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ADELAÏDE

DE

EALEZIEUX, COMTESSE DE CÀRCADO

(1755 - 1808)



ADELAÏDE DE MALEZIEU, COMTESSE DE CARCADO (.1755 - 1808)

"L'esprit de Dieu prépare de loin les ânes qu'il a choisies pour être ses instruments, et il leur fait tous les dons qui doivent en assurer le succès : esprit, coeur, caractère, "biens de la grâce et qualités naturelles, tout est dispose, tout s'accorde avec un ensemble merveilleux pour' 1îaooomplissement des vues de la Providence"» C'est là ce que faisait admirer en Madame de Carcado, au lendemain de sa mort, l'Abbé LegrisDuval, de sainte mémoire. Des dons que Dieu lui avait prodigués, Adélaïde de Malézieu ne sembla pas tout d'abord songer à lui faire l'unique hommage» Lui-même cependant a pris déjà une intime possession de son coeur dans une première communion fervente, faite à Mantes près de sa grand'mère, Madame de SainteMarie 0 Longtemps après, le prêtre qui l'y avait préparée se souvenait "des beaux sentiments" qu'il avait remarqués dans cette enfant. . - La main divine se posa de nouveau sur elle au milieu de l'exubérance de sa jeunesse, car elle tomba malade et une scoliose déforma quelque peu sa taille. Son heureux caractère n'en fut pas altéré, on ne l'entendit pas gémir, mais elle parut, après cette épreuve, encore plus attirée vers le monde. Si bien que sa mère, effrayée de son goût pour les plaisirs, ne trouva d'autre remède que de l'en fatiguer, en la menant de fête en fête.- "Vous voyez, lui disait-elle ensuite, que le plaisir ne fait pas le bonheur et que le rire n'est pas le contentement". Un peu calmée par ces premiers enmiis? la jeune fille devait prendre plus facilement son parti de terminer son éducation à l'Abbaye du Faubourg St Antoine. Puisqu'il faut un aliment à la fougue de sa riche nature, elle se livre tout entière à l'étude et cultive les arts, de manière assez profane à en juger par les sujets qu'elle choisit. Elle apprend néanmoins à ordonner davantage sa vie en esprit de devoir, mais l'heure n'est pas venue où d'autres horizons s'ouvriront devant elle; le monde n'aura nulle peine à la ressaisir. Il vient à elle sous la séduisante figure d'une jeune femme de 19 ans» qui doit passer le temps de son veuvage à l'Abbaye. Marie-Louise de Savoie-Carignan, Princesse de Lamballe et Adélaïde de Malézieu deviennent des inséparables, et c'est pour la seconde le commencement d'une destinée que, en dépit de l'ancienneté de sa famille, sa modeste fortune ne faisait pas présager« 1.

Une pension sur la cassette de la reine, un mariage qui lui permettra d'avoir .sa place à la coin.', et Adélaïde de Malézieu, devenue Comtesse de Carcado, va briller auprès de son amie dans le petit cercle de MarieAntoinette. Sa physionomie est charmante, son esprit encore plus, il étincelle, et chose peu commune, il s'accompagne de bienveillance pour le prochain? sa distinction est remarquée, môme à la cour de France. C'est maintenant celle de Louis XVI, où la dignité, des moeurs a repris


- 2 ses droits après les scandales du règne précédente Mais enfin, c'est la cour, le lieu propice entre tous aux intrigues et à la frivolité, et bien des gens n'y songent guère à autre chose. Iians un tel milieu, où elle plaît, la nouvelle venue aurait pu courir plus d'un danger, mais son noble coeur la garde, surtout Dieu la garde. Sa nature pleine d'allant passe avec aisance des brillantes fêtes de Trianon aux heures plus graves du foyer conjugal. Mr.de Carcado, Comte de Molac, paraît rarement à la cour., C'est un vieillard très chrétien, qui sait être reconnaissant à sa gracieuse femme des soins et des sourires dont elle entoure ses infirmités croissantes. Quand il meurt, au bout de plusieurs années, il lui laisse, assurés par son testament, des avantages considérables; mais elle tient à en abandonner une grande partie au profit d'autres héritiers, ne gardant qu'une rente viagère. Après le temps de son veuvage, on retrouve la Comtesse de Carcado à Yersailles. Elle y a rencontré maintes fois une dame d'honneur de Madame "Victoire sans que jamais, ni de part ni d'autre, on ait cherché à se lier. Mais voici qu'un jour:.chez la Reine Madame de Carcado exprime le regret de n'avoir encore pu entendre le célèbre Père de Beauregard, tant les places sont vite envahies quand il prêche. La comtesse' de Saisseval propose de lui en garder une, car elle compte se rendre bien avant l'heure du sermon. Et ainsi fut fait. Or, le P. de Beauregard, avec cette éloquence apostolique qui remuait les consciences jusque dans leur tréfonds, parla du danger des spectaclesles spectacles que précisément Mme de Carcado aime à la passion. Le soir de ce jour-là, elle est à Trianon, et devant nombreuse compagnie elle déclare : "Après ce que j'ai entendu aujourd'hui, je-n'irai plus au spectacle". On ne la prend pas au sérieux, on rit, nais ce qu'elle a dit, elle le répète? c'est réfléchi, voulu, et non sans un effort qui lui a été très dur. Elle vient de brûler ses vaisseaux. Désormais sa volonté d'une vie tout autre s'affirme sans fléchir comme sans faire d'éclat. Elle ne fera jamais rien à demi. Emule de son amie de Saisseval dans la piété et l'amour des pauvres, elle médite de quitter tout à fait la cour. Quand la Princesse de Lamballe, que les Polignac cherchent à écarter, est à la campagne, la Comtesse de Carcado l'y rejoint volontiers. C'est de là qu'un jour elle vient à Paris s'enferner chez les Dames de Sainte Marie, et elle y fait une retraite de huit jours sous la direction de l'Abbé Texier des Missions Etrangères. Il a vu de quelle trempe est cette âme, il ne lui donne d'autre sujet de méditation que ces mots : Dieu seul. Elle ne nous a pas dit, mais nous pouvons deviner combien ce Dieu seul_ la brûle alors jusqu'au vif, elle qui a demandé aux créatures des joies vaines dont elle ne veut plus... Et surtout quel idéal présente aux puissances d'amour et de dévouement déposées en elle cet inépuisable et ravissant Dieu seulï.. C'est maintenant qu'elle commence à vivre. Mais alors qu'elle ne songe plus qu'à s'éloigner entièrement du monde, elle va être rattachée à la famille royale par des liens nouveaux et plus forts, ceux du malheur. Ce sera pour elle l'origine d'une mission providentielle qu'elle ne peut encore soupçonner. La nouvelle orientation qu'elle a si nettement marquée dès le premier jour la rapprochait tout


- 3 naturellement du cercle de Madame Elisabethj et là les yeux étaient ouverts sur les périls de la religion et do la patrie * Seule à la cour, la soeur du Soi, au dire de 1 '= latex-nonce? jugeait d«s claos.es du moment avec clairvoyance et fermeté- si on 15avait écoutée, aff'irme-t--il, jamais la Constitution civile du Clergé n'eut reçu la sanction royale. En face des événements qui se précipitent? la noble fille de France cherche à susciter autour d'elle le recours aux moyens surnaturels» Comme si elle oubliait les menaces qui pèsent sur le trône et sur sa propre famille, elle cjnoïntre son appel à la prière vers cet unique but s la conservation de la foi en Franceu Elle propose,d:abord, à ses intimes, de s'associer à un voeu fait sous l'invocation du Saint Coeur de Marie. Sans posséder le texte intégral, nous savons seulement que le projet donnait, quant au choix du vocable ce beau motif t "Considérant que le Coeur de Marie fut comme 1-arche où se conserva la foi au temps de la Passion.. -" Mme de Carcado, dès la première heure, adhéra au projet. .Elle en écrivit au mois de Juillet 1790 à Mme de Saisseval, alors à Yalognes^ Celle-ci s'empressa d'accepter et plus tard envoya voie contribution de 300 francs en vue de la première promesse du voeu, A la fin de l'année 1791? les sommes rocueilli.es ainsi devaient être employées à -l'oeuvre qui paraîtrait plus urgente et plus agréable à Dieu* D'autres promesses suivaient, sur lesquelles nous aurons à revenir» Mais l'importance du voeu 'dépasse ce que nous avons d!a-bord entrevu* Il prend même un caractère national par l'adhésion qu'y donne le Roi., Plus que cela l'Eglise de France l'a fait sien, comme nous pouvons l'inférer de ce qui suit. L1ex-voto qui devait en perpétuer le souvenir, et qui existe toujours à Chartres, se compose do deux coeurs en or portant les effigies des Sacrés-Coeurs de Jésus et de Marie, avec cette double inscription s "L'Eglise de France,- Le Roi et la famille royale"., A l'intérieur furent déposés les noms de tous ceux qui s'étaient associés au voeu, "Le 10 Février 1791, écrit Mme de Saisseval, à la clôture d'une neuvaine relative au voeu de Juillet 1790, le Roi, la Reine, le Dauphin, Madame Elisabeth, déjà presque prisonniers aux Tuileries, se rendirent à NotreDame» Mme de Carcado, Mme de Lastic, dames d'honneur de Mme Elisabeth, ainsi que d'autres associés, du voeu, accompagnaient la famille royale". Cette date du 10 Février n'a pas été choisie sans motif, c'est celle où la consécration de la France à la Sainte Vierge est signée par Louis XIII» Mme de Carcado elle-même écrit après la révolution s "Nous arrivons d'une messe en souvenir du voeu que vous avez connu en 1790 pour la conservation de la religion* Cette messe a été dite à cet autel de la Ste Vierge où nous avons été en grande compagnie le 10 Février 1791"« Dons cette même lettre, Mme do Carcado, après avoir parlé aussi d'un recours à Ste Thérèse en Août 1791, ajoute ; '"la bonne Sainte a obtenu la grâce du martyre à nes prêtres, particulièrement aux Carmes où étaient trois de ceux qui avaient fait le voeu"« Qui sont ces trois que la lettre désigne d'une manière spéciale., sinon l'Archevêque d'Arles, Mgr. du Lau, et les deux frères de la Rochefoucauld, Evêques de Beauvais et de Saintes ? Ainsi ces illustres martyrs seraient compris avec d'autres membres do l'Episcopat dans'l'inscription de 1'ex-voto : "l'Eglise de France".


- 4 A propos de la messe commémorative du voeu,Mme de Carcado note enfin : "J'avais avec moi les coeurs d'or? ils ont été sauvés comme par miracle". Ces coeurs portés à Chartres dès la Saint Michel de 1790? étaient placés près de la statue miraculeuse, dans la chapelle soutorraine.Celle-cij murée au début de la révolution, fut cependant profanée, mais tandis qu'on mettait la main sur les trésors qu'elle contenait, quelqu'un déclara que les deux coeurs avaient été déposés par Mme de Carcado et qu'ils lui appartenaient. Une telle parole, qui risquait fort de la compromettre, réussit cependant, et le précieux dépôt, revenu entre ses mainSî fut par elle caché en lieu sûr» Ce trait vient souligner encore la manière dont la Providence faisait tout converger pour que la Société devint dépositaire des promesses du voeu. N'était-ce pas pour le môme but, la conservation de la foi, que Dieu l'avait suscitée dans un môme temps ? (Juillet 1790) Dans les lignes de Mme de Saisseval que nous avons citées, Mme de Carcado est,appelée dame d'honneur le Mme Elisabeth. La princesse avait elle-même pressé ses deux plus intimes de rejoindre leur mari à l'étranger; d'autres encore étaient parties; mais celle qui avait dit adieu au monde, la comtesse de Carcado reparaissait pour combler un vide à l'heure où il n'y avait plus à partager que périls, souffrances et affronts. Jamais le titre de dame d'honneur n'eut sens plus noble et plus vrai. , Esprit juste et ingénieux, caractère décidé,< courageux et dévoué, Mme de Carcado est bien l'auxiliaire qui convient à Mme Elisabeth, à l'heure où celle-ci ne peut plus faire une démarche sans être indignement épiée. Une oeuvre entre toutes lui tenait à coeur, et ce fut sans doute l'une des dernières dont elle put s'occuper : l'accomplissement de la première promesse du voeu de 1790. Les sommes recueillies dans cette'vue formaient un total de soixante aille francs qui servirent aussitôt à aider les prêtres fidèles voués à la fois à la proscription et à la misère. A la captivité des Tuileries, qui était de plus en plus resserrée pour la famille royale, succéda l'emprisonnement au Temple, et dès lors Mme de Carcado se vit séparée de la Princesse. Ce ne put être, pour un coeur comme le sien, et en de telles circonstances, sans un très douloureux brisement. Il allait bientôt être suivi d'un autre : son amie la plus ancienne et toujours chère, la Princesse de Lamballe, était revenue de Savoie dans l'espoir de partager au moins la captivité de la Reine. On se garda bien de lui ouvrir le Temple; on la jeta dans une autre prison et un jour Mme de Carcado apprit qu'elle venait d'être massacrée et que sa tête„ indignement bafouée, avait été. promenée au bout d'une pique jusque sous les fenêtres de Marie-Antoinette. Et puis ce fut 1;agonie de la famille royale, ce furent ces exécutions sanglantes auxquelles on n'eut pu croire : le Roi, la Reine, la chère Mme Elisabeth elle-même* Tant de terribles choses redisaient à leur manière à l'ancienne dame de la cour, le Dieu seul qu'elle avait médité dans la paix de sa retraite. Désormais rien de ce monde ne comptera plus pour elle, mais avec son exceptionnelle énergie, toute surnaturalisée, elle va se donner sans limites au service de la religion et de ses ministres. Tantôt à Paris, tantôt en son château des Forts, près de Chartres, elle se multiplie


- 5 pour assurer la sécurité des prêtres qu'elle cache sous son toit ou qu'elle assiste ailleurs. Qui donc la reconnaîtrait dans cette paysanne mal vêtue qui, un lourd panier au bras, affronte tous les chemins. Dans la capitale elle imagine d'autres manières de procéder. Un de ses clients., ancien missionnaire du Japon où il a été à moitié - ■ martyrisé, le P. Guillou, cité devant le tribunal révolutionnaire, y a paru en chantant de toutes ses forces le Vexilla Régis. Pris pour un fou et relâché, il a trouvé moyen d'élire domicile dans le clocher de l'église des Carmes, et c'êst là que la charitable Comtesse pourvoit à sa subsistance. Il faut que des mémoires du temps nous apprennent, comme par hasardy des anecdotes de ce genre. Mme de Carcado a dû se plaire à taire les détails de son dévouement, car les souvenirs de la Société ne nous en donnent qu'une brève mention. Si habiles que fussent ses stratagèmes, son zèle actif finit par être dépisté, ce qui lui valut un emprisonnement d'environ huit mois. Le 15 Janvier 1794 une perquisition fit découvrir un prêtre chez elle. Ils firent preuve l'un et l'autre d'un calme qui étonna le commissaire chargé de l'opération de police. Le prêtre fut emmené à trois heures du matin et interné aux Carmes. On a écrit que Mme de Carcado y fut emmenée le.jour sixivant. En ce cas, ce ne fut pas pour longtemps, car on la trouve certainement ailleurs. A l'angle du Boulevard des Invalides et de la rue Notre-Dame des Champ»? qui se prolongeait alors jusque là, un vaste hôtel aristocratique était devenu la Maison d'arrêt des Oiseaux. "De toutes les prisons de Paris, a écrit une des détenues, c'était la plus saine, la plus commode et la plus paisible". Chose encore d'un plus grand prix, un prêtre est là dont on ignore l'identité. Arrêté comme suspect, il a déclaré s'appeler Olivier, c'est un de ses noms de baptême. En réalité, c'est l'abbé Texier, chanoine de Chartres et chapelain de la Reine. La surveillance était fort réduite aux Oiseaux, il trouve moyen de célébrer devant un discret cénacle. Parfois une perquisition à la Maison d'arrêt cause de vives transes, chacun alors s'ingénie et jamais rien n'est découvert* Une des prisonnières n'a-t-elle pas imaginé de glisser un mince dépôt d'hosties consacrées entre les feuillets du "Contrat social" ? De telles circonstances nous expliquent comment Mme de Carcado pourra se féliciter plus tard du rare bonheur qui lui fut accordé : pendant le temps même de la Terreur, c'est sa propre attestation, elle eut la grâce d'assister à la messe presque tous les jours. . A part ces détails sur la prison cueillis dans les souvenirs de la Marquise de Créquy, nous ne connaissons pas d'autres particularités sur la détention de Mme de Carcado. Libérée en 1794» elle se retire dans sa terre des Ports, le seul bien qui lui reste, et se consacre à l'éducation de ses neveux de Malézieu, dont la guillotine a fait des orphelins. La châtelaine est maintenant réduite à une véritable pauvreté; cependant son hospitalière demeure offre toujours aux ecclésiastiques fidèles un lieu de repos, de refuge et de rencontre, très utile en particulier aux membres de la Société du Coeur de Jésus. Le P. de Clorivière y est venu, et peut-être même probablement plus d'une fois. Qu'ils étaient donc bien faits pour se comprendre , lui et la généreuse chrétienne qui le recevait ! Et comme elle, avide de se donner toujours plus, dût, le jour où la Société lui fut révélée, goûter un plan tellement


— 6 — en harmonie avec ses plus belles aptitudes et ses plus hauts attraits spirituels

l

Une fois remplie la tâche'maternelle qu'elle avait assumée, se dégageant sans hésiter de toute autre entrave, eir afin de se livrer toute à la conduite des Supérieurs, elle vint'en 1798 s'établir à Paris auprès de Mère de. Cicé. Alors se modela en cette riche nature une admirable Fille du Coeur de Marie. Elle a déjà plus do 40 ans, une expérience acquise à travers des circonstances exceptionnelles, une grande habitude des initiatives et aussi des réussites. Mais de tout cela elle fait vraiment table rase, car elle est humble; et sous son ardent désir de sacrifice, ses rares qualités deviennent comme le métal en fusion pour recevoir l'empreinte des vertus religieuses. Nous pouvons bien compter que le Père Fondateur ne la ménage pas, car il sait ce qu'elle est capable de donner, mais il sait aussi qu'elle a moins besoin d'un aiguillon que d'une discipline qui règle son élan et qui donne le pas à la rectitude de l'esprit sur l'ardeur du tempérament. Il écrira plus tard : "Du jour où elle s'est soumise à l'obéissance, elle s'est dépouillée de tout ce qu'il y avait de trop vif dans une imagination fertile en projets pour la gloire de Dieu; elle n'a plus eu d'autre volonté que celle de ses supérieurs, elle se laissait conduire comme un enfant". Mère de Cicé, avec quelques-uns de ces mots qu'elle sait dire à point et qui portent juste, gouverne et modère la généreuse novice. Elle lui a ménage un appartement proche du sien, mais en s'y rendant, le chemin a paru long à Mme de Carcado, et au moment de l'arrivée il lui échappe de dire s "Mais c'est le bout du mondeJ" - C'est moi qui vous l'ai choisit" lui est-il doucement repondu. Cette courte parole tombée d!un coeur de sainte dans Un' autre coeur tout donné, a suffi : la leçon de l'obéissance est comprise, elle ne sera jamais oubliée. Mais elle aura parfois besoin d'être expliquée. "Apprenez-lui à.ne faire qu'une chose à la fois I" Cette souriante recommandation, qui est de la plume du Père, souligne d'un petit trait le zèle encore trop empressé. Certain jour Madame de' Carcado survenant chez sa Supérieure eut une ■ défaillance; il fallut bien en avouer la cause % elle avait oublié son repas pour courir à l'une de ses oeuvres., "Obi s'il fallait dîner tous les jours" protesta-t-elle. Mais enfin elle sut, toujours docile., obtempérer à ce qui lui fût demandé; les repas furent réguliers sinon copieux. Se dépouiller même du nécessaire devient poùr elle un entraînement de coeur que seule l'obéissance retiendra dans certaines limites. D'ailleurs ! n' a-t-elle pas fait l'apprentissage de la pauvreté depuis que la Révolution l'a laissée dans les conditions les plus précaires. Le Père de Clorivière remémore plus tard qu'au temps où il l'a vue à l'oeuvre près de Chartres, elle agissait avec une générosité, avec un abandon à la Providence que Dieu bénissait visiblement. ' Comme aux biens de la terre, elle a dit adieu à ses plaisirs, elle a pris le contrepied de sa vie d'autrefois. Mais on ne saurait douter qu'il lui ait fallu des luttes répétées pour en venir à un si complet détachement. Le goût de la charité jusqu'au sacrifice semblait, avoir tué en elle les goûts mondains d'autrefois. Elle ne regrettait rien, mais les réminiscences d'antan gardaient pour elle certains charmes* Par delà les


jours sanglants qui lui ont arraché tant de larmes, il lui arrive de revoir ces heures dorées dont sa vive nature avait joui d'autant plus franchement qu'elle n'y voyait rien que d3honnête. Et quand son imagination la transporte de nouveau à Versailles, surtout si elle est avec des personnes qui ont les mômes souvenirs, elle se plaît à en parler encore et c'est d'une manière fort agréable; il lui échappe même de se mettre en scène et de rappeler telles circonstances où elle eut du succès» Mais bientôt ces saillies disparurent, elle s'imposa sur tout ce qui la concernait un silence absolu. Plus profonds encore devaient être pour elle ces nécessaires renoncements intérieurs qui conditionnent la formation d'une vie de prière continuelle. Pour que l'esprit d'oraison prévalut dans cette âme débordante d'activité, il fallait son abnégation qui faisait généreusement la place à Dieu, il fallait aussi cet intense et souvent douloureux travail qui ramène sans se lasser les pensées vers Lui, cette patience qui supporte les délais et les épreuves, cette fidélité qui correspond au moindre souffle de la grâce.., Des souffrances que celle qui nous occupe ne pouvait manquer de connaître, nous trouvons un écho dans cette ligne qu'elle écrit pour le réconfort d'une autre âme : "Au milieu de certains chagrins intérieurs, le plus grand tourment c'est qu'on n'espère presque pa3 atteindre le ciel. Gela même purifie singulièrement le coeur, parce que ce manque d'espérance no vient pas d'un défaut de foi, mais de la condamnation qu'on fait de ses fautes, par un grand amour qui nous est caché alors pour notre plus grand avantage". ÎTe sent-on pas que se révèle ici, sans le vouloir, une expérience personnelles Celui qui ne se laisse jamais vaincre en générosité et de qui seul vient l'esprit de prière le donna magnifiquement à Mme de Carcadoo Elle qui jadis se demandait ce que faisaient quelques-unes de ses amies quand elles demeuraient un peu à l'église,, une fois le devoir accompli, ne compte plus le temps où elle sloublie au pied de l'autel. Désormais son activité même est pénétrée de vie intérieure, et quelles que soient ses occupations, elle fait toujours à la prière une place première et dominante. Si l'on parle devant elle'd'une demi-heure d'oraison, elle se récrie : "Mais ce n'est que le temps de commencerai" Cela dit assez quelle devait en être la pratique dans sa vie. Jamais elle ne concevra les oeuvres de zèle que préparées, accompagnées, pénétrées par la prière. Il n'y aura rien sur quoi elle insiste davantage avec celles qui l'aideront, même les personnes du monde. D'ailleurs comment ne serait-elle pas une âme de prière, celle que nous connaissons maintenant si détachée de tout, si humble, si obéissante, si uniquement occupée du service de Dieu!. Quant à la trempe particulière de sa vie spirituelle, ni notes toutes personnelles, ni lettres de direction ne sont là pour nous renseigner. Dans ses papiers cependant nous rencontrons sur des feuilles détachées de nombreux pa-ssages de la Sainte Ecriture, d'où elle tirait de courtes réflexions. Comme les semailles dans une terre féconde et bien préparée, la formation religieuse d'Adélaïde de Carcado s1 était faite rapide et cependant complète, profonde, pleine de promesses. En son âme toute livrée à Dieu, un heureux équilibre s'est établi, l'habitude est prise de faire


- 8 passer sous le contrôle do la réflexion,et sous celui de l'autorité tous les désirs, même les plus généreux; la nature est dressée à s'arrêter, frémissante encore peut-être, mais docile, attendant l.e signe du vouloir divin.•Rien n'est.perdu de son énergie, loin de là, car ainsi concentrée, elle donne toute sa,force quand vient l'heure d!aglrc la vertu qui désormais triomphe dans cette âme de feu, qui la pacifie, qui ordonne à la fois son intérieur et son activité, c'est la pure conformité au bon plaisir divin. On le remarque davantage-à mesure qu'elle avance, et l'expérience qu'elle en fait lui rend cette grande vertu si chère qu'elle l'appellera "le noviciat de l'éternité bienheureuse". Ainsi pénétrée par un pui-gant influx surnaturel, les éminentes qualités de Mme de Carcado ont atteint leur maturité, leur pleine valeur. "Qui de vous, dira plus tard l'Abbé Legris-Duval, devant un public de personnes du monde, qui de vous n'a souvent admiré cette pénétration vive qui saisissait tout au premier coup d'oeil; cet esprit net, étendu, .facile, qui devinait les nuances les plus délicates, qui pressentait les difficultés et savait créer les ressources; cette élocution entraînante et persuasive, le plus utile instrument du bien quand la charité s'en empare, comme elle est le moyen le plus terrible pour le mal quand les passions en disposent. Continuant ce discours, Mr. Legris-Duval loue encore Mme de Carcado, "son grand courage, sa constance invincible, sa sensibilité profonde", non, remarque-t-il, cette sensibilité de parade dont il est facile de se faire honneur, mais une sensibilité généreuse qui ne redoute ni soins ni sacrifices". / Telle était:celle qui,"à la fois au service de la Société et au service des oeuvres de zèle les plus urgentes à cette époque, allait fournir une carrière religieuse de courte durée, mais si féconde que les fruits en subsisteront longtemps après. L'année 1801 est venue avec les grandes épreuves que nous connaissons : l'arrestation de Mère de Cicé et"son procès. Dès que l'orage a éclaté, Mme de Carcado s'est livrée à des démarches qui n'ont pas peu contribué à l'heureuse issue de 1'affairée Lorsque, après l'acquittement de la chère et sainte Mère, il a fallu cependant qu'elle se retire en Normandie, c'est à Madame de Carcado qu'a incombé la principale -tâche pour la remplacer en son absence dans ces difficiles conjonctures. Le P. de Clorivière qui a dû lui-même s'éloigner, puis revenir à Paris, écrit à L'exilée de Rouen : "Vous êtes aussi bien suppléée qu'on peut l'être". Après cette première expérience, c'est avec une consolante sécurité que les deux Fondateurs partent pour la Provence, confiant le gouvernement des Filles du Coeur de Marie de la capitale à la nouvelle Assistante de M»dé Cicé; la respectable Melle Deshayes, dont les forces sont précaires, reste "sa coassistante". selon l'expression du P. de Clorivière, et' ce sera entre elles deux .une collaboration pleine de charité et de mutuelle déférence. Le rôle de Mme de Carcado est sd.ors d'autant plus important et difficile que les correspondances sont surveillées. Ce qu'on voudrait davantage pouvoir dire, c'est précisément ce qu'il faut taire, jusqu'à ce qu'enfin une occasion sûre se présente de faire passer une lettre. Des semaines parfois s'écoulent ainsi, pondant lesquelles cependant la fidèle Assistante-, attentive à ce qu'elle .sait conforme aux directives de ses.Supérieurs, confiante dans le secours de l'Esprit de Dieu, conduit les choses à la


- 9 satisfaction générale. Elle sent d'ailleurs sa tâche rendue facile par le profond esprit religieux des premières Filles du Coeur de Marie et elle est heureuse de pouvoir leur en rendre un témoignage, dont le P. de Clorivière lui écrit i "Tout le bien que vous me dites de no3 chères filles me fait un extrême plaisir et adoucit un peu l'amertume de l'éloignement. Je voudrais pouvoir en exprimer ma satisfaction à chacune. Tout en prenant ainsi un grand soin'de son devoir premier, Mme de Carcado ne perdait pas de vue le s oeuvres de zèle qui appelaient d'une manière si pressante, en un tel temps, le zèle des Filles du Coeur de Marie. Le Père de Clorivière les leur avait recommandées^ et Mme de Saisseval, qui venait d'entrer dans la Société, avait été frappée de ses paroles. Elle nous a gardé quelque chose de ce qu'elle entendit des lèvres du Fondateur, et nous y cueillerons des enseignements qui expriment le fond même de sa direction quant à l'exercice de l'apostolat. Ce qu'il demande d'abord à la base, c'est une telle conformité, un tel abandon à la conduite de Lieu que l'âme ne s'agite ni ne s'abatte de rien. "Si nous devons la soumission à la Majesté du Souverain Seigneur, dit-il, nous ne devons pas moins la confiance et l'abandon à sa bonté paternelle. Rien n'en doit être excepté... Ce ne sont pas les adversités et les maux en eux-mêmes qui nous rendent malheureux, c'est l'inquiétude qui les accompagne, ce sont les anxiétés et les troubles auxquels nous nous livrons. La confiance nous élève au-dessus de tout cela, elle nous établit dans la vraie liberté des enfants de Dieu... Laissez aux enfants du siècle les soins superflus, les embarras tumultueux et, délivrées de ces inquiétudes, vous ne serez plus occupées que du soin de plaire à Dieu"., Cette doctrine bien établie, le Père pose aussitôt une question : "Parvenues à la paix du total abandon, en jouirez-vous seules ? - Votre coeur répondra"... Et il montre à ses filles comment elles doivent être de ces pacifiques qui rayonnent autour d'elles la paix de Dieu en faisant avancer le Royaume do Dieu. Mais que peuvent-elles, si petit troupeau et en même temps si dénuées- de ressources temporelles ? Paternellement la difficulté est reconnue et la réponse donnée s "Perdues dans cette Babylone après la tourmente, à peine assurées du nécessaire pour vous et les vôtres, comment ajouter des responsabilités étrangères? - Rassurez-vous, les oeuvres commencées dans l'unique vue de procurer la gloire'de Dieu et le bien du prochain ne vous trouveront pas dénuées du nécessaire tant que vous vous tiendrez sous l'égide de la Providence. Cette base posée solidement, et avec l'approbation de vos Supérieure, ne craignez rien; et quoique sans ressources, vos oeuvres grandiront au-delà de vos espérances; le bien se fera par vous avec plus d'abondance qu'il ne vous fut donné de le faire au temps de votre prospérité". Comme elles durent faire vibrer le coeur de Mme de Carcado ces paroles qui, du commencement à la fin lui convenaient si particulièrement, et qui étaient de nature à éveiller en elle un espoir nouveau. Son premier biographe nous la représente, après la perte do sa fortune, ne regrettant que l'impuissance où elle se voit réduite au milieu de tant de ruines. "Par une disposition que l'on peut regarder comme le plus sublime effort de son amour, écrit-il, elle se résigne à renoncer, si Dieu l'exige, au seul bonheur qui la touche, celui de répandre des bienfaits". En effet, jusqu'ici tout ce qu'a pu tenter son dévouement se réduisait à peu, faute de ressources* Maintenant qu'elle a tout abandonné à Dieu, il lui est permis d'entrevoir


- 10 un champ plus large où son génie Charitable pourra se déployer. Qu'elle ait mis déjà ses Supérieurs au courant de tout ce qui concernait le voeu de 1790, nous n'en pouvons douter, et nous comprenons combien le Père de Clorivière et Mère de Cicé'devaient souhaiter d'en voir la réalisation par leur chère Société.. Les deux anciennes dames de la Cour, dont l'une était maintenant la Supérieure de l'autre, s'en entretenaient ensemble, et la seconde promesse concernant l'éducation d'enfants pauvres les attirait tout spécialement; elles.sentaient même que, si pressantes étaient les nécessités du moment, il faudrait dépasser largement ce qui était promis,. Pour se rendre compte, en effet, de l'urgence de cette oeuvre, il faut se figurer en quel état d'abandon.se trouvaient réduits, dans Paris même, . les enfants de la classe ouvrière, ceux surtout qui n'avaient plus de mère ou même plus de foyer. Rares et insuffisants étaient les asiles pour les recevoir, car les institutions charitables avaient été détruites, les congrégations actives dispersées; l'entr'aide qu'autrefois se portaient les gens d'une même profession,.surtout.quand il y; avait des orphelins, restait elle-même en désarroi-, L'immoralité qui suit les grandes secousses, l'ignorance et le vagabondage mettaient de tous côtés l'enfance en péril. II fallait des sauveteurs, et Mme de Carcado tressaillait du désir d'en être. Dès l'instant où elle reçoit _1J_A Bieu va de l'Obéissance, elle est prête. Un jour, dans son petit appartement, elle attend Mme de Saisseval. Melle d'Acosta doit venir aussi, car selon le désir des Supérieurs, elle sera adjointe aux deux premières pour les débuts de l'oeuvre qu'elles méditent. Pendant son attente, c'est elle-même qui nous le dit, l'initiatrice du projet écrit quelques pages concernant l'esprit dans lequel il .faut entreprendre et poursuivre. Ce sont d'excellents avis pour toute collaboration d'oeuvres ou de gouvernement religieux. - Appel au secours divin, soin, après avoir délibéré, de suspendre l'exécution jusqu'à ce que les Supérieurs aient approuvé et béni? c'est par là que Mme de Carcado commence son exposé. Puis, comme chacune vient avec ses idées, son caractère,- ses impressions, elle a soin de remarquer s "Chaque chose a ses inconvénients et ses avantages. La grâce de Dieu seule peut ôter et ajouter ce qu'il faut". Et aussitôt elle indique le grand remède aux divergences de vues, le grand modérateur de la variété des jugements "Soyons bien humbles toutes les trois. Méfions-nous de nos moyens naturels; ils ne sont que des instruments et par eux-mêmes ils ne feraient l'ien de solidement bon, ils nuiraient quelquefois grandement si nous les comptions pour quelque chose"„, Puis faisant écho à une voix paternelle et vénérée, elle écrit : "Le retour à Dieu perpétuel qui nous est si fort recommandé nous fera tout opérer. N'oublions jamais, s'il est possible, qu'il doit être accompagné du renoncement à nous-mêmes et de cette pensée si salutaire : Si Dieu n'y prend garde, je gâterai tout; et puis nous jeter avec confiance entre ses mains et vogue la galère|. tout ira bien; tout ira bien selon ses pensées et peut-être pas selon les nôtres". - "Article essentiel, &j.oute~t-elle aussitôt, ne nous flattons pas trop du succès; ne nous affectons pas trop quand tout ne va, pas tout droit, au mieux que nous avions espéré, ou même varie en mal jusqu'à décourager". Î


- 11 Tant lai paraît importante la parfaite union des esprits et des coeurs qu'elle va encore insister sur les dispositions où il faut être à l'égard les unes des autres* Ces dispositions peuvent se diversifier, soùlignet-elle, "selon nos impressions, je" ne dis pas selon nos caractères, car c'est encore autre chose". Puis viennent ces lignes d'une forme incisive, mais pénétrées d'une sincère modestie, puisque ayant priorité et même supériorité sur les autres, celle qui écrit se met sur le même pied qu'elles quant aux défauts à éviter s "Si l'une de nous trois croit que les deux autres, ou l'une des deux autres, aura toujours raison contre elle, nous ne pourrons pas faire le bien; si l'esprit de contradiction se mêle de nos affaires ou si seulement nous croyons qu'il existe en l'une de nous trois, nous ne pourrons pas faire le bien; si l'esprit de domination s'empare de l'une de nous trois, quand même ce serait celle à qui l'on défère par un certain droit acquis, nous ne pourrons pas faire le bien; si impatientes d'accomplir une chose qui nous paraît bonne, nous nous hâtons de la faire sans conseil, à moins d'une urgence réelle, nous risquons de mal faire le bien; si dans le sens contraire, et par une fidélité judaïque qui ne peut manquer d'être accompagnée d-un secret dépit de l'assujettissement du Conseil, nous manquons un acte vraiment néc^s-r sair'e et pressant, malgré l'impossibilité réelle de se rejoindre et de se consulter, nous manquerons de faire le bien. Enfin si, par attache à nos droits nous nous formalisons de certaines infractions .(involontaires) à une convention, infractions faites en simplicité de coeur, par le pur amour de 1?ordre et du bien, si nous n'avons pas mutuellement une indulgence toute miséricordieuse pour les fautes que nous pourrons faire en nous trompant; si nous craignons de nous les avouer et de les réparer le plus tôt possible, n'entreprenons pas de faire le bien, car nous ne pouvons pas raisonnablement nous promettre do le faire sans tomber dans quelques manquements* Hais à Dieu ne plaise que je m'arrête à cette supposition, qui ne serait pas d'accord avec nos bons désirs et nos devoirs... Tâchons donc d'obvier, par le secours de la grâce divine, à tout ce qui pourrait mettre obstacle à l'union dans laquelle nous devons agir. Chassons de notre esprit toute prévention défavorable, qui supposerait de très notables imperfections. Combattons l'esprit de contradiction, par le renoncement et la condescendance en tout ce qui n'est pas réellement nuisible au bien de chaque chose. Opposons l'humilité, la défiance de nous-mêmes, à la tentation de soumettre les autres à nos propres idées, quoique nous ayons un certain droit. Calmons le feu du coeur, dans les occasions urgentes et ne faisons agir que celui du Coeur de Jésus en nous. Ne craignons pas, dans une vraie nécessité, de prendre sur nous une action nécessaire, pourvu qu'il soit réellement impossible d'attendre à se consulter sans nuire à ce qui périclite. Ces occasions sont rares et ne peuvent guère être abusives du côté de la volonté propre, puisque nous désirons faire seulement celle de Dieu". Ainsi étroitement unies entre elles par la charité et par la force de leurs liens religieux, celles qui se préparent à être les chevilles ouvrières d'une difficile entreprise pourront commencer avec confiance. Mais après avoir conféré entré elles, elles auront encore une période d'attente et de prière. A la fin d'une neuvaine à la Sainte Vierge, le 25 Mars I8O5, Mme de Carcado et ses deux compagnes se retrouvent au salut à l'église des Cormes. A genoux, elles redisent tout bas leur Ecce ancilla o


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Les jours suivants, toujours à l'imitation de Marie, car l'heure de l'action est venue, elles vont discrètement convier quelques-unes de leurs intimes à une première étude de l'oeuvre qui. a lieu le 19- Avril. Ce jour-1 même un petit garçon de 4 ans, du nom d'Henry, est adopté. Comme première mise de fonds, Mme de .Saisseval a déposé sur le bureau un double louis, seul héritage d'un oncle mort sur l'échafaud. Pour la suite on compte sur les trésors de la Providence. Le 23 Avril, chez Mme de Saisseval, on cause de l'entreprise aveo quelques personnes desplus. L'une d'elles est cette dame d'honneur de Mme Elisabeth qui était son intime, Mme de Raigecourt. L'idée est appréciée, une collecte de dix louis est remise entre les mains de Mme de Saisseval, Le curé de Saint Sulpice -encourage, et dès le 30 Avril 14r.de Ploirac, Vicaire général, apporte à Mme de Carcado l'approbation du Conseil de l'Archevêché. Le 4 Mai, une nouvelle assemblée a lieu chez Mme de Lastic, et cette question est examinée Î Faut-il donner des souscriptions fixes, ou bien abandonner à la Providence le soin de manifester sa volonté en ne faisant appel qu'à des dons libres. Ce second mode est préféré comme plus généreux. Ce jour-là même vit une seconde adoption, celle d'une orpheline dont la mère était morte la nuit précédente, L'Oeuvre des "Enfants délaissés" était fondée et bientôt de hautes personnalités ecclésiastiques déclareront que c'est une oeuvre "essentielle". Son fonctionnement tel qu'il a été conçu., avant d'être proposé aux assemblées, est admirablement adapté aux nécessités les plus pressantes et aux possibilités d'une oeuvre à ses débuts. Il y a là de l'ampleur et du sens pratique, de la hardiesse et de la prudence, des sollicitudes maternelles et un clair esprit d'organisation. L'oeuvre ne se borne pas à une catégorie d'enfants, elle ouvrira ses bras à tous et donc, dans toute la mesure du possible, elle les orientera de la manière la plus utile pour leur avenir. Les garçons seront placés chez des patrons chrétiens de divers états. Déjà Mae.de Carcado caresse l'espoir que, parmi eux, se révélera quelque vocation sérieuse; elle rêve des moyens de l!aider jusqu'aux portes du sanctuaire. Les filles seront confiées à des maîtresses sûres et dévouées pour apprendre un état. Mais, où qu'ils soient, les adoptés de l'oeuvre seront suivis d'une manière régulière par leurs mères aioptives. Celles-ci se divisent en dames de quartier qui se tiennent en rapports avec les patrons, de telle sorte que l'éducation se fasse par un concours étroit des volontés. Chaque dame visite ses enfants, s'assure de leur santé, de leurs besoins et veille à leur instruction religieuse. De plus, les enfants sont réunis en groupe chaque semaine pour le catéchisme. S'il arrive qu'un placement ne donne pas les résultats voulus, l'affaire est de nouveau examinée au Conseil, qui examine les mesures à prendre. Grâce à ce plan simple, complet, immédiatement réalisable, l'oeuvre a pris aussitôt son essor, D'Aix, à la fin de Juillet, le P. de Clorivière y applaudit. Il observe que si elle avait dû/entraîner la fondatrice "dans des embarras d'argent dont elle n'eut pas été maîtresse de se dégager sans nuire au prochain", il n'eut pas fallu l'entreprendre, mais que la manière de procéder adoptée écarte cet inconvénient.


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A peine cette arche de salut est-elle connue que, des divers points de la capitale, des enfants lui sont confiés. Dix-huit mois se sont à peine écoulés quand Pie VII vient à Paris à la fin de 1804 et l'Oeuvre des Enfants assistés est déjà si bien établie qu'elle peut lui être présentée et que le Souverain Pontife la loue et 1'encourage dans une lettre écrite en son nom par son secrétaire, Mgr. Sala (l). Pendant ce temps, d'autres événements sont survenus. Les fondateurs ont quitté la Provence; Mère de Cicé est revenue à Paris dès l'automne de I8O3 et Mme de Carcado lui a remis avec joie le dépôt fidèlement gardé. Elle a tout préparé rue de Mézières, elles auront encore leursappartements respectifs sous le même toit. La première Mère se plaît à faire partager toutes ses sollicitudes à sa dévouée assistante, mais celle-ci expérimente une pénitence qu'elle avoue lui être très sensible; elle ne voit plus sa chère Supérieure comme aux' premiers temps de sa vie religieuse; il faut, à deux pas d'elle, 3e priver pour que d'autres aient accès, et prendre ses responsabilités en esprit d'obéissance, sans la douceur d'un plus fréquent recours à l'obéissance. Trop courts seront aussi les noments de consolation que procure le retour du P. de Clorivière au début de 1804» A peine quatre mois, et les murs d'une prison s'élèveront entre le fondateur et ses enfants. Mais c'est à Mme de Carcado qu'il sera donné de franchir ces murs, car Melle de Cicé a décidé, dès le premier instant, qu'elle serait chargée des démarches concernant le vénérable détenu et les visites à lui faire; c'est à elle que seront confiées toutes les affaires à lui soumettre; c'est entre ses mains que les Saintes Espèces seront déposées et par elle que Notre-Seigneur lui-même visitera son ami. Deux fois par semaine, accompagnée d'une autre Pille du Coeur de Marie, elle se rend ainsi au Temple, et cela va durer plus de trois ans. Grand moyen de sanctification pour une âme en laquelle Dieu se hâte, semble-t-il, de parfaire son oeuvre. Il se fait là aussi, malgré les conditions gênantes qui entourent de telles entrevues, des échanges de pensées précieux pour la Société. De temps en temps il est question de l'Oeuvre des Enfants Délaissés, objet d'un intérêt tout paternel de la part du prisonnier. Entre les mains de sa fondatrice, et avec les concours qu'elle a su lui assurer, l'oeuvre progresse, et quant au nombre des enfants et quant aux résultats obtenus. Par sa parole entraînante et plus encore par ses exemples de zèle et d'abnégation, Mme de Carcado a su former ses collaboratrices. Les conseils qu'elle leur donnait quelquefois par écrit conviennent à toutes ôelles dont la mission est de s'occuper des autres, qu'il s'agisse de jeunes filles ou même d'âmes religieuses. Si ces avis n'ont plus la chaleur et la vie qu'elle leur infusait, ils restent néanmoins d'une utilité constante. La première chose qu'elle recommande, avant de conduire, même un enfant, c'est d'apprendre à se gouverner soi-même, à être en possession des mouvements de son âme. "La jeunesse, dit-elle, est pleine de mobilité sans doute i Mais nous-mêmes n'avons-nous pas des contradictions extraordinaires dans nos manières de penser et de sentir, de vouloir et d'agir ? Tâchons d'abord d'affermir nos âmes dans un certain aplomb, et il ne se trouve qu'en Dieu. Plus nous mortifierons en nous la nature, plus nous éviterons de décider et d'agir par l'impression du moment, plus nous ferons du bien.


- 14 Mais si, ncrus livrant à chaque chose qui nous affecte, nous laissons cette affection nous émouvoir trop sensiblement, soit par le mécontentement;, soit par le contentement, nous nous laisserons alternativement prévenir ou aveugler. Il faut nous exercer à'un calme doux et ferme, et surtout le demander à Dieu. Il faut nous accoutumer à résister aux impressions, de quelque genre qu'elles soient, que produisent en nous les variations dans la conduite des autres; et ne garder, autant que possible, ni l'humeur qui ne se manifeste jamais sans inconvénient, ni l'impatience qui rend déraisonnable, ni aucune émotion trop vive, môme agréable". Il faudra, en se comportant ainsi, "devenir comme des colonnes capables de servir d'appui et de ne pas osciller avec ceux qu'elles doivent soutenir. C'est le caractère de l'homme intérieur que cette immutabilité humaine qu'il s'agit d'obtenir de Dieu. Corne nous n'en sommes guère capables, il faut sans cesse la puiser de nouveau*à la véritable source". "Ceci nous conduira tout suavement à une chose bien importante, qui est de ne pas nous laisiser séduire ou tromper par les témoignages intimes de confiance". Les enfants eux-mêmes, remarque ici notre religieuse éducatrice, "sont ordinairement très habiles à saisir nos faibles et à en profiter. Si nous nous livrons à un trop tendre intérêt, ou au contraire à une certaine raideur de principes, ou encore à une crédulité paresseuse qui juge sans regarder d'assez près, nous sommes exposées à ne pas accomplir ce que Dieu veut de nous, du moins dans ces moments-là, car je ne suppose pas ces inconvénients permanents en nous, Dieu nous en garde l S'il faut nous préserver de toute séduction, il faut aussi nous garder de trop nous fâcher quand on nous aura trompées,- ou qu'on n'aura pas tenu ce qu'on nous avait promis dans l'effusion d'un coeur touché» Quant aux ruses, aux mensonges, aux histoires, défions-nous en beaucoup. Ces défauts méritent toute humiliation". - "Soyons en' garde contre l'impression que fait à une jeune personne le plaisir d'être écoutée. Nous sommes, vous et moi, très susceptibles de nous laisser gagner par la confidence d'une peine, et de l'augmenter par notre considération au lieu de la guérir. Il ne faut pas, certes, une raideur qui rebute, mais une manière moins tendre est parfois plus salutaire". "Les grands instituteurs d'Ordres savent bien ce qu'ils font quand ils combattent les affections particulières; c'est qu'il est bien vrai que quelque pures qu'elles soient, Dieu n'est pas toujours entre deux. Si nous n'avons pas bien soin de l'appeler entre la jeunesse que nous aimons et nous dans le moment où elle nous ouvre son coeur, si nous ne renonçons pas intérieurement à la satisfaction personnelle que nous cause son affection, pour la porter tout entière entre les mains de Dieu, notre travail ne tiendra pas"... - Même avec les soins les plus sages, il faudra s'attendre encore à des déceptions, "à des fragilités parfois déconcertoB-tes, et il no serait pas sage d'en perdre la paix. Pour le bien de notre âme.comme pour le bien de celles que nous conduisons, il faut prendre tous les moyens de conserver cette paix.. Si on ne peut empêcher les orages, tâcher qu'ils durent le moins possible". Dans ses pensées, Mme de Carca&o ne sépare jamais l'oeuvre dont elle est chargée de ce qui lui est plus cher encore, le service de la Société» C'est ainsi'qu'elle esquisse un projet qui ne pourra s'exécuter aussitôt;, mais dont les lignes principales tracent déjà le plan d'une maison commun''-:


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Elle prévoit d'un côté, qu'elle appelle "le-côté régulier"les. appartements de la Supérieure et de deux ou trois autres, et le lieu des assemblées, le tout en communication avec la chapelle; et d'un autre côté, "le côté social"} sous la conduite de quelques amies, les pupilles de l'oeuvre qui, par suite d'infirmités, ne peuvent être placées en apprentissage externe. "Ce projet plaît à Joséphine" dit la lettre qui en parle. Joséphine c'est le P. de Clorivière alors captif. De. son côté, lui-même écrit qu'il "approuve beaucoup et qix' il loue" les pensées qui lui ont été exposées au sujet d'une maison commune et qu'il sera bon de les nourrir entre soi". Madame de Carcado aura sagement conçu l'organisation, mais elle n'aura point à la réaliser, il y manque d'assez vastes locaux, il y manque dos fonds. Et puis ne fallait-il pas que la vie de la Société se développât encore, sous la forme qui lui est propre, afin que cette forme se dessinât très nettement, et qu'on vit d'autant mieux combien elle peut être sainte et féconde en fruits apostoliques. Celle qui en était un émouvant exemple savait la faire comprendre à d'autres, ses paroles et ses lettres avaient l'accent chaud et convaincu d'un coeur ardent qui connaît ce que coûte, mais aussi ce que vaut l'enjeu du combat. "Notre Société, écrit-elle, e,st un corps spirituel qui n'a aucune existence sensible, mais nous sommes cohérentes à tout, excepté au péché. Chacun des membres a sa fonction.. Les unes sont, par état et par dispositions naturelles, appliquées aux oeuvres de la vie active, les autres à celles de la vie contemplative,. Il nous faut dOs Moïse qui .prient, tandis que les Josué combattent"... Mais il faut à toutes l'esprit .d'oraison car "c'est l'esprit d'oraison, assaisonné de l'accomplissement du devoir social, qui forme le grand oeuvre de l'esprit chrétien". Quelle énergie dans ces lignes sur ce don complet d'une Pille du Coeur de Marie. "L'obéissance doit disposer d'elle en tout. Rien n'est difficile à l'obéissant. Exemples d'Abraham, de St Joseph» Savoir exécuter les choses les plus pénibles. Ainsi de trente Filles du Coeur de Marie qui seraient libres, si on leur disait : La peste est dans tel pays, que six d'entre vous partent, elles mourront, six autres les remplaceront, il faudrait y aller. Après votre consécration et surtout les voeux, vous avea dû tout sacrifier, votre santé, vos biens, votre volonté". A côté de cette totale générosité dans le don, voici la mesure qu'il faudra mettre'dans l'action s "Ne nous livrons à aucune occupation de charité d'une manière impétueuse. Si Dieu vous accorde des consolations sachez y puiser la paix, on n'en saurait trop obtenir. Ce que je vous demande pour les assemblées de charité, c'est de no point parler par impatience, de vous recueillir en Dieu avant d'exprimer votre pensée, de ne jamais arriver aux séances avec une provision de déplaisances concentrées qui, après être restées longtemps renfermées, s'échappent avec inconvénient. Lorsque, au sein d'une multitude d'occupations, on ne sait pas se ménager des moments de recueillement et d'oraison, tout se trouble, se culbute. C'est une fièvre de devoirs qui tourne au délire. Il vaut mieux que certaines choses ne soient pas faites que de perdre la paix". Et de quelle manière faudra-t-il envisager les événements, les difficultés au milieu desquels on dSit se mouvoir ? "Je ne suis point aussi ennemie, déclare Mme de Carcado, de l'inconvénient de se flatter à tort que de celui de se peiner d'avance. L'un peut venir de la miséricorde de


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- 16 Dieu, l'autre non; c'est anticiper sur l'avenir qui n'appartient qu'à Dieu. Je fais la guerre à l'imagination qui tourmente, je suis plus indulgente pour celle qui rassure. Mais le mieux c;est de ne pas se nourrir d'espérances chimériques qui empêchent de donner aux sacrifices nécessaires leur étendue et leur mérite, comme de ne pas augmenter la somme des peines envoyées de Dieu par des ajoutés qui les rendent quelquefois insupportables. Qu'une résolution courageuse de ne rien refuser à Dieu nous élance dans son coeur et nous y absorbe, avec tout ce que nous souffrons, tout ce que nous aimons, sans réfléchir davantage sur les causes et les conséquences". Lorsque les conseils pénètrent jusqu'à l'intime, il s'y révèle un coeur qui est à la fois délicatement humain et fortement surnaturel, qui a le talent d'entrer dans les sentiments,1 les peines,-les pensées, pour consoler et au besoin redresser. On sent palpiter encore des impressions qui ont été personnellement éprouvées, on s'aperçoit que le conseil donné a été d'abord expérimenté par celle qui le donne. C'est vécu, c'est convaincant. Une âme qui sent vivement le poids de sa misère recevra ces lignes.: "Dieu a sûremaat des vues d'une miséricorde infinie et en aura toujours, pourvu que nous voulions être à Lui sans réserve malgré nos fragilités et même nos plus grandes fautes. Songeons que chacune de nos souffrances les expie déjà et que dans la mer des amertumes'se trouve une mer de grâces". Et ailleurs : "Ahl que Dieu fait bien toutes choses ! et malgré les pesantes croix, les profondes blessures que nous ménage sa Sagesse, sa Bonté nous secourt si bien quand nous sommes près de succomber!.. Eut-on pris plaisir à fabriquer soi-même le glaive qui blesse, c'est assez qu'on soit blessé pour que Dieu regarde avec une tendresse de mère. Et si on lui tend les bras, il est vaincu, il n'a plus que de l'huile, du vin et du baume pour les plaies anciennes et nouvelles"... ■ A une soeur accablée tout à la fois par la maladie et par des afflictions très sensibles, sa maternelle correspondante parle d'abord des grands desseins que Dieu a sur elle puisqu'- il l'éprouve ainsi, mais sachant bien à quel point l'âme peut être tentée dans la tribulation, elle a soin de dire ; "Ne vous étonnez pas si vous éprouvez des sentiments qui semblent d'autant plus éloignés de la sainteté, qu'ils avoisinent le dépit et le ^découragement. J'espère par la bonté de Dieu que vous ne vous y arrêterez pas et qu'ils vous seront méritoires. J'entends louer votre patience et j'en remercie Dieu. Aimons sa volonté, qui est tout amour pour nous. Soyez sûre qu'elle vous tient captive dans la souffrance pour sa plus grande gloire et dans la suite vous retirerez de ces épreuves les plus rares avantages... Mais le présent est très pénible, je le vois des yeux de mon coeur et j'ai peine à le supporter. Quand Dieu exerce une âme pour l'élever singulièrement à Lui, Il réunit toutes les circonstances qui peuvent le mieux avancer son dessein , Il sait si bien nous dédommager2 "... La note du parfait abandon revient souvent, elle domine par préférences "Il faut dire : 0 Altitudo ! en voyant ce que la Providence opère par les. voies en apparence les plus opposées au bien tel qu'on l'a conçu. Tout nous apprend à courber la tête, à céder de coeur à toute volonté de Dieu, avec un tendre et confiant amour. Je vous souhaite un coeur tout à' Dieu, sans nulle réserve. Mettez vos soins.à détruire tout ce qui s'interposerait entre Lui et vous, ne fut-ce qu'une paille. Que son amour consume tout."...


- 17 Il n'est pas surprenant que l'influence de Mme de Carcado sur les âmes s'étendit au delà des limites do la Sociétéo Mme de Saisseval nous apprend que des femmes du monde recouraient à elle, de vive voix et par écrit pour leur vie spirituelle et en recevaient une aide aussi discrète qu'efficace. On sait qu'elle a l'expérience du monde et qu!elle est morte au monde, qu'elle a pleuré amèrement et toujours gardé un ressort moral magnifique, qu'enfin des vertus comme les siennes ne s'expliquent pas sans un principe intérieur profonde. De là cette confiance amenant vers elle une petite élite de ses anciennes connaissances ou bien des dames qui s'intéressent aux "Enfants Délaissés". Par cette oeuvre où elle n'avait songé qu'à évangéliser les pauvres, la fondatrice atteignit ainsi le milieu de leurs mères adoptives. Mais si des sympathies et des dévouements effectifs étaient vernis, dès la première heure, apporter à l'oeuvre l'appui nécessaire, il ne devait pas lui manquer les oppositions, môme vives et tenaces, et bien entendu, celles-ci avaient pour principale cible Mme de Carcado elle-même. D'ailleurs elle avait soin d'être la première sur la brèche quand il s'agissait d2affronter les difficultés de toutes sortes. Mais ici nous laisserons parler l:Abbé Legris-Duval, car ce prêtre de haute vertu et de grand talent est un témoin incomparable, et 1'-éloge qu?il prononce un an après la mort de Mme de Carcado s'adresse à ces membres de l'Oeuvre qui ont vu, et souvent de près, ce qu'il a vu .lui-même. Il rappelle dans quelle pure charité la fondatrice a puisé l'inspiration du début, et quel abandon à la conduite de Dieu lui a donné le courage de persévérer, et la citant elle-même, il poursuit s "Si c'est son oeuvre, disait-elle, il saura la faire réussir» On observait qu'elle n'était jamais plus tranquille que quand les ressources semblaient lui manquer; moins elle voyait de l'homme dans son entreprise, plus elle croyait y voir Dieu; et voir Dieu dans ce qu'elle faisait c'était tout pour elle. Lui annonçait-on qu'il ne fallait plus- compter sur les secours qu'elle avait attendus, elle répondait : "J'aime à voir notre foi s'exercer Notre oeuvre a pour base la confiance en Dieu"; et elle allait remercier Dieu de cette épreuve. On s'étonnait quelquefois qu'elle ait réussi sans moyens. Mesdames, voilà ses moyens i telles sont les prières et les dispositions qui triomphent du Coeur de Dieu et lui arrachent toutes ses grâces. Ce n'était pas pourtant ici cette confiance d'enthousiasme qui néglige les moyens humains et attend des miracles; selon la maxime des saints, elle comptait sur Dieu comme si elle n'eut point agi et elle agissait comme si elle n;avait pas dû compter sur Dieu; seulement elle le faisait avec tranquillité d'esprit. On ne fait rien de bon que dans le calme, disait-elle, et en demandant à Dieu de ne pas se tromper» A la prière, à la modération, elle joignait un autre moyen non moins nécessaire pour réussir dans les bonnes oeuvres : moyen que l'on doit regarder comme l'âme, la vie, le principe premier de tout bien et la dernière raison de tout succès solide; moyen trop négligé quelquefois, parce qu'il est plus difficile et plus rare que l'intrépidité naturelle du courage, que l'élévation des sentiments, que l'activité du caractère : ce moyen c'est la pratique constante et infatigable des vertus; elle a consigné par écrit quelques observations sur les moyens de soutenir son


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oeuvre; on n'y voit rien sur ls. conduite à tenir pour se procurer des . secours ou se faire des amis5 tout y est consacré aux vertus chrétiennes. Cette entreprise désormais consacrée par la reconnaissance publique reste sans aucun fondement; au bout de quelque s mois il faut recommencer à demander, à prier, à espérer et même à craindre; en sorte qu'il y a ici doux grâces dont il faut remercier la Providence s l?une que les secours nécessaires n'aient jamais manqué, quoique n'ayant nulle garantie, comme si le Ciel voulait consoler la foi et justifier la confiance en lui payant ce tribut éventuel avec la plus étonnante régularité; l'autre , que le zèle des anges de la charité ne se soit jamais découragé de tant d'incertitudes. Il fallait à une telle oeuvre la passion du bien dans toute son énergie il fallait se priver, persévérer dans les courses, les fatigues, les sollicitations. Vous savez si Madame de Carcado se refusa jamais à des démarches humiliantes. Ne semblait-elle pas, au contraire, envisager les rebuts comme sa récompense personnelle ? Elle les disputait aux compagnes de son zèle avec une sorte d'empire; et laissant aux autres l'estime, la considération et les éloges, elle ne souffrait pas que l'on partageât avec elle cette portion pénible et amère qu'elle s'était résox-vée dans l'entreprise et que son humilité regardait o arrime inestimable. Loin d'elle surtout, infiniment loin de son âme si éclairée,- si pure, cette recherche de soi-même qui se glisse trop souvent dans les oeuvres les plus saintes. Le zèle alors n'est plus que l'amour-propre devenu propriétaire dans le domaine de la charité; il semble qu'il n'existe au monde qu'un seul bien à faire, celui auquel on a attaché son nom et dévoué ses travaux; en vain l'humanité souffre, l'enfance gémit, l'Eglise réclame; la charité exclusive ne s'en met point en peine; elle a son objet, le reste n'existe pas pour elle. Dans cette route où elle marchait à travers les peines et les obstacles de tout genre, il se présentait quelquefois un établissement nouveau, dont la concurrence semblait devoir lui nuire; loin de se plaindre que l'on voulût ou l'embarrasser ou l'arrêter, elle s'oubliait, elle et les siens, elle encourageait sincèrement, elle se hâtait d'offrir son appui, ou tout au moins ses prières, toujours assurées à quiconque se dévouait pour le bien général. Lorsqu'elle et ses compagnes priaient pour ces enfants auxquels elle avait dévoué sa vie, il était invariablement arrêté que l' on prierait en même temps pour le succès de.toutes les autres bonnes oeuvres. 0 pureté de la charité, parfait dévouement de l'âme chrétienne qui n'ose presque nommer à Dieu le bien au.'elle fait, loin de s'en exagérer la valeur, et consent à se consumer dans les travaux, sans autre récompense que de le voir glorifier par les autres." "Le dévouement qui portait Madame de Carcado à s'occuper jusque dans les détails, de tout ce qui concernait les pupilles de l'Oeuvre, la mettait encore au service de tous les genres de détresses qui s'adressaien à elle. "Quelles que fussent ses occupations, sa porte était toujours ouverte aux malheureux, jamais elle no paraissait importunée du récit de leurs misères.. Pour elle, elle s'accordait à peine le nécessaire. Ses meubles, ses habits mêmes disparaissaient insensiblement, et son dénuement trahissait enfin sa charité... Je n'en citerai qu'tin seul trait : Le respectable curé de Saint-Sulpice fonda des Ecoles Chrétiennes et fit appel à la charité. Madame de Carcado venait de fonder son établissement


- 19 elle était loin d'avoir rien à donner; mis elle vient à songer qu'elle porte un double vêtement, et la rigueur du froid le lui rendait trop nécessaire; elle s'en dépouille, elle 1;envoie et répond à ses amis que le devoir de paroissienne devait l'emporter sur les engagement s qu'elle s'était imposés volontairement". Il n'est pas besoin de souligner combien cet éloge de la femme d'oeuvres est en môme temps celui 'de la Pille, du Coeur de Marie et des vertus propres à sa vocation. Ajoutons que, se tenant dégagée do ce qu'elle avait commencé et disponible entre les mains de l'obéissance, Madame de Carcado avait eu soin d'associer Madame de Saisseval à toute son action pour l'Oeuvre'des Enfants Délaissés, de telle sorte qu'elle pourrait la lui abandonner entièrement. Il semblait cependant qu'il y fut encore nécessaire. Bien plus, l'avenir même de la Société paraissait reposer sur elle, qui seule ne s'en apercevait pas. Et Dieu allait demander le sacrifice de toutes les espérances, en appelant à Lui la généreuse ouvrière alors que la moisson mûrissait à peine. Dans le3 premiers jours de janvier 1808, par un froid excessif, Madame de Carcado fit sa visite accoutumée au Temple, portant une fois encore au prisonnier la Sainte Eucharistie. Ce fut le dernier acte de sa mission ici-bas. Le lendemain, une pneumonie était déclarée. Mère de Cicé vint entourer de ses soins sa chère Assistante, Madame de Saisseval. accourut et dut aller acheter du linge?, telle était la pauvreté à laquelle Madame de Carcado s'était réduite. Une garde fut appelée pour veiller mais le fit si mal que, au matin, la malade l'avoua. Ensuite elle se reprocha cet aveu comme une plainte, et la soi-disant professionnelle ayant été écartée, elle demanda qu'on fit venir prè3 d'elle une de ses protégées. Ce fut alors qu'on vit à son chevet cette pauvre femme, avec ses deux petits enfants couchés dans un coin de la chambre. L'abandon, sa vertu de choix, brilla plus que jamais alors dans cette âme dont l'ardeur paraissait comme fondue en une tranquille et lumineuse union à la Volonté divine. Toute livrée à l'obéissance jusque dans les détails de sa maladie, elle restait aussi toute livrée au choix de Dieu entre la vie et la mort. Madame de Saisseval la pressant de se joindre aux prières que de tous côtés on faisait pour son rétablissement, elle répondit simplement : "Dieu n'a besoin de personne". Dans ces dispositions, qu'elle-même avait appelées "le noviciat de l'éternité bienheureuse", elle s'éteignit entre le s.bras de Mère de Cicé le 25 Janvier 1808. "Vous vous rappelez, dira l'année suivante Mr Legris-Duval, quelle fut la consternation des gens de bien et de tous les amis des pauvres quand la nouvelle de cette mort retentit dans la capitale. On vit alors commencer cette justice éclatante qui, faisant taire toutes les passions et tous les préjugés, a déjà rangé le nom de Madame de Carcado parmi ceux des bienfaiteurs de l'humanité... C'est au moment où l'on eut le malheur de la perdre que l'on parut sentir plus vivement, évaluer avec plus de reconnaissance tout co que l'on devait à ses soins et à ses vertus...." Il n'y aurait rien à ajouter après un tel éloge s'il ne fallait écouter aussi le témoignage du P. de Clorivière. Sa douleur fut grande et, malgré


- 20 sa pleine soumission au vouloir divin, la lettre qu'il écrivit aussitôt, en vue do consoler ses filles, ne cache pas combien lui-même a besoin des consolations de la foin II les trouve dans le souvenir de celle qui vient de .disparaître. "Sa vie, dit-il, depuis sa conversion, n'a plus été qu'un tissu d'oeuvres saintes et héroïques"... (2) Et après avoir rappelé ses progrès à partir de son entrée dans la vie religieuse, il continue : "Son zèle.pour la gloire de Dieu, pour le salut des âmes., pour le bien de la Société, .lui faisait opérer ce qui était humainement au-dessus de ses forces... Patience, douceur, humilité, elle portait toutes les vertus à un très haut degré. Sa foi était admirable, son espérance dans la Miséricorde divine n'avait pas de bornes, son coeur n'était que charité pour Pieu et pour le prochain... Elle comptait sur Dieu et Dieu venait à son secours, souvent d'une manière comme miraculeuse". Le Père se plaît encore à parler de sa dévotion au Sacré-Coeur, de son amour filial pour la Sainte Vierge, et enfin son dernier mot est celui de la suprême et perdurable consolation Î "Cette âme si sainte" qui avait été donnée à la Société lui appartient toujours près de Dieu*


- 21 (l)

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"Les touchantes expressions cle votre pieté et de votre charité, disait le Bref, ont attendri le Père commun des fidèles» Il voit avec satisfaction votre belle oeuvre prospérer» Il espère que votre zèle, en donnant v au monde un rare exemple, procurera des biens solides à la religion. Sa Sainteté vous exhorte à soutenir courageusement ce que vous avez si bien commencé pour la bonne instruction des enfants et Elle accorde à leurs mères adoptivos sa bénédiction apostolique". (Bref de S ...Se Pie VII écrit par son Secrétaire Mgr Sala).

(2)

- Lettre du Père de Clorivière à Mellc de Cicé - 29 Janvier 1803 siir la mort de Mme Adélaïde de Malézieux, Comtesse de Carcado, décédée le 25 . Janvier I8O85 elle naquit en 1755"Mon premier soin doit être de vous consoler, et dans vous, toute la famille désolée; mais comment le ferai-je, étant moi-môme dans la désolation?. J'ai supporté le coup ce me semble avec une grande résignation quoique peu attendu; mais il est des peines qui se font ressentir davantage plus tard, lorsqu:on en a considéré à loisir les tristes effets, et celle que nous ressentons est do ce genre.» Je juge de votre douleur par la mienne et je la crois encore plus grande, parce que votre coeur est plus sensible et que l'objet est sous vos yeuxo J5essaierai donc de vous dire quelques mots de consolation; le souvenir de celle que nous pleurons nous en offre un grand motif» "Vous connaisses ses vertus et vous les avez souvent admirées. Depuis qu'elle s'est entièrement adonnée au Soigneur, sa vie n?a jjlus été qu'un tissu d'oeuvres saintes et héroïques. Le jour de sa mort, jour de la conversion de St Paul, me rappelle la générosité de sa conversion. Elle a dit comme 13Apôtre s "Seigneur, que voulez-vous que je fasse?" Et elle a été fidèle à ce premier sentiment*. Elle n'a plus vécu pour elle-même, elle a été toute à Dieu et au prochain. Que n:a-t-eile pas fait dans les jours nébuleux de la Révolution! Après avoir tout perdu, réduite presque à l'indigence, sans ressources, chargée de plusieurs neveux et nièces, elle a mis son bonheur dans la Croix,-, Sa paix et sa confiance n^nt pas été ébranlées par los secousses les plus violentes et les plus continuelle elle a espéré en Dieu et Dieu est venu souvent d'une manièi"e comme miraculeuse à son secours, mais sans 1'ôter jamais de cet état de misère et de gêne dont elle faisait un si bon usage, ce qui ne 1!empêchait pas de secourir une infinité de personnes et de procurer en bien des manières la gloire de Dieu. "Ses progrès dans la perfection ont été encore plus sensibles depuis qu'elle a été elle-même soumise à l'obéissance dans la Société du Coeur de Marie. Elle s'est alors dépouillée de ce qu'une imagination féconde on projets pour la gloire de Dieu avait de trop vif. Elle n-a plus eu d'autres volontés que celle de ses Supérieurs qu'elle aimait tendrement et pour lesquels elle avait le plus profond respect, parce qu'elle ne voyait en 0Ù2. • que Dieu même; elle se laissait conduire comme un enfant. Son zèle pour la gloire de Dieu, pour le salut des âmes, pour le bien de la Société lui faisait faire continuellement peur Dieu ce qui était


naturellement au-dessus de ses forces» Sa santé, son repos, ses besoins, ses propres affaires, elle comptait tout cela pour rien dès qùril s-agissait du service de Dieu et du bien des âmes.. Je n'ai pas à vous parler de ses autres vertus, de sa patience, de sa douceur, de son humilité, elle les portait toutes à un très haut degrés Sa foi était admirable, son espérance dans la miséricorde n'avait point de bornes, son coeur n'était que charité pour Dieu et le prochain, et cette charité se montrait dans toutes ses actions„ Vous connaissez combien sa dévotion était tendre pour le Coeur de Jésus, pour la Très Sainte Vierge, et avec quel épanchomont de coeur elle x^arlait de toutes ces choses et de tout ce qui regardai la perfection» "Jo n;ai rien à vous dire de l'Oeuvre qu'on peut appeler miraculeuse de la Jeunesse délaissée. Que de misères soulagées, que dè familles secourues, que de jeunes personnes mises en état de gagner honnêtement leur vie, et surtout que d'âmes arrachées des griffes du Dragon, retirées de l'abîme du vice, instruites de leur religion, formées à la pratique de toutes les vertus chrétiennes* Cette oeuvre, vous le savez, elle en a été l'exécutrice, d-après les lumières qu'elle en avait reçues du Seigneur, elle l'a commencée avec rien, elle en a été 1-institutrice, la principale directrice, le plus ferme soutien avec quelques autres dames dont la piété est venue à son secours» Quand nous pourrions ignorer ces choses, la désolation publique suffirait assez pour nous en instruire,. Quelles multitude de bonnes oeuvres renfermées dans ceile-la et toutes ces oeuvres ont été couronnées par la mort la plus édifiante,, Qu'il est doux, qu'il est consolant d'avoir à reposer ses yeux sur un pareil spectacle, sur une vie si sainte I Quel nouveau sujet de consolation ne nous fournit-elle pas, quand nous faisons réflexion à l:état de cette âme, à la grande récompense qui lui est réservée dans le ciel, si elle n'en jouit pas encore, nous avons sujet de l'espérer; mais comme nous n'en sommes pas pleinement sûrs* faisons tout ce qui dépend de nous pour hâter son bonheur» La mort de Madame de Carcado vous a privée d'un grand soutien et d'une'fervente coopératrices cette perte et celle que fait la Société pourrait paraître humainement irréparable. Dieu tire le bien du mal. Il se plaît à faire voir qu'il n'a besoin de personne pour soutenir ses oeuvres; il lui a plu de nous ôter un secours qu'il nous avait donné dans sa miséricorde, il saura bien nous en donner un outre dans sa sagesse. Mettons en lui notre confiance, ayons recours à notre grande Protectrice, la Sainte Vierge» La Sainte âme que nous avons perdue nous aidera de sa protection auprès d-Elle»


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