PAGES ROMANDES - Le poids des mots, le choc des images

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No 1 fĂŠvrier 2008

Le poids des mots Le choc des images


Sommaire

Impressum Pages romandes Revue d’information sur le handicap mental et la pédagogie spécialisée, éditée par la Fondation Pages romandes, Institution de l’Espérance, 1163 Etoy

Dossier: Le poids des mots, le choc des images

Conseil de Fondation Président : Charles-Edouard Bagnoud Rédactrice et directrice de revue Secrétariat, réception des annonces et abonnements Marie-Paule Zufferey Avenue Général-Guisan 19 CH - 3960 Sierre Tél. +41 (0)79 342 32 38 Fax +41 (0)27 456 37 75 E-mail: mpzu@netplus.ch www.pagesromandes.ch

Tirage minimal: 800 exemplaires Abonnement annuel Suisse AVS, étudiants Abonnement de soutien Etranger

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Publicité et annonces - Tarifs 1 page Fr. 800.-1/2 page Fr. 500.-1/4 page Fr. 250.-1/8 page Fr. 125.-1/16 page Fr. 50.-Tarifs spéciaux pour plusieurs parutions Les demandes d’emploi provenant des étudiants des écoles sociales romandes sont gratuites Délai d’insertion 2 semaines avant parution Compte bancaire Banque cantonale du Valais, 1951 Sion En faveur de K0845.81.47 Pages romandes Compte 19-81-6 Abonnement pour la France: faire parvenir vos coordonnées et votre règlement par chèque bancaire à Jean-François Deschamps 108, rue Ire Armée F - 68800 Thann Graphisme Claude Darbellay, www.saprim.ch Mise en page Marie-Paule Zufferey

2 Tribune libre Jean-François Malherbe

3 Editorial Marie-Paule Zufferey

4 Quand l’usage des mots questionne les pratiques Valérie Melloul

Comité de rédaction Membres: Marie-Christine Ukelo-Mbolo Merga, Olivier Salamin, Valérie Melloul, Eliane Jubin Marquis, Laurie Josserand, Sébastien Delage, Marie-Paule Zufferey Responsable de publication: Charles-Edouard Bagnoud Parution: 5 numéros par an Mi-février, mi-avril, mi-juin, mi-septembre, début décembre

6 Accompagnement érotique ou assistance sexuelle? Interview de Catherine Agthe Diserens 8 L’aile enchaînée, regards d’enfants sur les affiches Pro Infirmis Ghislaine Crouzy 10 De la main qui reçoit au look qui accroche Classe secondaire (7e année) 11 Dire sans ambiguïté et montrer sans voyeurisme; propos de gymnasiens Valérie Melloul 12 Entre émotion, rejet et pragmatisme Eliane Jubin Marquis 13 Une bonne campagne doit faire surgir le débat Questions à Mark Zumbühl 14 Quand le handicap s’affiche Marc-Olivier Gonseth 16 De l’effacement au dévoilement ou le handicap révélé Alain Antille 18 Les crises institutionnelles et leurs effets Marie-Paule Zufferey

Impression Espace Grafic, Fondation Eben-Hézer, 1000 Lausanne 12

19 Le cadre, la liberté, l’autonomie Marie-Paule Zufferey

Crédits photographiques et illustrations Pro Infirmis, Robert Hofer, Antoine Sierro, Olivier Eliasz, Fotolia, Sébastien Gollut

20 Tennis de table, premier tournoi intégré Maryrose Monnier

Photos de couverture: Robert Hofer

22 Attibution du Prix FOVAHM Lucien Panchaud

N.d.l.r.: Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. La présentation, les titres et les intertitres sont de la rédaction. La reproduction des textes parus dans Pages romandes est souhaitée, sous réserve de la mention de leur source.

23 Sélection Loïc Diacon

©Pages romandes

24 Séminaires, colloques et formations


Tribune libre

Habiter une culture, c’est se sentir «à la maison», dans son langage Jean-François Malberbe, professeur à l’Université de Sherbrooke (Canada), professeur à l’Université de Trente (Italie)

à demi-mots». C’est que les sous-entendus connus d’eux seuls sont si nombreux que nous ne savons plus comment interpréter leurs mots, même si nous n’éprouvons le besoin de consulter aucun dictionnaire pour comprendre chacun d’eux. Wittgenstein attire notre attention sur le fait qu’habiter une culture, c’est habiter un espace social dans lequel on comprend les autres «à demi-mots». C’est pourquoi ceux qui ne sont pas natifs de ce monde n’y comprennent rien, à moins d’être initiés. C’est ce qui explique le sentiment d’étrangeté que peut éprouver un voyageur découvrant une région, une langue, des us et coutumes différents de ceux qui lui sont familiers. Les Lettres persannes de Montesquieu témoignent magnifiquement de ce phénomène. Mais il n’est pas nécessaire d’aller si loin. Voici deux exemples personnels. Au cours d’un premier voyage à New York en 1973, alors que je demandais au barman noir de m’indiquer combien je lui devais pour le verre de lait qu’il venait de me servir, je fus pris d’effroi en l’entendant me répondre: «Here, Sir, you are nobody but my guest» («Ici, Monsieur, vous n’êtes personne à moins que d’être mon invité»). Et je réalisai tout à coup que j’étais le seul blanc dans la salle, et la cible de tous les regards interrogateurs. J’étais entré innocemment, au hasard de ma balade dans les rues, dans un établissement, non pas réservé aux noirs, mais

fréquenté uniquement par eux. Ma présence dérangeait et je compris que le barman m’éconduisait tout en évitant de se faire reprocher d’avoir servi un blanc. Je le remerciai de son hospitalité et sortis calmement sous les regards soulagés des habitués. Voilà le point: je n’étais pas un habitué; j’étais donc sinon étranger, du moins étrange. Nous avions frôlé la collision, évitée de justesse par la finesse du barman qui m’avait fait comprendre allusivement que je ne tenais pas compte des données implicites de la situation. Voici un autre exemple. Un soir, je dînais avec des amis dans un excellent restaurant de la vallée du Rhône. Vers la fin du repas, un petit triangle de Reblochon que servait une stagiaire, maniant d’une seule main et avec art le couteau et la fourchette, atterrit sur la nappe plutôt que dans mon assiette. La jeune femme se

Sébastien Gollut

Dans ses Recherches philosophiques, le philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein (1889-1951) montre que la «compréhension» d’une phrase ne serait pas possible si nous ne disposions que du langage, sans pouvoir insérer nos phrases dans des contextes d’action. Ainsi, par exemple, il n’est pas possible de savoir ce que signifie la phrase: «j’aimerais avoir votre adresse», si on ne peut la placer dans un contexte d’action qui lève l’ambiguïté entre deux interprétations possibles de l’énoncé: 1) J’aimerais savoir où vous habitez; 2) J’aimerais être aussi habile que vous. Le jeu de langage du commerçant qui s’apprête à livrer une marchandise n’est pas le même que celui de l’apprenti qui déclare son admiration à son maître. Le commerçant et l’apprenti peuvent énoncer tous deux la même phrase, celle-ci prendra une signification différente selon les contextes d’action dans lesquels ils sont en mouvement. Wittgenstein dit que «parler un langage», c’est pratiquer au moins implicitement une «forme de vie». Une «forme de vie» suppose toujours un donné implicite qui la caractérise et dont le contenu passe souvent inaperçu, précisément parce qu’il est implicite. Nous faisons tous un jour ou l’autre l’expérience d’éprouver des difficultés à suivre la conversation de deux personnes qui se connaissent très bien et, comme on dit, «parlent

confondit en excuses démesurées et moi, voulant la rassurer, lui déclarai que j’aimerais avoir son adresse. À mon grand étonnement, ma phrase, au lieu de la tranquilliser, décupla sa confusion et elle s’enfuit vers l’office. Ma surprise devint sidération lorsque le maître d’hôtel vint me signifier courtoisement qu’une telle conduite n’était pas digne d’un homme de bonne éducation. J’étais abasourdi. Je n’ai rien compris jusqu’à ce que je saisisse l’ambiguïté de ma déclaration. Je demandai alors l’addition, payai et sortis. Si, comme on le dit, les voyages forment la jeunesse, n’est-ce pas parce qu’ils provoquent le voyageur à sortir de son univers uniculturel pour accéder à une perspective multiculturelle? Habiter une culture, n’est-ce pas se sentir «à la maison» dans un espace socio-langagier particulier?


La «Matta» [...] C’est à cause de l’une de ces esquisses préparatoires qu’elle tournait et retournait dans ses mains, assise à même le sol d’herbe rase, près de la fontaine asséchée de la place, que je fis attention à elle. Son petit nom de «la Matta», la folle, revenait dans de nombreuses conversations, discrètes ou exclamatives. Mon père et moi avions fait connaissance avec ce nom bien avant de la voir, elle, en chair et en os, si l’on peut dire, tellement son aspect était celui d’une émanation quasi géologique du lieu. Je ne l’avais jamais vue auparavant; mais je n’eus aucune peine à retrouver dans cette silhouette de grande adolescente (elle s’était levée à mon premier mouvement dans sa direction), dans ce visage maigre, presque noir à force d’avoir absorbé le soleil, celle dont le nom évoquait, dans les commentaires de mon père, quelque possédée sortie tout droit des livres d’histoire très officielle des inquisitions ecclésiastiques. De longs cheveux carbonisés lui tombaient raides sur le visage, comme pour préserver le monde de l’apathie furieuse de ce regard venu d’ailleurs. Derrière ce voile pourtant, je fixais étrangement toute ma peur, et le courage inconnu qui me poussa à l’interpeller: «Cette photo, elle est à mon père... Il en a besoin; tu dois la rendre!» Extrait de «La Matta», Adrien Pasquali, éd. Zoé, Genève, 1993

Edito

Des mots, des images, des paradoxes... Marie-Paule Zufferey, rédactrice

«Ce ne sont pas des jeunes, ce sont des racailles et des voyous». Ainsi s’exprimait il y a peu un certain ministre français de l’Intérieur, aujourd’hui devenu président de la République, à propos des jeunes de banlieues. La violence de cette stigmatisation, immédiatement suivie de la promesse: «Je vais vous en débarrasser» a marqué les esprits. Dans l’avant-propos de son ouvrage «L’Eveil et l’exil»1, Philippe Laccadée s’applique à mesurer le poids de ces mots sur le destin des jeunes en question, tout en interrogeant l’usage «de la langue et de son pouvoir de nomination pour asseoir le discours du maître». Si jusque-là, les déclarations politiques s’étaient contentées «d’assigner à résidence» cette population dérangeante, le propos du ministre abordait soudain ouvertement la question de l’évacuation. Or, analyse Philippe Laccadée, «évacuer celui que l’on vient de nommer racaille et de qualifier de non jeune, lui retire sa part d’humanité, le réduit à un objet, une tache à nettoyer, puis un déchet à évacuer, ce qui implique la logique de faire disparaître». Une fois prononcés, les mots venus d’en haut vont leur bonhomme de chemin. Le philologue Victor Klemperer2 rappelle à ce propos que «le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques qui s’imposaient à des millions d’exemplaires et qui furent adoptées de façon mécanique et inconsciente». L’Histoire vient ainsi nous rappeler fort à propos que les discours d’aujourd’hui font les politiques de demain...

préférer la description du contexte, pour éviter de nommer et de qualifier. L’arriéré du 20e siècle est maintenant une personne en situation de handicap. Et la folle dont parle Adrien Pasquali dans le texte de l’encadré nous serait présentée aujourd’hui comme une personne avec un handicap psychique. Finalement, le juste poids des mots pour dialoguer avec l’altérité - quelle qu’elle soit - est peut-être moins à chercher dans une savante construction sémantique que dans le questionnement permanent des images intimes que nous avons de la différence.

Nommer l’altérité. D’un côté, nous venons de le voir, le lexique des gens de pouvoir se décomplexe et se radicalise, surtout face à une certaine altérité qui dérange. C’est ainsi que les jeunes des banlieues sont officiellement devenus des racailles. S’agissant de handicap au contraire, le langage politiquement correct semble

1

Philippe Laccadée, l’Eveil et l’exil, éditions Cécile Defaut, 2007

2

Victor Klemperer, LTI, La langue du Troisième Reich, éditions Pocket

Du poids des mots au choc des images. Justement, ce dossier est également construit autour du regard que portent différents publics sur les affiches publiées par Pro Infirmis depuis 1940. Paroles d’enfants, observations d’adolescents, commentaires de personnes handicapées sont autant d’occasions d’approcher les représentations spontanées du handicap qui ont cours au sein de la population. Une enquête parallèle menée auprès d’adultes de divers milieux m’a permis de découvrir que les réticences des petits se retrouvent souvent chez les grands..., ou le contraire... Un certain nombre de personnes se disent mal à l’aise face aux images qui montrent les difformités du corps. Ce que je ne sais pas, c’est si ces mêmes personnes sont également choquées par les images de violence que produit tous les jours notre société, ou s’il y a réellement pour elles, deux poids et deux mesures...

Afin de faciliter la lecture du dossier, une page volante couleur contenant une rétrospective des affiches Pro Infirmis en question a été jointe à ce numéro.


Quand l’usage des mots questionne les pratiques

Intégration et inclusion ne renvoient pas aux mêmes comportements du groupe Valérie Melloul, étudiante en sciences de l’éducation, Université de Genève

Inclusion versus intégration: cet article est écrit sur la base d’un sondage mené auprès de 42 étudiants en sciences de l’éducation, dans le cadre d’un cours de bachelor donné par Gisela Chatelanat, professeure à l’Université de Genève. A quelle aune ces professionnels de demain mesurent-ils le poids des mots en vogue dans les politiques de l’éducation?

Il est de coutume aujourd’hui de voir les deux termes inclusion et intégration employés dans le champ de l’éducation spéciale. Mais finalement que veulent-ils dire? Pourquoi utiliser l’un plutôt que l’autre? Sont-ils différents? Quels impacts peuventils avoir sur les pratiques? Glissements sémantiques et réalités Depuis le début des années quatre-vingt de nombreux efforts ont été entrepris pour situer les enfants en situation de handicap parmi les autres. Si jusqu’alors il était question d’«intégration», dans la littérature anglophone on parle déjà d’«inclusion» ou d’«éducation inclusive». Aujourd’hui, ces expressions sont de plus en plus utilisées en français. Est-ce une simple modification de vocabulaire comme les «sourds» sont devenus «mal-entendants», «les débiles» sont devenus des «handicapés mentaux» puis des «personnes en situation de handicap»? Est-ce du «politiquement correct» ou réellement deux notions différentes? Des termes difficiles à définir

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Les 42 étudiants qui ont accepté de répondre à ces questions n’avaient encore jamais traité de

ces termes en cours. Ce qu’ils relèvent, en tant que professionnels de demain, est intéressant en de nombreux points. Si pour certains d’entre eux ces deux termes sont semblables, d’autres font une nette distinction entre l’un et l’autre. Ce qui semble être tout d’abord relevé par tous est bien une notion d’appartenance à un groupe et plus particulièrement la façon dont on en fait partie. Si l’intégration est perçue comme une «co-construction» entre les différents individus où il s’agit de rentrer dans un groupe en s’adaptant à certaines règles tout en ayant un rôle à jouer, l’inclusion est perçue comme une démarche plus radicale. Certains étudiants la voient comme une obligation de se fondre dans le groupe; l’inclusion serait donc vue ici comme synonyme d’assimilation. L’individu serait absorbé par les autres dans une relation d’emprise du groupe sur l’individu. On ne se préoccuperait pas du rôle que ce dernier joue dans le groupe. D’autre part, de nombreux étudiants qualifient l’intégration de processus et induisent la durée, le temps nécessaire pour parvenir à une intégration. Il faut de la patience et beaucoup d’énergie, disent-ils. Il s’agit également d’un travail en continu et d’un suivi. En revanche, selon eux, l’idée d’effort et celle d’efficacité ne font pas partie de la notion d’inclusion. «On place la personne dans un groupe… et cela suffit». Il semblerait que dans la vision de certains étudiants, le but premier de l’inclusion est d’assurer la simple «présence physique» de la personne. Enfin, ni l’intégration ni l’inclusion ne peuvent se faire sans acteurs. Ces termes ne sont pas uniquement employés dans le champ de l’éducation spéciale, mais également en anthropologie. Aussi, plusieurs étudiants prennent pour exemple l’arrivée de minorités étrangères et leur insertion dans la société d’accueil. La personne au centre est donc issue d’une minorité et semble présenter une ou plusieurs différences (culturelles, langagières, intellectuelles, …) avec le groupe majoritaire. Un éducateur ou enseignant spécialisé est souvent associé à l’intégration pour accompagner et aider la personne intégrée (qu’elle soit étrangère ou présentant un handicap).


Une distinction a été faite par plusieurs étudiants entre intégration et inclusion quant aux «facilitateurs» et à leurs rôles. Dans une situation d’intégration, il serait de la responsabilité de la personne elle-même de bien s’intégrer, elle doit faire des efforts et changer pour pouvoir être bien acceptée. Dans une situation d’inclusion au contraire, ce serait au collectif, à la majorité de faire des adaptations afin de faciliter l’accueil d’une personne différente. De manière générale il semblerait que pour de nombreux étudiants l’inclusion ait une connotation un peu plus négative que l’intégration. Elle ne se préoccuperait pas de différences interindividuelles et enfermerait l’individu dans un groupe sans tenir compte de son individualité. Il s’agirait d’une tentative de transformation, de modification de la personne à tout prix pour qu’elle fasse partie d’un groupe et réponde aux attentes de celui-ci. Peut-être est-ce dû, comme le propose un étudiant, au fait qu’on n’entende que peu le mot «inclusion» alors que de plus en plus de textes officiels parlent d’intégration.

distinguer deux groupes différents mais de n’en faire plus qu’un, hétérogène: un groupe d’enfants qui a le droit de vivre et d’apprendre à l’école ordinaire. Dans cette vision, c’est la forme scolaire qui change et qui s’adapte. Il y a des apprentissages communs et individuels et une synergie entre des enseignants ordinaires et des intervenants spécialisés est encouragée systématiquement par le système scolaire. Dès lors l’emploi de l’un ou de l’autre de ces termes change toute la vision de la prise en charge. L’impact semble énorme puisque le rôle et le fonctionnement de l’école s’en voient totalement changés.

L’éducation inclusive demande que les écoles se transforment pour accueillir tous les élèves sur la base d’un droit légal. Plaisance, Bouve et Schneider (2006) associent dans leur article «Petite enfance et handicap: quelles réponses aux besoins d’accueil» les enfants intégrés à des visiteurs plutôt qu’à des membres à part entière d’une communauté scolaire. Alors que l’éducation inclusive, au contraire, demande que les écoles se transforment elles-mêmes pour accueillir tous les élèves sur la base d’un droit légal. Si le contraire d’inclusion est le mot exclusion, qu’en est-il du contraire d’intégration? Désintégration? Ce n’est pas envisageable! Pourtant, c’est le premier mot qui nous vient à l’esprit… Imaginons la force et la puissance d’un pareil vocable renvoyé à des parents pour leur signifier que l’intégration de leur enfant ne peut se poursuivre pour diverses raisons et que par conséquent, il va se voir ... «désintégré»!

En me penchant sur les nombreux et divergents avis donnés par ces étudiants, il semble que ces deux termes soient difficilement définissables surtout lorsqu’il s’agit de les traiter parallèlement. Cette constatation n’est pas à faire uniquement au niveau des étudiants, mais également dans les différentes recherches que nous pouvons lire dans le cadre de l’université. De nombreux auteurs utilisent l’un ou l’autre de ces termes comme synonymes, ce qui contribue à la confusion. Si dans la littérature anglaise, une distinction plus nette est faite, ceci n’est pas encore tout à fait le cas dans les recherches francophones. Cependant, on parle de plus en plus d’inclusion alors que jusqu’il y a peu on parlait uniquement d’intégration. La différence réside bien dans le changement, dans l’adaptation et dans le rôle de chaque acteur. De nombreuses personnes se battent depuis des années afin de rappeler le droit de chaque enfant à une scolarisation dans un lieu ordinaire. L’intégration scolaire correspond à l’insertion d’enfants avec des besoins particuliers dans une école ordinaire. Aujourd’hui, pour certains élèves ceci est devenu une réalité… Le groupe des «non-handicapés» accueille un enfant «handicapé» dans la classe. Parfois un soutien particulier est donné aux enfants en situation de handicap, un projet individuel est fait et les professionnels du secteur spécialisé travaillent avec les enseignants dits ordinaires. L’éducation inclusive ou l’inclusion me semble aller encore plus loin. Il s’agit de ne plus

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Des mots si proches, des réalités si différentes...


Accompagnement érotique ou assistance sexuelle? Du fantasme à la nomination

Interview de Catherine Agthe Diserens, sexo-pédagogue spécialisée par Olivier Salamin, psychothérapeute, directeur Asa-Valais, Sion

Catherine Agthe Diserens sait qu’elle doit compter avec le poids des mots… Dans les enjeux liés à la formation en assistance sexuelle pour les personnes en situation de handicap, elle sait qu’elle doit à la fois nommer clairement les besoins et les réponses, tout en ne provoquant pas des fantasmes déraisonnés! Elle évoque même certains paradoxes… comme celui de conceptualiser une profession qu’elle ne pourrait pas elle-même exercer! Elle souligne l’influence de l’image, entre autres celle du nouveau logo de l’Association SEHP1 (qu’elle préside), qui stylise à la fois le handicap et la relation sensuelle et sexuelle. Sexo-pédagogue confirmée, formatrice d’adultes dans de nombreuses institutions, Catherine Agthe Diserens ainsi que ses collègues du SEHP œuvrent pour un accompagnement érotique sensible et conscientisé. Un reportage de l’émission «Mise au Point» (TSR), des articles en cascades, autant d’occasions d’évoquer un projet qui ne laisse personne indifférent et qui oblige à peser ses mots et à border l’imaginaire… Parlons d’abord de votre projet; où en est à ce jour la formation à l’assistance sexuelle des personnes en situation de handicap? La formation est conceptualisée, le programme de formation est prêt et les intervenant-e-s sont pressenti-e-s. Nous allons former (à cinq champs de compétences2) sept femmes et dix hommes retenu-e-s, sur près de quatre-vingts candidat-e-s potentiel-le-s. Les dix-huit jours de formation seront essaimés sur une année, afin que les questionnements s’élaborent, que des lectures et des visites d’institutions aient lieu. Deux week-ends résidentiels permettront de favoriser le développement personnel. En juin 2008, la formation, organisée en partenariat PLANeS, qui représente la santé sexuelle suisse, débutera par un week-end en session résidentielle.

Finalement, plutôt que d’organiser une assistance sexuelle n’aurait-il pas mieux valu faciliter l’accès aux prostitué-e-s? Tout d’abord, j’aimerais préciser que l’assistance sexuelle est une offre, et non LA réponse. Pour être en contact avec le milieu de la prostitution, nous y côtoyons divers contextes: des professionnel-le-s du sexe d’une grande humanité, intelligente-s et sensibles, qui aident déjà certaines personnes vivant avec un handicap, mais évidemment aussi des professionnel-le-s du sexe qui sont plus vulnérables, insuffisamment protégé-e-s et reconnu-e-s, peu informé-e-s, et en conséquence souvent peu enclin-e-s à prendre en compte les difficultés de l’autre. La question de la tarification pose problème dans la prostitution et, sur ce point, ce sont les personnes handicapées mentales qui risquent d’être les plus spoliées.

L’assistance sexuelle sera très précisément tarifée, et toujours au moins pour une heure entière. A l’égard de la prostitution, nous rencontrons enfin une limite dans les représentations sociales de la population. Une limite juridique concernant les personnes dont le discernement est affecté nous obligera à bien revisiter les questions légales: dès que le corps est mis au service d’autrui pour de l’argent, la loi le définit globalement encore comme du sexe tarifé. L’assistant-e sexuel-le figurerait donc à la police, dans le registre des professions du sexe, ce qui ne serait évidemment pas facile à gérer… Nous essayons donc de changer les représentations et de sensibiliser les Grands Conseils des cantons romands pour qu’une législation différente puisse advenir.

«Le dessin laisse plus de place à l’imaginaire, alors que les photos le figent»


Au niveau de l’environnement, toutes les prostituées ne disposent pas d’un accès facilité aux personnes concernées. Le lieu d’accueil devra être convivial. La chambre dans l’institution, par exemple, sera-t-elle un vrai «chez soi» respecté de tous? Pour les personnes dont le handicap est mental, nous privilégierons les rencontres à l’extérieur de l’institution, pour éviter toute confusion dans les rôles, et les ancrages des lieux. A l’inverse, pourquoi ne proposer une assistance sexuelle qu’aux personnes en situation de handicap et non pas à toutes celles qui les souhaiteraient? Nous avons estimé que la personne en situation de handicap avait droit à une attention particulière, parce qu’elle peut avoir des besoins très spécifiques dans un corps en souffrance, comme de nommer et de comprendre lentement les mécanismes physiologiques, d’être aidée pour apprendre la masturbation, de bénéficier de plus de temps pour être préparée, déshabillée, installée, etc. Nous nous sommes par contre posé la question inverse: que faire si une personne valide sollicitait un-e assistant-e sexuel-le? Deux mesures répondront à ce cas de figure et apporteront un suivi et des garanties qui seront aussi valables dans d’autres cas d’ailleurs: nous conseillerons toujours un premier rendez-vous qui aura pour but de déterminer les besoins de la personne et son niveau de compréhension, ainsi que la supervision qui permettra un suivi au cas par cas. En ce qui concerne le choix des mots: d’un côté vous parlez dans votre livre3 d’«accompagnant érotique» et de l’autre d’«assistant-e sexuel-le», comment s’y retrouver? Nous avons testé les deux appellations et les réactions ont toujours été surprenantes: pour certains, le mot sexuel est plus tabou que le mot érotique, car il touche au sexe! Pour d’autres à l’inverse, le mot érotique est entendu dans un versant «hard». Nous avons finalement choisi le terme d’assistant-e sexuel-le, qui est d’origine anglo-saxonne, pour nous rallier aux autres pays et jeter des ponts avec des expériences pionnières en Europe. Un dernier article du 20 Minutes4 évoque un projet suisse alémanique qui permet d’aller au «rapport complet». De votre côté, vous avez dit dans «Mise au Point»

qu’en Suisse romande, l’assistance sexuelle n’offrirait pas la pénétration. Quelles nuances pouvez-vous apporter à ce sujet? Il n’est déjà pas évident de mettre son corps en jeu dans la relation à l’autre, alors lorsqu’il s’agit de pénétration c’est encore plus délicat: tout-e assistant-e sexuel-le n’est pas prêt-e à s’engager dans ce sens! Nous ne refusons pas les pénétrations a priori, mais celles-ci seront négociées de cas en cas. L’assistant-e sexuel-le apportera (en cas d’ambivalence) ces demandes spécifiques en supervision, pour les aborder en prenant en compte les limites de chacun-e. J’imagine que vous devez porter une grande attention aux mots que vous choisissez? Lorsqu’une personne (dont le handicap est mental) vous dit qu’elle veut «faire l’amour», que dit-elle exactement? Qu’elle veut un baiser, toucher un corps, être touchée? Nous devons travailler avec le sens que ces mots ont pour elle, mais également avec les tuteurs, les parents. Par ailleurs, que dire de ce qui s’est passé, que révéler de l’intime, pour autant qu’il soit nécessaire d’en parler? Ce sont de grandes questions pour lesquelles nous n’avons pas de réponses toutes faites, mais qui seront abordées aussi bien dans le cadre de la formation, que dans celui du suivi ultérieur de chaque situation. Et nous supposons qu’il en va de même pour le choix des images? Lorsqu’il s’agit de matériel pédagogique et de sensibilisation, nous privilégions les dessins qui laissent une place plus grande à l’imaginaire pour s’approprier la situation à sa manière. Les photos et les films peuvent parfois être utiles dans la formation d’adultes. Mais l’extraction d’une image de son contexte pose problème: pour l’émission «Mise au Point», je n’aurais jamais proposé de montrer celles qui concernent Nina de Vries5. Elles ont été exploitées de manière très réduite, et les personnes qui les auraient vues n’ont évidemment pas pu réaliser que le film en lui-même est beau et respectueux: car l’avant et l’après de cet extrait ont une très grande importance! Je crois que l’on peut (doit pouvoir assurément) aussi parler de l’assistance sexuelle sans forcément montrer de photos ou de film. Nous savons que l’interprétation de toute image va toujours rester très personnelle et plus prégnante qu’un écrit ou qu’une narration, en référence aux expériences de chacun, ceci d’autant plus qu’il s’agit

de scènes liées à la vie affective et sexuelle. Tout est dans le contexte: si les images sont imposées de fait, ou si le public concerné est préparé à voir! Dans le deuxième cas de figure, parler de ce que les images ont touché en nous… permet alors à un film d’opérer un véritable changement de représentations. Dans le cadre de la formation, nous utiliserons divers supports visuels pour sensibiliser aux situations de handicaps, mais dans l’accompagnement érotique lui-même, il est bien possible que des représentations artistiques soient peut-être plus à même de créer une ambiance favorable à la rencontre.

SEHP: SExualité et Handicaps Pluriels Les domaines de compétences recouvrent les champs de l’éthique et de la loi; de la connaissance des handicaps; des approches corporelles; de la sexualité et de la sexologie; du contexte des institutions et du rôle des tiers. 3 Catherine Agthe Diserens, Françoise Vatré: «Accompagnement érotique et handicaps: Au désir des corps, réponses sensuelles et sexuelles avec cœur» Chronique sociale: Lyon 2006. 4 Edition romande du lundi 19 novembre 2007 5 http://www.c5c6csex.com/nina.pdf 1 2

Formation spécialisée d’assistant-e sexuel-le pour personnes en situation de handicap

Cette nouvelle formation est mise sur pied par l’association SEHP, en partenariat avec PLANeS (Fondation suisse pour la santé sexuelle et reproductive). Durée: la formation compte 18 jours, répartis sur 1 an à raison de 2 jours par mois environ (dont 2 week-ends résidentiels). Il faut compter sur environ 100 heures de travail personnel (lectures, préparation des cours, analyses de situations, etc...). Des journées de stages d’observation de la vie en institution seront organisées en sus (selon les besoins de chacun-e). Début de la formation: juin 2008 Renseignements et inscriptions: SEHP, CP 2137 1211 Genève 2, ou sur le site: www.sehp-suisse.ch


L’aile enchaînée Regards d’enfants

Ghislaine Crouzy, enseignante, Crans-Montana, Valais

Comment des enfants de neuf ans reçoivent-ils les images du handicap utilisées dans les campagnes de Pro Infirmis? Ghislaine Crouzy a accepté d’ouvrir le dialogue à ce sujet avec sa classe de première primaire. Dans cet article, elle retrace, avec leurs mots à eux, les moments forts de cet échange. Tout en respectant leurs réactions qui ne se cachent pas sous des «airs composés et hypocrites»; elle fournit au fil du récit, quelques clés de lecture et d’analyse...

Depuis l’automne 2007, je me trouve comme institutrice, en contact avec un nouveau groupe de vingt-quatre enfants âgés de neuf ans. La station touristique de Crans-Montana accueille une population contrastée. Le fils de requérant d’asile côtoie le riche descendant d’une famille en vue. Beaucoup d’élèves sont originaires des pays de l’Est, suite à l’immigration entraînée par la guerre. Le monde de demain sera multiculturel ou ne sera pas. Notre salle de classe est un microcosme qui permet d’expérimenter cette formule d’avenir. Comment présenter les affiches de Pro Infirmis à de si jeunes humains? Peut-on leur montrer des situations aussi réalistes? Depuis plus de trente ans, mes élèves m’ont offert et m’offrent leur profondeur, la pertinence de leurs remarques et une vision étonnante sur les sujets les plus divers. Cette génération est la proie des publicistes qui bombardent les écrans pour inciter à la consommation. Elle est confrontée à la réalité de l’information transmise dans une cruauté souvent insoutenable.

un mélange d’interrogations, de doutes et de curiosité, j’ai conduit mes élèves dans la salle de projection de notre école en leur donnant ces indications: «Retrouvez le thème des affiches. Quelle affiche préférez-vous? Laquelle détestez-vous?» Les premières images ont été ressenties sans violence. La classe a manifesté son enthousiasme en voyant l’aile enchaînée. Tout aussi nettement, elle a réagi au moment où des personnes avec un handicap sont apparues. «Ces gens sont déformés. Pouvez-vous arrêter? Ce n’est pas beau à voir.» Les questions fusent, laissant apparaître un malaise: «Qu’est-ce qu’il a?» Les enfants ont été peu sensibles au texte. Aucun commentaire n’a été fait sur les messages écrits. Les couleurs, par contre, les attirent. Comme je les sais parfois soumis au diktat des camarades, je leur ai demandé, lors de la deuxième projection, de fermer les yeux entre chaque image et de lever le doigt après la projection de leur affiche préférée… Onze enfants sur les vingt-quatre présents se prononcent pour l’aile enchaînée.

Les premières images sont ressenties sans violence...A v e c

La classe s’enthousiasme pour l’aile enchaînée...


Classe de G.Crouzy-Photo Antoine Sierro

Tohar aime ce symbole car «c’est comme les handicapés qui sont encore vivants. Et la chaîne les empêche de voler». À sa suite, Roni reprend: «C’est comme si on enfermait la paix. C’est comme si la mésange, elle vole, et on l’empêche de voler vers la paix». «J’aime l’aile blanche; ça m’interroge, à cause de la chaîne», poursuit Andy. Vincent aime l’aile blanche qui fait penser aux beaux anges dans le ciel. Nicolas dit qu’il a envie d’aider «pour ne pas enfermer les anges». Le choix de Giulia se porte sur l’affiche du soleil, car «il y a des couleurs chaudes et un sourire». Elle n’aime pas les photos des handicapés parce que «ça fait mal au cœur». Après ce commentaire, Roni ajoute: «Je n’aime pas voir les gens souffrir»; «Moi, ça me fait pleurer, conclut Vincent». Trois filles s’engagent pour défendre la photo d’une danseuse corsetée. «Cette enfant regarde le ciel en haut», dit Daria. Marcy partage la passion de la danse et, de ce fait, se sent touchée par l’affiche. David se dit bouleversé par la vision de l’artiste peintre. «Moi, je la trouve incroyable».

«Cette enfant regarde le ciel en haut»

Ana lève le doigt. Elle vient d’arriver du Portugal. Une camarade traduit ses paroles: «Parfois, ceux qui sont handicapés, ma maman m’a dit qu’ils avaient un don». Je reprends la projection en demandant aux enfants de se prononcer sur les images qu’ils n’aiment pas. L’image de Christina Heer choque dix élèves. Diogo justifie son aversion par le fait que ça ne doit pas être facile pour marcher et que ça le fait souffrir. Roni le rabroue assez sèchement avec un mélange d’ironie. «Tant que ce n’est pas toi, ça va». Trois élèves souffrent également à la vue de cette femme. «J’ai mal au cœur.» Marie-Catherine enchaîne: «C’est un peu bizarre. Je me pose des questions. Pourquoi Jésus fait cela? C’est un tout petit peu moche». Andy reprend le mot bizarre: «C’est un peu bizarre! Un peu trop bizarre». La dualité de la photographie de Christina Heer est ressentie par Emilie: «J’aime bien, mais je n’aime pas trop». «Je n’aime pas parce que ce n’est pas beau à voir». Mehdi ressent de la pitié. Il n’aimerait pas avoir ça. Roni, ce jour-là, donna une nouvelle fois une réponse étonnante à ses camarades: «Quand je suis en difficulté, les autres m’aident. Et bien, là, moi aussi j’ai envie d’aider». Quelques enfants disent ne pas aimer la vision des deux amoureux se donnant un baiser. Le dégoût ressenti correspond peut-être, pour une part, à une pudeur propre à leur âge devant le sentiment amoureux. Les affiches rejetées font toutes partie de la série de situations réalistes présentées ces dernières années, rejet justifié par un «je n’aime pas parce que ce n’est pas beau, parce que ça m’attriste…» Cette révulsion montre à quel point les enfants sont éloignés des personnes en situation de handicap.

J’ai été frappée par le franc-parler de mes élèves, par l’immédiateté de leurs réactions. Ils n’ont pas étouffé leurs sentiments en prenant des airs composés ou hypocrites. Ils sont touchés par la catégorie des premières campagnes de soutien, par les symboles rassurants, les couleurs douces, les messages harmonieux. La différence est inacceptable, elle est laide parce qu’elle interroge et rend triste. Dans le cas de Christina Heer, ils n’ont pu voir ni sa beauté, ni sa féminité, ni sa détermination. D’abord intrigués par le corset apparaissant sous le tutu de la jeune danseuse, ils ont été amenés à refuser l’idée qu’il pouvait y avoir encore une enfant heureuse d’évoluer malgré cet étau. Notre conversation s’est arrêtée rapidement. Le verdict de la cloche nous a poussés hors de la salle pour un cours de natation. De retour en classe, le sujet est occulté. Au moment de la parution de cet article, nous aurons l’occasion de reprendre la discussion amorcée. L’ouverture étant créée, je me réjouis de poursuivre cette réflexion.

L’image de Christina Heer choque plusieurs élèves.


De la main qui reçoit au look qui accroche Regards d’adolescents sur un demi-siècle d’affiches Pro Infirmis Classe secondaire de 7e année, ESRN, Collège des Terreaux, Neuchâtel

Regard sur l’évolution. Les deux photos des années 40, avec leur main qui reçoit une fleur, sont réussies et nous ont plu. Le dessin est beau, on le comprend bien, le caractère d’écriture est lisible (surtout dans l’affiche de 1940); le texte est clair et va bien avec les images.

Mais le fait que l’affiche de 1941 imite celle de l’année précédente la rend moins intéressante. Par comparaison, les affiches des années 2000 reprennent aussi une même idée mais en variant vraiment les images. La photo de 1951 nous a intéressés également, en raison du symbole de son aile prisonnière et aussi par son graphisme simple et intéressant. Plus de 25 ans plus tard, l’affiche rouge avec un soleil jaune souriant (1978) ne montre pas une grande évolution graphique. Elle est très simple et positive, ce qui a plu à certains, mais elle a aussi semblé trop «gentille» à d’autres pour être efficace. Les deux affiches des années 80, avec le thème «Construire pour demain», ne sont pas très réussies. Elles ne sont pas attirantes, avec leurs couleurs fades et leurs photos grises, et on n’a pas vraiment envie de les regarder. En plus, le texte de titre ne nous a pas semblé très en rapport avec les handicapés. Les trois premières des quatre affiches du début des années 90 sont réussies même si elles nous semblent un peu tristes mal10

gré les nombreuses couleurs. Le texte est à chaque fois différent et on comprend bien de quoi il s’agit. On comprend bien aussi les photos qui montrent à chaque fois un handicapé dans une chaise roulante avec une ou des autres personnes. Par contre l’affiche de 1993, qui dit que «Le grand art c’est d’aimer la vie» et nous montre une artiste peintre, est celle qui a le moins plu à notre classe. Nous en parlons plus loin. Pour nous, la série d’affiches de l’année 2000 est nettement la meilleure. Les images attirent immédiatement l’attention. Elles peuvent peut-être choquer, mais montrent les handicapés tels qu’ils sont et rappellent qu’eux aussi peuvent s’aimer, danser, faire du sport, c’est-à-dire vivre comme nous. Le texte «Comme vous, nous vivons notre vie» est le même sur toutes les affiches et convient bien aux photos. Il est malheureusement un peu trop petit. Parmi celles-ci, nous avons choisi l’affiche du basketteur comme la préférée de notre classe. L’évolution entre 1940 et 2000 est nette. Tout est différent: les sujets, les couleurs, la mise en page, les textes. En 2000 on ne craint pas de montrer des handicapés et de dire clairement les choses. On cherche aussi à attirer le passant comme s’il s’agissait de publicité. L’affiche la moins bonne est, pour nous, celle de 1993, qui montre une photo noir-blanc d’une artiste peintre handicapée, avec un fond rose. Du point de vue graphique, l’affiche apparaît sombre, triste malgré le sourire de la personne, et quand on passe dans la rue et qu’on voit l’affiche, on n’a pas l’envie de s’arrêter et de la regarder de plus près. Peut-être même qu’on ne l’aperçoit même pas, elle n’est pas assez «choquante». Une bonne affiche devrait attirer le regard et être comprise en deux secondes! Le passant n’a pas le temps d’approfondir le sujet! Le slogan «Le grand art c’est d’aimer la vie» nous semble incompréhensible et on ne comprend pas pourquoi on dit cela.

Quand on voit une affiche, il faudrait comprendre immédiatement le texte et ce n’est pas le cas avec cette affiche. Le deuxième slogan, en bas à droite, «Vivre comme tout le monde», se rapporte mieux au thème, mais il est trop petit et on ne le remarque pas. On ne voit d’ailleurs pas sur la photo que la dame est handicapée, et il faut une légende pour le préciser (par comparaison, le handicap est beaucoup mieux illustré dans les affiches des années 2000). Finalement, on a presque l’impression qu’il faut laisser les handicapés se débrouiller tout seuls, on n’a pas vraiment envie de donner de l’argent. L’affiche la plus réussie à notre sens, appartient à la série des affiches de l’année 2000, qui toutes, nous ont semblé excellentes. C’est celle où un jeune handicapé (un nain?) en tenue de sport tient un ballon de basket dans sa main. Normalement le basket, c’est pour un homme en pleine santé et de grande taille. Ici, c’est le contraire. Mais on peut faire du basket aussi si on est petit, et aussi si on est handicapé. On comprend immédiatement qu’un handicapé peut faire du sport comme les autres alors qu’on pourrait penser le contraire. La personne handicapée peut aussi rêver comme une autre personne, rêver de réussir en sport par exemple. Cette affiche ne nous donne peut-être pas l’envie de donner de l’argent, mais elle nous permet de comprendre que les handicapés sont finalement très proches de nous.


Dire sans ambiguïté et montrer sans voyeurisme Campagnes de recherche de fonds, ce qu’en disent des gymnasiens... Valérie Melloul, étudiante en sciences de l’éducation, université de Genève

Les affiches des campagnes de ProInfirmis depuis 1940 jusqu’à nos jours, ont été présentées aux élèves de Monsieur François Rochat, au gymnase de la Cité à Lausanne. Pendant une heure, les 24 élèves de la classe se sont volontiers prêtés à la discussion. En petits groupes, ils ont échangé sur les images proposées afin de choisir, selon leurs propres critères, la meilleure et la pire... Méconnaissance du handicap. Les échanges furent riches et les opinions variées. Ce qui en ressort avant tout est un grand manque d’informations sur le handicap, sur ses expressions et ses caractéristiques. Un certain nombre d’élèves semblaient être très intéressés par le type de handicap de la personne représentée sur les affiches. Ils voulaient savoir «ce qu’elle avait», «d’où cela venait», si c’était grave ou rare. De manière générale il semble que les photos leur parlent plus; ils prêteraient plus d’attention dans la rue, aux affiches datant des années 2000 plutôt qu’à celles antérieures. En revanche, ils expliquent le design des affiches des années 1940-1970 par la question du tabou. «A l’époque, on n’aurait pas osé montrer ou dire les choses comme on le fait aujourd’hui. Cela aurait été choquant!». Un élève relève la pitié que lui inspire l’image de l’aile enchaînée, et trouve que ce genre de message fait un peu «secte» et laisse une place au religieux. D’autres, comme le soleil au sourire (1978) leur semble enjoliver et simplifier le handicap. Les deux affiches avec pour slogan «Construire pour demain» leur font penser à une campagne politique avec un slogan cliché, «on ne voit pas que c’est pour Pro Infirmis». L’affiche du baiser: la controverse. L’image «Esther et Sandro» est jugée la meilleure par la plupart des élèves. Une grande discussion naît alors pour expliquer pourquoi. Un élève lance: «Parce

que cela montre qu’ils ont aussi une vie privée». Ou encore: «On se retrouve soimême dans cette photo, on peut s’identifier avec ce couple». Alors que pour d’autres, cette image de la vie de tous les jours a quelque chose de choquant et de tabou, un autre argumente: «Parce qu’on ne pense presque jamais que ces personnes ont une vie amoureuse et sexuelle». Certains restent dubitatifs et demandent si «les personnes tellement handicapées ont des sentiments, si elles peuvent être amoureuses, si elles se rendent compte de la présence de l’autre». Une élève a déjà croisé des personnes handicapées dans le bus et ne s’est jamais posé la question…cela paraissait tellement impossible! Petit à petit, au fur et à mesure de la discussion, on aurait dit que chacun d’entre eux construisait une image des personnes en situation de handicap ou complétait celle, approximative, qu’il avait déjà.

Il y a cependant quelques avis différents: «Cette photo est rabaissante, parce qu’en les montrant ainsi en couple, on fait comme si c’était anormal qu’ils soient en couple», «Si on les considérait comme égaux à nous, on ne les montrerait pas ainsi». Les deux images présentant des parents

avec leur enfant handicapé sont jugées comme étant les pires par beaucoup d’élèves «parce que c’est choquant, parce que ça peut faire peur (que ça nous arrive aussi)». «La phrase est hypocrite: ils ne vivent pas la même vie que nous, c’est un peu faux-cul». En effet, les phrases accompagnant les

photos de la campagne 2000 sont assez mal perçues par les élèves. Si réellement les personnes handicapées vivaient leur vie comme tout le monde, pensent-ils, alors pourquoi des campagnes seraientelles organisées pour promouvoir l’association Pro Infirmis? Pourquoi faudrait-il les prendre en photo? Il n’y aurait rien à en dire… «Il faudrait une phrase moins ambiguë, plus claire». Les élèves se sont donc amusés à proposer une autre phrase pour accompagner les photos: «Ne nous jugez pas!». Ils ne se sont pas arrêtés là, puisqu’ils ont même imaginé une proposition de photo: «Ils auraient dû faire une photo de tous ensemble, faisant une grillade, comme une grande famille». A méditer peut-être pour une prochaine campagne...

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Entre émotion, rejet et pragmatisme

Deux personnes handicapées réagissent aux affiches de Pro Infirmis

Stéphane Erismann et «Claudio»; propos recueillis par Eliane Jubin Marquis, assistante sociale

Pour ses dernières campagnes publicitaires, Pro Infirmis propose des affiches qui symbolisent la revendication des personnes handicapées, demandant à être intégrées dans tous les domaines de la vie quotidienne. Le message se veut vivant et enjoué; mais qu’en pensent les personnes concernées par le handicap? Comment perçoivent-elles le message? Que ressentent-elles? C’est dans le but d’approcher ces interrogations et de tenter d’y répondre que dix personnes vivant avec des difficultés d’apprentissage ont accepté, dans un premier temps, de participer à une soirée débat. Au final, il n’en est resté que deux: cinq personnes ont annulé le jour précédent, après avoir demandé un complément d’information. Les messages «ce n’est pas beau à regarder», «je n’ai pas envie de voir ça» motivaient leur décision. Le soir même, deux personnes ont téléphoné pour s’excuser et une autre n’est tout simplement pas venue.

Visite commentée Stéphane Erismann hésite à choisir l’anonymat puis finalement, demande à être cité: «Je veux m’affirmer, je veux dire ce que je pense à tout le monde». Le second évaluateur préfère être appelé «Claudio» et ne désire pas se faire connaître. Tous deux ont bien saisi le sens de la campagne d’affiches; ils jugent d’ailleurs «normal de donner de l’argent à Pro Infirmis». S. Erismann apprécie tout ce qu’il peut faire avec l’association et «Claudio» affirme que «son assistante sociale est la meilleure!». Les affiches sont exposées dans l’ordre chronologique de leur parution, de 1940 à 2007. Les deux participants prennent le temps de la découverte et se livrent à des commentaires spontanés. «Celle-ci est belle, celle-là est plus gaie, le texte est intéressant…». «Claudio» se montre immédiatement à l’aise, par contre, S. Erismann éprouve une grande émotion et soudain, devant l’affiche présentant Gérald Métroz, des larmes inondent son visage. Moment fort. Passage délicat. «Cette image est trop «dure», explique-t-il. Jamais je n’avais vu

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cette affiche. Je suis triste pour ce pauvre homme; j’aimerais l’aider, mais je ne peux pas regarder». «Claudio» propose alors de tourner le tableau, ce qui convient à S. Erismann. Cependant il ne parvient pas à oublier cette image. Un peu plus loin, il s’arrête devant l’affiche «Avancer dans la vie»; elle lui plaît beaucoup. Il la désigne comme sa préférée, et soudain, son visage s’illumine: «Si on mettait ce texte sur l’affiche de l’homme qui n’a plus de jambes, cela l’aiderait beaucoup». S. Erismann pense que l’affiche pourrait alors être regardée, parce qu’avec le texte, «cela donnerait de l’espoir au pauvre homme».

«C’est dommage qu’on ne montre pas tout ce qu’on sait faire...» S. Erismann a sélectionné 4 affiches. Deux choix positifs: «Avancer dans la vie...» et «Etre dans le coup». «Celles-là, j’aurais plaisir à les mettre dans ma chambre»... Deux autres qu’il n’aimerait pas voir dans les rues: celle de Gérald Métroz et celle de «l’aile enchaînée». «L’aile enchaînée» ne choque pas «Claudio». Il trouve même que c’est assez beau en tant qu’image, mais pour S. Erismann, c’est «la liberté entravée, on ne peut pas s’envoler; le handicap, c’est quand on ne peut pas faire ce qu’on veut». D’une manière générale, Claudio n’aime pas beaucoup les affiches.

Il pense que cela ne le «représente» pas et que s’il les avait vues avant de demander un soutien à Pro Infirmis, il ne l’aurait jamais fait, pensant que ce n’était pas un service pour lui... L’affiche «Construire pour demain» est sa préférée. «Cette affiche est la seule qui montre quelqu’un qui travaille» dit-il, «C’est dommage qu’on ne montre pas tout ce qu’on sait faire; même le basketteur ne joue pas». Il insiste plusieurs fois pour affirmer «Avec les affiches qui montrent des handicapés, j’aurais préféré aller demander de l’aide à la commune. Quand je viens à Pro Infirmis et que je vois ça, je dis c’est pas moi. Pourquoi on ne montre pas que nous aussi, on peut devenir avocat ou autre? Ces gens qu’on voit sur ces affiches ne viennent pas à Pro Infirmis; ils ont des curateurs... Pour choisir, les évaluateurs ont regardé les images tout en accordant une grande valeur aux slogans. La couleur n’a pas été prise en compte. Des explications sur le sens des affiches et des messages donnés n’ont pas influencé les perceptions. Stéphane Erismann et «Claudio» ont évalué de manière spontanée; le ressenti immédiat a primé. Ils ne se sont pas influencés, car dès les premiers instants, ils se sont forgé une opinion personnelle et ne l’ont plus quittée.


Une bonne campagne doit faire surgir le débat Les personnes handicapées participent au choix des images et des slogans Questions à Mark Zumbühl, responsable marketing, Pro Infirmis, Zurich

Depuis 1999, Mark Zumbühl assure, au sein de la Direction de Pro Infirmis, le poste de chef du Département Communication et récolte de fonds. Quatre campagnes ont été publiées sous sa responsabilité, avec le slogan, «Comme vous, nous vivons notre vie». Une rétrospective des affiches publiées depuis 1940 a permis à Pro Infirmis d’analyser le changement du regard du public sur le handicap. Comment le responsable actuel des relations publiques perçoit-il cette évolution? Quels enseignements peut-il en tirer? Quels sont les critères qui permettent de qualifier une campagne de «réussie»? Autant de questions que nous avons posées pour vous à ce professionnel des relations publiques... Quel regard portez-vous sur l’évolution des affiches de campagne de Pro Infirmis durant la deuxième moitié du 20e siècle? Les personnes en situation de handicap ont gagné en assurance. Les affiches ont suivi la même évolution: elles ne cherchent plus à susciter la compassion mais montrent des personnes à part entière, responsables. Autre changement important: le handicap n’est plus seulement vu comme un «problème» de la personne concernée – soit un déficit physique, mental ou psychique – mais également comme quelque chose qui est produit souvent par l’extérieur, la société. Une personne est toujours «handicapée» par quelque chose. Quels sont les critères qui vous font dire qu’une campagne est réussie? L’écho qu’elle trouve auprès du grand public, dans les médias, les débats qu’elle provoque, une meilleure connaissance des activités de Pro Infirmis, une plus grande notoriété et enfin également une bonne récolte de fonds. Par le passé qu’est-ce qui a marché et qu’est-ce qui n’a pas marché, tant dans les slogans que dans les images choisies? Les campagnes appartiennent à l’esprit de l’époque où elles sont lancées. Il est par conséquent difficile de juger à l’heure actuelle d’une campagne qui a été menée dans les années 60. Les images (et les textes) se démodent si facilement que nous avons rapidement l’impression que ces vieilles images sont inadéquates, alors qu’à leur époque, elles touchaient juste. Comment les représentations et les définitions du handicap ont-elles évolué chez Pro Infirmis? A quelle représentation et/ou définition faites-vous référence actuellement? Pour Pro Infirmis, la situation de handicap correspond à la limitation durable pour une personne de ses activités courantes et/

ou de ses rôles sociaux. Cette limitation résulte de l’interaction entre les déficiences physiques, mentales, sensorielles ou psychiques et les facteurs environnementaux (famille, profession, école, bâtiments, transports, etc.). Les personnes en situation de handicap participent-elles à vos prises de décisions? Lors des discussions de fond en vue d’une nouvelle campagne, plusieurs personnes concernées y participent. Pour les personnes handicapées, la règle c’est «rien sur nous sans nous». Pourquoi avoir fait le choix de montrer le handicap (images à la fois très esthétiques mais qui montrent quelquefois crûment certaines difformités du corps)? Des années durant, les personnes handicapées ont été «dissimulées» en institution, ou à la maison. A moins qu’elles se soient «dissimulées» elles-mêmes en se retirant de la société. Nous devons montrer le handicap pour que le public se souvienne que les personnes handicapées existent. Et lui assurer une présence claire, nette, sans fard, non dissimulée. C’est en appelant les choses par leur nom que nous les rendons compréhensibles. Comment choisissez-vous le thème et les images de vos campagnes? Quels sont les critères éthiques: qui les choisit et qui les garantit? Nous travaillons avec des spécialistes de la publicité et de la communication et des spécialistes du handicap, qui ne sont autres que des personnes handicapées elles-mêmes. Comme je l’ai déjà dit, les personnes concernées participent toujours aux discussions et donnent leur point de vue. La responsabilité, notamment éthique, est ensuite assumée par la direction du Département Communication. A titre personnel, quelle est l’affiche que vous préférez et celle que vous aimez le moins à travers ces 50 années d’histoire? Et pourquoi? Mes images préférées sont celles de la première édition de la campagne «nous aussi, nous vivons notre vie» en 2000, car elles étaient si inédites et, telle une lame de fond, ont provoqué un large débat dans tout le pays. Que peut-on souhaiter de mieux à une campagne que de faire parler d’elle et de faire couler beaucoup d’encre. Les images qui me plaisent le moins, comme par exemple une de 1992, sont celles qui ne montrent les personnes handicapées que de dos comme si l’on n’osait pas regarder en face une personne en chaise roulante... 13


Quand le handicap s’affiche

Lecture ethno-sociologique des campagnes pro infirmis

Marc-Olivier Gonseth, Conservateur du Musée d’ethnographie de Neuchâtel

Dans les pages précédentes, nous avons relayé les regards de divers publics sur les affiches Pro Infirmis de la deuxième moitié du XXe siècle. Cet article vous propose l’œil d’un professionnel. L’ethnologue MarcOlivier Gonseth se livre dans cet article à une analyse ethno-sociologique clinique des campagnes en question. Certains de ses propos s’inscrivent en écho aux commentaires spontanés de la population interrogée.

Le premier groupe d’affiches que j’ai examiné (1940 à 1978) propose des traitements purement graphiques, abordant le thème de l’infirmité (il n’est pas encore question de handicap) par la métaphore de la fleur cassée et de la main protectrice (1940-41), puis de l’aile enchaînée (1951), et enfin à travers une sorte de smiley anti-atomique débordant d’optimisme floral (1978). L’approche austère de 1940, accompagnée d’un slogan qui sonne comme un ordre de marche («Aidez les infirmes!»), est légèrement modifiée l’année suivante à travers un changement de main (on passe de la gauche à la droite, plus «couvrante») et de couleur (du rouge au vert et jaune), le slogan devenant plus explicatif et moins incitatif tout en restant exclamatif («Pro Infirmis sera grâce à vos dons, la main secourable. Aidez-lui à soulager et à prévenir!»). Le rêve d’Icare entravé En 1951, la métaphore de l’aile enchaînée et la mention de l’institution semblent se suffire à elles-mêmes: nul slogan, nul logo pour une réalisation qui fait davantage penser à un paquet de Gauloises qu’à une affiche destinée à récolter des fonds. Cette image plus complexe qu’il n’y paraît au premier coup d’œil m’a fait penser à Dédale, père d’Icare et cyborg mythique de notre dernière exposition Figures de l’artifice. Nous avons constaté lors de cet exercice, que le thème de l’augmentation était aujourd’hui intimement lié à celui de la réparation. Dans cette optique, l’affiche concernée présente une «neutralisation» (diminution, par l’ajout d’une chaîne, de l’augmentation que pourrait constituer pour un humain le fait de se faire greffer des ailes) qui lie implicitement le destin de l’infirme et celui du surhomme. Une terminologie plus proche de la population-cible L’affiche de 1978 offre une transition vers la série suivante. Si elle reste graphique dans son traitement et reprend l’image de la fleur, elle dégage un état d’esprit positif, voire béat, qui sera développé par la photographie sur les propositions des années 1980. Elle signale par

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ailleurs un changement de terminologie qui dénote une plus grande proximité avec la population-cible («Pour les handicapés»). Du point de vue de la représentation, le glissement constaté entre 1941 et 1978 est lié à la disparition progressive du sujet de l’affiche, la très claire expression de la fleur cassée faisant place à une aile enchaînée plus polysémique pour en arriver à une fleur solaire qui ne représente plus forcément la personne handicapée elle-même mais plutôt un état d’esprit à adopter face à elle. Parallèlement, les slogans perdent insensiblement leur aspect injonctif. Détail intéressant: les affiches ne sont pas datées, comme si elles étaient hors-temps, ou comme si elles appartenaient à un temps mythique. L’idée d’intégration par le travail La deuxième série, 1986 et 1987, marque l’apparition de la date, de la photographie et du logo assorti de son slogan propre, avec glissement de «au service des handicapés» vers «au service des personnes handicapées» (ce qui revient à supprimer l’usage du neutre masculin, qui pourrait faire penser à une exclusion des femmes). Les photographies font apparaître des personnes mais dissimulent la notion de handicap: elles évoquent les images de campagnes utilisées par divers partis politiques qui se profilent comme défenseurs des valeurs familiales en général, auxquelles correspondent également leur slogan particulier («Construire pour demain»). L’idée d’intégration et d’exploitation de la force de travail des handicapés dans des ateliers protégés apparaît également en filigrane. Scènes de la vie quotidienne La série suivante, 1990 à 1993, est relativement homogène. Les photographies font apparaître pour la première fois un contexte social au moins minimal mais leur réalisme basé sur le noir et blanc est cassé par l’apparition de taches de couleur fluo qui rendent les scènes plus irréelles. La personne handicapée est remise au premier plan, sur le thème de l’intégration puisqu’elle est accompagnée à chaque fois d’une ou plusieurs personnes non handicapées.


Robert Hofer

La différence revendiquée La dernière série, datant de 2000, devrait en principe constituer le nec plus ultra en matière de communication sur le handicap puisque c’est la plus récente et que l’affiche subit plus que tout l’érosion du temps et des modes. Elle décline à travers plusieurs sujets contrastés l’idée que la personne handicapée est non seulement capable de vivre comme et avec les autres une vie parfaitement normale mais qu’el-

le est en mesure d’accepter son handicap comme étant également quelque chose de parfaitement normal. Ce faisant, l’image transforme ce qui est habituellement vécu et perçu comme un stigmate en une simple «caractéristique» un peu particulière, susceptible d’être vécue comme un emblème accepté, voire revendiqué et même valorisé: «je suis comme ça, je me pose là, devant vous, j’accepte et revendique ma part de différence et surtout je ne me laisserai pas enfermer dans vos lectures mutilantes». Bien sûr, la transformation s’effectue essentiellement à travers le travail que le photographe effectue avec ou sur les sujets qu’il manipule, comme il le ferait d’une chanteuse ou d’un sportif en communication classique, à savoir comme un produit à vendre à des sponsors et à des consommateurs à partir d’un travail sur l’apparence. De telles photos véhiculent elles-aussi du rêve sur papier glacé, sous la forme d’une ballerine, d’un basketteur, d’une fille sexy, d’un couple branché ou d’une nageuse de compétition. Cette impression est accentuée par la disparition du contexte et le positionnement des sujets dans le vide offert par la blancheur de la page. Il en res-

sort une impression de froideur médicale et de gestion clinique, apparentes mêmes dans les ébauches de relations proposées par les tiers, qui sont là presque sans l’être, tellement ils sont figés. De Pro Infirmis à pro nfirmis i

Les sujets représentés sont comme capturés dans une scène de la vie quotidienne, souvent de profil et même de dos, et entretiennent des relations exclusives: ils se regardent et vivent entre eux, en dehors de nous, les regardeurs, sauf pour la dernière (qui s’affirme et fixe le spectateur dans les yeux, préfigurant ainsi la série des années 2000). Ils ont dans un sens moins besoin de nous que dans les cas examinés précédemment. Chaque affiche est composée d’un slogan spécifique évoquant l’engagement de la personne handicapée dans la vie active, ainsi que du slogan générique assorti au logo. Le tout évoque l’idée d’insertion et d’autonomie.

Il n’en reste pas moins que ces sujets, qui pour la plupart nous fixent dans le blanc des yeux, manifestent clairement la mue de la gestion du handicap, qui sort du long refoulement proposé par les campagnes des années 1940 à 1990 et devient l’axe central à partir duquel la personne se (re)constitue. Au passage, l’association a renoncé à son ancien logo, présent de 1986 à 1993, et en a développé un nouveau qui est en soi tout un programme, puisque la portée du message passe par le renversement du «i» du milieu d’un «pro infirmis» enfin en minuscules. En clair, ce n’est pas parce que j’ai un «i» la tête en bas que je ne suis pas votre semblable. Le combat d’un Oscar Pistorius, qui tente d’obtenir son ticket plein pour les JO de Pékin, pourrait bien, dans ce sens, devenir le symbole de cette nouvelle manière de concevoir l’égalité. 15


De l’effacement au dévoilement ou le handicap révélé Alain Antille, philosophe, enseignant et responsable de la recherche à l’Ecole cantonale d’art du Valais (ECAV)

Nul n’était mieux placé qu’un philosophe, de surcroît professeur dans une école d’art, pour apporter la touche finale à ce dossier construit autour du poids des mots et du choc des images. L’analyse des affiches de Pro Infirmis que propose Alain Antille va bien au-delà du simple décodage de composantes visuelles et graphiques; elle convoque dans le champ de la réflexion nos propres postures face à l’altérité. Ce voyage à travers le temps est aussi une rencontre avec soi-même.

L’exposition d’affiches organisée par Pro Infirmis présente une mosaïque d’images qui parlent autant de la personne handicapée que de la manière dont une société se représente, à différentes époques de son histoire, le handicap ou l’infirmité. Une analyse détaillée demanderait que chacune d’elles soit replacée dans son contexte social et culturel, elle demanderait également que soient pris en compte les intentions des commanditaires, les principes et les choix esthétiques qui ont guidé le travail des graphistes. Avant de s’exposer sur le papier, le handicap est en effet une réalité qui a déjà été pensée, construite et interprétée. Reconnaître que son image se fonde elle-même sur une représentation qui lui préexiste et la fonde, c’est s’obliger en quelque manière à regarder en deçà de l’affiche, à remonter en deçà de l’expérience du regard pour interroger ses présupposés. Une telle démarche de reprise et de réexhumation des sources discrètes du visible constitue une tâche difficile et laborieuse, mais néanmoins nécessaire, si l’on veut éviter de confondre la réalité du handicap avec son reflet. Dans le cadre limité de cet article, je devrai néanmoins me limiter à une analyse des seules composantes visuelles et graphiques. Au travers d’une lecture chronologique, je me propose de faire apparaître les glissements par lesquels le handicap accède progressivement à la visibilité. L’infirmité maintenue hors champ... Les affiches réalisées dans les années 1940 frappent en premier lieu par le traitement allusif, tout à la fois symbolique et poétique, de l’infirmité. Rien n’est montré du phénomène lui-même ou des personnes qui le subissent. A la figuration explicite, on a préféré le dessin d’une main ouverte tenant dans sa paume une fleur, ou encore celui d’une aile que l’on devine empêchée dans son mouvement par l’entrave d’une chaîne. A l’évidence, ces images s’adressent au «bien portant»; elles tendent à éveiller en lui la compassion, à susciter le geste du don, à rappeler le devoir de générosité. Cette incitation est à ce point prédominante qu’elle occupe non seulement le texte, mais encore le motif central de l’image. Cette main qui doit prévenir et soulager les maux du handicap remplit

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symboliquement son œuvre par son pouvoir de l’obscurcir, de l’effacer. Laissée à l’imagination ou à la remémoration du spectateur, l’infirmité est maintenue hors champ par la surexposition du geste sain et bienveillant. Le phénomène d’effacement demeure L’infirmité comme négatif de l’image, comme cet objet invisible qui doit moins être révélé que surmonté, réglera longtemps la composition des affiches. C’est à tout le moins ce que l’on peut conclure des campagnes réalisées dans les années 1970 et 1980. L’abandon progressif du dessin et de la peinture au profit de la photographie ne change rien à ce phénomène d’effacement. Saisi comme une personne et non plus simplement au travers du geste altruiste, le «bien portant» demeure le destinataire et le sujet de l’affiche, celui-là même qui figure les traits de l’être déficient en les oblitérant. Ses qualités intrinsèques, sa capacité d’invention et ses ressources de progrès doivent permettre la construction d’un monde meilleur, un monde dans lequel le handicap serait vaincu ou pour le moins atténué. Le handicap surmonté Les affiches réalisées dans les années 90 marquent un infléchissement. Sous les traits de l’enfant, la personne bien portante y occupe encore une place importante, mais son attention ne porte plus au-delà de l’image, dans un hors champs à imaginer; le geste bienfaiteur rencontre dans l’espace même de l’affiche la personne handicapée saisie par l’objectif et placée juste à côté. Le choix de la photographie exprime sans doute la volonté de la représenter au plus près de sa réalité, de la donner à voir dans des situations de la vie quotidienne, comme un être qui peut vivre à la manière de tous les autres. L’infirmité perd son statut de négatif, elle investit l’image sous le jour du handicap surmonté. C’est dire que cette apparition demeure indissolublement attachée à la mise en lumière de l’objet même du don: la prothèse ou la béquille qui suppléent à la carence de mobilité, ce fauteuil roulant par lequel s’amenuise l’écart entre la déficience et la plénitude, entre la pathologie et la santé, à


défaut de s’annuler. Dans l’association de ses composantes visuelles, graphiques et sémantiques, cette affiche me paraît illustrer avec la plus grande précision la mission que s’est donnée Pro Infirmis. Par la volonté de rendre visibles et les acteurs de l’échange et l’objet de leur transaction, elle résume les campagnes précédentes, les prolonge sur un mode explicite. La déficience exposée sans décor Les affiches des années 2000 sont d’une autre nature. La personne handicapée y occupe le centre, parfois même y devient l’unique motif, saturant l’image de sa seule présence. Le choix d’un fond blanc gomme toute allusion à un contexte particulier, toute référence à une scène de la vie quotidienne dans laquelle elle aurait été préalablement placée ou saisie à la dérobée. La personne handicapée pose, s’expose elle-même, se livre sans retenue à l’indiscrétion de l’objectif, ne laissant au spectateur d’autre alternative que celle de la contempler. L’absence de décor fait ressortir plus encore les corps et agit comme un puissant révélateur. Le dénuement est ici au service d’une mise à nu de la déficience qui n’est plus suggérée symboliquement, qui n’est plus figurée par l’artifice de la béquille ou de la prothèse, mais apparaît intégralement. Ce n’est plus en somme le handicap surmonté qui est le motif discret ou avoué de l’image, mais le handicap dévoilé comme une dimension essentielle, naturelle. Ce qui frappe et retient captif le regard tient à la vision directe, franche et incontournable du handicap, et aussi à cette sensation étrange, troublante d’être regardé. Cette personne qui pose ne se livre pas en effet à la manière d’un objet docile; retournant en quelque sorte la visée de l’objectif, elle me fixe, me dévisage, m’interdisant tout retrait dans la position confortable du voyeur. A plonger ses yeux dans les miens et à soutenir indéfiniment mon regard, elle se refuse à la passivité: apparaissant de son propre chef, elle se

donne à voir sans rien perdre ni abdiquer de ses prérogatives de sujet. Si ces affiches empruntent sans conteste à la publicité, elles en détournent discrètement les codes et jouent de l’ambiguïté. Cet être qui se dévoile et s’expose ne correspond pas aux critères de la beauté parfaite ou retouchée, mais à ce que l’on rattache communément au registre du disgracieux; il parvient néanmoins à charmer mon regard, non pas par l’harmonie et la juste proportion de ses formes, mais par sa manière de porter haut et avec fierté la difformité; il me surprend et me trouble, car la force et la détermination confiante qui émanent de sa pose contredisent la faiblesse, la fragilité associées à la notion d’infirmité...

graphique change de sens. Il ne vise plus le don, la générosité, mais une altération du regard. Ce déplacement est particulièrement manifeste dans l’affiche mettant une scène une mère tenant dans ses bras son enfant trisomique. A la simple mention de leur prénom et nom s’ajoute cette phrase: «Wir lassen uns nicht behindern». Littéralement: «Nous ne nous laissons pas handicaper». Aucune attente, aucune demande dans ces deux regards qui fixent l’objectif, aucune émotion particulière. La force d’une simple présence, naturelle et confiante, une manière d’apparaître simplement à la lumière, d’occuper le premier plan qui suffit à marquer le refus d’une négativité, d’un effacement dont la responsabilité incomberait au regard de l’autre.

La force de la simple présence

L’image préférée aux mots

De l’effacement du handicap à son complet dévoilement, il y a bien un renversement. Si longtemps il n’est pas apparu sur l’affiche, s’il n’a pas été représenté, n’était-ce pas qu’il devait disparaître? Le terme «anormalité» par lequel on le désignait communément laisse entendre le caractère inacceptable de ce phénomène, le souhait socialement partagé de le surmonter. Sa représentation sur un mode exemplaire – la personne handicapée élevé au rang de modèle publicitaire –, son accession à une pleine visibilité traduit à l’inverse la reconnaissance de sa réalité non plus comme déficience, mais comme différence, une différence librement exposée et pleinement assumée. Au message «aidez-le à vous ressembler» que les concepteurs de l’affiche adressaient au bien portant et qui maintenait la première dans le statut de destinataire invisible et muet s’est substituée une parole du handicapé lui-même, une parole porteuse d’une autre injonction: «reconnais-moi et accepte-moi tel que je suis». Ce déplacement de la demande d’assistance vers celle de la reconnaissance semble attesté par la disparition des mentions «collecte» ou «vente de cartes». Le message visuel et

Cette volonté d’accéder à la visibilité, ce désir de reconnaissance plus encore que d’assistance sont encore attestés par un renversement de précellence entre les composantes graphiques et visuelles. Dans les précédentes campagnes d’affichage, le message verbal occupait une place prépondérante et l’image s’en trouvait réduite à la fonction de symbole ou d’illustration. La réduction de la taille des caractères typographiques est le signe patent d’une inversion du rapport entre ce qui relève de la lisibilité et de la visibilité. Il revient maintenant à l’image d’impressionner en premier lieu la rétine, le texte n’étant perceptible qu’à un deuxième regard, comme ce qui vient confirmer ou souligner le sens révélé d’emblée par la vision des corps. L’affiche joue ici des codes de la communication autant que de ceux de la publicité. Elle prend acte du fait que la réalité se mesure socialement à son degré de visibilité. L’exposition est cependant détournée du culte de l’apparence par lequel s’imposent à nos regards des ego surdimensionnés. L’image parle, plus encore et mieux que les mots, et surprend, par son pouvoir de révéler de l’altérité. 17


Les crises institutionnelles et leurs effets

Journée d’étude de l’école d’études sociales et pédagogiques (éésp-HES SO) Marie-Paule Zufferey, rédactrice

Salle comble pour cette journée de réflexion organisée le 21 novembre 2007 par l’Ecole d’études sociales et pédagogiques de Lausanne (éésp-HES SO). La question posée «Comment survit-on, en tant que professionnels, dans les institutions en transformation?», a d’abord été visitée par trois conférenciers, sous les angles politico-social, psychique et somatique, avant d’être discutée en groupes, puis débattue en forum. Ce séminaire consacré aux effets des changements institutionnels en cours sur les agents publics semble avoir touché juste. Les travailleurs sociaux ont en effet été nombreux à participer à cette journée d’étude, dans l’espoir d’y trouver certaines clés de lecture concernant leurs vécus professionnels présents et à venir... Les mécanismes en action. Le contexte général dans lequel s’inscrivent les crises institutionnelles est exposé par David Giauque. Quel que soit le modèle de NGP (nouvelle gestion publique) choisi (parmi lesquels on relève le fameux système qualité) l’idée est toujours la même: appliquer à l’administration publique, les principes et les outils de gestion des entreprises privées. Aujourd’hui, la majorité des pays de l’OCDE ont déjà procédé à ces réformes. Seulement voilà: ces mutations entraînent des conséquences qui n’ont, semble-t-il, pas toutes pas été pertinemment anticipées. Car les outils de gestion venus du «privé» sont porteurs de valeurs spécifiques, lesquelles soumettent les activités publiques à une logique managériale et comptable susceptible de transformer les objectifs et les valeurs mêmes de l’action étatique. Se basant sur des études menées au sein de services administratifs, notamment en Suisse et au Canada, David Giauque constate l’émergence de ce qu’il appelle une «bureaucratie libérale». Sans entrer dans les détails de ces recherches1, relevons qu’elles ont permis de mettre à jour l’existence, dans ce nouveau mode de fonctionnement, d’une série d’in-

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jonctions contradictoires qui mettent les agents publics dans des situations extrêmement difficiles à vivre. «Entre les promesses et les objectifs liés aux réformes, la réalité du terrain et le vécu des acteurs, le fossé se creuse1.» Qu’en est-il des objectifs à caractère qualitatifs? Dans quelle prestation l’infirmière en santé publique va-t-elle imputer le café qu’elle a partagé ce matin avec telle personne, parce qu’elle était en déprime? Les agents publics seraient-ils confrontés au «pire» de deux mondes? D’une part, en effet, les voilà soumis aux contraintes venues de la NGP et de l’autre, soustraits aux avantages issus du secteur privé, notamment en termes de reconnaissance salariale... Autant de réalités contextuelles qui peuvent expliquer le mal-être des travailleurs sociaux. La question de l’identification. «Chacun de nous intériorise quelque chose des structures dans lesquelles il travaille: cela s’appelle l’identité professionnelle». JeanClaude Rouchy rappelle que même dans les travaux les plus automatisés (les chaînes en usine), il s’installe une solidarité entre les intervenants. Cette identification au système fait que les changements ne peuvent pas se décréter, sous peine de provoquer une cassure. Par ailleurs, dans toute institution, il s’agit de distinguer les valeurs instituantes (définies au moment de la création) du sytème d’organisation dans lequel ces valeurs ont pris forme. Les réformes organisationnelles ne peuvent se faire sans ré-interroger le système de pensée qui a été aux origines et auquel les travailleurs ont peut-être adhéré des années durant... Crises et traumas institutionnels constituent le quotidien professionnel de JeanClaude Rouchy. Ses interventions pour accompagner les changements, il les propose en 3 temps: groupes d’échanges - analyse de pratique et supervision - reconstruction du projet (espace transitionnel). Ce qui permet de travailler à l’identification dans le nouveau cadre professionnel...

Etre «acteur social créatif». La pensée, selon la biologiste Françoise Schenk, est «un outil qui permet de s’adapter à un monde qui change». C’est notre mémoire qui construit la continuité dans le temps; elle sert donc à anticiper et permet de nous adapter à l’avance. «Comment puis-je éviter la crise de la semaine dernière?». Une situation de stress élevé peut bloquer les mécanismes qui permettent de penser et de construire sur la mémoire... Mais par ailleurs, l’être humain possède la capacité de corriger les perturbations dans un mouvement constant de ré-adaptation (phénomène d’homéostasie). Après avoir identifié les processus de déstabilisation, il s’agira pour lui d’utiliser cette capacité qui est la sienne à conserver l’équilibre de fonctionnement, malgré les contraintes extérieures. Si cette journée a jeté des lumières parfois crues sur les diverses réalités liées aux crises institutionnelles, elle a aussi permis de mettre à jour la puissance d’action possible des individus. Les contraintes issues des nouvelles logiques de gestion sont une réalité. Les intérioriser avec résignation, sans que la conscience y ait accès, ne fera qu’accentuer le sentiment de malaise, voire de souffrance. La réponse? Utiliser ses potentialités, afin de (re)-devenir un «acteur social créatif»...

Ordres et désordres de l’esprit gestionnaire, réalités sociales, sous la direction de M.-D. Perrot, J.-N. DuPasquier, D. Joye, J.-Ph Leresche, G. Rist 1

Les intervenant-e-s: David Giauque, professeur HES-SO à la Haute Ecole valaisanne, docteur en administration publique; Jean-Claude Rouchy, psychanalyste, président de Transition (association européenne d’analyse de groupe et d’institutions, Paris; Françoise Schenk, professeur de psychophysiologie à l’Université de Lausanne; Bataclown; synthèses humoristiques.


Le cadre, la liberté, l’autonomie Journée d’étude, ASA Handicap Mental Marie-Paule Zufferey, rédactrice

Travailler à l’avènement d’une collaboration plus étroite entre professionnels, parents et personnes avec un handicap mental est l’un des objectifs prioritaires d’ASA Handicap Mental. Le 23 novembre 2007, dans le but de dégager quelques conditions nécessaires à l’émergence de ce partenariat, l’association invitait les différents acteurs à partager leurs réflexions sur ce thème. Voyage au cœur d’une journée d’échanges. «Chez les étourneaux sansonnets, la convivialité va de soi; ce qui n’est pas le cas chez les êtres humains qui ont besoin, pour bien vivre ensemble, de se doter de «cadres». C’est ainsi que Jean-François Malherbe commence l’exposé qui va ouvrir la session et nourrir les réflexions menées durant toute la journée, au sein des différents ateliers.

Le dialogue est la voie royale vers l’autonomie.

Parce qu’elle offre la possibilité d’échanger des significations, la parole permet à la communauté des hommes de suppléer aux lacunes de ses instincts. Dès lors, l’organisation de la convivialité dans la cité se fait par le dialogue. Pour mériter le nom de dialogue, un échange doit remplir certaines conditions: • Un dialogue est une recherche à plusieurs de quelque chose qui va être bon et/ ou utile à tous; • Dans un dialogue, tous les partenaires s’expriment, mais chacun parle à son tour; • Le présupposé est que chacun a quelque chose d’intéressant à apporter; • Il n’y a pas d’argument d’autorité, les uns et les autres sachant les limites de leurs compétences; • Dans un dialogue, il faut être capable de se mettre d’accord, ne serait-ce que sur les points de désaccords; • Pas de place pour le narcissisme: une idée réfutée est considérée comme une pensée remise en chemin; • Le dialogue n’est possible qu’entre personnes qui ont renoncé à «se venger».

Pour que l’exercice du dialogue soit intéressant, il faut accepter toutes ces règles du jeu. Alors, et alors seulement, parce qu’il permet de devenir soi, le dialogue devient la voie royale vers l’autonomie...

La question de l’éthique

En préambule, Jean-François Malherbe pose cette définition: l’éthique n’est pas une doctrine, elle est un travail. Un travail que nous consentons à faire pour réduire l’écart entre ce que nous voudrions et ce qu’effectivement, nous pouvons... Tout homme est constamment dans cette tension, car aucun être humain n’est à la hauteur de ses véritables ambitions. «Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’écart...». Un écart qu’il s’agit de réduire, et non de supprimer.

De cadre? ni trop, ni trop peu...

Pour qu’une société fonctionne efficacement, il faut qu’elle soit assez normée, mais pas trop! Le «trop» et le «trop peu» de «cadre» aboutissent au même résultat. JeanFrançois Malherbe cite l’exemple d’études sur la corrélation entre le taux de suicides et l’anomie d’une société donnée. Une recherche conduite sur le sujet à la fin du 19e siècle par Durkheim a été reprise à la fin du 20e par une autre équipe de chercheurs. Si les premières conclusions soutiennent l’idée que plus il y a de règles, moins il y a de suicides, on s’aperçoit qu’il y a un moment où, dans un mouvement de balancier, la courbe s’inverse. Et qu’il est possible de poser l’hypothèse selon laquelle plus il y a de règles, plus il y a de violences et plus il y a de suicides... La liberté et le cadre semblent souvent des notions contradictoires. Et pourtant, le «cadre» (s’il n’est ni pléthorique ni insuffisant) est une condition préalable à la liberté...

Ateliers tripartites

Les parents, professionnels et personnes handicapées participant à la journée se sont ensuite répartis dans six ateliers, avant de se retrouver, en fin d’après-midi, pour un moment de synthèse animé par Roland Goerg et commenté par le conférencier du jour.

Respecter la «surprenance»... «Lorsque j’entends les différents «retours» de vos ateliers, je pense à un mot qui n’existe pas dans le dictionnaire: la surprenance», commente J.-F. Malherbe. La surprenance est cette qualité de l’être humain qui m’apparaît autrement que ce que je croyais qu’il était. «Ceux que nous avons le plus à comprendre sont ceux qui sont les plus «surprenants», poursuit le philosophe, qui ajoute: «cultiver l’autonomie de l’autre, c’est d’abord respecter sa surprenance...» Le tiers-langage, un outil à développer

Lorsqu’il y a dialogue, il faut envisager la question du malentendu. Pour comprendre ce qu’est un malentendu, il faut d’abord poser le constat suivant: chacun de nous est le centre de son univers. Le malentendu surgit lorsqu’une expression du langage part d’un univers, fait une migration et aboutit dans un autre univers, où il a un autre sens; mais cela, on ne pouvait pas le savoir... «Cependant, explique J.-F. Malherbe, si j’ai compris que je suis le centre de mon univers, je peux comprendre que l’autre est au centre de son univers... A partir de là, je peux demander à l’autre de m’apprendre sa langue... et vice-versa». En utilisant des éléments empruntés à l’un et à l’autre, il est alors possible de contruire un langage commun, ou tiers-langage...

Trois pôles pour un partenariat

Dans le partenariat dont il est question ici (parents - professionnels - personnes handicapées mentales), le risque est de se trouver dans le cas de figure - assez fréquent - où deux personnes communiquent au-dessus de la tête de la troisième... «Si je veux développer l’autonomie de cette troisième personne, conclut Jean-François Malherbe, je vais lui servir de traducteur, et non m’attribuer le rôle d’interlocuteur à sa place...» Cette journée d’étude apporte à qui veut y réfléchir, quelques ébauches de réponses très intéressantes à la question de savoir «comment soutenir les personnes handicapées dans leur processus d’autonomisation...»

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Tournoi intégré de tennis de table Une grande première en Suisse romande Maryrose Monnier, association sportive Fair Play

L’association Fair Play, en collaboration avec l’association Vaud-Valais-Fribourg (AVVF) a relevé un superbe défi: organiser un tournoi intégré de tennis de table, le premier jamais organisé jusqu’à ce jour en Suisse romande! L’événement a eu lieu le 17 novembre 2007 au Centre de tennis de table (CTT) de Lausanne. Une intégration qui s’inscrit dans la durée On parle beaucoup d’intégration... Mais dans les faits, cela ne reste-t-il pas trop souvent l’histoire d’un jour? Alors, de quelle intégration s’agit-il? Pour l’association Fair Play, c’est au fil de nombreuses années que se sont tissés des liens significatifs d’intégration. Des rencontres régulières ont lieu durant les entraînements de notre activité sportive; avec des gymnasiens, des étudiants des écoles sociales, de la HEP, pour qui c’est l’opportunité d’intégrer «le terrain», de se coller à la réalité. Cela constitue pour eux un capital d’expériences «vécues» et une source d’inspiration pour leur travail de fin d’études. L’idée d’un tournoi, ça stimule... Il manquait une passerelle pour finaliser la création de l’événement: un tournoi intégré. Notre tremplin fut Monsieur Mirko Locatelli, membre du CTT, qui a généreusement répondu à l’appel lancé par notre association en sollicitant Madame Lucia Rossier, vice-présidente, ses co-équipiers, ainsi que Madame Monique Bassin, leur coordinatrice. Tous ont relevé le bon niveau des pongistes de Fair Play, ce qui ne nous a pas vraiment surpris, car avec plus de dix ans d’expériences, nous avons une bonne reconnaissance des compétences de nos sportifs. Pour les membres de Fair Play, il était important que la mise en forme de ce tournoi se fonde sur l’émergence de la confiance mutuelle. Entre-temps, loin des préoccupations de 20

l’organisation, mais pris par l’enjeu, les pongistes se sont entraînés de manière intensive, sous l’égide de Mesdames RoseMarie Oberson et Malika Schumacher, de Bernard Clément, notre fidèle bénévole depuis 10 ans, ainsi que de Nicolas Boss; autant de personnes qui ont redonné à toute leur équipe une magnifique flambée d’énergie! Le jour de gloire est arrivé... Le Jour J, les pongistes arrivent au CTT avant même leurs entraîneurs. C’est un signe qui indique l’importance de l’événement! Il faut dire que c’est leur premier tournoi officiel, annoncé dans le journal 24 HEURES! Ils sont comme en état de suspension, leurs yeux déjà pleins d’émotion. Cela nous donne du baume au cœur. Une fois les arbitres attitrés, les juges et les sportifs en place, le coup d’envoi est donné par le président Olivier Jaunin. Chaque participant est appelé personnellement et la prise de contact entre les «challengers» se fait par le traditionnel «shake-hands» … Fair-play oblige! Les matches peuvent débuter! Le va-et-vient, le tac-tac constant du rebondissement des balles rythment l’attention toute particulière des «acteurs» et de la centaine de spectateurs... Parents, copains, copines, amis, voisins, tous sont venus célébrer cet événement sportif. Que de tendresse et d’admiration peut-on lire dans leurs regards! La confiance aidant, les pongistes «osent» des smashes, des envolées de balles jusque dans le public... L’ambiance est à son apogée: applaudissements, cris de joie, émerveillement suite à une balle particulièrement bien placée… La cérémonie officielle de remise des médailles est un moment inoubliable. Que souhaiter de mieux? Sur les marches du podium prennent place côte à côte, pongistes de Fair Play et joueurs de l’AVVF. Les médailles d’or, d’argent et de bronze distribuées ont été gracieusement offertes

par Special Olympic. Voilà un vrai vécu d’intégration, une approche du fair-play dont l’empreinte restera fortement ancrée dans nos mémoires. Reconnaissance officielle M. Pierre Mayor, président de Fair Play s’est dit fier de vivre avec les pongistes de l’association, cette magnifique manifestation. Sa présence est toujours gratifiante pour nos sportifs, qui lui portent une grande affection. Les personnes en situation de handicap mental ne nous apportent-elles pas suffisamment de preuves tout au long de l’année qu’une certaine intégration est possible à travers le sport? Lors des préparatifs de la mise en place de ce tournoi, l’accord ne fut pas unanime quant au terme «adversaire». L’association Fair Play préfère soutenir leur «challenge» personnel. Elle veille à les orienter, à adapter leurs entraînements, à développer la confiance en eux-mêmes et à valoriser leurs compétences et, par làmême, leur estime de soi. La reconnaissance du Service des Sports de la Ville de Lausanne, par la présence de Messieurs Marc Vuillemier et Patrice Iseli donne un grand espoir à l’association Fair Play pour l’intégration par le sport des personnes en situation de handicap.

L’association sportive Fair Play, créée en 1989, est destinée aux personnes en situation de handicap mental. Ses objectifs: • développer des activités sportives adaptées; • favoriser et stimuler leur confiance et leur estime de soi; • faciliter l’intégration à tous les niveaux. m.monnier@as-fairplay.ch


Danse avec les balles... Textes: Maryrose Monnier Photos: Olivier Eliasz

Le sport en général – et un tournoi en particulier – sont de véritables outils d’intégration pour tous. L’intégration est une dynamique à double sens; elle doit provenir d’un élan solidaire et nécessite, pour sa réalisation, un certain répondant. Jouer des matchs avec des pongistes avertis est une ouverture de plus…

marqué des points, je suis fier de moi et très content… J’ai bougé aussi mes jambes et pas «collé» à la table, comme dit Maryrose!»

Filipe, notre fervent et dynamique pongiste. Son enthousiasme légendaire l’amène à pas de félin auprès de son partenaire. Durant la partie, la raquette de Filipe renvoie les balles les plus sophistiquées; sa première place sur le podium est vraiment bien méritée… Même Marc Vuillemier (conseiller communal, directeur de la sécurité publique et des sports) n’a aucunement dérouté Filipe. «J’adore les smashes, des envolées à toute épreuve pour le partenaire !»

Audrey, notre plus jeune pongiste. Elle est venue sourire aux lèvres, impatiente, palpitante d’émotion, accrochant le regard de nous tous, les mains frétillantes… Audrey est prête! Elle se réjouit de porter sa médaille.

Julien, notre élégant pongiste s’élance au cœur de l’événement… Le match est très cadencé; Julien a du répondant, les balles sont renvoyées avec ferveur: «Je suis toujours content de participer à des tournois avec mes copains et copines. C’est beau d’être avec tout ce monde! Je suis monté sur le podium, ça fait du bien. C’est génial, j’ai une médaille et un diplôme!»

Felipe, concentré sur la balle...

Marc, notre charmant et pétillant pongiste. A l’appel de son nom, il salue avec cérémonial son public… L’ambiance de la partie est stimulée par la joie qui le porte: «J’ai bien balancé les balles, c’est juste…»

L’équipe de l’association Fair Play: Aline, Rosaria, Laure, Guy, Charly, Serge, Claude, Franck, Yves, ont aussi, par leur magnifique enthousiasme et leur participation, réalisé des performances, qui ont fait vibrer tout le public... Ci-dessous, les challengers du jour...

Yannick, notre jovial pongiste. S’il affiche un air toujours très zen, Yannick est pourtant bien présent. L’air de rien, il fait son entrée sur le terrain, mais son revers est précis et son observation, fructueuse… «C’est super! J’ai 21


Prix FOVAHM1 2007 Trois travaux récompensés

Lucien Panchaud, psychologue FSP, FOVAHM, Saxon

C’est la quatrième fois en sept ans que la FOVAHM1 organise un concours de recherche sur le thème du handicap mental. Cette édition a été une réussite par le nombre et la qualité des recherches reçues. En effet, ce ne sont pas moins de 17 travaux provenant de divers horizons professionnels (éducateurs, maîtres socioprofessionnels, psychologues) et traitant de thèmes variés (l’intégration, la relation de groupe, l’art, l’humour, le vieillissement, la violence,…) qui nous ont été soumis. Le choix fut difficile, d’autant que nous avons perçu, dans chaque questionnement, le souci des auteurs d’améliorer les pratiques, ainsi que les connaissances sur le handicap mental. Trois prix, d’une valeur de Fr. 1000.- chacun sont attribués cette année, dans les catégories suivantes: apports théoriques, apports pratiques et innovation. Le jury s’est déterminé comme suit: Dans la catégorie «apports pratiques», le travail primé s’intitule: «Bienvenue chez moi». Etudes des obstacles et facilitateurs, intervenant dans le projet de vie autonome des personnes en situations de handicap. Il a été réalisé par Stéphanie Gallo, dans le cadre de sa formation à l’IES de Genève, en vue de l’obtention du titre d’éducatrice spécialisée en février 2007. Aujourd’hui, la question de l’autodétermination est omniprésente dans notre pratique. La création d’un projet de vie indépendant et son vécu au quotidien représentent des enjeux majeurs dans l’accompagnement de personnes en situation de handicap. C’est au cœur de ce thème d’actualité que Mme Gallo a inscrit son travail. Elle a cherché à comprendre dans quel contexte pouvait émerger un projet de vie indépendant pour les personnes en situation de handicap, en recherchant, notamment, les motivations de ces dernières à vivre dans leur propre appartement. L’auteure avait à cœur de saisir la nature et l’origine des capacités et difficultés rencontrées dans cette nouvelle vie, sans omettre le point de vue des familles, et des professionnels. Si la rédaction du travail est excellente, sa

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lecture demande une certaine application, une persévérance très vite récompensée par les trésors que recèle la recherche. En outre, dès les premières pages, nous sommes touchés par le respect avec lequel Mme Gallo traite des questions liées aux personnes en situation de handicap. Son travail affiche une grande rigueur scientifique et dégage des pistes concrètes dans le processus d’intégration des personnes. D’un apport théorique riche et actuel, ce travail nous offre aussi un outil d’analyse des entretiens d’une rare justesse, d’autant qu’il est facilement utilisable par divers spécialistes. Dans la catégorie «apports théoriques», le prix est décerné à Isabelle Bulliard pour son travail «Compétences socio-relationnelles chez les adolescents présentant un syndrome de Down». Relations entre compétences spécifiques et profil comportemental. Il a été rédigé dans le cadre d’un DESS en psychologie clinique à l’Université de Genève en juin 2007. Nous sommes loin d’une représentation simpliste concernant les personnes atteintes d’un syndrome de Down. En effet, si ces dernières sont généralement considérées comme ayant un tempérament agréable et un caractère très social, plusieurs études mettent en évidence des particularités dans les interactions sociales. Ici, l’auteure va au bout de ces questions en essayant de repérer un lien entre des problèmes comportementaux spécifiques (troubles de la communication et des interactions sociales, anxiété) et certaines aptitudes d’identification et d’attribution des émotions. Ce travail présente une grande rigueur, autant du point de vue rédactionnel que méthodologique. Il comporte une très bonne revue de littérature d’actualité sur le syndrome de Down, les compétences sociales et la cognition. Mme Bulliard ouvre par son travail une prise en compte des dimensions sociales, cognitives et émotionnelles dans les prises en charge. Elle met en avant la diversité et l’hétérogénéité des personnes atteintes d’un syndrome de Down rencontrées dans la réalité. Elle nous offre enfin une manière différente de penser les

problèmes de comportement en général, en nous offrant un cadre qui est généralisable au-delà du syndrome de Down. En ce qui concerne le prix «innovation» de cette cuvée 2007, c’est l’humour qui est à l’honneur. Le travail primé est celui de José Rivas: «L’humour en éducation». Cette recherche a été réalisée pour l’obtention du diplôme d’éducateur HES. Pour la majorité des membres du jury, ce fut un coup de cœur. «Peut-on tuer l’humour dans un article sérieux sur le rire?» s’interrogeait déjà Olivier Salamin, psychologue, dans le journal de la FOVAHM paru en novembre 2000. Henri Rubinstein dans son livre «Psychosomatique du rire», (Rire pour guérir), estime que «le comique et l’humour résistent à l’analyse et que bien souvent, si on analyse l’effet comique, on le détruit». C’est sans doute la raison pour laquelle M. Rivas ne se focalise pas sur l’explication et la création d’un effet humoristique mais sur la dynamique relationnelle entre les individus. Il postule que lorsque nous utilisons l’humour, nous tentons d’influencer le contexte émotionnel d’une situation. Ceci signifie que celui qui fait usage de l’humour essaie de réajuster la dynamique, afin de trouver un mode de communication dans lequel il se sentira capable de maîtriser ses émotions. Il tente d’influencer l’autre pour l’adapter à la situation et à ses attentes. L’objectif de ce travail est de comprendre dans quelles conditions les éducateurs peuvent faire usage de l’humour en tant qu’outil éducatif. Le travail de M. Rivas est très riche sur le plan théorique; il propose un cadre conceptuel original à partir d’un thème qui peut paraître léger, contribuant ainsi à un enrichissement des méthodes de prise en charge. En effet, cette recherche ouvre une bonne perspective d’opérationnalisation. Elle est une mise en mots respectueuse d’une expérience commune sur un sujet qui aurait pu rapidement devenir glissant. La FOVAHM est la Fondation valaisanne en faveur des personnes handicapées mentales 1


Sélection Loïc Diacon, responsable infothèque, Haute Ecole de Travail Social (IES), Genève

La pratique du packing avec les enfants autistes et psychotiques en pédopsychiatrie dirigé par Pierre Delion Ramonville-Saint-Agne: Erès, 2007 – 154 p. Collection L’ailleurs du corps

Enracinée dans les différentes cultures du maternage et de l’hydrothérapie à travers le monde, la technique du packing a été récemment réintroduite en pédopsychiatrie. Ces enveloppements thérapeutiques très encadrés se révèlent très utiles dans le soin des enfants autistes et psychotiques, voire de certaines anorexiques, à condition d’en penser précisément les indications, la mise en œuvre et les conditions institutionnelles. Cet ouvrage vise à donner une information objective sur cette technique en partant d’expériences multiples et en prenant en compte les aspects psychopathologiques, les ouvertures neurophysiologiques et les problématiques institutionnelles. Si le packing peut être considéré comme un «organisateur thérapeutique» dans la prise en charge de ces enfants en grande souffrance, il livre aussi, par les observations cliniques qu’il suscite, des hypothèses de compréhension de l’autisme dans ses aspects à la fois corporels et psychiques, et contribue ainsi au développement de la recherche. Pratiques sportives et handicaps: ensemble sportons-nous bien dirigé par Joël Gaillard Lyon: Chronique sociale, 2007 – 175 p. Collection Comprendre les personnes

La pratique sportive, vecteur d’intégration sociale, permet, en améliorant l’ensemble des capacités de la personne, de mieux l’adapter à son handicap et de surmonter celui-ci en la réconciliant avec son corps. Source de bien-être, la pratique sportive permet de prendre conscience que la communication est toujours possible, offrant ainsi la possibilité de (re)construire équilibre psychique et physique tout en se (ré)inventant une place parmi les autres. Que ce soit par la richesse des valeurs morales qu’elle véhicule, par la rencontre duelle qu’elle impose ou par l’exploration des capacités de son propre corps et des lois qui en régissent l’animation, la pratique des arts martiaux est notamment reconnue comme un outil de choix de l’intégration sociale et humaine. L’expérience sportive permet de revendiquer sa propre histoire, sa singularité, pour agir non seulement sur le sentiment que l’on a de soi-même mais aussi sur l’image que les autres s’en font. Cette prise en charge des personnes ne peut se faire que d’une façon globale et quotidienne et doit prendre en compte les données politiques et institutionnelles visant à la réadaptation et à la

(ré)intégration par l’activité physique. Les pratiques, les différents regards et les engagements présentés dans cet ouvrage montrent, par leur diversité, des réalisations concrètes porteuses de changement pour les personnes concernées et pour notre société. Travailleurs handicapés, reconnaître leur expérience: 24 établissements et services d’aide par le travail coopèrent pour valoriser les compétences acquises Préface de Gérard Zribi; postface de Gaston Pineau Ramonville-Saint-Agne: Erès, 2007 – 189 p. Collection Empan

Comment reconnaître les expériences acquises par les travailleurs handicapés au cours de leur vie sociale et professionnelle? Comment leur signifier que, certes différents, ils peuvent être compétents? Comment agir pour que cette différence ne soit pas source d’exclusion sociale et professionnelle pour ces femmes et ces hommes? 24 ESAT (établissements et services d’aide par le travail) engagés dans un processus d’organisation apprenante dès 2002 ont initié une démarche innovante qui les a conduits à accompagner 500 travailleurs handicapés dans des parcours qualifiants au sein de différents métiers, en partenariat avec des entreprises privées. Au carrefour du secteur médico-social et de la formation des adultes, l’ouvrage rend compte de cette aventure humaine, sociale et collective à travers: • les récits d’expériences de l’ensemble des acteurs du projet; • l’exposé de la démarche méthodologique d’ingénierie sociale, conjuguant formation de l’encadrement et reconnaissance des acquis des travailleurs handicapés; • l’analyse des effets du projet, pour les usagers, l’encadrement et les établissements, qui se révèle comme une valeur ajoutée sociale. Cet ouvrage constitue une source d’idées pour alimenter l’imaginaire et la réflexion non seulement des établissements du médicosocial en cours de transformation mais aussi des entreprises et des territoires.

«Un frère extraordinaire. Une sœur extraordinaire»

Grandir aux côtés d’un frère ou d’une sœur mentalement handicapé-e

Une brochure publiée par insieme Suisse, 2007, 23 pages. Prix: Fr. 6.— ( + frais d’envoi). Lieu d’émission: insieme Suisse, Gesellschaftsstrasse 30, Case postale, 3001 Berne. Tél. +41 31 305 13 13 Courriel: sekretariat@insieme.ch Site internet: www.insieme.ch. 23


Séminaires, colloques et formation

Mieux être, mieux agir dans son institution

Formation théorique en autisme

Christiane Besson Cours Améthyste no 293 En collaboration avec Espaces Compétences 27 et 28 février 2008

Hilde de Clercq et Théo Peeters Organisation: Autisme Suisse romande EPI - Etablissement pour l’intégration Route d’Hermance 63 1245, Collonges-Bellerive 3, 4, 5 et 6 mars 2008

Renseignements et inscriptions: Christiane Besson, impasse de la Dîme, 1523, Granges-près-Marnand Tél. +41 26 668 02 78 – chr-besson@bluewin.ch

Travailler en réseaux et en interdisciplinarité Christiane Besson Cours Améthyste no 294 En collaboration avec Espace Compétences 6 et 7 mars 2008 Renseignements et inscriptions: Christiane Besson, impasse de la Dîme, 1523, Granges-près-Marnand Tél. +41 26 668 02 78 – chr-besson@bluewin.ch

Techniques créatives d’animation

Communiquer avec les personnes atteintes d’autisme Marc Segura Service de la formation continue, Université de Fribourg, en collaboration avec Autisme Suisse romande Université de Fribourg, rue de Rome 6, 1700 Fribourg 17 et 18 avril 2008 Renseignements et inscriptions: Tél. +41 26 300 73 47 - www.unifr.ch/formcont

Christiane Wyss et Christiane Besson Cours Améthyste no 295 10 et 11 mars 2008

Mieux comprendre, prévenir et combattre la douleur chez les enfants et les adultes avec autisme, handicap et polyhandicap

Renseignements et inscriptions: Christiane Besson, impasse de la Dîme, 1523, Granges-près-Marnand Tél. +41 26 668 02 78 – chr-besson@bluewin.ch

Jocelyne Huguet Manoukian Cours Améthyste no 297 29 et 30 avril 2008

L’accompagnement socio-éducatif d’adulte Maltraitance-Bientraitance Marie-Ange Terrier, Ralph Agthe 2 et 3 avril 2008 Délai d’inscription: 29 février 2008 Coordinateur: Maurice Jecker-Parvex Renseignements et inscriptions: HEF-TS, rue Jean-Prouvé 10, 1762 Givisiez Tél. +41 26 429 62 00 - secretariat@hef-ts.ch www.hef-ts.ch

Le quotidien dans les pratiques éducatives et sociales Joseph Rouzel 8 et 9 avril 2008 Délai d’inscription: 29 février 2008 Coordinateur: Maurice Jecker-Parvex Renseignements et inscriptions: HEF-TS, rue Jean-Prouvé 10, 1762 Givisiez Tél. +41 26 429 62 00 - secretariat@hef-ts.ch

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Renseignements et inscriptions: Autisme Suisse romande - info@autisme.ch

Choix éclairé et consentement des personnes en situation de déficience intellectuelle? Daniel Boisvert Cours Améthyste no 298 5 et 6 mai 2008

Connaître, comprendre, soutenir ... les personnes en difficulté ayant un handicap, des troubles envahissants du développement ou présentant d’autres difficultés dans le quotidien de l’accompagnement socio-éducatif Daniel Boisvert Cours Améthyste no 299 7, 8 et 9 mai 2008 Les renseignements pour tous les cours proposés par Améthyste s’obtiennent auprès de: Christiane Besson Impasse de la Dîme, 1523 Granges-près-Marnand Tél. +41 26 668 02 78 – chr-besson@bluewin.ch Http://www.amethyste-perf.ch


Regards sur un demi-siècle...

...d’affiches Pro Infirmis


VIE AFFECTIVE ET SEXUELLE…

AUTONOMIE….

AUTODETERMINATION….

DROITS DES USAGER-E-S….

Intérêt et/ou besoin de réinterroger vos certitudes à propos de ces concepts et de redéfinir vos responsabilités de direction?

Nous vous offrons cette possibilité les 7, 8 et 9 mai 2008 à Nyon dans le cadre d’une session «DU CŒUR AU CORPS» réservée aux directeurs-trices et/ou directeurs-trices adjoint-e-s

Cette session est organisée par Catherine Aghte Diserens, sexo-pédagogue et Jean-Louis Korpès, professeur HES, HEF-TS, Fribourg

Renseignements et inscriptions: Catherine Agthe Diserens, sexo-pédagogue spécialisée et formatrice pour adultes, Chemin du Couchant 14, 1260 Nyon - catherine.agthe@bluewin.ch

ARTHEMO

5e Festival Arthemo du 11 au 13 septembre 2009 Morges/VD

Art et Handicap mental

Avis aux artistes

Proposez dès à présent vos productions théâtrales ou de musique, ou participez au concours de dessins pour l’affiche du Festival Arthemo 2009

Délai d’inscription: 30 juin 2008 www.arthemo.ch Renseignements et bulletins de participation: ASA-Handicap Mental Rue des Casernes 36 - CP 4016 - CH 1950 Sion 4 Tél. +41 27 322 67 55 – Fax +41 27 322 67 65 asa-handicap-mental@bluewin.ch www.asa-handicap-mental.ch


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