Cicé avec médaillon

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MARIE-ADÉLÂÏDE DE CICÉ


MARIE-ADÉLAÏDE DE CICÉ 1749-1818 Adélaïde de Cicé naît à Rennes le 5 Novembre 1749. Milieu familial, éducation, circonstances de son enfance la préparent à correspondre aux desseins de Dieu sur elle. Etrange destin que celui de cette douzième enfant d'une noble famille de Bretagne qui au temps de la Révolution sera fondatrice d'une forme nouvelle de vie religieuse dans l'Église. Deux attraits marquent très tôt son âme : un profond amour de Notre-Seigneur et un ardent désir de Le servir dans ses pauvres. Lors de son procès en 1801, les nombreux et touchants témoignages de ceux qu'elle a assistés font de son acquittement un triomphe. Du Père de Clorivière, elle apprend à chercher la volonté de Dieu dans la prière, à y puiser la force de l'accomplir. Elle conçoit et fonde une forme audacieuse de vie religieuse à base d'oraison et d'abnégation, permettant une efficace pénétration apostolique dans tous les milieux. Elle forme et soutient par ses leçons et ses conseils les âmes que Dieu appelle à ce même idéal de contemplation dans l'action. Elle ouvre ainsi la voie des traditions de sainteté que la Société des Filles du Cœur de Marie considère comme un précieux héritage à conserver et à accroître. Elle meurt devant le Saint Sacrement le 26 Avril 1818.

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BELZEAUX




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MARIE-ADELAÏDE CHAMPION DE CICÊ 1749-1818


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NIHIL OBSTAT, PARIS LE 14 IANVIER 1961, M. DE BAZELAIRE, S. J. IMPRIMATUR,

PARIS LE 17 IANVIER 1961, J. HOTTOT, V. G.


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PRÉFACE

L,a vie de Mlle de Cicé, Fondatrice de la Société des Filles du Sacré-Cœur de Marie, a été à plusieurs reprises racontée par des Maîtres de l'histoire de la spiritualité française. Il suffit de rappeler la Vie écrite par Mgr Baunard où l'ampleur de l'information va de pair avec l'amour du sujet. Toutefois, un exposé succinct renfermant l'essentiel de ce qui regarde cette femme extraordinaire, et mettant ainsi à la portée de tous, même de ceux qui, absorbés par le travail quotidien, n'ont pas le temps de lire des ouvrages plus complets, était

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Marie-Adélaïde de Cicé désirable. Tel est, d'ailleurs, le goût de notre temps. On préfère les livres simples, sans rhétorique, qui vont droit à leur but sans trop de digressions. La Vie qui paraît aujourd'hui possède toutes ces belles qualités. Dans un style dépouillé mais clair et saisissant, elle donne au lecteur une connaissance parfaite de Mlle de Cicé et de son temps. Époque difficile, si jamais il y en eût, et qui rappelle les conditions de vie où se trouvent les catholiques en certains pays depuis quelques dizaines d'années. Mlle de Cicé naquit en 1749 d'une famille riche en vertu et en honneur. A l'ombre de la Visitation de bennes elle se prépara, vers l'âge de dix ans, à sa première Communion. L'on est étonné de son sérieux et du plan de vie qu'elle se trace à cette occasion. Plus tard à vingt ans elle entre au Noviciat de cette Visitation. Mais Dieu l'avait destinée à un autre genre de vie dont St François de Sales lui-même avait rêvé mais qu'il n'avait pu réaliser : l'union de la vie d'oraison avec la vie active. St Vincent de Paul, plus heureux que lui, fonde, sous forme de Société de vie commune, la Petite Compagnie des Filles de la Charité. Ici Mlle de Cicé sera dirigée par l'action du Saint-Esprit et sous la conduite d'un directeur providentiel, vers un genre de vie plus spécial encore puisque ses filles auront à vivre en pleine pâte, dans le monde. Ce directeur, dont l'étonnante figure apparaît au milieu des convulsions de la dévolution française comme un signe certain d'espérance, n'est autre que le Père de Clorivière S.J. Guidé par l'idée que seule la sainteté des âmes d'élite, consacrées totalement au Seigneur, pouvait sauver et régénérer le monde, il avait décidé de réunir en Société de vie parfaite les prêtres IO


Préface diocésains sous le titre : « Prêtres du Cœur de Jésus ». Presque en même temps et par une illumination intérieure, il songe à une Association de femmes dont la note caractéristique sera une vie apostolique profonde jointe à une vie d'union intime avec Notre-Seigneur. Un tel plan, rédigé en 1790, concordait avec le projet dont Mlle de Cicé l'avait entretenu au cours des années précédentes. Ainsi naquit la Société des Filles du Sacré-Cœur de Marie. « Fa Société de Marie — disait le Père — doit être une pépinière de vierges et de martyres qui préféreront verser leur sang et souffrir toutes sortes d'affronts et de tourments plutôt que de rien faire contre l'honneur de Jésus et de sa Très Sainte Mère ». Programme ardu mais digne de l'envergure spirituelle de Mlle de Cicé et du %èle inlassable des premières compagnes qui devaient l'aider, en pleine tourmente, à les mettre en pratique. En attendant l'arbre majestueux, riche en fleurs de toute sorte, que deviendra cette Société, la première semence est jetée à pleines mains dans le monde. Ainsi les premiers chrétiens, dans le silence des catacombes et la violence de la persécution, préparaient l'essor merveilleux d'un triomphe sans égal sur le paganisme des idées et des mœurs.

* ** On lit dans l'Évangile : « ex fructibus eorum cognoscetis eos » ( Matt. c-y, 16) ; on connaît l'arbre à ses fruits. Les fruits sont là, ils doivent nous aider à tracer de Mlle de Cicé un portrait qui ne soit pas trop éloigné de la réalité. Quelles vertus fleurirent, dès sa première jeunesse en son âme et laquelle il


Marie-Adélaïde de Cicé dans la suite parut dominer en elle ? Esprit d'oraison, d'obéissance, d'amour envers Dieu et envers les pauvres, une pureté angélique, sont certes la parure qui la rend très chère à tous ceux qui l'approchent. Elle est, cependant, d'une nature très sensible, prompte à douter d'elle-même, elle a des alternances d'espoir et de découragement. Mais la grâce de Dieu travaillant son âme généreuse, elle s'abandonne à son bon vouloir et bientôt nous la trouverons complètement changée. L'esprit de force, qui est l'un des dons les plus précieux de l'Esprit-Saint, se répand en elle qui sera ainsi transformée en une femme aux décisions rapides, à l'action profonde et multiple. Pleine de courage, Mlle de Cicé, sur le conseil du Père de Clorivière, se rend à Paris déjà en période révolutionnaire. Des difficultés et des dangers de toute sorte l'attendent. Elle n'en est pas pour autant effrayée et, en 1792, prononce ses vaux dans la Société. Plus tard en tant que personne suspecte et parente d'émigrés, elle sera arrêtée et écrouêe, trois semaines durant, au Dépôt des prévenues. Mais là où se manifestèrent sa fermeté et son courage inébranlable ce fut au cours du procès qui suivit l'attentat contre Napoléon, en fin décembre 1800. Mlle de Cicé, au prix de sa vie, se refuse, malgré les longues et pressantes insistances des juges, à révéler le nom de la personne qui innocemment lui avait recommandé de recevoir Carbon. C'est vraiment un spectacle splendide de voir cette femme si fragile et si sensible devenue une héroïne de force et de charité. Rien d'étonnant si, le jour même où Mlle de Cicé était arrêtée, le 19 janvier 1801, le Saint Père Pie VII déclarait aux envoyés du Père de Clorivière que le projet de la Société était bon et utile à l'Église. C'était la réponse du Ciel à la confiance totale 12


Préface et inébranlable que sa servante, même au milieu des plus graves périls, avait mise en lui.

* Qui ne se rappelle le célèbre passage des Confessions de St Augustin où il parle d'une voix d'enfant qui se fit entendre à lui dans le jardin de la maison où il habitait à Milan : « Toile lege, toile lege »? Prends et lis! (Conf. 8.12.29). On connaît la suite. La valeur d'un livre, les effets salutaires qu'il peut produire dans les âmes, les sentiments et les bonnes résolutions dont il peut être la source ne se mesurent pas au nombre de ses pages. Tin cette brève biographie se manifestent la candeur d'une âme exquise, ses luttes et ses épreuves pour monter au sommet de la sainteté, son inépuisable charité envers toutes les misères d'icibas, un amour parfait du Christ et de sa Sainte Mère. Qui pourrait ne pas tirer profit de la lecture d'un tel ouvrage destiné, en cette période tragique, à ranimer le courage, à stimuler les efforts, à faire toucher du doigt les moyens ou les armes grâce auxquels l'Église est sortie victorieuse de ses ennemis? Quelques lettres, parmi les plus belles, échangées entre le Père de Clorivière et Mlle de Cicé qui complètent l'ouvrage sont, elles aussi, très instructives à cet égard. Ces deux âmes d'élite avaient pris la décision de travailler contre l'impiété grandissante de leur temps, non pas en se mêlant aux querelles de ce monde ni à ses agitations, mais en regardant toutes choses « du même ail que les voient les Anges » et en faisant refleurir la vie religieuse. 13


Marie-Adélaïde de Cicé Que cela soit pour nous aussi une utile leçon et en même temps le gage du triotnphe définitif de la paix sur les dissensions, de la charité sur l'égoïsme et de la vérité sur l'erreur.

Rome, 2 février 1961.

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PORTRAIT DE M. A. DE CICÉ d'après une miniature appartenant à sa famille

Gracieusement encadré de boucles d'un beau châtain foncé suivant la mode de l'époque, le front haut et découvert dénote l'intelligence. Sous les arcades sourcilières nettement dessinées, les yeux noirs sont grands, bien ouverts. Le regard est à la fois franc et réservé. Le nez bien fait est droit. La bouche fine est prête à sourire. Le visage d'un bel ovale est pur et sans rides, empreint de distinction, de sérénité mais aussi de résolution révélant une âme noble et énergique, prête à affronter n'importe quelle grande entreprise.




AVANT-PROPOS Le Château de Cicé dresse ses ruines évocatrices à Bruz près de Rennes, face à la Vilaine, en plein bois. C'est là que vivait aux environs de 1740 le Sire Jérôme Vincent de Cicé, Capitaine de dragons au Régiment de Bretagne, héritier d'un long passé de foi et d'honneur. Depuis trois cents ans les de Cicé, soldats, marins, hommes d'Église, servaient noblement Dieu et la France fidèles à leur devise : « Au plus vaillant le prix! » J9


Marie-Adélaïde de Cicé

Le Capitaine de Cicé était aussi brave au combat que brillant et spirituel causeur dans les salons de Rennes où il maniait élégamment et à propos l'épigramme. De son épouse Dame Marie-Rose Françoise de Varennes de Condats, il avait déjà onze enfants en 1749 quand s'annonça une douzième naissance. Madame de Cicé, déjà quelque peu avancée en âge et de santé délicate, confiait à un saint religieux, le P. de Kersaingilly, ses pénibles appréhensions au sujet de cette nouvelle maternité mais celui-ci lui dit : « Consolez-vous, Madame, l'enfant que vous portez fera un jour votre consolation! » La mère devait reconnaître plus tard avec action de grâces la vérité de cette prédiction. Une petite fille lui naquit le 5 Novembre 1749. Elle reçut le nom de Marie-Adélaïde. La Providence avait de grands desseins sur cette chétive enfant qui, sur les ruines des cloîtres et des monastères détruits par la Révolution, devait faire refleurir la vie religieuse sous une forme nouvelle plus adaptée aux bouleversements de l'époque et aux temps troublés qui devaient suivre. Née en plein pays breton, Adélaïde de Cicé portait en elle les traits de sa race et ses contrastes. Avec ses larges horizons aux lignes estompées d'une brume légère, ses côtes aux fortes marées où la vague lutte contre le roc, son peuple dur au travail, attaché à sa terre et à ses légendes, la Bretagne se révèle vigoureuse et originale. Son culte de la tradition n'exclut pas le goût de l'aventure. Son palmarès de gloire fait état de noms illustres depuis ses anciens corsaires, ses marins aux exploits prestigieux, 20


Avant-propos

jusqu'à ses poètes, ses saints, ses martyrs. Audacieux face au danger, tenace et réaliste, pensif et rêveur à ses heures, le Breton a une âme mystique respectueuse de Dieu qu'il craint et qu'il invoque.

Église St-Aubin où Adélaïde reçut le baptême le jour même de sa naissance, le / novembre 1749. Son père, le Chevalier de Cicé, y fut inhumé en 17jo. On y vénère le tableau de NotreDame de Bonne Nouvelle. 21



1 ENFANCE AUSTÈRE & PIÉTÉ PRÉCOCE

Marie-Adélaïde n'avait que deux ans quand elle perdit son père et sa petite enfance connut plus de larmes que de sourires. Dans l'ambiance de résignation et de piété virile qu'elle trouva chez sa mère et dans son entourage familial, son âme se tourna précocement vers Dieu avec un sérieux peu ordinaire. Elle avait au plus six ans quand, alitée dans la même chambre qu'une jeune cousine atteinte comme elle de la petite vérole à cette dernière qui se lamentait : « Ne nous plaignons pas, lui dit Adélaïde, il faut tout souffrir pour le Bon Dieu! » Une fois que sa gouvernante lui reprochait un peu 23


Marie-Adélaïde de Cicé

de mollesse dans la recherche des commodités de la vie, elle planta aussitôt une épingle dans son bras et en fit jaillir du sang pour se punir et se prouver à elle-même qu'elle était capable de sacrifice et d'endurance, fidèle en cela à l'énergie héréditaire de sa race. A L'OMBRE DE LA VISITATION

Vers l'âge de dix ans elle fit sa Première Communion chez les Dames de la Visitation de Rennes qui l'y préparèrent avec grand soin. Adélaïde fut charmée de leur piété salésienne, aimable et douce, qu'elle n'oublia jamais. Il semble que dès ce moment elle se sentit appelée à la vie religieuse et sans doute envisageait-elle la Visitation. De ce séjour elle rapporta un plan de vie que dut lui tracer quelque sage Visitandine s'inspirant elle-même de la « Vie dévote » de saint François de Sales; plan encore peu personnel mais qu'elle eut le mérite d'apprécier et surtout de faire passer dans la pratique de sa vie : « Le matin ma première pensée sera pour Dieu. Aussitôt que je serai éveillée, je me lèverai sans balancer un instant; je réciterai mes prières. Avant ou après la Messe je ferai mon oraison qui sera d'un quart d'heure. Revenue dans ma chambre je me livrerai à l'étude. Je lirai pour m'instruire les bons livres que l'on m'indiquera; j'écrirai pour former de plus en plus et ma main et mon style. Je suivrai dans mon éducation tout ce que Maman me prescrit. J'élèverai souvent mon cœur vers Dieu pendant la journée; je m'entretiendrai dans sa Sainte Présence, je ferai chaque jour une petite mortification en l'honneur des cinq Plaies de Notre-Seigneur Jésus-Christ. » « Ayant remarqué que j'étais lâche et paresseuse je m'appliquerai à devenir diligente. Je réfléchirai aux divers services que ma mère attend de moi et que je n'oublie que trop facilement. » 24


Enfance austère et piété précoce « Tous les soirs, je ferai si possible une visite au SaintSacrement. Avant le coucher et après ma dernière prière, je garderai le silence. Prête à m'endormir je m'occuperai de la pensée de la mort. Pour des questions sans utilité je n'arrêterai pas les personnes dont j'ai des services à attendre. Je ne répondrai brusquement à personne, je parlerai toujours avec douceur; je m'appliquerai soigneusement à plusieurs objets de ménage que ma mère désire que je poursuive. Je vais faire tous mes efforts pour observer ceci avec la grâce de Dieu. Avec elle je peux tout, sans elle je ne suis capable de rien ; je ne cesserai de la seconder, voulant vivre et mourir dans ces dispositions. » (i)

Ainsi que le remarque l'Abbé Carron ce langage simple et ferme est celui de l'enfance des âmes prévenues par la grâce, des saints. Cette piété parce qu'elle était sincère et éclairée s'épanouissait en charité. Adélaïde n'avait pas encore douze ans que déjà elle prélevait sur ses petites économies de quoi placer en apprentissage six petites filles dont elle assurait ainsi l'avenir. Elle aimait visiter les pauvres auxquels elle distribuait aimablement les aumônes qu'elle savait solliciter pour eux et obtenir par sa bonne grâce. « Un enjouement enchanteur, dit l'Abbé Carron, l'accompagnait toujours dans l'exercice de ses œuvres saintes dont elle était insatiable. » Une femme de chambre qui l'a servie plus de quarante ans racontait que souvent sa jeune maîtresse poussait sa compassion pour les malheureux jusqu'à se dépouiller secrètement d'une partie de ses habits, à donner ses matelas et à coucher seulement sur la paillasse. Ces quelques faits éloquents dans leur simplicité, 25


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Marie-Adélaïde de Cicé

révélateurs de l'empreinte laissée dans les âmes par une éducation fortement pénétrée d'esprit chrétien, témoignent aussi de la précoce correspondance avec laquelle Adélaïde s'ouvrait à d'austères leçons. L'enfant n'en était pas moins vive et spontanée, d'un caractère aimable et enjoué qui lui attirait avec l'affection de ses frères et sœurs de nombreuses et sincères amitiés. A quinze ans elle était charmante : de taille moyenne, bien faite, avec une physionomie agréable empreinte de pureté, d'intelligence, d'énergie et de bonté. Elle écrivait d'un style alerte et spirituel et terminait souvent ses lettres par ces mots : « Tout pour plaire à Dieu, rien pour nous satisfaire nous-mêmes. »

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Enfance austère et piété précoce

Sa vie quotidienne entre la maison familiale de Rennes et le château de Cicé dut s'écouler sans incidents. L'assistance matinale à la Messe et le temps réservé à ses prières occupaient la meilleure place dans ses journées qui étaient ensuite partagées entre les visites de société et de charité, quelques soins du ménage, un ouvrage de tapisserie, les promenades avec sa mère ou ses sœurs et sans aucun doute, à la campagne, la méditation solitaire sous les ombrages des bois de Cicé. On raconte qu'un jour où elle s'habillait pour une réunion mondaine elle refusa de laisser poser sur ses cheveux une couronne de fleurs : « On n'est couronné qu'une fois, dit-elle, j'ai fait mon choix, je veux la couronne du Ciel. » Cependant près d'atteindre ses vingt ans elle semblera un moment séduite par les vanités et les attraits du monde auquel elle plaisait et qui commençait à lui plaire. Sa piété se ralentit aussitôt. Une pieuse amie eut la franchise et la charité de l'avertir du danger qu'elle courait : « Mais je remplis les préceptes », répondit-elle. Ce n'était pas assez pour une âme tellement prévenue de la grâce. Elle le comprit vite heureusement et, ayant fait l'expérience de sa fragilité, elle voulut réagir vigoureusement en rompant avec le monde et entra au Noviciat de la Visitation à Rennes. De ces traits conservés par la tradition et de ce qu'Adélaïde écrit d'elle-même dans ses lettres intimes se dégage une personnalité. L'ouverture de son esprit lucide et cultivé, le sérieux précoce de son caractère, sa piété 29


Marie-Adélaïde de Cicé

ardente, les aspirations élevées de son âme, la fermeté de ses décisions en dépit d'une certaine défiance d'elle-même, une sensibilité très vive qui la portait à l'enthousiasme comme aussi parfois à quelque dépression vite dominée, un certain goût pour ce qui est nouveau et s'écarte des chemins battus, la révèlent déjà apte à faire de grandes choses et à ouvrir une voie nouvelle aux âmes à la recherche d'une vie religieuse adaptée aux nécessités du temps. Aussi, bien qu'ayant trouvé à la Visitation la vie de grand recueillement et d'union à Dieu à laquelle son âme aspirait, reconnut-elle bientôt que là n'était pas sa vocation. Tout autres étaient son idéal et les exigences de son zèle apostolique; ses œuvres et les pauvres lui manquaient. Cependant elle devait rester dans le sillage de saint François de Sales en réalisant ce que ce dernier n'avait pu obtenir à son époque : l'union de la vie contemplative et active dans une vie religieuse authentique, ouverte au dehors. * **

Revenue auprès de sa mère et rendue à la société, Adélaïde sollicitée de donner son cœur et sa main à de brillantes alliances, était résolue à n'appartenir qu'à Dieu seul dans l'état de virginité. Qui donc la guiderait et la soutiendrait dans cette voie sublime mais difficile? C'est alors que Dieu lui fit la grâce inestimable de rencontrer l'Abbé Boursoul comme directeur spirituel. L'Abbé Boursoul était un saint prêtre, missionnaire dans le diocèse de Rennes, homme de Dieu dans toute la force du terme, éloquent de l'éloquence des saints. Sa parole était simple, directe, inspirée de l'Écriture, des Pères et 30


Enfance austère et piété précoce

surtout de l'Évangile. Ses carêmes, ses missions, ses retraites étaient des événements qui bouleversaient les âmes et les convertissaient. Prêtre expérimenté, il savait diriger dans les voies de Dieu. Lié depuis longtemps avec la famille de Cicé, il avait été le directeur d'Elisabeth, sœur aînée d'Adélaïde, jusqu'à ce que cette dernière allât vivre à Auxerre auprès de son frère l'Évêque. L'Abbé Boursoul eut vite fait de discerner en Adélaïde une de ces âmes d'élite qui sont faites pour de grandes choses. Il lui écrivait : « Il n'arrive pas toujours que Dieu fasse connaître aux confesseurs ce qu'il exige des âmes mais pour la vôtre, Mademoiselle, Il m'a fait connaître promptement que c'est à la perfection qu'il la veut conduire. » (3) La perfection est dans la charité, l'amour de Dieu et du prochain. Elle est aussi dans'l'abnégation de soi, la mort de tout amour-propre et de tout égoïsme, l'imitation de Jésus et de Jésus crucifié. Le programme est vaste. Il demande bien des efforts et la persévérance de toute une vie. Pendant cinq ans l'Abbé Boursoul s'employa avec grand soin, soit oralement, soit par écrit, à éclairer, soutenir, animer Adélaïde qui tenait un si grand compte de ses conseils qu'aussitôt après ses confessions ou ses entretiens elle écrivait ce que son saint Directeur lui avait dit. De ce recueil ne nous sont conservés que quelques fragments. 31


Marie-Adélaïde de Cicé

En deux traits de lumière quasi prophétique, l'Abbé Boursoul lui avait tracé la double voie où elle devait marcher. Elle écrivait plus tard : « Le saint qui m'a parlé de votre part m'a dit que j'étais destinée à être une Mère des pauvres, une Épouse de JésusChrist et un Séraphin dans ce monde et en l'autre. Épouse de Jésus-Christ, Mère des pauvres, quelle heureuse destinée! Faites, Seigneur, que je la remplisse. Gravez à jamais dans mon cœur les préceptes que vous avez dictés à celui qui m'annonçait vos volontés sur moi. » (4)

L'Abbé Boursoul à l'encontre de l'ambiance janséniste de son temps menait les âmes par la voie de l'amour et de la confiance. Dès 1771 il avait permis à Mlle de Cicé de faire le vœu de Chasteté et de communier tous les jours alors que la communion de tous les huit jours paraissait la seule autorisée aux âmes les plus ferventes. Sous cette ferme et dilatante direction A. de Cicé avançait à grands pas sur le chemin de la perfection, toute à Dieu et à ses œuvres de charité. Aussi l'Abbé Boursoul pouvait-il lui écrire le Lundi Saint 1774 : « Grâces à Dieu, vous êtes maintenant dans la voie où II vous veut. Marchez-y constamment, ma fille, jusqu'à la mort. » (5). Lui-même était près de sa fin. Le Lundi de Pâques de la même année 1774 il défaillait en chaire comme en extase dans la contemplation du Ciel, répétant ces mots admiratifs : « Nous Le verrons face à face, face à face! » Ce coup fut extrêmement douloureux pour Adélaïde de Cicé qui écrivait dans son Journal intime : « J'ai perdu, ô mon Dieu, celui qui m'a remise à Vous et qui ne cessait de m'animer à Vous aimer et à Vous servir... 32


Enfance austère et piété précoce

Ne me laissez pas m'égarer; vous m'avez ôté mon guide, donnez-m'en un qui soit selon votre Cœur et par conséquent digne de le remplacer. Conduisez-moi Vous-même, ô mon Dieu, aux pieds du ministre qui doit me conduire directement, parfaitement à Vous. Je m'abandonne à Vous, je remets mon âme entre vos mains, faites de moi tout ce qu'il vous plaira. » (6)

EXPRESSION 8RCTOMHE

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PHOTOS

Planche couleurs : Vierge d'ivoire ayant appartenu à M. de Cicé. Dans le socle le St-Sacrement était caché, à Paris, pendant la Révolution (PHOTO BELZEAUX). 1 - Château de Cicé, vieux manoir breton, au milieu de bosquets aux sentiers ombragés. Ses tours se reflétaient dans les eaux paisibles d'un étang (PHOTO BELZEAUX). 2 - Ruines du château de Cicé envahies par le lierre et d'épaisses broussailles. 3 - Étang de Fayelles. 4 - Vue générale de Rennes, ancienne capitale des Ducs de Bretagne et siège du Parlement, riche en souvenirs historiques et en hommes célèbres. 5 - Porte Mordelaise à Rennes. Une statue de la Vierge surmonte la grande arcade. C'est là que le Duc de Bretagne prétait serment entre les mains de l'Évêque. 6 - Le vieux Rennes : perspective de l'hôtel de ville ou siégèrent les États de Bretagne.

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LA RETRAITE DE 1776 LE GRAND PROJET

Voici qu'Adélaïde fait à la fin de Septembre 1776 à la Retraite de Rennes une retraite de trois jours particulièrement comblée de grâces, une retraite bouleversante, à la fin de laquelle le Ier Octobre elle écrit ces lignes brûlantes : « Je renouvelle de tout mon cœur et je désirerai que ce fut avec l'ardeur d'un séraphin, la consécration que j'ai faite à mon Divin Époux de toute ma personne. Je suis prête à accomplir ses volontés quand II me les manifestera. Je le remercie mille fois de m'avoir choisie pour son épouse, malgré mon ingratitude. Je n'ai point de terme, ô mon Dieu, pour exprimer l'horreur que j'ai de mes infidélités, l'excès de la reconnaissance que m'inspirent les faveurs dont Vous me comblez, et la grâce 41


Marie-Adélaïde de Cicé précieuse de ma vocation que vous avez daigné m'accorder aujourd'hui. Je chancelle en écrivant ces dernières lignes. Ce n'est pas que je résiste à votre volonté, c'est la crainte de ne la pas connaître telle qu'elle est, car je ne veux que ce que vous voulez, mon divin Jésus. Donnez-moi autant de défiance de moi-même que de confiance en Vous et faites, je vous en conjure, tout ce qu'il vous plaira de moi, pauvre Adélaïde, toute à Jésus son Époux et qui signe de son sang. » (7)

Quelle était donc cette vocation ainsi lumineusement et mystérieusement entrevue? Quelle était cette inspiration? Adélaïde de Cicé l'explique elle-même dans ce « Projet d'une Société pieuse » qu'elle trace à la fin de sa retraite : « Il s'agirait que quelques personnes se joignent ensemble... elles vivraient en commun. Elles feraient le vœu simple de chasteté, de pauvreté, d'obéissance. »

envisageant ainsi l'élément essentiel d'une vie religieuse authentique. Elles mèneraient ensemble une sorte de vie conventuelle, sans cloître ni grille ni costume spécial. La vie intérieure serait assurée par des exercices réguliers aux heures fixées : Sainte Messe, Communion, Oraison, repas avec lecture, examens, etc. Il y aurait aussi un temps marqué pour toutes sortes d'œuvres de charité. « Elles se lèveront à 5 heures l'été, une demi-heure plus tard l'hiver, se rendront au Chœur, feront une demi-heure d'oraison. Ensuite elles assisteront à la Messe, feront une demiheure de lecture dans le cours du matin et une demi-heure de silence pour y réfléchir; ensuite les Sœurs nommées par la Supérieure (que les Sœurs se choisiront et qui le serait pendant le temps que l'on trouverait convenable de fixer) pourront vaquer

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Marie-Adélaïde de Cicé à la visite des malades, soit au dehors, soit au dedans de la Maison. (Il serait toujours bien désirable de s'établir de manière à avoir des pauvres à portée de soi) ou à d'autres bonnes œuvres. A l'heure où se fait l'examen, avant le dîner, on se rendra un moment au Chœur; elles dîneront ensuite toutes ensemble pendant qu'une d'entre elles fera la lecture... La sortie de l'après-midi pour les malades ou autre bonne œuvre pourra se faire avant ou après Vêpres suivant que cela paraîtra nécessaire à la Supérieure. Souper à 6 heures. Récréation qui finit à 8 heures. Prière et coucher à 9 h 1/2. On suivra l'esprit de saint François de Sales et les sages Constitutions de la Visitation autant qu'elles pourront s'accorder avec les œuvres de charité qu'on se propose d'exercer, suivant le premier plan de saint François de Sales pour son Institut qui voulait joindre d'abord la vie active à la vie intérieure de ses Filles. Le vœu simple de pauvreté n'empêchera pas que chacune jouisse de son patrimoine, mais celui d'obéissance ne permettra d'en user qu'avec la permission de la Supérieure, à laquelle le revenu de chacune sera remis en entier, à mesure qu'elle le touchera, afin qu'elle paie en commun les pensions de toutes et que le reste serve ensuite, suivant ses ordres, aux différents besoins des pauvres parce qu'elle se chargera de pourvoir à tout ce qui sera nécessaire à chacun des membres de cette Association. Par ce moyen leurs biens seront en commun, comme ceux des premiers fidèles, pour servir aux divers besoins de leurs frères indigents. Elles feront chaque jour de fréquentes visites à NotreSeigneur Jésus-Christ dans son Sacrement d'amour et profiteront pour cela, avec fidélité, de toutes les allées et venues dans la maison et même au dehors en faisant les visites des malades... Elles renonceront à toutes les visites inutiles, même chez leurs parents, si ce n'est dans les moments d'affliction ou de maladie, par un principe de charité, avec permission de la Supérieure à qui l'on rendra compte de tout. On évitera aussi de recevoir des

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Retraite de 1776 - Le grand projet visites, si ce n'est par ce motif, et jamais dans les chambres, mais dans un parloir ou chambre destinée pour parler aux personnes du dehors. » (8)

Voilà ce projet d'une singulière hardiesse pour son époque : conception nouvelle et originale de la vie religieuse férninine assurant cependant une vie religieuse authentique consacrée par les trois vœux canoniques ; le vœu de pauvreté conservé dans son intégrité dans des conditions nouvelles que l'Église a sanctionnées plus tard; l'union de la contemplation et de l'action dans une vie conventuelle sans clôture, sans aucun signe extérieur distinctif, permettant les contacts avec le monde, s'adonnant à toutes sortes d'activités apostoliques. Ainsi conçue cette forme de vie que rien ne fixait dans le temps et dans l'espace, ni costume ni usages ni apostolat particulier, devait se trouver par sa souplesse prête à répondre à tous les besoins des âmes dans tous les temps et dans tous les pays. C'est déjà en germe tout l'idéal de la Société des Filles du Cœur de Marie dont Mlle de Cicé était appelée par Dieu dès 1776 à devenir la Fondatrice et la Mère. Mais comment venir à bout de ce grand ouvrage? Adélaïde compte sur Dieu qui l'a inspiré mais elle aspire aussi à rencontrer ce guide que l'Abbé Boursoul lui a fait pressenir tet qui l'aidera à réaliser pleinement sa vocation. Elle a 25 ans. Durant treize ans elle devra vivre d'essais et de tâtonnements tout en priant et se dépensant pour les pauvres et les malades. Elle s'est promis d'obéir à sa mère comme à une Supérieure. Cette dernière étant tombée gravement malade, elle la soigne avec le dévouement le plus 45


Marie-Adélaïde de Cicê

assidu, le plus délicat, l'affection la plus filiale bien que ces soins de jour, et de nuit soient particulièrement pénibles. « Il y fallait de l'héroïsme », disent les contemporains. La malade ne cessait de bénir le courage et la tendresse de cette enfant dont il lui avait été prédit avant sa naissance qu'elle serait la consolation de sa vie et de sa mort. A 30 ans Adélaïde se trouve libre de sa personne et de sa vie. En attendant l'heure secrète de la Providence, elle se montre plus que jamais « épouse de Jésus-Christ » par sa piété ardente et « mère des pauvres » par un dévouement sans mesure. « Bientôt, disait-on plaisamment, Mlle de Cicé blessera les pauvres afin de se procurer le bonheur de les guérir. » (9) Réfugiée soit au Monastère des Dames Carmélites de Rennes, soit à la Maison de Retraite des Dames Bude, soit à l'Hospice des Incurables, on la voyait aussitôt après la Messe et son oraison vêtue d'une simple robe d'étamine et enveloppée d'une cape paysanne, la plupart du temps à jeun, s'adonner avec amour à ses entreprises de charité accompagnée par sa fidèle servante Lemarchand. Elle était munie de paquets de bas, de mouchoirs, de bonnets et aussi de livres qu'elle distribuait avec une bonne grâce charmante. Parfois elle s'arrêtait en chemin pour chausser de bas bien chauds un pauvre enfant nu-pieds, parfois elle donnait à une femme tremblante de froid une partie de son propre vêtement. Infirmière sans diplôme mais experte et inlassable, assistante sociale avant la lettre, elle se préoccupait surtout des jeunes filles à protéger, à placer comme apprenties dans de bons ateliers, à instruire de la religion, inaugurant ainsi 46


Retraite de 1776 - Le grand projet

à son insu un des principaux genres d'apostolat auxquels ses Filles plus tard devront s'adonner. Dans cet élan de générosité qui dépassait ses forces Adélaïde de Cicé tomba malade et se mit à cracher le sang. Son frère l'Évêque d'Auxerre, qui exerçait sur elle une certaine autorité, s'alarma et vint l'arrêter dans ses saintes imprudences. Il lui conseilla et lui fit accepter une cure d'eaux sulfureuses à Dinan où elle pourrait être reçue chez les Dames Ursulines. Les eaux minérales de Dinan étaient fort réputées à cette époque. A leur vertu curative qui attirait même des étrangers, s'ajoutait le charme de la campagne environnante avec ses longues allées peuplées d'ormes et ses bosquets de charmille. Mlle de Cicé partit sans enthousiasme pour ce repos forcé si contraire à son tempérament mais c'est là que Dieu lui réservait de grandes grâces, en particulier la rencontre du guide providentiel qu'elle attendait avec impatience et demandait au Ciel de tous ses vœux.



RENCONTRE PROVIDENTIELLE P. DE CLORIVIÈRE

Chez les Ursulines de Dinan où elle avait pris pension, Mlle de Cicé s'adressa tout naturellement pour sa conscience au confesseur de la Communauté : l'Abbé Pierre Joseph Picot de Clorivière, un des derniers profès de la [Compagnie de Jésus supprimée le 15 Août 1773 par un Bref de Clément XIV. C'était un saint religieux, un homme de Dieu et d'oraison, disciple des grands spirituels Lallemant et Surin, de doctrine sûre et étendue, d'une rare prudence et expérimenté dans la conduite des âmes. Il avait été à Gand socius du Père Maître des Novices puis à Bruxelles durant trois ans Directeur spirituel des Bénédictines Anglaises instal51


Marie-Adélaïde de Cicé

lées dans cette ville. Il venait d'écrire pour les ermites du Mont Valérien un petit livre « Considérations sur l'exercice de la prière et l'oraison » qui reste un des meilleurs traités en cette matière. Curé de Paramé, il sut faire régner une vie chrétienne intense dans cette paroisse. Monseigneur de Pressigny l'avait récemment nommé Recteur du Collège de Dinan et Confesseur des Ursulines. Dès la première entrevue, le 4 Août 1787, Mlle de Cicé se sentit en confiance avec ce saint prêtre à la fois grave et bon. Elle pressentit qu'il serait ce guide, héritier de l'Abbé Boursoul, qu'elle attendait depuis treize ans. Elle s'ouvrit donc à lui sans tarder de son « Projet d'une vie religieuse de forme nouvelle ». Le Père comprit vite à quelle âme il avait affaire : « Avec cette sûreté de regard que possèdent les saints, le Supérieur du Collège de Dinan découvrit bientôt les riches qualités de la pensionnaire de Rennes et les grandes choses qu'on pouvait en attendre pour la gloire de Dieu » (10).

Le Père de Clorivière ne doute pas d'une vocation religieuse chez sa nouvelle pénitente mais le genre de vie qu'elle entrevoyait paraissait trop spécial et trop insolite pour qu'il puisse prudemment l'approuver d'emblée. Il ne le condamna pas non plus et conseilla à Mlle de Cicé de s'initier d'abord elle-même à la vie religieuse dans une retraite chez les Filles de la Croix de Saint-Servan, auprès d'une Supérieure qu'il tenait pour une Maîtresse experte en spiritualité. « Je suis revenue ici, écrivit-elle à son retour à Rennes, avec un peu de répugnance, le cœur fort triste et serré, sans

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Rencontre providentielle pouvoir dire précisément ce que j'avais, car je désirais et craignais tout ensemble de me retrouver ici. J'ai pourtant été mieux depuis vous avoir parlé au moment de mon départ et je partis assez contente malgré cette peine que je ne puis définir mais dans l'espérance que je faisais la volonté de Dieu » (n).

Après ce premier essai, le P. de Clorivière envisagea pour A. de Cicé une sorte de Noviciat complet et prolongé à la Croix pour se pénétrer de l'esprit et de la pratique de la vie religieuse. Le 29 septembre 1787 le P. de Clorivière lui adressa une lettre qui commençait à éclairer quelque peu son horizon : Pour votre projet, vous attendez de moi une décision et je me sens porté à vous la donner après avoir consulté le Seigneur et dit la Ste Messe à cette intention. Vous pouvez vous rendre à la Croix. Mais cela suppose que votre confesseur sera de cet avis. L'œuvre que vous vous proposez est par elle-même très bonne, le sacrifice que vous ferez en quittant votre patrie ne sera pas peu de chose et vous disposera à en faire de plus grands. Si votre confesseur est d'un autre avis, n'insistez pas. Vous aurez devant le Seigneur le mérite de la volonté. S'il approuve cette démarche, ne cherchez pas d'autre conseil... « Faites tout ceci sans lenteur mais aussi sans précipitation. Les œuvres du Seigneur veulent être faites avec prudence. Arrivée à la Croix, pensez bien, avant de rien faire. Il faut que vous connaissiez tous les alentours. Cela demande du temps et des conseils que je ne croirais à propos que vous demandassiez à d'autres qu'à la Supérieure à qui vous vous êtes déjà ouverte. Le temps est un grand maître. Il nous manifeste peu à peu les desseins du Seigneur sur nous. Il faut se contenter d'en connaître ce qu'il plaît au Seigneur de nous en découvrir. Ce serait à nous une folie de vouloir lever entièrement le voile dont II ne veut lever qu'une partie. Au reste, ce que je dis ici n'est pas 53


Marie-Adélaïde de Cicé une loi pour vous; c'est un avis que je vous donne et qu'il vous est libre de suivre ou de ne pas suivre, selon que vous le jugerez plus ou moins conforme aux inspirations du Seigneur. » (12).

Mlle de Cicé avait à Rennes un confesseur ordinaire qu'elle consultait souvent : c'était le Père de la Croix ancien Jésuite, pieux et prudent. Elle se trouvait donc entre deux directeurs, en pénible situation, justement perplexe devant leurs avis d'abord discordants. Il est intéressant à ce sujet de lire les brouillons des lettres écrites par Mlle de Cicé au Père de Clorivière et au Père de la Croix, exposant à l'un et à l'autre ses attraits et ses difficultés, leur communiquant les avis qu'elle reçoit de chacun d'eux sur le projet lui-même et sur les divers modes de réalisation qu'elle envisage. En même temps que son souci de parfaite loyauté s'affirment la clarté et la suite de ses idées, et dominant le tout, la sincère résolution de se soumettre à ce qui lui sera indiqué comme étant la volonté de Dieu. Au Père de Clorivière, Mlle de Cicé écrivait : « ... Quant au parti que vous vous sentez porté à me conseiller après avoir consulté le Seigneur, j'ai ressenti une grande joie de l'espérance que vous me donnez de voir accomplir les desseins du Seigneur sur moi. Je trouve bien souvent un étang de difficultés dans l'exécution de ce projet, mais s'il vient de Dieu je sens que je ne dois pas craindre qu'aucun obstacle résiste à sa volonté. C'est moi-même que je crains plus que tout le reste. J'ai parlé à mon confesseur de ce que vous me marquez sur mon projet. D'abord, il m'a dit que j'irai là pour en revenir, que c'était légèreté, qu'après avoir tenté différentes choses comme le Colombier, les Incurables, cela serait marqué au coin de l'inconstance; qu'il eût été plutôt d'avis que je n'eusse pas

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Rencontre providentielle abandonné le projet que j'avais eu de m'associer quelques personnes pour vivre en société en qualité de pensionnaires dans la maison de retraite de Rennes et nous occuper ensemble des œuvres de charité. Je lui ai dit que je ne ferai rien sans son avis, que le vôtre était que je m'en rapportasse à lui sur ce que vous me proposiez et que vous me recommandiez même de ne pas insister si son avis n'était pas conforme au vôtre. Quelques jours après, il m'a dit qu'il ne me défendait pas de penser à ce projet, auquel pourtant, il trouve de grandes difficultés tant du côté de la maison où il doit s'exécuter que de mon côté. Il pense d'abord, que dans une communauté, toutes les nouveautés ne sont pas vues d'un bon œil et que beaucoup de religieuses pourraient bien ne pas approuver cela... ... « De mon côté, et c'est ce qui le frappe davantage, il pense qu'il est impossible que je ne trouve beaucoup d'entraves dans le bien que je voudrais faire. Je crois qu'il y trouve des difficultés qui viennent de mon caractère; elles me donnent de l'inquiétude à moi. C'est surtout mon inégalité d'humeur que je crains pour vivre en communauté, mon extrême sensibilité et ma susceptibilité. Quand je me trouve dans ces fâcheuses dispositions, j'évite autant que je le peux la société parce que c'est éviter des occasions d'avoir de l'humeur et je suis portée alors à demeurer beaucoup en solitude. « Tout cela vient de ce que je ne sais point me vaincre, mais puis-je espérer me réformer à l'âge que j'ai de manière à ce que ces défauts ne fassent pas une grande difficulté ? Je sais que tout est possible à l'homme par la grâce de J. Christ. C'est de ce Divin Sauveur que j'espère tout. Ce qui m'inquiète làdessus, c'est que le P. de la Croix m'a dit que le genre de vie auquel Dieu nous appelait se trouvait ordinairement assorti à notre caractère et à nos inclinations. La seule chose qui lui ferait voir une apparence de possibilité dans ce projet, c'est votre sentiment. » (13)

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PHOTOS 7 -

Fauteuil garni d'un travail de tapisserie au petit point exécuté par A. de Cicé et conservé à la Maison Générale. (PHOTO BELZEAUX)

Manuscrit signé de son sang. e y - Le port de St-Malo d'où les hardis navigateurs du XVII siècle ont fait voile vers l'Amérique du Nord, encore peu connue et e ceux du XVIII vers les Indes. Ville de corsaires et plus tard d'armateurs, St-Malo possède de magnifiques hôtels du Grand Siècle qui s'alignent le long du port et des remparts donnant une impression de grandeur et de puissance. io - Les remparts. (PHOTO GIRAUDON) II- Plage malouine. (PHOTO ROGER VIOLLET) 12 - Au pied du Menhir, ce pâtre porte en son âme tout le passé de cette terre chargée d'histoire, toute baignée de légende et de poésie. 13 - Vieux bretons raccommodant des filets de pêche. 8 -

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Rencontre providentielle

En fait, le P. de la Croix désapprouvait nettement les plans de Mlle de Cicé. Il voulait en effet la retenir à Rennes où elle pouvait aussi bien, faire le stage d'essai, disait-il. Cependant le P. de Clorivière écrit le 26 novembre 1787 : « Je m'en tiens à la réponse que j'avais faite à votre première lettre en soumettant le tout au jugement de votre confesseur. ... J'ajouterai seulement que les observations du P. de la Croix me semblent judicieuses : vous devez vous défier de votre caractère mais je ne crois pas que cette défiance doive aller jusqu'à vous inspirer une crainte excessive et vous empêcher de faire ce que vous croyez être la volonté du Seigneur. »

Mlle de Cicé, après avoir rendu compte au P. de Clorivière du consentement accordé par le P. de la Croix à l'essai envisagé, lui expose de nouveau ses propres appréhensions : « Je lui ai fait part de ce que vous me mandez; il consent que je fasse l'essai dont vous me parlez et que je profite pour cela de la saison des Eaux, que c'est tout ce qu'il peut me permettre que cet essai en qualité de pensionnaire car il ne pense pas que ce projet puisse avoir exécution... ... Je vous dirais, mon Père, qu'il y a des moments où je crains que mon projet ne soit qu'une illusion du démon qui, sous prétexte d'un plus grand bien, veut me détourner de la conduite de Dieu sur moi. Je crois que ce qui contribue à me donner cette idée, c'est que le P. de la Croix, en me parlant de petits sacrifices que le bon Dieu demandait de moi, me dit de demander à N.S. de faire connaître clairement sa volonté et

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Marie-Adélaïde de Cicé que je devais prendre garde de m'y tromper et de m'imaginer qu'il demande des choses qu'effectivement II ne demande pas. Je pensais qu'en disant cela, il pouvait aussi avoir mon projet en vue. »

Le 4 février 1788, le Père de Clorivière lui écrivait ces lignes qui témoignent d'une grande expérience des voies surnaturelles : ... « Par rapport au projet que vous avez ou plutôt que vous ne faites qu'entrevoir d'une manière confuse, voici ce qu'il me vient à l'esprit de vous dire afin de vous aider à connaître la volonté de Dieu. Pour atteindre la perfection, il faut autant qu'il est en nous, marcher dans les routes battues par les saints sans vouloir nous en frayer de nouvelles. Lorsque nous sommes dans un état où Dieu nous a placés, et nous pouvons croire que nous y sommes lorsque cet état est saint, lorsque des personnes pieuses y servent Dieu fidèlement et qu'elles y font des progrès dans la vertu, lorsqu'un enchaînement de circonstances ordonnées par la Divine Providence nous y a conduits comme nécessairement, lors, dis-je, que nous sommes dans un tel état, il ne faut pas de nous-mêmes chercher à en sortir. Il ne faut pas aisément admettre des désirs qui nous porteraient à le faire, il faut même les rejeter positivement. On peut en effet, craindre avec raison qu'ils ne proviennent de l'instabilité naturelle de l'esprit qui se plaît dans le changement ou même d'un amour-propre subtil qui se lasse de marcher après les autres. Ce sont là, ce me semble, les raisons qui arrêtent le P. de la Croix et qui méritent que vous y fassiez de sérieuses réflexions. Les désirs qui viennent de Dieu sont accompagnés de paix et de calme, ils raniment notre ardeur et nous font travailler avec plus de soin à notre perfection. Lorsqu'ils portent à quelque chose hors de l'ordre commun, ils ont aussi quelque chose de plus pressant, de plus impérieux, mais ils n'ont rien qui tienne de l'impatience parce

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Rencontre providentielle qu'on se repose de leur accomplissement sur Dieu qui nous fait alors connaître sa volonté d'une manière plus claire et plus positive. Lorsque l'objet de nos désirs n'a rien qui ne soit assez ordinaire aux âmes qui cherchent la perfection, tel que serait par exemple le choix de l'état religieux, de bons mouvements, une intention pure suffisent pour nous assurer et nous engager à agir. Mais dans l'un et l'autre cas Dieu, d'ordinaire, aplanit les voies et fait que bien des choses concourent pour nous indiquer ce que nous avons à faire; l'avis d'un confesseur est, sans contredit, l'une des principales. « Reconnaissez à ces marques quelle est la nature de vos désirs et si, quelqu'apparence qu'ils aient de sainteté, quelque saints qu'ils soient en eux-mêmes, il vous convient de les suivre. Ne vous déterminez, n'agissez qu'après avoir bien reconnu qu'ils viennent de Dieu. L'avis de votre confesseur ne me paraît pas entier, c'est ce qui me fait vous parler de la sorte. Si nous pensons différemment, c'est moi qui me trompe et non pas lui; c'est lui qu'il faut écouter et non pas moi. Après tout, vous ne voyez rien de clair dans votre projet et vous ne savez pas ce que Dieu veut de vous. Comment pourriez-vous donc agir prudemment? Je sais que Dieu ne nous fait pas toujours connaître tout ce qu'il attend de nous mais quand II veut que nous agissions il y a toujours quelque chose qu'il nous fait connaître comme conforme à sa volonté et je ne vois rien ici qui soit clairement marqué au sceau de sa volonté... ... « Ceci n'a rien qui doive vous troubler; considérez seulement si vous avez ces marques de la divine volonté que je croyais voir en vous. J'ai pu me tromper moi-même sans que Dieu en ait été offensé. Après tout, le terme dont vous parlez est éloigné et sans trop vous occuper du projet, ce qu'il faut éviter, vous pouvez y penser tranquillement de temps en temps. »

Ce même mois de février 1788, Mlle de Cicé remercie le Père de Clorivière de ses encouragements, puis avec 63


Marie-Adélaïde de Cicê une prudence toute surnaturelle, un humble et entier dégagement d'elle-même et de ses vues, elle lui écrit : « J'ai dit au Père de la Croix que je craignais, quoiqu'au fond je n'en eusse point l'intention, de le tromper en me trompant moi-même sur mes dispositions; qu'il me semble qu'il y a de l'enthousiasme dans ce que je pense sur mon projet et du goût pour l'extraordinaire qui tient un peu à mon caractère; ce qui peut venir, comme vous le dites mon Père, d'un amourpropre subtil qui s'ennuie de marcher après les autres. »

Plus loin elle ajoute : « Quant aux marques auxquelles vous me dites que je dois reconnaître quelle est la nature de mes désirs, je crois pouvoir vous dire n'avoir jamais éprouvé plus de paix, de calme et de satisfaction que lorsque j'ai reçu votre première lettre où j'ai vu pour la première fois une lueur à l'exécution de ce que je crois pouvoir appeler les desseins de Dieu sur moi, sans cependant pouvoir être exempte en le disant de la crainte de me tromper. La résolution où je suis de faire ce qu'on me dira me rassure; il me semble aussi que je ne puis pas me dissimuler que rien n'a tant contribué à me ranimer dans la vertu que l'espérance d'être appelée à mener une vie plus parfaite où je pourrais aimer et servir N.S. tout autrement et contribuer à le faire servir et aimer. Je sens aussi que ces vues m'ont donné beaucoup plus de courage quoiqu'il ne soit pas très grand et que ce ne soit que par comparaison de ma lâcheté passée...» (16)

Devant ces nouvelles précisions, le P. de Clorivière en vient à dégager les grandes lignes du projet de Mlle de Cicé : « Je cherche à me faire une idée nette de vos desseins et je vais vous développer ce que j'en conçois ; vous me direz si

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^.encontre providentielle je l'ai bien saisie et ce ne sera que d'après cela que je pourrai vous rien dire de positif à ce sujet : « Vous voulez tout ensemble vous adonner aux œuvres de charité suivant l'attrait que le Seigneur vous donne pour ces sortes d'œuvres et jouir des avantages de la vie religieuse et commune. Il semblerait qu'une vie telle que celle des Filles de St Thomas satisferait à ce double attrait. Mais non, l'objet de votre charité ce ne sont pas précisément les pauvres qui sont dans les hôpitaux parce que ceux-là vous semblent suffisamment assistés, ce sont les pauvres qui sont délaissés dans leurs maisons et qui souvent sont dans la plus grande misère, et c'est afin d'être en état de les assister que vous croyez devoir garder la propriété de vos biens. A ne considérer que ce dernier objet, ce serait un moyen d'y satisfaire pleinement que de vous associer à la Congrégation des Dames de la Charité et de faire plus assiduement et par vous-même ce qui leur est prescrit. Mais vous voulez en outre joindre à ces œuvres de charité le mérite propre de la Religion, la pratique des vœux de Pauvreté, de Chasteté et d'Obéissance, autant que cette pratique est compatible avec l'exercice de ces œuvres de charité telles que je viens de les mentionner. » « Il faut donc à ce qu'il me semble, que vous soyez dans une communauté, que dans cette communauté vous puissiez sortir librement, que la Supérieure de la communauté vous permettre de suivre l'ordre de cette communauté ; que de votre côté, vous soyez astreinte à observer à l'égard de cette Supérieure les devoirs d'une religieuse au moins en de certains points essentiels, et ces points devraient être bien spécifiés avant de vous engager à rien. Comme il n'y a rien de tel que l'usage pour nous éclairer sur ce qui convient et ce qui ne convient pas, c'est pour cela que vous voulez faire un essai qui serait comme une espèce de temps de Probation ou de Noviciat. « Mais où convient-il de faire cet essai?...» (17)

Répondant à cette lettre Mlle de Cicé écrit : ...«Ce que vous me mandez est précisément ce qui me vint

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Marie-Adélaïde de Cicé en l'idée à la Croix après que vous m'eûtes répondu à St Charles que le projet que j'avais dans l'esprit était impraticable sous le point de vue où je vous le présentais... ...« J'ai parlé au Père de la Croix qui m'a dit qu'il était toujours d'avis de l'essai mais qu'il s'en rapporte absolument à vous sur le lieu où il doit se faire. Ainsi, mon Père, je vous prie d'examiner la chose devant Dieu. J'espère avec la grâce de N.S. suivre exactement la conduite que vous me prescrirez. Je vous prie de Lui demander pour moi la grâce de ne m'en jamais écarter. Mon premier dessein était de m'associer avec quelques personnes pensant comme moi, pour pratiquer de concert les œuvres de charité spirituelles et corporelles et nous animer réciproprement dans la pratique du service de Dieu et du prochain pour l'amour de Dieu, Notre-Seigneur. Mon désir est aussi que nous soyons particulièrement dévouées à N.S. et à sa Sainte Mère d'une manière spéciale et que tous nos exercices de piété et nos œuvres de charité fussent faits particulièrement au nom de Jésus. Je pensais que la liberté dont nous aurions joui nous permettrait de nous adonner, non à une œuvre particulière mais à toutes celles dont la Providence nous chargerait, sans se proposer rien en particulier que le bien spirituel et temporel du prochain. »

Tant de soumission et de conviction à la fois ne pouvaient finalement que mériter l'assentiment des deux directeurs, celui de Rennes et le P. de Clorivière. Le Père de la Croix ne tarda pas à lui faire savoir qu'il se désistait en faveur du P. de Clorivière. Celui-ci précise sa pensée dans une lettre du iomai 1788 : « Je n'ai point d'autre chose à vous dire qu'il ne faut pas perdre courage. Les difficultés semblent redoubler lorsqu'on est sur le point de faire quelqu'entreprise pour le service de Dieu; le Seigneur le permet ainsi pour éprouver ses serviteurs et pour augmenter leur couronne mais il faut alors fermer les

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Rencontre providentielle yeux à ces difficultés et se jeter comme à corps perdu dans les bras du Seigneur. Il ne vous laissera pas tomber, c'est Lui seul que vous cherchez, Il ne vous abandonnera pas. D'ailleurs vous agissez dans cette affaire là selon toutes les règles de la prudence chrétienne; vous avez prié, vous avez consulté, vous ne désirez que d'accomplir la volonté de Dieu, ainsi vous n'avez rien à craindre et quelque chose qui puisse vous arriver, vous n'auriez rien à vous reprocher; tout contribuera à votre plus grand bien. » (18)

Le 21 octobre, Mlle de Cicé étant depuis le 4 à la Maison de la Croix, le Père de Clorivière répond à plusieurs de ses demandes, lui conseille pour certains détails de s'en rapporter à la Supérieure « que Dieu lui a donnée pour l'aider de ses conseils », et relativement à une lettre du P. de la Croix la rassure de nouveau : ...« Pour le P. de la Croix, sa lettre est une réponse qui n'en demande point de votre part. Ayez toujours pour lui les sentiments de respect et de reconnaissance que vous lui devez. Il sait combien de fois vous l'avez consulté, combien de temps il y a que vous avez pensé à la démarche dont il vous parle; vous ne lui avez rien laissé ignorer, ainsi je ne vois pas ce dont il peut vous blâmer. « Ce n'était pas précisément une vie contemplative que vous vouliez allier avec les œuvres de charité mais une vie où vous auriez pu pratiquer les vertus religieuses, la pauvreté surtout et l'obéissance, et vous n'avez trouvé de lieu pour cela que celui que vous avez choisi. Je l'avais prié de vous en trouver un à Rennes, vous l'y avez cherché en vain. »

Dieu permettait toutes ces difficultés pour que l'œuvre qu'il inspirait et qui devait être si féconde passât par l'épreuve de la contradiction et de la discussion, afin que tout en elle fût raisonnablement étudié, sagement mûri

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Marie-Adélaïde de Cicé

et reposât sur l'obéissance et le sacrifice. On ne peut s'empêcher d'admirer l'humilité, la loyauté et l'esprit surnaturel des trois interlocuteurs aux prises dans ce débat de haute portée. Adélaïde de Cicé était rassurée. Elle avait enfin rencontré son véritable guide. « Je vous avouerai, mon Père, que presqu'aussitôt que je vous ai connu, j'ai espéré que N.S. m'accordait cette grâce; et plus je vais, plus je désire de me mettre absolument entre vos mains pour faire ce qui lui plaira davantage. S'il vous inspirait de me permettre de faire le vœu de vous obéir, il me semble que mes difficultés s'évanouiraient, je mettrais toute ma force dans l'obéissance que je rendrais à mon Seigneur Jésus-Christ dans votre personne. » (19)

Avec sa prudence habituelle le P. de Clorivière n'accepta pas de recevoir ce vœu qui lui paraissait pour le moins prématuré mais il restait entendu qu'Adélaïde ferait un essai complet de noviciat chez les Filles de la Croix de Saint-Servan. De Rennes la postulante demanda un sursis jusqu'à la saison des eaux de 1788. C'est que de graves événements politiques se passaient alors en Bretagne avec de pénibles répercussions familiales pour les de Cicé. Les prodromes de la Révolution se faisaient sentir; des agitateurs, émissaires de sociétés secrètes, étaient venus de Paris se recommandant de JeanJacques Rousseau, de Voltaire et des Encyclopédistes pour attaquer la Religion et battre en brèche l'autorité royale. Les esprits étaient aussi en effervescence par la prépa-

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Rencontre providentielle

ration des représentations à envoyer aux États Généraux. Une délégation de notables Rennois parmi lesquels était un frère de Mlle de Cicé, Augustin, Capitaine aux Gardes du Roi, apportant à Louis XVI de respectueuses doléances, n'avait pas été reçue à Versailles. Plusieurs délégués dont Augustin de Cicé avaient été incarcérés à la Bastille. Mlle de Cicé se devait de partager les émotions de son pays, de sa famille et de chercher en même temps par sa foi en Dieu, par la sagesse et la fermeté de son jugement à calmer les esprits et à rasséréner les âmes. Elle s'y employait avec son aménité habituelle, sa vive intelligence et sa bonne grâce, si bien que ses nombreuses amies de Rennes ne pouvaient se faire à l'idée de la perdre. Elles cherchaient à mettre mille oppositions à son projet de retraite à Saint-Servan. Fallait-il les écouter en raison des circonstances? Où était le devoir? Il semble qu'Adélaïde parut hésiter un instant mais le P. de Clorivière veillait. Il lui écrivait le 15 Février 1788 ces lignes d'une grande hauteur de vues et d'esprit surnaturel : « Croyez-moi, Mademoiselle, si vous voulez être toute à Jésus-Christ laissez les morts ensevelir les morts. Laissez le monde démêler ses querelles. Il n'est pas plus étonnant de le voir en proie à des agitations violentes qu'il ne l'est de voir l'océan agité par de furieuses tempêtes. Que peut-on attendre autre chose de celui que l'Évangile appelle « le Prince de ce monde » ? Mais vous qui êtes sur le rivage, sera-ce en vous précipitant au milieu des vagues que vous pourrez en arrêter le choc ? Que gagnerez-vous à cela? L'unique parti que vous puissiez prendre est de vous regarder comme étant hors du monde, de voir ces choses du même œil que les voient les Anges, du même

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Marie-Adélaïde de Cicé

œil que nous les verrons nous-mêmes lorsque nous serons dégagés des liens du corps. Alors au milieu du trouble vous serez tranquille. Tout, autour de vous, retentira des cris de la discorde, mais ces cris ne pénétreront point jusqu'à votre âme. Loin du monde, quoiqu'au milieu du monde, elle jouira dans le sein de Dieu d'une grande paix » (20).

De son côté A. de Cicé répond : « J'avais toujours la pensée de profiter du prétexte des eaux pour me rendre d'abord à Dinan et de là à la Croix afin de ne rien donner à connaître de mes projets. Ce serait le dire publiquement que de partir sans prétexte en cette saison et je ne pourrais manquer d'en écrire à mes parents ; ils ne manqueraient pas de s'y opposer; au lieu que cela pourrait se faire, à ce que je pense, sans le moindre soupçon. D'ici à ce temps je pourrais profiter de cet intervalle pour disposer toutes choses. A la Croix je pourrais y demeurer tout le temps que vous jugerez convenable » (21).

Le Père de Clorivière approuve cette sage décision mais il ajoute le 4 Juin 1788 : « Vous êtes attendue à la Croix. J'y ai trouvé Madame la Supérieure qui est toujours dans les mêmes sentiments pour vous. Armez-vous de courage, priez beaucoup » (22).

Ce n'est pas sans un grand serrement de cœur que Mlle de Cicé quittait Rennes sa ville natale, sa parenté, ses amitiés, ses œuvres, pour une absence de durée illimitée et un avenir encore bien mystérieux. Mais elle allait courageuse, convaincue qu'elle répondait à l'appel de Dieu. Cette saison d'eaux à Dinan avant l'entrée à la Croix aurait dû lui être normalement une période de repos et de 70


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détente physique et spirituelle mais Dieu le permettant, elle fut au contraire un temps de désolation au-dedans et de contradictions au dehors. Mlle de Cicé confie au Père de Clorivière qu'elle ne se reconnaît pas elle-même, partagée entre des sentiments opposés : besoin impérieux de Dieu et disparition de la ferveur sensible, appréhension d'aller à l'église tout en sentant que là seulement elle trouverait le repos, crainte extrême de communier tout en suppliant Dieu d'être le Maître absolu de son cœur, alternative de grand espoir et de profond découragement. D'autre part ses amies de Rennes alarmées de la rude vie où elle veut s'engager multiplient leurs critiques et leurs avertissements, la conjurant de ne pas ruiner définitivement sa santé. Elle fait part de ces lettres au Père de Clorivière : « Je ne sais à quoi attribuer tout ce que l'intérêt et l'amitié veulent bien me reprocher. A la vérité j'ai perdu l'habitude du vin et du café et je ne m'en trouve pas plus mal. J'ai l'air beaucoup plus faible que je ne suis et je crois même que mon tempérament se fortifie depuis que je suis moins occupée de ma santé » (23).

Le Père de Clorivière était trop averti des ruses du Malin pour s'étonner de pareilles interventions. Il répond d'abord avec une bonté paternelle qu'elle ne craigne pas de prendre les ménagements nécessaires s'il y a heu car « ce n'est pas nuire à son âme que d'omettre quelques exercices de piété en vue de sa santé quand c'est pour Dieu qu'on la ménage »; cependant il ajoute : 71


Marie-Adélaïde de Cicé « J'ai cru que vous aviez plus besoin de paix que de remèdes et qu'une vie recueillie contribuerait davantage au rétablissement de votre santé que toutes les eaux du monde » (24).

Et le 8 Septembre 1788 : « Mademoiselle, que le Seigneur vous éclaire et vous soutienne dans la nouvelle carrière où lui-même vous a fait entrer. « Ne regardez plus en arrière; regardez toujours devant vous, comme l'Apôtre nous l'enseigne; ne craignez point de vous perdre en vous jetant pour ainsi dire à l'aveugle dans le sein de Dieu. La confiance et l'abandon, voilà deux vertus que vous n'aVez pas encore bien connues jusqu'à présent mais qui doivent désormais vous servir de flambeau » (25). A L'ÉCOLE DE LA MÈRE MARIE DE JÉSUS

Ainsi soutenue et apaisée par ce guide vigoureux, A. de Cicé entra fin Septembre 1788 au Couvent des Filles de la Croix à Saint-Servan, résolue à commencer ce noviciat très spécial. Elle devait, sous la direction et l'autorité de la Supérieure Mère Marie de Jésus, suivre le plus près possible les règles et les exercices de la Communauté et cependant avoir un temps réservé pour vaquer, soit au dedans, soit au dehors du Couvent, au soin des pauvres et des malades et à toutes sortes d'œuvres de charité. Au dire d'un contemporain « la Mère Marie de Jésus était une femme de haute et large intelligence, d'une rare fermeté de caractère, tempérée par la douceur et Phurnilité du cœur, d'une égalité d'humeur qui n'était altérée que par le spectacle des maux de la religion, auxquels son zèle brûlait d'apporter quelque remède dans le siècle. »

Elle comprit admirablement le projet pourtant très spécial de Mlle de Cicé. Tout en étant une Supérieure très

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Marie-Adélaïde de Cicé

exacte, elle devint son amie et plus tard après la fermeture de son Couvent, elle fut à son tour sa fille dans la Société des Filles de Marie. En même temps et de plus en plus Adélaïde tend à se dépouiller de ses biens et à renoncer à sa liberté. Au sujet de ses biens, elle écrit au P. de Clorivière : « J'ai pensé, mon Père, qu'il vous serait utile pour me décider en ce que vous pensez que le Bon Dieu demande de moi, que vous connussiez davantage ma position extérieure et ce que je vous dis ici pourra vous mettre à même de me faire les questions auxquelles je n'ai pas songé et mes réponses vous mettront au fait de ce qui me regarde. Nous avons été 12 enfants, je suis la dernière; nous sommes 8 maintenant. Je crois bien que vous savez le triste état de mon frère aîné. C'est M. d'Auxerre qui le représente qui a cédé son droit d'aînesse à celui de mes frères qui le suit, qui est marié et qui a des enfants. Mon père est mort en 1750; on fit en 1751 un partage provisionnel. Nos partages définitifs ne furent finis qu'en 1770. »

Suit l'exposé des arrangements faits entre frères et sœurs. Elle ajoute : « Ma mère que je n'avais jamais quittée et qui m'aimait extrêmement avait voulu souvent me faire des présents considérables, ce que j'avais toujours refusé. Cependant on me fit accepter quelque chose de ce qu'elle avait voulu me donner. M. d'Auxerre qui vint la voir peu de temps avant que j'eusse le malheur de la perdre lui témoigna désirer beaucoup qu'elle fît pour moi tout ce qu'elle pouvait faire, à quoi il voyait une sorte de justice. Voici en quoi consistent ces dons (j'en ai donné connaissance à mes autres frères et sœurs) : les meubles qui étaient à mon usage dans l'appartement que j'occupais chez elle et celui

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Rencontre providentielle de ma femme de chambre. Ce sont ceux qui me servent à la Retraite. Deux rentes viagères, l'une de 200 fr, l'autre de 150 fr environ; environ 2.000 écus placés en constitut. Je joins sur l'autre feuille la note de mon revenu actuel sur lequel je ne dois rien. A l'instante prière de M. d'Auxerre, j'ai pris quelques meubles de ma mère dont j'ai donné simplement un reçu qui entrera en compte quand on partagera le mobilier. Voici ce dont je jouis à présent : — Un contrat de constitut sur l'emprunt des contrôles qui a éprouvé des réductions. Je ne touche que 105 fr — Contrats sur des particuliers produisant 297 fr — 8.000 fr placés sur la marmite des pauvres, produisant de rente viagère 400 fr — Contrats sur les états de 4.000 fr produisant 200 fr — les deux rentes viagères que ma mère avait placées sur ma tête 350 fr — Trois autres rentes viagères provenant de sommes que j'ai placées quand j'ai été remboursée de quelque argent, produisant en tout 650 fr 2.002 fr Je pense qu'il n'est peut-être pas inutile que vous sachiez la nature de mon bien, à cause de l'usage que vous pouvez juger à propos que j'en fasse » (26). Dans une autre de ses lettres elle écrit : « Il m'est venu à l'esprit de vous dire que tant que le monde aurait quelque chose à prétendre de moi, je ne serai pas tranquille là-dessus. J'ai pensé que je vous proposerais d'abandonner ses livrées le plus tôt possible ; je me crains moi-même si ce changement se fait peu à peu. Je crois que le trouble et l'agitation que j'éprouve peut venir de ce que je m'arrête trop à découdre avec le monde sans rompre tout à fait, et cette démarche extérieure pourra m'aider beaucoup. J'ai pensé encore que je n'aurais de paix que quand je ne serais plus maîtresse de mes actions et que (suite du texte p. 81 )

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PHOTOS

14 - Le P. de Clorivière né à St-Malo le 29 juin entré dans la Compagnie de Jésus à Paris, le 14 août 17j 6, fondateur de la S té du Cœur de Jésus et de celle des Filles du Cœur de Marie, rétablit la Compagnie en France en 1814 et mourut le 9 janvier 1820. 15 - La maison des Ursulines à Dinan : le P. de Clorivière, alors recteur du Collège des Laurens en était l'aumônier. Adélaïde de Cicé l'y rencontra pour la première fois le 4 août 1787 lorsqu'elle vint y séjourner pour sa saison d'eaux (PHOTO LOÏC) 16 - Vue générale de Dinan dont les tours et les clochers dominent la majestueuse vallée de la Rance. 17 - La porte de St-Malo à Dinan donne l'impression de s'ouvrir sur un autre âge. 18 - St-Servan : la Tour Solidor, fier donjon scellé sur un rocher qui domine l'embouchure de la Rance. Une fille de Marie, Amélie Sauvage, y fut emprisonnée pendant la Terreur. (ARCHIVES PHOTOGRAPHIQUES) 19 -

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La Maison de la Croix où Adélaïde de Cicé fut formée à la vie religieuse par la Mère Marie de Jésus, Supérieure de la Communauté des Filles de la Croix.


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Rencontre providentielle l'obéissance réglerait toute ma conduite, ce qui me fait sentir combien cela m'est nécessaire; c'est l'état où je me trouve qui est cause que je ne sais à quoi m'occuper » (27).

Et encore : « Je vais vous faire quelques demandes si vous le permettez, mon Père. Si ma femme de chambre a de Péloignement pour passer l'hiver ici et que sa santé en souffrît, me permettezvous en la renvoyant à Rennes d'y payer sa pension à la Retraite ? Au reste je compte ne lui déclarer que le plus tard possible mon dessein de passer l'hiver ici. Je n'en ai plus besoin pour ma toilette; mon intention est de l'employer à travailler pour l'Église ou pour les pauvres. Elle fait encore mon lit et ma chambre. Approuvez-vous que j'attende à le faire moi-même que mon changement d'habit lui ait fait connaître mes intentions, ou bien voulez-vous qu'aussitôt après la retraite je ne la laisse plus s'occuper de moi? Je suis en peine aussi de la manière dont il convient que je me conduise avec elle, car de commander même à une seule personne ne va guère à quelqu'un qui doit être venue ici pour être la dernière de la maison et pour s'y former à la vertu... ... J'ai souvent eu le dessein de me défaire de ma montre pour en avoir une d'argent, seulement pour la nécessité. Je pense que voici bien l'occasion; je pourrai en acheter une d'argent pour ma femme de chambre au cas qu'elle me reste, elle en a envie, et quand elle me serait nécessaire je pourrais men servir... ... J'ai pensé qu'en attendant que vous régliez la manière dont je serai habillée, je pouvais dès ce moment retrancher les rubans sur la tête. C'est un très petit objet, mais comme vous me l'avez dit, mon Père, rien ne l'est des choses que nous envisageons par rapport à Dieu et ma vanité s'est souvent nourrie de ces misères ; malgré qu'il y ait assez longtemps que je ne dépense pas beaucoup pour moi je n'avais pas renoncé à la vanité làdessus; je n'ai pourtant pas voulu faire ce léger changement sans vous le demander »... (28)

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Marie-Adélaïde de Cicè Le P. de Clorivière dut sans doute approuver. Une religieuse de la Croix écrivait : « Le 4 Octobre 1788, jour de saint François, Mlle de Cicé se revêtit d'une robe de laine noire, très commune, faite de la manière la plus simple, telle que les personnes de la classe ouvrière les portent. Un tablier noir et une petite coiffe de la même simplicité, voilà le costume du dimanche. Pour les jours de la semaine, un petit corsage noir et une jupe avec un tablier de coton bleu. Dans ce costume elle pansait au parloir tous les malheureux qui réclamaient son secours. Lorsqu'ils ne pouvaient venir, elle se transportait dans leurs pauvres demeures et les trouvant souvent sur la terre nue ou la paille pourrie, elle revenait elle-même chercher paille, bois, bouillon... Accompagnée de sa fidèle Agathe Lemarchand, elle s'enfonçait dans les quartiers pauvres, chargée de vêtements, linges, bonnets, mouchoirs, bas, chaussures. Dans les cabanes et chaumières sa venue était attendue et fêtée. Elle s'arrêtait, s'asseyait auprès des malades, infirmes, blessés, vieux matelots ou pêcheurs, veuves et enfants de naufragés, ouvriers sans ressources, et les réconfortait par ses paroles encore plus que par ses dons. Aux vieillards sans feu elle apportait du menu bois, l'allumait puis en approchait ces pauvres gens qu'elle faisait s'asseoir autour et se chauffer, comme la plus tendre des filles. Les enfants surtout lui inspiraient une pieuse tendresse. Elle retrouvait en eux l'âge et la pauvreté du divin Enfant de Nazareth. Pour lutter contre l'impiété philosophique qui cherchait à pénétrer partout, elle distribuait autour d'elle de bons livres et aussi des Crucifix, des images de Marie, des emblèmes religieux. En présence du mélange de gravité et d'aménité qu'elle portait dans ses manières comme dans son langage, chacun disait qu'il fallait bien pardonner quelque chose au genre de vie qu'elle avait adopté, en faveur de son amabilité et de son indulgence. »

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Rencontre providentielle

Cependant ce que lui pardonnaient le moins ses amies mondaines c'était son « travestissement », qualifiant ainsi le vêtement qu'elle avait adopté et qu'elles jugeaient d'un ridicule propre à discréditer la religion. Le Père de Clorivière console sa fille un peu peinée de ces vexations, en lui écrivant le 21 Octobre : « Je ne suis pas étonné, Mademoiselle, de la petite guerre qu'on vous fait, mais toutes les raisons qu'on vous oppose me paraissent peu solides. Le changement que vous avez fait dans votre extérieur n'a point été l'effet d'une dévotion passagère; vous y avez longtemps réfléchi. Ce que vous avez fait on ne pouvait le faire avec moins d'éclat et il n'y en aurait eu aucun si ces bonnes personnes n'en faisaient pas » (29).

Le P. de Clorivière jugeait bon que tout d'abord la novice marquât ainsi son mépris pour le monde et sa rupture avec lui mais il y voyait cependant quelque excès. Aussi, avec sa prudence avisée, ne tarda-t-il pas à lui conseiller dans l'intérêt même du bien de reprendre un vêtement plus conforme à son rang mais exclusif de toute recherche et mondanité. Mlle de Cicé accepta avec sa charmante simplicité coutumière de « se travestir » de nouveau, si l'on peut dire. « Mère des pauvres », Adélaïde voulait aussi et avant tout être « Épouse de Jésus-Christ ». A cet effet, elle s'efforçait d'être une novice exemplaire par sa ferveur et sa régularité. « J'ai dit à la Supérieure que N. S. me mettait entre ses mains puisque vous m'y avez mise; je l'ai priée de m'avertir de mes défauts et d'avoir la charité de me donner les avis qu'elle

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Marie-Adélaïde de Cicé croira convenables. Elle m'a témoigné beaucoup de bonté, elle m'a parlé du compte qu'on lui rend de son intérieur » (30).

Comme toutes les âmes saintes dont l'amour vigilant et délicat discerne et combat les moindres tendances naturelles contraires à la perfection évangélique, Adélaïde s'inquiète de ses « sentiments de vanité » : « Ce qui m'inquiète le plus depuis ma retraite, ce sont les sentiments de vanité. Je trouve en moi un fond d'amour-propre si enraciné que j'ai à craindre qu'il ne soit le mobile de toute ma conduite. Je désavoue quelquefois ces méchants motifs qui m'occupent et me font parler et agir, mais les sentiments de vanité me donnent pourtant de la complaisance et je suis bien persuadée que mes troubles ne viennent que d'amour-propre car je conviens que la moindre chose le blesse... ... J'ai beau protester à Notre-Seigneur que je Le préfère à toutes choses et me pénétrer du sentiment que tout ce qui n'est point Lui n'est rien, l'impression que je ressens du sentiment de la crainte du mépris ou même qu'on n'eût pas pour moi toute l'estime que je voudrais est si forte que je suis longtemps sans pouvoir me remettre, même par la prière » (31).

En réalité, Adélaïde se calomniait elle-même. Humble et fidèle, elle était aussi la plus pauvre et la plus obéissante des novices de la Mère Marie de Jésus, lui soumettant toute sa conduite extérieure et ne faisant rien sans sa permission. D'autre part, le P. de Clorivière ne cessait de lui recommander l'obéissance, la charité, l'oraison : « L'obéissance, la charité, l'oraison, voilà ce que je vous recommande encore. Ces vertus vous feront avancer à grands pas vers la perfection. L'obéissance dissipera vos craintes, la charité vous enrichira sans cesse de nouveaux mérites, l'oraison vous unira étroitement au Seigneur. Vous trouverez en Lui

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Rencontre providentielle une force et une constance que vous ne trouverez pas en vous ». (3*)-

Devant le spectacle d'une telle vertu, on était persuadé à Dinan et à Rennes que Mlle de Cicé finirait par entrer tout à fait comme religieuse au Couvent de la Croix. Cela paraissait même être la pensée du Père de la Croix qui, après avoir approuvé cet essai de vie mixte, blâmait maintenant Mlle de Cicé de ne pas s'être engagée dans une Congrégation déjà formée et d'avoir embrassé au contraire un genre de vie incertain, sujet peut-être à beaucoup d'illusions et de mécomptes. Le P. de Clorivière heureusement ne se déjugeait pas et malgré les appels alarmés des amies d'Adélaïde qui la pressaient de revenir à Rennes, il la retenait dans ce genre de vie jusqu'à nouvel ordre : « Pour ce qui est de votre retour à Rennes, lui écrit-il le 5 Janvier 1789, quand le Seigneur le décidera, Il saura bien vous le faire connaître. Soyez tranquille là-dessus. Imitez saint Joseph et prenez pour vous-même les paroles qui lui furent dites par l'Ange à l'instant de sa fuite en Egypte, appliquez-les à votre situation : « Demeurez-là jusqu'à ce que je vous le dise! » (32).

Dieu allait en effet parler par la voix impérieuse de graves événements.

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LA DOUBLE INSPIRATION DU R. P. DE CLORIVIÈRE

Le 5 Mai 1789, les États Généraux s'ouvraient à Versailles dans une atmosphère de fièvre et d'insurrection. Presqu'aussitôt, dès le 17 Juin, ils se constituaient en Assemblée Nationale avec mission de rénover toutes les institutions civiles et même ecclésiastiques. Monseigneur de Cicé, Archevêque de Bordeaux et frère d'Adélaïde, fut un des premiers Évêques qui adhérèrent à la suppression des Trois Ordres pour se réunir au Tiers-État et former avec lui l'Assemblée qui allait devenir la Constituante, ce qui amena le Roi dans le désir d'être agréable à l'Assemblée à le nommer Garde des Sceaux. C'est en cette qualité que l'année suivante, Juil87


Marie-Adélaïde de Cicé

let 1790, il conseillera au Roi de signer le Décret instituant la Constitution Civile du Clergé et le revêtira lui-même de son sceau, ce qu'il regretta ensuite amèrement. Mais dès maintenant « la Déclaration des Droits de l'homme » édictait les fameux Principes de 89, auxquels chaque citoyen en place était requis par décret de prêter serment de fidélité, sur quoi le Père de Clorivière consulté répond catégoriquement : « Je dirai que la liberté et l'égalité qu'on fait jurer sont évidemment celles qui ont été nouvellement introduites. Comment donc jurer de les maintenir? C'est tout renverser, principes de morale et principes du Christianisme. Je ne conçois rien aux autorités qu'on allègue : c'est sa conscience et l'Évangile qu'il faut suivre, à la vie à la mort » (33).

Le 14 Juillet c'était la prise de la Bastille suivie de la folle nuit du 4 Août. Le 23 Octobre, la suppression des vœux solennels et le 13 Février 1790 tous les vœux étaient interdits comme attentatoires à la dignité et à la liberté humaines ! Le Père de Clorivière par contre prêchant le 25 Mars dans l'église Saint-Sauveur de Dinan exalta l'excellence de l'état religieux, son institution divine, son droit d'existence, les grands services qu'il rend et ses innombrables bienfaits répandus à travers le monde. Dès le lendemain il fut arrêté et amené devant le Conseil de la Commune assemblé. Il n'eut pas de peine à justifier l'orthodoxie et la modération de son langage. Le président, un prêtre patriote nommé Gautier, qualifiant son sermon d'acte de fanatisme dit au Père : « En d'autres circonstances je ne le condamnerais pas mais il n'est pas 88


Double inspiration du Père

sage pour le temps où nous vivons et vous vous ferez martyriser », ce à quoi le Père de Clorivière répondit fièrement : « Ah! Monsieur, je ne suis pas digne d'une telle grâce mais si telle était la volonté de Dieu, je l'en bénirais de tout mon cœur! » (34)

Église St-Sauveur à Dinan, où le 2 j mars ijyo le l'ère de Clorivière prononça un sermon sur l'excellence de l'état religieux en protestation contre les décrets de l'Assemblée Constituante supprimant la vie religieuse.

De tous ces bouleversements Mlle de Cicé souffrait cruellement dans toutes les fibres de son cœur catholique, patriotique et fraternel, déplorant amèrement la conduite de son aîné l'Archevêque de Bordeaux. Le père de Clorivière sait compatir à sa peine et la réconforter : 89


Marie-Adélaïde de Cicé « Je pense souvent à vous, Mademoiselle, et je suis vivement affecté de la situation dans laquelle vous vous trouvez. Elle est triste pour un cœur aussi sensible; mais offrez à Dieu la peine que vous ressentez et regardez-la dans les desseins de la Provi-

Une malouine. 0

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Double inspiration du Père dence comme un moyen qu'Elle vous a préparé de toute éternité pour vous faire avancer dans ses voies et pour allumer de plus en plus dans votre cœur le feu du divin Amour. Vous ne serez pas sans douleur, mais cette douleur sera paisible, et dans tout ce qui vous arrive vous verrez l'action de Dieu qui fait tout servir au bien de ses serviteurs. » (35)

Cependant le Collège de Dinan passait des mains de l'Évêque dans celles de la Commune. Le Père de Clorivière devait démissionner par la force des choses. Qu'allait-il faire et devenir? L'idée lui revint alors de regarder du côté de l'Amérique. Le Père Jean Carroll, son ancien confrère à Liège, venait d'être nommé par le Saint-Siège Vicaire Apostolique chargé de recruter des prêtres pour les missions du Maryland et de Pensylvanie. Le Père de Clorivière lui écrivit une lettre brûlante de zèle finissant par ces mots : « Je vous conjure, très honoré Seigneur, de me recevoir au nombre de vos ouvriers comme le dernier de tous, pour travailler sous vos ordres tout le reste de ma vie ».

Il semble bien que le Père dut faire part alors de sa démarche à Mlle de Cicé et nous le verrons plus tard s'efforcer de la détourner de cette même perspective. Mais la Providence ne semblait pas vouloir favoriser ce plan car la lettre du Père de Clorivière ne parvint pas à destination. Pour l'instant il accepta à Paramé, son ancienne paroisse, l'hospitalité que lui offrait Madame des Bassablons, noble et généreuse châtelaine, future fille de Mère de Cicé et martyre de la Révolution. C'est une amie très chère d'Adélaïde et cette dernière, tout en continuant son noviciat, travaille avec elle et un groupe de personnes

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Marie-Adélaïde de Cicé

pieuses, courageuses et dévouées, Mlles Mettrie Offray, Amable et Thérèse Chenu, « l'impiété grandissante » tout en soulageant les Le Père de Clorivière écrit à Mlle 23 Mai 1791 :

Engerrand, à combattre malheureux. de Cicé le

« Je vous remercie, Mademoiselle, des nouvelles que vous me donnez. Elles prouvent bien ce que vous dites : qu'un esprit de force se répand sur les âmes fidèles au Seigneur à mesure que les persécutions augmentent. On est heureux au service d'un si bon Maître, lors même qu'il semble appesantir davantage sa main sur nous » (36).

Ce petit groupe d'élite dont Mlle de Cicé était la sage et ardente animatrice devait devenir le premier noyau de sa future fondation mais à ce moment elle était tentée de regarder vers les missions d'Amérique. De son côté le Père de Clorivière était en instance auprès de Rome afin d'obtenir pour ses nombreux confrères restés aux États-Unis une extension du privilège qui avait fait maintenir la Compagnie en Russie sous la protection de la Tzarine Catherine IL Or, le 19 Juillet 1790, comme il se préparait à faire le panégyrique de Saint-Vincent de Paul dont c'était la fête, le Père de Clorivière eut soudain une illumination intérieure extraordinaire qu'il a toujours tenue pour surnaturelle. Alors qu'il songeait à un rétablissement possible de la Compagnie en Amérique, il lui fut dit intérieurement d'une manière très vive : « Pourquoi pas en France? Pourquoi pas dans tout l'univers ? » comme pour lui faire entendre que ce qu'il méditait serait à souhaiter dans tout le monde chrétien et que Dieu voulait qu'il s'en occupât. 92


Double inspiration du Père

Aussitôt lui vint l'idée d'un Plan qui devait être très utile à l'Église et contribuer au bien d'une infinité d'âmes. « J'étais tout occupé de ce que je pourrais faire pour la gloire de Dieu lorsque je fus appelé à la ville épiscopale pour y prêcher le panégyrique de saint Vincent de Paul le jour de sa fête, 19 Juillet. Au sortir de l'oraison du matin, je fus tout-à-coup frappé d'une pensée qui attira toute mon attention : il me fut découvert comme dans un clin d'œil, et cependant dans un assez grand détail, un genre de vie tel à peu près que celui que j'ai tracé. Cette vue était en même temps accompagnée d'un vif sentiment que Dieu en tirerait sa gloire et qu'il voulait se servir de moi pour la répandre » (37).

Les religieux de cette Société feraient les trois vœux essentiels de Pauvreté, Chasteté, Obéissance qui seraient reconnus par l'Église. Ils n'auraient cependant aucune marque extérieure de leur association, ni habit uniforme ni clôture; ils vivraient dans le monde comme faisaient au commencement de l'Église les prédicateurs de l'Évangile et les premiers chrétiens. Moins il y aurait entre eux de liens extérieurs visibles, plus les associés devraient être unis tous ensemble en Jésus-Christ de la manière la plus étroite par des liens intérieurs et spirituels spécialement l'obéissance et la charité. « Ce n'était qu'une vue d'ensemble, explique-t-il, mais l'impression de lumière que j'en reçus fut tellement irrésistible que je m'imaginais que tout le monde devait naturellement partager ces idées. Je m'étonnais seulement que Dieu eût semblé jeter les yeux sur un instrument si vil pour une entreprise si grande, mais plein de confiance en sa puissance et en son infinie bonté, je m'offris à Lui pour qu'il fît de moi et par moi tout ce qui serait conforme à son Bon Plaisir » (38).

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Marie-Adélaïde de Cicé

Encouragé par l'Abbé Engerrand, Grand Écolâtre de Saint-Malo et prêtre distingué, le Père de Clorivière se mit à rédiger en latin un plan destiné au Saint-Siège et à l'Épiscopat, sous réserve des amendements qui pourraient et devraient sans doute être demandés par ces autorités supérieures. Il est étonnant que le Père n'ait pensé d'abord qu'à une Association d'hommes alors que depuis trois ans Mlle de Cicé l'avait souvent entretenu de son Projet d'une Société de femmes qui offrait tant de similitude avec celle qu'il venait d'entrevoir. Mais le Ciel lui-même vint l'inviter à combler cette lacune par une seconde et soudaine illumination : « Il se présenta fortement à mon esprit, écrit le P. de Clorivière, que je devais faire pour les personnes du sexe quelque chose d'analogue à ce que je venais de faire pour les hommes. Cette pensée me parut avoir tous les caractères d'une véritable inspiration. Après avoir imploré les lumières du Saint-Esprit, je me mis sur le champ en demeure d'exécuter ce qui m'était « prescrit » et dans le même temps je me rappelai deux sentences du Saint Évangile qui sont à la tête du Plan des Filles de Marie : « Père, je ne vous prie point de les ôter du monde mais de les préserver du mal » et « Je ne vous appellerai plus mes serviteurs, je vous appellerai mes amis parce que tout ce que j'ai appris de mon Père je vous l'ai fait connaître » (St Jean XVII-15 et XV-15). Dans ces sentences je crus entrevoir l'ordre et l'esprit de ce que j'avais à dire » (39).

Ces textes marquaient en effet les deux caractères distinctifs de cette fondation : vie d'intime union avec 94


Double inspiration du Père

Notre-Seigneur en même temps que vie apostolique en plein monde. Le Père de Clorivière rédigea aussitôt en français le Plan dont il venait d'avoir la soudaine révélation. Il contenait les éléments constitutifs essentiels de la Société dont on retrouve la substance et les détails dans divers textes des Documents Constitutifs. « La fin que cette Société se propose en France à notre époque est d'offrir aux âmes qui voudraient se consacrer à Dieu un moyen de suivre leur vocation malgré la destruction des ordres religieux. ... Cette société doit être regardée comme un corps religieux. Elle emprunte du corps religieux ses vœux, ses règles, ses moyens de perfection. Elle en a l'excellence, le mérite et les effets » (40). Elle portera « le nom de Société des Filles du Cœur de Marie ».

Quant à la fin : « Son but général est la plus grande gloire de Dieu, la plus grande perfection de ses membres et le salut du prochain (41). ... Toutes sortes de personnes dès lors qu'elles seront libres des engagements du mariage pourront être admises, après des épreuves convenables, quels que soient leur rang et leur condition, pauvres et riches, saines et malades, jeunes encore et déjà avancées en âge, pourvu qu'elles soient d'une naissance honnête, que leur conduite ait été irréprochable aux yeux du monde, et qu'elles aient assez de liberté pour remplir les obligations de la Société sans nuire à leur devoir d'état » (42).

Le Plan de la Société de Marie (1790) se terminait par ces graves et vibrantes paroles : 95


PHOTOS 20 -

Procession de l'ouverture des États-Généraux se rendant de Notre-Dame à St-Louis de Versailles le 4 mai 1789. (PHOTO GIRAUDON)

Séance d'ouverture des États-Généraux à Versailles le 6 mai 1789. 22 - Mgr Jérôme-Marie Champion de Cicé, frère aîné d'Adélaïde, né à Prennes en 1735, député du Clergé aux États-Généraux et Garde des Sceaux du 29 août 1789 au 20 novembre 1790. Ayant refusé de prêter serment à la Constitution Civile du Clergé, il émigra. A son retour en France il fut nommé Archevêque d'Aix en 1802 et y mourut le 22 août 1810. 23 - ~La Bastille : prison d'État, entourée de fossés larges et profonds, dominait de ses huit grosses tours le quartier populaire du Faubourg St-Antoine. (PHOTO BULLOZ) 24 - Fa Frise de la Bastille le 14 juillet 1789 et sa destruction quelques jours après marquent le début de la dévolution Française. (PHOTO GIRAUDON)

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Double inspiration du Père « Comme le monde cherche à abolir le christianisme et que tout nous annonce que le nombre et la malice des sectateurs de l'irréligion ne fera que croître avec le temps ainsi que le Sauveur du monde l'a prédit dans son Évangile, la Société de Marie doit être une pépinière de vierges et de martyres qui préféreront verser leur sang et souffrir toutes sortes d'affronts et de tourments plutôt que de rien faire contre l'honneur de Jésus et de sa Très Sainte Mère » (43).

Nous ne savons pas la part que Melle de Cicé eut dans la rédaction de ce Plan, nous savons seulement que les copies qui en sont faites alors, sont de sa main et qu'elle apporte une telle ardeur à ce travail que le Père de Clorivière craint qu'il n'excède ses forces. Adélaïde de Cicé ne pouvait qu'admirer non seulement la similitude de ce Plan et de son Projet mais pour ainsi dire leur identité et la coïncidence providentielle de leur rencontre, leur fusion et leur aboutissement. « Ce que vous m'avez dit, mon Père —■ écrit-elle — au sujet des vœux que vous avez dessein d'établir dans la Société projetée me cause d'autant plus de joie que cela fait depuis longtemps l'objet de mes désirs » (44).

Ses propres commentaires sur les 23 articles du Plan témoignent d'une telle élévation personnelle de pensées et de sentiments en même temps que d'une si fidèle compréhension du Projet, qu'on ne peut qu'y reconnaître l'œuvre de la grâce préparant l'âme des deux Fondateurs à une aussi parfaite unité de vues dans l'interprétation des desseins divins. Entre ces textes tous autographes, le dernier est à citer en raison de sa frappante actualité. Il s'agit de l'article 23 101


PLAN ABREGE DE

LA

S O CI £ TÉ D U

C(EUR DE MARIE, E T

REGLE DE CONDUITE POUR

CELLES QUI COMPOSENT CETTE

Chez L M.

SOCIÉTÉ.

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Imprimeur

LXXXXII,


Double inspiration du Père

du Plan qui correspond au paragraphe 13 du Chapitre ier des Constitutions : « Nous nous occuperons aujourd'hui, mes très chères Sœurs, du 23e et dernier Numéro du Plan de la Société des Filles du Cœur de Marie. Ce qui nous est annoncé dans le Plan de la Société est ce que nous voyons arriver par degrés tous les jours avec une rapidité effrayante. Nous ne pouvons plus douter des efforts du monde, l'ennemi de Jésus-Christ, pour abolir le christianisme. Fortifié par la méchanceté des uns, par la lâcheté des autres, par notre propre faiblesse, il parvient à l'aide de la puissance des ténèbres, à y réussir, à bannir Jésus-Christ notre Divin Maître de presque tous les esprits et les cœurs des chrétiens... ...Quelles doivent être nos pensées à nous qui appartenons si particulièrement au Seigneur? Devons-nous nous contenter de gémir? Pourquoi le Seigneur, après nous avoir appelées à son service, à Le suivre de plus près que le reste des fidèles, nous laisse-t-il au milieu du monde ? N'est-ce pas pour retarder sa ruine entière par l'exemple de toutes les vertus que nous devons lui donner, par le soin que nous devons avoir de notre propre salut et de travailler à notre perfection... ... Le nom que nous portons nous dit assez ce que nous devons être. Filles du Cœur de Marie, nous devons être tout amour pour Notre-Seigneur, nous devons ressentir comme notre Sainte Mère tous les outrages que reçoit son Divin Fils; notre cœur doit être blessé comme le sien de tant d'injures, de tant d'opprobres. Nous devons nous attacher à Lui pour Le suivre partout, malgré toutes les contradictions et les oppositions des hommes. Nous devons à son exemple, ne nous en séparer jamais, nous disposer à souffrir tout ce que le Seigneur permettra pour le bien de son service et pour arracher les âmes au démon ».

En vérité Mlle de Cicé avait eu la première son audience au Conseil de Dieu. Le Père de Clorivière le reconnaissait et comprenait que le moment était venu de 103


Marie-Adélaïde de Cicé

donner raison à ses lumières et satisfaction à ses instances. Aussi lui déclare-t-il qu'après ces deux années de formation religieuse à la Croix de Saint-Servan, son noviciat est terminé et qu'elle doit venir habiter Dinan pour initier à son tour à la vie religieuse les âmes choisies qu'elle pourrait grouper. Adélaïde se rend donc à Dinan, prend contact avec les personnes que lui adresse le Père de Clorivière, les visite chez elles ou les réunit. Elle commence à les initier aux principes et aux obligations de la vie religieuse suivant ce qu'elle avait appris elle-même à l'école de la Mère Marie de Jésus. Cependant cette responsabilité auprès de ses sœurs n'était pas sans l'émouvoir. Sa conscience s'en inquiète. Le Père de Clorivière la rassure et la réconforte. Le 24 Septembre 1790 il lui écrit : « Confiez-vous au Seigneur, Il vous soutiendra dans la grande œuvre qu'il a voulu vous confier pour sa plus grande gloire et par un effet de sa prédilection pour vous. Pouvez-vous douter qu'il ne vous soutienne et qu'il ne vous donne les lumières et la prudence nécessaires pour cette bonne œuvre? Plus vous êtes faible, plus vous êtes propre à faire éclater sa gloire » (45).

Homme de décision et d'action, le Père de Clorivière une fois ses Plans rédigés, part pour Paris où il descend rue du Bac aux Missions Étrangères. Il est encouragé par le Supérieur de cette Maison, Mr Hody, et par l'Abbé de Floirac, Vicaire Général, mais le Nonce, Monseigneur Dugnani, après avoir d'abord accueilli le projet avec faveur, se ravise presqu'aussitôt pour des raisons diplo104


Double inspiration du Père

matiques et dissuade le Père de poursuivre ses démarches. A Rome sa requête est rejetée comme inopportune et des lettres confidentielles lui déconseillent d'aller soumettre son projet au Saint Père comme il en avait témoigné le dessein. Devant ces déceptions le Père de Clorivière, fort perplexe, songe de nouveau aux Missions d'Amérique. Monseigneur Carroll devait précisément passer à Paris en cet automne 1790 afin de recruter des prêtres pour le Maryland. Le Père de Clorivière put le joindre chez Mr Émery Supérieur de Saint-Sulpice. Monseigneur Carroll le reçut très amicalement mais quant au dessein de reconstituer la Compagnie dans le Nouveau Monde, il ne pouvait l'encourager : des raisons graves rendaient toute tentative en ce sens imprudente. Où donc était la volonté de Dieu? Comment la découvrir en cette heure de ténèbres ? Le Père de Clorivière pensa qu'il ne pouvait mieux faire que de s'adresser à celui qui, de droit divin, était le représentant du Seigneur auprès de lui, son Évêque Monseigneur de Pressigny. Il le trouva de plus en plus effrayé de la pénurie de secours religieux où l'émigration des prêtres et leur expulsion allait laisser la France et sans hésiter : « Il a décidé nettement que je devais rester en Europe et que la plus grande gloire de Dieu le demandait. Après cela j'ai été obligé de changer de résolution » (46).

La destinée du Père de Clorivière était fixée. Il lui restait à en informer M. de Cicé tout en respectant le libre choix de cette dernière qui rêvait alors d'un apostolat héroïque dans les Missions d'outre-mer. Il lui écrivit : 105


Marie-Adélaïde de Cicé « Là-bas sans doute vous ferez du bien au prix de grandes fatigues et parmi de grands hasards, mais aujourd'hui, avec moins de dangers et de combats que parmi nous en France. Ici vous ferez aussi du bien, peut-être même un plus grand bien, mais en plus vous aurez certainement davantage à combattre et à souffrir. Décidez-vous d'après cela. Je prie le Père des Lumières de vous donner abondamment toutes celles dont vous aurez besoin » (46).

Devant un tel appel à la générosité, M. de Cicé ne pouvait qu'acquiescer à la pensée du Père de Clorivière. Tandis que ses frères et sœurs émigraient à l'étranger, elle décida de rester en France pour y avoir « plus à combattre et à souffrir ». Le groupe des pieuses et courageuses femmes dont elle était l'âme et déjà la Mère, ne pouvait que suivre son exemple. Résolu à travailler en France contre l'impiété grandissante en faisant refleurir la vie religieuse sous une forme nouvelle, le P. de Clorivière s'empressa de donner un lien religieux aux deux Associations naissantes. Il choisit le 2 Février 1791 fête de la Présentation, pour une discrète mais décisive inauguration. Au matin de cette importante journée, six prêtres montèrent avec lui à Montmartre comme autrefois saint Ignace avec ses premiers compagnons. Il célébra la Messe et reçut leur consécration que chacun d'eux prononça à voix basse avant la communion. Le même jour, à Paris dans un lieu inconnu, quelques Filles de Marie s'unissaient à l'oblation de Montmartre par une consécration semblable tandis que quatre autres la prononçaient à Saint-Malo, trois à Paramé, et M. de Cicé isolément à Dinan. Elles étaient douze en tout, petite 106


Double inspiration du Père

semence qui avec la bénédiction divine devait fructifier au centuple et devenir un grand arbre. Le texte de la Consécration se transmettait par copies manuscrites et se formulait ainsi : « A la plus grande gloire de Dieu, Nous soussignées... le 2 Février 1791, n'ayant en vue que la Gloire de Dieu, et mettant toute notre espérance dans le Seigneur, sous les auspices de l'Auguste Vierge Marie, Mère de Dieu, à laquelle nous nous consacrons d'une manière spéciale en qualité de ses servantes, de ses disciples et de ses enfants... Nous nous unissons pour former ensemble une Association spirituelle et religieuse, sous le nom de Société de Marie à dessein de marcher nous-mêmes avec le secours de la grâce divine, le plus près qu'il nous sera possible à la suite de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de sa Très Sainte Mère, et de contribuer à faire refleurir la perfection premièrement en nous-mêmes et ensuite parmi les personnes de tout état de notre sexe que Dieu y appellerait, et pour cela de joindre nous-mêmes et de porter ces personnes à joindre elles aussi, aux vertus communes du Christianisme, la pratique des vœux de chasteté, d'obéissance et de pauvreté, conformément aux Règles de la petite Société de Marie. Nous ne prétendons cependant former cette Association que dans l'espérance où nous sommes de la voir un jour confirmée et autorisée par la Sainte Église dont nous serons toujours les enfants soumises et obéissantes » (47).

Une lettre écrite à Mlle Louise de Gouyon de Beaufort en 1791 donne l'écho de ce que durent être les sentiments intimes de Mère de Cicé en cette première consécration : « C'est, dit-elle, l'offrande la plus entière de soi-même, son âme et toutes ses puissances, son corps et toutes ses forces, tout ce qu'on peut posséder et tout ce qu'on possède, tout ce qui dépend et ce qui dépendra de nous, on ne veut plus rien, on ne 107


Marie-Adélaïde de Cicé désire plus rien que dépendamment de la volonté divine et conformément à cette volonté; on veut tout ce qu'elle veut et comme elle le veut, on ne refuse rien de ce qu'elle ordonne, on accepte toutes les peines, toutes les croix. C'est une suite du grand précepte de la charité : vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces. Enfin, ma chère Amie, après cette Consécration nous ne devons plus nous regarder comme nous appartenant à nousmêmes, mais à Notre-Seigneur qui nous appelle à Le suivre et à la voix duquel nous répondons autant que nous en sommes capables en nous offrant à Lui sans réserve par les mains de sa Très Sainte Mère pour remplir toutes ses volontés et nous mettre en état de suivre les desseins qu'il a eus sur nous de toute éternité. Notre fidélité dans la suite est la mesure de la volonté et de la ferveur avec laquelle nous embrassons d'abord le service de Dieu. Cette réflexion doit nous porter à ne rien négliger pour que cette Consécration de nous-mêmes soit très agréable au Seigneur » (48).

LE GRAIN DE SÉNEVÉ EN BRETAGNE

Tandis qu'il œuvrait à Paris, le Père de Clorivière avait chargé M. de Cicé de s'occuper du groupe de Bretagne déjà existant et de recruter de nouveaux membres. Elle s'y employa avec tout son zèle et toute sa bonne grâce conquérante ; ses premières Filles nous en ont laissé des témoignages émouvants. Mlle Amable Chenu raconte comment M. de Cicé vint la voir avec sa sœur Thérèse : 108


Double inspiration du Père « Elle était, dit-elle, très simplement vêtue, portant un vêtement noir, une pelisse et une capote de la même couleur, mais il y avait dans toute sa personne un mélange de grandeur et d'humilité qui lui donnait un charme infini. Après les salutations de bienvenue, Mlle de Cicé récita avec nous la petite Couronne de la sainte Vierge (dix Ave Maria). Jamais je ne m'étais senti tant de dévotion, tant sa ferveur était communicative. Elle nous lut le Plan de la Société qu'elle nous laissa pour en prendre copie. Elle agréa le frugal dîner qu'elle partagea avec nous et sa femme de chambre, Mlle Lemarchand. Sur ces entrefaites arriva une de nos petites nièces de sept à huit ans qui se mit à frapper vivement à la porte. Nous ne voulions pas ouvrir pour ne pas interrompre la lecture que nous faisait Mlle de Cicé, mais celle-ci fit entrer l'enfant et dès lors elle ne s'occupa plus que d'elle, la caressant, lui donnant un chapelet, lui promettant un beau cantique qu'elle lui envoya en effet. Je n'oublierai jamais l'air de paix et de grâce qui rayonnait sur son visage. Après cela, reprenant la lecture de l'acte de Consécration, elle en fit le commentaire qui me pénétra jusqu'au fond de l'âme. Sa piété était admirable comme sa charité sans bornes. Toutes les fois qu'elle me parlait de Dieu, les larmes roulaient dans ses yeux. Je ne pourrais exprimer l'émotion qui s'emparait de moi et le souvenir m'en fait encore pleurer. Tout ce que la charité peut avoir d'aimable dans une créature était dans M. de Cicé ! Heureux et mille fois heureux le cœur qui possède d'aussi divins dons! »

Les pauvres connaissaient le chemin de sa maison. Les années 1789, 1790, 1791 ayant été des années de disette et de grande cherté de vie, M. de Cicé multiplia ses secours et ses dons. C'est à cette époque que se placent sans doute les faits que raconte Mme de Saisseval dans ses souvenirs : « Étant allée, dit-elle, célébrer à Saint-Servan le cinqùan109


Marie-Adélaïde de Cicé tième anniversaire de notre Fondation, on me montra aux Rochers, près de Saint-Malo, une maison où M. de Cicé aurait habité. Là on me fit voir un grenier qui plus d'une fois avait été le théâtre de la multiplication d'un demi-sac de farine qu'elle s'était procuré à grands frais. Malgré l'assistance journalière que M. de Cicé prodiguait aux pauvres là-dessus, un témoin m'a assuré que ce merveilleux petit tas n'avait pas diminué tant que dura la disette. Il me fut dit la même chose du bûcher de M. de Cicé. Il ne pouvait contenir qu'une petite provision de bois. Elle y prenait plusieurs fois par jour pour ses pauvres et cette petite provision ne s'épuisa pas tant que dura cette rude saison. Pour elle-même elle ne se servait que d'une chaufferette dans les plus grands froids » (49).

De tout temps la prière et la confiance ont obtenu des miracles!

*

Sous la sage et fervente impulsion de M. de Cicé, le petit groupe breton dispersé entre Dinan, Saint-Malo, Paramé, Saint-Servan, croissait en nombre et en vertu formant déjà comme un embryon de Noviciat pour la nouvelle Société. Il n'en était pas de même à Paris où les premières associées s'étaient dispersées et découragées à la suite de l'expulsion de la Communauté des « Miramiones » où 110


Double inspiration du Père

elles s'étaient d'abord retirées. Cependant le P. de Clorivière écrivait de Paris le 30 Avril 1791 : « Il y aurait ici bien des personnes qui seraient propres et prêtes à entrer dans cette Société mais il faudrait une personne pour les conduire, les former... » (50)

Puis d'un ton grave et avec une grande hauteur de vues et un aperçu quasi-prophétique des événements, il continuait : « C'est à Paris ce me semble que l'une et l'autre Société doivent commencer; c'est delà que vient le mal, c'est de là que doit aussi venir le remède au mal. LE TEMPS D'ENTREPRENDRE QUELQUE CHOSE DE GRAND POUR LE SEIGNEUR EST VENU. La grandeur des maux que souffre la religion sollicite un prompt secours. Il faut sauver avec nous du naufrage le plus de personnes que nous pourrons. Vous dirai-je que notre Bon Maître le désire ? Qu'il attend cela de notre amour ? J'en suis convaincu pour ce qui me regarde. Pour vous, Mademoiselle et très chère fille, que pensez-vous de vous-même ? Pouvez-vous dire que Dieu ne vous ait pas fait de grandes grâces ? Que Notre-Seigneur ne vous ait pas prévenue dès l'enfance de ses plus douces bénédictions? Ne vous a-t-il pas inspiré depuis longtemps le désir de la perfection, celui même de travailler à celle d'autrui ? S'il n'a pas permis que vous vous consacriez à Lui dans le cloître, Il vous a montré le moyen de le faire dans le monde. Dilatez votre cœur, donnez l'essor à vos désirs. Oubliezvous vous-même ; n'arrêtez plus tant vos yeux sur votre faiblesse. Songez à Celui dont le bras tout-puissant vous soutiendra si vous fixez les yeux sur Lui au lieu de les tenir fixés sur vous-même. Devinez-vous maintenant quelle est celle que je crois choisie de Dieu pour procurer à sa Sainte Mère un grand


Marie-Adélaïde de Cicé nombre de Filles chéries? Il faut qu'elle ait un grand désir de sa perfection, du zèle pour celle d'autrui; qu'elle soit prête à tout sacrifier pour procurer l'un et l'autre; que sans avoir été religieuse elle connaisse les obligations et la pratique des conseils évangéliques. Il faut, pour le naturel, qu'elle ait de la prudence, mais non pas celle de la chair; qu'elle ait quelque chose de liant dans l'esprit, qu'elle sache s'accommoder aux différents esprits pour les gagner tous à Jésus-Christ; qu'elle ne craigne pas sa peine; qu'elle ait quelque ressource dans l'esprit et quelque expérience dans les choses ordinaires de la vie. Or, je trouve toutes ces choses dans une personne que le Seigneur m'a adressée il y a déjà quelques années et dont je désire bien sincèrement la perfection...» « C'est donc à cette personne que je crois pouvoir dire qu'elle est l'instrument dont Dieu veut se servir pour l'exécution de son dessein. Je ne lui dirai pas qu'elle a toutes les qualités propres pour cela mais je puis l'assurer que si la bonne volonté ne lui manque pas, Dieu suppléera abondamment à tout le reste... Cependant je ne veux point en ceci rien prescrire, rien commander, que l'âme se sonde elle-même, qu'elle sonde ses dispositions après avoir consulté le Seigneur. Si cette âme, comme je le suppose, veut s'abandonner à la conduite du SaintEsprit et n'a point d'autre désir que d'accomplir sa Volonté sainte, je ne doute nullement qu'il ne mette en elle les dispositions qu'exigent les desseins qu'il a sur elle. C'est par ces dispositions que l'interprète des volontés du Seigneur à son égard pourra les lui faire connaître d'une manière plus sûre » (50).

Cette lettre à la fois mystérieuse et claire, discrète et pressante, d'une rare élévation de pensée et d'un pur surnaturel, toute animée d'un souffle apostolique, ne pouvait manquer d'émouvoir profondément M. de Cicé. Elle était certes courageuse mais d'un tempérament très sensible et d'un esprit qui doutait facilement de lui112


Double inspiration du Père

même. La grandeur du rôle qui lui était offert et qui entraînait de telles responsabilités ne pouvait manquer de l'impressionner et même de l'effrayer. De plus, comme elle l'a avoué plus tard elle-même, ce lui était un très dur sacrifice que de quitter sa chère Bretagne et de se dépayser à bien des points de vue en s'aventurant à Paris, en cette période révolutionnaire faite de troubles et de dangers de toutes sortes. D'autre part, cette invitation de son directeur n'était-elle pas l'appel de Dieu même? N'était-ce pas la réponse autorisée à ses meilleures aspirations, la confirmation de cette « vocation », de cette mission qu'elle avait entrevue dès 1776 dans la retraite lumineuse et bouleversante qu'elle avait faite alors à Rennes ? Faisant appel à son énergie naturelle héritée de sa race, à toute sa foi en Dieu, à la confiance surnaturelle qu'elle avait en son saint directeur, dans une prière ardente aux pieds de Notre-Seigneur, Mère de Cicé surmonta ses angoisses. En pleine lumière comme en pleine liberté, elle prononça son Fiat. Devant l'autorité qui lui était conférée et la dignité qui lui en revenait, elle ressentit un besoin plus intense d'humilité et de dépendance plus absolue du Père de son âme. Elle lui demanda donc et obtint ce qu'elle avait déjà sollicité plusieurs fois en vain, de faire entre ses mains vœu d'obéissance selon la formule suivante : « Seigneur Dieu Tout-Puissant et Éternel, moi, Adélaïde Marie Champion de Cicé, prosternée en votre présence, quoique très indigne, me confiant cependant en votre bonté et miséri113


Marie-Adélaïde de Cicé corde, fais vœu à Votre divine Majesté en présence de la glorieuse Vierge Marie et de toute la Cour céleste, d'obéissance à M. de Clorivière, sous l'autorité de tous supérieurs légitimes, suppliant très humblement votre Bonté infinie par le Très Précieux Sang de Jésus-Christ, qu'il vous plaise de recevoir cet holocauste en odeur de suavité. Et puisqu'il vous a plu de me donner la grâce de le désirer et de vous l'offrir, accordez-la moi encore pour le continuer et l'accomplir tout le reste de ma vie » Le 6 Juin 1791 » (51).

Quelques jours après le Père de Clorivière lui écrivait du Château de Limoëlan où il s'était réfugié : « Puisqu'il a plu au Seigneur de me charger d'une manière spéciale du soin de votre âme et qu'il vous a inspiré le désir de vous mettre sous ma conduite, je dois vous avertir le plus souvent que je le pourrai de ce que je croirai convenable pour votre avancement dans la perfection. Perdez-vous donc vous-même de vue et ne fixez les yeux que sur Celui dont vous attendez votre force et votre salut » (52).

Cependant M. de Cicé s'employait à mettre tout en ordre dans ses affaires et dans celles de la Société avant son grand départ pour la capitale. Elle remettait le soin de son petit essaim breton à Mlle Amable Chenu, de Paramé, sous la direction de l'Abbé Engerrand et avec l'assistance de la Mère Marie de Jésus de Saint-Servan. De son côté le P. de Clorivière préparait son arrivée à Paris. Il lui conseillait de ne pas descendre dans un couvent mais de prendre plutôt un logement particulier, ce qui la laisserait plus libre de ses mouvements. Il lui écrivait le 20 Août 1791 : 114


Double inspiration du Père « Vous n'aurez pas désormais grand temps à demeurer en Bretagne. Monsieur l'Archevêque de Paris (Monseigneur de Juigné) a répondu à son Grand Vicaire qu'il approuvait notre projet et qu'il le jugeait très propre à procurer la Gloire de Dieu. C'est tout ce que je désirais pour vous dire de venir dans ce pays où vous êtes bien attendue. Vous aurez notre bon ami M. Cormeau pour compagnon de voyage. » (5 3)

Et le 15 Octobre, en la fête de sainte Thérèse : « J'ai reçu hier au soir, ma chère fille, votre lettre du 10 de ce mois et j'y réponds le jour que vous devez arriver à Rennes sous les auspices d'une grande Sainte qui a entrepris elle-même de longs et pénibles voyages pour la gloire de son divin Époux. Voyagez avec elle et comme elle; il est bon que vous vous instruisiez à son école... Soyez pleine de confiance en Dieu; c'est Lui qui met la persuasion sur vos lèvres pour attirer à Lui les âmes sur lesquelles Il a des desseins particuliers de miséricorde; suivez avec docilité les saintes inspirations qu'il vous donne. Il y a bien des marques que c'est vous qu'il a choisie pour son œuvre » (54).

Et le Père ajoute car malgré sa ferme résolution d'aller de l'avant M. de Cicé éprouvait de pénibles alternatives de confiance et d'abattement : « N'en demandez pas davantage et ne veuillez pas avoir làdessus une certitude entière et exempte de tout doute; le Seigneur ne la donne pas d'ordinaire. Il s'indigne même contre ceux qui semblent l'exiger. Cette sorte d'obscurité nous est bien salutaire et c'est pour nous un moyen de pratiquer excellemment la confiance, l'abandon et l'amour » (54). "5


PHOTOS 25 -

Vieille rue de Dinan telle que dut la parcourir M. de Cicé en

i/88.

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(PHOTO GIRAUDON)

Intérieur de l'église St-Sauveur à Dinan où le Père de Clorivière, descendant de la chaire, fut arrêté encore en barrette et en surplis, le 26 mars 1790. - Autographe : lettre du P. de Clorivière. - Autographe : Vœu d'obéissance de M. de Cicé. et 30 - Paysages bretons.

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Double inspiration du Père

Vers la mi-octobre M. l'Abbé Cormeau, un des fils et des premiers disciples du Père de Clorivière, futur martyr, put rejoindre M. de Cicé à Rennes et l'accompagner jusqu'à Paris. Une grâce insigne fut accordée à ce voyage : la présence invisible et toute puissante du Très Saint Sacrement que le prêtre emportait avec lui.



A PARIS SOUS LA TERREUR

A son arrivée à Paris aux premiers jours de Novembre, M. de Cicé trouva trois Filles du Cœur de Marie qui l'attendaient à sa descente de la diligence de Bretagne : Mlles Deshayes, Lejay et Laurence Paumier, l'ancienne et fidèle servante du P. de Clorivière à Paramé. Ce dernier n'avait pas cru devoir paraître par prudence mais avait fait préparer un logement pour M. de Cicé, rue des Postes n° 8. Il se cachait non loin de là au troisième étage d'un immeuble du Faubourg Saint-Victor et s'occupait activement à organiser, soutenir et consolider les deux Sociétés même aux dépens de sa propre sécurité. 123


Marie-Adélaïde de Cicé

De son côté, Mère de Cicé aussitôt arrivée à Paris se fit conduire par Laurence Paumier auprès de chacune des Filles de Marie de la capitale, elle les invita à des réunions régulières où elles recevraient d'utiles instructions sur les règles de la Société, les vœux et la manière de les observer. Loin de sa chère Bretagne et de sa famille, considérée comme suspecte en tant que sœur d'évêques et d'émigrés, sans cesse entourée de dangers, sous la menace continuelle des pires maux, l'arrestation, la prison, la mort, elle ne pouvait que difficilement communiquer avec le P. de Clorivière qu'elle voyait rarement. Elle connut alors une très douloureuse solitude de cœur et l'impression d'un accablant isolement. Le P. de Clorivière le comprenait et lui écrivait : « Ma chère fille, votre solitude est grande, votre position est périlleuse, je n'y vois rien qui puisse me rassurer et vous rassurer vous-même qu'une certitude morale que vous êtes dans l'ordre de Dieu, que vous n'avez point agi contre les règles de la prudence. Que nous reste-t-il après cela? sinon de nous reposer amoureusement et sans inquiétude dans le sein de la divine Providence et d'attendre paisiblement de sa main tous les événements qu'elle voudra bien permettre et la disposition qu'il lui plaira de faire de nous. Ce repos ne sera pas sans douleur; c'est le repos d'une âme sur la croix et qui dit croix dit amas de douleurs, de peines intérieures et extérieures, de troubles et d'agitations involontaires, mais que tout cela ne nous fasse point sortir de notre repos. Ne devons-nous pas mettre notre consolation à n'en avoir aucune, et à boire avec notre divin Maître toute l'amertume du calice que Lui-même a bu le premier? » (55).

Encouragée et fortifiée par cette énergique et sainte direction, M. de Cicé malgré un penchant naturel à la 124


A Paris sous la Terreur

crainte trouvait le courage de se vaincre et d'aller de l'avant avec une intrépide vaillance. Cependant les réunions et conférences ordinaires de l'hiver 1791-1792 ne furent pas toujours possibles. A l'horizon le ciel s'assombrissait, la situation s'aggravait de jour en jour. Le Roi restait indécis, impuissant; l'Assemblée n'avait ni expérience ni autorité ni prestige. Les clubs s'agitaient et réclamaient la convocation d'une Convention nationale « neuve, pure, incorruptible » qui allait favoriser l'accession au pouvoir de Robespierre. L'ère de la Terreur se préparait. M. de Cicé entravée dans son activité de Supérieure s'adonnait avec d'autant plus de zèle à son ministère de charité qu'elle aimait tant et n'abandonna jamais. « Elle forma à Paris avec d'autres saintes dames une association destinée à remplacer les maisons de charité que l'on y détruisait, en procurant aux personnes pauvres ou malades les secours, soit spirituels, soit temporels qui leur étaient nécessaires. Elle était la modeste Supérieure de cette pieuse confédération, à la grande édification de ses compagnes et à la satisfaction des pauvres gens » (56).

De son côté le Père de Clorivière suivait avec une active sollicitude le développement des deux Sociétés. Le 8 Août, jugeant que le moment de les consacrer dans leur fin était venu, par une lettre brève mais qui ne permettait pas d'hésiter, il pressa Mère de Cicé de prononcer ses Vœux dans la Société le jour de la fête du 15 Août 1792. La cérémonie de ces premiers Vœux, émis en des circonstances si tragiques, eut heu dans une chapelle ou un oratoire dont on n'a pas conservé le souvenir. L'exhor125


Marie-Adélaïde de Cicé tation écrite par le P. de Clorivière pour cette solennité est toute vibrante de foi, de courage et d'amour. On ignore si le Père lui-même l'a prononcée ou si elle a été lue en son nom. « Quel avantage plus grand, avait-il écrit, quel sort plus glorieux que d'avoir le Seigneur pour son partage, de chercher en Lui seul son plaisir et de n'appartenir qu'à Lui. Jetez avec moi, ma chère fille, un coup d'œil sur les saints engagements que vous allez prendre et vous n'aurez pas de peine à vous convaincre de plus en plus d'une vérité si propre à vous remplir en ce moment de force et de consolation. Vous verrez que par les vœux l'homme fait de lui-même à Dieu l'offrande la plus entière, le sacrifice le plus parfait dont il soit capable en cette vie et que par ce sacrifice il est introduit dans l'état le plus saint et le plus sublime qu'il puisse y avoir dans le monde. Le Seigneur vous a choisie pour être la première pierre du nouvel édifice qu'il élève à Sa gloire et à la gloire de sa Sainte Mère. Nous pouvons espérer qu'il se servira de vous pour attirer à sa suite un cortège nombreux de vierges qui s'efforcera de le dédommager, par la ferveur de ses hommages, par la pureté de son amour, par la pratique des Conseils évangéliques des outrages d'un monde impie, qui, en haine de Jésus-Christ, a juré d'abolir toute profession où l'on se fait gloire de Lui appartenir... ... Ce ne sera pas dans l'enceinte d'un cloître que vous serez réunies, la malice du siècle a détruit les lieux saints où l'innocence et la piété trouvaient asile. C'est au milieu du monde, avec ses livrées, qu'il faut lui montrer que c'est en vain qu'il s'efforce d'anéantir la pratique des Conseils évangéliques... ... La Reine puissante des Cieux, le modèle et la patronne spéciale des vierges, Marie, en ce jour de son triomphe, vous attend, prête à vous reconnaître pour sa fille bien-aimée... ... Que de motifs de dilater votre cœur par une sainte joie, 126


A Paris sous la Terreur d'animer votre confiance et de faire votre sacrifice avec une ardeur toute nouvelle » (57).

Dans ce sanctuaire ignoré le Magnificat fut chanté à demi-voix tandis qu'au dehors les vociférations d'une foule fanatique se mêlaient aux accents de la sanguinaire Carmagnole.

* * Une des premières œuvres de charité des Filles de Marie en ce temps de persécution était de cacher les « prêtres réfractaires », de leur faciliter la célébration de la Sainte Messe et l'exercice de leur ministère pastoral. M. de Cicé s'y employait de tout son cœur avec autant de zèle que de prudence, veillant en premier lieu à la sécurité du P. de Clorivière, le Père de son âme et de la Société. Or ce dernier avait appris qu'un mandat d'arrêt avait été lancé contre lui. Il quitta donc la rue de La Chaise au lendemain des massacres de Septembre et se réfugia à Villers-sous-Saint-Leu dans le château d'un de ses oncles le marquis de Mascrani, où il séjourna environ un mois. A son retour il se rendit rue Cassette où il vécut caché dans un étroit réduit, entre deux murs, sans air, sans lumière, ne sortant de là que la nuit pour l'exercice urgent du ministère des âmes. Pendant ce temps M. de Cicé continuait à se dépenser sans compter pour ses Filles et les pauvres. Elle venait même d'entrer comme infirmière volontaire à l'Hospice des Incurables de la rue de Sèvres afin de pouvoir mieux soigner une malade à laquelle elle s'intéressait particulièrement, sans doute une ancienne carmélite. 127


Marie-Adélaïde de Cicé

Aspect intérieur d'une salle de malades.

A ce sujet le P. de Clorivière lui avait écrit : « Tranquille sur mon compte, je ne le suis pas également sur le vôtre. Je ne vous vois pas avec plaisir dans votre hôpital; l'air y est très malsain et mon imagination se figure déjà sur vous les choses les plus tristes. De grâce, transportez-vous ailleurs avec votre malade » (58).

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A Paris sous la Terreur

M. de Cicé allégua un devoir de charité pour ne quitter les Incurables que lorsque la malade pourrait revenir à son domicile. Le P. de Clorivière acquiesça. Il lui écrit encore : « Je me réjouis avec vous des consolations que Dieu vous a données. » Lesquelles ? Probablement la Lettre pastorale du 10 Août 1792 dans laquelle l'ancien Archevêque de Bordeaux, le frère aîné d'Adélaïde, réfugié en Belgique, reconnaissait ses torts, ses erreurs et ses fautes et demandait pardon à ses diocésains du scandale qu'il avait donné. Le retour de ce frère prodigue devait la consoler grandement.

Le Plessis Pont-Pinel, maison de campagne de Mme des Bassablons où séjourna le P. de Clorivière et où M. de Cicé rencontrait ses premières filles de Bretagne. Mme des Bassablons fût condamnée à mort pour y avoir caché des prêtres réfractaires.

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Marie-Adélaïde de Cicé

D'autre part à travers les tristes et sanglants événements de la Terreur, la Société progressait en nombre et en sainteté. Elle avait même l'insigne honneur d'avoir déjà une première martyre dans la personne de Madame des Bassablons, arrêtée à Saint-Malo comme fanatique et guillotinée à Paris le 21 Juin 1794. Le Père de Clorivière pouvait écrire avec une légitime fierté : « Plusieurs de nos associés dans les massacres de Septembre et d'autres depuis, comme M. Cormeau, ont souffert et sont morts pour la foi. On compte aussi parmi les victimes une Fille de Marie que ses rares vertus faisaient vénérer universellement; de sorte que les deux Sociétés ont pris possession du Ciel avant d'être encore bien établies sur la terre » (59).

Il est facile de se figurer ce que la vie à Paris dans ces circonstances tragiques réclamait à tout instant de courage et de foi. C'étaient d'une part de constants dangers alors que pour une parole ou un geste imprudent on devenait suspect. C'était aussi la terreur inspirée par une foule exaltée dont les chants haineux et les cris de mort se mêlaient au roulement lugubre des charrettes fatales tandis que de sacrilèges et odieuses processions se déroulaient en l'honneur de la déesse Raison. De Paris M. de Cicé ne perdait pas de vue sa lointaine Bretagne et une de ses filles Mlle Amable Chenu écrivait : « Bien que M. de Cicé nous ait remises entre les mains de la Mère Marie de Jésus pour nous enseigner les devoirs de notre sainte vocation, elle ne discontinua pas de nous écrire et de nous faire écrire par le P. de Clorivière. Un grand nombre de ses lettres ont été brûlées mais souvent avant de les jeter au feu j'en copiais des passages pour le bien de mon âme, par exemple : « Ne songez point à l'avenir avec inquiétude : à 130


A Paris sous la Terreur chaque jour suffit son mal. A toutes vos appréhensions il y a réponse dans cette parole : Dieu y pourvoira ; et encore ce mot du Seigneur à sainte Catherine de Sienne : Pense à moi, je penserai à toi! De telles paroles ranimaient mon courage » (60).

Cependant dans la capitale, même en pleine Terreur, M. de Cicé avait enfin réussi à organiser quelques réunions clandestines dans les quartiers solitaires et paisibles de l'Ile Saint-Louis, dans la maison de confection de deux pieuses filles, Mlles Suzanne et Geneviève Bertonnet dont

Dessin allégorique figurant sur le souvenir mortuaire de Suzanne et Geneviève Bertonnet. Elles avaient fait leur consécration dans la Société : Suzanne en 1797, Geneviève en 1799.

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Marie-Adélaïde de Cicé

l'atelier portait le nom de pension et ne pouvait guère attirer les soupçons de la police. « VOUS ÊTES BIEN LA VRAIE MÈRE DE LA SOCIÉTÉ. »

Devant cette activité si féconde et ce dévouement si intrépide, le P. de Clorivière, sobre cependant d'éloges, ne peut retenir son admiration et il écrit : « Les peines que vous vous donnez, ma chère fille, montrent que vous êtes bien la vraie Mère de la Société et je bénis de tout mon cœur Dieu et sa Très Sainte Mère de m'avoir donné en vous une si bonne coopératrice pour l'honneur de leurs Sacrés Cœurs. Ne nous décourageons pas dans les épreuves générales et particulières que Dieu nous envoie. Elles sont nécessaires pour l'accroissement de la bonne œuvre comme la neige et les frimas le sont à la terre. Nos Sociétés sont encore comme ces jeunes arbrisseaux qu'il faut entourer d'épines pour les préserver de la morsure des bêtes. Mais ayons confiance! Dieu viendra à notre secours dans le temps le plus convenable et alors notre tristesse sera changée en joie » (61).

Jusque-là M. de Cicé avait vécu rue des Postes. A la fin de Décembre 1792 elle vint loger rue Cassette non loin du P. de Clorivière caché dans une maison voisine, ce qui lui permettait de recourir directement et assez souvent à ses conseils. En 1795 le Directoire a remplacé la Convention, un certain apaisement se fait sentir. La guillotine ne fonctionne plus mais les proscriptions et déportations se succèdent. La Société vit dans l'ombre et le 20 Janvier 1797 M. de Cicé écrit encore : 132


A Paris sous la Terreur « Nous sommes toujours ici dans le même état, c'est-à-dire tranquilles, mais sans nous assembler. Dieu a ses desseins en cela, il faut les adorer et s'y soumettre. Prions plus que jamais dans ces temps où le Seigneur est si offensé » (62).

Les émigrés commençaient à rentrer. Parmi eux des jeunes filles, des veuves que la misère et les souffrances de l'exil avaient acheminées vers l'unique recherche de Dieu, ce qui explique une floraison de vocations qui viennent alors à la Société. D'autres recrues arrivent aussi en Bretagne. Le Père de Clorivière a compté luimême qu'en 1799 les Filles de Marie étaient au nombre de 259. En cette même année 1799 la maison de la rue Cassette n° 11 était devenue suspecte à la Police par les allées et venues fréquentes qu'on y remarquait chaque jour. M. de Cicé fut dénoncée comme sœur d'émigrés, entretenant une soi-disant correspondance secrète avec les chefs des Chouans, ses compatriotes. Un agent fut chargé d'une enquête à domicile. Il vérifia la présence de M. de Cicé dans le local et ajouta : « Dans le peu de temps que j'ai été dans la cour, j'ai aperçu sept malles qui venaient d'être déchargées. J'observe qu'avec une scrupuleuse perquisition on trouvera caché dans ce repaire, ou ses frères ou autre de semblable espèce, ou tout au moins des papiers. Je sais pertinemment qu'elle a toujours correspondu avec les ennemis du gouvernement mais j'ignorais sa demeure. Sa chambre est au premier à gauche. On y peut monter aussi à droite par un escalier droit. »

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Marie-Adélaïde de Cicé

Le 3 Fructidor an VII (23 août) M. de Cicé fut arrêtée et écrouée au Dépôt des Prévenues où elle devait rester trois semaines. Le procès-verbal de son interrogatoire a été conservé. En tête figure son signalement qu'il est intéressant de reproduire : « La citoyenne nommée ci-après nous a paru avoir la taille de 1 m 57, les cheveux bruns, les sourcils item, le front haut, le nez bien fait, les yeux bruns, la bouche moyenne, le menton rond, le visage ovale, pâle et maigre » (64).

M. de Cicé répond à leurs diverses demandes avec beaucoup de calme et de dignité : « Elle a 50 ans, elle est noble mais sans être titrée. Elle n'a point été religieuse. Elle reconnaît pour sienne la boîte fermée en sa présence lors de la perquisition ainsi que les objets qu'elle renferme et qui lui sont représentés. Elle possède un triple certificat de résidence sur le territoire de la République depuis le mois de Mai 1792, sans interruption. Elle n'a donc pas émigré. Elle nomme son père, sa mère, ses frères et sœurs. Mais quand on lui demande : Qui voyez-vous habituellement à Paris? elle répond fermement : Des personnes de ma connaissance et je ne me crois pas obligée d'en rendre compte » (64).

Vint la question suggérée par le policier de la première enquête relative à cette « grande quantité de malles et de paquets suspects remarqués dans la cour de la maison ». M. de Cicé expliqua en souriant que dans la même maison demeurait un roulier qui faisant des voyages en divers pays recevait des ballots, caisses et paquets pour différentes destinations. 134


A Paris sous la Terreur

Elle justifie des domiciles qu'elle a occupés à Paris depuis 1791 : Rue de Sèvres aux Incurables, rue des Postes et rue Cassette n° 11. « Avez-vous déjà été arrêtée ?» — « Jamais ! » Sur quoi l'interrogatoire est clos et signé par l'interrogée et l'interrogateur C. Milly, qui conclut : « ... Considérant que la citoyenne de Cicé, soupçonnée d'émigration justifie des certificats de résidence dûment en règle; qu'elle n'est point portée sur la liste des émigrés; que la correspondance trouvée chez elle ne contient rien qui vienne à l'appui du soupçon dont elle paraissait atteinte, mais qu'on remarque seulement en elle des idées fanatiques où l'on trouve la preuve que la dite de Cicé ne s'occupe que de pratiques religieuses; qu'enfin rien n'annonce commerce ou correspondance avec les ennemis de l'État. ... Considérant en outre que sa santé paraît altérée, nous disons qu'elle sera mise en liberté sous la surveillance de la municipahté jusques à la décision du Ministre de la Police Générale, auquel ces pièces seront transmises par l'intermédiaire du citoyen Commissaire du Directoire près notre Administration » (64).

Avis conforme est donné le 16 Fructidor par le Commissaire du Directoire exécutif Lemaire qui, dans une lettre au Ministre de la Police Générale, déclare avoir examiné ces papiers avec le plus grand soin sans y avoir trouvé trace de la moindre intelligence avec les émigrés et les ennemis intérieurs de la République. Il ajoute : « Cette femme paraît avoir l'esprit fanatique et un peu aliéné, menant une vie fort retirée et n'ayant presque aucune liaison avec les autres locataires de la même maison. Le Commissaire de Police qui a mis à exécution le mandat d'amener a été d'avis de la rendre à la liberté en la mettant sous la surveillance du XIe Arrondissement » (65). T35


PHOTOS

Une des entrées de Paris : la Porte St-Denis, au XVIIIe siècle. - Rue des Postes : M. de Cicé était logée au n° S non loin de la résidence des Pères Jésuites. (ARCHIVES PHOTOGRAPHIQUES) - Place St- Victor ( Quartiers où habita M. de Cicé peu après - Place Maubert ( son arrivée à Paris (PHOTOS GIRAUDON) - L'église St-Étienne du Mont, dédiée à Ste Geneviève, fut la paroisse de M. de Cicé à son arrivée. - Scène de révolution. (PHOTO GIRAUDON) - Hospice des Incurables pour les indigents âgés ou malades, fondé par le Cardinal de La Rochefoucault en 1634, sur l'emplacement actuel de l'hôpital Laè'nnec. (PHOTO GIRAUDON)

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A Paris sous la Terreur

Le 22 Fructidor an VII le Ministre ratifiait ainsi les conclusions de l'Administrateur : « J'approuve d'après les motifs exprimés dans votre lettre du 16 Fructidor la mise en liberté de cette citoyenne et je vous invite à lui remettre les lettres et les certificats dont elle pourrait avoir besoin. Liberté et fraternité! » (65)

Le Ministre de la Justice dans le Directoire du Juin 1799 était Cambacérès, très opposé aux Jacobins et aux mesures violentes par lesquelles la Convention avait signalé son sinistre gouvernement. M. de Cicé était donc libre mais en liberté surveillée, ce qui l'obligeait à une prudence redoublée dans ses rapports avec les personnes qui se groupaient autour d'elle ainsi que dans toutes ses démarches même de charité. Son rôle de Supérieure devenait de plus en plus difficile et dangereux. Elle continuait cependant de le remplir avec intrépidité et un mérite d'autant plus grand que sa santé laissait fort à désirer et qu'elle souffrait de grandes peines intérieures dont nous trouvons l'écho dans certaines lettres du P. de Clorivière. Le 24 Mai 1799 il lui avait écrit : 18

« Vous êtes véritablement dans un état de désolation qui provient d'un excès de crainte et de tristesse. Au dehors la moindre chose vous afflige et vous tourmente, vous avez de la peine à vous supporter vous-même et vous croyez que les autres sont affectés par rapport à vous de la même manière... Vous vous croyez incapable de tout et vous vous persuadez qu'il en sera toujours de même... Vous n'avez point à craindre qu'il y ait rien dans votre position dont Dieu soit offensé. Je vous donne comme preuve

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Marie-Adélaïde de Cicé cette crainte même que vous portez à l'excès et dont le démon se sert pour vous troubler et vous tourmenter. Ce que vous avez à faire pour surmonter ses efforts et même les tourner à votre avantage, c'est : : i° d'accepter et de recevoir avec soumission tout ce qui se passe en vous de pénible, d'humiliant et même de défectueux qui ne provient pas de votre volonté libre; z° d'ouvrir votre cœur à la confiance qui n'est jamais plus solide et plus méritoire que quand elle est dénuée du sensible et qu'elle a même à repousser des sentiments tout à fait contraires ; 3 0 autant vous devez alors avoir de confiance en Dieu, autant il faut avoir de défiance de vous-même. Prenez courage, ma chère fille, avec un peu de constance vous triompherez, comme vous l'avez fait tant de fois avec le secours de la grâce divine et l'aide de l'obéissance » (66).

M. de Cicé triomphait si bien de ses appréhensions qu'au dehors et autour d'elle tout le monde admirait son calme, sa douceur inaltérable, la sagesse de ses conseils et de ses directives, sa bonté maternelle et la paix surnaturelle qui rayonnait de toute sa personne.

DOMINUS EST

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A SAINTE PELAGIE 1800

Le 18 Brumaire (9 Novembre 1795) le Consulat avait remplacé le Directoire. Le jeune Général Bonaparte, auréolé de ses brillantes victoires en Égypte et en Italie, était devenu Premier Consul. Tout en lui annonçait un chef prêt à remplir un rôle de premier plan à la tête du Gouvernement. Cette perspective effrayait à la fois les Jacobins dont Bonaparte désavouait les violences et les Royalistes qui combattaient en Vendée, si bien que quelques-uns d'entre eux s'unirent pour tramer un odieux complot visant à supprimer le Premier Consul. Le 3 Nivôse (24 Décembre 1800) Bonaparte se rendait du Carrousel à l'Opéra en passant par l'étroite rue Saint143


Marie-Adélaïde de Cicé

Nicaise lorsqu'une « machine infernale » éclata, ébranlant tout le quartier, tuant ou blessant plusieurs personnes mais laissant indemne le Premier Consul. Cet attentat criminel révolta la population parisienne avide de paix et mécontenta aussi la province. La répression fut sévère et bon nombre de Jacobins et de Chouans furent exécutés ou déportés. On rechercha aussi les complices. Par suite de circonstances inattendues et fâcheuses M. de Cicé fut soupçonnée d'être du nombre. Peu de jours après l'attentat, un nommé Carbon s'était présenté rue Cassette n° n sous la recommandation du Père de Clorivière. Il se donnait pour un émigré rentré en France avant d'avoir été rayé de la liste des proscrits. Il était, disait-il, en instance pour obtenir un permis de séjour et en attendant devait garder l'incognito. Il demandait l'hospitalité pour peu de jours. Rassurée par la personnalité de l'introducteur de Carbon, Mère de Cicé, toujours disposée à venir en aide aux malheureux ne put cependant, faute de place, loger chez elle le prétendu émigré. Elle pria une de ses amies, Mme de Gouyon de Beaufort, de l'emmener chez Madame Duquesne rue Notre-Dame-des-Champs où il serait reçu et abrité par des religieuses, les « Dames de Saint-Michel ». Carbon ne tarda pas à être découvert par la police. Le malheureux crut sauver sa vie en trahissant le nom de celle qui lui avait procuré un refuge. Le 30 Nivôse Mère de Cicé fut inculpée avec ses deux amies, arrêtée et écrouée à Sainte-Pélagie, elle devait y demeurer trois mois jusqu'à ce que son affaire fut instruite et portée aux Assises. Il y allait de sa tête. 144


A Sainte Pélagie -1800

A Sainte Pélagie elle se trouvait en ttiste société avec des tricoteuses de la Terreur et des femmes perdues. Loin de se laisser déconcerter par cette promiscuité, M. de Cicé s'attacha à gagner les cœurs de ces pauvres misérables pour arriver à gagner et à sauver leurs âmes. Ce qui est admirable, c'est qu'elle y réussit ! Regardée d'abord avec étonnement et une certaine méfiance par ces femmes, elle se rapprocha bientôt d'elles, sut leur parler, s'intéresser à leurs préoccupations, à leurs souffrances, à leur repentir. Elle leur rendait toutes sortes de services, partageant ses bas, ses chaussures, son linge avec les plus indigentes comme une sœur délicate et généreuse avec ses sœurs. Elle leur apprit des cantiques qu'elles chantaient volontiers au heu de leurs chansons frivoles ou obscènes, ce qu'elles continuèrent de faire longtemps encore après la libération de M. de Cicé. L'atmosphère morale de la prison était transformée. Les internées avaient remarqué les heures de prière de M. de Cicé et avaient convenu entre elles de faire silence à ces moments-là pour ne pas troubler le recueillement de leur sainte compagne. Elles lui firent promettre de revenir les voir si elle était acquittée. M. de Cicé revint en effet avec le titre de visiteuse qu'elle avait obtenu officieusement. * **

Le P. de Clorivière avait trouvé le moyen de lui faire parvenir une lettre de consolation (28 janvier 1801) rédigée comme venant d'une amie : « Je prends toujours, ma bonne amie, une part bien vive à

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Marie-Adélaïde de Cicé

Nicaise lorsqu'une « machine infernale » éclata, ébranlant tout le quartier, tuant ou blessant plusieurs personnes mais laissant indemne le Premier Consul. Cet attentat criminel révolta la population parisienne avide de paix et mécontenta aussi la province. La répression fut sévère et bon nombre de Jacobins et de Chouans furent exécutés ou déportés. On rechercha aussi les complices. Par suite de circonstances inattendues et fâcheuses M. de Cicé fut soupçonnée d'être du nombre. Peu de jours après l'attentat, un nommé Carbon s'était présenté rue Cassette n° n sous la recommandation du Père de Clorivière. Il se donnait pour un émigré rentré en France avant d'avoir été rayé de la liste des proscrits. Il était, disait-il, en instance pour obtenir un permis de séjour et en attendant devait garder l'incognito. Il demandait l'hospitalité pour peu de jours. Rassurée par la personnalité de l'introducteur de Carbon, Mère de Cicé, toujours disposée à venir en aide aux malheureux ne put cependant, faute de place, loger chez elle le prétendu émigré. Elle pria une de ses amies, Mme de Gouyon de Beaufort, de l'emmener chez Madame Duquesne rue Notre-Dame-des-Champs où il serait reçu et abrité par des religieuses, les « Dames de Saint-Michel ». Carbon ne tarda pas à être découvert par la police. Le malheureux crut sauver sa vie en trahissant le nom de celle qui lui avait procuré un refuge. Le 30 Nivôse Mère de Cicé fut inculpée avec ses deux amies, arrêtée et écrouée à Sainte-Pélagie, elle devait y demeurer trois mois jusqu'à ce que son affaire fut instruite et portée aux Assises. Il y allait de sa tête. 144

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A Sainte Pélagie -1800

A Sainte Pélagie elle se trouvait en triste société avec des tricoteuses de la Terreur et des femmes perdues. Loin de se laisser déconcerter par cette promiscuité, M. de Cicé s'attacha à gagner les cœurs de ces pauvres misérables pour arriver à gagner et à sauver leurs âmes. Ce qui est admirable, c'est qu'elle y réussit ! Regardée d'abord avec étonnement et une certaine méfiance par ces femmes, elle se rapprocha bientôt d'elles, sut leur parler, s'intéresser à leurs préoccupations, à leurs souffrances, à leur repentir. Elle leur rendait toutes sortes de services, partageant ses bas, ses chaussures, son linge avec les plus indigentes comme une sœur délicate et généreuse avec ses sœurs. Elle leur apprit des cantiques qu'elles chantaient volontiers au lieu de leurs chansons frivoles ou obscènes, ce qu'elles continuèrent de faire longtemps encore après la libération de M. de Cicé. L'atmosphère morale de la prison était transformée. Les internées avaient remarqué les heures de prière de M. de Cicé et avaient convenu entre elles de faire silence à ces moments-là pour ne pas troubler le recueillement de leur sainte compagne. Elles lui firent promettre de revenir les voir si elle était acquittée. M. de Cicé revint en effet avec le titre de visiteuse qu'elle avait obtenu officieusement. * **

Le P. de Clorivière avait trouvé le moyen de lui faire parvenir une lettre de consolation (28 janvier 1801) rédigée comme venant d'une amie : « Je prends toujours, ma bonne amie, une part bien vive à !45


Marie-Adélaïde de Cicé votre état de souffrance. Que le divin Époux de nos âmes soit lui-même votre consolation. Recevez la croix de sa main comme Il l'a reçue des mains de son Père et dites avec Lui : « Ne boirai-je pas le calice qui m'est présenté par mon Père ? » Supportez patiemment toutes vos privations, même celle de la sainte Communion. La croix tient lieu de tout! Ayez une pure et tendre charité pour tous vos ennemis, priez en particulier pour ceux qui auraient été cause de ce que vous souffrez. Le bien qu'ils vous procurent en cela est plus grand que tout ce que vos meilleurs amis auraient pu faire pour vous. » (67)

Il fallait une âme comme celle de M. de Cicé pour comprendre et goûter ces austères et fortes paroles. Ce fut le ier avril 1801 que Mère de Cicé fut appelée à comparaître devant ses juges : « Le spectacle que présenta ce jour-là le Palais de Justice, rappelle le P. Varin, est encore présent à mes yeux et à mon esprit. Sur le banc des accusés, au nombre de vingt-deux, à la suite de seize hommes aux figures sinistres, à l'aspect dégradé, figuraient quelques femmes dont l'attitude contrastait d'une manière vraiment saisissante avec ces misérables. C'est d'abord Mère de Cicé, puis Madame de Gouyon de Beaufort avec ses deux filles, et deux autres dont l'une était Madame Duquesne. Votre première Mère était remarquable entre toutes par la dignité de son attitude tout à la fois modeste, calme et énergique » (68).

Le misérable Carbon rejetait la culpabilité de sa participation à l'attentat de Nivôse sur le chouan Limoëlan qui, disait-il, l'avait recommandé à M. de Cicé. Celle-ci niera avoir vu Limoëlan mais ne voudra pas livrer le nom de la personne qui lui a adressé Carbon. Tout le 146


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pivot de l'interrogatoire et tout le drame du procès sont là. On ne saurait mieux faire que d'en rapporter le compterendu tel qu'il se trouve aux Archives Nationales. « Le Président : D'après la déclaration de Carbon, Limoëlan est monté chez vous? M. de Cicé : Cela n'est pas, et il est absolument impossible de le prouver. Le Président : Quelle est donc cette personne qui vous a parlé, si ce n'est pas Limoëlan ? » A cette question vingt fois posée, M. de Cicé oppose toujours un silence obstiné.

Répondre c'était livrer aux rigueurs de la Justice le Père de Clorivière déjà compromis à titre de prêtre et de parent d'émigré. « Le Commissaire du Gouvernement demande alors : Cette personne était-elle un homme ou une femme? Nouveau silence. Le Président reprend : Nous vous demandons si c'est un homme ou une femme? La réponse est bien simple et ne peut compromettre autrui, ne spécifiant qui que ce soit nommément. M. de Cicé : Alors, je ne vois pas quelle lumière cette indication vague apporterait à l'affaire. D'ailleurs ce que j'ai déclaré je le déclare encore : je ne nommerai personne. Le Président essaie alors de l'intimider et de la menacer : Accusée de Cicé, avez-vous bien réfléchi que c'est devant un tribunal que vous êtes? que c'est un devoir de répondre en justice? que de plus, c'est votre intérêt très grave dans votre présente situation d'accusée impliquée dans une affaire criminelle ? M. de Cicé : Je ne dissimule pas, c'est la stricte vérité que je dis. J'ai eu le malheur de causer l'arrestation de mes amies ici présentes, innocentes de tout cela, mais qui ont eu confiance en moi, comme moi-même j'ai eu confiance en la personne qui m'a parlé de Carbon. Je ne veux donc pas m'exposer encore à

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Marie-Adélaïde de Cicé un pareil malheur en livrant le nom d'une personne respectable tout aussi innocente que vous et moi dans cette affaire. J'ai donc pris la résolution de ne répondre à l'avenir que sur les faits qui me seraient personnels. lue Président : Mais encore, cette personne, quel motif vous a-t-elle donné pour vous demander de procurer asile à Carbon ? M. de Cicé : Cet homme, je le considérais comme un pauvre nécessiteux. Voilà la vérité. J'ai demandé si c'était un honnête homme, un homme sûr. On m'a dit que oui et je l'ai répété à Madame de Gouyon, mais que tout cela eût quelque rapport avec le déplorable événement du 3 Nivôse, je ne l'aurais jamais pu imaginer. Le Président : C'est ce que la Justice examinera » (69).

A certain moment le tragique tourna au comique. Mère de Cicé est accusée d'avoir encouragé les Chouans à pousser la guerre à outrance : la preuve en est faite par un papier découvert dans un livre de piété sur lequel est écrit : « Vaincre ou mourir ! » M. de Cicé sourit et fait observer que ce petit billet très usé et très vieux est là depuis vingt ans, non dissimulé mais à sa place dans le livre intitulé « le Combat Spirituel ». « Vaincre ou mourir » n'exprime pas autre chose que l'énergie intense de la lutte morale à soutenir contre la nature et ses passions. On a aussi trouvé une bourse mystérieuse portant cette étiquette : « Bourse de ces Messieurs ». Quels étaient ces messieurs? des Chouans sans doute? Le Père Varin suivait le procès de très près. Sur la suggestion de l'avocat de Mère de Cicé, il décida pour éclaircir cette question de comparaître lui-même devant les Juges au jour indiqué, accompagné du P. Halnat. 148


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Aux questions posées les deux Pères de la Foi répondirent simplement qu'ils étaient prêtres catholiques et que cette bourse était celle des aumônes recueillies pour subvenir aux besoins de leur ministère. L'explication apportée par cette courageuse intervention fut jugée suffisante. Parfois l'interrogatoire, égaré sur des sujets divers, s'interrompait brusquement par une question soudaine, directe, sur le secret que le Juge espérait arriver à savoir par surprise — « Mais qui donc, dites-moi, vous a sollicitée en faveur de l'inculpé Carbon? » M. de Cicé reste inébranlable dans son silence qu'elle considère comme sacré. Ce mutisme, elle voulut le garder même à l'égard de son avocat Me Bellart qui lui était cependant si dévoué. Ce dernier a rapporté plus tard : « Un jour je résolus pour en finir, de tirer parti de la crainte de mourir que je crus découvrir chez ma cliente. Je la conjurai de parler. Alors elle me posa cette question : « Eh bien ! qu'arrivera-t-il si je continue à me taire? » — « la mort, Mademoiselle », lui criai-je. — « La mort » répéta-t-elle avec effroi... Ses traits se contractèrent et elle s'évanouit. Qu'on juge de mon regret et de mon embarras. On lui donna des soins. Quand, revenant à elle, elle ouvrit les yeux : « Mon Dieu, dit-elle, et ce furent ses premiers mots, mon Dieu, pardonnez-moi ma faiblesse. J'ai peur de mourir. N'importe, je mourrai s'il le faut mais je ne livrerai pas un innocent à la justice ! » Me Bellart ajoutait « que ce qui l'avait surtout animé pour sa défense ç'avait été la fermeté de cette femme admirable et son refus immuable de compromettre des 149


Marie-Adélaïde de Cicé

innocents. » (70). Fermeté héroïque en effet qui dans cette âme virile triomphe d'un tempérament impressionnable et d'une nature fragile. Les jurés eux-mêmes étaient impressionnés par ce courage uni à tant de simplicité et de charité. Bienveillante envers tous, Mère de Cicé l'était même envers le misérable Carbon malgré ses dénonciations calomnieuses : « En disant cela si le citoyen Carbon n'a pas l'intention de tromper, il se trompe grandement lui-même » disait-elle, cherchant à l'excuser. Une fois de plus se révélait ainsi sa grandeur d'âme. Vint enfin le moment où le Président du Tribunal appela les témoins à décharge. Me Bellart fit d'abord remarquer que s'il eût été possible de faire comparaître tous ceux qui s'offraient en faveur d'Adélaïde de Cicé, l'enceinte du Palais de Justice n'eût pas été assez vaste pour les contenir. En premier lieu de très nombreux certificats étaient arrivés de Bretagne, dûment rédigés sous la surveillance des autorités d'Ille-et-Vilaine. Tous célébraient la vertu et la charité de M. de Cicé. Ce fut ensuite le témoignage de ses amis entre autres son médecin M. de Jussieu et sa femme, le P. Varin, le P. Halnat et « plus de deux cents témoins, hommes et femmes, sans distinction de parti accourus des différents quartiers de la Capitale. C'étaient des pauvres, des enfants, des malheureux de toute espèce. D'une commune voix ils déposaient en faveur de leur bienfaitrice. » (71) Tous exaltent sa bonté compatissante et son dévouement dont la • blanchisseuse, Mme Guillebœuf, cite un 150

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A Sainte Pélagie -1800

trait touchant dans sa simplicité : « Je souffrais d'un mal au doigt très douloureux que personne ne pouvait arriver à guérir; quelqu'un me dit dans la rue : « Vous devriez aller voir la citoyenne de Cicé ». J'y suis allée rue Cassette. Elle m'a reçue et accueillie comme si j'avais été de sa connaissance. Elle a pansé mon doigt, lavé ma main, donné du linge et des remèdes. — « Mademoiselle, lui ai-je dit, voulez-vous que je revienne demain chez vous ? » Elle m'a répondu : « Non vous êtes trop souffrante j'irai chez vous. » Elle est venue chez moi tous les jours l'espace d'un grand mois et m'a fait quelquefois trois visites par jour. C'est une demoiselle qui est toujours réclamée de tout le monde ! » M. de Cicé confondue de s'entendre ainsi louer et bénir en était tout émue. L'accusateur cependant qualifiait la conscience de M. de Cicé de fausse conscience, égarée par le fanatisme et la superstition. Me Bellard prit à son tour la parole pour la défense. Sa plaidoirie fut pleine de noblesse, de talent, de conviction et de chaude éloquence. Finalement il s'étonne que sa cliente ait eu besoin d'autre témoignage que de celui d'une vie toute de charité. Sa péroraison est célèbre : « Le crime du 3 Nivôse a fait des veuves ; rendez à la société celle par qui les veuves furent secourues et consolées. Ce crime a fait des pauvres ; rendez à la société celle par qui il n'y aurait plus un seul pauvre si cela était en sa puissance. Ce crime a fait des blessés; rendez à la société celle à qui tant d'infirmes et de blessés ont dû leur soulagement. J'ai fait serment, jurés, de défendre Adélaïde de Cicé en respectant la vérité; je le jure de nouveau : j'ai rempli mon

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Marie-Adélaïde de Cicê devoir. Vous avez fait serment de n'écouter aucune prévention et d'absoudre l'innocence : vous remplirez le vôtre » (72).

« Trente ans se sont écoulés, écrivait en 1833 le poète Roger de l'Académie Française, et cette séance m'est aussi présente que si j'en avais été le témoin hier. Je vois encore les juges émus, l'auditoire attendri, et jusqu'aux vieux gendarmes, oubliant la consigne, laissant tomber le fusil de leurs mains pour essuyer leurs yeux mouillés de larmes. » L'acquittement fut prononcé à l'unanimité des voix. Une immense et longue acclamation y répondit. A la sortie la foule se précipita pour témoigner à l'acquittée son admiration et sa sympathie. Ce fut un véritable triomphe ! Me Bellart confiait plus tard à un évêque : « Je ne sais s'il se peut voir rien de plus sublime que cette lutte de l'énergie morale contre la faiblesse physique dans laquelle la victoire demeure à la générosité sur l'égoïsme et à l'âme sur le corps. » Il semble vraiment que Dieu ait permis ce procès pour que soient révélées au monde et spécialement à ses futures Filles, la foi, la charité, la vertu, la trempe d'âme héroïque de leur Mère. Ce procès, a-t-on pu dire, était déjà « un procès de canonisation ! »

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7 EN PROVENCE 1802

Il était donc reconnu que M. de Cicé n'était aucunement coupable de participation dans le complot de la « machine infernale » mais son silence obstiné laissait ignorer le nom du mystérieux personnage qui lui avait recommandé Carbon. Elle avait nié que ce fut Limoëlan mais elle avait avoué connaître ce dernier qui était le neveu du P. de Clorivière, son directeur d'où motif sérieux de suspecter le « citoyen de Clorivière. » Bien qu'acquittée M. de Cicé restait sous la surveillance de la police. De son côté le Père de Clorivière était recherché par les limiers de Fouché. Leur situation à tous deux devint difficile et bientôt critique dans cette ambiance de suspicion et d'espionnage. Le danger n'était pas pour eux seuls mais à travers eux pour la Société naissante qui ne cessait cependant de mieux s'enraciner et de croître dans la tempête. J53


Marie-Adélaïde de Cicé

En effet, le jour même où M. de Cicé était arrêtée et écrouée, le 19 janvier 1801, le Saint-Père Pie VII faisait à Rome le meilleur accueil aux abbés Astier et Beulé, délégués du Père de Clorivière qui pouvait écrire : « Le Saint-Père déclara approuver comme très utile à l'Église le projet qui lui avait été présenté, tel qu'il l'avait trouvé dans nos écrits ; qu'il permettait à tout le monde de l'embrasser, que son approbation n'était pas publique et solennelle mais qu'il promettait de la donner dans des temps plus calmes. Il recommanda la circonspection mais enjoignit de ne point se faire une loi du secret qu'on avait cru devoir imposer jusqu'alors » (73).

Église de Touffreville la Corbeline, paroisse du château de VertBosc, aux environs de Rouen.


En Provence -1802

Le Père de Clorivière jugea prudent de se retirer à Rouen pour quelque temps. M. de Cicé alla l'y rejoindre bientôt chez Madame Saint-Placide, religieuse victime de la Révolution qui, après la dispersion de sa Communauté, était devenue membre de la Société des Filles du Cœur de Marie. Cependant le Concordat était signé à Paris le 15 Juillet 1801 et ratifié à Rome le 15 août suivant. Les diocèses étaient reconstitués en France et pourvus de nouveaux évêques. Monseigneur Jérôme de Cicé fut transféré du siège de Bordeaux à celui d'Aix-en-Provence. Sachant la vie pénible que sa sœur menait à Paris, il l'invita instamment à venir résider auprès de lui et pria le Père de Clorivière de se faire son avocat en cette circonstance. Celui-ci acquiesça et écrivit à M. de Cicé : « Ce serait là, Mademoiselle, un moyen doux et sûr de vous soustraire à toutes sortes de recherches et de maux, que des ennemis jaloux vous perdent de vue et cessent de penser à vous. D'un autre côté ce sera comme une mission dont vous serez chargée. Vous aurez peut-être à détruire des préventions et à faire connaître l'œuvre de Dieu à de bonnes âmes qui ne demandent que cela pour l'embrasser. C'est l'affaire des entretiens et conversations particulières; et Dieu vous donne grâce pour cela.. Considérez la chose devant Dieu, car je veux que vous agissiez librement; mais ne prenez pas conseil de la pusillanimité. Sa voix n'est pas celle de Dieu » (74).

Après réflexion, M. de Cicé décida d'aller à Aix. A cette occasion le P. de Clorivière écrivait à ses filles : « que si les ordres de la divine Providence obligent la Supérieure Générale à s'éloigner, ce n'est pas sans en ressentir un vif regret, que son esprit et son cœur n'en seront

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PHOTOS

Mme des Bassablons, fille de François-Joseph Guillaudeu sieur Duplessis, née le 3 décembre 1J28 à St-Malo. Paroissienne du P. de Clorivière quand elle habitait durant l'été sa propriété de Pont-Pinel sur la Paroisse de Paramè dont le Père était recteur. Vit sa consécration dans la Société le 2 février 1 y91, le jour même où les premières Villes du Cœur de Marie dispersées en Bretagne et à Paris, faisaient la même offrande. Accusée d'avoir soutenu des prêtres réfractaires par son « fanatisme », elle fut condamnée et mourut sur l'èchafaud le 21 juin 1J94, victime de sa charité et de sa foi. (PHOTO BELZEAUX) - « Charrettes fatales » sur lesquelles les condamnés étaient conduits à l'èchafaud. (PHOTO BULLOZ-VIOLLET) - Fête païenne de la dévolution. (PHOTO ROGER-VIOLLET) - Statue de Notre-Dame à l'angle de la Rue Cassette (PHOTO

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BELZEAUX)

Rue St-Louis en l'Ile où habitaient au n° 2/ les demoiselles Bertonnet. Pendant la Révolution elles j cachèrent des prêtres et des proscrits. Les retraites et les rénovations des Filles du Cœur de Marie avaient lieu ordinairement dans le grenier converti en chapelle. (PHOTO BELZEAUX) 43 - Rue Cassette n° 11 : immeuble habité à l'entresol par M. de Cicé et quelques Filles de Marie. Le P. de Clorivière y séjourna quelque temps dans une étroite cachette. (PHOTO BELZEAUX) 44 - Prison de Ste-Pêlagie où M. de Cicé fut d'abord détenue après sa deuxième arrestation en 1800. 45 - Visite aux prisonnières.

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En Provence - 1802

pas moins unis à elles et qu'elle espère un jour les revoir toutes, pleines d'une ferveur nouvelle et enrichies de toutes sortes de mérites et de vertus. » Avant de partir, consciente des besoins de la Société, elle voulut pourvoir à sa direction en nommant pour la suppléer en son absence Madame de Carcado avec le titre d'Assistante Générale des Filles de Marie. Mlle Deshayes, première pierre de la fondation de Paris, fut désignée pour l'aider comme co-assistante ainsi que le disait le P. de Clorivière. D'ailleurs M. de Cicé continua de loin par ses lettres à veiller sur la Société sans rien perdre de son prestige ni de son autorité. Elle se rendit à Aix par voie d'eau descendant le Rhône en bateau. Après un long et fatigant voyage elle y arriva aux environs du 5 juillet 1802, au moment de l'entrée solennelle de son frère dans sa ville épiscopale ou peu après. Elle dut y partager sa vie au milieu de réceptions, de visites et d'affaires, dans une ambiance non pas précisément mondaine mais moins recueillie qu'à Paris. Le P. de Clorivière lui envoyait le 20 juillet ces avis : « Même au milieu du tourbillon du monde, dans le temps des visites que votre position rend nécessaires, ayez recours aux Cœurs de Jésus et de Marie. Que ces Cœurs soient le centre de votre repos. Là, paisiblement assise avec Madeleine aux pieds de Celui que vous aimez, épanchez votre cœur dans le sien, et lors même que le monde vous parle et que vous parlez au monde, n'écoutez intérieurement que le Verbe Divin. Ne voyez en quelque sorte que Lui, ne trouvez de douceur qu'en Lui, mais que cette douceur vous aide à supporter patiemment l'amertume que vous font éprouver les créatures » (75). 161


Marie-Adélaïde de Cicé M. de Cicé avait surtout pris à sa charge le département des bonnes œuvres auxquelles elle se livrait avec son zèle coutumier qui risquait même de l'entraîner trop loin, suivant son habitude. Le Père de Clorivière la mettait en garde le 14 août, avec sa sagesse avisée : « Ne négligez aucune des occasions que la Providence vous présente d'édifier le prochain et de soulager la misère; mais ne courez pas de vous-même après ces sortes d'œuvres, de peur qu'elles ne vous jettent trop dans la dissipation et n'excèdent vos forces spirituelles et corporelles » (75).

Depuis l'emprisonnement à Sainte Pélagie et les émotions du Procès, la santé de M. de Cicé était bien ébranlée. Le vaste diocèse d'Aix comprenait alors les diocèses actuels de Fréjus et de Marseille. Il était grand besoin qu'on y réveillât la foi en y prêchant de nouveau l'Évangile. Monseigneur de Cicé fit appel dans ce but à un ancien missionnaire des Indes, zélé et éloquent, membre de la Société du Cœur de Jésus, le P. Perrin qui demanda et obtint la collaboration du P. de Clorivière. Le trop prudent et pusillanime Évêque ne crut pas devoir autoriser des missions paroissiales proprement dites mais seulement des retraites spirituelles pour prêtres et personnes pieuses. Ce fut une grande déception pour les deux apôtres qui rêvaient d'un ministère plus large et plus fécond. Cependant le temps ne fut pas perdu pour la Société car le P. de Clorivière suscita plusieurs bonnes vocations tandis que, de son côté, M. de Cicé pouvait lui présenter, en la veille de l'Épiphanie de 1803, tout un 162


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groupe de postulantes prêtes à faire leur acte de consécration. Le P. de Clorivière voyant passer les semaines et les mois sans que soient levées les barrières que l'Archevêque mettait à son zèle, décida de quitter la Provence et de regagner Paris en visitant les villes où sa double famille religieuse avait des foyers ou des berceaux : Lyon, Besançon, Orléans, Tours, Poitiers. Il n'arriva dans la capitale qu'à la fin de Janvier 1804. Entre temps il avait écrit à M. de Cicé : « Pour vous, ma chère fille, animez-vous à une grande confiance en Dieu qui règle comme II lui plaît tous les événements de la vie pour le bien de ceux qui veulent être sincèrement à Lui et ne vivre que pour L'aimer et le faire aimer de tout le monde. Soyez constante et courageuse! Mais que cette constance et ce courage soient réglés par la prudence. Ne précipitez rien. Il vaut mieux attendre avec patience et douceur que de rien rompre en se hâtant. Vous avez de bonnes raisons à alléguer mais il faut au moins qu'on paraisse les goûter » (76).

M. de Cicé pouvait alléguer le besoin réel qu'on avait d'elle à Paris mais son frère pouvait lui objecter qu'elle allait ainsi au-devant du péril et de la souffrance. D'autre part, l'Archevêque toujours irrésolu mettait une sourde opposition à l'établissement des deux Sociétés dans son diocèse. Après mûre réflexion M. de Cicé vit que sa place n'était plus à Aix et que son devoir lui demandait de regagner Paris. Elle y arriva en Octobre 1803, avant même le retour du Père de Clorivière. Cependant, en cours de route, elle avait eu l'idée de s'arrêter à la Trappe de Valenton, près de Paris, dont elle 163


Marie-Adélaïde de Cicé

connaissait la Supérieure, Mère des Séraphins (Madame de Châteaubriand) et d'y faire une retraite. Elle se sentait fatiguée, déprimée, prise de découragement, accusant son incapacité pour la charge qui lui incombait et son peu de vertu. Tentation contre laquelle elle eut à lutter plus d'une fois et que Dieu permettait pour la garder en humilité et la faire progresser en confiance. Le P. de Clorivière lui écrivait : « Je ne comptais pas vous parler de votre retraite à la Trappe mais la franchise demande que je le fasse. A Dieu ne plaise, ma chère fille, que ce soit pour vous le reprocher, je suis persuadé que vous l'avez fait en croyant agir par l'esprit de Dieu, ainsi, loin de l'offenser vous avez plutôt mérité en cela; mais je crains que, vu votre état présent, il ne vous soit nuisible de l'avoir suivi, vous sentant actuellement de l'éloignement pour les soins que le Seigneur demande de vous et dont vous vous croyez incapable » (77).

Ce fut un grand bonheur pour ses Filles de revoir Mère de Cicé à Paris. « J'étais chez Madame de Carcado quand elle arriva, rapporte Madame de Saisseval. On ne peut peindre la joie qui éclata dans ce moment. Je lui étais alors bien étrangère ne l'ayant vue précédemment que quelques minutes lors de son départ pour la Provence mais son air de bonté lui gagnait tout le monde. » Cette joie dut bientôt céder la place à la tristesse. M. de Cicé toujours fragile et encore plus débilitée par son séjour à la Trappe, tomba gravement malade. Le P. de Clorivière lui écrivait : « Rien n'est plus grand que de souffrir. Acceptons tout avec une pleine et parfaite résignation. Dieu seul ! » 164


En Provence - 1802

L'épreuve de la souffrance allait d'ailleurs l'atteindre durement lui-même car les émissaires de Fouché avaient suivi sa piste en Provence et découvert deux des adresses à Paris « de cet homme au fanatisme dangereux. » C'était le moment où venait d'être éventé le complot royaliste de Cadoudal et des frères Polignac. On cherchait des complices parmi les noms déjà compromis comme ceux de M. de Cicé et du P. de Clorivière. M. de Cicé dut à la maladie de n'être pas de nouveau incarcérée. Le Préfet de Police avait dit : « Si son état de santé ne permet pas son transfert dans une maison de détention, elle devra continuer de rester chez elle mais dans ce cas il conviendra de la surveiller avec soin. » Le 5 mai 1804 le P. de Clorivière fut arrêté à son domicile de la rue Notre-Dame des Champs et écroué d'abord à la Force. Il devait être ensuite emprisonné au Temple durant quatre ans puis détenu dans une Maison de santé encore un an et rendu seulement à la liberté après cinq longues années d'une captivité douloureuse mais spirituellement et apostoliquement féconde.

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A LA PRISON DU TEMPLE

« Aussitôt que M. de Cicé eut connaissance de l'arrestation du P. de Clorivière — lisons-nous dans les Souvenirs de Madame de Saisseval — elle réunit son Conseil qui se composait de Madame de Carcado, Mlles Deshayes, d'Acosta, Adonis Poiloup, de Mmes Guillemin, de Gramont, de Clermont-Tonnerre et de moi. Après nous avoir recommandé un redoublement de prière, de prudence et de discrétion, car elle-même restait toujours sous la surveillance de la Police, elle désigna Madame de Carcado pour être seule chargée des rapports avec le P. de Clorivière pendant son incarcération. Quant à elle, elle garderait uniquement pour soi le secret de ce qu'elle confierait aux unes et aux autres sans qu'il nous fut permis d'en conférer ensemble » (78).

Cette sage disposition était bien celle d'une Supérieure ferme et éclairée. Durant la captivité du P. de Clorivière, 167


Marie-Adélaïde de Cicé

M. de Cicé vit grandir ses responsabilités non seulement vis-à-vis de la Société de Marie mais en partie aussi envers les Pères du Cœur de Jésus auxquels, seule, elle pouvait transmettre les directives et décisions du P. de Clorivière. Malgré sa pauvre santé et parfois de violentes tentations de découragement, elle fit face à cette double tâche avec prudence, courage et le plus grand dévouement. La détention du P. de Clorivière nous a valu un échange de lettres nombreuses entre lui et sa fille spirituelle. A travers celles du Père on découvre l'âme de la Fondatrice avec sa générosité, sa délicatesse, son exquise et inépuisable charité, ses épreuves, ses agonies, son courage héroïque, son amour intense de Dieu. Nous y reviendrons plus loin. C'est avec une sollicitude filiale et avisée que Mère de Cicé se préoccupe d'adoucir le sort du vénéré prisonnier. « Après les premiers jours de détention, ceux de strict secret — dit encore Madame de Saisseval dans ses Souvenirs — le Père put recevoir la visite de Madame de Carcado. A force de démarches faites isolément pour ne laisser soupçonner aucune affiliation entre nous, on était parvenu à lui obtenir un laissezpasser pour deux fois la semaine. La fidèle Laurence Paumier, dès qu'elle avait appris l'arrestation du Père, était accourue de Bretagne et c'était elle qui accompagnait d'ordinaire Madame de Carcado dans ses visites. Elle était quelquefois remplacée par une autre courageuse Fille de Marie, Mlle Anger. Ces deux braves filles apportaient à la Prison du Temple tout ce qui était nécessaire pour l'entretien et la nourriture du captif. »

La plus grande privation de ce dernier était de ne pouvoir célébrer la Sainte Messe et communier. Mère de Cicé comprenait cette souffrance. Elle s'ingénia avec 168


La prison du Temple ses compagnes pour obtenir de l'Archevêque de Paris la permission de faire passer au Père de Clorivière des hosties consacrées dans une mince pyxide dissimulée au milieu de provisions et de linge qu'on lui apportait. Ce fut une grande consolation pour le reclus qui écrivait au courant d'août 1804 « Le Seigneur adoucit bien ma croix et m'aide à la porter avec joie. » Et le 31 : « Voilà près de quatre mois que je suis détenu et ce temps ne m'a pas paru long. Je puis même dire, en remerciant le Seigneur, qu'il a été pour moi un temps de consolation propre à fortifier notre espérance dans sa grande miséricorde » (79). Cette espérance n'était pas celle de son élargissement mais d'un avenir meilleur pour les deux Sociétés d'après deux faits récents. Le premier était un grand péril écarté : en Juin 1804 un rapport de Mr Portalis à Napoléon sur les Congrégations concluait à leur illégalité donc à la suppression de la Société des Prêtres du Sacré-Cœur en raison de leurs vœux. Mais l'Arrêt subséquent du 22 juin annexé au Rapport se trouvait, soit par oubli, soit avec intention, ne porter aucune mention de cette Société qui échappait ainsi au danger de suppression. Le second fait consistait dans l'attention favorable accordée par le Pape Pie VII à un Mémoire que le Père de Clorivière lui avait fait présenter par Monseigneur Pisani de la Gaude, Évêque de Namur. « Le Saint-Père a parfaitement accueilli notre écrit. Il n'avait rien oublié de ce qu'il avait fait pour nous et il a parlé de l'œuvre d'une manière très avantageuse et bien propre à nous encourager et à nous convaincre de plus en plus qu'il l'approuvait et qu'il la regardait comme l'œuvre de Dieu. C'est tout ce

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Marie-Adélaïde de Cicé que nous pouvions désirer, conclut le Père de Clorivière, pour nous assurer que nous sommes dans l'ordre de Dieu et bien vus du Chef de l'Église » (80).

De son côté Mère de Cicé avait eu l'insigne faveur d'approcher elle-même le Saint-Père en tant que Fondatrice de la Société. « J'ai eu le bonheur, écrit-elle, d'entendre la Messe de Sa Sainteté à Saint-Sulpice, et d'avoir sa bénédiction. Je la demandai non seulement pour moi mais pour toutes » (81).

C'est à l'Abbaye-aux-Bois qu'elle obtint une audience à la suite de laquelle le Saint-Père lui fît parvenir une précieuse relique. Trop suspecte pour agir personnellement, M. de Cicé mit tout en œuvre pour essayer, par ses amitiés et ses hautes relations, de faire libérer le vénéré vieillard injustement retenu au Temple. Toutes ces tentatives se trouvèrent vaines. Fouché restait inflexible. Le Père de Clorivière reconnaissant de toutes les démarches qu'on faisait pour lui, écrivait avec une sereine résignation : « Ma sortie est humainement difficile; ce sera l'affaire de Dieu, et la prière me paraît le seul moyen efficace pour cela. » (82) Dans sa solitude le Père Fondateur ne cessait de veiller sur les deux Sociétés et de les diriger par l'intermédiaire de M. de Cicé et de Mme de Carcado. Il estimait comme un grand bien d'avoir le temps de réfléchir et de prier davantage tout en offrant à Dieu ses souffrances en esprit de pénitence et d'immolation. En octobre 1805 il eut la consolation de recevoir une missive de Rome qui lui apportait un rayon de joie et d'espoir : 170


ha prison du Temple « J'ai reçu hier, écrit-il, votre paquet de lettres, ma chère fille; parmi elles il y en avait une de grande importance : celle du Vicaire Général qui remplace le Père Griiber. Il approuve fort notre œuvre et m'exhorte à la continuer comme l'œuvre de Dieu. Il ajoute que je ne cesse pas pour cela d'être Jésuite et qu'il m'incorpore à la Province de Russie, sans que je doive pour cela quitter la France » (83).

Cependant, après quatre ans d'emprisonnement sans motif, les démarches toujours actives et inlassables de ses Filles obtinrent le transfert du P. de Clorivière à la Maison de santé du Buisson place du Trône. Là le vénéré Père retrouva une chapelle et un autel et put dire la sainte Messe tous les jours. Il put aussi y recevoir librement des visites. « J'eus le bonheur, disait Madame de Saisseval, d'y conduire M. de Cicé qui revit alors le bon Père pour la première fois depuis sa captivité. Je crois pouvoir dire que ce fut un des plus beaux jours de ma vie. A peine la porte fut-elle ouverte que M. de Cicé se jeta à genoux en disant : « Mon Père, donnezmoi votre bénédiction ». J'en fis autant et je restai présente à leur première conversation par crainte de faire naître le soupçon de quelque complot » (84).

La captivité très adoucie de la Maison du Buisson se prolongea cependant encore près d'une année. Ce n'est que le 11 avril 1809, cinq ans moins un mois après son arrestation, que le Père recouvra sa pleine liberté. « Notre Mère Fondatrice aurait bien voulu aller elle-même lui ouvrir les portes de la délivrance, mais étant personnellement sous la surveillance de la haute Police, elle crut plus prudent de me désigner — dit Madame de Saisseval — avec Mlle d'Acosta, pour cette douce mission.


Marie-Adélaïde de Cicé Une fois dehors le Père aspira longuement, puis se retournant vers cette porte qui venait de se refermer, il fit en la regardant un grand signe de croix. Une voiture nous attendait. Le trajet dura environ une heure, une heure silencieuse pendant laquelle le Père parut tout entier plongé en Dieu. Il ne nous adressa la parole que deux fois, et chaque fois pour nous parler de M. de Cicé : Quelle sainte âme le Ciel vous a donnée pour Fondatrice et pour Mère ! Quel esprit vraiment religieux! Quelle générosité dans son dévouement. Vous avez toutes gagné à vivre ces années sous sa direction... Quelle reconnaissance ne dois-je pas à sa courageuse discrétion qui a sauvé ma vie au risque de la sienne » (84).

Le Père de Clorivière prit domicile à l'ombre de l'ancien Monastère des Carmes puis chez l'Abbé Bourgeois, aumônier des Carmélites et l'un de ses Fils. La Providence allait lui offrir une tâche nouvelle en le destinant à rétablir la Compagnie de Jésus en France.

L H. S. « Domine, singulariter in spe constituisti me»

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MÈRE DE LA SOCIÉTÉ : GOUVERNEMENT

Dieu qui voulait confier à M. de Cicé une œuvre peu commune, la fondation d'une nouvelle forme de vie religieuse, se devait de lui départir pour cette mission des qualités et des dons peu communs ; ce qu'il a fait avec la plus admirable libéralité. Le Père de Clorivière le reconnaissait volontiers. Il le faisait reconnaître à M. de Cicé pour l'encourager, lui faisant un devoir d'en rendre grâces à Dieu en utilisant ses dons à son service. « L'œuvre que Dieu vous a confiée n'est pas de votre choix mais du sien. Il a voulu, Il veut encore que vous y donniez vos soins et c'est en partie de ces soins que dépend le succès de la bonne œuvre; et ne doutez point qu'en vous choisissant II ne vous ait donné tout ce qui vous était nécessaire pour cela » (85). 173


Marie-Adélaïde de Cicé

D'un physique agréable et distingué, Adélaïde avait un esprit ouvert et de bonne culture, un jugement droit et sûr. Elle tenait de sa race une volonté ferme, courageuse et persévérante. Son caractère était égal, aimable, enjoué. Son cœur noble et généreux était épris du plus sublime idéal de l'amour divin et d'une vaillance atteignant parfois l'héroïsme. Ces qualités naturelles, la solide formation que la Providence lui avait ménagée à travers ceux qui en avaient été les instruments, sa parfaite docilité à la grâce contribuèrent à marquer son gouvernement de sagesse, de fermeté, de bonté délicate et compréhensive. Étant donné les difficultés des déplacements, c'est surtout par la correspondance que M. de Cicé soutenait et dirigeait la Société naissante. Ce qui en a été conservé témoigne non seulement de la fréquence de ses lettres mais aussi de sa sollicitude maternelle, éveillée à toutes les souffrances, à tous les besoins. Ses conseils spirituels éclairés et élevés entraînent les âmes dans la voie de la perfection la plus haute. Son expérience personnelle et sa sensibilité naturelle la rendent compréhensive et secourable. Elle sait tenir compte des faiblesses de la nature, des difficultés de tous genres, elle aide à les surmonter avec mesure, tact, prudence, faisant appel aux vues surnaturelles, aux droits souverains de l'amour de Dieu, exhortant à la fois à la générosité et à la confiance. Dans ses conférences, dont il ne reste que quelques canevas, son enseignement est clair et de haute portée. Elle ne craint pas de mettre nettement ses filles devant la beauté mais aussi l'austère grandeur de leur vocation. 174


Mère de la Société « Avez-vous bien songé, mes Filles, à quoi nous engagent les vues de la Providence à notre égard ? L'étendue d'un pareil dessein serait propre à nous effrayer si nous ne savions que le grand Maître à qui nous appartenons se plaît à se servir de ce qu'il y a de plus faible... Ne s'agit-il pas de dédommager un peu son Eglise de la perte de tant de communautés religieuses naguère consacrées aux œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle? » (86)

L'amour de Notre-Seigneur est la vie même de la Société, enseigne-t-elle. « Nous aimerons tout ce que nous devons aimer en Dieu et pour Dieu. Ce devoir est d'autant plus juste que Jésus-Christ, auquel nous nous sommes consacrées, a droit à tout ce que nous sommes. En Lui nous avons tout et pour la vie présente et pour l'éternité toute entière, où II fera seul le bonheur des âmes qui L'ont servi et aimé uniquement sur la terre » (87).

A ces vues générales si hautes se mêlaient des avis pratiques et familiers sur les devoirs envers Dieu, envers le prochain, envers soi-même, sur la fidélité au devoir d'état, terrain concret et sûr où doit s'affirmer la vraie vertu. « Ne perdons jamais de vue que c'est par notre fidélité à nous acquitter le plus parfaitement qu'il est possible des devoirs de notre état que nous parviendrons à la perfection que le Seigneur attend de nous. C'est par là que nous vivrons au milieu du monde, non seulement sans être atteintes par sa contagion mais encore en réalisant les desseins de la Providence qui nous y retient afin d'être pour lui un sujet d'édification et la bonne odeur de Jésus-Christ qui puisse attirer les âmes à sa suite » (88).

S'appuyant sur une doctrine solide, la Mère Générale s'efforçait d'assurer le meilleur gouvernement de la 75

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Conciergerie : prison célèbre où fut emprisonnée la famille royale. M. de Cicé y fut transférée après sa détention à Ste Pélagie (PHOTO BULLOZ)

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La cour des femmes à la Conciergerie. (PHOTO BULLOZ) Le Palais de Justice où eut lieu le procès de M. de Cicé. (PHOTO BULLOZ)

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Un procès pendant la dévolution : déposition d'un prêtre. BELZEAUX)

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Portrait de M. de Cicé.

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Conciergerie : prison célèbre où fut emprisonnée la famille royale. M. de Cicé y fut transférée après sa détention à S te Pélagie

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La cour des femmes à la Conciergerie. (PHOTO BULLOZ) Le Palais de Justice où eut lieu le procès de M. de Cicé. (PHOTO

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Un procès pendant la dévolution : déposition d'un prêtre. BELZEAUX)

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Portrait de M. de Cicé.

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Mère de la Société

Société par le choix et la formation des Supérieures. Au sujet des Maîtresses des Novices, elle écrit : « De cet emploi important dépend en grande partie le bien de la Société. Il demande de celles qui l'exercent le plus grand soin, la vigilance la plus exacte, une intime union avec NotreSeigneur Jésus-Christ, une tendre et solide dévotion à son divin Cœur et à celui de sa Sainte Mère. C'est dans ce fonds de grâce et de sainteté qu'elles doivent puiser sans cesse, non seulement pour elles-mêmes mais aussi pour celles qui leur sont confiées. C'est de notre Sauveur que nous devons tout attendre. A mesure que nous aurons plus d'union avec Lui, nous serons aussi plus propres à avancer dans la carrière de la perfection et à y faire marcher les autres. C'est le grand secret de la vie spirituelle. Chassons de notre esprit les pensées inutiles pour nous occuper de la vie et de la mort de Jésus-Christ. Ces considérations allumeront dans nos cœurs le feu de l'amour, elles exciteront la reconnaissance la plus vive qui doit nous porter à faire tous les sacrifices que le salut et la perfection des âmes exigeront de nous. Nous ne verrons rien au-dessus d'un emploi qui nous est donné pour coopérer autant qu'il est possible à notre faiblesse de le faire, aux grands desseins que Notre-Seigneur a sur les âmes qu'il appelle à la haute dignité de ses Épouses » (89). Ce gouvernement si hautement surnaturel était aussi très maternel. Mère de Cicé s'intéresse à chacune de ses filles, à leur santé, à leur famille, à leurs peines, à leurs affaires, à leur apostolat, aux personnes de leur entourage « dont elles devront se faire les apôtres et les anges gardiens ». Elle les veut très unies entre elles et joyeuses, les heures de récréation y contribueront. Comme Ste-Thérèse, elle en souligne l'importance. Elle écrit à une Supérieure : 181


Marie-Adélaïde de Cicê « Soyez bien fidèle aux heures de récréation. Ce temps étant offert à Dieu est souvent aussi utilement employé et vos conversations peuvent vous être utiles et ne vous retirent pas de la présence de Dieu qui est au milieu de celles qui s'assemblent en son nom pour se recréer comme pour autre chose » (90).

Elle-même se montrait pleine d'entrain et de gaieté dans ces moments de saine détente. Mère de Cicé avait un don spécial pour mener à bien les affaires épineuses et dénouer les situations complexes. En quelques circonstances difficiles avec certains personnages ecclésiastiques au lieu de traiter directement avec eux, le Père de Clorivière préférait s'adresser à M. de Cicé. Elle savait agir sur les esprits avec ce tact délicat et cette bienveillance persuasive que Dieu se plaît à donner aux âmes hautes et droites. De même l'Évêque de Namur Monseigneur Pisani de la Gaude, désespérant de réussir dans une affaire qui intéressait les deux Sociétés, s'en remit avec confiance à l'intervention plus efficace de M. de Cicé : « Mademoiselle, lui écrit-il, j'ai fait ce que j'ai pu, c'est-à-dire rien. Dieu le veut ainsi. Je vous conseille de voir Monseigneur Mincio, à la Légation, quand il saura l'intérêt que vous portez à cette affaire il la suivra ».

En somme autorité, sagesse, fermeté, compréhension intelligente, prudence expérimentée et charité maternelle, telles étaient les qualités maîtresses qui rendaient éminent le gouvernement de la Mère fondatrice. LA VIE INTÉRIEURE

Grande Supérieure, M. de Cicé était aussi une grande âme. Cela nous a paru déjà à travers son œuvre, sa charité, 182


Mère de la Société

ses épreuves, son zèle lors de son emprisonnement à Sainte Pélagie, sa grande abnégation et son courage héroïque au cours de son procès quand elle préféra risquer sa vie plutôt que de livrer le nom d'un innocent. Cet ensemble révèle un caractère noble, fort et vraiment grand mais il faut y regarder encore de plus près pour prendre les exactes dimensions de cette âme si haute et si profonde. Sa vraie grandeur réside dans sa vie spirituelle, vie secrète et intime qui est le foyer générateur d'énergie et d'efficacité de son action extérieure. Dès son enfance son âme est marquée par la grâce de l'appel divin qui la porte à se détacher du monde, des créatures et d'elle-même et à s'attacher à Notre-Seigneur sans réserve et sans partage. Dans une fidélité croissante elle ne cesse de correspondre à l'action de la grâce qui, d'une part sollicite sa générosité dans le don d'ellemême, dans la pratique de la pauvreté, de l'humilité, du renoncement tandis qu'elle s'adonne de plus en plus à l'oraison. D'autre part c'est aussi la grâce qui agit à l'intime de son âme en la conduisant dans une voie d'épreuves intérieures, de souffrance et de crucifixion, état mystérieux que le P. de Clorivière dit « privilégié » parce qu'elle y trouve, sans aucun doute, la grâce d'une continuelle ascension vers Dieu. En 1783 âgée de 34 ans Adélaïde écrivait : « Je fais résolution de retrancher toute dépense inutile, de me borner au simple nécessaire dans ma position. Je regarderai ce que je possède comme appartenant aux pauvres beaucoup plus qu'à moi. Pour parvenir à la possession de Jésus-Christ, je désire ne rien posséder en ce monde, à moins que ce ne soit

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Marie-Adélaïde de Cicé pour soulager ses membres souffrants. Je voudrais qu'il me fut possible de ne disposer de rien que par obéissance » (91).

Aussi quand en 1792 la Révolution vint lui ravir sa fortune, n'est-elle pas autrement émue mais se porte-t-elle seulement à une plus grande confiance en Dieu. Elle écrit : « Si Dieu me voulait absolument dans la dépendance pour le nécessaire et que je puisse ne rien retrouver de mes biens, loin de m'en affliger je m'en réjouirais. Je profiterais de cette situation pour me réduire en toute occasion à la condition des pauvres... J'ai tâché de donner mon cœur au Bon Dieu plus parfaitement que jamais. J'ai désiré qu'il fût revêtu et paré de la perfection des trois vœux de la Religion; que Jésus-Christ soit mon seul trésor; qu'en opposition à ma sensibilité pour les créatures, je n'aime plus rien qu'en Dieu, mais que j'en aime le prochain bien davantage, pour procurer surtout son bien spirituel. Quant au vœu d'obéissance, que je ne trouve plus en moi de volonté propre que je ne la fasse mourir sur l'heure pour expier mes résistances aux volontés de Dieu et à ceux qui me tiennent sa place » (92).

Ces désirs n'étaient pas de pieuses et vagues aspirations mais se traduisaient en une lutte sérieuse et soutenue pour la réforme de son caractère. « C'est le travail de toute la vie » lui avait écrit son directeur, « d'extirper de nos cœurs la nature mauvaise, principe de toutes nos fautes... Dans les âmes les plus avancées la moindre négligence en ce point serait funeste ». L'ardeur du zèle de M. de Cicé avait sa source dans l'ardeur même de son amour pour Dieu. Sa charité est universelle, s'étend à toutes catégories de personnes, à 184


Mère de la Société

toutes les misères spirituelles et corporelles, à tous les besoins, à tous les pays du monde, elle « embrasse l'univers ». Elle s'adresse tout d'abord aux plus proches. Son dévouement filial auprès de sa mère, l'affectueux intérêt dont elle témoigne à l'égard de ses frères et sœurs souvent cités dans sa correspondance avec le Père de Clorivière ou avec les amis de la famille, sa sollicitude à l'égard de ses neveux qu'elle regrette de ne pas revoir avant sa mort, révèlent en bien des traits, la délicate et chaude affection qu'elle conservait aux siens. Cette charité est généreuse, conquérante, désintéressée. Elle ne cherche que la plus grande gloire de Dieu, le meilleur service de l'Église, le bien des âmes. Elle se traduit éminemment dans la pratique des vertus solides. M. de Cicé n'avait pas de grands défauts mais elle eut toujours à lutter contre une sensibilité de tempérament qui la portait parfois à des inégalités d'humeur dont elle s'accusait ensuite et à des réactions un peu vives devant ce qui lui paraissait manquer de justice ou de droiture. Elle était aussi facilement portée au découragement par une trop grande défiance d'elle-même et un excès d'humilité. Elle écrivait en 1783, avec un sincère mépris d'ellemême : « Si les hommes pouvaient savoir à quel point je suis infidèle, je serais à leurs yeux comme aux miens un monstre digne de tous les maux et indigne de toutes les grâces » (93).

langage qui paraît exagéré mais c'est celui des saints qui ont compris l'infinie pureté de Dieu. Elle conclut admirablement : 185


Marie-Adélaïde de Cicé « Je veux être d'une douceur inaltérable et d'une indulgence extrême pour le prochain et l'estimer autant que je me méprise » (93).

Résolution qu'elle a tenue en effet toute sa vie. Cette humilité profonde et sincère risque cependant de déprimer son âme et de lui enlever son ressort pour l'action. Le Père de Clorivière l'en avertit prudemment : « L'humilité a ses règles et ses limites comme les autres vertus. Pour être une vertu il faut qu'elle se rapporte à Dieu et ne nous détourne point de ce que nous pouvons faire pour sa gloire; qu'elle nous porte à le faire de la manière la plus parfaite mais uniquement pour Lui, sans que nous ne nous en approprions rien à nous-mêmes. Quand pour obéir à la voix de Dieu qui vous appelait, vous vous êtes engagée dans des sentiers difficiles, ténébreux, pleins de dangers pouvez-vous craindre qu'il vous y abandonne? qu'il vous laisse à la merci de votre faiblesse? Loin de vous une pareille pensée, elle serait trop injurieuse à la fidélité du Seigneur. Ne craignez que de manquer de confiance. Sans la confiance l'humilité n'est même plus une vertu. Cependant il faut toujours combattre des ennemis puissants, réfléchissez que vous n'êtes pas seule : si Dieu demande de vous des choses fortes, Il vous donnera de puissants moyens. Il n'abandonne jamais l'humble qui se confie en Lui » (94).

Ainsi orientée et soutenue, Mère de Cicé cherche l'union à Dieu en s'adonnant à l'oraison avec une constante fidélité, une ferveur courageuse et une filiale confiance. Cette oraison avait ses heures de consolation parfois très vive, mais aussi ses temps de sécheresse, d'aridité et de désolation. « Vous désirez que Notre-Seigneur Jésus-Christ soit tout à fait le maître de votre cœur; ce désir est sincère, il est accompli,

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Mère de la Société mais vous n'avez pas la consolation de voir et de sentir qu'il l'est. Soyez contente de cette privation et persévérez dans le même désir; soyez constante à vous humilier sous la main puissante du Seigneur. Il sait mieux que nous ce qui nous convient; quand il lui plaira, Il découvrira le voile qui vous dérobe sa vue, et vous serez heureuse en voyant sa conduite sur votre âme » (95).

En attendant c'est dans la Sainte Communion que M. de Cicé doit chercher ardemment la divine Présence bien qu'elle s'en trouve parfois très indigne. Mais le Père de Clorivière ne cesse de l'encourager : « Quand il vous est arrivé de tomber, au lieu de vous arrêter à des réflexions non moins inutiles qu'accablantes, pensez que Dieu vous tend la main pour vous relever. Bénissez-Le de ce qu'il ne permet pas que vous fassiez de plus lourdes chutes. Celles dont vous me parlez ne sont pas de nature à vous obliger d'interrompre vos Communions; elles vous montrent, au contraire, le besoin que vous avez de ce divin aliment pour vous soutenir et pour avancer sans cesse dans le chemin pénible et sublime par où le Seigneur vous conduit... » (98).

Quelle est donc cette épreuve qui enveloppait d'un voile pesant la foi de M. de Cicé et qui rendait son chemin sublime si rude et si escarpé ? C'était une sorte de martyre intérieur fait non seulement des peines de tous genres dont son cœur était meurtri, non seulement même des répugnances de son humilité pour la Supériorité et le gouvernement mais c'était la persistance d'un état d'âme que le P. de Clorivière déclare « non ordinaire » et qui n'était autre qu'une participation profonde au mystère de la croix. Prévenue par la grâce et favorisée d'abord d'abon187


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Marie-Adélaïde de Cicé

dantes consolations spirituelles auxquelles elle répondait avec toute l'ardeur de son amour (Retraite de 1776), elle connut par la suite de constantes alternatives d'épreuves et de grâces, d'attraits divins et d'assauts du mauvais esprit. Dès 1788, elle parle dans une lettre des révoltes auxquelles elle craint de se laisser aller et de l'espèce de désespoir qu'elle éprouve. Tantôt dans la consolation elle écrit : « Je ne puis concevoir le changement qui s'opère en moi dans de certains moments. Dans la présence de Notre-Seigneur toutes mes craintes, mes peines disparaissent, mon courage s'augmente. Mon désir de me donner au service de NotreSeigneur sans réserve ; ma résolution de m'abandonner à tout ce qu'il voudra ordonner de moi s'affermissent alors de plus en plus. Je m'étonne après cela des grâces de Notre-Seigneur pour un sujet aussi indigne que moi, je me fonds en sentiments de reconnaissance et je m'excite par là à l'amour de Notre-Seigneur » (97).

Mais peu après, c'est la nuit, la solitude, le vide, la pure souffrance de la Croix nue; voie providentielle, spéciale et même « privilégiée » d'après le P. de Clorivière qui l'explique ainsi : « Voici quel est l'état de votre âme. Dieu est maître de votre volonté et de vos facultés intellectuelles. Il y réside, mais d'une manière inconnue aux sens et II influe sur toutes vos opérations spirituelles. Il permet en même temps qu'en votre âme le siège des sentiments et des affections sensibles soit comme sous la possession de l'esprit de malice et de ténèbres qui produit en vous cette dureté de cœur et ces impressions que vous ressentez. Dieu le permet pour des vues dignes de sa Sagesse. Que devezvous faire? Vous joindre à Dieu, vous retirer dans la partie supérieure de votre âme, agir uniquement par la foi, l'espérance 190


Mère de la Société et la charité et de là voir d'un œil paisible toutes les tempêtes que l'esprit de malice excite dans la partie inférieure de l'âme » (98).

Cette analyse et cette direction sont bien d'un maître de la vie spirituelle. Il est aisé de suivre à travers les lettres du P. de Clorivière l'ascension de l'âme de M. de Cicé dans les voies de l'oraison. On y reconnaît d'une part la profondeur, la sagesse et la haute portée spirituelle des enseignements du Père, d'autre part l'ouverture et la docilité de M. de Cicé. Non seulement il lui recommande son « petit traité de l'oraison » (Considérations sur la prière et l'oraison*) qui écrit-il « vous dira ce que vous aurez à faire, les défauts qu'il faudra éviter, les épreuves par où vous aurez à passer », mais encore il la guide luimême et, pour ainsi dire pas à pas, il la conduit de la simple méditation à l'oraison affective, puis à l'oraison de simplicité ou de recueillement, par la voie de la pureté de cœur, de l'entier dégagement d'elle-même, de l'abandon paisible et confiant en Dieu. Il l'amène ensuite jusqu'à l'oraison de contemplation, ne cessant de l'encourager et soutenir alors que son âme envahie par la tentation, bouleversée dans toutes ses facultés sensibles intérieures, ne pouvait que se réfugier « dans la fine pointe de la volonté, ce donjon imprenable où Dieu seul à accès », ainsi que l'écrit St-François de Sales. On conçoit sans peine la souffrance de l'âme ainsi divisée, écartelée en elle-même et comme suspendue, crucifiée entre ciel et terre. N'était-ce pas l'état de l'âme de la Sainte Vierge au pied de la croix, dans le paroxysme de l'angoisse et de la détresse en son cœur et dans sa * Prière et Oraison : Réédition par le Père Rayes, chez Desclée de Broumer en 1961


Marie-Adélaïde de Cicé

sensibilité, malgré l'acceptation la plus généreuse de la volonté de Dieu et l'adhésion aimante à son Fils crucifié dans le sommet de son âme ? C'est ce que le P. de Clorivière dit à sa Fille douloureuse : « Il y a déjà longtemps que notre Divin Sauveur, l'Époux des âmes pures vous tient clouée sur la Croix en toutes manières. C'est ainsi qu'il a traité sa Sainte Mère. Pourriez-vous y penser sans reconnaître le prix de cette faveur? Le jour où nous honorons les « douleurs » de l'auguste Mère de Dieu est pour vous à bien des titres un « jour de fête ». Vous avez des droits sur ce tout aimable Cœur transpercé comme le vôtre, vous l'aînée de ses filles » (99).

L'une de ses lettres à M. de Cicé est du reste particulièrement révélatrice de l'acuité du drame intérieur qui lui causait tant d'angoisses. Il semble qu'à cette heure, où son rôle auprès des deux Sociétés prenait plus d'importance, les assauts de l'esprit du mal redoublaient de violence en vue de la porter au plus profond découragement devant la charge de la supériorité, d'où les tentations d'évasion que le Père combat fortement : «... Ce qui m'afflige surtout, c'est que vous reveniez encore à parler d'abandonner la croix dont Dieu vous a chargée lui-même en vous mettant à la tête de la petite famille ». « Cette pensée ne vient pas de Dieu comme je vous l'ai dit souvent, c'est la faiblesse de la chair et le manque de confiance en Dieu qui vous la suggèrent. Le démon en profite ». « Le prétexte de vivre sous l'obéissance est illusoire. Ce n'est pas l'obéissance que Dieu veut de vous : elle serait douce, aisée, commune; celle que Dieu veut de vous est plus crucifiante, plus parfaite, c'est celle que vous pratiquez dans la 192


Mère de la Société

place où les circonstances, où Dieu ou moi-même, comme tenant en cela sa place, je vous ai établie et dans laquelle vous avez constamment à sacrifier vos goûts, vos inclinations, votre volonté, votre entendement. Je vous le disais, ma chère fille, avec d'autant plus de liberté que ma conscience me rend témoignage que je ne cherche en cela que la gloire de Dieu et le bien spitituel de votre âme. Dieu veut que tandis que je vivrai, ce qui désormais ne peut pas être fort long, vous exerciez envers moi la plus parfaite obéissance en ce qui ne sera pas manifestement contraire à la loi de Dieu. Un même esprit doit nous animer, celui de Notre Seigneur Jésus-Christ et, suivant nos règles, il faut que vous receviez en quelque manière le mouvement de votre supérieur comme les membres du corps le reçoivent de l'âme qui l'anime ». « Vous me dites qu'en vous démettant de la supériorité vous ne sortirez pas de la Société. Quand on fait un pas en avant et dans un terrain glissant, on n'est plus maître de s'arrêter. Mais quand vous y resteriez, on ne le croirait pas ou du moins on se persuaderait que, dans la circonstance, vous avez cru tout désespéré. Ainsi, au lieu de contribuer à la conservation de la bonne œuvre que Dieu vous a confiée, vous lui porteriez sans le vouloir le coup fatal et vous l'anéantiriez autant qu'il serait en votre pouvoir de le faire ». « Vous me dites encore que par la nature des choses qui vous sont arrivées, Dieu a paru vouloir vous exclure du gouvernement de la Société. Vous entendez parler de l'affaire qu'on vous a intentée et de ses suites. Vous devriez raisonner tout autrement : ces événements extraordinaires dont nous étions si éloignés, vous et moi, sont marqués au sceau d'une Providence toute particulière et vous y avez été tellement assistée par elle que vous devez y reconnaître une épreuve d'amour et, en même temps, un moyen pour vous de parvenir à une haute sainteté et pour elle de parvenir, mais par des voies secrètes, à ses fins. Les Sociétés du Cœur de Jésus et du Cœur de Marie doivent avoir part à leurs douleurs et à leurs souffrances; n'était-il pas bien juste que ceux qui sont à la tête y participent

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Marie-Adélaïde de Cicé les premiers? C'est un privilège attaché au choix que Dieu a daigné faire d'eux dans sa grande miséricorde. S'il lui plaît de nous envoyer d'autres croix, réjouissons-nous; il nous y fait trouver le salut, la force et la perfection (100) ».

M. de Cicé comprenait bien ces hautes et austères leçons. Dans ses lettres comme dans ses instructions elle ne cessait d'exhorter elle-même ses filles éprouvées à la confiance paisible et abandonnée. Elle écrivait à l'une d'elles faisant écho au P. de Clorivière : « Rien n'est plus grand et glorieux devant Dieu comme d'endurer quelque chose pour le nom de Jésus et le salut des âmes ». Cependant le sommet de la grandeur en Mère de Cicé, le triomphe de sa vertu tiennent en ce que rien ne transpire au dehors de ses douloureuses peines intérieures. Le P. de Clorivière seul en avait connaissance. Tandis que son âme était livrée à l'inquiétude et à l'angoisse, torturée par la crainte, envahie par la désolation, rien ne trahissait à l'extérieur ces souffrances intimes. Elle trouvait dans son intense charité la force de dominer ses impressions et de rester calme, sereine, paisible et même enjouée dans ses contacts avec les autres. Le Père Varin et Madame de Saisseval qui l'avaient vue de près dans les heures les plus douloureuses de sa vie louaient son inaltérable sérénité, son égalité d'humeur, sa bonne grâce, sa charité aimable. Ainsi se révèle la valeur surnaturelle de cette âme. Sa constance dans le don d'elle-même aux autres, son indéfectible confiance, la force d'âme avec laquelle elle sur194


Mère de la Société

monte son martyre intérieur relèvent d'une vertu que l'on peut appeler héroïque. La vie intérieure de M. de Cicé est marquée d'une tendre et filiale dévotion envers la Sainte Vierge. Elle invoque souvent sa protection, se propose d'imiter ses exemples, lui confie ses difficultés, ses peines, ses projets. Les extraits de ses lettres abondent en louanges et en exhortations envers le culte de Notre-Dame. En particulier son « Élévation sur la Très Sainte Vierge » révèle une pénétration à la fois théologique et mystique du mystère de Marie dont elle exalte les privilèges et les grandeurs ce qui, dit-elle, doit « nous exciter à dire l'Ave Maria avec la plus grande dévotion, cette salutation angélique qui rappelle à la Sainte Vierge l'origine de son bonheur et de toutes ses grandeurs ». « Jetons les yeux, mes très chères Sœurs, sur la Très Sainte Vierge qui, du haut des cieux où Elle règne, jette si amoureusement et si souvent de tendres regards sur ses enfants. Elle a choisi la meilleure part qui ne lui sera point ôtée. Dans l'état de la nature, dans l'ordre de la grâce et dans celui de la gloire qu'Elle possède et possédera à jamais, que de grandeurs en Elle! Marie est au-dessus de tout ce qui n'est pas Dieu. Tout ce qu'il y a de meilleur dans la nature, c'est l'Humanité Sainte de JésusChrist. C'est Elle qui en fait la gloire. Ce qu'il y a de plus précieux dans cette Sainte Humanité selon l'ordre naturel, c'est le Cœur, ce cœur qui est le sanctuaire du Saint-Esprit, la source de toutes les grâces, le trésor de toutes les vertus, et le trône du pur amour. Après le Divin Cœur de Jésus, tout ce qu'il peut y avoir de meilleur c'est celui de sa glorieuse Mère, auquel nous avons le bonheur d'être spécialement dévouées. Que ferons-nous pour l'honorer? Combien devons-nous désirer de le faire? Appre-

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PHOTOS 51 52 -

Un ancien panorama de Rouen. (PHOTO ROGER-VIOLLET) Église St-Maclou, chef-d'œuvre des XVe et ~XVl% siècles. Paroisse de M. de Cicé pendant l'un de ses séjours. (PHOTO ESTEL)

Château de « Vert Bosc », en pleine forêt : il a dû servir de refuge à M. de Cicé lorsqu'elle vint en Normandie après son procès, en 18 01. - Sentier conduisant au château. - Gravure de Poilly représentant l'embarcadère et le départ des bateaux à l'Ile St-Louis. (PHOTO BULLOZ) - Paysage provençalsur la route d'A.ix. (PHOTO ROGER-VIOLLET). - Portail de la cathédrale d'Aix. (ARCHIVES PHOTOGRA-

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PHIQUES)






Mère de la Société nons-le de la bouche du Fils de Dieu lui-même qui révéla à sainte Mechtilde une excellente pratique : «Vous saluerez le Sacré-Cœur de ma Mère — lui dit ce divin Sauveur — avec l'affluence de toutes les grâces qui lui ont été communiquées d'En-haut, Vous le saluerez comme le Cœur le plus pur qui ait jamais été, puisque c'est Elle qui a levé l'étendard de la virginité, sous lequel, mes très chères Sœurs, nous marchons à sa suite après des millions de vierges; comme le plus humble des cœurs puisque c'est son humilité qui a tiré Jésus-Christ du sein de son Père et qui L'a fait descendre sur la terre jusqu'à nous ; comme le plus ardent, car jamais personne n'a tant aimé Dieu ni le prochain, il était réservé à Elle seule de remplir avec toute perfection le grand précepte de la charité. Nous saluerons ce Cœur comme le plus éclairé. « Toutes les paroles, les actions, les divins exemples de la Sagesse Incarnée étaient en dépôt dans ce Cœur que nous saluerons aussi comme le plus patient, car il fut percé de mille traits de douleur à la Circoncision, à la Présentation de son Fils au Temple, et bien plus encore au jour de sa très amère Passion; comme le plus fidèle de tous les cœurs, car Marie eut le courage d'offrir Jésus au Père Éternel, de présenter sa vie à tous les coups de la Justice divine pour la rançon du genre humain. « Nous le saluerons, ce Saint Cœur, comme le plus vigilant, par le soin que Marie prit de l'Église naissante qui ne saurait être assez reconnu. Nous la saluerons encore comme la plus élevée en oraison, car on ne peut dire les grâces et les faveurs que la Très Sainte Vierge a obtenues aux hommes par l'ardeur et la force de ses prières. Ne perdons jamais de vue, mes très chères Sœurs, que Marie, notre Auguste Reine et notre tendre Mère, est pour nous le canal de toutes les grâces dont son Divin Fils est la source. La Sagesse et la Bonté de Dieu a voulu nous dispenser par Elle tous ses trésors. Quelle sera donc notre confiance en Elle si nous la mesurons à son pouvoir et à nos besoins. Ah ! mes très chères Sœurs, n'y mettons point de bornes, espérons tout, attendons 201


Marie-Adélaïde de Cicé tout de Marie si nous sommes fidèles à Jésus, notre espérance ne sera jamais confondue. Mettons notre gloire et notre bonheur à nous distinguer parmi ses plus fidèles servantes, et n'oublions pas surtout que ce digne objet de notre confiance est en même temps notre miroir et notre modèle. Étudions les vertus de son Cœur et puisons en tout temps dans ce sanctuaire sacré qui nous est ouvert, la fidélité et la générosité dont nous avons besoin pour les imiter. Recourons sans cesse à ce Cœur, Il nous défendra de nos ennemis, nous y trouverons des armes pour les combattre et pour les vaincre. Obtenez-nous, Vierge Sainte, d'accomplir la résolution que nous prenons à vos pieds de nous attacher invariablement au Divin Cœur de votre cher Fils et au Vôtre. Vous pouvez tout sur le Cœur de votre Fils, faites qu'il soit éternellement le Maître et le possesseur paisible des nôtres. Ainsi soit-il » Ainsi en sera-t-il par la grâce de Dieu et les mérites de Jésus-Christ et la protection de sa Sainte Mère » (101).

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LES DERNIERS JOURS : SOUFFRANCE ET JOIE I

En janvier 1817 Mère de Cicé allait avoir 68 ans. Sa santé toujours fragile et toujours surmenée s'affaiblissait de plus en plus. La poitrine était prise et les yeux se voilaient. Elle habitait alors rue de Babylone un appartement attenant à l'église paroissiale des Missions Étrangères qui avait l'avantage incomparable pour elle de posséder une petite tribune ouverte sur l'église et sur l'autel. C'est là que durant les quinze derniers mois de son existence elle allait passer la plupart et le meilleur de son temps en présence de son Seigneur et en contemplation de son Amour. Alors en effet le voile épais qui pesait sur son âme 203

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Marie-Adélaïde de Cicé

semble bien s'être déchiré ainsi que le lui avait fait espérer et presque prédit le P. de Clorivière. Sa foi radieuse et triomphante avivait dans son cœur un amour de NotreSeigneur de plus en plus ardent et confiant, si bien que ses souffrances ne lui servaient qu'à aimer davantage. On a retrouvé après sa mort quelques feuillets où elle avait noté ses aspirations : « Mon Dieu, si j'avais le bonheur de faire quelque chose qui vous puisse être agréable, je vous demanderais pour toute récompense de croître en votre saint amour!. Sans vous, mon Dieu, je ne puis vivre! Faites-moi la grâce, ô divin Époux, de n'être comme Vous que soumission et amour » (102).

Madame de Saisseval nous a rapporté que M. de Cicé faisait trois parts de ses journées : la première était consacrée à l'oraison faite ordinairement devant le SaintSacrement et prolongée durant toute la journée ainsi que le P. de Clorivière le lui avait recommandé. La seconde part était réservée à la correspondance et aux réceptions. Par ses lettres et ses entretiens Mère de Cicé continuait de diriger et d'animer les Supérieures de la Société et par elles, ses Filles avec une constante sollicitude, une sage et maternelle charité. La fin de l'après-midi était consacrée à la visite des pauvres, des malades et des affligés. Ne pouvant marcher que très péniblement M. de Cicé la faisait en voiture. Elle y apportait toujours sa bonté charmante, sa bonne grâce, son enjouement, avec de sages conseils, de précieux encouragements et en certains cas des secours matériels. Elle portait un intérêt spécial à ses compatriotes dispersés 204


Derniers jours

et souvent désemparés dans la capitale. Apprenant un jour que des soldats bretons, en garnison à Popincourt, demandaient un confesseur afin de se maintenir dans les dispositions qu'ils rapportaient d'une Mission récemment suivie à Rennes, M. de Cicé se rend avec grande peine à la paroisse près de laquelle ils étaient casernés, les voit, les encourage, les recommande au clergé, leur procure le prêtre le plus dévoué et le plus propre à ce ministère. Puis se préoccupant de leur persévérance, elle leur composa et envoya une petite bibliothèque faite des meilleurs livres appropriés à leur condition. Sentant sa fin prochaine Mère de Cicé voulut laisser à la Société ses derniers conseils de Supérieure Générale en écrivant une Lettre Circulaire, véritable testament spirituel tout imprégné de la charité des Cœurs de Jésus et de Marie. « Nous vous recommandons bien instamment de veiller à entretenir les unes avec les autres l'union la plus douce et la plus intime, ce qu'on ne peut espérer qu'autant que chacune de nous sera prête de faire à la charité toute espèce de sacrifice. Si nous y sommes bien fidèles, N.S., selon sa promesse, sera Lui-même au milieu de nous ; Il sera l'âme de tous nos entretiens et nous n'agirons que par le mouvement de sa grâce, pourvu toutefois qu'attentives à rentrer souvent en nous-mêmes, nous y écoutions en silence cette voix intérieure qu'il se plaît à faire entendre à ceux qui r'ont point d'autre désir que celui de faire sa volonté. Il nous dira toujours de Le considérer Lui-même dans le prochain et en particulier dans chacune de nos sœurs. Sous ce point de vue dont nous ne devons jamais détourner nos regards, avec quelle douce et tendre charité ne nous comporterons-nous pas envers chacune d'elles? Cette charité que nous nous devons les unes aux autres

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Marie-Adélaïde de Cicé ne doit pas nuire à la charité générale que nous devons au prochain et qui doit être pure et désintéressée (103) ». Elle insistait sur ce qu'elles ne doivent jamais oublier : « Il ne faut jamais perdre de vue ce qui nous est si spécialement recommandé d'être dans le monde sans être du monde, de ne jamais nous conformer au siècle présent dans tout ce qui peut blesser notre conscience, ce qui demande que nous nous élevions, par la grâce de Dieu, au-dessus du respect humain. Ayez horreur de toutes les maximes du monde condamnées par le Saint-Évangile. Quant à la manière de vous conduire extérieurement chacune dans votre état, suivez la direction de l'obéissance. Dieu ne permettra jamais qu'elle vous égare, cette voie dans laquelle vous marchez à sa suite sous la conduite de Supérieurs qu'il a choisis dans sa bonté pour établir cette œuvre sainte. Attachons-nous particulièrement aux vertus intérieures. Qu'elles soient comme l'âme de tous vos actes extérieurs. Que les Cœurs Sacrés, objets de notre amour, le soient aussi de notre imitation dans la pratique des vertus. Èfforçons-nous de nous distinguer dans l'amour et la confiance filiale envers la TrèsSainte-Vierge et demandons les unes pour les autres la grâce de nous unir étroitement à Elle, de procurer la gloire de Dieu autant qu'il nous rendra capables de le faire, en 11e faisant icibas, toutes ensemble, qu'un cœur et qu'une âme pour que cette union soit perfectionnée et consommée dans le ciel où nous aspirons. Ce sont les vœux que forme dans tous les instants, mes très chères Sœurs, votre toute dévouée et affectionnée sœur et servante. Signé : Marie-Adélaïde, qui se recommande bien spécialement à vos prières (103) ».

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Derniers jours Au printemps de 1818 qui devait voir sa fin, elle désira réunir encore une fois toutes ses Filles de Paris. Comme la tribune où elle les recevait d'habitude était trop exiguë, elle les convoqua chez l'une d'elles Mme Blanquet, dont l'appartement était plus vaste. Trop souffrante pour le faire elle-même, elle fit donner en sa présence l'instruction sur la Règle par Madame de Saisseval. Elle y ajouta quelques mots d'encouragement et d'affection. Dans l'émotion profonde de l'assemblée qui pressentait bien que c'était la dernière fois, elle les bénit après s'être profondément recueillie dans le Seigneur. Le 15 avril, une fièvre bilieuse se déclara qui ne laissa aucun espoir de guérison. La malade souffrait beaucoup mais acceptait volontiers la souffrance, elle en faisait la seule prière qui lui fût possible. « Hélas !, disait-elle, je ne puis pas prier, je ne puis que souffrir ». Quand on lui présentait quelque remède ou quelque potion amère, elle formait un signe de croix puis avec une parfaite sérénité, elle l'approchait de ses lèvres brûlantes en répétant : « Dominus est ! » C'est le Seigneur qui le veut ainsi. En dépit de sa faiblesse, elle recevait encore ses Filles avec son aménité coutumière, leur laissant avec des paroles affectueuses, de suprêmes recommandations. Le P. de Clorivière malgré ses infirmités venait visiter fidèlement et fortifier sa fille éprouvée. Empêché par sa surdité, ce ne fut pas lui qui confessa M. de Cicé mais le Curé des Missions Étrangères, Mr l'Abbé Desjardins. Tant qu'elle le put la vénérée malade se fit transporter à la tribune de l'église où elle demeurait de longs moments 207


Marie-Adélaïde de Cicé

dans la contemplation silencieuse du Tabernacle : « Personne, disait-elle, ne peut deviner le besoin extrême que j'ai de passer le plus de temps qu'il m'est possible devant le Saint-Sacrement ». Elle demanda d'elle-même à recevoir le Sacrement des mourants que lui administra l'Abbé Desjardins. Elle fit entre ses mains la rénovation de ses vœux et demanda pardon de ce qu'elle appelait le scandale de sa vie. Quand lui fut apportée la Sainte Eucharistie, son premier mouvement fut celui du Centurion de l'Évangile : « Seigneur, je ne suis pas digne ». Puis l'amour l'emportant sur la crainte, elle n'envisagea que la grâce de la divine Visite et communia avec une piété angélique. Elle n'eut plus dès lors de pensées et de désirs que pour Celui dont Mr l'Abbé Boursoul, son premier guide, lui avait fait entendre par anticipation les suprêmes invitations, en ces termes qu'elle avait relus tant de fois : « Vive Jésus, ma Fille, voici le moment où va s'accomplir la magnifique promesse de Notre-Seigneur dans son Évangile. Vous lui direz : ô mon Dieu, qu'ai-je fait pour mériter une telle place auprès de Vous ? Et II vous répondra que vous avez tout quitté, tout abandonné pour Le suivre. Vous avez déjà dès ce monde reçu le centuple de ce que vous avez sacrifié... Et quels prodiges d'amour n'a-t-il pas faits pour vous? Cependant son amour n'est pas encore satisfait, voici le précieux moment qui vous met en présence de la vie éternelle. Voici qu'il vous attend et déjà vous appelle avec ces divines paroles : Viens, mon épouse, viens prendre possession du Royaume que Dieu mon Père t'a préparé dès l'origine du monde...

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Derniers jours ... J'ai eu faim et c'est à moi que tu as donné à manger quand tu as nourri les pauvres. J'étais auprès de toi. J'ai compté tous les pas que tu as fait vers eux, tous les soins que tu as pris, toutes les douces paroles que tu leur as dites, toutes les instructions que tu leur as faites. J'ai compté tous les combats que tu as livrés à la délicatesse de ton amour-propre pour les servir, toutes les violences que tu t'es faites à toi-même pour te sacrifier à eux. Rien n'a échappé à ma mémoire ni à mon cœur. Tout est écrit dans le livre de vie... ... Viens que je te mette en possession de mon bonheur, viens enfin, que je te fasse sentir la libéralité, la grandeur, la magnificence et l'amour du Maître que tu as servi ».

Ces promesses quasi-prophétiques de l'Abbé Boursoul ne présageaient-elles pas celles du P. de Clorivière lorsqu'il la consolait de ses peines intérieures et lui laissait entrevoir de grandes consolations pour ses derniers jours ? En effet au milieu de vives souffrances Mère de Cicé ne cessa de jouir d'une paix profonde et d'une joie surnaturelle. Plus les douleurs étaient vives plus elle répétait : « C'est mon bonheur ! » ou encore avec allégresse : « Mes souffrances font ma joie et mes délices ! » Le jour qui précéda sa mort, elle demeura longtemps à la tribune, les regards fixés sur le Tabernacle sans pouvoir les en détacher. Le samedi, vers huit heures du soir, elle s'y fit encore transporter. Elle ne pouvait plus parler mais son regard disait sa joie et son amour. Parfois elle détournait les yeux, souriait doucement à ses Filles qui à ses côtés récitaient les prières des agonisants. 209


Marie-Adélaïde de Cicé

C'est là que le dimanche 26 avril vers quatre heures du matin, son âme s'exhala doucement dans la paix du Seigneur.

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La dépouille mortelle de M. de Cicé dont le visage exprimait une paix céleste, resta dans la tribune où elle avait expiré. De nombreuses messes furent célébrées en sa présence pendant trois matinées consécutives jusqu'au moment des obs|aues. La « Mère des Pauvres » aurait voulu être inhumée à la manière des pauvres mais sa famille réclama des funérailles un peu plus solennelles. Cependant à côté de sa parenté l'église fut remplie surtout de pauvres gens, besogneux ou miséreux, qui pleuraient de reconnaissance et louaient à l'envi l'aimable et inépuisable charité de la « Bonne Demoiselle ». Puis ce fut le silence autour d'elle. A l'intérieur de sa famille religieuse la désolation était profonde et le vide immense. Mlle d'Acosta, première Assistante de Mme de Saisseval que le Père de Clorivière avait constituée Supérieure Générale pour succéder à M. de Cicé, écrivait cependant : « Il ne faut pas que notre courage s'abatte d'une perte aussi douloureuse. Ranimons-nous de plus en plus, nous rappe2IO


Derniers jours lant les exemples de vertu qu'elle nous a donnés et croyons bien que quoique la pierre fondamentale de l'édifice semble lui avoir été enlevée, il ne peut s'écrouler pour cela; Dieu soutiendra son œuvre! » (104).

Le Père de Clorivière, alors presqu'aveugle, ne pouvant écrire lui-même, pria le P. Druilhet de le faire à sa place en ces lignes adressées à Mlle Chenu : « Votre juste douleur de la mort de M. de Cicé a renouvelé celle que le P. de Clorivière a ressentie lui-même. Elle est bien grande, mais sa soumission inaltérable à la volonté du Seigneur a été plus grande encore. Il était juste que cette sainte demoiselle, après une vie toute pleine de ses saintes œuvres, allât recevoir le fruit de ses travaux. Bien des larmes ont honoré sa mémoire, mais ces larmes n'ont rien que de doux et de consolant. L'éminente piété de celle qui les fait couler ne suscite d'autre sentiment que celui du vide immense qu'elle laisse » (105).

Le souvenir de sa sainteté loin de s'éteindre apparaissait de plus en plus vivant pour tous ceux qui l'avaient connue. L'Abbé Carron, le zélé biographe des « Justes » de Bretagne (Victimes et héros de la Révolution) écrit en évoquant M. de Cicé, avec un enthousiasme justifié : « Mais toi, vénérable Adélaïde de Cicé, ce n'est pas vingt ans, cinquante ans, c'est pour ainsi dire un siècle entier de bienfaits-et de vertus que je recueille dans ta sainte vie! »

Après le récit de sa mort devant le Tabernacle, il la montre dans la Gloire et met sur ses lèvres ces paroles de Sainte Thérèse s'adressant de là-haut à ses filles : 211


Marie-Adélaïde de Cicé « Nous qui sommes au Ciel et vous qui êtes sur la terre, nous devons être une même chose en pureté et en amour; nous, en jouissant, vous, en souffrant. Et ce que nous faisons au ciel avec la divine Essence, vous devez le faire sur la terre avec le Saint-Sacrement ».

Quod non capis, animosa firmat fides

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11 LA SOCIÉTÉ DANS L'HISTOIRE

La Révolution Française avec ses désordres et ses tragiques excès doit être considérée comme l'explosion d'un état d'esprit dont la source première se trouve dans le climat social et religieux des siècles précédents. L'Histoire de l'Église à cette époque révèle une crise de la conscience européenne dans une atmosphère générale d'incrédulité sous l'influence de Voltaire, des Encyclopédistes et de J.-J. Rousseau ou des loges maçonniques. La foi au mystère et à la Révélation est ébranlée sinon détruite tandis qu'au sein même de l'Eglise, le Jansénisme exerce son influence pernicieuse. C'est dans cette ambiance d'incrédulité et d'erreurs que, sans bruit mais 213


Marie-Adélaïde de Cicé

efficacement, M. de Cicé a initié un mode nouveau de vie religieuse et d'apostolat, opposé à l'impiété croissante. Mêlées au monde, sans aucun signe extérieur distinctif et gardant du monde dans leur manière d'être et d'agir tout ce qui est « compatible avec la loi du Saint Évangile », les Filles du Cœur de Marie observent les trois grands Conseils évangéliques scellés par les vœux publics de religion. Comme les premiers chrétiens au milieu du monde païen, elles vivent leur consécration religieuse en témoignage de foi, d'espérance et de charité. Sans être du monde, elles sont dans le monde pour en être le sel, la lumière et le levain. Ainsi opposent-elles une digue discrète mais ferme à l'erreur et au mal tandis qu'elles annoncent efficacement la vérité et la charité de l'Évangile du Christ. M. de Cicé fait à cet égard figure de novatrice. Cependant à y regarder de plus près, son innovation s'inscrit profondément dans la Tradition évangélique et ecclésiastique. Ne peut-on en effet trouver déjà comme une ébauche et un présage de la Société des Filles du Cœur de Marie dans ces Saintes Femmes dont nous parlent St Mathieu, St Marc et surtout St Luc qui, nombreuses, suivaient Notre-Seigneur ? Parmi elles, un groupe en particulier l'assistait de plus près, Lui et les Douze. « Et Jésus s'en allait à travers les villes et les bourgs et avec Lui les Douze et quelques femmes qui l'assistaient... et puis la foule des autres ». (St Luc VIII, i, 3).

Ne peut-on trouver un nouvel exemple précurseur dans ces vierges chrétiennes des premiers siècles, Agathe, 214


1M Société dans l'Histoire Agnès, Cécile, « Vierges consacrées » vivant dans le monde et y répandant la bonne odeur de Jésus-Christ? Dans la même ligne, à travers les siècles ne voit-on pas, au moment où St Ignace fondait sa Compagnie, Ste Angèle de Mérici susciter à Brescia une Compagnie de Vierges destinées à vivre dans le monde afin de s'y adonner aux œuvres de zèle les plus nécessaires. Plus tard, St François de Sales songea à son tour à instituer un ordre de religieuses à la fois contemplatives et actives qui puissent sortir de leur couvent pour aller visiter et secourir les pauvres et les malades. Ce projet parut trop hardi pour l'époque et les Visitandines restèrent cloîtrées. Plus tard encore, St Vincent de Paul reprit la même idée avec un meilleur succès. Il fonda les Filles de la Charité, admirables modèles de sainteté et de charité active dans le monde, n'ayant cependant que des vœux privés renouvelables chaque année. C'est donc M. de Cicé qui sous la conduite autorisée du Père de Clorivière, arriva la première à donner une forme précise et déterminée à la vie religieuse dans le monde sans cloître, sans grille, sans costume, avec la consécration des vœux publics de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. S'adaptant aux circonstances les plus difficiles, la nouvelle Société sera accessible à toutes les âmes vraiment appelées. Elle se prêtera à tous les modes d'apostolat de manière à faire revivre au milieu du monde moderne quelque image de la ferveur et de la charité de l'Église naissante.

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PHOTOS

Gravure de l'époque représentant l'église Notre-Dame des Champs. Le Père de Clorivière habitait dans le quartier au moment de son arrestation. - Ce « Temple », ancien monastère des Templiers dont la Tour célèbre servit de prison pendant la dévolution. Louis XVI j fut transféré avant de monter à l'échafaud. Le P. de Clorivière y fut détenu du mois de mai 1804 au mois de mai 1808. (PHOTO

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GIRAUDON) 60 -

Pie VII, venu à Paris pour le couronnement de Napoléon en 1804, accueillit avec bienveillance M. de Cicé. (PHOTO ROGERVIOLLET)

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L:'Abbaye aux bois, ancien couvent « des dix vertus » fondé en 1640. Pie VII y résida avant sa détention à Fontainebleau. Situé rue de Sèvres, l'immeuble fut en partie détruit au XXe siècle. Cour d'honneur et entrée de la chapelle. (PHOTO ROGER-VIOLLET) Église du Couvent des Carmes déchaussés rue de Vaugirard. Le Père de Clorivière reçut l'hospitalité dans les bâtiments extérieurs du monastère, après sa libération, en 18op. (PHOTO GIRAUDON)

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Chapelle de la Salpétrière où sur les instances de M. de Cicé le culte fut rétabli en 1800. (PHOTO BULLOZ)



Rue- dioTem/j/c..n'ie.





Du petit grain de sénevé jeté en Bretagne par M. de Cicé et transplanté à Paris sous le rude hiver de la Révolution devait sortir un grand arbre. En effet de Paris la Société avait rapidement essaimé en Franche-Comté et bientôt dans le Centre, le Nord, le Sud-Est, le Sud-Ouest, à Besançon, Rouen, Tours, Poitiers, Lyon, Aix-en-Provence... Débordant la France les fondations se multiplièrent peu à peu, en Angleterre, Irlande, Italie, Allemagne, Suisse, Belgique, États-Unis, Canada, Mexique, Portugal, Espagne, Hollande. 222


Elles atteignent actuellement en Afrique l'Algérie, la Haute Volta, l'Ethiopie, le Congo; en Amérique latine le Brésil, le Chili, l'Argentine, la Colombie, l'Equateur, le Pérou, le Venezuela, le Guatemala, la Bolivie; en Asie les Indes à Goa, Bombay, Mangalore, Ernakulam; le Pakistan à Karachi et, plus récemment l'ExtrêmeOrient au Japon, l'Afrique orientale à Madagascar. En même temps les activités apostoliques de la Société se précisent et se développent s'adaptant aux besoins des temps et des pays. 223


Marie-Adélaïde de Cicé A l'origine, les sujets pris dans les milieux les plus divers s'emploient à la sanctification de toutes les classes sociales, des plus élevées aux plus humbles, soit par leur seule présence et leurs exemples, soit dans l'exercice de leur profession et de leurs œuvres. Tandis que les unes édifient la plus haute société et la Cour même, de ferventes paysannes bretonnes maintiennent la foi dans leur paroisse au plus fort de la Révolution et d'humbles ouvrières, des couturières, comme Mlles Bertonnet, conservent et développent l'esprit chrétien dans leurs ateliers. Il est dit de Mlle Thérèse Favier, ouvrière en robes, « que pour entrer dans l'esprit de zèle et de charité de la Société, elle prit avec elle de jeunes personnes qu'elle formait à la piété en même temps qu'au travail, faisant ainsi un bien incalculable. Le zèle de ces premières Filles de Marie se manifeste particulièrement dans l'assistance qu'elles apportent au culte du Sacré-Cœur et de Notre-Dame. Quelques-unes entouraient la famille royale lors de la consécration de la France au Sacré-Cœur par Louis XVI à l'aube de la Révolution, une touchante lettre de Mme de Carcado en fait foi. Quant au culte de Notre-Dame, la Société recueille la promesse faite par Madame Elisabeth de l'honorer d'une manière spéciale le premier samedi de chaque mois et en assure fidèlement la réalisation. Pendant la tourmente révolutionnaire, les Filles du Cœur de Marie furent de dévouées auxiliaires des prêtres leur procurant, au péril de leur vie, des asiles sûrs et les moyens d'exercer leur ministère. Le même courageux dévouement s'est exercé au temps de la Commune auprès 224


La Société dans l'Histoire des Pètes Olivaint et Ducoudray. Au lendemain de la dévolution Madame de Saisseval s'adonne à l'œuvre si urgente des Vocations Sacerdotales. Les visites aux pauvres, aux délaissés et aux malades furent aussi une des premières activités des Filles du Cœur de Marie. Le procès de Mère de Cicé et le titre qui lui avait été donné de « Mère des Pauvres » en font foi. Vinrent ensuite la visite des Hôpitaux fondée par Mme de Saisseval, origine de l'œuvre qui existe encore aujourd'hui, et l'organisation des bureaux de Charité. Pour l'enfance abandonnée, Mme de Saisseval et Mme de Carcado fondent l'Œuvre des « Enfants Délaissés ». Pour la jeunesse, du temps même de M. de Cicé, il existe des refuges, des ouvroirs, des œuvres d'apprentissage telles que celle de Mme Lambert à Chartres et de Mme Jacoulet à Dole, des écoles de formation de maîtresses pour l'enseignement des campagnes, fondation de Mlle d'Esternoz et de Mme Chifflet. De cette même époque datent aussi des œuvres de retraites telles que la Maison de Saint-Servan et des œuvres paroissiales diverses fondées ou secondées par la Société. Le long généralat de trente ans de M. de Saisseval qui avait succédé à M. de Cicé fut très fécond pour l'affermissement intérieur de la Société et son accroissement extérieur. La Société continue d'exercer des formes d'activité apostolique très variées mais l'effort se porte principalement vers l'enfance et la jeunesse abandonnée. Un tableau dressé en 1856 relève la fondation de vingtdeux orphelinats. C'est l'apostolat qui correspond aux besoins du temps. 225


Marie-Adélaïde de Cicé De 1800 à 1900, les mêmes activités se développent et de nouvelles se greffent sur les anciennes. C'est ainsi que l'œuvre de la Visite des Hôpitaux donne naissance à l'œuvre des mariages régularisés et à celle des baptêmes, premières formes de service social. Puis encore en France s'organisent : catéchismes et patronages, œuvres paroissiales et de quartiers, œuvres de relèvement, Premières Communions retardataires (Vaugirard), Congrégations d'Enfants de Marie, œuvre des Tabernacles et des Missions, Bibliothèques, etc.. Hors de France se développent des œuvres similaires et d'autres plus spéciales comme celle des prisons de Liverpool et les grands établissements de sourds-muets aux États-Unis. Après 1900, l'expulsion des Ordres enseignants en France amène la Société à tourner ses efforts vers les œuvres d'enseignement et d'éducation « pour suppléer à l'absence des autres Ordres religieux et préparer leur action plus tard ». Pour sauvegarder l'enseignement libre chrétien, elle crée ou reprend des écoles primaires, des instituts secondaires, des Écoles normales. Beaucoup de ces établissements où les Filles du Cœur de Marie se dépensent avec le plus grand dévouement seront cédés au retour des Congrégations, premières possédantes, avec le plus grand désintéressement. Des œuvres pour les enseignantes sécularisées se fondent à Angers, Laval et Toulouse. Cet effort pour maintenir l'enseignement chrétien marque le début d'une période de laïcisation généralisée qui devait s'étendre et s'intensifier. La Société se devait 226


La Société dans /'Histoire

d'y opposer en vertu de son esprit apostolique de nouveaux efforts et de nouvelles formes d'action plus puissantes et plus étendues. C'est alors l'origine des grandes œuvres nationales et internationales : la Protection de la Jeune Fille à laquelle la Société a collaboré presque dès le début; la Ligue, alors Ligue Patriotique, devenue aujourd'hui Ligue Féminine d'Action Catholique. Un peu plus tard les œuvres universitaires : Conférence St Michel et Foyers pour étudiantes au service du corps enseignant des Écoles et Universités de l'État; les œuvres de restauration et d'éducation familiale, d'enseignement technique et professionnel, de préparation à l'action sociale, les œuvres d'infirmières, etc., veillant particulièrement à la formation des « cadres ». Les difficultés des temps appelant certaines Filles de Marie à pourvoir à leur propre subsistance en s'assurant une profession, ces circonstances mêmes aideront à la réalisation de la pensée du Père de Clorivière : « pénétration de tous les milieux par la profession ». Ces professions trouveront en elles des apôtres pour susciter et soutenir des Unions Catholiques au sein même de l'organisation professionnelle : Union Catholique des P.T.T., des Services de Santé, des B.B.A., des Médecins catholiques, etc. A toutes les activités de l'Action Catholique proprement dite ou des œuvres annexes, nationales ou régionales, les F. de M. se trouvent aujourd'hui plus ou moins amenées à prêter leur concours : Apostolat de la prière, Croisade Eucharistique, Maisons de retraites fermées, 227


Marie-Adélaïde de Cicé

œuvres catéchistiques, Guides, Syndicats, Mouvements spécialisés, Secrétariats de documentation, etc. Héritière du zèle qui portait le P. de Clorivière et M. de Cicé vers les missions lointaines de la Nouvelle Amérique, la Société se devait de répondre aux sollicitations pressantes de l'Église dans le champ de son activité missionnaire. Nombreuses sont celles qui, désirant faire à Dieu une offrande de plus grand prix, apportent à travers le témoignage de leur charité la lumière de la foi dans les contrées lointaines où Dieu n'est pas connu. Grâce à leurs sacrifices les fondations en pays de mission se succèdent. Chacune a son histoire, toutes témoignent de la vaillance des Missionnaires et de leur inlassable dévouement en même temps que des infinies sollicitudes et libéralités de Dieu à leur égard. Cette diversité de services qui paraît dès l'origine même de la Société et se retrouve dans les.divers pays, continentaux ou d'outre-mer, où elle est établie appelée par les Évêques, répond au vœu exprimé par M. de Cicé dans une de ses lettres circulaires : « A l'exemple du cœur maternel de la Très Sainte Vierge, les nôtres doivent contenir tout l'univers », ce que le R.P. de la Brière commentait en ces termes dans une conférence du 26 avril 1936 : « Elles devront avoir des perspectives apostoliques et catholiques comme l'Église, étendues comme le monde, larges comme la charité du Christ; non pas bornées à un horizon immédiat mais prêtes à accomplir des tâches plus grandes qu'on ne connaissait pas, au fur et à mesure des besoins du règne de Dieu, au fur et à mesure des désirs manifestés par l'autorité légitime ». 228


EXTRAITS DES ÉCRITS DE MÈRE DE CICÉ copiés sur autographes, adressés à des Filles du Cœur de Marie

A

VOCATION - PERFECTION RELIGIEUSE

Lettre à Mlle Chenu, j juillet

ISOJ

Affectionnons-nous toujours de plus en plus à notre sainte vocation qui est si admirable envers Dieu puisqu'elle nous attache à Lui sans partage, si bonne et si aimable envers le prochain qu'elle nous invite à aimer et à servir pour l'amour de Celui qui l'a tant aimé qu'il est mort pour le sauver. Cette amertume qu'il nous fait éprouver de Le voir tant offensé est une grâce. Il permet que nous la ressentions afin que nous ne respirions plus que pour Lui témoigner notre amour, nos regrets, et faire tous nos

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mmm


Marie-Adélaïde de Cicé efforts, accompagnés de sa grâce que nous Lui demanderons sans cesse, pour sauver quelques âmes du naufrage presque général, et dédommager ainsi, autant qu'il est en nous, ce Cœur brûlant d'amour pour les hommes, qui n'en est aimé que d'un très petit nombre, et qui l'est encore si peu de ceux-là mêmes qui, comme nous, sommes le plus obligés de L'aimer. Dites-leur à toutes et à chacune d'elles en particulier combien elles nous sont chères et le désir ardent que nous avons de leur avancement en esprit, combien nous souhaitons en particulier qu'elles agissent toujours de préférence par le motif du divin amour, par le désir de plaire en tout, dans les plus petites choses comme dans les plus grandes, au Céleste Époux. Qu'elles réfléchissent souvent à ce que dit St Paul, cet amant de Jésus : Soit que nous mangions, etc.. Entretiens sur le Plan de la Société, N° 6. Le 6e numéro du Plan déclare que pour être admise dans la Société du Cœur de Marie il faut être appelée de Dieu à Lui faire une consécration entière de soi-même par les Vœux Perpétuels de Religion. La décision du Souverain Pontife ayant déterminé que les vœux qu'on se proposait de rendre perpétuels avec son approbation seraient désormais des vœux annuels, ne nous dispense pas de l'obligation où nous sommes, comme membres de la Société du Cœur de Marie, de cette consécration entière de nous-mêmes au Seigneur. Si nous nous offrons à Lui avec quelque réserve et sans Lui donner tout ce que nous pouvons Lui donner, il serait bien à craindre 230


Écrits de Mère de Cicé

qu'il rejetât notre offrande. De tout temps, dans l'ancienne Loi comme dans la nouvelle, Il ne veut point de rapine dans l'holocauste. Une réserve connue et délibérée arrêterait infailliblement le cours de ses grâces. Sondons notre cœur, mes très chères Sœurs, et comme nous touchons de près à notre grande solennité, au moment précieux de renouveler nos saints engagements, de resserrer des liens qui doivent nous être si chers, examinons bien si, par la grâce de Dieu, nous vivons comme des personnes qui ne sont plus à elles-mêmes mais qui appartiennent entièrement au Seigneur, qui dans le cours de la vie peuvent se rendre à elles-mêmes le consolant et glorieux témoignage qu'elles n'ont plus d'autres intérêts que ceux de Jésus-Christ leur divin Époux. Elles se font gloire de Le suivre le plus près qu'il leur est possible, elles ne sentent le prix de leur liberté que par le bonheur de Lui en faire et de Lui en renouveler le sacrifice, ce qu'elles voudraient qu'il leur fût possible de faire à chaque instant de leur vie, par des élévations continuelles de leur esprit et de leur cœur aussi fréquentes que leurs respirations, si leur faiblesse était capable de cette attention soutenue. Faisons du moins tout ce qui est en notre pouvoir, c'est la seule manière que nous ayons de témoigner à ce divin Sauveur la reconnaissance dont nous devons être pénétrées de nous avoir choisies de préférence à tant d'autres. Qu'avons-nous fait à Dieu pour mériter ce bienfait? N'avons-nous pas, au moins pour la plupart, des infidélités innombrables à nous reprocher? Quels titres, Seigneur, pour mériter cette grâce signalée ! Est-ce donc 231


Marie-Adélaïde de Cicé ainsi, ô mon Dieu, que Vous nous punissez d'avoir si souvent transgressé votre loi sainte, rejeté, méprisé vos grâces, contristé votre Esprit-Saint en négligeant de recevoir ses inspirations et d'y coopérer? Pensons-y sérieusement devant le Seigneur, proposons-nous de nous réformer sans nous en tenir à une résolution générale qui, quelque sincère qu'elle fût, n'aboutirait à rien, comme il nous est arrivé quelquefois. Rentrons profondément en nous-mêmes et attachons-nous à quelques points particuliers que nous découvrirons devoir mettre le plus d'obstacles aux grâces de Dieu et interrompre le cours des faveurs que nous recevons de sa main libérale quand nous Lui sommes fidèles. N'oublions jamais que notre divin Époux est un Dieu jaloux, et que nous ne pouvons en même temps être à Lui, au monde et à nousmêmes. Rappelons-nous souvent ces paroles du Psalmiste : « Le Seigneur est la part qui m'est échue en héritage et la portion qui m'est destinée. » C'est vous, devrons-nous Lui dire à bien plus juste titre que ses ministres de l'ancienne Loi, c'est Vous, Seigneur, qui me rendes l'héritage qui m'est propre. Oh que cet héritage est noble ! Qu'il est excellent! Qu'il est avantageux, qu'il est doux de le posséder. Mettonsnous en état d'en profiter. Que ne devons-nous pas quitter pour le posséder ! Quelle abondance de biens n'en avonsnous pas recueillie jusqu'à présent ? Combien en pouvonsnous encore espérer? Estimons donc cet héritage plus que tous les biens du monde. N'ayons point de plus grande joie. 232


Écrits de Mère de Cicé Entretiens sur le Plan de la Société, n° 13, la veille de la Purification de la Très Sainte Vierge. A la veille ce grand jour où toutes les âmes fidèles appelées à la pratique des Conseils évangéliques renouvellent les saints engagements qu'elles ont pris à la face des autels de suivre Notre-Seigneur JésusChrist de plus près et sa Très Sainte Mère dans la voie de leur vocation, entrons, mes très chères Sœurs, dans les mêmes sentiments, méditons dans le recueillement et l'oraison combien la grâce de notre vocation est précieuse. La préférence que le Seigneur nous a donnée sur tant d'autres qui sont dans les ténèbres et l'aveuglement, non seulement par rapport à la perfection, mais encore un bien plus grand nombre par rapport aux vérités les plus essentielles au salut. Bénissons le Seigneur mille et mille fois de nous avoir ouvert les yeux sur tout ce qui peut nous sanctifier comme chrétiennes et nous perfectionner comme religieuses. Après avoir considéré le bienfait de notre vocation, après en avoir rendu de justes actions de grâces au Seigneur, considérons avec quelle fidélité nous répondons à ce qu'il a fait pour nous en nous admettant au nombre de ses disciples. Après Lui avoir offert notre cœur par les mains si pures de sa Très Sainte Mère au jour de notre Consécration, après le lui avoir consacré sans retour par l'émission des vœux, examinons quelle a été notre fidélité à remplir des engagements aussi sacrés. Sondons notre cœur devant Dieu, humilions-nous profondément dans sa présence de tant d'infidélités à nous acquitter des promesses que nous avons faites à Dieu. A cette vue, 233


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concevons la plus grande confusion de notre ingratitude qui nous a portées à oublier, à négliger si souvent ce que la bonté de Dieu nous a toujours rendu possible malgré notre faiblesse naturelle; reconnaissons la source de nos manquements les plus habituels pour y remédier : ne verrons-nous pas qu'elle se trouve dans cet amour de nous-mêmes qui ravit à l'amour de notre Dieu ce qui Lui est si essentiellement dû ? proposons-nous, à l'aide de sa grâce de laquelle nous devons tout espérer si elle est secondée de nos efforts, de mettre tout de bon la main à l'œuvre en ôtant à notre amour-propre tout ce que NotreSeigneur nous inspire de lui ôter pour le donner à son amour. Demandons avec instance et ferveur à la Très Sainte Vierge de nous obtenir ce pouvoir sur nousmêmes, que nous avons mérité de perdre par nos infidélités réitérées. Essayons de nouveau, assistées de la grâce toute puissante de Jésus-Christ et de la tendresse maternelle de la Très Sainte Vierge, notre Mère, de nous vaincre avec plus de courage et de constance, en suivant avec la plus exacte fidélité ce que chacune de nous reconnaît que Dieu demande d'elle, ce que la grâce lui met le plus souvent et le plus continuellement au cœur, et peut-être depuis bien longtemps. Considérons, mes très chères Sœurs, et moi la première comme la plus coupable, combien nous nous faisons tort à nous-mêmes en résistant ainsi à la grâce de notre Dieu. N'avons-nous point à craindre qu'il ne se retire de nous malgré son infinie Bonté, et qu'il n'attribue à d'autres, contre le bon plaisir de son Cœur qui nous a 234


Écrits de Mère de Cicé choisies, les grâces de faveur et de prédilection dont II avait dessein de nous combler? Il me semble, mes très chères Sœurs, que ces pensées doivent entrer pour quelque chose dans nos oraisons dans ces jours où, destinées comme nous le sommes à ne devoir jamais quitter notre Sainte Mère, l'Auguste, la divine Marie, à suivre ses traces, nous devons nous trouver à sa suite dans le saint Temple pour nous offrir avec elle, et comme elle s'il était possible, sans aucune réserve au Seigneur, afin de réparer, du moins par la ferveur de notre offrande, tout ce qui a pu manquer à celles qui l'ont précédée, et surtout à toutes les infractions de nos vœux... Entretiens sur la Préface de la Règle de Conduite, 2j Juin 1809 Ce nom de Filles de Marie et d'âmes fidèles doit nous rappeler ce que nous devons être. La sublimité de notre vocation, le titre glorieux de Filles du Cœur de Marie nous apprend la ressemblance que nous devons avoir avec notre Auguste Mère, combien nous devons nous attacher à imiter ses vertus, en particulier sa fidélité au service de Dieu. Notre réunion formée sous ses auspices dans des temps comme ceux où nous vivons, doit nous exciter chaque jour davantage à marcher, comme nous avons promis de le faire, le plus près qu'il nous sera possible sur les traces de notre Divin Sauveur et de sa Sainte Mère. Dans quel autre temps plus que dans celui-ci précisément devons-nous nous efforcer de consoler l'Église dans son affliction, et réparer autant qu'il est en notre pouvoir les pertes qu'elle a faites précédemment, les 235


PHOTOS

Appartement rue de Babylone, attenant aux Missions 'Étrangères, où demeura M. de Cicé à la fin de sa vie. Une tribune donnait directement sur la chapelle. (PHOTO BELZEAUX) - Intérieur de la chapelle des Missions Étrangères, érigée en paroisse en 1802. (PHOTO BELZEAUX) - L'Abbé Desjardins, curé des Missions Étrangères, assista M. de Cicé à ses derniers moments. (PHOTO BELZEAUX) - M. de Cicé, mourante. - Tombe de M. de Cicé au cimetière Montparnasse. (PHOTO

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L'ON REPOSE EN PAIX DANS LE CŒUR DE MARIE. (PHOTO BELZEAUX) - Adélaïde de Malé^ieu Comtesse de Carcado, née en 17//, dame de la cour de Marie-Antoinette, assista à la Consécration de la France au Sacré-Cœur par Louis XVI. Fut reçue dans la Société des Filles du Cœur de Marie en IJ99 et nommée par le P. de Clorivière Assistante de M. de Cicé. Morte à Paris pendant la détention du P. de Clorivière le 2j janvier 1808, d'une broncho-pneumonie contractée un jour de grand froid, en allant porter la Ste-Eucharistie au Père Fondateur, emprisonné. (PHOTO BELZEAUX)

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Écrits de Mère de Cicé maux qu'elle éprouve, et ceux dont elle est menacée. Il ne faut qu'être chrétien pour entrer dans ces sentiments à la vue de tout ce qui se passe. Mais des Filles du Cœur de Marie, des épouses de Jésus-Christ ou des âmes qui se disposent à le devenir, ne peuvent se contenter de gémir. Elles doivent s'adonner plus que jamais à la pratique de la perfection qu'elles ont embrassée, regretter les pertes qu'elles ont faites jusqu'ici peut-être en négligeant leur principal devoir, ou du moins en ne le remplissant pas avec toute la ferveur qu'il demande. La première chose nécessaire pour parvenir à la perfection est, comme notre Père nous le dit, de la désirer ardemment. Avons-nous soin de ranimer continuellement en nous ce désir que nos infidélités habituelles affaiblissent si aisément; et pour cela, nous occupons-nous sans relâche à purifier notre cœur, à nous pénétrer de plus en plus d'une vive horreur du péché et de tout ce qui peut nous conduire au péché, suivant l'expérience que nous en avons ? Craignons-nous jusqu'à l'ombre du péché? Gémissons-nous sincèrement des inclinations vicieuses auxquelles nous nous sentons portées, et des imperfections dans lesquelles nous tombons, les regardons-nous comme des dispositions au péché qui est le seul mal que nous ayons à craindre? Nous relevons-nous promptement de nos chutes par l'humilité et la confiance en Dieu ? Si nous sommes fidèles à le faire, nous pouvons espérer que ce désir vif et ardent de la perfection qui nous est si recommandé et si nécessaire s'entretiendra dans notre cœur. En attirant ainsi le secours de Dieu nous parviendrons par sa grâce à acquérir cette perfection qu'il demande de nous, à laquelle il 241


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nous invite si puissamment, qu'il désire bien plus de nous que nous ne pouvons le désirer nous-mêmes, quoiqu'elle soit toute à notre avantage. Ne perdons point de vue que notre désir de la perfection doit être ardent puisqu'il s'agit de tendre à ce qu'il y a de plus excellent; qu'il doit être fort pour vaincre les obstacles qui se rencontrent à chaque pas; que nos prières et nos efforts doivent avoir pour but de posséder cette béatitude qui consiste dans la faim et la soif de la justice qui doit être récompensée dès cette vie par la paix de l'âme et son bonheur, autant qu'il peut-être compatible à cette vie mortelle, et dans l'autre vie par l'immortelle jouissance du Souverain Bien. Pour les Veilles des Rénovations.

Adressons-nous à l'Esprit-Saint avec toute la ferveur dont nous sommes capables pour en obtenir les lumières dont nous avons besoin pour reconnaître d'abord la sublimité de notre vocation. Y a-t-il rien de plus grand, de plus considérable en ce monde que d'être consacrées au Seigneur? Pouvait-il y avoir rien de comparable à la dignité d'épouses de Jésus-Christ, de Filles du SacréCœur de Marie! Rentrons en nous-mêmes pendant ces jours pour examiner, aux pieds du Seigneur, sous ses yeux et ceux de sa sainte Mère, si nous sommes fidèles à remplir les obligations que nous imposent ces beaux titres d'épouses de Jésus-Christ et d'enfants de Marie. i° Avons-nous toujours eu l'intention actuelle et la résolution immuable de garder nos vœux, ou n'avonsnous point vécu à l'abandon? 242


Écrits de Mère de Cicé 2° Ne nous est-il point arrivé quelque faute de conséquence qui nous puisse causer du trouble à l'heure de la mort, et quelle satisfaction avons-nous faite pour cela? 3° Avec quel soin évitons-nous les fautes les plus légères contre la pauvreté, la chasteté et l'obéissance? 4° Avec quelle ardeur aspirons-nous à la perfection que nos Règles nous prescrivent ? Par rapport à celles qui, parmi nous, n'ont pas encore prononcé leurs vœux, elles doivent s'examiner sur la promesse qu'elles ont faite en prononçant leur Consécration, conformément à l'offrande qu'elles ont faite d'elles-mêmes de vivre comme si elles étaient engagées par des vœux, pour répondre à la grâce qu'elles ont reçue et rendre leur vocation certaine par leurs œuvres, s'essayant à la pratique des vœux et travaillant à se rendre par cette fidélité dignes de les prononcer quand il leur sera permis. En suite de ces réflexions, nous devons toutes demander à Dieu un rayon de la lumière et de la connaissance qu'il a de nos obligations. Ah! puissions-nous en être pénétrées et les connaître comme nous le serons à l'heure de la mort. Maintenant qu'il en est temps... (gémissons) des défauts que nous y commettons; produisons plusieurs actes de contrition, de confusion, de regret et de désir de mieux faire à l'avenir. Considérons que la Société du Très Saint Cœur de Marie fait profession de la plus excellente pauvreté qu'elle puisse pratiquer, selon l'état et les obligations qui en résultent pour chacun de ses membres au milieu du monde. Les Règles de la Société du Cœur de Marie ne se contentent pas de nous prescrire de ne pas user des biens temporels comme nous appar-

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tenant, mais comme de choses consacrées au Seigneur, ce qui dit bien davantage. Elles retranchent aussi toute superfluité dans les choses dont l'usage nous est permis. Par rapport au vœu de Chasteté, la Société du Cœur de Marie fait profession d'une pureté toute céleste et angélique, elle la chérit comme un don très précieux qu'elle a reçu de Jésus-Christ et de sa très pure Mère dont elle porte le nom et les livrées. Quant au troisième vœu, les enfants de Marie, les filles de son Cœur font une profession toute particulière de l'obéissance. C'est le caractère qui les distingue et que la Société porte au plus haut degré où elle puisse monter. Elle ne peut pas donner une plus grande étendue à son objet puisqu'elle n'exclut rien de tout ce que le Supérieur ordonne, que le péché. Elle ne peut exiger une soumission plus parfaite de son sujet puisqu'elle veut que celle qui obéit anéantisse sa propre volonté et son jugement à celui de ses Supérieures. Elle ne peut lui proposer un plus excellent modèle puisqu'elle ne lui en donne point d'autre que celui de Jésus-Christ qui s'est rendu obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix. Enfin elle ne peut lui donner un plus noble principe ni une fin plus excellente, puisqu'elle veut que nous ne regardions que Dieu seul dans la personne des Supérieures que nous avons choisies pour interprètes de sa sainte Volonté et pour organes de sa Providence, afin qu'il nous gouverne par leur entremise, qu'il règne absolument sur toutes nos puissances et qu'il nous conduise sûrement au port de la béatitude éternelle. 244


Écrits de Mère de Cicê En la veille de la Nativité de la Sainte Vierge, y septembre 1809 Que devons-nous faire en conséquence du bonheur que nous avons d'appartenir à Marie d'une manière si privilégiée? Il faut sans doute ne rien négliger pour Lui témoigner extérieurement notre dévotion, mais cette dévotion doit surtout être intérieure : une conformité la plus parfaite avec les sentiments du Cœur de Marie, et par Elle, avec ceux du Cœur de Jésus. C'est le but de notre consécration et de nos vœux. Prenons-en bien l'esprit. C'est par là surtout que nous marcherons sur les traces de Marie. La pauvreté de Marie a été la même que celle de son Fils; maîtresse de tout, Elle s'est dépouillée de tout. L'excellence de sa chasteté surpasse tout ce que l'intelligence créée peut concevoir. Son obéissance a été parfaite et continuelle, Elle n'a jamais fait sa propre volonté, Elle l'a toujours assujettie à celle d'autrui. Quand pourra-t-on dire de chacune de nous, mes très chères Sœurs, elle n'a jamais fait sa propre volonté, elle a toujours fait la volonté de ses Supérieures, elle a même souvent préféré faire celle de ses égales et même de ses inférieures pour être plus assurée de faire en tout la volonté de Jésus-Christ. Regardons tous les biens de la terre comme quelque chose d'étranger et de fort au-dessous de nous; notre corps et tous nos sens comme une victime que nous devons sacrifier sans cesse ; notre volonté comme quelque chose de bien excellent, de bien agréable à Dieu quand on la lui soumet, mais aussi comme la chose la plus pernicieuse quand on la rapporte à soi-même. 245


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Attachons-nous aussi, à l'exemple de Marie, à l'observance de nos Règles et, comme Elle, que l'intention la plus pure nous dirige dans nos moindres actions comme dans les plus grandes. On peut tout avec la protection de Marie. Elle peut dire avec son Divin Fils : « Toute puissance m'a été donnée dans le ciel et sur la terre. » Elle est toujours prête à secourir ses enfants. Mettons-nous autant qu'il nous est possible en état, par notre respect, notre confiance et notre amour, d'éprouver les consolants effets de sa protection. A cette grande et heureuse fête de la naissance de Marie, attachons-nous à L'imiter d'une manière plus particulière dans l'offrande qu'EUe fait d'Elle-même au Seigneur. Offrons-nous par Elle, désirons de nous offrir comme Elle sans réserve et de la manière la plus entière au Seigneur en nous excitant à une profonde douleur de l'imiter si tard dans cette consécration. Espérons que cette offrande si tardive présentée par ses mains ne sera pas dédaignée ; sa bonté, son amour, ses vertus couvriront nos défauts. Excitons-nous à la plus grande confiance, et pour mériter les faveurs de la plus élevée et de la plus humble des créatures, disposons-nous par l'aveu de nos misères et par l'humilité qui plaît tant à ses yeux et à ceux de son Divin Fils. Présentation de la Très Sainte Vierge.

N'oublions pas, mes très chères Sœurs, que nous touchons à la fête de la Présentation de la Très Sainte Vierge, que nous devons nous y disposer par un plus 246


Écrits de Mère de Cicé grand recueillement et par une espèce de petite retraite pendant les trois jours qui la précèdent. Chacune de nous entrera de son mieux dans cet esprit sans nuire à son devoir par une piété mal entendus, mais en se proposant plus particulièrement que jamais de faire toutes ses actions comme étant sous les yeux de Dieu, avec une intention actuelle de Lui plaire qu'il faut renouveler souvent pendant le jour à cause de l'extrême faiblesse de la nature qui fait oublier trop aisément les résolutions que la grâce nous a fait prendre ; une plus grande attention à veiller sur nous-même, à remplir nos obligations avec plus de perfection, à recourir à Notre-Seigneur et à sa Sainte Mère en La priant de nous obtenir quelques-uns des sentiments dont elle fut animée en se présentant au Seigneur quoiqu'EUe fût dans un âge si tendre, la générosité avec laquelle Elle se sépara de ce qu'EUe avait de plus cher sur la terre pour obéir à la voix du Seigneur. Aspirons, mes très chères Sœurs, à nous offrir par ses mains avec la même ardeur et comme Elle sans aucune réserve. Le peu que nous donnons en nous donnant à Dieu demande du moins que nous nous donnions tout entières. Ne nous bornons pas aux sentiments dont nous devons nous efforcer de nous pénétrer. Rappelons-nous que nous sommes appelées d'une manière spéciale à retracer en nous les vertus dont notre Auguste Mère nous donne un exemple si parfait ; et en particulier dans cette fête, sa piété, son respect pour la Majesté divine, sa fuite et son éloignement du monde et de ses maximes dans sa Présentation et dans le séjour qu'Elle fit dans le Temple jusqu'à l'accomplissement du grand dessein que le Seigneur avait sur Elle. 247


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Offrons-nous à son exemple et par ses mains de nouveau au Seigneur, et dans la présentation que nous ferons de nous-mêmes à cette fête, ne mettons aucune réserve à notre offrande. Comme les desseins de Dieu sont impénétrables et que nous ne connaissons pas toujours ce que le Seigneur peut vouloir de nous, nous sommes sûres de faire une chose agréable à ses yeux en faisant cette offrande universelle de nous-mêmes à l'exemple de la Sainte Vierge notre Mère. Livrons-nous à toutes les volontés de Dieu, sans dessein particulier et sans limitation. Première Lettre Circulaire.

... Vous avez bien raison de penser que les premières Filles de Marie devraient être l'exemple de toutes les vertus, puisque celles qui viendront dans la suite doivent trouver en elles des modèles de ce qu'elles doivent devenir pour répondre à leur sainte vocation. Unissons-nous donc toutes, mes chères Compagnes, pour obtenir de NotreSeigneur par l'entremise de sa Sainte Mère une puissante grâce qui nous fasse triompher entièrement de nousmêmes et renoncer à tous nos misérables petits intérêts pour n'en avoir plus d'autres que ceux de Notre-Seigneur Jésus-Christ, notre Divin Maître, et de notre Auguste Reine la Très Sainte Vierge. Le grand moyen de parvenir à un si grand bonheur est pour chacune de nous la fidélité à notre sainte vocation qui demande que nous vivions dans la pratique des Conseils évangéliques, pratique dans laquelle nous sommes dirigées par la Règle de Conduite que nous pouvons croire avec raison avoir été dictée par l'Esprit-Saint pour chacune de nous. 248


Écrits de Mère de Cicé C'est pourquoi ne mettons point notre perfection dans les choses extérieures et dans les grâces extraordinaires qui ne dépendent point de nous, mais dans l'exactitude à remplir nos devoirs dont nous devons avoir grand soin de nous bien instruire, et surtout dans la perfection de la charité envers Dieu et envers le prochain. Si cette charité est véritablement grande, les effets en seront pareillement grands. Travaillons avec un soin infatigable et poursuivons sans relâche la grande entreprise que nous avons formée de tendre à la perfection et d'y porter le plus d'âmes qu'il nous sera possible, avec le secours de la grâce divine, quand même il nous semblerait quelquefois ne retirer aucun fruit de notre travail. Appliquons-nous en conséquence à acquérir les vertus solides d'humilité, de douceur, de patience, de pardon des injures et de support du prochain. Ces vertus, si nous les pratiquons avec fidélité, rendront véritablement nos cœurs conformes à ceux de notre Divin Maître et de notre Sainte Mère. Prenons aussi bien garde à ne troubler en rien l'ordre de la société et des familles. Il faut qu'une Supérieure de la Société soit bien attentive à discerner ce qui est de son ressort et ce qui n'en est pas pour la conduite d'un sujet ; elle doit toujours se rappeler que chacune pouvant et devant rester dans son état, elle ne peut rien prescrire de contraire aux devoirs qu'il exige. Les engagements que l'on contracte dans la Société doivent non seulement sanctifier les devoirs qu'impose à chacune son état particulier, mais encore en faciliter la pratique et adoucir tout ce qu'ils pourraient avoir de pénible par les grands motifs 249


Marie-Adélaïde de Cicé dont on doit être animé, quand on a eu le bonheur de se donner entièrement à Dieu, soit par le premier acte de consécration dans la Société des Filles du Cœur de Marie, soit plus étroitement encore par la consommation du sacrifice religieux. Rappelons-nous souvent, mes très chères Sœurs, ce que nous ne devons jamais oublier, que nous sommes dans le monde sans en être, et que nous n'y sommes que pour procurer la gloire de Jésus-Christ, à qui seul nous appartenons. Mais en même temps, évitons à l'extérieur toute singularité qui ne serait pas ordonnée par la vertu et la modestie. Le nom que nous avons le bonheur de porter de Filles du Sacré-Cœur de Marie doit nous rappeler que nous devons surtout travailler à former notre intérieur sur le modèle qui nous est donné. Considérons souvent si notre intérieur a quelque ressemblance avec ce Temple de l'Esprit-Saint, le Cœur de la très pure Marie, à l'imitation des vertus de laquelle nous devons nous adonner sans cesse. En nous appliquant ainsi aux vertus intérieures, nous ne devons pas toutefois négliger l'édification commune. Mettons-nous par la grâce de Dieu au-dessus de tout respect humain ; soyons partout la bonne odeur de JésusChrist ; ne rougissons jamais de Lui devant les hommes pour qu'il nous reconnaisse un jour devant le Père Céleste. Lui appartenant de si près, ce serait en nous une grande lâcheté si nous craignions qu'on ne nous reconnût pour les servantes de Jésus-Christ, et s'il arrivait, comme nous pouvons nous y attendre, que nous eussions quelque 250


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chose à souffrir pour le Divin Nom de Jésus, tout indignes que nous sommes d'une pareille faveur, à l'exemple des Apôtres, ouvrons alors nos cœurs aux plus doux sentiments de joie. Mais le zèle doit être dirigé par une prudence céleste qui nous fasse tenir un juste milieu entre l'excès qui nous ferait agir avec imprudence et nuire à l'œuvre de Dieu, et celui qui nous ferait omettre ce qui est de la plus grande gloire de Dieu et du salut du prochain. Un ardent désir de sa propre perfection et de celle des âmes qui nous sont confiées nous fera toujours, sous la direction de l'obéissance, éviter ces excès... *

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LES TROIS VŒUX Pauvreté

Entretiens sur le Sommaire, 22e et 23e Règles Pénétrons-nous chaque jour davantage des sentiments que nous devons avoir par rapport à la pauvreté que nous devons estimer comme notre sûreté au milieu du monde ; cette idée que nous devons en concevoir est ce qui nous maintiendra dans notre sainte vocation. Demandons souvent au Seigneur les lumières et les grâces qui nous sont nécessaires pour la pratiquer, chacune dans notre position, suivant l'esprit de notre vocation ; ce qui demande que nous ayons cette haute estime qui nous est recommandée, que nous ayons de l'affection pour elle, et que ce sentiment se manifeste dans les occasions ; que nous aimions, comme il est dit ici, à en sentir quelque rigueur, et que nous regardions comme infiniment précieuses les circonstances où la divine Providence, soit par l'obéissance ou la nécessité, nous mettrait à même d'en éprouver quelques effets pénibles et humiliants pour la nature. Le désir de ressembler à un Dieu, qui s'est fait pauvre pour l'amour de nous, doit être, pour des Filles de Marie, un puissant aiguillon. C'est le moyen de persévérer dans notre sainte vocation, d'attirer la bénédiction du Seigneur sur la Société et sur chaque membre en particulier. Notre Père dit formellement qu'elle ne se fortifiera, ne se soutiendra que par elle. L'exemple de l'Église naissante qui a donné de si beaux exemples de détachement, de mépris des richesses, doit d'autant plus nous y affection-

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Écrits de Mère de Cicé ner que, suivant les desseins de Dieu, nous sommes destinées par la Providence à retracer les mêmes vertus, non pas dans l'obscurité du cloître, mais sous les yeux d'un monde dont les maximes sont si contraires à celles de l'Évangile. Sans cet esprit, comme l'observe notre Père, comment pourrions-nous résister aux forces de l'enfer, du monde et de nos passions. Songeons souvent que notre plus grand soin doit être de réveiller en nous l'esprit de pauvreté. Le nom de Mère que lui donne la Règle doit nous faire entendre qu'elle nous enfante en quelque sorte à JésusChrist. Combien cette pensée doit nous la rendre chère. En effet, à tous ceux que le Seigneur appelait à sa suite, H leur annonçait qu'ils ne pouvaient être ses disciples s'ils ne renonçaient à tout pour Le suivre, c'était la condition. Et comment pourrait-on être tout à Jésus-Christ si on n'abandonne pas toutes choses, au moins de cœur et d'affection, et si on use autrement que le dit St Paul de ce qu'on est obligé de retenir suivant l'ordre de la Providence par rapport à nous, qui est d'user des choses nécessaires comme n'en usant point. Faisons bien attention à ce qui nous est dit dans cette explication qui nous est propre, que c'est par le détachement des choses de la terre que commence la perfection religieuse, qu'on n'y persévérera qu'autant qu'on sera fidèle à ce renoncement ; les autres vertus ne viennent qu'ensuite, elles en sont comme les rejetons. Pour peu que nous ayons de zèle pour notre perfection, que ces motifs doivent nous animer à la pratique de ce vœu ! Demandonsen l'intelligence au Seigneur et attachons-nous à l'imita253


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tion des exemples qu'il nous a donnés Lui-même et sa Sainte Mète. St Ignace considérait la pauvreté comme une mère et la chérissait comme telle ; jugeons de là combien nous devons nous y affectionner et la pratiquer suivant l'esprit de notre vocation qui nous est si clairement développé dans l'explication de ces deux Règles. Ayons une attention particulière à ne nous servir d'aucune chose comme propre, nous rappelant toujours que ce devoir est de l'essence même de la pauvreté et n'admet aucune exception. Notre Père explique parfaitement ce que nous devons entendre par là. Soyons aussi bien fidèles à consulter les Supérieures sur la manière d'user de nos biens, et malgré les permissions générales, consultons l'obéissance, surtout dans le doute en quelque chose importante. La fidélité en ce point et la pureté d'intention garantiront de tout scrupule. Il faut agir par rapport aux Conseils évangéliques dans l'esprit dans lequel doit agir tout bon chrétien par rapport aux Commandements de Dieu, ce qui demande, comme de raison, une plus grande perfection. Prions sans cesse Notre-Seigneur de nous dégager de toute attache à quelque chose que ce soit. Le bonheur de Le posséder comme le véritable trésor des pauvres mérite bien ce sacrifice entier, et notre vocation demande que notre cœur ne tienne à rien, à aucune des choses dont nous usons, afin que ce cœur soit entièrement libre et ne soit esclave que de son Souverain Seigneur, nous souvenant que Le servir est régner, et que cet usage de notre Liberté que nous Lui avons consacrée nous délivre de l'asservissement de nos passions... 254


Écrits de Mère de Cicé Avis de pauvreté. Notre Père dit sur un autre sujet qu'il ne faut pas s'enfoncer dans les affaires terrestres qui ne sont pas, à l'égard des personnes qui font profession de suivre de plus près Notre-Seigneur et sa Sainte Mère, dans l'ordre de Dieu. Leurs affaires ne sont plus leurs affaires, ce sont celles de Dieu. C'est ainsi qu'une épouse de Jésus-Christ doit regarder ses propres affaires ; elle s'y prête avec un esprit libre et dégagé, mais sans cet embarras que cause un esprit intéressé. Il faut sans doute y avoir l'œil, mais un coup d'œil suffit. Et quand la fortune le permet, se reposer sur un bon homme d'affaires. Le point essentiel est de faire un bon choix de gens sur la fidélité desquels on puisse se reposer avec confiance. Dieu les fait trouver quand on a recours à Lui et qu'on sait d'ailleurs faire quelques sacrifices pour se les procurer. Dans une autre occasion, notre Père dit que des épargnes ne sont conformes à l'esprit de pauvreté que quand elles tournent au soulagement des pauvres et non à notre propre avantage. D'ailleurs la pratique de notre pauvreté consiste à conformer nos dépenses aux intentions de notre Divin Maître à qui tout ce que nous avons appartient singulièrement d'après la consécration que nous Lui avons faite par le vœu de pauvreté. On agirait autant contre la pauvreté en refusant de se prêter à une dépense qui serait dans l'intention de notre Divin Maître qu'en en faisant d'inutiles et de superflues. Il dit encore au sujet de la pauvreté que dans nos Sociétés un des points principaux est que ceux qui ont 255


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Charlotte-Hélène de Las tic Comtesse de Saisseval, née le 18 octobre 1764, dame de la Cour attachée à Mme Victoire de France, fille de Louis XV. Sa modestie autant que sa beauté l'avait fait surnommer « la Céleste Saisseval ». File fit sa consécration dans la Société en 1801. Réalisa avec Mme de Carcado le vœu de Madame Elisabeth en fondant l'œuvre des Enfants délaissés. Seconde Supérieure Générale de la Société de 1818 à 1849, son gouvernement fut particulièrement fécond. (PHOTO BELZEAUX) - Œuvre des Enfants délaissés; distribution des récompenses en 1810. (PHOTO BELZEAUX) eT - Adélaïde d'Esterno^ née à Paris le i avril 1773, restée en France pendant la tourmente révolutionnaire tandis que ses frères et sœurs avaient émigré. Elle se fit remarquer par l'ardeur de sa charité, la générosité de son dévouement et sa parfaite compréhension de l'idéal religieux que lui offrait la Société des Filles du Cœur de Marie, ce qui amena le P. de Clorivière et M. de Cicé à la nommer Supérieure des Filles de Marie de Franche Comté. Elle mourut à Besançon le 2j février 1806 d'une fièvre maligne contractée au chevet des malades qu'elle soignait à l'hôpital.

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(PHOTO BELZEAUX)

Château du Pin, demeure familiale de Mlle d'Esterno%, près de Besançon. 75 - Intérieur de la maison de Besançon où Mlle d'Esterno% demeurait avec Mme Chifflet. j6 - Marie-André Chifflet de Fangy née à Besançon le 18février 1764, entrée dans la Société en 1802, partagea l'apostolat de Mlle d'Esterno% et la remplaça comme supérieure de Besançon, à la mort de celle-ci en 1806. (PHOTO BELZEAUX) 77 - Rosalie-Marie de Goesbriand née à Eanderneau le IJ septembre 17 J 3, chanoinesse au Chapitre royal de Migette en FrancheComté, entrée dans la Société le 8 décembre 1798, supérieure de la Réunion de Dole en 1820. Sa devise était : Dieu y pourvoiera.

74 -

(PHOTO BELZEAUX) 78 -

Chapelle de la Maison Génèralice des Filles du Cœur de Marie. (PHOTO BELZEAUX)

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Écrits de Mère de Cicé quelque revenu donnent chaque année par écrit au Supérieur ou à la Supérieure une vue générale de leurs recettes et de leurs dépenses, et surtout de leurs aumônes afin qu'on les redresse si elles en font trop ou pas assez, et qu'on puisse juger si elles sont bien dirigées. Quand on est au-dessus de l'indigence, la règle commune pour les simples fidèles est de consacrer aux bonnes œuvres le dixième de son revenu. Les âmes pieuses et aisées en font bien avantage. Nos Sociétés sont pour nous un des premiers objets de la charité. (Il conseille de lire sur cet objet la Lettre sur la pratique de la Pauvreté). Il observe, par exemple, qu'une mère de famille doit avoir égard à ses enfants, qu'elle doit veiller sur leurs biens ; mais quand ils sont assez avantagés et qu'elle a des biens propres, elle ne saurait trop, dit-il, pour le bien temporel et spirituel de sa famille, employer ce qu'elle a en propre en bonnes œuvres. C'est par là qu'il faut régler le maniement de ses biens. Il faut en porter le jugement que doit porter une Fille de Marie. Il n'y a point, dit St Chrysostôme, de commerce plus lucratif que celui de l'aumône. Chasteté En la fête de l'Annonciation

1810.

Félicitons notre Sainte Mère de la très haute dignité de Mère de Dieu qu'elle acquiert en ce jour. Prosternonsnous à ses pieds pour nous unir avec le ciel et la terre 261


Marie-Adélaïde de Cicê pour Lui rendre en cette éminente qualité de Mère du Sauveur du monde les plus profonds hommages dont nous puissions être capables. Ne nous bornons pas à ces sentiments d'admiration, non plus qu'à ceux de l'amour et de la reconnaissance qu'Elle doit nous inspirer. Attachons-nous surtout à ce qui lui plaît davantage, à l'imitation de ses vertus. Celles qui se montrent avec le plus d'éclat dans ce mystère sont son humilité, elle est le fondement de toutes les grandeurs auxquelles la main du ToutPuissant L'a élevée. Cendre et poussière que nous sommes, reconnaissons humblement le néant de notre origine et l'abaissement plus profond encore où nous a réduits le péché. Ne nous glorifions jamais d'aucun titre, d'aucun avantage, à l'exemple de la Très Sainte Vierge, que de la qualité de servantes du Seigneur. Plaçons toute notre gloire dans son appui et la protection de cette Mère de grâce et de miséricorde. N'oublions pas que c'est sous ses auspices et à sa suite que nous avons voué notre virginité au Seigneur ; qu'Elle est pour nous, plus spécialement que pour tous les autres fidèles, le canal de toutes les grâces dont son Divin Fils est la source. Que celles d'entre nous qui ont eu le bonheur d'être choisies pour être les épouses de Jésus-Christ reconnaissent qu'elles doivent cette précieuse faveur à sa Sainte Mère. Que celles qui aspirent au même bonheur s'y préparent avec le plus grand soin, qu'elles s'excitent sans cesse à l'amour de la pureté, cette divine vertu qui rend l'homme semblable aux Anges dans un corps mortel, en évitant avec le plus grand soin tout ce qui peut ternir l'éclat d'une vertu si belle et si délicate, dont le démon est si jaloux de nous faire perdre 262

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Écrits de Mère de Cicè

le mérite et les avantages. Efforçons-nous toutes de marcher sur les traces de notre Sainte et très pure Mère par la voie de l'humilité. Cette vertu, si elle est bien solide en nous, est un des moyens les plus sûrs de conserver la chasteté. Obéissance

En la fête de la Purification

1809.

Pour nous attacher à quelques points particuliers très efficaces pour parvenir à cette rénovation spirituelle, occupons-nous du mystère qui nous est offert, qui est bien propre à nous ranimer dans la voie de la perfection. C'est un mystère où les vertus de Marie nous sont montrées avec une nouvelle splendeur, afin que selon la mesure de la grâce qui lui est donnée, chacune de nous s'efforce de les retracer en elle-même. Celles qui éclatent davantage sont : l'obéissance, l'humilité, l'esprit de sacrifice. Considérons combien l'offrande que le Seigneur fait de Lui-même est prompte et parfaite. Gémissons de ne nous être offertes à Dieu que bien tard peut-être, après bien des délais, de longues résistances, et surtout de ne l'avoir fait jusqu'à présent qu'avec tant de restrictions et de réserves. Considérons la pureté de Marie par les mains de laquelle Jésus-Christ veut être offert. Conjurons cette Auguste Vierge, en qualité de ses enfants, de détourner les yeux de notre profonde misère et de ne pas dédaigner de nous offrir, tout indignes que nous sommes, avec son 263


Marie-Adélaïde de Cicé

Divin Fils, son tendre Agneau qui vient pour effacer les péchés du monde. L'obéissance à la Loi, à laquelle Jésus-Christ Luimême s'assujettit, de même que sa Sainte Mère qui ne craint pas et qui consent même à passer pour ce qu'elle n'est pas, tandis que nous avons tant de peine à passer pour ce que nous sommes. Que cet amour de l'abjection doit confondre notre orgueil et cet amour excessif de nous-mêmes qui se blesse si aisément de la plus légère opinion défavorable qu'on peut avoir de nous, quoique justement méritée. Qu'est-Elle Marie qui obéit ? En quoi obéit-Elle ? Comment obéit-Elle ? La Reine de tout ce qui est créé, la Mère de Dieu se met au dernier rang, et quoiqu'exempte de la Loi par les termes de la Loi, Elle veut la remplir. Quel exemple pour nous! — En quoi obéit-Elle? En tout, dans les plus petites circonstances, dans celles qui paraissent indignes d'EUe, indignes de son Fils — Comment obéit-Elle? Qui peut pénétrer dans la sublimité de ses motifs ? Elle ne voit que Dieu, Elle s'anéantit devant son infinie grandeur. Elle ne voit rien en Elle-même que la dernière des servantes du Seigneur Ecce ancilla Domini. Tout son extérieur répond aux sentiments dont Elle est pénétrée. Après cet exemple pourrions-nous ne pas obéir ? Qui sommes-nous? Cendre et poussière, aveuglement et corruption. De notre obéissance dépend notre grandeur, notre félicité. Obéissons comme Notre-Seigneur et sa Sainte Mère à la Loi de Dieu, à celle de l'Église, et en particulier à cette loi intérieure que l'Esprit-Saint grave au fond de nos cœurs, que nous ne saurions méconnaître; 264


Écrits de Mère de Cicê à nos Règles et à la voix de nos Supérieurs dans laquelle nous devons reconnaître celle de Dieu même. Faisons-le avec la plus exacte ponctualité, tout cela est marqué du sceau de la volonté de Dieu, s'en écarter c'est tomber dans un précipice. Attachons-nous à la plus parfaite obéissance; c'est un grand moyen de nous renouveler que nous devons solliciter de la bonté de Dieu les unes pour les autres et dont je vous prie de Lui demander pour moi la grâce. Obéissons en entrant dans les sentiments de Marie, ne voyant que Dieu dans celui qui commande. Le fruit d'une pareille obéissance est une plus grande union avec Dieu. Celui qui s'attache à Dieu devient un même esprit avec Lui... Entretiens sur le Plan de la Société, n° i j. Le 15e numéro du Plan de la Société traite du vœu d'obéissance, ce vœu tellement nécessaire au religieux que, sans lui, toutes les bonnes œuvres qu'il pourrait faire ne lui seraient comptées pour rien et ne feraient que contribuer à sa chute en l'aveuglant sur sa propre conduite. Ce vœu qu'on a cru, dans quelques Religions, pouvoir suppléer aux autres, quand il est étroitement et fidèlement gardé, est celui qui nous est à nous-mêmes, mes très chères Sœurs, plus spécialement recommandé pour arriver à la perfection de notre état. L'accomplissement de ce vœu nous étant donné comme un moyen pour suppléer aux austérités et à la vie pénible et pénitente à laquelle la Règle assujettissait la plupart des Ordres Religieux, doit nous faire comprendre combien nous devons avoir à cœur de nous perfectionner dans la pratique de l'obéissance. 265


Marie-Adélaïde de Cicè Examinons, mes très chères Sœurs, quelle est notre fidélité en ce qui concerne ce vœu? En sentons-nous la nature, l'importance et la nécessité? Nous attachons-nous surtout, dans toutes les occasions de le pratiquer, à considérer dans celui ou celle à qui nous devons obéir la personne même de Jésus-Christ? Il serait bien important et bien méritoire en même temps pour nous de faire une attention actuelle à ce motif qui donne tout le prix à l'obéissance. Habituons-nous toujours à obéir aux hommes comme obéissant à Dieu, ou plutôt, comme il nous est expressément recommandé de le faire, ne voyant que Jésus-Christ dans nos Supérieurs et sa volonté dans les ordres qu'ils nous donnent. Que notre cœur soit d'avance tout préparé à tout ce qui pourrait nous être commandé. Cette disposition que le Seigneur trouverait en nous, nous rendrait à tous les instants un objet de complaisance aux yeux de sa divine Majesté, comme qui dirait continuellement par la disposition de son cœur : Seigneur Jésus, accomplissez en moi votre sainte volonté pour la gloire de votre Saint Nom, mon cœur est préparé, oui, Seigneur, mon cœur est préparé. Proposons-nous en commençant cette année de prendre pour modèle de notre obéissance notre Divin Sauveur Jésus-Christ qui vient au monde pour faire la volonté de son Père et réparer les désordres de la nôtre. Rappelons-nous souvent que notre Divin Modèle a été obéissant jusqu'à la mort et la mort de la croix. Affectionnons-nous beaucoup à lire ce qui concerne la vertu d'obéissance. 266


Écrits de Mère de Cicê

VIE INTÉRIEURE Dévotion au Sacré-Cœur Lettre à Mme de Clermont-Tonnerre, Mardi de Pâques 1808 Je vous désire toutes les grâces que vous sollicitez de la bonté divine en particulier, et je vous prie de demander pour nous, de votre côté un accroissement notable dans l'amour divin, afin qu'il prenne la place de notre amour-propre, détruise en nous le vieil homme et nous fasse mener une nouvelle vie, semblable, autant qu'il est possible à notre faiblesse, à la vie de Jésus ressuscité. Pour nous former une excellente idée de cette vie nouvelle, adressons-nous au Cœur de Jésus, puisons dans cette source du pur amour; puisqu'après sa résurrection la plaie de son côté est restée ouverte, c'est pour nous y faire entrer. Rappelons-nous combien l'Apôtre saint Paul témoigne qu'il désire et qu'il nous est avantageux de demeurer dans les entrailles de Jésus-Christ. Demandons bien à ce divin Sauveur la grâce d'y établir pour toujours notre séjour. C'est là que tous les desseins de Dieu sur notre salut ont été formés. Ils avaient été projetés dans le Cœur de Dieu; de toute éternité son Divin Fils les avait acceptés, l'Esprit-Saint, l'Amour, le Divin Amour du Père et du Fils les avait dictés, mais il fallait que le Cœur de Jésus les ratifiât et entreprît l'exécution de ces aimables desseins que le Seigneur a eus sur nous.

267


Marie-Adélaïde de Cicê

C'est dans ce Cœur que nous trouvons toutes les armes propres à nous défendre de nos ennemis, tous les remèdes contre les maladies de notre âme, toutes les forces nécessaires pour résister aux assauts de la chair, du monde et du démon, toutes les consolations dans nos souffrances. Ce divin Cœur ne respirait que pour nous, ne pensait qu'à nous, ne souffrait que pour nous. Maintenant Il montre continuellement à son Père, pour apaiser sa colère et nous obtenir toutes les grâces dont nous avons besoin, les plaies que son amour Lui a faites, et en particulier celle de son Cœur. Je sais, ma chère amie, combien vous Lui êtes dévouée. Je souhaite que vous y entriez bien avant et que vous nous obteniez la même grâce. Dévotion à la Sainte Vierge Lettre à Madame de Saisseval,

28 Août

8

I OJ

J'espère que vous avez pensé à prier pour moi ma sainte Patronne le 15 Août; elle est, comme je le sais, le cher objet de votre dévotion. Quel bonheur de lui appartenir par son choix. Tous les chrétiens appartiennent essentiellement à Marie, mais hélas ! la plupart n'y songent pas ; ceux qui lui sont dévoués dans quelque confrérie se bornent souvent à quelque pratique extérieure envers elle; tous les ordres religieux se font gloire d'honorer Marie, mais partiellement et en diverses manières. Quant à ceux qui la regardent comme leur Mère, ce titre leur rappelle qu'ils lui appartiennent sans réserve et de la manière la plus parfaite. Son Cœur est leur demeure, leur trésor et 268


Écrits de Mère de Cicé leur modèle. Quel bonheur ineffable d'habiter ce tabernacle sacré, la demeure chérie du Verbe incarné, de le considérer comme son trésor et par conséquent de s'y attacher uniquement. Après l'amour de son Divin Fils le sien tient la première place; quel encouragement à la vertu si nous le regardons comme un modèle dont on se propose d'imiter toutes les vertus et de retracer tous les caractères dans sa conduite : sa profonde humilité, son inaltérable patience, son ardent amour pour Dieu et toute sa charité envers le prochain. Nous devons sans doute ne pas négliger de rendre extérieurement à la Très Sainte Vierge tous les devoirs par lesquels on peut l'honorer, mais les personnes qui l'aiment le plus s'attachent comme vous le faites, chère et respectable amie, à rendre leur dévotion envers elle plus intérieure par une conformité parfaite de leurs sentiments avec les sentiments du Cœur de Marie, et par elle avec ceux du Cœur de Jésus. C'est le but de toutes leurs saintes pratiques, de leurs engagements. Si on en prend bien l'esprit, c'est par là surtout qu'on marche sur les traces de Marie à la suite de Jésus. Lettre à Mlle de Fer mont, 7 Septembre I8OJ Nous sommes les enfants de Marie, ce bonheur est inestimable; c'est par lui surtout que nous remplissons les intentions de Jésus. Dieu veut que nous glorifiions son Fils, sans cela nous ne Le glorifierions pas Lui-même. JésusChrist veut qu'on honore sa Sainte Mère, ses grandeurs, la gloire de son triomphe et la toute-puissance de son crédit. Quel bonheur d'appartenir à une créature si chérie de Dieu, si singulière en tout, si élevée au-dessus de tout

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Marie-Adélaïde de Cicé ce qui est créé; quels avantages inestimables n'en retire-t-on pas! Elle est le canal de la grâce dont JésusChrist est la source, qui se plaît à la répandre en nous par Elle qu'il a établie la dispensatrice de tous ses dons. On n'est pas saint dans cette vie, on n'est heureux dans l'autre, on n'est élevé dans le ciel qu'autant qu'on appartient davantage à Marie. C'est ce qui distingue les plus grands saints. Mais comment appartenons-nous à Marie? Filles de son Cœur, notre Nom nous rappelle que nous Lui appartenons sans réserve et de la manière la plus parfaite. Que devons-nous faire en conséquence ? Nous ne devons pas sans doute négliger de l'honorer extérieurement, mais nous devons nous attacher à le faire intérieurement par une parfaite conformité de nos sentiments avec les sentiments du Cœur de Marie, et par Elle à ceux du Cœur de Jésus. C'est l'objet de notre consécration et de nos vœux. Soyons bien fidèles à l'observance des moindres Règles et ayons soin de nous diriger, dans nos moindres actions comme dans les plus grandes, par la plus pure intention. Nativité de la Sainte Vierge

1809.

A la veille de la naissance de notre Auguste Reine, de notre tendre Mère, renouvelons notre dévotion, je ne dis pas assez : notre ardeur, notre amour pour Elle. Ayons au cœur de L'honorer, de la faire honorer, d'imiter ses vertus, en particulier cette union d'esprit et de cœur avec Jésus270


Écrits de Mère de Cicé Christ son Divin Fils qui la rendait si semblable à Lui, qui La tenait si conforme à Lui, lui faisant partager tous ses sentiments, si fort élevée au-dessus de toutes les pensées de la terre. Marie, dès le berceau, a droit à tous nos hommages, et par ce qu'Elle est déjà, et plus encore par ce qu'Elle doit être un jour. Considérons-la comme l'Étoile du matin ou comme l'Aurore qui nous annonce le lever du Divin Soleil de Justice. Elle a été choisie et prédestinée de toute éternité pour être la Mère du Fils de Dieu, c'est en vue de cette glorieuse destinée qu'Elle a été préservée du péché originel. Marie, seule entre tous les enfants d'Adam, a été conçue sans péché, Elle est née pleine de grâce et l'apporte au monde avec Elle. On a pu dire d'Elle, comme de son Divin Fils, qu'elle croissait en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes à mesure qu'Elle croissait en âge. Elle a toujours été agréable à Dieu et l'objet de ses complaisances. Quel incomparable privilège que celui-là, mes très chères Sœurs, Elle a été ornée de toutes les vertus et douée de toutes les perfections dans le degré le plus éminent. Ses fondements ont été posés sur la cime des montagnes. Quel accroissement prodigieux de grâces à tous les instants ! Quel assemblage de mérites ! Quelle perfection dans le cours d'une si belle vie qui commence avec tant d'éclat. Dieu seul connaît ce chef-d'œuvre de sa grâce. Essayons par la contemplation de ses mystères, de connaître ou plutôt d'entrevoir quelque chose de sa grandeur. 271


Marie-Adélaïde de Cicé

Mais attachons-nous surtout à méditer dans la présence du Seigneur le bonheur que nous avons d'appartenir à Marie d'une manière si particulière et si touchante par la qualité si glorieuse et si chère de Filles de son Cœur : i° Quel est le bonheur des Enfants de Marie de Lui appartenir, 2° Comment Lui appartenons-nous, 3° Que devons-nous faire en conséquence. Les deux premiers points ont déjà été traités par M. de Cicé dès 1805, et on retrouve sa pensée dans les lettres à Madame de Saisseval et à Mlle de Fermont. Pureté d'intention, Renoncement, Présence de Dieu, etc. Pratique des Vertus.

Exercez-vous spécialement dans la pratique de l'humilité et de la charité, de la patience, de la mortification intérieure et extérieure. Pratiquez l'humilité par une conviction intime et véritable que vous n'êtes rien et moins que rien puisque vous êtes une pécheresse, par la plus grande défiance de vous-même, par la fidélité à profiter des plus petites occasions où l'orgueil et l'amour-propre ont à souffrir. Pratiquez la charité dans vos paroles en retranchant de vos discours les médisances, les railleries, les critiques; dans votre esprit en n'examinant point la conduite des autres et en n'en formant aucun jugement désavantageux; dans votre cœur en n'y laissant point entrer de ressentiment; dans toute votre conduite, étant pleine de douceur, d'affabilité, de complaisance, de bonté envers tout le monde. Pratiquez la patience en recevant en esprit de pénitence tout ce qui peut vous faire souffrir. 272


Écrits de Mère de Cicé Pratiquez la mortification intérieure en ne permettant point à votre esprit de se répandre d'objets en objets, d'être occupé de mille choses inutiles, vous accoutumant à le captiver à la chose que vous faites comme si c'était l'unique chose que vous eussiez à faire dans votre vie; par ce moyen vous en deviendrez tôt ou tard la maîtresse, vous vivrez dans un très grand recueillement. L'oraison par conséquent vous deviendra plus facile et vous vous acquitterez mieux de tous vos exercices de piété. Pratiquez encore la mortification intérieure par le combat de toutes vos passions, les faisant mourir peu à peu. Exercez-vous beaucoup à la mortification extérieure de la vue, de l'ouïe. Aimez et cherchez, autant que vous pouvez, à être seule, le silence fait un bien infini à l'âme. Dans tous vos repas, mortifiezvous en quelque chose, jamais cependant sur la quantité. En été et en hiver il est des occasions inévitables où nécessairement le corps souffre de la saison, profitez de ces occasions et les faites valoir pour le ciel, mais ne vous permettez jamais de jeûne ni toute autre mortification qui n'est pas ordinaire sans avoir pris conseil, agir autrement ce serait illusion. Lettre à Mlle Emilie Gerrier,

ij Avril 1807

Je vous engage bien à faire de nouveaux efforts, avec la grâce du Bon Dieu, pour vous rendre bien fidèle à tout ce qu'il demande de vous. La douceur et la patience sont, comme vous me le dites très bien, les vertus auxquelles vous devez vous attacher davantage parce qu'elles sont d'un grand exercice dans le cours de la vie, et très parti273


Marie-Adélaïde de Cicé

culièrement dans l'état de dépendance où la Divine Providence vous a placée pour le plus grand bien de votre âme. Tenez-vous attentive le plus qu'il vous est possible, à la présence d'un Dieu qui a toujours les yeux sur vous, et qui vous présente des occasions de renoncer à vousmême pour que vous Lui deveniez plus agréable. Ce bonheur de Lui plaire dont nous sommes assurées en chaque occasion où nous nous renonçons pour l'amour de Lui devrait bien nous suffire, sans parler de la récompense éternelle qui est attachée à la plus petite action, faite pour Dieu, qui passe en un moment. Toute la vie ne nous est donnée que pour amasser des trésors dans le ciel. Songeons, ma chère amie, combien tous les moments de notre vie doivent nous être précieux, puisqu'il n'y en a aucun où nous ne puissions, si nous le voulons (car cela dépend de notre volonté, avec le secours de la grâce de Dieu qui ne nous manque jamais) mériter une couronne plus riche que celle des plus grands rois et empereurs de la terre. Voyez toujours NotreSeigneur Jésus-Christ dans ceux qui vous tiennent sa place, en particulier considérez-Le toujours dans la personne de Madame de Buyer. Si vous vous pénétrez bien de cette pensée, vous ne vous aviserez pas de lui répondre d'une manière peu convenable et de lui résister; s'il vous arrive de le faire par fragilité et faute de veiller assez sur vous-même, réparez cela aussitôt que vous vous en apercevrez, et gardez-vous bien de vous décourager pour vos fautes, c'est un piège du démon qui vous nuirait beaucoup. Ayez de plus envers votre maîtresse qui est en même temps votre mère, une confiance filiale et une grande 274

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Écrits de Mère de Cicé ouverture de cœur. J'ai bien de la consolation de vous voir toujours bien attachée à notre saint état, c'est pour nous le chemin du ciel, tâchons d'y avancer de jour en jour sur les traces de Notre-Seigneur et de sa Sainte Mère. Servez-vous pour cela de tout ce qui se présente, bien persuadée que tout ce qui nous arrive dans le dessein de Dieu, qui doit être le nôtre, est propre à nous faire avancer dans la vertu. Puisez dans les Cœurs sacrés de Jésus et de Marie auxquels nous avons le bonheur d'être toutes dévouées tout ce qui vous est nécessaire pour acquérir quelque conformité avec eux dans vos sentiments et toute votre conduite. Accoutumez-vous à faire vos actions en vue de Dieu, tâchez de les animer souvent par le principe de son amour. Rappelez-vous à toutes les heures du jour sa présence, qu'il est véritablement en vous comme dans le ciel, que vous Le possédez dans votre cœur par l'amour, je vous en donne l'assurance, comme les Bienheureux Le possèdent dans le paradis où ils Le voient face à face. Je conseille beaucoup quand on est seule dans sa chambre de se prosterner avant la prière et de ne la commencer qu'après cette adoration profonde et un vif sentiment de sa propre bassesse et de la grandeur de Dieu. Ayez une dévotion spéciale au Sacré-Cœur de Jésus et à celui de Marie, à saint Joseph le patron de la vie intérieure. Je conseille beaucoup, aux âmes qui veulent sérieusement s'appliquer à l'oraison, la dévotion à sainte Thérèse qui est la Sainte la plus célèbre en cette partie. 275


Marie-Adélaïde de Cicé Pratiques de piété Lettres à Madame de Clermont-Tonnerre,

28 Juillet 1809

Je désire aussi que l'approche de notre grande fête soit pour vous comme pour nous l'époque d'un véritable renouvellement en esprit; que nous soyons, plus que dans tout autre temps, intérieurement unies au Seigneur, que nous nous efforcions de Lui plaire dans toutes nos actions, que nous les fassions avec une grande pureté d'intention, que toute notre estime soit pour les choses qui ont du rapport au salut de nos âmes, ne nous occupant de toutes les choses temporelles que parce que la volonté de Dieu nous y oblige, avec un grand dégagement d'esprit et de cœur, dans lequel nous devons chaque jour nous perfectionner pour pouvoir remplir nos saints engagements, puisque nous devons chaque jour avancer pour ne point reculer... 22 Janvier 1813

Renouvelons-nous dans le désir de la perfection. Rapportons toutes nos actions à la plus grande gloire de Dieu, attachons-nous au renoncement continuel à nous-mêmes; demandons souvent à Notre-Seigneur dans la sincérité de notre cœur la grâce de faire ce qui Lui plaît davantage; songeons souvent qu'une seule chose est nécessaire; comptons tout le reste pour peu de choses et rapportons au salut toutes nos œuvres afin de paraître au dernier jour les mains pleines au tribunal du Souverain Juge... 276

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Écrits de Mère de Cicé 16 Décembre 1814 Je remercie le Seigneur avec vous de tout mon cœur des grâces qu'il vous fait et du désir de vous avancer de plus en plus dans son service par la voix du renoncement à vous-même et de l'excellente disposition où Dieu vous a fait la grâce de vous mettre de vous contenter des secours que le Bon Dieu vous donne. Vous avez bien raison de penser qu'il supplée par Lui-même à tout ce qui nous manque de ce côté-là et de regarder comme des faveurs de sa main les épreuves sensibles qu'il vous envoie de la part des personnes qui vous sont chères. Le Bon Dieu veut que les personnes qui Lui sont consacrées soient tellement à Lui, que leurs inclinations les plus légitimes et les plus naturelles soient surnaturalisées, et que nous n'aimions qu'en Lui et pour Lui les personnes que nous aimons et que nous devons aimer. S'il ne venait à notre secours nous trouverions bien de la difficulté à acquérir cette perfection, et II le fait en permettant des mécomptes dans les amitiés et une conduite du prochain qui nous fait sentir combien nous devons faire peu de fond sur les amitiés humaines et sur tous les liens qui nous unissent aux créatures, pour nous pénétrer davantage de la nécessité et du bonheur de nous unir davantage au véritable Ami qui ne change point et que nous trouvons toujours le même, rempli d'amour pour nous... Lettres à Mlle Thérèse Chenu,

6 Juin 1796

Dans tous vos doutes et dans les occasions où vous avez à vous décider par vous-même sans pouvoir recourir 277


Marie-Adélaïde de Cicé

à l'obéissance, consultez Jésus dans l'Eucharistie, allez à ce Conseiller fidèle et suivez exactement les avis que vous en recevrez. Je bénis de toute mon âme le Dieu des miséricordes de toutes les grâces dont II vous comble et je ne puis trop vous engager à la reconnaissance que vous Lui devez; témoignez-la Lui autant que vous en êtes capable en renonçant de cœur à tous vos intérêts pour embrasser uniquement ceux de Jésus-Christ. N'en ayons plus d'autres que les siens, ne songeons désormais qu'à L'aimer et Le faire aimer et glorifier de toutes nos forces, j'entends de celles qu'il nous donnera, puisque nous ne sommes de nous-mêmes que faiblesse. Mais à l'exemple du Saint Apôtre réjouissons-nous de notre infirmité dont le Seigneur pourra tirer sa gloire quand il Lui plaira... Je ne puis douter qu'en cherchant premièrement le royaume de Dieu tout le reste ne vous soit donné par surcroît, suivant sa parole. Il me semble que Notre-Seigneur nous dit cette parole qu'il dit à sainte Catherine de Sienne : Pense à moi et je penserai à toi. Je prie Notre Seigneur et sa Sainte Mère de vous lier à leurs Sacrés Cœurs par des liens indissolubles qui feront votre force et votre bonheur. Remerciez bien le Seigneur de cette précieuse grâce que nous ne saurions trop apprécier surtout dans un temps comme celui-ci; un pareil bonheur étant plus rare doit être vivement senti par un bon cœur comme le vôtre. L'éternité ne sera pas trop longue pour bénir le Seigneur de ses miséricordes sur nous. Employons bien le temps qu'il nous a donné suivant ses intentions et pour sa plus grande gloire, travaillons à Lui gagner des cœurs après Lui avoir donné les nôtres sans aucune réserve. 278


Écrits de Mère de Cicé ; Mars i/p/ Je prends bien part aux dispositions que vous éprouvez, elles nous paraissent être des preuves des desseins tout miséricordieux que le Seigneur a sur vous, tant pour le bien de votre âme que pour celui de toutes celles qui vous sont confiées. Que sait celui qui n'a point été tenté? Quand vous verrez vos sœurs tombées dans de semblables peines, vous en serez plus propre à les fortifier, à relever leur courage abattu, à les animer à la vertu qui ne se pratique jamais plus purement et plus avantageusement pour nous que dans les temps d'épreuves. Vous leur apprendrez à sortir d'elles-mêmes par la confiance en Dieu, à tout attendre de sa bonté malgré l'extrémité où l'on se trouve quelquefois réduit, à suivre avec la fidélité dont elles sont capables leurs exercices malgré le dégoût qu'elles ont à les faire; à se bien persuader qu'elles ont alors d'autant plus de mérite qu'ils sont plus difficiles; que le sentiment ne dépend point de nous et que le Seigneur nous tient un compte particulier des actes faits sans goût et sans ferveur sensible. J'aime bien les paroles de saint Paul : « Seigneur que Vous plaît-il que je fasse? » Le Seigneur voit cette préparation de notre cœur et II vous fera la grâce que vous Lui demandez qui est d'accomplir en toutes choses sa sainte volonté. N'ayez point égard à la substance des choses que vous faites, mais au motif qui vous les fait faire qui doit être celui de l'amour. Les services que vous rendez à vos sœurs sont bien agréables à Notre-Seigneur et à sa Sainte Mère, ne les omettez pas, quelque répugnance que vous puissiez éprouver. Rien n'est grand et glorieux devant Dieu et 279


Marie-Adélaïde de Cicé

salutaire pour nous comme d'endurer quelque chose pour le Nom de Jésus et pour le salut des âmes. Ne vous troublez pas si vous n'avez pas encore acquis cette égalité d'âme que vous souhaitez et qui est si désirable; humiliezvous, l'humilité répare tout, et demandez-la sans cesse par le Sacré Cœur de Marie pour vous et pour moi. Quelle que soit la cause de la tristesse que vous ressentez quelquefois, il faut que la résignation au bon plaisir du Seigneur vous la fasse supporter avec douceur et avec paix. Demandez aussi pour moi cette grâce comme je le fais pour vous. Vous avez raison, les obstacles qui se rencontrent, loin de décourager doivent augmenter nos espérances et nous encourager à vaincre les difficultés quand il dépend de nous de les surmonter. Dieu l'attend de notre fidélité, c'est ce que nous devons faire pour Lui témoigner notre reconnaissance de toutes les grâces dont II nous comble malgré notre indignité. Ce qui vous manque, dites-vous, et à vos sœurs, c'est le courage de se vaincre dans les occasions; j'éprouve plus qu'aucune le poids de ma faiblesse, et je regarde comme la plus grande grâce la fidélité à suivre les inspirations du Seigneur en s'élevant au-dessus de soi-même sans consulter ce qui nous plaît ou ce qui nous déplaît, mais uniquement ce qui est agréable à Dieu; c'est la doctrine de mon Père, que je suis bien éloignée de suivre malheureusement. Soyez-y plus fidèle et inspirez-la à vos sœurs. Le renoncement à soi-même est la pratique de la vraie et solide vertu. Un bon serviteur de Dieu dit qu'il faut toujours prendre le parti de Dieu contre soi-même. Il faut pour cela une 280


Écrits de Mère de Cicé force surnaturelle que nous ne devons pas nous lasser de demander par le Cœur de notre Sainte Mère. La confiance que vous avez en la Très Sainte Vierge nous fait grand plaisir et doit vous animer toujours dans tout ce que vous entreprenez pour la gloire de Notre-Seigneur et pour son service... Lettre à Mlle d'Esterno^,

non datée.

Ne perdez aucun instant de cette courte vie; que tous les moments de la vôtre soient consacrés à sa gloire, comme ils le sont en effet par notre précieuse vocation; que notre esprit, notre corps, notre âme et toutes nos forces soient employés au service de notre Divin Maître et de notre prochain pour l'amour de Lui. Puisqu'à la mort notre corps sera réduit en pourriture et qu'il sera la pâture des vers, n'en soyons pas l'esclave, ce serait une grande folie; ne le flattons pas continuellement comme la nature nous y porte; proposons-nous, au contraire, de l'user au service de Dieu. Ce sont là les remèdes dont nous devons nous servir contre les illusions du monde et de l'amour-propre quand l'ennemi de notre salut les présente encore à notre esprit. Ces pensées et ces sentiments doivent nous animer et nous soutenir dans ces temps que la Sainte Écriture appelle des jours mauvais, afin de ne pas perdre ce que nous avons amassé par la grâce de Dieu, et de profiter dans ces jours d'épreuves suivant ses desseins, et de n'en être pas moins fidèles... Je bénis le Seigneur de tout mon cœur des grâces qu'il 281


Marie-Adélaïde de Cicé

vous fait, elles sont bien précieuses et vous ne sauriez les reconnaître par une trop grande fidélité; sans trop subtiliser sur la manière dont vous y répondez et vous inquiéter là-dessus, comme je sais que vous êtes portée à le faire, proposez-vous de profiter de toutes en songeant qu'elles sont le prix du Sang de notre Divin Sauveur, et votre fidélité sera récompensée d'une manière si admirable que vous ne sauriez nullement la comprendre. Le Maître, que vous voulez servir et aimer jusqu'à votre dernier soupir, ne se laissera pas vaincre en libéralité par sa créature dont Il veut être Lui-même la récompense. Malgré les ténèbres dont nous sommes environnés dans cette misérable vie, tâchons de nous animer par cette magnifique promesse dont nous ne pouvons bien concevoir toute l'étendue ici-bas. Confions-nous à la parole du Tout-Puissant, efforçons-nous de L'aimer de tout notre cœur et son amour nous en apprendra plus que tout le reste, surtout en ce temps d'épreuve auquel on nous conseille toujours de nous préparer dans la vie spirituelle; tâchons de reconnaître à la lueur du flambeau de la foi non seulement ce que nous verrons clairement à l'heure de la mort, mais ce que nous éprouverons lorsque nous serons dépouillés de tout honneur, de tout plaisir, de toute richesse, de tout talent, en un mot de toute chose. Cette pensée, souvent réfléchie, nous convaincra du néant de toutes ces choses qui occupent pendant la vie, et à ne nous attacher à rien en songeant que tout cela ne le mérite pas, et que nous devons, nous autres plus que personne, en vue de la perfection à laquelle nous sommes appelées, user des choses du monde comme n'en usant pas. 282


Écrits de Mère de Cicé Sujets divers Lettre à Mlle Aruelie, à Roue» (i),

/ octobre 1802

Il faut que vous remplissiez chacune en votre particulier, vos obligations religieuses avec plus de fidélité que jamais, une vive confiance en Notre-Seigneur, une union intime avec Lui, un recours vers Lui très fréquent et vers sa très Sainte Mère dont une Fille de Marie doit espérer un secours puissant tant qu'elle sera fidèle au Bon Dieu, la fidélité la plus soutenue à la Règle de Conduite que vous avez entre les mains et dont il faut que chacune se pénètre d'autant plus que plusieurs autres secours vous manquent. Par la grâce de Dieu votre fidélité suppléera à tout le reste, comme à tout ce qui est extérieur, car vous devez vous interdire toute assemblée et réunion pour traiter des choses spirituelles; mais on ne peut jamais interdire à une ou deux personnes de piété de s'entretenir ensemble de ce qui peut les avancer dans la vertu : i° des maximes de perfection qu'elles peuvent pratiquer dans le monde et à quoi tendent toutes les personnes qui, sans être dans un cloître, travaillent autant qu'elles peuvent à retracer en elles les vertus des premiers chrétiens, se soutenant mutuellement dans la pratique du bien, du détachement et du mépris des richesses, du soin d'employer tout ce qu'on peut, après avoir pourvu à son nécessaire chacun suivant son état, à secourir les pauvres et au culte de Dieu; z° au renoncement à soi-même suivant ces (1) Lors des difficultés suscitées à la Société par l'Archevêque de Rouen, Monseigneur Cambacérès. 283


Marie-Adélaïde de Cicé

paroles du Seigneur qu'il faut méditer souvent au pied de son crucifix : « Quiconque veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me suive. » L'imitation de la Sainte Vierge qui nous est donnée à tous pour Mère par son Divin Fils, et qui l'est plus spécialement de ceux et de celles qui L'ont choisie, doit nous engager à l'imitation de ses vertus et en particulier à sa pureté, à son humilité qui L'ont rendue si chère aux yeux de Dieu et Lui ont mérité l'éminente dignité de Mère de Dieu, de Reine des Anges et des hommes. Je vous invite à vous adresser aussi bien particulièrement, dans les circonstances pénibles où vous êtes, à vos Saints Anges gardiens dont les soins seront proportionnés à vos besoins. La fidélité à leurs inspirations vous sera bien avantageuse, elle vous préservera des pièges de l'ennemi du salut et vous fera avancer dans la perfection que le Seigneur attend de vous. Voilà, mes chères Amies, les avis que je crois devoir vous donner au nom du Seigneur; j'espère que celles qui seront fidèles à les suivre triompheront de tous les obstacles, avanceront dans la vertu en conservant la paix de leurs âmes, et qu'une pareille conduite engagera le Seigneur à diminuer ou à cesser l'épreuve. Un grand mal serait de se laisser aller à l'abattement ou au découragement. Quant aux vœux, vous les avez faits à l'Assomption et vous êtes engagées jusqu'à cette époque, il ne faut penser qu'au moment présent, l'employer à aimer le Bon Dieu par-dessus toutes choses. Quant à l'avenir qui ne dépend pas de nous, il faut l'abandonner entièrement à la divine 284


Écrits de Mère de Cicé Providence. Quant à vos dispositions pendant cette épreuve, soyez pleines de respect pour la main qui frappe, soumettez-vous d'esprit et de cœur à celle qui permet et n'implorez que celle qui soutient; cela demande que vous vous interdisiez toutes les paroles de plaintes, et même toute réflexion sur ce qui se passe. Les intérêts comme les cœurs qui sont le plus abandonnés à Dieu sont les mieux conservés, les mieux gardés... Lettre à Mlle Thérèse Chenu,

28 décembre 1796

Enfin tout sert à l'accomplissement des desseins de Dieu, et souvent même ce qui paraît y devoir être le plus contraire. Ayons toujours le plus grand respect pour les décisions des Supérieurs; vous avez bien raison de ne pas perdre l'espérance pour cela, les obstacles doivent au contraire l'augmenter puisqu'ils sont une des marques que les choses doivent un jour réussir à la plus grande gloire de Dieu. Jamais vous ne devez vous exciter plus fortement à la confiance et à l'espérance du bonheur éternel qui vous est destiné que lorsque vous ressentez plus vivement la crainte du contraire. Vous avez bien raison de ne pas vous décourager pour cela et de regarder cette peine comme une grâce qui vous tient dans l'humilité et vous fait pratiquer les actes du pur amour, elle est le correctif de la disposition où vous craignez d'être quelquefois de sentir trop vivement le bonheur de faire quelque chose pour Dieu, c'est-à-dire de ne pas le sentir d'une manière assez pure et assez dégagée de l'amour-propre. 285


Marie-Adélaïde de Cicê

Sans subtiliser, comme vous le dites fort bien, il faut souvent purifier son intention sans se troubler des retours sur soi-même qu'il faut rétracter quand on s'en aperçoit, sans se troubler pour les avoir ressentis; c'est un sujet d'humiliation continuelle bien utile à l'âme, c'en est un d'être à la place où vous êtes, où l'on se trouve si loin soimême dans la pratique des leçons et des avis qu'on donne aux autres; c'est aussi par la grâce de Dieu un aiguillon pour faire avancer. Demandez pour moi qu'il me soit plus utile qu'il ne m'a été jusqu'à présent, j'en ferai autant pour vous... Souvent on éprouve de l'opposition pour les personnes qui nous sont les plus utiles dans l'ordre de Dieu, loin que ce soit une raison de nous en éloigner, nous devons alors nous attacher plus fortement que jamais à leur conduite, et nous triompherons par cette constance de l'ennemi du salut. Dieu permet aussi ces difficultés pour qu'il ne se trouve rien d'humain dans les communications spirituelles. On éprouve quelquefois cette impossibilité de faire connaître certaines choses parce que ce n'est pas l'esprit de Dieu qui nous porte à cela dans de certaines circonstances, mais seulement le désir de nous soulager, de nous satisfaire. Je vous prie bien instamment de me rappeler au souvenir de toutes nos Sœurs et de les assurer de tous les sentiments dont je suis pénétrée pour elles. Je me recommande bien à leurs prières; nous les engageons bien à ne pas se décourager de la contradiction qu'elles éprouvent de la rareté de vos assemblées, il faut s'en dédommager par une grande fidélité à profiter des avis qu'elles peuvent recevoir en particulier soit de vous, soit de celles que 286


Écrits de Mère de Cicè

vous nommerez pour vous suppléer. Ce secours leur sera d'autant plus nécessaire que votre nombre étant plus grand et vos conférences se tenant plus rarement, elles auront besoin de quelqu'un qu'elles puissent consulter. Nous prions le Seigneur de vous inspirer dans le choix que vous aurez à faire, et nous Le prions aussi de donner à nos Sœurs la docilité et la simplicité dont elles ont besoin pour profiter de ce nouveau secours et avancer chaque jour dans la perfection. Nous les prions de se bien pénétrer de la Règle de Conduite et d'y bien conformer leur vie; si elles y sont fidèles, sans faire des choses extraordinaires, elles arriveront à une grande perfection; elles doivent s'animer les unes les autres à la pratique de la vertu, et ne considérer dans les personnes à qui elles rendront compte de leurs dispositions que le Seigneur dont elles leur tiennent la place. Il ne faut pas s'arrêter à une confiance naturelle, le mérite de l'action est d'autant plus grand lorsque dans ces communications on s'élève au-dessus de soi-même par une vue de foi et qu'on n'envisage que le Seigneur. Cette pureté d'intention et cette simplicité sont suivies de grandes bénédictions. Demandez pour nous que nous entrions bien parfaitement dans l'esprit de notre sainte vocation; puissionsnous ressentir chaque jour davantage l'inestimable bonheur de nous être consacrées à Dieu, et répondre à une aussi grande grâce par la plus exacte fidélité à faire tout ce que le Seigneur peut demander de nous. Je vous souhaite à toutes les plus douces bénédictions de Notre-Seigneur et de sa Sainte Mère. 287


Marie-Adélaïde de Cicè Lettre à Mlle d'Esterno^,

ij

Janvier 1801

Vous avez l'âme inquiète, me dites-vous, je vois que vous en cherchez la raison où elle n'est pas, vous croyez être appelée à un grand repos en Dieu, en cela vous ne vous trompez pas mais vous errez dans le moyen. Ce n'est pas la séparation des créatures, ni les croix et pénitences de votre choix qui vous le procureront. Quels sont les grands sacrifices qui vous y feront parvenir ? Ce seront tous ceux qui vous feront mourir à vous-même, renoncer à tout désir même parfait, ne vouloir absolument que ce que Dieu veut, comme II le veut, Le prendre pour votre Supérieur, votre Guide. Mais pour Le bien entendre, ne vous écoutez pas vous-même. Quand on est deux à parler ensemble on n'entend que celui qui crie le plus fort; or la voix de Dieu est toute douce, tandis que celle de la nature crie comme une harpie. Renoncez donc, ma chère Amie en Notre-Seigneur, à tous vos projets de perfection qui ne sont pas dans ce moment-ci la volonté de Dieu; communiquez avec le prochain avec dégagement de cœur, ne voyez que Dieu en lui; il vous met dans la position la plus avantageuse et que vous n'appréciez pas assez qui est celle de travailler, souffrir et mourir. C'est de quoi arriver au sommet de la perfection, que vous faut-il de plus ? Dieu vous met à même de travailler à sa gloire, de souffrir de toute manière et de mourir à vos goûts et inclinations les plus spirituelles, nourrissez bien dans vous cet amour que Dieu vous donne pour sa volonté, Il vous soutiendra dans toutes les circonstances, renoncez à la vôtre de moment en moment, c'est la meilleure direction 288


Écrits de Mère de Cicé et la plus sûre. Quand Dieu nous prive de guide c'est qu'il veut le devenir Lui-même. Lettre à Mlle Victoire Puesch, 23 Août 1816 L'espoir que le Bon Dieu vous donne (de surmonter vos difficultés) au milieu des contradictions par lesquelles Il vous éprouve est de bien bon augure, et la paix qu'il vous conserve depuis qu'il vous a confié le soin de son troupeau en est une nouvelle preuve. C'en est une aussi du prix qu'il met au dévouement de toutes les âmes qui s'efforcent et désirent s'avancer de jour en jour dans les vertus que demande leur sainte vocation, en se pénétrant sans cesse de l'esprit d'une véritable Fille de Marie qui ne doit songer qu'à retracer en elle les vertus intérieures de sa Sainte Mère et celles de son Divin Fils. Pour y parvenir il faut que nous travaillions toutes à mourir à nous-mêmes pour ne vivre que pour Celui qui nous a tant aimées qu'il est mort pour nous. Demandons cette précieuse grâce l'une pour l'autre, car je sens à chaque instant combien je suis éloignée de pratiquer les avis que je donne aux autres... Vous avez bien raison, ma chère Amie, l'obéissance a une grande force pour aider à vaincre toutes les difficultés, vous l'éprouvez dans votre emploi... Lettre à Mlle Marie-Anne Bourguignon

Ce 23 Août

Je suis charmée que vous jouissiez de la paix intérieure. C'est un grand bien. Par amour pour Notre-Seigneur Jésus-Christ efforçons-nous de porter nos croix qui sont des parcelles bien précieuses de la sienne, non seulement 289


Marie-Adélaïde de Cicé

avec patience et en paix, mais demandons quelque chose de plus par les Divins Cœurs de Jésus et de Marie, c'est de porter tout ce qui nous fait peine avec une sainte joie. C'est ainsi que nous soumettons la nature et que nous ferons triompher en nous la grâce de Jésus Christ. C'est ce dont j'ai grand besoin pour moi-même car je me laisse souvent accabler par le poids de croix très légères tant ma faiblesse est grande. J'en gémis en sentant combien cela est peu conforme à l'engagement que j'ai pris de suivre Notre-Seigneur et sa Sainte Mère par les voies qu'ils nous ont tracées qui sont les seules qui mènent à la Vie... C'est le moyen sûr qui nous est offert pour remplir les desseins si aimables que le Seigneur a eus sur nous de toute éternité. Ne soyons toutes qu'un cœur et qu'une âme et très particulièrement avec notre chère Supérieure. Si le démon vient à vous donner quelque peine à son sujet pour troubler la bonne harmonie qui doit régner, résistez-lui, et sans vous contenter comme vous le faites de n'en rien faire paraître, et de vous conduire à l'extérieur comme si vous ne ressentiez aucune peine. Avec le secours de la grâce qu'il faut réclamer sans cesse, et pour l'amour de Jésus notre Divin Époux, mettons-nous, comme nous le disions plus haut, dans une disposition de joie spirituelle qui écarte toute pensée de ce que la nature qui n'est pas assez domptée et le démon nous font souffrir au-dedans, mais toujours par la permission de Dieu qui ne nous refusera jamais des grâces proportionnées et bien supérieures aux assauts qui nous sont livrés. 290

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Écrits de Mère de Cicé Attachons-nous de plus en plus à la confiance et ne cherchons qu'à plaire aux yeux du Seigneur sans donner d'entrée dans notre cœur aux pensées de découragement dont vous me parlez. Il serait bien nuisible à votre âme de vous y entretenir. Regardez-les comme un des pièges les plus spécieux de l'ennemi de notre salut et de notre perfection. Profitez de la liberté que vous avez de travailler à l'œuvre de votre salut, n'étant pas chargée comme vous l'étiez depuis si longtemps de toutes vos Sœurs, pour vous affermir dans les résolutions que vous avez prises en vous consacrant à Dieu pour la première fois, de mourir à vousmême pour ne plus vivre et respirer que pour le Divin Cœur de Jésus, conformant tous vos sentiments aux siens et à ceux de sa Sainte Mère.

Éducation Entretiens sur le Sommaire, 2e Règle ... Celles qui seraient chargées de l'éducation de la jeunesse feront le plus grand cas de ce devoir et éviteront avec le plus grand soin tout ce qui pourrait inspirer à leurs élèves l'amour de la vanité, de la parure, des plaisirs dangereux; et pour se fortifier dans la résolution de se conduire toujours ainsi et d'éviter les fautes qu'elles commettraient si elles s'écartaient jamais de ces principes, notre Père veut que le préservatif dont elles se servent soit d'avoir toujours présentes à l'esprit ces paroles de Notre-Seigneur : « Celui qui scandalise un de ces petits 291


Marie-Adélaïde de Cicé qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu'on lui attachât au cou une meule de moulin et qu'on le jetât au fond de la mer. » Et elles ajouteront à ces réflexions la pratique de ce qu'elles enseigneront, afin d'édifier en tout leurs élèves par leur maintien, leur manière simple de se vêtir, et par toute leur conduite, afin de les attirer à JésusChrist autant par leurs exemples que par leurs leçons. Demandons continuellement au Seigneur de nous conformer, chacune dans notre état, à une règle si sage et tout à fait propre à nous sanctifier; dans quelque position que nous soyons nous pouvons nous l'appliquer et la suivre avec le secours du Seigneur que nous allons demander les unes pour les autres, comme le demande la charité fraternelle, après nous être accusées et humiliées de nos manquements dans la présence de Dieu pour en obtenir plus sûrement le pardon de sa bonté. Deuxième Lettre circulaire. Ce n'est pas sans une grande satisfaction que je reçois de chacune de vous l'agréable nouvelle de notre union dans les Cœurs Sacrés de notre Divin Maître, de notre Céleste Époux et de notre Auguste Reine qui est en même temps notre tendre Mère. Je les bénis mille fois du choix qu'ils daignent faire de vous pour travailler de concert à nous sanctifier et à répondre aux desseins tout particuliers que le Seigneur a eus sur nous de toute éternité de nous attacher plus particulièrement à son service en travaillant de tout notre pouvoir à Lui gagner des cœurs après Lui avoir donné entièrement le nôtre. 292


Écrits de Mère de Cicé

Les œuvres saintes et conformes à notre sainte vocation auxquelles plusieurs d'entre vous sont déjà consacrées par la Divine Providence sont toutes propres à vous faire parvenir au but que nous nous proposons. Celles qui s'adonnent à l'instruction de la jeunesse ont un motif tout particulier de mener une vie bien sainte, afin que la leçon de l'exemple, toujours si puissante et surtout pour la jeunesse, soit en tout semblable aux instructions qu'elles donnent. L'excellent projet qu'elles forment de perpétuer les œuvres de zèle auxquelles elles s'adonnent en formant de vertueuses maîtresses d'école, est un motif de plus pour exiger ce soin de leur part, afin qu'elles-mêmes et celles qu'elles instruisent puissent être partout la bonne odeur de Jésus-Christ. Il en est de même de celles qui sont appelées à soigner les malades. Cet emploi est admirable et leur fournit continuellement l'occasion d'ouvrir le chemin du ciel à des âmes qui s'en étaient écartées jusqu'à leur entrée à l'hôpital; de soutenir et de consoler celles qui en ont besoin; de rappeler les premières vérités de notre sainte religion, oubliées, méconnues des unes et négligées des autres; en un mot de les animer toutes dans la voie du salut. Cet emploi, consacré par les éloges mêmes de notre Divin Sauveur pendant qu'il vivait parmi nous, a de quoi charmer une âme qui L'aime quand elle pense qu'il a dit : « Tout ce que vous faites au moindre des miens, c'est à Moi-même que vous le faites. » Quelle confiance ces œuvres pratiquées en son Nom, avec une foi vive, sans acception de personnes et uniquement faites pour l'amour de Lui, ne doivent-elles pas leur inspirer pendant la vie et 293


Marie-Adélaïde de Cicé

surtout au temps de la mort! Suivant saint Vincent de Paul, ce héros de la charité chrétienne, la paix de l'âme, ce bien inestimable, est particulièrement à l'heure de la mort le fruit de la pratique des œuvres de miséricorde exercées pendant la vie. Lettre à Madame Rosalie de Go'ësbriand,

24 Mars 1800

Je partage la satisfaction de notre respectable Père du contentement et de la paix dont vous jouissez dans le Seigneur depuis votre engagement à son service. Les dispositions où vous êtes par sa grâce me persuadent de plus en plus du bonheur attaché à écouter la voix de Dieu et de la fidélité à la suivre. Marchez constamment dans la nouvelle route qu'il vous a tracée, vous ne sauriez vous égarer dans les sentiers de l'obéissance; ne vous contentez pas d'aimer le Seigneur et sa Sainte Mère, mais travaillez autant qu'il est en vous à les faire connaître et aimer des autres. Je ressens une joie toute particulière de l'emploi auquel vous vous adonnez, il est bien à la gloire de Dieu et vous attirera bien des grâces. Quel bonheur de graver dans de jeunes cœurs le sacré Nom de Jésus et de Marie et de leur apprendre à connaître et à aimer le Seigneur. Lettres à Mlle Amable Chenu,

27 Juin 1802

Dans des temps comme ceux-ci, tous ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ne peuvent vivre sans souffrances et sans privations, et il semble que Notre-Seigneur demande d'autant plus de sacrifices que les âmes lui sont 294

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Écrits de Mère de Cicé plus chères... Il faut une grande patience pour consoler les affligés, je crois que nous devons surtout exceller dans le support du prochain... Tout ce qui sert à donner une éducation bien sainte à la jeunesse est extrêmement important et mérite bien des sacrifices. Je suis enchantée de la bonne œuvre que vous faites de faire travailler les enfants en les instruisant et j'admire ce que la Divine Providence vous met à lieu de faire pour eux, malgré vos faibles moyens. Ce désir que vous montrez de leur faire du bien autant qu'il est en votre pouvoir vous obtiendra du trésor inépuisable de la Divine Providence les moyens de faire davantage pour ces pauvres enfants, en touchant le cœur des personnes riches et les faisant venir à votre secours; car je conçois bien que les secours temporels que vous leur accordez les encouragent et les animent au bien que vous avez principalement en vue de leur faire qui est de les former à la vertu et de les attacher d'une manière toute particulière au service de Dieu, à l'amour de Notre-Seigneur et de sa Sainte Mère, chacun suivant la grâce dont il est favorisé. Lettres à Mlle Marie-Anne Bourguignon,

Ce iS Juillet

Je prends en particulier beaucoup de part aux peines que vous éprouvez de la part de vos enfants. C'est à la vérité une tâche bien pénible d'élever la jeunesse, parmi laquelle il règne aujourd'hui plus que jamais un esprit d'indépendance, et je sens de plus que les externes doivent vous fatiguer beaucoup. Les parents nuisent souvent au bien qu'on leur fait. 295


Marie-Adélaïde de Cicè

Mais que faut-il conclure de tout cela? Faut-il abandonner l'œuvre du Seigneur pour les difficultés qui s'y rencontrent? Hélas, non, il faut s'en bien garder, et se ranimer sans cesse pour la continuer; en priant le Seigneur de répandre ses bénédictions sur un travail qu'on a entrepris, et qu'on ne continue que pour procurer Sa gloire, Le faire connaître et aimer. D'ailleurs soyez sûre que les bénédictions du Seigneur pour être tardives n'en sont pas moins assurées. Ce que vous avez semé dans les larmes, vous le recueillerez dans la joie. Votre récompense à vous-même est certaine, indépendamment du fruit que vos élèves retireront de vos soins. Que l'approche de la grande feste de la Très Sainte Vierge ranime toute notre confiance, ne pouvons-nous et ne devons-nous pas tout espérer de sa protection ? Implorons son puissant secours pour l'Église, pour notre famille, et chacune de nous. Et faisons-nous gloire de marcher sur ses traces le plus près et le plus fidèlement qui nous est possible. Ce 30 Septembre

Mettez toute votre confiance dans le Seigneur, ma chère Fille, et très particulièrement pour remplir la place pour laquelle II vous a choisie. Soyez bien sûre qu'en faisant de notre mieux, le moins mal que nous pouvons tout ce que nous pensons être à la plus grande gloire de Dieu, le bien du prochain, et en particulier le salut et la perfection des âmes qui nous sont confiées, Notre-Seigneur dans sa grande bonté supplée abondamment au reste, surtout si nous sommes bien fidèles (comme il est si juste) 296

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Écrits de Mère de Cicê

à ne nous rien attribuer à nous-mêmes dans les petits succès qu'il veut bien accorder quelquefois, dont nous devons Le bénir humblement, et Lui renvoyer toute la gloire qui Lui en est due, nous étonnant qu'il veuille bien se servir d'instruments aussi vils et aussi peu propres à la procurer que nous le sommes. Si nous parvenons par une fervente prière faite au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ en union avec tous les membres des Sociétés des Divins Cœurs de Jésus et de Marie, à nous pénétrer bien profondément de ce sentiment, ce sera un moyen bien puissant et bien efficace pour attirer sur nous toutes les grâces du Seigneur. Ce iS Octobre

Je vois avec une bien douce consolation que vous en ressentez toujours une bien vive d'appartenir à la Très Sainte Vierge et d'être la fille de son Cœur. La vue de notre indignité pour une si grande faveur doit bien nous confondre, mais en même temps elle doit bien nous animer à réparer le temps perdu, et à profiter de tout ce qui nous reste de vie et de force, pour aimer nous-mêmes, faire connaître, aimer et servir notre Divin Maître et notre Auguste Reine. Les moyens que vous donnent pour parvenir à ce but les respectables Carmélites sont bien précieux. J'espère que le Seigneur qui l'a inspiré à votre saint guide répandra ses bénédictions sur cette entreprise dans laquelle vous ne cherchez tous que la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes. C'est à quoi tend notre sainte vocation. Vous la remplirez bien parfaitement en vous adonnant de tout votre cœur à l'éducation de la jeunesse. 297


Marie-Adélaïde de Cicé

Les prières des saintes Dames Carmélites* au nom desquelles vous agirez, vous aideront merveilleusement à graver dans les jeunes plantes que vous aurez à cultiver la crainte de Dieu, l'horreur et la fuite du péché qui suit cette crainte salutaire, la connaissance et l'amour de NotreSeigneur Jésus-Christ et de sa Sainte Mère. Notre bon Père s'occupe maintenant à vous faire une instruction sur les devoirs que vous avez à remplir qui ne vous laissera rien à désirer, et que je suis persuadée que vous n'aurez rien tant à cœur que de suivre avec fidélité. Ce 4 Juin

... Je prie le Seigneur de toute mon âme en union avec toutes nos sœurs de répandre sur vous les plus abondantes bénédictions afin que vous puissiez avancer et croître chaque jour dans le saint amour à la suite de NotreSeigneur et de sa Sainte Mère. Que vous ne vous borniez pas à vous sanctifier seule dans cette nouvelle et sainte carrière que vous entreprenez, mais que vous y travailliez de tout votre cœur, sous la direction de la sainte obéissance, à attirer le plus d'âmes qu'il vous sera possible au service de notre Divin Maître et de notre Auguste Reine, à former, entretenir, et faire avancer celles qui y sont déjà entrées, enfin, par vos conseils fortifiés de vos saints exemples, à faire tout le bien dont le Seigneur vous rendra * Les Carmélites de Tours pour avoir le droit de rouvrir leur Carmel avaient été obligées d'ouvrir une école, elles avaient prié les Filles du Cœur de Marie de s'en charger. M. de Cicé avait désigné Mlle M. A. Bourguignon pour tenir cette école.

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Écrits de Mire de Cicé capable par sa grâce. Vous pouvez tout espérer de son secours, si vous reconnaissez sincèrement toute votre faiblesse, vous espérez, et attendez tout de sa Bonté qui l'a porté à vous choisir la première pour inspirer et graver l'amour de son Divin Cœur et celui de sa Sainte Mère dans tous les cœurs qu'il mettra à votre disposition. Ce il May J'ai comme vous bien de la confiance que le Bon Dieu bénira votre œuvre. Vous combattez contre le monde, la chair et le démon, pendant que vos saintes Mères Carmélites élèvent comme de nouveaux Moïses leurs mains et leurs cœurs vers le ciel pour attirer la bénédiction sur des travaux qui ne sont entrepris que pour la gloire de Dieu et le salut des âmes rachetées du sang de Jésus-Christ. Ne vous mettez pas trop en peine, chère Sœur, lorsque cet emploi si précieux de former des cœurs à la vertu vous dérobe des moments que votre attrait vous porterait à donner à la prière. D'ailleurs l'exercice de la charité rempli avec pureté d'intention, avec le seul désir de plaire à Dieu, est une prière continuelle, et le bonheur que vous avez de faire tout ce que vous faites par obéissance rend bien précieuse la plus petite de vos actions. Ce motif quand il est bien parfait les ennoblit, comme vous le savez, et les divinise en quelque sorte. Continuez à prier pour nous et à nous donner part à tout ce que vous faites pour le Bon Dieu. Que l'union fraternelle règne parmi vous de la manière la plus parfaite. C'est un puissant moyen d'attirer sur vous et sur les âmes qui vous sont confiées par le Bon Pasteur Lui-même les

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Marie-Adélaïde de Cicé

plus grandes grâces. C'en est une grande que celui de L'avoir au milieu de vous, suivant sa parole. Le bonheur que vous avez d'être rassemblées en son Nom vous l'annonce. Ce

II

Juillet 1810

Marchons courageusement sans nous arrêter à la suite de Jésus et de Marie par le chemin qu'ils nous ont tracé; imitons les exemples de toutes les vertus qu'Us nous ont laissés comme héritage précieux que nous avons à recueillir. Priez bien pour nous et pour toute notre famille. Je vous prie de le faire tout particulièrement pour moi qui en ai un extrême besoin pour répondre à tout ce que Notre-Seigneur demande de moi. Continuez à vouloir bien être auprès de nos Filles l'interprète de tous nos sentiments; qu'elles soient, comme vous, bien persuadées que rien ne peut altérer l'union de nos cœurs formés au pied de la croix dans les Cœurs sacrés de Jésus et de Marie. J'apprends avec plaisir le bien qui se fait pour les enfants dont elles prennent soin ; puissent-elles graver dans ces jeunes cœurs l'amour de Jésus et de sa Sainte Mère, de manière à ne s'en effacer jamais dans la suite, c'est ce que j'espère de leur zèle et de la pureté de leur intention, de leurs prières et surtout des exemples de vertu qu'elles donnent sûrement à cette intéressante jeunesse. C'est un service bien agréable à Notre-Seigneur que de travailler à conserver cette précieuse innocence où II trouve ses délices.

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RÉFÉRENCES DES CITATIONS i 3 4 5 6

Nouveaux Justes par l'Abbé Carron. Nouveaux Justes par l'Abbé Carron. Écrits de M. de Cicé (paroles de Mr Boursoul.). Nouveaux Justes par l'Abbé Carron. Écrits de M. de Cicé : Papiers intimes, paroles de M. Boursoul. 7 Écrits de M. de Cicé : Retraite d'octobre 1776. 8 Écrits de M. de Cicé : Projet d'une Société pieuse. 9 Nouveaux Justes par l'Abbé Carron. 10 Vie du P. de Clorivière par Terrien Livre III ch. III. 11 Écrits de M. de Cicé : 6e brouillon lettre au P. de Clorivière. 12 Écrits de M. de Cicé : ier brouillon lettre au P. de Clorivière. 13 ier Volume des Lettres du P. de Clorivière. 14 Écrits de M. de Cicé : 10e brouillon lettre au P. de Clorivière. 15 Ier volume : Lettre du P. de Clorivière de Dinan. 16 Écrits de M. de Cicé : réponse à la lettre du 4 février 1788 (7e brouillon). 17 ier Volume des Lettres du P. de Clorivière : de Dinan le 27 mars 1788. 18 Écrits de M. de Cicé : 3e brouillon. 19 Écrits de M. de Cicé : Ier brouillon lettre au P. de Clorivière. 20 ier volume des Lettres du P. de Clorivière. 21 Écrits de M. de Cicé : ier brouillon lettre du P. de Clorivière. 22 ier volume des Lettres du P. de Clorivière. 23 Écrits de M. de Cicé : brouillon n° 8. 24 ier volume des Lettres du P. de Clorivière, 15 août 1788. 25 ier volume des Lettres du P. de Clorivière, écrite de Dinan.

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Références des citations Écrits de M. de Cicé : 2e brouillon lettre au P. de Clorivière. Écrits de M. de Cicé : 4e brouillon lettre au P. de Clorivière. Écrits de M. de Cicé : 5e brouillon lettre au P. de Clorivière. Lettre du P. de Clorivière de Dinan le 21 octobre 1788. Écrits de M. de Cicé : 5 e brouillon lettre au P. de Clorivière. Écrits de M. de Cicé : 6e brouillon lettre au P. de Clorivière. Lettre du P. de Clorivière à M. de Cicé à « la Croix » 5 janvier 1789. 33 Ier volume Lettres du P. de Clorivière : l'original ne porte aucune date, une ancienne copie indique 1789 sans indication de mois. 34 Vie du P. de Clorivière par le P. Terrien. 35 Ier volume Lettres du P. de Clorivière, écrite de Dinan le 8 juillet 1789. 36 Ier volume Lettres du P. de Clorivière, écrite de Jersey à M. de Cicé à la Croix, Saint-Servan. 37 Documents constitutifs : Exposé du 29 mai 1808, texte V. 3 8 Vue d'ensemble historique de la fondation des deux Sociétés, tirée de la Supplique au Souverain Pontife Pie VII en 1800, confiée à MM. Beulé et Astier. 39 et 40 Documents constitutifs : Exposé de l'œuvre, adressé à Mr Mongendre, de la Maison de santé près la Barrière du Trône, le 29 mai 1808. Document 20. 41 Documents Constitutifs 26 b : janvier 1802. 42 et 43 Documents Constitutifs Ier Plan de la Société du Cœur de Marie août 1790 (document 3). 44 Écrits de M. de Cicé : 9e lettre au P. de Clorivière, brouillon autographe sans date. er 45 Lettre du P. de Clorivière écrite de Rennes (i volume). 46 ier volume Lettres du P. de Clorivière : 23 février 1791.

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Références des citations 47 Formule de la Consécration du 2 février 1791. Autographe du P. de Clorivière qui a signé « pour Adélaïde ». (Aux Archives de la Société). 48 Écrits de M. de Cicé : lettre à Mlle de Gouyon août 1791. 49 Journal de Mantes : Souvenirs sur M. de Cicé. Autographe aux Archives de la Société. 50 ier volume Lettres du P. de Clorivière : de Paris, lettre à M. de Cicé. 51 Écrits de M. de Cicé : 2e exemplaire du Vœu d'obéissance. 52 Lettre du P. de Clorivière écrite du Château de Limoëlan le 8 juin 1791, adressée à M. de Cicé sous le nom de Mlle Lemarchand (ier volume). 53 Lettre du Père de Clorivière écrite de Paris (ier volume). 54 Lettre du Père de Clorivière écrite de Paris à M. de Cicé sous le nom de Mlle Lemarchand, aux Dames de la Trinité à Rennes (ier volume). 55 ier volume Lettres du P. de Clorivière sans date précise. 56 Extrait de la plaidoirie de Me Bellart au procès de M. de Cicé. 57 Discours autographe du 15 août 1792 « Marie a choisi la meilleure part ». 58 Lettre du P. de Clorivière du 24 septembre 1792, adressée à Mlle Lemarchand rue des Postes N° 8 (ier volume). 59 «Mémoire » au Cardinal Caprara du 15 janvier 1802. 60 Lettre de Mlle Chenu (Archives de la Société). 61 Lettre du P. de Clorivière écrite à la suite de la démarche auprès de Mgr Pisani de la Gaude, Évêque de Namur (ier volume). 62 Écrits de M. de Cicé : lettre à Mlle Thérèse Chenu. 63 Rapport du 14 Thermidor an VII (Archives Nationales).

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Références des citations 64 Archives nationales : bureau des Interrogatoires signé : Charles Dauban. 65 Avis donné sous le N° 1324 registre 5, ire division, ier bureau. 66 Ier volume « Lettres du P. de Clorivière ». 67 Lettre écrite à M. de Cicé pendant sa détention. (ier volume). 68 Déposition du P. Varin (Vie du P. Varin par le P. Guidée). 69 Manuscrit original de l'interrogatoire (Procès de M. de Cicé). 70 Vie du P. Varin par le P. Guidée (2e édition). 71 Vie du P. de Clorivière par le P. Terrien. 72 Extraits de la défense de M. de Cicé par Me Bellart. 73 Documents constitutifs : Exposé du 29 mai 1808. Document N° 20. 74 Lettre du P. de Clorivière du 15 avril 1802 (ier volume). 75 Lettre écrite de Lyon (ier volume). 76 Lettre écrite de Besançon le 28 septembre 1803. 77 Lettre adressée à M. de Cicé à Paris après la retraite à la Trappe. 78 « Journal de Mantes » : souvenirs sur le P. de Clorivière et son incarcération au Temple. 79 Lettre du Père de Clorivière de la prison du Temple (ier volume). 80 Documents constitutifs : Exposé fait à Mr Mongendre de la Prison du Temple. Document 20. 81 Lettre de M. de Cicé à Mlle Amable Chenu du 28 décembre 1804. 82 ier volume « Lettres du P. de Clorivière » du Temple. er 83 I volume « Lettres du P. de Clorivière » du Temple à M. de Cicé. 84 Journal de Mantes : Souvenirs de Mme de Saisseval.

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Références des citations 85 Lettres du P. de Clorivière : du 27 janvier 1805 sur la 3 e Règle à observer. 86 Extrait de la Conférence de M. de Cicé sur le N° 2 du Plan de la Société (Archives de la Société). 87 Écrits de M. de Cicé : explication de la 7e Règle. 88 Écrits de M. de Cicé : explication sur la 2e Règle. 89 Écrits de M. de Cicé : IIe explication sur le Plan de la Société. 90 Écrits de M. de Cicé : Lettre à Mlle Chenu. 91 Écrits de M. de Cicé : retraite d'août 1783 pour la fête de l'Assomption. 92 Écrits de M. de Cicé : Résolution d'observer fidèlement ses vœux après 1792. 93 Écrits de M. de Cicé : Retraite Assomption 1783. 94 Lettres du P. de Clorivière 22-23 novembre 1807 (2e vol.). 95 Lettres du P. de Clorivière 12 octobre 1805 (ier volume). 96 Lettres du P. de Clorivière 4 février 1788. 97 Écrits de M. de Cicé : Brouillon N° 8 lettre au P. de Clorivière. 98 Lettre du P. de Clorivière du ier février 1807 (ier volume). 99 Lettre du P. de Clorivière du 28 mars 1806. 100 Lettre du P. de Clorivière du 22 janvier 1805. 101 Écrits de M. de Cicé : Élévation sur la Ste Vierge. 102 Autographes de M. de Cicé « Aspirations ». 103 Écrits de M. de Cicé : lettre circulaire. 104 Lettre autographe de M. d'Acosta datée de Mantes le 2 juin 1818. 105 Lettre autographe du P. Druilhet à Mlle Chenu le 5 juin 1818. *

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TABLE DES MATIÈRES Page Avant-propos

19

1 - Enfance austère et piété précoce

23

2 - La retraite de 1776. Le grand projet

41

3 - Rencontre providentielle du Père de Clorivière

51

4 - La double inspiration du R.P. de Clorivière

87

5 - A Paris sous la Terreur

123

6 - A Ste Pélagie 1800

143

7 - En Provence 1802

153

8 - La prison du Temple

167

9 - La Mère de la Société. Son gouvernement, sa vie intérieure 173 10 - Les derniers jours : Souffrance et joie

203

11 - La Société dans l'Histoire

213

12 - Extraits des Ecrits de Mère de Cicé

229

Références des citations

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ACHEVÉ D'IMPRIMER LE 11 JUILLET 1961 PAR LES PRESSES MONASTIQUES. LA PIERRE-QUI-VIRE (YONNE) ET L'IMPRIMERIE DARANTIÊRE, A DIJON. PLANCHES HÉLIOS PAR LES IMPRIMERIES HUMBLOT, A NANCY. RELIURE DE PRACHE, AUGER, DE FRANCLIEU & CIE, A CHOISY-LE-ROI < D.L 774-7-61 IMPRIMÉ

EN

FRANCE

MAISON GÉNÉRALICE DE LA SOCIÉTÉ DES FILLES DU CŒUR DE MARIE - 37, RUE NOTRE-DAME DES CHAMPS - PARIS 6




La valeur d'un livre, les effets salutaires qu'il peut produire dans les âmes, les sentiments et les bonnes résolutions dont il peut être la source ne se mesurent pas au nombre de ses pages. En cette brève biographie se manifestent la candeur d'une âme exquise, ses luttes et ses épreuves pour monter au sommet de la sainteté, son inépuisable charité envers toutes les misères d'ici-bas, un amour parfait du Christ et de sa sainte Mère. Qui pourrait ne pas tirer profit de la lecture d'un tel ouvrage destiné, en cette période tragique, à ranimer le courage, à stimuler les efforts, à faire toucher du doigt les moyens ou les armes grâce auxquels l'Eglise est sortie victorieuse de ses ennemis? (Extrait de la préface de Son Eminence le Cardinal Valerio Valeri.)



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