Pages romandes - Secret de fonction et fonction du secret

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No 2 avril 2010

Secret de fonction et fonction du secret


Le prochain Forum dit «de Tignousa» aura lieu à Vercorin (Valais) les 23 et 24 octobre 2010

Thème: «Les passerelles» Réservez la date! Des informations plus détaillées paraîtraont dans les prochains numéros de Pages romandes

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Sommaire

Impressum Pages romandes Revue d’information sur le handicap mental et la pédagogie spécialisée, éditée par la Fondation Pages romandes, Institution de l’Espérance, 1163 Etoy

Dossier:

Conseil de Fondation Président : Charles-Edouard Bagnoud

Secret de fonction et fonction du secret

Rédactrice et directrice de revue Secrétariat, réception des annonces et abonnements Marie-Paule Zufferey Avenue Général-Guisan 19 CH - 3960 Sierre Tél. +41 (0)79 342 32 38 Fax +41 (0)27 456 37 75 E-mail: mpzu@netplus.ch www.pagesromandes.ch Comité de rédaction Membres: Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga, Sébastien Delage, Olivier Salamin, Marie-Paule Zufferey Responsable de publication: Charles-Edouard Bagnoud

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3 Editorial Marie-Paule Zufferey

7 L’intimité sous la loupe Marie-Paule Zufferey

Tirage minimal: 800 exemplaires

Fr. Fr. Fr. Euros

2 Tribune libre Olivier Salamin

4 Dans le secret des lois Sébastien Delage

Parution: 5 numéros par an Mi-février, mi-avril, mi-juin, mi-septembre, début décembre

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8 Le dilemme du travailleur social Sylvie Diethelm 10 Le culte du secret, facteur de dysfonctionnement mutuel? Claude-André Dessibourg 12 Y a-t-il un cadavre dans le placard? Michel Cattin 14 Secret et lien social Marie-Christine Ukelo 16 Intégration et scolarisation de Bryan, élève Asperger Sonia Curchod 19 Recensement et promotion artistiques, Mir’arts se dévoile Olivier Salamin 20 Quand la recherche dynamise l’action éducative: l’évaluation de l’Appartement pour adultes atteints de T.E.D. Véronique Zbinden Sapin et Pierre-André Chavanne 22 Boîte à outils: idées simples, grands choix Sébastien Delage 23 Sélection Loïc Diacon 24 Séminaires et formations

©Pages romandes


Tribune libre

En marge du secret, le mythe du complot Olivier Salamin, psychothérapeute, directeur Asa-Valais, Sion

De retour à Genève, Robert Langdon se fait soigner aux HUG pour sa psychose paranoïaque depuis dix-sept mois (pour son passage au CERN, voire «Anges et Démons»). Trois complots mondiaux, une rencontre avec la descendance du Christ, un conclave qui a viré au cauchemar et des francs-maçons infiltrés partout, il y avait de quoi perdre la boule... Robert inspire profondément et regarde sa montre Mickey, souvenir d’enfance et héritage de cette fameuse nuit passée au fond d’un puits. Encore 10 minutes avant son dernier rendez-vous. Ce matin, Langdon n’est pas parvenu à faire ses 50 bassins, il sent que le moment est venu de tourner la page, de reprendre son travail à l’Université. Les thérapies comportementales lui ont fait le plus grand bien: il ne voit plus des symboles partout. Jusqu’à ce petit signe qui le réveille. Parmi les revues pêle-mêle sur la table de la salle d’attente, il voit un poinçon. Le symbole rond est parcouru de rayon dans sa moitié supérieure, alors qu’il repose sur une base complète. C’est - ou pourrait être - une représentation de l’aube d’un jour nouveau; sauf que Robert a déjà vu cet insigne, il en est certain à présent. Il revoit la broche de la psychiatre à laquelle il s’est patiemment confié. Une perle de sueur goutte de son front... Langdon prend la revue. «Pages romandes», ancienne revue de l’ASA dont la rédactrice est valaisanne. Et là, tout s’enchaîne; le symbole est franc-maçon c’est une évidence! L’ASA, qui se lit aussi bien dans un sens que dans l’autre marque le lien aux «Iluminatis» et le Valais - pays d’origine de la rédactrice représente forcément, par sa capitale, le Prieuré de Sion. Durant tout ce temps, le chaînon manquant était sous ses yeux: www.pagesromandes.ch! Robert part d’un rire hystérique qui effraie les patients puis le personnel. Celui-ci surgit, une seringue à la main…

Dans le colloque où le cas de Dan Brown est exposé, le «Dr» Pierre-André Taguieff, qui a déjà patiemment démonté le «Da Vinci Code» et autre symbole perdu (Cf. référence) présente également la situation de Robert Langdon. L’analyse de ce cas lui permet d’inventorier, à l’intention de ses distingués collègues, les ingrédients nécessaires à l’élaboration de la thèse d’un complot mondial bien ficelé: • Robert Langdon, homme rationnel s’il en est, professeur à Harvard, fait face comme chacun, à la fin de la théologisation et à un relativisme généralisé qui ne permettent plus d’établir des critères d’analyse rationnels; • Son besoin de sens est insatisfait, ce qui l’inquiète: il ne peut plus facilement le nommer; • Même si des luttes contre l’uniformisation voient le jour et cherchent à expliquer la marche désespérée et insensée du monde, devant sa complexité, une initiation et un décodage semblent nécessaires pour parvenir à

une ébauche de compréhension; • La demande de savoir, face à un sentiment d’ignorance et d’impuissance – ce qui est insupportable à notre sémiologue - trouve des réponses simples dans le mythe complotiste; • Comme la mondialisation de la communication permet, via Internet, la propagation des rumeurs les plus folles, «le complotisme opère un réenchantement du monde, en repeuplant le devenir de forces magiques et de puissances occultes (…) le négatif étant mis au compte du destin, il n’y a (…) rien d’autre à faire que de l’accepter.» (pp. 198-199). Toutefois, ce cher Robert voudra bien accepter votre piqûre, même si: «(…) les productions culturelles mêlant ésotérisme et complotisme constituent un produit de substitution à une époque où la vie manque de sacré.» (p. 199) Tout cela fait bien des raisons de croire qu’un bon secret... mais chut, ne le dites à personne...

Références Taguieff, P.-A. (2006). L’imaginaire du complot mondial: aspects d’un mythe moderne. Barcelone: Mille.et.une.nuits. Extraits: (?) «C’est la grande "utilité" (…) de (…) la "Théorie du complot" (conspiracy theory): répondre à une demande (…), se mettre en mesure de donner du sens à ce qui en paraît dépourvu, et qui inquiète. (…) l’obscurité semble s’accroître avec l’incertitude, laquelle provoque le désarroi et nourrit des angoisses. D’où l’intensification de la demande de sens, et l’extension du domaine du complot.» (p. 14) «S’il (le mythe du complot) fonctionne si bien, s’il ne cesse de trouver un public, c’est parce qu’il est fabriqué avec ce que Tocqueville appelait les "gros lieux communs qui mènent le monde".» (pp. 16-17) «(…) la "Théorie du complot" consiste à poser que tous les maux observables dans les sociétés sont dus à une complot des puissants, qui dissimuleraient leurs desseins sous de nobles intentions (…). Un complot peut se définir minimalement comme un récit explicatif permettant à ceux qui y croient de donner un sens à tout ce qui arrive, en particulier à ce qui n’a été ni voulu ni prévu.» (p.17) «Le schéma explicatif rassurant consiste à désigner les responsables de tous nos maux. C’est ainsi que les récits ou scénarios complotistes donnent du sens aux événements historiques sidérants ou déroutants, en fournissant des explications simplifiantes, en général fausses ou douteuses, de leurs conditions d’apparition. Et ils le font sur le mode de "révélations", qui satisfait à la fois le goût du secret et le désir de curiosité.» (p. 19)


Edito

En toute confidence... Marie-Paule Zufferey, rédactrice

Le cardinal irlandais Sean Brady sera-t-il appelé à démissionner après avoir avoué sa participation à la mise en place d’une omerta autour du scandale de ses prêtres pédophiles? Vous savez, ces séances où les victimes, venues dénoncer les pratiques de certains ministres du culte, étaient invitées à signer un engagement de silence... La place financière suisse saura-t-elle tirer des leçons de la pression internationale exercée autour de sa capacité légendaire à cacher des avoirs clandestins? En Valais, le médecin-chef d’un hôpital régional se voit «licencié pour violation du secret médical»1. Dans les faits, ce praticien mettait en cause la qualité de certains actes chirurgicaux pratiqués dans l’établissement où il exerçait. La réponse la plus adéquate de l’autorité à ces accusations eût été, semble-t-il, de faire connaître au public les données factuelles et chiffrées concernant, notamment, le taux de morbidité relevé dans le service en question, par l’OVS2. Impossible, répond ce dernier, «ces données sont récoltées mais pas publiées»! Voilà une information propre à venir ajouter à l’opacité d’un système déjà peu enclin à la communication... Ces quelques événements récents viennent opportunément souligner l’actualité de notre démarche: interroger le secret. Il n’est pas inutile, en effet, de remettre en question, à intervalles raisonnables, une notion qui affiche une telle tendance étymologique au mystère, à la culture du flou. Les limites et les motifs du dire et du taire, mis en place par une personne engagée dans une relation d’aide ou d’accompagnement, demandent à être constamment revisités et redéfinis. Ce dossier est une invitation au voyage dans les arcanes du secret, s’agissant des relations professionnelles. Dans les rapports de société, la transparence absolue n’est pas souhaitable. Ainsi, les institutions sont-elles appelées à définir une sphère de «droit privé» pour leurs résidents. Mais ces limites à l’information divulguée ne doivent en aucun cas permettre de couvrir des dysfonctionnements ou des pratiques inadéquates, inquestionnées parce qu’impunément protégées des regards extérieurs. Je vous le dis en toute confidence: le culte du secret n’est pas mort. Je l’ai encore rencontré dans certains établissements, qui le transmettent à leur personnel sous la forme d’une étrange culture d’entreprise: «Nous voulons bien répondre à votre question, mais ne l’écrivez pas...» 1 2

Le Nouvelliste, 25 février 2010 Observatoire valaisan de la santé


Dans le secret des lois

Les balises du travail social Sébastien Delage, éducateur spécialisé, Savagnier

Quels sont les règlements, lois et codes qui balisent la vie professionnelle des travailleurs et travailleuses du domaine social? Entre secret de fonction, devoir de discrétion, valeurs personnelles et informations qu’il est nécessaire de partager avec d’autres intervenant-e-s, pas facile de s’y retrouver. Afin d’ouvrir la discussion sur ce thème, Sébastien Delage a revisité les textes législatifs et autres codes de déontologie auxquels sont soumis les accompagnant-e-s de personnes en demande d’aide.

Parfois, la vie professionnelle nous amène aux limites de ce qu’a pensé le législateur, puisque, par-delà les considérants les meilleurs de notre mission sociale, c’est la réalité de l’homme, de ses aspirations et de ses impossibles à laquelle nous, travailleurs sociaux, devons faire face chaque jour. Dès lors, pourrait se poser la question du délicat équilibre entre respect des lois, respect de nos valeurs propres et respect des us et coutumes du travail social; et, suivant l’air du temps, l’on pourrait se retrouver bien fâcheusement coincé entre des pôles irréconciliables: un des pôles dicterait de ne pas divulguer d’informations confidentielles. Un autre dirait: «Oui, en tant que travailleur social, on doit divulguer pour éviter d’être complice de ce qui aurait dû se savoir». Ainsi, le secret est la dissimulation et l’absence de transparence... mais c’est aussi la préservation des sources, la protection des données, le respect de la privauté des vies. C’est entre ces deux pôles en apparence décidément très opposés, qu’exerce le travailleur social. Et puisque force reste toujours à la loi, voici quelques rappels de la loi… et de ses limites, en quelques questions qui se sont certainement un jour ou l’autre, posées à chacun et chacune d’entre nous. Le but étant de dresser un panel général des droits et obligations en la matière, il ne s’agira par contre pas, ici, de traiter des jurisprudences sur le sujet.

Les travailleurs sociaux sont-ils soumis au secret professionnel? Tout d’abord, tordons le cou à une vieille légende: combien de fois n’avons-nous pas invoqué notre fameux secret professionnel pour refuser de donner une information d’ordre médical à un tiers? Eh bien, c’est faux… tout en étant juste... L’article 321 du Code Pénal Suisse (CPS) dit: «Les ecclésiastiques, avocats, défenseurs en justice, notaires, contrôleurs astreints au secret professionnel en vertu du code des obligations, médecins, dentistes,

pharmaciens, sages-femmes, ainsi que leurs auxiliaires, qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l’exercice de celle-ci seront, sur plainte, punis de l’emprisonnement ou de l’amende. (…)» Ainsi, le médecin et son personnel assistant sont-ils soumis au secret professionnel. Par contre, comme travailleurs sociaux, nous ne sommes pas des auxiliaires des médecins, même si nous travaillons parfois autour des mêmes bénéficiaires. Stricto sensu, pas de secret professionnel pour les travailleurs sociaux, sauf si notre employeur est médecin, pharmacien... Par contre, nous devons protéger la personnalité de ceux qui nous sont confiés. Ainsi le stipule notre code de déontologie du travail social.

Déontologie et discrétion Le code de déontologie des professionnelle-s du travail social (CDT) «s’adresse à l’ensemble des professionnel-le-s du travail social» (CDT, art 2, al 1, 2006). De ce fait, nous sommes très directement concernés par la déclaration suivante: «Les professionnel-le-s du travail social observent le devoir de discrétion professionnelle. Les données concernant les usagers, les usagères ou les client-e-s sont traitées de manière confidentielle. Il en va de même une fois que le rapport professionnel prend fin.» (CDT, art 6, al 1, 2006). Ainsi, si nous ne pouvons pas parler de secret professionnel, nous sommes toutefois liés par un sévère devoir de discrétion. Au sens de l’article 394 du Code des Obligations (CO), la relation travailleur social-bénéficiaire peut être vue comme un contrat de mandat qui nous dicte un devoir de fidélité (398 al 2. CO) dont découle, logiquement, le devoir de discrétion. Le CO s’attache encore à définir les contours du secret des affaires et de l’obligation de loyauté et de non-concurrence entre un employé et un employeur. Sont également précisés les entours du secret de


fonction, mais dans le contexte des commissions tripartites: par-delà le devoir de discrétion, il y a donc des situations ou des intentions particulières qui restreignent la capacité de tout dire.

Discrétion professionnelle et obligation de renseigner Quand bien même le code de déontologie des professionnel-le-s du travail social restreint la divulgation d’informations, il ne constitue pas en soi une loi fédérale, mais plutôt un garde-fou déontologique dont les sanctions ne seront qu’internes. «Selon la gravité de l’infraction au code de déontologie, les sanctions suivantes peuvent être prononcées: l’avertissement, l’exclusion de l’association, l’exclusion avec communication aux tiers intéressés. (…)» (CDT art 17, al 2, 2006). Il faut dès lors remonter «ailleurs» dans l’énoncé de ce qu’obligent nos lois fédérales, pour saisir ce qui est protégé par le secret, et les circonstances ou intentions qui autorisent une divulgation. C’est là qu’intervient l’art 320 CPS, très clair, invoquant le secret de fonction: «Celui qui aura révélé un secret à lui confié en sa qualité de membre d’une autorité ou de fonctionnaire, ou dont il avait eu connaissance en raison de sa charge ou de son emploi, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. La révélation demeure punissable alors même que la charge ou l’emploi a pris fin». Comme travailleurs sociaux, nous sommes, en emploi, soumis au secret de fonction.

Renseignements privés et renseignements publics Au niveau fédéral, le secret lié à la charge de probation, les secrets de

l’industrie, les secrets liés à la correspondance postale et à la communication inter-personnelle, ceux de la diplomatie, ceux du secret de vote, ceux des débats d’une autorité, ceux du secret militaire sont clairement mentionnés par le CPS. De plus, son article 179 quater ajoute une notion intéressante: celle du «domaine secret de la personne», cousin du «domaine privé». Donc, le domaine «réservé» de nos vies privées doit être respecté, étant considéré qu’est privé «un fait ne pouvant être perçu sans autre par chacun et qui relève du domaine privé de celle-ci». Si l’art. 179 concerne avant tout la violation du domaine privé au moyen de prises de vue, on peut penser que la définition de ce qui est privé concerne également les autres moyens illicites d’en prendre connaissance. Le domaine privé, c’est donc ce que nous ne souhaitons pas que d’autres puissent observer de nous-mêmes. Et dans nos vies, il faut alors différencier les données sensibles des données moins sensibles.

Des données particulièrement sensibles La loi fédérale sur la protection des données (LPD) donne un «classement» de ce qui est donnée sensible, valable pour son champ d’application, mais fort instructif car extensible directement au domaine de l’action sociale: (LPD, art.3) «On entend par données sensibles, les données personnelles sur: 1.- les opinions ou activités religieuses, philosophiques, politiques ou syndicales; 2.- la santé, la sphère intime ou l’appartenance à une race; 3.- des mesures d’aide sociale; 4.- des poursuites ou sanctions pénales et administratives». Ainsi, une partie non-négligeable des données que nous collectons dans le

cadre de nos champs d’activités sociales, sont à considérer comme des données sensibles, soumises à un devoir de discrétion, d’exactitude et de soin particulier.

Quels dangers et devoirs dictent le traitement systématisé de données collectives? Dans notre sphère sociale, apparaissent désormais des moyens systématisés de compiler et comprendre les besoins des personnes dont nous devons nous occuper. Ces moyens sont quantitatifs. A cet égard, la LPD s’applique, particulièrement son article 7a: (LPD 7a, al 1) «(…) Le maître du fichier a l’obligation d’informer la personne concernée lorsqu’il collecte des données sensibles ou des profils de la personnalité la concernant, que la collecte soit effectuée directement auprès d’elle ou auprès d’un tiers.» S’agissant de personnes sous tutelle ou dans l’incapacité de comprendre ce qui est recueilli comme informations les concernant, on veillera, par transparence et par politesse, à informer les tuteurs de la démarche, ce d’autant plus que les concernés ont le droit de consulter les données acquises. Ici, les préposés cantonaux à la gestion de l’information seront de particulièrement bon conseil. Protection particulière accordée aux mineurs Ainsi, on ne peut pas tout garder secret: il y a des circonstances dans lesquelles on doit informer. Ainsi le dit, à propos des personnes mineures, l’art 364 CPS «Lorsqu’il y va de l’intérêt des mineurs, les personnes astreintes au secret professionnel ou au secret de fonction (art. 320 et 321) peuvent aviser l’autorité tutélaire des infractions commises à l’encontre de ceux-ci».


Devoir de réserve et de discrétion à la neuchâteloise Le cas neuchâtelois est instructif: l’article 28 de la Loi sur l’action sociale (Lasoc), stipule: «Les membres des autorités et les personnes chargées de l’aide sociale sont tenus à un devoir général de réserve et de discrétion. Ils ne peuvent divulguer sans l’accord de l’intéressé ou de l’autorité compétente les faits dont ils ont eu connaissance dans le cadre de leur activité et qui doivent rester secrets. Des renseignements et documents peuvent toute-

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Le Code pénal punit d’ailleurs, à son article 128 «celui qui n’aura pas prêté secours à une personne qu’il a blessée ou à une personne en danger de mort imminent, alors que l’on pouvait raisonnablement (l’)exiger de lui, étant donné les circonstances». L’article 363 CPS ajoute une obligation d’aviser: «Lorsque, au cours d’une poursuite pour infraction commise à l’encontre de mineurs, l’autorité compétente constate que d’autres mesures s’imposent, elle en avise immédiatement l’autorité tutélaire». Un droit d’aviser existe également, celuici à l’article 364 CPS. «lorsqu’il y va de l’intérêt des mineurs, les personnes astreintes au secret professionnel ou au secret de fonction (au sens des articles 320-321 CPS) peuvent aviser l’autorité tutélaire des infractions commises à l’encontre de ceux-ci». L’exemple vaudois est ici instructif, puisque les choses sont précisées dans la loi vaudoise sur la protection de la jeunesse, art. 4: «Chacun est fondé à signaler au département ou aux services communaux compétents les cas d’enfants ou d’adolescents en faveur desquels son intervention se justifierait. Ont le devoir de signaler les cas parvenus à leur connaissance les membres des autorités judiciaires, les préfets, les municipalités, les autorités scolaires et ecclésiastiques, les membres du corps enseignant, les personnes qui exercent l’aide sociale, les travailleurs sociaux et les délégués auprès des mineurs placés. Les membres du corps médical ont le même devoir, notamment dans les cas de mauvais traitement de mineurs(…)». Ainsi donc, le droit, le devoir et la possibilité d’aviser sont-ils strictement définis par la loi.

fois être communiqués à l’intérieur des collectivités publiques ou entre elles, lorsque cette communication est nécessaire à l’exécution de leur tâche. Demeurent en outre réservées les dispositions particulières applicables en matière de secret de fonction.» Et les commentaires du Conseil d’Etat au sujet de la Lasoc sont clairs. En fait, au sens voulu par le législateur neuchâtelois, le secret de fonction «vise avant tout à protéger l’Etat et non pas le bénéficiaire d’un service social. En outre, se référer aux règles professionnelles comporte un certain danger dans la mesure où les divers codes de déontologie qui existent ne sont pas immuables» (bulletin officiel des délibérations du Grand Conseil neuchâtelois, 19931997, p. 571). Ainsi, l’article 28 Lasoc institue sur Neuchâtel un devoir de réserve et de discrétion, destiné avant tout à protéger la vie privée et l’image des bénéficiaires de l’action

sociale, et le différencie du secret de fonction. L’article 20 de la Loi neuchâteloise sur le statut de la fonction publique (Lst) précise alors les entours du secret de fonction: «Il est interdit aux titulaires de fonctions publiques de divulguer des faits dont ils ont eu connaissance dans l’exercice de leur activité officielle et qui doivent rester secrets en raison de leur nature, des circonstances ou d’instructions spéciales.» Les personnes placées sous notre mandat professionnel sont protégées par plusieurs mécanismes, imbriqués. Le devoir de discrétion et le secret de fonction nous lient particulièrement. L’Etat se protège et protège ses citoyens: nous devons manier avec la plus grande prudence les données sensibles à notre disposition. Chaque canton édicte des consignes, qu’internet rend accessible à tous. Leur consultation aidera à clarifier les cas «limites».


L’intimité sous la loupe Marie-Paule Zufferey, rédactrice

Si le secret de fonction est régi par des textes de lois et le devoir de discrétion explicité dans les codes de déontologie des professionnels du social, la notion d’intimité, elle, se révèle infiniment plus délicate à apprivoiser. Ses limites sont en effet définies par chacun et chacune, en fonction de son propre système de valeurs et des limites qu’il ou elle met à sa propre intimité.

Au regard de l’histoire L’histoire de la vie privée1 nous apprend que depuis plusieurs siècles - plus précisément depuis la Renaissance - l’être humain n’a cessé d’aspirer à la création, à l’intérieur de l’espace social, de sphères où il pourrait soustraire une part de son existence au contrôle et à la curiosité d’autrui. Ce même ouvrage met à jour, de manière instructive, l’évolution à géométrie variable qu’a subie la conquête d’un droit pourtant élémentaire. Alors que, dans la société rurale, les parents ne disposaient pas encore de lieu propre à préserver leurs relations de couple, les classes aisées cachaient déjà leur vie sentimentale dans des salons très privés et nourrissaient leur vie intellectuelle dans des cabinets de lecture particuliers... «L’histoire de cette évolution, commente le philosophe Bernard Matray, si longue et si continue, manifeste avec quelle insistance le besoin d’intimité s’est affirmé en Occident, comme besoin fondamental, inscrit au plus profond de chaque individu. Elle attire aussi notre attention sur le fait que la satisfaction de ce besoin a nécessité une conquête obstinée, qu’elle a longtemps constitué un privilège, qu’elle s’est avérée plus lente à obtenir et plus difficilement reconnue chez les plus pauvres, les plus déshérités, les plus vulnérables du corps social. Cette leçon de l’histoire doit certaine-

ment rester présente à l’horizon de nos recherches d’aujourd’hui sur la relation avec la personne handicapée».2

Paradoxes de société «Pour en venir à la société moderne, poursuit le philosophe, il semble qu’elle soit, mais pour une part seulement, l’héritière de cette évolution. pour une part seulement, car si elle privilégie, et parfois jusqu’à l’exacerbation, la protection de l’existence individuelle, elle semble aussi traversée par un désir immodéré de pénétrer dans l’intimité des personnes pour en réduire le mystère. Il est instructif, à cet égard, d’observer l’ampleur de la construction juridique qui a été nécessaire pour contrecarrer la violence de ce désir. Notre société pratique simultanément l’extrême discrétion et l’extrême impudeur. Ces deux extrêmes s’appellent d’ailleurs probablement l’un l’autre».2 Si l’on ajoute à cette posture sociétale pour le moins paradoxale, les contraintes liées à la vie en institution - manque de temps, exigences de rentabilité, espaces généralement peu intimistes - il est possible de se faire une idée des difficultés rencontrées par les accompagnants soucieux de respecter l’intimité des personnes handicapées dont ils ont la charge.

Une notion vouée au questionnement permanent D’ailleurs, qu’est-ce que l’intimité? Etymologiquement, le mot intimité signifie «l’intérieur des intérieurs»; il est généralement synonyme de vie privée. Mais l’image la plus convoquée, lorsqu’on parle d’intimité, est immanquablement le corps, comme «un lieu charnière où s’articulent l’intérieur et l’extérieur»2. Parce qu’elle ne possèdent pas toutes les maîtrises (physiques ou intellec-

tuelles) pour se gérer elles-mêmes, les personnes handicapées se trouvent soumises à d’autres perceptions de l’intimité que la leur... Il paraît dès lors indispensable que les modalités - personnelles ou institutionnelles - de rapport au corps de l’autre soient définies de manière claire, formelle et pourquoi pas contractuelle... L’une des missions de l’institution n’est-elle pas en effet de garantir à l’usager la sauvegarde de son intimité, même - et peut-être surtout - si celui-ci n’est pas en mesure de la revendiquer? La réflexion sur le concept d’intimité fait apparaître l’existence d’une frontière, d’une limite posée entre un intérieur de la personne, le privé, et un extérieur, le social. Le philosophe Bernard Matray met en garde contre le risque lié à une perception trop étroite de cette lecture: «Le respect de l’autre que requiert l’éthique n’impliquerait alors que le non-franchissement de cette barrière. Cette représentation est légitime mais (...) elle peut faire apparaître une ambiguïté et cette ambiguïté réside dans une confusion entre ce qui est l’intimité vraie et ce qui ne serait en fait qu’une simple insularité». Pour lui, le respect de l’autre doit se dire à la fois en termes de «non-indifférence» et en termes «d’accueil»: «Respecter l’autre, c’est le respecter dans les deux versants de son existence, l’un et l’autre vitaux pour lui: celui de l’intra-version tournée vers son secret et celui de l’extra-version animée par son désir»2. Autant dire que le questionnement sur le concept d’intimité a encore de belles joutes devant lui...

Histoire de la vie privée, Ph. Ariès et G. Duby, Paris, Seuil, 1985-1987 2 Intimité, secret professionnel et handicap, sous la direction de M.-H. Boucand, Chronique sociale, Lyon, octobre 1998 1


Le dilemme du travailleur social

Dire ou ne pas dire: voyage au cœur de situations pratiques Sylvie Diethelm, éducatrice spécialisée

L’information: un matériau précieux et indispensable à la fonction Je suis engagée depuis 20 ans comme éducatrice auprès d’institutions accueillant des personnes adultes en situation de handicap mental et/ou psychique. Ma fonction consiste, entre autres, et le plus rapidement dit, à accompagner et aider des personnes. La formulation varie selon les missions institutionnelles (veiller au bien-être, permettre une réinsertion sociale,…). Parce que nous sommes des confidents nécessaires Bien qu’il puisse exister des points communs entre les situations éducatives que j’ai rencontrées, chacune d’entre elles met en scène un être humain dans son irréductible singularité et son évolution au quotidien. Derrière chaque défi professionnel, il y a donc un visage, une histoire, quelque chose d’unique, pour lesquels il n’existe pas de réponse toute prête à appliquer. Aussi, je n’entrevois pas de chemin plus sûr, pour tenter de répondre de façon appropriée aux demandes, surtout aux besoins, qu’une connaissance approfondie de la personne et de sa situation. Ainsi, toute information glanée, en confidence, par l’observation, ou transmise dans le cadre de la collaboration en réseau devient, pour le professionnel, un matériau très précieux, une base sans laquelle il paraît impossible d’intervenir de façon adaptée et efficace. Parce que nous sommes des faiseurs de lien Certains handicaps portent entrave à la possibilité de partager avec l’environnement direct. Un des rôles du professionnel consiste alors à faciliter les liens entre la personne et l’univers physique/social qui l’entoure, tant

dans ce sens que réciproquement. Profession de médiation, de communication, étymologiquement de «mise en commun», qui semble évoquer, déjà dans sa définition, la question d’un équilibre à trouver entre la sphère individuelle, privée et celle collective. Parce que nous avons besoin de collaborer Face à des réalités parfois très complexes, qui dépassent souvent le champ des compétences individuelles, il reste incontournable de combiner les ressources de différents professionnels au service d’un même but. Encore une opération de mise en commun, d’échange, dans laquelle la Parole de l’Autre, des informations «sur» ou «de» l’Autre, un bout de son identité demande à être transmis, véhiculé … au risque, peut-être, d’être divulgué, dispersé, trafiqué ou même perdu.

Que faire de l’information: un dilemme de tout instant Certains des accueillis sont atteints dans leurs facultés de discernement ou de communication verbale, «pris» dans des structures dont le fonctionnement peut échapper aux capacités de compréhension. Quelles possibilités de contrôle ont-ils alors sur l’information, qui pourtant les concerne directement, sur ces données précieuses que se «passent» les intervenants dans leurs colloques, quelques fois peut-être à leur insu ou, qui sait, sans leur consentement? Quels moyens pour faire valoir des droits, se préserver des espaces personnels dans lesquels l’autre ne peut entrer que sur invitation? L’intervenant détient une bonne part de ce contrôle; ou devrait-on dire, de ce pouvoir? Je pense qu’il s’agit surtout d’une responsabilité qui l’oblige à faire face à un dilemme incessant:

dire ou ne pas dire? Si la personne doit me donner, de façon inévitable et à tout instant de sa vie, un morceau d’elle, de son intimité parce je suis présente dès le lever du lit pour assistance, parce que je suis amenée par mes fonctions à observer et voir bien des affaires ordinairement du registre de la sphère privée, sans qu’il n’y ait sur ce point d’autre possibilité… à quoi cela m’engage-t-il? Suis-je dès lors propriétaire de ces informations ou seulement un dépositaire obligé? Dans l’ensemble des faits recueillis pour affiner l’intervention pluridisciplinaire, comment discriminer ce qui, pour l’autre, serait de l’ordre de la confidence ou ce dont il autoriserait l’usage? Qui sont les personnes auxquelles ce résident rendrait ces éléments de vie accessibles? Pas facile de faire la part des choses quand, pour l’heure, l’acteur principal n’est pas en mesure de se positionner! Et dans le doute, devant un risque réel de porter atteinte, d’effleurer l’intégrité, de trahir la confiance si indispensable à la relation éducative, faut-il plutôt s’abstenir ou dire…? Face à ce dilemme, quantité de textes juridiques ou directement relatifs au cadre professionnel sont susceptibles de donner des repères aux intervenants1. Cependant, sont-ils une référence suffisante face à la complexité des situations qui se présentent au professionnel sur le terrain?

Des situations professionnelles Le cœur de la fonction éducative est médiatisé par quantité de petits événements du quotidien, de vécus partagés qui s’entrecroisent pour tisser la trame sur laquelle se fonde le projet d’aide. Ce qui s’y passe se révèle, à chaque instant, dense, subtil et éphémère… un peu à l’échelle de la vie. Difficile d’en extraire des parties qui puissent illustrer, ainsi figés, les


enjeux qui soutiennent la responsabilité du professionnel face à ses communications. Il y a ce jeune dont le regard s’assombrit au fil des jours comme pris par un nouveau mal sournois. Sous le caractère crucial de son secret, il ose à peine dire qu’il a besoin de vous parler, de déposer. Et il ajoute qu’il le fera seulement dans la mesure où vous pourrez lui garantir que «cela» restera «entre lui et vous». Quel serment pouvez-vous faire, concevant comme une éventualité que ses intérêts ou ceux d’un tiers puissent être exposés à un danger qui vous oblige à dévoiler? Dans les couloirs du quotidien, on trouve aussi un maître socioprofessionnel (MSP) qui se trouve déconcerté par le soudain manque d’implication d’un de ses employés. Sous le principe de séparer vie privée et vie professionnelle, comme dans «la normale», l’équipe du secteur résidentiel n’a pas jugé bon de lui signaler l’introduction d’un traitement médical, pouvant générer des effets secondaires (somnolence). Valorisation des rôles sociaux, conditions de vie aussi proches que possible de la norme ou prise en compte des difficultés irréductibles de personnes qui ne sont pas toujours à même de les faire valoir? Un jeune en situation de handicap mental doit quitter l’institution qui l’avait accueilli dès son plus jeune âge, en vue d’intégrer une organisation sociale pour adultes. L’équipe éducative qui l’a accompagné durant des années prépare cette transition. Que transmettre de la trace dessinée au fil du temps: compréhension progressive des difficultés de la personne, connaissance de son caractère, ses préférences, ressources spécifiques affûtées peu à peu? Est-ce préférable d’assurer une continuité à l’intervention, d’exploiter les découvertes, de s’assurer du transfert des acquis, dans

l’idée de ne pas perdre temps et énergie à recommencer, au risque de lasser le principal intéressé? Ou s’agit-il de favoriser un nouveau départ, une rencontre sans étiquette, sans commentaire qui puisse glisser vers des préconçus, des points de vue qui collent à la peau et empêchent un regard neuf, le poids des mots que l’on traîne parfois comme un fardeau? En dehors de ses heures de service, un éducateur croise dans une ruelle un jeune accueilli dans l’Internat, où il est employé. Entouré d’une bande de copains, ce dernier tire sur une cigarette. Or, une des clauses de son contrat de placement indique une interdiction stricte de fumer. Priorité à l’effort de cohérence autour de ce jeune que l’on sait en recherche de repères stables? Importance pédagogique d’une sanction posée rapidement et relativement au concret de la situation? Loyauté aux missions et aux lignes directrices? Ou reconnaissance d’espaces de liberté, de circonscriptions définies pour notre action et celle de l’autre, de cadres à nos fonctions qui à certains endroits offrent des marges de manœuvre et à d’autres les limitent? Faut-il signaler le fait aux collègues ou passer son chemin?

Une option face au dilemme Peut-être est-il possible de conjuguer les différents enjeux présentés ci-dessus. Peut-être n’y a-t-il pas de véritable choix à opérer. Peut-être… un mot ouvert d’ailleurs à tellement de possibles, d’un côté comme de l’autre. Mais l’art de «bien» dire, de manière à respecter l’ensemble des composantes de chaque situation, ne s’improvise pas. Le doute ne paraît pas superflu, avant de révéler ou de dire des informations concernant un Autre. Le doute, le «peut-être» prévu comme un temps d’arrêt qui permette de passer la situation au crible d’une analyse

approfondie, du conflit de conscience et du questionnement éthique. Trier, évaluer les tenants et aboutissants à l’aune de critères raisonnables.

Petit acrostiche à partir de 5 critères: DIPAS! A défaut de sortir du dilemme aujourd’hui, voici un acrostiche qui impose de ne pas révéler un fait sans avoir pris la précaution de se poser quelques questions fondamentales: Droit: quel sont les droits de la personne concernée? Intérêt: quel est l’intérêt prépondérant visé par notre révélation? Parcours: quel parcours présumé pourrait emprunter notre information? Quel usage et condition de garde? Autorisation: a-t-on songé à demander l’autorisation du principal concerné et/ou de son représentant? Sens: quel sens a cette révélation, pour l’autre, moi et l’organisation qui m’emploie. Ces informations sont-elles utiles à l’évolution de la personne dans le cadre de son accompagnement éducatif? La Parole de l’Autre, de la personne accompagnée se révèle «sacrée» pour l’éducateur social! (Il faut entendre, dans ce champ professionnel, toute forme d’expression: langage du corps, analogique, attitude, comportement et même réaction). Elle porte au quotidien des informations essentielles pour l’orientation de nos actions, pour leur efficacité. Tant cette Parole relève de l’indispensable pour l’exercice d’une fonction, tant elle a de la valeur pour les professionnels, tant elle doit être transportée avec précaution et protégée de façon particulière, à titre individuel aussi bien qu’au niveau institutionnel. CCS (art.28a); CO (art.321a); CCT; CTT; CPS (art.320-321); Convention des droits de l’homme; code de déontologie. 1


Le culte du secret, facteur de dysfonctionnement mutuel? Aux limites de la non-assistance à personne en détresse Claude-André Dessibourg, neurologue FMH, professeur Université de Fribourg

L’approche transdisciplinaire du handicap mental est l’un des credo de Claude-André Dessibourg. De sa position de médecin, il rappelle la nécessité accrue du secret médical, dans une société aux appétits de plus en plus inquisiteurs. En revanche, lorsqu’il s’agit de l’accompagnement des personnes avec un handicap mental, le neurologue plaide avec vigueur pour le décloisonnement des savoirs entre les différents intervenants.

«Admis dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés» (1). Phrase emblématique, utile et nécessaire du serment d’Hippocrate. Toujours, voire plus que jamais d’actualité face aux velléités d’une société dont les pouvoirs inquisitoriaux se sont accrus avec, entre autres, les capacités croissantes de l’informatique et l’intrusion des assurances dans la colloque singulier du thérapeute-patient. J’écris volontairement thérapeute, dans le sens large du terme et patient, mot noble qui vient de patere, celui qui souffre. Il est bien évident (mais il faut le rappeler avec force), que la confidentialité est au cœur de nos métiers, au cœur de la confiance que la personne et sa famille peuvent mettre en nous. La protection de la personnalité est d’ailleurs vigoureusement protégée par la loi, y compris vis-àvis des tiers garant ou payant: le cabinet médical n’est pas un magasin libre-service pour les données de patients (2). La primauté du bien-être de la personne, de son autonomie, le dispositif de confidentialité, l’honnêteté à l’égard des patients, l’amélioration de l’accès aux soins et des compétences professionnelles ne cessent d’être réaffirmés (3).

Des métiers différents mais une proue commune Faisons un saut de plus de 3000 ans, jusqu’au 21e siècle. On sait actuellement, de manière objective, par exemple par des techniques de résonance magnétique fonctionnelle, que le cerveau s’allume dans des zones bien précises lors d’un apprentissage, d’une interaction verbale, visuelle ou auditive, d’une émotion etc., corroborant ainsi des notions cliniques bien connues. Le système nerveux central métabolise, traite l’information grâce à des réseaux précis de neurones et s’exprime par des réactions physico-chimiques (neurotransmetteurs, neuro-peptides, entre autres). Ce, à l’instar d’actions médicamenteuses. Ainsi, l’éducation, la logo-, la physio-, l’ergo-, les psychothérapies agissent-elles

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indirectement de manière pharmacologique. Ne serions-nous pas tous collègues? Bien que différentes par leur nature même, les approches, qu’elles soient physique, psychiatrique ou psychoéducative, ont des indications, des contre-indications et des effets secondaires. Nous sommes tous dans le même bateau, bien que tirant sur des cordages différents. Chacun a sa place, sa responsabilité. Nous avons des métiers différents mais une proue commune, un devoir simple et immuable: le bien-être du patient, de la personne qui se confie à nous ou qui nous est confiée par sa famille. Raison pour laquelle (et j’ai l’impression d’enfoncer des portes ouvertes, mais cela semble ne pas être si évident dans la pratique…) nous sommes tous des thérapeutes, des consultants, des éducateurs liés par les mêmes devoirs, la même empathie, le même enthousiasme (en theos: dieu intérieur). La réalité de tous les jours est plus contrastée, plus obscure. La personne handicapée nécessite le plus souvent une triple approche: médicale, psychologique, éducative: c’est le triple diagnostic-action (4). Sans quoi, les efforts des uns et des autres sont dispersés, inefficaces. Il faut bien dire que le corpus des connaissances a explosé (10 millions d’entrées à propos de la déficience mental sur Internet), que les disciplines se sont multipliées, que les prises en charge sont fractionnées. J.-L. Lambert écrit en 2007 que, face aux personnes déficientes intellectuelles, tout se passe comme s’il y avait d’un côté la psychopédagogie et de l’autre, les différentes spécialisations médicales. Certes, on ne peut pas parler de confrontation, mais bien d’indifférence, d’ignorance réciproque (4). Écoutons également le psychanalyste J.-P. Gaillard: «Je suis aujourd’hui convaincu que la seule manière efficace de travailler, pour un psychanalyste en institution, passe par une collaboration étroite avec les équipes éducatives concernées et par l’acceptation d’une très large délégation auprès d’elles de l’action psychothérapeutique. De fait, trente-neuf à cinquante heures


hebdomadaires d’une cohabitation intelligemment menée pèsent infiniment plus lourd qu’une demi-heure hebdomadaire de thérapie. L’essentiel du travail avec les enfants échoit aux éducateurs et l’efficacité psychothérapeutique de ce travail est aussi réelle que son efficacité éducative: il faut et il suffit donc d’offrir aux éducateurs les moyens de leur fonction et l’accompagnement adéquat» (5). Nous ne contesterons pas que chaque profession fait du mieux qu’elle peut, que les compétences et les bonnes volontés sont légions. Mais nous constatons également des langages différents, des cloisonnements délétères, des chapelles. Tel médecin refuse de répondre à un éducateur; tel psychologue cache le QI ou un diagnostic de dyslexie à un enseignant qui lui a pourtant adressé l’enfant dont il a la charge; tel centre psychosocial dénie à un neurologue traitant l’accès à un dossier. On voit certains patients faire plusieurs centaines de séances de physiothérapie ou de psychomotricité sans diagnostic précis. Un enfant souffrant visiblement d’un trouble attentionnel effectue 120 séances de logopédie, alors qu’il réagit du jour au lendemain sous Ritaline®… A-t-on vraiment partagé avec les parents les informations disponibles pour éviter la culpabilisation ainsi que d’inutiles et coûteuses errances? A-t-on réactualisé les diagnostics et des traitements parfois obsolètes, laissés en place par habitude (neuroleptiques, antidépresseurs, antiépileptiques à doses ridicules…)? Sans les proches et les éducateurs spécialisés, les leviers médicaux et psychiatriques sont le plus souvent vains chez des personnes déficientes, parfois incapables de s’exprimer. Je n’ai personnellement jamais rencontré de patients ou de familles s’opposant à une communication entre professionnels. Refuser ses données à un collègue,

c’est un peu comme si le radiologue ou le laboratoire cachaient au médecin traitant le résultat d’un examen. Comment, dès lors, fonctionner de la sorte? Nous n’hésitons pas à l’affirmer, le culte inapproprié de nos petits secrets est un facteur de dysfonctionnements mutuels dommageables pour la personne en situation de handicap. N’est-on pas, dans certaines situations, aux frontières d’une forme de maltraitance? Il faut bien entendu que chaque professionnel garde toujours en point de mire ce dont le patient peut bénéficier (par exemple, un enseignant ne doit pas claironner à tous ses collègues une épilepsie dont il eu connaissance; des colloques redondants ne doivent pas être le lieu où l’on étale les confidences d’un enfant ou d’un adulte handicapé). Tact, discrétion, dignité sont de mise. Le champ magnétique d’une éthique exigeante doit guider chaque intervenant. L’intransigeance exténuante de la mesure (Albert Camus) y a toute sa place. Mais cacher un dossier à un éducateur référent en charge d’une personne déficiente, lui refuser l’accès à un colloque hospitalier lors de la sortie de celle-ci, le repousser alors qu’il fait partie intégrante du réseau thérapeutique, ne pas considérer l’enseignement spécialisé comme une discipline à part entière sont des manquements aussi graves que celui qui consisterait à couper les liens entre les médecins et les infirmières à domicile. Ils peuvent être, à notre sens, une forme de non-assistance à personne en détresse chronique. On nous a demandé des exemples. Ils sont légions. Hors les situations très brièvement évoquées ci-dessus, les lignes de cet article n’y suffiront pas. Le lecteur intéressé se référera aux 26 situations cliniques décrites dans notre dernier ouvrage. Il est bien évident qu’un individu ne peut maî-

triser l’ensemble des neurosciences, de la psychologie et des sciences de l’éducation. Une interculturalité est toutefois plus que jamais utile et nécessaire. S’ignorer au nom d’un secret médical pour les uns et d’un secret de fonction pour les autres va au-delà d’un réflexe corporatiste: cela confine à l’erreur thérapeutique. L’étincelle se situe sans doute à la synapse de l’empathie et des plaques tectoniques du savoir (6). À chacun de faire croître ses racines à l’interface de domaines qui ne sont peut-être pas les siens mais dont le terreau s’avère passionnant. En attendant de pouvoir «guérir» la déficience mentale, ce que nous pouvons faire de mieux, c’est sans doute d’améliorer, ici et maintenant, nos connexions mutuelles pour les personnes en situation de handicap.

Bibliographie (1) Serment d’Hippocrate réactualisé, Wikipedia, 2009; cf égal. trad. littérale du grec, M. Riquet et E. des Places, Petrequin ed., Paris, 1878. (2) Le cabinet médical n’est pas un magasin libre-service pour les données des patients, C. Peter, Bull. des méd. suisses, 2007; 88: 9, 372-4. (3) Charte du professionnalisme médical, Bull des méd. suisses, 2003; 84: 45, 2350-2. (4) Traitements médicaux et personnes déficientes intellectuelles, CA Dessibourg, JL Lambert, Médecine et Hygiène, Genève, 2007. (5) L’éducateur spécialisé, l’enfant handicapé et sa famille, JP Gaillard, ESF ed., Paris, 1999. (6) Handicap mental: approche transdisciplinaire: somatique, psychiatrique, psychopédagogique, CA Dessibourg, Elsevier-Masson, Paris, 2009.

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Y a-t-il un cadavre dans le placard?

Ou comment gérer les secrets de famille Michel Cattin, travailleur social, thérapeute de famille et superviseur Asthefis, formateur, Cerfasy et Drop-in, Neuchâtel

Le «secret de famille» est souvent perçu comme une tache indélébile qui marque du signe de l’infamie les membres qui en sont les dépositaires et du signe de la malédiction les générations suivantes! L’imagerie populaire aurait tendance à faire du secret la pire des menaces sur une famille. Faut-il à ce point le craindre? Quels usages peut-on en faire? Quand et comment le «révéler»? À la question de la nocivité il est intéressant d’ajouter la question de la fonction du secret. C’est cette fonction qui nous permettra de réfléchir sur les «bonnes raisons» de dévoiler ou non un secret et surtout de quand et comment le faire.

Des fonctions positives Chacun a droit à un «jardin secret», à la garantie de sa vie privée. Il est important que les parents apprennent à leurs enfants à «garder un secret». Comme exercice de gestion entre le dedans et le dehors, le moi et les autres, le privé et le public, mais aussi comme garantie de non-intrusion dans la sphère privée de l’enfant, comme garantie que ce qu’il dit ne sera pas ébruité sans limites. Le secret est aussi un outil protecteur: cacher ce qui pourrait nuire à un autre et le protéger car considéré comme trop «faible» pour supporter. Un exemple: protéger l’enfant de l’émergence trop brutale de la sexualité quand il n’est pas encore psychiquement prêt à l’affronter, en fermant symboliquement et réellement la porte de la chambre à coucher des parents, en gardant secrète la vie sexuelle des parents.

Le secret, face obscure S’il est normal et protecteur de pouvoir garder des secrets, comment se fait-il que certains provoquent des ravages? Dans l’exemple de la sexualité, ce qui est caché à l’enfant ne pose, a priori, pas de problème aux parents, ne les fait pas souffrir. Il en va autrement pour des événements douloureux dont on veut cacher l’existence, tant celle-ci fait mal. C’est bien souvent en voulant protéger l’autre de la souffrance que les pires dégâts dus aux secrets sont générés. C’est lorsque «l’on sait quelque chose que l’on ne doit pas savoir» ou que «l’on doit faire comme si on ne savait pas» que les problèmes se posent. Le clivage ainsi généré chez l’enfant devient dévastateur: «je sais quelque chose que je ne dois pas savoir et il ne faut pas que mes parents sachent que je sais … par loyauté envers eux je dois cacher ce que je sais, car cela les fait souffrir et en même temps par loyauté envers eux, je ne devrais pas mentir en faisant semblant de ne pas savoir!»

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L’enfant apprend à repérer chez ses parents les signes de douleurs (afin de ne pas toucher ce qui fait mal) mais il doit faire comme s’il ne les voyait pas. Dès lors, il risque de développer des troubles psychiques. Ce que l’enfant «voit», ce n’est pas le contenu du secret mais la souffrance de ses parents, souffrance que ses parents (de son point de vue) semblent vouloir lui cacher, alors que c’est le contenu qu’ils tentent de cacher. Suivant la réaction des adultes et l’imaginaire de l’enfant, les effets peuvent être différents: • Un petit enfant peut imaginer être lui-même la source de souffrance de ses parents et s’en sentir coupable. • L’enfant plus grand peut imaginer que ses parents sont coupables de quelque chose de grave et perdre confiance en l’adulte. • Si l’enfant en parle et que ses parents démentent, disent que ce n’est pas réel, que les choses ne sont pas telles qu’il croit les avoir vues, etc., l’enfant risque d’avoir l’impression que sa compréhension du monde est fausse et ne plus se faire confiance, ne plus faire confiance à ses propres capacités.

Les trois ingrédients qui contribuent à rendre le secret néfaste Le secret n’est donc pas fondamentalement malsain, son «contenu» (la vérité, ce qu’est le secret, … savoir!) n’a pas tant d’importance, c’est son effet sur les relations au sein de la famille qui peut faire des ravages. C’est l’interdiction de savoir et donc de dire que l’on sait qui est néfaste. Dans l’exemple de la sexualité des parents, si elle doit rester le terrain secret des parents, il n’est pas interdit de savoir et de dire que les parents ont une vie sexuelle. Un secret gardé par les parents sans que celui-ci soit source de souffrance ne pose pas de problème, il est logique pour l’enfant que ses parents ne lui disent pas tout. C’est ce qu’on ne dit pas, ce qu’il est interdit de connaître et qui est douloureux pour les parents qui provoque des ravages. Non-dit, interdit de savoir et douleur sont les 3 «ingrédients» du secret de famille néfaste!

Le secret de famille, une dangereuse protection contre la souffrance Une fois de plus ce n’est pas pour nuire volontairement que les secrets sont générés dans une famille mais bien pour protéger de quelque chose qui fait mal. Lorsqu’un événement difficile ou honteux a été vécu par les parents ceux-ci vont chercher à le cacher à leurs enfants afin de les protéger des répercussions possibles. Ils vivent


avec l’idée magique qu’il suffit de taire les moments douloureux pour qu’ils n’aient pas d’influence et ainsi garder une bonne image, une image idéale de la famille. Ce n’est pas l’ignorance mais la contrainte du silence qui nuit. C’est le fait «d’en parler» qui est insupportable. Ne pouvant être dit, le secret risque de «transpirer». Non pas avec des mots puisqu’il doit être tu, mais avec des gestes, des mimiques, des réactions «involontaires», bref, tout ce qui est du domaine du non-verbal. Il n’y a pas si longtemps que cela, l’interruption de grossesse était interdite et aujourd’hui encore, elle peut être difficile d’accès pour certaines femmes. Dans ces situations, les avortements se passent souvent avec un sentiment de culpabilité, sentiment renforcé par la clandestinité de l’acte. Cet événement douloureux sera, et on le comprend bien, gardé secret; il comporte un poids de souffrance trop grand et sa «révélation» n’apporterait rien à la nouvelle génération née des grossesses suivantes. Néanmoins, lors de la puberté de leur première fille, les parents risquent de laisser paraître leur craintes et de créer involontairement un climat néfaste autour du sujet de la sexualité. Craindre les rapports sexuels que leur fille pourrait avoir et réagir fortement à la moindre évocation de l’attrait qu’elle exprime pour un garçon, ou au contraire poser la question de la contraception, avant que celle-ci ne se pose à leur fille et générer le sentiment que les parents, en forçant leur fille à prendre la pilule, la projettent dans une sexualité active qui n’est pas encore à l’ordre du jour.

Révéler un secret exige certaines précautions Des fantômes, des «cadavres dans le placard», toutes les familles en ont! Faut-il ou non… et quand les «divulguer»? Si, comme nous le disions, un secret a une fonction dans la famille, il faut faire dès lors très attention à la manière de le révéler. En éliminant un élément qui a une fonction, on déstabilise le système (ici la famille). On ne peut pas l’éliminer tant que la famille n’est pas prête à s’en passer. Le silence de la douleur muette… Le silence: ne pas parler de peur de faire mal… Il est interdit de parler! de parler de quoi? Du secret! Lequel? Chut! Tais-toi! Il ne faut pas en parler! Il faut donc veiller à la manière et au moment approprié pour révéler un secret, et ne pas rester aveuglé par la croyance en la vertu protectrice d’un secret. «Révéler» un secret de manière inappropriée peut avoir des effets tout autant ravageurs que le secret lui-même... En parler, mais ne pas «tout dire», assez tôt, mais au moment approprié... Difficile de savoir comment «bien faire».

Quelques pistes à l’usage de professionnels Lorsqu’on est professionnel de la relation d’aide, comment intervenir? Ecouter le silence en regardant les gestes! Le professionnel doit être attentif suivant qu’il se trouve en présence du «générateur» du secret, celui qui a vécu l’événement porteur de honte, du «receveur» du secret, celui à qui on «dit» le secret mais qui ne peut ni ne veut le garder, du «découvreur» du secret, celui qui apprend qu’il

y a secret mais qui ne sait pas comment le dévoiler (ce qui peut parfois être le rôle qu’involontairement son client lui fait jouer) ou celui qui «sent» qu’il y a quelque chose de douloureux mais qui ne sait pas de quoi il s’agit. Le «générateur» a vécu un événement qu’il garde comme honteux. Par exemple, l’enfant battu ou abandonné ou qui a vécu la maladie (ressentie comme honteuse) d’un de ses parents, … Dans ce cas, il faut être attentif: l’enfant doit être prêt à en parler avant de «dévoiler» son secret. Dans la position de «receveur», l’enfant ne saura pas comment faire avec ce dilemme et nous l’avons vu, il risque de développer des troubles importants. Une solution serait de dire le secret au risque de le mettre dans la position du «découvreur», position qui risque alors de faire au moins autant de dégâts, si on ne trouve pas la manière et le bon moment pour le révéler. Dans ce cas, il ne s’agit pas de «tout dire», mais de laisser l’espace à l’enfant pour questionner. C’est bien une ouverture de communication qu’il faut faire. Ne pas évoquer le secret comme un contenu secret mais comme un contenu douloureux et parler de la douleur plutôt que du secret, de la douleur dont il était difficile de parler à l’enfant. En s’y prenant assez tôt, en en parlant le plus tôt possible avec des mots simples facilement compréhensibles par l’enfant, on crée une ouverture vers la communication. C’est-à-dire qu’on peut parler d’une souffrance sans en évoquer immédiatement le contenu. Par la suite, lorsque l’enfant grandit, s’il sait depuis tout petit qu’il peut questionner, il pourra se sentir libre d’aborder le sujet de la souffrance. Au fur et à mesure, les parents pourront répondre avec plus de précision, en fonction de ce que l’enfant peut comprendre. Le contenu du secret reste secret afin de ne pas «choquer» mais la possibilité de questionner la souffrance est ouverte, donc l’effet nocif est contrecarré. Cette manière de procéder permet d’introduire de la communication là où la douleur demandait le silence.

IMBER-BLACK E. (1993): Secrets in families and family therapy. Norton & Company, New-York. ANCELIN SCHUTZENBERGER A. (1993): Aïe, mes aïeux! Liens transgénérationnels, secrets de famille, syndrome d’anniversaire, transmission des traumatismes et pratique du génosociogramme. Desclée de Brouwer / La Méridienne. Paris. TISSERON S. (1998): Nos secrets de famille, histoire et mode d’emploi. Ramsay, Paris.

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Secret et lien social1

Note de lecture Marie-Christine Ukelo Mbolo Merga, enseignante HEF-TS, Givisiez

Avant d’avoir parcouru la quinzaine de communications publiées à l’occasion d’un colloque sur la thématique par André Petitat, je n’avais pas réellement pris la mesure suivante: la réflexion autour du secret en lien avec la spécificité des personnes en situation de handicap nous renvoie une fois de plus à la question de l’Autre, de la rencontre avec ce dernier, à la fois si semblable et si différent. La question du Secret dans le lien social pose de façon particulière la question de l’Altérité et du vivre ensemble. Nous pouvons reprendre l’adage de Charles Gardou, «faire monde commun» et tenter d’identifier et d’analyser ce que ce faire ensemble met en scène de ce qui est de notre capacité d’ouverture/fermeture à autrui, c’est-à-dire à composer, à vivre avec ou sans le secret. «Notre capacité d’ouverture/fermeture à autrui appelle donc des rituels, des règles et des valeurs pour maintenir un équilibre, prévenir les excès de transparence et d’opacité. Notre oscillations entre les postures du voilement et du dévoilement impliquent sacralisation et désacralisation»1. D’emblée les dés sont jetés. Il ne s’agit pas de se dire: «il faut ou il ne faut pas avoir et/ou faire des secrets». Il ne s’agit pas de se dire que le secret c’est bien ou pas bien. Les différents textes (complexes) rassemblés par André Petitat, nous laissent entrevoir la nécessité d’un jeu d’équilibre, d’un savant mélange «entre». Il n’y a pas, selon l’auteur, de rencontre, de lien à l’autre sans une forme ou l’autre de «secret ou de révélation», à soi, à l’autre, au monde qui nous entoure. La psychologie affective démontre que nous ne sommes pas transparents à nous-même: «personne n’est maître en son propre logis». Des notions telles que l’inconscient, la prise de conscience, de refoulement, de déni,

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etc., impliquent toutes des jeux de voilement/dévoilement à soi-même.

Définition et analyse Petitat, reprenant G. Simmel (1991), se propose de définir le secret comme suit: «limitation de la connaissance réciproque». Dans la notion générique du «voilement», il inclut des formes aussi différentes que le mensonge, le non-dit, la connivence. Petitat utilise plusieurs exemples dans le tissu social pour analyser la question du secret comme par exemple, la politique. L’équilibre entre voilement et dévoilement y est constant et peut recouvrir de multiples enjeux. La démocratie plaide en quelque sorte pour une forme de transparence des débats et des processus. Cependant, «le rêve de transparence politique doit toutefois passer des compromis avec la préservation, par les acteurs, d’un espace stratégique». D’autre part, le secret, l’opacité peuvent également être une ligne de démarcation entre des positions dominantes et des positions dominées, pour des raisons à la fois normatives et stratégiques. Et met parfois en conflit des logiques (entre valeur et nécessité stratégiques). Un autre exemple est celui de l’histoire, science qui s’est confondue, dans d’autres temps, avec une mise en lumière plus ou moins distordue de la mémoire du prince, visant soit une mise sous silence de tout ce qui pourrait ternir son image ou au contraire mettre en évidence de façon massive ce qui pourrait participer à sa mise en valeur.

Formes et fonctions «Janet, Piaget et Simmel donnent le secret (et notamment le mensonge) comme une des grandes conquêtes de l’humanité. Le secret ajoute au monde visible un autre monde; il dédouble le monde; (…)»2. L’on pourrait se dire,

que le secret rajoute un monde au monde, et en même temps, il pourrait être indicateur également d’un lien, d’un média entre l’un et l’autre. Petitat met également en évidence la multitude de formes que le secret peut avoir et les fonctions que revêtent ces formes. Et chacune de ces formes dit également quelque chose de celui qui les agit. Il prend l’exemple du mensonge chez l’enfant, et en quoi les conditions de sa formulation sont révélatrices de sa conscience de l’Autre. En effet, pour que l’enfant puisse formuler un mensonge, il doit avoir la conscience que les autres ne peuvent lire ses pensées dans sa tête, «qu’elles sont invisibles». Il doit avoir la créativité suffisante pour imaginer une ou plusieurs version d’un même événement et être capable de différencier celle tenue pour vraie de la fausse, qui ne confonde pas le vécu intérieur avec le vécu extérieur et également qu’il sache jusqu’où il peut aller trop loin avec la règle, dans une perspective d’autonomie. Ces différentes conditions (liste non exhaustive) sont structurantes pour agir dans le monde (différencier la vie intérieure de l’extérieur, capacités de comprendre comment les échanges sont normés, capacité cognitive et métacognitive, capacité d’imagination, etc). Une autre forme de secret qui participe du dédoublement du monde est la politesse. Selon Petitat, la politesse est un exemple typique de médiation entre l’intérieur et l’extérieur qui peut prendre une forme socialement acceptable au niveau du discours, qui n’a rien à voir avec le vécu de l’intérieur. Exemple: Je suis dans un état exécrable, je rencontre Mme JOYEUSE dont le bonheur m’agace au plus haut point, mais je vais agir en lui demandant comment elle va, en lui répondant par l’affirmative à sa question «comment allez-vous?» et finalement lui faire part de mon plaisir à la voir en pleine forme.


Secret ou non-savoir? Monique Hischhorn, dans son article concernant la pensée de Simmel (1991), revisite l’approche de l’auteur qui identifie le secret comme l’action de dissimuler. Cette notion implique cependant des nuances. En effet, il peut y avoir du secret, mais aussi du non-savoir sans que celui-ci implique la volonté de cacher. Il développe une idée selon laquelle «à l’intérieur d’une société un équilibre s’établit entre ce qui est su et ce qui ne l’est pas»3. Pour étayer son idée, il part d’un constat banal: «toute relation entre des individus implique qu’ils savent des choses les uns sur les autres»4. «La connaissance réciproque est l’a priori de cette relation»5. Ce constat a conduit Simmel à réfléchir sur le contenu de cette connaissance et de constater que ce contenu pouvait varier en fonction des contextes et des situations (relations professionnelles, classes sociales, pouvoir, etc.), ce qui permet également de poser des marqueurs en termes de territoires. Dans tout groupe, dans toute société, il y a toujours du visible et du caché, mais son contenu se modifie selon les sociétés et dans le temps. Il est intéressant de constater qu’aujourd’hui, les marqueurs entre les territoires publics et privés sont de plus en plus flous (télétravail – espace de loisirs sur le lieu de travail/transparence architecturale, etc.…) et réinterroge la place de ce qui est voilé et de ce qui ne l’est pas. Pour illustrer son propos, Hirschhorn s’appuie sur la réalité et l’expérience de l’espace public tel qu’il est conçu aujourd’hui, où tout se voit, se montre, il est accessible à tous; en même temps, ceux qui s’y montrent sont de plus en plus anonymes les uns aux autres. Monique Hirschhorn fait référence à Richard Sennett qui parle des «tyrannies de l’intimité» (1979).

Des transparences qui cachent plus qu’elles ne révèlent... Bolle de Balle (2000) aborde les ambivalences du secret. Il énonce les représentations négatives répandues du secret (il suppose le noir, l’inénarrable, le défendu, l’inavouable,) qui pourraient légitimement mener à exiger plus de transparence. Cependant, le pendant de cette représentation du secret qui appelle à plus de transparence (revendication démocratique) dans son absolu, pourrait s’apparenter au totalitarisme (transparence totale). En effet, si la transparence est une revendication démocratique légitime, comme instrument, elle pourrait devenir un outil du totalitarisme et transformer ainsi les sujets en objets. A la fois réalité perçue comme négative, elle est néanmoins nécessaire pour réguler les relations et peut également être objet de fierté. Un grand paradoxe pourrait être la formule qui dit: «communiquer sous le sceau du secret». Il y a aussi des tensions entre le secret (lourd, triste, souffrance) et le secret source de plaisir (parce que je détiens quelque chose que les autres ne savent pas, car il me met dans une position de pouvoir), le secret comme source de lien, mais également de rupture, voire d’exclusion. Et pour faire référence à l’ambivalence suprême, toujours selon Bolle de Balle, nous pourrions reprendre l’adage suivant: «on n’y voit pas mieux dans la lumière ardente, que dans l’obscurité complice». En effet, il y a des transparences qui cachent plus qu’elles ne révèlent, il y a des secrets qui, une fois approchés, deviennent transparents.

Quelle place pour les personnes avec un handicap mental? A ce stade de lecture, il me semble pertinent, de faire quelques liens avec la situation des personnes en défi-

ciente intellectuelle. L’histoire montre que ces personnes ont parfois été mises à l’écart de l’espace public (emplacement des institutions, regard sur le handicap). Cette mise à l’écart6 pouvait, paradoxalement peut-être, permettre aux familles de rester en lien avec le tissu social, le «stigmatisé» étant hors de vue du collectif. Il est intéressant également de constater que l’évolution du statut de la personne porteuse de handicap a des répercussions sur sa possibilité de composer avec le «montrer/cacher». Elle est en effet de moins en moins objet par rapport à cette situation. En effet, les accompagnants et tuteurs ne sont plus là pour prendre sa place, faire à sa place, décider ce qui doit être dévoilé et de ce qui ne doit pas l’être. L’accompagnement, réalisé par les différents professionnels, vise à ce que la personne puisse prendre une place parmi les autres. La construction de cette place passe par une concertation avec la personne et/ou ses représentants sur ce qui peut être dit ou tu, le silence ou la transparence participant tant à sa protection qu’à sa visibilité dans le monde. «La vérité a besoin de mystère pour se protéger des hommes» (A. Dumas). Sous la direction d’André Petitat, «Secret et lien social», Collection «Logiques Sociales», L’Harmattan, 2000, page 7 2 Idem, page 10 3 Idem, page 43 4 Idem, page 42 5 Simmel et après, par Monique Hirschhorn, in Secret et lien social, page 42 6 Le mot secret (secretus) au niveau étymologique signifie séparé, à part et également secernere, c’est-à-dire conserver les substances nobles et utiles et les séparer du moins bon. 1

Bibliographie Sennett, R., Les tyrannies de l’intimité, Paris, Seuil, 1979 Simmel, G., (1991), Secrets et Sociétés Secrètes, Paris, Circé, 1991

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Intégration et scolarisation de Bryan1, élève Asperger Une expérience parmi d’autres Sonia Curchod, enseignante spécialisée, Valais

«L’important n’est pas de vivre comme les autres, mais parmi les autres» Daniel Tammet Depuis que je travaille avec un élève atteint du syndrome d’Asperger, cette phrase résonne en moi de manière toute particulière. Les lignes qui suivent sont un témoignage; elles relatent une expérience qui ne se veut, en aucun cas, être un exemple à suivre au sens strict. Mon but est de faire part d’une pratique, de partager un certain nombre de réflexions et de pistes d’intervention liées à l’intégration scolaire d’un élève Asperger. Bryan est actuellement intégré en classe ordinaire dans un Cycle d’Orientation (CO). Son parcours scolaire démontre que l’intégration peut être verticale, malgré des systèmes scolaires bien différents (école primaire-CO), moyennant néanmoins la mise en place d’un projet cohérent et souple. Le passage de l’école primaire au cycle est une étape cruciale dans la vie scolaire de chaque élève. Pour un jeune Asperger, il s’agit de négocier ce virage avec une approche sociale, éducative et cognitive particulière. Mais bien franchir ce virage ne suffit pas: il s’agit de continuer la route… C’est l’expérience qui a été menée avec Bryan, entre la fin de la 6e primaire et son intégration au secondaire.

Pour une approche théorique du «syndrome d’Asperger» La définition du syndrome d’Asperger, donnée par la CIM (Classification Internationale des Maladies, 2000) parle de troubles de validité nosologique incertaine, caractérisés par une altération qualitative des interactions sociales réciproques, semblables à celles observées dans l’autisme. Y est associé un répertoire d’intérêts et d’activités restreint, stéréotypé et répétitif. 16

Ce syndrome a été décrit pour la 1re fois par le pédiatre autrichien Hans Asperger en 1943. Il a été reconnu officiellement par le DSM IV en 1994.2 Le syndrome d’Asperger est une forme d’autisme sans déficience intellectuelle et sans retard du langage. Ces élèves ont donc le potentiel intellectuel qui va leur permettre de suivre l’enseignement ordinaire, moyennant quelques aménagements. Cependant, certaines caractéristiques liées à ce syndrome, peuvent, en cas de non connaissance, déstabiliser l’enseignant et fortement pénaliser l’écolier. Par exemple: • altération des interactions sociales qui sont souvent naïves, inappropriées, donc capacité restreinte à établir des relations amicales; • manque d’empathie (difficultés à attribuer à autrui des pensées, des émotions); • difficultés à comprendre les règles tacites de conduite sociale; • grande vulnérabilité émotionnelle; • langage très développé, voire pédant, mais qui peut être très répétitif; • faiblesse de la communication non-verbale; • contact oculaire pauvre, fuyant; • difficultés de compréhension de l’implicite, du double sens, de l’abstrait; • préoccupation intense pour certains sujets; • maladresse, altération de la coordination motrice; • attitudes «bizarres»; • forte résistance aux changements, à l’inconnu; • grandes difficultés de concentration; • ... Mais l’élève Asperger dispose aussi de ressources qui peuvent lui permettre de s’adapter aux demandes scolaires et sociales de l’école: • grande honnêteté et loyauté; • absence de préjugés; • pensée originale;

• volonté de s’adapter à la norme; • mémoire exceptionnelle à long terme et excellente mémoire visuelle; • de cas en cas, bonnes compétences en technique de lecture, en orthographe ou en calcul; • QI dans la norme, voire supérieur...

L’élève Asperger face à l’école Nous constatons donc que, par rapport aux élèves neuro-typiques, un enfant Asperger rencontre des difficultés, sur trois axes essentiels, liés aux compétences de la réussite scolaire: • savoir communiquer avec son entourage; • comprendre les interactions sociales; • comprendre et traiter les informations dispensées par les enseignants. Démunis de ces compétences centrales, liées au spectre autistique, il est fort à parier que ces élèves vont entrer dans les apprentissages et dans les relations sociales de manière atypique et inadéquate, ce qui peut les conduire à l’échec scolaire. A noter qu’au moment de l’adolescence, leur construction affective et psychologique est extrêmement fragile, ce qui peut les conduire à une profonde dépression s’ils vivent régulièrement l’échec, l’anxiété et l’insécurité. Si l’on se souvient que ces élèves ont généralement un potentiel intellectuel leur permettant de réussir leur scolarité, il vaut la peine de réfléchir à une approche différenciée que peut leur apporter l’école, avec le soutien de l’enseignement spécialisé, en collaboration étroite avec les enseignants de branches, les parents, les thérapeutes et les autorités. C’est dans cet état d’esprit que s’est construit le projet actuellement en cours pour Bryan. 1

Bryan est un nom d’emprunt A notre connaissance, cette pathologie sera supprimée dans le DSM V (!) 2


De l’école primaire au CO La question du passage au CO de Bryan a été abordée dès le mois de novembre précédent la rentrée. Cet élève - alors en 6P - a suivi le cursus scolaire ordinaire, sans redoublement, moyennant un accompagnement ciblé et personnalisé. L’ensemble des partenaires ayant pris part au projet (parents, enseignants, thérapeutes, autorités scolaires, ainsi que Bryan) sont satisfaits des résultats obtenus. La réflexion portera surtout sur le chemin parcouru avec cet élève durant ces 5 dernières années; sa marge de progression est incontestable. Il est alors évident, pour tous, qu’un projet dans la continuité, mais en tenant compte des spécificités de la nouvelle structure qui va l’accueillir (CO) doit être créé pour cet élève. Plusieurs étapes préparatoires avec les différents protagonistes ont été échelonnées sur 10 mois avant le début de l’année scolaire: L’autorité scolaire (Service de l’enseignement spécialisé) Ces rencontres ont été le point de départ qui a permis de présenter la situation de cet élève. Bien qu’il soit déjà connu par l’OES, il était important de repréciser les ressources et les difficultés de Bryan et de défendre l’idée de continuer à le soutenir dans sa scolarité. Il ne faut pas oublier qu’au-delà de l’aspect humain, l’autorité compétente détient également le pouvoir d’attribuer les «ressources matérielles» nécessaires à un tel projet! La famille Les parents doivent aider leur enfant à quitter un système dans lequel ils avaient confiance et qui a permis à Bryan d’évoluer favorablement. L’inconnu est également pour eux une source de stress, qu’il faut absolument éviter de transmettre au principal intéressé. Il est donc important de les rassurer en leur proposant une continuité dans la prise en charge, tout en les informant des contraintes liées au fonctionnement d’un CO. L’élève Les discussions ont été fréquentes entre l’élève et l’enseignante spécialisée. Les questions revenaient de façon récurrentes. Répondre avec patience et empathie a permis de diminuer sen-

siblement les angoisses formulées par Bryan. De manière plus pragmatique, le directeur du nouvel établissement nous a reçus, afin de visiter l’ensemble des locaux. De plus, nous avons eu l’occasion d’intégrer durant une demijournée un groupe-classe et de suivre les cours qui étaient dispensés. Ces démarches ont permis de donner des réponses concrètes aux soucis concrets que rencontrent les personnes Asperger, à savoir: peur de l’inconnu, forte résistance aux changements... Les professeurs du CO L’ensemble du corps enseignant secondaire était inquiet à l’annonce de l’intégration d’un élève «différent» dans leur établissement. La dénomination «syndrome d’Asperger» leur étant totalement inconnue, leur souci était palpable. Lors d’une réunion de centre, une information leur a donc été donnée sur les particularités liées à ce syndrome, ainsi que sur le projet mis en place. Les élèves de la classe Il nous a paru essentiel d’intégrer au projet un autre partenaire: les élèves de la classe dans laquelle allait vivre Bryan. En effet, ses interactions sociales particulières, sa communication différente, l’intervention d’une enseignante spécialisée allaient probablement les interpeller. Dans un souci de transparence et afin de protéger Bryan de toute intervention malveillante, ces élèves ont reçu une information adaptée à leur âge sur l’accueil d’un élève différent. L’enjeu étant de les considérer comme des alliés, en leur demandant un rôle s’apparentant à celui d’un «grand frère bienveillant».

Aménagements, adaptations et interventions effectuées au CO Le projet peut alors entrer dans sa phase pragmatique. Les 5 périodes hebdomadaires accordées pour cet élève ont été utilisées de la manière suivante: Prises en charge pour la différenciation L’enseignante spécialisée intervient dans la classe à raison de 2 périodes: 1 en maths et 1 en allemand. Ces temps sont très utiles pour observer le fonctionnement de l’élève, pour l’aider

à se concentrer, pour répondre à ses questions «à chaud», pour l’accompagner dans les tâches demandées par l’enseignant de branche. Autre aspect non négligeable: récolter des informations concernant les exigences, les tâches à domicile, les échéances des examens, les matières, afin de structurer l’élève Asperger pour qu’il puisse répondre à l’ensemble des demandes scolaires. Finalement, il est également intéressant d’être présente dans le groupeclasse afin d’avoir une comparaison avec la norme dont font partie les autres élèves. Les 3 périodes restantes sont des prises en charge individuelles. Les interventions sont de 3 ordres: • social et affectif: écouter, rassurer, expliquer les codes sociaux et les règles implicites; • organisationnel: établir des routines, classer et ranger le matériel, vérifier que toutes les tâches soient notées correctement dans l’agenda, expliquer clairement toute activité qui sort de la routine habituelle (sorties culturelles et sportives, visite médicale,…); • cognitif: reprendre les notions scolaires pour l’ensemble des branches (essentielles et secondaires), détecter ce qui pose problème dans la compréhension de la matière ou des consignes, reformuler, créer des supports visuels facilitant les apprentissages. Evaluations Nous partons du principe qu’il est important de rester en lien avec les objectifs scolaires définis pour l’ensemble des élèves. Or, comme cité plus haut, l’une des difficultés majeures liées au syndrome d’Asperger est la compréhension et le traitement du langage, entre autres des consignes écrites ou orales. Une part importante du travail de l’enseignante spécialisée est alors d’effectuer des modifications sur les épreuves, afin de les rendre accessibles à Bryan pour qu’il puisse démontrer ses compétences cognitives. Il s’agit en fait d’intervenir un peu comme une «traductrice»: employer une formulation qui permet d’être comprise par l’interlocuteur. Concrètement, il faut travailler sur plusieurs plans: sémantique, structurel, présentation,… tout en gardant les objectifs à évaluer. Ce processus va passer par des étapes successives.

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Les différentes étapes du processus d’accompagnement • Les enseignants font parvenir l’épreuve à l’enseignante spécialisée quelques jours avant; • celle-ci propose à Bryan chaque consigne (mais la plupart du temps il ne voit pas l’exercice); • soit Bryan a une compréhension correcte et démontre qu’il pourra entrer dans l’activité d’évaluation et on passe plus loin; soit sa compréhension est erronée, voire nulle ce qui va l’empêcher de démontrer ses connaissances; • dans ce 2e cas de figure, il s’agit pour l’enseignante spécialisée d’entamer un entretien d’explicitation qui va lui permettre de comprendre ce qui bloque Bryan afin de dégager les éléments qu’il faudra modifier; • ensuite, il faudra remettre en forme la consigne en tenant compte des informations récoltées auprès de l’élève; • enfin, l’épreuve modifiée est retransmise à l’enseignant de branche qui fait passer le test à Bryan dans les mêmes conditions que le reste de la classe. Au fil du temps, lorsqu’on avance dans la connaissance du fonctionnement de l’élève Asperger, il devient possible d’intervenir sur les consignes sans l’intervention de ce dernier.

La consigne: un élément de réussite… Tout enseignant est conscient que la bonne compréhension de la consigne est un élément central dans la réussite scolaire. Elle l’est encore plus pour un élève Asperger. Voici deux exemples qui illustrent les difficultés que peuvent rencontrer ces élèves face à des demandes «banales» pour tout autre écolier: Premier exemple:

Deuxième exemple: Au terme d’un long travail sur l’imparfait et le conditionnel présent, l’enseignant propose un exercice à trous des plus conventionnels avec la consigne suivante: «Choisis entre l’imparfait et le conditionnel présent, puis complète à l’aide des verbes entre parenthèses» Lors de la correction, Bryan n’obtient que 5 points sur 12. L’enseignante spécialisée qui l’a suivi durant cet apprentissage est certaine qu’il possède parfaitement les connaissances liées à ce thème. De plus, elle constate que tous les verbes ont été mis à l’imparfait. Surprise par ce résultat qui ne correspond pas à ce qu’il sait, elle engage avec son élève, la discussion suivante: - Bryan, peux-tu me dire à quel temps tu as mis les verbes de cet exercice? - A l’imparfait! - Est-ce que tu saurais les écrire au conditionnel? - Oui. - Est-ce que tu connais la règle pour savoir lequel des 2 temps tu dois employer dans les phrases? - Oui. (il la récite parfaitement). - Alors comment se fait-il que tu aies mis tous les verbes de cet exercice à l’imparfait? - C’est écrit: «Choisis entre l’imparfait et le conditionnel…», alors moi j’ai choisi l’imparfait, parce que c’est plus facile!

«L’important n’est pas de vivre comme les autres, mais parmi les autres» Pour conclure, je reprends et souligne cette phrase déjà citée en introduction. L’école a un rôle à jouer dans la mise en pratique de cette déclaration de Daniel Tammet. Dans le cas qui nous occupe, cela passe par la reconnaissance des élèves avec un syndrome d’Asperger et de leurs spécificités, mais aussi par des interactions ciblées. L’image de l’enseignant spécialisé dans un rôle de «traducteur» est sans doute très représentative du travail effectué auprès de ces jeunes. Par ailleurs, permettre à chaque élève de pouvoir vivre parmi les autres, n’est-ce pas l’ambition affichée par l’autorité scolaire et politique? Cette expérience a permis, pour l’instant, à Bryan de faire partie de notre monde et comme chaque fois qu’une nouvelle couleur vient enrichir une palette… le monde a tout à y gagner.

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Bibliographie ASPERGER, H. (1998). Les psychopathes autistiques pendant l’enfance. Paris: Institut Sythélabo. ATTWOOD, T. (2003). Le Syndrome d’Asperger et l’autisme de haut niveau. Paris: Dunod. ATTWOOD, T (2008). Le Syndrome d’Asperger – Guide complet. Bruxelles: De Boeck. HADDON, M. (2003). Le bizarre incident du chien pendant la nuit. ISABELLE, A. (2004). Il était une fois… le syndrome d’Asperger. Témoignage d’une mère. Paris: Ed. de l’Officine.


Recensement et promotion artistiques Mir’arts se dévoile Olivier Salamin, membre du comité de rédaction

Le 15 janvier dernier à la Haute Ecole pédagogique de Lausanne, ASA-Handicap mental vernissait avec ses partenaires le coffret: «Mir’arts: Le reflet de nos différences». Cette Journée «Découvertes» a permis à une quarantaine de participants de mener un après-midi de réflexion, ponctué d’ateliers, de rencontres et de témoignages qui avaient pour but de marquer l’événement, mais surtout de questionner la pertinence de l’objet et ses développements possibles. Un inventaire Belle unanimité concernant l’intérêt de réaliser un premier inventaire des productions artistiques de personnes handicapées mentales. L’exhaustivité était sans doute un objectif par trop ambitieux, mais le coffret a l’immense mérite de détailler par fiches: des portraits d’artistes ou encore des troupes, des compagnies ou des ateliers. Un titre qui fait débat Si le titre Mir’arts a été salué pour sa beauté et sa dimension évocatrice, le sous-titre: «Le reflet de nos différences» a par contre fait débat! Le public sera-t-il sensible à l’argument de Christian Moeckli (directeur de la Fondation EbenHézer) qui voyait l’opportunité, dans cette précision, de souligner l’importance de la diversité ou verra-t-il, comme le redoutent certains, une expression qui met en avant le handicap avant l’œuvre elle-même? Une forme à développer Les fiches permettent la découverte de talents très intéressants. Nous regretterons simplement l’inégalité de traitement et, certaines photos n’étant pas à la hauteur de l’ambition du projet, la présentation graphique qui met parfois mal en valeur la qualité de l’œuvre ou le portrait de l’artiste. La différence est particulièrement frappante dans le descriptif de l’œuvre qui peut aller de la simple ligne à une longue évocation poétique. Enfin, l’agencement même des photos est artisanal par rapport à un ouvrage qui est sans cela d’excellente facture. Des perspectives La méthodologie des ateliers a permis par petits

groupes successifs, de faire plus ample connaissance et de proposer des développements pratiques au projet. Une actualisation du répertoire passe à l’évidence par la création d’un site internet. La production d’un coffret est en effet très coûteuse et difficile à mettre à jour. D’autres idées ont également surgi: • l’intérêt de mettre sur pied des expositions, par exemple interinstitutionnelles; • la nécessité de promouvoir les artistes et les œuvres auprès de galeries ou de lieux publics; • la création d’une maison de la culture qui aurait pour vocation de regrouper et de soutenir les productions artistiques de personnes handicapées mentales. Les artistes n’ont pas participé à cette journée, mais les étapes ultérieures du projet devraient ainsi permettre la rencontre et la promotion de leur travail. L’enjeu que nous retiendrons est celui d’une tentative de normaliser une production qui reste singulière dans la société. Après l’exhaustivité, il faudra passer par les jugements «autorisés» qui distinguent dans la vie de tous les jours une «œuvre» d’une «croûte». Oser le pas ne sera pas si simple, c’est tout le mal que nous souhaitons à Madame Teresa Maranzano, historienne d’art, qui est dès à présent chargée de donner au projet son véritable envol...

A l’initiative de plusieurs institutions romandes: Eben-Hézer(Lausanne), l’Espérance (Etoy), la FOVAHM (Valais) et la Fondation Clair Blois (Genève), une enquête a été réalisée par Martine Rouiller, puis produite à l’imprimerie des Maisons des Chavannes, sous la forme d’un coffret qui regroupe des fiches de présentation des œuvres et des artistes.

L’expérience de la FOVAHM rapportée en atelier mérite d’être soulignée pour sa grande cohérence. La Fondation avait pour objectif de créer un atelier artistique, aussi a-t-elle ouvert le projet sous la forme d’un concours. Chaque résident a ainsi pu soumettre un portfolio et a été retenu en fonction de la qualité de ses productions et de sa motivation pour constituer l’équipe de St-Maurice. Dans le coffret, l’atelier ne se présente pas en tant que tel, mais les portraits des artistes qui l’occupent s’articulent autour des œuvres qui définissent leur style. Une opportunité de choix enfin, dans la possibilité d’exposer à la Fondation Gianadda l’été prochain, a été réservée à un artiste spécialement sélectionné pour l’événement. Le risque était de tenter de placer l’ensemble, ce qui aurait moins été une reconnaissance du parcours artistique que du handicap. Ce qui a fait dire au directeur de la Fondation, Jean-Marc Dupont, à propos du coffret Mir’arts: «Des galeries devraient faire leur choix sur la base du recto des fiches!», autrement dit sur la seule présentation des œuvres et pas sur le fait que celles-ci ont été réalisées par une personne en situation de handicap...

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Interface

Quand la recherche dynamise l’action éducative

L’évaluation de l’Appartement pour adultes atteints de Troubles Envahissants du Développement (T.E.D.) du Centre Perce-Neige Lignières. Quel regard, quelle réalité? Véronique Zbinden Sapin*, Pierre-André Chavanne*

Depuis février 2006, cinq personnes adultes atteintes de Troubles Envahissants du Développement (dont le trouble autistique) ou présentant des besoins similaires vivent à Lignières (canton de Neuchâtel) dans une structure mise sur pied à leur intention par le Secteur des Foyers Occupationnels de la Fondation les Perce-Neige: l’Appartement du Centre Perce-Neige Lignières.

Les auteurs: Véronique Zbinden Sapin, psychologue et professeure spécialisée HES, Haute Ecole fribourgeoise de travail social (HEF-TS), Rue Jean-Prouvé 11, 1762 Givisiez, veronique.zbindensapin@hef-ts.ch

026/429.62.78. Pierre-André Chavanne, éducateur social, Centre Perce-Neige Lignières (CPNL), Secteur des Foyers Occupationnels, Rte des Eussinges 14, 2523 Lignières, Pierre-Andre.Chavanne@ne.ch,

Tél. 032/751.50.40.

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En 2008, la Fondation a mandaté la Haute Ecole fribourgeoise de Travail social pour évaluer cette nouvelle offre: des observations sur les lieux ainsi que des entretiens avec les familles des personnes vivant à l’Appartement et les professionnels1 ont permis de rendre compte de l’accompagnement offert. Suite à cette analyse, les points forts de l’accompagnement ont été présentés et des pistes d’action proposées pour l’améliorer. Une brochure a été éditée, dans laquelle les résultats de la recherche sont présentés en détails (Fischli, Rougemont, Cartier-Nelles, Zbinden Sapin & Pouly, 2009). Des familles soulagées La recherche montre la satisfaction des familles des personnes vivant à l’Appartement. Les parents sont soulagés d’avoir trouvé un lieu de vie qu’ils considèrent comme adapté à leur enfant devenu adulte, et dans lequel ils perçoivent qu’il se sent bien. Une qualité de vie améliorée pour les personnes atteintes de T.E.D. Plus de participation dans les activités du quotidien et une autonomie grandissante, des capacités communicatives (verbales et/ ou non-verbales) en progression, plus d’interactions sociales positives, des troubles du comportement et des stéréotypies en diminution, plus d’affection démontrée: tous les parents constatent une évolution positive de leur enfant depuis son intégration à l’Appartement. Ils relèvent que ces progrès perçus se produisent, alors que la situation de leur enfant stagnait voire se détériorait (augmentation de troubles du comportement notamment). L’équipe éducative constate également ces changements positifs. Les points forts de l’accompagnement L’accompagnement à l’Appartement est basé sur des connaissances actualisées du fonctionnement des personnes atteintes de T.E.D. et concorde avec les pratiques recommandées aujourd’hui. Un accompagnement structuré L’accompagnement permet aux personnes

de se repérer et de comprendre leur environnement grâce à une structuration des espaces, des temps et des activités. Celles-ci sont planifiées de manière régulière dans la semaine et dans la journée. Elles se déroulent dans des lieux précis: les personnes qui y participent restent stables. Les transitions entre les activités sont clairement marquées. Cette régularité dans l’organisation de la vie à l’Appartement est rendue accessible aux résidents par des supports visuels extérieurs (par exemple, des emplois du temps): ceuxci sont différents pour chaque résident en fonction de ses possibilités de compréhension et de ses besoins d’information. Cette structuration, mise en place en adaptant toute l’organisation du lieu, permet aux résidents de prévoir le déroulement de leur journée et de gagner en autonomie dans les activités, comme dans l’orientation et les trajets à l’intérieur des espaces. Elle permet également de diminuer l’anxiété, car elle soutient la compréhension du sens des situations. Les personnes peuvent alors répondre de manière fonctionnelle et développer leurs compétences. Un accompagnement personnalisé Chaque résident a un programme d’activités spécifique correspondant à son profil (goûts, compétences) et appliqué avec régularité. L’accompagnement est individualisé: le groupe entier participe rarement en même temps à la même activité. Les particularités et intérêts spécifiques de chacun sont respectés et utilisés pour construire les activités. Un accompagnement adapté dans la communication et les interactions sociales Des objectifs individualisés sont posés dans les domaines de difficultés spécifiques des personnes atteintes de T.E.D.: la communication et les interactions sociales. Les modes de communication sont choisis en fonction des compétences et des besoins des personnes: les consignes verbales sont précises et claires et le langage adapté. Elles sont parfois augmentées par des images, des photos, ou encore des consignes écrites. Les situations d’interactions sociales hors de l’Apparte-


ment sont non seulement régulièrement proposées mais aussi toujours annoncées et préparées. Une approche positive et préventive des troubles du comportement (TC) Une approche positive et préventive des TC est appliquée. Une analyse fonctionnelle des troubles est menée permettant de repérer les situations qui les provoquent et d’y trouver des alternatives. Des procédures précises et partagées par l’ensemble de l’équipe existent pour prévenir et/ou intervenir. Les TC sont considérés comme des conséquences de la difficulté à comprendre la demande de l’environnement et à communiquer. Des activités visant la réduction de la tension émotionnelle sont proposées. Une approche favorisant la collaboration avec les parents Les familles et les professionnels ont des contacts réguliers et directs. Cette collaboration permet de maintenir des liens familiaux, de partager les expériences et de garantir la cohérence nécessaire entre les deux environnements de vie. Quelques conséquences de la recherche pour l’action éducative La recherche a proposé des pistes de développement qui ont été mobilisées par l’équipe éducative: elle a ainsi eu des implications concrètes sur l’accompagnement. La structuration des zones sensibles Certains moments étaient peu ou pas structurés (soirées, week-ends). Ce constat a conduit à une réflexion pour mieux définir ces moments et rendre leur déroulement accessible aux résidents. Un moment précis, constituant une balise temporelle, a été fixé en début de week-end pour informer les résidents de la suite de la journée, ce qui a permis de diminuer leur anxiété. Concernant les soirées, la réflexion se poursuit et passera par la mise en place de nouveaux outils de communication, adaptés et individualisés. L’évolution des emplois du temps Les emplois du temps se sont affinés, pour être plus compréhensibles et utiles aux résidents. Un emploi du temps quotidien pour l’ensemble du groupe est placé au centre de l’Appartement: il contient toutes les informations (acti-

vités, participants, etc.) sous forme de pictogrammes et de photos. Chaque résident dispose en plus de son propre emploi du temps, individualisé, placé dans sa chambre. Un système permet de se repérer dans l’emploi du temps: un résident enlève les pictogrammes et «déconstruit» son emploi du temps au fur et à mesure du déroulement de la semaine. Il visualise ainsi l’avancée de son programme jusqu’au week-end. La consultation des emplois du temps en cours de journée s’est systématisée, permettant de marquer chaque transition d’une activité à l’autre. La promotion du changement De manière concrète, voici un exemple du déroulement d’une activité. Deux groupes de marcheurs, toujours composés des mêmes participants (résidents et éducateur), ont été formés. Les résidents sont prévenus du début de l’activité par un passage devant l’emploi du temps commun. Puis, les résidents dont l’emploi du temps individuel contient le pictogramme signifiant «Activité Marche» l’enlève et le range, ce qui signifie le départ pour une marche, dont le parcours est connu de tous. La structuration nécessaire à l’accompagnement des personnes atteintes de T.E.D. peut paraître rigide, mais elle n’implique pas l’immuabilité : au contraire, elle va promouvoir le changement. Ainsi, les marcheurs passaient devant le magasin du village: petit à petit, l’ «Activité Marche» a évolué en intégrant un passage au magasin, où chaque résident fait ses propres achats. Certains résidents avaient déjà un porte-monnaie: les autres ont fait comprendre leurs besoins d’avoir aussi de l’argent. Chacun en dispose aujourd’hui et l’utilise dans ce cadre précis, laissant émerger ses envies et besoins propres dans cet espace d’autonomie nouvellement créé. La réflexion sur l’accompagnement et ses objectifs Un colloque pédagogique a été ajouté aux réunions hebdomadaires de l’équipe éducative. Appuyée par un conseiller pédagogique, l’équipe dispose ainsi d’un nouvel espace de réflexion: l’individualisation de l’accompagnement s’y concrétise par la mise en place d’un système plus précis de pose et d’évaluation des objectifs de l’accompagnement pour chaque résident, ce qui permet de suivre leur progression et d’évaluer

l’action éducative. La promotion de l’expression La réflexion de l’équipe s’est également poursuivie sur le choix et la cohérence d’utilisation des supports à la communication. L’utilisation de pictogrammes s’est généralisée pour transmettre des informations aux résidents concernés. Il s’agit maintenant d’augmenter la communication par des images, non seulement pour transmettre des informations des éducateurs aux résidents, mais aussi pour que ces derniers puissent exprimer leurs besoins et préférences: dans ce but, toute l’équipe a suivi une formation spécifique (PECS: Frost & Bondy, 1994) et s’apprête à la mettre en œuvre pour les résidents concernés, visant à développer ainsi leur autodétermination. Une dynamique d’adaptation Ces exemples montrent qu’une dynamique de réflexion et d’amélioration est en marche: les résultats de la recherche ont été mobilisés par l’équipe éducative qui a pu bénéficier de formations spécifiques ainsi que du soutien d’intervenants spécialisés dans l’accompagnement de personnes atteintes de T.E.D.. L’équipe éducative constate des progrès et une baisse importante des TC, ce qui confirme qu’une adaptation de l’accompagnement permet d’endiguer leur progression. Dans le cadre plus large de la Fondation, la création d’un nouveau groupe éducatif pour personnes adultes atteintes de T.E.D. est en projet et l’intervention auprès de personnes présentant des TC se modifie. La forme masculine est utilisée pour faciliter la lecture, ce qui ne reflète en rien une discrimination basée sur le genre: les termes s’appliquent aussi bien aux genres féminin que masculin. 1

Références Fischli, A., Rougemont, I., Cartier-Nelles, B., Zbinden Sapin, V. & Pouly, Y. (2009). «Le Groupe de l’Appartement». Une expérience neuchâteloise d’accueil de personnes adultes autistes au Centre Perce-Neige Lignières. Neuchâtel: Fondation Les Perce-Neige, Secteur des Foyers Occupationnels. Frost, L., & Bondy, A. (1994). PECS: Système de communication par échange d’images. Paris: PECS-France

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La boîte à outils

Idées simples, grands choix Sébastien Delage, en collaboration avec Didier Gabathuler et l’ATU Falaises, Fondation «Les Perce-Neige» (NE)

Nous poursuivons ici la série de reportages-flash sur les bonnes idées des maîtres socio-professionnels, entamée en avril 2009 dans cette revue avec la complicité de l’ATU Falaises, atelier protégé dépendant du secteur des ateliers de la Fondation «Les Perce-Neige», à Neuchâtel.

D’un geste, dirigé sur l’image ou sur le texte, chacun peut désormais dire ce qu’il veut vraiment.

Notre premier mini-reportage avait permis de montrer comment une personne avec un handicap mental pouvait gérer un stock complexe. Notre deuxième compte rendu va, lui, s’intéresser au choix des victuailles à disposition à la cafétéria de l’Atelier. En pause, l’on devrait pouvoir choisir sa boisson, sa collation, son petit plaisir quotidien. Mais quand on ne peut pas exprimer son choix, la frustration guette! Dommage, d’autant plus que les moments de pause sont des instants privilégiés, conviviaux, des instants «à soi», où la liberté individuelle peut s’exprimer par des petites choses qui donnent bien du plaisir dans la vie. A la cafétéria de l’ATU Falaises, le choix est varié. Et chacun croyait qu’Antoinette, une personne sourde et muette, aimait bien son matinal café-avec-sucre-et-unpeu-de-lait. Jusqu’au jour où, après un certain temps d’habitudes rodées, le doute s’est instauré: et si Antoinette était très polie, mais qu’en fait elle souhaitait autre chose? Et si sa difficulté à s’exprimer avait des conséquences dans ses choix quotidiens? Il fallait lever le doute. Antoinette n’était d’ailleurs pas la seule concernée: trois autres ouvriers de l’atelier protégé n’étaient pas non plus en mesure d’exprimer par la parole leur choix. L’idée des MSP a donc été de lister par écrit et par image tout le choix de la cafétéria. Et, surprise, les choix jusque-là bien rodés que faisaient les ouvriers ont varié et sont devenus «inhabituels». Les petites images de victuailles ont donné des envies d’essayer, ont donné de la gourmandise et de la variation dans les choix.

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Par cette petite idée, les inventifs MSP de cet atelier protégé valorisent ainsi l’autonomie de leurs ouvriers. Modeste en apparence, cet outil de communication a le mérite d’être simple, ingénieux, et reproductible en tout contexte. Il autorise chacun à faire des choix qui amènent un peu de piment dans la vie.


Sélection Loïc Diacon, responsable infothèque, Haute Ecole de Travail social (IES), Genève

Le polyhandicap au fil des saisons Annie Saby Paris: L’Harmattan, 2009

Voici le fruit d’un travail de plusieurs saisons d’écriture, le quotidien d’une famille confrontée au polyhandicap d’un enfant, décrit par petites touches impressionnistes. Ce témoignage se veut sans complaisance, simplement tel qu’il a été vécu de l’intérieur. L’auteur espère donner un éclairage aux institutions et aux professionnels, et apporter un peu de réconfort aux familles. C’est avec un brin d’humour et beaucoup de poésie que l’auteur aborde un sujet douloureux, en brodant cet ouvrage avec les couleurs du fil de la vie. La vie psychique des personnes handicapées: ce qu’elles ont à dire, ce que nous avons à entendre Dirigé par Simone Korff-Sausse Toulouse: Erès, 2009

La personne en situation de handicap, atteinte dans son intégrité, nous renvoie une image dans laquelle nous avons peur de nous reconnaître. Le sujet handicapé est porteur d’une telle souffrance que nous préférons penser qu’il n’en est pas conscient et imaginer qu’il n’a pas les capacités intellectuelles de penser la situation qui est la sienne. Il suscite un tel sentiment d’inquiétante étrangeté que nous préférons détourner le regard et fermer nos oreilles. Lorsque son entourage parle de lui, c’est le plus souvent en termes d’organisation matérielle de la vie: insertion sociale, appareillages, rééducations, emploi du temps. Mais il est rarement question de sa vie psychique. Comment comprend-il sa situation? Qu’en pense-t-il? Qu’imagine-t-il pour le futur? Comment vit-il les frustrations permanentes? Quels choix de vie voudrait-il faire? Ces questions semblent frappées d’un interdit. Les auteurs de cet ouvrage, issu du troisième séminaire interuniversitaire sur le handicap, partent de l’hypothèse que toute personne humaine, aussi démunie soit-elle, a quelque chose à dire de sa position subjective. Encore faut-il l’entendre... et accepter de questionner les présupposés qui nous empêchent de nous identifier à une personne si différente, si loin de notre expérience quotidienne, de nos certitudes perceptives et de nos éprouvés corporels, pour découvrir son monde intérieur.

L’adolescent sourd: son parcours et ses questions Actes, journée d’études 22 novembre 2008 Publié par Groupe d’étude et de recherche sur la surdité. Paris: L’Harmattan, 2009 Contacts sourds-entendants: No 4

L’adolescence est une période de transition, une crise, un passage, où l’adolescent invente sa propre manière de se situer dans le monde et de se faire une place dans le lien social. Autrefois, ce moment se manifestait par une révolte contre le père. Mais on sait le déclin de l’autorité, la chute de l’imago paternelle, et ce n’est plus en s’affrontant à son père que l’adolescent découvre qui il est. Il trouve ses repères avec ses semblables, au sein d’une bande, avec ses codes et son langage. D’où cette dérive, tant de fois stigmatisée, vers un communautarisme où l’identification prend appui sur l’image du semblable. Il en va de même pour l’adolescent sourd. Pourtant, bien souvent, son parcours s’avère difficile. Si, dès l’enfance, la langue orale lui a été inculquée comme le seul code de communication, sans la liberté et le plaisir de jouer avec les mots, il exprimera alors indifférence et ennui, comme si aucune parole créatrice ne parvenait plus à dire son intimité. Il faut pour dépasser cette difficulté conduire l’adolescent au point où il pourra prendre la parole, sous toutes ses formes - avec ce que cela comporte de risques et de malentendus mais aussi, ce qui va de pair, de créations et de vie - afin qu’il puisse, sans renoncer à sa singularité, trouver sa place dans la vie sociale et inventer son avenir. Les changements éducatifs intervenus ces dernières années modifient-ils de façon significative cette dynamique? Emotions et sentiments: images, corps et langage Labes, Geneviève et Deveyle, Pascale Montreuil: Ed. du Papyrus, 2009

Un livre pour accéder au concept des émotions et des sentiments à travers trois types d’exercices: évocation symbolique de l’identification du sentiment, expression corporelle de l’expression verbale, expression verbale de la représentation de l’expression corporelle. Il permet à l’orthophoniste ou au psychomotricien de faire participer l’enfant à la découverte du monde des sentiments.

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Séminaires, colloques et formations

Modalités de l’intervention précoce intensive en autisme

En présence des diverses croyances religieuses, quelle éthique pratiquer?

Intervenante: Marie-Hélène Bouchez 14, 15, 16 avril 2010

Intervenant: Jean Bédard Cours Améthyste no 379 7-8 juin 2010

Renseignements et inscriptions: éésp-Vaud, Unité de formation continue http://ufc.eesp.ch - tél. +41 21 651 03 10 formation.continue@eesp.ch

Travailler en réseau et en interdisciplinarité Favoriser la rencontre et le travail au quotidien à travers des logiques différentes Intervenante: Christiane Besson Cours Améthyste no 373 19-20 avril 2010

Renseignements et inscriptions: Christiane Besson, Impasse de la Dîme CH - 1523 Granges-près-Marnand Tél. +41 26 668 02 78 - chr-besson@bluewin.ch

L’accompagnement socio-éducatif d’adultes; Maltraitance - Bientraitance Intervenant-e-s: Marie-Ange Terrier, maîtresse socioprofessionnelle Ralph Agthe, enseignant et éducateur spécialisé 19 et 20 mai 2010 Délai d’inscription: 16 avril 2010 Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet – 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Accompagnement socio-éducatif des personnes adultes ayant des déficiences intellectuelles et des personnes atteintes d’autisme Intervenante : Pilar Bianco 3-4 juin 2010 Délai d’inscription: 3 mai 2010 Renseignements et inscriptions: éésp-Vaud, Unité de formation continue http://ufc.eesp.ch - tél. +41 21 651 03 10 formation.continue@eesp.ch

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Renseignements et inscriptions: Christiane Besson, Impasse de la Dîme CH - 1523 Granges-près-Marnand Tél. +41 26 668 02 78 - chr-besson@bluewin.ch

Le processus d’intégration sociale des personnes différentes (adultes et enfants): quel sens et quelle éthique? En collaboration avec l’Espérance Intervenant: Jean Bédard Cours Améthyste no 380 Date: 9 juin 2010 Lieu: Institution de l’Espérance, Etoy Renseignements et inscriptions: Christiane Besson, Impasse de la Dîme CH - 1523 Granges-près-Marnand Tél. +41 26 668 02 78 - chr-besson@bluewin.ch

Situations de handicap et migrations Intervenante: Geneviève Piérart, professeure HEF-TS Mercredi 9 juin 2010 Délai d’inscription: 7 mai 2010 Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet – 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Congrès du GRAAP SOUFFRANCE PSYCHIQUE ET RETABLISSEMENT SOCIAL 5 et 6 mai 2010 Renseignements: GRAAP Groupe romand d’accueil et d’action psychiatrique Rue de la Borde 25, case postale 6339 1002 Lausanne Tél. +41 21 647 16 00 - www.graap.ch - info@graap-ch


VIE AFFECTIVE, AMOUREUSE ET SEXUELLE des personnes handicapées A qui appartient le désir Qui est censé apporter réponse au désir? Formation exclusivement réservée aux directeur-trice-s et/ou adjoints-es, ainsi qu’aux responsables de secteurs. La finalité de cette session sera d’interroger les responsabilités des décideurs dans ce domaine. Co-animation de Catherine Agthe Diserens, sexo-pédagogue spécialisée et Jean-Louis Korpès, professeur HES.

Les 7, 8 et 9 octobre 2010 La Longeraie, Morges

Pour toute demande d’information ou d’inscription: catherine.agthe@vtxnet.ch korpes.jl@bluewin.ch


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