PAGES ROMANDES -Question(s) de bénévolat

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No 2 juin 2011

Question(s) de bénévolat



Sommaire

Impressum Pages romandes Revue d’information sur la déficience intellectuelle et la pédagogie spécialisée, éditée par la Fondation Pages romandes, Institution de l’Espérance, 1163 Etoy

Dossier:

Conseil de Fondation Président : Charles-Edouard Bagnoud Rédactrice et directrice de revue Secrétariat, réception des annonces et abonnements Marie-Paule Zufferey Avenue Général-Guisan 19 CH - 3960 Sierre Tél. +41 (0)79 342 32 38 Fax +41 (0)27 456 37 75 E-mail: mpzu@netplus.ch www.pagesromandes.ch Comité de rédaction Membres: Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga, Sébastien Delage, Olivier Salamin, Cédric Blanc, Michèle Ortiz, MariePaule Zufferey Responsable de publication: Charles-Edouard Bagnoud Parution: 4 numéros par an Mi-mars, mi-juin, fin septembre, mi-décembre Tirage minimal: 800 exemplaires Abonnement annuel Suisse AVS, étudiants Abonnement de soutien Etranger

Fr. Fr. Fr. Euros

45.-38.-70.-35.--

Question(s) de bénévolat

2 Tribune libre Jean-Marc Richard

3 Editorial Marie-Christine Ukelo 4 Le bénévolat à l’honneur Marie-Paule Zufferey

6 L’année européenne du bénévolat Latha Heiniger 8 Bénévoles et professionnels Géraldine Michaud

10 Handicap et bénévolat Myriam Lombardi

Publicité et annonces - Tarifs 1 page Fr. 800.-1/2 page Fr. 500.-1/4 page Fr. 250.-1/8 page Fr. 125.-1/16 page Fr. 50.-Tarifs spéciaux pour plusieurs parutions Les demandes d’emploi provenant des étudiants des écoles sociales romandes sont gratuites

11 Rencontre avec des bénévoles d’AGIS Michèle Ortiz

Délai d’insertion 3 semaines avant parution

14 De la gratuité du don de soi au bénévolat Michel Ortiz

Compte bancaire Banque cantonale du Valais, 1951 Sion En faveur de K0845.81.47 Pages romandes Compte 19-81-6 Abonnement pour la France: faire parvenir vos coordonnées et votre règlement par chèque bancaire à: Jean-François Deschamps 108, rue Ire Armée F - 68800 Thann Graphisme Claude Darbellay, www.saprim.ch Mise en page Marie-Paule Zufferey

13 Peu de bénévoles pour la Fondation Ensemble, à Genève Jérôme Laederach

16 Le bénévolat, une soif de militantisme? Entretien avec Nicolas Borsinger 18 Le philanthrope et la besogne Jean Lambert 21 Internet, un outil d’aide à la co-création Frédéric Sidler

Impression Espace Grafic, Fondation Eben-Hézer, 1000 Lausanne 12

22 Le bénévolat, une poignée d’humanité Note de lecture, Claude Luezior-Dessibourg

Crédits photographiques et illustrations Robert Hofer, Fotolia, AGIS, Ex Aequo, Sébastien Gollut, Amélie Buri, Nicolas Borsinger

23 Sélection Loïc Diacon

Photos de couverture: Robert Hofer, Sion

24 Séminaires, colloques et formations

N.d.l.r.: Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. La présentation, les titres et les intertitres sont de la rédaction. La reproduction des textes parus dans Pages romandes est souhaitée, sous réserve de la mention de leur source. ©Pages romandes


Tribune libre Etre bénévole, c’est être, tout simplement Jean-Marc Richard, animateur et producteur RTS (Genève) et ambassadeur bénévole des droits de l’enfant en Suisse

Un jour dans une conférence, une femme pleine de certitudes s’est levée et a affirmé de manière péremptoire «qu’on ne peut aider les autres que si l’on est en harmonie avec soi-même». Le philosophe Alexandre Jollien qui se trouvait à mes côtés s’est alors levé d’un bond et lui a répondu: «Madame, pensez-vous que lui - en me désignant - et moi, nous sommes en harmonie avec nous-mêmes, alors que nous ne savons même pas ce que veut dire harmonie? Non, nous sommes simplement en joie et la joie mène au bonheur et surtout à l’ouverture totale aux autres et un peu à soi-même... Si nous devions attendre cette harmonie, jamais nous ne pourrions nous engager.» J’ai retenu une leçon de vie qui peut s’appliquer au bénévolat: toutes les petites gouttes d’eau constituent les unes et les autres un océan; chacune a sa raison d’être mais ensemble, elles constituent l’essence absolue de la vie. Ainsi, chaque bénévole ici ou ailleurs - car il ne faut pas croire que c’est l’apanage des riches et des aisés - joue un rôle essentiel pour l’équilibre de la vie. Chaque petite goutte d’eau que nous sommes mérite le respect et l’admiration mais surtout la reconnaissance. C’est bien là la seule vraie question: comment dire merci? Simplement en reconnaissant chaque engagement comme une goutte d’eau dans la mer... Du reste, la mer n’est faite que de gouttes d’eau, mais une goutte dont la valeur est la vie et l’amour. Merci.

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Parler aujourd’hui de bénévolat, c’est aussi banal que d’évoquer le réchauffement de la planète ou la mort des poissons dans le Doubs. Tout le monde en parle. Pourtant en parlant de bénévolat on véhicule facilement des idées reçues et dangereuses pour les bénévoles que nous sommes tous. Dire bénévole c’est évoquer l’engagement bien plus que l’amateurisme. C’est aussi dire le peu de reconnaissance dont les bénévoles bénéficient. C’est oser affirmer qu’être bénévole, c’est être tout simplement. Sommes-nous bénévoles pour une cause, pour les autres, pour nous-mêmes? Sommes-nous bénévoles pour cacher une souffrance, oublier une déception, éviter la solitude, être aimé ou aimer? Sommes-nous bénévoles pour plus tard ne plus l’être? Pour donner un sens à notre vie ou à celle de nos proches? Sommes-nous bénévoles par égoïsme ou par générosité; avec le cœur ou avec la tête? Sommes-nous bénévoles pour dire non à la mort ou pour mieux l’accepter? Nous sommes bénévoles, un point c’est tout. Trop de questions encombrent le chemin de cet engagement; trop de questions ralentissent la progression de notre engagement et créent le doute, parfois même le renoncement et le découragement. Alors aujourd’hui et demain, il faut laisser les questions au placard du passé.


Edito

Profession, bénévole? Marie-Christine Ukelo Mbolo Merga, membre du comité de rédaction de Pages romandes

Ce numéro de Pages romandes se veut une caisse de résonance à la célébration européenne qui consacre cette année 2011 au volontariat et au bénévolat. Revenir aux fondamentaux du bénévolat, à ses valeurs; déconstruire les idées fausses, pas vraiment justes et peut-être pas complètement fausses qui soustendent le concept, tenter de répondre aux questions récurrentes, voire redondantes qui tissent parfois les pièges des représentations par rapport à ce statut, tels sont les objectifs de ce dossier. La personne de bonne volonté (en lien avec l’étymologie du terme) n’est pas uniquement une personne qui a du temps et qui le met au service d’autres et/ou du bien commun. Le bénévole est parfois quelqu’un qui n’a pas de temps, et qui le met quand même à disposition de la collectivité!1 Quant à la question des limites de l’action bénévole, elle est une constante. Comme si, dans cette bonne volonté qui s’exhibe, il y avait d’emblée quelque chose de suspect, qui exige une explication. L’autre thématique est celle de l’opposition - du moins apparente - entre les bénévoles et les professionnels. La contribution de Mme Michaud, coordinatrice du bénévolat à Lavigny, nous montre en quoi la clarification des rôles, fonctions et champs de responsabilités est un processus constant, qui nécessite des espaces de négociations (pp. 8-9). Il semble plus créatif et mobilisant d’identifier les points de tensions entre les logiques de l’action bénévole et celles des interventions professionnelles. Ces logiques en présence sont mises en évidence par Latha Heiniger, secrétaire générale Bénévolat-Vaud, renforçant ainsi la valeur du travail bénévole. En raison de la complexité ambiante, la réalisation des missions exige de la part des bénévoles des compétences fortes, une importante structuration

de leur travail. Il y a là le renforcement d’un paradigme, celui du bénévole professionnel, qui pourrait encore prendre d’autres contours dans le futur. Ces termes, apparemment antinomiques, peuvent-ils fonctionner ensemble? Les bénévoles sont souvent présentés comme des «non professionnels» (non contractualisés et non rémunérés), mais ils aspirent et revendiquent pour certains «la capacité d’agir dans des situations professionnelles complexes». De fait, par la nécessité de transmettre les ressources qui permettent d’agir de façon professionnelle, les milieux associatifs deviennent des lieux de transmission et d’apprentissage qui construisent des dispositifs en conséquence. Quelques indicateurs de mutations nous donnent déjà des points de repère par rapport à ce nouveau profil de «bénévole». Le passage d’une logique du «don de soi», liée à des aspects plutôt religieux (mais pas nécessairement), au paradigme du «développement de soi», plus égocentrique, n’est pas à voir dans un versus négatif. Il s’agit d’un profil qui sera à même d’identifier ce qu’il souhaite développer en tant que personne, définir son projet, et comment il peut réaliser son propre projet à travers une action bénévole et ceci, sans complexe. Sur un plan meso, et en lien avec un retrait massif de l’Etat dans l’espace public, des champs d’action et d’intervention de plus en plus larges, protéiformes et complexes sont laissés à la «charge» des engagements citoyens. L’avantage du mouvement associatif est reconnue de tous: il permet, avec passablement de souplesse, de révéler de nouveaux besoins et d’agir de façon souple et inventive. Cette souplesse, face à la complexité et à la démesure des champs qui s’ouvrent, au manque de moyens, s’est vue fragilisée, ce qui a eu pour effet, entre autres, une absence de «protection»

pour le bénévole. Protection, dans le sens où ce dernier n’a pas nécessairement les savoir-faire pour composer avec cet environnement en profonde mutation. Mais protection également, en raison d’une judiciarisation de la société qui pourrait mettre en difficulté les personnes œuvrant au sein d’une association. En raison de cette complexité, plusieurs constats tendent à démontrer que les associations «recrutent» leurs bénévoles sur la base de compétences spécifiques (pédagogiques, comptables, etc.) Le risque est important de voir des exigences fortes sur des personnes dont le statut reste précaire, ou de voir émerger une frange importante de bénévoles, dans les secteurs réservés aux professionnels. Au niveau macro, ces 15 dernières années ont vu l’émergence d’un monde de plus en plus globalisé avec des problématiques émergeantes neuves et volatiles, dont il est parfois difficile de cibler les actions à mener. Cette globalisation a des effets sur l’individu engagé ou qui souhaite le faire. Ainsi, la logique qui voulait qu’un bénévole, à travers un don de sa personne, porte sa contribution à une communauté, avec un sentiment à la fois d’ancrage et de prise sur son environnement semble s’étioler par certains aspects. Aujourd’hui, la carte sur laquelle le citoyen bénévole doit se situer est extrêmement large. L’action exercée au sein d’une association peut sembler dérisoire au vu de l’énormité de la mission. Le bénévole, devient citoyen engagé du monde. La perception de l’ancrage au local et du sentiment d’efficacité, s’en trouve forcément modifiée. Malgré tout, ou en raison de tout… Bénévolez-vous! Par exemple: ingénierie de la professionnalisation du secteur associatif. Source: Doit-on professionnaliser les bénévoles associatifs? / Juris associations n° 229 / 1er décembre 2000


Le bénévolat à l’honneur

Quelles manifestations pour quel concept? Marie-Paule Zufferey, rédactrice

Sur l’ensemble du territoire européen, près de 100 millions d’hommes et de femmes de tous âges investissent de leur temps, de leur talent et de leur argent pour apporter une contribution à la collectivité. Dans le but de mettre en lumière l’importance de cette participation civique, la Commission européenne a déclaré 2011 Année européenne du bénévolat. Un budget de 8 millions d’euros a été dégagé afin de célébrer ces citoyen-ne-s volontaires au travers de diverses manifestations. Et la Suisse dans tout ça?

«Action sociale, BENEVOLAT, choix, don, engagement, enthousiasme, enrichissement, entraide, gratuité, générosité, idéalisme, motivation, solidarité, valorisation, utilité...» Cet inventaire - non exhaustif - vient d’apparaître sur ma messagerie électronique. Bleus, rouges, roses ou verts, écrits en majuscules, Arial, Times ou Broadway, ces mots d’accroche du Docdactu de la Hets illustrent bien la diversité des approches possibles, s’agissant de la notion de «bénévolat». L’un des objectifs de la mise en lumière du volontariat par l’Union européenne est d’attirer l’attention de l’autorité politique sur ce pan important de notre économie. Si les statistiques donnent une idée de l’ampleur du phénomène en Suisse (voir les chiffres sur le tableau ci-contre), elles sont bien loin d’avoir recensé toutes les actions bénévoles qui ont lieu quotidiennement sur le territoire helvétique... Une grande partie d’entre elles ne sont encore ni connues, ni reconnues. (Par exemple, toutes celles concernant le travail dit «domestique», ainsi que certaines aides dispensées dans le cadre familial...). L’«année internationale des volontaires» proclamée en 2001 par les Nations Unies, avait déjà inspiré nombre d’interventions parlementaires demandant, qui un bonus AVS, qui une déduction fiscale du travail bénévole, qui des bons de formation ou des indemnisations financières. La réponse du Conseil fédéral à ces motions a mis en lumière les très nombreuses questions que soulève le thème du bénévolat, ainsi que la confusion qui règne à cet égard.

S’entendre sur une terminologie... Chaque région linguistique a son propre vocable pour parler de ce sujet. Le bénévolat (Suisse romande) devient «bürgerschaftliches Engagement» (engagement citoyen) en Suisse alémanique et «volontariato» au Tessin. Ces appellations recouvrent-elles les mêmes conceptions, la

même vision de l’aide apportée à autrui? Rien n’est moins sûr... «L’absence d’un vocabulaire uniforme complique le débat sur le thème du bénévolat, peut-on lire sur le rapport de l’OFS. Faute d’une terminologie claire, on en vient souvent à comparer des choses foncièrement différentes»1.

Le bénévolat, engagement citoyen ou travail gratuit?2 Le manque de clarté concernant ce concept n’est pourtant pas le seul fait de la langue. L’intransparence règne aussi à l’intérieur d’une même culture. «Il y a plusieurs définitions du travail bénévole - peut-on encore lire sur le document de l’OFS - qui toutes impliquent les notions de volontariat, gratuité, engagement Bénévolat en Suisse, quelques chiffres • Une personne sur quatre exerce au moins une activité non rémunérée dans le cadre d’organisations ou d’institutions (bénévolat dit formel), ce qui représente 1,5 million de personnes.; • 21% de la population rend des services à des tiers (bénévolat informel), ce qui correspond à 1,3 millions de personnes; • Le bénévolat représente ainsi en Suisse près de 700 millions d’heures par année; c’est presque autant que le volume de travail rémunéré de tout le secteur de la santé et des activités sociales (706 millions en 2006) • La proportion de personnes exerçant une activité bénévole ou honorifique est sensiblement plus élevée en Suisse alémanique qu’en Suisse romande ou au Tessin; • Les cantons du Tessin, de Genève, de Neuchâtel et de Vaud présentent les taux les plus faibles d’engagement volontaire. Ces chiffres sont xtraits de la brochure: «Le travail bénévole en Suisse», OFS, Neuchâtel 2008


S. Gollut

pour des tiers, organisation, etc. L’une des difficultés tient au fait qu’il existe toutes sortes de recoupements entre des activités professionnelles et diverses formes de travail extra-professionnel. Il y a notamment la question délicate de la «zone grise» entre bénévolat et travail mal rémunéré, qui résulte de nouveaux modes d’indemnisation du travail volontaire»1. Si donc il faut se réjouir de la reconnaissance accordée aux bénévoles à travers cette Année européenne qui leur est dédiée, il n’en faut pas moins se poser la question de la place assignée par notre société à ces prestations non (ou mal) rétribuées. Dans le contexte socio-politique actuel

(chômage, réductions des dépenses publiques), on peut légitimement craindre que l’encouragement au bénévolat de la part des autorités ne soit pas un acte purement humaniste... Faisant sienne la déclaration du Parlement européen selon laquelle «le potentiel d’activités volontaires demeure sous-exploité», les pouvoirs publics seront-ils tentés d’y voir là une opportunité de réaliser des économies, sous couvert de bons sentiments? Les motivations des bénévoles à s’engager sont d’un tout autre ordre. Ce numéro s’en fait l’écho.(pp. 11-12). Par ailleurs, certaines associations vivent de cette générosité: «Sans le travail bénévole, insieme n’existerait tout simplement pas» peut-on lire dans la dernière parution d’insieme suisse3. Cette Année européenne du bénévolat pourrait être l’occasion de «repenser ensemble l’espace du travail et celui de l’engagement», comme le suggère Maud Simonet, chargée de recherche au CNRS?4 Alors, place au dialogue...

Extrait de recherche: Eva Nadai, professeure à la Haute Ecole spécialisée Soleure Nord-Ouest de la Suisse. «Rapport sur le travail bénévole en Suisse», 2004; 2 «Le travail bénévole, engagement citoyen ou travail gratuit? La Dispute, coll. «Travail et salariat», 2010; 3 Revue insieme, No 1, mars 2011; 4 Humanité Dimanche, No 249. 1

Calendrier des manifestations organisées en Suisse Sous l’égide de Forum bénévolat.ch, plusieurs actions ont déjà eu lieu ou sont en cours: • Manifestation d’ouverture à Berne, le 4 décembre 2010 (journée internationale des bénévoles décidée par l’ONU); • Colloque national le 3 juin 2011; • Congrès international «Proches aidants», EPFL, du 13 au 15 septembre 2011; • Comptoir suisse de Lausanne, Journée du bénévolat, le 22 septembre 2011; • Les midis du bénévolat, de 12 h à 14 h, Frat’, place Arlaud: 5 septembre, 3 octobre, 7 novembre et 5 décembre 2011; • Manifestation de clôture le 5 décembre 2011. Liens utiles:

- L’année européenne du bénévolat: www.anneedubenevolat.ch - Le forum bénévolat.ch: www.forum-benevolat.ch - Le Groupe romand de promotion du bénévolat: http:/www.association-avec/_pages/4_lassociation/part_02.htm - Bénévolat-Vaud, Centre de compétence pour la vie associative: www.benevolat-vaud.ch

Poursuivre la réflexion «Vie sociale et traitements»: revue du champ social et de la santé mentale, n° 109 Professionnels, bénévoles Toulouse: Erès, 2011 Ce numéro interroge la place des bénévoles, des familles et des professionnels en prenant en compte les dynamiques des divers secteurs: bénévolat caritatif, place des associations d’usagers en psychiatrie, familles gestionnaires dans le médico-social, etc. La place respective des bénévoles, des familles et des professionnels est un débat permanent. Selon les secteurs, les dynamiques sont diverses: familles gestionnaires dans le médico-social; bénévolat caritatif, et maintenant humanitaire et militant autour du social; place grandissante des associations d’usagers en psychiatrie. Le bien des autres (social, psychique…) est-il de la seule compétence des professionnels de la profession? Et si la délégation à ces seuls professionnels était un des éléments indicateurs de la rupture du lien social? Mais si la place grandissante faite à d’autres était le remplacement du soin et de l’action par la seule compassion, soutenue par les figures de la responsabilité et de la culpabilité des individus? Sélection: Loïc Diacon. responsable infothèque, Haute Ecole de travail social (IES) Genève.


L’année européenne du bénévolat...

Ou le bénévolat dans tous ses états... Latha Heiniger, secrétaire générale Bénévolat-Vaud, centre de compétences pour la vie associative

Qui n’a pas déjà entendu ces phrases provocatrices sur le bénévolat? Le bénévolat est une main-d’œuvre gratuite! Le bénévolat donne bonne conscience! Le bénévolat vole des emplois! Le bénévolat permet à l’Etat de faire des économies! Le bénévolat n’est exercé que par des femmes riches qui ne savent pas quoi faire de leur temps! Il se pourrait qu’un jour un dictionnaire sur les représentations du bénévolat voie le jour mais avant cela, il est certain que le bénévolat aura la vie dure car une image désuète et peu sexy lui colle à la peau (dames patronnesses, concept du bon et du mauvais pauvre, charité pour les plus démunis, etc.). Je ne jette pas la pierre à ceux qui se demandent encore à quoi sert le bénévolat, car moi-même professionnelle dans ce milieu depuis six ans, j’y suis tombée un peu par hasard. Toutefois, il y a fort à parier que quasiment tout un chacun a exercé du bénévolat au moins une fois dans sa vie, sans même s’en rendre compte.

Une sorte de passerelle Pour ma part, le bénévolat est une sorte de passerelle entre les injonctions paradoxales créées par notre société moderne à savoir la quête de l’individualité et le modèle familial du bonheur fusionnel. Le bénévolat nous aide à nous forger une utilité sociale qui dépasse largement le projet capitaliste des pays occidentaux. Comme le définissent J.-P. Fragnière et P. Mermoud dans «Le temps des bénévoles», C.F.P.S., Sion, 1989 «Le bénévolat social recouvre l’ensemble des activités, quelque peu organisées, qui sont conduites par des individus ou des groupes agissant de leur propre initiative et sans perspective directe de rémunération, en vue d’apporter des solutions ou une aide destinées à la résolution de problèmes qui relèvent de l’action sociale et sanitaire. Si ces activités sont en général conduites de manière autonome, elles peuvent entretenir des liens structurels ou des rapports de complémentarité avec les institutions publiques ou privées des secteurs social et sanitaire, voire bénéficier de leur soutien».

Domaines privilégiés et conditions de l’engagement Le bénévolat en Suisse, comme chez nos voisins, c’est un habitant sur quatre qui s’engage bénévolement. L’enquête de l’Office fédéral de la statistique (OFS), «Le travail bénévole en Suisse», Neuchâtel, 2001, relève que la catégorie où les bénévoles sont les plus nombreux est celle des 4054 ans, que ces personnes possèdent des diplômes supé-

rieurs, qu’elles vivent en couple, qu’elles ont des enfants et qu’elles sont actives sur le marché du travail. Les sports et les loisirs attirent toujours plus. Suivent les domaines du social, de la culture et des arts, les Eglises, l’éducation et la recherche, l’environnement et les associations professionnelles. Il est intéressant de constater que le premier frein évoqué par beaucoup d’entre nous pour justifier son non-engagement dans le bénévolat est le manque de temps. Alors comment expliquer l’engouement relaté par l’OFS? De plus, pour s’engager il faut non seulement avoir confiance en soi, croire en ses compétences mais aussi avoir le sentiment de «faire partie» de la société. C’est dire si les mesures visant à faciliter les conditions permettant à chacun, quelle que soit sa situation économique et sociale, de s’engager bénévolement dans l’action de son choix sont primordiales (par exemple: encourager l’engagement bénévole des personnes au chômage, multiplier les lieux susceptibles d’informer, d’accueillir et d’orienter les bénévoles disponibles). Il en est de même des compétences influencées par des facteurs divers, en particulier le niveau de formation initiale et l’appartenance à certains groupes socioprofessionnels. «Mais ce n’est pas tout. Le bénévolat, on le sait, est une forme d’échange. Refuser de s’engager dans le bénévolat ou cesser de le faire, c’est considérer que la balance "coûts-avantages" est trop défavorable. Concrètement, les personnes qui s’engagent attendent des "retours". Par exemple, le sentiment "d’avoir prise" sur leur environnement, de se découvrir de nouvelles capacités, d’apprendre à mieux se connaître, de relever des défis personnels, de se sentir soutenus, valorisés, etc.». (Marie-Chantal Collaud, «Le bénévolat, pas sans moi», Action bénévole, 2001).

Aide aux bénévoles... Depuis bientôt deux ans, l’association Bénévolat-Vaud, Centre de compétences pour la vie associative, née de la fusion de l’association des Services bénévoles vaudois et de l’association AVEC, centre d’appui à la vie associative fin 2010, conduit une mesure de réinsertion pour des personnes au bénéfice du revenu d’insertion, afin de leur permettre de s’engager dans un projet associatif. C’est une forme d’initiation au bénévolat. En effet, il peut sembler étrange d’accompagner des personnes à découvrir le bénévolat, alors que celui-ci est censé être une activité qui se choisit librement, sans que personne n’y mette «son grain de sel». Alors pourquoi proposer ce type de coaching? Tout simplement pour faciliter le mise en lien entre bénévoles et associations qui ne se fait pas toujours de manière aisée,


au vu des conditions énumérées ci-dessus. Certains des participants à cette mesure ont partagé avec nous les «déboires» qu’ils ont vécus lorsqu’ils ont essayé, de leur propre initiative, de se trouver une activité bénévole. Nous savons tous qu’un bénévole peu satisfait aura de la peine à se réengager et partagera son mécontentement à quatre autres personnes!

Les organisations qui emploient des bénévoles ne semblent pas se porter mieux et paraissent quelquefois démunies quand il s’agit de donner sens à l’introduction et/ou à l’utilisation du bénévolat en leur sein. Elles doivent se justifier de travailler avec des bénévoles. Cette confusion fait la part belle à leurs détracteurs. C’est ainsi que certains tirent à boulets rouges sur les organisations qui rendraient trop séduisant l’engagement bénévole en offrant à cette maind’œuvre gratuite des contreparties alléchantes comme un billet de festival - pour ne citer qu’une affaire parmi d’autres - où le bénévolat est vu comme un dangereux concurrent... Au profit? À la liberté du commerce? À la créativité? Il ne faut pas croire que la vie du monde du bénévolat se déroule sur un long fleuve tranquille. Ce monde précisément est un marché concurrentiel tout aussi compétitif que celui de l’économie privée. Les organisations sans but lucratif - associations, fondations - s’arrachent le réservoir de personnes motivées à donner de leur temps sans contrepartie financière. En effet, certaines activités bénévoles sont plus attractives et plus valorisantes que d’autres. C’est ainsi que dans certaines institutions, il existe une liste d’attente pour faire du bénévolat; dans d’autres, un profil type de bénévole est recherché et dans d’autres encore le bénévole doit avoir des compétences hautement pointues, sans oublier qu’il est demandé aux bénévoles «cabossés par la vie» de passer leur chemin. L’association Bénévolat-Vaud prône un bénévolat pour tous. Toutefois, il est important que dans cette pluralité d’offres le citoyen trouve «chaussure à son pied» en s’adressant directement aux organisations qui cherchent des bénévoles et/ou en faisant appel à des lieux d’informations qui l’orientent et l’accompagnent dans ses démarches de recherche d’activité bénévole. De ce côté-ci, nous pouvons saluer tous les sympathisants et les protagonistes de la Constituante, grâce à qui le Canton de Vaud s’est doté en 2002 d’une nouvelle Constitution, dont l’article 70 intitulé «Vie associative et bénévolat» encourage les pouvoirs publics à soutenir et à promouvoir le bénévolat. C’est bien, mais ce n’est pas encore suffisant. Il manque à ce jour une coordination des organismes œuvrant dans ce domaine précis pour harmoniser des pratiques de recrutement et de formation des bénévoles encore fort disparates et qui tendent à favoriser les grosses organisations disposant de ressources humaines, matérielles et financières, au détriment de plus petites structures à domination bénévole. Mais ne perdons pas courage, car depuis plus d’une année maintenant, une députée a déposé une motion au Grand Conseil vaudois pour connaître ce qui est réellement accompli en matière de promotion et de soutien à la vie associative au sein des départements. Il se peut que ressorte de cet exercice une manière de penser, de réfléchir et de coordonner le bénévolat de manière créative facilitant le rapprochement en créant

Amélie Buri

Le bénévolat, une concurrence?

des synergies dans tous les domaines et auprès de tous les âges dans lesquels le bénévolat s’exerce et est présent (sport, culture, humanitaire, santé, social, écologie, etc.).

L’inventivité et la souplesse au service des besoins de concitoyens... Pour clore ce bref panorama du bénévolat 2011, j’aimerais revenir sur une de ces fameuses phrases polémiques citée en début d’article en mettant le focus sur des aspects peut-être peu connus par certains d’entre vous. Question: le bénévolat est-il une main-d’œuvre gratuite? Réponse: Sans le bénévolat, beaucoup de services dont dispose notre société ne pourraient être proposés, comme les repas à domicile et les transports de personnes à mobilité réduite, la garde d’enfants à temps restreint, les clubs de foot, etc. Aujourd’hui, ce travail fourni gratuitement représente 700 millions d’heures par année. Alors oui, ce sont des heures offertes gratuitement mais en aucune façon une main-d’œuvre exploitée car elle n’est pas de même nature que les activités professionnelles rémunérées. Ces activités bénévoles ont le mérite de proposer de manière souple et inventive des réponses à des besoins des citoyens non couverts par le marché privé et public. Il se peut qu’un jour, ces services ne soient plus portés par le monde associatif. Cela voudra dire deux choses. Soit le besoin est devenu tel que l’Etat le délivre lui-même, afin de garantir une couverture du besoin de manière plus performante et à moindre coût (le bénévolat a un coût!), soit le privé s’en est emparé pour le meilleur et espérons pas pour le pire! J’espère vous avoir donné envie d’en savoir plus sur le bénévolat et qui sait, envie de vous engager bénévolement? Si tel est le cas, je vous donne rendez-vous sur notre site www.benevolat-vaud.ch et dans nos bureaux qui se trouvent à deux pas de la gare1... 1

Centre de compétences pour la vie associative, avenue de Ruchonnet 1, Lausanne


Bénévoles et professionnels

Relations, statuts, fonctions et rôles Géraldine Michaud, coordinatrice du bénévolat, Institution de Lavigny, Morges

Bien que le ferment du bénévolat se retrouve dans son étymologie (benevollus - «bonne volonté»), la mise en place d’activités bénévoles au sein d’une structure médicale et/ou socio-éducative ne peut s’y limiter. En effet, afin que les rencontres entre bénévoles et personnes accueillies au sein d’une institution se fassent dans de bonnes conditions, de nombreux autres facteurs sont nécessaires. Un cadre de bénévolat clair, mais également une bonne relation entre les bénévoles et les différents professionnels de l’Institution sont ainsi des éléments essentiels.

L’Institution de Lavigny, établissement vaudois aux multiples missions, a fait le choix de promouvoir le bénévolat au sein de sa structure, et malgré les nombreux bénéfices de cette collaboration, des difficultés peuvent également apparaître. Cet article a pour objectif de réfléchir sur ces difficultés, qui souvent proviennent d’un manque de clarté autour du rôle et du statut des bénévoles et des professionnels.

Le bénévolat à l’Institution de Lavigny Agée de plus de 100 ans, La Fondation «Institution de Lavigny» est une structure multidisciplinaire et multisite qui réunit un ensemble de compétences propres à assurer une prise en charge de qualité. Elle accueille aujourd’hui des élèves en enseignement spécialisé, des patients en neuroréhabilitation, des personnes en situation de handicap et ce, sur trois sites différents (Lavigny, Morges et Lausanne). Afin de permettre aux résidents et aux patients de l’Institution une ouverture sur le monde extérieur, et de vivre des moments d’échange et de partage avec d’autres personnes que les professionnels ou la famille, l’Institution de Lavigny peut compter sur le soutien d’une septentaine de bénévoles, qui apportent un plus qualitatif aux prestations offertes. Les nombreuses activités bénévoles (accompagnement aux cérémonies œcuméniques, activités sportives ou de loisirs, animations d’ateliers, visites) sont coordonnées par deux responsables du bénévolat qui gèrent, entre autres, l’accueil et l’intégration des nouveaux bénévoles, leur suivi et tous les aspects administratifs y relatifs (comptabilité, statistiques, informations diverses, etc). Sur le terrain, les bénévoles travaillent en étroite collaboration avec le personnel d’accompagnement et de soins de l’Institution. Infirmiers-ères, éducateurs-trices, animateurs-trices sont en lien avec les bénévoles et participent activement à leur intégration et à la bonne marche de leurs activités.

Bénévole – professionnel, une relation en constante évolution Bien que semblable à tout lien relationnel, avec ses forces, ses fragilités et son besoin d’adaptation constant, la relation bénévole–professionnel relève également d’éléments plus spécifiques qui nécessitent d’être clarifiés. En effet, comme bénévoles et professionnels agissent sur le temps libre et de loisirs des personnes accueillies, une confusion des rôles peut parfois avoir lieu. De ce fait, il est important de pouvoir clarifier les différences de statut entre bénévoles et professionnels, ainsi que les objectifs du bénévolat, afin de favoriser la meilleure collaboration possible.

Des statuts différents Les bénévoles et les professionnels ont un statut différent au sein d’une même institution. Un professionnel est une personne qui pratique une profession rémunérée qui l’intéresse et a contrario, un bénévole est une personne qui donne de son temps libre pour une activité, sans rémunération. D’autre part, les professionnels doivent être au bénéfice d’une formation dans le domaine de la santé ou du social, ce qui n’est pas le cas pour les bénévoles. Néanmoins, l’Institution de Lavigny encourage fortement les bénévoles à profiter des cours proposés en son sein (cours sur l’épilepsie, le handicap, les gestes d’urgence etc, soirées des bénévoles), ou dans le cadre des plateformes-bénévolat extérieures (cours donnés par l’association Bénévolat-Vaud, formations pour bénévoles du programme cantonal des soins palliatifs). Ces cours permettent d’acquérir des outils mais également de réfléchir sur son propre investissement et aident à clarifier les objectifs personnels liés à une activité bénévole. Finalement, les professionnels sont au bénéfice d’un contrat de travail alors que les bénévoles s’engagent sur la base d’un projet, défini par écrit. En conséquence, les bénévoles ne se substituent pas aux professionnels, ni ne pallient un manque d’effectifs.


Les bénévoles viennent donc à l’Institution en tant que personne, avec leurs ressources, leur compétences relationnelles, et leur envie de partager du temps avec des personnes malades ou en situation de handicap. Cet engagement en tant qu’individu est essentiel car il permet une rencontre avec les personnes accueillies, non pas fondée sur des enjeux professionnels, mais sur un engagement personnel. Cela permet ainsi une ouverture du réseau social pour des personnes perdant contact avec la société du fait de l’institutionnalisation. L’apport du bénévolat est donc fondamental pour les personnes accueillies, dont la maladie ou le handicap agissent comme élément fortement excluant. Ouvrir les portes de l’Institution aux personnes «du milieu ordinaire» est une manière de combattre l’exclusion sociale et symbolique vécue par toute personne vivant en milieu institutionnel. Mais le bénévolat est également une manière d’intégrer les personnes en milieu ordinaire dans le monde médical ou socio-éducatif. Etre bénévole à l’Institution de Lavigny est donc une opportunité de découvrir ces deux mondes et d’y faire des rencontres fortes avec les personnes accueillies.

Rôles respectifs La clarification des objectifs du bénévolat met en évidence le rôle important que doivent tenir les professionnels de l’Institution pour la bonne marche des activités bénévoles. Nous développerons donc ici les rôles des professionnels actifs sur le terrain (éducateurs-trices, animateurs-trices, infirmiers-ères) et le rôle de la coordinatrice du bénévolat. Concrètement, les professionnels font le lien et favorisent l’intégration

des bénévoles auprès des personnes accueillies. Ils sont également garants de la bonne marche des activités, en informant les bénévoles sur l’état de santé général des patients et/ou des résidents, en faisant part de leurs besoins si les personnes accueillies ne peuvent elles-mêmes les exprimer, et en initiant les bénévoles aux savoir-faire/être «de base» en lien avec leur accompagnement. D’autre part, les professionnels sont garants du fait que les personnes accueillies disposent de tout le nécessaire pour profiter de leurs activités avec les bénévoles. Par exemple, un habillement adapté, une éventuelle médication préparée, les moyens auxiliaires entretenus (couverts spéciaux, appareils de communication, etc.), la préparation d’un peu d’argent de poche en cas de sortie sont des éléments nécessaires à la bonne marche de l’activité avec la personne bénévole. Finalement, les professionnels ont un rôle de soutien aux bénévoles en leur accordant du temps pour débriefer et répondre à leurs questions. Les coordinatrices du bénévolat jouent également un rôle important: elles posent le cadre du bénévolat et de ses objectifs, permettant que les activités effectuées par les bénévoles soient clairement délimitées. Ainsi, les bénévoles mettent en place leur projet en lien avec la coordinatrice du site concerné, en fixant les activités et leur fréquence. Une charte du bénévolat existe également et agit comme cadre de référence. Accompagnés dans leur démarche par des professionnels dans un cadre clair, les bénévoles peuvent donc aller à la rencontre des personnes accueillies et profiter de ces moments de partage et de joie.

Un bilan très positif... L’Institution de Lavigny est parti-

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Apports du bénévolat

culièrement attentive à la collaboration professionnels – bénévoles en favorisant les lieux d’échanges et les temps de bilans, leur permettant ainsi de collaborer main dans la main pour le mieux-être des personnes accueillies. Après tant d’années de collaboration, nombre de patients et de résidents ont noué des liens très forts avec les bénévoles. Manger au restaurant une fois par mois avec son bénévole, sortir de son quotidien à l’hôpital en faisant une balade dans le parc, rencontrer des nouvelles personnes lors d’une animation extérieure, tous ces moments sont précieux et restent gravés dans les mémoires et les cœurs. Le succès du bénévolat continue de croître et les demandes des patients et résidents pour bénéficier de rencontres et d’activités avec un-e bénévole se font toujours de plus en plus nombreuses. Ainsi, toute personne intéressée à partager un peu de son temps pour vivre des moments forts sur le plan de l’échange et de la rencontre humaine avec les résident-e-s et/ou les patient-e-s de l’Institution de Lavigny est toujours la bienvenue!


Handicap et bénévolat

Une façon différente d’envisager la vie Myriam Lombardi, directrice de l’Association genevoise d’intégration sociale (AGIS), Genève

Voilà près de 25 ans que l’AGIS (association genevoise d’intégration sociale) s’est constituée et offre ses prestations aux personnes en situation de handicap. Son action est originale et unique en Suisse romande, puisqu’elle s’appuie exclusivement sur l’engagement et l’action de bénévoles, c’est-à-dire sur la participation d’une partie de la population. Elle répond aux besoins, souhaits et intérêts de ses membres: enfants, adolescents et adultes en situation de handicap mental, physique et/ou sensoriel, ainsi qu’à ceux de leur famille et proches. Dans le cadre de l’AGIS cela se concrétise par des accompagnements personnalisés comme par exemple: aller au parc, jouer à la dinette, apprendre des chansons, aller chez le coiffeur, déguster une pâtisserie, rédiger un courrier, faire des achats en ville et des activités de loisirs comme des séances de cinéma, des sorties au restaurant, des visites culturelles, des ateliers de bricolage, qui, tout en tenant compte des particularités de chacun, met en valeur la richesse des échanges entre membres d’une même collectivité. Un des points forts de l’AGIS est la stabilité de sa mission par rapport au bénévolat. Au fil du temps, il a été plusieurs fois question de «professionnaliser» les rencontres;

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L’AGIS. Voilà une association qui travaille uniquement avec des bénévoles et qui le revendique. Quelles sont les raisons qui amènent ainsi un organisme à renoncer à la professionnalisation de ses prestations? Dans cet article, Myriam Lombardi expose la position de l’AGIS à ce sujet, tandis que Michèle Ortiz est allée rencontrer les travailleurs et travailleuses volontaires de l’association genevoise.

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mais à chaque fois, le débat ramène l’AGIS à poursuivre sa recherche de personnes bénévoles, ouvertes, ayant du bon sens pour s’adapter à la réalité quotidienne des personnes handicapées confiées, spécialement les enfants. Les parents découvrent que quelqu’un vient avec plaisir chez eux et qu’il amène un souffle nouveau et une ouverture sur l’extérieur. Il y a le plaisir de la découverte d’une nouvelle personne et le plaisir d’établir des relations amicales avec la famille. De plus, les parents offrent une expérience à des personnes désireuses de rencontrer un enfant handicapé et sa famille. Il ne s’agit pas d’une action unilatérale, la personne handicapée est l’acteur et le bénéficiaire. A l’AGIS, nous rencontrons des familles et des individus qui souffrent d’exclusion. Il y a différentes façons d’exclure: en connaissance de cause ou par ignorance, sans s’en rendre compte, refuser un droit, éviter une personne, ne pas la considérer comme un être à part entière. Qu’elle s’exprime physiquement ou par une attitude négative, l’exclusion est douloureuse et a des conséquences comme la solitude, la dévalorisation de soi. La personne se sent incomprise, sans valeur, inexistante. Une personne n’est pas un handicap mais un être humain, avec des facteurs personnels qui sont de l’ordre de l’intégrité et de la déficience, des capacités et des incapacités, avec des habitudes de vie qui sont liées à l’âge, le sexe, l’identité socioculturelle avec l’environnement qui sont des facilitateurs et des obstacles qui permettent la participation sociale. Il en va de même pour la personne bénévole. Lorsqu’il y a rencontre entre la personne accompagnée et la personne bénévole, cela se situe dans un contexte particulier, chacun arrive avec ses représentations et ses valeurs. La confrontation de celles-ci élargit notre conscience du monde et de nous-mêmes. C’est ce que permet l’AGIS, en rapprochant ces deux mondes. Lorsque nous parvenons à la question de l’accompagnement avec le nouveau bénévole, il est essentiel d’aborder les cinq


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notions suivantes: • L’acceptation de la personne comme sujet et non réduite à sa déficience. • L’écoute de la personne dans le sens de permettre à l’individu de se sentir compris, pouvoir entendre ce qui est gênant, pesant et ne pas forcément devoir apporter des réponses. • Le jeu relationnel qui est un échange, une réciprocité mais la relation reste asymétrique. • La loi dans l’importance de mettre des limites; accepter l’autre ne signifie pas tout accepter. • Les limites personnelles du bénévole qui n’est pas Zorro, les limites inhérentes aux situations, la place des proches et l’acceptation de ses limites. Dans tout accompagnement individuel, il y a un certain nombre d’obstacles qui peuvent être ressentis ou subis par le bénévole: un sentiment de malaise (la personne handicapée est vécue comme un être souffrant qui évoque notre propre fragilité), un manque d’affinité et la crainte de l’échec, de ne pas être à la hauteur. Au tout début de son activité, le bénévole a pour objectif d’être utile, ceci au sens pratique du terme. Faute d’expérience, il pense que la personne handicapée a besoin d’aide mais après quelques rencontres et la confiance en plus, un échange mutuel s’instaure. Rapidement, il amène une bouffée d’oxygène, une parenthèse extérieure et disponible. Il n’est pas un professionnel et ne s’inscrit pas dans la lourdeur institutionnelle. Il est en plus, dans un ailleurs qui donne de l’espace et du temps. Sa mission sur le terrain est principalement de partager son temps de loisirs, de créer des liens, de stimuler l’échange et de construire petit à petit une relation privilégiée. Le rôle du bénévole est capital, car c’est en quelque sorte lui qui déclenchera une série de déclics en renvoyant une image positive de la personne handicapée, lui donnant l’énergie de vivre pleinement en société. Au regard des centaines de suivis récoltés auprès de nos membres, il est primordial de maintenir et favoriser la continuité du bénévolat auprès des personnes handicapées. Les bénévoles qui s’engagent à l’AGIS ont l’art d’aller vers l’Autre, de construire des passerelles entre deux mondes, comme s’ils entraient en résistance à une vie terne et sans plaisir, trop souvent basée sur l’individualisme. Qu’ils en soient tous remerciés.

Jimena, Yvette et Reynald, bénévoles à l’AGIS Rencontres Par Michèle Ortiz, membre du Comité de rédaction Jimena est une jeune femme d’une vingtaine d’années au doux accent péruvien. Titulaire d’un bachelor en philosophie, elle prépare actuellement un master en sciences de l’éducation à l’Université de Genève. Depuis un an, elle s’occupe bénévolement, durant 2 heures chaque vendredi après-midi, d’une adolescente de 16 ans en situation de handicap. A côté de cette prise en charge, de ses études et d’une autre activité mensuelle de bénévolat, elle travaille pour gagner sa vie. C’est principalement un questionnement philosophique sur son rôle d’individu au sein de la société qui l’a motivée à devenir bénévole. Elle ne pourrait pas être payée pour son «travail» auprès de cette jeune femme. Ce serait comme salir la pureté de la relation désintéressée qu’elles ont développée et avec laquelle elles ont toutes deux rendez-vous chaque semaine. Pour Jimena, il s’agit non seulement d’honorer son engagement à l’égard des parents de la jeune fille et de leur permettre ainsi de faire un jogging ensemble, mais surtout d’honorer son engagement vis-à-vis d’elle-même. Cette expérience a fortement modifié son regard de future professionnelle de l’enseignement spécialisé à l’égard

de la personne avec un handicap. Car même si elle le reconnaît sans peine, cet engagement bénévole a aussi servi de test par rapport au nouveau domaine d’activité dans lequel elle souhaitait se lancer. En études et bardée de nouvelles idées d’activités, elle s’est vite trouvée démunie face à l’apparente passivité de sa protégée. Et c’est là que s’est opéré un changement magique, privilège ou force de la relation bénévole non professionnelle sans autres attentes que celle d’une compagnie bienveillante. Les deux jeunes filles ont pris le temps de s’observer, de laisser filer les heures, jusqu’à parvenir à communiquer du fond des yeux et à prendre plaisir par exemple, à regarder la télé ensemble. Ni thérapeutique, ni scolaire, ni parentale, ni amicale, cette relation est tout simplement différente. Depuis la période initiale de l’expérience du bénévolat impliquant une mise en confiance réciproque, la bénévole, l’adolescente et sa mère en particulier ont noué des liens privilégiés. L’investissement placé par tous les acteurs dans la relation est profond et aucun ne pourrait avoir à y renoncer sans tristesse ni mûre réflexion.

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Yvette. C’est une annonce qui l’a in-

terpellée il y a environ 3 ans. L’AGIS cherchait des bénévoles pour accompagner des personnes adultes en situation de handicap. Yvette a eu envie de postuler et le hasard a voulu que la place se rapporte justement à sa passion, le bricolage. Cette belle femme rayonnante et dynamique, maîtresse enfantine à la retraite, n’aurait pas accepté de s’impliquer dans une activité pour laquelle elle n’avait pas de formation. Car contrairement à ce que d’aucuns pourraient croire, le bricolage ne n’improvise pas! Elle apprécie de se rendre une fois par mois à cet atelier de bricolage où elle est attendue. Sa relation avec ces adultes qu’elle accompagne lui évoque parfois ses anciens petits élèves, en particulier dans la troublante évidence avec laquelle ils attendent d’être pris en charge, sollicités et aidés. Elle a aimé enseigner, a été rémunérée pour cela durant de longues années et ne se voit pas aujourd’hui monnayer cette facilité que la nature lui a donnée. Le bricolage c’est son truc, elle fait cela sans effort. Elle «bénévole» aussi par ailleurs en organisant un «café papote» avec des dames de l’immeuble le mercredi matin, en donnant des cours de français à une voisine colombienne ou encore en faisant les devoirs avec une petite fille. Avec ses autres collègues également bénévoles, elles sont complètement libres d’organiser l’atelier de bricolage comme bon leur semble. Trop libres? Et s’il arrivait quelque chose? Aucune des monitrices de l’activité n’a suivi de formation spécifique dans l’encadrement de personnes avec une déficience intellectuelle. L’AGIS propose ponctuellement des séminaires pour les bénévoles qui souhaitent en connaître davantage, mais ils ne sont pas obligatoires. Par principe elle fait confiance. L’association valorise beau-

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coup le travail réalisé avec les usagers dans le cadre de l’atelier. L’une des responsables téléphone chaque mois pour suivre le bon déroulement de l’activité et transmettre des retours de parents ou d’usagers. Yvette s’émerveille régulièrement de l’éventail de personnes qu’elle rencontre et découvre au travers de cet engagement. Autant la retraite peut parfois lui avoir donné le sentiment de s’isoler du monde, autant son activité de bénévolat auprès de personnes en situation de handicap l’intègre désormais dans un nouveau réseau de contacts fascinant et stimulant.

Reynald est bénévole à l’AGIS de-

puis plus de 15 ans. Depuis l’âge de 18 ans, il suit le même groupe de personnes en situation de handicap. Ils se retrouvent en moyenne 8 fois par an pour sortir ensemble et partager ce qu’ils aiment (restaurant, cinéma, bowling, cirque, grillade dans le jardin ou encore fête de Noël). En 15 ans d’histoire commune, ils ont tous bien évolué et cet engagement bénévole est devenu «un long bail»! Depuis 5 ans, l’épouse de Reynald a rejoint leur groupe en qualité de bénévole au sein de l’association également. Faire du bénévolat va au-delà d’un accompagnement gratuit de personnes. Il s’agit de quelque chose de plus profond qui implique de la complicité et un véritable partage. Reynald a toujours aimé connaître, découvrir, donner, recevoir. Ce groupe de jeunes cherchait des accompagnants, et lui cherchait à faire une nouvelle expérience. Sportif et entraîneur par ailleurs, il ne connaissait pas particulièrement de personnes en situation de handicap mais avait du temps à consacrer à d’autres. Son rôle est très différent de celui des éducateurs. Ce sont les parents qui le disent. Il traite de thèmes différents avec les jeunes, s’intéresse à eux et eux à lui dans un entraînement mutuel et un échange équitable. Certaines personnes continuent de détourner la tête sur le petit groupe. Lui plus. Le bénévolat de longue durée a ceci de beau, qu’il permet d’apprendre toujours plus sur l’autre dans le cours d’une histoire qui s’écrit en commun et ne se termine pas. Recevoir de l’argent pour ce travail

reviendrait à sortir du contexte. Son engagement bénévole n’a pas de prix. Reynald ne demande d’ailleurs pas d’augmentation! Son salaire consiste à vivre pleinement la sortie, partager des émotions, rire avec des personnes différentes – et encore – et se réjouir de la prochaine fois. Cette relation s’est construite avec le temps et devoir y renoncer, pour une raison ou pour une autre, amènerait Reynald à se sentir un peu lâche certes, mais il vaut mieux arrêter plutôt que d’entrer dans une routine ou de mal faire. Ces usagers, qui sont-ils pour lui, des amis, des connaissances? Oui, mais aussi des partenaires. Un membre du groupe se propose, propose quelque chose, et les autres y adhèrent. Reynald est aussi bénévole, par ailleurs, en qualité de membre actif dans un club de basket et au sein de comités associatifs. Sa vie n’a pas changé depuis qu’il travaille avec l’AGIS, son ressenti à l’égard des personnes en situation de handicap non plus. Au début, c’est lui qui leur donnait quelque chose. Maintenant, presque 20 ans plus tard, «on se donne». C’est cette réciprocité qui fait que chacun y trouve son compte. Les parents de ses partenaires de sorties sont très impliqués et c’est important. Les repas de Noël, les téléphones, les SMS, les cartes et les pensées qui jalonnent l’année à l’occasion de moments de peines ou de réjouissances familiales sont autant de témoignages de reconnaissance qui font plaisir et entretiennent un lien devenu très précieux. Quand les choses vont, on ne se pose plus de questions. Il n’y a d’ailleurs pas de raison objective à se chercher des problèmes. La liberté laissée par l’AGIS dans l’organisation des sorties est une condition fondamentale à leur succès. L’association a mis des personnes en lien et se tient à disposition si besoin. Elle organise des ateliers à l’attention de ses bénévoles, des espaces de partage d’expériences et de jeux de rôles, des conférences avec des professionnels de la déficience mentale et du réseau d’aide suisse et genevois. Mais pour Reynald, ces rencontres, tout comme l’assemblée générale, sont surtout des occasions de cultiver le contact avec la directrice de l’association, avec les autres membres et les parents.


La Fondation Ensemble à Genève compte peu de bénévoles Volonté institutionnelle ou culture de bénévolat? Le point avec Jérôme Laederach, directeur de la Fondation Ensemble, Genève, par Michèle Ortiz

La Fondation Ensemble en faveur des personnes avec une déficience intellectuelle à Genève compte peu de bénévoles parmi ses rangs. Créée en 1986 par l’APMH, actuellement insieme-Genève, la Fondation Ensemble a pour but la prise en charge de personnes avec une déficience intellectuelle associée ou non à d’autres troubles. Elle s’intéresse à toute activité touchant à la vie de ces personnes et leur assure notamment l’accueil, l’hébergement, l’éducation et la formation. Pour atteindre ses objectifs et en fonction des besoins, la Fondation gère, avec l’appui de son siège administratif, 5 structures distinctes dans le canton, qui offrent des prestations de la petite enfance à l’âge adulte (voir www.fondation-ensemble.ch). Jérôme Laederach, quelle est la place du bénévolat dans la Fondation que vous dirigez? La place des bénévoles qui œuvrent en faveur de la mission de la Fondation Ensemble s’analyse à trois niveaux. Il y a les personnes qui s’engagent sur le plan de sa gouvernance, celles qui participent au niveau opérationnel et enfin celles qui la soutiennent depuis l’extérieur comme membres actifs de son réseau. Au niveau de la gouvernance Le Conseil de Fondation est constitué de 9 membres presque bénévoles, tant le montant du défraiement qu’ils perçoivent est symbolique en regard de leur engagement en qualité de coprésidents ou de responsables de dicastères (finances, ressources humaines, communication) en particulier. Au niveau opérationnel La Fondation bénéficie d’aides ponctuelles et d’aides régulières dans le cadre de projets spécifiques en lien avec son fonctionnement opérationnel. Ainsi des collaborateurs de grandes

entreprises actives dans le canton telles que Manor, Firmenich ou encore la banque HSBC sont invités à quitter volontairement leur poste habituel pour venir, par l’entremise de Philias, donner un coup de main ponctuel dans les institutions de la Fondation. Sont-ils pour autant bénévoles dans leur action? La Fondation les considère du moins comme tels. La Fondation Ensemble ne compte par ailleurs pas de bénévoles réguliers dans ses institutions, ni au niveau de la prise en charge des bénéficiaires ni dans les services annexes tels que les transports, la cuisine ou l’entretien des jardins. Au niveau du réseau La Fondation compte en revanche davantage avec un bénévolat indirect, avec la participation de parents d’usagers au comité de rédaction de son journal et de partenaires au sein de son comité d’action ou à l’occasion d’expertises ponctuelles (ex. audit informatique). Un petit groupe de personnes mettent ainsi gratuitement à disposition leurs connaissances, leurs moyens, leur sensibilité et leur motivation au profit de la visibilité de projets et de la récolte de fonds pour leur développement. Les bénévoles actifs à la Fondation Ensemble le sont ainsi de manière indirecte à la prise en charge des bénéficiaires. Pourquoi pas plus de bénévoles? Les institutions de la Fondation ont reçu l’aide de nombreux bénévoles au cours de leur développement. Toutefois, ces acteurs de l’ombre n’ont jamais été formellement répertoriés et leur contribution est difficile à quantifier. La Fondation Ensemble gère depuis 1986 des institutions nées d’un engagement militant antérieur fortement emprunt de bénévolat, en particulier de la part de parents. Or cette culture du bénévolat semble avoir

été progressivement freinée par un contexte institutionnel plus cadrant. La Fondation ne collabore pas davantage avec des bénévoles parce qu’elle n’a pas encore défini, en amont, le cadre de leur action au sein de ses institutions. Quels sont les rôles des bénévoles par rapport aux professionnels salariés, en particulier dans des actes éducatifs? Quels sont les droits et les devoirs des bénévoles par rapport aux bénéficiaires, et à leur «employeur»? Quelle priorité la Fondation accordet-elle à cette collaboration par principe et dans cette période de restrictions budgétaires en particulier? Il s’agit ainsi avant tout, pour elle, de définir les attentes à l’égard de ces acteurs au statut différent pour que chacun se sente reconnu pour ses compétences et légitime dans son champ d’action. L’institution se doit d’offrir un rôle valorisant au bénévole, une action qui a un sens pour elle comme pour lui. Ce questionnement du sens au niveau du système institutionnel est essentiel. Aujourd’hui on prétend mettre en avant l’intégration, le partenariat ou encore l’autodétermination. Or il est impossible de le faire véritablement si l’on ne se l’applique pas à soi-même et si l’on écoute pas les valeurs des usagers eux-mêmes. Ce sont eux qui nous montrent, par le rythme auquel ils nous invitent à nous accommoder, la manière d’entrer en contact avec eux. Cette confrontation nous ouvre à une autre dimension de notre fonctionnement et de la relation que nous pouvons entretenir avec nos bénéficiaires. Le bénévole nous confronte à son tour par sa naïveté, sa curiosité, ses initiatives et son expertise propre. Or ce regard neuf et sans a priori doit servir les professionnels au profit de la personne handicapée. Reste à définir le juste équilibre pour permettre la reconnaissance commune d’une véritable valeur ajoutée.

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De la gratuité du don de soi au bénévolat Note de lecture Michèle Ortiz, psychologue et membre du Comité de rédaction

Cette réflexion est issue de la lecture des articles de JeanFrançois Mattei, membre de l’Académie nationale de médecine et président de la Croix-Rouge française, d’Eric Gagnon et Andrée Fortin, respectivement chercheurs au Département de médecine sociale et préventive et au Département de sociologie de l’Université de Laval. Qu’entend-on par bénévolat? Dans quelle mesure le fait, par exemple, d’animer un atelier pour des personnes avec un handicap sans recevoir d’argent en échange, constituet-il du bénévolat ou plutôt un don de soi? Ce qui définit le statut du bénévole, c’est qu’il ne réclame pas d’argent alors même qu’il effectue une tâche dont il ne serait pas choquant qu’elle soit rémunérée. Son action est gratuite. Il donne de lui-même, de son temps et de son énergie sans recevoir aucun argent. Les nuances sont d’autant plus subtiles que le mot «gratuit» veut aussi dire «désintéressé», soit source d’aucun gain, ni direct ni indirect. Or, donne-t-on vraiment sans arrière-pensée, sans l’attente tacite d’être gratifié en retour? Les remerciements ou les gestes de reconnaissance sont-ils indissociables du plaisir de donner? Un don ne serait-il pas plutôt un calcul intéressé, un faux-semblant nourri par un désir de réciprocité?

Les particularités du don Le don peut prendre des formes diverses. Il peut être matériel sous la forme d’une somme d’argent, spirituel dès lors que l’on donne sa parole ou même sa vie, et encore corporel sous la forme par exemple d’un don d’organe. Mais quelle qu’en soit la nature, le don se définit par quatre particularités: • Le don est un acte individuel qui tient de la liberté individuelle et s’inscrit dans une relation de personne à personne à la différence de la bienfaisance qui s’effectue au profit d’un groupe. • Le don est un acte pertinent dont la valeur est son ajustement aux besoins du bénéficiaire. Un don inapproprié est inutile. Et ce raisonnement est même traduit dans la loi puisque la donation est un contrat moral et juridique qui implique qu’on ne peut pas imposer ses biens à autrui. Il faut que le destinataire l’accepte. • Le don est un acte spontané. Il n’est pas conditionné au mérite de celui qui le reçoit. Il n’est ni une rétribution ni une récompense. • Le don est un acte gratuit aux deux sens du terme, à savoir s’il est à la fois bénévole et désintéressé. Ainsi, si je fais en sorte que mon don soit reconnu, voire qu’on en parle, il ne rapportera plus à de la charité mais davantage à de la publicité. 14

Des bénévoles Gagnon et Fortin (2002) définissent les bénévoles comme «des personnes qui acceptent de plein gré de fournir un service sans rémunération par l’entremise d’un groupe ou d’un organisme» (p. 68). • Ainsi le bénévole n’obéit à aucune obligation et, passant par un organisme; il n’offre pas ses services à son entourage mais fait un don à des étrangers, à des gens vis-à-vis desquels il n’a pas d’obligation en vertu des règles communes de réciprocité comme c’est le cas entre membres d’une même famille, entre amis ou dans le cadre d’une forme plus ou moins ritualisée de cadeau ou de service. • Le bénévolat est avant tout une activité librement choisie mais elle ne s’effectue pas pour autant spontanément, sans balises ni encadrement. Au contraire puisqu’elle s’exerce au sein d’un organisme. Rien n’oblige le bénévolat et c’est cette liberté qui confère sa valeur au geste. Plus qu’une tâche, ce geste comporte une signification, soit un intérêt porté à quelqu’un ou à une situation. • Le bénévole accorde une grande importance à la rencontre, à la relation interpersonnelle. Celle-ci donne son sens au bénévolat qui, souvent, consiste à accompagner. Le bénévole témoigne par sa présence de la valeur et du sens d’une expérience, d’une condition sociale ou humaine. • Souvent le bénévole partage la condition de ceux auprès de qui il s’engage, ce qui tend à rapprocher les groupes de bénévoles à des groupes d’entraide. La recherche de liberté, le fait de vivre une expérience significative dans la proximité avec d’autres personnes sont des conditions qui contribuent à faire du bénévolat un moment privilégié pour la reconnaissance de soi et de l’autre.

Le don comme un acte social Marcel Mauss (1923) s’est basé sur le constat que l’individu est complètement tributaire de l’organisation sociale dans laquelle il évolue pour qualifier le don volontaire comme en réalité imposé par le groupe. Dans cette conception, le don n’est plus un acte discret mais au contraire ostentatoire et susceptible de valoir une reconnaissance. Le don est dès lors comparé à un dispositif social caractérisé par la double obligation de recevoir et de donner dans une logique de réciprocité des biens concédés. Il devient également de plus en plus courant que les donateurs s’inquiètent de savoir si leur don a été bien employé. Quoiqu’il en soit, le don est nécessaire à la vie en société. Il dépend de la culture dans laquelle il est pratiqué, des mœurs et des habitudes sociales. Il se distingue de l’al-


truisme qui consiste à «vivre pour autrui», soit à donner priorité aux intérêts d’autrui sur les siens et à donner du temps et de l’énergie à ses semblables sans arrière-pensée. Bénévoles ou volontaires? Le bénévolat est au croisement du don de soi et de la motivation, puisque le bénévole paie de sa personne sans attendre aucun avantage. Etre bénévole est une initiative délibérée, sans pression extérieure, sans sollicitation ni aucune contrepartie financière ou avantage en nature. On ne naît pas bénévole, on le devient. Le terme peut être confondu, à tort, avec le volontaire qui, lui, peut être rémunéré sur la base d’un véritable contrat de travail. Cette confusion est d’ailleurs particulièrement marquée chez les Anglo-saxons qui désignent sans distinction bénévoles et volontaires par le même mot: volonteers.

Les motivations des bénévoles Le bénévolat se caractérise par l’absence de préoccupation lucrative, la liberté de l’engagement qui peut à tout moment être réaffirmé ou résilié et enfin le caractère social de la démarche, puisqu’on ne peut pas être le bénévole de soi-même (Mattei, 2007). Toutefois, les motivations des bénévoles sont très diverses et vont du plaisir de faire des rencontres enrichissantes au désir de vivre une aventure exaltante, en passant par le souci d’utiliser à bon escient un temps laissé libre par la cessation d’une activité régulière. De nouvelles motivations peuvent surgir chemin faisant et se teindre de sentiments d’humanité. La motivation invariable reste néanmoins la visée d’une connaissance de soi qui ne peut s’accomplir que sous le regard de l’autre. Les bénévoles assurent le minimum de protection compassionnelle en deçà duquel la société ne saurait tomber sous peine de se disloquer. Pourtant le bénévolat ne saurait être un succédané de service public. Il doit rester une valeur sociale qui s’ajoute aux services fournis par des professionnels rémunérés. Le bénévolat atteste que les hommes ont besoin que la société dans laquelle ils vivent leur renvoie une image positive d’eux-mêmes. Les bénévoles nous rappellent que nous avons en nous des aspirations qui dépassent notre besoin de posséder; que la jouissance immédiate de la consommation n’est pas le seul horizon de l’existence humaine. Nous avons besoin de sortir de nous-mêmes, de nous transcender dans l’effort, de faire preuve de courage face à l’adversité. Nous avons besoin de tester nos seuils de résistance, de nous mettre à l’épreuve mais aussi de mettre en œuvre les valeurs auxquelles nous sommes attachés. Nous ne nous humanisons pas seuls; c’est l’humanité des autres qui nous humanise. C’est cette humanité des autres

que nous rencontrons dans les relations d’entraide. Dans la pratique du bénévolat, la notion de responsabilité cesse de se concevoir sur le modèle contractuel ; elle devient une rencontre d’humanité qui transcende la procédure formelle du couple «droit/devoir» où l’un ne peut se concevoir sans l’autre. On retrouve chez les bénévoles le sentiment d’être une partie d’un tout, l’envie d’être immergé dans le monde, d’en être partie prenante. Toutefois, pour le bénévolat comme pour le don, donner c’est bien mais recevoir en retour c’est encore mieux. Ce qu’attendent les bénévoles, semble-t-il, c’est moins l’argent qu’une attention, une formation, une expérience et au bout du compte une reconnaissance. Par leur dévouement au service de leurs semblables, les bénévoles nous montrent qu’il est possible de concilier le souci éthique, le sens de la responsabilité et l’aspiration à l’épanouissement personnel. Aux plus jeunes, le bénévolat offre l’opportunité de se découvrir des talents, d’affirmer leur personnalité et de prendre des risques. Le bénévolat représente une chance nouvelle d’une initiation à la citoyenneté. Quant aux personnes âgées, il leur procure le moyen de rester actives, présentent au monde et d’assumer des responsabilités en évitant cette mort sociale qui pourrait guetter certains avec la retraite. La question des motivations qui poussent à s’engager dans une entreprise bénévole doit faire l’objet de la plus grande attention. Le bénévole doit être clair avec lui-même en fonction de la population qu’il s’engage à côtoyer. Une société est individualiste à partir du moment où ce sont les conduites altruistes qui ont besoin d’être justifiées. Lorsqu’au contraire, c’est s’occuper de soi qui va de soi. Il n’est pas vrai que s’occuper des autres n’est qu’assouvissement d’une pulsion masochiste ou manière détournée de chercher son propre intérêt. Dans le don désintéressé de soi à autrui, je me construis une image dont je peux être fier, une représentation valorisante de moi-même. Aristote évoque à sa manière cette notion par la recherche d’une grandeur d’âme, d’un plaisir esthétique. Bibliographie Gagnon, E., Fortin, A. (2002). «L’espace et le temps de l’engagement bénévole: essai de définition». Nouvelles pratiques sociales, vol. 15, n° 2, pp. 66-76. Mattei, J.-F. (2007). «La gratuité du don de soi: don, gratuité et bénévolat», Science et devenir de l’homme, Les Cahiers du M.U.R.S., n° 54, pp. 9-26.

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Le bénévolat, une soif de militantisme? Entretien avec Nicolas Borsinger, Genève Olivier Salamin, membre du Comité de rédaction, Sion

Nicolas Borsinger, avez-vous le sentiment que les catastrophes suscitent des vocations? Tout dépend de ce que l’on entend par «bénévolat», concept dont la clarté originelle s’est, malheureusement, estompée au cours du dernier quart du 20e siècle. Ce qui est sûr, c’est que la catastrophe crée d’énormes engouements qui, parce que socialement survalorisés, ont une fâcheuse tendance à occuper l’essentiel de l’espace de «l’attention à l’autre», de la solidarité et de l’empathie, et ce en dépit d’effets pervers massifs et inquiétants. Mais cela s’explique parfaitement. Dans une société de zapping et de divertissement, la catastrophe comporte plusieurs des caractéristiques propres à un thriller. Elle présente surtout un avantage sans pareil, fantasme de tout scénariste s’épuisant en nuits blanches à monter un nouveau script: elle innove à chaque fois. La prochaine sera-t-elle technologique ou naturelle? Frappera-t-elle l’Asie ou l’Afrique? Prendra-t-elle la forme d’une éruption volcanique ou d’un tsunami? L’incertitude est aussi totale que le désastre est programmé: à tout moment, il est certain qu’une catastrophe se produira quelque part dans un délai de douze mois au plus. En ce sens, les catastrophes qui se suivent sont à la solidarité de chacun ce qu’est la série TV à la curiosité du téléspectateur: on sait que l’émission aura lieu cette semaine mais on ignore la teneur du prochain épisode. Quels moyens Pro Victimis engage-telle pour soulager la misère humaine? Difficile et vaste question, même s’il y a évidemment une réponse purement monétaire: les ressources financières que nous mettons à disposition d’initiatives qui nous semblent particulièrement bien pensées et mises en œuvre par des personnes ou des institutions particulièrement qualifiées. Mais cette réponse est à la fois un peu courte et probablement triom-

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Nicolas Borsinger, directeur Pro Victimis

Nicolas Borsinger est directeur de la Fondation Pro Victimis à Genève. Nous avons choisi de l’interroger en marge d’une thématique directement associée au handicap pour mieux comprendre le rapport d’une ONG avec le monde du bénévolat.

phaliste. Toutes les questions que nous nous posons sur les limites et la plasticité du paramètre financier dans le soulagement de la misère humaine sont-elles un moyen pour mieux faire ou un encombrement stérile? Faites-vous appel à des bénévoles? Non, nous ne faisons pas appel à des bénévoles au sens où la plupart de vos lecteurs l’entendent légitimement. Cela a trait à notre champ d’intervention qui n’est pas en Suisse et seulement exceptionnellement en Europe. Toutefois, lorsque sont intégrés dans les projets que nous soutenons des salaires de quelque CHF 2500 par mois pour des professionnels aussi hautement qualifiés qu’expérimentés et qui s’engagent pour plusieurs années dans des contextes exigeants, jusqu’où peuton qualifier leur activité de «lucrative», même si tel est le cas stricto sensu? Les dérives parfois monumentales de certains pans de la dite solidarité internationale n’en demeurent pas moins, mais évitons les amalgames.


Quels sont les leviers de l’action bénévole? Je ne suis sans doute pas la personne la plus qualifiée pour en parler, mais si vous entendez par là ses atouts, le premier, qui est d’ailleurs à la fois nécessaire et suffisant (au sens où il suffit s’il est présent) est une forme de «soif de militantisme» pour le sujet ou la cause embrassée. L’expression «soif de militantisme» est choisie à dessein plutôt que d’autres qualificatifs qui me semblent soit des «autoaveuglements», soit «minés». Militantisme ne signifie pas que la cause soit nécessairement en vogue, voire même reconnue. Nul besoin de grandes controverses sociétales pour que les engagements correspondants soient grands à leur tour. Oserais-je aborder la question des pièges de l’action bénévole? Ils existent, tout comme existent les pièges effrayants du professionnalisme. Il serait sain de pouvoir parler des deux plus sereinement. Pour le bénévolat, je vois deux risques: la tentation de l’engagement ailleurs que là où l’on dispose d’une évidente valeur ajoutée, et la réticence à toute forme d’autorité. Les deux découlent de la très compréhensible aspiration à vivre son bénévolat comme un ressourcement à l’abri des contingences trop bien connues du quotidien professionnel avec ce que celui-ci contient de rapports hiérarchiques. Cela ne signifie pas pour autant que l’on apporterait plus dans les domaines que nous maîtrisons et en acceptant parfois l’autorité de tiers. Difficile équilibre parce que paradoxe difficile. Le sentiment d’impuissance est-il un des constituants de l’action bénévole? Le sentiment d’impuissance est presque consubstantiel à tout militantisme digne de ce nom. Celui-ci se caractérise en effet par une volonté de changement ambitieuse, donc en général inaccessible. L’enjeu consiste à pouvoir regarder cette impuissance avec un brin d’amusement ou, du moins, à ne pas se laisser engloutir par elle. Facile à dire mais…

Sur la question du comment, je souhaiterais tellement pouvoir vous faire une réponse scintillante, mais c’est plus difficile! Nous sommes de fervents croyants dans le fait que l’amélioration de leur situation économique est la clé (pour ceux dont le handicap l’autorise bien entendu, mais ils sont nombreux) d’un plus grand bien-être mental, social et matériel. Formidable, mais dans des sociétés où sévit 40% ou plus de chômage formel ou effectif: comment fournir une formation qui soit à la fois accessible pour elles et économiquement signifiante dans le contexte? Comment concevoir des programmes qui ne soient pas a priori des (tout à fait micro et modestes) «éléphants blancs» qui, de par leur coût, ne peuvent que par définition concerner une petite minorité «d’heureux élus», les guillemets étant ici vraiment de rigueur. Mais l’aventure sans aucun doute la plus prometteuse dans laquelle nous sommes embarqués a, en dépit des apparences, des racines profondément valaisannes. Elle s’appelle «Bridging Borders» et vise (littéralement et avec des résultats palpables) à un changement de paradigme concernant le regard et le traitement des questions liées au handicap en Russie et dans l’espace postsoviétique. En l’occurrence, le paramètre économique n’est pas abordé parce qu’il n’est pas central, ou - mieux dit - parce qu’un changement de paradigme est à la fois possible et la voie la plus prometteuse dans le rapport «efficacité / coûts du programme». «Bridging Borders» n’est pas (à mon sens, grâce à Dieu…) un organisme humanitaire mais un agent de changement systémique. Ce dernier qualificatif, tellement plus encourageant, n’a malheureusement pas l’aura de l’humanitaire sanctifié. Vivement que les choses changent et que l’efficacité d’une intervention ne soit plus jaugée à la quantité de chaises roulantes ou d’assistance quelconque exportées de Suisse en Russie (ou ailleurs). Le Valais a joué, et peut continuer à le faire, un rôle pilote dans le domaine. Sachant l’énergie dont est capable le Valais quand il s’y met, pourvu qu’il y prenne goût, et que «Bridging Borders» puisse plonger plus solidement encore ses racines dans son terroir.

Pro Victimis s’intéresse-t-elle aux personnes handicapées et si oui comment? Oui, du fait qu’elles constituent un segment particulièrement fragile de la masse des «laissés pour compte» dans les contextes où nous intervenons.

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Le philanthrope et la besogne Méditation sur le gratuit, le payant, le travail

Jean LAMBERT, philosophe et anthropologue, Centre d’Etudes interdisciplinaires des Faits Religieux, Paris 6e

Trois bonnes volontés, trois bénévoles, cheminent: le Philanthrope se demande comment soulager les misères de ses semblables, l’Anthropologue y voit obligation sociale de l’échange où celui qui donne domine, et le Philosophe s’étonne: quand on donne, reçoit-on?

Le devoir du gratuit et le droit Pourquoi donner? Pour compenser l’inégale répartition des souffrances. La compassion partage la vulnérabilité du genre humain. L’inlassable dévouement des œuvres caritatives supplée courageusement les faiblesses du législateur et du politique. Cette approche de la souffrance a ses limites et peut infantiliser les personnes en les tenant à l’écart de l’histoire sociale. Diderot réclame dans sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient (1749), que le handicap refuse compassion et charité pour s’engager dans un combat politique pour l’égalité des chances comme droit politique de tous. En affirmant que tenter d’éradiquer une partie de l’humanité (juive, tsigane, homosexuelle, handicapée, communiste ou délinquante) c’est blesser toute l’humanité, le procès de Nuremberg (1945) énonce juridiquement que l’humanité est une.

La lutte des races et le salaire

Notre terrible modernité voit les inégalités (de 1 à 2 au 18e siècle) passer de 1 à 74. Cette injure encourage les gagnants: «Augmentons les riches pour aider plus de pauvres!» Cette lutte des classes accrue se complique d’une lutte des races, car le prolétaire multiplie sa descendance pour toute richesse. On estime à 100 millions par an l’accroissement de la population mondiale, 8 milliards en 2020 dont 7 milliards originaires des régions les moins développées. Notre économie qui transfère les richesses des pauvres vers les riches entraîne un déplacement massif

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des prolétaires et angoisse l’homme blanc. Deux humanités s’affrontent, les Grands et les Petits, où le Grand, mobile et nomade, se place aux guichets qui rapportent tandis que le Petit, dépendant et précaire, travaille pour lui. Les Petits n’ont que les miettes qui tombent de la table des Grands. Pour les plus nantis qui ont un emploi ces miettes s’appellent salaire. Le salaire n’est pas la juste répartition des richesses entre ceux qui les produisent par leur travail. Le salaire est une charité déguisée en justice, comme le prouve la réduction systématique de sa partie mutualisée pour la santé, la vieillesse, et le handicap. Le salaire est l’aumône qui permet au travailleur de s’entretenir, et de reproduire sa force de travail. Kant l’avait dénoncé: on ne doit jamais traiter autrui, ni soi-même, comme un moyen, mais toujours comme une fin. Le salariat traite la personne humaine comme un moyen destiné au profit, qui est la fin de l’entreprise, et offusque la dignité humaine

Un bénévolat créateur

Dans ce contexte, la philanthropie prend l’initiative de nouveaux métiers. Son volontariat explore des zones d’activités sociales, en particulier de nouveaux services, avant qu’ils ne deviennent à leur tour des entreprises. Avant-garde du salariat, le bénévolat supplée et anticipe, avec une telle part de risques qu’il est à l’origine de grandes inventions de secours, de soins, ou d’entraides internationales. Le prototype du bénévole est le pompier ou la Croix-Rouge, qui répond à une urgence ou une crise. Le service est accompli immédiatement, avec dévouement, hors salaire: il faut résoudre la crise, comme la grand-mère accourt garder l’enfant malade, le sans-abri est hébergé, des secouristes sauvent du cyclone, des bénévoles nettoient la plage souillée. Cette logique des coups réussis mobilise un court temps des acteurs

spontanés. Tout le problème est de la rendre durable. Ce volontariat invente de nouvelles formes de solidarité et de liens entre générations, où se joue notre responsabilité envers l’avenir de la terre. C’est pourquoi le bénévolat se pérennise en institutions légitimes. Parlerons-nous bientôt de bénévolat durable, comme on dit développement durable? Ce serait paradoxal, concluait notre Philanthrope, mais envisagée sous cet angle la charité devient un véritable métier émergent dont la solidarité est le moteur libéral.

Le payant et la dictature de la valeur d’échange

Le don cache un échange

Comment peut-on être bénévole, s’insurgeait l’Anthropologue, c’est une hypocrisie qui cache une nouvelle servitude volontaire ! Votre don déguise un échange. Donner c’est ordonner, parce que c’est obliger son donataire à recevoir, et puis à rendre. Mauss a montré derrière le don cette triple circulation obligée de l’échange, donner-recevoirrendre, où la libre générosité n’a pas de place. Et votre philanthropie paradoxale n’y échappe pas! Votre bénévolat est un travail productif de services, quoique non rémunéré. C’est un vrai travail, pas un loisir. Il requiert formation, compétences et rigueur, des spécialistes, des réseaux, des institutions nombreuses. Gratuit en apparence ce travail a un coût. Qui le supporte? Qui a intérêt à ce que vous deveniez expert en nourrissons tchadiens, sauveur d’infirmières bulgares, audit en environnement, ou star des soupes populaires? La philanthropie est un marché, comme le marché du travail salarié, ou comme le marché des loisirs. Un marché essentiel du capitalisme mondialisé. Il faut se demander à quoi, ou à qui, sert l’immense marché du travail volontaire, toutes ces ONG et ces


associations de service pour la santé, le social, la solidarité, le sport, l’environnement? [...]

Passage aux sociétés de contrôle

Michel Foucault avait montré, du 18e au 20e siècle, comment fonctionnaient les sociétés d’internat, ou d’enfermement: famille, école, industrie, hôpital, armée, prison. Concentrer des forces dont l’effet productif est supérieur à la somme des éléments. Nous sommes passés aux sociétés de contrôle. Non plus le quadrillage des ateliers, des cellules, ou des classes, mais la diffusion des réseaux et des modulations. Par exemple l’hôpital de jour, ou les soins à domicile, semblent marquer de nouvelles libertés mais annoncent en fait de nouveaux contrôles. C’est un hôpital dont on ne sort plus, comme la formation continue est une école dont on ne sort plus. On n’a plus affaire à des échéances qui vous condamnaient ou vous acquittaient, mais comme dans Le procès de Kafka, à des modulations dans la durée, à de l’atermoiement illimité. Nous assistons à l’installation progressive d’un nouveau régime de domination. Faut-il dans ce contexte se réjouir des demandes accrues de stages, de formation permanente? Combien de temps faudra-t-il pour comprendre et déjouer la servitude de ces services, quand on voit avec quelle peine furent découvertes les finalités de l’enfermement? L’aliénation douce et les micro-fascismes remplacent la surveillance des contremaîtres. On éteint les consciences dans l’exacerbation des bonnes consciences. Usage cruel des enthousiasmes qui se donnent au service des misères, nouvel opium du dévouement: le bénévolat c’est l’utopie d’un monde sans le mal, d’un monde restauré qui néglige que tout a un prix, et qu’on n’échappe pas à la dictature de la valeur d’échange. [...]

Le travail et la revanche de la valeur d’usage La philanthropie ne suffit pas à répondre aux injustices de l’économie, reprend en douceur le Philosophe. Mais faites très attention au bénévolat. Ce n’est pas un pis-aller, un ersatz d’activité pour chômeurs, ou un ornement pour oisifs aisés. Nous sommes tous des bénévoles…

La coexistence précède l’existence

Le vrai don se donne toujours par-dessus un marché! Il met en évidence une économie des personnes dont l’essentiel n’est pas la solidarité mais la reconnaissance de liens personnels. Nous croyons à tort que l’individu existe par lui-même, avant et indépendamment de la société, mais la vie en société a précédé de plusieurs millions d’années les activités économiques. Le lien social est premier, la coexistence précède l’existence. Cette interdépendance sociale des individus est ontologique plus que morale. Nous ne sommes pas d’abord face aux choses (comme le prétend l’occident moderne) mais face aux autres (comme le transmettent les sociétés traditionnelles). Les sociétés humaines n’obéissent pas à une seule logique utilitaire, mais à deux logiques: celle de l’utilité, et celle, impensée, au moyen de laquelle leur membres se donnent de l’existence. Par exemple il y a du gratuit dans l’activité payée et le salaire ne constitue qu’une part des biens attendus en échange du travail. On ne travaille pas seulement pour un salaire, mais pour partager la vie en commun, comme on ne porte pas des vêtements seulement pour avoir chaud, mais pour faire bonne figure devant les autres. Il y a ce qui s’achète, et la jouissance de ce qui ne s’achète pas. La palabre, l’art du marchandage montrent qu’il faut en plus de l’achat faire l’amitié comme disent les malgaches. Lorsque cette attente est frustrée apparaissent les souffrances au travail, l’atmosphère pourrie des rapports humiliants, sans

reconnaissance des personnes. Etre licencié c’est perdre plus que son salaire, mais une bonne part de son existence sociale comme le redoute aussi le retraité. La circulation du souffle de la vie commune, l’entretien d’une atmosphère solidaire, est un bien privé et collectif qui ne se vit qu’à plusieurs.

Inventer des usages

La perception de ce lien apparaît quand on se demande non pas ce que font les gens, mais comment ils le font, quels usages imperceptibles ils s’inventent, comment ils travaillent de l’intérieur leurs activités? S’ils donnent du temps pour leurs semblables, comment font-ils ce bénévolat? En apparence ils déploient une hyper-conformité aux demandes ambiantes sur l’écologie, la vieillesse, le handicap reconnu, la pauvreté respectée. Ils s’activent conformément aux syntaxes prescrites de la morale, mais ce faisant ils les détournent vers d’autres fins clandestines, ils passent ailleurs. Ils braconnent, sélectionnent, réagencent, bref ils rusent. Par des tactiques, des inversions de règles, ils bricolent une utopie, un lieu inexistant, leur société de rêve. Ils imaginent et réécrivent le monde. Loin d’être le stade ultime de l’abrutissement, de l’aliénation, de la servilité, cet enthousiasme, cet acquiescement aux malheurs infinis des humains qu’aucun dévouement ne pourra jamais combler, marque un mouvement très subtil de reconquête de soi, une fabrique de singularité et d’intimité à partir du plus conforme, du plus moralisateur en apparence, du plus commun, faisant avec lui et non contre lui. Les associations écrivent avec justesse: «Le bénévolat réduit les différences qui séparent tous de chacun, il permet d’unir nos forces pour trouver des solutions aux défis». Le bénévolat produit une intense activité de réappropriation du monde qui nous est volé en permanence par les contraintes des échanges marchands.

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Qu’est-ce qui commence aujourd’hui?

Ce qui commence aujourd’hui c’est la fabrique des sujets hors des prises du pouvoir (Deleuze). Contre les pouvoirs, les Grecs avaient inventé l’égalité des hommes libres, puis les chrétiens s’étaient adossés à l’infini divin. Il est trop tôt pour définir le nouveau type de subjectivation qui s’annonce, celui d’hommes auto-administrés, du selfgovernement? Mais on voit bien que se dessine une ligne de fuite comparable à la mutation du droit quand il envisage de réparer les crimes plutôt que de les faire payer. De même le bénévolat ne résiste pas seulement aux contrôles, il déplace notre regard sur le travail. Le travail n’est plus seulement cet instrument de profit pour celui qui l’organise, mais une activité de service qui tisse le

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C’est pourquoi il fait jurisprudence. Plus essentielle que le droit est la jurisprudence, qui met en œuvre les usages de la règle, en telle situation de fait. La jurisprudence va contre l’obéissance à ce qui vient d’en haut. Elle adapte, elle compose et combine des contraires. Elle joue des failles, des ruptures, des déplacements au sein même des dispositifs de contrôles. Tout pouvoir engendre sa résistance. Naguère les travailleurs sabotaient la chaîne pour relâcher les cadences. Aujourd’hui le volontariat virusse et parasite le salariat. Les bénévoles déplacent les lignes tracées d’une existence contrôlée pour des lignes de fuite, réponse improbable et artiste aux forces qui oppriment, subjectivation joyeuse qui invente des nouvelles propriétés de vie. Ils montrent qu’ils ont des puissances, des potentialités inaccomplies à effectuer. Tout vivant surmonte ses déséquilibres internes et externes non pas en s’adaptant, mais à normant autrement son milieu. Ces sujets hors moyenne posent le problème de la norme. Avec ces humains que l’on dit minoritaires, pauvres, malades, handicapés, vieux, émigrés, différents et bientôt dissidents, ils posent la question de la fabrique des minorités, celle du devenir minoritaire qui nous atteint tous. Les nouveaux ministères occidentaux de l’exclusion et de la déportation devraient s’en inquiéter: le travail gratuit embarque une foule de passagers clandestins dans le navire de la marchandisation mondialisée.

réseau social. Par cette reconnaissance du semblable, le bénévolat est en train de nous apprendre à attacher les droits non plus à l’emploi, mais à la personne du travailleur, pour résister à l’homme précaire et jetable du salariat. La société est essentiellement positive, inventive, et la philia, cette amitié citoyenne, est notre nourriture vitale. Une écologie sociale doit faire suite à l’écologie environnementale, et comme celle-ci, ne peut être qu’universelle. Philanthropie ne signifie pas spontanéité irresponsable, il faut des institutions démocratiques à ces entreprises. La bonne volonté n’est pas une valeur suffisante si elle n’est pas référée à des fins claires. Quand on oppose deux pauvretés, celle naturelle des enfants biafrais qui appelle notre bienfaisance, contre celle paresseuse des étrangers immigrés qui voleraient nos protections sociales et refuseraient de travailler, il est urgent de réveiller quelques principes. De rappeler contre ce retour des racismes et des nationalismes, qu’aucun peuple n’est autochtone, et comme disait Kant que nul n’a le droit d’occuper un endroit de la terre plutôt qu’un autre. Ou encore cette prudence fondamentale: «L’oppression se montre quand les lois portent directement sur les hommes (pour enregistrer leur ADN, leur race, leur religion, leurs mœurs…) et non sur des institutions préalables qui garantissent les hommes» (Deleuze). On l’aura compris, le bénévolat remplit une fonction politique décisive, mais par le biais du plus démocratique des sentiments, l’amour! La besogne, s’amusait le Philosophe, ne désigne pas d’abord le travail face au besoin, mais un besoin plus fondamental encore, l’acte d’amour! Par le bénévolat, l’immense foule anonyme des laisséspour- compte de l’histoire, exactement celle des prolétaires, monte enfin sur l’avant-scène, réhabilitant l’Homme sans qualité et la foule ordinaire.

Ecce homo

Nos bénévoles sont des passeurs d’humanité. Recueillant le visage vulnérable des humains hors moyenne et minoritaires, ils nous réconcilient, par ce formidable contrepoids au souffrir, qu’ils destinent au partage. Ils n’en consolent pas, mais le subliment en style de vie et en dignité. Alexandre Jollien a montré avec clairvoyance qu’on ne se bâtit pas tout seul dans une autonomie superbe. C’est toujours d’un autre qu’on reçoit le courage d’être soi, d’un autre qui ne fait rien à proprement parler, comme un vrai maître ne fait rien à votre place. D’un autre souvent plus vulnérable, qui vous assure avec entêtement que vous pouvez encore y parvenir, à cet impossible métier d’homme. Cet humanisme tragique, affirmant que du plus fragile nous vient notre humanité, est lui-même en souffrance aujourd’hui, menacé par le retour de politiques criminelles qui dénient aux faibles le droit d’exister. C’est un défi planétaire pour l’intelligence, et pas seulement la charité, auquel riposte le bénévolat, celui de la reconnaissance des perdants. Autrui n’a pas l’existence virtuelle d’un pseudonyme sur la toile internet. C’est du premier venu que je reçois mon humanité, lui dont le visage dans sa transcendance infinie reste aussi loin de moi que la fin de l’histoire… Nous remercions Monsieur Lambert pour ce texte, extrait de son intervention à l’occasion de la remise du prix d’encouragement à la Formation d’adultes, le 16.11.2007, à la HEF-TS de Fribourg. L’article dans son intégralité est disponible sur le site: www.pagesromandes.ch Jean LAMBERT, Centre d’Etudes Interdisciplinaires des Faits Religieux, Unité Mixte de Recherche 8034 du CNRS, Ecole des hautes études en sciences sociales, 10 rue Monsieur le Prince, Paris 6°


Internet, un outil d’aide à la co-création Ou le bénévolat de demain...

Frédéric Sidler, spécialiste en communication internet

Une nouvelle forme de bénévolat se dessine à travers les réseaux sociaux. Tour d’horizon avec Frédéric Sidler, spécialiste de la communication des médias via internet... Personne ne sait tout, mais tout le monde sait quelque chose... Partant de ce constat, nous avons tout intérêt à ce que les savoirs des uns et les compétences des autres puissent se mettre ensemble et se compléter... L’invention d’internet a changé le mode de communication entre les humains. Grâce à ce nouvel outil d’échanges, les choses ont évolué... Nous ne faisons plus nos achats de la même manière. Nous consommons de la musique et de la vidéo tout à fait différemment. La formation elle-même va se transformer avec l’avancée de ces technologies. Bien sûr, il y a des «pour» et il y a des «contre». Les gens sont quelquefois méfiants face à la nouveauté. Or la peur est très souvent liée à la méconnaissance... Quels sont donc les avantages de ces nouveaux moyens de communication? L’un d’eux est sans conteste, la co-création issue de la participation gratuite des uns et des autres. Sans internet, une contribution globale de personnes compétentes dans un domaine précis ne serait tout simplement pas possible. Linux L’icône de Linux est un pingouin, que vous avez déjà sans doute rencontré au cours de vos navigations sur la toile. Mais au fait, Linux, c’est quoi? Si vous êtes propriétaire d’un Mac ou d’un PC, vous avez l’habitude d’utiliser des systèmes d’exploitation qui font fonctionner votre ordinateur; Ils s’appellent Windows pour PC et OS X pour Mac. Mais quand vous faites vos courses dans une grande surface, quand vous achetez un billet de transports publics, il faut savoir que les systèmes qui gèrent ces achats sont

très souvent basés sur ce même Linux, un système opérationnel, ouvert et gratuit développé par des informaticiens répartis sur toute la planète. Cet outil est constamment amélioré et mis à jour par des milliers de personnes qui y contribuent soit à titre individuel, soit dans le cadre de leur travail, au sein leur entreprise. Linux est non seulement utilisé pour les ordinateurs qui gèrent ces différentes connexions, mais il peut aussi remplacer - chez vous - votre système actuel. Il est déjà en train de s’imposer dans la téléphonie mobile. Ce système est développé par des personnes qui travaillent à distance et qui contribuent tous les jours à son amélioration. Firefox Lorsque vous naviguez sur la toile, vous utilisez très certainement Internet Explorer si vous êtes sous Windows. (Safari pour ceux qui travaillent sur Mac). Il existe une alternative à ces deux navigateurs internet, et cette alternative, c’est Firefox. Firefox est un navigateur «ouvert», ce qui signifie que n’importe qui peut voir comment il est développé. Il n’y a pas de copyright sur son code source. Il est gratuit et maintenu par une communauté de personnes qui travaillent sur ces technologies. A ce jour 5,1 millions de lignes de code ont été écrites, et il y a 1,3 million de commentaires écrits par ses membres. C’est un travail titanesque auquel ont contribué un très grand nombre de développeurs. Cette entreprise co-créative est gérée de façon centralisée par des équipes de spécialistes. L’outil est utilisé par l’ensemble des membres de cette communauté, mais il est surtout mis à disposition de tout un chacun. Wikipedia Si vous cherchez une information sur internet, votre premier réflexe est celui d’utiliser un moteur de recherche,

et le premier qui apparaît est celui de Wikipedia. «Wikipedia est une encyclopédie multilingue, universelle, librement diffusable, disponible sur le web et écrite par les internautes». Fondé en 2001, ce site est devenu l’un des plus visités de la planète. Plus de 50 millions de visiteurs uniques s’y connectent tous les jours. Son contenu est très régulièrement mis à jour. C’est «la» référence en termes de co-création. Ce projet a pris une telle ampleur au niveau planétaire que le magazine Time vous a élu «vous», c’està-dire chaque personne qui y contribue, personnalité de l’année en 2006. L’encyclopédie contient 3,6 millions d’articles en anglais, 1,2 million en allemand, 1,1 million en français, et près de 800’000 en italien. Cette encyclopédie est disponible gratuitement dans plus de 80 langues. Des œuvres artistiques Il existe également des œuvres artistiques qui ont été co-créées. Tout ça grâce aux nouvelles technologies et aux nouveaux moyens de communication. Un chœur virtuel de 253 chanteurs a ainsi été mis en place par Eric Whitacre en 2010. Ce chef d’artistes virtuels a réuni 185 chanteurs autour de l’œuvre «Lux Aurumque». Ces artistes ont chanté ensemble, alors qu’ils ne s’étaient jamais rencontrés. Dans le domaine du cinéma, deux films d’animation ont été réalisés par des professionnels aidés de bénévoles. Il s’agit de «Elephant Dreams» et «Big Buck Bunny». Ces deux films sont téléchargeables gratuitement. Ils ont été produits avec des outils ouverts et gratuits. Et ils sont distribuables sous une licence ouverte. Nous sommes 7 milliards sur la terre. Seuls 25% d’entre nous sont aujourd’hui connectés à internet. C’est dire si la co-création a encore de beaux jours devant elle...

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Note de lecture

Le bénévolat, une poignée d’humanité

D’un côté, une indéniable diminution du travail «officiel» pour une civilisation dite «des loisirs». De soixante heures par semaine (affectant également des enfants, forme de néo-esclavagisme existant encore dans de nombreux pays émergeants), on est passé à une quarantaine d’heures légales, voire moins. Et l’espérance de vie, donc le temps de la retraite pour les 3e et 4e âge a doublé. D’un autre côté, une augmentation du stress, des échanges de plus en plus superficiels: on quantifie, chronomètre en main, les actes des infirmières et des travailleurs sociaux comme ceux des postiers. On horodate ce qui s’appelait vocation. Nous assistons à un continuum malsain entre les activités professionnelles et privées, toutes deux asservies aux omniprésents téléphones et ordinateurs portables. Et le temps, dit «libre» est devenu matière à exploiter au plus vite, selon une logique productiviste: l’on se doit, désormais, de pratiquer mille activités connexes, séminaires, sports, ateliers sous l’égide d’experts, coachs et gourous, avec une esthétique du rendement, des échelles de niveaux, bilans et retours sur investissement. Notre société «tue le temps», selon l’expression guerrière qui lui sied si bien, en un souci angoissé de quasi-hostilité par rapport au lâcher-prise. Les vacances elles-mêmes, par l’engrenage d’un snobisme sans détour, sont devenues une véritable compétition. Il faut «faire» Rome en quatre jours (avec, pour seule lecture, les maigres pages d’un guide de poche!), «faire» les Malouines ou les Seychelles, pour que le vernis du succès et du dynamisme soient saufs! Les adolescents se jettent sur FaceBook, multipliant des relations instantanées à l’instar de leurs «idoles» dont certaines ont 100’000 «amis» ou davantage: Néron ou Khadafi en seraient presque

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jaloux! Le malin génie de cette institution ayant détourné le terme «amitié» à fins commerciales, sans que nul n’y voie à redire. Le téléphone portable est devenu une sorte de hochet narcissique, toute intervention intempestive prenant le pas sur la relation présente et donnant qualité de ministre à l’individu sollicité. L’immédiateté a pris le pouvoir. Cette dictature de l’environnement («je t’ai écrit un mail il y a 10 minutes et tu ne m’as pas encore répondu!») , cet asservissement aux technologies, cette dépendance socio-culturelle dont le franglais et la déstructuration de la langue ne sont que les plus nettes évidences, nous ont-ils fait quitter les sillons de l’imaginaire, de l’écoute vraie, de la rêverie, des relations profondes et durables? En sus de nos contraintes professionnelles incessantes, sommes-nous devenus malades du temps libre? Pris entre une phobie de l’ennui et l’addiction du faire, l’occidental morcelle, hache, désagrège son temps libre de manière toxique. Tambour battant, il en est venu à mendier le tumulte. Il souffre d’une arythmie permanente entre son temps intime et les exigences professionnelles et sociétales qui l’envahissent. Et si cette inexorable fuite en avant, cette peur du moi et du vide, cette soif de reconnaissance chez les hyperactifs que nous sommes devenus, prenaient la pause? Repartir à la découverte de notre propre temporalité, mettre quelques heures en jachère! Pour prendre du recul, le temps d’une rêverie, d’une méditation, d’une médiation avec nous-même. Avec un zeste d’humour, de dérision face à toutes ces soi-disant urgences qui nous accaparent au quotidien. Le temps de rompre le pain, de regarder les yeux-source d’un étranger, d’un malade, d’une personne handicapée… Et si le bénévolat était précisément l’une de ces réponses aux processus corrosifs qui nous rongent? Ce don de soi qui

Claude Luezior-Dessibourg

Claude Luezior-Dessibourg, Fribourg

s’inscrit précisément dans le partage où se fondent les heures, tel dans un tableau de Dali, où le temps de Lamartine «suspend son envol» pour appartenir à un contact revivifiant et gratuit entre les êtres. Et si le bénévolat était une poignée d’humanité? Ce texte est inspiré (y.c. citations en italiques) par l’excellent ouvrage du Pr. Laurent Schmitt: «Du Temps pour soi, conquérir son temps intime» paru aux Editions Odile Jacob, Paris, oct. 2010. Je le recommande à tous.


Sélection

Loïc Diacon, responsable infothèque, Haute Ecole de Travail social (IES), Genève

Les bénévoles et l’association Dominique Thierry

Poneys et chevaux au secours de l’autisme

Voiron (Isère): Territorial 2010 Les guides pratiques d’Associations mode d’emploi; no 27

Claudine Pelletier-Milet Paris: Belin, 2010

«Le bénévole régulier est un bénévole occasionnel que l’association a su élever!». L’expression illustre bien les enjeux de la gestion des bénévoles. Comment bien les accueillir, identifier leurs attentes, permettre leur participation et leur prise de responsabilités. Comment prévoir le renouvellement des instances. Et enfin, comment rétribuer les bénévoles, que ce soit en termes financiers, symboliques ou d’acquisition de compétences. Pour attirer et fidéliser les nouveaux bénévoles, le monde associatif doit s’adapter aux attentes et aux différentes caractéristiques sociologiques de chacune des classes d’âges de bénévoles. L’amélioration de la gestion des ressources humaines bénévoles doit être abordée lorsque l’association maîtrise tous les autres aspects de sa gouvernance. Le travail bénévole: engagement citoyen ou travail gratuit? Maud Simonet-Cusset Paris, La Dispute: 2010

Le bénévolat et le volontariat se développent et se diversifient. Mais dans l’expérience des bénévoles, les politiques publiques et les pratiques associatives n’est-il question que d’engagement et de citoyenneté? Ne faut-il pas aussi, et peutêtre avant tout, voir là du travail? Le travail bénévole: travail libre et idéal pour les uns, et tremplin obligatoire vers l’emploi pour les autres? Le nouveau statut du volontariat: engagement citoyen pour tous ou sous-emploi pour certains? Cet ouvrage analyse le travail bénévole et ses enjeux sociaux et politiques, en s’appuyant sur plusieurs enquêtes de terrain sur le bénévolat et le volontariat en France et aux États-Unis. Il s’intéresse aux usages de ce travail invisible de la part des acteurs qui s’y engagent, des pouvoirs publics qui les soutiennent et des organisations dans lesquelles il s’exerce. En articulant ces différentes échelles d’analyse, il met en lumière le rapport ambivalent que le travail bénévole entretient avec le travail salarié. Ce portrait du bénévole en travailleur, qui nous interroge sur les contradictions de l’engagement, et sa capacité à produire de la précarité, ainsi que l’analyse de la «bénévolisation du travail» auquel il aboutit, s’adresse à tous ceux qui font vivre et analysent le monde associatif, mais aussi à ceux qui souhaitent réfléchir aux transformations du travail aujourd’hui.

Oui, les enfants autistes peuvent s’ouvrir à l’autre, aux émotions, aux sensations et se construire. La personne autiste est un sujet qui ne demande qu’à s’épanouir. C’est le postulat de Claudine Pelletier-Milet qui, à la marge des controverses sur les causes de l’autisme, a développé depuis 15 ans un dispositif avec ses poneys où «ses magnifiques cavaliers» évoluent dans son monde de joie et de plaisir. La «dame poney», comme l’appellent les bébés cavaliers, plongée dans cette grande odyssée humaine, a su prendre le recul nécessaire pour analyser les situations sur le terrain et formuler des hypothèses avec l’appui de la psychanalyste de l’enfance Catherine Mathelin-Vanier et du psychologue clinicien Nicolas de Lahaye. Certes, les animaux (chevaux, dauphins, etc.) trouvent un mode de communication avec les personnes autistes, mais pourquoi et comment, voilà ce qu’explique l’auteure, forte de son expérience. Elle raconte dans ce livre une grande aventure humaine et ouvre de nouvelles brèches dans le monde clos et mystérieux de l’autisme. Adolescence et retard mental Marie-Claire Haeleweyck, Hubert Gascon Bruxelles: De Boeck, 2010

L’adolescence est une période cruciale du développement. Elle débute à la puberté, et mène vers la vie adulte. Mais, qu’en est-il chez la personne qui présente un retard mental? Il existe de nombreux ouvrages sur l’adolescence. Cependant peu d’écrits abordent cette période de développement chez la personne qui présente un retard mental. Ce livre traite, notamment, du développement psychologique, de l’éducation, de la scolarisation, de la santé, et décrit des pratiques qui visent l’autodétermination, l’inclusion et la participation sociale, en alliant théorie et pratique. Il cible un large public composé de professionnels de l’éducation, de la santé et des services sociaux, ou d’étudiants de diverses disciplines telles que les sciences de l’éducation, les sciences humaines et sociales. Il intéressera également les parents soucieux de mieux comprendre cette période de transition.

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Formation et informations

Médiation culturelle pour les personnes avec handicap mental dans les musées

Troubles graves du comportement polyhandicap: parlons-en !

En partenariat avec les associations Cap Loisirs et Mille et une feuilles, la Ville de Genève propose un cycle de visites adaptées aux personnes avec un handicap mental durant toute l’année 2011 dans les musées minicipaux. Les visites se déroulent selon une didactique spécifique. Elles sont réalisées par des équipes sensibilisées et expérimentées dans l’accompagnement de personnes avec un handicap mental. Mille et une feuilles propose d’approcher l’Edelweiss et d’autres merveilles le 19 juin au Conservatoire et Jardin botaniques, de se pencher sur Ratanhia’k, Art contemporain genevois, le 25 septembre au Musée Rath, de s’initier à La saveur des arts le 13 novembre au MEG Conches et de revivre l’Escalade par le biais de ses armures le 11 décembre au Musée d’art et d’histoire. Ces visites permettent aux enfants et aux adultes ayant un handicap mental de s’approprier leur environnement culturel et de développer au maximum leur compréhension des œuvres abordées. A l’issue de chaque visite, un atelier permet aux visiteurs de restituer leur vision de l’exposition. Tous ces travaux feront l’objet d’une exposition en juin - à mi parcours - dans les locaux de Cap Loisirs.

Subcongrès polyhandicap (Université de Genève) Journée d’étude du groupe romand sur le polyhandicap (GRP, avec conférence plénière de Geneviève Petitpierre

Informations pratiques: - www.ville-geneve.ch/culture, rubrique Handicap & culture; Projets - Inscriptions auprès de Cap Loisirs: ++41 22 731 86 00

et

Mercredi 31 août 2011 de 9 h à 16 h 30 Les troubles graves du comportement menacent la relation de la personne à son environnement, compromettent son intégration communautaire, augmentent son isolement, véhiculent parfois un risque d’atteinte définitive à l’intégrité physique. De quels comportements parle-t-on? Quelle place occupent-ils dans l’économie de la personne? Quel est leur rôle? Comment dépasser le constat de difficulté et le sentiment d’impasse? De quels outils spécifiques avons-nous besoin pour évaluer les comportements concernés? Quelles sont les perspectives d’intervention à envisager pour les modérer et favoriser la qualité de vie des personnes concernées et de leur entourage? Atelier 1: Troubles graves du comportement et communication par Kris Ricchetti (Fondation Echaud) Atelier 2: Troubles graves du comportement, agentivité et stimulations par Geneviève Petitpierre (Université de Genève) Inscription au subcongrès sous www.csps.ch/congres

Congrès suisse de pédagogie spécialisée 2011 du 31 août au 2 septembre 2011 Unitobler, Berne

Quand un comportement dérange Expliquer, comprendre, agir

Du jardin d’enfants à l’école, comme dans les institutions, les professionnel-le-s sont confronté-e-s à des comportements agressifs, des provocations, des incivilités. Ce phénomène se manifeste aussi dans le cadre de l’intégration d’élèves ayant des difficultés de comportement ou chez des adultes en situation de handicap exerçant de l’agression contre eux-mêmes ou contre autrui. De telles situations représentent aujourd’hui un défi pour les professionnel-le-s, les personnes concernées et leur entourage.

Conférences principales de: Allan Guggenbühl, Anton Strittmatter, Birgit Herz, Myriam Squillaci Lanners, Lise Gremion, Marc Getzmann et beaucoup d’ateliers intéressants Inscription en ligne: www.csps.ch/congres Adresse de contact: Centre suisse de pédagogie spécialisée SZH/CSPS, Maison des cantons, 3011 Bern - kongress@szh.ch / 031 320 16 60

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Handicap et diagnostic à l’aube de la vie: espoir ou dérive? Regards croisés sur le diagnostic préimplantatoire COLLOQUE GRAND PUBLIC La médecine humaine moderne permet aujourd’hui de dépister à l’aube de la vie, un grand nombre de pathologies dont on sait qu’elles peuvent aboutir à certaines formes de handicap Le débat autour du diagnostic préimplantatoire de certains handicaps suscite plusieurs questions: acceptons-nous encore la différence et quelle place occupe la personne handicapée dans une société qui érige le perfectionnisme sous toutes ses formes en critère unique de valeur? Où se situe la limite entre progrès scientifique et dilemme éthique? C’est sur ces questions que débattront des experts des domaines médical, éthique et juridique, ainsi que des personnes directement concernées par cette thématique, à l’occasion d’un colloque grand public aui aura lieu

le 30 août 2011 au Centre de Congrès de Beaulieu à Lausanne Inscriptions jusqu’au 10 août 2011: Pro Infirmis Vaud, tél. 021 321 34 34 - vaud@proinfirmis.ch

Lien donnant accès à toutes les informations complémentaires et à l’inscription en ligne est http://www.info-handicap.ch

Un film à voir et à entendre

Nel Giardino dei Suoni de Nicola Bellucci Ce film, sorti au printemps 2011 sur les écrans de Suisse romande traite de la question du handicap et de l’éducation à la communication sonore. Nel Giardino dei Suoni nous invite à voir le monde d’une autre perspective, un monde qui n’est pas forcément noir ou blanc, mais un ensemble de couleurs et de notes à découvrir. «Lorsque je me promène la nuit dans la forêt», raconte Wolfgang «ce sont les autres qui deviennent aveugles. Je suis le seul qui réussit à voir, parce que j’entends». cineworx gmbh - info@cineworx.ch - Tél. +41 61 261 63 70

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