PAGES ROMANDES - Passerelles et handicap

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No 1 mars 2011

2e Forum de Tignousa

Passerelles et handicap


Exposition La Fondation Renée Delafontaine présente 76 œuvres de sa collection

Re-connaître Espace Arlaud, Lausanne

du 3 avril au 15 mai 2011 Mercredi à vendredi de 12 h à 18 h Samedi et dimanche de 11 h à 17 h

Marylin Gaille - Christ en croix

Selma Husic Pluie

Adrien Hochstrasser Stip-teaseuse

Nous cherchons, suite au départ à la retraite de la titulaire un-e

Secrétaire général-e Entrée en fonction; 1er août 2011 ou date à convenir Lieu de travail: Genève ou Lausanne Renseignements complémentaires: +41 27 322 67 55 ou asa-handicap-mental@bluewin.ch


Sommaire

Impressum Pages romandes Revue d’information sur le handicap mental et la pédagogie spécialisée, éditée par la Fondation Pages romandes, Institution de l’Espérance, 1163 Etoy

Dossier:

Conseil de Fondation Président : Charles-Edouard Bagnoud Rédactrice et directrice de revue Secrétariat, réception des annonces et abonnements Marie-Paule Zufferey Avenue Général-Guisan 19 CH - 3960 Sierre Tél. +41 (0)79 342 32 38 Fax +41 (0)27 456 37 75 E-mail: mpzu@netplus.ch www.pagesromandes.ch Comité de rédaction Membres: Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga, Sébastien Delage, Olivier Salamin, Cédric Blanc, Michèle Ortiz, MariePaule Zufferey Responsable de publication: Charles-Edouard Bagnoud Parution: 4 numéros par an Mi-mars, mi-juin, fin septembre, mi-décembre Tirage minimal: 800 exemplaires Abonnement annuel Suisse AVS, étudiants Abonnement de soutien Etranger

Fr. Fr. Fr. Euros

45.-38.-70.-35.--

Passerelles et handicap

2 Tribune libre Pierre-André Milhit

3 Editorial Olivier Salamin 4 Une passerelle de Mars à Vénus Urs et Mali Wiget

6 De Vercorin à Recife Marie-Christine Ukelo 8 Handicap et travail Jean-Marc Dupont 9 Le travail et l’humaine société Jacques Kuehni

Publicité et annonces - Tarifs 1 page Fr. 800.-1/2 page Fr. 500.-1/4 page Fr. 250.-1/8 page Fr. 125.-1/16 page Fr. 50.-Tarifs spéciaux pour plusieurs parutions Les demandes d’emploi provenant des étudiants des écoles sociales romandes sont gratuites

10 Handicap et tourisme Pierre Margot-Cattin

Délai d’insertion 2 semaines avant parution

13 De la rue à la rencontre Matthieu Moulin

Compte bancaire Banque cantonale du Valais, 1951 Sion En faveur de K0845.81.47 Pages romandes Compte 19-81-6 Abonnement pour la France: faire parvenir vos coordonnées et votre règlement par chèque bancaire à: Jean-François Deschamps 108, rue Ire Armée F - 68800 Thann Graphisme Claude Darbellay, www.saprim.ch Mise en page Marie-Paule Zufferey Impression Espace Grafic, Fondation Eben-Hézer, 1000 Lausanne 12 Crédits photographiques et illustrations Fotolia, Lucie et Urs Wiget, Doriane Bitz Beuché, Michel Barras, Kebawe.com, Asa-Valais, Mali Wiget, Illustration de la carte de vœux 2011 de l’Institut ODeF Photos de couverture: Fotolia N.d.l.r.: Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. La présentation, les titres et les intertitres sont de la rédaction. La reproduction des textes parus dans Pages romandes est souhaitée, sous réserve de la mention de leur source. ©Pages romandes

12 Tourisme et handicap: une autre approche des besoins Simon Wiget

14 Sommes-nous tous des passeurs? Florence Nierle 15 Puiser dans le pot: entretien avec Jean-Daniel Rey, Olivier Salamin 16 Les «roues de la liberté» Gérard Manzoni 17 15 ans d’une passerelle qui unit le monde des différences Michel Barras 18 Naissance d’un pont Michèle Ortiz 19 Regards croisés Jean-Daniel Vautravers 20 Entre crainte, opportunité et chance Doriane Bitz Beuché 22 Les hautes écoles pénalisent les étudiants avec handicap Mélanie Sauvain, AGILE 23 Sélection Loïc Diacon 24 Séminaires, colloques et formations


Tribune libre

«Passe, passe, passera», rengaine enfantine

Pierre-André Milhit, Service Social Handicap, Emera, Sion, membre du comité de Forum Handicap Valais

«Passe, passe, passera» Un peu partout sur la planète, l’ingénieur relève le défi. Un torrent, un canal, une vallée, un bras de mer, il trouvera un moyen de créer un passage. C’est à lui de faire relier deux mondes. Tissage de cordes, tiges de bambous, troncs d’arbres, blocs de pierres, parpaings de béton, poutres d’acier et filins, mille techniques et mille savoir-faire. Chapeau le technicien. Parfois, cela tient du prodige ou du miracle. On y voit des rubans de prières, des croix, des ex-voto. On y entend aussi des pactes avec le diable, des contrats obscurs, des sacrifices. Le vertige a un goût d’éther, le gouffre a une odeur de soufre. Au fil des millénaires, le passage d’une rive à l’autre a ouvert de nouveaux territoires de chasse, des chemins de commerce, des lieux de rencontres, de découvertes et de partage. C’est un endroit de plus hautes stratégies. Toutes les armées du monde ont appris à saboter un pont et à construire un autre à quelques mètres avec des matériaux de fortune. C’est sans doute là que l’on a érigé les premières frontières, avec des barrières et des gardes armés. Le pont est entré dans l’âme humaine. Le discours s’en est emparé. Bâtis de pierre philosophale ou de fil d’Ariane, le pont, le passage et la passerelle ont conquis nos fantasmes et notre raison. «Il suffit de passer le pont» assène une autre chanson. Comme si cela était si facile! Que fait-on de la peur du vide, du vertige, de l’inconnu? Nous ne sommes pas égaux devant le malaise, la difficulté. Les raisons profondes, existentielles, ou de nécessité n’ont pas toutes les mêmes forces devant le premier mètre sur le vide. Qui nous chasse, qui nous oblige? Qui nous conseille, qui nous supplie?

Forcément un jour ou l’autre, l’on se retrouve embarqué. Chacun sa stratégie, chacun son remède. Chacun son espérance aussi. A ce moment, je me souviens très bien d’un étrange questionnement. Je quitte un territoire, une vie, une expérience pour aller vers une terre inconnue. Et je croise sur ce pont des gens qui quittent leur territoire, leur vie, leur expérience pour aller vers cette terre inconnue pour eux, mais connue de moi et que je quitte. De même, je me dirige moi vers ce qu’ils quittent. Et ce serait peut-être pour les mêmes raisons que nos destinées se croisent. Un autre vertige s’ajoute alors au premier. «Passe, passe, passera, la dernière, la dernière» Un peu partout sur la planète, l’expert s’installe près du pont. Il a bien compris que tout franchissement, tout passage n’est pas anodin. Tour à tour chaman, gourou, sorcier, thérapeute, confesseur, il prodigue des conseils, vend des talismans. Il soigne l’âme et le souffle, il enfume le cerveau et la conscience. Il accompagne, il porte, il soutient, il encourage. C’est bien dans sa guérite que l’on a mis à macérer les fondements des assurances sociales. Quelle que soit la motivation, le passage du pont marque bien la rupture d’un avant et d’un après. On quitte un monde hostile et dangereux pour la sérénité et la paix. On quitte une tempête pour le grand beau temps. On quitte l’infamie pour la rédemption. Mais parfois c’est l’inverse. Heureusement on ne le sait pas. Quand on est sur le pont. Pour vaincre les derniers retranchements, l’idée que l’on pourra retourner sur ses pas, peut faire ses effets. On peut toujours espérer que le pont

ne soit pas détruit ou interdit. C’est la force du retour au pays natal, la parabole du fils prodigue et le retour du guerrier. L’on reviendra plus beau qu’avant, plus fort et plus conquérant. Parfois avec des blessures et une jambe de bois. Même avec une tonne de honte, l’on peut revenir. Du moins on l’espère. Et si ce pont existe, c’est bien la preuve que d’autres ponts ont probablement été jetés, ailleurs, plus loin, sur d’autres gouffres, sur d’autres malheurs. Diable! On aura bien le moyen de négocier un bout de son âme pour s’immiscer dans d’autres contrées. Pour une nouvelle quête du bonheur, pour un nouvel Eldorado. Alors à Dieu vat! Pour le salut de notre âme, pour un meilleur usage du monde. «Passe, passe, passera, la dernière restera» Dans nos métiers d’aide et d’accompagnement, on aime bien parler de passerelles. Cela signifie, dans nos têtes, aller vers un mieux, s’élever un peu dans l’échelle sociale. Il y a tout un arsenal de techniques psychosociales, de trucs et ficelles dans la boîte à outils personnelle pour espérer être efficace. Avec la magie des conjonctions de bonnes volontés, de confiances mutuelles, de bon sens et d’humilité, cela fonctionne parfois. Cela prend et redonne du sens. A nos travaux, à nos chemins, à nos vies. Parfois, cela ne suffit pas. Celui qui s’assied sur le chemin, celui qui ne bouge plus, celui qui rentre en sa coquille. Et qui affirme, péremptoire, que les ponts n’existent pas. Que le plus dur et le plus vrai chemin, c’est d’aller de soi à soi. Sous le chemin de son étoile, et sans le regard du monde.


Edito

Des passerelles au service de la rencontre Olivier Salamin, membre du comité de rédaction de Pages romandes

Le Forum de Tignousa a réédité cette formule insolite qui consiste à organiser une rencontre sans savoir où celle-ci va mener… Les organisateurs ont ainsi pris le parti de jeter des passerelles vers l’inconnu, d’ouvrir le débat et d’accueillir les idées de chacun. Habituellement, c’est le savoir et l’expertise qui cadrent nos rencontres professionnelles. Il reste alors peu d’espaces de création et de découverte. Ce n’est pas la conception qui avait été choisie pour ce 2e rassemblement. Les 23 et 24 octobre derniers, une cinquantaine de participants se sont retrouvés à Vercorin, en se demandant ce que les organisateurs recouvraient sous le terme de «Passerelle». Le savaient-ils eux-mêmes? Très vite une première participante demandait plus d’explications, une méthode pour structurer les échanges; le précipice n’était pas loin. Ces passerelles, il allait falloir les construire de toutes pièces. Construction d’une histoire La rencontre de Tignousa a débuté par le témoignage impressionnant d’un père et d’une mère confrontés au handicap de leur enfant. Chacun y a dressé son bilan, tissé les liens et défini les passerelles; autant d’étapes vers une prise en compte de l’autre dans ses fragilités. Le Forum ouvert allait pouvoir commencer à proprement parler. Il a permis d’intégrer aux échanges des personnes handicapées mentales. Elles ont contribué au débat à leur manière, celle-ci dessinant ses impressions, telle autre revendiquant sa position, telle autre encore quittant l’échange pour aller se reposer… Un lendemain de travail Une fois les festivités de la veille

assumées, les repères se sont faits plus précis. Les ateliers ont ciblé et sérié les questions. Des échanges nourris ont conduit les participants bien audelà de l’horaire prévu et la plupart ont souhaité poursuivre les discussions autour d’un repas... Aujourd’hui, le temps des actes est venu. Il s’agit de prendre du recul, de rapporter ce qui peut être retenu de ces rencontres, de témoigner de la construction des passerelles qui ont permis des liens nouveaux: vers le monde du travail, dans le domaine du tourisme et de l’animation socioculturelle, dans la formation, puis vers le traditionnel apéritif: pas si traditionnel que ça puisque Jean-Daniel Rey ponctuait la rencontre en tant que «vigneron en chaise»… La recherche présentée en fin de dossier est étroitement associée au dossier. Le projet «Plate-forme» de la FOVAHM qui permet l’accompagnement de personnes en situation de handicap dans le monde du travail a en effet permis que de jeunes femmes handicapées mentales puissent exercer leurs compétences dans le domaine de la petite enfance… Passerelles vers le futur Quel est l’avenir du Forum, y aurat-il un Forum de Tignousa III? Cette année, la suivante? Une chose est sûre: l’effort pour maintenir un espace de discussion ouvert vaut la peine d’être renouvelé. N’est-ce pas ce qui fonde notre revue? Déjà, le thème du voyage nous inspire: voyages intérieurs et vers d’autres terres, suivi d’ateliers sur le tourisme pour permettre au sujet cher à Pierre Margot-Cattin de prendre racine et de déployer ses ailes dans une région touristique par excellence… Autant de pistes à suivre, s’il reste assez de neige!


Une passerelle de Mars à Vénus

Points de vue maternel et paternel sur le handicap Urs et Mali Wiget, Zurich et Saint-Jean

Récit de Urs, le père de Florentin, accidenté il y a 11 ans, à l’âge de 27 ans. Avec du recul, l’accident de Florentin avait été précédé de quelques éléments éventuellement prémonitoires: le père de Urs décède d’une tumeur cérébrale à l’âge de 60 ans; son unique frère meurt d’un infarctus à 49 ans et le couple parental (Mali et Urs) divorce un mois avant l’accident de Flo. Destin…? Durant la première année de soins et de rééducation de Flo, il existe un désaccord profond des deux parents (tous les deux médecins) sur la meilleure manière de soigner Flo. Moi, comme père, fais confiance à l’équipe soignante. Ceci m’arrange bien - je me sens très désemparé par la situation - et je suis bien content que quelqu’un prenne en charge la rééducation de mon fils. Onze ans plus tard, je me rends compte des problèmes que posait Flo à l’équipe soignante. C’était le pre-

mier cas lourd de la toute nouvelle clinique de la SUVA à Sion, et l’équipe avait beaucoup de peine à faire face au terrible syndrome de passage du traumatisé crânien. De plus, mes liens amicaux avec certains responsables des soins avaient conduit, tout au début, à une appréciation tardive de la situation et à une augmentation importante de la pression intracrânienne suite au traumatisme sévère. Ma situation psychologique s’est vue aggravée par un vieux copain, alors médecin-chef, qui, quelques jours après l’entrée de Flo à la clinique spécialisée, me dit: «D’après mon expérience il n’y a aucune chance que Flo puisse vivre une vie normale - il va rester un handicapé très sévère»… Actuellement j’évalue la situation de manière un peu plus sereine. J’apprécie la chance inouïe de Flo de s’en être tiré sans paralysie notable, de pouvoir marcher, skier et grimper même. Il réfléchit énormément et s’engage volontiers dans des discussions très intéressantes.

A l’opposé il faut avouer que toutes les tentatives de réinsertion dans le monde du travail ont échoué, qu’il présente parfois des réactions impulsives, explosives et difficilement tolérables par l’entourage et qu’il a totalement perdu la notion du temps! Ce dernier handicap l’isole et rend sa vie sociale très difficile - une réalité que je ne connaissais pas du tout. Finalement, mon fils me présente un miroir, dans lequel je constate amèrement mes propres ombres que j’essaie de dominer depuis des décennies: mes réactions impulsives que je regrette immédiatement après les avoir dites… Malgré ce terrible coup du sort pour Flo et sa famille, je constate – âge et recul aidant – que ombres et lumières sont effectivement assez bien répartis dans une vie entière.

Récit de Mali, la mère Le cas de notre famille n’est pas seul. Il est seulement unique. Début septembre 1999, après plus de 28 ans de mariage, nous nous autorisons à divorcer d’un commun accord. Le 9 octobre, après un premier mois de libération conjugale, un événement incroyable vient rappeler que nous sommes parents à perpétuité! Florentin, second de nos 4 enfants, adulte et indépendant, subit un grave accident d’escalade. Au cours des 11 années qui suivent, nous aurons maintes fois l’occasion de constater combien sont divergentes nos perceptions de la situation de Florentin. Aucun passeur en vue dans ces moments-là, mais deux camps retranchés, l’un derrière les institutions, l’autre derrière la famille. Au lecteur de deviner dans quel camp se situent père et mère. Photo Urs Wiget: Florentin en juillet 2010 près de la Bergseehütte, Uri


Si les compétences des institutions et celles des familles se confrontent alors, quelles étapes et quelles passerelles vont réussir à rapprocher les points de vue paternel et maternel?

Première étape

Avec l’atteinte considérable de l’intégrité de Florentin, c’est l’intégrité et l’identité de toute la famille qui est en danger. Cette famille-là se mobilise spontanément, confiante d’emblée dans les capacités de Florentin, sans calcul scientifique en dépit du bagage médical de la mère.

Deuxième étape

Polytraumatisé grave, en coma profond, Florentin survit 1 mois aux soins intensifs, mais il tarde tant à donner des signes d’éveil que le don de ses organes est évoqué… Un geste de sympathie inattendu de la part de l’anesthésiste vis-à-vis du désarroi de sa mère a-t-il contribué à l’éveil de Flo? Deux jours plus tard, il bouge les yeux. Cette passerelle d’espoir est la première d’une série de passerelles entre des étapes plus ou moins difficiles vers la sortie du coma, le réveil...

Troisième étape

Florentin se réveille. Il est agité. L’établissement spécialisé TCC, en charge de sa réhabilitation, choisit, pour ce faire, un cocktail détonant de médicaments psychiatriques qui le plongent dans une profonde léthargie. En mars 2000, en désaccord avec ce mode de réhabilitation, je décide de ramener Florentin dans sa vallée, dans son milieu de vie. Mon comportement est jugé complètement irresponsable par la direction de l’établissement qui alarme la Commune de St-Jean. La communauté anniviarde, à travers la décision du juge de la Commune de St-Jean, en reconnaissant les compétences de la famille, va donner à Florentin toutes ses chances de réhabilitation. Cette passerelle est également décisive pour l’avenir de notre famille.

Quatrième étape

Urs, impressionné par les progrès de Florentin, reconnaît la force du lien familial dans le processus de réhabilitation de notre fils. Il fait des démar-

ches auprès de l’assurance pour que soient reconnues les compétences de la famille. Alors que le coût journalier en clinique de réhabilitation ne laisse pas l’assurance indifférente, Simon et Esther prennent l’initiative de s’investir pendant plusieurs mois pour l’autonomisation de leur frère. Le cheminement de Florentin, en compagnie de son frère et sa sœur, va croiser des passerelles rocambolesques, notamment un voyage mémorable en Alaska pour rejoindre Lucie, sœur aînée établie en ces contrées lointaines et sur le point d’accoucher.

Cinquième étape

Deux ans après l’accident, le terme AI est prononcé. Entendre ces initiales désormais associées à la situation d’un de mes enfants m’a plongée dans l’incrédulité. Florentin, guide de montagne et géologue, n’exerce plus ses deux métiers, passion de la montagne, minérale, verticale, exigeante. La phase chronique arrive. Chacun tente de reprendre le cours interrompu de sa vie; vie qui ne ressemble plus à celle d’avant l’accident, ni pour Florentin, ni pour son entourage. Une passerelle de reconnaissance du milieu médical nous est tendue par le médecin même de l’établissement où, en 2000, j’ai kidnappé Florentin. Le 17 mars 2006, lors de la semaine annuelle consacrée au cerveau, notre famille est invitée à témoigner dans un amphithéâtre plein à craquer, sur notre vécu de la réinsertion de Florentin. Nous décidons de raconter sept an-

nées difficiles, avec légèreté et sourires. Certains auditeurs interpelleront le médecin pour avoir choisi «un cas trop facile»… En 2010, Florentin est un beau garçon souriant. La première fois que vous le rencontrerez, il sera aussi pour vous «un cas trop facile». Si vous lui donnez rendez-vous, il notera consciencieusement la date, l’heure et le lieu sur son agenda. Il se réjouira. Vous risquez de l’attendre longtemps. Son cerveau a perdu la capacité d’estimer le temps. 5 minutes ou 3 heures signifient presque la même chose. Cette perte de la notion du temps n’est que la pointe d’un iceberg immense. Elle entraîne frustration, colère, malentendus, impossibilités d’emplois, de relations suivies. Je tente souvent de co-piloter Florentin afin qu’il arrive à ses rendez-vous. J’y ai épuisé des réserves de patience. Heureusement pour toute la famille, Urs prend maintenant plus souvent qu’avant le relais de l’accompagnement de Florentin. Depuis que la passerelle entre son père et sa mère est solide, Flo y gagne en autonomie et nous avec.

Photo ci-dessus, Lucie Wiget: 4 frères et sœurs dans le parc Denali (Alaska) la veille de la naissance d’Alice, 17 septembre 2000


De Vercorin à Recife

Quelques échos du Forum par Marie-Christine Ukelo Propos recueillis par Marie-Paule Zufferey

Un forum ouvert sur le monde. Telle était l’ambition des organisateurs du 2e Forum de Tignousa. Le pari est-il réussi? Des rencontres ont eu lieu, ainsi que des échanges par satellite d’un continent à l’autre. Les photos de la page suivante évoquent le pont jeté par-dessus l’Atlantique, de Vercorin à Recife, un soir où l’on y fêtait les 15 ans des «roues de la liberté». Pour les échos du forum, la parole est à Marie-Christine Ukelo, animatrice du Forum.

Photos, de haut en bas: - Du forum de Vercorin, (photo Mali Wiget) à la fête de Recife, en passant par le bateau des «Rodas da Liberdade» (Photos Michel Barras;

Marie-Christine Ukelo, vous avez, pour la 2e fois, animé le Forum de Tignousa, quel regard portez-vous sur cet exercice? Revenue sur le plancher des vaches après deux magnifiques journées passées là-haut «sur la montagne», une question m’atteint de plein fouet, presque sans crier gare: qu’est-ce qu’on fait maintenant? En effet, que va-t-il rester de ces mots-poésies, mots-tristesses, mots-bons, de ces rencontres, pour certaines improbables, de ces mots-dits, de ces mots tus…

tance les définitions du mot passerelle qui ont émergé du «World Café». Ce qui est intéressant, c’est que chacun a une définition qui correspond à la fois à ses besoins, à sa trajectoire de vie. Parfois, il faut qu’elle soit souple; parfois, il suffit qu’elle existe; parfois, il semble important qu’elle ait une rampe, de la lumière, un environnement sécurisé. La définition qui semble être un dénominateur commun, c’est que la passerelle est avant tout un moyen pour être ensemble, pour être en lien.

Avez-vous eu des retours de personnes ayant participé à ces journées? Je n’ai pas revu les personnes concernées, je ne pourrais donc pas parler à leur place. Je ne peux que visiter les sentiments et émotions qui m’animent, et triturer cette question: et après?

Quelles perspectives envisagez-vous? Cela reste pour moi une question, mais plus je nous imagine ensemble, dans ce forum à Vercorin, plus je me demande en quoi, cet «être ensemble» a créé des liens avec l’en-dehors de ce temps et de cet espace. En quoi ces instants de mots-poésies, de mots-bagages ont-ils fait «passerelles» vers d’autres ailleurs, d’autres temps, d’autres rencontres? Il me semble important pour la suite de ces échanges que nous puissions passer à une étape de concrétisation. Se donner des objectifs, même petits, concrets, histoire de ne pas rester dans de bonnes intentions. Des objectifs réalistes et réalisables pour chacun et chacune. Nous pourrions par exemple proposer des actions concrètes pour lesquelles les personnes qui le souhaitent sont d’accord de s’engager et de présenter une réflexion l’année suivante. Il serait intéressant aussi que le fruit d’une réflexion en plénum puisse être présenté par des instances qui ont le pouvoir d’agir par rapport à la thématique et que ces dernières soient prêtes, dans la mesure du possible, à se positionner face aux différentes propositions.

Cet espace ouvert a-t-il tout de même eu un sens? Bien entendu, cet espace-temps était particulier, privilégié, nécessaire… En quelque sorte il a suspendu le temps, et l’on sait à quel point il est parfois utile de s’extraire de son quotidien pour mieux y retourner, ou du moins, avec un regard qui a fait un pas de côté. Mais de cet «hors-du-temps», «hors-du-quotidien» de Monsieur et Madame tout-lemonde: comment ensuite en extraire la substance, les apprentissages effectués au gré des rencontres, pour agir en vue d’améliorer: la participation sociale des personnes en situation de handicap; le mieux-vivre ensemble; le développement de plate-formes rendant possibles de réelles rencontres entre les personnes en situation de handicap et les personnes «ordinaires»; le décloisonnement des espaces. J’en attrape le tournis, tant les défis s’égrènent tel un chapelet qui semble infini… Quelle définition des passerelles donneriezvous, à l’issue de vos échanges? Une passerelle, nous l’avons vu, permet de passer d’un endroit à un autre, ou de faire un bout de chemin ensemble vers des horizons connus ou inconnus. Voilà en subs-

Le forum a-t-il tout de même débouché sur des pistes d’actions concrètes? Il y a eu des pistes d’actions concrètes, puisque les présentations du projet Plateforme de la FOVAHM, de l’expérience de vie du vigneron Jean-Daniel Rey montrent que des passerelles existent. Le fait même que ce numéro de Pages Romandes propose des réflexions-analyses de ces deux journées est une poursuite extrêmement concrète.


Questions • Comment peut-on opérer des décloisonnements de ces discussions entre personnes concernées à partir de tiers (le politique, l’art, la culture, etc.)? • Y a-t-il un public autre que les personnes concernées par la question du handicap pour élargir l’espace de réflexion? • L’isolement dans un espace confidentiel (chalet de montagne) ou les facilités d’un lieu d’accueil en plaine: quel équilibre trouver entre nécessité d’un espace sécurisé qui permet la confidence et un lieu permettant l’ouverture vers d’autres possibles? • Pour reprendre les termes de Charles Gardou, ce qui fait monde commun, n’est-il pas de l’ordre de la culture; comment se construit une culture commune; qu’est-ce qui ferait culture commune avec le monde du handicap?

Réflexions - Définitions • Les participants au forum ont décliné le thème des passerelles: • Traverser une passerelle implique de prendre le risque de se rendre dans un lieu dont l’arrivée n’est pas connue. • Toutes les passerelles ne sont pas éclairées, sécurisées... • Une passerelle dont l’arrivée n’est pas connue peut aussi générer de la curiosité et de l’intérêt. • Un passage peut être obligé ou possible. • Certaines passerelles ont des portes verrouillées et des personnes tirent profit du contrôle de ce passage. • Avant de se séparer sur la question: vaut-il mieux combler le fossé ou construire une passerelle?

Perspectives • Adapter une méthodologie de démarche participative qui présente un minimum d’entraves quel que soit le public. • Le mouvement est souvent revenu dans les discussions, mais un mouvement partagé qui nous rend pareils; pour se sentir pareils, il faut une identité commune. • Cette idée passe par la création de passerelles vers le public. Cependant, il ne suffit pas de singer les autres, mais de rester proche de soi.


Passerelle: handicap et travail Une valeur d’appartenance à la société Jean-Marc Dupont, directeur de la FOVAHM, Valais

Diantre, mais pourquoi faire travailler des personnes handicapées bénéficiant d’une rente d’invalidité à 100%? Cette Fondation valaisanne en faveur des personnes handicapées mentales (FOVAHM) dont on dit parfois du bien n’est-elle en réalité qu’une exploiteuse? Avant d’y répondre pour aujourd’hui, tournons-nous vers le passé. La FOVAHM a été créée en 1970 par l’Association de parents d’enfants handicapés mentaux. Et cette dernière qui n’avait pas pour mission d’être un bourreau pour ses propres filles et fils a voulu dès le début des années 1960 permettre à leurs enfants devenus adultes de travailler dans des milieux spécialisés. En effet, après avoir créé le service éducatif itinérant et les écoles la Bruyère, l’actuelle Insieme Valais Romand a ouvert deux ateliers à Sion et Sierre. Et ensuite elle a mandaté la FOVAHM pour gérer les futurs centres dont le Valais romand avait besoin. Ainsi, dès le début avec la première structure de Saxon, l’offre devait comprendre un hébergement et une activité laborieuse en journée. La valeur du travail comme outil d’accompagnement mais aussi et surtout comme valeur d’échanges humains et d’intégration est mise en avant également pour des personnes avec une déficience intellectuelle. En poursuivant le développement de ses structures au fil du Rhône (après Saxon, Sion, Sierre, Collombey, Martigny), la FOVAHM varie son offre avec des centres d’hébergement de grandeur variable (home, centre, foyer, appartement, studio) et même un soutien à domicile. Et en journée elle tient à présenter également une offre diversifiée qui

doit répondre aux souhaits et capacités des personnes handicapées mentales qui lui sont confiées: des ateliers, des centres de jour pour les personnes plus dépendantes ou à la retraite, des ateliers intégrés dans des entreprises, un soutien à des personnes œuvrant individuellement dans le premier marché du travail. Cette gamme d’activités permet aux personnes avec une déficience intellectuelle accompagnées à la FOVAHM de pratiquer dans ses ateliers pas moins de dix-sept métiers différents, tout comme dans les entreprises extérieures. L’offre et la diversité sont là aussi les maîtres mots de cette Fondation, auxquels on peut ajouter le terme de valorisation. En effet, il ne suffit pas de proposer une activité, encore faut-il qu’elle soit valorisée, reconnue comme telle et non pas dans le terme ancien d’occupation. Des réalisations reconnues, des produits mis sur le marché et achetés pour leur qualité et non pas pour faire une bonne action. Ainsi le travail de la personne handicapée mentale ne diffère pas de celui de tout un chacun, que ce soit en atelier FOVAHM ou en entreprise car il s’appuie sur les mêmes valeurs de reconnaissance humaine et d’échanges entre pairs et avec les clients multiples. Les accompagnants doivent ainsi veiller à ne pas projeter sur les personnes accompagnées le vieux rêve du paradis perdu, de l’oisiveté sous le couvert de la difficulté de rythme ou le besoin d’apprentissages plus longs et parfois récurrents. La personne handicapée mentale est inscrite dans notre société pour laquelle le travail a une valeur marchande mais aussi et surtout d’appartenance. Pour s’en convaincre

il n’y a qu’à les rencontrer sur leur lieu de travail où ils expriment leur satisfaction de participer à la société et de pouvoir parler de leur activité professionnelle qui rythme leur vie comme pour tout le monde. Ne pas avoir de travail conduit l’être humain aux troubles que l’on connaît, alors pour des personnes avec une déficience intellectuelle les conséquences du chômage sont identiques et on peut même dire qu’elles sont amplifiées par la perte de contact quotidien avec les autres travailleurs. En conclusion, la FOVAHM défend le droit à une activité professionnelle pour les personnes handicapées mentales, activité valorisée mais en y mettant l’appui nécessaire pour effectuer un travail de qualité car important pour son image personnelle face à soi-même et face aux autres. Faire partie intégrante de la société, c’est en respecter les droits et devoirs intégralement car sinon l’exclusion guette même sous le couvert de bons sentiments malheureusement le plus souvent invalidants. Et cela leur permet de prendre une retraite bien méritée, en précisant qu’elle peut être anticipée pour tous les travailleurs et travailleuses de la FOVAHM, handicapés ou non. www.fovahm.ch


Le travail et l’humaine société

Solvabiliser les invalides? Jacques Kuehni, rédacteur Revue [petite] enfance, Morgins

Etymologiquement le travail est lié à la torture, le tripalium était fait pour faire souffrir, humilier, briser et punir. Culturellement, au moins dans le monde terriblement chrétien qu’est le Valais, l’éviction du paradis proclame la divine punition en liant la vie humaine à la souffrance du boulot. Pour certains, ce qui fait société, c’est l’institution du sacré. Pour d’autres, c’est la volonté et la nécessité de coopérer pour vaincre l’adversité, qui fabrique les sociétés humaines. En gros, cet effort nécessaire à la vie peut s’appeler travail. Et c’est autour de ça que se construit l’humaine condition. Faire monde articule trois verbes: donner, recevoir et rendre. J’insiste sur le fait que nous ne rendons pas toujours à ceux dont nous avons reçu, qu’ils n’aient besoin de rien ou qu’ils soient morts. Cela n’a rien à voir avec les logiques de l’endettement nominal, chères au capitalisme. Rendre, c’est appartenir à l’humanité, et c’est presque toujours du travail que nous rendons à des «autruis» parfois très surprenants. Pour être clair, je n’ai rien à faire avec la morale réactionnaire du travail. Qu’il s’agisse des «tonitruances» de la France qui se lève tôt ou du «travailler plus pour gagner plus», ce n’est pas là mon propos. Si Vichy a transformé le révolutionnaire «Liberté, Egalité, Fraternité» en «Travail, Famille, Patrie», avec les conséquences que l’on sait, il n’est pas question d’en reprendre un peu. Mes références sont souvent marxiennes, mais mon livre de chevet reste l’ «Eloge de la paresse», qui d’ailleurs est l’œuvre de Paul Lafargue, gendre de Karl. Entre la volonté d’abolition de la famille prônée dans «Le manifeste du parti

communiste» et la réalité de la famille Marx, il reste la solidité des liens familiaux. Il y a donc une centralité du travail dans nos vies sociales et politiques. Et cette centralité est bien plus importante que nos capacités productives, puisqu’elle devrait imposer la nécessité politique de faire une vraie place aux affaiblis, qu’ils le soient durablement ou provisoirement. L’AI a «solvabilisé» les invalides, elle a donc donné une certaine valeur à ceux et celles que cette assurance nommait dans son intitulé comme sans valeur. Elle les a rendus aptes à consommer des choses et des services d’une manière autonome; ce qui les défaisait de leurs dépendances aux bonnes œuvres. La cause des femmes décrit aussi cette émancipation, mais en la liant à la capacité de travailler. Les filles aujourd’hui accèdent aux savoirs et au travail qui les inscrivent de plein droit dans la vie publique. Pour résister aux attaques patriarcales, elles devront garder une mémoire vive des luttes qui ont été menées et devenir capables d’inventer de nouvelles actions; ou leurs acquis, comme ceux de la classe ouvrière, seront annulés. Ce que j’essaie de dire ici, c’est que la place sociale des émancipés est très fragile. Le capitalisme compassionnel ou la moralisation du capital sont de mauvaises farces. Il y a une permanence du discours politique «lamentatoire» sur l’endettement de l’Etat. Et cette lamentation est telle que nous l’intériorisons comme une inéluctable vérité; au point de ne plus interroger les conditions historiques de cette dette. Revenons encore une fois à Pétain. Au lendemain de la guerre, la France est ruinée. Elle votera et

appliquera des lois sociales durables, la Sécu et le droit du travail entre autres. La bourgeoisie française est provisoirement contrainte au silence par ces compromissions avec les nazis. Ces lois sont avant tout le produit d’un rapport de force politique. Si les affaiblis veulent une place sociale légitimée par le travail, il doivent participer aux luttes sociales. Le néolibéralisme donne des ailes au capitalisme brutal. Ce dernier s’est toujours distingué par sa capacité à exploiter les faibles au profit des puissants. Ce qui émerge aujourd’hui, c’est un système idéologique qui normalise l’exploitation des exploitables et qui prépare et légitime l’élimination des inexploitables; qu’il décrit comme pires que sans valeur, puisqu’il les affuble d’une immoralité profiteuse. Etrangers, chômeurs: nous y sommes déjà. Les prochaines cibles sont: les vieux pauvres, les vieux malades, les malades insolvables et les invalides, jeunes ou vieux, avec une acuité particulière sur les éléments féminins de ces catégories. Le monde du travail aujourd’hui se distingue par une rhétorique de la guerre économique, une idéologie de la concurrence et une apologie des méritants. Quelle place reste-til pour ceux qui ne sont pas arrivés les premiers? Ce qui caractérise le travail, c’est l’intelligence qu’il faut produire pour vaincre la résistance du réel. Si cette intelligence déborde le cadre laborieux, l’espoir est de taille.


Handicap et tourisme

Passerelle entre deux mondes qui s’ignorent Pierre Margot-Cattin, avocat, ethnologue, professeur Hes-so/Valais, filière travail social

Ces 20 dernières années en Europe, en Amérique et en Asie-Pacifique, des liens entre le handicap et le tourisme se sont créés, tant au niveau académique que gouvernemental1. Jusque-là, cette thématique était largement sous-étudiée. En 1991, l’Organisation Mondiale du Tourisme2 a adopté une résolution pour «créer des opportunités pour les personnes handicapées dans les années nonante», point de départ de nombreuses réflexions menées par d’autres organismes internationaux. Ceux-ci ont appelé à une approche coordonnée pour traiter des questions de handicap et d’accès dans l’industrie du voyage et du tourisme. Citons: le Bureau international du tourisme social (1997); le Comité des Nations-Unies sur les transports, communications, tourisme et le développement des infrastructures (2000); le Congrès international «Inclusion by design» (2001); la Commission économique et sociale pour l’Asie et le Pacifique des Nations-Unies (2002). Au centre de ces approches se trouve la nécessité de développer des bases de recherche permettant de prendre des décisions stratégiques pour le développement d’un tourisme intégrant les besoins des personnes en situation de handicap. En Suisse, la question du handicap est quasi absente du débat lié au soutien et au développement du tourisme. Malgré quelques tentatives des milieux associatifs (Procap, Association Suisse des Paraplégiques, MIS) les acteurs du tourisme semblent ne pas avoir conscience du potentiel discriminatoire de leur approche et de l’intérêt économique lié à cette question. Le contexte suisse est-il si particulier pour qu’une branche importante de l’économie ne se sente pas concernée par un débat de société aussi important que la participation sociale des personnes en situation de handicap? Une approche éco-systémique du handicap Pourtant, depuis les années 80, l’idée d’un modèle écosystémique3 du développement humain, résultat des interactions continuelles et réciproques entre l’organisme et son environnement, est posée. Une bonne adaptation à l’environnement repose sur l’équilibre entre les forces et les faiblesses de l’individu et les risques et opportunités de l’environnement. Cette systémique fondamentale est à la base des réflexions qui ont mené à la création des classifications modernes du handicap, modèles explicatifs qui tiennent compte à la fois de facteurs personnels et de facteurs environnementaux. Aujourd’hui, tant à travers la CIF (Classification Internationale du Fonctionnement de l’OMS) que le PPH (Processus de Production du Handicap)4, l’environnement joue un rôle prépondérant dans

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la compréhension du handicap. La vision éco-systémique ouvre la voie à une prise en compte globale des besoins de l’ensemble de la population. Ce modèle rejoint les réflexions des années 90 autour de la notion de handicap L’adaptation environnementale n’est plus une question de mesures spécifiques pour une catégorie particulière de la population mais une intégration des besoins de l’ensemble de la population dans le développement d’un environnement bâti ou de prestation de services. Il en va ainsi de l’idée d’un tourisme accessible à tous en lieu et place d’un tourisme spécialisé pour les personnes en situation de handicap.

Cadre légal favorable La vision participative du handicap s’appuie en Suisse sur un cadre légal ayant pour base l’art. 8 de la Constitution fédérale5 qui interdit toute discrimination du fait notamment «d’une déficience corporelle, mentale ou psychique». Sur cette base est ancrée la Loi sur l’élimination des inégalités envers les personnes handicapées en vigueur depuis 2004 (LHand)6. Au sens de son art. 3, toutes discriminations sont interdites notamment dans les domaines des constructions et installations accessibles au public, des équipement et véhicules de transports publics et des prestations accessibles au public proposées par des particuliers. Le tourisme est directement concerné par cette loi. A noter que le Tribunal fédéral a considéré les règles en matière de construction adaptée comme une référence cadre, les législations cantonales restant applicables. En matière de transports, les partenaires publics et privés au bénéfice d’une concession de transport ont un délai jusqu’en 2024 pour mettre leur matériel en conformité. Ceci inclut les trains, les bateaux, les avions, les cars, ainsi que les transports à câbles de six personnes au moins. L’ensemble de ces exigences sont toutefois soumises au principe général de la proportionnalité. Ainsi, bon nombre de mesures théoriquement exigibles ne sont pas mises en pratique en raison d’une disproportion entre les coûts nécessités et l’usage effectif par les personnes en situation de handicap.

Vieillissement de la population L’intérêt pour l’industrie touristique de prendre en compte les besoins de l’ensemble de la population est également soutenu par un argument lié à son vieillissement. Les personnes retraitées sont les grands bénéficiaires des mesures sociales de prévoyance professionnelle. L’amélioration du niveau de vie et un état de santé globalement bon jusqu’à


des âges avancés favorisent une participation de la population âgée dans les offres touristiques. Si les jeunes retraités, les 65 à 80 ans, n’ont souvent pas besoin d’infrastructures ou de prise en charge particulière, la tranche des 80 à 90 ans nécessite des prestations de services spécifiquement adaptées à leurs attentes et leurs possibilités. Cette catégorie de touristes était quasi inexistante il y a encore trente ans. Aujourd’hui, elle représente une part non négligeable du marché avec des exigences particulières et un pouvoir d’achat permettant de bénéficier des offres de loisirs. Ces exigences sont, en de nombreux points, comparables à celles des personnes en situation de handicap, notamment en matière de mobilité, d’accessibilité, et de services respectant au mieux les besoins.

Segment de marché Les Nations-Unies estiment à 650 millions le nombre de personnes handicapées dans le monde, une part importante d’entre eux voyage malgré des besoins spéciaux. En Europe 50 millions de personnes sont concernées par un handicap. Le calcul de la part de marché à gagner par un tourisme accessible doit prendre en compte la croissance rapide de la population âgée et le fait que les personnes handicapées voyagent rarement seules. Une étude de l’Université de Surrey estime que 127 millions de personnes, soit 27% de la population de l’Union européenne, pourraient bénéficier d’un tourisme accessible. Cette niche économique a une valeur potentielle de 80 milliards d’euros / ans. Ce chiffre n’inclut pas les femmes enceintes, les familles avec de jeunes enfants ni, élément essentiel, les voyageurs en provenance du reste du monde. Ce chiffre est corroboré par des études australiennes7. La création de navires de croisière accessibles, de transports terrestres accessibles, et de destinations touristiques accessibles ne relève pas de la charité ou de la solidarité, mais bien d’un intérêt économique certain.

pleinement partie du champ du tourisme. De plus, ils estiment que l’industrie touristique ne prend pas suffisamment en compte les besoins spéciaux. Ainsi, la mise en place d’information et de sensibilisation spécifique pour les acteurs du tourisme semble être un moyen adéquat pour créer des passerelles entre les besoins spécifiques des personnes en situation de handicap et une industrie qui a tout à gagner, notamment au niveau économique, dans le développement d’infrastructures et de prestations de services accessibles à tous. Darcy, S. (2005). Disability and Tourism Online Bibliography. Viewed 1 June 2005, www.business.uts.edu.au/leisure/ research/disability.html 2 World Tourism Organization (1991). Creating Tourism Opportunities for Handicapped People in the Nineties (Resolution A/res/284(IX) of the General Assembly held at Buenos Aires, Argentina). World Tourism Organization, Madrid, Spain 3 Bronfenbrenner, U. (1979). The ecology of human development : experiment by nature and design. Cambridge 4 Modèle québécois du handicap développé par Fougeyrollas et son équipe. 5 RS 101 6 RS 151.3 7 Dwyer, L., & Darcy, S. (2008). Economic contribution of disability to tourism in Australia. In S. Darcy, B. Cameron, L. Dwyer, T. Taylor, E. Wong & A. Thomson (Eds.), Technical Report 90040: Visitor accessibility in urban centres. Gold Coast: Sustainable Tourism Cooperative Research Centre. 1

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Création de passerelles Pourquoi ce sujet n’est-il pas encore d’actualité en Suisse? La réponse tient dans un manque d’information et de sensibilisation de l’industrie touristique. Une méconnaissance de la situation engendre une crainte de devoir assumer des contraintes supplémentaires et des coûts élevés pour un bénéfice restreint. Preuve en est la formation dispensée à la Hes-so/Valais, filière tourisme. La thématique du handicap n’était, jusqu’il y a un an, pas abordée dans le cursus de formation. L’introduction d’un cours de sensibilisation de 24 périodes semble porter ses fruits. Une petite étude menée auprès des étudiants met en évidence les éléments suivants: • la majeure partie des étudiants qui n’ont pas suivi le cours de sensibilisation estiment que, même si les personnes en situation de handicap doivent avoir leur place dans l’industrie touristique, la question du handicap ne fait pas partie du champ de formation en matière touristique. De plus, ils pensent majoritairement que l’industrie touristique prend en compte les besoins spéciaux. • Les étudiants qui ont suivi le cours de sensibilisation estiment quant à eux que la question du handicap fait

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Handicap et tourisme

Une approche des besoins qui dépasse les traditionnels aménagements architecturaux Simon Wiget, directeur Anniviers Tourisme, Vissoie

Lorsque j’ai reçu la proposition d’intervenir aux côtés de Pierre Margot-Cattin sur le thème «handicap et tourisme» à l’occasion du Forum de Tignousa II, je fus à la fois très motivé et un peu mal à l’aise. Ma grande motivation vient de mes expériences personnelles, à l’occasion desquelles j’ai eu l’occasion de prouver qu’handicap ne rime pas obligatoirement avec inactivité. Du voyage de classe avec un ami myopathe à l’excursion en canyoning avec des aveugles, en passant par les multiples activités faites avec mon frère polytraumatisé moins d’une année après son accident, j’ai souvent eu la preuve que le champ d’activités possibles avec des personnes «handicapées» est bien plus large que beaucoup ne le pensent. A la satisfaction d’avoir dépassé un préjugé s’ajoute le plaisir de faire des activités avec des personnes qui apprécient le moment présent et amènent une ambiance de groupe très souvent joyeuse et dynamique. L’aspect plus inconfortable vient de mes expériences professionnelles comme acteur du tourisme depuis une quinzaine d’années, à l’occasion desquelles je me suis rendu compte du manque d’efforts réalisés pour faciliter l’accès aux loisirs pour les personnes en situation de handicap. Je me suis retrouvé confronté à ma réalité où j’ai souvent pensé «je devrais», mais où j’ai rarement agi, me laissant entraîner par le tourbillon des obligations quotidiennes et mettant de côté un aspect qui semble plus difficile à mettre en œuvre. D’une autre approche des besoins de la population avec un handicap aux réalisations concrètes... La rencontre avec Pierre Margot-Cattin et les échanges occasionnés par le Forum de Tignousa m’ont offert une nouvelle vision de la réalité et des possibilités dans le domaine «handicap et tourisme». Des besoins en accessibilité aux réelles possibilités d’action des personnes en situation de handicap, en passant par leur potentiel économique, les préjugés sont nombreux et freinent nombre d’initiatives. Ces discussions m’ont démontré que les besoins en aménagements sont certes nécessaires, mais pas au niveau que j’imaginais. J’aurais eu tendance à ne pas vouloir proposer une activité à une personne à mobilité réduite tant que des aménagements conséquents ne sont pas réalisés. En réalité, la faisabilité se révèle bien plus importante que le confort et si un accès n’est pas optimal, mais possible, cela suffit souvent. Comme pour tout un chacun, la possibilité de faire une activité passe avant le confort et beaucoup de choses nous

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paraissent irréalisables, alors que ce n’est qu’un manque de volonté et d’audace de notre part. On ose proposer une activité, même difficile, à un «valide» en se disant qu’il n’a qu’à se bousculer un peu pour sortir de son confort quotidien et que cela lui fera du bien d’être confronté à une difficulté. A l’inverse, on aura tendance à vouloir materner les personnes en situation de handicap, en oubliant que, comme nous tous, ils peuvent aussi aimer les challenges et ils ont tous beaucoup plus de ressources que nous l’imaginons. La prise en compte du potentiel économique des personnes en situation de handicap peut paraître inélégante et bassement mercantile. Cependant, mis à part certaines exceptions, la réalité du monde économique rend cette approche nécessaire pour le développement d’offres pérennes qui ne dépendent pas de bénévolat, de mécénat ou de sponsoring. Pierre Margot-Cattin l’a d’ailleurs bien compris et c’est lui-même qui est venu sur cet aspect lors de notre discussion. Son approche réaliste m’a fait prendre conscience qu’en ne considérant pas comme public cible les personnes en situation de handicap, nous ignorons simplement 5% de la population. Cette approche différente m’a donc ouvert les yeux sur les possibilités de développement des offres touristiques pour les rendre accessibles et attractives pour les personnes en situation de handicap. L’aspect très positif pour moi fut l’approche pragmatique de Pierre Margot-Cattin qui permet d’envisager des actions qui se détachent de l’aspect purement émotionnel, lequel s’essouffle et n’est pas toujours constructif, et qui s’ancrent dans la réalité que nous vivons au quotidien, tant du point de vue personnel que professionnel. La dynamique est donc lancée, il nous appartient dorénavant de la concrétiser par des actions sur le terrain. Merci à Pierre Margot-Cattin pour ses impulsions très positives et encourageantes… de même que pour sa future implication dans le développement de projets concrets pour lesquels je ne manquerai pas de le solliciter. La suite au prochain épisode…


De la rue à la rencontre

Des professionnels pour créer des passerelles? Matthieu Moulin, éducateur de rue, Martigny

Depuis que les métiers tournés vers la relation d’aide existent (éducateurs, assistants sociaux, animateurs socio-culturels, etc.) notre société a toujours essayé de les rendre les plus efficients possible. Mais il est difficile de quantifier le travail de relation d’aide, sur quel étalon s’appuyer? Celui de la réussite sociale, du bien-être physique ou psychique de la personne? Cette question pousse les travailleurs sociaux à sans cesse se renouveler dans leur fonction professionnelle quitte à inventer des métiers un peu surprenants à première vue. Dernier arrivé sur la planète sociale: le Travailleur Social Hors-Murs (appelé aussi éducateur de rue ou TSHM). Cette fonction que j’exerce depuis quatre ans à Martigny, sous la responsabilité du Centre de Loisirs et Culture, se définit par son champ d’action et par sa déontologie particulière. Commençons par une petite définition tirée de la charte du travail social hors murs: «Nous appelons travailleur social hors murs toute personne dont le champ d’action se situe dans l’espace public et/ou dans les lieux de vie des populations concernées… Il assure une présence régulière dans son champ d’action et adapte ses horaires de travail en fonction des heures où les personnes concernées sont présentes. Il veille à être facilement et simplement accessible… il rencontre les personnes concernées en les abordant et/ ou en se laissant aborder par celles-ci. Si la rencontre se fait sur l’initiative du TSHM, ce sera sans s’imposer en laissant le choix à ces personnes d’accepter ou non sa présence.»1 Ce champ d’action peut être défini soit de manière géographique (villes, communes, quartiers,…) soit par rapport à une population précise… Pour ma part mon mandat est défini par les deux aspects: je travaille sur le territoire de la commune de Martigny et j’ai comme mandat l’accompagnement d’une population de mineurs et de jeunes adultes. Promouvoir, maintenir et renforcer le lien social entre les individus et la confiance envers les institutions: tel est notre mandat. La jeunesse d’aujourd’hui, souvent décriée et accusée de tous les maux, subit de lourdes pressions: pression scolaire, familiale (familles recomposées), pression de l’intégration ou de l’adaptation, pression de la réussite à tout prix… Certains de nos jeunes n’ont pas ou n’ont plus la force ni les outils pour gérer cette pression et ne trouvent comme solution à leurs difficultés que la marge de la société. Dans cette situation, notre rôle de TSHM n’est pas

de minimiser leurs difficultés, ni de nier les efforts qu’ils vont devoir faire pour sortir la tête de l’eau, mais de préserver, voire créer un minimum de lien. Renforcer ou réinventer la confiance du jeune envers un adulte, qui pourra à tout moment l’accueillir et l’orienter vers les ressources existantes (professionnelles ou non) afin qu’il affronte ses difficultés, tel est le premier but à atteindre. Concrètement nous devons être une passerelle entre les jeunes et la Cité: l’objectif étant qu’une fois devenus adultes ils se sentent citoyens à part entière avec ce que cela engage comme droits et comme devoirs. Ce travail est une approche de longue haleine qui implique des heures et des heures de discussion dans la rue, à la gare, dans les bistrots, voire dans les cages d’escaliers d’immeubles «squattées» par les jeunes. Trouver la bonne distance pour ne pas s’imposer tout en restant présent, répondre aux besoins tout en gardant notre rôle d’adulte et non pas de «pote», créer le lien avec les parents tout en préservant un espace où le jeune pourra se confier à vous en toute liberté, accepter de ne pas toujours être maître de la rencontre, du moment et du lieu où celle-ci se produira, maintenir le lien dans la durée: tout un programme! Au final, quand notre action est efficace, c’est toujours qu’une rencontre a lieu, que deux personnes communiquent librement chacune à son niveau, dans le respect de l’autre. Pour créer des ponts, il faut aussi que les autres acteurs du réseau connaissent notre action et notre singularité. Un éducateur qui traîne dans les bistrots et les rues de la ville, c’est étrange… Et pourtant c’est vers lui qu’en dernier ressort sont orientées, par les institutions ou d’autres professionnels du social, ces personnes qui souvent n’avaient pas envie de demander de l’aide ou ne faisaient plus confiance au «système». Réciproquement, le TSHM doit pouvoir compter sur les institutions et sur l’ensemble des professionnels du social. Je me pose souvent la question sur ce qui fait que notre fonction existe. Pourquoi notre société a-t-elle besoin de professionnels pour créer des passerelles entre certains groupes de population et d’autres? Ce clivage a-t-il toujours existé ou est-il le fruit de notre société actuelle? Je n’ai pas la réponse, mais je crois à l’utilité de notre fonction et estime avoir de la chance d’exercer ce métier.

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Charte du Travail Social «Hors Murs»; http://www.grea.ch/documents/cat/13

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Sommes-nous tous des passeurs? Témoignage Florence Nierle, accompagnante Pro Infirmis, Moutier

Je me suis interrogée sur les passeurs de ma propre vie et j’ai pris conscience qu’il y en a eu beaucoup, certains dont je n’avais pas mesuré l’importance! Mes premiers passeurs sont mes parents: ils m’ont conduite du stade d’embryon à celui de nourrisson, puis d’enfant, d’adolescent jusqu’à adulte. De la connaissance zéro, ils m’ont accompagnée jusqu’au stade d’une personne autonome et capable de faire des choix libres. Ils m’ont aidée à passer les étapes importantes de mon développement psychique et émotionnel, de ma croissance physique, de l’apprentissage scolaire, de la sociabilisation, de l’acquisition de valeurs et du développement de ma propre personnalité ainsi que de bien d’autres aspects de l’évolution d’un être humain. Je me suis souvenue aussi de cette assistante sociale, qui m’a encadrée lors d’un stage d’orientation lorsque j’étais une jeune adulte. Elle m’a ouvert les portes de son métier et de son cœur. Pendant quelques mois, elle a été présente, m’a encadrée, m’a fait confiance et m’a motivée pour finalement me donner le goût du travail social. A travers elle, je suis entrée en contact avec des gens dans le besoin qui ont bien voulu partager des bouts de leur vie avec moi. J’ai alors découvert la pauvreté en Suisse, une réalité que je ne connaissais pas. Par cette expérience, mon envie d’aider, de partager, mon besoin de justice et d’équité s’est transformé en projet professionnel. Au nombre des passeurs importants de ma vie, il y a eu cet ami tétraplégique. Ensemble, nous avons voyagé, fait du sport, et beaucoup rêvé. Il m’a montré qu’un handicap n’est pas inévitablement une barrière mais peut être une force, une opportunité. Grâce à lui, j’ai rencontré de nombreuses personnes qui vivent avec un handicap. J’ai appris à ne plus avoir peur de la différence mais aussi à être plus vraie, plus simple, à prendre le temps.

D’ici aux favelas Il y a eu cette famille qui a adopté des enfants au Brésil. Suite à leur démarche et grâce à leurs contacts, je suis partie vivre et travailler dans les favelas de ce pays extraor-

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Que signifie «être un passeur»? Dans mon esprit, un passeur est la personne qui m’accompagne vers l’étape suivante, celui ou celle qui me transmet une connaissance, un savoir; qui me fait grandir et me développer; qui me permet d’entrer en contact avec d’autres personnes, un autre environnement, une autre culture. Les passeurs sont parfois simplement de passage dans nos vies, pour indiquer un chemin ou tirer un signal d’alarme. Ils peuvent aussi être présents sur le long terme. Il y a de multiples façons d’être un passeur.

dinaire. J’y ai passé plusieurs années, au cours desquelles j’ai côtoyé des personnes qui vivent dans la misère et se battent au quotidien pour leur survie. De nos forces communes est née une école qui fonctionne depuis quinze ans et accueille quotidiennement une centaine d’élèves. Depuis cette adoption, de nombreuses passerelles ont été créées entre la Suisse et le Brésil! Et pour moi, cette famille a joué le rôle de passeur vers une aventure brésilienne extraordinaire. Dans ma vie, il y a aussi eu une multitude de passeurs plus éphémères: cette nouvelle voisine qui, en m’associant à ses activités et relations, a grandement facilité mon intégration dans mon nouvel environnement. Cet homme qui m’a servi de traducteur et permis d’entrer en contact avec de nombreuses personnes. Ce collègue, cette amie… toutes ces personnes qui ont su transformer une attitude spontanée en acte de solidarité. A la question «Sommes-nous tous des passeurs?», je réponds par l’affirmative sans hésiter. Par de simples gestes, nous créons des ponts entre les personnes, les pays, les cultures, parfois - et souvent même - sans en être conscient. Mais il faut aussi en avoir envie. L’ouverture d’esprit et la curiosité me semblent être les clés des passerelles. Etre attentif à l’autre dans le respect de sa différence.


«Puiser dans le pot»

Interview de Jean-Daniel Rey, «vigneron en chaise», Cave Saint-Michel* Propos recueillis par Olivier Salamin, membre du comité de rédaction de Pages romandes, Sion

C’est à l’âge de 20 ans que «le château de cartes» s’est effondré pour Jean-Daniel Rey, suite à un accident de la route durant lequel il perdra l’usage de ses jambes. Accident qu’il n’a jamais accepté mais qui lui a fait trouver des ressources intérieures qu’il ne soupçonnait pas…

que vous êtes productifs, vous pouvez créer. Comme dans un match de tennis, vous n’êtes pas «foutus», vous pouvez encore gagner. Chaque résultat est un aboutissement. Le fait de partager une activité, de participer à une compétition est très important.

Durant le Forum de Tignousa, vous avez passé très vite sur votre accident... Pourtant votre expérience personnelle est riche d’enseignements? Je ne suis pas à l’aise pour parler de moi. Je n’ai ni honte, ni regret, mais cet accident, je ne l’ai pas voulu et ses conséquences, je ne les accepterai jamais! Ironie du sort, la personne qui a embouti la voiture dans laquelle j’étais le passager arrière était ivre… Dans le vin, ce n’est pas le côté alcool qui m’intéresse, mais le plaisir du goût et sa dimension sociale.

A Vercorin, vous avez très vite parlé du Rafroball pour expliquer votre point de vue. Le Rafroball (voir encadré) est sans frontière et sans limite. J’ai très vite eu affaire au monde associatif. Ma participation à Sport Handicap m’a fait avancer. J’y ai trouvé une forme de reconnaissance... En 1996, Thierry Rapillard jouait dans le salon des frères Lionel et Jonas Frossard avec Prince Ballestraz qui avait 11 ans. L’invention du jeu qui porte leur nom est arrivée jusqu’au comité de l’Association Sport Handicap. 10 années de tests et de jeux ont suivi. Dès 2006, un championnat s’est constitué et 9 équipes rivalisent sur les terrains aujourd’hui… Le plaisir de jouer ensemble est très important, l’esprit de compétition aussi. Nous ne nous retrouvons pas pour jouer à la «baballe». Aujourd’hui, mes enfants s’entraînent et jouent au Rafroball parce que ce sport est accessible à tous. Je coache une équipe et, malgré des douleurs à l’épaule qui m’interdisent de poursuivre en compétition, je peux transmettre mon expérience.

Quelles sont les étapes qui vous ont permis de faire face? Le médecin qui m’a annoncé ma paralysie a commencé par dire que j’allais vivre des choses merveilleuses… Il ne se trompait pas. Mon parcours professionnel n’a pas changé. J’étais à l’école de Changins avant l’accident. Un professeur est venu me voir à l’hôpital et il m’a dit que je pourrais continuer ma formation. J’ai suivi cet élan, même si aujourd’hui je suis moins à la cave et sur les vignes, je m’occupe de l’administration de la cave en gardant des contacts étroits avec notre œnologue. Comment pourriez-vous définir une passerelle? Une passerelle c’est ce qui vous amène d’un état à l’autre, pour moi de l’état de valide à la situation de handicap. Quand votre vie s’écroule comme un château de cartes – je sortais des cours de samaritains en me rappelant qu’il fallait pincer la jambe d’un blessé pour voir si sa colonne vertébrale était atteinte et j’ai donc tout de suite pris conscience de mon état – vous devez réapprendre les gestes de la vie.C’est une construction qui a pris 3 ans. Durant cette période, vous ne savez pas quand la transition va se terminer, c’est ce qui est difficile. Ce n’est qu’avec le recul que je réalise ma chance: fonder une famille, avoir des enfants, garder mon travail, … Vous êtes d’un naturel plutôt combatif, il me semble. Je me suis découvert des capacités et des goûts, certains que je connaissais, d’autres qui me sont venus. Je n’étais pas sportif avant mon accident. Depuis, j’ai fait beaucoup de sport et de tennis en compétition. Le déclic m’est surtout venu du travail. C’est valorisant de travailler, pas pour le salaire qu’il procure, mais parce

Une expérience qui fait de vous un éternel optimiste? Il faut faire avec, s’adapter et prendre le positif d’un coup dur. Je me souviens avant mon accident d’être arrivé en Allemagne pour un long séjour. Il y avait du brouillard, le sol était givré, je me sentais profondément déprimé, mais je me suis dit: «Vas-y!». Quand un problème survient à la cave, je réfléchis pour résoudre le problème et je ne perds pas mon énergie à râler. J’ai appris à remonter la pente, à éviter que les difficultés ne se reproduisent. Ça, je l’ai puisé dans le pot! *Cave Pierre-Elie Rey et fils, Corin Le Rafroball est un sport ouvert à tous qui mêle les règles de différents sports (football, handball, etc.). Les joueurs évoluent en fauteuil roulant et peuvent être aidés d’un «moteur» si leur handicap le nécessite; chacun a ainsi sa chance d’être compétitif sur le terrain. L’objectif est de marquer des buts dans une cage dont la taille est adaptée au gardien. Un arbitre formé assure le respect des règles et l’équité sur le terrain. Des détails et des exemples peuvent être obtenus sur le site: www.rafroball.ch

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Les «roues de la liberté»

Une aventure humaine qui traverse l’Atlantique Gérard Manzoni dit «Pilou», Zinal

locaux pour se faire connaître de la population, en mentionnant qu’ils détiennent de l’argent destiné à l’aide d’enfants à mobilité réduite. Le téléphone se met alors à sonner et les demandes affluent de toute la région. Au début, il s’agissait de récupérer du matériel en Suisse, de le retaper et de l’envoyer aux bénéficiaires, sélectionnés sur place; cela pouvait aller de la chaise roulante aux prothèses et même aux appareils auditifs permettant à des enfants de sortir de leur misère et d’accéder ainsi aux études, à l’indépendance. La motivation de ces Brésiliens est communicative et la tâche s’annonce ardue. Michel Peneveyre loue une maison à Porto de Galinhas (environ à 50 km au sud de Recife) et décide de résider sur place afin d’organiser le suivi des pupilles de l’association. Un comité avec statuts est alors créé en Suisse et les fonds sont récoltés par le biais de repas de soutien, ainsi que d’actions ponctuelles. Dans un deuxième temps, un atelier de confection de chaises roulantes est trouvé sur place, dans le but d’adapter le matériel aux personnes et non le contraire. L’association a ainsi aidé à ce jour plusieurs centaines de personnes. L’histoire de José, un des premiers bénéficiaires résume à elle-même l’activité des «roues de la liberté». La voici:

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Il y a aujourd’hui 15 ans est née l’association les «roues de la liberté», sous l’impulsion de Michel Peneveyre, Gérard «Pilou» Manzoni et Michel Barras. Tous trois sont lésés médullaires, c’est-à-dire para et tétraplégiques, suite à des accidents. Pour le premier, il s’agit d’un accident de plongeon alors qu’il voyageait en Thaïlande; la sanction est très dure pour Michel Peneveyre qui se brise une vertèbre cervicale (s’en suit une tétraplégie). Le deuxième est victime d’un accident de circulation. Quant au troisième, c’est une chute à ski qui vient briser ses 20 ans... Le trio se rencontre au centre de rééducation de Beau-Séjour à Genève. Espoir du football lausannois, Michel Peneveyre bénéficie de la solidarité de ses camarades sportifs de l’époque qui organisent un match de gala (Lausanne, LNA contre Châtel-Saint-Denis LNB) et versent une somme de plusieurs dizaines de milliers de francs à Michel Peneveyre: les «roues de la liberté» sont nées. Michel Barras a toujours le virus des voyages; il est reçu dans la famille de «Pilou» à Recife dans le nord-est du Brésil où le soleil est généreux et la population nécessiteuse. C’est la partie la plus pauvre du Brésil. Rejoints par «Pilou», les trois amis diffusent l’information aux journaux

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Handicapé par une paralysie infantile, la polio, José est fils d’un coupeur de cannes à sucre et vit à quelques kilomètres de l’océan qu’il n’a jamais vu. Il se traîne par terre dans son hameau et répète pour la troisième fois le niveau le plus haut enseigné dans son village qui consiste à lire et écrire avec un peu de mathématiques. Le jour où Michel se rend chez lui pour la remise de sa chaise roulante, une petite excursion est organisée. Après quelques kilomètres déjà, il s’émerveille de trouver le monde beaucoup plus grand que ce qu’il imaginait... Il voit l’océan pour la première fois; José a 15 ans. Grâce à ses nouvelles «baskets» à roulettes, il peut aller étudier et finir brillamment sa scolarité. Il noue des liens sociaux, pratique le basket, la natation et entre à l’université pour y apprendre un métier. Volontaire en diable, José est remarqué par les instances sportives locales et participe aux jeux paralympiques aux Etats-Unis, où il gagne une médaille d’argent en natation. Actuellement, il vit à Rio de Janeiro où il a fondé une famille. Père de deux enfants, il enseigne le sport et partage son expérience avec les nouveaux utilisateurs de fauteuils roulants. L’histoire de José est un exemple de passerelle entre l’excès et la nécessité. Un fauteuil roulant, pneus plats, poussiéreux mais en bon état, récupéré dans le sous-sol d’un centre de rééducation en Suisse et la rencontre avc José, traînant son corps dans les champs de cannes à sucre... Les «roues de la liberté», c’est une formidable aventure humaine qui dure depuis 15 ans et n’est pas près de s’arrêter. José est juste un exemple parmi tant et tant d’autres. L’impulsion sur place est donnée par Michel Peneveyre, lourdement handicapé, mais dont la motivation ne connaît pas de limites: là où il y a une volonté, il y a un chemin (Lénine).


15 ans d’une passerelle qui unit le monde des différences De l’Etoile polaire à la Croix du Sud Michel Barras, Suisse, Michel Peneveyre, Brésil

Si nous excluons quelqu’un de la société, c’est comme si nous excluons un joueur d’une équipe de foot, elle va s’en trouver diminuée. Comment peut-elle alors sortir victorieuse? La victoire de l’équipe de l’humanité a besoin que chaque individu devienne un créateur digne, qui puisse participer à son évolution d’une manière harmonieuse, afin que toute l’équipe puisse gagner le trophée de la paix et de l’efficacité. C’est ce que nous avons pu voir, avec les bénéficiaires des «roues de la liberté», en les faisant passer sur la passerelle de l’espoir. Le fait de leur donner une chaise roulante adéquate et de bonne qualité ou tout autre matériel orthopédique a transformé leur handicap en potentialité. Chaque jour, nous créons de nouvelles passerelles avec l’appui et la collaboration de personnes en Suisse, des autorités locales, de la communauté et des collaborateurs des «roues de la liberté», afin d’unir ces mondes peut-être différents mais riches dans leur diversité et leur complémentarité. Effectivement, la beauté de la vie se trouve dans ces différences et sa richesse se trouve dans l’intégration de cette diversité. Pour créer ce monde solidaire et harmonieux, il s’agit d’accepter que chacun possède un potentiel à faire partager avec tout en chacun. Pour que cette passerelle puisse toucher le cœur des hommes, elle doit être alimentée par la simplicité d’un regard, d’un sourire, d’un silence, d’un mot, d’un toucher et beaucoup d’Amour, de compréhension et de compassion. C’est ce qu’ils essaient de faire au mieux, les Don Quichotte des «roues de la liberté». De l’Etoile polaire à la Croix du Sud, une nouvelle étoile est née il y a 15 ans. La passerelle solidaire des pairs. Certains peuvent les traiter de rêveurs ou d’insensés, mais c’est en faisant le premier pas que l’on peut transformer le soi-disant impossible en possible. info@rouesdelaliberte.com - CCP 17-739274-5

Photo Michel Barras

Les «roues de la liberté» ce sont: 15 ans d’activités solidaires; 15 ans d’intégration des personnes dites «handicapées» dans la société; 15 ans de valorisation humaine; 15 ans d’évolution; 15 ans de conquêtes et de reconnaissance... Ce sont plus de 185 personnes handicapées bénéficiaires et plus de 268 chaises roulantes et autres matériels orthopédiques donnés. Ce sont des dizaines d’événements sportifs et culturels, ainsi que des conférences visant la valorisation de l’être humain et l’intégration de tous dans la société. L’association des «roues de la liberté» est comme une passerelle unifiant le monde des différences. Une passerelle entre la Suisse et le Brésil; entre les personnes dites «handicapées» et les personnes dites «non handicapées». Une passerelle entre le handicap et l’efficacité, la passivité et l’action, la sédentarité et la potentialité, le tabou et la valorisation humaine. C’est aussi une passerelle qui relie la porte de la maison au monde ouvert à tous, transformant ses peurs en confiance et l’indifférence en dignité. Une passerelle entre les diverses cultures, les différents niveaux sociaux, les différentes races. Les «roues de la liberté», c’est aussi une passerelle sensibilisant chacun au phénomène d’interdépendance qui existe entre l’homme, la société et la nature, éveillant ainsi la responsabilité universelle de chacun d’entre nous face aux problèmes éco-socio-interplanétaires. Cette nouvelle vision universelle crée naturellement une nouvelle passerelle entre un monde de séparation et un monde universel, entre un monde de compétition et un monde de collaboration, entre les lois des hommes et les lois universelles. Tout cela se fait, non pas par imposition mais par la conscientisation, ouvrant la porte entre le cœur et l’esprit, l’obscurité et la lumière, l’ignorance et l’Amour, afin que chaque individu puisse marcher vers plus de liberté et de bonheur. Afin de pouvoir changer le monde, chacun d’entre nous doit commencer par faire le premier pas en éveillant son propre potentiel, en étant créatif, et en participant de manière digne dans la société pour ensuite valoriser son prochain, afin que chaque personne puisse trouver son chemin, s’intégrer dans la société et y participer de manière efficace. L’Être humain a besoin de créer, de se sentir utile, de se valoriser, d’aimer et d’être aimé, sinon, il aura une tendance à se révolter contre la société et c’est ainsi que commencent la misère, la violence, les conflits et les guerres.

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Naissance d’un pont

Note de lecture Michèle Ortiz, membre du comité de rédaction, Genève

Alors que le forum Tignousa 2010 a questionné les passerelles possibles avec et malgré le handicap, l’ouvrage «Naissance d’un pont» de Maylis de Kerangal aux éditions Verticales est peut-être porteur de réponses. Ce roman raconte la construction d’un pont suspendu quelque part dans une Californie imaginaire à partir des destins croisés d’une dizaine d’hommes et femmes, tous employés d’un gigantesque chantier. Un roman-fleuve qui brasse des sensations et des rêves, des paysages et des machines, des plans de carrière et des classes sociales, des corps de métiers et des corps tout court. Retour sur l’interview de Maylis de Kerangal par la journaliste Madeleine Caboche dans le cadre de l’émission «Rien n’est joué» du 7 décembre 2010 de la radio suisse romande La Première. Savez-vous comment on fait un pont? Ce livre est un hommage à une entreprise collective au sein de laquelle se réalisent des compétences individuelles. Dans ces mécaniques de chantier des foules sont au travail, et toutes ensemble elles vont construire quelque chose, en l’occurrence un pont, tout comme un bâtiment contient une force, une conjonction incroyable de compétences et d’efforts. Au cours de la lecture de «Naissance d’un pont», le lecteur voit le pont s’accomplir, s’édifier. Maylis de Kerangal a voyagé et s’est beaucoup documentée pour écrire ce livre. Elle s’est rendue aux Etats-Unis pour visiter le Golden Gate Bridge de San Francisco et y a rencontré une femme en charge de l’ingénierie et de la maintenance du pont, un architecte historien de la structure qui travaille à la constitution d’un musée du pont, un ouvrier du pont avec lequel elle en a visité la structure... Elle a aussi visité le viaduc de Millau, le pont de Tancarville, le pont de Normandie… Elle a enquêté pour inventer le pont de Coca, un pont composite de tous ces ponts. Elle a dû incorporer dans son vocabulaire tout un lexique technique, les détails des métiers, les étapes de la construction, tout en veillant

de les enrouler dans une histoire qui, par son intrigue, la distingue du documentaire. Un pont va d’un point à un autre et peut changer la vie d’une région. Un pont relie et soude-t-il deux paysages ou en crée-t-il un troisième? Que fait un pont dans un espace en termes de circulation de personnes, de cultures, de valeurs? Observera-t-on la création d’une entité nouvelle qui permettra aux différentes cultures de mieux cohabiter, de se rencontrer vraiment ou de s’échanger l’une l’autre? Créer un pont est une affaire extrêmement complexe parce que tout doit marcher ensemble. Peut-on faire en sorte qu’une nouvelle structure innerve complètement une zone pour un bénéfice total? Or dans certaines régions, des maisons se retrouvent sous le pont, à l’ombre du pont. Dans ce livre par exemple, le lobby des bacs sur le fleuve va se retrouver en faillite. Il y a toujours un aspect contraire; c’est compliqué. Le pont est un symbole de lien entre les hommes, passage, facteur d’échanges, d’union… Mais le pont s’exprime aussi dans son trait, dans sa courbe, il incarne la tension; ce qui peut se tendre entre deux zones hétérogènes et antagonistes qui clivent un paysage. Le pont de Coca est un pont aérien avec une travée de 850 mètres. L’auteur a choisi de placer d’un côté du pont une ville complètement dopée à la consommation, par l’énergie d’un maire mégalomane qui veut développer et convertir sa ville au progrès, mais aussi la faire basculer dans un âge du capitalisme financier inspiré d’un récent voyage à Dubaï. Laisser sa trace, marquer son temps, inscrire sa marque dans le paysage avec un pont qui pourrait porter son nom. De l’autre côté du pont, l’auteur a imaginé un espace opposé à celui de la ville; une forêt qui fonctionne sur le mode de la réserve. Cette forêt est close, elle résiste au temps et à l’histoire. Elle exprime la permanence, une certaine douceur, les traditions. Les personnages du roman sont fascinants. L’identité est souple comme le béton peut en fait être assez élastique. Il y a un enjeu existentiel à être souple, à s’adapter, à se débrouiller, à faire avec les choses. Oui, on peut renaître. La vie vous transforme, la vie vous change, l’amour vous transforme, l’amitié vous influence, votre travail agit sur vous, la vie vous traverse… On est sans arrêt affectés et c’est cette affectation là qui intéresse Maylis de Kerangal. «Naissance d’un pont» a reçu le Prix Médicis 2010. Photo: Illustration de la carte de vœux 2011 de l’Institut ODeF

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Superman, Batgirl, Wonderwoman, Iron Man, X-men, Barbara Gordon, les super-héros résilients des comic books US Regards croisés... Jean-Daniel Vautravers, responsable pédagogique au Centre de formation sociale Les ARPIH, Yverdon-les-Bains

Le 12 novembre dernier, à Genève, nous étions assez nombreux au Forum sur les représentations publiques et plastiques de la personne handicapée «Regards croisés». Les Fondations Clair Bois et Cap Loisirs, ainsi que l’Association ASA Handicap mental avaient combiné leurs talents pour réunir ce qui se fait de plus innovant, voire de plus ébouriffant sur la question des «Singularités»1. Il y avait bien sûr l’incontournable Henri-Jacques Stiker2 et ses fables peintes des corps abîmés qui invitent à entrevoir des représentations magnifiées et inattendues des défaillances en évacuant le grotesque et l’apitoiement. Et puis l’extraordinaire, la truculente, la délectable Alison Lapper, artiste née sans bras et sans jambes, qui s’est rendue célèbre grâce à sa statue monumentale la montrant nue et enceinte sur Trafalgar Square à Londres. On a revu également avec plaisir Pascal Duquenne, acteur trisomique qui, excusez du peu, s’était vu attribuer le Prix d’interprétation masculine au Festival de Cannes en 19963. Cela m’a fait penser que quelques semaines plus tôt, j’avais vécu une expérience tout à fait singulière: je me suis retrouvé seul dans une salle de cinéma de 300 places à La Chaux-de-Fonds; le film projeté4 relatait les amours interlopes de Pablo Pineda, première personne trisomique accédant à un titre universitaire et de la sulfureuse et magnifique Lola Duenas. Au vu de la sympathie, de l’intelligence que dégage la personnaIité de Pablo Pineda, j’en suis même venu à me demander pourquoi il s’était déguisé en handicapé mental!!! Irrémédiablement seul dans cette immense salle obscure, j’en ai conclu que le public déserte lorsque l’on bouscule l’ordre des choses. Après tout, Tod Browning a dû patienter

37 ans avant que son film «Freaks» (La monstrueuse parade) soit projeté dans les cinémas français5... J’en viens maintenant à ce qui a couronné le tout de cette journée. En fine lame qu’il est, à petits coups de fleuret moucheté, Jean-François Ferraille6 se délecte à bousculer toutes les idées reçues sur les super-héros des comic books US. Foin des individus carrossés aux muscles saillants, invincibles et formatés unilatéralement. pour imposer brutalement l’ordre de l’empire américain! Batman, Daredevil, Batgirl, Professeur Xavier, Iron Man étaient tous orphelins en bas âge. Première fracture dans leur rutilante carapace, premiers actes de résilience également. On pousuit en disant que Daredevil est aveugle et profondément névrosé, le professeur Xavier dans X-men est en fauteuil roulant, Iron Man est malade du cœur. Batgirl est paralysée en dessous de la taille, suite à une agression du Joker… L’avènement des super-héros consisterait donc à mettre en évidence que ce ne serait pas les super-pouvoirs et leurs effets qui seraient le message le plus intéressant, mais bien leurs causes. Les super-pouvoirs ne seraient que le développement de ressources pour, non seulement surmonter, mais sublimer la déficience. Quelle journée, mes amis! Post-scriptum: Le 27 janvier dernier, dans le cadre du très réputé Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême, a été remis le premier trophée «Les Bds qui font la différence» traitant des personnes avec handicap. Les lauréats sont Zidrou et Jordi Lafebre pour leur album «Lydie» édité par Dargaud, en 2010.

Un des héros de Marvel, Daredevil, aveugle et profondément névrosé… http://kebawe.com/bullons/20040817.shtml

J’utilise ce terme en guise de clin d’œil à l’émission «Singularités» paraissant sur le canal «Léman Bleu», produite par l’Atelier Ex&Co, du service de la formation et de la production vidéo de la Fondation Clair Bois. Le Service forme des personnes avec handicap à la fonction d’assistant vidéo polyvalent. 1

STICKER Henri-Jacques, Les fables peintes du corps abîmé, Editions du Cerf, Paris, 2006 2

Pascal Duquenne avait obtenu ce prix conjointement avec Daniel Auteuil pour le film «Le Huitième Jour» de Jaco Van Dormael 3

«Yo También» (Moi aussi), film d’Alvaro Pastor et Antonio Naharro (2010). Le film relate la vie sentimentale de Pablo Pineda, personne trisomique et Bachelor en psycho-pédagogie de l’Université de Malaga 4

«Freaks», tourné en 1932 a été ignoré jusqu’en 1969 avant qu’il ne connaisse un succès fulgurant et devienne un film culte. La galerie de phénomènes de foire présentée par Browning ne visait qu’à proposer la thématique suivante: C’est le regard porté sur les êtres qui en fait des monstres, qu’ils soient des personnes ordinaires ou difformes 6 Association «Sans Tambour Ni Trompette», France, contact@stnt.asso.fr 5

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Interface

Entre crainte, opportunité et chance

L’intégration de personnes mentalement handicapées dans les structures d’accueil valaisannes de la petite enfance Doriane Bitz Beuché*, Sion

Notre société est-elle prête à donner toutes leurs chances aux personnes avec un handicap mental... Y compris celle de s’occuper de ses enfants? Le travail de recherche de Doriane Bitz Beuché «Entre crainte, opportunité et chance» tente de répondre à cette épineuse question...

*Bitz Beuché Doriane: Mémoire de fin d’études pour l’obtention du diplôme ESTS d’éducatrice de l’enfance. Janvier 2010

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«Imaginons… Imaginons un moment que nous soyons nés, vous et moi, avec un handicap mental. Cela aurait pu nous arriver, après tout …»1. Oui! Imaginonsle! Tout un chacun peut être confronté dans sa vie à une situation de handicap mental, que ce soit à titre personnel ou dans son entourage. Comment vivrionsnous le regard de l’autre et quels seraient nos besoins et nos attentes dans notre vie quotidienne? En août 2007, lors de mon engagement à la Pouponnière valaisanne de Sion comme éducatrice en cours d’emploi, j’ai été intégrée à un groupe dans lequel une jeune fille, avec un handicap mental, Katia, effectuait un stage mis en place par la Fondation valaisanne en faveur des personnes handicapées mentales (FOVAHM) depuis près d’une année. Le stage s’est révélé si positif que la Pouponnière l’a engagée au sein de son personnel éducatif, elle a également changé de groupe pour travailler avec des enfants plus grands (de 18 mois à 3 ans). En 2009, une autre jeune fille en situation de handicap, Jessica, a manifesté l’intérêt d’effectuer un stage auprès des enfants. Après une période d’essai de 3 mois, elle a également été engagée et travaille actuellement dans un groupe d’enfants âgés de 12 à 18 mois. Cette expérience m’a montré que des personnes avec un handicap mental léger peuvent être autonomes et capables de mener une activité professionnelle. Malgré leur handicap, elles ont des compétences et des aptitudes pour intégrer le monde du travail, tel que celui de la petite enfance par exemple. Je me suis donc intéressée par le biais de mon mémoire, à découvrir si d’autres structures d’accueil en Valais étaient ouvertes à l’idée d’engager des personnes en situation de handicap et de quelle manière cette possibilité était accueillie. Pour cette recherche, je me suis approchée de 21 crèches du Valais romand. Avec des

questions spécifiques pour le personnel éducatif et pour la direction; 16 structures d’accueils ont répondu favorablement à mes questions. Leurs réponses sont hypothétiques, car aucune d’entre elles n’a, au sein de son équipe, du personnel avec un handicap mental. Cette étude fait ressortir que la plupart des personnes, autant pour le personnel éducatif que pour les directions, connaissent des personnes handicapées, soit par le biais professionnel ou par celui de la famille et des amis. En revanche, seule une petite minorité a déjà entendu parler d’intégration professionnelle en entreprises, sans pour autant connaître le projet Plate-forme: offre de soutien en entreprise créée en 2006 par la FOVAHM. Celle-ci a pour but de faire le lien entre les entreprises privées et les personnes en situation de handicap. La quasi-totalité des personnes questionnées pense que l’intégration des personnes en situation de handicap dans les crèches permettrait aux enfants de se socialiser avec des personnes différentes. Une grande partie pense que cela permettrait la reconnaissance et la valorisation des personnes en situation de handicap et qu’elles pourraient s’intégrer professionnellement et socialement, la moitié suppose que cela amènerait un plus dans l’équipe de travail. D’un autre côté, il ressort également une crainte que l’intégration d’une personne en situation de handicap amène une charge de travail supplémentaire et qu’il puisse y avoir une peur des parents de confier leur enfant à un groupe où collabore une personne handicapée. Une minorité affirme que cela amènerait des coûts supplémentaires. Seules 2 personnes présument que les enfants pourraient avoir une crainte vis-à-vis du handicap et ne savent pas quel travail pourrait faire la personne en situation de handicap. Mis à part ces appréhensions, 12 directeurs-trices de crèches seraient favorables


à l’engagement d’une personne avec un handicap dans leurs structures. Le domaine varie entre une place de travail auprès des enfants et un emploi dans le domaine de l’intendance. Pour le personnel éducatif, leurs réponses sont également favorables quant à la collaboration avec une personne en situation de handicap, malgré les craintes d’un surcroît de travail, et/ou d’un accompagnement trop lourd pour l’éducatrice en plus de son travail auprès des enfants.

Evidemment, l’intégration d’une personne en situation de handicap nécessite une prise en charge spécifique. Je peux à ce titre, témoigner de mon expérience de collaboration avec deux personnes en situation de handicap au sein de la Pouponnière. Au début de l’intégration, il est vrai que cela demande des aménagements; il faut notamment évaluer les capacités de la personne. Après un premier temps d’adaptation de la part des enfants, de la personne en situation de handicap et de l’équipe éducative, l’apprentissage des tâches à effectuer peut commencer. Je pense qu’il est important d’adapter le travail au handicap rencontré. Il est illusoire de vouloir dresser des standards pour les personnes en situation de handicap. Pour se donner toutes les chances de réussite, il est primordial d’avancer étape par étape. Il faut accepter d’être bousculé, de se remettre en question, de s’adapter au jour le jour, d’accepter un autre regard, une autre manière de faire. Une fois que les tâches ont été assimilées et comprises par la personne en situation de handicap, celle-ci apporte une aide appréciable. Les parents sont informés de la situation, à ce jour, nous n’avons jamais eu de remarques, d’appréhension ou de craintes formulées sur le fait qu’une personne en situation de handicap puisse s’occuper de leur enfant. Bien au contraire, ils se montrent très ouverts, encourageants et bienveillants. Jessica travaille dans le groupe Nursery depuis une année et demie; son évolution a été progressive et encourageante. Chaque jour, sa présence apporte une couleur différente. Quelquefois souriante, pétillante, enthousiaste, surprenante dans certaines initiatives, bluffante dans certaines réflexions, endurante et tenace lors de situations difficiles. Parfois tête en l’air, oubliant les tâches à faire, il faut quelquefois lui redire les choses. Mais cette situation est plutôt rare et dans l’ensemble, tout se passe très bien. Jessica

arrive toujours avec le sourire aux lèvres et heureuse de retrouver les enfants qui le lui rendent bien d’ailleurs. Elle est très douce et attentive auprès des enfants et comprend assez bien leurs besoins. Bien qu’elle ne puisse pas rester seule avec les enfants et qu’elle n’ait pas de responsabilités, elle apporte de l’aide autant dans la prise en charge des enfants que dans les tâches ménagères. Quant à Katia, elle travaille toujours dans le même groupe, au secteur Crèche, depuis 3 ans. Son travail est très apprécié et donne pleinement satisfaction. Sa motivation

est toujours intacte et c’est avec un grand plaisir qu’elle s’occupe des enfants chaque jour. Chaque semaine la personne qui s’occupe d’elles au projet Plate-forme passe à la crèche pour voir comment se passe l’intégration et, une fois par mois, un bilan est établi avec des objectifs. Plate-forme est d’un grand soutien, tant pour Katia et Jessica que pour l’équipe éducative. L’intégration professionnelle des personnes en situation de handicap est importante tant pour eux que pour nous, car nous pouvons en tirer des bénéfices et apprendre les uns des autres. Je pense que la société actuelle évolue. De plus, il me semble important, dans ma profession d’éducatrice, d’amener les enfants à côtoyer la diversité et la différence, quelle qu’elle soit. «Si l’enfant est familiarisé avec la diversité, alors il n’y trouvera rien de choquant ni d’étrange quand il la rencontrera à nouveau. Notre souhait le plus cher est que les enfants apprennent à respecter la diversité et pas seulement à l’accepter. Ce n’est qu’en étant familiarisé avec cette diversité qu’ils pourront apprendre à la respecter (et de ce fait à la tolérer)»2. J’espère que l’expérience de la Pouponnière ainsi que mon travail de recherche inviteront des entreprises et les structures d’accueil à ouvrir leurs portes non seulement aux enfants en situation de handicap, mais également à des adultes en situation de handicap désireux d’intégrer le monde professionnel. C’est un bel apprentissage de vie. PERFUMO Julien; Voulez-vous de nous?; page 15 VANDENBROECK Michel; éduquer nos enfants à la diversité; Ed. érès 2005; page 200 1

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Photos: Doriane Bitz Beuché: Jessica au travail

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Les Infos d’ AGILE

Les hautes écoles pénalisent les étudiants avec handicap Mélanie Sauvain, secrétaire romande, AGILE Entraide Suisse Handicap

Une étude commandée par AGILE Entraide Suisse Handicap montre que la route est encore longue pour que les hautes écoles soient accessibles aux personnes handicapées. Les auteurs de l’étude «Hautes écoles sans obstacle: état des lieux» émettent une série de recommandations, dont celle d’encourager une compréhension du handicap qui englobe tous les types d’atteintes. La plupart des hautes écoles et universités en sont encore au stade des balbutiements en matière d’accessibilité universelle. La majorité des institutions, interrogées par les chercheurs de la Haute Ecole des sciences appliquées de Zurich (ZHAW) dans le cadre de cette étude, n’ont par exemple pas de personne de contact pour les étudiants avec handicap. Et lorsqu’elle existe, cette personne est méconnue du public en raison d’un manque de communication. L’accessibilité architecturale aux bâtiments est, elle, plus ou moins bonne selon les hautes écoles. Peu nombreuses sont celles qui fournissent des informations détaillées, comme un plan d’accès avec mention des ascenseurs, des escaliers, des toilettes, des places de parc, etc. La bonne nouvelle se trouve au niveau de la compensation des inégalités. La majorité des hautes écoles permettent aux étudiants avec handicap de passer leur examen dans des conditions similaires aux autres. Un aveugle par exemple pourra obtenir les documents d’examen en braille. Rares sont toutefois les institutions qui généralisent cette compensation des inégalités au point qu’elle ne doit être demandée qu’une seule fois pour toute la durée des études. L’enquête de la ZHAW montre également que la notion de handicap est avant tout associée au fauteuil

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roulant. Le personnel connaît peu la problématique des autres handicaps. Il apparaît aussi que lorsque les hautes écoles thématisent l’égalité, elles ne pensent pas explicitement aux personnes avec handicap. L’accès aux hautes écoles pour les personnes handicapées est pourtant indispensable pour garantir leur participation à la société. Les auteurs de l’étude recommandent aux hautes écoles de définir une personne ou un service de contact pour les étudiants avec handicap et de développer les échanges entre elles. Les hautes écoles doivent aussi penser «tout handicap confondu», c’est-àdire encourager une compréhension qui englobe tous les types d’atteintes pas seulement celles physiques. L’étude «Hautes écoles sans obstacle: état des lieux» de la ZHAW constitue la première partie du projet «Accès aux hautes écoles pour les personnes handicapées en Suisse; situation actuelle et perspectives», lancé par le Conseil Egalité Handicap sous la responsabilité d’AGILE. Quatre hautes écoles (spécialisées ou pédagogiques) et universités sur cinq ont pu être intégrées au sondage représentatif. Le projet est soutenu financièrement par le Bureau fédéral pour l’égalité des personnes handicapées (BFEH).

Les experts de l’égalité! Près de 800’000 personnes avec un handicap physique, mental ou psychique vivent en Suisse, soit plus de 10% de la population. Leur égalité ne va pourtant pas (encore) de soi. Pour pallier cette lacune, AGILE a créé en 2004 le Conseil Egalité Handicap, sorte de forum de réflexions pour toutes les questions liées à l’égalité des personnes avec handicap. Il est constitué de personnes concernées, véritables experts dans le domaine handicap et égalité. En janvier, deux nouveaux membres romands, Eva Hammar-Bouveret et Pierre Margot-Cattin, se sont joints à l’équipe pour mettre en œuvre un nouveau concept. Le Conseil Egalité Handicap a pour but de développer des visions et d’élaborer des concepts et des positions tout handicap confondu. Il transmet ensuite ses revendications aux organisations, aux autorités, aux politiques et à la société. L’instance est composée de six membres qui représentent différents groupes de handicap et toutes les régions linguistiques. Il se réunit environ cinq fois par année.

AGILE Entraide Suisse Handicap fête cette année ses 60 ans. Elle regroupe et représente en tant que faîtière plus de 40 organisations d’entraide et de proches de personnes handicapées, tout handicap confondu. Ses priorités sont la sécurité sociale, l’intégration, l’autodétermination et l’égalité des pesonnes vivant avec un handicap.

www.agile.ch


Sélection

Loïc Diacon, responsable infothèque, Haute Ecole de Travail social (IES), Genève

Devenir parents d’enfants sourds aujourd’hui: actes de la journées d’études du 7 novembre 2009 Groupe d’étude et de recherche sur la surdité (Paris) Paris: L’Harmattan, 2010

Si devenir parent d’enfant sourd n’a jamais été simple, aujourd’hui c’est encore plus complexe. Qu’en est-il du parcours chronologique des parents durant le laps de temps très court d’environ deux ou trois mois qui suit la suspicion de surdité? Quelles décisions à prendre? Ce numéro de CONTACTS donne la parole aux parents afin qu’ils nous disent, eux les principaux intéressés, comment ils ont vécu cette période. La parole est aussi donnée aux professionnels les premiers rencontrés, médecin ORL, audioprothésiste, psychologue, pour qu’ils exposent comment ils conçoivent leur rôle. Nous verrons qu’annoncer une surdité n’est pas si aisé pour le médecin et devrait obéir à certaines règles éthiques; que pour les parents, entendants et sourds, de très nombreuses questions surgissent. Ils doivent intégrer des notions nouvelles, les assimiler. Ils ont à annoncer la surdité à leur conjoint, parfois à leurs autres enfants, à leur famille proche, aux amis. Ils doivent prendre des décisions, faire des choix éducatifs, alors qu’ils n’ont aucune expérience. Les parents sourds, face à leurs enfants entendants, ont eux aussi des interrogations. Nous verrons aussi que ces premières rencontres particulièrement décisives pour la suite entre parents et professionnels de la surdité, entendants ou sourds, sont pleines d’embûches. Projet de vie pour les malades Alzheimer et leurs familles: ateliers de création Amy Barré Toulon; Presses du Midi 2010

Récit d’activités réalisées avec des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer dans le cadre d’ateliers d’expression. Le mime, le dessin, la peinture, le modelage de l’argile, la mosaïque, la musique, la danse ou le jardinage sont utilisés pour activer la mémoire et faciliter l’évocation des épisodes passés. L’émergence d’émotions permet ainsi de favoriser le travail mnésique. L’expérience a déjà prouvé au cœur des accueils de jour, des séjours de vacances, des ateliers d’expression, que l’échange est toujours possible, même si la mémoire s’effiloche, car l’empreinte des débuts de la vie nous permet d’y rejoindre ceux qui désirent

ÊTRE, même s’ils ne savent plus très bien FAIRE. En effet, le désir de communiquer, de transmettre l’histoire de sa propre vie dans le fil de l’histoire, est un appel au respect de «l’idée de soi» du malade Alzheimer, une volonté de ne pas rompre le lien sur le chemin de l’humanité et de la mémoire-émotion. La communication devient regards, gestes, musiques de la voix, retour au corps par des massages, par la danse… Ecouter, comprendre, encourager: l’approche centrée sur la personne Marlis Pörtner Lyon : Chronique sociale, 2010

Voici donc, traduit en français, un ouvrage riche, parfois bouleversant, qui se centre sur les potentialités et les ressources des personnes en situation précaire plutôt que sur les diagnostics, les plans de traitement, les conseils psycho-éducatifs. Et qui tient compte, en même temps, du bien-être souvent malmené des soignants au sein des institutions (violence, épuisement, implication trop grande, burn-out). Avec subtilité et justesse, Marlis Pörtner a adapté à ce type de population et au travail des soignants le postulat de base et les attitudes fondamentales de l’Approche centrée sur la personne (C. Rogers). Sans oublier l’apport considérable de Garry Prouty qui a proposé, avec la pré-thérapie, une méthode pour entrer en contact avec des personnes «considérées comme incapables de vie relationnelle».Elle a observé dans sa pratique que l’Approche centrée sur la personne permet notamment «d’améliorer la qualité de vie des personnes concernées, d’élargir leur possibilité de choix, de faciliter le travail des soignants et de l’aménager de manière satisfaisante, de limiter les conséquences négatives d’une rotation élevée du personnel, de prévenir le burn-out». Ce livre invite les professionnels qui sont en contact quotidien avec des personnes adultes ayant un handicap mental, des personnes dépendantes ou des adolescents au comportement difficile, à ouvrir leur champ relationnel et à oser faire suffisamment confiance aux patients pour inventer leur chemin, à «laisser vivre leurs pas» même si ce sont des petits, tout petits pas. Si ceux-ci ne correspondent pas à ce qui peut être attendu, au moins prouvent-ils «la capacité de faire des pas» et «la potentialité d’autres pas». Le livre fournit aussi au lecteur des outils concrets qui ont prouvé leur utilité sans pour cela être normatifs ni une entrave à la spontanéité. Chacun est invité à réfléchir à la manière dont il peut «transposer l’Approche centrée sur la personne dans son propre champ professionnel». (Extrait de l’avantpropos)

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Séminaires, colloques et formation

Actualisation du potentiel adaptatif de la personne Une approche gagnante pour le traitement des troubles graves du comportement chez des personnes cérébro-lésées

Intervenant: Jean-Pierre Robin HEF-TS, Givisiez 2 et 3 mai 2011 Délai d’inscription : 31 mars 2011

Les troubles de l’attachement Leurs conséquences sur la vie entière de la personne handicapée ou en difficulté Intervenant: Dr Michel Lemay 9 et 10 mai 2011 Cours Améthyste No 410 Renseignements et inscriptions: Christiane Besson, Impasse de la Dîme CH - 1523 Granges-près Marnand Tél. +41 26 668 02 78 - chr-besson@bluewin.ch

Plans d’intervention individualisés (PII) élaborés à partir du PPH

Au-delà des positions radicales, l’autisme

Intervenant: Jean-Pierre Robin HEF-TS, Givisiez 5 et 6 mai 2011 Délai d’inscription: 31 mars 2011

Intervenant: Dr Michel Lemay 12 et 13 mai 2011 Cours Améthyste No 412

L’accompagnement socio-éducatif d’adultes Maltraitance - Bientraitance Intervenants: Marie-Ange Terrier et Ralph Agthe HEF-TS, Givisiez 17 et 18 mai 2011 Délai d’inscription: 15 avril 2011 Pour tous les cours renseignements et inscriptions: Contact: Chantal Caille Jaquet – 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch - www.hef-ts.ch

Mieux comprendre les formes d’intervention

Renseignements et inscriptions: Christiane Besson, Impasse de la Dîme CH - 1523 Granges-près Marnand Tél. +41 26 668 02 78 - chr-besson@bluewin.ch

Congrès suisse de pédagogie spécialisée 2011 du 31 août au 2 septembre 2011 Unitobler, Berne

Quand un comportement dérange Expliquer, comprendre, agir

Dans le cadre «World Social Day 2011» la Haute Ecole fribourgeoise de travail social vous invite à la journée de réflexion Handicap, Autodétermination et Convention relative aux droits des personnes handicapées (ONU 2006) Mercredi 16 mars 2011 de 9 h à 17 h HEF-TS, rue Jean-Prouvé 10, 1762 Givisiez ENTREE LIBRE (inscription obligatoire) Contact: Chantal Caille Jaquet – 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch - www.hef-ts.ch

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Du jardin d’enfants à l’école, comme dans les institutions, les professionnel-le-s sont confronté-e-s à des comportements agressifs, des provocations, des incivilités. Ce phénomène se manifeste aussi dans le cadre de l’intégration d’élèves ayant des difficultés de comportement ou chez des adultes en situation de handicap exerçant de l’agression contre eux-mêmes ou contre autrui. De telles situations représentent aujourd’hui un défi pour les professionnel-les, les personnes concernées et leur entourage.

Conférences principales de: Allan Guggenbühl, Anton Strittmatter, Birgit Herz, Myriam Squillaci Lanners, Lise Gremion, Marc Getzmann et beaucoup d’ateliers intéressants Inscription en ligne: www.csps.ch/congres Adresse de contact: Centre suisse de pédagogie spécialisée SZH/CSPS, Maison des cantons, 3011 Bern kongress@szh.ch / 031 320 16 60


Je suis un jeune homme de 48 ans, gentil, affectueux et calme. J’aimerais beaucoup partager une amitié avec une femmme, pour ne plus être seul. Ce serait formidable de partager des sorties cinéma, repas et baignades ensemble! Je me déplace en transports publics.

Mon nom est Olivier et j’ai 27 ans. J’ai un léger handicap, mais je suis bien autonome. Je vis seul en appartement et je peux même conduire! Mon rêve est de connaître une jeune femme qui aimerait passer du temps avec moi, qui suis tranquille, mince, avec un regard aimable et qui a de belles idées de sorties.

Merci d’écrire à: Monsieur Jean-Noël Bernet Maison Pâquerettes, Aigues-Vertes 1233 Bernex

Si tu as entre 25 et 35 ans, merci de me contacter Tél. 076 529 95 00 (de 18 h à 22 h 30) ou de m’envoyer un sms. Merci. Je me réjouis beaucoup!

Surtitrage pour les personnes malentendantes Le Département de la culture de la Ville de Genève, en partenariat avec le Swiss TXT, propose une série de spectacles surtitrés dans plusieurs théâtres genevois. De janvier à juin 2011, quatre pièces sont ainsi accessibles aux personnes atteintes de troubles auditifs. Un écran de surtitrage ou de soustitrage projette le texte adapté de la pièce, en même temps que celui-ci est dit sur scène par les comédiens. Informations pratiques:

Je m’appelle Laurent. Je travaille à la cité du Genévrier dans deux ateliers différents. J’aime beaucoup la marche à pieds, mais j’ai une mobilité restreinte. J’aime la musique et la disco; j’aime aussi regarder des DVD à la télé ou sur mon ordinateur et j’aime bien manger. Je souhaiterais rencontrer un homme qui soit sur la même longueur d’ondes que moi. J’attends inmpatiemment une réponse...

www.ville-geneve.ch/culture, rubrique Handicap & culture; Projets Théâtre en Cavale à Pitoëff: 079 759 94 28: www.Cavale.ch Le Poche Genève: 022 310 37 59: www.lepoche.ch Théâtre de Carouge: 022 343 43 43

Mon adresse: Cité du Genévrier Fondation Eben-Hézer Amour au quotidien 1806 Saint-Légier Tél. 021 925 74 94

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