Catalogue d'exposition - IN-DISCIPLINE - Bénin

Page 1

1



3



5


M. Mohcine Jazouli Ministre Délégué auprès du Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération Internationale, Chargé de la Coopération Africaine

La culture dans sa diversité est au coeur des nouvelles stratégies de développement économique et social. Dans notre continent africain, la prise de conscience est réelle. La culture et l’art en particulier, se trouvent aujourd’hui au coeur des préoccupations des politiques publiques et des plans d’action de nombreuses entreprises. C’est une manière pour les entreprises de rester à l’écoute de leur environnement. Le mécénat a permis bien souvent à de nombreux artistes de laisser éclore leur génie inventif et créatif. L’exemple de la création de Jardin Rouge de Marrakech, par la Fondation Montresso* est une initiative à encourager et à promouvoir. C’est dans cette résidence de création que les cinq artistes béninois ont passé deux mois pour produire leurs oeuvres artistiques, exposées pour la première fois à Rabat. Aujourd’hui, la Fondation CDG et la Fondation Montresso* nous convient tous, à explorer le talent des esthètes du Bénin, pays dont la cité d’IFE fait partie des grands foyers de l’art en Afrique. On voit bien au travers de ces réalisations artistiques et les flots d’émotions qu’elles génèrent, que l’art et la culture ont le pouvoir de rassembler, d’unir et de fusionner. Ce type d’initiative nous montre qu’il est possible de mettre en place une vraie stratégie intégrante de développement associant des aspects sociaux et économiques axés sur la création culturelle et la créativité artistique. C’est un besoin urgent pour donner un éclat aux trésors dont l’Afrique recèle. Le progrès technique et la création culturelle et artistique désormais, vont de pair. Les deux forment un nouveau levier de développement qui imprimera les prochaines tendances de l’économie. L’Afrique a tous les atouts pour relever ce défi de l’économie culturelle et créative, et s’engager ainsi pleinement dans ces nouvelles perspectives de développement. Conscient des richesses culturelles du continent, le Maroc entend rendre un hommage appuyé à l’art africain, et tient à en faire le centre de son mouvement culturel et son point d’ancrage originel. Au-delà des relations politiques excellentes qui lient le Royaume du Maroc et la République du Bénin, l’art vient renforcer ces liens et je me félicite des efforts intenses déployés pour promouvoir ces initiatives. Dans ses propos teintés de poésie, prononcés lors de son discours émouvant à Addis Abeba à la faveur du 28ème Sommet de l’UA, Sa Majesté Le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’assiste a déclaré : "Il est beau le jour où l’on rentre chez soi, après une longue absence, il est beau le jour où l’on porte son coeur vers le foyer aimé". Paroles déjà annonciatrices des ambitions et aspirations africaines du Maroc d’aujourd’hui et de demain… car notre devenir culturel est commun et demeure inséparable du destin de notre continent.


Serge Dagnon, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la République du Bénin au Royaume du Maroc

Il m’est agréable d’exprimer ma fierté de voir un projet important de notre mission, en tant que représentation diplomatique, se traduire dans la réalité ; le projet de faire découvrir au Maroc la riche diversité de la culture béninoise. Grâce au programme IN-DISCIPLINE lancé par la Fondation Montresso*, Cotonou s’est invité à Marrakech, à travers cinq des plus prolixes artistes de leur génération. Le Bénin est le premier pays invité pour ce programme triennal. À peine nées de leur résidence à Jardin Rouge, les œuvres de nos artistes ont suscité l’admiration unanime. Les voici appelées à un long voyage autour du monde, dont la capitale du Maroc sera la prochaine étape. La présente exposition s’inscrit parfaitement dans le cadre des orientations du Président Patrice TALON qui, conscient de ce que la culture représente un vecteur important de développement, l’a inscrit comme l’un des axes prioritaires de son programme d’action. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à la Fondation Montresso* et à la Caisse de Dépôt et de Gestion pour l’opportunité qui est offerte à nos artistes, porte-étendards de cette culture, d’exposer leurs œuvres ici à Rabat. C’est sans doute le début d’une longue coopération, qui nous permettra d’explorer progressivement l’extrême variété de notre patrimoine matériel et immatériel. Je formule le vœu d’une très bonne fréquentation de cette exposition, qui cultivera chez les visiteurs, j’en ai l’assurance, l’envie d’aller au Bénin.

7



9


Dina Naciri Directrice Générale Fondation CDG

La Fondation CDG met l’Afrique à l’honneur pour la deuxième année consécutive, en valorisant l’art contemporain de notre continent, où fleurissent partout des évènements culturels d’une très grande vitalité. En 2017, la Fondation CDG avait contribué à l’évènement culturel "L’Afrique en Capitale", Sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à travers une exposition de grande qualité de l’artiste malien Abdoulaye Konaté à la galerie d’art "Espace Expressions CDG". Cet évènement fut couplé à une performance Street Art avec la réalisation par l’artiste allemand Hendrik Beikirch, grâce à la Fondation Montresso*, d’une peinture monumentale du portrait de Najma, femme de la vallée de l’Ourika, sur la façade murale du siège de la CDG. Cap au sud cette année encore et plus précisément à Cotonou au Bénin pour découvrir cinq artistes de talent, Dominique Zinkpè, Ishola Akpo, Charly d’Almeida, Gérard Quenum et Nathanaël Vodouhè. Cette exposition itinérante est le fruit de la 1ère édition du programme IN-DISCIPLINE de la Fondation Montresso*, qui a mis à la disposition de ces artistes béninois une plateforme de création et d’exposition dans le lieu enchanteur "Jardin Rouge" à Marrakech. Les sculptures, peintures et photographies des cinq artistes ont été pensées et créées lors de la résidence d’artistes qui les avait accueillis et ont été présentées lors de la foire d’art contemporain africain "Marrakech 1.54". À travers cette précieuse collaboration entre la Fondation CDG et la Fondation Montresso*, l’Espace Expressions CDG perpétue sa tradition de lieu d’échanges culturels et de promotion de l’art dans ses diverses expressions. Cette initiative présente les démarches créatives de ces artistes, qui ferment définitivement la porte aux idées préconçues et réductrices de l’exotisme et l’innocence de l’art africain, dont a aussi souffert le Maroc avec les tendances orientalistes modernes et naïves. La Fondation CDG est fière de s’associer à ce projet qui met en valeur l’art et les artistes béninois et qui met en lumière leurs parcours et leurs contributions à l’enrichissement et la valorisation de l’art africain. Nous invitons donc nos partenaires et notre cher public à venir nombreux se joindre à nous pour partager ensemble ces moments d’échange avec nos cinq artistes, ces beaux moments de baptême des oeuvres réalisées, et surtout ces moments de consécration de l’art africain. L’exposition IN-DISCIPLINE débutera à l’Espace Expressions CDG le 5 avril, date du vernissage, pour prendre fin le 6 mai 2018.


Jean-Louis Haguenauer Fondation Montresso *

"In-discipline" pourrait cacher un jeu de mots ! Indiscipline telle qu’on le lit dans le Petit Larousse, ou "IN" au sens Anglais, qui exprimerait alors collé par un trait d’union à DISCIPLINE, le contraire de l’Indiscipline. Cette ambiguïté de lecture et de compréhension traduit alors vraiment ce que cache ce programme. La fondation Montresso* donne carte blanche à un collectif d’artistes, pour venir s’exprimer au Jardin Rouge, en poussant les limites de leurs "disciplines" ; les styles et les thèmes qui leurs sont chers et habituels sont respectés, la qualité des pièces exposées devra être exceptionnelle, l’indiscipline doit être de mise ! Le choix du pays se porte sur le Bénin, et pour la première fois un artiste se voit confier en collaboration avec les équipes de Jardin Rouge, la gestion du projet. Dominique Zinkpè, doyen du collectif, dirige alors activement ses frères : Ishola Akpo, Charlie d’Almeida, Gérard Quenum et Nathanaël Vodouhè. L’équipe, dotée des moyens techniques et matériels se met en route sur place, pour l'une des résidences les plus animées de l’histoire de Jardin Rouge. Le challenge prend forme, la fondation Montresso*, partenaire de l’événement "Marrakech 1.54 ", donne à la première édition IN-DISCIPLINE, une vitrine d’exception présentée dans l’espace d’art Montresso*. Le projet prend son ampleur et gagne sa reconnaissance. L’idée IN-DISCIPLINE est venue comme tout succès, par hasard, juste l’envie de faire ! Le Bénin a été le premier pays honoré, mais les programmes des deux prochaines années sont déjà décidés. IN-DISCIPLINE se veut pluriel, itinérant et ouvert à tous. Rabat et l’accueil qui nous est fait par la Fondation CDG dans leur magnifique Espace Expressions CDG, confirme ces voeux et cette première escale ajoute encore à la fierté du projet. La Fondation CDG, qui nous avait déjà honorés par une collaboration, nous fait la joie, l’honneur de cette nouvelle entreprise commune. À l’heure où le monde entier se réveille à l’Afrique, IN-DISCIPLINE veut aussi jouer le rôle de "passeur d’art", et révéler des artistes, des styles, des traditions, des cultures qui encore aujourd’hui sont là pour étonner et séduire.

11



13


Dominique Zinkpè Commissaire de İN-DISCIPLINE #1

Nul ne doute de la richesse culturelle et des expressions créatives de l’Afrique. À grandes enjambées, elle assume ses explorations créatives qu’elle développe avec sérénité. L’art contemporain, ses artistes et leurs oeuvres constituent un des vecteurs de ce développement artistique. L’absence d’une école des beaux-arts au Bénin est loin d’être un handicap pour la maîtrise des langages plastiques universels et des prouesses créatives. Nos artistes, en véritables pèlerins, ne cessent de faire résonner leur voix au sein de tous les grands rendez-vous célébrant l’art à travers le monde. Cotonou s’invite à Marrakech avec cinq de ses artistes contemporains les plus prolixes de leur génération. À travers leurs créations, ils questionnent avec conviction nos sociétés, non sans un trait d’humour et de poésie. Ils renvoient les reflets des facettes de notre monde et de notre continent à travers des mediums pluriels sans cesse renouvelés. La question de l’identité de soi et de son rapport à autrui est le sujet central des explorations photographiques d’Ishola Akpo. Des cohortes d’âmes sculptées fusant des mains de Nathanaël Vodouhè illustrent son nouveau concept lier la dépendance et la consumation qui témoignent de la récurrence destructrice et sans doute masochiste de l’homme. Charly d’Almeida, sondeur de l’âme et de la matière, nous plonge dans son univers où le métal occupe une place d’honneur. Avec assurance et habileté, et fort de ses croyances, il crée toutes sortes d’assemblages à partir de morceaux de métal récupérés. Les valses de Gérard Quenum, scènes de vie singulière inventées ou vécues, constituent des actes picturaux forts de quelques traits ou de traces colorées. Chacun de nous capture le monde selon son filtre, non sans une certaine indiscipline propre à la création.


15

Pages précédentes et suivantes Vue de l'exposition IN-DISCIPLINE#1 à l'espace d'art Montresso*, Marrakech Février 2018


Masque du bonheur Assemblage bois, figurines et métal 300 x 120 x 120 cm 2017


17


Gauche Couple Assemblage bois, figurines et métal 180 x 35 x 28 cm 2017 Droite Ton pied mon pied Assemblage bois, figurines et métal 215 x 40 x 32 cm 2017


19



21

Visage du roi Assemblage bois, figurines et métal 296 x 95 x 50 cm 2017


L'oeil du peuple Assemblage bois, figurines et métal 325 x 95 x 60 cm 2017


23


Harmonie humaine Assemblage bois, figurines et métal 210 x 44,5 x 26 cm 2017 Patron Assemblage bois, figurines et métal 228 x 45 x 26 cm 2017


25


Vue de l'exposition IN-DISCIPLINE#1 à l'espace d'art Montresso*, Marrakech Février 2018


27


Quelle a été votre première approche de l’art ? Dominique Zinkpè : Au commencement, alors que j’étais enfant, j’ai beaucoup lu. C’était pour moi la seule manière d’aborder l‘art qui, déjà, m’intéressait. Puis des expositions se sont organisées dans la petite ville de Cotonou où je réside actuellement. De nature curieuse, je suis allé les voir et ai visité des ateliers d’artistes en activité. Très jeune, j’ai éprouvé un intérêt pour l’art plastique. Je vivais cette découverte comme un jeu. Ensuite, une évidence s’est imposée d’exercer à mon tour. Je suis arrivé au point où étudier n’était plus nécessaire. À l’époque, dans le pays d’Afrique de l’ouest, le Bénin dont je suis originaire, l’art comme sujet d’études était relégué au dernier plan. Moi, j’avais juste envie d’œuvrer et les livres d’art, au demeurant, m’y ont beaucoup aidé. Vous êtes donc un autodidacte ? Je ne suis aucunement gêné de dire que je suis autodidacte car c’est aussi par l’exercice de la nécessité que je me suis engagé dans ce cheminement artistique. Selon moi, quand il n’y a rien, il faut créer. Certains ont la possibilité de faire des grandes études mais, dans mon pays, il n’y pas d’école d’art. Mes parents, à l’époque de mon intérêt naissant, m’ont dit « Tu veux faire de l’art mais ce sont des revenus aléatoires, ce n’est pas une vie ! ». Enfant, on ne peut rétorquer à ça. Il faudrait être juste fou (dans le bon sens du terme), fort en intelligence et en capacités pour répliquer. Il faudrait prendre possession de ce qu’on aime et le faire, prendre position, s’affirmer. Je me suis alors posé la question « qu’est-ce qu’une vie ? ». Et j’ai eu la chance d’avoir des parents intelligents qui m’ont finalement accompagné dans cette voie. De quelle confession religieuse êtes-vous ? Je me mets à nu en vous répondant. J’ai grandi dans la petite ville d’Abomey. Je suis issu d’une famille catholique pratiquante et j’allais souvent à la messe. Mais il y avait un interdit : les

autres cérémonies. Le gamin curieux que j’étais m’a conduit à assister à des exercices de culte animiste qui font aussi que mon cœur bat aujourd’hui. J’ai eu la chance d’avoir accès à des personnes qui pensent le monde au travers de cette tradition particulière. Celle-ci se base sur les quatre éléments pour comprendre l’existence de l’homme. Car c’est récurrent, l’être humain ne change pas : les mêmes gènes, les mêmes réflexions, les mêmes comportements s’associent. Quand on atteint un niveau plus élevé de maturité, on perçoit autrement la beauté des choses, on voit les éléments naturels, simplement. Ce bruissement d’idées, d’intelligences et de consciences est un patrimoine pour moi. Peut-on dire de votre œuvre qu’elle est issue de ce syncrétisme ? Quand je peins, c’est la traduction littérale de ce que j’ai vécu adaptée à mon quotidien. Je fais bien sûr une peinture profondément animiste mais je me suis concentré aussi sur un sujet précis au niveau pictural : capter l’esprit, l’âme. Je n’ai pas la prétention de capter l’âme de quelqu’un mais j’en éprouve l’envie. C’est la seule chose qu’on n’ait jamais réussi à capter. Aussi, je sonde mon âme car elle est la première que je tente d’élucider. Je compose des scènes afin d’imaginer mes doutes, mes peurs et les mettre en relation, les faire exister. Au regard de la tradition animiste, mes yeux ont vu beaucoup de choses. On peut entendre, vivre, sentir, raconter mais comment le révéler artistiquement ? Quand on vit une scène, quand on voit des cérémonies, enfermé dans une salle toute une nuit avec dix personnes autour de vous… Je veux essayer de traduire cela. Quand je ressors de ces sociétés fermées, j’ai tellement d’idées : une nouvelle compréhension du monde, une nouvelle peinture. Quelles sont les premières réactions des spectateurs vis-à-vis de cet aspect de votre œuvre ?


(rires) Parfois les gens me disent « ça fait peur ! ». Evidemment, ma peinture est chargée car j’essaie de saisir et transcrire ce que je ressens. Votre activité de sculpteur se base notamment sur des jumeaux primordiaux, que l’on appelle Ibedjis L’histoire des jumeaux est une histoire douloureuse. On les fabrique uniquement pour des parents qui ont perdu des enfants jumeaux. La société s’est organisée pour fabriquer ces poupées, les Ibejis, qui « remplacent » les enfants disparus. Les parents les prénomment, les nourrissent et les couchent dans de petits lits. J’en ai fait un matériel pour ma sculpture. Je voulais faire un travail en lien avec cette tradition qui est aussi la mienne. J’ai la croyance en la force des jumeaux. Je veux sublimer cette identité cultuelle, la transposer, l’adapter au monde de l’art contemporain. Je vois, derrière chacune de ces petites figurines, un individu, un être. Devant mes sculptures qui les composent et les rassemblent, je vois aussi une société avec ses qualités et ses parfaites imperfections. Vous situez-vous dans un mouvement d’art contemporain ? Je me situe à la limite entre l’art et la recherche mais non dans un mouvement. L’art doit avoir une esthétique et il faut montrer pour voir. Et si on peut se permettre de savoir qu’un petit béninois au fond de son pays se questionne sur les métaphores entre l’art et la nature, alors je peux me permettre d’affirmer que je suis essentiellement dans cette recherche. Comment avez-vous vécu votre résidence à Jardin Rouge Dans Jardin Rouge, j’ai emprisonné des éléments de vie dans cet atelier. Cela faisait plus de trente-cinq ans que je n’avais pas fait de rési

dence. J’ai rencontré des artistes majeurs et ai discuté avec eux, sans gêne. L’enfermement se transforme en développement. C’est une belle occasion de rencontrer d’autres mondes. Il y a un parfum de partage, on a vécu ensemble, on a mangé ensemble. Et concernant In-discipline ? In-discipline est l’émulation profonde entre l’Afrique et l’Afrique paradoxalement compartimentée. Il est temps que l’Afrique du Nord rejoigne l’Afrique sub-saharienne. C’est une occasion de nous mettre en vitrine à travers le regard croisé de plusieurs pays que se partagent un continent. La Fondation Montresso* met en place un programme pour soutenir la création et cautionner le travail de plusieurs artistes du Bénin. Nous avons sélectionné des projets. Nous présentons des photographies, des sculptures et des peintures. C’est un challenge important. Je veux que l’on ressente la réflexion des artistes africains d’aujourd’hui. In-discipline, c’est aussi rendre ce projet dans un cadre universel, avec l’idée de venir voir une exposition d’art contemporain, puis de comprendre éventuellement une appartenance culturelle. D’abord il s’agit pour le public de ressentir la recherche d’un langage universel, sans chercher à ressembler à l’autre. Dans la différence, on saura mieux faire l’ensemble et… faire ensemble. Mon souhait est que l’on voit une belle et forte exposition à travers l’hommage qui y est rendu aux artistes du Bénin.

29



31

Dominique Zinkpè lors du vernissage de IN-DISCIPLINE#1 à l'espace d'art Montresso*, Marrakech Février 2018


Tabaski Technique mixte sur toile 170 x 160 cm 2017 Histoire pour trois Technique mixte sur toile 160 x 170 cm 2017


33


Minuit Technique mixte sur toile 150 x 150 cm (3) 2017


35



37


Petit bonheur Technique mixte sur toile 160 x 220 cm 2017


39


Récréation Technique mixte sur toile 150 x 150 cm (3) 2017


41



43


Fenêtre sur paradis Technique mixte sur toile 160 x 220 cm 2017 Convoitise Technique mixte sur toile 160 x 220 cm 2017


45


Ogun Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 90 x 120 cm - édition de 6 2017


47


Balogun Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 90 x 120 cm - édition de 6 2017


49


Oshun Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 90 x 120 cm - édition de 6 2017 Oniiré Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 90 x 120 cm - édition de 6 2017


51



53

Vue de l'exposition IN-DISCIPLINE#1 à l'espace d'art Montresso*, Marrakech Février 2018


Odoudoua Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 90 x 120 cm - édition de 6 2017 Balodè Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 90 x 120 cm - édition de 6 2017


55


Quels sont tes débuts en tant que photographe ? Ma formation en graphisme m’a permis de comprendre que tout était dans le regard ; je me suis rendu compte que la lumière était une écriture, parallèlement à la puissance évocatrice des formes, et que je pouvais, à partir de mes images, donner ma propre vision du monde. Mon père a toujours voulu que je fasse de la photographie, « soit tu es photographe, soit couturier à Bamako ou au Sénégal », je ne voulais rien de tout cela. Au fil du temps, le choix de mon père m’a rattrapé. J’avais un petit blog à l’époque, je faisais les photographies pour mon propre plaisir. Barbara Prézeau, artiste, commissaire et présidente de la Fondation Africa America, a repéré mon travail et m’a invité à montrer mes photographies en Haïti. Je n’arrivais toujours pas à me considérer artiste malgré cet intérêt. Pour moi, le travail n’était pas à la hauteur de ce que les autres artistes avaient proposé. Avec du recul, c’était une chance d’avoir été invité. Il y avait des curateurs, des commissaires, des artistes avec qui j’ai discuté de mon travail qui m’ont permis de faire grandir mon approche. Tes premiers travaux étaient centrés sur le documentaire, comment a évolué ta réflexion au gré de ces projets ? Photographier, pour moi c’est avant tout rechercher le lien fiable entre la diversité du monde et ce que nous désirons en nous d’équilibre et de savoir. En 2011, je me suis intéressé aux problèmes sociaux de la jeunesse, de manière spontanée. Les redresseurs de Calavi sont des jeunes voyous de la société qui vivent dans ma banlieue. Je me suis fait agresser par ces jeunes et au lieu d’aller porter plainte, j’ai demandé à intégrer le groupe pour réaliser un travail photographique. Le but n’était pas de montrer la violence de ce qu’ils font mais la beauté de leurs corps. De manière non réfléchie, j’ai participé à leur faire voir l’image de leur corps autrement, laisser tomber la violence et acter autrement.

J’ai poursuivi mes recherches avec « pas de flash s’il vous plaît » et cette fois ci, c’est mon propre corps que j’ai pris comme sujet de représentation d’un rituel plutôt intime. J’ai commencé par questionner la lumière comme source de salut et de destruction. Si j’étais confronté à la lumière forte, que ressentirait mon corps ? Si je voyais mon corps se décomposer, quelle serait ma réaction ? «  L’impossible » est une série que j’ai réalisée sur Haïti, avant et après le séisme. Invité par Giscard Bouchotte pour la nuit blanche 2014, j’ai été par ces villes lumières qui entourent la misère d’Haïti. Il n’y a pas que le malheur qui soit le dénominateur commun; les rêves aussi. Cette série photographique questionne le caractère fataliste de l’histoire. Le séisme de 2010 aura permis aux haïtiens de partir sur de nouvelles bases, à la conquête de nouveaux rêves. Comment s’est fait la transition du documentaire vers un travail plus identitaire, plus personnel ? Ma grand-mère, sentant sa fin venir, m’a demandé de venir la photographier pour rester présente dans la mémoire familiale. J’ai exploré la mémoire de la dot à travers les objets qu’il y avait à la maison, sa cantine en bois, ses pagnes, ses perles, ses bouteilles de gin, ses bassines, ses miroirs… Ces petites choses qui sont toujours là, dans le quotidien, mais dont j’ignorais l’importante signification. Ces objets, je les ai photographiés et ainsi est née la série « L’Essentiel est invisible pour les yeux ». Ce projet m’a mené au Nigéria. Ce fût un pont, une passerelle bien tracée par ma grandmère pour retourner à la source, à la maison mère des Yorubas, à Ibadan. Je suis allé à la rencontre de cette population Yoruba dont je suis issu. J’ai décidé de porter une réflexion prospective sur la pratique ancestrale de la dot. J’ai commencé par questionner la jeune génération sur la dot d’autrefois et comment ils la pratiquent aujourd’hui, est née la série « Les Mariés de notre époque ». Aller au Nigéria, rencontrer ces jeunes, voir leur manière d’être Yoruba, à engendrer des questionnements sur ma propre identité. Suis-je


aujourd’hui Nigérian, Yoruba du Nigéria, Yoruba du Bénin où j’habite, Yoruba de la côte d’Ivoire où je suis né. Les voyages que mon travail m’offre aujourd’hui me permettent de rencontrer de nouvelles cultures et de me questionner sur mon identité lorsque je suis à l’étranger. Donc arriva ce jour où j’ai décidé de réaliser la série Daibi à travers les chasseurs Nago, la divinité Ogu et l’identité culturelle Yoruba. Quel est le propos de ta nouvelle série Daïbi ? Il s’agit aujourd’hui de vivre l’expérience du brassage culturel et identitaire, de penser l’avenir du continent dans sa multiplicité. À travers ce projet, j’ai décidé d’interroger cette notion d’identité à travers les pratiques culturelles liées à "Daibi" – dieu des chasseurs nagos de la région de savè – sorte de dieu imaginaire, sans représentation fixe. Dans la mythologie yoruba, "Daibi" réunit à lui seul l’eau, le feu, l’air et la terre. Prenant cette communauté de chasseurs et leur Dieu comme source d’inspiration, "Daibi" explore une quête identitaire à géométrie variable. Être béninois n’exclut pas d’être nigérian, ou encore d’être influencé par la culture ivoirienne. Cette série est l’écho d’une recherche personnelle, une réappropriation d’un pan de ma culture jusqu’alors mis de côté, voire perdu. Dans une dynamique d’acceptation d’une identité multiple, le retour aux sources est une étape essentielle pour admettre la complexité qui nous constitue. Cette possibilité des divinités à se muer a retenu mon attention tant elle fait écho à cette notion d’identité, qui évolue, se transforme. La série "Daibi" est une quête utopique, une proposition artistique pour inviter à poser un autre regard sur des pratiques culturelles qui, par le hasard de la naissance, marquent et influencent, non seulement notre identité, mais aussi nos trajectoires et nos valeurs. Tes recherches sur la culture Yoruba a-t-elle induit de nouvelles questions ou a-t-elle apporté des réponses ?

En tant que fils de ces traditions, de ce peuple-là, je me demande comment je peux me comporter alors que je n’ai pas grandi de la même manière. Comment je peux me réapproprier la tradition de ce peuple, moi qui prétends être un des leurs, sans en faire partie en un sens. Cette série révèle qui je suis et là ou je vais : « C’est au bout de l’ancienne corde qu’on peut tisser la nouvelle », l’ancienne corde pour moi c’est d’aller dans ma tradition pour renouer avec mes origines. Par rapport à cette première série Daibi, comment sont intervenues tes recherches à la résidence d’artistes Jardin Rouge (Fondation Montresso*) au Maroc ? Jardin Rouge est une très belle expérience. Tous mes travaux artistiques sont des expériences. Me représenter dans un contexte différent du contexte béninois yoruba est très enrichissant. Quand je suis arrivé, j’ai eu la chance d’aller à la médina, de me promener un peu, de voir les objets de cultures, le folklore. Le petit fils d’un chasseur qui débarque au Maroc à Marrakech, dans la médina, dans les souks qui essaie de prendre une autre identité, j’ai réussi mon projet et j’en suis fier. Dans cette dynamique j’ai développé un travail photographique qui amorçe le début d’un projet artistique bien plus vaste et protéiforme.

57


Aïmondé Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 90 x 120 cm - édition de 6 2017


59



61

Orisha Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 90 x 120 cm - édition de 6 2017 Akoro Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 90 x 120 cm - édition de 6 2017


Atchadjou Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 90 x 120 cm - édition de 6 2017


63


Abeda Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 130 x 130 cm - édition de 3 2017 Ogunja Impression pigmentaire sur papier satiné sous plexiglass contrecollé sur aluminium 130 x 130 cm - édition de 3 2017


65



Khalid Tamer Conseiller artistique du projet

Construire, tisser des moyens, des outils concrets pour que la jeune génération d’artistes en Afrique puisse offrir au monde entier tout ce qu’elle a à dire. Parce que cette parole est puissante, juste et nécessaire. Parce que le marché international de l’art s’ouvre de plus en plus vers le continent, venant y puisez un souffle nouveau. Au cœur de ce maillage, le Maroc présente tous les atouts pour se positionner comme la plateforme incontournable pour la promotion de l’art contemporain en Afrique. Espace fédérateur entre le Nord et le Sud.

67



Zinkpè est né en 1969 à Cotonou au Bénin. La démarche de Zinkpè est complexe et diverse. Loin de se cantonner à une écriture plastique, il s’approprie toutes sortes de média, pour autant qu’ils lui permettent de s’exprimer : installation, dessin, peinture, sculpture, vidéo. Quand on parcourt son oeuvre, il semble évident qu’il ne souhaite pas s’enfermer dans un processus de création. Au contraire, il ne cesse de s’interroger. Son art interpelle souvent, montre du doigt parfois, dénonce aussi. Les oeuvres de Zinkpè se réfèrent à son environnement et au contexte dans lequel il se trouve. La peinture de Zinkpè 69 explore des sentiers tortueux où les personnages, à mi-chemin entre l’être humain et l’animal, évoquent des jeux de pouvoir, de mascarade ou de sexe, faisant sans doute allusion à notre comédie humaine. Son trait singulier se reconnaît sur la toile; intimiste, puissant, provoquant. Quant à ses sculptures, elles sont tantôt issues de la toile de jute enroulée et tantôt naissent de petites figurines en bois amalgamé. Ses sculptures sont autant d’explorations surprenantes et de variations sur le thème des jumeaux, des croyances du sud du Bénin. Quel que soit le médium qu’il s’approprie, Zinkpè nous emmène dans les dédales de la création, pour notre plus grand plaisir ou peut être… le sien. Elise Daubelcour



Ishola Akpo est né en 1983, il vit et travaille à Cotonou. Ishola Akpo est un artiste multimédia et photographe béninois. Tout en expérimentant les possibilités du numérique et en mélangeant ses thématiques, il joue sur différents niveaux de lectures des images et en fait des métaphores plurielles. Les images mixtes, entre réalité et fiction, restent au centre de son travail. Dans la série photographique “Daïbi” sur les chasseurs Nago de la région de Savè (Bénin), il met en scène Daïbi dieu imaginaire réunissant les quatres éléments naturels : l’eau, le feu, l’air et la terre. L’exploration des pratiques culturelles révèle sa volonté de renouer avec ses origines et pose dans un même mouvement un ensemble de réflexions sur l’identité multiple. En résidence à Jardin Rouge, Ishola Akpo réalise un travail en continuité avec la série “Daïbi”. La photographie représente pour Ishola Akpo un “moyen d’expérience de soi et du monde”.

71



Charly d’Almeida est né en 1968 à Cotonou, au Bénin. Il fait partie de cette génération d’artistes qui a ouvert la voie de l’art contemporain au Bénin. Son œuvre est à l’image de cette démarche humaniste. Elle est d’abord profondément marquée par la culture africaine à laquelle il est très attaché et dont il cherche encore et toujours à traduire les signes, qui sont bien entendu régis par le Vaudou. Mais son travail est également ouvert sur le monde et ses problématiques actuelles, autant sociales que politiques ou environnementales. Le métal de récupération est aujourd’hui son moyen d’expression privilégié et le révélateur d’une œuvre toute en contrastes. D’objets périssables et périmés, rebuts de notre société de consommation, l’artiste tire des sculptures intemporelles et destinées à défier le temps. Entre ses mains, le métal utilitaire se mue en support de contemplation et de réflexion; lourd et encombrant, il donne pourtant naissance à des œuvres tendant vers l’abstraction, le symbolisme et le conceptuel, dont les titres éthérés sont chargés de mysticisme. Du matériau froid et dur, l’artiste fait naître l’émotion. Camille Bloc

73


3

2

1


5 4

Présente au Maroc depuis 2009, la Fondation Montresso* a pour mission de soutenir la création et promouvoir la diversité des champs de la recherche artistique actuelle. Par l’entremise de sa résidence artistique Jardin Rouge et de son espace d’art, la Fondation Montresso* s’investit auprès des artistes afin de favoriser une démarche inclusive, au delà des frontières et des normes. Afin d’encourager les rencontres entre les différentes démarches picturales et intellectuelles, la Fondation Montresso* s’engage également activement aux côtés des acteurs culturels locaux en multipliant ses actions hors les murs, participant ainsi à l’essor artistique de Marrakech. Les arts et la culture jouent un rôle capital dans une société contemporaine en pleine mutation. En affirmant une autre dimension du présent, l’art permet à l’individu de s’identifier, s’émouvoir et s’interroger. Parce que les artistes questionnent les rapports au monde et qu’ils ouvrent des perspectives inédites, la Fondation Montresso* se doit d’assurer son rôle de PASSEUR D’ART.

75


7

8

6


9 10

77

Les artistes en résidence à Jardin Rouge, Marrakech

11

1, 11 Gérard Quenum 2, 6 Nathanaël Vodouhè 3, 9 Charly d'Almeida 4, 8 Dominique Zinkpè 5, 7, 10 Ishola Akpo



Gérard Quenum est né en 1971 à Porto-Novo au Bénin. Peintre mais également sculpteur, ses œuvres traduisent un regard à la fois désabusé et plein d’humour porté sur une société de consommation globalisée. Quenum s’inspire de son quotidien pour aborder notre rapport à des situations de vie courante. Sur la toile, il simplifie les formes à l’extrême dans une approche graphique qui permet de figer le sujet afin de convoquer et provoquer nos réactions. L’artiste délie l’objet du contexte, le délaisse afin de mettre en évidence l’influence de ce qui gravite autour. Par cette contemplation, il impose un moment de silence. L’aspect binaire de la peinture de Gérard Quenum est non sans rappeler les techniques de pixellisation et permet ainsi d’évoquer également la confrontation entre l’image et la technologie. Du noir sur fond blanc, deux ou trois couleurs et apparaissent des personnages sans visage, des silhouettes entrevues, évanescentes, fugitives et vulnérables. Gérard Quenum nous propose un univers qui suggère tendresse et mystère.

79



Nathanaël Vodouhè est né en 1986 à Abomey, il vit et travaille à Cotonou. Nathanaël Vodouhè, artiste plasticien s’est formé dans les livres et auprès de ses aînés. Il a su créer au gré de ses expérimentations une écriture singulière. L’esprit fin, la main sûre et le trait juste, il nous entraîne sereinement dans son univers, rendant perceptibles ses chemins intérieurs. Cette atmosphère onirique dévoile une intériorité prononcée et révèle, comme nous le dit l’artiste, “ce que les yeux ne peuvent voir”. À moins qu’il s’agisse ici d’une spiritualité chuchotée. Sans doute un peu des deux. Nathanaël Vodouhè explore. Ses oeuvres parcourent les faces cachées des êtres mêlant fragments de visages associés à nos objets d’addiction. Ses sculptures et installations interrogent sur les jeux de pouvoir entre les êtres. Elles interpellent sur l’absurdité de situations qui résultent de l’exploitation de l’homme par l’homme.

81


Les témoins Sculpture assemblage métaux 200 x 145 x 30 cm 2017


83


Vie commune 1 Sculpture assemblage métaux 180 x 80 x 18 cm 2017


85

Vie commune 2 Sculpture assemblage métaux 178 x 75 x 18 cm 2017


Sagesse Sculpture assemblage de métaux 185 x 95 x 18 cm 2017


87


Humeur 1 Sculpture assemblage métaux 131 x 60 x 22 cm 2017 Humeur 2 Sculpture assemblage métaux 128 x 50 x 25 cm 2017


89

Humeur 3 Sculpture assemblage métaux 128 x 66 x 25 cm 2017 Humeur 4 Sculpture assemblage métaux 150 x 56 x 30 cm 2017


Peindre est une vocation ou une construction ? L’art est en moi, c’est inné. Je suis arrivé à la peinture par vocation. Depuis tout petit déjà, je m’intéressais au dessin, je ramassais des coquillages pour fabriquer des objets auxquels je donnais vie. Au collège, mes professeurs ont repéré mon talent et m’ont nommé responsable décoration. À ce moment-là, je me suis rendu compte qu’il me manquait des connaissances, je ne faisais pas la différence entre peintures à huile, à l’eau, entre les liants, les pigments… J’ai passé un concours pour entrer à l’atelier du peintre Kpobly. J’y ai appris à faire la part des choses, à prendre soin du médium et du support. Ce passage à l’atelier de Kpobly m’a donné le souffle pour travailler de façon autonome. Il m’a ouvert les yeux. Si tu devais expliquer ton processus de création, les différentes étapes - Comment tu emplis un espace vide de ferraille pour en créer une œuvre sculpturale ? En matière de sculpture, ma première étape est d’aller recueillir tel un collectionneur le fer, les alliages, le bronze et le cuivre. Je vais voir tout ce qui est à recycler. Ma procédure est de fouiller et recueillir des bouts de ferraille qui me parlent. Je détermine le sens des visages, je partitionne et puis je réalise la composition finale. La base de ton travail est l’utilisation du fer dans tes compositions ? Dans notre tradition, le fer est sacré, chaque objet fait référence à des dieux. La ferraille est reliée au dieu Ogu, auquel je dois par conséquent le respect. Le fer m’a toujours parlé depuis mon enfance, ces débris, ces textures ; c’est une matière noble pour moi. J’ai l’impression d’interroger davantage le regardeur à travers une œuvre pensée en trois dimensions. L’équilibre est vital et plus complexe à réaliser.


Tu énonces souvent avoir un travail inspiré du politique ? Je me positionne au Bénin en tant qu’artiste avant-gardiste. Selon moi, l’art peut éduquer et enrichir un peuple, l’art peut guérir les maux d’une nation. Lorsque le gouvernement acte de manière insensée, nous dénonçons à travers nos œuvres ces polémiques, les enfants dans les mines au Nigeria, les risques écologiques, les situations socialement dangereuses. L’Afrique entière est gérée par des présidents qui sont tous puissants, qui utilisent l’homme tel un mouton et détournent les fonds. Aujourd’hui, certaines populations n’arrivent pas à faire deux repas par jour. Et au-dessus de leur tête, on retrouve ces pilleurs. J’estime devoir parler pour le peuple grâce à mon statut d’artiste. J’aborde ce que chaque population subit du pouvoir, je les vois tristes, prenant des risques à la recherche de l’eldorado pour les voir chuter sur les côtes des rives européennes. Je me fais passeur de ces émotions-là, le bonheur, la tristesse, l’exaspération se lisent sur les visages que je construis tel que « le peuple affamé », « le monde en détresse » ou « les paroles muettes ». Qu’en est-il de ta résidence à Jardin Rouge, qu’est-ce qui t’a inspiré, comment as-tu évolué pendant cette résidence ? On a la chance d’avoir un espace de vie et de travail assez splendide. J’ai été confronté à d’autres matériaux, j’ai fait évoluer mon travail vers des œuvres à 360 degrés, chose que je n’avais jamais réalisée. L’environnement m’a inspiré, les gens dans les souks, le rapport au thé, ces espaces où tu es bien accueilli. À Jardin Rouge, nous habitons tous ensemble, il y a un fort échange interculturel. Au gré des soirs, on discutait tous ensemble, on a appris à s’accepter les uns les autres malgré nos différences. C’est aussi ces moments conviviaux qui m’ont empli d’énergie et permis de créer une toute nouvelle série de sculptures.

Cela fait maintenant plusieurs années que tu t’engages de manière associative pour faire évoluer le Bénin, offrir aux artistes un espace de création, accompagner les jeunes artistes, peuxtu nous expliquer cette implication ? Quand je suis rentré au Bénin en 2010, j’avais observé de loin le foisonnement des jeunes artistes en devenir et il s’est avéré qu’ils attendaient beaucoup de moi. J’ai créé l’association Mibo, qui signifie « unissons-nous » pour répondre à leurs attentes, réaliser un suivi, les orienter, les accompagner et les rassurer quant aux possibilités de leur avenir. Ce sont des autodidactes qui cherchaient des formations académiques. De mon côté, j’ai réussi à obtenir des financements pour une première résidence « Cénacle expérimental » qui a permis à neuf jeunes d’échanger, de travailler, de peaufiner leurs œuvres, donnant lieu à une exposition. Je continue à m’engager aux côtés de la jeunesse. Les ainés ont un devoir de partage du savoir vis-à-vis des plus jeunes. Enfin, tu as été en résidence avec les artistes d’In-disicipline#1, quel regard portes-tu sur ces artistes, quel sentiment as-tu par rapport à cette future exposition ? Grâce à la résidence du programme IN-DISCIPLINE#1, nous avons déjà eu la chance d’échanger avec d’autres artistes, j’ai donc déjà reçu le cadeau d’une autre socialisation qui m’a ouvert à d’autres questionnements sur mon art. J’attends de l’exposition IN-DISCIPLINE#1 une ouverture sur d’autres horizons. C’est ma première résidence et exposition au Maghreb, donc j’attends la réaction d’un nouveau public par rapport à nos créations, des critiques qui nous permettront d’aller au-delà de ce que nous faisons aujourd’hui.

91


L'inconscience 1 Sculpture assemblage de métaux 105 x 180 x 21 cm 2017 L'inconscience 2 Sculpture assemblage de métaux 105 x 165 x 18 cm 2017


93


Communauté Sculpture assemblage métaux 170 x 280 x 20 cm 2017


95



97

Le vrai visage 1 Sculpture assemblage de métaux 220 x 75 x 21 cm 2017 Le vrai visage 2 Sculpture assemblage de métaux 225 x 60 x 25 cm 2017


Accident Acrylique sur toile 130 x 162 cm 2017


99



101

Jeux de foot Acrylique sur toile 130 x 162 cm 2017


Pèlerinage Acrylique sur toile 130 x 162 cm 2017


103


Gravitation Acrylique sur toile 120 x 120 cm (2) 2017


105



Explique-nous comment tu es devenu artiste plasticien ? J’ai commencé le dessin à l’école puis j’ai travaillé dans la décoration. Au gré de mes rencontres, j’ai ressenti le désir d’aller au-delà, j’ai commencé à réaliser des sculptures et de la peinture. En 1999, j’ai présenté les poupées, le monde de l’art a été intéressé et à ce moment-là, j’ai commencé à voyager et pratiquer mon art de manière plus libérée. Comment emplis-tu la toile vide de tes histoires ? C’est l’espace autour de l’objet qui m’intéresse. J’ai envie de vider la toile. L’aspect des choses est une curiosité. Dans ce monde où il y a trop de bruit, trop d’accumulation, où tout passe si vite, je recherche la simplicité. Je veux montrer la simplicité des objets, leur nature essentielle en utilisant le vide. Ce n’est pas un vide en tant que tel, j’ôte le contexte et présente l’histoire dénudée, crue, vive. L’espace vide autour du sujet est finalement un espace occupé. En montrant l’objet délaissé, je mets en évidence l’influence de toutes les choses qui gravitent autour de cet objet, de cette personne. Je le délie du contexte. J’impose le moment de silence, comme lorsque notre esprit se fixe sur une image, les bruits deviennent sourds autour de nous, le vide se fait. Je crois que c’est une sorte de performance finalement. Mon travail est basé sur l’observation, j’imagine le monde fou dans lequel nous vivons par des extraits de simplicité. Depuis quelques annees, tes personnages se font plus flous, il s’impregne de noir dans la scène, peux-tu nous expliquer l’evolution de ta peinture ? En 2012, pour mon exposition à la fondation Zinsou, j’ai voulu faire le contraire de ma propre peinture. Au lieu de présenter des visages détaillés, j’ai voulu peindre ce que je ne voyais pas, ce que je ne comprenais pas de ces images. J’ai essayé de proposer une autre vision de la société, de présenter par le biais d’un regard simpliste ses

scènes de vies qui m’entourent. Les ombres sont les insaisissables, elles traduisent notre action en se déformant selon l’environnement. L’ombre est ce que nous ne pouvons pas saisir, j’ai ainsi présenté des histoires que je ne comprenais pas mais que j’essayais d’expliquer en l’isolant du contexte, en préservant le sujet. Selon toi, quel est le role de l’artiste au regard de la societe ? Un artiste est quelqu’un qui observe la société, qui s’intéresse à ce que les autres ne voient pas. Ce sont des observateurs de l’actualité. Les artistes sont des gens qui arrêtent le temps. Il fige le temps. Il y a aussi des artistes qui revendiquent, ils dénoncent les injustices de la société. J’ai commencé par un travail engagé et je me rapproche aujourd’hui d’un travail plus personnel de spiritualité dans mon observation et traduction du quotidien. Une quête de simplicité.

107


Mystère Acrylique sur toile 162 x 130 cm (3) 2017


109



111


Lady 1 Technique mixte sur bois brûlé 251 x 30 cm 2017 Lady 5 Technique mixte sur bois brûlé 203 x 30 cm 2017 Lady 6 Technique mixte sur bois brûlé 154 x 27 cm 2017


113



115

Gentleman 3 Technique mixte sur bois brûlé 213 x 30 cm 2017 Lady 3 Technique mixte sur bois brûlé 199 x 25 cm 2017


Vue de l'exposition IN-DISCIPLINE#1 à l'espace d'art Montresso*, Marrakech Février 2018


117


Lady 2 Technique mixte sur bois brûlé 202 x 30 cm 2017 Gentleman 4 Technique mixte sur bois brûlé 260 x 30 cm 2017 Lady 8 Technique mixte sur bois brûlé 208 x 25 cm 2017


119


Raconte-nous le commencement. Pendant ma toute petite enfance, je réalisais des dessins, des esquisses, des portraits, du crayonnage. Au secondaire, j’avais l’habitude de dessiner derrière mes cahiers. L’histoire a débuté à ce moment-là lorsque je voulais faire le portrait de ma maman. J’ai acheté de la peinture et j’ai peint, il m’en restait encore, alors je devais l’utiliser. J’ai commencé à peindre tout ce qui me passait par la tête. Au Bénin, il n’y a pas d’école d’art, je me suis inscrit à la bibliothèque de l’Institut français. Je me donnais des cours à moi-même. Avant, je travaillais sur le geste et la force de la peinture en tant que telle. Au gré de mes lectures, j’ai ajouté des visages mais pas tout à fait finis, ce n’était jamais figuratif, jamais abstrait, un entre-deux. J’ai eu ma première exposition à l’institut français de Cotonou en 2014. J’ai été ensuite invité par des résidences un peu partout, j’ai pas mal voyagé. C’est très important pour moi les résidences et pour tous les jeunes artistes béninois d’ailleurs, c’est l’occasion de rencontrer d’autres artistes, de discuter avec eux, d’apprendre des choses. Cette résidence à Jardin Rouge ? Chaque résidence m’a amené à une autre, ma carrière s’est formée au gré de cela. Qu’elle soit courte ou longue. La résidence à Jardin Rouge est très importante pour moi, une résidence-création, quinze pièces en un mois, j’ai été inspiré par le dynamisme de toute cette équipe, aidé par des assistants, questionné dans ma démarche par d’autres artistes tel que Cédrix Crespel ou Tilt… J’y ai ressenti une vibration de longévité. Cette série « Ladies et gentlemen » réalisée à Jardin Rouge pour IN-DISCIPLINE#1, quelle est son histoire ? J’ai commencé réellement la sculpture en 2016, mais c’est un travail “in progress”. J’ai fait


une première série de 17 pièces qui se nommait “Dépendance”. Puis, à Jardin Rouge, j’ai réalisé la deuxième “Ladies and gentlemen”. C’est peut être un travail qui aura une fin dans cinquante ans. Je vais peut-être répertorier des milliers d’objets et dédier tout une vie à ça. Je fais aussi des pilules, des rouges à lèvres. Je présente un objet qui montre le tout. Explique-nous ce questionnement sur la dépendance. Dans ma recherche, je questionne l’histoire, sans être historien, j’examine sans esprit critique la société dans son rapport à la dépendance. La cigarette, cet objet-là, représente toute la société. Passant d’un état et un autre état, existant, en fumée. Cette cigarette est l’enjeu d’un rapport de force. Ce rapport de force s’inscrit dans les questions : qui joue le jeu et qui fait le jeu ? Certaines personnes créent des addictions qui leur rapportent de l’argent. Selon moi, eux aussi, à un moment, finiront par se faire fumer, car en créant ces addictions, ils se droguent eux mêmes à quelque chose. Ils ne veulent plus que nous réfléchissions, nous sommes des automates, nous sommes tous des pions finalement acceptant de jouer. Quel est le rôle de l’artiste pour toi ? Pour moi, le rôle de l’artiste est de partager, de montrer. Je suis un artiste visuel alors je montre. Quand tu as un objet chez toi, que tu le regardes chaque jour, il te parle. Même un téléphone portable ou une télé que tu n’allumerais jamais, on est dans le rapport entre objet et humain. C’est cela qui m’intéresse, cette interdépendance, résultante d’une société malicieuse. L’artiste doit semer des graines qui vont germer. Des élèves passent à côté de mon atelier tous les jours, ils sont ébahis et apeurés à la fois par ces silhouettes de combustion. C’est une manière de dire : nous pouvons faire attention ! Si tu tires fort sur une cigarette, tu consommes beau

coup et vite. Préserve un peu ta vie, tu seras plus à l’aise ! Je suis un artiste conscient et je pense que mes œuvres telles des alertes resteront dans le subconscient de ses enfants. Tu te consumes par la consommation de ces objets. Ce sont eux qui te possèdent et non l’inverse ! As-tu vu le Bénin changer au regard de la consommation ? Chaque pays à une façon de prendre en compte les évolutions. Quand tu es jeune et que tu fumes, c’est comme un luxe, une manière de montrer que tu es grand, une manière de te rebeller. Chaque pays à ses réalités. Je n’ai jamais fumé, ni essayé. Je ne critique pas. L’addiction c’est quand tu es dans l’incapacité de dire non, quand tu es enchaîné. Tout le monde aujourd’hui est enchainé à quelque chose, traîné, au loin. Je parle de ce système dans lequel nous vivons où on ne met plus l’homme au centre de la notion de progrès. Le progrès sociétal, c’est le mal qui diminue et que le bien augmente ?! Hors, y a-t-il vraiment du progrès quand l’argent règne ? La question importante est devenue comment faire pour gagner de l’argent ? On fausse la base de données. Je pense que nous allons détruire notre génome. Nous n’avons plus assez d’intégrité pour nous questionner en tant qu’homme dans cette société. Quelles sont les questions que vous vous posez en tant qu’homme dans cette société ? Ce qui doit me préoccuper est le bien être de l’autre, si l’autre va bien alors je me porterai aussi bien. Si les gens créent de l’addiction pour que d’autres soient enchainés alors nous sommes toujours dans une forme d’esclavagisme. Toujours et encore des pions, certains étant dans l’ombre, s’amusant à tirer les ficelles de ce monde moderne… Alors je sculpte, je brûle, je peins, j’offre ma vision de ce rapport homme objet, ce rapport d’interdépendance, d’addiction. Je ne sais pas si j’éveillerai des consciences, mais il m’importe de révéler une pensée…

121



123

Nathanaël Vodouhè et Dominique Zinkpè lors du vernissage de l'exposition IN-DISCIPLINE#1 à l'espace d'art Montresso*, Marrakech, Février 2018



125

Lady 9 Technique mixte sur bois brûlé 251 x 30 cm 2017 Gentleman 5 Technique mixte sur bois brûlé 235 x 30 cm 2017


Lady 7 Technique mixte sur bois brûlé 221 x 30 cm 2017 Gentleman 2 Technique mixte sur bois brûlé 192 x 34 cm 2017 Lady 10 Technique mixte sur bois brûlé 231 x 30 cm 2017


127



129

Gentleman 1 Technique mixte sur bois brûlé 192 x 24,5 cm 2017 Lady 4 Technique mixte sur bois brûlé 232 x 30 cm 2017


Remerciements:

Aux artistes exposants : Dominique Zinkpè, Ishola Akpo, Charly d'Almeida, Gérard Quenum, Nathanaël Vodouhè. Pour leur précieuse contribution, nous tenons à remercier : Ministre//// Serge Dagnon, Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la République du Bénin au Maroc Dina Naciri, Directrice Générale Fondation CDG Jean-Louis Haguenauer, Fondation Montresso* Dominique Zinkpè, Commissaire de İN-DISCIPLINE #1 Khalid Tamer, Conseiller artistique du projet Ainsi que tous les collaborateurs de la Fondation CDG et de la Fondation Montresso* et personnes qui ont participé à la réussite de l’exposition IN-DISCIPLINE.

Réalisation : Fondation CDG & Fondation Montresso* © Les auteurs des textes Crédits photographiques : Fanny Lopez, Christian Koopmans Conception graphique : Fanny Lopez ISBN: 978-9954-624-22-7 Dépôt légal: 2018MO1340 Imprimeur: Direct Print


131



Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.