Catalogue d'exposition - XXL #3

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MOHAMED SAID CHAIR POES SKUNKDOG





DITO Dans un monde de normes, de proportions et de structures, inviter à la démesure relève de la transgression. Alors, quand la Fondation Montresso propose à ses protégés de radicaliser le format, elle les provoque. L’intérêt? Remettre la réalité sur ses pieds... Comme disait Brecht! Car on s’habitue à tout, même à l’absurde. Or, s’il est un univers qui ne peut se satisfaire du geste gratuit, c’est bien celui des pratiques artistiques. Au-delà donc de l’ambition et du spectaculaire, XXL offre une remise en question de ce qui conditionne une approche. C’est sous cet angle qu’il vous faudra aborder les oeuvres présentées. Indépendamment de son point de vue, chaque artiste a accepté de déshabiller son savoir-faire, au risque sans doute de révéler ses trucs et ficelles. Un acte de courage, épaulé, qui plus est, par une déclaration d’intentions. Rassembler sous un même dôme des pratiques aussi formellement hétéroclites, mais aussi vertigineusement différentes en termes de rapport au réel - quitte à bouleverser les structurations habituelles de l’art -, relève du manifeste. Si XXL a toujours porté sur la grandeur, cette troisième édition la revendique donc par un acte de foi brillant: la parade d’écoles trop souvent mises en concurrence.

Guillermo Rivera

Auteur, critique et cinéaste


DITO In a world of norms, proportions and structures, proposing to work with the oversize looks like a transgression. So when the Montresso Foundation asks to its protégés to stretch the limits of the format, it provokes them. The interest? Putting reality back on its feet.... As Brecht said! You get indeed used to everything, even the absurd. However, if there is one universe that cannot be satisfied with the gratuitous gesture, it is that of artistic practices. Beyond the ambition and the spectacular, XXL offers a questioning of what conditions an approach. It is from this angle that you will have to approach the works presented. Regardless of his point of view, each artist agreed to unveil his know-how, at the risk of probably revealing his tips and tricks. An act of courage, supported, moreover, by a declaration of intentions. To bring together under the same roof practices that are so formally heterogeneous, but also vertiginously different in terms of their relationship to reality - even if it means disrupting the usual structures of art fall within manifesto. If XXL has always been about magnitude, this third edition claims it by a brilliant act of faith: the parade of schools too many often put in competition.

Guillermo Rivera

Author, critic and filmmaker





résidence Jardin Rouge MOHAMED SAID CHAIR dans son atelier


"Une fois confronté à l'espace qui m'était dédié à Jardin

Rouge, j'ai tout de suite pensé aux grands formats. Après de nombreuses discussions durant ma résidence, j'ai entamé la réalisation de très petits formats, d'esquisses. Ce va-etvient m'a permis d'avoir une compréhension plus critique de la question de la démesure, par rapport à ce que XXL représente, tant dans le fond - c'est-à-dire le processus de création - que dans la forme, par la monumentalité des pièces réalisées.

"

"When I was first confronted with the space dedicated to me at Jardin Rouge, I immediately thought I'd do large formats. After many discussions during my residency, I started painting very small formats, sketches. This going back and forth allowed me to have a more critical understanding of the question of monumentality in relation to what XXL represents, both in substance - i. e. the creative process - and in form, through the monumentality of the pieces created.

"




"Ma recherche de la narration à travers la peinture et

ma réponse de ce que serait une peinture narrative au début du XXI ème siècle m'ont conduit progressivement à l'expérience XXL. Le point de départ était fortement lié à la mythologie, à travers l'empreinte qu’elle a laissée sur la construction et l'histoire du récit au cours des siècles et des millénaires. Pour moi, c'est une évidence picturale qu'un grand format apporte une effusion de personnages, de détails, de scènes, de saynètes.

"

"My search of narration through painting and my answer to the question of what would be a narrative painting in the beginning of the 21st century progressively took me to the XXL experience. The starting point was strongly related to mythology, through the footprint that mythology has left on narrative construction and on the history of telling stories throughout the course of centuries and millennia. For me, it is a pictorial obviousness that a big format brings a profusion of characters, details, scenes, playlets."


résidence Jardin Rouge POES dans son atelier




résidence Jardin Rouge atelier de SKUNKDOG


"XXL était pour moi un moyen de sortir de l’étriqué pour

pouvoir raconter mes histoires. Comme je suis dans la narration, je suis passé de la nouvelle au roman épique, du style Le Rouge et le Noir de Stendhal, à quelque chose d'énorme, des livres massifs, des histoires où tu peux passer des heures devant mes tableaux. Il s'agissait de partager cela avec les autres au quotidien, de créer un univers et de le faire vivre.

"

"XXL for me was a way to exit the narrow-mindedness in

order to be able to tell my stories. As I use storytelling, I basically went from short stories to epic novels, Stendhal’s Red and Black style, you know, something huge, massive books, stories so you can spend hours in front of my paintings. It was about sharing this with others on a daily basis, creating a universe and bringing it to life. It was about sharing this with others on a daily basis, about creating a universe and bringing it to life."


Espace d'Art Montresso  Marrakech




ACTE I

OHAMED SAID CHAIR


Fitness time, 2018 Huile sur carton 254 x 252,5 cm



Captain America, 2018 Huile sur carton 280 x 187 cm



Ne lui demandez pas ce qu'il dit. Interrogez-le plutôt sur ce qu'il peint. Une caisse en carton, le reflet d'un écran, le pli d'un gant de boxe, la profondeur de l'obscure, le volume de la chair ou la viscère sous le prisme de l'huile. Si ça vibre, ça vit. Si ça vit, c'est bon. Et si c'est bon, ça se peint! Parce qu'une madeleine peut provoquer l'extase d'une plume et qu'à sa manière, un simple câble rouge et jaune suffit à l'orgasme du pinceau. L'oeuvre pour l'oeuvre et l'émotion là où plus personne ne la soupçonne.

beaucoup. Au point de privilégier l’essentiel et sacrifier certains parfums. Ne cherchez pas de fonds. Seul compte le corps - tout au plus un objet - qu’il écrase dans une absence déconcertante d’espace. C’est l’obsession presque arrogante de la vingtaine pour l’individu qui de tant hurler ​J'existe! en omet le monde aux alentours. De fait, lorsque Mohamed doit négocier avec l'immense, ce refus d’agencement dans l'espace se révèle définitivement. XXL fonctionne. XXL ne s'évite pas.

Mohamed Said Chair est jeune. Très jeune. Il n’en demeure pas moins surprenant. À mille lieues des concepts et des allégories qui semblent tant fasciner les artistes de sa génération, lui a choisi le classicisme de la figuration stricte. Point d'acrylique, peu d’aplats et aucune construction vectorielle. Du pigment, de la forme, de la texture. Et pourtant, cette filiation séculaire ne le préoccupe guère. Certes, il cite Freud dès qu’il le peut. Mais à la manière de l’ado iconoclaste qui idolâtre Coltrane et se fout allègrement du jazz. Une technique clairement, certainement pas d’école. Juste l’impulsion spontanée d’une âme entière et fraîche vers un langage dont elle admire les codes, la portée.

Parce que la démesure amplifie. S'attaquer à un quadriptyque de plusieurs mètres, indépendamment de la disposition, durcit le propos. En focalisant toute l'attention sur le corps, l'objet et quelque texture lumineuse, le peintre décompense volontairement sa toile. Le noir instinctif qu'il jette subitement pour baigner le fond contribue à l’illusion. La figure, malgré sa monumentalité, paraît ainsi perdue. Et, c'est toute la génialité de l'exercice. Car, ne l'oubliez pas, Mohamed n'a pas 30 ans. La composition outrageuse de ses oeuvres révèle toute l’émouvante humanité d’un dasein qui sue dans l’espoir d’être et de se situer dans le monde. Les arts s'aiment pour ça! Qu'il le veuille ou non, celui qui s'y essaie se dénude... Et la chair de Mohamed s'effeuille grâce aux peurs et au paradoxe que nous a chantés Elliott Smith: “​W ith the things you could do, you won't but you might.”

Tout dès lors sert de prétexte à l’essai. Il se bricole un sujet, improvise un support, s’invente un récit en guise de signature et puis s’assied satisfait sur la chaise de son atelier pour se goinfrer de peinture. Car il y a bien de l’anxiété dans sa pratique. Une urgence boulimique de peindre. De peindre

Mohamed Said Chair est né en 1989 à Tanger, au Maroc. Il vit et travaille à Tanger.


Ainsi, le corps nous est livré dans son imposante massivité. Inébranlable. Robuste. Et pourtant... Il peine à dissimuler la détresse de celui qui a encore tout à réaliser. L'immense vulnérabilité d'un temps qui souffre le conditionnel et refuse d’avancer en s’excusant. La peinture devient alors le manifeste organique et presque palpable de l’incertitude. De l’absurde. D'une volonté légitime de puissance castrée par le champ que l’époque lui refuse. Et, malgré cette force apparente, une grande fragilité se dégage. Vous la trouverez dans l’étrange chétivité d'un gros. Vous la délogerez au creux d’une perspective bancale. Dans les maladresses d'un pinceau pourtant habile comme dans le goût pour des supports précipités. Le sacrilège existe afin de tomber les vieilles gardes! Car peindre le paradoxe renvoie l’oeuvre à ce que l’Homme a de plus cher: ses contradictions... Ces élans désordonnés qui, sans cesse, l’invitent à négocier. A reconsidérer le chemin parcouru comme les évidences autour desquelles il articule chaque mot, chaque décision. À questionner dans le secret de son intime ce que, publiquement, effronté, il s’aventure à clamer et affirmer. Et, précisément, quel but vise XXL si ce n’est celui de révéler? Alors, ne vous demandez plus ce que Mohamed dit.

Interrogez-vous sur ce qu'il peint. Lui, désinvolte, qui cultive sans complexe un instinct brut, indifférent à la tradition figurative qu’il affiche cependant. Est-il vraiment un peintre de discours, de suites logiques et de représentations? Cherche-t-il à délimiter? Ou, à l’inverse, appartient-t-il à cette lignée d’artistes qui, par leur pratique, et quel que soit leur style, s’appliquent à ​rendre visible avant même de reproduire le visible​?



Espace d'Art Montresso  Marrakech vue de l'exposition XXL# 3


Do not ask him what he says. Ask him about what he paints instead.A cardboard box, the depth of the dark, the volume of the flesh embodied by oil. If it vibrates, it lives. If it lives, it is good. And if it's good, it must be painted! Like a sweet memory can make a writer’s quill ecstatic, similarly, a simple cable is enough to bring the brush to orgasm.The artwork for artwork and emotion where no one expects it anymore.

To the point where priority is given to the essential at the cost of some subtle flavours. Don't look for a content. Only counts the body he crushes in a disconcerting absence of space. It is the obsession of the twenty-something of an individual who screams so much I exist! that he forgets the world around. In fact, when Mohamed has to deal with the immense, this refusal of space is definitively revealed. XXL operates, it cannot be avoided.

Mohamed Said Chair is young. He is surprising nonetheless. Far from concepts and allegories that seem to so greatly fascinate the artists of his generation, he chose the classicism of strict figuration. And yet he is hardly concerned by this secular filiation. Certainly, he quotes Freud. But he does it like the iconoclast teenager, who idolizes Coltrane but could not care less about jazz. There is clearly a technique but certainely not a school. Only a soul's yearning for a language whose codes it admires.

The oversize amplifies and tackling a triptych of several meters, regardless of the arrangement, makes the point harder. By focusing on the body or light, the painter voluntarily disturbs his canvas. The instinctive black he throws to bathe the background contributes to the illusion. The figure, despite its monumentality, seems lost. And, that's the genius of the exercise. Don't forget, Mohamed is not even 30 years old. The composition of his works reveals an intent marked by the hope of finding its place in the world. The arts are loved for this! The one who practice them, lays himself bare...And the flesh of this practice is stripped thanks to the paradox that Elliott Smith has sung to us:

Everything therefore serves as a pretext for experimentation. He knock together a subject, a medium, a story and sits satisfied on the chair of his studio to gorge on painting. There is indeed anxiety in his practice.

“​W ith the things you could do, you won't but you might.”

Mohamed Said Chair was born in 1989 in Tangier, Morocco. He lives and work in Tangier.


Thus, the massive body prevails. Robust. And yet... it is difficult to hide the distress of the one who still has everything to realize. The vulnerability of a time that suffers from the conditional and refuses to move forward while apologising. The painting then becomes the manifesto of uncertainty. A legitimate desire for power castrated ,that the time denies to him. Despite this apparent strength, a great fragility is palpable. One will find it in a fat man's puniness. In the hollow of a shaky perspective. In the clumsiness of a brush, however skillful, as well as in the taste for hasty prepared surfaces. Painting the paradox indeed sends back the artwork to what Man holds most dear: his contradictions. To these confused impulses that invite him to negotiate. To reconsider the progress made as well as the self-evident facts that underlie each decision. To question in secret what he publicly claims. And what exactly is XXL's goal if not to reveal? So don't ask yourself what Mohamed says anymore. Ask yourself what he paints. He who cultivates a raw instinct, indifferent to the figurative tradition he nevertheless displays. Is he really a painter of speeches and logical sequences? Or does he belong to this lineage of artists who, through their practice, apply themselves "to make visible even before reproducing the visible" ?


Pages 34 - 35 Game over, 2019 Huile sur carton Quadryptique - 318 x 576 cm

No offense, 2019 Huile sur carton 178 x 213 cm








ACTE II

OES


Poesland passé, 2018 Peinture vinylique sur toile 100 x 160 cm



Poesland futur, 2018 Peinture vinylique sur toile 100 x 160 cm




Auto-rédemption, 2019 Peinture vinylique sur toile 100 x 160 cm


POES. L'électron libre aux airs de bon élève. Celui que la règle stimule, défie mais n'effraie pas. Le kamikaze de cette troisième fournée XXL. Le fou enclin à s'exploser contre 15 m2 de toile. Parce qu’il ne détourne pas le concept de monumentalité. Au contraire! Il le prend de front. Sans scrupule et sans rechigner. Évidemment, sa pratique s'y prête. Enfant du graffiti que l'immensité des villes excite. Adepte des histoires à tiroirs où la fin n'est que le début et le début un rebondissement. Comment aurait-il pu fuir une invitation à la liberté radicale? Comment imaginer un instant qu'il ne réponde positivement à la provocation XXL? Alors oui, il l'a fait. Mais le mérite qu'il en tire ne découle pas d'un peindre beaucoup et d'un peindre grand. Ou du moins, pas directement. L'effort réel s'apprécie dans l'amplitude et la profondeur des recherches menées. Dans l'esprit qui les chapeaute. Pour d'abord esquisser un sujet et ensuite le nourrir de savoir ou d'informations suffisamment pertinentes. Car délirer, c'est bien, mais assurer une scénification cohérente et capable d'occuper l'espace de narration offert, c'est mieux. Et l'on parle bien de narration. De figuration narrative même. Sans complexes. Dans l'héritage d'Arroyo et Télémaque. La durée s'y écoule et l'auteur, subtilement, prend position. Les signifiants signifient clairement, l'ambiguïté n'existe pas. Des personnages investissent la toile, des séquences prennent forme, un thème se dégage. S'il faut chapitrer, le canevas se décompose en triptyque, voire en

polyptyque. Le récit, lui, n'est pas indispensable mais la dimension temporelle ne manque jamais. Bref, consciemment ou non, l'école est là. D'ailleurs, le symbole aussi. "Mythologies Quotidiennes" a fondé la Figuration Narrative. POES, à son tour, transcende le quotidien dans le reflet des mythologies originelles. Voulu ou non, le travail cligne donc de l'oeil. Parallèlement, la mise en abyme milite mais l'oeuvre s'épargne brillamment une politique qui la réduirait. Quoi de plus?

Le mythe alors. Spécifiquement, Babylone et l'Enuma Elish. La genèse, l'univers, les dieux, l'Homme. POES s'y plonge. Étudie. ll lit Jean Bottéro, André Parrot puis Henrietta McCall*. Et, de ses recherches, le Français tire deux monuments. Le Temps des Dieux et Le Temps des Hommes. Le premier nous renvoie à la Mésopotamie. La source d'inspiration est dense, les couches se superposent. Deux générations de dieux s'affrontent puis, consensuellement, créent l'Homme comme subterfuge. Celui-ci héritera de leurs tumultes tandis qu'eux, enfin, pourront jouir de leur statut dans la sérénité d'une paix nouvelle. La toile se couvre de personnages farfelus, de lieux, de cosmes. La valeur narrative des héros détermine leurs proportions. Pas de premier plan! Si ça compte, on peint gros et grand. La fresque vibre, l'enthousiasme guide le pinceau et l'artiste se délecte dans cet univers. En face par contre, le Temps des Hommes pèse.

Poes est né en 1983 à Paris. il vit et travaille aujourd'hui à Lyon.


Dans cette seconde pièce, les tons grisaillent, l'espace se vide quelque peu et la vie perd de sa saveur. Nous avons quitté le berceau. Nous voici de retour aux temps modernes. POES pousse la boutade jusqu'à mimer le Christ Mort d'Hans Holbein. Une oeuvre d'une violence telle que Dostoïevski en aurait perdu la foi. Le peintre étend, sur un lit d'ordures, Gaïa, l'une des dernières déesses antiques. Le ton plaisante mais l'image est crue. Car, ici, l'Homme patauge encore dans le tumulte hérité de la métaphysique mésopotamienne, mais ses icônes religieuses portent des costards ou des uniformes et sa croyance pragmatique adule une science stricte, peu romanesque et réfractaire à l'illusion comme au rêve. Deux toiles. Deux rapports à la vie. L'immense! Ainsi, POES, l'enfant de la Figuration Narrative, a exploité l'étendue graphique des canevas, mais également de leur combinaison, pour dérouler le temps. Sous la perspective d'une mythologie contemporaine face à une mythologie originelle, il sublime les concepts représentatifs de grandeur et finit par éclairer ainsi leur évolution. L'immense se comprend alors dans le signe. Celui qui, en quelques millénaires, glisse d'une orgie de proportions stimulantes à une conception anthropomorphique et anthropocentrée. D'une infinité de possibles à l'Homme, petit, et son orgueil.

Pourtant, le discours relève de l'accessoire. Les explications s'apprécient mais les toiles existent indépendamment d'un éventuel mode d'emploi. Quel que soit le sujet, comme tous ses congénères, POES peint pour une raison au moins. Chez lui, pas de dramatisation personnelle. Le poète n'est pas maudit et la toile ne se confond pas avec un quelconque divan psychanalytique. Le geste part de l'amusement puis mûrit sous l'effort intellectuel que suppose y associer un contenu. Mais sans verser pour autant dans le palabrisme et l'artisanat du slogan. La démarche est personnelle et le destinataire premier n'est autre que l'artiste lui-même. Si, pour beaucoup, gérer une présence dans l'ici et maintenant conduit sur la piste du questionnement, chez POES le mouvement est affirmatif, constructif. Bref, pas de problème à régler. Une multitude de potentiels à exploiter, par contre, que l'entreprise narrative sollicite et stimule. Simple, ambitieux et modeste, au sens noble des termes. Simple, ambitieux et modeste, c'est l'univers POES dans toute sa splendeur.




The concept of monumentality? POES takes it head-on. Without any scrupule. Of course his practice lends itself to this. As a child of graffiti, the vastness of cities excites him. How could he have avoided an invitation to radical freedom? How can we imagine for a moment that he would not respond to the XXL provocation? So yes, he did. But the merit he gets from it does not come from the only fact of painting big. The real effort is assessed in the amplitude and depth of the research carried out. In order to first sketch a subject and then feed it with relevant information. Frenzy is good, but ensuring a staging capable of occupying the narrative space offered is better. We are indeed talking about narration. Of narrative figuration itself. In the legacy of Arroyo and Telemachus. The time elapses and the author takes a position. The signifiers signify, and ambiguity does not exist. Characters invade the painting, sequences take shape, a theme emerges. If it is necessary to arrange it in chapters, the canvas is divided into three parts. The story is not essential, but the temporal dimension is always here. In short, consciously or not, the school is there. Besides, so is the symbol. "Daily Mythologies" founded the Narrative Figuration. POES, in turn, transcends the everyday in the reflection of original mythologies. Whether is it wanted or not, the artwork recalls references. At the same time, the mise en abyme tries to impose itself but the artwork avoids a policy that would reduce it. More?

The myth. Specifically, Babylon and the Enuma Elish. The genesis, the universe, the gods, the man. POES immerses himself in it. He read Jean Bottéro, André Parrot and then Henrietta McCall*. Two monuments are drawn from it. Le Temps des Dieux (The Time of the Gods) and Le Temps des Hommes (the Time of Men). The first one refers to Mesopotamia. The source of inspiration is dense, the layers overlap. Two generations of gods clash and then create Man. This one will inherit their tumults while they, finally, will be able to enjoy their status in the serenity of a new peace. The painting is covered with eccentric characters, with places and cosmos. The narrative value of the heroes determines their proportions. If it matters, we paint big and tall. The fresco vibrates and the artist takes great pleasure in this universe. Opposite, Le Temps des Hommes weighs heavily. In this second play, the tones turn grey, the space is empty and life loses its flavour. We left the cradle. We are back in modern times. POES' joke even mimics Hans Holbein's Dead Christ. The painter lays Gaia, one of the last ancient goddesses, on a bed of rubbish. The tone is pleasant but the image is crude. Here the Man is still stuck into the turmoil inherited from Mesopotamian metaphysics, but his religious icons wear suits or uniforms and his pragmatic belief undermines a strict science, resistant to illusion. Two canvases. Two relationships to life. The huge one!

Poes was born in 1983 in Paris. He now lives and works in Lyon.


The one we understand thanks to signs. The one that, in a few millennia, from an orgy of stimulating proportions became an anthropomorphic and anthropocentric conception. An infinity of possibilities for Man and his pride. However, the speech is incidental. The explanations are enjoyable but the canvases exist independently of a user manual. Regardless of the subject, POES indeed paints for at least one reason. There is no dramatization. The poet is not cursed and the canvas is not mistaken with a psychoanalytical couch. The gesture starts from fun and then matures under the intellectual effort that a content implies. Without getting into endless debates either. The process is personal and the recipient is the artist himself. If, for many, managing a presence in the here and now leads to questioning, for POES the movement is affirmative. No problems to solve. Only a multitude of potentials to be used, but that the narrative initiative stimulates. Simple, ambitious but modest, in the noble sense of the word. Simple, ambitious but modest, it's the universe of POES.




Le Temps des Dieux, 2018 Peinture vinylique sur toile 290 x 500 cm




Le Temps des Hommes, 2019 Peinture vinylique sur toile 290 x 500 cm





ACTE III

KUNKDOG


El Bimbo, 2018 Technique mixte sur bois 186 x 780 cm




Paradise, 2019 Technique mixte sur bois 184 x 202 cm


Adam et Dave, 2019 Technique mixte sur bois 184 x 202 cm




Pages suivantes Heads 1, 2019 Technique mixte sur bois 201 x 105 cm Around the corner, 2019 Technique mixte sur bois 184 x 202 cm

Heads 2, 2019 Technique mixte sur bois 200 x 88 cm




Difficile d’étriquer le travail de SkunkDog dans une idée, une école unique, une simple définition. L’énergie, le rapport au réel, et la mixité des émotions qui s’y rencontrent, obligent en effet à mobiliser un entendement multiple comme à refuser toute logique d'appartenance et d’exclusion. Comment intégrer sinon des oeuvres qui cultivent simultanément sarcasme et célébration, équilibre et difformité, dynamique et staticité, amour radical et nihilisme gratuit, le tout dans une absence complète de perspective? Il est donc essentiel de se prêter au jeu. Celui d’un auteur frénétique qui tourbillonne de stimulation en stimulation pour saisir ainsi tout ce qui l’entoure jusqu’à composer un canevas disparate ​ mais​jamais désordonné. Car il y a bien du sens dans cet univers, aussi étrange que cela puisse paraître. Du sens certes. ​Mais​, bien avant cela, et malgré la volonté de les dissimuler sous une plastique enfantine, un bagage culturel conséquent et la maturité personnelle d’un cinquantenaire. Derrière l’espièglerie des récits qu’il avance se distingue en effet un rapport profond à l’exercice artistique et son histoire. Ainsi, l’observation prime. Indépendamment du média choisi, le Marseillais se livre à un curieux exercice de figuration. Le ludisme qui guide sa démarche lui permet de mettre en mouvement son époque sans verser dans le cérémonialisme et l'auto conviction sous-jacents aux dogmes et aux discours. C’est l’esprit du premier Dada rapporté au XXIè siècle. Cependant, plus que de la narration et

de la militance, sa pratique vit de l’association. Entre formes et objets. Entre mots et représentations. Entre coups de gueule et coups d’amour. Et chaque construction achevée réveille à son tour l’euphorie d’un nouveau souvenir, d’une autre référence, d’un soudain rapprochement. Car, pour maintenir la joie vitale de son acte créatif, Skunk Dog recourt sans cesse à l’enthousiasme de l’histoire. À la manière d’un Combas ou d’un Di Rosa, il se réfère hors complexes au temps contemporain, à ses symboles, ses modèles ou ses icônes et alterne appropriations, hommages comme détournements jubilatoires. En émerge un univers qui, sous couvert d’onirisme et de fiction, ne cesse de traiter le réel. Au point de l’intégrer comme matière et matériau premiers. Affiches, stickers, boulons, rouages, récup et citations... Nouveau Réalisme, dis-moi qui est la plus belle? Pourtant, rapporter le foison de cette pratique à des courants paraît injuste. La préméditation ne fait pas partie de la mentalité Skunk et mettre son travail en abyme n’a d’autre fin que la rédaction d’un billet critique. Une fois acceptée​que la spontanéité de ses gestes ne suppose pas leur gratuité, nous pouvons simplement nous concentrer sur ce qui nous rassemble: XXL.

David Negri alias Skunkdog est né en 1968 à Marseille. il vit et travaille aujourd'hui à Marseille.


Car Skunk s’est bel et bien confronté à l’immense. Au-delà du format quelque peu relatif de ses palissades, la notion prend vie chez lui par une réflexion portée sur l’espace. Un prisme qu’il décompose en deux axes: le temps et la profondeur. La monumentalité est donc d’abord rétrospective. En tant que somme des mille et unes petites anecdotes qui, réunies, confèrent à l’Histoire son poids. Et la véritable démesure ne s’entend pour Skunk qu’à travers le récit délirant d’une humanité qu’il incarne ou personnifie lui-même. Quoi de plus énorme que notre parcours, notre versatilité? Il peut sans doute être le seul à connaître la factualité des épisodes qu’il a projeté sur ses planches, mais chacun d’eux et tous ensemble, indépendamment de leur véracité ou de leur universalité, témoignent de l’outrance, de la profusion, de ​l’immodération et surtout de l’incommensurabilité. Parallèlement, sa conception de la spatialité est intrinsèquement liée au goût de la profondeur. Un niveau de perception qui ne s’atteint que lorsque la superposition d’idées conduit aux nuances et dépasse le simple énoncé. Il lui faut donc accumuler maladivement, affirmer puis contester, tisser une toile de connexions et de liens à tout-va capables de matérialiser la sensation de fluctuation qu’éprouve celui qui contemple l’existence depuis la pluralité plutôt qu’à travers une définition méthodique, absolue et conséquemment rigide. C’est parfois effrayant mais violemment vivant. Et, précisément, la vie constitue le leitmotiv de Skunk.

Finalement, la monumentalité chez lui se matérialise en un droit allègre à secouer - sous l'unité d'un support, d'un instant et d'une pratique - tout et son contraire sans que cela tombe dans l'antinomie. D'exalter en ​deux dimensions et demie​- comme il aime à le dire - la perspective de l'infini. De dynamiser avec les traits d'un enfant l'entreprise humaine la plus vaste et complexe: celle du sens. Mais d’un sens rhizomique. Tentaculaire. Libéré du tiers-exclu. Non linéaire ou transcendental. Celui que nous caressons timidement depuis à peine un demi-siècle. Ce sens jouissif qui dans la juxtaposition des altérités et des différences complémentaires esquisse maladroitement l’épistémè d’une vie, d’une époque, d’une civilisation. Alors oui, son univers est loufoque. Dingue même. Mais il est surtout bien plus cohérent qu’il n’y paraît.




It is difficult to narrow down SkunkDog's work in a simple definition. The mix of emotions forces us indeed to mobilize a multiple insight as well as to refuse any logic of belonging and exclusion. How else can we comprehend works that simultaneously cultivate sarcasm and celebration, balance and deformity, dynamics and staticity, radical love and gratuitous nihilism, all in a complete absence of perspective? It is therefore essential to play the game. The one of an author who swirls from stimulation to stimulation in order to grasp everything around him until he composes a disparate but never chaotic painting. There is indeed a lot of sense in this universe.... There is without a doubt meaning. A significant cultural background as well as the maturity of someone in his fifties. Behind the mischievousness of his stories there is undoubtedly a profound relationship to artistic practice. Regardless of the medium chosen, the Marseilles native is engaged in a curious figurative exercise. The playfulness that guides his approach allows him to depict his time without falling into ceremonialism. This is the spirit of the first Dada taken back to the 21st century. However, more than militancy, his practice is based on combinations. Between forms and objects. Between words and representations. Between love and hate. And each completed construction awakens in turn a new memory, another reference, a sudden closeness.

SkunkDog is indeed always using the enthusiasm of history. Like a Combas or a Di Rosa, he points to contemporary time and alternates appropriations, tributes and misappropriation. From this emerges a universe that, under the guise of dream and fiction, never ceases to deal with reality. To the point of using it as a raw material. Posters, stickers, bolts, gears, recyling and quotes... New Realism! However, relating the abundance of this practice to artistic movements seems to be unfair. Premeditation is not part of the "Skunk" mentality. Once it is accepted that the spontaneity of his actions does not imply their gratuitousness, we can simply focus on what brings us together: XXL. Skunk has indeed faced monumentality. Beyond the small format of his fences, the notion comes to life through a reflection on space. A prism that he breaks down into two axes: time and depth. Monumentality is first of all a retrospective. In the sense that it is the sum of the little anecdotes that gives History its weight when taken together. And true excessiveness for Skunk can only be understood through the story of a humanity that he embodies himself. What could be bigger than our journey? He may be the only one who knows the episodes projected on his pannels, but each of them, and all together, bear witness to intemperance, to incommensurability.

David Negri alias Skunkdog was born in 1968 in Marseille, France. He lives and works in Marseille.


At the same time, his conception of spatiality is intrinsically linked to the taste of depth. A level of perception that is only achieved when the superposition of ideas leads to nuances. He thus feels the need to accumulate, to create a web of connections in order to materialize the sensation of fluctuation experienced by the one that contemplate the existence from plurality rather than through a rigid definition. It is sometimes frightening but also violently lively. And life is precisely what constitutes Skunk's leitmotif. Finally, the monumentality of his work materialized into a cheerful right to shake everything without it falling into the antinomy. It is about exalting the perspective of infinity. It is about galvanizing like a child the most vast and complex human endeavour: that of meaning. But with a rhizomic meaning. Sprawling. Released from the principle of the excluded middle. The one we entertain for 50 years. This joyous meaning which in the juxtaposition of the othernesses sketches the episteme of a life, an era, a civilization. So yes, his universe is crazy. But above all, it is much more coherent than it seems.


Mars under attack (PART 1 - 5), 2018 Technique mixte sur bois 91 x 100 cm




With Friends (PART 3 - 2), 2018 Technique mixte sur bois 91 x 100 cm





Fireman, 2019 Sculpture métallique 380 x 162 cm


Three arms lady, 2019 Sculpture métallique 210 x 150 cm Horny one, 2019 Sculpture métallique 300 x 155 cm



Espace d'Art Montresso  Marrakech vue de l'exposition XXL# 3



Présente au Maroc depuis 2009, la Fondation Montresso est un lieu hybride dont les missions sont de soutenir la création et promouvoir la diversité des champs de la recherche artistique actuelle. Par l’entremise de sa résidence d’artistes Jardin Rouge, de son espace d’art et de ses actions hors les murs, la Fondation Montresso s’investit auprès des artistes afin de favoriser une démarche multiple, au-delà des frontières et des normes. La Fondation Montresso participe à l’essor artistique de Marrakech aux côtés des acteurs culturels locaux afin d’encourager les rencontres et les dialogues entre les différentes réflexions picturales et intellectuelles. Les arts et la culture jouent un rôle capital dans une société contemporaine en pleine mutation. En affirmant une autre dimension du présent, l’art permet à l’individu de s’identifier, s’émouvoir et s’interroger. Parce que les artistes questionnent les rapports au monde et qu’ils ouvrent des perspectives inédites, la Fondation Montresso se doit d’assurer son rôle de passeur d’art.

Settled in Morocco since 2009, the Montresso Foundation is a hybrid place that aims to support the creation and promote the diversity of fields of the current artistic research. Through its artistic residence Jardin Rouge, its art space and off-site actions, the Montresso Foundation is committed alongside the artists to promote a multiple approach that transcends borders and standards. The Montresso Foundation contributes to the artistic development of Marrakesh alongside with the local cultural actors in order to encourage encounters between the different pictorial and intellectual approaches. Arts and culture play a vital role in a changing contemporary society. By affirming another dimension of the present, art allows the individual to be moved, to identify and query himself. Because artists question relationships with the world and open up unprecedented perspectives, the Montresso Foundation must ensure its role as an art keeper.



Rendez-vous artistique annuel autour de la thématique de la monumentalité, cette troisième édition de l'exposition XXL dévoile au sein de l'Espace d'Art Montresso  les oeuvres des artistes Mohamed Said Chair, Poes et Skunkdog. Elles ont été réalisées dans le cadre des résidences à Jardin Rouge. XXL is annual artistic event on the thematic of monumentality. For its third edition, it reveals within the Montresso  Art Space the works of artists Mohamed Said Chair, Poes and Skunkdog. All were made as part of the residencies at Jardin Rouge.

Réalisation Fondation Montresso  © Textes : Guillermo Rivera Crédits photographiques : Boixel Cyril Conception Graphique : Lhachmi Hafid ISBN : 978-9920-37-652-5 Dépot légal : 2019MO2488 Imprimeur : Direct Print

info.montresso.com +212 (0)5 29 80 15 92

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