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NOS PREMIERES HERES par M. de Bellevue

- AmalDle

et Thérèse CHEOT

- Adélaïde de Malézieux, Comtesse de CÀRCATDO - Adélaïde d'ESTERNOZ




AMABLE et THERESE

CHENU

Monsieur de Clorivière visite ses paroissiens. Le voici à l'un des foyers les plus chrétiens de Paramé, Les Chenu appartiennent à une famille ancienne et très estimée» Autour de leur nouveau Recteur, parents et enfants, se sentent à l'aise, le frère taquine l'aînée de ses soeurs en •11 appelant soeur Anselme, -"Voulez-vous donc vous faire religieuse ? " demande Mr. de Cl orivière, et Amable répond, avec une nuance de mélancolie, que sa santé ne le permettra sans doute jamais, - "Si Lieu le veut, il saura "bien vous en donner le moyen", reprend le Pasteur. Lès son arrivée dans la paroisse, il a remarqué cette enfant d;une quinzaine d5 années et sa soeur, cadet te 5 il a vu sur elles le signe des âmes choisies et il les cultive avec un soin particulier» Sous sa direction» elles s'épanouissent aux rayons de la confiance et de l'amour divin, elles comprennent» dans toute sa beauté» JTidéal de la vie chrétienne, elles y tendent ardemment» Pendant plus de six ans» les années déoisives de la jeunesse, elles ont été formées ainsi, correspondant avec fidélité aux lumières reçues Quand leur guide s'est éloigné, l'élan de leur ferveur ne se trouve pas ralenti. Avec une amie, elles forment une "société de perfection1' pour s'aider mutuellement dans les voies de la vertu, et chaque mois elles tirent des billets pour désigner celle des trois à laquelle les deux autres obéiront comme à unè■supérieure. Ces jeunes.filles parlent déjà le langage des parfaits, et cela comme une chose toute : naturelle 5 il ne leur semblé pas, dirait-ôn,-qu'!il en puisse être autrement. Ames toutes fraîches, elles se communiquent avec candeur leurs sentiments intimes, et dans ce qui nous reste de leurs écrits, on ne'surprend, tien qui sente la frivolité des liaisons terrestres, rien non plus où il semble que la vaine complaisance, usurpant sur la vraie piété, ait tenu la plume» Amable est si simple dans ce qu'elle nous rapporte en peu de mots, Thérèse si spontanée quand elle épanche ses sentiments et ses désirs 1 0.

Issues du môme sang et nourries des mêmes traditions, formées par le même guide spirituel et poursuivant le même idéal de perfection, les deux soeurs garderont toujours leurs physionomies faites de ressemblances et de contrastes» Chez toutes deux la rectitude de l'esprit s'accompagne de l'énergie de la volonté, mais le cachet de l'aînée c!est la réflexion, la réserve., le goût da silence % la cadette se montre vive,, décidée;, prompte. Dans le caractère d? Amable, la timidité bretonne prédomine; dans celui de Thérèse c'est l'audace malouine qui l'emporte» L'une semble faite pour les longues patiences, l'autre douée pour les généreuses entreprises» La première est limpidité, la seconde jaillissement» Et tout-cela va servir comme à souhait, nous le verrons, les desseins de la Providence. Nous voici en Juillet, nous voici en Août do 1-année 1790" Le plan inspiré à Mr. de Clorivière a rejoint les vues de 1 '■ élue venue de Rennes et qui finit à Saint«Servan son admirable noviciat» Le Saint-Esprit poursuit sa mystérieuse conduite, avec quelle uni ce 1 II agit sur les deux soeurs, déjà préparées elles aussi, car elles seront filles privilégiées


et premières collaboratrices de Mère de Cicé» Avant la fête de Noël, 1" aînée fait une retraite de huit jours, seule chez elle. Elle a perdu sa mère au mois d*octobre précédent, son père il y a quelques années» Familiarisée avec oraison, Amable trouve son meilleur' réconfort à se plonger dans le seul à seul avec Dieu, tandis que Thérèse se prépare de son coté à fêter la Nativité du Seigneur„ Durant la veillée de Noël, tout occupée du doux mystère de cette nuit bienheureuse, et se le rendant présent par cette foi vive qui abolit en quelque manière le temps et. atteint les réalités éternelles, Thérèse épanche ainsi son coeur s "Quel profond mystère va s'■ opérerl Je suis comme absorbée dans son immensité. Je ne suis pas digne d'en parler et je ne pourrais le faire; du moins dans ma simplicité aurai-je le bonheur de 1'.adorer, de l'aimer, de le bénir". Sur cette simple contemplation va s'épanouir le vouloir généreux s "Je veux que mon coeur soit une victime consacrée à l'amour divin, je veux qu'il soit vide de tout autre sentiment",.. Quelques lignes après, le fruit se précise encore s "II n'est pas vêtu. Il manque de tout, et nous ne manquons de rien. Pauvreté de Jésus, soyez mes délices. Restons à Bethléem, apprenons-y de Dieu luimême à nous renoncer, à nous humilier. N'en sortons que pour accompagner notre Sauveur au Calvaire et y expirer d'amour". Quelque temps après, Thérèse convie son amie intime à "l'étude de l'amour divin", étude telle qu'elle en fasse, en quelque sorte, oublier tout le rostOo Mais elle a soin d'ajouter i "Que de combats il faut soutenir pour parvenir à ce haut point de perfection,... Seul le parfait détachement peut nous donner le pur amour de Dieu". Elle rappelle encore que, pour l'obtenir, une autre condition, c'est "le silence et l'esprit de solitude". "C'est là, dit-elle, l'école du Saint Amour'.., Puis, faisant un humble retour sur elle-même : "Demandez pour moi, écrit-elle, l'humilité que je ne connais pas, demandez lramour de Dieu que je ne sens point, et la grâce de souffrir un peu pour Dieu". L'amour de Dieu que je ne sens point, a-t-elle dit. Ce n'est donc pas dans l'effervescence d'une ferveur sensible et passagère qu'elle nous fait entendre de tels accents; ils procèdent d'un foyer intérieur qui sait se nourrir des épreuves de la vie spirituelle. Il y à lieu même de croire que Thérèse connaît ces épreuves plus que d'autres, parce que plus que d'autres elle doit s'élever haut et vite dans les voies de l'amour divin. Les deux soeurs rien maintenant ne comme pour l'autre reste s'effacera :

sont arrivées à un même tournant de l'existence, car les empêche de disposer d'elles-mêmes. Pour l'une une seule question se pose,, devant laquelle tout le quelle est la volonté de Dieu ?

Amable y a pensé pendant sa.retraite, non sans se heurter à bien des sujets d'incertitude. Mais l'Abbé Gautier est survenu, un collaborateur de Mr.de Clorivière à Dinan, et précédemment vicaire à Paramé. Il est porteur d'un étonnant secret. Ne serait-ce point pour Amable; le moyen inespéré de réaliser ses désirs de vie religieuse ? Et les principales lignes du plan de la Société lui sont exposées, l'acte de consécration qui donne une première entrée dans cotte voie lui est remis en mains. Qu'elle réfléchisse... Amable a réfléchi, elle a médité les termes de l'acte : offrande


- 3 entière de soi-même, ferme volonté de suivre Jésus-Chris'G le plus près possible, d'imiter sa patience à supporter toutes sortes d'injures et de peines, et enfin d'embrasser de coeur et on effet la pauvreté, la chasteté et 1:obéissance si la divine Majesté daigne 1-appeler à ce genre de vie".«Il n'est rien là eu-elle n'ait désiré, voulu et même cherché à pratiquer autant qu'elle l'a pu» Mais cette pratique, sous la forme dont on lui parle, comment se réalisora-t-elle 1 De qui auea-t-elle à dépendre ?„ Ce sont choses que l'Abbé Gautier ne peut lui préciser encore, mais si, en son âme, le mouvement do la grâce la porte à embrasser ce plan, si elle veut se ranger parmi oeil os qui seront les prémices offertes à la divine Majesté, que le 2 Février elle s'offre elle-même par 1-'acte qui lui a été remis.. Il en fut ainsi. Sans en savoir plus long,- Amable, se fiant à son Dieu, lui dit tout bas, au pied do l'autel, cet acte qui comportait un abandon si absolu à la conduite du Père céleste. Thérèse n'en fut informée qu'ensuite, et la confidence de sa soeur la laissa en suspens pour elle-même» En Mars, elle apprend que Mr. de Clorivière, revenu de Paris, est à Saint-Malo. Un matin, dès la première heure elle est là, et après la Messe, à la sacristie, c'est la brève conversation. Ce Père qui a toute sa confiance connaît-il la Société nouvelle ? - Oui, mais que Thérèse, pour en savoir davantage, s'adresse à une personne qu'il vient de communier, elle la reconnaîtra bien»». S;»ns l'avoir jamais vue ? - Mais oui l cette personne qu'enveloppe une sorte de halo de recueillement, c'est elle, à n'en pas douter. Alors, à la porte de 1'-Eglise, c'est un nouveau et discret colloque, où Mère de Cicé promet sa prochaine visite»La promesse est tenue, et de ce jour où pour la première fois elle a conversé avec Mère de Cicé, Amable redira longtemps après les détails. Car c'est elle qui nous raconte les faits dont nous parlons. Elle s'en acquitte de la manière toute simple qui convient à ces choses, dont le cachet est précisément d'être d'une simplicité parfaite. Son langage si dépourvu d'apprêt, ne l'est pas d'un certain art naturel qui nous fait voir ce qu'elle voit, sympathiser à ce qui l'émeut. Nul ne nous peint mieux qu'elle la silhouette de Mère de Cicé, sous sa pelisse noire, avec "un air de grandeur et d'humilité à la fois, qui est d'un charme incomparable". Et puis,, c'est la petite scène de la nièce importune que les demoiselles Chenu voudraient "bien loin de là", mais que la douce Mère accueille et caresse, pour reprendre ensuite avec le même ton "de paix et de grâce" le développement de l'acte d'oblation. Ces paroles là ont pénétré bien avant, car les deux soeurs se disent ensuite, empruntant les expressions des disciples d'Emmaùs, que leurs coeurs étaient tout brûlants.. Cependant Amable va nous confier l'hésitation qui, un instant, s'est emparée d'elle. "Durant les jours suivants, je méditais le Plan que je trouvais de plus en plus admirable, mais je Voyais qu'en embrassant ce genre de vie, je perdais ma liberté, et j':y étais d'autant plus attachée que ma Mère m'avait tenue dans un grand assujetissement". Depuis peu, la jeune fille a commencé à connaître la satisfaction d'agir à son gré,, Ohî certes, elle n'en veut user que pour le bien, et e?est juste au moment où elle goûte encore toute fraîche cette légitime liberté qu'il faudrait


- 4 y renoncer» Avait-elle mesuré toute l'étendue de l'obéissance à l'heure do sa première consécration ? Et quand elle ne reculait pas devant l'idée d'avoir pour Supérieure une des petites bonnes femmes qu'elle voyait défiler pour la Chandeleur, avait-elle cru en être quitte avec quelques pratiques d'humilité, sans trop grande dépendance ? > Toujours est-il que depuis que Mère de Cicé a passé par là, le Plan de la Société lui est apparu dans sa pleine beauté, avec les exigences qui en sont inséparables. Alors s'est élevée une do ces luttes nécessaires, où la vocation s'enracine, et d'où elle s'élance plus pure et plus généreuse. Pour une-âme depuis longtemps entraînée à la recherche de la perfection, l'issue n-était guère douteuse, le triomphe ne tarda plus. Quant à Thérèse, une retraite particulière de huit jours près de Mère de Cicé, à l'ombre du Couvent de la Croix, prépara sa Consécration. "Votre soeur nous a fait l'effet do Sainte Thérèse elle-même" disait ensuite à son aînée Mère Marie de Jésus, qui l'avait alors vue intimement. Un peu plus tard, Amable vient aussi à la Croix et participe à la retraite des religieuses qu'elles font du 6 au 14 Septembre, comme de coutume^ mais sans prédicateur. Les prêtres fidèles sont déjà traqués, mais la Croix, du Seigneur parle un langage plus éloquent que jamais en un tel temps. Les jours passés dans l'intimité de la première Mère vont armer, en vue d'autres épreuves encore, la retraitante qui, dans un corps débile, porte une âme ferme. Il faut que, pour le moment, ayant dû renvoyer chez elle sa servante malade, elle se livre à merci aux soins de Mère de Cicé qui n'admet point de résistance. Mais quand la douce infirmière eut pansé la main qui faisait souffrir Amable, celle-ci se trouva guérie. Peut-être Mère de Cicé- a-t-elle déjà fait prévoir qu'elle devrait s'éloigner, appelée par le Père, fondateur à Paris.. Sûrement il est question maintenant de ce départ, désormais tout proche. Tout a été prévu en ce qui concerne l'avenir du berceau de la Société, mais quelle- double souffrance pour Amable quand elle apprend que, perdant la présence de Mère de Cicé, il lui faudra, encore la suppléer dans cette petite famille dont elle est la première-néo» Il est vrai, le précieux appui de Mère Marie de Jésus lui est assuré pour la former à l'autorité, et ne sait-elle pas quelle ferveur, quelle union.règne parmi ses soeurs ?.«.. Surtout Jésus est là... Fortifiée, par l'exemple de son humble Mère qui ne lui cache pas ses propres angoisses, Amable puise aux'mêmes-sources qu'elle le courage d'accepter et de,se mettre à 1-'oeuvre. . Un'jour du commencement d'octobre, les deux demoiselles Chenu sont 'revenues de Saint Malo, cachant des larmes silencieuses,. Mère de Cicé est partie» Elles ne se laisseront pas abattre, elles l'ont promis, et Thérèse soutient Amable de toute la délicatesse de son obéissance et de ses religieux sentiments. Bientôt lrAsilo de la Croix est contraint de se fermer et les premières Filles du Coeur de Mario se rassemblent tantôt ici, tantôt là. Il est \m lieu qui s'y prête mieux que tout autre. Les prêtres y passent ou y séjournent . Là dans une chapelle dédiée au Sacré-Coeur, la source des sacrements jaillit encore tandis que déjà elle s;est fermée dans las églises.


_ 5 C'est le Plessis-Pontpinel dont la situation entre Saint-Malo, Saint-Servan et Paramê permet aux amies de se retrouver. Elles seront introduites par la discrète Perrine Guichard, et Madame des Bassablons est heureuse de les accueillir, dut-elle ainsi se compromettre» Ne croyez-vous pas la voir s'incliner avec une déférence marquée quand arrive, appuyée au bras de sa cadette, cette Amable Chenu que, il y a quelques années, elle a connue enfant et qui maintenant représente, dans ce petit groupe, l'autorité de Notre-Seigneurl A ces religieux rendez-vous paraîtra bientôt la Mèro Mario de Jésus qui a dû reprendre son nom de famille, Marie Le Tellier, car sa communauté est dissoute, ses soeurs sont rentrées dans leurs foyers. Après avoir donné son dévouement à la Société naissante, elle se donne elle-même, son concours en devient plus précieux encore,. Elle exerce les fonctions de Maîtresse dos novices, sans jamais consentir à accepter un autre titre.

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Les pieuses rencontres des amies dispersées ne tardent pas à devenir de plus en plus difficiles, ot quelle apparence y-a-t-il que leur Société puisse subsister ? Elle vivra, cependant, car Dieu le veut; sa Providence qui laisse, à l'heure venue, les événements se précipiter, avait bien su préparer les âmes à loisir, et avec quelle douceur à II n'est pour s'en convaincre que de se souvenir du noviciat de vie parfaite qu'avaient fait, sous la direction du P. de Clorivière, celles qui devaient être les premières pierres de l'oeuvre» De là, sous l'action du Saint-Esprit, l'unité qui sera si remarquable dans les débuts d'une Société née en de telles circonstances. Amable a fait ses voeux en 1792, Thérèse au mois d'août de la même année, aussi sont-elles bien armées pour les heures tragiques qui commencent. Les premières Pilles du Coeur de Marie, dès ce moment, se dévouent, chacune dans sa sphère, avec un héroïsme qui s'ignore et qui, plus tard, ne songera' plus qu'à se faire oublier. Car elles furent bien silencieuses de ne pas nous laisser ce genre de récits que nous rencontrons sur d'autres terrains si abondants en détails et en anecdotes. Que d'alertes, que d'incidents durent se.passer chez les Demoiselles Chenu, car elles ne se contentaient pas de l'asile donné à des prêtres sous leur toit, mais elles avaient loué un local assez vaste pour permettre à un plus grand nombre de fidèlos d'assister à la Messe. Tant d'audace, si enveloppée d'habileté qu'elle fut, amena enfin ce qui ne pouvait guère manquer, en dépit de l'exceptionnelle fidélité à la foi de la population paraméenne. Et ce fut, de St Malo, une vraie mobilisation pour cerner la jolie bourgade, perquisitionner de droite et de gauche, surtout dans la maison suspecte entre toutes, sans y découvrir le prêtre caché, et enfin emmener les deux soeurs prisonnières. Elles s'en troublent si peu qu'elles sourient de se voir encadrées d'un tel déploiement de forces Î Amable montée sur un âne, sa soeur marchant à ses côtés, sonji conduites au donjon du Château, d'où on les transfère quelques jours après à la Maison d'arrêt. Là les deux soeurs, par leur tranquille attitude, montrent comment une vraie Fille du Coeur de Marie sait être partout chez elle , dès qu'elle y est par la volonté de Dieu. Dans des pièces encombrées, au milieu de détenues d'humeurs fort disparates, elles se ménagent des temps de prière, elles organisent leur vie,, elles trouvent maintes occasions d'être utiles aux autres. Amable, éprouvée par des conditions d'existence plus qu'inconfortables, sait encore être


gaie au milieu de ses maux, mais vit surtout do recueillement et de patience r Thérèse peut se dépenser, davantage, sa nature ouverte et sympathique crée autour d'elle une atmosphère réconfortante, et des amitiés se nouent qui» pour quelques-unes do ses compagnes, les conduiront jusqu'au seuil do la Société. Dès le mois de décembre, la santé d*Amable est tellement atteinte qu'on la transfère à l'Hôpital, où elle trouve dos Soeurs de St Thomas sous le costume laïque et où elle est visitée par Mère Marie de Jésus et par une jeune Pille du Coeur de Marie, Melle Mettrie Offray. Puis la croix se fait plus nue encore, les religieuses sont incarcérées, Marie Le Tellier aussi; des infirmières improvisées, véritables mégères, traitent indignement "la. citoyenne fanatique et aristocrate". Elle est enfin réduite à un tel état qu'on se débarrasse d'elle en la renvoyant à Paramé, sous la surveillance municipale. Nouvelle douleur, son frère, Mr Chenu de la Villanger, et en même temps Mme des Bassablons viennent d'ôtre emmenés à Paris pour comparaître devant lé tribunal révolutionnaire, c'est un arrêt de mort. Quinze jours après il est exécuté. Mme 'les Bas sablons qui, plus que -jamais dans ses derniers jours a mérité le nom de sainte que les malouins lui donnent depuis longtemps, a cueilli la palme. Amable reste, mais si elle n'a pas subi le martyre du sang, au prix de quelles souffrances elle a confessé sa foi l L'horizon cependant s'éclaircit, un coin de ciel bleu reparaît le jour où Thérèse, enfin libérée, rejoint sa soeur. On est à la veille de l'Assomption 1794? un prêtre est là, et encore dans le secret, voici le bonheur tant désiré, le Saint-Sacrifice, la Communion. Et puis on se retrouve, on évoque avec une sainte fierté, peut-être avec envie, le souvenir de Mme des Bassablons, la martyre, l'obscur■héroïsme de Terrine Guichard. et de Marie Tertrat, victimes de leur dévouement aux marins atteints du typhus; on parle plus discrètement de tout ce qu'ont fait aussi colles qui vivent encore; surtout on s'entretient de ce qui devra se faire au milieu de tant de ruines, on regarde en avant, car les coeurs aspirent:à de-nouveaux travaux et, s'il le faut, à de nouvelles tribulations; ils ne sont point rebutés de ce qu'ils ont souffert, loin de là. être , , •. * Dans une lettre qui paraît. ou temps de sa détention, Thérèse écrivait ; "Puisse la gloire de N.S. renaître avec plus d'éclat parmi nous. Quelle confusion ne dois-je pas sentir d'être admise au calice do Jésus-Christ, après l'avoir tant offensé! Pouvais-je espérer une telle grâce ? Encourage nos-amies... Los maux do la religion, ceux de nos frères, les nôtres, que de motifs de mépriser la terre, de soupirer après le Ciel". Un pou plus tard, n'osant aller chez une amie "de crainte d'éveiller des soupçons" : "Quoique libre, ajoute-t-elle, je dois veiller pour les autres et pour moi; espérons un temps plus heureux, quoique celui-ci nous fasse grandement avancer dans la perfection si nous savons en profiter; ne perdons rien de ce que nous pouvons souffrir, tout est précieux devant notre Divin Maître. Soyons affamés do sa justice, chérissons sa rigueur sur nous. Que la paix, l'amour, la charité de Jésus-Christ soient toujours en nous". Et. ailleurs encore, ces accents s "Que nos coeurs soient des victimes offertes sans cesse à la divine Majesté... Plus nous:voVons de crimes et plus notre ardeur doit être grande à devenir saintes. Fidélité à la grâce pour l'abus qu'en font nos frères, foi vive pour l'erreur où ils sont,


- 7 obéissance généreuse pour l'opiniâtreté qui règne. Surtout amour tendre, amour constant, amour ardent pour Notre-Seigneur et sa Sainte Mère. Entrons dans tous les coeurs où ils ne sont point aimés pour les aimer en leur place". Pénétrées de tels sentiments, les deux soeurs vont, tout de nouveau, en ces jours encore si difficiles, user de leur ingénieux dévouement pour le rétablissement du culte et le relèvement de la vie chrétienne autour d'elles. Les Pilles du Coeur de Marie reviennent auprès de leur Supérieure autant qu'il leur est possible, mais depuis les souffrances de.sa détention, Amable ne peut guère se déplacer elle-môme. Un hiver passé à St Malo rend son domicile plus accessible, sans que la lente amélioration de sa santé lui permette de reprendre toute l'activité désirable. Il en faudrait beaucoup, eu égard au développement de la jeune réunion. Mr. Engerrand, à qui le Fondateur avait laissé le soin de veiller sur le petit groupe, juge alors qu'il' conviendrait de remplacer Amable par sa soeur Thérèse. Cette décision fut aussitôt soumise au Fondateur et à la première Mère, qui la ratifièrent volontiers. Mère de Cicé est la première à écrire à l'élue, lui disant : "N'en doutez pas, ma. chère Thérèse, votre nomination est l'oeuvre de Dieu... Que votre âge (elle avait 27 ans), que votre peu d'expérience, que vos défauts même ne vous découragent pas". Et des conseils suivent que nous avons déjà reproduits. "Je bénis de toute mon âme, dit encore la première Mère, le Dieu de Miséricorde de toutes les grâces dont Il vous comble et jo ne saurais trop vous engager à la. reconnaissance." De son côté, le P. de Clorivière écrit quelques jours après s "J'ai vu afeec un vrai plaisir les dispositions où vous êtes, le zèle que le Seigneur vous inspire et les grandes grâces dont sa bonté vous favorise si abondamment". Après l'avoir assurée aussi que le choix fait d'elle est bien l'oeuvre du Seigneur, le Père l'exhorte, avant toutes choses, à imiter dans sa charge "la douceur, la patience, l'humilité du Divin Maître". Après avoir rappelé qu'elle' doit instruire ses filles plus encore par l'exemple que par la parole,' il ajoute s "La perfection à laquelle il faut les porter doit être plus intérieure qu'extérieure. Ce qui n'est qu'extérieur n'est jamais assez solide. On persuade, on ne contraint pas l'a volonté. Il faut ■d'abord gagner les coeurs, quand les coeurs sont gagnés, ils vont au-devant de tout ce qu'on peut leur commander, et rien alors ne leur semble difficile. Attirez-les à vous par les liens d'une douea charité, afin de les attacher puissamment à Dieu. Sachez ménager les âmes faibles et n'en exigez rien, au-dessus de ce qu'elles sont en état de porter; au moyen d'une sage condescendance, elles pourront acquérir des forces et devenir capables de grandes choses. Modérez le plus que vous pourrez l'activité naturelle, afin que vous soyez un instrument comme passé entre les mains de Dieu. Travaillez à être sainte, mais sans inquiétude". Puisque l'obeiss parlé, simplement, sans regard sur elle-même, Thérèse prend la relève, et Amable heureuse de se soumettre à sa cadette trouve la houlette plus belle du jour où elle peut la passer en d'autres mains. A partir de ce moment, la nouvelle Supérieure réunit ses^soeurs tantôt à St.-Sorvan, tantôt à Paramé, afin que toutes puissent plus aisément eh profiter. En même tonps, avec elles et par elles, son zèle aborde


- 8 tou3 les noyons d'apostolat qui peuvent contribuer au relèvement de la religion. Il faut catéchiser les ignorants, ramener doucement les âmes égarées, relever l'éducation chrétienne d'enfants qui grandissent dans un lamentable abandon ! tâche immense, faite pour déconcerter une poignée de femmes sans ressources, et qui cependant les attire et les presse, Elles no veulent, du moins, rien négliger de ce qu'elles peuvent, elles se sacrifient à des tâches qui seront sans lendemain, mais qui sont nécessaires aujourd'hui, elles sèment où elles ne récolteront pas. Que leur importe si d'autres récoltent après elles^

L'effort que dût donner Thérèse, en un pareil temps, devait rapidement l'épuiser. Hâtons-nous, puisqu'elle se consume si vite, de revenir dans son intimité, d'écouter ce qu'elle dit aux autres, de surprendre les battements de son propre coeur. Sous la plume du P. do Clorivière comme sous celle de M. de Cicé, il est question de grandes grâces accordées à l'âme de Thérèse, et c'est là un double témoignage de valeur, mais nous aurions bien voulu avoir part un peu plus tci détail à la confidence de ces grâces. Nous ne manquerons pas cependant d'en trouver le reflet dans ce qui va suivre. Cette jeune Mère, si prompte aux saints enthousiasmes, va-t-elle savoir mesurer à chacune co qu'elle peut porter ? Ecoutez ce que précédemment elle écrivait à une amie pour l'initier à la pratique de la vertu : "Veuxtu faire avec moi un petit noviciat ? Tu es trop empressée et moi paresseuse, tu éviteras de faire vivement les choses qui te plaisent et les contraires tu les feras avec le plus d'empressement possible. Et moi, lâche que je suis, je tâcherai de m'empresser et je serai très active pour servir Dieu et le prochain... Dieu, semble-t-il quelquefois, nous Inspire beaucoup de choses, l'imagination a souvent part à cela"... S'agit-il de former une débutante à l'oraison ? "Qu'elle prenne pour sujets les grandes vérités de la foi et les mystères de Notre-Seigneur, sans vouloir se hausser à des considérations trop élevées, mais qu'elle soit souple à l'action de la grâce et laisse agir son coeur avec Dieu. Qu'elle se tienne habituellement devant Lui dans un état de dépendance et d'anéantissement, et s'humilie sous sos yeux infiniment purs... Que souvent dans la prière, elle se motte à la disposition de Dieu s "Seigneur que voulez-vous que je fasse?" Simples conseils, mais qui posent nettement les assises solides et larges de la véritable oraison. . A une personne qui a vu s'éloigner son guide spirituel et qui se plaint de ne pouvoir trouver un peu plus do solitude, elle témoigne d'abord la compréhension de ses regrets, puis élevant les pensées, elle ajoute s "Mais il est un moyen bien puissant pour nous consoler, c'est Ip- de tout quitter pour Dieu; 2°- de former au-dedans de nous-mêmes une demeure ' inaccessible aux humains, de nous perfectionner dans les voies de la vie intérieure, de faire mourir notre volonté pour accomplir celle de Dieu... Regardons 1103 âmes comme des déserts peu habités des créatures, mais remplis de Dieu seul". Dieu seul l Combien de fois ce mot revient sous sa plume. Il est comme la respiration d'une âme toute détachée , toute vide du créé et débordante d'amour de Dieu. "Je n'ai qu'un coeur, il est pour Dieu, je n'ai qu'une âme elle est à lui. J'ai perdu la mémoire de tout ce qui ne fait que passer,, mon esprit est inapte, ignorant pour les choses d'ici-bas, mais il est vif,


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pénétrant, ingénieux pour tout ce qui peut l'élever et l'unir à Dieu : voilà la science que je voudrais posséder". On sent bien qu'elle la possède, en effet, et d'une manière qui vient perfectionner la rectitude de son esprit en le plaçant dans une sereine et constante dépendance do l'Esprit de Dieu.. De là cette spiritualité à la fois haute et abordable, virile et chaude, souple et pratique, qui brille dans ses instructions. Elle parle d'expérience, une expérience qui n'est pas restée à mi-chemin, une expérience heureuse. Elle sait ce qu'il en coûte, et alors elle ne se lance pas en théories excessives ni en conceptions chimériques; elle sait co que l'âme trouve en se quittant pour Dieu, et alors avec quelle conviction elle s'écrie : "0 mort qui nous fait jouir do la vie, abnégation qui donne tant de joies!" Dans sa manière d'exhorter les âmes au renoncement, Thérèse fait toujours vibrer les appels de l'Amour divin. "Voulez-vous être sainte, écritelle, aimez beaucoup et l'amour vous instruira plus que tout ce que l'on pourrait vous dire". Et à une intime : "Dévouons-nous toutes entières à l'amour de Dieu. Pour lui aimons les souffrances, aspirons au plaisir surnaturel d'être humiliées, contrariées"... Elle revient souvent à ces preuves les plus sûres du véritable amour et au soin de garder son coeur libre de toute attache terrestre. "Ne nous appuyons jamais sur des bras de chair, on n'y trouve qu'un vide qui fait languir". "Soyons seules avec Dieu seul. L'attache trop forte aux créatures, même les plus saintes, est toujours dangereuse". Que ce détachement, que ce courage à ne s'appuyer que sur Dieu doive distinguer une vraie Fille du Coeur de Marie, cette vaillante religieuse sait le dire en termes énergiques. "Je trouve en toi une attache trop forte pour les secours. Que la Providence est admirable ! Elle purifie ceux qu'elle aime d'une manière toute divine. Attache-toi uniquement à Dieu, il est assez grand pour remplir ton coeur; n'aime les moyens qu'autant qu'ils viennent de Lui et qu'ils te détachent de tout ce qui est créé. Tu ne déplais pas à Dieu de le chercher avec ardeur, mais je te voudrais un ange, une âme qui forait ses délices de la croix, et je crois que je verrai mes désirs remplis". Même insistance dans une autre lettre s "Tu es un peu trop ardente dans ce que tu désires. Aimons ardemment l'état de dépendance où Dieu nous appelle. Point de désirs, point; de projets, n'ayons d'autres volontés que celles de Dieu et de nos Supérieurs, alors notre obéissance sera, parfaite. Rien n'est comparable à Dieu, rien par conséquent ne doit nous occuper au préjudice du souverain empire que Jésus-Christ doit avoir sur nos âmes. Pauvreté admirable qui nous enrichit de mille trésors; on ne veut plus rien que Dieu, on ne goûte que Lui, par le détachement intérieur de tout ce qui n'est pas éternel; les consolations sensibles ne le sont pas, mais bien Celui qui les donne, c'est donc Lui seul qui doit remplir l'immensité de notre coeur. Il y a un moyen bien puissant pour acquérir la paix, c'est de tâcher de comprendre l'étendue de ces mots : "Dieu seuil" Nul ne s'est occupé un peu des âmes sans en rencontrer qui sont rongées par les scrupules ou portées à se figurer que le principal soin do la perfection consiste à se replier sur soi-même. La page que nous .allons citer résume, d'une manière juste et complète, la conduite qui convient à ces âmes.


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"Que l'obéissance dissipe le trouble de ton âme et t'affermisse dans la paix. Rien de plus propre à acquérir cette paix que de céder volontiers aux lumières de nos Supérieurs. Tous les retours sur nous-mêmes sont dangereux. Il faut avoir Dieu tellement fixé dans l'esprit et dans le coeur qu'on ne voie que Lui en toutes choses. Sa grandeur, ses perfections infinies nous donneront le sentiment profond de notre néant. Sa bonté, l'immensité de sa Miséricorde rempliront nos âmes de confiance» Alors nos péché3 mêmes ne nous troubleront plus. Il n'y a point de vraie douleur du péché sans confiance; l'une .séparée de l'autre n'est plus digne de Dieu". "Si tu savais combien mon coeur' désire ardemment pour le tien la liberté que donne l'amour de Dieu. Mais pour en jouir il ne faut plus être esclave , il/faut l'acheter au prix de tout ce qui nous plaît. Aussi, en te recommandant d'être tranquille, je t'engage et te prie instamment d'être fidèle à la grâce, courageuse à vaincre tes répugnances naturelles, à mourir à ce qui favorise tes inclinations". •. Que de fois déjà la dévouée confidente a dû entendre les classiques redites des .âmes inquiètes, quand elle expédie comme une flèche ce joli billet : "0 pur amour, incendiez-nous! Tu m'affliges, ma chère amie, toujours troublée. Si tu te sons froide, venge-toi de l'Amour divin en lui donnant tous les instants de ta vie. Agds en tout comme si tu aimais beaucoup; le sentiment n'est rien, il ne donne point les vertus, et les oeuvres sont bien plus pures quand elles ne sont accompagnées que du désir do plaire à Dieu. Me cherche point tant à définir ce qui se passe en toi. La perfection est toute simple, ce sont nos idées qui l'embrouillent' Comme Thérèse se révèle bien dans ce mot si vrai Î "La perfection est toute simple". Ardente et généreuse dans sa réponse à l'appel divin, elle a dépassé, comme d'un grand élan, les "idées qui embrouillent", pour aller droit au coeur même de la perfection Î Dieu aimé et servi pour Lui-même, dons le plein accomplissement de sa volonté. C'est toujours à cette unité simple et haute qu'elle ramène les multiples devoirs de la vie parfaite» Car elle a soin de n'en oublier aucun; ainsi, par exemple, quand elle écrit : "Ne négligeons point les petites choses, elles, coûtent souvent plus à la nature que les grandes". Et autres paroles semblables. Elle connaît bien les heures d'épreuves où l'âme est laissée comme à elle-même, en proie à mille difficultés, sans goût, sans lumières; et voici comment elle les envisage : "Dieu seul, dans le trouble comme dans la paix. Que m'importe l Dieu est, cela me suffit. Il est le centre de la paix. Si jo ne goûte pas la paix, Il ne le veut pas, et je me réjouis dans sa Volonté... Le seul remède alors s mortification intérieure, actes d'abandon entre les mains de Dieu, lors même que nous le sentons loin de nous. Cherchons le Bien-Aimé à l'exemple dd l'Epouse; aimons l'oraison quand elle nous gêne"»... Vigoureuse doctrine, qu'elle ne propose aux autres qu'après se l'être appliquée à elle-même. D'où nous pouvons comprendre comment est établie en elle cette paix lumineuse qui lui permet de dire Î ^'Dans lo ciel, les Saints aiment Dieu et ne voient que Lui; il est facile, avec la grâce, de les imiter ici-bas". De ce sommet, elle no perd pas de vue la route où il faut toujours avancer. "J'aime à me dire : Je ne suis rien, Diou ost tout... Plus on s'enfonce dans l'abîme du rien, plus l'âme s'élève, se-fortifie et s'unit à Dieu; mais cela n'a lieu qu'après une parfaite connaissance de soi-même, et plus on se connaît, plus on devient humble. Vient ensuite la sainte habitude de 1 'humilité. 0 vertu inconnue


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et si précieuse,- que vous ôtes subline et peu pratiquée! On vous désire, mais on voudrait vous posséder sans travailler pour vous acquérir; on vous aime et on vous craint, on vous admire, mais on s'éloigne do vous. Vos pratiques paraissent dures à l'orgueil nais elles sont douces à l'âme qui vous désire sincèrement"„ Voici, présentée en quelques lignes, une genèse de vertus i "l'humilité donne l'obéissance, l'obéissance donne la paix, et la paix trouve Dieu. Quand on so connaît bien on se méprise, on souffre avec patience d'Être méprisé. Cette patience à tout supporter conduit à la joie que donnent les humiliations aux âmes vraiment éprises de l'amour divin. Si nous ne sentons point cet amour, demeurons dans notre néant, persuadées que nous ne méritons pas les faveurs de Celui qui no se communique qu'aux âmes simples". Inséparable do l'humilité et de l'amour de Dieu, la charité envers tout prochain a sa place de choix dans des avis qui toujours sont marqués de l'esprit de sacrifice. "La charité est victime de tout et elle s'en réjouit Il n'y a point d'hypocrisie à paraître bien aise quand on se sent fâché. Si nous nous livrions à tous les sentiments qui s'élèvent en nous, nous serions des monstres, nous ne pouvons être, saints qu'en étouffant nos passions". C'est envers les plus humbles, c'est aussi envers les plus fâcheux, que la charité doit être plus attentive à s'exercer sans défaillance. "Tes domestiques sont tes soeurs, et quoique dans un état plus bas, leurs âmes devant Dieu sont peut-être plus grandes que la tienne. Ta Résolution me plaît beaucoup de te donner toute.à la charité; il n'est pas de vertu qui ne soit plus propre à une religieuse. Qu'elle soit tendre, prévenante, s'oubliant volontiers pour les autres. Je te recommande par dessus tout le caractère difficile avec lequel tu vis, redouble d'attentions pour lui; no crains point, pour te ménager, do lui parler de ce qui coûte à entendre, mais rappelle-toi les caractères de la charité : "Elle souffre tout, excuse tout, pardonne tout". Il arrivait que se sentant en contact avec son âne très unie à Dieu, très éclairée dans les voies spirituelles, d'autres âmes guraient voulu qu'elle leur communiquât quelque chose dos. lumières de sa contemplation. Alors vivement Thérèse se récuse Î "TU te moques de moi, écrit-elle à une amie, en me priant do te parler des perfections divines, je ne les connais pas assez et tout ce que j'en dirais diminuerait ce qu'est Dieu.. Tout ce que je sais c'est qu'il est Dieu... Eloignons-nous bien loin de nous-mêmes, et alors nous goûterons combien il est doux de ne chercher que Dieu. Evitons de nous chercher dans ce que nous faisons pour Lui. Jouissons pour Lui, par Lui, jamais pour nous. Souffrons do môme. Il est plus uni à nous dans l'amertume que dans les douceurs, nous no le croyons pas, parce que nous aimons à jouir". Ainsi ramenait-elle toujours celles qui lui donnaient leur confiance à cette vraie doctrine spirituelle qui dispose les âmes à se livrer entièremont à Dieu et les rend aptes à recevoir les dons de sa libéralité infinie. Cette influence intime dont maintenant ses filles étaient les premières à bénéficier, Thérèse continuait de l'étendre à d'autres personnes. Elle en avait référé à Mère de Cicé et celle-ci lui avait répondu que de l'avis du P. de Clorivière comme du sien, elle forait bien de se prêter encore "à faire connaître et aimer Notro-Seigneur aux personnes du monde que la Providence lui amenait". Une seule réserve est rappelée, que cola


- 12 n'empiète on rien sur son premier devoir, celui de sa charge. A ce devoir, la fervente Supérieure apporte, avec toute sa conscience, tout son coeur, ce coeur si chaud qui ne bat que pour Dieu et ne rêve que de lui donner de3 âmes dévouées. Plus d'une fois on trouve-dans ses lettres dos mots brûlants qui prouvent sa délicate, et tondre sollicitude. Si elle excède en quelque chose, cl;est on se dépensant jusqu?à épuiser ses forces. : Dans les premiers mois de 1798 sa santé, qui n a jamais été robuste, donne dos inquiétudes. Silo ne fera plus que décliner, tandis que son amour pour Bieu et son aèlo jettent.leurs dernières flammes. Quand la maladie a enfin terrassé Thérèse, nous rencontrons à son chevet un prêtre do la Société du Coeur de Jésus connu depuis les jours de la Terreur. L-Abbé Vielle est un homme de haute sagesse et de vertu déjà consommée, on qui so révèlent les dons de la vie intérieure. Il était,bien fait pour comprendre une âme en laquelle la grâce consommait rapidement son oeuvre et qui n'aspirait plus qu'au ciel. Lui-même en a dit par écrit son souvenir admirâtif, après l'avoir assistée chaque jour pondant plus d'un mois. "Malgré le déclin de ses forces, écrit-il, son âme toujours active, toujours égale à elle-même, ne cessait de s'unir à Dieu, Avec quelle paix, quelle joie même, elle voyait approcher la mort à pas lents". Le jour où Mr. Vielle vient lui annoncer "la bonne nouvelle" que, de l'avis du médecin, elle peut mourir ce jour-là même, c'est un ravissement; mais il lui faut de la résignation pour une attente qui peut se prolonger encore. Et en effet plusieurs jours s'écoulèrent, de w ces jours précieux où l Amour divin, dans son ineffable largesse, semble vouloir décupler en peu d'instants toute l'oeuvre accomplie jusque là. "Toutes les vei-tus qui faisaient l'ornement de cette âme, dit encore Mr. Vielle, semblaient prendre une nouvelle vigueur"». Elles répandaient leur parfum surtout après la Communion. Alors "elle ressemblait moins à une mourante qu'à une sainte". Parfois la pensée de la pureté requise pour voir Dieu l'effraya, mais un mot suffisait pour ranimer sa confiance. Dans la nuit du 5 Décembre, son confesseur lui apporta le saint viatique une fois de plus. Quelques heures se passèrent encore, pendant lesquelles tous ses moments lucides furent consacrés à des actes d'amour. Pour ses filles elle avait donné son testament spirituel en deux mots : "Qu'elles pratiquent bien le renoncement et l'obéissance". On comprend que devint une telle fin l'Abbé Vielle se soit senti en'traîné à dire le Te Dounu

Amable était trop .affermie dans' la conformité à la volonté divine, elle gardait de Thérèse un souvenir trop céleste pour que ses larmes n'aient pas été toutes paisibles et consolées. Quel vide cependant laisse cette soeur qui ne l'avait jamais quittée et que tout rendait précieuse l L'épreuve se double encore, car il va falloir reprendre toutes les responsabilités. C'est Amable, en effet, qui est appelée à porter de nouveau la charge de Supérieure Pour deux années encore, elle aura près d'elle la Mère Marie de Jésus, s'effaçant toujours mais no se refusant jamais, "Je no serai dans la Société, avait-elle dit, que la servante des Filles du Coeur de Marie et


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plue honorée que je ne mérite d'y pouvoir rendre quelques services". Elle continuera jusqu'à sa mort, comme Assistante et Maîtresse des Novices, ces services où elle apporte une compréhension si parfaite de ce que doit être notre vie religieuse. Elle insistait pour qu'on fût "très regardant pour les admissions" et remarquait judicieusement i "Qu'on sache surtout comment•les-postulantes se comportent dans leur famille et dans leur milieu» C'est la. pierre de .touche". A Melle Desguets, de Ploùer, qui venait d'entrer et qui avait exprimé le désir d'être menée avec"une sainte sévérité", Melle Le Teïlier répondait : "Ce désir ne sera point satisfait, vous trouverez moins de sévérité que de douceur dans la conduite des Supérieures. Cette manière austère n'a pas été celle de notre divin Sauveur avec les disciples; ce n'est pas non plus celle qui réussit le mieux à faire aimer la vertu. Cherchez "beaucoup de zèle, de charité, d'exactitude et de fidélité dans ceux à qui vous donnerez votre confiance, mais non la sévérité". C'était "bien là ce que le P. de Clorivièro avait recommandé à Thérèse et qu'elle avait pratiqué. C'est bien là ce qui devait caractériser le long gouvernement d'âmable, nous aurons l'occasion de le constater. Pour se donner plus entièrement à leurs devoirs envers la Société, les deux soeurs étaient venues, dès 1795 ou 1796, s'établir à St Servan, point plus central et plus accessible pour 1,'ensemble des Filles du Coeur de Marie. C'est là que se retrouvaient/ocelles et que se formaient plus spécialement celles qui vont devenir les auxiliaires actives d'Amable pour la conduite des oeuvres naissantes, comme pour le soin des groupes plu3 ou moins nombreux disséminés en diverses localités. Dans son premier.plan, le Fondateur avait prévu que, en plus des Supérieures locales pour les centres . plus importants, il y'aurait des sous-prieures qui assureraient la pratique de la Piègle et de l'obéissance dans les moindres lieux. C'est ce qui se pratiqua dans les débuts qui nous occupent. Il en fut ainsi, en particulier, pour des groupes dont nous n'avons pas encore parlé, et qui pourtant avaient bravement traversé la tourmente. Ils'se situaient, selon l'expression du pays, "de l'autre côté de l'eau", c'est-à-dire sur la rive opposée de l'embouchure de la Rance. Là, dans des paroisses que le P. de Clorivière évangélisa lorsqu'il participait aux missions de campagne, il avait rencontré des chrétiennes si bien trempées et qu'il tenait en telle estime que, dès les commencements de la Société, il en avait ouvert la porte à quelques-unes. L'une d'elles aimait à rappeler qu'aux premiers jours de la Révolution elle avait fait sa consécration entre ses mains sous un pommier. Plus tard, lui-même dira que ces premières Pilles du Coeur de Marie des campagnes ont largement contribué à la conservation de la foi dans leur pays» Leurs âmes ont grandi encore, à la faveur de tout ce qu'il leur en a coûté. Dans ce temps là on risquait sa vie pour avoir une messe ou pour la procurer . à d'autres. Une fois le calme rétabli, cela ne paraît plus rien d'avoir à faire, par tous les temps, une pénible traversée en petite barque pour venir au principal centre religieux» Quand on débarque à Saint-Servan, parfois trempe par la pluie et les paquets de mer, et qu'après avoir glissé sur les'galets et les goémons, enfin on arrive près de Melle Chenu, on oublie tout dans la charité et la douceur de son accueil. Elle est Supérieure Commune de tous les


groupes de l'ancien diocèse de Saint-Malo. A Saint-Malo môme, elle ne tarde pas à établir Melle Louise de Gouyon comme Supérieure locale, puis elle lui confie le soin de visiter de petits groupes isolés de la côte qui, du reste, s'éteindront assez vite. Sous le gouvernement de Melle Chenu, Dinan, où Melle de Cicé avait semé, reprendra vie; Rennes et Titré commenceront, Fougères aussi. Auprès d'elle des vertus qui s'élèvent jusqu'à l'héroïsme laisseront leur empreinte sur la jeune Société. C'est Céleste Mettrie Offray, l'amie et l'émule de Thérèse Chenu. Après avoir méprisé les sourires dû monde, attiré par son éclatante beauté, elle s'est faite, selon l'expression d'un de ses biographes, l'ange des hôpitaux et dos prisons pendant la Révolution; elle s'est employée à ramener et instruire de pauvres dévoyés, elle a été chargée comme Maîtresse des Novices d'apprendre aux recrues do Saint-Malo les vertus qu'elle pratique si bien. Puis, après avoir donné le suprême exemple de la joie dans dé grandes souffrances, elle part pour le ciel un matin d'Ascension. C'est Amélie Sauvage, que la voix publique appelait "la sainte", Presque héroïne aux jours de la Terreur, alors que ses parents étaient prisonniers, elle est devenue ensuite la providence des pauvres et des malades, se faisant si pauvre elle-même que Mère de Cicé a dû avertir que c'est vraiment trop. Mais en même temps elle a dit sa joie d'avoir entendu parler des vertus et du zèle de cette enfant qu'elle a connue, et aussi de tout le bien qui s'accomplit par les.soins des demoiselles de Gouyon, en particulier dans leur organisation des "chambres de travail" On appelait ainsi une oeuvre d'apprentissage où des fillettes externes étaient initiées au travail, et en même temps moralisées et catéchisées. A une époque où l'ignorance et le vagabondage des enfants étaient devenus une plaie inquiétante, cette initiative accomplit un bien très appréciée "C'est la bonne manière de nous faire connaître" remarquait Mère de Cicé. Dès ses premières vues pour la Société, elle avait noté les retraites comme une oeuvre de choix à promouvoir, Melle Chenu eut à coeur de le faire et dans la maison du Rocher, des âmes, par centaines, profitèrent de ce grand moyen do rénovation chrétienne, et souvent de conversion. Visiteuses des prisons, des pauvres et des malades, les Filles du Coeur de Marie rencontraient des enfants abandonnés, et rares étaient alors les asiles qui pouvaient les recueillir. Ce fut l'origine d'un Orphelinat qui, plus tard, deviendra pour un temps l'oeuvre principale de la Réunion de Saint-Servan. Il fallait signaler, bien que nous n'ayons pas à nous y étendre, ces activités apostoliques qu'une mère infirme sut diriger pendant une quarantaine d'anno e s. Elle restait ainsi la vigie toujours attentive, dont le regard no néglige aucun point de l'horiaon, la Supérieure qui, comme d'un centre de prière et de paix, juge et conduit, dans une lumière sereine, tout ce qui lui est confié. Très pénétrée des responsabilités de sa charge, elle la portait comme une croix, surtout parce qu'elle s'en regarda toujours comme indigne et. peu capable. De temps à autre elle cherchait à faire valoir, pour être relevée de ses fonctions, et ses infirmités,


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et les déficits de son gouvernement, sans que nul consentit à l'écouter. Lorsqu'elle renouvela sa demande au début du généralat de Mme de Saisseval, celle-ci répondit que vraiment il n'était pas possible de croire son gouvernement si défectueux puisque tout le monde s'accordait à s'en déclarer content. Et cela était vrai de la part des Supérieurs ecclésiastiques aussi bien que du côté des filles do cette humble Mère. Le Père fondateur tout le premier avait une profonde estime pour son ancienne et chère fille restée là-bas, à la garde du berceau de la Société, Lorsqu'il s'était agi de préparer un directoire pour le gouvernement religieux, le Père avait voulu que Melle Chenu fut consultée. Un peu plus tard Mme de Saissâval lui envoie le travail commencé et lui écrit : "Examinez, joignez vos observations. Vous y trouverez des articles que vous avez fournis dans vos lettres et qui ont été soumis à notre Père. Tout ce qui se trouve dans cë directoire est extrait de ses lettres particulières ou de ses réponses à diverses questions. Il compte beaucoup sur votre expérience et votre longue habitude de la Société pour y ajouter'' .. Au lendemain d'une visite que Molle Chenu a faite dans la. Réunion de Vitré comme Supérieure commune, Mue de Saisseval écrit qu'elle y a laissé ses filles "dans l'enchantement". La figure des vrais amis de Dieu grandit quand on les connaît davantage. C'est ce qui nous arrive à mesure que nous rappelons des brumes du passé les souvenirs qui concernent Amable Chenu. Voici encore une parole très significative s "Son âme était si remplie de Dieu qu'une seule de ses paroles faisait une vive impression"., Mais toujours laconique, le manuscrit ne nous cite pas quelques-uns de ces mots qui pénétraient les âmes. Quant à la correspondance de la Servante de Dieu, elle n'a laissé que peu de vestiges. Cueillons ce fragment d'une lettre déchirée, qui n'est pas sans jeter un jour sur sa spiritualité. "Allez grandement à Dieu, de tout votre coeur, dans toutes les différentes dispositions que vous éprouverez. Pensez plus à l'aimable Jésus qu'à vous-même, et vous verrez comme il saura graver ses vertus dans votre coeur et que vous serez toujours son épouse chérie". Quelques lettres à une Fille; du Coeur de Marie éloignée qui a besoin de recevoir de temps à autre les mêmes encouragements, sont d'une doctrine solide, donnée avec largeur et suavité. Comme sa correspondante se trouve parfois dans l'impossibilité d'assister à la Messe : "Lorsque vous êtes empêchée d'approcher de la sainte Humanité du Seigneur, écrit la Mère, consolez-vous avec son divin Esprit. Il est Esprit de paix et de' joie.. Cette consolation est au-dessus de toutes celles de la terre, même spirituelles, car nous pouvons en être éloignées, tandis que l'Esprit de Dieu emplit tout". Puis elle exhorte à une constante fidélité envers cet Esprit divin s "C'est là, dit-elle, ce qui forme les âmes intérieures,. Ce m'est une grande consolation-quand j' en rencontre". De sa propre vie intérieure, que nous pressentons à ses effets, qui donc nous parlera ? Ce ne sera pas la coia^espoiulanco du P.de Clorivière. Amable nous dit elle-même avec quel regret elle s'est vue obligée en des jours d'alerte de livrer au feu les lettres du Fondateur. Et, chose plus surprenante, elle a détruit aussi des lettres reçues depuis 1799» prenant seulement copie de quelques passages d'ordre très général, comme celui-ci-


-16 "Ne vous étonnez pas de voir, des bons s'opposer à l'oeuvre de Dieu, C'est une rude épreuve, mais c'est ce-qui arrive dans tous les temps. Dieu a ses heures, il faut parfois les attendre longtemps, mais alors le délai est bien compensé par la grandeur du don". Parole encourageante, qu'elle a bien fait de nous léguer» Mais ce qui nous la ferait connaître davantage elle-même, elle n'a rien gardé, A cette époque, l'Abbé Vielle devint pour les Pilles du Coeur de Marie un appui toujours fidèle, malgré ses débordantes occupations dans la conduite du Collège de Saint Malo; et quand en 1813 il fut appelé à SaintèBrieuc pour1 être Supérieur du Grand Séminaire, ses visites et ses lettres apportèrent encore un précieux secours à Melle Chenu et à ses filles. Le P. Renault, qui vécut en ce temps auprès de lui, nous en donne un portrait qui est celui d'un saint, d'un aimable saint, doué d'un heureux équilibre et d'une prudence consommée. C'est ee prêtre éminent qui, plus que les autres, eut la confiance d>Amable et ses ouvertures les plus intimes. Dans les quelques lettres qui sont restées, il est question de la charge de Supérieure et Mr. Vielle écrit % "Il n'est pas d'oeuvre plus divine que.de se sacrifier entièrement avec Notre-Seigneur pour les âmes". Il est question de celles au bien desquelles leurs efforts conspirent; à propos de l'une d'elles, le Père spirituel recommande': "Sans la flatter, encouragez-la beaucoup, je me charge de la faire mourir". Il est question aussi des vertus où il faut exceller toujours plus 1 amour désintéressé, renoncement qui n'excepte rien, paix et joie dans les épreuves„ "Faites plus do cas, a écrit le directeur, de l'esprit d'abnégation et d'humilité que de toutes les consolations spirituelles". Mais à côté de cette maxime importante, cet homme d'une haute vie intérieure a aussi la juste appréciation des dons surnaturels, et comme il en discerne d'élevés et sûrs dans l'âme d'Amable, il ne craint pas de l'inviter en ces termes à en bénir la divine bonté ; "Voyez les grâces insignes que Dieu vous accorde, les faveurs admirables dont il inonde votre âme. Faites éclater votre reconnaissance, soyez toute de feu pour un Dioti qui vous est Lui-même' un feu consumant"... Sans doute, si Amable y avait songé,, elle nous eut privé de cette lettre, comme elle en avait détruit d'autres et nous ne saurions lui faire grief d'avoir voulu sceller "le secret du Roi". Mais par bonheur quelques lignes de Mr. Vielle ont suffi à déchirer le voile, Que signifient, en effet, surtout de la part d'un guide aussi sage, les expressions dont il se sert, sinon qu'Amable est.une do ces privilégiées en qui Dieu se plaît à verser les dons gratuits do son amour. Il y a même lieu de le remarquer, de telles paroles ne s'entourent pa,s des recommandations qui eussent été nécessaires pour une personne non encore familiarisée avec ce genre de grâces. Le directeur connaît Amable et il la traite comme une habituée des communications divines, dotée de discernement aussi bien que de solide humilité; il juge donc qu'il doit surtout la porter à se livrer en toute confiance et simplicité à l'action "du feu consumant". Cela fait, il se retire, en quelque sorte, pour laisser le Créateur lui-même agir en toute liberté dans cette âme si bien à Lui. Ses vertus sont la pierre do touche do la vérité des divines largesses et elles en reçoivent une nouvelle force, un rayonnement plus efficace, "Sa vue seule, disait-on, suffisait pour porter .les autres à la vertu".


- 17 La pratique lui en était devenue comme naturelle et s'accompagnait de bonne grâce et de gaieté,'en dépit de ses continuelles souffrances* De celles-ci elle ne parlait jamais, et on surprenait cependant des indices de ces moments plus douloureux s c'était sur son visage "un certain air de satisfaction et do joie", et parfois dans sa chambre un discret chant de cantique., Son esprit de pauvreté était tel que Molle d'Aeosta s'alarmait du peu qu'elle dépensait pour elle-môme et qui ne devait pas suffire au soin de sa triste santé. "Une des choses qui m'a toujours le plus frappée en elle, témoigne Mme de Saisseval, c'est sa parfaite obéissance", et elle rappelle à ce sujet une circonstance où Melle Chenu avait su montrer ce que c'est que d'obéir pleinement, quand même il en coûte beaucoup,- Les groupes de la Société formés dans les campagnes avaient eu, nous l'avons dit, une bien belle page au temps de la Révolution. Mais l'âge héroïque était clos, la difficulté de communiquer avec les Supérieures et surtout un recrutement trop facile avaient, ici et là, fait baisser le niveau religieux. Mme de Saisseval en fut frappée dans ses visites en Normandie, et le Chapitre de 1822 décida que ces petites réunions des campagnes devaient s'éteindre. La mesure était générale; elle atteignait donc tous les groupes de Bretagne qui étaient dans ces conditions. S'il s!en trouvait dont le déclin se marquait, d'axitres gardaient leur fervour et une action très utile dans leurs paroisses* La plus importante était celle de Plouër; elle fut visitée par Melle Dormoy, Assistante Générale, qui en porta un avis très favorable, et sa conservation fut assurée. Ce fut une grande consolation pour Melle Chenu, mais il lui fallait, pour quelques autres lieux, faire connaître la décision arrêtée de ne plus recevoir de sujets, et jeter ainsi dans la désolation plusieurs de ses anciennes filles qui voyaient mourir avant elles ce qu'elles avaient tant aimée "Quelque peine quselle en ressentit, écrit Mme de Saisseval, Melle Chenu s'employa de tout son pouvoir à adoucir les regrets que même des ecclésiastiques marquants témoignaient de la mesure prise". Saint-Brieuc groupait de nouveau des Pilles du Coeur de Marie bien choisies, grâce à la direction de Mr. Tielle. Son premier biographe en parle discrètement et dit qu'il "a formé des âmes intrépides et simples dont le Ciel est 1;unique but". Melle Chenu ne peut prendre de part directe à cette fondation, mais une de ses filles, Melle de la Baronnais, devint Supérieure commune pour le diocèse de Saint-Brieuoo Elle mourut en odeur de sainteté en 1830 et fut remplacée par Melle Jeanne Dutertre, de Binan, qui disparut peu d'années après, laissant aussi une telle réputation qu'on allait s'agenouiller sur son tombeau. "Prie pour lui ressembler" disait un père à sa petite fille. Mme de Palaiseau nous peint à cette époque, Melle Chenu une infirme qui à peine fait encore quelques pas hors de son fauteuil; son visage est amaigri, ses mains déformées, et cependant ce qui frappe le plus, c'est une dignité simple et baignée de recueillement. C'est bien le reflet de cette vie intérieure dont nous avons compris la. source profondec Lorsqu'enfin il fut bien vrai que l'-âge et l'état - de santé de la vénérable Supérieure étaient devenus obstacles au bon accomplissement de sa charge, elle la quitta sans effort, abandonnant aussitôt le soin de toutes choses


- 18 -■ à celle qui lui' succédait; elle lui récit aussi en mains sa petite rente pour ne plus penser qu'aux choses d'En-Haut. Depuis si longtemps qu'elle exerçait l'autorité, elle ne s'y était point attachée. Son humilité quasi invulnérable l'avait gardée de se croire nécessaire. Nous avons vu que tous pouvaient lui témoigner de la confiance sans qu'elle s'en élevât ou prévalut, et que Dieu lui-même pouvait la combler de ses dons sans qu'elle s'en appropriât rien„ Ce fut entre les bras de la croix qu!Amable Chenu entendit le dernier appel, car les souffrances qui ne l'avaient pas quittée depuis son enfance devinrent intolérables, par suite de la gangrène. "Il faut que je sois une grande pécheresse, disait-elle humblement, pour que le Bon Dieu me fasse souffrir ainsi". Elle avait été trop aimée pour que la fin de sa longue vie ne fut pas étroitement unie aux souffrances de notre-Seigneur. Elle s'éteignit le 1er Septembre 1848.

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