PAGES ROMANDES - Les valeurs du handicap ou le pari de la rencontre

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No 1 fĂŠvrier 2010

Forum de Tignousa

Les valeurs du handicap ou le pari de la rencontre


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Renseignements et inscription : ASA Handicap Mental - Rue des Casernes 36 CP 4016 – CH-1950 Sion 4 Tél. +41 27 322 67 55 – Fax +41 27 322 67 65 asa-handicap-mental@bluewin.ch – www.asa-handicap-mental.ch

ASA Handicap Mental vous invite à une rencontre romande! Mise en commun des réflexions de plusieurs cantons romands autour d’un partenariat réel et efficace. Réservez la date! (le programme détaillé sera disponible ultérieurement)

Jeudi, 22 avril 2010 – HEP Lausanne (après-midi)


Sommaire

Impressum Pages romandes Revue d’information sur le handicap mental et la pédagogie spécialisée, éditée par la Fondation Pages romandes, Institution de l’Espérance, 1163 Etoy

Dossier:

Conseil de Fondation Président : Charles-Edouard Bagnoud

Les valeurs du handicap ou le pari de la rencontre...

Rédactrice et directrice de revue Secrétariat, réception des annonces et abonnements Marie-Paule Zufferey Avenue Général-Guisan 19 CH - 3960 Sierre Tél. +41 (0)79 342 32 38 Fax +41 (0)27 456 37 75 E-mail: mpzu@netplus.ch www.pagesromandes.ch Comité de rédaction Membres: Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga, Sébastien Delage, Olivier Salamin, Marie-Paule Zufferey Responsable de publication: Charles-Edouard Bagnoud

45.-38.-70.-35.--

Publicité et annonces - Tarifs 1 page Fr. 800.-1/2 page Fr. 500.-1/4 page Fr. 250.-1/8 page Fr. 125.-1/16 page Fr. 50.-Tarifs spéciaux pour plusieurs parutions Les demandes d’emploi provenant des étudiants des écoles sociales romandes sont gratuites Délai d’insertion 2 semaines avant parution Compte bancaire Banque cantonale du Valais, 1951 Sion En faveur de K0845.81.47 Pages romandes Compte 19-81-6 Abonnement pour la France: faire parvenir vos coordonnées et votre règlement par chèque bancaire à: Jean-François Deschamps 108, rue Ire Armée F - 68800 Thann Graphisme Claude Darbellay, www.saprim.ch Mise en page Marie-Paule Zufferey Impression Espace Grafic, Fondation Eben-Hézer, 1000 Lausanne 12 Crédits photographiques et illustrations Christine Torche Mercier, Institution de Lavigny, Fotolia, Marie-Paule Zufferey Photos de couverture: Fotolia N.d.l.r.: Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. La présentation, les titres et les intertitres sont de la rédaction. La reproduction des textes parus dans Pages romandes est souhaitée, sous réserve de la mention de leur source.

3 Editorial Marie-Paule Zufferey

6 Faire monde commun Marie-Paule Zufferey

Tirage minimal: 800 exemplaires

Fr. Fr. Fr. Euros

2 Tribune libre Claude Luézior Dessibourg

4 Rencontre sur les hauteurs Marie-Christine Ukelo Mbolo Merga

Parution: 5 numéros par an Mi-février, mi-avril, mi-juin, mi-septembre, début décembre

Abonnement annuel Suisse AVS, étudiants Abonnement de soutien Etranger

8 Incapacité ou capacité différente Michel, éducateur Sport handicap 10 A la rencontre de la différence au cœur d’une autre montagne Christine Torche Mercier 12 Survivre à un traumatisme cérébral sévère Mali Wiget 15 L’intervention précoce de l’AI Olivier Salamin et Marie-Paule Zufferey 16 Langages des médias et handicap Samuel Bonvin 18 Sexualité et handicap Marie-Jo Zufferey 19 L’impossible synthèse d’un forum ouvert Olivier Salamin 20 Situations extrêmes, comment les surmonter ensemble? Pierre Mayor et Amélie Buri 22 Petites annonces pour grand amour Catherine Agthe Diserens 23 Sélection Loïc Diacon 24 Séminaires et formations

©Pages romandes


Tribune libre

Lettre à la mère d’un enfant handicapé Claude Luézior Dessibourg, Fribourg

Avec le Christ en croix, peut-être le plus beau tableau de la création. Non celui d’une femme en pleurs aux côtés du Fils pantelant. Non celui d’une Marie de Magdala en oraison: certes, un jour, le corps guenille se fera glorieux. Et si vous étiez, tous deux, déjà gloire, ici-bas? Paradoxalement, j’élague mes doutes à votre source commune, dans ce mystère qui vous transporte, en cette symbiose, cette synapse si difficile mais si vive, celle de l’amour. Jean-Michel est là: tout entier dans son handicap. En chaise. Roulante, comme on dit. Ses yeux transparents cherchent des étoiles. Les mains sont crucifiées à quelque spasticité. Sa bouche en vain esquisse une fois encore un nom: le vôtre. Il va si bien, dites-vous: pas de crise depuis treize jours. Chiffre biblique. Vos petites victoires se nouent les unes aux autres comme un collier d’épines pour enchaîner le destin. D’épines ou de fleurs. Treize! Nourriture céleste pour une naissance nouvelle. Là piétine l’espoir. Là sourd l’angoisse du lendemain. Là s’est enraciné le dérisoire. Et pourtant, c’est là que s’enlacent vos liens si doux et si forts. Un regard, l’ébauche d’un geste aussitôt happés par le vertige. Une voix: la vôtre. Il va si bien. Un cri me déchire les viscères. Jean-Michel tourne ses yeux vers moi, comme pour me consoler. Etrange partage d’une Odyssée humaine. Où puisez-vous, tous deux, cette énergie? Dans quel lobe l’amour est-il sécrété? De quelles fibres l’attachement est-il tissé? Indicible partage. Serai-je, à mains nues, d’une toute petite partie de vos combats? Quand vocifèrent mes impuissances. Quand on est dans le faire et que l’on ne peut pas. Quand on est dans le dire et que l’on ne sait que dire. Quand on est dans l’ordonnance et que l’on ne sait qu’ordonner. Ne pas tomber dans le misérabilisme, les violons de la pitié, l’orchestre de pacotille. Survivre, tout simplement. Avec vous. Grâce à vous deux, peut-être. Il va si bien, Docteur! Que je suis peu docte, en ce moment, mais d’un coup, que je suis devenu riche!


Edito «Je sais, le vie est ainsi, inéquitable. Je ne l’accepte pas. J’imagine une autre planète, d’autres cieux: ça me tient debout, en ce monde intranquille où tout n’est que peut-être». Charles Gardou

A Marie «Depuis ce novembre, tu me parles dans mes rêves et j’écris autour de toi» «Je ne sais pas bien qui tu es, mais je sais que tu me ressembles. Nous avons appris à nous parler de tout ce qui nous brise et nous lie, à nous comprendre à voix basse.» Voyageur échoué dans mon propre pays, je songe à ceux qui, un jour tombés hors du monde, semblent voués à cheminer avec les crépuscules. ils ont, dans la noblesse de leurs mots, dans la vérité de leur regard, une même tache de silence.» «Partout, le même visage d’homme. Avec les mêmes rêves d’harmonie, la même quête d’infini. Les mêmes brûlures à l’âme, les mêmes désirs de réparation. Les mêmes éclats de verre dans le cœur. Les mêmes désespérances, les mêmes utopies. Les mêmes cernes sous les yeux, les mêmes cils battants. Sur les mêmes sentiers imprévisibles et chaotiques.» «Tout compte fait de mes expériences écartelées et écartelantes, je crois qu’il n’y a qu’une chose qui ne se compense pas, c’est de ne pas vivre et de n’avoir pas vécu. Je suis de la religion de vivre et de permettre aux autres de vivre. J’essaie d’être digne là où la vie a son lieu: ici et maintenant.» Charles Gardou Auteur de «Fragments sur le handicap et la vulnérabilité» érès, réédition 2009

Forum de Tignousa

Le chemin d’une autre planète Marie-Paule Zufferey, rédactrice

C’est dans la station des étoiles anniviarde qu’a eu lieu le premier forum organisé par Itinéraire Santé et Pages romandes. Durant les nombreuses années que j’ai vécues à SaintLuc, j’ai connu nombre d’arrière-saisons d’une beauté et d’une douceur à vous faire tutoyer le sublime. Mais ce 17 octobre 2009, ni la chaleur, ni la lumière de mes automnes d’autrefois n’étaient au rendez-vous. ll faisait gris et froid. Il avait même neigé sur Tignousa... Pourtant, plus de soixante personnes, valides ou en situation de handicap, ont ce jour-là relevé le défi de la rencontre qui leur était proposée. Dans un monde qui glorifie la force et la perfection, ceux-là se sont rassemblés autour de la fragilité, de la faille, de la déchirure. Dans une société qui privilégie le calcul des coûts et brandit comme une menace le prix de ses prestations, celles-là ont projeté d’interroger plutôt les valeurs du handicap. En un temps d’individualisme triomphant, ces hommes et ces femmes ont décidé de travailler ensemble à l’harmonisation de leurs grammaires, afin de réussir au mieux la conjugaison de leurs destins. Là-haut sur la montagne, condamné-e-s par la météo à renoncer aux moments de détente prévus à l’extérieur, les participant-e-s ont pu, au cours de la journée, aiguiser leur intelligence de la co-habitation, dans un espace commun fini. Peut-on rêver de meilleure situation pour toucher du cœur et de la conscience, la réalité de notre condition humaine? Ce premier dossier de l’année 2010 propose une constellation de réflexions issues de la journée de Tignousa... Ainsi qu’une invitation à venir inventer, dans un prochain forum, les conditions d’un meilleur vivre ensemble. Faudra-t-il, pour cela, imaginer une autre planète? Nous adressons nos remerciements aux personnes, ainsi qu’aux organismes et autres collectivités qui ont apporté leur aide à l’organisation du Forum de Tignousa: • Commune d’Anniviers; • Fondation Helvetia Sana Berne Suisse; • Funiculaire Saint-Luc Chandolin SA Anniviers; • Imprimerie de la Vallée, Vissoie Anniviers; • Olivier et Valérie Demange, Tignousa Anniviers; • Urbain Kittel, Vissoie Anniviers. • Animateurs et animatrices d’ateliers qui ont gracieusement donné de leur temps et de leurs compétences.


Rencontre sur les hauteurs

Le Forum de Tignousa Marie-Christine Ukelo, enseignante HEF-TS, Givisiez

Animatrice du Forum, Marie-Christine Ukelo retraverse pour nous la journée du 17 octobre à Tignousa: vécu personnel, regard critique sur l’animation de grands groupes avec des publics diversifiés, mises en perspectives, hypothèses et autres propositions à remettre en débat. Après une halte méthodologique (le World Café, c’est quoi déjà?), elle nous livre ses observations et partage ses réflexions autour de cette rencontre pas comme les autres.

Samedi 17 octobre 2009, 2200 mètres d’altitude. Grisaille d’automne. Jour blanc annonçant déjà l’hiver. Il est 9 h. Courageuses et motivées une soixantaine de personnes sont rassemblées dans la salle du restaurant de Tignousa.

Animer, donner une âme, du mouvement, de la vie Si chacun et chacune a choisi d’être là, chacun et chacune est plein-e d’attentes diverses, plus ou moins explicites par rapport à une journée qui affiche de telles ambitions. Il n’y a donc pas lieu de donner un souffle de vie à ce groupe, mais bien d’en être un moteur et également une accompagnatrice pouvant favoriser l’expression, la prise de parole et la confiance de chacun-e dans sa possibilité de poser sa pierre à l’édifice. Le challenge a été pour moi d’être centrée à la fois sur une démarche exigente en tant que telle et sur la singularité d’un public empli d’attentes: disparité de vécus, de positions par rapport à la thématique, diversité de situations de handicap, mais aussi de possibilités d’expression, de mobilité, d’utilisation des espaces publics. Une partie de mon énergie a donc été prise à naviguer entre une logique «interventionniste», afin de garantir le processus, et une invasion pas trop grande dans les espaces de parole, tenant compte des particularismes liés à cette rencontre particulière.

Une démarche participative parmi d’autres, le World Café Dans l’élaboration de cette journée, nous avons retenu rapidement l’idée d’une démarche participative qui nous semblait favoriser la prise de risque dans la rencontre. La diversité du public visé, son expérience par rapport à la thématique annoncée méritait d’emblée de prendre le contre-pied habituel à ce qui semble être la norme lorsqu’il s’agit de parler du handicap quel qu’il soit: l’expert assène sa parole, les intéressé-e-s du moment écoutent, débattent en ateliers, puis retournent en plénum pour écouter

la synthèse des experts. Renverser la vapeur, c’est partir du principe que chacune des personnes en présence, qu’elle soit en situation de handicap ou non, qu’elle possède une expérience professionnelle, scientifique ou non en lien avec le handicap, possède sa propre expertise par rapport à cette idée de faire monde commun1. D’autre part, la participation de personnes en situation de handicap m’invitait également à réfléchir à un processus d’animation permettant l’inclusion de toutes les personnes en présence. La démarche du World Café pouvait répondre à ces deux injonctions. En effet, les approches participatives préconisent en principe une implication active du public. Et ce public peut être très diversifié, comprenant tant des citoyens lambda, au même titre que des experts et des décideurs politiques, par exemple. Le World Café, démarche d’animation de grand groupe, se veut être «un processus créatif qui vise à faciliter le dialogue constructif et le partage de connaissances et d’idées, en vue de créer un réseau d’échanges et d’actions. Ce processus reproduit l’ambiance d’un café dans lequel les participants débattent d’une question ou d’un sujet en petits groupes autour de tables. À intervalles réguliers, les participants changent de table. Un hôte reste à la table et résume la conversation précédente aux nouveaux arrivés. Les conversations en cours sont alors "fécondées" avec les idées issues des conversations précédentes avec les autres participants. Au terme du processus, les principales idées sont résumées au cours d’une assemblée plénière et les possibilités de suivi sont soumises à discussion.»2

Recueil d’écueils Si l’idée de la démarche participative du World Café était bel et bien de faire en sorte que nous soyons partenaires dans cette belle équation du Forum, nous n’étions pas forcément égaux. Le modèle que préconise le «Processus de Production de Handicap»3 permet d’identifier à partir d’un certain nombre de critères, les éléments qui ont pu renforcer les difficultés de certaines personnes en présence. Voici quelques facteurs de


Une soixantaine de personnes aux attentes diverses sont rassemblées dans la salle du restaurant de Tignousa

la démarche qui ont pu accentuer les difficultés pour certaines personnes. • Le cadre contraignant donné par le rythme imposé vise à faire émerger rapidement les éléments essentiels de la thématique. Ce rythme «standard» ne prend pas en compte des personnes «hors normes». Ce rythme a été vécu comme un obstacle majeur pour certains d’entre nous. Un groupe s’est autorisé à négocier une modification de la démarche en fonction des besoins des personnes présentes. • La méthode propose un travail en petits groupes, lesquels doivent se dissoudre à certains moments donnés pour en créer de nouveaux et faire circuler ainsi l’information. Ces changements de groupes d’appartenances «momentanés» ont été sources de handicap supplémentaire pour certaines personnes. Cette difficulté de construire des appartenances diverses est relatée dans plusieurs études portant sur l’impact de la stigmatisation des personnes en situation de handicap4. Une hypothèse serait celle de dire que les personnes fortement stigmatisées par rapport à leur handicap pourraient présenter des tendances à se définir presqu’exclusivement à partir de leur handicap. Cette identité «unique» pourrait également prétériter la capacité de s’intégrer dans un groupe, et de diversifier les groupes d’appartenance. Ces difficultés sont présentes également chez les personnes ordinaires (y a-t-il des personnes ordinaires?) ayant vécu des processus de stigmatisation. • J’ai proposé des outils très standards comme support à la communication (l’écriture et l’expression orale). Je n’ai pas reçu de remarques à ce sujet, mais je peux tout à fait m’imaginer que ces supports tiennent à nouveau uniquement compte d’une vision normative des outils d’expression, alors que pour faire monde commun1 dans un tel forum, il aurait fallu multiplier les moyens d’expression… L’idée de

la participation désigne des tentatives de donner un rôle aux individus dans les processus de décision affectant une communauté. Suivant le cursus des personnes en situation de handicap, l’apprentissage de l’exercice de la citoyenneté est particulièrement restreint. Non pas uniquement en raison de leur déficit, mais également en raison du regard social sur la situation du handicap. Ainsi, apprendre la prise de parole en groupe, le débat, la confrontation des idées, à se décentrer de son propre vécu ne fait pas nécessairement partie d’un cursus scolaire des personnes en situation de handicap mental par exemple. L’expérience de Tignousa a généré plusieurs situations qui font écho à ce propos. D’autre part, cette prise de rôle est également rendue difficile pour les personnes ordinaires... Gardou5 parle de cette difficulté que la personne ordinaire peut avoir de sortir d’une logique compassionnelle à l’égard des personnes en situation de handicap ou d’un regard porté essentiellement sur les déficits.

d’avoir fait le tour du sujet6. • Une démarche participative inclusive suppose la participation des personnes ordinaires et en situation de handicap tant au niveau de l’élaboration d’un forum, de sa mise en œuvre que de son évaluation. • Les supports à la communication et à l’expression mériteraient d’être diversifiés. Créer des accès à l’information concernant le forum et ses suites qui prennent en compte la diversité des supports à la communication possible. • Et pour finir, ne pas oublier que nous, les participant-e-s du forum ne sommes pas les seul-e-s à devoir faire un certain nombre d’apprentissages. Les décideurs de tout ordre ont également besoin de connaître comment améliorer l’accès au bien commun pour tous et construire le vivre ensemble. Il est dès lors utile de les faire participer également dans les différentes démarches de la planification à l’évaluation du forum.

Pistes pour un prochain forum

2

La séance de clôture de la journée a fait émerger le besoin de donner une suite à l’expérience. Il semble qu’un prochain forum devrait se donner les moyens d’être le miroir des questions liées à l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap, non seulement sur le fond mais également sur sa forme. Une attention particulière pourrait être mise sur les aspects suivants: • La dimension temporelle: il existe des modes participatifs qui donnent du temps au temps. Le travail s’arrête quand les personnes ont le sentiment

Formule empruntée à Charles Gardou Méthodes participatives. Un guide pour l’utilisateur, une coédition de la Fondation Roi Baudouin et du Vlaams Instituut voor Wetenschappelijk en Technologisch Aspectenonderzoek (viWTA), mars 2006 3 RIPPH: Réseau International du Processus de Production du Handicap, 1998, Québec 4 Entre autres Werner Fischer, Danielle Goerg, Eric Zbinden, Claire Garin: Discrimination et stigmatisation des handicapés, leur impact sur les différentes sphères de la vie, Etude comparative de 5 groupes des handicapés, Rapport intermédiaire du projet No. 4045-64769 5 Charles Gardou, «Fragments sur le handicap et la vulnérabilité», éditions érès, 2005 6 L’approche du Forum Ouvert ou Open Space Technology, Méthodes participatives, guide pour l’utilisateur, Belgique, mars 2006. 1


Faire monde commun

Voyage à travers quatre ouvrages de Charles Gardou Marie-Paule Zufferey, rédactrice

«Faire monde commun»; la formule a séduit le comité d’organisation du Forum de Tignousa. Son auteur, Charles Gardou n’ayant pu, pour des raisons de calendrier, nous rejoindre sur les hauteurs de Saint-Luc en octobre dernier, il a été, tout naturellement, l’invité de ces pages de synthèse. A travers quatre de ses ouvrages consacrés aux fragilités humaines (voir encadré, page suivante), il nous livre sa vision d’une société qui se souviendrait que la vulnérabilité est le seul véritable lien entre les hommes.

Traverser les ouvrages que Charles Gardou a écrits, seul ou avec d’autres écrivains, c’est vivre un voyage au cœur de l’humanité. La langue est riche, belle, poétique à souhait et pourtant le propos est clairement à la remise en question. Il constate les dégâts causés par la culture de la puissance et l’idôlatrie de la norme, redonne sa place à la fragilité de l’être et pose les conditions d’une mutation culturelle, seule capable de «désinsulariser ceux qui ne sont pas du bon côté du hasard».

Des constats «Etre non handicapé, c’est la règle, cela fait partie de l’ordre établi. Mais cette norme, qui fixe le normal à partir d’une décision normative vient buter sur le handicap. Celui-ci ne cadre pas avec la société telle qu’elle est. Il en perturbe l’alignement. Il y introduit de la turbulence que l’on cherche en vain à circonscrire.»1 «Dans un environnement conçu pour un citoyen idéal, sans limitations motrices, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, leur privation de liberté relève aussi des obstacles qui les contraignent à des prodiges d’anticipation et d’organisation. Cité, citoyen et civilisation ont la même étymologie. Originellement, le citoyen est celui qui, jouissant du droit de vivre dans la Cité, peut y exercer ses droits et ses devoirs à égalité avec les autres et contribue ainsi à forger une civilisation. Parmi ses droits figure celui d’aller et venir librement sur son territoire d’appartenance. Quelle est la liberté réelle face à un patrimoine commun pour une grande part interdit? L’accessibilité en est la condition sine qua non: celle de l’environnement physique, des espaces bâtis, des infrastructures, des lieux de savoir, de l’emploi, des activités sociales et culturelles, des loisirs, des moyens d’informations. Car il y a pire que d’être exclu: c’est d’être intégré avec l’impression que l’on n’a rien à faire là, parmi tant d’écueils et restrictions, malgré des prévenances qui voudraient illusoirement en amenuiser l’impact. (...) La privation de liberté est indissociable d’une difficulté à vivre le temps commun.»1

«Elles (les personnes handicapées) ne sont pas en dehors de la collectivité, mais à sa merci. On énonce des principes, on réclame des recommandations, on édicte des lois en leur faveur. On leur dédie des lieux, on leur verse des allocations, on les assiste par des aides sociales. On les prend en charge pour atténuer les effets de leur handicap sur elles-mêmes et sur le système social. On exhorte au changement de regard tant pour se rassurer que pour tenter de les rasséréner. On est porté en réalité à décider de ce qui est bon pour elles, sans accorder toute sa valeur à leur parole, ni reconnaître l’éventuelle autonomie de leurs jugements ou décisions et la légitimité de leurs désirs ou projets.»1

De la fragilité comme lien universel Dans l’ouvrage intitulé «Au nom de la fragilité»2, Charles Gardou a invité des écrivains à s’exprimer sur la précarité de l’être. «Ils (les auteurs) révèlent, en filigrane, combien notre matière première, délicate, friable, subtile, nous tisse. Combien, pardelà nos diversités, nous sommes liés, ontologiquement liés par elle, et non par la force, dès la première esquisse de notre vie. Parce qu’elle est la source et la raison profonde de toute relation. Parce qu’elle lui donne son contenu et son sens: celui d’une aventure et d’une destinée communes sur un territoire commun.»2 «Or le handicap n’est qu’un des aspects spécifiques des problèmes généraux de notre humanité. Il ne fait qu’en jouer le rôle d’amplificateur. Le sort peut amener celuici ou un autre, sans aucune prévisibilité ni équité, à en être victime. Parce qu’il relève de l’ordinaire de la vie, il est à prendre en compte chaque fois que l’on pense l’homme et ses droits, que l’on éduque ou que l’on forme, que l’on élabore des règles et des lois, que l’on conçoit l’habitabilité sociale ou que l’on aménage les espaces citoyens, etc. C’est de cette seule manière que pourra s’accomplir la désinsularisation de ceux qui ne sont pas du bon côté du hasard.»4 «En un temps de cannibalisme marchand


(formule empruntée à J. Ziegler), la vulnérabilité, cette inquiétude anthropophilosophique, confronte notre société à de cruciales questions. A réduire l’horizon de la vie humaine au pragmatisme économique, au "marche ou crève", au faire-valoir et au faire-savoir, quels peuvent être le rôle et la place des moins dotés? La valeur des plus chétifs? Comment recréer des liens, autres que compassionnels, entre ces derniers et ceux qui s’imaginent forts? Comment redonner une signification réelle à la notion de patrimoine commun?»3

d’une autonomie, fût-elle apparemment compromise. Le troisième a directement trait aux droits imprescriptibles de tout être humain: il n’est pas de sujet sans un autre qui reconnaisse ses droits et sa dignité dans son altérité parfois radicale. Le dernier concerne le dire et l’agir: il n’est pas de personne en situation de handicap susceptible de s’accomplir comme sujet sans une société qui traduise en actes ses intentions démocratiques et inclusives.»4

Militant d’un autre possible Une révolution de notre manière de penser C’est le titre de l’intervention de Jean«Non, il n’existe pas de solution dans le cadre de la pensée normative, ni dans l’exhortation à la pitié ou à la tolérance! L’alternative réside dans une révolution de la manière de penser et de prendre en compte le handicap. Nous avons à susciter de nouvelles Lumières, afin de nous dépêtrer et nous affranchir de diverses formes d’obscurantisme persistantes: fausses croyances, peurs chimériques, superstitions, stéréotypes, représentations collectives figées et autres habits de l’hétéronomie.» «Ces nouvelles Lumières sont bien autre chose que spéculation ou préconisation doctrinale. Fondées sur de radicales remises en question, elles visent des réalisations concrètes, susceptibles d’améliorer l’existence quotidienne. Une chose est de dire, une autre est d’incarner, en bousculant l’ordre établi. On peut accumuler des déclarations ou les textes et ne convaincre personne. Ce qui importe est de lier conscientisation et actes.»4 «Poursuivons cette réflexion pour nous demander comment permettre à ceux que le hasard de la naissance ou de la vie a stigmatisés d’être reconnus sans condition comme sujets et de jouer pleinement leur rôle dans la communauté humaine. Pour aller plus avant, laissons-nous guider par quatre repères. Le premier renvoie à la notion de reconnaissance, comme besoin vital de tout être humain: il n’est pas de sujet sans un autre qui le reconnaisse comme tel dans sa différence. Le deuxième porte sur le concept d’autonomie: il n’est pas de sujet sans un autre qui accompagne sa conquête

Christophe Parisot dans l’ouvrage intitulé «Le handicap par ceux qui le vivent» et qui donne la parole aux personnes handicapées. «Je n’accorde pas une grande importance à l’espace, au sens large, ayant déjà bien assez à faire pour gérer le mètre carré où je suis assis toute la journée. (l’auteur est atteint de myopathie). En revanche, j’entretiens un rapport au temps. Me considérant comme un grain de sable dans l’histoire de l’humanité, je n’ai que peu de temps pour contribuer, à ma mesure, à apporter plus d’espoir, d’authenticité, de citoyenneté. Non, rien n’arrêtera ces kamikases de la vie, qui finiront par laisser au bord du chemin les nantis, les égocentriques, les aigris, les repus du présent. Charles Darwin avait justement démontré que les espèces qui survivent ne sont pas forcément les plus fortes ni les plus intelligentes, mais celles qui s’adaptent le mieux à leur environnement. Une seule valeur, à mes yeux, dont toutes les autres découlent: celle du vivre ensemble. (...) Qu’est-ce qui fait de nous des hommes? Vivre comme des winners solitaires ou comme les membres d’un groupe solidaire? Comme des consommateurs ou comme des semblables? La prise en compte du handicap comme composante du corps social indique le degré d’évolution d’une société.»1 Ces deux pages ne font bien entendu qu’effleurer les réflexions d’une rare densité contenues dans les ouvrages de Charles Gardou. Puissent ces quelques extraits vous donner l’envie de poursuivre la lecture et peut-être de devenir à votre tour, des militant-e-s d’un autre possible...

Qui est Charles Gardou? A partir d’un itinéraire anthropologique qui l’a confronté à la diversité humaine dans différents lieux du monde, Charles Gardou consacre ses ouvrages à la vulnérabilité et à ses multiples expressions, en particulier aux situations de handicap. Professeur à l’université Lumière Lyon 2, il a fondé le Collectif Reliance sur les situations de handicap, l’éducation et les sociétés. Auteur d’une douzaine d’ouvrages et de nombreux articles, il a également créé et il dirige les collections «Connaissances de l’éducation» aux éditions érès. Entre autres engagements nationaux et internationaux, il co-préside, avec Julia Kristeva, le Conseil national «Handicap: sensibiliser, informer, former». Quatre de ses ouvrages ont servi d’itinéraire au parcours proposé par cet article: Le handicap par ceux qui le vivent érès, mai 2009 Ce livre est écrit sous la direction de Ch. Gardou, par un collectif de personnes en situation de handicap. 1

Au nom de la fragilité érès, 2009 Dans cet ouvrage, Charles Gardou invite plusieurs écrivains à parler de la fragilité. 2

Pascal, Frida Kahlo et les autres Ou quand la vulnérabilité devient force érès, janvier 2009 3

Fragments sur le handicap et la vulnérabilité érès, novembre 2009 (première édition en 2005) Il s’agit d’un ouvrage-synthèse mûri durant des années d’intimité avec le handicap. Un soustitre évocateur et incitatif: «Pour une révolution de la pensée et de l’action». 4

www.edition-eres.com eres@edition-eres.com


Incapacité ou capacité différente

Ou quand la compétence des uns s’arrête là où commence celles des autres Michel, travailleur social, éducateur Sport-handicap, Sierre

Michel, trente-trois ans de paraplégie - comme l’indique la signature à la fin de ce texte - était l’un des soixante participants au Forum de Tignousa. Dépassant largement son expérience personnelle, Michel a développé dans cet article, de vraies pistes pour avancer vers la création de ce monde commun dont l’idée a sous-tendu le pari de la rencontre du 17 octobre 2009...

Éjecté de l’univers des valides, je plonge brutalement dans un océan hostile et inconnu, celui du handicap... A l’âge de vingt ans, une tempête apocalyptique pulvérise ma vie. Mon corps brisé sur des flots agités, ne répond plus, ne m’appartient plus. Dépouillé, vulnérable et impuissant face à ce qui m’arrive, j’éprouve une indéfinissable détresse! Etrangement, un étranger habite une partie de mon être... Ce chavirage m’immerge dans une mer originelle déchaînée, sorte de no humain’s sea. Je suis paraplégique! Mes désirs et mes projets de vie sont-ils réduits en poussière? Ai-je l’énergie nécessaire pour rebondir? Comment adopter mon corps et m’adapter à lui? Après un mois aux soins intensifs, on me transfère au centre de rééducation pour paraplégiques. C’est la douloureuse insertion dans la réalité! L’image que j’ai de ma nouvelle chambre est dantesque! Dans une promiscuité, agglutinés sur cette frêle embarcation, nous sommes six traumatisés à camper dans cet espace. Je suis le dernier naufragé hissé sur ce radeau de survie.

Une deuxième naissance grâce aux anciens

*Pour plus d’informa-

tions sur le projet et l’association qui le porte, consultez le site: info@rouesdelaliberte.com

Hospitalisés pour des escarres, Philippe et Gilbert quinze et vingt-cinq ans de paraplégie, apportent des réponses réalistes à mes interrogations. Ils me révèlent les aspects positifs et m’instruisent sur l’impossible et le possible de leur quotidien. Malgré une vie semée d’embûches, ils dégagent une réelle volonté de vivre. Embarrassé de confesser mon état psychologique et physique à mes proches et à l’équipe thérapeutique, les anciens deviennent ma bouée de sauvetage. Cette relation de confiance a facilité la confidence et a joué un rôle essentiel dans ma deuxième naissance. Ces instants partagés avec mes semblables, étaient l’occasion de parfaire mon éducation à propos de tout ce que l’hôpital ne nous apprend pas. Comme

un phare, persévérant et rassurant, le personnel hospitalier doit briller. Hélas, je rencontre fréquemment des éclairages de discos éphémères, à effets maigres, qui me donnent la danse de Saint-Guy. Plutôt que d’insister sur l’incapacité, la perte et le manque, mes pairs m’ont exposé mes possibilités restantes, mes nouvelles capacités, mes ressources. Renaissance! Ils m’ont donné envie d’aller de l’avant et de m’investir. Ma projection dans un futur proche devient réaliste, mon avenir est imaginable. L’insurmontable recule face à celui qui progresse! Les professionnels de la réadaptation, même si confirmés, sont constamment limités par le vécu qu’ils n’ont pas... En d’autres termes, leurs compétences s’arrêtent souvent là où commencent les nôtres. Après une formation comme travailleur social et éducateur de Sport handicap, j’ai eu la surprise de constater qu’aucune possibilité de reclassement professionnel ne m’était offerte. Suite à cette discrimination, j’ai ressenti le besoin de rester indépendant et acteur de ma propre vie. Ma reconversion professionnelle s’est traduite par une mobilisation autour de challenges qui me sont chers: • l’enseignement du sport; • la thérapie par le mouvement; • la réadaptation, l’intégration de personne en situation de handicap; • la réalisation de projets dans des quartiers défavorisés au Brésil.* Trente-trois ans de lutte dans cette jungle sociétale. De désillusions en désillusions, je roule vers mon idéal, échafaudant mes rêves, je tambourine afin de les réaliser. «On ne maîtrise pas la tempête mais les voiles de son bateau», ai-je lu un jour dans un ouvrage de navigation... Par mon vécu empirique et pragmatique, je me suis formé comme transmetteur d’une connaissance acquise. Cet accompagnement s’inscrit dans le respect de distinctes phases de deuil dont chacun a besoin. Le concerné trouve dans nos rencontres une image et une parole auxquelles il


accordera du crédit, puisque j’incarne une vie possible en fauteuil roulant. L’insupportable réalité peut évoluer en un compagnon vivable et un allié précieux!

L’émulation par ses pairs Ce principe est de permettre à des personnes en situation de handicap chargées d’expériences d’aller vers les cas frais, pour proposer différents supports d’un avenir possible. Apprendre par l’observation et l’imitation; l’individu entérine son apprentissage en y participant personnellement. Il peut s’identifier à ses semblables en se modelant sur leurs attitudes. L’autonomie est un savoir et une pratique à acquérir. De cette action est née la «Pairémulation», émulation par ses pairs. Depuis les années septante, cette technique est utilisée par les minorités américaines. L’expression «Pairémulation» est la traduction du terme anglophone «Peer Counseling», formule adoptée par L’Organisation Mondiale des Personnes Handicapées (OMPH) et soutenue par un projet pilote de la Commission européenne. «Le sens de ce terme définit la transmission par les personnes handicapées autonomes, pour les personnes handicapées en recherche de plus d’autonomie, avec le but de renforcer leur conscience sur leurs possibilités, leurs droits et leurs devoirs». Lorsque les conditions favorables à leur développement sont réunies, nous avons tous à comprendre que celles et ceux qualifiés d’incapables peuvent dévoiler un potentiel insoupçonnable. Notre responsabilité est de comprendre l’importance que chacun puisse exprimer au mieux ses capacités, quelles qu’elles soient! Pourquoi régulièrement attendre la maîtrise de tous les éléments avant d’entreprendre?

S’esquiver de sa tâche professionnelle et se complaire dans l’auto-insuffisance, maintiennent involontairement l’ingérence et l’hégémonie. Ces attitudes favorisent la désorganisation d’un groupe et la déstructuration de nos valeurs communes.

Le handicap comme facteur de progrès Durant l’histoire de l’humanité, tant de femmes et d’hommes se sont imposé un changement de cap, une virevolte à leur handicap. Voici quelques exemples: Ludwig van Beethoven, Ray Charles, Franklin Roosvelt, Michel Petrucciani, Frida Khalo et autre Louis Braille... Vivre dans la souffrance apporte des expériences singulières, lesquelles forgent le caractère en valorisant la personnalité. Cet acquis permet de développer une détermination, un altruisme, une aptitude à la réflexion dans l’ensemble des situations. Certains employeurs le savent: leur présence enrichissante remotive et soude les équipes. Leur travail peut atteindre des performances hors du commun: • Des aveugles travaillent pour la police aux Pays-Bas dans le cadre des enquêtes criminelles. Ils détectent le mensonge avec leur ouïe; • Depuis des siècles au Japon, des non-voyants pratiquent le massage, ama signifie masseur ainsi qu’aveugle; • Des personnes sourdes et muettes inventent un lexique technique de signes pour travailler sur les toits de cathédrales et nettoyer les vitres des gratte-ciel; • Vincent Cerf, malentendant est le précurseur d’internet; • Alexander Bell cherche un nouveau système de communication pour sa femme sourde; cette recherche l’amène à l’invention du téléphone; • La machine à écrire a vu le jour en 1808, pour permettre la lecture aux

personnes malvoyantes; • La porte automatique, la télécommande ont été pensées pour faciliter la vie des gens à mobilité réduite; • L’annonce vocale dans les bus, gares, aéroports a été inventée pour guider la déficience visuelle... Cette liste n’est pas exhaustive; bien d’autres inventions ont été réalisées pour combler nos manques et sont aujourd’hui utilisées par les valides. Des êtres humains ont navigué, naviguent et navigueront sur des océans déchaînés; ils nous prouvent leurs facultés de réflexion, d’action et de création. Ces capacités singulières nous démontrent un potentiel disponible et perméable. Je ne prétends pas détenir des réponses absolues à toutes les interrogations soulevées par l’évocation de mes expériences personnelles. Mon élan insuffle une dimension nouvelle et invite le bien-portant à une originale lecture de l’autre. J’insiste sur la sensibilisation, l’information et la formation pour régénérer la cause du handicap, afin d’accéder à une qualité de vie dans la dignité. Ne vous privez pas de la richesse que vous révèle un cassé de la vie! Ne sommes-nous pas tous semblables avec nos dissemblances? L’avenir ne sera-t-il pas le rassemblement de nos ressemblances? Merci de m’avoir lu. Michel, trente-trois ans de paraplégie

Les lectures qui ont nourri la réflexion de Michel: - Pascal, Frida Kahlo et les autres, Charles Gardou, érès, 2009; - Vivre après l’accident, Jean-Luc Simon, éd. de la Chronique sociale, Lyon, 1989; - Articles d’Adeline Colonat; - Publications de la Commission européenne sur le «Peer Counseling».


A la rencontre de la différence Au cœur d’une autre montagne Christine Torche Mercier, Grimentz

Il y a 10 ans, Florentin Wiget (Flo) guide de montagne, géologue licencié sur le point de terminer son travail de diplôme sur l’Illgraben est victime d’un très grave accident d’escalade. Depuis ce jour, sa vie a changé; après 3 mois de coma, il doit tout réapprendre et garde encore aujourd’hui de nombreuses séquelles. Grâce au soutien de sa mère, de ses frères et sœurs ainsi que de son immense volonté Florentin déjoue tous les pronostics et progresse encore actuellement.

L’aventure du Ladakh Dans ma vie quotidienne, j’ai assez souvent l’occasion de croiser Flo et je m’arrête volontiers pour faire un brin de causette car c’est «un grand bavard» selon son expression. Lorsque j’envisage de partir au Ladakh je pense à lui, car souvent il me parle de l’Himalaya, région dans laquelle il a fait de nombreux séjours, notamment à Leh en 81, où il a passé 6 mois avec ses parents médecins. J’ai envie de l’emmener et de l’intégrer au groupe d’amis que j’ai formé car je sais que ce qui lui procure de la joie, ce sont les montagnes et les pierres. Je sais aussi qu’il souffre de problèmes de comportement et de difficultés cognitives, conséquences de son traumatisme frontal, mais je le connais suffisamment pour avoir confiance. Le Ladakh est le plus grand district de l’État indien du Jammu-Kashmir. Pour nous acclimater nous passons une semaine dans la région de

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Leh à visiter des monastères, nous allons à la rencontre des habitants toujours prêts à nous offrir le chai. (thé). Lors de chacune de ces rencontres Flo se montre curieux et attentionné vis-à-vis de nos hôtes, il sait les charmer. Après 6 jours, notre trek commence. Il nous emmène sur le haut plateau des Changthang qui passe pour être l’un des plus hauts et plus rudes plateaux désertiques du monde, entre 4000 et 5500 mètres d’altitude. Les nomades des Chang Tang y vivent. Ici, la nature est belle à vous couper le souffle, comme la montée des cols où l’oxygène se fait rare. Pour nous cinq, notre caravane comprend deux muletiers, douze chevaux, un guide, deux cuisiniers et un aide. Flo se lie d’amitié avec notre aide cuisinier népalais; ils communiquent en anglais, langue dans laquelle Flo s’exprime encore aisément. Nous campons près des rivières, l’eau est importante pour cuisiner, il faut aussi que les chevaux trouvent de quoi brouter. Chaque jour Flo fait le tour du camp pour ramasser les détritus que d’autres groupes ont laissé traîner dans la nature, puis à l’aide de Kancha, l’aide cuisinier, ils creusent des trous dans la terre pour en-

terrer ces déchets. Flo monte en notre compagnie jusqu’à 6050 mètres. Le sommet n’est pas difficile techniquement, mais la descente dans un pierrier «infernal» le fera jurer plus d’une fois. L’exercice est périlleux, voire douloureux pour lui car, suite à ses nombreuses fractures, il marche avec des chaussures orthopédiques rigides. Mais il sait se montrer volontaire et suscite l’admiration de chacun. En descendant, il aura une petite pensée pour les médecins de la SUVA qui lui avaient prédit une fin de vie en chaise roulante! L’amour des pierres vibre encore chez Flo. Chaque soir, nous retrouvons des cailloux dans son sac; nous les mettons sur la table et l’aidons à faire un tri; ce n’est pas facile, il voudrait les ramener tous… Après dix jours, nous voici au pied du col du Parang La. Ce glacier, à 5580 mètres, permet de relier le Ladakh et le Spiti. Au sommet du col, devant les drapeaux de prières nous laissons éclater notre joie. Mais le temps se gâte et la fin de notre périple est aventureuse; lors de cette étape, nous marchons onze heures sous la neige puis sous la pluie; mais Flo sait puiser dans ses ressources, il est vaillant jusqu’au bout. Malgré une fin riche en adrénaline, aller à la rencontre de ces nomades et de ces paysages grandioses fut pour nous l’occasion de faire un trek inoubliable. Et singulièrement, dans l’aventure s’est imbriquée une autre aventure, celle de notre rencontre avec Flo qui ne cesse de progresser et qui, pas à pas, réapprend à s’aimer.


Des montagnes d’Inde au forum de Tignousa Lors de ce forum, nous avons eu envie avec Florentin, de partager avec d’autres l’expérience unique que nous avons vécue ensemble. Dans un premier temps, nous avons commenté des photos, et répondu aux questions des participants. Puis, nous avons tenu à approfondir notre réflexion autour de la complicité qui peut naître lorsque nous partageons une activité commune, avec une personne différente. Un moment de «brain storming» par petits groupes nous a permis de faire ressortir les éléments suivants: Pour faire surgir la complicité, il est nécessaire d’avoir des objectifs, des actions communes; les activités sportives s’y prêtent bien. Pour cela, il est nécessaire d’être deux ou plus, cela fait grandir l’amitié. Lorsque l’un d’entre nous a besoin d’aide, cela favorise la solidarité, cela nous pousse à être à l’écoute de l’autre, à l’accepter et à être vraiment avec lui. Les échanges ne sont pas seulement verbaux mais peuvent se concrétiser par des regards, des gestes, ils font naître la confiance; ils nous font faire un pas de plus en direction de la compréhension, de l’acceptation de l’autre. La connivence ne s’effectue pas à sens unique; elle engendre la réciprocité et fait naître un véritable échange qui nourrit notre besoin réciproque de reconnaissance. Nous avons partagé notre espace de réflexion avec les membres de PROCAP qui nous ont montré un diaporama de leurs activités sportives, et il a été intéressant pour nous de découvrir que, dans un cadre institutionnel, ils développent les mêmes valeurs que nous avons nourries avec Florentin et mes amis lors de notre voyage, même si nous l’avons fait de manière «intuitive» et non institutionnelle. Photo de Christine Torche Mercier: Flo dans un exercice périlleux pour lui: la descente d’un pierrier au Ladakh...

Des témoignages des membres du groupe, textes écrits pour certains pendant le trek ou au retour pour d’autres ont ensuite servi de support à une nouvelle discussion. «Je suis très fier d’avoir pu être le guide de Florentin. Cela m’a procuré une bonne expérience et une bonne éducation. Si lui peut faire des choses difficiles pourquoi pas nous? Jigmat Dorge guide Leh Ladakh «Flo a amené à ce groupe une façon différente de penser. Il est différent de tous les êtres humains sans trauma. Par exemple il est parfois difficile, voire impossible, de le raisonner. Mais d’un autre côté, grâce à lui, la cohésion du groupe a été renforcée, car il a souvent besoin d’un petit coup de main. Souvent de franches rigolades ont éclaté dans le groupe; il nous a fait rire par ses réflexions brutes, nature et sans gêne. Ce qui a été le plus difficile à vivre, c’est que Flo est un peu râleur... Ce qui est ardu aussi, c’est qu’il a tellement de choses à organiser dans sa tête - choses qui pour nous sont simples, comme faire son sac le matin - que le résultat en est qu’il ne pense qu’à lui. Par contre dans ce trek, il nous donne un super exemple de volonté et de persévérance, c’est pour chacun d’entre nous une extraordinaire leçon de vie.» L. «Je le reconnais, j’ai parfois douté, mais aujourd’hui les bons souvenirs l’emportent et de loin. Lorsque je regarde les photos et que je vois son visage radieux, je suis heureuse de lui avoir permis de vivre ce voyage. Depuis toujours, la présence de Flo et son amitié ont sur moi un effet apaisant, mais Flo est un être "torturé". Je me questionne depuis longtemps sur ce paradoxe. Ce voyage m’a permis entre autres, de répondre à cette question. C’est la lenteur de Flo qui m’apaise, sa lenteur et sa présence à lui-même. Lorsqu’il me parle, il est vraiment là, pas comme certains de mes contemporains et moi-même, trop souvent "ici" mais aussi tellement "ailleurs" perdus dans nos multiples préoccupations. J’ai découvert que cette lenteur qui le han-

dicape dans la vie de tous les jours et qui fait que dans notre vie "speedée" il se sent en complet décalage, est aussi l’atout qui le rend si précieux pour moi.» C. «Ce voyage avec Flo m’a donné une autre dimension de l’effort consenti pour arriver à suivre le groupe; cette volonté permanente de vouloir bien faire et de s’intégrer parmi nous est sans doute une leçon à tirer pour nous les "soi-disant" valides. La seule chose que je regrette, c’est le manque de spontanéité et de partager de sa joie ressentie. Mais "chapeau" Flo, tu m’as estomaqué et pour toi cela n’est pas peu dire!» C. «Pour moi c’était une première expérience avec une personne "handicapée" (je n’aime pas ce mot!). Avec Flo j’ai appris à accepter et respecter les différences sans avoir pitié. J’ai fait mon possible pour le considérer comme un des nôtres sans différence. Flo m’a impressionné par ses connaissances de la montagne et de la géologie. Je pense que bien des choses apprises sont encore bien là. Une chose est certaine: son amour de la nature est intact. Si ses propos sont parfois surprenants, leur véracité nous touche de plein fouet et nous oblige parfois à nous remettre en question. En fait, il fait souvent preuve de bon sens naturel et montre une certaine perspicacité sur les recherches de valeurs. Il a aussi une envie (et une facilité) de contact avec les gens, même inconnus. A plusieurs reprises d’anciens réflexes de guide lui sont revenus. Une fois, j’avais de la peine à monter un col et il m’a encouragé avec les bons mots. Une autre fois, il m’a obligé à boire et à donner mon sac au porteur en me disant fermement "C’est du sérieux, il faut m’écouter". Même si ça lui demande un effort, il écoute nos remarques, critiques, suggestions. Il est aussi conscient de son comportement parfois "égoïste". Flo m’a apporté une amitié sincère et touchante. Merci.» F.

De notre discussion, il ressort que la réussite du projet permet de passer par-dessus les aspects négatifs et que la présence de Flo a favorisé une plus grande cohésion du groupe. Grâce à cette expérience, tous les membres se sont trouvés enrichis. Cette aventure a contribué à diminuer la méconnaissance et la peur qu’engendre celui qui est différent, que l’on ne connaît pas, et a permis de l’aborder avec simplicité et spontanéité.

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Survivre à un traumatisme cérébral sévère Apprivoiser l’insolite Mali Wiget, médecin, fondatrice d’Itinéraire-santé, Anniviers

A toutes les personnes qui ne s’aiment pas au naturel et ont recours à la chirurgie plastique: Osez la surprise, tombez sur la tête!

C’est sur l’avenir des personnes cérébrolésées à la suite d’un traumatisme crânio-cérébral sévère (TCC) que s’est penché, à Tignousa, un groupe d’«experts»*, emmené par Philippe Vuadens et Pascal Zufferey, et composé de Carmelo Niceta, Cathy Chailley, Esther Larios Wiget, Gérard Manzoni, Guy Mottier, Linda Emery, Line Short, Mali Wiget, Michel Barras, Philippe Schnyder, Régis Dessimoz, Simon Wiget. *Expérimentées sont toutes ces personnes, de vivre personnellement ou par proximité amicale, familiale ou professionnelle, avec la lésion cérébrale post-traumatique. «Quelle que soit la gravité du TCC, chaque victime représente un cas unique. Les répercussions d’un TCC dans la vie d’un individu ne sont jamais les mêmes.» (http://www.chuv.ch/neurochir/) Le TCC sévère constitue un problème majeur de santé publique. On parle d’une épidémie «silencieuse» affectant une population, généralement active, gardant des séquelles invalidantes qui sont une réelle entrave à l’insertion socioprofessionnelle. La prise en charge des TCC implique des coûts énormes à la santé publique, tant en frais médicaux qu’en aide pour le retour à la vie active et professionnelle. En termes de dépenses pour les victimes d’un TCC en 2004, 316 millions ont été dépensés en frais de traitement, d’indemnités journalières, en rentes d’invalidité ou de survivant. Plus de 260 millions sont dévolus uniquement aux rentes. Ces chiffres nous font immédiatement comprendre le gain financier que l’on peut obtenir grâce à une réinsertion socioprofessionnelle optimale. Actuellement notre système assécurologique suisse et la conjoncture économique ne favorisent pas le retour au travail des TCC qui présentent avant tout des séquelles cognitivo-comportementales.5

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Une épidémie «silencieuse» écrit le docteur Vuadens dans l’encadré cidevant, et qui ne touche pas que la personne TCC... Pour dire vrai, c’est à partir d’octobre 1999 seulement que j’ai été véritablement sensibilisée à l’avenir des TCC, et encore... Les premières années, je n’ai été préoccupée que d’un seul TCC, «le mien», un de mes fils TCC à 27 ans, à la suite d’une chute en escalade. Et puis, s’est ajoutée une préoccupation supplémentaire: l’avenir de la fratrie (un frère et 2 sœurs); elle aussi a subi une atteinte grave à son intégrité. S’en est suivi la famille élargie, les copains avec lesquels seront partagés joies et peines, espoirs et déprimes. La vie avait soudain perdu de sa légèreté et gagné en insolite à apprivoiser... Pour l’exprimer, j’ai récolté, auprès des 14 «experts», leurs réflexions que j’ai panachées avec les extraits de 3 œuvres littéraires qui me parlent1-2-3. - Que signifie «Apprivoiser»? - Créer des liens dit le renard. Si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde, je serai pour toi unique au monde… Si tu veux un ami, apprivoise-moi. - Que faut-il faire? dit le Petit Prince - Il faut être très patient répondit le renard. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais chaque jour tu pourras t’asseoir un peu plus près…1ue s

«Les TCC sont sur une autre planète» E.L. Antoine de Saint-Exupéry aime les étoiles et les planètes du ciel qu’il parcourt avec son avion. La sensibilité exprimée dans «Le Petit Prince»

permet d’accepter, à défaut de comprendre les perceptions et comportements d’êtres venus d’autres planètes... «On a de la peine à aller à l’essentiel. J’éprouve une frustration, une nostalgie parce que la communication est difficile» L.E. - Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple: on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. - Je suis responsable de ma rose. Je ne dois pas l’oublier. Je deviens responsable pour toujours de ce que j’ai apprivoisé….» répéta le petit prince pour se souvenir.1

Qui imagine la patience requise pour créer des liens entre la personne TCC et la personne ordinaire? Première phase Il y a, après le traumatisme, toi la personne fraîchement accidentée et nous, ton entourage, surpris à vivre des situations inconnues et quelquefois cocasses. Mais tu es encore dans les hôpitaux. Tout va s’arranger. Tu vas redevenir comme avant! AVANT, c’est avant l’accident qui a blessé durement ton cerveau: une chute? Une collision? Une bagarre? Un projectile? En de telles circonstances, grande est la probabilité de lésions satellites. De la peau au squelette, en passant par les organes internes, le catalogue donne le vertige. Si la mort ne te fauche pas sur-le-champ, la réanimation se charge de ta survie et c’est là que débute, pour toi et ton entourage, une surprenante aventure. Après soins intensifs, coma, neurochirurgie, réhabilitation, voilà que tu en as terminé, dans les grandes


lignes, avec la phase de rafistolage: tu es toi, MAIS plus vraiment toi. Mortalité et devenir • Phase aiguë: environ 50% décèdent sur le lieu de l’accident et 2025% plus tard; • 2 ans après un TCC sévère: - 80% des patients sont capables de marcher, mais - 80% ont des troubles cognitivocomportementaux.5

Deuxième phase Il y a, après l‘hospitalisation, toi et nous, avec la situation de lésion cérébrale à apprivoiser. Tout ne s’est pas arrangé, mais tout va s’arranger. Avec un peu de bonne volonté! Evolution des troubles cognitifs • Liée à l’effet cumulatif des lésions cérébrales focales et/ou diffuses. • Dépend de plusieurs facteurs: - sévérité des lésions axonales diffuses; - durée du coma et PTA; - taille des lésions cérébrales et surtout si atteinte du tronc cérébral. • Dépend de facteurs prémorbides, environnementaux et du soutien familial.5

Place du TCC dans la société • Difficile à retrouver sa place; • Plus la même personne mais souvent pas visible physiquement; • Conduit à de nos nombreuses incompréhensions, conflits, disputes, ruptures, déchirements.5

Si tu as la chance d’avoir retrouvé la vue, l’ouïe, l’odorat, la mobilité, la parole, tous ces trucs qui devraient te permettre de communiquer facilement avec les autres, tu as toutefois perdu tes souvenirs, les repères qui servaient à t’identifier à ta famille, ta bande de copains, tes lieux de vie et de travail. «Je dois quasiment tout recommencer comme un enfant et je ne suis pas un enfant donc ça pose

problème; je suis un non-sens dans le monde actuel» F.W.

et traduisent les émotions en mots, en images» L.S.

Le temps, les compétences, l’énergie, l’amour qui accompagnent «ta reconnaissance» durant les premières années qui suivent ton accident sont immenses, mais ne suffisent pas.

Quelles émotions peux-tu ressentir quand les souvenirs te font défaut?

«La personne, après l’hospitalisation, ressent un sentiment d’abandon» P.V.

Des images, des voix autrefois aimées, des odeurs, des «madeleines de Proust», des traces de ta vie «avant» provoqueraient-elles de ces émotions qui submergent, avec la conscience aiguë d’avoir existé, corps et âme?

Pour combler ce sentiment d’abandon et parce qu’ «on est responsable pour toujours de ce qu’on a apprivoisé», on construit à Sion un lieu, entre hôpital et domicile, qui te donnera le temps de re-apprivoiser la vie, recréer des liens, te reconnaître.4 En attendant, entre toi et nous, ça met du temps à s’arranger! Tu n’es pas seul à te sentir perdu, abandonné; ton entourage ne sait pas comment se comporter. «Comment ne pas se sentir perdu? On n’est pas sur la même planète. On est maladroit, car on ne sait pas comment accéder, comment bien faire» E.L. «Est-ce que je peux rejoindre la personne en étant vrai ou bien, y a-til une façon de communiquer, des spécificités?» C.C. Ta façon d’être nous déconcerte. Nous sommes tous bien maladroits avec toi. «Il éclata brusquement en sanglots. La nuit était tombée. J’avais lâché mes outils. Je me moquais bien de mon marteau, de mon boulon, de la soif et de la mort. Il y avait sur une étoile, une planète, la mienne, la Terre, un petit prince à consoler! Je le pris dans les bras. Je le berçai. Je lui disais: "La fleur que tu aimes n’est pas en danger… Je lui dessinerai une muselière, à ton mouton… Je te dessinerai une armure pour ta fleur… Je…" Je ne savais pas trop quoi dire. Je me sentais très maladroit. Je ne savais pas comment l’atteindre, où le rejoindre.»1

Ton langage a longtemps été, pour nous, si incompréhensible! Désespéré, tu criais «KÂ, K». Et nous «Quoi? Quoi?» «Des personnes initiées, grâce à la communication facilitée, accueillent

«Je n’ai plus d’émotions, plus de sentiments» F.W.

«Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût, c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait, après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. (…) Mais, quand d’un passé ancien, rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles et plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.»2

Tu es largué dans la vie ordinaire comme le Petit Prince sur la planète de «l’allumeur de réverbères». - Je ne comprends pas, dit le Petit Prince. - Il n’y a rien à comprendre dit l’allumeur, la consigne c’est la consigne. La consigne n’a pas changé, dit l’allumeur. C’est bien là le drame! La planète d’année en année a tourné de plus en plus vite, et la consigne n’a pas changé! 1

Ton royal détachement, vis-à-vis des contraintes de l’horloge, met nos nerfs à dure épreuve. Nous sommes en Suisse, le pays du rendez-vous à l’heure. Comment as-tu pu l’oublier? Il existe de l’autre côté de notre planète Terre, un pays qui te conviendrait, la Polynésie. Touaivii, Le chef de tribu de l’île de Samoa désire «libérer de sa folie ce pauvre Papalagui (l’homme blanc). Nous devons l’aider à retrouver son temps. Il faut mettre en pièces pour lui sa petite machine à temps ronde».

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Touaivii ne comprend pas, non plus, que chez nous «celui qui va plus vite semble plus digne et plus brave que celui qui va lentement!» Le sentiment d’urgence est tout relatif, quand on a, comme toi, frôlé le non-retour. Mais, c’est avec nous que tu vis et… Une fois de plus, le train est parti sans toi. Tu es frustré, tu pestes contre cette société de speed et de robots! Tes colères sont alors grandioses. Frustration? Mais nous aussi, nous sommes frustrés. Qu’as-tu encore oublié? Ton porte-monnaie? Ton téléphone? Un pilotage à distance permet quelquefois de faire réussir un rendez-vous... Tu aimes participer à la vie de la famille, à la vie sociale. Tu veux être utile. Tu dis vouloir «être actif en n’étant pas totalement déçu de ne point arriver à terminer certaines actions» F.W. Pardon si quelquefois, on fait les choses à ta place, on décide de ton avenir à ta place... Anticiper? Planifier? S’organiser? Projeter? Ce vocabulaire t’est parfaitement abscons, n’est-ce pas?

occasionnellement. Le poète un peu fou, centré sur lui-même et ses difficultés existentielles, a toujours fait craquer les dames. «Il va droit au but. Il est instinctif. Il va à l’essentiel» G.M. Ta spontanéité de grand garçon déformaté en décontenance plus d’un. Tu as oublié les règles de l’étiquette. Ta mère, qui t’a jadis éduqué, rentre sous terre, alors que les autres trouvent tes propos si à propos. Cool, maman! Tu dis souffrir de ne pas trouver de sens à ta vie. «Isolement, solitude, doute» P.S. Sais-tu qu’il n’y a pas besoin d’être tombé sur la tête pour se poser de semblables questions? Le plaisir de vivre n’est pas un ultimatum, mais franchement, tu râles beaucoup! Alors, si tu veux être apprivoisable en cette terre promise…, ce fameux Centre en construction à Sion4, peut-être? «Une qualité primordiale du futur Centre sera l’AMBIANCE» P.Z. Alors cool, l’ambiance. Faudra pas faire dans le morose. Ami TCC, c’est de ta survie dont nous nous sommes ici entretenus. Le Centre que l’on va t’offrir, tu le préfères à l’ombre ou au soleil? Je te laisse cogiter sur les conclusions de «La Faculté» et celles de trois rescapés de ton entourage, utopistes à leurs heures perdues... Conclusions de la présentation des TCC par le Dr. Vuadens •Tous les TCC sévères ont des séquelles cognitivo-comportementales, qui occasionnent des problèmes de réinsertion socioprofessionnelle. Cette situation est aussi jugée peu satisfaisante par les proches. • Leur qualité de vie est aussi diminuée en raison de ces handicaps. • Les répercussions sur la vie sociale et professionnelle sont considérables, avec une grand fréquence de séparation conjugale, de perte d’emploi, de retour au domicile des parents, de réduction du niveau d’activités et de loisirs. • 60% d’entre eux n’ont plus aucune activité professionnelle alors que plus de la moitié d’entre eux ont une certaine capacité de travail.

«Le TCC recherche du sens immédiat» S.W. Penses-tu, comme Touaivii que nous passons à côté de notre vie et de la saveur de l’instant présent, à force de nous projeter sans cesse pour sécuriser notre avenir? «La vie du Papalagui est comparable à un homme qui part en pirogue à Savaii et pense, à peine éloigné de la rive: "combien de temps me faudra-t-il pour arriver à Savaii?" Il pense, mais ne voit pas le paysage charmant dans lequel se déroule son voyage. Bientôt sur la rive gauche se présente un flanc de montagne. Son œil l’a à peine capté qu’il ne peut le lâcher: "Que peut-il y avoir derrière la montagne? Une baie étroite ou profonde?" (…) La montagne et la baie à peine dépassées, une nouvelle pensée le tracasse: "Et si l’orage venait avant le soir?" dans le ciel clair, il cherche des nuages sombres, en continuant à penser à l’orage qui pourrait bien venir. L’orage ne vient pas et le soir, il atteint Savaii sans encombre. Pourtant, c’est comme s’il n’avait pas voyagé car ses pensées étaient toujours hors de son corps et de son bateau. Il aurait aussi bien pu rester dans sa hutte d’Upolu».3

Tu es lent et si rêveur, d’une désorganisation parfaite. Ton air décalé te donne un charme accrocheur auprès de qui te fréquente

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Points d’orgue de participant-e-s • «La société a longtemps été, vis-à-vis du handicap, comme la montagne, dure, raide, hostile. Maintenant, on y est. Le 17 octobre, l’insertion dans la montagne de Saint-Luc, c’était l’insertion du handicap dans la société. Le handicap est inséré dans la société» M.B. • «Après que ce Centre aura redonné une qualité de vie aux 2 parties: les personnes cérébro-lésées et les familles, il faudra prévoir des passerelles entre les différents handicaps et les valides. Si on veut réussir l’intégration, il faut que les personnes handicapées soient visibles par une fonction, un rôle dans la société, un talent qu’elles transmettraient aux autres personnes, valides et invalides» G.M. • «Les TCC peuvent nous apporter des choses au niveau des vraies valeurs. On est obligé de gérer son propre stress d’une façon différente» S.W.

Alors, côté ombre ou côté soleil? «Le Petit Prince», Antoine de Saint-Exupéry, 1943 «A la recherche du temps perdu». «Du côté de chez Swann», Marcel Proust, 1913 3 «Le Papalagui», Les étonnants propos de Touaivii, chef de tribu, sur les hommes blancs, 1920 4 Le Nouvelliste du 25.04.09 annonce la construction d’un lieu de vie faisant le lien entre le séjour hospitalier et le retour dans le cadre familial: «Un nouveau foyer de l’association Valais de cœur verra le jour en 2010» 5 Les informations contenues dans les encadrés (p. 12 et 13) sont du Dr. PhilippeVuadens, chef du service de réadaptation en neurologie et paraplégie de la CRR (Suva), Sion. 1 2


Prise en charge précoce

Les nouvelles options de l’AI Olivier Salamin, participant au groupe AI (forum de Tignousa) et Marie-Paule Zufferey, rédactrice

L’Office AI valaisan était représenté, lors du Forum de Tignousa, par deux de ses collaborateurs: Serge Rouvinez, coordinateur en réadaptation, et Gérard Pugin, coordinateur en emploi. Leur présentation des spécificités de la détection précoce et du processus de réadaptation a servi d’amorce au dialogue avec les participant-e-s.

Le processus de détection précoce • 30 j. d’incapacité de travail continue • absences répétées -> Communication de détection précoce DETECTION PRECOCE entretien - évaluation -> 30 jours plus tard: - Dépôt de demande à l’AI (ou pas) - Intervention précoce: • aménagement poste de travail • cours formation continue • orientation • service placement • mesure d’occupation -> 180 jours plus tard: - Décision de principe: - Refus de prestations AI; - Décision d’accorder une rente; • Mesures de réinsertion - réadaptation socioprofessionnelle - mesure d’occupation • Mesures professionnelles - évaluation en entreprise - formation pratique - apprentissage/reclassement/ formation professionnelle initiale - service placement • Indemnités employeurs - allocation initiation au travail AIT - contribution mesures réinsertion - indemnités compension risques

Choc traumatique et lenteur administrative... Certaines histoires de vies partagées lors de cet atelier ont mis en lumière deux types de difficultés rencontrées dans les relations avec l’AI: la lenteur des processus et le choc traumatique. Telle jeune femme atteinte de problèmes graves aux yeux résume ainsi son vécu avec l’AI: «Ces démarches sont un véritable combat à mener, alors qu’on se trouve justement en situation de grande fragilité». Si le processus de détection précoce décrit dans le schéma ci-contre, apporte certaines réponses au problème des délais avant la décision, il reste que la détresse des «mandants» n’entre dans aucune ligne des comptes de l’AI... Certes, les niveaux d’approche sont différents pour les uns et les autres: - cadre légal et calcul économique pour l’AI; - gestion du traumatisme, en plus de tous les problèmes pratiques pour la personne en demande de prestations... «Nous ne sommes pas des victimes, précise une intervenante, mais nous sommes si peu préparé-e-s à affronter ces bouleversements de nos vies...» «Nous tentons de faire face au sentiment d’inutilité qui nous envahit, parce que nous ne pouvons plus exercer notre emploi, et très vite, nous voyons pointer la suspiscion... Comment ne pas vivre difficilement le fait de nous voir souvent traité-e-s d’abuseurs d’assurance? C’est beaucoup de souffrance, derrière la douleur...» Souffrance morale qui s’ajoute à la douleur physique...

L’un des participants propose alors la mise en place d’une cellule thérapeutique. «L’étape importante après le traumatisme est celle où l’on se sent à nouveau exister»... Ce moment est souvent lié à la reprise d’une activité. Or souvent, les employeurs recherchent le rendement et engagent en fonction d’une certaine capacité de travail. «Comment se présenter à eux comme une solution et non comme un problème?» Les nouvelles options de l’AI (indemnités employeurs) pourront-elles apporter une améliorations de ce côté?

Un regard neuf «Il faudrait un regard neuf». «Pourquoi après tout, ne pas changer ce nom d’AssuranceInvalidité, auquel est attachée une connotation de plus en plus négative...». «Au lieu d’invalider ces personnes, il vaudrait mieux procéder à leur revalidation»... Ces réflexions, suggestions et autres propositions auront-elles une chance de trouver un écho auprès des responsables de l’AI, ainsi que des hommes et des femmes politiques en charge de ces dossiers? La conclusion du rapport de cet atelier restera suspendue à cette question, en attendant d’analyser plus en détail les perspectives liées à la 6e révision...

Pour plus d’informations sur la détection précoce et les mesures liées à la 5e révision AI, vous pouvez visiter le site internet: www.aivs.ch

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Langages des médias et handicap Le point de rencontre Samuel Bonvin, journaliste, Sierre

Voici un compte rendu de l’atelier qui a traité des médias et du handicap. Loin d’être exhaustif, je propose plutôt de présenter quelques considérations qui ont animé les discussions lors de l’atelier...

Deux univers forts différents Médias et handicap... deux mondes qu’a priori tout sépare. Dans la presse actuelle, l’instantané prime. Le scoop est roi... Avoir un scoop, c’est être le premier, c’est arriver avant les autres... Aujourd’hui, la rapidité l’emporte malheureusement souvent sur une compréhension plus profonde de l’objet traité ou tout simplement de la personne rencontrée dans le cadre d’un article. A l’heure actuelle, tout doit aller vite, de peur de lasser le lecteur ou le téléspectateur, ou de risquer de manquer quelque chose... Le monde du handicap, je ne le connais pas intimement... Pourtant une chose m’a frappé durant cette journée, c’est le plaisir qu’ont éprouvé beaucoup de participants de pouvoir prendre le temps... Le temps de parler, de s’écouter. Un univers médiatique qui court sans fin et face à cela, le besoin de prendre le temps... Pas facile à concilier... Une autre différence entre ces deux mondes réside en ce que l’on pourrait appeler «le miroir déformant des médias». Le langage médiatique doit être vif, concis et rapide... Cela pour «toucher» et être compris par le plus grand nombre. Bien sûr, cela implique des raccourcis, des portraits tirés à gros traits... pas forcément faux mais où il est parfois difficile de se reconnaître... Ainsi, apparaître dans les médias peut relever du défi pour beaucoup de personnes handicapées. Apparaître, un terme loin d’être anodin... Peut-être pour apparaître dans les

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médias, faut-il assumer son image, son handicap et accepter le risque d’un reflet médiatique parfois déplaisant...

Des mondes qui peuvent s’enrichir mutuellement Média et handicap, deux univers qu’a priori tout sépare; et pourtant! Ces univers ont tant à apprendre l’un de l’autre... - Les médias et leur formidable pouvoir de diffusion d’informations, d’idées, de tendances. - Le handicap et son magnifique message de vie et d’espoir... son pouvoir d’humanité. Voilà deux mondes qui ont tout intérêt à se comprendre pour mieux s’entendre... C’était là l’un des buts de cet atelier. Plutôt que de parler du langage des médias, je parlerai des langages des médias. Un article de presse n’a pas les mêmes codes qu’un reportage court dans un téléjournal ou une émission de radio de soixante minutes. A chaque média son langage, ses besoins et ses moyens pour arriver à raconter son histoire! Dans l’atelier, nous avons visionné plusieurs reportages en discutant ensuite des questions qu’ils mettaient en exergue par rapport à notre problématique. Le premier sujet traitait de tennis en chaise. Par chance, l’intervenante dans le reportage était dans notre groupe. Elle a pu partager son sentiment par rapport à ce «miroir» des médias. Elle a été très satisfaite du sujet et de l’attitude du journaliste pendant le tournage. Le sujet faisait environ deux minutes; c’est court, mais le message est bien passé. Voilà un bel exemple de rencontre réussie entre médias et handicap. Deuxième sujet, un peu plus long que le premier, à propos d’un pèleri-

nage annuel à Lourdes. Ce qui est marquant dans ce reportage, c’est que sur les 6 minutes de film, quasiment aucune personne handicapée ne s’exprime. On se heurte ici à l’une des contingences télévisuelle. Le temps! Dans la télévision telle que conçue actuellement, il faut que les gens s’expriment de façon claire et concise: au-delà d’un certain temps, on craint que les gens se lassent et zappent... Diktat de l’audimat! Dans ces conditions, difficile à quelqu’un qui a besoin de temps pour formuler ses phrases de passer à l’antenne... Dans ce domaine, le monde du handicap a certainement beaucoup à apprendre aux médias afin de faire évoluer leurs langages. Il n’empêche qu’il peut paraître étonnant dans un tel sujet de ne pas entendre les principaux intéressés, mais plutôt leurs accompagnants... Les médias peuvent ici faire un effort pour donner la parole aux personnes handicapées, pour qu’elles s’expriment avec leurs mots et leurs difficultés. Autre exemple de reportage. Une séquence de 12 minutes sur un sujet plus ou moins tabou à l’époque de la diffusion de cette émission: handicap et sexualité... Ici, la parole est donnée à tout le monde... Les images ou les mots peuvent être forts, mais la problématique est traitée avec sérieux et respect. Comment parler de tabous dans le monde du handicap? Une question au cœur de la thématique du langage des médias. Par nature, les organes de presse vont chercher à s’intéresser à certaines problématiques peut-être taboues... Cela n’est pas forcément du voyeurisme... cela fait partie du rôle des médias que de révéler ce qui est, par essence, caché... Par rapport à ce genre de situation, le meilleur moyen est de discuter de la démarche avec le journaliste pour que tout se passe au


Marie-Paule Zufferey

mieux et dans le respect de chacun. Finalement, nous avons visionné un documentaire datant de 1967. Son titre: «Trois portraits de jeunes femmes comme les autres». Force est de constater qu’en plus de 40 ans, les médias, comme la société, je pense, ont fait un progrès énorme. L’impression qui s’est dégagée au fil de notre discussion dans le cadre de l’atelier est que le «comme les autres» du titre traduit plus la volonté de cacher ou de gommer le handicap que de le dépasser pour accéder à la personne en elle-même. Cela se traduit notamment par divers artifices de réalisation. Un exemple? Anne, la première femme interviewée n’apparaît à l’image qu’après une très longue série de plans sur son intérieur, son bureau, ses magazines, sa bibliothèque... Enfin, lorsqu’Anne apparaît dans sa chaise roulante, celle-ci est presque invisible, cachée par les branches d’un arbuste... Au sein de l’atelier, nous avons eu l’impression que le handicap se cache moins aujourd’hui. Il est plus visible. Une évolution jugée positive.

Vers une meilleure collaboration avec les médias L’atelier avait également pour but de donner des pistes aux personnes qui côtoient les médias. Comment se faire entendre... comment accéder à cette tribune? Au-delà des rapports privilégiés que certains pourraient avoir avec un journaliste et qui leur ouvrirait des portes. Pour traiter d’un sujet, les journaux réfléchissent selon certains critères précis. Comme par exemple, la nouveauté d’un sujet,

son originalité et son aspect concernant auprès d’un public le plus large possible. Dans l’idéal, il est utile de réfléchir à ces questions, afin de pouvoir amener du grain à moudre aux médias dans le but qu’ils s’intéressent à votre actualité. Souvent, lorsqu’un journaliste débarque pour traiter d’un sujet, il a déjà ou est à la recherche d’un angle... On entend par là, une sorte de porte d’entrée dans la problématique à traiter. L’angle va ainsi déterminer le résultat final de l’article ou du reportage télévisuel. Exemple: la chasse en Valais. Un angle peut être les femmes qui chassent, en suivant une jeune femme qui prend son premier permis. Bien entendu, dans ce cas-là, le sujet ne parlera pas des zones franches, ni de la santé du gibier... bien sûr, il ne sera pas exhaustif sur le domaine de la chasse. Le reportage est forcément limité par son angle. C’est pourquoi, les personnes en charge de la communication pour des institutions ou des associations, devraient toujours s’enquérir de l’angle choisi par le journaliste pour traiter d’un sujet. Bien plus, les chargés de communication devraient avoir une attitude proactive et proposer des angles, sans les imposer, aux journalistes. Cela permet de collaborer et de prendre une part active à la réalisation de l’article plutôt que de subir et de parfois être déçu ou étonné du résultat dans le journal.

atelier la formidable volonté de tous les participants d’aller vers l’autre, de s’ouvrir et de partager. Et finalement, c’est à cela que servent les médias; peu importent leurs codes et leurs langages, ils permettent à des gens de se rencontrer sans même se parler. Bien sûr, le prisme médiatique agit, bien sûr le miroir des médias peut déformer... mais ce qui compte c’est la rencontre, la découverte, par une feuille de papier journal, d’une autre réalité. Peut-être est-ce simplement ainsi que les mentalités évoluent... par le rencontre de l’autre. Et à ce titre, les médias peuvent avoir un beau rôle à jouer. Et lorsque j’ai vu cette formidable envie de communiquer dégagée lors de cet atelier et de ce forum, je me suis dit qu’une bonne partie du chemin pour la rencontre était en train de se faire... l’autre moitié dépend de chacun de nous, elle s’appelle le respect pour que la communication s’établisse sans peur d’être jugé. Je me souviendrai finalement de cette remarque d’un participant à l’atelier: «Pour ma part, je considérerai que l’intégration sera pleinement réussie dans le monde des médias lorsque des handicapés de type psycho-moteur présenteront des émissions radiodiffusées. Bref, lorsque les handicapés produiront eux-mêmes des contenus médiatiques. Ce jour-là, les médias auront peut-être compris les richesses du handicap et les innombrables compétences qui en découlent».

Une formidable volonté d’aller à la rencontre de l’autre Pour conclure, je retiendrai de cet

Photo: l’atelier «Médias et handicap» animé par Samuel Bonvin

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Sexualité et handicap

Quel regard, quelle réalité? Marie-Jo Zufferey, conseillère en santé sexuelle et reproductive, Centre SIPE, Sierre

Le pari de la rencontre Samedi 17 octobre 2009 à Tignousa nous avons réussi, je pense, le pari de la rencontre avec un seul regret: les personnes en situation de handicap n’étaient pas représentées dans notre atelier. Parler de sexualité et de handicap alors que nous sommes des personnes valides peut paraître ambitieux. Je demande donc aux personnes en situation de handicap et à leur entourage beaucoup de compréhension lorsqu’elles liront ce texte. Pour réfléchir, échanger autour de la thématique «sexualité et handicap», les parents, les professionnels, les personnes intéressées se sont retrouvées et ont su très vite créer un climat de confiance, d’intimité qui a permis l’expression, le partage de nos expériences, de nos réflexions, de nos valeurs.

Etre à l’écoute Etre à l’écoute des besoins, des demandes des personnes en situation de handicap c’est prendre de la distance avec nos propres besoins, c’est montrer de l’empathie, être ouvert au dialogue sur la sexualité. C’est à nous professionnel-le-s, parents d’avoir le souci d’ouvrir ce dialogue car il peut être difficile pour une personne en situation de handicap d’aborder cette thématique. Parler de la sexualité et du handicap nous renvoie à deux tabous bien présents dans la société.

Quel regard? Mettre des mots

Quelle réalité? Quelles réponses?

Parler de sexualité, c’est parler du corps, des sensations, des émotions, des sentiments; de la relation à soi et à l’autre; de l’imaginaire et aussi des valeurs personnelles, familiales et sociales. Malgré la place importante que prend la sexualité dans les médias, il est toujours difficile de mettre des mots, de parler de la sexualité. Les rires, l’humour ont permis d’atténuer la gêne que nous avons pu ressentir. De notre rencontre ont émergé des questions auxquelles nous avons tenté de donner nos réponses tout en sachant qu’il est essentiel pour nous de partager ces questionnements, ces réponses avec les personnes en situation de handicap. Cela pourrait être l’objet d’une prochaine rencontre. Quel regard portons-nous globalement sur la femme, l’homme en situation de handicap? Quelles sont nos valeurs en matière de sexualité? Quelle finalité au vécu de la sexualité (reproduction, plaisir….)? Comment répondre aux questions, aux demandes des personnes en situation de handicap? Quelle place est donnée au corps, aux sensations? Quelle volonté mettons-nous dans la recherche de solutions, place de la créativité?

Vivre avec un handicap est une réalité, dure parfois, mais ce n’est pas une raison pour accepter le non désir, le non désirable. Etre désiré-e, se sentir désirable quand le corps, le mental est handicapé, plus facile à dire qu’à vivre. La personne en situation de handicap préoccupée par une question sur le fonctionnement de sa sexualité, de son corps et qui reçoit une réponse mettant en avant les aspects relationnels, la tendresse, va probablement ressentir de la déception. Si sa demande est entendue, d’autres aspects de la sexualité peuvent ensuite être abordés. Selon le handicap la présence d’un tiers pour les soins intimes mais aussi pour vivre un moment d’intimité avec soi ou dans une relation amoureuse est nécessaire. Jusqu’où l’entourage, les professionnels, les professionnelles sont-ils (ou elles) prêt-e-s à aller?

Place de la sexualité dans la vie d’une personne La sexualité est partie intégrante de chaque personne de sa conception à la mort. Nous naissons fille, garçon, nous devenons femme, homme. La sexualité est faite d’apprentissages, d’adaptation aux limites que la vie nous impose,

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limites qui peuvent être imposées par le handicap physique, mental, psychique, par le vieillissement….. Nous devons élargir notre définition, notre vision de la sexualité.

En juin 2009, s’est terminée la première formation d’Assistants sexuels en Suisse romande. Les Assistants sexuels accompagnent sensuellement et sexuellement les personnes en situation de handicap. Alors que le débat peut devenir très vite émotionnel et personnel, les personnes de notre groupe ont montré beaucoup d’ouverture, de nuance, de respect dans leur propos. C’est une possibilité de plus offerte aux personnes en situation de handicap pour vivre la sexualité avec leur corps, de découvrir leur sensualité. Je remercie chaleureusement toutes les personnes qui ont participé à cet atelier pour la qualité de leur participation que j’espère avoir su retransmettre.


L’impossible synthèse d’un forum ouvert Petits pas de côté Olivier Salamin, psychothérapeute, directeur Asa-Valais, Sion

Le modèle classique suggère de construire un exposé sur le modèle: «thèse-antithèse-synthèse», mais Mali Wiget et Marie-Paule Zufferey ne nous avaient pas convoqués le 17 octobre dernier à un «modèle du genre»… Loin des sentiers battus, elles ont volontairement créé des écarts. Nous n’avons pas été mis à l’écart bien sûr, mais contraints de sortir de nos habitudes, poussés à prendre du recul par rapport à nos idées habituelles.

La tête dans les étoiles

Tignousa, 17 octobre 2009

Sans doute l’éloignement géographique – qui l’était plus en termes de dépaysement que de distance – a-t-il planté un décor propice à prendre de l’altitude; à élever le débat, pourquoi pas? Mali Wiget avait posé clairement les termes du défi qui nous attendait: vous avez traité du «prix du handicap», parlons de ses «valeurs»... Etre handicapé, cela vaut-il quelque chose? Ce ne sont pas des réponses d’experts qui étaient attendues, mais l’ouverture d’un échange pour «faire monde commun», finalité empruntée à Charles Gardou. Et force est de constater que le passage par des tables multiples à la rencontre de nouveaux participants, avec de petites missions de transmission et des relais pour les nouveaux arrivants a permis de faire connaissance et d’élargir la discussion à l’ensemble du groupe, dans une plénière qui a produit son lot de perles et de paradoxes...

Des ateliers participatifs Les rencontres se sont ensuite thématisées et organisées autour des demandes des participants. Des temps d’atelier dédiés ont connu leur richesse, frustrant les personnes qui n’ont pu y participer, réjouissant celles qui ont pu approfondir un thème. Celui consacré à la détection précoce mise en place par l’AI a permis de vérifier l’écart qui réside entre le choc de la rupture, l’accident ou le handicap qui conduit à l’obtention d’une rente et les procédures qui permettent, bon an mal an, de trouver une aide administrative afin de poursuivre une existence digne. Les univers ne sont pas les mêmes, des étapes intermédiaires sont attendues, elles permettraient de faire accueil à la détresse qui suit une rupture, elles permettraient une «re-validation» dira Martine, un nouvel ancrage avant d’être étiqueté dans la longue liste des «invalides»…

Perles et paradoxes

Un pari payant?

L’assistance a laissé une place à un participant qui insistait pour dire qu’on ne le laissait pas parler… Il a donc fallu sortir de l’idée qu’une réponse pouvait être apportée, mais considérer qu’un accueil de la parole était possible, qu’un participant pouvait être «validé» dans ses propos, sans que l’on puisse trouver une réponse à sa position d’exclu.. cela sans toutefois redoubler l’exclusion elle-même. «Pilou» a été l’un des acteurs-clé du Forum. Son sens de la répartie a resitué bien des questions. A celle de la charmante intervenante qui se demandait comment les personnes handicapées voyaient les personnes «normales»: «Là, tout de suite, lui a-t-il répondu, je vous trouve très belle…» Et de poursuivre: «Dans ma chaise je suis à la hauteur des enfants, ça facilite l’échange». A des amis qui lui demandaient s’il n’était pas dérangé que les gens le regardent avec curiosité lorsqu’il faisait du ski, il rétorque: «Pas du tout. Moi, si j’étais à leur place, je me regarderais aussi!». Si un forum permet de changer de regard, c’est une belle perspective…

Le pari de la rencontre a été pris. Les nombreux témoignages et les discussions nourries sur l’accompagnement des personnes victimes d’un traumatisme crânien cérébral (TCC) auront mis en évidence une réalité crue: celle de la fin d’une vie d’avant. Si Florentin a repris pied tant bien que mal, il y en a d’autres qui restent sur le carreau et des proches qui le sont d’autant. Il y a, dans la rencontre avec le trauma, un «impossible à dire», quelque chose qui fige dans l’horreur, mais la vie pourtant continue… Des groupes de travail ont été annoncés, mais bien plus, le Forum aura permis quand il n’y a plus rien à dire - quand chacun se trouve face à son impossible à dire - de le dire quand même, avec d’autres, dans le tissage d’une nouvelle toile sur laquelle prendre appui. Un deuxième épisode est attendu, mais cela semble à présent relever d’une évidence incontournable: sans cesse, il faut remettre l’ouvrage sur le métier. Si nous avons avancé ne serait-ce que d’un millimètre, dira Laurent, c’est la distance qu’il nous fallait déjà parcourir ensemble...

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Situations extrêmes, comment les surmonter ensemble? Compte rendu de la journée du 3 septembre 2009 Pierre Mayor et Amélie Buri, Institution de Lavigny, Vaud

Représentants des pouvoirs publics, des écoles sociales, des associations de parents et d’usagers, du milieu médical et du milieu institutionnel, se sont réunis, le 3 septembre dernier à Lausanne, pour une réflexion commune sur l’accompagnement en institution de personnes adultes présentant une déficience mentale et se trouvant en grave situation de handicap psychoaffectif et social, contextuel et comportemental.

Dispositif de collaboration psychiatrie handicap mental 2 Service de prévoyance et d’aide sociale 1

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Voici maintenant plus de 3 ans, PierreYves Maillard, conseiller d’Etat vaudois en charge de la santé et du social, interpellait les institutions par le biais d’une évaluation des quelque 80 mesures de contraintes qui existaient à cette époque dans les institutions socio-éducatives vaudoises. De son côté, le groupe des institutions vaudoises pour adultes réclamait une clarification, tant sur le fond que sur la forme, de ce que recouvrait la notion de «contention». Bientôt, un groupe de travail s’est mis à l’ouvrage pour proposer une réflexion constructive sur les formulaires d’évaluation des contentions. En parallèle, le DCPHM1 organisait, le 28 novembre 2008, une journée de réflexion sur ce sujet. Souhaitant poursuivre la réflexion, les institutions ont désiré à la fois faire part de toutes les initiatives qui ont été concrétisées en leur sein, et aussi inviter à travailler «ensemble» dans une perspective plus large que la seule thématique des mesures de contrainte. C’est ainsi que le 3 septembre 2009, à l’éésp (Ecole d’Etudes Sociales et Pédagogiques) à Lausanne, le service interdisciplinaire, recherche et développement de l’Institution de Lavigny, conjointement avec quatre autres institutions (l’Espérance à Etoy, Eben-Hézer Maisons des Chavannes à Lausanne et Cité du Genévrier à Saint-Légier, ainsi que la Fondation des Jalons à Villeneuve) ont mis sur pied une grande journée de conférences, d’échanges et de réflexions sur le thème: accompagnement en institution de personnes adultes présentant une déficience mentale et se trouvant en grave situation de handicap psycho-affectif et social, contextuel et comportemental. Cette rencontre avait pour but d’ouvrir un espace d’échange autour de ces situations extrêmes, qui souvent mettent professionnels et proches dans l’échec. Afin d’élargir l’horizon de réflexion, des représentants du SPAS2, du DCPHM1 ainsi que de l’association Autisme Suisse romande étaient également invités. En tout, plus de 170 inscrits, en provenan-

ce de 25 institutions et organismes différents, se pressaient dans les murs de l’éésp, démontrant par leur présence même les préoccupations vécues par chacun face à ces personnes manifestant des troubles du comportement «extrêmes», symptômes d’une angoisse et d’une souffrance, elles aussi extrêmes… La matinée était consacrée à l’axe médical de l’approche de ces situations. La journée a ainsi commencé par une intervention du Dr Georges Saulus, psychiatre qui a offert un bref aperçu de l’évolution des modèles de compréhension du handicap à travers le 20e siècle jusqu’à nos jours, en mettant en avant leur relativité. Chaque modèle est souvent perçu par ses concepteurs comme la nouvelle vérité absolue. La réalité quant à elle, nous enseigne plutôt qu’aucune compréhension n’est jamais universelle… Intervenant suivant: la Dresse Catherine Rodrigues-Dagaeff, pédopsychiatre, avec un propos abordant avec recul et nuances les notions de psychose et psychothérapie, aujourd’hui souvent considérées comme dépassées et préjudiciables. Le Dr Mario Cattaneo, médecin généraliste, a ensuite proposé une compilation d’études sur les principaux problèmes somatiques rencontrés chez les personnes en situation de handicap, éclairées par sa propre pratique de terrain. Dernier intervenant du matin, le Dr Mario Navarro, psychiatre au sein du DCPHM, a exposé quelques pistes d’intervention utilisées par l’équipe cantonale mobile, tenant compte des trois partenaires gravitant autour de la personne: les établissements socio-éducatifs, la psychiatrie publique et les associations de familles et de proches. Pendant les pauses-café et la pause de midi, les auditeurs ont eu l’occasion de déambuler dans les couloirs devant l’auditoire, à la découverte des posters élaborés par différentes institutions et associations, donnant quelques exemples de leurs interventions et des principes et valeurs les sous-tendant. Si le matin était consacré à l’approche médicale, l’après-midi était quant à lui orienté sur le travail éducatif.


Institution de Lavigny

Beaucoup de questions... Cinq institutions et associations ont ainsi décrit les infrastructures, organisations et/ou stratégies mises en place pour accompagner les personnes présentant des troubles du comportement difficiles à comprendre et à gérer, ainsi que quelques exemples concrets. Ces présentations ont été suivies par une table ronde animée par Mme Isaline Pauchaud Mingrone, professeure HES. Durant ce moment d’échange et de débats, les intervenants ont répondu avec pertinence et franchise aux interpellations des participants, clôturant de manière dynamique cette journée qui aura sans doute posé plus de questions qu’elle n’aura donné de réponses. Un constat souligné et répété durant la journée: du fait du stress généré, de souvenirs qu’elles peuvent faire renaître, ces situations extrêmes touchent et mobilisent fortement. Elles peuvent parfois mettre à mal la capacité des accompagnants de travailler avec d’autres. Dans ces situations, chacun doit aller chercher au fond de toutes ses compétences professionnelles, relationnelles et humaines pour se ramener dans le champ du raisonnement et de la pensée, pour décider d’une action empreinte de réflexion éthique, tout en assumant la part d’émotion et de subjectivité inévitable. Car il est indispensable de toujours garder en tête une évidence que la pratique et ses difficultés peuvent parfois masquer: un comportement extraordinaire est induit par une situation extraordinaire qui exige un accompagnement à la carte, individualisé, adapté au mieux à la personne, le souci de l’autre restant au centre des préoccupations de tout accompagnant. Si beaucoup reste à faire pour développer un accompagnement optimal de ces personnes, il est rassurant de constater également que beaucoup de chemin a déjà été parcouru, et qu’un certain nombre de pistes pour parfaire l’approche de ces situations ont d’ores et déjà été esquissées. Rappelons qu’à côté de ces cas singuliers, les institutions sont aussi confrontées à d’autres situations critiques qui poussent les équipes, les établissements et le système en général à leurs limites respectives. Ces cas nécessitent aussi une réponse concer-

tée, coordonnée et cohérente. Citons, sans pouvoir les développer ici trois problématiques récurrentes, qui, sans être nouvelles, pèsent de plus en plus sur le quotidien des équipes: les situations de polyhandicap profond, les situations liées au vieillissement de la population, les situations d’admission en urgence. Dans toutes ces situations, il s’agit, comme pour celles traitées lors de cette journée d’échange, de sortir de la logique «de la patate chaude» (que l’on se passe de l’un à l’autre) pour développer un modèle d’intervention en réseau garant du maintien et du renforcement du lien entre les partenaires ainsi que de la cohérence des actions.

Cinq vœux pour prolonger la journée En prolongement des échanges extrêmement riches, ainsi que des réflexions largement ouvertes et constructives qui ont été menées, formulons cinq vœux pour que cette journée ne reste pas lettre morte: 1) que les services de l’Etat concernés se montrent encore plus solidaires et coresponsables dans la résolution de ce genre de situation. 2) que les écoles santé-social de formation mettent, de manière encore plus pointue, l’accent sur l’éducation des adultes en situation de handicap ou en grandes difficultés sociales. 3) que la présence, les messages et les demandes des parents et leurs associations soient accueillis avec la confiance et la force que mérite leur connaissance profonde et immédiate, dans le respect mutuel.

4) que les personnes et les équipes confrontées au quotidien à des situations extrêmes soient également accueillies et entendues dans l’expression de leur mal-être, dans leur sentiment de non-reconnaissance et dans les manifestations de leur épuisement professionnel. 5) et enfin, que le clivage entre le social et le médical, l’éducatif et le psychothérapeutique, le résidentiel et l’ambulatoire, le résident et le patient, le cognitif et le psychoaffectif trouve bientôt sa résolution dans l’émergence d’un concept santé-social qui, tout en reconnaissant l’identité spécifique et les compétences respectives des différents partenaires du réseau, considère la personne dans son unicité et sa globalité et, à ce titre, comme le tenant de son projet de vie avec ses forces et ses faiblesses et dans son propre environnement. Cette journée du 3 septembre 2009 a été suivie, le 11 décembre dernier, par la 2e journée clinique et scientifique du réseau vaudois en faveur du handicap mental et de l’autisme organisée à l’hôpital de Cery à Prilly par le Service de psychiatrie communautaire du canton de Vaud sur le thème de la communication. Par ailleurs, rendez-vous a déjà été pris entre tous les partenaires soucieux de surmonter ensemble les situations extrêmes afin de continuer la réflexion en vue de l’action sur le terrain.

NB: Les actes de la journée du 3 septembre 2009 à Lausanne peuvent être obtenus sur demande à l’adresse suivante: shefti@ilavigny.ch

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Tribune des lecteurs

Petites annonces pour grand amour1

Regard sur une démarche en voie d’expansion Catherine Agthe Diserens, sexo-pédagogue spécialisée, formatrice pour adultes, présidente du SEHP, Nyon

L’utopie du titre mérite d’être relevée déjà pour tout un chacun et pour les personnes vivant avec un handicap mental d’autant plus. Il a néanmoins sa bonne raison d’exister ainsi, parce qu’il permet de croire que peut-être… et pourquoi pas ? Il salue aussi la générosité du comité de rédaction de Pages romandes qui a commencé à insérer des petites annonces sur la 3e de couverture, sous les offres de conférences et séminaires de formation. Sur fond rosé, bien en évidence. Ce service rendu concrétise la participation des personnes concernées et collabore de l’inclusion de ces dernières: entre la demande et l’offre… une dynamique s’installe! Je ne reviendrai pas sur les raisons d’emprunter la voie des petites annonces plutôt que celle des rencontres de visu, mais plutôt sur le libellé et l’accompagnement souvent indispensable de la démarche. «Je m’appele M.T. et j’aimerai sortir avec une jolie dame avec qui on pourai aussi se marié. elle devrai pas avoir la trisomie parce que j’ai déja eu une copine comme ça. mais si la jolie dame a un autre handicap c’est pas un problème. j’aimerai qu’elle me donne vite sa réponse». «Je suis une femme de 27 ans, autiste d’Asperger et j’habite chez mes parents. Je ne sais pas comment je dois faire pour rencontrer un copain. J’aimerais qu’il soit aussi grand ou plus grand que moi. Je mesure 168 cm. Je m’intéresse beaucoup aux collections de stylos. Je voudrais essayer de vivre avec lui».2

Depuis peu, les personnes vivant avec un handicap mental s’intéressent à ces instantanés partiels qui invitent à parler de soi et de l’autre, si facilement accessibles dans la grande presse et sur Internet: ces petits échos de vie en demande d’attention… donnent le goût

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de s’y lancer! Mais comment imaginer trouver un-e amoureux-se lorsque les destinataires ne sont pas concernés par le handicap? C’est à partir de ce constat que la revue INSIEME Suisse a initié un tel service: un espace rédactionnel est consacré, 4 fois par an, aux petites annonces. Cette page est bien utilisée par le public suisse allemand, même avec photos! Dans la foulée, le SEHP3 a également ouvert une section «petites annonces» gratuites sur son site. Si le doute subsiste quant aux réelles retombées possibles, c’est non seulement parce qu’il faut du temps pour que ces offres soient connues des bénéficiaires et de leurs accompagnants professionnels/ parents (et que ces tiers y adhérent car ils sont souvent impliqués), mais aussi parce qu’entre l’émetteur et le récepteur… l’écart est souvent vertigineux. Néanmoins, la démarche peut être formatrice en elle-même et certains contacts ont même abouti!

La créativité de l’annonce Rédiger une petite annonce avec intelligence et cœur implique de se mettre en chemin, pour chaque acteur de la démarche. Le bénéficiaire apprendra à se regarder et à échanger à propos de ses attentes. Cette étape renforcera à la fois l’identité de femme/d’homme en dépit du handicap, l’ouverture sur autrui, même si elle n’est encore que fantasmée et la mobilisation contre l’immobilisme. Les questions qui se posent sont délicates: faut-il garder les mots (souvent restreints) formulés par le/la bénéficiaire? doit-on l’aider à en trouver d’autres? Lesquels? est-il judicieux d’annoncer le handicap? Comment? Que dévoiler de sa réelle identité (pseudo)? Etc. Tout résidera dans l’art de permettre à la personne concernée de se décrire afin que son portrait lui plaise tout en ne

leurrant pas le/la futur-e lecteur-trice, ainsi que la formulation d’attentes avec un minimum de réalisme pour ne pas trop s’égarer. Nous devons aussi informer des limites de l’annonce qui peut faire croire à une clé magique!

La gestion des réponses Attendre l’éventuelle réponse et la réceptionner mobilise: se réjouir, devoir patienter, voire déchanter, assumer la réponse, autant d’émotions qui prouvent que nous sommes en vie! Même lorsque c’est long et difficile. Puis, comment comprendre vraiment le contenu reçu? avec qui va-t-on partager ses ressentis? que répondre à son tour? qui assume les responsabilités de la suite éventuelle des évènements? Rencontre ou solitude, la force d’espérer est une prise de risques. La gestion des réponses (ou les non-réponse) permet de passer de l’intention à un début d’action.

Mais encore? Que dire d’une page de petites annonces, ventilée à l’interne des institutions vaudoises, une fois par mois? Voire des institutions romandes? Elle permettrait de casser l’anonymat et les pseudos, elle favoriserait du mouvement entre les structures d’accueil, elle serait attendue dans les groupes de vie, elle pourrait être décorée, etc.; et surtout, elle augmenterait les chances de rencontres! Le grand amour ne pointe pas facilement à l’horizon, mais c’est le chemin… qui est le but! Titre emprunté à Mme Huguette Junod, «Petites Annonces pour Grand Amour», Editions des Sables, GE, 1988 2 Annonces rédigées par leurs auteur-e-s, parvenues sur le site du SEHP (SExualité et Handicaps Pluriels) 3 www.sehp-suisse.ch 1


Sélection Loïc Diacon, responsable infothèque, Haute Ecole de Travail social (IES), Genève

Autrement capables: école, emploi, société, pour l’inclusion des personnes handicapées Eric Plaisance Paris: Autrement, 2009, coll. Mutations, 204 p.

Aliénées, anormales, infirmes, invalides, incapables, inéducables, semi-éducables... Par le passé, les vocables, ne manquaient pas pour désigner ce que nous nommons aujourd’hui la «différence». Ils ont longtemps justifié les traitements, dans des institutions spéciales, par des professionnels spécifiques: asiles, hospices, institutions intermédiaires entre le sanitaire et le social, écoles et classes spéciales, lieux d’assistance au travail, etc. Aujourd’hui, on considère que le handicap est la résultante de barrières sociales, de conditions d’environnement qui mettent les personnes en situation d’infériorité. C’est la société qui «handicape». Cet ouvrage propose un bilan, des pistes de réflexion et des conseils pratiques. Il donne largement la parole aux personnes handicapées elles-mêmes, aux associations et aux professionnels du secteur, afin de saisir sur le vif les avis des personnes directement concernées. Il milite enfin pour que chacun, quelle que soit sa différence, puisse trouver sa place à l’école, au travail, au milieu de tous. Travailleurs handicapés en milieu ordinaire: des outils pour mieux accompagner Christophe Pernet et Dominique Savard Ramonville St-Agne: Erès, 2009, coll. Trames, 276 p.

Pour combattre les idéologies, les idées reçues et l’ignorance qui freinent les employeurs dans leur dynamique d’emploi des travailleurs handicapés, cet ouvrage apporte des éléments de compréhension et d’information sur les situations de handicap, selon une chronologie qui respecte les cycles de vie, de l’enfance à l’âge adulte. S’appuyant sur la riche expérience de terrain des auteurs, cet ouvrage constitue un véritable guide pour favoriser la démarche d’accompagnement des travailleurs handicapés en milieu ordinaire: informations actualisées sur le handicap et l’insertion professionnelle, techniques utiles à l’encadrement, réflexions sur l’évolution des situations en fonction du vieillissement, analyses destinées à prévenir les violences et autres maltraitances «banales» sur les lieux de travail...

Handicap et accompagnement: nouvelles attentes, nouvelles pratiques Henri-Jacques Stiker, José Puig, Olivier Huet Paris: Dunod, 2009, 176 p. Collection Action sociale, vieillesse et handicap

«Qu’est-ce qu’accompagner une personne en situation de handicap?» Question hantée et comme saturée par cette autre question: «Qu’est-ce que bien accompagner une personne en situation de handicap?» Question plus éthique que technique. Articulé selon trois axes, l’ouvrage: - explore le champ de l’accompagnement, repère les logiques qui sous-tendent les discours sur l’accompagnement et explique la fortune récente de cette terminologie; - propose, après avoir approfondi quelques notions clefs, des déclinaisons ordonnées de ce que signifie être compagnon sans confondre cette relation avec une multitude d’autres; - pose la question de l’enseignement de l’accompagnement, car l’accompagnement des personnes en situation de handicap est non seulement un contenu d’enseignement, mais d’abord et avant tout un art à transmettre. Autisme et émotion Pierre Vermeulen Bruxelles: De Boeck, 2009, 163 p. Collection Questions de personne.TED Traduit du néerlandais par Wendy de Montis; révision scientifique de Ghislain Magerotte

Les personnes avec autisme ontelles des sentiments? Comment les expriment-elles? Pourquoi ont-elles tant de difficultés à comprendre les émotions des autres? L’autisme est-il synonyme d’un manque d’empathie? Quel lien existe-til entre intelligence émotionnelle et «pensée autistique»? Autant de questions que se pose l’entourage des personnes atteintes d’autisme. Or, ces dernières années, si les progrès et découvertes pour aider les personnes avec autisme ont été nombreux, dans le domaine des émotions, les recherches et ouvrages sur le sujet sont encore rares. Autisme et émotions pallie ce manque et tente de répondre à un maximum de questions sur le fonctionnement émotionnel des personnes avec autisme.

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Séminaires, colloques et formations

Quelle communication lorsque c’est surtout le corps qui parle? en situation de handicap divers: autisme, psychose, polyhandicap Intervenante : Jocelyne Huguet Manoukian Cours Améthyste no 369 2 et 3 mars 2010 Renseignements et inscriptions : Christiane Besson, Impasse de la Dîme CH - 1523 Granges-près-Marnand Tél. +41 26 668 02 78 - chr-besson@bluewin.ch

Actualisation des connaissances sur l’autisme Collaboration entre éésp et Autisme Suisse romande Intervenante: Evelyne Thommen Coletti 17 mars 2010 Délai d’inscription: 17 février 2010

Intervenant: Jean-Pierre Robin Jeudi 15 et vendredi 16 avril 2010 Délai d’inscription: 12 mars 2010 Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet – 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Actualisation du potentiel adaptatif de la personne Intervenant: Jean-Pierre Robin Lundi 19 et mardi 20 avril 2010 Délai d’inscription: 19 mars 2010 Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet – 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Renseignements et inscriptions: éésp-Vaud, Unité de formation continue http://ufc.eesp.ch - tél. +41 21 651 03 10 formation.continue@eesp.ch

Approche écologique auprès de personnes en situation de handicap – Interventions réalisées en milieu de vie naturel

Eléments de psychopathologie

Intervenant: Jean-Pierre Robin Jeudi 22 et vendredi 23 avril 2010 Délai d’inscription: 19 mars 2010

Intervenantes: Sylvie Bianco, Christèle Richard 22-23 mars et 3-4 mai 2010 Délai d’inscription: 22 février 2010

Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet – 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Renseignements et inscriptions: éésp-Vaud, Unité de formation continue http://ufc.eesp.ch - tél. +41 21 651 03 10 formation.continue@eesp.ch

Plans d’intervention individualisés (PII) élaborés à partir du PPH

Mieux se situer, mieux agir dans son institution Les apports de l’analyse systémique des organisations selon Mintzberg et de la théorie des organisations selon Berne (AT) Avec Christiane Besson En collaboration avec Espace Compétences Cours Améthyste no 372 22 et 23 mars 2010 Renseignements et inscriptions : Christiane Besson, Impasse de la Dîme CH - 1523 Granges-près-Marnand Tél. +41 26 668 02 78 - chr-besson@bluewin.ch

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Le filtre de la réalité – un outil d’intervention pour comprendre et illustrer les distorsions cognitives chez l’adulte

Intervenant: Jean-Pierre RobinJeudi 26 et mardi 27 avril 2010 Délai d’inscription: 19 mars 2010 Renseignements et inscriptions: www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet – 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch

Situations de handicap et migrations Intervenante: Geneviève Piérart Mercredi 9 juin 2010 Délai d’inscription: 7 mai 2010 Renseignements et inscriptions : www.hef-ts.ch Contact: Chantal Caille Jaquet – 026 429 62 70 chantal.caillejaquet@hef-ts.ch


Pension "La Forêt" Vercorin - Valais

ASA-Valais

Au coeur des Alpes valaisannes une pension pour personnes vivant avec un handicap

Association valaisanne d'aide aux personnes handicapées mentales

Chalet de 20 lits au centre de la station de Vercorin Tél. +41 27 455 08 44 - Fax +41 27 455 10 13 - www.pensionlaforet.ch - info@pensionlaforet.ch

COFFRET MIR’ARTS

LES RENCONTRES

Fr. 80.00 (+ port et emballage) Elégant coffret contenant plus de 100 fiches individuelles ou collectives, d’artistes de Suisse romande. (fiches recto-verso, en quadrichromie, sur papier glacé, format A5) Ce coffret est le résultat de l’enquête Mir’Arts menée auprès d’ateliers créatifs de Suisse romande, dans le but d’inventorier et de promouvoir les talents artistiques de personnes avec un handicap mental.

Professionnels – Parents - Personnes en situation de handicap

ASA Handicap Mental - Rue des Casernes 36 CP 4016 – 1950 Sion 4 Tél. 027 322 67 55 – Fax 027 322 67 65 asa-handicap-mental@bluewin.ch www.asa-handicap-mental.ch

Renseignements et inscription : ASA Handicap Mental - Rue des Casernes 36 CP 4016 – CH-1950 Sion 4 Tél. +41 27 322 67 55 – Fax +41 27 322 67 65 asa-handicap-mental@bluewin.ch – www.asa-handicap-mental.ch

ASA Handicap Mental vous invite à une rencontre romande! Mise en commun des réflexions de plusieurs cantons romands autour d’un partenariat réel et efficace. Réservez la date! (le programme détaillé sera disponible ultérieurement)

Jeudi, 22 avril 2010 – HEP Lausanne (après-midi)


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