PAGES ROMANDES - Vulnérabilités

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No 4 décembre 2011

Vulnérabilités



Sommaire

Impressum Pages romandes Revue d’information sur la déficience intellectuelle et la pédagogie spécialisée, éditée par la Fondation Pages romandes, Institution de l’Espérance, 1163 Etoy

Dossier:

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Vulnérabilité

Comité de rédaction Membres: Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga, Sébastien Delage, Olivier Salamin, Cédric Blanc, Michèle Ortiz, MariePaule Zufferey Responsable de publication: Charles-Edouard Bagnoud Parution: 4 numéros par an Mi-mars, mi-juin, fin septembre, mi-décembre Tirage minimal: 800 exemplaires Abonnement annuel Suisse AVS, étudiants Abonnement de soutien Etranger

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2 Tribune libre Sébastien Kessler

3 Editorial Marie-Paule Zufferey 4 La vulnérabilité, une évidence énigmatique Saül Karsz

6 Vulnérable comme les Etats-Unis! Solidarité-Handicap mental 8 Le subtil équilibre de la vie Georges Lalao Rakotoarimanana 10 Border le vide de la rupture Entretien avec Philippe Wenger 12 Vulnérabilité et économie Eric Jaffrain 14 La violence comme expression de la vulnérabilité Pierre Avvanzino 16 Vulnérabilité et maltraitance Marie-Christine Ukelo 19 Le prix 2011 de l’innovation Olivier Salamin 20 Une recherche pour améliorer le soutien aux familles vivant avec une personne en situation de handicap Geneviève Piérart 22 Comment défendre nos intérêts? Mélanie Sauvain, AGILE 23 Sélection Loïc Diacon et Marie-Paule Zufferey 24 Séminaires, colloques et formations

Photos de couverture: Robert Hofer, Sion N.d.l.r.: Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. La présentation, les titres et les intertitres sont de la rédaction. La reproduction des textes parus dans Pages romandes est souhaitée, sous réserve de la mention de leur source. ©Pages romandes


Tribune libre

Vulnérable: un mal nécessaire? Sébastien Kessler, physicien

…pour y avoir réussi sur quelques points suis-je resté sur d’autres d’une vulnérabilité excessive. Par exemple, je me suis guéri à temps d’une mère qui ne m’aimait pas, mais ne suis pas encore parvenu à accepter sans grogner qu’on me serve un gigot trop cuit. Maurice Chapelan, Amoralités familières, 1964 Honnêtement, je ne connais rien au thème de la vulnérabilité. Et vous lecteur, qu’en savez-vous? Surpris, c’est peut-être cette ignorance qui m’a fait répondre positivement à l’invitation de cette carte blanche. Je réalise deux choses. La première est exogène: le terme de «vulnérables» est à la mode, il n’y plus de doute possible. Dans les hôpitaux, les services d’entraide, certaines associations, on retrouve pêle-mêle les requérants d’asile, enfants et adolescents, personnes sans domicile fixe ou désinsérées, migrants précarisés ou personnes à l’aide d’urgence et, plus proches de nous, certaines catégories de personnes en situation de handicap. Infirme, impotent ou invalide c’est fini! Vous serez vulnérable ou normal! Mon second constat est endogène: je n’aime pas ce terme et encore moins si on me l’associe. C’est comme l’éloge de la faiblesse, ce n’est pas que je n’aime pas ce titre, c’est qu’il m’attire astucieusement autant que je le repousse. Peut-être parce que touché dans une forme personnelle de fierté, de déni plus masculin que sensé: au fond de moi je ne suis pas faible comme l’infirme, ni blessé comme l’estropié, ni désarmé comme l’invalide de guerre. Et pourtant, malgré moi, je suis sans cesse bombardé de rappels, de courriers de Pro Infirmis ou de

l’assurance invalidité; ou par un passant ignare - pour ne pas dire aveugle - qui me confond avec Alexandre Jollien et m’assure que lui aussi est pris de faiblesses... Reprenons au commencement: suis-je vulnérable? Et vous, cher lecteur, ressentez-vous parfois cet état suffisamment fort pour vous l’avouer: «Oui, je suis en position de vulnérabilité». Un peu comme le handicap, résultat de l’environnement et d’un truc qu’on nomme déficience, être vulnérable c’est peut-être souffrir d’un mal passager, plus ou moins constant et qui dépend de nous, mais pas seulement. Nous le sommes tous, vulnérable ou handicapé, ne serait-ce qu’un instant; mais pour l’éternité également puisque capable de l’être un jour. Un doute immense s’installe dans mon cœur à croix blanche: Guillaume Tell aussi était-il vulnérable, du moins un jour d’automne de l’an 1307? Lorsque le bailli impérial Gessler (lointain cousin?) le condamna à tirer son carreau d’arbalète dans la pomme posée sur la tête de son fils. Perdant un instant tout contrôle, tout choix possible autre que celui de se soumettre au diKtat, devenant entièrement dépendant dans son corps et son âme. Un instant donné, au travers de la survie de son fils, Tell est prisonnier du bon vouloir d’un collabo des Habsbourg. Tell est seul à avoir sciemment ignoré le chapeau perché, l’unique à ne pas se soumettre en rendant l’hommage attendu. Seul et singulier car excellent tireur, nul autre n’ayant la compétence nécessaire et le courage, bien que prisonnier de son autonomie, pour se sauver d’un tel guêpier. En résumé, la vulnérabilité seraitce perdre le contrôle, être dépen-

dant et singulier? Et bien davantage cela que faible, blessé ou sans valeur? Alors oui, je veux bien accepter, l’espace de quelques instants du moins, d’être vulnérable, tel mon héros Guillaume. Lecteur, je m’interroge encore. Pourquoi donc nomme-t-on une frange de la population vulnérable, par opposition au reste implicitement forte ou puissante? Nommer c’est définir mais c’est aussi isoler, s’en protéger. Il n’y a pas de pont possible, de réelle empathie et si on définit l’Autre comme vulnérable, SDF ou IMC, sans admettre être tout aussi vulnérable. Il n’y a pas de changement possible si l’Autre est isolé dans une catégorie à part. D’ailleurs ne dit-on pas diviser pour régner? Adolf Hitler fit dire dans son combat à Guillaume Tell, semble-t-il1, que «le fort est d’autant plus puissant qu’il est seul». Relecture folle de celui qui, omniprésent parmi les siens, côtoyé en abondance mais tellement à part en réalité, en devient ultravulnérable. L’intégration de l’Autre, de celui que l’on juge sans trop savoir pourquoi, plus vulnérable que soi, n’est pas de le côtoyer, de lui donner une place en le nommant. L’intégration est de reconnaître non pas quelque chose chez l’Autre mais quelque chose en soi. C’est un acte introspectif d’humilité en vue de concéder que nous sommes capables de vulnérabilité; et donc vulnérables. Et si cet acte fait mal c’est qu’il est d’autant plus indispensable. Rendre «autre» les vulnérables n’est qu’un moyen de se rassurer, marquer une frontière chimérique et évacuer l’absolue nécessité de cet aveu de fragilité. G.Haver, Mix & Remix, L’image de la Suisse, Ed. LEP, 2011

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* sebastien.kessler@id-geo.ch


Fragments sur le handicap et la vulnérabilité»*

Edito

Extraits

«Une société perméable à la vulnérabilité, sous ses visages les plus baroques, suppose de renoncer à la prétention de définir «l’être». Cette invention de la philosophie grecque, si noble fut-elle, a abouti à toutes sortes d’abus métaphysiques et de clôtures. Il semble banal de le rappeler: il n’y a que des existences singulières; il n’y a pas «d’être handicapé». Il y a seulement des êtres multiples, inassimilables les uns aux autres et irréductibles à un seul signifiant. Chacun d’entre nous prend sa forme tout au long d’un itinéraire à nul autre pareil. Non, il n’existe pas de solution dans le cadre de la pensée normative, ni dans l’exortation à la pitié ou à la tolérance! L’alternative réside dans une révolution de la manière de penser et de prendre en compte le handicap. Nous avons à susciter de nouvelles Lumières, afin de nous dépêtrer et nous affranchir de diverses formes d’obscurantisme persistantes: fausses croyances, peur chimériques, superstitions, stéréotypes, représentations collectives figées et autres habits de l’hétéronomie. Plus de Bastille extérieure, comme en 1789, mais encore bien des bastilles intérieures dont nous devons nous libérer! Tout se passe comme si nous demeurions dans la prison des conventions, des préjugés communs, dénués de la capacité à sentir autrement, à réinterroger et à admettre la vie multiforme autour de nous. (...) Or le handicap n’est qu’un des aspects spécifiques des problèmes généraux de notre humanité. Il ne fait qu’en jouer le rôle d’amplificateur. Le sort peut amener celui-ci ou un autre, sans aucune prévisibilité, ni équité, à en être victime. Parce qu’il relève de l’ordinaire de la vie, il est à prendre en compte chaque fois que l’on pense l’homme et ses droits, que l’on éduque ou que l’on forme, que l’on élabore des règles et des lois, que l’on conçoit l’habitabilité sociale ou que l’on aménage les espaces citoyens, etc. C’est de cette seule manière que pourra s’accomplir la désinsularisation de ceux qui ne sont pas du bon côté du hasard».

Des mots et des modes Marie-Paule Zufferey, rédactrice

«Je le kiffe grave, mais il me calcule pas», me disait une adolescente en parlant du garçon de ses rêves. La jeune génération a ainsi inventé des mots et détourné certains autres de leur sens premier, afin de créer ses propres codes de communication. Naguère, on aurait dit: «Ce garçon me plaît beaucoup, mais il ne s’intéresse pas à moi». Il arrive aussi qu’un terme jusque-là rangé, discret, inentendu depuis des lustres, soit soudain remis au goût du jour et vienne faire un buzz intergénérationnel inattendu. Ainsi des «indignés»1 qui se lèvent aujourd’hui un peu partout dans le monde à l’appel de Stéphane Hessel, ce «résistant» magnifique de quatre-vingt-treize ans... Et puis, il y a ces vocables qu’on remet en circulation, pour tenter de dire l’indicible, d’expliquer l’inexplicable ou de classer l’inclassifiable. C’est le cas de la «vulnérabilité», cette notion qui renvoie à la finitude de l’humain. Il existe, dans la tradition philosophique, «une pensée qui enracine les actions humaines dans la conscience de la profonde fragilité de notre existence et de nos entreprises. Dans son expression moderne, la conscience de cette fragilité prend le nom de vulnérabilité: vulnérabilité de l’autre, mais aussi vulnérabilité à l’autre. Vulnérabilité, par conséquent, au monde «humain» et pas seulement aux infortunes du sort»2. Faire tourner ce mot devenu à la mode, le soumettre à la réflexion de milieux différents, le questionner avant qu’il ne s’encroûte dans de dangereuses rigidités, telle est l’ambition de Pages romandes. Ce dossier de fin d’année est riche d’interrogations ancrées dans le réel, de témoignages touchants et d’autres réflexions sur le sens profond - et quelquefois caché - de ce vocable dernier cri... Parmi les intervenants, certaines personnes - supposées faire partie des «plus vulnérables» - se demandent avec pertinence, s’il y a «une intelligence de la vulnérabilité», tandis que le philosophe Saül Karsz attire notre attention, au passage, sur le fait que «rien n’interdit de continuer à utiliser ce vocable, tout en sachant qu’il ne s’agit pas d’un concept servant à produire la connaissance de son objet, mais juste d’une manière de parler, voire d’un tic de langage..» Bonne lecture! 1 2

* Charles Gardou, éditions érès 2009

«Indignez-vous», Stéphane Hessel, Indigènes éditions, janvier 2011 Morale de la vulnérabilité, Nouvelles philosophiques, Michel Terestchenko


La vulnérabilité, une évidence énigmatique Saül Karsz, philosophe et sociologque, Paris

A première vue, les choses sont claires et nettes. La vulnérabilité désigne l’état d’une personne placée dans l’impossibilité transitoire ou définitive de réaliser des actes que des autres, réputés non vulnérables, accomplissent habituellement. Cette personne est aux prises avec des sentiments et des configurations psychiques qui la rendent fragile. Elle se trouve dans des rapports de dépendance plus ou moins marqués. Parce que son autonomie est toute relative, sinon pratiquement nulle, elle requiert une attention soutenue, constante. Il est généralement supposé que ce genre de personne vit engoncée dans ses symptômes, difficultés, obstacles. Elle y est attrapée, - sous-entendu: sans guère de défenses, ni de stratégies. Elle est, indique l’étymologie (latin vulnus, blessure, atteinte, lésion), susceptible d’être blessée matériellement et/ou symboliquement. Bref, nous sommes en présence d’une diminution, d’une faille, d’un manque, à réparer, à rendre aussi supportable que possible pour le sujet et pour son entourage, faute le plus souvent de réussir à l’éradiquer… Cependant, un examen détaillé nous réserve quelques surprises. La catégorie de vulnérabilité s’avère bien plus complexe qu’elle ne le paraît. Plus équivoque, aussi. Depuis quelques décennies, son champ d’application ne cesse de s’élargir tous azimuts: tout se passe comme si, à bien chercher, tôt ou tard, tout individu ou groupe est susceptible d’y être inclus. Y compris à son insu. Pour autant, des personnes qu’on dit vulnérables en raison de leur âge, condition sociale, genre, capacités intellectuelles et affectives, ne se reconnaissent pourtant pas forcément dans ce statut, ne se sentent pas concernées, ne comprennent pas pourquoi on tient à les ranger dans

ce registre et à les traiter en conséquence. Cas opposé: des personnes sont intimement convaincues de leur vulnérabilité, ce qu’elles tiennent à manifester chaque fois que l’occasion se présente, sans que pour autant des indices objectifs et repérables ne viennent confirmer cet état… Le droit civil français s’en fait l’écho, lois et jurisprudence connaissent à ce propos un accroissement ininterrompu, des techniques de protection de plus en plus raffinées s’imposent aux personnes déclarées vulnérables et à leur entourage, même si tout le monde n’y trouve pas obligatoirement son compte. Affaire délicate, tant il est vrai que, quand on cherche à soutenir la personne vulnérable vis-à-vis de sa propre vulnérabilité tout en la protégeant de ceux qui pourraient en profiter indûment, le risque est grand d’en faire trop, ou pas assez, ou pas ce qu’il faudrait. C’est également vrai que, de la vulnérabilité psychique à la vulnérabilité sociale, le spectre est large, très large, qui comprend de multiples variantes et variations. D’ailleurs, ces deux grandes sortes de vulnérabilité tantôt existent chacune de son côté, ce qui pose problème car les frontières entre le psychique et le social ne sont nullement étanches, moins encore définitives, tantôt elles se renforcent réciproquement, mais on se demande alors comment cela se passe concrètement, quelle est la part de l’une et de l’autre, laquelle de ces deux modalités serait à l’origine de l’autre… Conclusion: la catégorie unitaire de vulnérabilité englobe des causalités, des actes et des situations parfaitement hétérogènes et disparates. Voilà une construction aussi polysémique que radicalement imprécise. Son développement tous azimuts est directement proportionnel à son flou. Plus on en parle, moins on dit de quoi précisément. Faut-il y voir un inconvénient rédhibitoire?

Remarquons surtout que le terme de vulnérabilité et apparentés illustrent le sort habituel des mots ordinaires qu’on prend pour des concepts rigoureux. Les premiers sont dotés d’un don d’ubiquité qui les fait fonctionner comme des notions baladeuses, corvéables et malléables à merci; les mots facilitent la communication à la condition absolue de ne surtout pas les interroger. Quant aux concepts, ils servent à désigner des objets délimités dans des champs délimités, leur champ d’application étant toujours circonscrit. Ainsi, donner quelque consistance à un terme comme vulnérabilité implique de le placer suffisamment haut afin d’englober toutes sortes d’avatars particuliers, de personnes et de groupes singuliers. Il s’agit du commun dénominateur de situations partiellement ou complètement intransférables les unes aux autres. Pas question, en effet, de tenir compte des singularités de forme et de fond, des disparités de couleurs et d’odeurs, moins encore de les expliquer, - sous peine que la dite vulnérabilité perde de sa raison d’être. C’est pourquoi le terme de vulnérabilité connaît un développement inlassable, généralisé, en toute circonstance, n’importe où. Or, quelle communauté de vie et d’avenir lie le jeune enfant lors du divorce tumultueux de ses parents, l’adulte aux prises avec une maladie dégénérative, le vieillard succombant à la maladie d’Alzheimer, la personne porteuse de handicap physique et/ ou mental… selon que les uns et les autres vivent dans tel ou tel pays, au sein de telle ou telle couche sociale, disposent ou ne disposent pas de certaines ressources familiales, sociales, institutionnelles? Terme aléatoire, allégorique, approximatif? Sans doute. Purement conventionnel et arbitraire, un lieu commun de plus? Surtout pas! Car une logique


Robert Hofer

ferrée organise cette catégorie foncièrement instable. En effet, en matière de vulnérabilité, les idéologies victimologiques battent leur plein. Les personnes ciblées par cette catégorie sont réputées sans défenses et sans stratégies: ces idéologies inventent des êtres passifs, en état plus moins légumineux, récepteurs atones de ce qu’on leur octroie et nullement auteurs actifs de ressourcements, mobilisations et manœuvres. Des réceptionnaires, rarement des entrepreneurs. Méconnaissance de ce banal, de cet extraordinaire entêtement à rester en vie, de cette volonté d’exister malgré et plus d’une fois grâce à leur vulnérabilité réelle et/ou supposée. Méconnaissance, en outre, de la capacité des personnes dites vulnérables à mobiliser leur entourage en leur faveur, et même à rendre visible la vulnérabilité des parents face à leur enfant malade, la déstabilisation professionnelle et personnelle d’enseignants confrontés à des élèves qui ne raffolent guère de leur savoir. La moralité est claire: la vulnérabilité n’existe que dans la distance vis-à-vis de certains modèles de normalité individuelle et collective, dans l’intervalle vis-à-vis de certains référen-

tiels de bonne santé physique et/ou mentale. Il n’y pas de vulnérabilité en soi, mais bel et bien des vulnérabilités comparatives et donc plurielles, articulées à des ressources, conditions, facilités et empêchements chaque fois spécifiques. Non pas l’entité éternelle appelée La Vulnérabilité, mais juste des caractéristiques et des dimensions témoignant d’éventuelles vulnérabilités portées par des sujets et par des groupes qui les gèrent comme ils le peuvent, mais qui les gèrent toujours, - au sein de l’histoire sociale qui les détermine, comme à tout le monde, leur donne une place, et finit par faire de leur vulnérabilité particulière un boulet ou un atout. On évitera, à ce propos, le romantisme qui consisterait à imaginer que les personnes désignées comme vulnérables ne le sont pas du tout, que finalement elles ne connaissent pas des limites particulières et qu’aucune aide ne doit leur être fournie. Las, cela reviendrait à ignorer d’indubitables réalités psychiques et matérielles. Ce sont les idéologies victimologiques qu’il convient de récuser, soit la fiction d’êtres exclusivement et fondamentalement vulnérables, d’individus et de groupes définis par

leur vulnérabilité foncière. Pour tout dire, rien n’interdit de continuer à utiliser ce vocable, tout en sachant qu’il ne s’agit pas d’un concept servant à produire la connaissance de son objet, mais juste d’une manière de parler, voire d’un tic de langage… Cela dit, à qui profite le crime? Insister sur la pluralité des vulnérabilités, sur leur relativité, nous fait comprendre que tout un chacun en est porteur, y est confronté, est tenu de s’en accommoder, de la partager dans la mesure du possible. Mais il y a vulnérabilité et vulnérabilité. Comme souvent, les gens dits normaux jouent ici un rôle prépondérant. En effet, la vulnérabilité des personnes et des groupes qu’on pourrait appeler les vulnérables explicites, désignés, officiels, s’avère d’autant plus écrasante que les supposés normaux tiennent à ne rien savoir de la leur. Ces normaux-là n’ont pas tort: la normalité semble d’autant plus solide qu’on ne l’interroge pas, qu’elle est prise pour une évidence per se. Le problème n’est pas qu’il y ait des référentiels et des modèles, mais qu’on les tienne pour intangibles et non modifiables. Ce n’est pas pour autant que toute vulnérabilité logerait en face.


Vulnérable comme les Etats-Unis!

Réflexions croisées sur la vulnérabilité, Solidarité-Handicap mental Propos recueillis et mis en forme par Isabel Messer, secrétaire générale, Lausanne

Cet article a été écrit sur la base de deux rencontres différentes: l’une mettant en présence un groupe de personnes avec une déficience intellectuelle et l’autre avec des parents, des professionnels et des personnes en situation de handicap. L’article mêle ensuite les propos en fonction des questions posées. Ces deux rencontres ont eu lieu dans le cadre de l’Association SolidaritéHandicap mental.

- Moi, ce sont mes «manques» qui me rendent vulnérable: j’admire tellement les personnes qui ont fait des études ou celles qui sont très manuelles. Il m’est arrivé de dire à ma mère: «mais pourquoi tu m’as fait moche et débile?» Je me sens bête, idiot, car mes frères et sœurs ont fait des études. Je donne un exemple: ça me rend malheureux de ne pas comprendre certains mots. Bien sûr, quand je ne comprends pas, j’ai maintenant pris l’habitude de demander, mais je me sens vulnérable face aux beaux parleurs.

Qu’est-ce que la vulnérabilité pour vous?

- Il y a des gens qui se moquent de nous, ça nous déstabilise et ça nous rend fragiles…

- Mais qu’est-ce que ça veut dire? - Quelqu’un se sent-il de donner une définition? - Pour moi, c’est comme les Etats-Unis, ils se croyaient tout-puissants, inattaquables, tellement forts et puis il y a eu les attentats et ils ont découvert qu’ils étaient fragiles: vulnérables, quoi! - Le regard des autres nous rend vulnérables! En tant que personne handicapée, j’ai l’impression que je me sens davantage touchée par le regard des autres, dans les magasins, dans le bus, dans l’espace public. - Professionnellement, nous sommes vulnérables: parce qu’on ne cadre pas avec les standards de la société! - On se sent tous concernés par la vulnérabilité. En tant que parent d’un adulte handicapé, en tant que personne handicapée, mais aussi durant des périodes particulières de notre vie, en cas de maladie par exemple. - En tant que parents, c’est nous qui sommes les plus vulnérables: nos enfants ne se sentent pas forcément mal à l’aise de se balancer, de marmonner des mots incompréhensibles ou de marcher de façon bizarre. Mais nous aimerions tellement qu’ils soient acceptés, intégrés que nous essayons de les rendre «normaux». Nous disons alors «arrête de te balancer, parle moins fort», parce que nous nous sentons coincés, nous craignons ce regard qui exclut, c’est ça notre vulnérabilité. - C’est peut-être notre gêne qui dérange à leur tour nos enfants, car ils la perçoivent forcément? - La différence alors rend vulnérable? En tant que parent, je devrais me dire «mon enfant est comme il est», or, en un sens, je ne lui permets pas de l’être …

- Moi le mot «handicapé» me rend déjà vulnérable, on ne pourrait pas dire «personne ayant certaines difficultés»? Parce que le mot «handicapé» est un peu péjoratif, on est considéré comme citoyen de seconde zone… - Le système des tutelles nous complique la vie, parce qu’on doit tout justifier aux yeux de quelqu’un d’autre. Je me souviens, lorsque j’ai voulu refaire ma carte d’identité et qu’au guichet on m’a dit que je devais avoir un papier signé par mon tuteur… Je me suis senti humilié, très vulnérable. A ce moment-là, j’ai pensé: «mais pourquoi aller de l’avant, faire des efforts, si c’est pour être traité comme ça?» - Ce n’est pas forcément ma situation, mais ce qu’en font les autres qui me met en position de vulnérabilité. Lorsque j’ai été malade, ce n’est pas la maladie en tant que telle qui m’a rendue vulnérable, mais bien le fait que je disparaisse en tant qu’individu au profit de protocoles et de standards statistiques. Le fait que je ne sois réduite qu’à un diagnostic et un pronostic. - Nous souffrons de la catégorisation: nous sommes enfermés dans une boîte, on nous colle une étiquette. Mais on voudrait être soi-même, être compris dans sa singularité. Etre enfermé dans une catégorie rend vulnérable. - L’intrusion dans notre vie privée, le fait de parler dans les bilans de notre vie affective, voire sexuelle, nous rend très vulnérable. Si on sait des choses sur moi, qui sont à moi, on sait où me toucher. - Comme si on avait identifié votre talon d’Achille? - Oui, là où on peut me blesser. - Parfois, la vulnérabilité tient à peu de choses: si on


m’enlève mes lunettes, je deviens immédiatement extrêmement vulnérable…

Comment vivez-vous cette vulnérabilité? - Mon fils sent instinctivement qui le regarde avec pitié ou avec bienveillance. J’ai l’impression qu’il a développé une plus grande sensibilité et il ne s’approchera pas d’une personne qui ne fait pas preuve de chaleur humaine. - Le mien aussi sent très bien si la personne qu’il a en face de lui ne le comprend pas; cela le rend anxieux et donc vulnérable. S’il pense que son interlocuteur n’est pas à l’aise, s’enchaîne alors le cercle vicieux: il se sent déstabilisé psychiquement et va développer des comportements inadéquats qui vont à leur tour déstabiliser toujours plus celui qui est en face. Parfois, s’il se sent incompris, il met en place des stratégies de «test» pour voir jusqu’où il peut ou non compter sur la solidité de l’interlocuteur. Sa vulnérabilité l’a en quelque sorte contraint de développer des méthodes pour se rassurer. Tout cela est très subtil. - Quand on ne comprend pas les codes d’un autre milieu, par exemple du corps médical ou éducatif, on est très vulnérable. Ce n’est pas un hasard si tout milieu possède son jargon, c’est ce qui l’aide à faire corps justement et à exclure qui n’en est pas. On a l’impression que certains professionnels utilisent leur jargon dans le but de mettre une distance et de ce fait, rendre leur interlocuteur vulnérable. Tant que le professionnel n’est pas conscient de ce que ça peut lui apporter de rendre son langage accessible, il y a peu d’espoir que ça change. Il ne suffit pas en tous les cas de déclarer que le patient ou la personne handicapée sont au centre pour que les choses évoluent, il faut que chacun y trouve un avantage. - La communication est un élément central: si je ne comprends pas ce que l’autre me dit, mais aussi si je n’arrive pas à me faire comprendre… Nos amis avaient une fille très gravement handicapée qui ne pouvait presque pas s’exprimer, uniquement par quelques sons, un sourire ou des larmes. Je me souviens encore lorsque nous avons découvert que cette enfant pleurait parce que les autres gosses de la famille étaient allés jouer dehors sans elle… C’était sa seule manière d’exprimer sa souffrance d’être isolée et jusqu’à ce jour, nous n’avions pas réalisé ce que pensait et ressentait cette enfant… - Finalement quand on est handicapé, on est des fois plus intelligent que les autres, parce que nous savons que nous avons un problème. A partir de là, il est toujours possible de grandir, tandis que si on n’est pas conscient d’avoir des difficultés, qu’est-ce qui nous pousse à aller plus haut? - Lorsque j’étais enfant et que je vivais en institution, il en allait de ma survie psychologique de savoir à qui je pouvais faire confiance, alors je testais les éducateurs: je commençais par lâcher une petite information, pas importante. Si je constatais que ça n’allait pas plus loin, notamment au colloque, je faisais une autre confidence et ainsi de suite.

Est-ce qu’il y a une intelligence de la vulnérabilité? - On pourrait dire que la vulnérabilité rend stratège? Estce qu’il y a une intelligence de la vulnérabilité? - En tant que parent d’un enfant handicapé, on reçoit la vulnérabilité comme cadeau à vie! Nous devenons en quelque sorte des «parents handicapés», l’exclusion rejaillit complètement sur nous. C’est fou comme nous devons lutter pour participer aux réunions qui concernent nos enfants, pour recevoir les courriers qui les concernent et pas seulement des copies, pour être des interlocuteurs à part entière! Mais finalement, ces manières de nous maintenir en marge ne sont-elles pas le signe de la vulnérabilité des professionnels? Pourquoi ne l’acceptent-ils pas? - Un jour, j’ai dit à un chef éducateur: tu n’es pas compétent, montre-moi ton diplôme! Il ne me l’a jamais montré, j’ai senti que je cassais les rôles et que ce n’était pas possible.

Comment faire pour se sentir moins vulnérable? - En se forgeant une carapace, une burka mentale! - Ça protège un peu, mais ça fait tout aussi mal… - Militer dans une association me rend moins vulnérable: ça me donne plus d’assurance, je sais aussi que je ne suis pas seule. Je joue un rôle différent, je suis donc considérée autrement et ainsi, moins vulnérable. Par contre, tout ce qui s’appelle «groupes de soutien» me fait fuir… Je n’ai pas envie de m’apitoyer sur mon sort, j’ai envie de construire, d’agir concrètement, de faire bouger les choses! Sortir du statut de victime! - Enfreindre les codes, se renseigner, s’informer, investir les mêmes champs que les professionnels, participer aux mêmes congrès, faire reconnaître notre expérience comme une forme de savoir. - C’est important de trouver un lieu où l’on peut vraiment s’exprimer, être cru, être considéré comme compétent. En tant que personne handicapée, donner des cours dans les écoles d’éducateurs change mon image de moi-même. Je me dis alors que je suis quand même capable de quelque chose! - Ça fait du bien de se regrouper, oser parler et se sentir à l’aise. Avoir des conseils, ça rend plus fort. - Pour survivre dans un monde hostile, il est impératif de sentir qui est authentiquement bienveillant et qui ne l’est pas. Ce sont des compétences dont on pourrait être fier… Pourquoi n’y a-t-il pas de fierté dans le milieu des personnes avec une déficience intellectuelle? Pourtant tous les groupes de libération ont passé par cette phase: être ce que l’on est, et être fier de sa différence…


Le subtil équilibre de la vie Témoignage Georges Lalao Rakotoarimanana*, Genève

«Je vous avoue que cela ne m’a pas été évident de parler de moi», dit le message qui accompagne ce témoignage. Georges Lalao Rakotoarimanana nous livre avec une grande simplicité le récit de son parcours avec handicaps...

*Georges Lalao Rakotoarimanana est économètre et informaticien. L’engagement associatif est un élément important de sa vie: président de la Commission d’Institution de «l’Atelier», qui fait partie de la Fondation Ensemble et membre du Comité de Direction de la Fondation de 1993 à 1998; président de la Fondation elle-même de 1997 à 2010; président par intérim de «l’Essarde», de «Claire Fontaine» et du «Jardin d’enfants Ensemble» à divers moments de cette période...

J’ai souhaité aborder le thème de la fragilité sous un angle très personnel, à savoir ce que m’ont donné mes parents, dès ma petite enfance, pour contrebalancer une situation a priori fragilisante.

Une enfance malgache Dernier d’une fratrie de 8 enfants, je suis né à Madagascar en 1946 de parents tous deux médecins. Lors de l’épidémie mondiale de poliomyélite de 1947, j’ai contracté cette maladie à l’âge de 7 mois, mes parents ayant ramené probablement le virus de l’hôpital où ils travaillaient. Après bien des péripéties, j’ai été sauvé in extremis par leur ténacité à lutter à la fois contre la maladie et contre les expérimentations sur malades d’un médecin chef militaire français. Des treize gosses qui partagions la même chambre d’hôpital, avec la même pathologie, je fus le seul rescapé grâce à mon père qui m’a arraché à ce sinistre personnage à coup de menaces de mort: c’était une des manifestations du colonialisme «ordinaire». Dès lors, mes parents n’ont eu de cesse de me préparer à la vie avec amour et avec tout l’entêtement dont ils étaient capables.

Tracer son chemin Alors que collègues, famille ou supérieurs, leur prédisaient une vie sans avenir pour moi, dans un pays pauvre et misérable, eux avaient tenu à créer les conditions les plus favorables à mon éducation. Ils le faisaient avec beaucoup de sollicitude certes, mais avec rigueur et sans complaisance à mon égard. Mes frères et sœurs avaient la même attitude, me poussant ainsi à oublier mon handicap et à tracer mon chemin dans un univers où la bienveillance des uns croisait l’agressivité et l’hostilité des autres. Bref: je vivais la vie de tout un chacun, sans jamais me sentir différent des autres. En ce temps- là, aucune école du pays n’était adaptée aux personnes handica-

pées et l’idée même d’envoyer étudier un «invalide», comme l’on disait à l’époque, était saugrenue. Mes parents ont alors fait le parcours du combattant pour obliger le proviseur du plus grand lycée de la capitale à m’accepter, bon gré mal gré, dans une classe primaire ordinaire de son complexe scolaire. Pour le reste, ils m’ont poussé à faire du scoutisme chez les «louveteaux» d’abord, puis dans une troupe d’ «éclaireurs» par la suite, tous valides et dont je devins plus tard le chef. Ce fut une période de ma vie très riche en expériences. Et elle fut aussi possible grâce aux autres, parents, fratrie, amis proches ou simples connaissances et qui, non seulement m’ont apporté leur soutien en toute simplicité et sans ostentation, mais aussi ont accepté l’aide que je pouvais leur apporter ici et là avec une réelle reconnaissance. Cette partie de ma vie m’a appris à faire confiance aux autres et avoir confiance en moi-même dans les moments difficiles. C’est aussi la période où j’ai petit à petit consolidé mon autonomie en dépit du handicap dû aux séquelles de la poliomyélite.

Un séjour en Suisse qui commence par une série noire... Et quand en 1966, vint le moment de quitter le pays, pour venir me faire soigner en Suisse, à 10’000 km des miens, cela n’avait rien d’insurmontable. Pourtant, là aussi, le chemin était loin d’être un long fleuve tranquille. Une opération qui devait ne demander qu’une hospitalisation de 15 jours tourne au cauchemar à cause du fameux staphylocoque doré, suivi d’une tuberculose contractée à l’hôpital même. Ce fut le début d’une série noire: mise en isolement, fractures répétitives et colique néphrétique due à une décalcification massive, et j’en passe… Et ici, comme à Madagascar, des liens d’amitiés se sont vite créés autant avec les autres patients qu’avec des soignants qui


Faire face au handicap de son enfant Obligé de prolonger mon séjour en Suisse, j’ai continué mes études et rencontré celle qui devint ma femme. Nous avons eu deux enfants, une fille devenue médecin et un garçon qui a une déficience intellectuelle. C’est alors seulement que l’héritage reçu de mes parents a pris tout son sens face à cette situation. Le handicap mental de notre fils rendait objectivement la famille fragile. Et pourtant, nous ne l’avons pas ressenti ainsi. Pour nous, la fragilité signifie voir le sol se dérober sous les pieds et perdre tous ses repères. Mais cela n’a pas été notre cas. Je comprenais alors pleinement que mes parents n’ont pas cherché à m’éviter les difficultés et les épreuves que la vie nous réserve de toute façon. Ils voulaient par contre éviter que cela n’engendre une fragilité supplémentaire à mon handicap. Il nous fallait donc faire avec nos enfants ce que mes parents avaient entrepris et réussi avec moi.

Défendre des valeurs, des prises en charge, des projets de vie... Nous nous sommes battus pour que notre fils puisse bénéficier du mieux possible des moyens et environnements les plus favorables à son développement, sans pour autant sacrifier en quoi que ce soit sa sœur aînée. Et si, pour cela, il fallait tenir tête aux idées reçues, y compris auprès des spécialistes de la santé, alors nous l’avons fait. Pour défendre des principes et des valeurs, des actes et des projets de vie ou de prises en char-

G.L. Rakotoarimanana

m’ont apporté leur soutien dans une situation - une fois de plus - fragilisante. Probablement que ces amis ont aussi eu le sentiment que je leur ai apporté quelque chose…

ge, nous avons rejoint d’autres personnes dans les mêmes situations, avec les mêmes problèmes, pris des responsabilités là où c’était utile sinon nécessaire. C’est ainsi que nous nous sommes engagés au sein de l’association de parents d’enfants mentalement handicapés, l’APMH aujourd’hui INSIEME, et pour ma part, à la Fondation Ensemble. Aujourd’hui, avec le recul, je me pose la question: ai-je été fragile à un moment quelconque de ma vie? Si je regarde ce parcours objectivement, alors oui. Et pourtant, subjectivement, il me semble que ça n’a jamais été le cas. Mes parents avaient appliqué à leur façon l’adage qui dit qu’ «à l’homme qui a faim, il faut apprendre à pêcher plutôt que donner du poisson.» Ils m’ont armé pour que les difficultés ne deviennent pas fragilités. Ils m’ont élevé dans un cadre rassurant et chaleureux mais exigeant, sans concession. Et ainsi, même dans les moments les plus difficiles comme la perte d’une sœur ou d’un frère, j’ai pu éprouver de la peine sans me sentir fragile. Et si je me sens souvent fort, c’est en ayant conscience de mes limites. C’est ce subtil équilibre qu’ils m’ont inculqué dès mon plus jeune âge. Quant à notre fils, le fossé qu’il y a entre ce qu’il vit, ressent et dont il veut nous parler, et ses modestes moyens de communication le met dans une contradiction difficile à assumer pour lui. Que ce soit dans

la peine ou la douleur, l’angoisse ou l’incompréhension, la joie ou le plaisir, ne pas pouvoir communiquer avec autrui et en avoir conscience est source de fragilité extrême. Notre pari, à mon épouse et moi-même, est que nous devions et pouvions l’armer pour affronter cette situation. Et pour cela, le chemin tracé par mes parents, avec l’aide de mes frères et sœurs, est celui que j’ai suivi.

Un monde idéal sans fragilités, cela n’existe pas... Il est vain de rêver ou d’attendre un «monde idéal» où l’on pourrait enfin éradiquer la fragilité. La vie à Madagascar n’était pas idéale, beaucoup s’en faut. Et pourtant je ne m’y suis jamais senti fragile. À chaque époque, chaque lieu, ses difficultés et ses fragilités. Pour moi, l’essentiel est de chercher obstinément à s’armer et à se prémunir pour que des situations fragilisantes ne deviennent un handicap supplémentaire. Et je crois que l’enfance est un moment privilégié pour un tel projet.

Photo: «Voilà une photo où j’apprenais à me tenir debout à l’aide de deux trépieds et à faire mes premiers pas sous l’œil attentif de ma mère. Je devais avoir cinq ans et jusque-là, je rampais pour me déplacer».


Border le vide de la rupture

Témoignage de Philippe Wenger, papa de Nathan Propos recueillis par Olivier Salamin, membre du Comité de rédaction

Philippe Wenger est artiste-peintre. Il y a huit ans, son fils Nathan est né avec une ostéogénèse imparfaite (maladie des os de verre). Depuis, Philippe Wenger a changé son regard sur l’art et sur la vie en général. Il s’implique dans un mouvement associatif et livre le récit d’une vie à bâtir autour d’une blessure qui ne se refermera jamais… Olivier Salamin: Qu’évoque pour vous le terme de vulnérabilité? Philippe Wenger: Il m’évoque d’abord un déclenchement. L’annonce du handicap de mon enfant, sans préparation. Quelque chose qui déracine et qui remet tout en question, d’une seconde à l’autre. Une situation de non-retour. Diriez-vous que cette annonce vous a rendu vulnérable ou qu’elle a révélé votre vulnérabilité? Elle a clairement révélé ma vulnérabilité. Nous sommes tous vulnérables. Une fois sa mise à découvert, il faut rebâtir à partir de cette blessure. Il y a des moments qu’on n’oublie pas: celui de l’accouchement en est un. Il y a eu un silence de la part du personnel soignant, puis ils sont partis avec notre bébé, il était tout cassé. Le médecin-assistant a appelé le médecin de garde et, à son arrivée, celui-ci a tout de suite pensé à une ostéogénèse imparfaite. Ma femme et moi étions effondrés, ce fut un moment de vulnérabilité énorme. L’évolution a ensuite été progressive, en couveuse. A la visite d’un médecin orthopédiste à qui nous avons demandé la gravité de la situation, une réponse a fusé: «Ce n’est pas le cas le plus grave, sinon il serait mort!»

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Désagréable. Une réponse technique, peut-être due à la fatigue d’une longue journée de travail… Un alignement de cas. Les parents n’y sont pas préparés. Vous définissez, il me semble, la vulnérabilité du côté de la rupture? La vulnérabilité, c’est une blessure qui est là, qui est ouverte et ressentie comme un point douloureux, qu’il faut apprendre à accepter, avec laquelle il faut bien vivre... Cette blessure ne peut pas être occultée. Elle vient avec l’événement. J’ai perdu une chose dans ma vie: l’optimisme qui me caractérisait et je ne suis pas encore sorti d’affaire; je me sens bien fragile. Le temps aide, les bons côtés de l’évolution de l’enfant aussi. J’ai dû marquer un temps d’arrêt après une phase de tristesse et il a bien fallu retourner au boulot. Ce moment a été très lourd de conséquences sur votre vie? Cet événement a été à la fois nouveau et inimaginable. La réalité est tombée comme un couperet, «comme un poing dans la figure» même si je n’aime pas cette expression. A partir de là, tout mon monde artistique en lien avec l’univers de la création s’est relativisé. La peinture reste mon activité professionnelle principale, mais le handicap a fait éclater des certitudes, me laissant très vulnérable. J’ai beaucoup relativisé la notion d’art et j’ai pris mes distances. Je n’ai plus pu m’y remettre dans le même état d’esprit qu’auparavant: même si ce travail reste un moteur, il n’a actuellement plus la même importance. Comment ce passage s’est-il traduit dans vos tableaux? Dans un sens, plus rien n’avait d’im-

portance par rapport à la création. De nouvelles urgences ont surgi, une situation plus douloureuse à gérer pour soi et pour l’entourage. Si le temps a fait son travail, il a fallu gérer cette rupture. D’une peinture abstraite, basée sur une recherche dans le champ de l’expression artistique, je travaille aujourd’hui dans l’épuration, la couleur et la profondeur. Trouvez-vous que Nathan est un enfant vulnérable du fait de sa maladie? Nathan, c’est la vulnérabilité au quotidien. Il vit en ayant conscience de sa maladie et de sa différence. Mais cet enfant a un tel éclat… qu’il est toujours présent dans un groupe. Cette présence est telle qu’il fait oublier sa vulnérabilité; peut-être l’oublie-t-il ainsi lui-même... Il capte les attentions et dirige positivement les choses vers lui. Il est très communicatif et ne laisse personne indifférent. Un parent vit le regard des autres sur son enfant. J’oublie parfois ce regard parce que Nathan est intellectuellement en pleine forme. J’oublie parfois que ce qui le rend si vulnérable, c’est de le voir si petit... J’ai pris l’habitude de le voir petit, mais j’ai parfois l’impression d’avoir toujours un tout petit enfant dans mes bras. Ce manque d’autonomie le rend vulnérable, une vulnérabilité qui ne sera jamais finie. Son avenir, vous l’imaginez comment? Nathan va devoir découvrir son propre parcours. Il sera toujours petit et cette différence va augmenter avec le développement des autres enfants. Ça fait mal, mais on ne peut rien y changer. Il faut accepter cet état de fait, mais ça fait mal quand même.


Des combats, vous avez dû en mener beaucoup, je me trompe? Nos combats ont débuté dès la naissance de Nathan. D’abord avec la maladie proprement dite, qui a nécessité des soins intenses. Plus tard, nous avons dû faire face au pouvoir médical; par exemple, le jour où l’hôpital régional nous a informés qu’il n’était plus en mesure de mettre une voie veineuse à Nathan... Les médecins ont alors proposé la pose d’un catheter à chambre (ou portacath), geste que nous devions accepter au risque de devoir emmener notre fils à Genève. Nous avons refusé et, finalement, le personnel soignant a accepté de reprendre Nathan. Des conflits, il y en a souvent. Face aux exigences des médecins, il faut oser et savoir résister!

Un exemple. Si le travail du gynécologue qui a suivi mon épouse avait été bien fait, un accouchement par césarienne aurait été décidé. Nathan a subi le gros de ses fractures à la naissance… Cela a dû vous mettre dans une colère noire? Bien sûr que nous étions fâchés! Nous avons entrepris des démarches, exigé les dossiers médicaux. Entrer dans la «chose technique», vivre une expertise extrajudiciaire, établir un dossier auprès de la FMH, c’est un combat difficile. Aujourd’hui, on devrait aisément pouvoir détecter une anomalie osseuse. Les conclusions de l’expertise ont montré qu’il y avait eu des négligences. Cette démarche a été très importante pour nous. Nous avions besoin de la faire pour être au clair avec nousmêmes et avec notre enfant, pour boucler la boucle. Sinon les questions restent ouvertes et sans fin... De fait, travailler dans et pour une association, cela vous a-t-il rendu plus fort? Le comité avait besoin de membres. Je me suis vu disponible et disposé. Ce que je ne voyais pas, c’était la coprésidence de l’Association, fonction qui donne un grand travail et est soumise à de nombreuses sollicitations. J’ai du plaisir à y travailler, mais les responsabilités ne doivent pas trop s’étendre. Il y a un temps pour passer le flambeau, sinon on est toujours dans la maladie. Dans une association comme la nôtre, c’est aussi très important d’être disponible pour d’autres parents qui sont confrontés à la même situation. Expliquer ce qui arrive, échanger des idées, transmettre une expérience.

Philippe Wenger et son fils Nathan

Nous allons aussi devoir parvenir à laisser progressivement notre enfant: tout en ayant toujours l’appréhension d’une fracture. Cette maladie engendre une «surprotection obligatoire», il est donc très difficile de le confier. J’imagine une évolution, mais son enfance a été différente. Nathan a dû passer par des situations difficiles: des fractures, des «emplâtrements». Je me demande comment il vivra son adolescence… A sa puberté, la prise de conscience de sa taille risque d’être plus difficile. A l’école enfantine, il a dû se battre pour faire comprendre qu’il n’était pas un bébé. Face à sa vulnérabilité, il doit sans cesse montrer qu’il existe aussi bien que les autres. Il y a l’avenir, mais aussi le présent. Aujourd’hui, une chose est sûre: Nathan est fou du foot! Il connaît les noms des joueurs et les résultats des équipes. En classe, il est l’arbitre des matchs et les autres élèves le suivent…

Trois mois après la naissance de notre fils Nathan, une maman de Bâle m’a appelé. Ce téléphone a permis un échange, c’était très important. La discussion a soulevé des questions auxquelles un corps médical ne peut pas répondre. Philippe Wenger a montré comment son implication associative et la «lueur» de son enfant viennent border une blessure qui ne cicatrisera pas. Déjà, il évoque un autre combat à mener, celui de dépasser les barrières architecturales dans les écoles et au quotidien: Nathan doit pouvoir rester en classe bilingue, nous devons anticiper les aménagements nécessaires à l’accessibilité des lieux, mobiliser les pouvoirs publics et écrire une musique d’avenir...

Photo: Philippe Wenger et son fils Nathan *Association suisse d’ostéogénèse imparfaite (SVOI-ASOI): organisation d’entraide et de conseil pour les personnes atteintes d’ostéogénèse imparfaite et leurs proches. L’association dispose d’un bureau qui peut orienter les demandes qui lui sont adressées: www.svoi-asoi.ch (site en langue allemande)

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Vulnérabilité et économie

Explorer le principe du don réciproque Eric Jaffrain, expert en marketing du don3, Lausanne

La vulnérabilité est devenue une menace économique Il n’y a pas si longtemps, l’entreprise était un lieu d’épanouissement de l’employé. Si les conditions-cadres, dans les années 50, n’étaient pas toujours simples, voire fatigantes, il n’était pas rare de voir l’employé fier de son patron, auteur de progrès pour toute la famille. Sans rentrer dans la nostalgie, l’entreprise, pourvoyeuse de la famille, depuis plusieurs générations, était un facteur de lien social et d’intégration par le travail. Les années 60 ont ébranlé les acquis et les formules toutes faites, qu’elles soient morales, religieuses et éducatives, mais aussi politiques. Les acteurs de l’économie en voulaient plus, et ont réclamé plus de libertés. On ne voulait plus de politiques totalitaires, mais on voulait aussi plus de liberté dans l’économie. L’économie libérale est née pour devenir un marché florissant. Dans les décennies qui suivent, la compétition industrielle a engagé une production mondiale qui, pour continuer à faire du profit, a créé l’obsolescence des produits1 pour produire plus, et donc gagner plus d’argent. La frontière nationale ne suffisait plus, la mondialisation est née. Cette mondialisation, commencée dans les années 90, a ouvert la porte à un nouvel acteur: le capitalisme a cessé d’être économique; il est devenu financier, dominant à la fois les États et l’économie réelle, pour finir en un capitalisme de spéculation, où le FMI, la Banque centrale et l’OMC deviennent des décideurs majeurs devant les communautés-nations. Puis internet est passé par là, éliminant les distances, et raccourcissant le temps: tout va très vite. La «communication» pieuse et souhaitée entre les gens, a disparu au profit du court terme devenant un outil redoutable. L’urgence de l’action et de l’information sert la performance réclamée, plus seulement par le patron, comme avant, mais aussi par les actionnaires, et donc majoritairement les financiers. Aujourd’hui, au lieu de voir si ce marché est utile à la communauté, la tendance est à la peur d’être vulnérable. L’actionnaire a peur de perdre ses investissements et ses dividendes. De fait, cette pression est transmise à l’entreprise, devenue un objet de ressources, et bien évidemment à l’employé, qu’il soit cadre ou pas. L’employé, qui naguère était la fierté de l’entreprise, devient une menace potentielle. S’il n’est pas performant, il devient la cause du déficit de l’entreprise. Cette vulnérabilité-là, n’est pas admise: c’est une menace économique.

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Être un objet de ressources Au commencement de notre vie, tout était beau et bien; nous étions rassurés dans les bras de notre maman2. Mais ce commencement n’a pas été vraiment sevré, puisqu’il fallait apprendre, travailler, consommer et financer la croissance assez rapidement. Pas la nôtre, bien sûr, mais celle de l’économie de marché. Il n’y a pas eu de temps pour chercher nos propres réponses aux Qui – Quand – Comment – Pourquoi? Pas de temps pour savoir être. Seules les réponses aux questions que nous n’avons pas posées sont là. Réponses toutes faites des prophètes de la finance, de l’économie de marché et du savoir. Savoir-faire est plus important que savoir-être (qui crée des questionnements et des soucis de management...) Donc ... : Mieux vaut être un spécialiste performant, qu’un cœur et une personne qui a des émotions. Et c’est ainsi que nous sommes devenus les objets de ressources d’un système économique qu’on ne comprend plus très bien. Il nous fatigue, nous stresse, nous rend malade, faible et solitaire. Comme la majorité vit la même chose, on se dit que cela doit être normal et donc, anormal d’avoir des faiblesses de parcours... Pour qu’une population entière d’un pays reste finalement dans ce format, nous nous devons de «financer la croissance», entendez, la croissance économique, et pas de la vie humaine. Vous n’avez pas besoin de grandir et de chercher un peu de lumière et de chaleur, mais vous vous devez de faire grossir les chiffres d’affaires et le PIB.

Une économie totalitaire C’est ainsi que l’actuel et principal moteur des nations et de leur sociétés (citoyens et organisations), est celui d’être le plus performant possible, d’atteindre des objectifs et de s’enrichir sans trop d’efforts, et peu importe les moyens et les pressions sur les employés. Le citoyen (consommateur ou employé) devient un objet de ressources pour le chef de l’organisation; il augmente son profit personnel. Ce n’est pas une richesse juste, mais une démarche totalitaire. Nous avons vu fonctionner des États et des régimes totalitaires... Aujourd’hui, nous vivons dans des économies totalitaires. La performance récompense le plus fort qui devient prédateur de son semblable. L’Homo-conso-Darwinien est né. L’urgence ou la vitesse de l’action et de l’information servent la performance, et occultent la vision humaniste nécessaire aux dirigeants, quels qu’ils soient.


Mais qu’importe puisque ça marche! Enfin presque..., car nous commençons à donner du souci à notre Mèreéconomie et à notre Père-finance à cause de nos crises irrationnelles croissantes. Et même si aujourd’hui, il est convenu de dire que «l’argent ne fait pas le bonheur», des milliers de personnes ne sont pas heureuses. Curieuse façon de vivre… La plupart de mes observations sur les comportements humains, des études sociologiques et des modes de consommations effectuées ces dernières années, révèlent une attente et une recherche croissantes d’un autre format de société, d’un autre paradigme. Nous sommes en quête de sens et de reconnaissance. Nous cherchons à finir ce que nous avions commencé au début de notre vie. La société actuelle a forgé une mentalité du succès contraire à ce qu’il est de nature et à ce que nous enseigne la Nature même: la vulnérabilité et la force du don.

Le don et le dû Un des fonctionnements majeurs aujourd’hui est d’établir un contrat lorsqu’il s’agit d’échange: en échange d’une prestation, vous avez une recette, ou en échange d’un travail vous avez un salaire. Ce contrat révèle de façon implicite qu’il y a un dominant (qui exige) et un dominé (qui doit). Si vous ne respectez pas le «contrat», vous êtes éliminé. Or il y a un autre principe bien plus fort, le don réciproque: il provoque une alliance où chacun se met en situation de vulnérabilité, c’est-à-dire d’humilité. Cette situation ne veut pas dire faiblesse face au plus fort, mais un engagement respectueux envers l’autre, pour construire avec lui. Le don suppose de la confiance, un abandon de sa propre sécurité (pouvoir), pour vivre dans la vérité. Il donne le droit à l’erreur. Si par exemple, vous souhaitez avoir une fleur dans votre jardin: vous allez donner votre graine à la terre (l’abandonner), et si vous la respectez, elle vous donnera en retour. Vous dépendez d’elle, vous êtes en situation de vulnérabilité. Il n’y a ni fort, ni faible, il y a une dépendance complice. Autre exemple que j’aime à raconter souvent: un de mes amis paysan me dit un jour «les patates vont bientôt donner». «Et pourquoi?», lui demandai-je. Et sa réponse «parce que j’ai donné toutes mes semences et donné le mieux que j’ai pu!... normalement, elle devrait me redonner 9 fois plus…». Quelle belle leçon d’économie! Son don produira 9 fois plus! Un arbre fruitier, s’il est en bonne santé, est fait pour donner et produire. Sa santé dépend de ce qu’il est, pas de ce qu’il dit ou de ce qu’il sait, mais de ses racines qui puiseront son énergie dans la terre, et aussi de son exposition au soleil. Ses fruits sont la résultante de tout cela. Il en est de même pour nous et pour toute communauté organisée: donner l’occasion à l’autre de s’épanouir et non s’attendre à de la performance. Ainsi, si un entrepreneur se met en situation de vulnérabilité: il donnera sa confiance à ses employés, son temps aussi, favorisera l’épanouissement des talents sans mettre de pression, admettra l’erreur ou l’échec, et enfin donnera du temps.

Le résultat ne se fera pas attendre: il se donnera sans compter. A l’inverse, ne pas admettre une erreur, une faiblesse, c’est une perte de confiance qui créera de la méfiance et de la défiance de part et d’autre. J’ai souvent constaté que l’homme se croit fort quand il réussit, alors qu’il est apprécié par les femmes quand il pleure et avoue ses faiblesses. Se mettre en situation de vulnérabilité, c’est se préparer à recevoir le don de l’autre. Le contraire est un viol.

Comment supprimer le handicap? L’histoire humaine nous montre que le handicap fait peur, et tout est fait pour le supprimer, surtout en économie. Le handicap est une faiblesse qui rend vulnérable la croissance! La crise financière, économique et celle de la dette, mettent l’Euro, l’Europe et le monde en situation de fragilité, de vulnérabilité. Quelle chance pour les États! Ils ont l’occasion de trouver des moyens pour réduire leurs orgueils et pour écouter le chœur des Indignés. Quand une vulnérabilité est admise, elle nous enrichit et nous donne une saveur d’humanité. Le «faible» est un peu comme du sel: il donne du goût à un plat qu’il n’a pas fait. Car le handicap existe seulement parce que nous avons créé des normes très souvent basées sur la performance: il sait ou ne sait pas, il croît ou ne croît pas, il marche ou ne marche pas, il est fort ou il est faible, il réussit ou pas. Celui qui n’est pas dans la norme convenue est relégué à des tâches, des fonctions ou à un lieu «hors de». On lui donnera même un statut social que l’on appelle «handicapé». Cela crée ce que l’on appelle l’exclusion. Une situation de handicap est une occasion de se dépasser, et de gagner, en commençant… petit. Le handicap est une épreuve formatrice pour qui sait ou veut l’entendre. Savez-vous que notre fameuse télécommande a été créée par… un handicapé physique? J’ai moi-même un handicap majeur, il m’a aidé à fonctionner mieux dans ma vie. La performance et la pérennité économique, politique ou sociale, viendra dans la mesure où le don de soi reprendra sa place dans les relations. Elles sont principalement dues à quatre déclencheurs holistiques qui, s’ils sont respectés et réciproques, permettront de vivre ensemble avec nos forces et nos faiblesses: physiologiques, émotionnelles, spirituelles et sociales. Dans la vie, la vulnérabilité est un gain, comme le bébé qui donne de la joie à sa famille. Ce «petit» est un adulte en puissance. Gageons qu’il gardera son âme d’enfant pour préserver notre avenir.

Les industriels, pour continuer de produire, et donc de vendre, ont inventé une durée de vie limitée des produit. C’est ce que l’on appelle l’obsolescence programmée des produits. 2 Normalement! Car aujourd’hui tous n’ont pas cette chance d’avoir une famille… 3 www.marketing-non-marchand.ch 1

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La violence comme expression de la vulnérabilité Ses liens avec l’angoisse existentielle Pierre Avvanzino, Lausanne

«Éclatement, dispersion et retournement sur soi de la relation à l’autre, c’est ça la notion de vulnérabilité». Après trente années d’expériences sur les violences subies et agies, Pierre Avvanzino nous livre sa réflexion sur les rapports entre violence, angoisse et vulnérabilité...

Quelques définitions

Le rapport entre violence et angoisse

Je postulerai volontiers que la violence agie est une tentative de vouloir se départir de sa vulnérabilité. Reprécisons que la violence n’est pas en dehors de la société. Elle est inhérente à la vie sociale; il n’existe pas de formes sociales sans violence. De fait, il ne suffit pas d’admettre la violence comme fatalité. Il faut plus profondément comprendre qu’elle a sa part dans toute organisation sociale, qu’elle n’est pas le point de rupture, mais plutôt la forme limite du lien social. Sans violence, c’est toute l’organisation communautaire qui disparaît, dans la mesure où toute violence se nourrit d’une différenciation, et que sans différence, le dynamisme social est enrayé. La violence oblige à la reconnaissance d’autrui et à la négociation, elle est une réaction à la totalisation.

L’angoisse, dans l’histoire humaine, est liée au phénomène de la mort et apparaît assez tardivement dans le processus d’hominisation. Elle est fondamentale pour permettre de décoller définitivement de l’animal. Elle permet anticipation, langage symbolique, intériorisation et conscience. Ainsi violence et angoisse seraient incontournables dans l’ordre humain; ce ne serait pas des dispositions archaïques, mais plutôt des dispositions ayant émergé de la culture, devant des habitus nouveaux, couplées à l’évolution bio-neurologique et sociétale. L’angoisse c’est une disposition fondamentale qui nous caractérise. C’est en même temps une conscience aiguë de la vie, elle accompagne l’éveil de l’esprit lui-même et c’est un privilège. L’Homme a le privilège d’être dans l’angoisse. Il faut en permanence vivre avec son angoisse et chercher à la positiver. C’est une pré-occupation en deux mots, c’est déjà là en même temps que nous, peut-être même un peu avant. L’angoisse apparaît non pas comme un doute, mais comme la cause du doute. C’est la prise de conscience de ce rien que nous sommes ou de ce pas grand-chose, ce morceau de chair culturel entièrement biodégradable. C’est le signe de la seule relation qui ne trompe pas, celle à soi-même, celle au monde, accompagnée de cette question lancinante, tant de fois reprise, ici simplifiée: qui je suis, d’où je viens, où je vais? L’angoisse émerge de la culture, de la prise de conscience d’exister dans un Univers.

La violence au cœur du quotidien Ainsi la violence se retrouve partout: violence contre soi-même, dans l’ascèse ou à l’endroit de l’autre qu’on aliène ou détruit; violence fondatrice des villes ou des empires, violence destructrice des guerres, des épidémies et des famines. Violence de la nature ou violences de l’homme, violence qui fascine avec la magie sacrificielle de l’accident, qui angoisse s’il s’agit d’apocalypse, qui avilit comme la torture, ou libère dans l’euthanasie délivrante. Parler de violence, c’est se situer en plein cœur du quotidien, face à la vie, face à la mort. L’anthropologie des sociétés conduit à mettre en évidence une alternative radicale: vivre ensemble la violence ou perdre la possibilité de l’êtreensemble. Ajoutons encore que parler de violence c’est basculer dans la représentation, c’est engager une lecture, cela évoque des situations vécues, des récits souvent dramatiques. Appelons cela la fantasmatique en général ou l’idéologie tout simplement; ce qui n’est pas la même chose, mais qui néanmoins s’articule.

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Angoisse et vulnérabilité L’angoisse est toujours liée à une problématique spatiale hyper concrète. Tous les termes, toutes les racines étymologiques veulent dire quelque chose qui est de même nature. C’est l’idée d’un étranglement physique. Une problématique d’étreinte, d’oppression, de serrer, d’être serré. Quand on parle de l’angoisse, on


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parle aussi du corps. On est en plein dans quelque chose qui tient à l’espace, à la corporalité. Il y a restriction de l’espace, perte de l’espace. C’est lorsque l’être humain vacille qu’il y a de l’angoisse. Au moment où l’on vacille, il faut savoir ce que cela indique: espace corps et culture. Le sujet qui perd l’espace se prend dans son corps. On a tous des distances, une inscription dans un environnement. Quand tout cela vacille, qu’il n’y a plus rien que nous, qu’il n’y a plus rien en fait, c’est là qu’on est dans l’angoisse, en pleine vulnérabilité. On est bien dans son corps, mais ce corps n’est plus rien, si ce n’est un système de troubles. «Sans feu ni lieu» dit un aphorisme Zen. Éclatement, dispersion et retournement sur soi de la relation à l’autre, c’est ça la notion de vulnérabilité, et qui va fixer la relation détruite ou en voie de destruction. C’est comme une prémonition de l’angoisse. Cela nous indique que ce qui est en train de vaciller c’est bien nous, notre relation à l’autre, notre relation tout court, notre relation au monde. L’angoisse vue à travers différents

auteurs et diverses citations est confirmée dans ce sens. C’est lié à l’affectivité, et c’est central chez l’être humain. L’angoisse c’est ce qui est au centre de la problématique de la violence. On peut résumer ces réflexions de la manière suivante: à partir de l’angoisse et devant le danger des événements, se construit un signal. Le signal, c’est quelque chose qui va indiquer une situation de vulnérabilité dont on ne perçoit pas encore la signification mais qui est effectivement dangereuse pour soi. Les signaux sont clairs, ils sont émotionnels, ils s’enracinent profondément et on les entend bien. L’action, l’agir, c’est quelque chose qui permet de sortir de l’angoisse, c’est opérer un transfert vers moins de vulnérabilité. On peut penser que le passage à l’acte violent, les grandes violences de destruction de l’autre, permettent de sortir de l’angoisse et de la vulnérabilité, de la transformer dans un phénomène moteur de destruction qui réalise en déplaçant tout ce qui tient dans cette insupportable attente de l’autre. Il y a bien un rapport entre angoisse, vulnérabilité et violence. La violence

serait une réaction normale à une situation anormale qui nous met en danger de grande vulnérabilité. C’est du moins l’hypothèse que je peux avancer.

Après une vie professionnelle variée et bien remplie dans le domaine du travail social, Pierre Avvanzino a ouvert à Lausanne, l’atelier ART CO, «un lieu d’accueil pour toute personne à la recherche d’un mieuxêtre. Il propose, à partir de diverses démarches, une nouvelle appropriation d’une vision de soi, de ses relations aux autres, des finalités de l’existence et du sens donné à la vie. Cet atelier accueille toute personne, sans limite d’âge ou de problématique, qui souhaite, à la suite d’un événement significatif, se ré-approprier une nouvelle compréhension de ses orientations de vie, de sa souffrance, de sentiments divers (échecs, honte, culpabilité), ou/et développer une maîtrise artistique».

http://avvanzino.ch/atelier.html

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Vulnérabilité et maltraitance

Notes de lecture Marie-Christine Ukelo, professeure chargée d’enseignement, HEF-TS, Fribourg

Depuis quelques années, différents auteurs (Masse, Petitpierre, 2011; Brown, 2004; Plamondon, 2000) tissent des réflexions, articulent des concepts autour du liens qui peuvent exister entre vulnérabilité des personnes en situation de handicap et maltraitance. Chacune des notions, soit vulnérabilité, situation de handicap (en l’occurrence nous allons nous arrêter ici plus spécifiquement aux personnes présentant une déficience intellectuelle), soit la maltraitance, présentent de façon intrinsèque une grande complexité. Le but visé par ces quelques notes de lecture est de restituer quelques axes qui me paraissent être des jalons pragmatiques, pour se positionner dans le quotidien en institution et/ou en famille dans le soutien, l’accueil et l’accompagnement de personnes présentant une déficience intellectuelle. Quand il est question de handicap, il est forcément question d’altérité et de la complexité de composer avec l’autre, si proche et si différent de soi. Il s’agit d’identifier là, dans une vision systémique et interactionniste, cette différence qui vulnérabilise considérablement la personne et son entourage.

Des repères pour approcher la thématique Pour mieux situer la question de l’articulation entre vulnérabilité et handicap mental, il est important de revenir aux définitions de base. Ainsi, selon la Classification Internationale des Déficiences, Incapacités et Handicaps (Wood, 1998), les conséquences d’une maladie ont lieu sur trois plans, dont chacun est simultanément en relation avec les autres et avec l’environnement: • Déficience: dans le domaine de la santé, la déficience correspond à toute perte ou altération d’une structure

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ou fonction psychologique, physiologique, ou anatomique. • Incapacité: dans le domaine de la santé, une incapacité correspond à une réduction (résultant d’une déficience) partielle ou totale de la capacité d’accomplir une activité d’une façon ou dans les limites considérées comme normales par un être humain. • Handicap ou désavantage social: dans le domaine de la santé, le désavantage social pour un individu donné résulte d’une déficience ou d’une incapacité qui limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle normal (en rapport avec l’âge, le sexe, les facteurs sociaux et culturels). L’avantage de cette définition est son aspect social, sa dimension interactive, dynamique et évolutive. Cette approche permet d’entrevoir la personne avec une déficience intellectuelle comme une personne en relation et interaction avec sa famille, son réseau, les membres de la société et réciproquement. Ces relations sont empreintes d’interactions complexes comme par exemple, le jeu de la place que chacun prend ou auquel il est astreint en fonction des représentations et des valeurs véhiculées par la société. La personne en situation de handicap développe son identité d’être au monde, aussi à travers ces négociations. Ainsi, le regard des autres peut le renforcer dans son identité de handicapé, alors que dans son milieu familial, il sera peut-être regardé comme fils ou fille et les parents se sentiront parents comme tant d’autres, alors qu’à l’extérieur, ils se vivent comme différents. Nous pourrions encore y ajouter la dimension culturelle de la perception du handicap, qui peut attribuer une fonction symbolique plus ou moins valorisante ou dévalorisante (Di Duca et Van Cutsem, 2001).

Des outils de compréhension pour orienter l’action Tant la CIF que le PPH proposent une compréhension systémique de la situation de handicap (CQ CDIH, 1996). Chacune de ses classifications offre des outils pertinents pour les professionnels (Korpès, 2010). La perspective interactionniste offerte par ces approches met en évidence le fait que la situation de handicap repose à la fois sur des facteurs personnels et sur des facteurs environnementaux. Nous pouvons déjà trouver là une première passerelle qui permet de soutenir l’articulation en lien avec la situation de vulnérabilité des personnes et les possibles maltraitances à leur encontre. Il s’agit en effet de ne pas limiter le regard sur la problématique de la maltraitance pour la maltraitance, mais d’agir sur les différentes composantes de son environnement, comme par exemple, les prestations qui lui sont proposées. Les deux cadres de référence cités plus haut permettent d’identifier, entre autres, les facteurs de vulnérabilité à la maltraitance ainsi que les facteurs de protection. Le PPH se réfère à la notion de risque. De ce facteur de risque peut découler une situation de vulnérabilité pour la personne, c’està-dire un état qui ne peut être considéré comme une ressource en cas de difficultés en provenance de l’environnement.

La vulnérabilité n’est pas une dimension intrinsèque des sujets en présence «Les facteurs de risques constituent une première dimension du PPH. Un facteur de risques est: «[...] un élément appartenant à l’individu ou provenant de l’environnement susceptible de provoquer


y a encore le sentiment d’impuissance ou de toute-puissance du personnel encadrant, les conflits importants au sein des équipes. Un exemple: une personne non verbale ayant été maltraitée peut être mise en situation de grande vulnérabilité pour plusieurs raisons: l’absence d’apprentissage de ce qui est admis et de ce qui ne l’est pas, en matière de comportement, ne lui donnera pas les points de repères pour traiter les situations. A cette dimension, peuvent se surajouter les difficultés communicationnelles. En effet, la personne pourra, en présentant des comportements inhabituels, communiquer son mal-être, pour autant que les professionnels puissent décryptiquer son besoin au-delà d’un comportement qui pourrait être lu uniquement comme perturbateur.

La maltraitance, une notion sur le fil du rasoir A ce stade, il est nécessaire de s’arrêter quelque peu sur la notion de maltraitance. «Toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou d’exploitation commerciale ou autre, entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé de l’enfant, sa survie, son développement ou sa dignité dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir.»2 Il s’agit d’aborder cette notion tout en nuances3, car l’acte de maltraitance peut être réalisé autant de façon active que par omission. La notion de négligence est une dimension de la maltraitance. La négligence peut avoir des aspects tant volontaires qu’involontaires. Elle est volontaire lorsque, de façon intentionnelle, le professionnel ne répond pas aux besoins d’une personne en situation de handicap, absence de soins qui peut avoir un impact sur le développement de cette dernière. L’absence d’intentionnalité se dit lorsqu’elle est en lien avec un manque d’expérience, d’information et/ou de capacité des professionnels encadrants par exemple. La dimension des soins aux personnes en situation de handicap met clairement en évidence la difficulté de conceptualisation de cette dimension de la maltraitance. L’articulation avec la question de la vulnérabilité des per-

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une maladie, un traumatisme ou toute autre atteinte à l’intégrité ou au développement de la personne» (Fougeyrollas et al. 1998, p. 41). Les facteurs de risques peuvent entraver considérablement les habitudes de vie des personnes. Ils sont appelés limitations fonctionnelles (GAUTHIER, S., BOISVERT, R. ET CARDINAL, V., 2005) et sont le résultat de l’interaction entre des atteintes chez la personne (au plan moteur, visuel ou auditif, d’une déficience intellectuelle légère ou d’un problème de santé mentale) et des facteurs environnementaux défavorables. Les facteurs de risque peuvent rendre une personne plus vulnérable dans l’interaction avec un environnement peu sécurisant. Plusieurs de ces facteurs ont été identifiés dans la littérature, comme par exemple: la dépendance à l’autre dans les actes du quotidien et les soins; le manque de confiance en soi; le manque d’estime de soi; le surconformisme; et les incapacités ou déficiences elles-mêmes; l’aptitude à éprouver des émotions et d’autres sentiments personnels, la dépendance affective et l’absence d’affirmation de soi et de positionnement (Fougeyrollas et al. 1998, p. 81). Les facteurs de risques dans l’environnement ont, eux aussi, été répertoriés; les stéréotypes sociaux à l’égard des personnes en situation de handicap; leur surprotection, le surinvestissement par l’entourage en ce sens (Sobsey 1994). Un exemple est celui du surinvestissement qui peut se passer de la part des soignants et des professionnels. Cette forme d’implication peut transformer la personne-sujet, en objet de la recherche de solutions par les professionnels, au détriment de ses propres besoins. Dans les facteurs de risques, nous trouvons encore, pêle-mêle, ceux qui peuvent être liés à la famille, à la communauté, à l’organisation; par exemple, les familles avec peu de liens sociaux1, en situation de précarité. Au niveau des milieux spécialisés dans l’accueil et l’accompagnement des personnes en situation de handicap, les facteurs de risques sont multiples et complexes. Ainsi, le stress et la fatigue des professionnels, le manque de formation du personnel, les changements fréquents de personnel, l’organisation chaotique du travail. Il

sonnes en situation de handicap n’en est pas moins aisée. La personne présentant une situation de handicap, dépendante pour les soins, (facteur de vulnérabilité) peut être chosifiée par une attitude de banalisation des actes des soins intimes par le-la soignant-e. En effet, les soins intimes procurés par l’intervenant professionnel mettent forcément la personne dans une situation de grande vulnérabilité, tout comme l’intervenant, qui peut trouver des stratégies défensives pour composer au mieux avec cette intrusion dans l’intimité de l’autre. (Clerebaut, Poncelet, Van Cutsem) Les représentations liées à ces soins (tout petit enfant) alors qu’il s’agit d’un adulte, peuvent amplifier encore une mise à distance de la personne par les éducateurs et éducatrices.

De la prévention maltraitance vers une orientation durable de bientraitance A la lumière de ces constats, il est nécessaire d’identifier les facteurs de protection (autoprotection) liés aux personnes et aux différentes composantes de leur environnement (protection), dans une visée de prévention des maltraitances. Un renforcement de ces facteurs de protection participe de cette prévention. «Le facteur de protection correspond à un élément environnemental qui favorise la réalisation d’habitudes de vie sécuritaires ou qui limite la réalisation de situations néfastes pour des personnes ayant des incapacités et des vulnérabilités significatives. Il est une caractéristique de l’environnement communautaire ou institutionnel, spécifique aux milieux de vie.» (Plamondon, 2006) 17


La capacité que peut présenter une personne porteuse d’une déficience intellectuelle de s’adapter aux situations peut à la fois être considérée comme un facteur de risques et comme un facteur d’autoprotection (Fougeyrollas et al. 1998, p. 82). La personne présentant des réseaux diversifiés, ayant une place reconnue au sein de sa famille, pouvant exercer sa capacité d’autodétermination, ayant une bonne estime d’elle-même, présente les ressources qui lui permettent de prendre une place favorable dans l’interaction avec son environnement. Au niveau de l’environnement, les organisations qui offrent une sécurité suffisante pour favoriser le développement et l’épanouissement des personnes accueillies présentent les caractéristiques suivantes: un code d’éthique accessible, des dispositifs pour traiter avec une tolérance zéro toute situation d’abus et de maltraitances, une adaptation des locaux et des conditions de travail, une politique de formation continue du personnel, par exemple. Les démarches de prévention de la maltraitance s’appuient donc sur cette analyse fine des facteurs de risques et de protections propre aux personnes et aux environnements dans lesquels les personnes évoluent. La formation du personnel, le soutien aux familles et au réseau de soutien de la personne, le travail de sensibilisation auprès du public comme par exemple la déconstruction des représentations liées aux personnes présentant une déficience intellectuelle, participent de la prévention de possibles maltraitances, quelle qu’en soit la nature. Il est cependant bien clair qu’une prévention orientée vers une culture de la bientraitance ne peut se construire sans que s’élaborent des lignes claires également au sein des politiques, tant au niveau des structures qu’au niveau des services publics. Le concept de bien-traitance, qui émerge dans les années quatre-vingt-dix, est en fait un composite de plusieurs notions (bienveillance, bienfaisance, care, communication) (Parayre c. Et al., 2008). Ce terme renvoie à l’idée d’un processus pouvant être entrepris par des professionnels, une structure d’accueil, un réseau de soutien qui souhaitent «rechercher activement des moyens permettant de ne pas se laisser envahir par le découragement provoqué par la complexité des situations de maltraitance.»4

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Cette définition a eu le mérite, avec ce trait d’union, de relier la notion du prendre soin à la notion de maltraitance. «(…) la “bien-traitance” des plus vulnérables d’entre les siens est l’enjeu d’une société tout entière, un enjeu d’humanité.»5 «La bientraitance est une culture inspirant les actions individuelles et les relations collectives au sein d’un établissement ou d’un service. Elle vise à promouvoir le bien-être de l’usager en gardant présent à l’esprit le risque de maltraitance.» (Parayre c. Et al., 2008).

Perspectives Ainsi bientraitance et maltraitance sont deux concepts présentant une importante proximité (Parayre c. Et al., 2008). Une approche selon l’orientation bientraitance oblige les structures d’accueil, les intervenants professionnels à rester vigilants par rapport à la maltraitance, en en gardant la trace et la mémoire. Le concept bientraitance dénote d’une vision positive et dynamique du prendre soin. Les suggestions et recommandations issues des différentes lectures nous permettent d’orienter les actions à réaliser. Ainsi, pour les personnes en situation de handicap, il s’agit de renforcer leur pouvoir d’agir en les soutenant dans leur développement. Il s’agit également de créer et/ou soutenir la création d’espaces de parole. L’idée étant que la personne porteuse de déficience intellectuelle puisse être co-auteur de son projet, car participante dans la pleine mesure de ses possibilités, à sa définition. La capacité réflexive est une ressource incontournable de la prise en charge des personnes en situation de handicap. La culture du questionnement permanent vise à ce que les professionnels puissent prendre le recul nécessaire pour regarder leurs actions, dans une visée d’amélioration de la démarche de bientraitance. RIFVEH http://www.rifveh.org/index.html Réseau Internet Francophone Vulnérabilité et Handicap 2 OMS, 2011 3 Maltraitances des personnes handicapées mentales dans la famille, les institutions, la société : Prévenir, repérer, agir, Livre blanc de l’UNAPEI, juillet 2000. 4 Rapoport, Danielle. La bien-traitance envers l’enfant. Paris: Belin, 2006, p. 20. 5 Comité de pilotage de «L’opération pouponnières». L’enfant en pouponnière et ses parents. Conditions et propositions pour une étape constructive. Paris: Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, La Documentation Française, 1997, in Recommandation… 1

Bibliographie - Brown, H., (2004). Violence envers

les groupes vulnérables. Strasbourg: Conseil de l’Europe, cop.; - Clerebaut N., Poncelet, V., Van Cutsem, V., et al. , (…). Handicap et Maltraitance. Temps d’arrêt. Coordination de l’Aide aux Victimes de Maltraitance; - Fougeyrollas, P., Cloutier, R., Bergeron, H., Côté, J. & St Michel, G. (1998). Classification québécoise: Processus de production du handicap. Québec: Réseau international sur le processus de production du handicap; - Gauthier, S., Boisvert, R. et Cardinal, V. [CANADA, QC], (2005) Réflexion sur l’utilisation du cadre conceptuel «Processus de production du handicap» dans l’analyse des facteurs de vulnérabilité et de protection à la violence conjugale; - Maltraitances des personnes handicapées mentales dans la famille, les institutions, la société: Prévenir, repérer, agir, Livre blanc de l’UNAPEI, juillet 2000; - Masse, M., Petitpierre G., (dir.) (2011). La maltraitance en institution. Les représentations comme moyen de prévention. Edition IES, Genève; - Parayre c. Et al., 2008 (2008). Recommandations de bonnes pratiques professionnelles. Bientraitance, définition et repères pour la mise en œuvre. Agence Nationale de l’Évaluation et de la Qualité Des Établissements et Services Sociaux et Médico-Sociaux; - Plamondon, L., (2000). Le dépistage et la prévention des abus envers les personnes en situation de handicap. ARPIH - Centre romand de formation et de perfectionnement, Le Mont s/Lausanne; - Plamondon, L., (2006). Référentiel favorisant la sécurité des personnes vulnérables. Université de Montréal; - Wood, P.H.N., (1998). Comment mesurer les conséquences de la maladie: la classification internationale des infirmités, incapacités et handicaps, Chronique O.M.S., n°34, pp 400-405. Sites consultés: - http://www.who.int/fr/Organisation Mondiale de la Santé - http://www.rifveh.org/index.html - Réseau Internet Francophone Vulnérabilité et Handicaps


Prix 2011 de l’innovation sociale Olivier Salamin, directeur ASA-Valais, Sion

(rendu en français, mais très bien compris par nos collègues de Suisse alémanique), son discours plein d’émotion a montré l’importance de reconnaître les compétences des personnes en situation de handicap à faire leurs propres choix de vie de façon autonome (logements, aides à domicile, etc.). Il a également reconnu et souligné le travail infatigable de sa coordinatrice, Dominique Wunderle.

Cap Contact

Pages romandes reviendra sur les développements essentiels concernant les conséquences de l’introduction du budget d’assistance dans l’AI (avril 2012).

«Je suis très heureux (…) que Cap-Contact ait reçu (…) le premier prix de la Fondation Paradies pour l’innovation sociale (...) C’est par ces mots que Stéphane Kessler, président de l’Association Cap-Contact, a reçu en novembre dernier, le premier prix de l’innovation sociale, remis par la Fondation Paradies, à Zurich. Ce prix récompense l’engagement dont Cap-Contact a fait preuve pour permettre aux personnes en situation de handicap de vivre plus dignement et pour favoriser leur autodétermination, en leur permettant de choisir librement et directement les personnes qui les assistent, ainsi que leur lieu de vie. «Recevoir ce prix à quelques semaines de l’entrée en vigueur de la "contribution d’assistance", pour laquelle Cap Contact s’est battu pendant de nombreuses années, est symboliquement très fort et représente une marque de soutien et d’encouragement pour les efforts de l’association et pour les valeurs qu’elle défend.» Le lundi 14 novembre 2011 à l’Hôtel Savoy de Zurich, deux groupements romands se sont illustrés au niveau national. Cap-Contact tout d’abord, s’est vu remettre un chèque d’un montant de CHF 50’000.--. Cette association s’est fortement impliquée dans la coordination romande qui a permis la mise sur pied du budget d’assistance. Stéphane Kessler a ainsi pu faire passer un message essentiel sur les enjeux – fondamentaux à ses yeux – de l’autodétermination. Vibrant hommage

Une autre association romande était également à la fête: l’ASA-Valais, qui a reçu un prix d’encouragement de CHF 3000.-- pour le développement de ses projets, avec le critère déterminant de son travail théâtral sur la durée. En 2011, la troupe de l’Evadé a en effet fêté ses 20 ans d’existence et terminé sa tournée «Le Voyage de Râma» Le DVD du spectacle est disponible auprès du secrétariat de l’Association au prix de CHF 20.-www.asavalais.ch - info@asavalais.ch - +41 27 322 17 67 Photo: le président de Cap Contact, Sébastien Kessler

Cap-Contact a pour but de défendre les droits des personnes handicapées dans tous les domaines de la vie quotidienne afin de favoriser leur insertion sociale et professionnelle. L’association a été créée le 11 novembre 1988, par un groupe de six personnes handicapées physiques et une personne valide. L’association réunit des personnes vivant différents types de handicaps ou qui se sentent concernées par ces derniers. Elle est régie par des statuts et au surplus par les articles 60 et suivants du Code Civil suisse. Sa direction est assurée par son Assemblée générale et par son Comité. Cap-Contact est une association romande dont le siège est à Lausanne. Elle est membre de la Fédération Romande la Personne d’Abord (FRPA). Elle vise l’autodétermination des personnes handicapées: comme tout le monde, la personne qui vit avec un handicap veut avoir un contrôle sur elle-même, avoir plus de pouvoir pour agir sur sa propre vie. L’autodétermination, c’est le droit d’être soi-même, c’est avoir plus de choix. www.cap-contact.ch

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InterFace

Une recherche pour améliorer le soutien aux familles vivant avec une personne en situation de handicap Geneviève Piérart, professeure HEF-TS, Fribourg* L’évolution des perspectives d’accompagnement des personnes en situation de handicap, qui va dans le sens d’un recours moins fréquent qu’autrefois au placement institutionnel, implique que la responsabilité du soutien à la personne incombe aujourd’hui principalement à sa famille. Celle-ci se trouve ainsi confrontée à un certain nombre de contraintes qui font émerger des besoins spécifiques. Le soutien aux familles vise à répondre à ces besoins; or il s’avère que, dans de nombreux domaines, ce soutien est insuffisant en raison d’un manque de services disponibles dans le réseau de la santé et des services sociaux (Déry et al., 2002; OPHQ, 2006). En Suisse, les personnes en situations de handicap vivent majoritairement à domicile. A part des situations sociales particulières (abandon de la famille, tutelle etc.), les enfants grandissent entourés par leur famille, avec une utilisation plus ou moins intensive de structures spécialisées.

Des besoins qui peuvent devenir un fardeau L’intégration des personnes en situations de handicap à l’école, au monde du travail, aux loisirs ou aux activités de la communauté peut présenter des caractéristiques différentes selon le type d’incapacité de la personne, le lieu d’habitation, les besoins des familles et les services disponibles (Ecoffey, 2003; Lanners & Lambert, 2002; Piérart, 2008). Les connaissances sur les ressources dont les familles disposent en termes de soutien, qui peuvent être de divers ordres (prestations de service à domicile, allocations, offres de camps de vacances, groupes d’entraide etc.) restent à ce jour lacunaires. Or ces connaissances sont indispensables pour éviter que les contraintes exercées sur les proches

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vivant avec une personne en situation de handicap ne se transforment en fardeau et, lorsque le fardeau existe, pour trouver les réponses adaptées. L’épuisement des proches qui accompagnent une personne en situation de handicap commence à être considéré comme un véritable problème de santé publique. Le fardeau constitue un indicateur du niveau d’épuisement de la famille; il dépend moins de l’importance de la charge réelle qui incombe à la famille que de l’impact psychologique de cette charge, c’est-à-dire l’intensité avec laquelle elle est perçue par les membres de la famille (Margot-Cattin, 2007). C’est dans cette perspective que nous avons entamé une recherche avec deux professeurs de la Haute Ecole Spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) issus des domaines de la santé et du travail social: Isabel Margot-Cattin (Vaud) et Pierre Margot-Cattin (Valais). Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’une collaboration internationale impliquant le Québec et quatre autres pays européens. La recherche suisse a débuté en 2010 et se décline en deux volets: un premier volet, en cours, qui a mobilisé les organismes (services, associations, institutions) actifs dans le soutien aux familles, et un second volet, qui débutera en 2013 et auquel les familles vivant avec une personne en situation de handicap seront invitées à participer. Environ quarante organismes présents dans les six cantons romands ont accepté de participer à cette recherche. Leurs représentantes et représentants ont d’abord répondu à un questionnaire, puis quelques-uns et quelques-unes ont participé à des entretiens de groupe et individuels visant à approfondir les questionnements soulevés par l’analyse des questionnaires.

Le regard des organismes sur l’amélioration des services Avec les questionnaires, les représentants et représentantes des organismes ont été interrogés sur les améliorations qui pourraient être apportées aux services destinés aux familles vivant avec une personne handicapée; un grand nombre de suggestions ont été faites. L’amélioration de l’accompagnement à domicile (tâches ménagères, soins médicaux, soutien éducatif ) a été pointée en priorité et plus particulièrement les services de dépannage ou de garde dans des périodes spécifiques (soir, week-end, vacances scolaires). Il manque de lieux de relève pour les parents épuisés malgré l’existence d’unités d’accueil temporaire. La faiblesse des moyens financiers incite les organismes à engager du personnel non formé, ce qui peut poser problème face à certaines déficiences spécifiques. Outre la formation du personnel à intervenir auprès de personnes nécessitant des soins plus pointus, les participantes et participants à la recherche proposent de développer des gardes de jour prolongées, des gardes de nuit, ou encore des services de piquet afin de diminuer le stress des familles en période de crise. Ces services doivent pouvoir se faire à domicile ou à l’extérieur de la famille quel que soit l’âge des personnes en situations de handicap. La création de places dans les crèches, des lieux d’accueil extra-scolaires et extraprofessionnels (avant et après les heures d’ouverture des ateliers de travail) est souhaitée, de même qu’une plus grande flexibilité des institutions pour des accueils temporaires de week-ends, d’une nuit ou d’une semaine. Un autre domaine largement évoqué concerne la formation et l’intégration scolaire. Avec le soutien de la collectivité (Confédération, cantons, administrations locales), on pourrait obtenir l’intégration des enfants vivant avec un


handicap dès leur plus jeune âge dans des structures préscolaires (crèches, garderies, jardins d’enfants) et scolaires «ordinaires». Cependant, très peu d’établissements de la petite enfance par exemple sont capables de faire face à de telles demandes (par manque de formation du personnel éducatif, ou à cause de barrières architecturales). Il faudrait donc commencer par mieux former au handicap les futurs professionnels et professionnelles et effectuer les aménagements nécessaires à l’intégration des enfants avec un handicap. De plus, les enfants mais aussi leurs parents demanderaient un accompagnement pluridisciplinaire. Enfin, le tout devrait se dérouler dans un esprit de continuité, de la petite enfance à l’âge adulte. Un troisième domaine relevé est la nécessité de centraliser les ressources informationnelles. Pour mieux aider les familles, il faudrait réunir les renseignements sur les services et les prestations à leur disposition sur un seul site (guichet unique d’informations), les proches n’étant pas toujours au courant de tout ce qui existe dans leur région. Les parents reçoivent beaucoup d’informations alors qu’ils sont sous le choc de l’annonce du handicap de leur enfant et enregistrent donc mal ou ne savent pas ce qui pourra leur être utile et à quel moment. Enfin, il faudrait pouvoir proposer aux familles une personne de référence unique pour tous les services apportés afin de leur éviter de devoir faire appel à de nombreuses personnes différentes, et aussi épargner aux intervenantes et intervenants d’éventuels problèmes de coordination. Un dernier thème largement abordé concerne l’aspect financier de l’aide, qui est insuffisante tant pour les familles que pour les organismes. Enfin, quelques représentantes et représentants des organismes ont souligné l’importance d’un dépistage

précoce systématisé. Cet aspect a été approfondi lors des entretiens car la question du diagnostic est problématique: de nombreuses associations s’inscrivent encore dans cette logique diagnostique en s’adressant à des personnes présentant un type de déficience en particulier. Les parents qui n’ont pas accès à un diagnostic clair ne savent donc pas vers qui se tourner pour obtenir de l’information et du soutien. Cependant, conscientes de l’héritage historique qui sous-tend cette logique, plusieurs associations développent des synergies entre elles, car l’offre existe mais elle est dispersée, les familles s’épuisant à chercher des informations et frapper à différentes portes. Ces synergies se créent également avec les services et institutions, même si les différences de logique entre ces différents acteurs ne vont pas sans susciter des interrogations («Est-ce à nous de donner cette information, de fournir ce soutien?») et même si différentes sensibilités cantonales semblent se dessiner.

Conclusion… provisoire Bien que l’analyse des entretiens ne soit pas encore achevée, elle laisse entrevoir que, face aux obstacles rencontrés, les familles comme les organismes développent des «stratégies» pour que les soutiens existants soient plus accessibles: pour contrer une certaine rigidité des politiques sociales en matière de handicap, c’est l’humain qui est mobilisé à travers les bénévoles, les professionnelles et professionnels et les familles qui activent leurs réseaux sociaux pour trouver des solutions. Cela ne doit pas faire oublier que les besoins sont encore nombreux, qu’une partie des familles reste vulnérable et que leur réalité peut fortement varier d’un canton à l’autre, d’un handicap à l’autre et d’une étape de vie à l’autre. Au terme

de ce premier volet de la recherche (dont les résultats pourront être diffusés au printemps 2012), l’équipe de recherche exprime sa reconnaissance aux participantes et participants, qui se sont exprimés avec sincérité sur leurs limites, leurs besoins et leurs forces. Elle espère également pouvoir, à partir de 2013, recueillir les expériences des familles. A suivre… *En collaboration avec Isabel Margot-Cattin, Professeure EESP, Vaud, et P.- MargotCattin, professeur HES-SO/Valais Références Déry, M., Côté, B., & Toupin, J. (2002). Rôle des services de répit dans la réduction des problèmes de santé des parents et des intentions de placement des enfants. In M. Déry, B. Côté & J. Toupin, Famille et situation de handicap. Comprendre pour mieux intervenir (pp. 135-149). Sherbrooke, QC: Éd. du CRP. Ecoffey, S. (2003). Analyse des besoins et des sources de soutiens des parents d’enfants différents en âge scolaire. Mémoire de licence présenté à la faculté des Lettres de l’Université de Fribourg (Suisse). Lanners, R. & Lambert, J.-L. (2002). L’intervention précoce en éducation spécialisée. Bilan et perspectives. Zurich: SZH/SPC. Margot-Cattin, I. (2007). Fardeau des familles, possibilités de prévention en ergothérapie. In M.-H. Izard (Éd.), Expériences en Ergothérapie, 20e série (pp. 219-223). Montpellier : Sauremps Médical. Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) (2006). Le guide des besoins en soutien à la famille. Pour les parents d’un enfant ou d’un adulte handicapé (2eed.). Québec: Gouvernement du Québec. Piérart, G. (2008). Familles migrantes et handicap de l’enfant. Thèse présentée devant la faculté des Lettres de l’Université de Fribourg, Suisse, pour l’obtention du grade de Docteur. Centre Universitaire de Pédagogie Curative, Université de Fribourg (Suisse),12.

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Politique sociale

Comment défendre nos intérêts? Mélanie Sauvain, secrétaire romande AGILE

Aujourd’hui, le quotidien des personnes en situation de handicap dépend passablement de ce qui est décidé à Berne, au Conseil fédéral et au Parlement. La question est donc celle-ci: «Comment influer ces décisions pour qu’elles améliorent, respectivement, ne péjorent pas ce quotidien?

Le lobbying au Parlement La défense des intérêts passe souvent par le lobbying au Parlement, c’est-à-dire un contact direct avec les élus pour leur exposer revendications et arguments. Le but étant qu’au final, ils votent en faveur de la cause à défendre. Dans le cadre des débats sur la 6e révision de l’AI (premier et second volet), la Conférence des organisations faîtières de l’aide privée aux personnes handicapées (DOK) a mis sur pied des tandems de lobbyistes, composés d’une personne handicapée et d’une personne active professionnellement dans le monde du handicap. Le but est de sensibiliser les parlementaires aux répercussions qu’ont les révisions qu’ils votent, sur les personnes concernées. Nos tandems rencontrent beaucoup de bienveillance, des oreilles généralement attentives, mais force est de constater qu’au final, ils ne sont pas entendus. Cela tient d’abord à la polarisation actuelle sur les dossiers qui nous concernent, comme l’assurance-invalidité ou l’égalité: la gauche vote en bloc pour nos revendications et la droite, majoritaire, vote en bloc contre. Le vote n’est pas personnel, il est partisan, c’est-à-dire dicté par le parti. Faire du lobbying auprès d’élus particuliers apparaît donc comme voué à l’échec, même s’il n’est jamais complètement inutile. Ce sont les décideurs au sein d’un parti qu’il faut convaincre. Mais la tâche est ardue, tant ils sont sollicités, généralement par des lobbyistes professionnels qui ont le temps et l’argent pour mener à bien leur mission. Une deuxième raison explique à mon avis le fait que les personnes avec un handicap ne sont pas entendues: les votes contraires à leurs intérêts ne sont pas sanctionnés.

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Parlement.ch

La Suisse est une démocratie dans laquelle le peuple est souverain. Mais sommes-nous toutes et tous égaux face à notre système politique suisse? Pas sûr, tant il est vrai que faire entendre sa voix demande aujourd’hui des ressources humaines et financières énormes. Les organisations sans moyens, qui ne peuvent, par exemple, pas se payer des lobbyistes professionnels, peinent à faire passer leurs messages et leurs revendications auprès des décideurs. Une réalité qui impose de trouver des alternatives.

Nos élus ne se sentent pas redevables, car personne ne leur demande des comptes. Il est pourtant relativement facile de leur rappeler que les personnes concernées et leurs proches peuvent aussi être une force, qui représente une partie non négligeable de l’électorat.

Pressions régionales Je pense que c’est sur ce lien «élus-électeurs» que les organisations de défense des personnes handicapées doivent travailler. Les Forums handicap de Valais et Vaud, parmi d’autres, l’ont d’ailleurs bien compris en élaborant, à la veille des élections fédérales d’octobre, des chartes en faveur des droits des personnes en situation de handicap. Ces chartes, adressées aux candidats de leur canton, ont permis aux deux forums de faire des recommandations en vue des élections. Il s’agit désormais de comparer les votes des signataires au Parlement avec les revendications des milieux du handicap. Et de demander des comptes aux élus qui ne respectent pas leurs engagements. Quant à ceux qui ne se sont pas engagés à travers de telles «conventions», il s’agit d’une part de les informer de nos revendications et de les confronter aux répercussions négatives de leurs votes. Pourquoi ne défendez-vous pas mes intérêts? Un électeur est en droit de poser cette question à toute personne à qui il a donné sa voix. Il est clair que personne n’aime être confronté à ses promesses non tenues, à ses discours contradictoires ou à ses votes dictés par son parti et non par son ressenti personnel.

Suivre les élus pas à pas Les votes des conseillers nationaux sont disponibles sur le site www.parlament.ch. Ceux des conseillers aux Etats ne sont pas publiés, mais il est toujours possible de suivre sur place qui vote quoi...


Sélection Loïc Diacon, responsable infothèque, Haute Ecole de Travail social (IES), Genève Marie-Paule Zufferey, rédactrice

La maladie et le handicap à hauteur d’enfant: perspectives de prise en charge pour les proches et les intervenants Romano Hélène Paris: Faber 2011

À un âge où la vie des enfants est faite de bonheur, d’insouciance, de projets et de jeux, la maladie ou le handicap projette l’enfant et ses proches dans un autre monde. Cet ouvrage, issu de l’expérience de l’auteur, aborde la question du handicap et de la maladie à hauteur d’enfant (du tout-petit à l’adolescent). Il aborde également le vécu de ses parents, de sa fratrie et la position des professionnels qui interviennent auprès de lui (soignants, thérapeutes, enseignants) avec les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Pouvoir accompagner l’enfant, parvenir à s’ajuster jour après jour à ses possibilités, nous confronte à de multiples questions. Ce livre propose des réponses possibles et des perspectives de prise en charge tant du côté des parents que des professionnels. Prendre soin de l’enfant malade ou handicapé, c’est aussi lui permettre tout au long de sa maladie de continuer de rester avant tout un enfant et de ne pas être réduit à un petit corps malade. Hélène Romano est docteur en psychopathologie clinique, psychologue clinicienne et psychothérapeute spécialisée dans le psycho-traumatisme. Depuis plusieurs années, elle intervient auprès d’enfants malades ou handicapés et de leurs familles, et participe à la formation des enseignants spécialisés. Elle est également l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés au trauma chez l’enfant. Le développement des habiletés motrices: comprendre et aider les enfants ayant des difficultés de coordination Hélène Kurtz, Lisa A et Robin, Julie Montréal: Chenelière Education, 2010

Les problèmes de coordination transforment parfois les activités quotidiennes en véritables défis pour les enfants ayant des troubles d’apprentissage. Cet ouvrage accessible offre des stratégies pratiques et des conseils pour aider ces enfants. L’auteure explique comment reconnaître le développement moteur typique et atypique, indique auprès de qui on peut chercher de l’aide et le moment où il convient de le faire, en plus d’inclure des stratégies d’enseignement afin d’aider les enfants ayant des difficultés de coordination à vivre des réussites dans

leur milieu scolaire et à la maison. Elle décrit en outre un grand éventail de moyens thérapeutiques et présente les ressources offertes. Rempli de suggestions pratiques, de diagrammes claires et de tableaux mettant les éléments clés en évidence, ce livre constitue un outil de référence pratique essentiel pour quiconque doit intervenir auprès d’enfants atteints d’un trouble du développement moteur, et plus particulièrement ceux aux prises avec un trouble de l’acquisition de la coordination. Leur regard perce nos ombres Julia Kristeva, Jean Vanier Editions Fayard, 240 p.

Pendant plus d’un an, Julia Kristeva, psychanalyste, romancière, qui fait de son vécu de mère un combat politique pour la vie digne dans la cité des hommes et des femmes en situation de handicap, et Jean Vanier, fondateur il y a quarante-six ans de L’Arche, qui héberge des handicapés, ont échangé sous forme de lettres sur leur expérience respectives. Pourquoi le handicap fait-il si peur aux gens? En quoi l’irréductible différence des handicapés moteurs, sensoriels et surtout psychiques et mentaux suscite-t-elle recul, angoisse, parfois épouvante? Comment parvenir à changer le regard de la société sur ces êtres que notre culture de la performance, de l’excellence et de la compétition rend les plus «étrangers» des êtres humains? Mais ce livre permet aussi d’aborder d’autres questions, plus générales: pourquoi voulons-nous être parents? Qu’est-ce qu’être mère? A quoi sert la religion? Jusqu’où ira la science? Que peut la famille? Et l’Etat? Sans esquive, cet échange - la réflexion analytique et laïque de Julia Kristeva venant en contrepoint de celle de Jean Vanier, nourrie de foi chrétienne - interpelle notre vision de l’existence et, à travers celle-ci, interroge notre humanité. Développer l’éthique en travail social René Baptiste et Bernard Caubère Lyon, Chroniques sociales, avril 2011

En ces temps de crises et de révolution culturelle, où l’économie semble décider de tout, il importe à l’action sociale de relever un défi; donner toute leur place aux bénéficiaires de l’action sociale, au nom d’une humanité commune que rien n’impose et que l’économique ne peut légitimer, et en même temps faire droit aux collectivités qui demandent de rendre compte de l’efficacité des programmes qu’elles financent (...)

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Formation et informations

Projets d’intervention individualisée (PII) élaborés à partir de la CIF

Projets d’intervention individualisés (PII) élaborés à partir du PPH

Intervenant et coordinateur: Jean-Louis Korpès 23 et 24 janvier 2012 (intro CIF) Délai d’inscription : 19 décembre 2011 5 et 6 mars (PII) Délai d’inscription: 3 février 2012 Lieu: Haute Ecole fribourgeoise de travail social Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet - 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Intervenants: Jean-Pierre Robin, Jean-Louis Korpès Coordinateur: Jean-Louis Korpès 26 et 27 mars 2012 / 7 et 8 mai 2012 Lieu: Haute Ecole fribourgeoise de travail social Délais d’inscription: 24 février et 30 mars 2012 Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet - 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Autodétermination - du concept à la pratique

Intervenant: Ralph Agthe Coordinateur: Maurice Jecker-Parvex 28 et 29 mars 2012 Lieu: Haute Ecole fribourgeoise de travail social Délai d’inscription: 24 février 2012 Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet - 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Manon Masse, Jean-Louis Korpès 2 et 3 février 2012 Lieu: Haute Ecole fribourgeoise de travail social Délai d’inscription: 6 janvier 2012 Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet - 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Ethique appliquée face à la violence Intervenant: Roger Cevey Coordinateur: Maurice Jecker-Parvex 13 et 14 février 2012 Lieu: Haute Ecole fribourgeoise de travail social Délai d’inscription: 13 janvier 2012 Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet - 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

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L’accompagnement socio-éducatif d’adultes Maltraitance - Bientraitance

Intervention auprès des personnes cérébro-lésées Actualisation du potentiel adaptatif des personnes présentant des troubles graves du comportement Intervenant: Jean-Pierre Robin Coordinateur: Jean-Louis Korpès 10 et 11 mai 2012 Lieu: Haute Ecole fribourgeoise de travail social Délai d’inscription: 30 mars 2012 Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet - 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Ethique appliquée face fscr sux impasses et échecs professionnels

Une boussole de l’action, une visée éthique

Intervenant: Roger Cevey Coordinateur: Maurice Jecker-Parvex 5 et 6 mars 2012 Lieu: Haute Ecole fribourgeoise de travail social Délai d’inscription: 3 février 2012 Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet - 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Clarifier les finalités de l’intervention sociale et/ou éducative afin d’éviter les échecs Jean Bédard Cours Améthyste No 437 15 et 16 mars 2012 Renseignements et inscriptions Christiane Besson, Impasse de la Dîme CH - 1523 Granges-près-Marnand Tél. +41 26 668 02 78 - chr-besson@bluewin.ch


VIE AFFECTIVE, AMOUREUSE ET SEXUELLE des personnes handicapées A qui appartient le désir? Qui est censé apporter réponse au désir? Formation exclusivement réservée aux directeurs-trices et/ou adjoints-es, ainsi qu’aux responsables de secteurs. La finalité de cette session sera d’interroger les responsabilités des décideurs dans ce domaine. Co-animation: Catherine Agthe Diserens, sexo-pédagogue spécialisée et Jean-Louis Korpès, professeur HES

Les 29, 30 et 31 mars 2012 Institution de l’Espérance, Etoy, Suisse Montant de la formation: 700 CHF (3 repas de midi inclus + textes de références) Pour toute demande d’information ou d’inscription, jusqu’au 15 décembre 2011 catherine.agthe@vtxnet.ch

Rencontre Je cherche une copine qui aimerait passer du temps avec moi et qui pourrait aussi comprendre que j’ai aussi besoin d’un peu de temps pour moi. Je l’aimerais beaucoup pour nous promener, aller au cinéma, aux bains et nous donner de la tendresse. J’ai 28 ans et je vis en appartement. Merci de me téléphoner au 079 235 73 39

Jeudi 22 mars 2012 à la HEPVaud, Lausanne

Forum académique de PART21

Trisomie 21:

le réseau, une évidence !? Journée de formation et d’échanges sur le thème du travail en réseau dans l’accompagnement des enfants et adolescents ayant une trisomie 21. A l’attention des intervenants des domaines médicaux, pédagogiques, socio-éducatifs et des proches. Une collaboration PART21, HEPVaud, HUG, AIRHM, ASA-Handicap mental, ART 21 Programme et inscription dès janvier 2012 sur www.part21.ch PART21-Pôle Académique Romand pour la Trisomie 21 Ch. de la Mellette 40 – 1081 Montpreveyres - info@part21.ch

Pension la Forêt, Vercorin Au cœur des Alpes valaisannes

Un lieu d’accueil pour personnes en situation de handicap

Chalet de 25 lits récemment rénové

Tél. +41 27 455 08 44 - Fax +41 27 455 10 13 www.pensionlaforet.ch - pensionlaforet@bluewin.ch

Olivier


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