and the elements of a whole. It defines the relationships and modes of pairing, by connection, coalescence, combination, resonance, dissonance, disjunction or disruption 25 His individual path is merged into the reflection of the progress of humanity in all its contradictions and sublimities. At the crossroads of paths and thoughts, Au-delà du monde addresses the deep questions of what it means to be in the world(s)together.

« A work that speaks, that is close to our social reality »
« Une œuvre qui parle, qui est proche de notre réalité sociale »
Installation Taxi Zinkpè - Novembre 2022 Espace d’Art Montresso - Marrakech Au-delà du monde - Novembre 2022 Espace d’Art Montresso - Marrakech

Poésie humaine 2022

Assemblage bois figurine et métal peint

172 x 37 x 20 cm

Déesse 2 2022

Assemblage bois figurine et métal peint 284 x 50 x 64 cm

Maestria women 2022

Assemblage bois figurine et métal peint

230 x 70 x 45 cm

Puissance 2022 Assemblage bois figurine et métal peint 194 x 120 x 17 cm

Jumelles 2022

Assemblage bois figurine et métal peint 135 x 37 x 37 cm

Jumeaux 2022

Assemblage bois figurine et métal peint

130 x 35 x 32 cm

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