Monographie - Ligne Bleue - Crespel

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CRESPEL

LIGNE BLEUE

Marrakech Zurich Bruxelles Paris

2019


LIGNE BLEUE Guillaume Rivera Barcelone Mai / 2020

Fuir l’acquis. Toujours. Sans cesse. Brusquer les certitudes pour construire d’autres horizons, ou simplement s’ouvrir à de nouvelles perspectives. Il n’y a que peu d’art dans le conformisme. Aucun artiste sans le goût de l’imprévu. Tiphaine et moi l’avons appris. Notre dernière surprise s’appellera «Ligne Bleue». Poursuivre le chemin initié à deux sans tomber pour autant dans la redondance. Un changement de dogme. «Ligne Bleue» est donc cela: un nouveau postulat, une nouvelle ligne, une ligne bleue. Il y a d’abord la chromie unique. Par hommage. A Marrakech, ville qui nous a vu naître et renaître. Aux grands aussi. Ceux qui ont bercé notre regard. Matisse, Monory, Klein, évidemment. SaintLaurent. Comment l’oublier? Bleu, femme et peinture portent son nom. Son ivresse. Son empreinte. Mais au-delà. La teinte comme contrainte positive. On évacue la couleur, sa facilité. On fuit l’habitude et force le geste à se surpasser. La monochromie n’est pas un caprice. Elle est un stimulant, un levier, un dogme qui enraye les artifices et conduit à l’essentiel. Vient ensuite l’itération. Traiter répétitivement un même objet. L’user pour en extraire un potentiel plein. Tiphaine l’a toujours su. Son “Langage des Jambes” en est le meilleur porte-parole. Je le sais aussi désormais. Depuis “Deep Pola” et ma dernière résidence à Jardin Rouge, je décline ses clichés en multiples variations. Puisque l’époque sérialise l’image, notre dogme aussi. Enfin, ou surtout, l’association. Celle de la source et ce qu’elle enfante. Celle de la photographie et de la peinture. Il ne s’agit plus de représenter ou traduire le pola mais d’y entrer, d’y plonger. Nous nous séduisions à distance par le jeu de nos correspondances. A présent, nous nous consumons par le travail artistique. De la parade à l’acte, nos travaux s’unissent et se synthétisent. Le dogme est donc commun. Ligne Bleue le sera aussi. Un concept qui impose le renoncement radical. A l’habitude nous l’avons dit. A l’individu également. Mon corps et mon esprit, mis au service de l’oeuvre. De même, le corps et l’esprit de Tiphaine offerts à l’acte créatif. Ni moi, ni elle. Tout au plus l’entité Crespel disposée aux faveurs de la recherche artistique. Et dans cet esprit d’abnégation, notre dogme exigera une production soutenue. Dans le temps comme dans son volume. Ligne Bleue, ce seront 50 nuances de notre bleu en 365 jours. Cédrix Crespel Difficile d’aborder Ligne Bleue en se référant aux concepts artistiques habituels. Difficile d’envisager ce travail à travers un prisme utilitaire, social, ou symbolique. Que prétend le couple Crespel avec son dogme? Qu’espère-t-il? Pourquoi lui, qui travaille sur quelque chose d’aussi concret que le corps, s’entêtet-il à photographier le réel pour ensuite en livrer une abstraction peinte? Pourquoi fuit-il la représentation? Pourquoi se méfie-t-il de la narration? En quoi les couleurs pourraient-elles lui nuire? Et qu’entend-il par troisième entité? Les questions, toutes légitimes, s’accumulent rapidement. Mais, si nous devions


répondre simplement, nous dirions sans doute: le dogme tronque les habitudes. À quoi bon l’art sinon? Car la routine incarne probablement la plus grande peur de l’esprit créatif. Celle de tomber dans une formule répétitive où cette créativité, précisément, se diluerait et laisserait place à un mode de production monotone, industriel, désagréablement prévisible. Or, Tiphaine et Cédrix, ont l’impérieux besoin de rêver. De se projeter. De transcender le quotidien d’autant de façons que leur audace permet. En tant qu’artistes. En tant que binôme aussi. Peut-on d’ailleurs, en ce qui les concerne, considérer l’un sans l’autre? Ligne Bleue est donc cela: la manifestation d’une méthode radicale, de transfiguration tout aussi radicale, qui leur a permis de bousculer encore un peu leur existence afin de préserver, et même nourrir, ce bien précieux que certains nomment idéalisme. L’idéalisme Crespel se meut le long de deux grands axes: le couple et l’art. D’un côté, le développement d’une relation que tous deux chérissent. D’un autre, la volonté infinie de grandir à travers leurs pratiques respectives. Bien que la rédaction d’un texte puisse nous conduire à les traiter séparément, ces deux mondes cohabitent et sont de fait intimement liés. Quelqu’un entend-il encore la création indépendamment de l’existence de son auteur? Et, de là peut-on s’intéresser aux toiles de Cédrix ou aux polas de Tiphaine sans considérer l’apport qu’ils constituent à leurs vies? La réponse est évidemment non. Fort heureusement, Ligne Bleue effectue la jonction en mobilisant le concept de troisième entité. “Muse en tant que femme d’artiste... Comment l’être, comment le rester, comment le devenir ?” Ça vous dit quelque chose? La citation vient de Tiphaine. Celle-ci a toujours habité la peinture de son époux. Mais le rôle et la place qu’elle a pu occuper à travers le temps ont gracieusement évolué pour abandonner toute passivité et devenir participes de cette pratique. Au point qu’aujourd’hui, son corps ne constitue plus un simple objet de représentation. Certes, Tiphaine continue de poser et Cédrix de la portraiturer. Toutefois, la subordination initiale de ses recherches aux nécessités plastiques du peintre ne se justifie plus. Voilà ce que le concept de troisième entité véhicule et défend: la renonciation à la distinction individuelle de leurs travaux au profit d’une synergie non-hiérarchique. Il existe une sorte de topos, de lieu-commun qui objective la muse en l’instituant comme détentrice des clés de l’inspiration. Or la muse, fondamentalement, agit comme intermédiaire entre une réalité humaine et un ordre immatériel, à l’origine les dieux. Et, dès que l’on considère l’art comme une action, une démarche, qui déplace l’Homme de l’endroit où il se trouve vers un lieu autre, la muse devient un biais et non plus une excuse ou un motif. Ligne Bleue formalise cette vectricité et la troisième entité son âme, son reflet, son éventuel effet. De sorte que même si le corps de Tiphaine demeure un modèle, il n’agit plus comme sujet de représentation, ni même comme thème, mais comme structure. Comme grammaire. Il dépasse la rigidité de son statut initial pour motoriser la pratique et centrer une expérience artistique commune. Pourquoi alors s’entêter à le traiter comme un objet, comme un matériel subordonné à l’effort de Cédrix?

Et, pourquoi aussi différencier ou ségréguer deux démarches qui ne peuvent s’entendre séparément? Formaliser verbalement l’entité Crespel comme l’aboutissement d’un couple confronté à la pratique artistique s’avèrerait pourtant simpliste. Il faudra donc, pour l’entendre, nous plonger un instant dans la collision entre les angoisses et les espérances de deux étrangetés qui ont activement décidé de dissoudre tout absolu, y compris celui de l’identité personnelle. Cette collision, ce choc, c’est le dogme! Une méthode qui permet de concilier la peur de l’ennui artistique comme amoureux et le rêve conséquent d’un éternel renouveau. Ses points d’inflexion? La couleur, l’itération et la désintégration identitaire. Mais pourquoi celles-ci? En quoi la restriction chromatique, la répétition d’un même phrasé pictural ou la renonciation aux acquis de l’auteur comme du portrait, et ce malgré l’intervention de la muse, peuventils paradoxalement ouvrir des chemins nouveaux? Drôle d’idée en effet que de diminuer son champ d’action pour expérimenter une liberté non-identifiée… Et pourtant! Derrière cette décision, une réflexion réelle: la représentation et la narration, ou plutôt la mise-en-scène, ont des effets assertifs et définitifs qui tendent à soumettre le langage plastique à des impératifs qui ne lui correspondent peut-être pas complètement… En tout cas uniquement. Rien de révolutionnaire ici! Les tenants de l’abstraction ont suivi ce cheminement il y a bien longtemps. Crespel lui-même a progressivement glissé d’une figuration assumée vers une abstraction partielle. Et ce toujours dans l’espoir de favoriser le développement sensoriel de son approche. Mais l’intérêt de Ligne Bleue est qu’il n’oppose pas figuration et abstraction. Au contraire! La série tente une synthèse entre ces deux pans de l’art. Pensez au cinéma! Imaginez un film. Le protagoniste est triste. Puis il continue à être triste. Le métrage se déroule jusqu’à sa conclusion: le personnage demeure triste... Est-ce triste? Peutêtre. Avez-vous, spectateur, éprouvé de la tristesse? Je l’ignore. Et de l’ennui? Voilà le danger de la représentation. Ça ne bouge pas. Ça ne vit pas. L’idée est montrée, matraquée, mais elle n’est pas traitée. Car l’émotion n’est pas un fait. Elle ne s’illustre pas. La léthargie l’efface tandis que la vie la réveille. Il est donc essentiel, pour un artiste, que son oeuvre intègre cette dynamique. Ce que la dramaturgie nomme le conflit. Ne me mésinterprétez pas! Une image peinte est par essence fixe. Est-elle pour autant statique? Certes, l’Étude d’après le portrait du pape Innocent X par Velázquez de Bacon n’arbore pas 24 photogrammes par seconde. Mais vibre-t-elle? Sensoriellement? Émotionnellement? Vous l’aurez compris: si une représentation nous renvoie à la réalité, elle peut paradoxalement passer à côté. Il existe donc une différence abyssale entre pasticher, mimer, imiter et mettre en forme... C’est là le point de départ de toute la réflexion à l’origine du dogme et de Ligne Bleue. Travailler une couleur unique ou itérer encore et encore une même composition force le peintre à constituer par la forme et non par le fond.


FONDATION MONTRESSO Marrakech Oct / 2019











KOLLY GALLERY Zurich Nov / 2019










CÉDRIX CRESPEL vit et travaille à Guérande / France

EXPOSITIONS PERSONNELLES - sélection 2020

- Etoffes Emois, ArtCan Gallery, Marseille / France - Ligne Bleue, Galerie Rive Gauche, Paris / France - Ligne Bleue - Act.3, Kolly Gallery, Zurich / Suisse - Ligne Bleue, Galerie Martine Ehmer, Bruxelles / Belgique

2019

- Ligne Bleue - Act.1 & 2, Kolly Gallery, Zurich / Suisse - Ligne Bleue, Fondation Montresso, Marrakech / Maroc

2018

- Deep Pola, La Galerie Paris 1839, Hong Kong / Hong Kong - Pleurer de J.O.I.E, AD Galerie, Montpellier / France

2017 - Blending Cultures, (with TANC), Galerie Martine Ehmer, Bruxelles / Belgique - Mon Domicile Conjugal, Galerie Marcel Strouk, Paris / France 2015 - Car Crash, AD Galerie, Montpellier / France - Ainsi soient-elles, Fondation Montresso, Marrakech / Maroc 2013

- J.O.I.E, AD Galerie, Montpellier / France

2012

- HorseS, BullS and GirlX, AD Galerie, Béziers / France

2011

- Outside Parking, AD Galerie, Béziers / France

2010

- CDX, Galerie CCX, Saint-Nazaire / France

- Leslie, Galerie Leslie Barning, Luxembourg / Luxembourg - Rétrospective, Galerie Petitjean, Aix-en-Provence / France - Untitled, Galerie Cri d’art, Metz / France

2009

2007 - Pink Story, Galerie Edgar le Marchand d’art, Paris / France - Rétrospective, Centre culturel Athanor, Guérande / France 2006 - Untitled, Art on the move Gallery, Naarden / Hollande - Glycero, Galerie Edgar le Marchand d’art, Paris / France

EXPOSITIONS COLLECTIVES - sélection 2018

- Round 2, Mirus Gallery, Denver / USA - Rétrospective / Art Up art fair, AD Galerie, Lille / France

2016

- XXL#1, (with TILT / Fenx / Jonone), Fondation Montresso, Marrakech / Maroc

2015

- La musique adoucit les mœurs, AD Galerie, Montpellier / France

2012

- Untitled, Galerie Art To Be, Lille / France

2011

- Mes amies / Art Elysées art fair, AD Galerie, Paris / France - 20 ans de La lune en parachute, Épinal / France

2010

- Untitled, Gallery Art Lounge, Birmingham / England - Untitled / Superstudio Show, (with Peter Klasen), London / UK

2008 - Untitled, La lune en parachute, Epinal / France - Untitled, Galerie Cri d’Art, Amnéville les thermes / France - Untitled, Galerie Petitjean, Aix-en-Provence / France 2005 - Petite madame, Galerie Edgar le Marchand d’art, Paris / France


Tiphaine CRESPEL – Cédrix CRESPEL www.tiphainecrespel.com / www.cedrixcrespel.com

Texte - Guillaume Rivera Graphisme - Fred Nicolau / Tradition Moderne Cet ouvrage a été achevé d’imprimer sur les presses de PB tisk en République tchèque / en sur papier Offset sans bois 140 g / Offset sans bois 60 g

2020

REMERCIEMENTS / La Fondation Montresso et toute son équipe, Kolly Gallery, Galerie Martine Ehmer, Galerie Rive Gauche, Jean Louis Haguenauer, Estelle Guilié, Cyril Boixel, Mohamed Simo, Julien kolly, Pauline et Martine Ehmer, Guillaume Rivera, Fred Nicolau, Mirza, Benji, Fonderie Fusions, Atelier 2000, Franck Cohen, Eric Guérin, Tiphaine, Carma, Lim, Gisèle et Michel Crespel, Christophe et Agnes Jadeau, La societe LE PHARE pour son soutien,

FONDATION MONTRESSO Route de Fès Marrakech, Maroc www.montresso.com KOLLY GALLERY Seefeldstrasse 52, 8008 Zürich, Suisse www.kollygallery.ch GALERIE MARTINE EHMER 183 et 200 rue haute 1000 Bruxelles, Belgique www.martineehmer.com GALERIE RIVE GAUCHE 23 Rue de Seine, 75006 Paris, France www.galerie-strouk.fr

© CRESPEL 2020 979-10-699-5479-3 Dépôt légal : mai 2018 Imprimé en Union européenne


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