PAGES ROMANDES - Spécial Fribourg, notre tradition, c'est la modernité

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Pages romandes Revue d’information sur le handicap mental et la pédagogie spécialisée

No 5 décembre 2010

Spécial Fribourg



Sommaire

Impressum Pages romandes Revue d’information sur le handicap mental et la pédagogie spécialisée, éditée par la Fondation Pages romandes, Institution de L’Espérance, 1163 Etoy Conseil de Fondation Président: Charles-Edouard Bagnoud Rédactrice et directrice de revue Secrétariat, réception des annonces et abonnements Marie-Paule Zufferey Avenue Général-Guisan 19 CH - 3960 Sierre Tél. +41 (0)79 342 32 38 Fax +41 (0)27 456 37 75 E-mail: mpzu@netplus.ch www.pagesromandes.ch Comité de rédaction Cédric Blanc, Sébastien Delage, Michèle Ortiz, Olivier Salamin, Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga, Marie-Paule Zufferey Responsable de publication: Charles-Edouard Bagnoud Parution: 5 numéros par an Mi-février, mi-avril, mi-juin, mi-septembre, début décembre Tirage minimal: 800 exemplaires Abonnement annuel Suisse AVS, Etudiants Abonnement de soutien Etranger

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Dossier : Spécial Fribourg 2 Tribune libre Pascal Loutan 3 Editorial Olivier Salamin 4 Prendre soin dans le canton de Fribourg au XVIIIe siècle Michel Nadot 7 L’Institut de pédagogie curative de Fribourg Note de lecture 10 La Haute Ecole fribourgeoise de travail social entre tradition et modernité Annick Cudré Mauroux, Geneviève Piérart, Jean-Louis Korpès, Maurice Jecker-Parvex 12 Le centre de formation continue pour personnes adultes en situation de handicap Jean-François Massy 14 La Fondation Les Buissonnets, une structure en mouvement... Interview de Brigitte Steinauer 16 L’atelier CREAHM Fribourg Gisèle Poncet 18 Interview de Marinella Capelli Propos recueillis par Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga

Graphisme Claude Darbellay, www.saprim.ch

20 La situation des jeunes adultes atteints de Troubles Envahissants du Développement Véronique Zbinden Sapin, Evelyne Thommen, Alida Gulfi, Carine Bétrisey, Sandra Wiesendanger

Impression Espace Grafic, Fondation Eben-Hézer,1000 Lausanne 12

22 Actualités

Crédits photographiques HEF-TS, CREAHM, René Gysi et Fribourg Tourisme

N.d.l.r.: Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. La présentation, les titres et les intertitres sont de la rédaction. La reproduction des textes parus dans Pages romandes est souhaitée, sous réserve de la mention de leur source.

23 GIFFOCH 2010 Séverine Bidaux 24 Références Loïc Diacon

© Pages romandes

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Tribune libre À Fribourg, notre tradition c’est la modernité! Pascal Loutan, psychologue

Arrivé à mon bureau, j’allume un ordinateur. Nous sommes à Fribourg, mais j’utilise Word comme dans les autres cantons pour rédiger mes rapports. Si, si. Nous rédigeons des rapports parce que, comme dans les autres cantons, nous sommes certifiés ISO. C’est un label qui permet de définir précisément si une vache est fribourgeoise en fonction du % de taches noires qui se distinguent du fond blanc. C’est un peu comme dans la célèbre histoire du mec qui débarque auprès du berger et qui lui demande s’il est d’accord de lui donner un mouton s’il parvient à déterminer le nombre de bêtes de son cheptel. Le berger accepte, le gars lui donne le résultat exact. Le berger l’invite à se servir dans le troupeau, puis il lui propose un second marché: «- Si je vous dis votre profession vous me rendez mon bien!» Le monsieur accepte et le berger lui dit spontanément qu’il est consultant. «- Comment avez-vous deviné?» lui demande ce dernier. «- Vous venez à ma rencontre sans que je l’ai voulu, vous me communiquez quelque chose que je sais déjà et le prix à payer est énorme… Et maintenant, rendez-moi mon chien!» Evidemment, cette histoire se passe dans le Gros-de-Vaud! A Fribourg, nous avons des vaches, je viens de vous le dire. Par chance, le secteur des machineries compliquées a été repris par Jean Tinguely et celui des régimes par Niki de Saint Phalle. Nous sommes donc simples et sveltes. Nous supportons sans broncher les blagues qui nous poursuivent. Nous nous lavons sous les

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bras, comme dans tous les cantons romands. Ce n’est pas vrai qu’il y a des tas de fumier à côté des églises pour que les mouches n’aillent pas sur la mariée... Je pense d’ailleurs que le 50% de nos mariages finit comme partout ailleurs: en divorce. Les autres vivent en couple comme ils le peuvent, ils bricolent; dans le meilleur des cas, ils sont moitié-moitié. Comme partout, nous portons sur les personnes handicapées un regard empreint d’amour et d’éducation. D’amour cela s’entend, nous sommes la patrie de Saint-Nicolas, don! Et, comme le veut la logique contemporaine, nous corrigeons les comportements déviants. Nous sommes aussi celle du Père fouettard, don! Le terroir et la famille ont toute notre confiance, surtout le terroir, les familles n’étant plus ce qu’elles étaient. Les pieds ancrés dans ce terroir don, nous sommes plus forts pour nous élever et pour élever ceux qui doivent l’être... Du coup, je me demande comment il est possible de s’élever dans le droit chemin? Faire se conjuguer la verticalité et l’horizontalité, quel défi! Bref, je préfère notre bon vieux drapeau qui sait si bien résumer les choses: c’est noir ou c’est blanc! Avec les écoles sociales, je trouve qu’on patine un peu à vouloir toujours trouver des solutions intermédiaires. Enfin! L’être humain n’est pas si compliqué : Allez Gottéron!


Edito Fribourg, mosaïque entre tradition et modernité Olivier Salamin, membre du comité de rédaction de Pages romandes

En quoi un Valaisan pourrait-il se sentir légitimement le droit de s’exprimer sur Fribourg? D’y avoir fait ses études peut-être? D’y retrouver des origines culturelles et religieuses assez communes entre ce canton de montagne et ce canton rural? De les distinguer pour le moins de cantons plus urbains comme ceux de «Lausanne» et de Genève ? Le Valais pourrait d’ailleurs porter le titre choisi pour ce numéro «Spécial Fribourg», sauf que la «modernité pédagogique» en a pris récemment un drôle de coup… Le chef du Département de l’instruction publique a en effet ordonné de biffer au tipp-ex des liens internet jugés trop sexuellement connotés dans des manuels scolaires admis de tous en Suisse romande… Des origines vers le futur Fribourg puise dans son histoire, c’est incontestable. Les auteurs qui ont répondu présents pour «illustrer» de leurs réflexions ce canton bilingue sont tous, aussi modernes soient-ils, partis de leurs racines. Ils les revendiquent, ils les assument. Michel Nadot nous introduit à la question des soins au XVIII siècle, berceau de ce qui allait devenir - une analyse des articles de Valérie Lussi Borer le précise - une approche universitaire et reconnue du handicap en Suisse romande: l’Institut de pédagogie curative. e

Au bout de cette traversée historique: un pôle de compétence handicap au sein du domaine Travail Social de la HES-SO. Quatre professeurs du secteur témoignent de cette avancée. Une mosaïque éclectique Cette introduction nous conduit à des réalisations concrètes, exemples de ce qui constitue cette mosaïque entre «tradition et modernité». Ainsi, le Centre de formation continue a-t-il cherché un équilibre entre ville et campagne, entre langues française et allemande…

Autre équilibre et autre développement, la grande institution des Buissonnets témoigne de son parcours issu d’une longue histoire aux prises avec de nouvelles contraintes et vers de nouveaux horizons. Le CREAHM Fribourg dresse le bilan et tisse de futurs possibles prenant appui, comme association, sur le potentiel créatif et artistique de ses membres. Conclusions et ouvertures dans une interview de la nouvelle inspectrice des institutions spécialisées: Mme Marinella Capelli s’est en effet pliée au jeu des questions et des réponses pour nous livrer son analyse du paysage institutionnel fribourgeois. Hors dossier, mais dans une logique toute trouvée, Véronique Zbinden Sapin et son équipe livreront les premières pistes d’une recherche très intéressante sur les Troubles Envahissants du Développement, recherche issue de la HEF-TS… Fin de série? Le numéro fribourgeois boucle la boucle, les cantons romands ont pu se présenter: le Jura au travers des représentants de son forum cantonal; Genève par le biais d’une explicitation de son contexte politique; Neuchâtel dans une présentation de son secteur formation et Vaud dans l’évolution de ses institutions… Et le Valais? Il a pris une place prépondérante dans l’évolution de la revue. Il convient ici de saluer l’élan indéniable et reconnu que sa directrice et son président ont su et continuent de lui donner. Au nom du comité de rédaction et en guise de bons vœux, nous saluons donc ici les personnalités engagées de Marie-Paule Zufferey et de Charles-Edouard Bagnoud. 2011 nous attend donc de pied ferme pour les nouvelles aventures que nous nos réjouissons de partager avec les lecteurs de Pages romandes…

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Prendre soin dans le canton de Fribourg au XVIIIe siècle Une tradition discursive face aux différentes misères existantes Dr Michel Nadot, historien et épistémologue en sciences infirmières L’hôpital est un espace-temps spécifique dans lequel va naître le langage traditionnel de l’aide à la vie et du prendre soin institutionnel laïc. En l’absence d’espace et de temps, le langage en tant que tradition ne peut exister. Car, celui ou celle susceptible de tenir ce langage n’aurait pas eu de lieux pour parler ou faire parler, pour écrire ou faire écrire, et en conséquence, pas d’activité discursive à tenir non plus. L’espace dont il sera question est celui d’hôpitaux romands aujourd’hui disparus, premier lieu de parole et de pratiques faisant face au spectacle du regroupement des misères qui fonde de manière ininterrompue, la discursivité de la discipline infirmière. Le temps est ce qui fuit, ici, le temps du prendre soin. Pour Auffray (1996, p.7) «l’espace et le temps sont les repères familiers dans le cadre desquels nous interprétons ce que nous percevons du monde qui nous entoure, en particulier le mouvement. Il en est ainsi depuis le début de l’humanité». Ainsi, va se constituer progressivement le langage professionnel du soin qui prolonge latéralement le langage d’action ou du moins sa partie sonore au sein d’un bâtiment construit pour cela et qui, dans nos régions porte le nom d’hôpital1 dès sa fondation. Il s’agit d’un espace laïc, public, qui n’est pas un espace de vie ordinaire. Comme toute institution donnant à entendre un langage, l’hôpital immanquablement, formatera les pratiques fussent-elles discursives. La discursivité est un processus dynamique, un facteur d’imagination puissant qui permet de dépasser l’expérience et en fin de compte permet sur un plan pragmatique comme le relève De Munck, (1999, p.64) «la constitution d’un espace de validation intersubjectif où des apprentissages collectifs deviennent possibles». Ces apprentissages pour prendre soin, sont déjà institués dans l’hôpital sous l’Ancien Régime. Le 13 avril 1760 en effet, la direction de l’hôpital laïc de la ville de Fribourg valorisait l’instruction donnée à une novice remplaçante en vue d’aider à vivre les pensionnaires de l’institution. «La musshafera ou gouvernante des malades2 ayant resté quelques mois outre le terme pour lequel elle avait demandé son congé, pour 4

instruire celle qui devait la remplacer, la Chambre a ordonné, qu'outre le prorata du tems qu'elle a fait de plus que son terme lui serait donné un louis d'or neuf de gratification en reconnaissance tant de ses services qu'en égard aux infirmités que son dit service lui a attirées» (Manual de la Chambre de l’hôpital, 1759-1761, p.29’; Nadot, 1993, p.144). La direction de l’hôpital se rend bien compte que si elle laisse partir un acteur détenteur d’un savoir d’expérience, elle va se retrouver en difficulté pour savoir comment continuer à prendre soin de ceux qui sont dans l’hôpital. La Chambre de direction de l’hôpital en effet, semble plus apte à l’époque, à comptabiliser les revenus de ses propriétés foncières ou la productivité agricole de ses exploitations qu’à assurer ellemême la survie et le prendre soin de celles et ceux qu’elle abrite en ses murs. Sachant que le salaire annuel en espèces pour une soignante de l’époque, «la musshafera» ou «gouvernante des malades» était de 163 batz en 1700, c’est l’équivalent d’un salaire annuel que va recevoir la soignante pour tenir un discours d’autorité sur la façon de prendre soin, à celle qui va la remplacer. Elle va en effet, recevoir un «louis d’or neuf» de la part des autorités hospitalières, soit 168 batz (Morard, Cahn et Villard, 1969, p.92). L’hôpital sert à «protéger la société civile contre les défauts3 qui menacent sa tranquillité» (Proëme, 1759) et héberge ceux et celles qui doivent être assistés pour faire face aux épreuves de la vie courante, fussent-elles parfois liées à certaines mala-dies. Collière (1996), nous rappelle que pour vivre, on a toujours besoin de soins, mais pas forcément de traitements. Et lorsqu’il y a traitement, on redouble habituellement de soins. L’hôpital laïc est le miroir de la classe populaire (les gens ordinaires) et des servantes (le commun du peuple). La classe aisée et cultivée (Clergé et personnes de qualité) a sa propre organisation de soins et d’autres lieux de vie: manoirs, demeures bourgeoises ou patrimoniales, châteaux, dépendances, etc.). Du personnel est attaché aux

soins donnés dans la maison du maître et représente une domesticité privée attachée à une famille et à ses propriétés. C’est lorsque l’on n’avait pas les moyens de se prendre en charge, de se soigner, d’assumer les activités de la vie quotidienne, que l’on se tournait vers l’hôpital laïc public. Vers le milieu du XVIIIe siècle, les agglomérations de Genève, Porrentruy, Neuchâtel, Lausanne, Yverdon, Gruyères, Rue, Bulle ou Romont, etc. possédaient des établissements analogues à celui de Fribourg mais, d’une manière générale, avec une taille et une dynamique proportionnelles au nombre d’habitants de la cité. L’activité soignante d’alors prend ses racines dans le triptyque de base profane de l’aide à la vie: domus, prendre soin de la vie du domaine, familia, prendre soin de la vie du groupe ou de la collectivité hospitalière, hominem, prendre soin de l’homme et de son entourage ( Nadot, 2005, 2009 ). Extrêmement dépendant d’un contexte de vie, structuré, normé, légitimé, règlementé, le statut de l’action reconnu aux acteurs est le reflet de son contexte. Prendre soin, c’est aussi constamment gérer l’espace, le temps, les mouvements, la logistique, l’énergie, l’économique, les relations et la coordination du travail avec l’ensemble des acteurs concernés et leurs nombreux interlocuteurs. Sous l’Ancien Régime, les termes la «Maison» ou le «Ménage» servent souvent à qualifier un hôpital et spécifient un espace de vie «spécialisé» avec une organisation collective de type agricole. De nos jours, on voit souvent l’hôpital comme un haut lieu symbolique habité par la maladie et la médecine. Il n’en a pas toujours été ainsi et les métiers des soins étaient en place avant que l’hôpital ne soit médicalisé. Comme le faisait déjà remarquer Foucault, «d’entrée de jeu, un fait est clair: l’Hôpital général n’est pas un établissement médical (…). Dans son fonctionnement comme dans son propos, l’Hôpital général ne s’apparente à aucune idée médicale» (1972, pp.60-61). Leurs «Excellences de Fribourg» ont sur les servantes hospitalières des représentations porteuses d’un minimum de considérations


pour leurs tâches. Ces dernières très souvent d’une diversité déroutante pour le profane ne se laissent en effet pas toujours appréhender facilement dans leur globalité. Comme personne ne sait exactement en quoi consiste le soin des habitants de l’hôpital dans la mesure où les directeurs d’institutions partagent rarement le quotidien de l’aide à la vie, on trouve cependant dans le profil souhaité pour aider à vivre, quelques indices d’une reconnaissance de leur contribution singulière. «Le choix des personnes pour gouverner et soigner les malades n’est guère d’une moindre importance que celui des médecins et chirurgiens. Car d’elles dépend la propreté des lits et de l’appartement pour en éloigner toute infection. De leur attention dépend très souvent la promptitude des guérisons; une propreté réelle, une complexion robuste, une promptitude à donner du secours, la compassion avec le courage, sont les qualités dont devroient être douées les personnes d’un semblable emploi, aussi bien que d’un esprit attentif et judicieux à pouvoir rendre compte aux médecins de l’état des malades. On tachera toujours de prendre pour le service des malades tout ce qui se présentera de mieux à ces égards et comme la Chambre de direction invigilera sur tout, elle devra particulièrement être attentive sur la façon de gouverner les malades, elle ordonnera aussi les moïens qu’elle jugera les plus propres et les plus convenables» (1759, pp.30-30’). Au XVIIIe siècle, celles qui sont engagées pour donner des soins sont d’un âge rassis4, ayant une expérience d’un travail en collectivité «chez le fermier» ou parfois même, une expérience de la domesticité en «pension bourgeoise », elles occupent le poste de gouvernante des malades dans les hôpitaux laïcs de taille moyenne (110-150 lits ). «Comme il dépend aussi beaucoup du jugement des qualités, et des mœurs des domestiques, que les malades, les enfans soïent soignés, que les victuailles soïent emploïées, serrées ou distribuées à propos, l’hôpitalier et l’hôpitalière ne prendront que des servantes d’un âge rassis, d’une fidélité reconnue, de bonne santé et laborieuses, particulièrement

pour les malades et pour les enfants» (sic.) (Nadot, 1993, 114, Règlement nouveau de l’hôpital de Fribourg, 1759, p.22’). Dans leur pratique, les soignantes romandes vont se trouver confrontées quotidiennement à des langages multiples et vont évoluer au milieu de personnes aux statuts très divers selon la taille de l’établissement. Elles seront contraintes de traiter de l’information en provenance de l’hôpitalier et de son épouse (direction des soins), du secrétaire de l’hôpital, du sautier ( employé qui allait encaisser les revenus), des procureurs, des officiers chefs des offices, des préposés, des tailleurs, boulangers, bouchers, cuisiniers, palefreniers, portiers, apprentis, vignerons, médecins, physiciens de ville, apothicaires, maîtres ou garçons chirurgiens, domestiques, enterreurs, servantes, forestiers, charretiers, chasse-gueux ou chasse-coquins, fermier, sommelier, économe, maître d’école, visiteur (anatomo-pathologiste), chantre, aumônier, etc. (Nadot, 2005). À l’hôpital laïc de la ville de Fribourg en 1759 par exemple, huit classes sont déterminées en fonction du statut attribué à l’espace de vie de ses habitants (Nadot, 1993). La première est l’espace de vie pour «l’hôpitalier, sa famille et ses domestiques», le domaine ( herrensitz ), la 2e est l’espace pour le personnel ou logements de service (dienstensitz), la 3e est «le dormiaux, dormoir, drumiaux, soit dortoir pour les dormiaudes qui sont à l’époque, les prébendaires femmes de l’établissement, la 4e est la chambre des malades, la 5e est le «kinderstube» pour les «enfants trouvés, les enfants illégitimes et les orphelins», la 6e classe concerne le lieu de vie des «enfermés ou enchaînés». On ne sait que faire en effet, de ceux qui présentent des troubles du comportement ou une certaine dangerosité et s’ils peuvent rester abrités derrière leurs familles, l’hôpital en est enchanté. «Il n’est pas douteux que les personnes de cet état aussi incommode que dangereux à la société en doivent être séquestrés. Comme il n’importe pas moins aux parents qu’au public qu’elles soient mises en sûreté, le soin naturel-

lement en doit tomber en premier sur eux, et que ce n’est qu’à leur défaut qu’elles doivent venir à la charge de l’hôpital d’autant qu’on trouve nulle part sinon dans l’usage, que cette maison soit destinée pour ce genre de malades; si toutefois elle l’étoit, ce ne seroit que pour les personnes de la ville et tout au plus des anciennes terres, à l’exclusion des villes du canton qui ont des hôpitaux et même des autres endroits, d’autant que les personnes par la même raison à défaut de parents tombent à la charge des communes ou de leurs paroisses, comme les pauvres le sont selon le Règlement Souverain» (1759, p.33-33’). La 7e classe sera celle des «pauvres passants étrangers ( mendiants étrangers, femmes enceintes, déserteurs français ou de petits cantons, rôdeurs ). Ils ne font que recevoir l’aumône ou la refection à l’hôpital sans s’y haberger et seront conduits de suite, hors des portes par les patrouilleurs ou chasse-coquins» (Règlement 1759, p.35). Enfin, la 8e classe est la prébende du dehors :« Aumône que l’hôpital distribue toutes les semaines ou selon l’usage d’à présent tous les quinze jours à des personnes de la ville qui l’obtinrent de Leurs Excellences à terme ou à vie. Il y a trois sortes de prébendes, la grande, la petite et l’irrégulière. La première était cidevant de sept paires de michettes, (à présent convertie en deux pains) une livre de fromage et dix sols en argent par semaine; la seconde est la moitié de celle là, et la troisième est plus forte et des fois moindre que la seconde» (1759, p.37). En général le personnel qui aide à vivre et prend soin de ceux de l’hôpital dispose de description de fonction, est parfois assermenté et doit déposer une «caution bourgeoise » au début de leur emploi. En échange de conditions laborieuses, le personnel soignant, aura pour discours les activités de la vie quotidienne et touchera des prestations annuelles en espèces, complétées par des prestations journalières ou mensuelles en nature, car il était prévu qu’en plus de son salaire annuel, qu’il serait nourri, logé, chauffé, éclairé, blanchi et médicamenté ( Nadot, 1992 ). De plus, chaque dépense occasionnée pour prendre 5


soin (lumière, beurre, tabac, thés, lessives, bois de chauffage, repassages, etc.) sera remboursée sur présentations de bons et de justificatifs gardés dans un mémoire. Avoir un appartement, à manger, se vêtir, se chauffer, des chandelles pour l’éclairage, savoir s’occuper utilement, avoir un potager ou un jardin, une chenevière, des poules, une vache ou un cheval5, c’est déjà presque «un luxe» au XVIIIe siècle en regard avec les conditions de vie de la classe populaire et des servantes habitant les cités ou campagnes environnantes. Depuis plus de 700 ans, les soignants du canton de Fribourg prennent soin de l’humain dans des conditions difficiles en vue de promouvoir la survie, parfois l’aide à la vie et assurer la protection de l’espèce humaine. Au cœur du système de santé, ils savent mieux que quiconque avec leur tradition de langage et le spectacle des misères, de quoi se compose le quotidien hospitalier. Comme le rappelle Louis Courvoisier (2000, p.179), on reconnaît que «le personnel soignant est un facteur essentiel de la compréhension d’un Hôpital, en raison notamment de sa présence continuelle auprès des personnes soignées et du rôle de relais qu’il joue entre ces dernières et les autres acteurs de l’institution».

Références Auffray, J-P. ( 1996 ). L’espace-temps. Paris: Flammarion. Collière, M-F. (1996). Soigner… le premier art de la vie. Paris: InterEditions. De Munck, J. (1999). L’institution sociale de l’esprit. Paris: PUF. Dictionnaire de l’Académie Françoise dédiée au Roy. (1694). Paris: Veuve de Jean-Baptiste Coignard, imprimeur ordinaire du Roy et de l’Académie Françoise. Foucault, M. (1972). Histoire de la folie à l’âge classique. Paris: Gallimard. Louis-Courvoisier, M. (2000). Soigner et consoler, la vie quotidienne dans un hôpital à la fin de l’Ancien Régime, Genève 1750-1820. Genève: Georg Editeur. Manual de la Chambre de l’hôpital 17591761. Archives de l’État de Fribourg (AEF). Morard, N., Cahn, E.-B. et Villard, C. ( 1969 ). Monnaies de Fribourg, Freiburger Münzen. Fribourg: Banque de l’État de Fribourg. Nadot M. (1992). La formation des infirmières, une histoire à ne pas confondre avec celle de la médecine (pp. 153-170). In F. Walter, Peu lire, beaucoup voir, beaucoup faire, pour une histoire des soins infirmiers au 19e siècle. Genève: éd. Zoé. Nadot, M. (1993). Des médiologues de santé à Fribourg. Histoire et épistémologie

d’une science soignante non médicale (1744-1944). Thèse de doctorat inédite, Université Lyon II. Nadot, M. (2005). Au commencement était le «prendre soin». la revue de référence infirmière, Soins, 700, (pp.37-40). Nadot, M. (2008). Prendre soin: aux sources de l’activité professionnelle, chapitre 2, (pp. 27-51). In Clémence Dallaire (Dir. par). Le savoir infirmier: au cœur de la discipline et de la profession. Montréal : Gaëtan Morin éd. Nadot, M. (2009). Les constantes des pratiques professionnelles d’hier… au service de la discipline infirmière demain (pp. 107131). In C. Sliwka et Ph. Delmas (Eds), Profession infirmière: quelle place et quelle pratique à l’avenir? Perspectives professionnelles, pratiques innovantes, formation universitaire, recherche en soins. Paris: éd. Lamarre et Wolters Kluwer France. Proëme, 5 avril 1759. Archives de l’Etat de Fribourg (AEF), Fonds de l’hôpital NotreDame, 16 pages manuscrites en langue française dont seul le recto est numéroté. Règlement nouveau de l’hôpital ratifié par le Suprême Sénat en l’année 1759. Version originale, 85 pages, domt seul le recto est numéroté. Archives de l’Etat de Fribourg (AEF ), Fonds de l’hôpital Notre-Dame, 342x218 mm, 750 g.

Notes 1

Lieu ou l’on peut recevoir l’hospitalité (un toit, à manger, se reposer, se réchauffer, trouver refuge, etc.). 2

Soignante fribourgeoise qui représente l’ancêtre de l’infirmière « bachelor of science en soins infirmiers» d’aujourd’hui.

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Les défauts habituellement mentionnés sont «le manque de biens, le manque de forces et le manque de santé» (Nadot, 2008, p.33). 6

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Un âge dans lequel «on a de la connaissance, de la reflexion, sans être troublé» ( dictionnaire de l’Académie française, 1694). 5

Posséder un animal domestique est parfois une exigence pour occuper la fonction tel que le mentionne le règlement et statut du gardien de l’hôpital de Bulle (Suisse) en 1749 (Nadot, 2008, p.40).


L’Institut de pédagogie curative de Fribourg Un pôle de compétence avec un ancrage fort dans l’histoire et la tradition Note de lecture de la rédaction Les quelques repères proposés cidessous sont un compte rendu à partir d’articles de Valérie Lussi Borer, maître d'enseignement et de recherche dans le domaine «Profession enseignante» à l'Institut Universitaire de Formation des Enseignants ( IUFE) et la Faculté de Psychologie et des Sciences de l'Education ( FPSE) Collaboratrice de l'Equipe de Recherche en Histoire des Sciences de l'Education ( ERHISE).

Dans la thématique de ce numéro, il nous a semblé important de prendre en considération l’Institut de Pédagogie curative de Fribourg, institut emblématique s’il en est, en matière de handicap. N’ayant pas pu travailler directement avec les responsables de l’institut, nous souhaitions cependant lui donner une place. Les réflexions menées par Valérie Lussi Borer nous ont permis en quelque sorte de redécouvrir cet institut, à travers le prisme de l’Histoire. Dans ce compte rendu, il s’agit de mettre l’accent sur la dimension historique, c’est-à-dire le contexte dans lequel s’est dessinée la perspective de cet institut. Nous avons fait le choix de ne pas développer certaines thématiques issues des articles de Valérie Lussi Borer, qui non seulement identifient le contexte de l’émergence de cette institution, mais également l’impact de ces institués et de leur logique de construction, sur les offres de formation par exemple. Nous verrons plutôt quelques enjeux de cette construction, la dimension confessionnelle, pour ne pas dire religieuse, la dimension politique et la question du bilinguisme. Le champ nouveau qu’est la pédagogie curative à la fin du XIXe et début du XXe siècle, témoigne de questionnements importants au niveau de l’éducation des enfants dit «anormaux», ainsi que de la formation des personnes se destinant à exercer la profession d’enseignant auprès d’un tel public. La question se pose dans toute la Suisse, mais les réponses sont traitées localement, en fonction du contexte est des contraintes y relatives. En effet, il faut considérer l’émergence du champ à partir de différentes portes d’en-

trée: celle de l’avancée des progrès médicaux, de «l’étatisation du champ de l’intervention de l’assistance sociale » ( Valérie Lussi Borer, 2007) et de la question de la généralisation de la scolarité, avec son corollaire, la sélection. Il s’est agi de construire des outils permettant d’identifier et, en quelque sorte, d’exclure les élèves qui entravaient la scolarité des enfants dits «normaux». Les classes spéciales émergent en quelque sorte de cette sélection. Les enseignants des classes d’enfants ordinaires se mobilisent pour signaler au pouvoir public un nombre important d’enfants entravant la bonne marche de la classe. Il s’agit de ces enfants dits «faibles d’esprit». Ils proposent également des mesures pour leur éducation dans le cadre de l’école publique. Constitué en associations et différents mouvements, leur lobbying sera suffisamment fort pour revendiquer de façon concertée des subventions pour ce travail spécifique, ainsi qu’un recensement systématique des enfants dits « faibles d’esprit» dans toutes les écoles de Suisse. Démarche qui se réalisera effectivement en mars 1897 sous forme d’un recensement fédéral. Ce recensement permettra de mettre en évidence qu’un nombre suffisamment significatif d’enfants aliénés existe dans ces classes et cela justifiera le subventionnement de classe spéciales et de médecins scolaires. Ainsi, l’institution par la Confédération de classes spéciales permet d’accueillir des enfants différents: «la pratique de la pédagogie curative entre pour la première fois dans un cadre défini et financé par l'Etat.» A partir de là, la question de la formation des enseignants de ces classes spéciales joue un rôle primordial pour «l’établissement de la pédagogie curative comme profession et discipline puisque c'est elle qui doit garantir la qualité des intervenants dans ce nouveau champ.» (ibid. p.269) Un premier cours est organisé à Zurich en 1899. Puis à Genève, en 1903, se met en place une nouvelle offre de formation. Ce qui est intéressant à retenir de ces émergences, c’est qu’elles s’inscrivent dans des

contextes particuliers ( linguistiques par exemple), mais aussi à partir de représentations bien différentes qui entrent en ligne de compte. «Les deux offres de formation qui se mettent en place font donc intervenir de manière différente les représentants du champ professionnel et ceux du champ disciplinaire. L'offre zurichoise est confiée aux praticiens des classes spéciales et s'organise en lien avec des associations caritatives. Dans un autre registre, l'offre genevoise est entre les mains d'un spécialiste de disciplines émergentes dans le champ de l’anormalité scolaire (médecine et psychologie) qui inscrit son action en lien avec l'université.» Il est intéressant de relever que ces conceptions différenciées de la pédagogie curative ont eu un impact significatif sur le développement de la pédagogie spécialisée. D’autre part, la question de la normalité et de l’anormalité dans le champ socio-éducatif fait débat. Les enjeux qui en découlent sont autant scientifiques qu’économiques. «La nécessité de déterminer une norme et de créer des établissements à même d'offrir à tous les enfants, de manière différenciée, l'instruction obligatoire prévue par la loi impulse la création d'un nouveau champ professionnel et scientifique qui va lui-même influencer les professions et disciplines qui contribuent à le définir.» Les années suivantes vont voir la naissance de classes et de structures médicopédagogiques qui vont permettre de prendre en charge de façon plus pointue les enfants qui posent problèmes dans le système scolaire. Ces services vont participer de façon prépondérante à la construction d’un champ disciplinaire comme celui de la pédagogie curative. Même dans les villes, les enseignants sont trop peu nombreux pour justifier la création d’une formation complète par canton. «C'est ainsi que des instituts de formation destinés aux enseignants spécialisés regroupant des intérêts confessionnels et linguistiques, visant une population intercantonale voire internationale, se déploient dans les cantons-villes de Genève et Zurich, (…).» Si nous nous recentrons sur Fribourg, au même titre que les autres cantons au début 7


du XXe, d’autres facteurs entrent en ligne de compte sur la question de la formation de classes spéciales pour les enfants dits «faibles d’esprit». En effet, la question a un tel impact qu’en 1901, l’assemblée générale de la Société fribourgeoise d’éducation a pour thématique principale l’éducation des «anormaux». «Cette réunion rassemble les enseignants et les membres du clergé autant francophones que germanophones, les inspecteurs scolaires, le directeur de l’Instruction publique Georges Python et le détenteur de la première chaire autonome de pédagogie fondée en 1889, Raphaël Horner (1842-1904)». La difficulté de la mise en place des classes spéciales tient à l’aspect rural du canton et à son bilinguisme. En effet, une classe est possible à mettre en place en ville, mais pas en campagne, en raison du peu de moyens. A la création de l’Institut de pédagogie curative de Zurich, l’association suisse Caritas a pour projet d’envoyer des pédagogues curatifs catholiques s’y former. Dans ce but, Caritas entreprend une correspondance avec le responsable de la chaire de Zurich, pour s’assurer, que dans son institut, il n’y ait pas d’enseignement de « conception protestante». «Après plusieurs échanges infructueux qui ne font que développer la méfiance entre les protagonistes, ce projet avorte. En 1927, un comité pour l’assistance publique aux enfants et à la jeunesse est créé au sein de Caritas qui a, entre autres, pour tâche de réfléchir sur un concept d’Institut pour la pédagogie curative.» En 1928, lors de son assemblée générale, Caritas décrète sa volonté de vouloir mettre en place un Institut de Pédagogie curative pour la partie catholique de la Suisse. Cette plateforme se voulait une institution focalisée sur la pratique et un institut pour la pédagogie curative, plus axé sur un pôle théorique. Afin d’avancer dans la concrétisation de ce projet, Caritas fait parvenir à M. Piller, directeur de l’institution publique de l’époque (1931) un mémoire mettant en 8

évidence «l’importance de l’œuvre catholique» en faveur de la pédagogie curative. Dans ses arguments pour la création d’un institut, il déplore que tant l’enseignement que la recherche en lien avec la pédagogie curative soient menés par les institutions ne revendiquant pas d’appartenance confessionnelle. De plus, les structures déjà existantes s’insèrent dans des cantons protestants. «C’est au sein de l’Université de Fribourg (canton catholique) que Caritas aimerait créer l’Institut théorique, qui comprendrait l’organisation de cours de pédagogie curative ainsi qu’une activité scientifique de recherche et de publication dans ce domaine. Ses arguments sont les suivants: cette configuration fonderait une solide pédagogie curative catholique en Suisse et offrirait aux éducateurs catholiques l’opportunité de se former dans ce domaine. Réciproquement, l’Université gagnerait un enseignement dans un domaine prometteur, qui l’établirait vraisemblablement par la suite comme organe compétent dans le domaine de la pédagogie générale grâce à d’autres enseignements et exercices.» Pratiquement dès le début de la mise en route de cette formation, l’enseignement en allemand est également dispensé à l’Institut de pédagogie curative. Très rapidement, les différentes offres vont trouver un écho favorable. L’Institut de pédagogie curative et l’Institut de pédagogie se constituent sans créer de dissensions au sein de la structure universitaire. «Appuyé par les dirigeants des œuvres caritatives catholiques suisses qui promettent leur soutien financier, l’Institut de pédagogie curative ouvre ses portes au semestre d’été 1935, parallèlement à la nomination de Spieler comme professeur de pédagogie curative et de pédagogie en langue allemande à la Faculté des lettres, deux événements qui renforcent considérablement l’inscription universitaire de la pédagogie curative catholique. Inscrit dans la Faculté des lettres de l’Université de Fribourg, l’Institut propose aux enseignants primaires et au personnel des asiles bénéficiant d’au moins une année d’expérience des cours universitaires de pédagogie, pédagogie

curative, psychologie, psychopathologie et anatomie. Rassemblant une population d’étudiants catholiques romands comme alémaniques, il constitue le seul institut de formation spécialisée catholique offrant des enseignements bilingues en Suisse.» L’Institut dispense à la fois des cours théoriques et des enseignements pratiques qu’il considère comme une composante fondamentale du cursus de formation. En effet, le doyen de l’époque met l’accent sur une articulation et une complémentarité de ces deux dimensions. Valérie Lussi Borer reprendra l’analyse de Haeberlin qui montre que l’Institut de pédagogie curative de l’Université de Fribourg n’aurait pas pu naître de l’unique intervention à l’interne de l’Université ni même à l’intérieur même du canton. « Si les associations caritatives catholiques suisses avec Caritas à leur tête demandent instamment à ce qu’une formation en pédagogie curative soit mise en place à l’Université de Fribourg, ce n’est pas pour lui assurer une légitimité pratique (que possède déjà l’Institut de Lucerne depuis 1932), mais bel et bien pour la placer sous la caution scientifique d’une université située dans un canton catholique. (…) Constituant pourtant au départ une section de l’Institut de pédagogie, l’Institut de pédagogie curative prendra indépendamment son essor et deviendra un institut autonome en 1948.»

Référence bibliographique Valérie Lussi Borer (2007), La pédagogie curative, un champ spécifique in Emergence des sciences de l'éducation en Suisse à la croisée de traditions académiques contrastées, sous la direction de Rita Hofstetter & Bernard Schneuwly. Editions Peter Lang.


La Haute Ecole fribourgeoise de travail social Entre tradition et modernité: Un centre de formation professionnelle en perpétuelle mutation Annick Cudré Mauroux, Geneviève Piérart, Jean-Louis Korpès et Maurice Jecker-Parvex, professeurs à l’HEF-TS de Givisiez

Anciennement dénommée Ecole d’éducateurs spécialisés de Fribourg (EESF), puis Ecole supérieure de travail social, la Haute Ecole fribourgeoise de Travail Social (HEFTS) a été créée en 1972. Dès ses débuts et dans ce contexte, la HEF-TS s’est donné des priorités afin de répondre à sa mission de formation professionnelle. Celles-ci se déclinent en cinq axes principaux qui sont présentés et brièvement développés cidessous. Au préalable, force est de constater que, depuis bientôt quarante ans, la mise en œuvre de ces différentes priorités ne s’est pas réalisée sans tensions ni parfois même sans contradictions. Heureusement, et ceci est bien un paradoxe fribourgeois, tout n’est pas blanc ou noir dans cette évolution mais tout est en nuances. C’est ce que cet article tente de mettre en évidence. Une attention sans cesse renouvelée aux besoins des terrains professionnels Le premier axe des priorités de la HEF-TS concerne une attention toute particulière donnée aux besoins des terrains professionnels en matière de formation. Au fur et à mesure de son histoire, des besoins de plus en plus ciblés ont émergé. Ainsi, un élargissement de l’intervention éducative à des bénéficiaires adultes, puis vieillissants a été préconisé parallèlement au développement d’institutions qui, sous l’impulsion des associations de parents, se sont ouvertes à ces catégories d’âge et à leurs besoins spécifiques. Un autre besoin est lié au développement de compétences spécifiques à l’accompagnement de différents publics cibles, que ce soient des jeunes qui rencontrent des difficultés socio-familiales ou des personnes handicapées. Enfin, l’introduction des approches communautaires dans le programme de formation apporte une diversification des modèles d’intervention et d’accompagnement centrés sur les projets individualisés. Ces besoins évoluent avec le temps et nécessitent des réponses adaptées. Le fait de tenir compte de ces besoins nouveaux remet inévitablement en question les modèles utilisés jusque-là, d’où l’émergence

de tensions nécessaires. La demande des terrains professionnels concerne également les modalités de la formation, qui, elles aussi, se déclinent en différentes couleurs sans s’exclure mutuellement: acquisition de savoirs versus acquisition de compétences, formation à plein temps versus formation en cours d’emploi, formation spécifique (éducation spécialisée ou service social) versus formation générique en travail social et formation de base versus formation continue ou perfectionnement professionnel. Une prise en considération de l’environnement socio-politique Le deuxième axe prioritaire est lié à la prise en compte de l’environnement socio-politique et des cadres de la formation professionnelle. La formation a ainsi évolué dans le contexte spécifique du canton de Fribourg. L’Association fribourgeoise des institutions s’occupant de personnes inadaptées ou handicapées ( AFIH ) fut ainsi le support juridique de l’école jusqu’en 2006, puis la HEF-TS est devenue un établissement de droit public administrativement rattaché à la Direction de l’Instruction publique, de la culture et du sport (DICS). Sur le plan scientifique, la HEF-TS s’inscrit aussi dans une tradition inspirée de la pédagogie curative (l’Institut de pédagogie curative, créé en 1935, fut le partenaire de la fondation de l’école), de l’éducation spécialisée puis du travail social. Elle s’inscrit également dans une tradition historique d’accompagnement caritatif des personnes vulnérables à Fribourg (l’Institut de la Charité, fondé en 1949, est l’ancêtre de la Chaire de travail social de l’Université de Fribourg). La scolarisation des enfants ayant des besoins spécifiques fait également partie de la tradition fribourgeoise : en 1853 déjà, le débat faisait rage au sujet de la scolarisation des enfants élégamment appelés «les crétins du Gottéron». Au sein du contexte actuel de la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (RPT ), la HEF-TS se fait le porteparole de nouveaux modèles permettant de

dépasser la dichotomie intégration versus exclusion. Un engagement et un positionnement professionnels Le troisième axe de priorité est quant à lui centré sur la nécessité de l’engagement et du positionnement professionnel. L’école s’est toujours préoccupée de préparer ses étudiant-e-s à être des professionnel-le-s engagé-e-s dans leur pratique, à prendre position, à étayer leur point de vue et à oser affirmer leur rôle de citoyen-ne. Ainsi, la formation ne vise pas uniquement la transmission de connaissances et de techniques issues du champ de l’accompagnement de la personne avec un handicap ou vulnérable, mais elle cherche également à susciter chez l’étudiant-e un positionnement par rapport à cet «Autre» qui est différent. Au fil des années, ces valeurs humanistes, citoyennes et scientifiques transmises dans la cadre des formations sont apparues sous différentes appellations : normalisation, valorisation des rôles sociaux, intégration, participation sociale, autodétermination, inclusion. Appropriation de nouveaux modèles et de visions inédites L’envie d’anticipation et de préparation aux approches novatrices, en particulier dans les différents domaines du handicap, représente le quatrième axe prioritaire de la HEF-TS. L’école a toujours eu l’ambition, sous l’impulsion de ses trois directeurs successifs, de favoriser la préparation à la connaissance et à l’appropriation de nouveaux modèles et approches de référence ( en favorisant, par exemple, le passage de la «prise en charge» à l’accompagnement des personnes handicapées, du faire «pour» au faire «avec», du «handicap mental» aux systèmes de soutien, des déficiences aux situations de handicap). Cette préparation vise à nourrir et à interroger les réflexions, les pratiques et les postures de la part non seulement des étudiant-e-s mais des terrains euxmêmes. C’est ainsi que, petit à petit, de nouveaux modèles s’ancrent dans les pratiques institutionnelles fribourgeoises grâce 9


à des «passeurs de savoir». Cet ancrage s’effectue également sous l’impulsion des terrains professionnels eux-mêmes, grands demandeurs de formations continues et mandatées. Le handicap, un domaine incontournable à la HEF-TS Très rapidement, la HEF-TS a révisé ses programmes de formation de base afin de sensibiliser ses étudiant-e-s aux concepts pratiques et aux outils à disposition en ce qui concerne le handicap. Le cinquième axe prioritaire se particularise donc par une présence particulière dans ce champ. Au fil des années, l’école a consolidé ce pôle de compétence en présentant des approches novatrices telles que la trilogie de Wood, la méthodologie de projets individualisés, l’autodétermination, le Processus de Production du Handicap ( PPH ) ou encore la Classification Internationale du Fonctionnement (CIF). Dans cette optique, elle invite des intervenant-e-s qui sont aussi bien des chercheurs et chercheuses, des praticienne-s que des personnes concernées ellesmêmes par le handicap. Toujours dans ce champ, la HEF-TS a participé activement à la (re)création et au développement d’associations en faveur des personnes handicapées telles que l’Association Suisse d’Aide

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aux personnes ayant un handicap mental (ASA) ou l’Association Internationale de Recherche sur le Handicap Mental (AIRHM). Elle a été pionnière dans la mise sur pied de formations continues adaptées aux besoins des professionnel-le-s travaillant dans le champ du handicap (en particulier les Cours EESF-ASA, le Cours post-grade CPG Handicap, divers perfectionnements proposés dans le catalogue des formations continues de la HEF-TS). Elle s’est fait reconnaître comme pôle de compétences dans le domaine du handicap grâce au développement de recherches (voir liste des projets terminés sur le site www.hef-ts.ch/recherche) et de prestations de services (formations mandatées, supervisions d’équipes, expertises). En conclusion, si l’on se rapporte à la richesse explicitée, le but de l’engagement de la HEF-TS et de ses personnels n’est pas de résorber des tensions mais de tirer bénéfice des effets stimulants qu’elles sont à même de générer de par leur complémentarité, les paradoxes et les questions qu’elles soulèvent. Ainsi, la prise de conscience des nuances qui existent au-delà d’une vision dichotomique permet de susciter des débats féconds et stimulants.

Références Favagnié (1843). Une voix solitaire sur le crétinisme. Fribourg: Editions Schmid. Stiker, H.-J., Puig, J. & Huet, O. ( 2009 ). Handicap et accompagnement. Nouvelles attentes, nouvelle pratiques. Paris: Dunod. Fougeyrollas, P., Cloutier, R., Bergeron, H., J. & St Michel, G. (1998). Processus de Production du Handicap. Québec: RIPPH/ SCCIDIH. OMS ( 2001, 2007 ). Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé. Genève: OMS.


Le centre de formation continue de Fribourg Tout est probablement une question d’équilibre... Jean-François Massy, directeur

Un peu à l'image du canton qui l'abrite, le centre de formation continue (cfc) de Fribourg se doit d'être attentif à répondre aux besoins d'une population relativement hétéroclite, qui communique en français et/ou en allemand, qui habite la capitale ou des districts dont chacun possède ses particularités et son importance.

tion de plus de 320 étudiants. Suite à divers ajustements opérés dans le programme, dont l'annulation des cours qui n'avaient pas obtenu 5 inscriptions, le dédoublement des cours qui seront fréquentés par un grand nombre d'étudiants, la saison a pu démarrer avec 44 cours, répartis entre 80 enseignants.

Né en 1987 sous l'égide de Pro Infirmis, le centre de formation continue de Fribourg, dont la mission est « d’offrir aux personnes handicapées adultes domiciliées dans le canton de Fribourg une formation qui tienne compte de leurs possibilités d'apprentissage, des aptitudes et des différents centres d'intérêt de chacune d'elles»1, acquiert en 1990 le statut de Fondation. Il a été, à ce titre, reconnu par l'Etat de Fribourg. Depuis, soutenu par l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) et par le Service cantonal de la prévoyance sociale, le cfc a pu développer son offre pour arriver, en 2010, à présenter 44 cours organisés selon la répartition géographique suivante : 20 cours à Fribourg, 8 cours à Bulle, 3 cours à Romont, 3 cours à Estavayer-le-Lac, 3 cours à Châtel-St-Denis, 6 cours à Tavel et 1 cours à Morat. Au niveau linguistique, les cours de Tavel et de Morat sont proposés aux étudiants germanophones. A Fribourg, près de la moitié sont des cours bilingues, destinés tant aux Romands qu'aux Alémaniques. Le CFC permet ainsi aux personnes s'exprimant en langue allemande d'avoir accès à plus d'un tiers de ses cours. Respectant le rythme de travail des étudiants, la quasi-totalité des cours sont organisés dès 17h. La saison commence en octobre pour se terminer en mai et offre ainsi la possibilité de se former, à raison de deux heures par semaine, dans divers domaines : certains plutôt techniques (ordinateur, téléphone mobile, appareil photo), d'autres plus artisanaux (art floral, peinture, couture), sans oublier la cuisine, le théâtre, un ciné-club, un atelier clown, ainsi que des cours plus axés sur le bien-être (relaxation ou Nordic Walking). A ce propos, il est intéressant de constater que la catégorie des cours offrant la possibilité de poursuivre les acquisitions scolaires (lecture, calcul, …) n'ont plus du tout de succès auprès des étudiants. Les derniers proposés n'ont obtenu que très peu d'inscriptions et ont donc été momentanément remplacés. L'offre 2010/2011 a retenu l'atten-

Dans le profil des enseignants engagés, le cfc privilégie le professionnalisme dans la branche enseignée, mais pas au détriment de la formation ou de l'expérience dans l'accompagnement des personnes en situation de handicap. Pour une majorité des cours, le fait de travailler à deux permet de s'approcher de ce que l'on pourrait appeler un tandem «technico-pédagogique». De plus, depuis cette année, tous les enseignants pourront bénéficier d'outils pédagogiques, simples et concrets, issus de la réalisation d'un concept intitulé «Tout est probablement une question d'équilibre…». Un équilibre entre les objectifs poursuivis par le cfc, c'est-à-dire la formation continue, mais sans oublier de mettre l'accent sur l'indépendance acquise par les apprentissages, sur le développement du réseau social que permet la fréquentation de cours donnés dans tout le canton, sur le dépaysement institutionnel assuré par un échange limité d'informations; un équilibre entre les besoins de chacun et les besoins de tous; et tout cela en recherchant le plaisir! La chance d'un centre de formation comme le nôtre n'est-elle pas de considérer que le résultat obtenu est tout aussi important que le processus parcouru pour l'obtenir? Bien évidemment, pour que cette chance puisse perdurer, il est également nécessaire qu'un équilibre soit trouvé entre les organes de subventionnement. Dépendant de l'art. 74 de la LAI, le cfc n'est pas encore directement concerné par la mise en œuvre de la RPT (Réforme de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons) mais les quelques contacts que nous avons pu avoir avec la direction des affaires sociales du canton de Fribourg nous laissent envisager un avenir confiant. Jean Piaget ne nous contredirait certainement pas, lui qui prétendait que «la tendance de toute activité humaine est la marche vers l'équilibre.»2

Notes 1 extrait des statuts de la Fondation 2 in «Six études de psychologie»

info@cfc-bz.ch

www.cfc-bz.ch

Centre de formation continue pour personnes adultes en situation de handicap Rue Locarno 7 1700 Fribourg 026 322 65 66 11


Le Home-Ecole romand de la Fondation Les Buissonnets Une structure en mouvement… Interview de Brigitte Steinauer, directrice - propos recueillis par Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga «Une seule chose est permanente, le changement. » Bouddha Il n’existe à ce jour pas de travail spécifique qui ait été réalisé en ayant pour thématique la Fondation Les Buissonnets, Fondation pourtant emblématique au plan fribourgeois de la prise en charge d’une personne en situation de handicap. Une rencontre avec Mme Steinauer, directrice du Home-Ecole romand de la Fondation des Buissonnets, s’imposait, tant cette personne a participé et participe encore de cette histoire pour une part importante. Discussion donc à bâtons rompus dans son bureau en période de vacances… J’arrive en avance ; Mme Steinauer feuillette «La Liberté», quotidien fribourgeois ô com-

bien emblématique. L’échange engagé semble lui ressembler. Chaleureux, enthousiaste, pragmatique. Mme Steinauer dit des Buissonnets que c’est une structure en marche, en mouvement de façon constante; propos qui collent également à son personnage. Esprit vif et mobile, dynamisé semble-t-il par la préoccupation de pouvoir offrir aux enfants en situation de handicap les meilleures conditions d’encadrement possible. En 2015, la Fondation fêtera ses 50 ans. Ce qui semble être le fil rouge de cette «dame» encore jeune, mais avec néanmoins une longue expérience, c’est la dimension du mouvement. Une structure, qui avance, qui bouge, qui se modifie. «Ce mouve-

Points de repères A La Verrerie, les directeurs de la manufacture de verre locale, construisirent, en 1875, la maison de vacances «Les Charmilles ».

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1932:

Cette maison verra la naissance et l’ouverture de l'Institut Ste-Thérèse à la Verrerie près de Châtel-St-Denis

1965:

Inauguration de l'Institut Les Buissonnets qui accueille les enfants de l'Institut Ste-Thérèse

1974:

Ouverture de Centre de traitements IMC pour enfants

1975:

Constitution de la Fondation Les Buissonnets en faveur de l'enfance handicapée (d'âge préscolaire et scolaire) regroupant sous un même toit plusieurs institutions : - un service éducatif itinérant - un home-école (avec intégration de l'école spéciale «La Farandole») - un centre de traitement IMC

1989:

Création du HOMATO qui accueille plus spécifiquement les enfants.

1993 – 1997:

Restructuration de la Fondation Les Buissonnets qui voit la création des institutions Schulheim, Home-Ecole romand, Centre de traitement et Services généraux

2002 – 2007:

Grands chantiers de rénovation des bâtiments. Fête d'inauguration en juin 2007.

ment, remarque Brigitte Steinauer, même si l’on ne sait parfois pas nécessairement dans quelle direction il nous emporte, il faut néanmoins qu’il ait un sens.» Des compétences spécifiques en mouvement Par ce propos, Mme Steinauer fait référence au grand «chantier» cantonal de la RPT (Réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons ). Grand « chantier » en raison de l’investissement demandé et consenti par l’ensemble des partenaires fribourgeois fournisseurs de prestations d’encadrement auprès des personnes en situation de handicap, mais également par rapport aux nombreuses inconnues auxquelles le Home-Ecole romand devra faire face en temps voulu. Ce chantier suppose qu’à l’avenir, une redistribution des mandats va se faire en fonction de différents pôles que les structures se devront de visibiliser. Le Home-Ecole romand se reconnaît volontiers un pôle de compétences dans le champ du polyhandicap. Une reconnaissance de ce pôle de compétences par les autorités et les pairs, permettrait également d’exporter ces compétences vers une démarche d’intégration. Brigitte Steinauer souligne qu’il ne s’agit pas d’une révolution en tant que telle, puisque la reconnaissance du pôle de compétences des Buissonnets en termes de polyhandicap, valoriserait une démarche et une expérience en marche depuis bon nombre d’années. Le Home-Ecole romand de la Fondation des Buissonnets, est une structure dynamique dans la mesure où elle démontre une capacité d’adaptation à partir des multiples changements auxquels elle été soumise… Depuis sa création, la Fondation des Buissonnets s’ajuste à partir d’une identification sans cesse renouvelée des besoins spécifiques des personnes en situation de handicap. Forcément, l’avancée de la connaissance, la modification progressive dans le public de la représentation de la personne en situation de handicap n’est pas étrangère à cette évolution.


L’intégration par l’école… Un autre mouvement à imaginer? En matière d’innovation, la directrice du Home-Ecole romand remarque que la société doit pouvoir s’ouvrir encore à intégrer en son sein des personnes en situation de handicap. Cependant, Mme Steinauer a quelques réticences à imaginer que l’école soit ce lieu. Il y a, selon elle, bien d’autres lieux d’appartenance, tels le milieu associatif, le village, les loisirs, dans lesquels pourrait être fait ce long travail qu’est l’intégration. Elle identifie l’école comme un lieu trop sensible en tant que tel. Elle ne croit pas à une réponse adaptée aux besoins de la personne en situation de handicap dans le cadre de l’école. En effet, l’école ordinaire en tant que telle a déjà un immense travail à réaliser pour éduquer les enfants et y intégrer les enfants qui ont des troubles d’apprentissage, sans rajouter des difficultés aussi importantes que celles présentées par certains enfants en situation de handicap. La scolarité avec ses exigences, la compétitivité qu’elle engendre n’est peutêtre pas le lieu qui permet l’épanouissement des personnes différentes. Mme Steinauer a le sentiment que les enfants différents pourraient être pénalisés dans un tel mouvement, alors que l’intention visée par l’intégration en classe n’est pas de cet ordre. Il est important de maintenir des institutions où la spécialité est de proposer un accompagnement véritablement adapté aux besoins des personnes. Il semble que le travail d’intégration pourrait se concentrer sur la création de ponts entre des espaces qui répondraient de façon plus spécifique aux besoins des enfants. La démarche d’intégration demandant encore un effort supplémentaire aux enfants différents, elle se met à rêver d’une intégration qui se ferait à l’envers de ce qui semble être la pensée dominante du moment. Pourquoi mettre tellement d’énergie dans une école compétitive, difficile, qui dure 5 heures par jour alors qu’il y a de multiples espaces autres dans lesquels il serait justifié de mettre de l’énergie. Mme Steinauer rêve par exemple d’une intégration qui se ferait dans

le lieu même des Buissonnets. En effet, pourquoi ne pas intégrer une filière scolaire ordinaire dans un lieu tel que les Buissonnets ? Ce serait l’enfant ordinaire qui ferait le pas d’être dans un lieu où les enfants sont différents, qui partagerait certains espaces avec lui, permettant ainsi une connaissance mutuelle dans un lieu qui serait a priori plus favorable pour l’enfant en situation de handicap. Une évocation en mouvement Un exemple très concret de ces ponts que Mme Steinauer trouve important de créer et de développer: une professeure de danse a été engagée au sein du Home romand. Aujourd’hui, chaque enfant a la possibilité de participer à 9 ateliers. L’an prochain, le défi serait de monter un spectacle mixte avec des acteurs du Home-Ecole romand et de l’école de danse. Un mouvement dans la continuité Mme Steinauer constate également qu’en matière d’innovation, il est important de rester ouvert et de s’opposer à toute approche doctrinaire. Il s’agit en effet de rester pragmatique, de prendre en considération de multiples éléments dans des choix d’orientation future. Les grands changements qu’a opérés le Home-Ecole tout au long de ces années, visent effectivement à répondre aux besoins des personnes de façon pointue, tout en respectant et sauvegardant ce qui s’est fait auparavant. Aujourd’hui, l’enjeu majeur pour la directrice du Home romand est - et ceci malgré les chantiers qui s’annoncent encore à l’horizon - de garder son institution en mains, de pouvoir la contenir, d’être dans la quotidienneté et d’assurer la gestion du personnel tout en répondant aux multiples enjeux extérieurs. Il s’agit également et avant tout de maintenir des espaces de rencontres avec les enfants fréquentant la structure, une connaissance de chacun d’entre eux, de leur histoire, de leurs ressources et besoins. Cette dimension n’est pas un vain mot dans la bouche de Mme Steinauer, tant les enfants bénéficiaires des prestations d’encadrement

dont elle assure la qualité sont présents dans son propos et dans son bureau à travers des images, des dessins et photos. En ce sens, l’analyse institutionnelle qui a eu lieu il y a quelques années au sein de l’ensemble de la Fondation a participé clairement à un redimensionnement qui a permis de faire d’une immense «boîte», des entités spécifiques et autonomes. Cette restructuration qui donne à cet ensemble une dimension humaine compose néanmoins avec les logiques de l’époque (bâtiment immense, hors centre ville), sans les renier, mais en les mettant en quelque sorte au goût du jour. Formation et mouvement Le défi du futur, Mme Steinauer le voit dans la nécessité d’assurer la formation des professionnels en lien avec les handicaps à prévalences faibles comme un défi. En effet, se tenir au courant des avancées de la pédagogie curative et donner les moyens à son personnel de se former, reste un enjeu particulièrement important. Il s’agit pourtant d’assurer cette formation pointue, sans pratiquer pour autant la ghettoïsation. Positionnement d’une école en mouvement… qui tient à faire connaître et reconnaître que cet espace fréquenté par les enfants différents, n’est pas une sous-école ordinaire. Il s’agit d’une autre école, dans laquelle les professionnels partent de l’enfant, de ce qu’il sait. C’est une école vaste, qui se donne les moyens de répondre au mieux aux besoins spécifiques des enfants.

Référence Site de la Fondation Les Buissonnets www.lesbuissonnets.ch

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L’atelier CREAHM Fribourg Un lieu de création Gisèle Poncet, artiste animatrice Histoire belge et fribourgeoise Fraîchement diplômé de l’Ecole des beauxarts de Liège, Luc Boulangé conçoit un projet extrêmement novateur en 1988. En effet, conscient de la force de créativité qui peut exister chez des personnes adultes présentant un handicap mental, il décide de donner à ces artistes en puissance un lieu dédié à la création en mettant sur pied un atelier qui leur est réservé. Le mouvement CREAHM (créativité handicap mental) est lancé et s’installe en Belgique avec succès, avec des ateliers tout d’abord de peinture, dessin et sculpture, puis de théâtre, de musique et de danse. S’en suivra la création d’un musée pour héberger, à Liège, une collection d’œuvres remarquables : le Mad, où les travaux de trois artistes du CREAHM Fribourg ont du reste déjà été exposés. Sur le modèle belge, le CREAHM de Fribourg a été créé en 1998 grâce à un groupe de personnes enthousiastes dont un artiste peintre, Ivo Vonlanthen, qui en sera l’animateur. Pendant une dizaine d’années, l’atelier, bilingue, est occupé deux jours par semaine. Depuis 1999, ce sont une bonne quinzaine de personnes qui fréquentent ce lieu actuellement ouvert trois jours par semaine. Un comité de bénévoles et une association CREAHM forte de 600 membres environ gèrent l’atelier installé dès 2009 dans la Maison des jeunes de Villars-sur-Glâne, propriété de la Paroisse catholique. Le rezde-chaussée de ce bâtiment, complètement rénové, a été aménagé en atelier pour CREAHM de façon parfaitement adéquate. Financement Ne recevant aucun subside public, CREAHM existe grâce aux cotisations des membres, aux dons privés, à un don annuel de la Loterie romande, à la contribution annuelle des artistes (Fr. 400.- par année pour chacun) et grâce à la vente des œuvres. Des demandes d’aides sont adressées au début de chaque année, de gauche et de droite, avec l’espoir, récompensé jusqu’à maintenant, de pouvoir couvrir les frais de l’atelier. Il s’agit de régler: les salaires des 14

deux peintres animatrices et de la secrétaire, la location des locaux, les achats du matériel, les frais dus aux expositions. Les artistes et les animateurs L’atelier se situant à proximité d’un arrêt de bus, les usagers de l’atelier s’y rendent par leurs propres moyens, éventuellement avec l’aide du Passe-partout ou de leur entourage. Ils ont un pique-nique dans leur sac et passent la journée, de neuf heures à seize heures, sur place. La fréquentation, un, deux ou trois jours par semaine selon un choix personnel, est régulière tout au long de l’année. Certains artistes travaillent à CREAHM depuis sa fondation, d’autres se sont greffés en cours de route, après un stage de plusieurs semaines où ils ont pu tester leur motivation. Les peintres animateurs – deux animatrices aujourd’hui – ont de nombreuses fonctions : accueillir, entretenir un climat propice à la création, encourager à persévérer, proposer un thème, offrir des techniques différentes, organiser des expositions car elles sont les porte-parole des artistes. Elles reçoivent les visiteurs et les clients, forment des stagiaires animateurs, gèrent le stock de matériel, calment, consolent… En réalité, le terme d’animateur n’est pas à prendre au sens étymologique car l’atelier est animé de lui-même, grâce au souffle (vent de folie parfois!) qui se répand entre les tables et les chevalets! Les animatrices sont bien conscientes de leur rôle, flottant entre deux eaux: pousser une créativité authentique liée à la «folie», permettre son expression, mais en même temps encadrer le travail, au propre et au figuré, afin de favoriser le respect des convenances qui permet la rencontre avec le public. Elles recherchent une forme d’art la plus «brute» possible et exigent aussi certaines conventions sociales car des limites sont nécessaires à la bonne marche de l’atelier et à la vie en groupe. L’ambiance doit permettre la concentration, la circulation des personnes doit se faire sans heurt, il faut respecter le matériel ainsi que les horaires.

Donner un nom Qualifier d’un nom cette forme d’art n’est peut-être pas nécessaire. On parle d’art brut, singulier, différencié, cru, outsider ou hors normes, et le nombre de ces mots prouve la reconnaissance de cet art au goût du jour. A travers le monde, de nombreuses expositions répondent à l’attrait qu’il exerce sur le public. Ce succès, entre autres, vient de ce qu’il ne se base pas sur un concept souvent ressenti comme trop mental dans l’art contemporain, mais sur une expression où l’émotion prime. Le regard du public Il a bien fallu quelques années pour que le public fribourgeois apprécie les œuvres produites à l’atelier CREAHM. Les spectateurs déjà sensibles à cette forme d’art, qui avaient peut-être visité la Collection d’art brut de Lausanne, se sont montrés d’emblée enthousiasmés, mais les autres, moins avertis, trouvaient cet art enfantin, agressif ou peu abouti. Cette grande liberté, cette absence de contraintes et de références effrayaient. Le spectateur sentait la différence qui le séparait de l’auteur de l’œuvre singulière. Il était heureux de contrôler ses propres émotions mais fâché (ou envieux?) que l’artiste se «lâche» dans son travail! Comme c’est aussi le cas en ce qui concerne les artistes dits normaux, les spectateurs convaincus, comme ceux cités plus haut, se recrutaient dans les familles, les proches, l’entourage et le personnel des institutions. Mais en douze ans d’existence CREAHM s’est fait reconnaître par de nombreuses expositions et réalisations de sculptures et d’installations commandées par des institutions. Grâce à cela, aujourd’hui, un large public prouve son intérêt à CREAHM. Cet attachement se révèle lors des vernissages très fréquentés de la Galerie de la Schürra près de Fribourg par exemple, où affluent des amateurs de toute forme d’art et de bons connaisseurs, ainsi que des artistes professionnels. Pour marquer les dix ans de l’atelier, la parution d’un livre sur les artistes, un concert, une conférence de Luc Boulangé, des affiches originales posées dans toute la ville de Fribourg et «Art en voyage», une exposition d’œuvres en trois


dimensions issues de différents ateliers d’Europe (dont le CREAHM Liège), ont contribué à la popularité de ce travail artistique étonnant. Reconnaissance des artistes Au cours des ans, le but est resté le même: en dehors de toute institution, accueillir des personnes adultes en situation de handicap mental ou psychique (en effet, CREAHM Fribourg accueille désormais deux personnes présentant des troubles psychiatriques ) désireuses d’exercer les beaux-arts, les accompagner dans une démarche artistique personnelle, les aider à développer leurs aptitudes. Par le biais d’expositions, la démarche contribue à la représentation sociale et à l’identité de ces artistes reconnus ainsi en tant que tels et non comme handicapés, sans provoquer de compassion, mais en faisant appel à l’exigence artistique du public. Cela peut commencer au sein de la famille, où ce qui pouvait passer pour une manie (dessiner tout le temps) devient l’expression d’un véritable talent confirmé par l’intérêt d’amateurs et d’acheteurs. Les artistes de l’atelier CREAHM s’investis-

sent complètement dans leur travail. Ils se situent dans le «faire», ici et maintenant. Cela, ils le font spontanément car ils ne connaissent pas les inhibitions qui encombrent les artistes normaux. À leur disposition se trouve une bibliothèque de livres d’art qu’ils aiment feuilleter, mais ils ne se préoccupent pas des courants artistiques. Par contre, ils aiment qu’on les aime, eux et ce qu’ils créent, et qu’on les complimente. Ils apprécient les projets d’exposition ou les commandes qui sont aussi de très bons stimulants de l’énergie créatrice. Les œuvres portent l’empreinte de l’esprit de liberté qui habite ces artistes particuliers et touchent par ce qu’elles éveillent en nous. Leur puissance de suggestion nous entraîne hors de nos normes en éveillant une perception parfois sauvage, inquiétante ou séduisante mais toujours communicative. Nous accédons par ce langage artistique à un univers émotionnel sans faire de ségrégation et la question de la normalité se pose: sous ce vernis d’homme, de femme sociabilisée, civilisée, bien élevée, qui me recouvre depuis si longtemps, qui suis-je? Quelle création artistique serais-je capable de réaliser sans les connaissances auxquelles

Exposition Art en voyage

je fais sans cesse référence ? En ce sens, l’art réalisé à CREAHM est brut: brut de savoirs livresques, académiques, conventionnels, mais quant à sa facture, elle est en général très soignée et affinée dans ses moindres détails. Quel que soit le nom donné à leur art, ces artistes possèdent quelque chose ( don, talent) qui permet de faire ressentir au spectateur, pour autant qu’il y soit sensible, le sentiment esthétique, cette expérience unique et fondatrice qui participe à l’accomplissement humain. Nous ne pouvons que les respecter pour la force qu’ils en tirent et les remercier de cet engagement généreux.

Références Gisèle Poncet, Peintre animatrice Atelier CREAHM Fribourg Chemin des Ecoles 10 1752 Villars-sur-Glâne info@creahm.ch www.creahm.ch

Artiste au travail

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Interview de Marinella Cappelli1 Inspectrice des institutions pour personnes adultes au sein du Service de la prévoyance sociale Propos recueillis par Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga «Fribourg, mosaïque entre tradition et modernité», qu’évoque pour vous ce thème en tant qu’inspectrice auprès du Service de la prévoyance sociale? Pour vous répondre, j’ai besoin de situer quelques éléments en lien avec l’exercice de ma fonction au sein du Service de la prévoyance sociale ainsi que quelques points de repères par rapport à mon parcours qui permettent de mettre en perspective mes réponses et vos questions. J’ai en effet débuté mon activité au sein du Service de la prévoyance sociale au cœur d’une période de transition qui a commencé le 1er janvier 2008 et qui correspond à l’entrée en vigueur de la RPT ( nouvelle péréquation financière et répartition des tâches entre la Confédération et les cantons ) et se terminera par sa réalisation concrète et l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi, en principe fixée au 1er juillet 2013. Je ne peux donc pas me prononcer sur ce qui s’est passé avant. Cette période de transition est un véritable chantier dans lequel beaucoup de jalons se précisent au présent, tout en étant focalisée sur l’avenir des personnes en situation de handicap dans le canton de Fribourg. Par ailleurs, il est peut-être intéressant de signaler que j’ai une formation de pédagogue curative, dimension qui me semble être un atout intéressant lorsque nous parlons avec et de personnes en situation de handicape. La situation de transition que nous vivons actuellement ainsi que mes compétences de pédagogue curative me donnent l’occasion de créer quelque chose en faveur des personnes en situation de handicap. Et ce qui est à créer, dans une vision tournée vers le futur, se fait sur des bases bien solides, en lien avec ce qui a été fait et bien fait. On ne crée pas une maison à partir de rien. En ce qui concerne la thématique, je suis d’abord et avant tout ravie de constater que l’on s’interroge encore et toujours sur la place, au sens large, de la personne en situation de handicap dans notre société et, plus précisément, dans le canton de Fribourg. Une place qui peut parfois être oubliée, pour différentes raisons, mais qui se doit d’être néanmoins reconnue et valorisée. 16

Identifiez-vous des tension entre ces deux pôles que sont celui de la tradition et celui de la modernité dans le champ des politiques en faveur des personnes en situation de handicap? Je ne pense pas qu’il y ait des champs de tensions entre ces deux pôles, mais plutôt une forme de continuum entre ces pivots. Un continuum dont le sens s’inscrit dans la nécessité de ne pas rester sur les acquis du passé en raison de l’évolution constante de la société dans laquelle nous vivons. Voici une illustration qui rend compte de cette évolution et de son ancrage dans le passé. Nous sommes en cours d’élaboration d’une nouvelle loi concernant la personne en situation de handicap, une loi qui la met davantage au centre des préoccupations. L’ancienne loi avait bien pour préoccupation la personne en situation de handicap, mais le focus était mis sur nos partenaires, les institutions spécialisées. Ce changement de focus, s’il n’est pas à considérer comme révolutionnaire, n’est en pas moins significatif. Non pas que nous ne nous intéressions plus à nos partenaires, mais nous nous y intéressons dans la mesure où ces structures fournissent des prestations pouvant répondre de façon pertinente aux besoins identifiés chez la personne en situation de handicap. Quel regard portez-vous sur les conditions de vie des personnes en situation de handicap aujourd’hui et quels sont les moyens qui existent pour recueillir des données de la part des personnes concernées? Dans le canton de Fribourg, il existe ce rôle spécifique de l’inspecteur ou l’inspectrice des institutions. Une de ses responsabilités est celle d’être en contact constant avec les personnes en situation de handicap et les institutions. Une part importante de mon activité est en effet destinée à du temps de rencontre et d’observation sur le terrain. C’est une forme de contrôle, mais qui nous permet également d’avoir une fenêtre sur les conditions de vie des personnes en situation de handicap à travers une observation de leur quotidien, observation évidemment teintée de mon regard de pédagogue curative. Durant le temps d’un repas, je peux constater si un besoin qui est exprimé, n’est pas nécessairement écouté

par exemple. Les visites ont également plusieurs formes, comme par exemple des participations à des fêtes institutionnelles, des anniversaires, qui me permettent d’être réellement en contact avec les personnes en situation de handicap, ou des moments plus formels. A la fin d’une visite, je profite d’un moment d’échange pour discuter soit avec le directeur, soit avec le responsable de l’équipe, soit le responsable éducatif, pour leur faire part de mes observations et signifier les éléments qui ont été selon moi positifs et parfois aussi les petites choses qui m’ont quelque peu étonnée. L’échange est très important et permet de mettre en évidence ces différents points. Il ne s’agit pas d’emblée de sanctionner si des éléments sont appréciés négativement, mais bien de proposer des orientations et de voir dans des rencontres successives, où en est l’institution. Selon vous, les personnes en situation de handicap et/ou les professionnel(le)s savent-ils vers qui se tourner en cas de difficultés au sein de l’établissement? Plus précisément, votre fonction est-elle connue par ces différents protagonistes et êtes-vous sollicitée à ce titre? Durant cette année et demie d’activité, j’ai pu constater que mon rôle n’est pas suffisamment connu, et ceci certainement en raison d’un manque d’information en lien avec cette fonction. Il est important de signaler que cette fonction n’a pas pour unique finalité le contrôle, mais se propose également comme une ressource en matière de conseil et de soutien pour les équipes dans le domaine de l’accompagnement. Cette dimension est effectivement peu exploitée. Le plus souvent, et ce à juste titre, les personnes en situation de handicap et les équipes cherchent des ressources à l’intérieur des institutions: on fait appel à un collègue qui a une formation spécifique dans un domaine spécifique par exemple. D’autre part, les partenaires se dotent de moyens comme la supervision pour faire face à certaines difficultés. Je reste cependant à disposition parce qu’il peut s’avérer intéressant de traiter la question avec quelqu’un qui a un regard extérieur tout en ayant des compétences par


rapport au champ spécifique du handicap. En ce qui concerne la gestion de conflits entre les personnes en situation de handicap et les institutions, il est prévu dans le nouveau plan stratégique que toute institution se dote non seulement de mesures de conciliation à l’interne, mais également qu’elle signale à toute personne, à sa famille et au tuteur, les possibilités existant à l’externe. Le plan stratégique a voulu être clair et précis en ce qui concerne ce point. Nous avons voulu donner aux personnes en situation de handicap, à leurs familles et au tuteur, la possibilité de choisir - s’il y a un souci important au sein d’une institution - de s’adresser à une instance extérieure à l’institution pour en parler2. La désignation d’une commission externe par l’Etat est nouvelle. Cette structure de conciliation externe permet effectivement de laisser un choix aux personnes en situation de handicap et va globalement dans le sens de la citoyenneté de chaque personne, qui a des droits, mais également des devoirs. Toujours en lien avec la question des conditions de vie des personnes adultes, il ne faut pas oublier que toutes les institutions ont dû répondre aux critères de qualité de l’OFAS, encore en vigueur durant cette période de transition. Et parmi ces critères de qualité, il y a la satisfaction des bénéficiaires. Concernant ce souci d’information que pouvez-vous dire par rapport à ce qui est projeté pour le futur? Le souci de l’information est une préoccupation qui est prise au sérieux, qui est discutée et pour laquelle des dispositions concrètes ont été prises et inscrites dans le plan stratégique. Tout d’abord, il y a la procédure d’indication, qui est en quelque sorte une forme d’innovation. Cette procédure visera à ce que la personne en situation de handicap s’adresse à un réseau de pré-indication qui est constitué par les institutions fournisseurs de prestation, le RFSM (Réseau fribourgeois de santé mentale) et Pro Infirmis. Ce réseau va réaliser une pré-indication, ce qui signifie qu’en fonction des besoins de la personne, ce groupe va l’orienter vers l’une ou l’autre des prestations existantes. L’idée de la pré-indication répond à une visée plus large qui est celle de l’accompagnement de la

personne tout au long du processus, vers la prestation choisie. Cette pré-indication passera ensuite par le Service de la prévoyance sociale pour validation. Une autre grande nouveauté est représentée par le rôle de centrale d’informations confié au Service de la prévoyance sociale. Il ne s’agit pas de créer un «guichet social», mais plutôt de rendre visible cette possibilité, pour les personnes en situation de handicap et leur famille, de s’adresser au Service de prévoyance sociale pour toute demande d’information. A travers une information soutenue, nous ferons en sorte que toute personne confrontée à la recherche d’une prestation sache à qui s’adresser. L’activité de pré-indication ainsi que le travail d’information exigent de la part de chacun de bien connaître les prestations offertes dans les différentes structures. Nous savons qu’il y a de la richesse dans le travail fait par les partenaires. Nous voulons que ce travail se poursuive, mais de façon plus concertée. La prochaine étape, c’est la mise en œuvre des différents éléments présentés dans le plan stratégique. Cette mise en œuvre se réalisera avec la collaboration des différents partenaires. Et je tiens à souligner le fait que de notre côté, nous collaborons avec des partenaires engagés, qui répondent positivement à nos sollicitations par rapport à cette démarche de coconstruction. Je ne veux pas laisser croire que nous vivons dans un monde idéal, mais, il y a un feed-back positif des structures partenaires. Qu’est-ce qui pourrait être considéré, selon vous, comme étant de l’innovation en matière de conditions de vie de la personne en situation de handicap? En matière d’innovation en lien avec les conditions de vie des personnes en situation de handicap, il y a non seulement la procédure d’indication énoncée dans le plan stratégique, mais également des précisions quant au suivi de la personne une fois qu’elle est institutionnalisée. En effet, nous souhaitons pouvoir aboutir à la définition des grandes lignes de l’accompagnement. Est-ce qu’il s’agit plutôt de maintien des acquis, ou une visée de développement de compétences sociales, parce que dans le futur, la personne sera en mesure de quitter

la structure? Ceci se fera déjà au travers d’un contrat d’accompagnement, à partir d’un système d’évaluation qui est en train de se mettre en place actuellement (modification de l’outil «EFEBA»3 ) et qui a pour finalité l’évaluation des besoins en soutien de la personne. En termes de contrôle, la tâche de l’Etat sera de vérifier la cohérence entre ce qui a été mis en œuvre au niveau du projet pédagogique, les résultats de l’évaluation «EFEBA» et l’indication de départ. Cette procédure permet d’assurer une forme de décloisonnement et de continuité entre l’extérieur et l’intérieur. L’aboutissement de ce plan stratégique, c’est la désinstitutionnalisation? Dans le cadre de ce plan stratégique, on ne parle pas de désinstitionnalisation4. Il est vrai qu’il y aura des indications orientées vers des prestations ambulatoires. Les institutions fribourgeoises non seulement s’interrogent sur la question de la prestation ambulatoire, qu’elle soit résidentielle ou d’occupation, mais commencent à réaliser de plus en plus de projets allant dans ce sens. Nous suivons actuellement quelques projets pilotes avec des conditions particulières et qui fonctionnent bien. Nous nous proposons de les mettre en lumière. Nous ne voulons pas vider les institutions par la mise en place massive de prestations ambulatoires. D’une part, les institutions font du bon travail et elles sont en train d’élargir et diversifier elles-mêmes leur palette de prestations en introduisant la possibilité d’offrir aux personnes en situation de handicap des prestations ambulatoires. D’autre part, parce qu’il y a des personnes en situation de handicap qui ont toujours besoin d’un cadre particulièrement soutenu. Aujourd’hui, il existe dans le champ du handicap mental certaines institutions qui, en diversifiant leurs prestations, favorisent cette sortie des institutions. Cette année même, une institution fribourgeoise qui disposait déjà d’un home sans occupation et de logements décentralisés, a demandé la réalisation d’une structure d’habitat accompagné qui est en fait un logement pour deux personnes en situation de handicap. Elles font leurs commissions, leur ménage et bénéficient d’un accompa17


gnement adapté de quelques heures par semaine. L’institution accompagne ce processus d’autonomisation vers la sortie.

Notes Titulaire d’une licence en Lettres obtenue au département de Pédagogie Curative de l’Université de Fribourg, Marinella Cappelli a travaillé auparavant en tant éducatrice et enseignante spécialisée et en tant qu’assistante diplômée à l’Université de Fribourg. Intéressée par les questions liées à la qualité de l’accompagnement éducatif et à l’évolution des politiques sociales suisses, elle a travaillé ces dernières années sur un aspect des démarches qualité des institutions sociales: la satisfaction des clients. Elle a développé, dans le cadre de sa thèse de doctorat, une procédure d’évaluation adaptée aux personnes présentant des incapacités intellectuelles et en accord avec les exigences OFAS en matière de qualité: 1

De quoi sont faits vos envies et vos rêves en ce qui concerne les perspectives pour les personnes en situation de handicap? Arrivée au Service de la prévoyance sociale, j’étais contente de savoir que l’on allait mettre au centre de tout ce système la personne en situation de handicap. Mon rêve est de voir se concrétiser ces différents éléments. L’envie serait de pouvoir être toujours proche des personnes en situation de handicap. Et la réalité fait que ce n’est pas tout le temps possible. Je suis bien en contact avec les institutions, les directions et les responsables, les personnes aussi, mais pas autant que je voudrais l’être. Mais là, c’est peut-être mon âme d’éducatrice spécialisée qui parle, plus que celle d’inspectrice. Je n’ai pas d’autres rêves parce que je crois à la voie que nous sommes en train de parcourir. Une voie qui n’est pas facile à concrétiser, qui exige beaucoup de travail, d’imagination, de créativité des uns et des autres dans la collaboration avec les terrains. Et c’est cela qui me réconforte aussi dans les choix politiques qui sont entrepris. Nous observerons dans quelques années si nous avons vu juste.

L'évaluation de la satisfaction chez des personnes avec des incapacités intellectuelles. Fribourg: Centre universitaire de pédagogie curative (2008). Ses thèmes de recherche portent sur la perception du travail de jeunes autistes, les spécificités de l’accompagnement et le vieillissement des personnes présentant des incapacités intellectuelles. Procédure de conciliation en cas de différends entre les personnes en situation de handicap et les institutions (article 10, alinéa 2, lettre f, LIPPI ), in Plan stratégique fribourgeois pour la promotion 2

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de l’intégration des personnes en situation de handicap, Conformément à l’article 197 chiffre 4 de la Constitution fédérale et à l’article 10 de la Loi fédérale sur les institutions destinées à promouvoir l’intégration des personnes invalides, page 36. 3 EFEBA: grilles d’évaluation fribourgeoise en besoin d’accompagnement. Pour plus d’indications, consulter la page web de la prévoyance sociale du canton de Fribourg: www.fr.ch (service de prévoyance sociale)

4 Désinstitutionnalisation: les caractéristiques d'ensemble du mouvement de désinstitutionnalisation dans le secteur de la santé mentale a débuté dans les années 1960 en France, au Canada, aux EtatsUnis et en Italie. Il s’agissait de sortir de l’enfermement institutionnalisé les personnes atteintes de maladie mentale. La question s’est étendue par la suite aux personnes avec un handicap mental. La désinstitutionnalisation visait une humanisation des soins portés aux personnes en les maintenant dans la mesure de leurs possibilités dans leur environnement.


La situation des jeunes adultes atteints de Troubles Envahissants du Développement (dont l’autisme) en Suisse romande Premiers résultats d’une enquête en cours Véronique Zbinden Sapin, professeure à la HEF-TS (veronique.zbindensapin@hef-ts.ch) et Evelyne Thommen, professeure à la Haute Ecole de travail social et de la santé-Vaud, responsables de l’enquête Alida Gulfi, Carine Bétrisey & Sandra Wiesendanger, collaboratrices scientifiques de l’enquête

Une enquête est actuellement menée sur toute la Suisse romande dans les institutions accueillant en internat des jeunes adultes atteints d’un Trouble Envahissant du Développement (dont l’autisme). Elle vise à mettre en évidence comment les institutions organisent leur accompagnement et permettra de rendre visibles les bonnes pratiques, ainsi que les difficultés des professionnels1. L’enquête est financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique et est menée par la Haute Ecole fribourgeoise de travail social (HEF-TS), en collaboration avec la Haute Ecole de travail social et de la santé-Vaud (EESP). L’article présente les résultats de la 1re phase de cette enquête, qui a permis de recenser 234 personnes vivant dans 54 institutions de Suisse romande. La 2e phase de l’enquête commence: les résultats sont attendus début 2012. Contexte de la recherche Les personnes atteintes de Troubles Envahissants du Développement ( T.E.D.) ont des difficultés à la fois dans le domaine de la communication, dans celui de la socialisation et dans le domaine des comportements stéréotypés et intérêts restreints (APA, 2003). De plus, différents troubles peuvent y être associés (déficience intellectuelle notamment). Un accent important est mis aujourd'hui sur l'évaluation de la qualité des accompagnements des personnes en situation de handicap. En ce qui concerne la population atteinte de T.E.D., de telles évaluations portent essentiellement sur des populations d’enfants: les recherches avec des personnes adultes sont proportionnellement rares. Or, la majorité des personnes atteintes de T.E.D. sont des adultes qui n’ont pas bénéficié d’interventions spécifiques aux T.E.D. pendant leur enfance. En Suisse, une proportion importante de ces personnes vit dans des structures résidentielles pour personnes en situation de handicap mental.

Les recherches montrent que la transition vers l’âge adulte, avec le choix d’un lieu de vie adapté hors du domicile parental, est une période difficile pour les familles (Krauss et al., 2005). De plus, des enquêtes ont montré que les parents jugent qu’il manque de structures adaptées aux besoins spécifiques de ces personnes en Suisse (Steinhausen, 2004; Thommen, Zbinden Sapin & Wiesendanger, 2006). Or, depuis une vingtaine d’années, les recommandations pour l’accompagnement des personnes adultes atteintes de T.E.D. se précisent; de ce fait, les prestations destinées à ces personnes évoluent, dans différents pays d’Europe comme en Amérique du Nord. L’impact de ces recommandations sur les prestations offertes en Suisse n’est pas documenté. L’enquête comblera cette lacune et permettra de situer les pratiques suisses dans le paysage international. Les institutions impliquées dans la phase 1 Pour pouvoir analyser comment se déroule l'accompagnement de jeunes adultes dans les structures résidentielles romandes, il était nécessaire de repérer les institutions accueillant en internat des adultes âgés de 18 à 40 ans atteints de T.E.D. A cette fin, 63 structures résidentielles ont reçu un

questionnaire durant l’été: il s’agit avant tout des structures dont la mission principale est l’accompagnement de personnes en situation de handicap mental, mais également d’hôpitaux psychiatriques et de structures destinées en priorité à des personnes avec d’autres problématiques (troubles psychiques, difficultés psychosociales ). Au total, 54 institutions, établies dans les cantons romands ( Berne francophone, Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel, Valais et Vaud) ont retourné le questionnaire rempli. Environ 3/4 de ces institutions (n = 39) déclarent accueillir des personnes adultes présentant une problématique de T.E.D. en internat, en externat ou selon d’autres modalités d’accueil2. La cible de la recherche étant l’accompagnement en internat, seules les institutions accueillant des personnes atteintes de T.E.D. en internat (n = 32)3 étaient invitées, pour chaque personne concernée, à donner quelques informations, comme l’âge, le sexe, mais aussi: - le niveau général de langage produit par la personne chaque jour ( de manière habituelle); - le type de soutien dont la personne a besoin pour mener à bien les activités de la vie quotidienne, en prenant comme exemple les soins d’hygiène et l’habillement;

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- la présence éventuelle de comportements défis (fréquence et type), appelés parfois troubles du comportement ou comportements difficiles, durant le dernier mois écoulé. Ces renseignements ont été fournis pour les 234 personnes recensées (160 hommes et 74 femmes). Niveau de langage, besoin de soutien et comportements défis des personnes recensées Les résultats présentés ici permettent d’avoir une première idée des profils de fonctionnement des personnes recensées. En ce qui concerne le niveau de langage expressif, près de 70% des personnes recensées ne peuvent pas se faire comprendre verbalement par une personne non familière. Le tiers des personnes ne parlent pas du tout (langage absent). Concernant le besoin de soutien, seules 20 personnes parmi les 234 recensées sont indépendantes pour se laver et s’habiller. Plus de 90% de l’échantillon a donc besoin de soutien, à des degrés divers: 57 % des personnes recensées ont besoin d’aide physique (partielle ou complète) pour réaliser ces activités. Les résultats (Figure 1) montrent que plus du 3/4 des personnes recensées présentent, selon les responsables éducatifs, un comportement défi au moins chaque mois. Le tiers de l’échantillon présente même de tels comportements plusieurs fois par jour. Les comportements cités par les responsables éducatifs comme des comportements défis sont de diverses natures ( Tableau 1)4. Les comportements qui mettent en péril la sécurité de la personne atteinte de T.E.D. ou celle d’autrui sont les plus mentionnés : plus d’une personne recensée sur deux (59%) présentent au moins un tel type de comportement. Les responsables mentionnent également des comportements qui ont des effets néfastes sur la socialisation et/ou l’activité de la personne, comme l’agitation sonore et émotionnelle (crises de colère, sautes d’humeur, cris, pleurs, etc.), les comportements stéréotypés et auto-stimulants (gestes, balancements, rituels, etc.), le langage inapproprié (discours sans fin), l’hyperactivité et les comportements jugés comme 20

non conformes (opposition aux demandes des professionnels par exemple ), la léthargie (inactivité, immobilité, etc.) et le retrait social. Enfin, certains éducateurs mentionnent des comportements liés à l’alimentation, au sommeil, aux règles sociales, à l’angoisse, etc. Tableau 1: Nombre de personnes présentant les différents types de comportements défis cités par les responsables éducatifs et leur pourcentage d’apparition dans l’échantillon (Pour une même personne, les responsables éducatifs ont pu mentionner plusieurs types de comportements défis).Ces trois domaines de fonctionnement (langage, besoin de soutien, comportements défis) sont statistiquement liés. Plus les personnes présentent un haut niveau de langage, moins elles ont besoin de soutien dans les activités de la vie quotidienne (r = .71, p <.001). Ces deux indicateurs sont également liés à la fréquence des comportements défis (r = .48, p <.001 pour le besoin de soutien et r = .43, p <.001 pour le niveau de langage). Ainsi, les personnes qui ont le plus de comportements défis sont aussi celles qui ont le besoin de soutien le plus important et le moins de compétences verbales. Le lien entre la fréquence des comportements défis et les difficultés de communication verbale Le modèle sur lequel se base l’analyse fonc-

tionnelle des comportements défis considère que ceux-ci ont une fonction (par exemple, attirer l’attention, éviter une tâche ou une situation, diminuer la douleur ou l’excitation, recevoir des stimulations ), ( voir Willaye & Magerotte, 2008, chapitre 3). Certains de ces comportements peuvent remplir une fonction communicative: ils transmettent un message. Les personnes avec peu de compétences verbales (expressives) ont peu de moyens efficaces de communiquer, ce qui expliquerait, au moins en partie, qu’elles soient particulièrement à risque concernant le développement et le maintien de tels comportements: faute de moyens plus efficaces de communiquer (voir les travaux déjà anciens, mais fondateurs de Carr & Durand, 1985, 1994). A ces difficultés d’expression s’ajoutent souvent des difficultés de réception des messages verbaux, ce qui jouerait également un rôle dans le développement et le maintien de ces comportements (Kevan, 2003). Les résultats obtenus dans cette enquête confirment l’existence d’un lien fort entre les comportements défis et les difficultés à communiquer chez les personnes recensées en Suisse romande (Figure 2). Les recommandations actuelles insistent sur la nécessité de promouvoir et de développer des moyens de communication alternatifs ou augmentatifs au langage verbal pour les personnes présentant des déficits dans ce

Tableau 1 Mise en péril de la sécurité de la personne et/ou d’autrui ( pourcentage n=234 ) : - Automutilation : 80 personnes ( 34% ) - Agression physique : 70 personnes ( 30% ) - Destruction de matériel: 30 personnes (13%) - Autres mises en danger (fugue,...): 14 personnes (6%) Autres comportements : 33 personnes ( 14% )

Effets sur la socialisation et/ou sur l’activité de la personne ( pourcentage n=234 ) : - Agitations sonore et émotionnelle : 64 personnes ( 27% ) - Agression verbale: 5 personnes (2%) - Comportements stéréotypés et auto-stimulants: 32 personnes (14%) - Langage inapproprié: 11 personnes (5%) - Hyperactivité et non-conformité: 20 personnes (9%) - Léthargie et retrait social: 13 personnes (6%)


domaine (Anesm, 2010). Renforcer la communication (expressive et réceptive) devrait participer à la prévention des comportements défis.

La 2e phase de l’enquête investiguera notamment ce qui est mis en place dans les institutions de Suisse romande accueillant des adultes atteints de T.E.D. pour soutenir leur communication et s’ajuster à leurs possibilités de compréhension. Elle documentera également comment les comportements défis y sont traités. Préparation de la 2e phase de l'enquête Ces premiers résultats sont révélateurs des défis auxquels sont confrontés les professionnels des institutions accueillant de jeunes adultes atteints de T.E.D. en Suisse romande: ils montrent notamment la place que prennent les comportements défis dans le quotidien de leur accompagnement. Cette présence importante questionne la qualité de vie de ces personnes: l’exclusion (de structures, d’activités) et la restriction de l’accès aux soins ou à la participation étant des conséquences possibles de ces comportements ( Willaye, 2008). La deuxième phase de l’enquête débute: une quinzaine d’institutions impliquées dans la 1re phase vont être sollicitées dans les mois à venir pour participer à la 2e phase. Celle-ci cherchera à mettre en évidence de manière approfondie comment se déroule l'accompagnement d'une cinquantaine de personnes, sélectionnées de manière semi-aléatoire parmi les personnes recensées dans la

phase 1. Ce seront plus particulièrement les personnes âgées entre 20 et 30 ans et vivant dans des institutions dont la mission principale est l’accueil de personnes avec un handicap mental qui seront sélectionnées: ce sous-échantillon est constitué de 93 personnes vivant dans 24 institutions situées sur 5 cantons. Les résultats de cette deuxième phase sont

Références - American Psychiatric Association. (2003). DSM-IV-TR, Manuel diagnostique et statistique des Troubles mentaux: Texte révisé (Version Internationale, Washington, DC; 2000, Trad. française par J.-D. Guelfi & al.). Paris: Masson. - Anesm - Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux. (2010). Pour un accompagnement de qualité des personnes avec autisme ou autres troubles envahissants du développement. Accessible en ligne à www.anesm.sante.gouv.fr/IMG/pdf/reco_aut isme_anesm.pdf ( consulté le 9 novembre 2010). - Carr, E. G., & Durand, M. V. (1985). Reducing behavior problems through functionnal communication training. Journal of Applied Behavior Analysis, 18, 2, 111-126. - Carr, E. G., & Durand, M. V. (1994). The social-communicative basis of severe behavior problems in children. In S. Reiss, & R. R. Bootzin (Eds.), Theoretical Issues in Behavior Therapy ( pp. 219-254 ). NewYork : Academic Press. - Kevan, F. (2003). Challenging behavior and communication difficulties. British Journal of Learning Disabilities, 31, 75-80. Steinhausen, H.-C. ( 2004 ). Leben mit Autismus in der Schweiz. Bern: Huber. - Thommen, E., Zbinden Sapin, V., & Wiesendanger, S. (2006). Les trajectoires développementales des personnes atteintes de troubles envahissants du développement : analyse rétrospective. Projet DORE (13DPD3-112239), Fonds National Suisse de la recherche scientifique. - Willaye, E. ( 2008 ). Pour un service

attendus début 2012: ils devraient permettre de faire le point sur les programmes d’accompagnement pour les personnes atteintes de T.E.D. proposés en Suisse romande, et de les mettre en perspective avec les recommandations actuelles concernant l’accompagnement de cette population particulière.

d'hébergement intégré à la cité. In B. Rogé, C. Barthélémy & G. Magerotte (Eds.), Améliorer la qualité de vie des personnes autistes (pp. 145-155). Paris : Dunod. - Willaye, E., & Magerotte, G. (2008). Evaluation et intervention auprès des comportements-défis. Bruxelles: De Boeck. Notes La forme masculine est utilisée ici pour faciliter la lecture, ce qui ne reflète en rien une discrimination basée sur le genre: les termes s’appliquent aussi bien au genre féminin que masculin. 2 Les institutions contactées étaient invitées à recenser toutes les personnes âgées de 18 à 40 ans présentant des signes d’autisme et/ou porteuses d’un diagnostic de ce type. Une description des signes d’autisme ainsi qu’une liste de termes diagnostiques existant en Suisse romande pour qualifier les personnes atteintes de T.E.D. (autisme, T.E.D, mais aussi psychose précoce déficitaire par exemple) étaient fournies avec le questionnaire. Le diagnostic sera vérifié dans la phase 2. 3 Mission principale de ces institutions: 28 = handicap mental, 6 = autres problématiques (troubles psychiques, etc. ), 5 = hôpitaux psychiatriques. 4 Il n’y avait pas de liste de comportements fournie avec le questionnaire; les responsables éducatifs ont mentionné des comportements ( par exemple, « se griffe », «parle tout le temps», etc.) qui ont été catégorisés par la suite par les chercheures. 1

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Actualités Adolescence et retard mental Comment intégrer l'adolescent présentant un retard mental au milieu scolaire, social ou professionnel? Quels sont les défis pour la famille, l'école et l'accompagnement? Comment rendre cet adolescent plus autonome? L'adolescence est une période cruciale du développement. Elle débute à la puberté et mène vers la vie adulte. Mais, qu'en est-il chez la personne qui présente un retard mental? Il existe de nombreux ouvrages sur l'adolescence. Cependant peu d'écrits abordent cette période du développement chez la personne qui présente un retard mental. Adolescence et retard mental comble ce manque et décrit les différents défis qui y sont associés. Il traite, notamment, du développement psychologique, de l'éducation, de la scolarisation, de la santé, et décrit des pratiques qui visent l'autodétermination, l'inclusion et la participation sociale, en alliant théorie et pratique. Adolescence et retard mental cible un large public composé de professionnels de l'éducation, de la santé et des services sociaux, ou d'étudiants de diverses disciplines telles que les sciences de l'éducation, les sciences humaines et sociales. Il intéressera également les parents soucieux de mieux comprendre cette période de transition.

Projet de recherche sur la formation continue Votre partitipation est attendue pour analyser les parcours de formation et les disparités de situations entre femmes et hommes dans les domaines de la santé et du travail social. Stéphane Rossini et Catherine Lambelet cherchent à comprendre les conditions actuelles et à dessiner les contours du futur de la formation continue dans le domaine du social et celui de la santé. Une recherche financée par les HES-SO et l’OFT va donc s’appuyer sur un questionnaire qui est facilement accessible sur le site: http://e-survey.ig.he-arc.ch/eesp ( mot de passe : formation ) Votre participation prendra environ 30 minutes et elle est attendue avant le 5 janvier 2011. Merci! Seule la saisie électronique du questionnaire est possible. Les informations communiquées seront traitées de manière strictement confidentielle et les résultats de l’étude seront présentés uniquement sous la forme de données groupées. Pour de plus amples informations sur la recherche : abfischer@eesp.ch

Annonce Bonjour, Ici Philippe j’ai bientôt 42 ans, j’ai un petit handicap léger et je cherche une fille un peu comme moi et qui aime faire la cuisine et c’est une fille comme ça que j’aimerais rencontrer. Une fille pas compliquée qui est souriante et gaie et qui aime les mêmes choses que moi, la poterie, la piscine, le cinéma, faire une sortie au bord du lac, bavarder ensemble sur un banc en se regardant dans les yeux. Avoir une bonne conversation tous les deux et puis si ça marche vraiment alors on pourra se revoir une deuxième fois. Je te donne mon numéro de tél. le 021 922 25 15 et chez les éducateurs c’est le 021 922 80 07 et mon adresse: Philippe Dubey, Rue Louis Meyer 9b, 1800 Vevey. J’espère recevoir une réponse assez vite. Philippe 22


GIFFOCH 2010

Symposium international 2010 du GIFFOCH Handicap et classifications: concepts, applications et pratiques professionnelles Séverine Bidaux, animatrice en formation à la HES-SO de Sierre

Les 16 et 17 septembre 2010 s’est tenu à la HEP de Lausanne le symposium du Groupe International Francophone pour la Formation aux Classifications du Handicap (GIFFOCH). Plusieurs conférences ont rythmé ces deux journées dans le but de faire connaître le Processus de Production du Handicap (PPH) et la Classification Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé (CIF) aux professionnels œuvrant dans des organisations publiques ou privées et ayant à traiter des problèmes de santé, d’intégration et d’inclusion. Au fil des conférences, le PPH et la CIF ont révélé leurs multiples utilisations possibles. De nombreux intervenants, venus de Suisse, d’Europe et du Québec, ont animé des ateliers selon des thématiques (social, droit, éducation, santé, politique et législatif, évaluation) et ont amené le public à comprendre comment décrire les besoins des personnes en situation de handicap afin de conduire une évaluation globale appropriée.

Le congré a favorisé un partage d’expériences grâce aux ateliers thématiques et a permis de prendre connaissance des changements entraînés par l’usage des classifications quant à l’accessibilité (réalisation des droits des personnes handicapées) et aux mesures de compensation des situations de handicap (pratiques inclusives alternatives à l’institutionnalisation, au maintien dans l’emploi, etc.). Pour finir, il a aussi été l’occasion d’échanger sur les pratiques, les recherches et les interventions de chacun, ainsi que de bénéficier des expériences des organismes internationaux, européens et suisses utilisant ces classifications. La liste des intervenants, les présentations et d’autres informations sur le Groupe International Francophone pour la Formation aux Classifications du Handicap sont disponibles sur le site internet www.giffoch.org

L’accent a été mis à maintes reprises sur l’importance de la pluridisciplinarité. En effet, afin d’obtenir un diagnostic multidimensionnel de la situation, une collaboration entre professionnels, ainsi qu’avec la famille, est nécessaire. Ainsi, l’ensemble des intervenants regardent dans la même direction pour favoriser une intervention personnalisée, plaçant la personne en situation de handicap au centre de son projet qui prend en compte ses incapacités physiques, psychiques, sociales et sa motivation. Le PPH en développement La mesure des incapacités ne suffit pas à qualifier le handicap, il faut aussi tenir compte du contexte. Le PPH permet une vision systémique de la personne, tenant compte de ses aptitudes, ses motivations, son environnement et ses habitudes de vie. Les professionnels vont s’intéresser à son histoire de vie et cibler les zones de compétences. Le client nomme les difficultés qu’il repère chez lui et, en les associant à la documentation des habitudes de vie, les professionnels peuvent identifier les véritables situations de handicap. Autres thématiques Des conférences ont abordé la question de l’école inclusive, des nouvelles lois entrées en vigueur, de l’avancée des recherches, des indicateurs de changement qui se profilent dans les années à venir, de la discrimination ainsi que d’autres sujets d’actualité concernant le développement et la diffusion des modèles CIF et PPH en Suisse et en Europe. En effet, les réformes des politiques sociales entraînées par l’adoption de nouvelles législations (révision de la Loi sur l’Assurance Invalidité, Convention de l’ONU sur les droits des personnes handicapées, etc.) sont une réelle opportunité pour examiner en quoi les classifications du handicap peuvent être des vecteurs de changements aussi bien des représentations sociales que de la pratique des professionnels. 23


Références Loïc Diacon, responsable infothèque, Haute Ecole de Travail social (IES), Genève

Liens fraternels et handicap: de l'enfance à l'âge adulte, souffrances et ressources Scelles, Régine Toulouse : Erès, 2010 Qu'un enfant de la famille soit atteint d'un handicap a des conséquences variables sur le père, la mère, les enfants, le couple et la fratrie. Tout au long de sa vie, chacun des enfants, seul et en groupe, travaille psychiquement cette réalité. Chaque membre de la famille suit un cheminement singulier avec ses temporalités et ses modalités propres qu'aucune norme ne peut définir à l'avance. Les frères et sœurs d'un enfant handicapé ne développent pas de psychopathologies plus lourdes que la population tout-venant; toutefois, prendre soin du lien fraternel a des effets positifs sur toute la famille. Cet ouvrage aidera familles, institutions et professionnels à mieux saisir ce qui se passe dans la fratrie afin que chacun des enfants, y compris celui qui est handicapé, puisse bénéficier des fonctions positives de ce lien et que le handicap n'entrave pas le déploiement de la richesse qui s'y joue et évolue avec le temps. Vivre avec le trouble du spectre de l'autisme: stratégies pour les parents et les professionnels Williams, Chris & Wright, Barry Montréal: Chenelière Education, 2010 Grâce à son langage clair et simple, ce livre constitue la référence idéale pour les familles et les professionnels qui interviennent auprès des enfants atteints de troubles du spectre de l’autisme. Les auteurs expliquent les principales caractéristiques associées à ces troubles et présentent une multitude de stratégies visant à remédier aux difficultés liées aux activités de la vie quotidienne, telles que l’alimentation, le sommeil et l’utilisation des toilettes. Ils proposent également des moyens de composer avec l’agressivité et les crises de colère, ainsi qu’avec les préoccupations et les compulsions. Ils suggèrent enfin des moyens de favoriser la communication et la socialisation. En s’appuyant sur des études récentes et en illustrant leurs propos de nombreux cas vécus, les auteurs décrivent en détail les causes et les manifestations de chaque problème, tout en fournissant une série de solutions possibles.

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Stratégies et astuces pour mieux vivre avec un enfant autiste Betts, Dion E. & Patrick, Nancy J. Montréal: Chenelière Education, 2010 Truffé de récits exposant des situations réelles et des réussites, ce livre offre des idées astucieuses pour affronter les problèmes quotidiens, tels que l’heure du bain et celle du coucher ou les sorties éducatives. Les auteurs proposent des stratégies créatives et pratiques visant à aider les parents et intervenants à soutenir l’enfant ayant un trouble du spectre de l’autisme. Celui-ci peut ainsi acquérir les habiletés sociales nécessaires pour mieux fonctionner et s’épanouir dans la vie quotidienne. Le livre est divisé en 5 sections: le quotidien à la maison, l’hygiène, la communauté, les soins médicaux, ainsi que les écoles et les organismes. Des problèmes courants sont allégés grâce à une section d’outils, notamment des listes de vérification, des aide-mémoire, des horaires visuels et des trucs facilitant la mémorisation et le rappel de l’information. Ce livre permet aux parents et aux intervenants d’apporter de petits changements simples qui produisent de grandes améliorations dans la qualité de vie de ces enfants et de leur entourage. Handicap, identité sexuée et vie sexuelle Sous la direction d'Albert Ciccone Toulouse: Erès, 2010 Quel travail psychique le handicap impose-t-il à la construction identitaire, à la représentation de soi, à l'intégration de la différence des sexes? La symbolisation du masculin et du féminin estelle affectée par le handicap et de quelle manière? Comment l'identité sexuelle se déploie-t-elle à l'adolescence, chez le sujet vieillissant? Quelle place la sexualité génitale prend-elle chez l'adolescent, l'adulte confronté au handicap? Quelles questions le handicap pose-t-il au sein de la vie de couple? Comment et dans quelles conditions la sexualité peut-elle être accompagnée dans les situations de handicap? Qu'en est-il du désir de parentalité chez le sujet affecté par le handicap? Dans cet ouvrage, issu de travaux d’un séminaire international sur la clinique du handicap, les auteurs abordent l'ensemble de ces questions qui se voient complexifiées par le regard social porté sur le handicap, sur la sexualité attachée au handicap, avec les fantasmes que de tels contextes mobilisent. Ils ouvrent des perspectives sociologiques, anthropologiques, historiques, philosophiques, éthiques et développent des approches cliniques singulières.


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