Monographie - Via Negativa - Rero

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Couverture / Cover : Sans titre / Untitled (NATURE MORTE) Extraits de la vidéo de l'installation par Cristóbal Díaz / Excerpts from the video of the installation by Cristóbal Díaz Collaboration avec / with ENVRAC France, 2012


Rero

Via Negativa


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Sommaire


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[006] Préface [007] Foreword [008] Rero ou l’éloge du paradoxe [013] Rero or the celebration of the paradoxical [017] Entretien [022] Interview [026] Urban landscapes [072] Nature [108] Ex situ [148] In autonomy [200] Liste des expositions / List of exhibitions [202] Bibliographie / Bibliography [204] Remerciements / Acknowledgments José Manuel Gonçalvès José Manuel Gonçalvès

Théophile Pillault

Théophile Pillault

Rero et Théophile Pillault Rero and Théophile Pillault


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José Manuel Gonçalvès

[FR]

Préface

Par quelle alchimie naît et nous impacte la puissance des interpellations écrites de Rero ?

L’« image Rero », inventée à partir d’éléments simples, tels le choix de la typographie populaire Verdana augmentée par la force de ce trait qui vient la surmonter, est reconnaissable sous toutes les latitudes et participe, à l’évidence, du succès public de ses interventions. Mais, aussi prégnante soit-elle, cette image ne pourrait être qu’autopromotionnelle si elle n’existait dans un espace tout aussi sensiblement choisi. Sa signature est devenue signal par le contexte de son apparition. À chaque irruption, la pertinence ou l’impertinence de ces signaux s’apparente à un manifeste. Dès lors, on ne peut comprendre son œuvre qu’au travers de sa recherche d’espace qui fonde l’autre élément indissociable constitutif de son vocabulaire. Sa recherche est donc bien tout autant dans l’écrit et l’image que dans l’espace. Si le mot livre d’emblée une première information, et le trait agit comme une contradiction pour former une figure oxymore, l’ensemble forme déjà une première activation critique. L’image paradoxale ainsi constituée, la figure critique est prête pour faire basculer l’espace support dans sa dimension sociale, en même temps qu’il ouvre un territoire à la pensée. La fresque révolutionnaire peut dès lors remplir sa fonction en appelant à la mobilisation, comme dans l’histoire des murs contemporains, mais également des tableaux du XIXe siècle ou du graff.

Rero pousse la perspective ou plutôt la mise en perspective de nos contradictions pour (re)considérer le bâti ou la nature à l’aune non plus d’une fonction mais d’une relation avec la société. Il remet l’être humain face à ses choix. Il ne s’agit pas d’avoir le mot juste mais la relation juste pour aiguiser, mobiliser la pensée. Il associe le geste à la parole ; c’est en ce sens que ses mots sont bien plus qu’image, plus que graff : de la pensée projetée. C’est un territoire nouveau qui s’ouvre sous nos yeux, non pas vindicatif ou guerrier mais poétique ! Plus proche d’une littérature à écrire, bien plus puissant qu’un tag dénonciateur qui, souvent, clôt aussi vite qu’il apparaît tout échange. C’est dans ce moment-là que chaque lieu, bâtiment, paysage semble à la fois comme englouti dans le signe et réinterrogé dans sa fonction sociale. C’est ce choc émotionnel, cette ouverture synaptique qui nous met dans le tremblement d’une pensée non figée, en aller-retour incessant et fertile, une pensée qui se mobiliserait pour considérer à nouveau ces espaces plus ou moins étendus en une multitude de territoires vitaux pour l’être humain. Rero est de ces artistes pourvoyeurs de signes, de formes généreuses et nécessaires, où l’intelligence sensible s’assume dans un engagement pour une Terre à mieux respecter, à mieux partager.


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José Manuel Gonçalvès

[EN]

Foreword

What is the alchemy that lends Rero’s written utterances their sheer power and impact?

One obvious factor that contributed to the public success of his interventions is the invention of a “Rero image”. Based on simple elements such as the choice of popular typeface Verdana and the strength of a line striking through the letters, it has become a recognizable signature around the world. However, this image, while essential, could be nothing more than self-promotion if it was not set in such carefully chosen spaces. Rero’s signature becomes a signal through the context of its apparition. With each occurrence, the relevance or the provocativeness of these signals turns them into manifestos. The second pillar of Rero’s work and an inherent foundation of his vocabulary is his investigation of space. His research thus spans written word and image as much as space. The word immediately delivers an initial piece of information while the line acts as a contradiction, creating an oxymoronic figure: the sum of these two elements already brings a first level of critical actualization. But in addition to the production of this paradoxical image, this critical figure brings out the social dimension of its setting, opening up a new territory for reflection. The revolutionary mural can thus fulfil its function as a call to arms, in the tradition of contemporary mural art, but also that of 19th century painting or graffiti.

Rero puts our contradictions into perspective and (re) visits buildings or natural spaces, no longer through the sole prism of their function but through that of their relation with society. He forces humans to own up to their choices. His purpose is not to find the right word but to create the right relation, to sharpen and activate our thinking. In this sense, Rero’s words are more than images, and more than graffiti: they are a projection of the thought. The new territory that opens up before our eyes is not vindicative or belligerent but poetic. More akin to literature, it is much more powerful than a rebellious tag that often forecloses the conversation as soon as it appears. Every place, building or landscape is both swallowed up by the sign and challenged in its social function. The emotional shock and the opening up of synapses, create a vibration that keeps our thinking in perpetual motion – constantly leaping back and forth, reinterpreting these spaces of diverse sizes as vital territories. As an artist, Rero is a purveyor of signs, of generous and salutary forms, embracing sensorial intelligence to call for a more respectful and sharing world.


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Biographie

Texte de Théophile Pillault

[FR]

Rero ou l’éloge du paradoxe

Déménagements, ruptures, exploration architecturale, vie urbaine à 360 degrés, esthétiques nouvelles et chocs culturels… Alexis est un pur produit des Nineties hexagonales. Né en milieu rural, à Beaune, en 1983, il y restera trois années avant de partir un an à Ouagadougou (Burkina Faso). «¾Mon père était ingénieur agronome, nous le suivions dans ses déplacements professionnels¾», se souvient l’artiste. «¾Nous sommes ensuite revenus dans le sud-ouest de la France, à Villeneuve-sur-Lot, durant quatre à cinq ans. Mon père travaillait alors dans un haras. Je dessinais ce que je voyais, ici des chevaux, que j’allais ensuite vendre, pour dix francs, où mon père travaillait.¾» Finalement, après un passage à Saintes, le jeune Alexis arrive à Paris : «¾Je suis alors en cinquième, et nous vivons dans le 13e arrondissement, place Souham. Porte de Vitry, où je jouais au football, est à trois stations de bus.¾» Durant ces trajets, certains de ses jeunes camarades tracent d’étranges arabesques sur la buée des vitres : «¾En fait, je pensais que le graffiti était un langage crypté, un ensemble de messages codés, à destination des initiés. Une langue compréhensible uniquement des autres graffeurs. Aux prémices de mon adolescence, je suis un jeune campagnard, plongé dans un milieu urbain très intense. Nous sommes alors au milieu des an-

nées 1990, et le graffiti me choque, littéralement. Je me plonge immédiatement dans cette culture. Je suis absolument bouffé par ce mouvement. Sa force d’impact résonne parfaitement avec mes aspirations d’alors.¾» Alexis vit à proximité des Frigos et du terrain de Dunois – dans le 13e –, où il croise, à l’âge de douze ans, le binôme Os Gêmeos1, venu peindre une fresque monumentale : «¾un autre choc esthétique, qui a beaucoup compté¾». Il va alors endosser un pseudonyme : il sera désormais Aurer2. Aurer arpente le bitume, bouffe du béton : «¾Je ne quittais pas le macadam. J’étais constamment en ville, livré à moi-même. Mes parents venaient de divorcer, ma mère travaillait énormément. Bref, c’était une vraie période de rupture, à tous points de vue. Je passais tous les samedis après-midi à griffonner des sketchbooks3 avec mes amis du collectif SRE…¾» Avant de sortir, et d’aller s’exprimer sur des murs, dans les lieux abandonnés de Paris Sud, à l’époque foisonnant laboratoire d’exploration urbaine. «¾J’avais un style courbé, un peu rond. Mais propre. Si j’ai fait quelques trains, des camions ou des stores, le gros de notre activité portait sur de grosses pièces, réalisées avec mes amis, dans des terrains vagues.¾» Le 13e des années 2000 en regorgeait. «¾En fait, j’avais besoin qu’il y ait quelque chose de sociétal dans


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le fait de peindre dans la rue. Pour moi, le graffiti, c’était surtout pratiquer avec mes amis. C’était être ensemble.¾» Sa mère viendra le chercher au poste, le jour de ses seize ans : «¾Je crois qu’au fond, elle comprenait, d’une certaine façon, le fait de peindre sur des murs. Elle comprenait cette transgression, opérée par des bandes d’adolescents jetés en milieu urbain. Naturellement, le graffiti ne m’a pas été interdit, à condition que je fasse des études.¾»

Une basket dans le corporate pour honorer le «¾deal parental des études¾», l’autre dans les terrains vagues, aux côtés des potes Jovok, 1per et surtout Pech, qui l’influencera beaucoup, Alexis va pourtant s’affranchir du graffiti parisien : «¾D’un point de vue formel et plastique, le tag m’a immergé dans le lettrage, le design des lettres, la calligraphie. J’y suis passé avec beaucoup de plaisir, mais il s’agissait in fine d’une expérience initiatique. Mon passage n’y a constitué qu’une étape transitoire. Dédiée surtout à la recherche du style.¾»

Paris est alors sous le coup de la seconde vague de la scène graffiti. Les grandes actions de répression, organisées à la demande des services de transport urbain – notamment par la SNCF et la RATP –, ne se sont pas encore abattues sur les writers parisiens et la ville reste particulièrement marquée. «¾Je regardais O’Clock, Psyckoze, John (JonOne, ndr) avec beaucoup d’admiration¾», se souvient Alexis. «¾Il y avait également quelque chose de violent dans la scène graffiti d’alors. Il y avait de la violence ainsi qu’une forme d’académisme, un ensemble de règles qui rendait finalement la pratique extrêmement codée, étiquetée, par style. Je ne me suis jamais vraiment retrouvé dans cet état d’esprit… Dans le même temps, je n’ai jamais subi de réelles pressions, ni subi la fameuse dépouille, cette menace urbaine qui pesait sur certains graffeurs de l’époque, lorsqu’ils sortaient d’un fameux magasin4 de bombes à Saint-Ambroise.¾»

Entre 2004 et 2005, il part préparer un diplôme d’art et design au London College of Communication. Une année au cœur d’Elephant and Castle – essentielle –, durant laquelle le jeune apprenti s’ouvre aux arts appliqués : «¾Toile, pochoir, collage, sérigraphie, composition, couleur, typographie, ligne ou espace… Cet exil créatif m’a permis de prendre le temps d’appréhender l’œuvre dans son approche formelle. De développer des raisonnements, de découvrir de nouvelles techniques.¾»

Il faut dire qu’Alexis est déjà un géant au crâne rasé de près de deux mètres. Un géant qui a des envies d’ailleurs : «¾Début 2000, je participe à Paris Jeunes Talents, organisé alors à Porte de Saint-Ouen. J’y présente un travail sur toiles, et je ressens déjà l’intérêt du travail en atelier. Dans le même temps, je mène mes études en gestion des entreprises, de façon studieuse…¾»

Finalement, Alexis va se séparer de l’image pour garder le texte. Pour garder les mots. S’il faut un certain usage avant de pouvoir lire un graffiti, vous n’y lirez jamais plus qu’un nom : «¾Je savais qu’il fallait que j’intervienne dans la rue, mais je voulais dans le même temps m’effacer le plus possible de cette pratique égomaniaque du pseudonyme¾», explique l’artiste. «¾D’où l’arrivée des messages, du Verdana, du barré dans mon travail.¾»

Portrait de Rero / Portrait of Rero, Villejuif, 2003

Les œuvres qu’il produit durant son année londonienne s’articulent généralement autour d’un texte, toujours chaîné d’une image. C’est à Londres qu’il va se débarrasser du doublon opéré par l’image : «¾On m’a dit que les deux signifiants n’étaient pas nécessaires. Texte ou représentation, un seul des deux suffisait. Il fallait, d’une façon que je parvienne à en dire moins, et mieux.¾»


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Sans titre / Untitled (WE ARE SORRY BUT THIS IMAGE IS NOT AVAILABLE…)

Installation en extérieur / Outdoor installation Collaboration avec la / with the Fabien Castanier Gallery Los Angeles, 2012


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Sans titre / Untitled (ERUVAB)

Installation sur panneaux publicitaires des Graphiquants / Installation on billboards by Les Graphiquants Collaboration avec / with Jules Hidrot Paris, 2012


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Sans titre / Untitled (DÉGAGE…)

Installation en extérieur / Outdoor installation Collaboration avec la / with the mairie du 13e arrondissement & Galerie Itinerrance Paris, 2011


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[FR] «¾Cette œuvre est inspirée d’une citation de Rûmî (Djalâl ad-Dîn Rûmî), qui a beaucoup influencé le soufisme : "La vérité est un grand miroir tombé du ciel qui s’est brisé en mille morceaux, chacun possède un tout petit morceau mais personne ne détient toute la vérité." Chacun ne détient qu’un fragment de vérité. Ce n’est qu’en en confrontant des bribes avec les autres que l’on construit une vérité commune. J’aime questionner cette idée par le détournement d’objet. Ici, un drapeau. Drapeau sous lequel on se rallie, se rassemble pour faire corps avec une vérité. Une étoffe portant les couleurs et les emblèmes d’une nation ou d’un groupement, servant de signe de ralliement pour servir le même "ISME". J’ai alors décidé d’imprimer le fond du ciel dans lequel le drapeau flotte habituellement, et de questionner cette idée de vérité en y brodant de manière très classique, l’aphorisme barré "I HOLD THE TRUTH…" J’invite alors son propriétaire à expérimenter et à performer ce drapeau dans différents contextes. Sous la pluie, en plein soleil, de nuit, en pleine nature, dans un contexte urbain, lors d’une manifestation, d’une cérémonie, d’un mariage, dans un espace privé.¾» – Rero [EN] “This piece was inspired by a quote from Rûmî (Djalâl ad-Dîn Rûmî), who was a major influence on Sufism: ‘Truth was a mirror that fell from the sky and broke into a thousand pieces. Everybody has a tiny piece of it but nobody holds the whole truth.’ Each of us only has a fragment of the truth. It is only by comparing these fragments with others that we can build a shared truth. I wanted to question this idea by using repurposed objects – in this case, a flag. People rally under a flag and come together under a shared truth. This piece of fabric that carries a nation or a group’s colours and emblems functions as a rallying sign to serve a common ‘-ism’. So, I decided to print the sky background against which the fly usually flies, and to question this notion of truth by embroidering the crossed-out aphorism: ‘I HOLD THE TRUTH’, using a very traditional process. The owner of the flag is then invited to experiment and perform with this flag in different settings. Under the rain, in the sun, at night, in the wilderness, in the city, at a protest, a ceremony or a wedding, in a private space…” – Rero


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Sans titre / Untitled (I HOLD THE TRUTH…)

Drapeau imprimé et brodé / Printed and embroidered flag Dans le cadre du projet « Courts-Circuits », initié par Rouge et porté par la Fondation Desperados pour l’Art Urbain / As part of the project "Court-Circuits", initiated by Rouge and carried out by the Fondation Desperados pour l'Art Urbain Paris, 2019


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Sans titre / Untitled (DÉCADENCE…)

Installation en extérieur / Outdoor installation Collaboration avec l’espace d’art / with the art centre La Lune En Parachute Épinal, 2012


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Sans titre / Untitled (SENSELESS…)

Installation en extérieur / Outdoor installation Leipzig, 2012


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Sans titre / Untitled (I SOLVE ALL YOUR PROBLEMS EVEN THE MOST DESPERATE…)

Installation en extérieur / Outdoor installation Biennale Rose Béton, Université Paul-Sabatier Toulouse, 2019

[FR] «¾L’artiste explore la marchandisation du miracle, le marché d’offre et de demande créé par les espoirs déçus, la peur, l’insécurité, mais aussi la soif que tout être humain éprouve pour la magie et les histoires. Il pose la question du rituel, voire celle des actes psycho-magiques tels que les théorise Alejandro Jodorowsky. En somme, le pouvoir que peut exercer la croyance, les effets qu’elle peut produire indépendamment de la raison, à travers un inconscient collectif commun et universel.¾» – Cécile Renoult [EN] “Rero explores the commodification of the miracle, the market of supply and demand created by disappointed hopes, fear, insecurity, but also the thirst that every human being feels for magic and stories. He raises the question of ritual, and even that of psycho-magical acts as theorized by Alejandro Jodorowsky. In short, he explores the power that belief can exercise, the effects that it can produce regardless of reason, through a common and universal collective unconscious.” – Cécile Renoult


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Sans titre / Untitled (I SOLVE ALL YOUR PROBLEMS EVEN THE MOST DESPERATE…)

Installation en extérieur / Outdoor installation Biennale Rose Béton, Université Paul-Sabatier Toulouse, 2019


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Rero

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