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Ed. Fournie^

Une À/Lalouine au temps de la Révolution

Madame des Bassablons d'aprea leà documenté de L'époqacj

DEUXIÈME ÉDITION

003-12: 124 pLibrairie E. WEIBEL 131, Boulevard Raspail PARIS VI»


Ed.

Une jMLaloume au temps de la Révolution

Madame des Bassablons d'aprèé leé documenté de l'époques)

DEUXIÈME ÉDITION

Librairie E. WEIBEL 131, Boulevard Raspaïl PARIS VI*



AVANT-PROPOS

Parmi les victimes de la Terreur que SaintMalo a comptées nombreuses, il en est une dont le nom se distingue comme très particulièrement vénéré. Cependant ce n'est pas sans raison que ce nom était rangé parmi les Silhouettes effacées que l'érudition de M. Herpin fit revivre naguère dans un intéressant ouvrage malheureusement épuisé. Au moment où les regards se reportent vers la période révolutionnaire et où l'Église elle-même y cueille des noms pour son martyrologe, il convient de remettre en lumière celle que ses contemporains honoraient comme une bienfaitrice de la cité, Madame des Bassablons. Au lendemain de la Révolution, l'abbé Manet, le prêtre chroniqueur qui a laissé à sa ville de précieux travaux, donne dans ses Biographies des Malouins célèbres une notice sur Mme des Bassablons, où se manifeste son admiration de témoin oculaire. Il parle aussi d'elle dans un ou deux courts passages de ses Grandes Recherches. Plus tard, l'abbé Carron écrivit un Précis de la vie de T. P. A. Guillaudeu, dame des Bassablons,


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« d'après les mémoires de ses plus respectables amis », qui fait partie du Supplément de la Vie des Justes dans les conditions ordinaires, inséré au tome IV de la Vie des Justes dans les plus hauts rangs [Paris, 1816). A ces sources, quelques souvenirs manuscrits glanés dans des papiers de famille sont venus s'ajouter, nous permettant de préciser plusieurs points. D'autre part, des documents de première valeur en leur genre nous sont fournis par les pièces du Procès qui envoya Mme des Bassablons à l'échafaud. Il convenait donc d'y puiser largement. C'est de ces divers éléments réunis qu'est tissée la présente Biographie, et le premier souci a été de rendre, aussi exactement que possible, la physionomie de l'héroïne. D'autres figures malouines, très intéressantes, se rencontrent au cours de sa vie, et nous avons donné un regard à celles qui l'ont approchée davantage, avec le regret de n'en pouvoir dire plus. Si certains points restent trop incomplets, de nouveaux renseignements permettront peut-être de combler un jour ces lacunes. Les multiples travaux historiques publiés depuis un certain nombre d'années nous ont donné la possibilité de reconstituer le cadre où a vécu Thérèse des Bassablons, de revivre avec elle les terribles circonstances quelle a traversées. Quant à elle, pas une ligne n'est restée de sa main, et son humilité a emporté dans la tombe bien des secrets. Aussi un de ses concitoyens remarquait-il jadis : « Ecrire la vie d'une de nos plus admirables Malouines ne sera pas une œuvre de longue haleine », et il en donne cette raison


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qu'elle mettait un soin jaloux à dérober aux regards la connaissance de ses mérites. Cependant, écrit de son côté l'abbé Carron, « il est presque impossible de trouver une vie plus remplie de ferveur, d'édification et de zèle que celle de cette sainte, s'il est permis d'employer ce titre glorieux que tout le monde à Saint-Malo s'empresse à lui donner ». Le nom de sainte comme celui de martyre se rencontreront encore dans les pages qui vont suivre, mais plutôt dans les citations des contemporains, car plus d'une fois la plume s'est arrêtée par respect pour les décisions du SaintSiège, près d'examiner les causes des martyrs du Tribunal Révolutionnaire qui lui sont présentées. Finalement soumis au jugement de la sainte Église, l'auteur rejette par avance tout ce qui n'y serait pas entièrement conforme dans ces pages.


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La famille. — La jeunesse. — Le mariage. Le 3 décembre 1728,"en la fête de saint FrançoisXavier, une enfant était donnée à l'un des foyers les plus chrétiens de la chrétienne cité de SaintMalo. Baptisée le même jour, elle reçut les noms de Thérèse-Pélagie-Anne. Elle était fille d'Ecuyer François-Joseph Guillaudeu, sieur du Plessis,etde dame Marie-Thérèse Eon, tous deux d'ancienne familles bretonnes. Le nom des Guillaudeu figure honorablement au xvi" siècle sur les registres de Vitré et des environs, avant de se trouver un peu plus tard dans les archives de Saint-Malo (1). Ancien maire de cette ville,le grand-père de Thérèse était déjà plus que septuagénaire quand elle vint au monde. Du côté maternel, l'enfant appartenait à une souche antique aux branches nombreuses, dont quelques-unes s'étaient particulièrement distinguées sur divers terrains et dans les 1. Les Guillaudeu portaient d'azur au gantelet d'argent en pal.


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services rendus au pays. Il n'est guère, semble-t-il, de familles nobles dans cette région qui ne rencontrent au moins un Eon dans leurs généalogies. C'était en 1717 que Pierre Eon de Ponthaye avait accordé la main de sa fille Marie-Thérèse à François Guillaudeu. Des onze enfants qui naquirent de cette union, plusieurs moururent très jeunes. Quatre vécurent : François et Louis, Thérèse, qui fut la huitième, celle qui nous occupe, et enfin Jeanne, de douze ans plus jeune, la dernière venue. L'hôtel où naquit Thérèse n'est pas un de ceux dontl'altière silhouette domine encore les remparts, face à la mer et à ses tempêtes ; plus tranquille, la demeure des du Plessis était située entre la cathédrale et la porte de Dinan, dans la rue Vicairerie. Les malheureux en connaissaient bien le chemin, car il y avait là gens très aumônieux et compatissants. Et de même, les pauvres de Paramé trouvaient toujours bon accueil quand, à travers champs, ils venaient porter leurs doléances au Plessis-Pontpinel, où la famille passait la belle saison. C'était une des nombreuses terres nobles de la région, désignée comme possédant moyenne justice au commencement du xvic siècle. Isolé dans la campagne paraméenne, et à l'abri des grands vents de mer, le manoir s'enveloppait de verdure en été. C'est là qu'au temps même où la nouvelle venue du foyer l'égayait de ses premiers sourires, une chapelle se parait, toute fraîche, dont les maîtres du lieu voulaient faire hommage au divin Cœur de


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Jésus. Elle fut érigée sous ce vocable en mai 1732, avec fondation de messes tous les vendredis. Le zèle des pieux époux ne s'en tint pas là : deux ans plus tard, nous les retrouvons devant les notaires royaux, apostoliques et héréditaires, établis à Saint-Malo. Il s'agit, cette fois, de l'érection d'une Confrérie du Sacré-Cœur en l'église de Paramé, et la dame du Plessis prélève sur sa dot une rente annuelle pour assurer la célébration solennelle de la fête du Cœur de Jésus, le vendredi après l'octave du Saint Sacrement, avec grand'messe propre de la fête, amende honorable, vêpres et salut. Cette Confrérie, approuvée le 1er juillet 1734, par Mgr Desmaretz, évêque et seigneur de Saint-Malo, et enrichie d'un bref d'indulgence du Souverain Pontife, avait des réunions mensuelles dans la chapelle déjà inaugurée. Sous le long épiscopat de l'évêque qui venait de favoriser ainsi le développement du culte du SacréCœur, le jansénisme avait pris une forte influence dans le diocèse, et Paramé en avait souffert particulièrement. Avec ce sens que donne un profond esprit chrétien, les châtelains de Pontpinel étaient allés droit au remède préparé par Dieu même. De telles initiatives, encore rares à cette époque, hâtaient le triomphe de la grande dévotion, et celle-ci, en retour, faisait pleuvoir des grâces de choix. Sous son chaud rayonnement s'épanouirent en l'âme de Thérèse Guillaudeu, des vertus qui devaient faire d'elle comme la divine récompense de la piété de ses parents. C'est bien une disciple de Jésus doux et humble de cœur que nous présente son premier biographe :


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« Sa jeunesse fut un modèle en tous [genres, nous dit-il, mais brillaient surtout en elle une humilité profonde et soutenue, une modestie admirable, une charmante égalité de caractère. » Les délicatesses de sa piété filiale, qui s'annoncèrent dès ses premiers gestes d'enfant, grandirent de pair avec une débordante compassion pour ceux qui souffraient. Elle prenait plaisir à donner tout ce qu'elle pouvait, et y mettait la bonne grâce de sa nature vive et gaie. Dans la vie familiale, ainsi que dans un couvent qu'on ne nous nomme pas, mais où ses parents lui firent donner une instruction soignée, la jeune fille se pénétra toujours plus des fortes vues de la foi. Il était comme impossible qu'au cours de sa formation chrétienne elle ne rencontrât pas, à certaines heures, cet esprit janséniste dont nous parlions plus haut et qui semblait avoir pour idéal de ne montrer aux âmes qu'un Dieu lointain et menaçant. Ceci ne fut sans doute pas étranger à l'état d'une conscience extrêmement timorée qui, plus tard encore, sera une cause de souffrance pour Thérèse, sans cependant altérer sa bonne humeur ni arrêter le don d'elle-même. Il faut ajouter aussi que sa mère, dont l'éminente piété tempérait seulement le caractère sévère, la tenait dans une étroite dépendance, et, sous cette rigide emprise, une âme vibrante et sensible comme celle que nous entrevoyons déjà, ne pouvait guère manquer de devenir trop craintive, et un peu inquiète dans sa constante recherche du devoir. Beaucoup d'éducations de cette époque portaient ce caractère vigoureux et serré à l'excès. N'en


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médisons pas trop ! Il se pourrait que nous souffrions actuellement de l'extrême opposé... Et puis, combien de femmes vaillantes se façonnaient ainsi : elles avaient appris à se vaincre, donc à vouloir quand il le fallait ; elles savaient porter le poids de la vie, se dévouer et sourire. Si leurs physionomies semblent parfois, au premier abord, un peu effacées, un regard plus attentif y découvre des valeurs d'une pure et forte beauté. Celle que nous étudions est du nombre, nous le verrons. Tandis que Thérèse grandissait, son frère François, obéissant au désir des siens ou à la fascination de la mer, avait embrassé la carrière de tant de Malouins et avait dû, selon l'usage du temps, s'embarquer tout jeune ; plus tard, on le retrouve fixé à Saint Domingue. Louis, suivant une voie plus haute, se préparait aux saints ordres. Jeanne, la petite sœur, restait, avec son aînée, la joie des parents autour desquels tant de vides s'étaient creusés. Après les petits-enfants prématurément enlevés, l'aïeul vénéré avait disparu aussi, âgé de quatre-vingts ans. La jeunesse de Thérèse n'a guère vu d'autres événements. Elle s'est écoulée grave et sereine, tantôt dans l'enceinte de Saint-Malo, tantôt sous le toit paisible de Pontpinel. Là, comme à la ville, la part des côtés frivoles de l'existence était fort mince, très grande la place faite aux œuvres pies. C'était là tradition de famille, qui, recueillie dans une âme privilégiée, ne tardera pas à porter son fruit le plus beau. Tout, du reste, à ce foyer, se passait à la manière antique, dignement et simplement. La jeune fille y terminait le noviciat d'une


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vie qui ne cessera jamais d'être, sous des formes diverses, vraiment toute donnée au service de Dieu et au bonheur du prochain. Sans se hâter de la produire dans le monde, ses parents méditaient cependant pour elle des projets d'avenir. Un jour, elle fut appelée au salon; un jeune homme s'y trouvait qui lui fut présenté, c'était un prétendant. Dès la fin de l'entrevue, le père fit part à sa fille de la demande en mariage et ajouta : « Votre mère et moi trouvons la chose bonne... Vous convient-il? » Et Thérèse répondit avec abandon : « Mon père, s'il vous convient comme gendre, il me convient comme époux. » Celui qu'elle acceptait ainsi des mains de ses parents, comme de celles de Dieu, était Ecuyer Claude-Marie Vincent, sieur des Bassablons. Ce qui l'avait séduit en Mlle du Plessis, qu'il connaissait seulement par quelques rencontres, c'était, avec le charme de sa physionomie, la belle simplicité qui rayonnait en elle ; il savait aussi quel ensemble de qualités et de vertus louaient déjà ceux qui la voyaient de plus près. D'âge en âge, les annales malouines comptent des Vincent, dont quelques-uns avec des titres de noblesse plus ou moins anciens. Noble homme Guillaume Vincentporte, au xvn* siècle, lenomdes Bassablons, qui se rattache à une plage et à un quartier de la cité servanaise (1). Son fils, Jacques, figure parmi les premiers qui, au commencement du xvme siècle, entreprirent à leurs frais de grands 1. Vincent des Bassablons portait d'argent à une bande de gueules, accompagnée de trois coquilles en chef, et en pointe de deux hures de sanglier et d'une rose, le tout de gueules.


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travaux d'amélioration du port et des alentours. Après le dessèchement des marais, et d'accord avec ses associés, Jacques des Bassablons eut la pensée de travailler à la création d'une nouvelle paroisse et fit des démarches en ce sens, ce qui n'eut pas le don de plaire aux bons habitants de SaintServan. Le projet ne devait se réaliser qu'au siècle suivant, par l'érection d'une jolie église dédiée à Marie, Secours des chrétiens, et située au milieu des anciens marais, entre Saint-Servan et Paramé ; un peu plus loin, dans une ondulation de terrain, se cache lePontpinel. L'homme d'initiative qui s'employait si activement au service de ses concitoyens mourut en 1737, laissant trois enfants : Claude, celui qui vient de demander la main de Thérèse du Plessis, Françoise, déjà mariée à Jean-Baptiste Magon (1), Olympe, qui épousera deux ans plus tard Pierre de Francheville, président à mortier, conseiller au Parlement de Bretagne (2). Le nom des Bassablons ne devait pas voir une génération de plus, une autre pérennité lui était réservée. Celle qui, la dernière, le portera, dans la haute noblesse de la vertu et du sacrifice, la fiancée de ce récit, trouve dans son nouveau blason une rose entre deux têtes de fauves, armes parlantes qui conviendront à sa mémoire, car son existence, commencée sous un aspect d'idylle, doit avoir une belle fin tragique. Le mariage, que plus haut nous avons vu se 1. Jean-Baptiste était fils de Nicolas-Pierre Magon, seigneur de la Chipaudière, et de Marie Gilbert; il mourut à SaintServan en 1748. 2. Pierre de Francheville mourut à Saint-Servan en 17S6.


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conclure d'une manière si patriarcale, eut ses préparatifs conformes aux usages de temps et de lieu. Le trousseau, les mille détails du futur intérieur y avaient très large place, c'était la part de l'activité féminine, la mère de la fiancée y pourvoyait avec amour. Tout était solide, souvent riche, toujours abondant, fait pour durer une vie entière et au delà, comme si déjà on avait pensé aux legs à faire à d'arrière-petits-enfants. Ces simples coutumes avaient une âme : l'idée très vivante de la stabilité et de la continuité du sanctuaire familial. Dans un milieu traditionnel comme celui des Guillaudeu, la période préliminaire du mariage restait nuancée de gravité, et quand mère et fille devisaient dans les derniers jours qui leur restaient à passer ensemble, c'était d'un même regard de foi qu'elles envisageaient l'avenir. Thérèse n'a pas dit tous ses secrets, mais le pur parfum de sa jeunesse en révèle quelque chose. On devine avec quelle candide fraîcheur et quelle sincérité son cœur se donnait à celui dont la vie devait être désormais sa vie ; on devine aussi que plus d'une fois ses yeux se voilèrent de larmes, en pensant à la séparation des siens et à l'inconnu qui s'ouvrait devant elle. La bénédiction nuptiale fut donnée aux nouveaux époux en la cathédrale de Saint-Malo, le 13 février 1747, Claude avait trente-cinq ans, Thérèse à peine dix-neuf. La jeune femme restera ce qu'était la jeune fille, elle en donne un gage dès le lendemain de ses noces, en envoyant à l'hôpital les trois mille francs que son mari vient de lui offrir pour ses menus plaisirs.


II

Le pays. — Le foyer. — La vie du inonde.

Son mariage n'éloignait pas la nouvelle Mme des Bassablons du sol natal, son existence entière s'y écoulera. Le cadre où elle vécut appelle un regard, et sa physionomie nous y apparaîtra dans une plus complète et plus vivante réalité. Le pays était alors en pleine prospérité, et, sans perdre son cachet très spécial, il empruntait une nouvelle originalité à ses entreprises cololoniales et à ses relations avec l'Espagne. Centre de toute cette activité, Saint-Malo conservait jalousement ses vieux usages dont la plupart remontaient à ses origines (1). Ce lieu était d'avance sanctifié par l'ermitage de Saint-Aaron et le tombeau de saint Malo. Dès ces premiers temps, l'évêque de la contrée s'était vu appelé par l'amour de son peuple à en être le seigneur ; et depuis i que le bienheureux Jean de Chatillon eut, au :xne siècle, transféré le siège épiscopal dans la cité surgie aux flancs de l'îlot rocheux, les deux titres,

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1. Seuls les chiens du guet s'étaient vu supprimer pour avoir manqué de discernement dans l'usage de leurs redoutables crocs. 4


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évêque et seigneur de Saint-Malo, ne cessèrent plus d'être unis; au xvme siècle, la juridiction du prélat et de son Chapitre sur le gouvernement de la ville est de nouveau confirmée. Gela n'allait pas sans quelques démêlés entre le vénérable Chapitre co-seigneur et messieurs de la communauté, juste assez pourrompre la monotonie de l'existence et entretenir l'amitié. La ville tenait de la Couronne, en échange de ses loyaux services, de larges franchises, entre autres le droit de fondre des canons et celui de prendre sous sa sauvegarde ceux qui se réfugiaient en ses murs. Avant la fin du siècle, la Révolution aura vite fait de mettreiibon ordre à tant de liberté. Les chevaliers de la mer, à la fois commerçants et soldats, qui s'éloignaient pour un temps, n'oubliaient pas leur fier rocher ; ils y revenaient avec joie et consacraient au bien de la cité une part des richesses amassées. Ces Bretons traversaient les périls de l'Océan plus volontiers qu'ils ne paraissaient à la cour. Aux colonies même, une petite Bretagne se reconstituait. Aussi, terriens et gens de mer ne perdaient pas le contact, et les alliances se multipliaient entre eux. « Enfermés le soir dans leurs murs sous la même clef, les Malouins ne formaient qu'une famille », dit Chateaubriand, et il nous vante la simplicité des mœurs, la dignité des femmes, tandis qu'un auteur plus obscur nous dit la loyauté des contrats, où des fortunes s'engageaient sur la simple parole donnée. La Compagnie des Indes avait apporté à ce pays, autrefois peu fortuné, des richesses qui favori-


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saient la vie facile, et peu à peu se multiplièrent de joyeuses réunions, fort appréciées des Malouins et des Servannais. C'est dans leurs salons que nous allons retrouver la jeune Mme des Bassablons, car de la maison paternelle aux habitudes austères elle a passé à une vie de fréquentes relations avec le monde, que son mari aime et où il se plaît à la conduire. Avec une bonne grâce parfaite, elle s'y prête, — c'est son devoir, — sans être ni séduite ni entraînée par le tourbillon extérieur. Elle réalise, à la manière chrétienne, le mot prêté à une païenne de l'ancienne Rome : « Partout où tu seras Caïus, je serai Caïa. » Mais nous la verrons à son tour entraîner avec elle vers de plus hautes joies celui qui lui est si cher. Telle que nous la connaissons, il est fort à croire qu'elle a trouvé un exercice de patience dans ces interminables repas où, selon l'expression de Mme de Sévigné, la bonne chère était excessive, et les pyramides de fruits si hautes qu'elles s'écroulaient en passant sous les portes. L'hiver, c'était dans l'enceinte de la ville que les grands appartements aux doubles fenêtres s'ouvraient largement. Aux beaux jours, le cercle des relations s'étendait encore. De massives berlines « aux panneaux surdorés », attelées de quatre ou même de huit chevaux avec grelots aux brides et housses multicolores, franchissaient la porte Saint-Vincent, s'engageaient sur le Sillon qui relie la ville à la terre ferme, et après avoir passé devant un calvaire que tous saluaient, elles disparaissaient dans la campagne en diverses directions. C'étaient les riches citadins qui rega-


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gnaient leurs demeures d'été : anciens manoirs, rappelant encore la Bretagne féodale, ou habitations plus récentes, spacieuses et parfois somptueuses, avec leurs terrasses, leurs orangeries et leurs allées couvertes s'ouvrant, de temps à autres, sur de délicieux points de vue. Ici ou là, les petites gentilhommières d'une vieille noblesse sur son déclin montraient à demi leurs toits moussus. Ces terres se trouvaient souvent tenancières les unes des autres, et c'était un curieux enchevêtrement de restes de droits seigneuriaux, plus compliqués que terribles. Toutes ces propriétés se touchaient presque dans un rayon de quelques lieues, entre Saint-Malo et Dol, la mer et la Rance (1). Plus loin, elles s'espaçaient davantage. « On se retrouvait donc aux champs, et on allait dansant, de voisins en voisins, et jouant la comédie. » Au milieu de cette société à l'entrain débordant, la femme de Claude des Bassablons portait cet air de noblesse et cette simplicité, cette réserve calme et souriante qu'on lui connut toujours. Elle était gracieusement parée, mais ne consentait pas à faire usage des savantes ruses dont les femmes d'alors se servaient souvent pour relever leur beauté... ou y suppléer. Un talent de conversation souple et impersonnel lui permettait de modérer gaiement les propos un peu gaulois assez de mode à cette époque et de rendre, nous dit-on, l'entretien intéressant. C'était souvent, sans doute, en faisant causer ces revenants de la veille, hardis capitaines 1. Région connue sous le nom de Clos-Poulet, bizarre corruption du Plou-AIeth de l'ancienne Armorique.


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ou habiles colons qui, depuis des mois, parfois depuis des années, avaient quitté le pays. Naturellement portée à l'esprit de critique et à la repartie piquante, Thérèse se surveillait sévèrement et gardait, parfois jusqu'au scrupule, les délicatesses de la charité. On l'en plaisantait souvent, on la raillait quelquefois, elle ne changea rien : elle tenait trop à la pureté de sa conscience, elle avait trop au cœur l'amour de son prochain, et peu lui importait l'opinion humaine. L'opinion s'en arrangea ; ne fallait-il pas lui pardonner ses exagérations, ou ce qu'on taxait ainsi, puisque, chacun en convenait, elle était aimable à tous et elle était spirituelle. De ces relations mondaines, la jeune femme revenait avec joie aux intimes causeries du foyer paternel. Elle avait trouvé aussi dans la famille de son mari des cousins, deux frères et une sœur, dont les goûts sérieux sympathisaient avec les siens. MM. desGuimerais et de Villemain, Mlle des Guimerais étaient fort gens de bien, très adonnés aux œuvres de charité, auxquelles ils consacraient la plus grande partie d'une belle fortune. D'une famille de quinze enfants dont presque tous étaient déjà morts, ils semblent avoir porté allègrement des tempéraments assez frêles qui ne devaient pas voir la vieillesse. Ils habitaient SaintServan, non loin sans doute du domaine des Vincent des Bassablons. De l'ancienne Aleth, où l'évêque Malo avait eu son siège au vi" siècle, les incursions ennemies avaient laissé peu de chose ; mais le mouvement et la vie n'avaient pas tardé à renaître sur le sol ravagé, et de jolies résidences


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formaient à la baie aux flots bleus une couronne de verdure. Dans le cercle familial qu'entr'ouvrent les souvenirs d'alors, Thérèse pouvait épancher un cœur qui, sous une imperturbable sérénité, cachait plus d'une épreuve. Son foyer restait sans enfants, et son mari et elle n'auraient osé appuyer ensemble sur leurs regrets ; si une petite fille était née, le Ciel l'avait reprise quelques jours après. Il était un autre chagrin secret, dont les cousins de Thérèse connaissaient avant elle la cause. « Claude des Bassablons était un bon citoyen, un homme charitable, un ami fidèle, » nous dit un contemporain, et c'était aussi un époux très attaché à sa jeune femme; mais celle-ci n'avait pas tardé à s'apercevoir qu'imbu des sophismes de l'époque, il était éloigné de Dieu. Ce n'était pas chose rare, même en ce pays de foi, où un certain docteur, ami de Voltaire et client du roi de Prusse, avait contribué à mettre en honneur la fausse philosophie parmi ceux qui se piquaient de culture ; dans tels manuscrits de ce temps, on pourrait retrouver, en un bizarre amalgame, des sentiments encore chrétiens et des élucubrations imitées de J.-J. Rousseau. En face de la tâche délicate et difficile qui va être son premier apostolat, la jeune femme ne s'est pas déconcertée. Pour une âme comme la sienne, c'est une profonde amertume, mais elle l'ensevelit dans la prière, s'appliquant d'abord à gagner le cœur de Dieu. Avec son mari, elle se montre la compagne prête à se plier à tous les désirs, égale, enjouée, entretenant autour d'elle la bonne entente de toutes choses. Elle a les dons persuasifs qui


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font les lentes conquêtes, elle sait profiter des moments favorables pour agir sur le cœur et l'esprit de ce mari qui la chérit et qui l'admire. Imperceptiblement les idées de M. des Bassablons se modifient, et au bout d'un certain temps, — nul ne nous apprend quelle en fut la longueur, — il retrouve enfin dans sa plénitude la foi de sa jeunesse, il en vient même à une piété solide. Désormais, les deux cœurs battent pleinement à l'unisson, et il est aisé de deviner quel cantique d'action de grâces s'élève dans l'âme de Thérèse quand maintenant son mari est auprès d'elle, non plus seulement de corps mais d'esprit, dans les grandes cérémonies de la cathédrale. Le noble édifice du xne siècle se remplissait aux jours de fête d'une foule compacte. A la suite du clergé, les autorités civiles et militaires paraissaient ; le chœur s'illuminait du scintillement multiplié des cierges, la nef et les chapelles restaient d'abord dans la pénombre ; peu à peu de petites bougies s'allumaient l'une à l'autre, que chacun avait apportées de chez soi pour suivre l'office dans de gros livres d'heures. « Le soir au salut, écrit Chateaubriand, toute cette multitude chantait en chœur le Tantum ergo, et quand les voix se taisaient au moment de la bénédiction, on entendait les rafales frôler les vitraux et ébranler les voûtes... » Ce sont souvenirs de jeunesse que rappelle là, longtemps après, le grand auteur, et il regrette « ces solennités de religion et de famille où la patrie entière et le Dieu de la patrie semblaient se réjouir ensemble (1) ». 1 Chateaubriand, Mémoires, t. I.


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Il était d'usage de faire, à certaines fêtes, des stations à divers sanctuaires, dévotion à laquelle s'attachaient de nombreuses indulgences. Nobles et artisans se rendaient, nu-tête et le chapelet à la main, entourés de leur famille, au sommet du rocher de Saint-Aaron, premier lieu où l'ermite apôtre établit jadis le culte ; et, de là, dans d'autres chapelles. Il y avait aussi, de temps en temps, dans les îles ou sur les forts entourant la ville, des « Assemblées », à la fois pèlerinages et rendezvous de populaires distractions où se retrouvaient habitants de la ville et des champs, grands et petits, moines et pieuses confréries, dans le plus pittoresque mélange. Si Mme des Bassablons assista nécessairement à ces joyeux spectacles, ses yeux, prompts à s'émouvoir, virent aussi les scènes de désolation que ramenaient les terribles caprices de la Manche. Il ne se passait pas d'année, — si périlleuse était encore la navigation, — où quelque vaisseau ne se perdît en vue de la côte. Si un espoir restait, des sauveteurs exposaient leur vie. Pendant ce temps, des poitrines haletantes jaillissaient des invocations et le cantique si cher alors aux matelots, que tout le monde savait par cœur : « Je mets ma confiance, Vierge, en votre secours... » Les jours suivants, la mer roulait aux pieds des remparts les cadavres d'hommes inconnus, et les enfants s'arrêtaient saisis de stupeur devant ces étrangers « morts si loin de leur pays. » — « Rien n'est loin de Dieu », disait alors à son fils atterré une noble chrétienne. Ce devait être aussi la pensée de Mme des Bassablons, en donnant à ces trépassés


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l'aumône d'une prière; en même temps, tout près d'elle, ces lendemains de naufrages laissaient souvent des veuves et des orphelins, et son cœur allait à eux, empressé de leur porter consolation et secours. M. des Bassablons avait de tout temps favorisé l'attrait de sa chère Thérèse pour l'assistance des malheureux ; il le fit davantage à mesure que les années leur laissaient moins d'espoir de postérité et que lui-même goûtait mieux le prix surnaturel de la charité. Dès 1751, il avait agréé qu'elle s'affiliât à la Congrégation des Dames de la Charité fondée par saint Vincent de Paul et établie à SaintMalo depuis plus d'un siècle. Cette institution, bien connue et si vivante dans beaucoup de villes du royaume, portait de grands fruits. Ce fut à ce moment que M. des Bassablons voulant fixer les traits aimés, encore dans leur fraîcheur, fit faire de sa femme un gracieux pastel. Plus tard, une servante accomplissant avec zèle des ordres de nettoyage, la fragile peinture ne résista pas à un traitement trop énergique; survint la maîtresse qui s'égaya de la piteuse mine de son image et consola en riant la maladroite. On la soupçonna même d'avoir provoqué la catastrophe. En tout cas, l'incident, qui nous a privés d'un portrait de jeunesse, nous arrête devant une physionomie morale si exempte de vanité comme d'autres petites passions mesquines, et si sympathique dans sa bonne humeur puisée à haute source, dont le reflet dore autour d'elle les mille riens de l'existence. Les premiers biographes de Mme des Bassablons aiment à insister sur cette gaieté, sur le charme de


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sa vie d'intérieur et de ses relations comme de ses œuvres. De celles-ci, elle avait si jeune fait l'apprentissage, elle les continua si constamment que plus tard l'abbé Manet écrira : « Il n'est peut être pas un seul grenier dans nos murs où, pendant près d'un demi-siècle, cette notre Dame de bon secours, comme on l'appelait, n'ait porté la consolation et la paix. » Elle aimait de prédilection les malheureux, ils le sentaient, et le mot réconfortant qu'elle leur laissait avec un sourire continuait de les illuminer quand elle avait disparu. La famille n'en gardait pas moins l'entier dévouement de Thérèse, et elle revenait avec aisance partout où était sa place. L'année 1762 vit les fêtes du mariage de sa sœur Jeanne, qui épousa Guillaume-Maurice de Launay, conseiller du roi, lieutenant général de l'Amirauté pour l'Evêché de Saint-Malo et pour celui de Dol. Mme des Bassablons eut la joie de bercer cinq neveux, mais de ce nombre, deux, les fils, moururent encore enfants ; trois filles grandirent. Quatre ans après avoir marié sa dernière fille, Mme du Plessis s'éteignit, ayant noblement rempli sa tâche de mère chrétienne. Un autre deuil était proche. Claude des Bassablons, atteint d'une maladie dont les crises étaient un navrant spectacle, fut réduit bientôt à un état désespéré et perdit complètement sa connaissance. Pendant cinquante jours, assidue à son chevet, sa femme l'entoura de mille soins, guettant la lueur fugitive qui eût permis une dernière préparation à l'éternité; elle dut en faire le sacrifice, mais sa prière, qui avait ramené cette âme à Dieu, ne pouvait être moins puissante pour attirer sur elle,


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quand vint l'heure suprême, les miséricordes du Cœur de Jésus. Ce jour-là — c'était le 10 mai 1768 — selon un antique usage, on put entendre quelques instants une des cloches de l'église gémir avec l'agonisant, pour convier ses frères à l'assister devant Dieu ; et, le soir, à l'heure du couvre-feu, un veilleur parcourut les rues, une sonnette à la main, en jetant cet appel aux habitants de la bonne ville : « Dites vos prières pour l'âme qui fut au corps de Messire Claude-Marie-Vincent, Sieur des Bassablons. »


III

Le veuvage. — La vie parfaite. — Les œuvres.

Dès les premiers jours de son deuil, Mme des Bassablons vint partager la vie de M. du Plessis, qui était seul maintenant et qui, depuis la mort de sa femme, tournait plus encore ses pensées vers l'éternité. Comme autrefois son père, il avait passé quelque temps à la tête de la communauté de ville, en qualité de maire de Saint-Malo; désormais, il prenait une part moins active aux affaires de la cité. Abbé de la noble confrérie de Saint-JeanBaptiste, titre honorifique qui ne comportait ni entrée dans les ordres, ni lien religieux, il usait de cette prééminence pour promouvoir les œuvres pies. Il s'y adonna d'un cœur plus joyeux encore quand il eut sa fille toujours là comme compagne et auxiliaire. Ils menèrent à deux, pendant huit ans, cette existence paisible et bénie; puis l'heureux vieillard, léguant à celle qui restait, comme son plus précieux héritage, les pauvres dont il avait fait sa seconde famille, alla recevoir sa récompense. C'était le 4 mars 1776. Quand elle eut fermé les yeux de son père, la pieuse veuve tourna vers le cloître un regard plein


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du désir de vivre désormais entièrement séparée du monde et occupée des choses de Dieu. Des conseils éclairés l'en dissuadèrent, lui montrant qu'une vocation providentielle marquait sa place dans le monde, où elle faisait un bien si étendu à toutes sortes de personnes. Il est probable que le P. de Bricourt (1), membre de la Compagnie de Jésus récemment dissoute, ne fut pas étranger à cet avis, car, d'après les confidences que Mme des Bassablons fit plus tard à des intimes, précisément à cette époque le vénérable religieux souleva devant elle le voile de l'avenir ; depuis ce moment, la prévision d'une fin sanglante se présentera souvent à elle. Le confident des desseins de Dieu sur la mort qu'il réservait à sa servante, n'eut-il pas aussi mission de l'éclairer sur ce qu'il voulait d'elle dans sa vie? Simple conjecture, il est vrai. Elle, humblement docile aux avis reçus, sacrifia l'attrait de la solitude, mais s'attacha fortement à la pratique de la perfection évangélique. Cette vie dont désormais elle disposait en toute liberté, elle l'organisa et la vécut comme les saints savent le faire, nullement en vue d'elle-même, uniquement en vue du meilleur service de Dieu ; une vie de pauvreté, d'abnégation, de don total. De tout ce que, jusqu'alors, elle avait dû garder, elle retrancha tantôt ceci, tantôt cela, faisant disparaître insensiblement ce qui restait encore d'élégant dans son ameublement et surtout dans sa toilette. Elle allait si simplement vêtue, qu'on n'eût pas reconnu son 1. Étienne Heurtault de Bricourt, né à Saint-Malo, entré dans la Compagnie de Jésus en 1740, profès des quatre vœux en 1758.


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rang, — sinon à l'air noble et distingué qui ne la quitta jamais, — et cachant sous une longue pelisse d'étoffe commune, les provisions et le bois qu'elle portait aux besogneux, ses nombreux clients. A moins qu'elle reçût quelqu'un, sa table était d'une extrême frugalité, elle ne permettait même pas qu'on lui servît des fruits; et malgré une santé toujours chancelante, renonçant au pain plus délicat auquel depuis son enfance elle était habituée, elle adopta celui dont se nourrissaient les indigents. Elle voulait, autant que possible, être semblable à eux, semblable au grand Pauvre qu'elle voyait en eux, Jésus-Christ. Au mois de mai 1776, Mme des Bassablons se vit appelée par les suffrages unanimes des Dames de la Charité, à la direction de la Maison de la Providence, siège de leur Association. Fondée avec des aumônes en 1692 par Mlle Desprès-Gardin, cette maison était le centre d'une activité bien organisée ; on y trouvait un ensemble d'oeuvres qui se complétaient l'une par l'autre, les unes fonctionnant dans la maison même, les autres y prenant leur point d'appui pour aller au secours des divers genres d'infortunes. A côté du bureau de charité, où se faisait la distribution des secours en nature, fonctionnait, sous le nom de manufacture, une œuvre d'assistance par le travail ; petits métiers à la portée de diverses aptitudes, matières premières permettant à des mères de famille d'utiliser les loisirs du foyer, travaux faciles qui ôtaient les prétextes à l'oisiveté, au vagabondage, aux abus de la mendicité ; c'était toute une petite industrie de la charité, aux détails menus et compliqués.


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Des jours et des heures étaient assignés aux divers services, dont les Dames de la Charité venaient prendre leur part, sous la direction de l'une d'elles ; tandis que des filles de Saint Vincent de Paul apportaient aussi leur concours assidu pour l'assistance et le soin des pauvres. La directrice de l'établissement devait harmoniser toutes choses, prévoir, veiller au bon fonctionnement des différents rouages. C'était le rôle qui s'offrait à Mme des Bassablons, elle n'en accepta pas sans de vives répugnances la responsabilité, elle eût préféré se dépenser dans une ombre et une dépendance plus complètes encore. Elle pouvait se rassurer; son office, tel qu'elle le conçut et réalisa, ne fit d'elle que la très humble esclave de tous et surtout de « nosseigneurs les pauvres et les malades », selon la belle expression du moyen âge. Il n'était heure où ses peu discrets clients ne se crussent en droit de la poursuivre, de la Maison de la Providence jusqu'à sa demeure. Enhardie à son tour, une vieille femme de chambre grondait sa maltresse de se laisser ainsi envahir; la bonne dame riait, mais ne s'amendait nullement. Si généreuse et compatissante qu'elle fût, cependant elle savait mettre ordre et prudence dans l'administration qui lui incombait. Elle la fit prospérer, n'épargnant ni son temps ni ses forces ni les démarches pénibles. Quand l'argent manquait, quand elle avait épuisé en aumônes ses propres ressources, sans balancer, elle se faisait quêteuse. C'était alors qu'un ancien costume de gala retrouvait droit de cité; elle « s'endimanchait », disaitelle gaiement, et allait frapper à la porte des riches


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négociants ou des étrangers de marque. Les refus étaient rares, les aumônes souvent empressées. Il était des malouins qui cotaient d'avance ses visites, elle aurait tant quand elle se présenterait, mais il fallait qu'elle vînt; on aimait à la voir, et comme elle se prodiguait beaucoup plus dans les galetas que dans les salons, il fallait bien la prendre par l'intérêt. Telles étaient, cependant, les nécessités aux époques où la disette régnait dans le pays, que les soucis pressaient alors de toutes parts les charitables pourvoyeuses. Ils concernaient, d'une façon spéciale, ces familles honorables, mais peu fortunées et d'ordinaire chargées de nombreux enfants, qui ressentaient durement les conséquences de la rareté et de la cherté des vivres. C'était une des fonctions assignées à l'œuvre que d'assister efficacement et discrètement ces nobles indigences. La directrice de la Providence mettait toute sa délicatesse à deviner ou à prévenir leurs besoins et à y faire face, coûte que coûte. En même temps, son zèle éclairé et surnaturel visait constamment le bien des âmes, ce qui l'a fait appeler « l'apôtre des malheureux ». Des émules de sa charité partageaient avec Mme des Bassablons travaux et sollicitudes. L'une d'elles, son amie d'enfance, maintenant sa constante collaboratrice au bureau de charité, a droit ici à une place toute spéciale. C'est à elle, sans doute, que sont dus bien des détails parvenus jusqu'à nous par les biographes, et la sainte intimité qui existait entre ces deux âmes demande qu'elles paraissent l'une près de l'autre. Par divers côtés,


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elles se ressemblent tellement que, pour les peindre, on pourrait user d'une même palette. Mlle Julienne White, un peu plus âgée que son amie, — elle était née en 1722 — appartenait à une noble famille irlandaise, que sa fidélité à la foi avait forcée de s'exiler sous Jacques II et qui s'était fait de la Bretagne une seconde patrie. C'était une belle âme généreuse, d'une humilité profonde, mais défiante d'elle-même et scrupuleuse au point d'en être parfois quelque peu paralysée dans son essor. Depuis longtemps éloignée du monde, elle aimait la vie cachée, et « après avoir donné aux œuvres une grande partie de ses biens, elle se donnait encore elle-même ». Avec son amie, elle apportait un actif concours à une Association de dames fondée en vue de la formation chrétienne des petites filles. Celles-ci étaient d'abord confiées à d'humbles congréganistes qui, sous le nom de Sœurs de la Passion, leur enseignaient le catéchisme et la lecture ; puis les dames associées surveillaient l'apprentissage et la conduite de leurs pupilles jusqu'au jour où elles étaient en état de gagner leur vie. Mme des Bassablons prenait pour sa part les orphelines ou les délaissées, qu'elle plaçait dans des milieux sûrs, et sa sollicitude maternelle les suivait jusqu'à leur établissement, souvent même par delà le mariage pour former des mères chrétiennes. Mlle White avait un attrait et un don spécial pour les plus jeunes enfants ; elle visitait la petite école et prenait soin de tout ce qui concernait ses chers protégés : santé, nourriture, vêtement, et surtout instruction religieuse. La préparation des premières communions se faisait alors


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dans la chapelle Saint-Thomas, et les pauvres étaient conviés à y venir prier pour les enfants. Les deux amies, enlaçant leurs efforts, étaient donc ainsi constamment employées à promouvoir le règne de Dieu dans leur modeste sphère. De temps en temps, elles se trouvaient appelées à Saint-Servan par divers motifs, et en particulier par l'établissement que Mlle White y avait fondé. Faisant, pour le service des pauvres, le sacrifice de sa très jolie propriété de Saineville, elle y avait établi des Sœurs de Charité afin que de là rayonnât l'assistance aux pauvres et aux infirmes, dans les divers quartiers de la ville et des alentours. Quant à Mme des Bassablons, elle trouvait à Saint-Servan ses belles-sœurs, toutes deux veuves; dans les années qui avoisinent 1780, elle dut venir souvent au chevet de ces membres de la famille de son mari que nous avons déjà rencontrés près d'elle, et auxquels l'unissait surtout une parenté d'âme ; ils moururent à des dates rapprochées, et nul doute qu'en leurs épreuves dernières, ils n'aient trouvé une de leurs meilleures consolations dans la fidèle amitié qui dès ici-bas portait un reflet d'En-Haut. Le trajet qu'avaient à faire en ces circonstances Thérèse et Julienne n'était pas toujours chose très facile, si proches que fussent les cités sœurs. Pour passer l'étroit bras de mer qui les sépare, à l'entrée du port on trouvait de petites barques, pilotées par de vieux loups de mer, « les bateliers du naye1 », nom de lugubre allure qui rappelait l'exécution des condamnés à mort au temps où la noyade avait remplacé la pendaison. Les braves passeurs justi-


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fiaient aussi quelquefois ce nom, quand ils mettaient bénévolement leurs passagers à l'eau, en des traversées trop hardies. Sur l'autre rive, on voit d'abord, s'avançant dans la mer, la pointe d'Aleth, dont le nom rappelle l'ancienne cité romaine et le premier siège épiscopal de la contrée. Si, après l'avoir dépassée, on appuie sur la droite, on trouve la grève des Bassablons et par là on arrive à SaintServan. Simple faubourg au xvnie siècle, le charme unique de sa situation n'en est pas moindre. Assise au bord du flot qui lui lèche les pieds, la coquette cité prend, dans la parure dont elle s'entoure, une physionomie changeante, qui semble rire ou pleurer selon l'état du ciel. Saint-Malo, tout de pierre, présente des aspects moins variés : il reste toujours grave, le même. Rentrons si vous le voulez dans ses murs, et retrouvons nos associées de la charité. Ce sont elles qui nous ont entraînés à cette excursion « de l'autre côté de l'eau », selon l'expression du pays. Laissant surtout au dévouement intelligent mais un peu timide de Mlle White, le soin de la jeunesse et les détails qui concernaient le bureau de charité, Mme des Bassablons se consacrait davantage aux oeuvres qui demandaient plus encore les saintes audaces du zèle apostolique. Son titre de directrice de la Providence lui ouvrait l'entrée des prisons. Améliorer, dans la mesure permise, le sort des détenus, travailler en toute patience à leur relèvement, parfumer de paix et de confiance le lieu voué au remords et au châtiment, c'étaient choses en lesquelles elle excellait et qui prenaient fréquemment son temps et son cœur. Quand au


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milieu de ces misérables qui tous l'intéressaient, si dégradés qu'ils fussent, elle rencontrait des victimes de malheureuses circonstances, elle n'avait plus de repos qu'elle n'eût adouci leur situation, obtenu le redressement d'une injustice ou fléchi un créancier impitoyable. Rien ne lui coûtait pour cela et les plus durs rebuts ne l'auraient pas arrêtée. Parfois intervenaient des condamnations graves : la honte du pilori, la perspective de la déportation et du bagne, l'annonce terrible d'une exécution capitale ; il était alors dans le rôle de la douce visiteuse de seconder celui du prêtre, pour calmer la révolte, arrêter le blasphème, rappeler le ciel ouvert au-dessus de la tête du bon larron. Les malheureuses tombées dans le vice étaient aussi, de la part de Mme des Rassablons, l'objet d'une charité prudente, qui visait d'abord à les garder du désespoir et de ses suites, à prévenir de nouvelles chutes, à ménager, même aux plus enlisées dans le mal, la possibilité d'un changement de vie. Quand quelque bonne volonté se manifestait, la miséricordieuse bienfaitrice tendait une main prête à relever la coupable et à lui ouvrir la porte d'un refuge. Comme on lui objectait le peu de solidité de semblables conversions, elle répondit : « Je serais trop heureuse si je pouvais sauver une seule âme, mais quand je n'empêcherais par tous mes efforts qu'un péché mortel, ne devrais-je pas tout souffrir? » Spontanément, du cœur de l'humble femme avait jailli le même cri enflammé que jadis du grand cœur d'Ignace de Loyola. Nullement troublé par les insuccès, son zèle n'était pas non plus ralenti quand il se voyait


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méconnu, et même l'abbé Manet a pu écrire : « Je n'exagère rien en disant qu'un des plus sûrs moyens dont quelques mauvais sujets se servaient pour l'intéresser davantage, c'était de la payer d'ingratitudes et d'injures. » Quand la charité va jusque-là, il ne saurait y avoir de doute : d'un regard d'amour, une telle âme a pénétré jusqu'au Cœur de Jésus rassasié d'opprobres, elle l'a compris, et depuis lors elle veut partager son calice et imiler sa générosité envers les ingrats. Pas une ligne d'elle, il est vrai, n'est restée exprimant cela, mais nous le lisons dans sa conduite, plus clairement, plus sûrement que ne pourraient nous le dire de longues pages d'un journal spirituel. D'ailleurs, les occasions de pardon des injures ne lui manquèrent jamais, car, au dire de ses contemporains, dans tout le cours de sa vie elle rencontra des détracteurs et ne leur opposa que le tranquille silence de son humilité.


IV

La vie intérieure. — La voie montante. Le zèle apostolique.

Caractérisant, dans un de ses meilleurs passages, les œuvres et les mérites de Mme des Bassablons, l'abbé Carron a écrit : « L'humble servante de Jésus-Christ n'a établi rien de nouveau. Douée d'une grande intelligence, elle a parfaitement administré; placée à la tête des autres, elle a dirigé leurs actions avec sagesse, mais tout s'est fait en silence, sous le seul regard de Dieu. » Ces lignes résument et synthétisent tout ce que nous avons vu au cours des pages précédentes. Cette vie de piété, de sacrifice et de zèle nous a révélé sa source : il est impossible de se donner ainsi, et toujours, sans aimer beaucoup. La pureté et la force de cet amour de Dieu et du prochain brilleront encore plus quand nous saurons les épreuves qu'il traversait. Si le cœur de Thérèse des Bassablons la portait vers ceux qui souffraient, elle n'en éprouvait pas moins des répugnances naturelles pour la plupart des choses dont son existence était tissée, et souffrait dans son inclination vers une vie plus retirée. C'était donc, en réalité, le seul et


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dominant attrait de la Volonté divine qui orientait toute sa conduite, qui faisait sa force, sa paix, sa rayonnante sérénité. Ce n'est pas tout : au-dedans d'elle-même se réveillaient les tenaillantes inquiétudes d'une conscience facile à troubler; à certaines époques, elle en fut attaquée jusqu'à en être inconsolable. C'était la seule chose qui réussissait à jeter quelques nuages sur son front. S'en apercevant, une de ses amies pour la rasséréner lui dit un jour plaisamment : « C'est sûrement votre avarice qui vous tourmente ! » Elle reçut cette réponse, fort inattendue, que plus d'une fois la crainte de ne pas donner assez avait fatigué cette charitable qui donnait sans compter. Aux scrupules s'ajoutaient les craintes de la mort, du jugement, de la séparation de Dieu. De telles angoisses, toujours très douloureuses, le sont davantage à proportion que l'àme est plus aimante et cherche plus uniquement à plaire à son Dieu ; et, dans la mesure même où elle est dégagée de son amour-propre, elle souffre à la fois plus paisiblement et plus profondément. Telle était celle dont les contemporains qui l'ont plus intimement connue nous disent qu'elle « épuisa jusqu'à la lie ce calice ». Entre les mains de Dieu, tout est matière pour forger le creuset où s'épurent et se façonnent ses prédestinés. On s'en souvient, la nature de Thérèse, le cachet un peu sévère et strict de l'éducation maternelle, l'avaient prédisposée à ce genre de peines ; et quand elle avait rencontré, au cours de sa jeunesse, le souffle glacial de jansénisme qui


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passait alors sur son pays natal, son âme sensible avait dû en souffrir comme une fleur trop fragile sous les frimas de l'hiver. Quand on étudie l'histoire intime des âmes de cette époque, il n'est pas rare d'en rencontrer qui fléchissent sous semblable épreuve. Descendant des pures régions de la grâce, un courant tout autre s'est heureusement emparé de Thérèse dès sa prime jeunesse, a développé ses généreuses dispositions, et porté son cœur vers le Cœur de son Dieu. Ne dirait-on pas qu'en elle se retrouve quelque chose de la grande lutte engagée entre le Cœur de Jésus et ce mal de l'époque où elle vivait, perpétuel et douloureux conflit entre la crainte et l'Amour, mais où toujours c'est l'Amour qui triomphe. Jamais, en effet, la crainte n'a réussi à dessécher son cœur ni à la replier sur elle-même ; jamais elle n'a refroidi sa piété ni arrêté son zèle ; et nous la verrons de plus en plus s'élever au-dessus des faiblesses de sa nature et des déprimantes impressions, jusqu'à réaliser en elle la parole de saint Paul : « Je me glorifierai de mes infirmités afin que la force de Jésus-Christ habite en moi. » Nul de ceux qui l'ont connue davantage ne nous a fait pénétrer plus avant dans l'intime de cette âme ; et tout en le regrettant, il faut reconnaître que ce silence est en harmonie avec le plan divin sur elle, car, on le voit, elle a été appelée à la vie cachée en Dieu à l'exemple de la Vierge Marie. Ce que nous connaissons de sa vie intérieure a un goût de myrrhe, et on ne peut l'étudier davantage que dans le parfum qu'elle répand, dans la trempe qu'elle donne à ses


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vertus, dans le cachet qu'elle imprime à ses œuvres et à ses relations. Celui qui si longtemps la laissa en proie aux épreuves intérieures, veillait à ce qu'elle n'y succombât pas, et Lui seul pourrait nous dire les grâces qu'il lui versait à son insu ; Il la soutenait dans les sentiers ardus où, sans s'apercevoir qu'elle était héroïque, elle tendait toujours aux plus hauts sommets de la vertu. Sans doute aussi, selon la conduite ordinaire de la Providence, lui fut-il envoyé, au moins à certaines heures, des guides qui secondèrent en elle l'action du Saint-Esprit. Le rôle du P. Etienne de Bricourt, l'annonciateur d'une mort sanglante, échappe sur tout autre point à nos investigations. A partir de 1779, les faits sont plus nets, et, cette fois encore, c'est un fils de saint Ignace qui intervient dans la vie spirituelle de Mme des Bassablons. Pierre Joseph Picot de Clorivière appartenait au pays par sa naissance et par sa famille. Entré à vingt ans dans la Compagnie de Jésus, il s'y était distingué par une vertu éminente et avait prononcé les vœux solennels de profès au moment même où sa Société bien-aimée était frappée à mort. L'évèque de son diocèse d'origine ne tarda pas à le réclamer. Mgr des Laurents continuait le lent travail entrepris par Mgr de la Bastie, de sainte mémoire, pour faire disparaître tout levain de jansénisme, et ce fut dans ce but qu'il voulut confier à l'ancien jésuite une paroisse qui avait particulièrement souffert, Paramé, dont un des recteurs précédents s'était distingué par son obstination d' « appelant ». Grand amant de l'Eucharistie,


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M. de Clorivière, — ainsi qu'on l'appela depuis lors — ne tarda pas à remettre en honneur la Communion fréquente, et par le moyen du culte tout filial de la sainte Vierge, il ouvrit aussi plus largement les âmes à l'esprit d'adoption des enfants de Dieu. En quelques années, Paramé devint une paroisse modèle, où les cabarets eux-mêmes étaient bien réglés, et où le pécheur le plus obstiné du lieu avait fini par se rendre. Heureux de trouver déjà intronisée, par la double fondation des châtelains de Pontpinel, une dévotion qui lui était chère, le nouveau pasteur eut, par les réunions de la Confrérie du Sacré-Cœur qui avaient lieu dans la chapelle de Mme des Bassablons, une occasion de plus d'apprécier celle dont il écrira plus tard que « ses rares vertus la rendaient chère à tous ». De telles âmes ne devaient pas tarder à entrer en relations plus étroites; Dieu avait réservé ce secours à sa servante pour aider la dernière ascension de son âme, la dilater dans la confiance et la fortifier en vue des épreuves suprêmes qui l'attendaient. Elle devint la fille spirituelle de M. de Clorivière et la collaboratrice de ses œuvres apostoliques. Le zèle actif et plein de feu du recteur de Paramé débordait les limites de sa paroisse, et s'employait tantôt dans les missions de campagne, tantôt dans un apostolat plus voilé et plus restreint, mais très efficace, parmi les gens de ce monde où il retrouvait toutes ses relations de parenté, et parmi les étrangers qui, attirés par les affaires ou par la beauté du site, séjournaient aux environs de Saint-Malo. Familiarisé avec la langue


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anglaise, habitué déjà par son ministère précédent aux controverses avec les protestants, il se dévouait tout spécialement à les rapprocher de la véritable Eglise. Ce fut dans cette œuvre délicate qu'il fit plus spécialement appel au concours plein de tact de la femme généreuse qu'on trouvait toujours prête, surtout quand il s'agissait du bien des âmes. Quelques détails ont été conservés sur un des convertis dont elle s'occupa ainsi. C'était un jeune anglo-américain, John Risdell, que le P. de Clorivière avait connu au moment où une maladie venait de l'empêcher de repartir pour son pays. Il avait le cœur droit, ne tarda pas à être conquis, et, son abjuration faite, resta longtemps encore auprès de ceux auxquels il devait la lumière. Mme des Bassablons lui procura une bonne position et un excellent mariage avec une femme très chrétienne. Plus tard, affermi dans la foi et muni d'une solide instruction religieuse, John Risdell retourna en Amérique, désireux de gagner son entourage ; il y réussit : son père, sa mère et plusieurs membres de sa famille, touchés et convaincus, embrassèrent le catholicisme. Une autre convertie, Mary-Anne Leeds, venue à la vérité avec élan, abjura en 1784. Il est des cas où la conversion entraîne la rupture avec la famille, les obstacles au retour dans la patrie ; plus maternelle que jamais, Mme des Bassablons reçoit alors chez elle ces déracinés ou bien leur trouve un asile, elle s'emploie à leur refaire un milieu, une situation convenable, une famille. En des circonstances de ce genre, sa maison de


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campagne, dont elle a laissé la garde à un ménage de vieux serviteurs, est comme une succursale de ses œuvres. Elle n'y séjourne pas longtemps depuis que son père n'est plus là, mais c'est pour elle un lieu de retraite où elle peut prier davantage, et les motifs de piété et de zèle que nous venons de rappeler, l'y ramènent nécessairement, et aussi à Paramé. Il est aisé de se la figurer prenant un chemin qui de Pontpinel monte vers la jolie et paisible bourgade ; tous les gens du pays la connaissent, elle ne peut manquer de s'arrêter ici ou là pour visiter quelque malade ou quelque vieillard dans ces fermes ou dans ces petites « bastides » entourées de leur jardin, qui sèment la campagne. A Paramé, M. de Clorivière veut établir un bureau de charité; celle qui dirige si bien celui de Saint-Malo est toute désignée pour initier au fonctionnement de l'œuvre celle qui est appelée à s'y dévouer la première, Perrine Guichard, une servante des pauvres et des malades, que nous trouverons encore associée aux dernières œuvres de Mme des Bassablons. Dans les moments passés en ce vivant centre paroissial, un entretien avec le religieux-recteur est la part intime de l'âme et son réconfort. La vieille église est là aussi, pleine de tant de souvenirs que la visiteuse, si souvent venue là, ne s'est peut-être jamais aperçue que l'édifice est sans beauté. D'ailleurs, ne lui suffit-il pas que le Maître y habite ! Pour rentrer de Paramé à Saint-Malo à cette époque, il faut d'abord traverser les dunes où paissent des moutons et où chante l'alouette, tandis que du rivage monte la voix du flot. En appro-


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chant de la ville, qui là-bas dessine, entre le ciel et la mer, sa masse aux puissantes arêtes, le spectacle s'anime ; à gauche de l'étroite péninsule, des vaisseaux entrent au port en repliant leurs voiies fatiguées, d'autres sont en partance pour des pays lointains; à droite, sur la plage au sable fin q"i borde le Sillon et dans les rochers au pied des murs, s'ébattent des groupes de jeunes garçons : c'est leur perpétuel domaine. Cette jeunesse de la côte a du salpêtre plein les veines et brave la mer par des jeux à faire frémir, surtout quand, en vagues splendides, elle bondit à l'assaut des remparts. Parmi ces enfants, quelle terrible clientèle trouve encore celle qui ne mériterait pas complètement son nom de notre Dame de bon secours si elle n'allait à eux. Mais c'est précisément une de ses œuvres de chercher à assagir les petits vagabonds et à leur faire apprendre un métier. Tant de fois, des mères ne sachant plus que faire de leurs gâs sont venus lui demander de s'en occuper. Plus tard même, quand ses protégés sont devenus des hommes, elle s'efforce encore de les garder de la fainéantise et des écueils qui les guettent. Elle procure des outils, des facilités de travail; pour qu'un métier puisse s'établir ou un ménage se fonder, elle prête de l'argent, par petites sommes dont elle surveille l'emploi. Une telle entreprise est difficile et ne va pas sans plus d'un déboire; la suite en amènera encore et de cruels. Une œuvre plus douce, et très chère à cette âme de foi, était d'aider les adolescents qui faisaient preuve de belles qualités et d'attraits sérieux pour le sacerdoce, mais dont la famille manquait


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de ressources. Elle s'employait alors à concilier toutes choses afin que, sans manquer aux devoirs envers leurs parents et sans leur être à charge, ces enfants fussent d'abord entièrement confiés à la « Préceptorerie ». Cette institution avait été fondée au xne siècle par l'évêque Jean de Chatillon, et dotée d'une prébende par Charles IX, afin que, disent les Chartes, « gratuitement et sans faillance on y enseigne lettres et religion ». Sous la direction d'un saint prêtre, l'abbé Pierre Engerrand, la Préceptorerie est florissante en cette seconde moitié du xvme siècle ; elle comprend toutes les classes, rhétorique inclusivement. De là, les jeunes gens appelés au sacerdoce passent au Séminaire dirigé par les Lazaristes. Après avoir aidé les premiers pas de quelques-uns de ces petits appelés vers l'autel, Mme des Bassablons eut la joie de les y voir monter. L'autel, c'est le centre de sa vie, le foyer où s'alimente son zèle, le refuge de son âme parfois si éprouvée. Aussi, elle veut y entraîner d'autres âmes, et spécialement celle des pauvres et des délaissés : de là une touchante fondation de sa piété. Elle a remarqué que les travailleurs et gens de service, obligés d'être de bonne heure à la tâche, ne peuvent d'ordinaire sur la semaine assister au saint sacrifice : elle établit alors à ses frais une messe quotidienne à cinq heures du matin, afin que nul, s'il le veut bien, ne soit exclu du festin céleste. Les fidèles qui profitent de cette heureuse innovation, aimeraient savoir à qui ils le doivent, mais la bienfaitrice de leurs âmes a pris ses précautions, elle veut que la reconnaissance


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aille uniquement à Celui de qui vient tout bien, et surtout un tel bien. Elle est assez délicieusement récompensée, d'ailleurs, d'avoir amené à NotreSeigneur ceux dont II se plaît tant à être entouré, et elle est heureuse de venir s'abîmer dans l'adoration, confondue avec les servantes. N'est-elle pas bien la première servante de Saint-Malo, — elle nous dirait la dernière, — celle qui se croit redevable à tous et qui ne pense pas que rien lui soit dû.


V

L'œuvre de la grâce. — Leraz de marée révolutionnaire.

Si nous jetons un coup d'œil d'ensemble sur la vie déjà longue qui s'est déroulée jusqu'ici, elle nous apparaît comme une continuelle montée dans les voies de la sainteté. La constance est un de ses traits les plus caractéristiques. On la voit se développer à la manière égale d'un bel arbre qui chaque année porte plus grande abondance de fruits. Rien n'y marque un de ces temps d'arrêt, une de ces périodes de fléchissement qu'il arrive de rencontrer chez les meilleurs, et le regard a quelque peine à saisir le point faible de cette âme bénie. Le recul du temps aurait-il à nos yeux effacé quelques rides au front de notre héroïne? A vrai dire, nous ne le croyons pas, car ce sont les contemporains qui ont parlé nombreux par la plume de biographes sincères. Si nous les interrogeons de nouveau, nous rencontrerons encore des affirmations comme celleci : « Des témoins de sa vie, qui ont vu Mme des Bassablons pendant trente ans, déposent qu'ils n'ont surpris en elle ni une faute ni un signe d'im-


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patience, au milieu de mille contradictions. » Puis voici les réflexions de respectables personnages, observant combien, d'ordinaire, les panégyristes doivent s'ingénier pour ne pas mentir, mais ajoutant: « L'orateur ou l'écrivain qui publiera les vertus de Mme des Bassablons pourra se livrer à toute son imagination; il n'exagérera point en louant sa charité sans bornes et son humilité profonde. » Un correspondant de l'abbé Carron, un « prêtre judicieux », témoin, lui aussi, des vertus de Thérèse, termine ce qu'il en a écrit par cette exclamation : « 0 femme incomparable, je m'arrête devant ton souvenir comme devant l'image d'une sainte ! » Une sainte, « notre sainte », c'était ce qu'on disait à Saint-Malo, assez bas pour ne paspeiner cette âme si humble. Quant au nom de notre Dame de bon secours, il était passé en habitude; elle le regardait comme une plaisanterie et ne s'en alarmait pas. On l'a remarqué, le côté par lequel une telle âme payait son tribut à l'humaine fragilité, c'était cette impressionnabilité qui la rendait si accessible et aux inquiétudes de conscience et aux craintes de la mort, surtout d'une mort violente. Il plut à Dieu que les premières lui fussent un constant exercice de vertus, et, des années à l'avance, il lai fit accepter et en quelque sorte savourer l'amertume du calice qui lui était réservé. Ce fut à l'époque des premiers symptômes de la Révolution, qu'étant à Riancourt chez son amie, Mme Magon de Coëtizac, Mme des Bassablons parla dans l'intimité de la prédiction entendue quinze ans auparavant et depuis laquelle, pas un seul jour, elle n'a manqué de se préparer à la mort. A partir de ce moment, 4


MADAME DES BASSABLONS 50 ses jours se précipiteront vers un terme dont elle a éprouvé l'horreur, plus qu'elle n'a soupçonné la grandeur et la beauté surhumaines qui doivent s'y attacher. Jusqu'ici, son existence s'est écoulée si uniforme, qu'un de ses compatriotes a fait cette remarque : « La vie d'une de nos plus admirables Malouines n'offre presque jamais qu'une répétition de traits du même genre. J'ai eu le bonheur de la connaître particulièrement; un de ses jours ressemblait à l'autre. Dieu seul, j'en suis convaincu, peut nombrer et apprécier ses mérites, d'autant plus qu'elle mettait un grand soin à en dérober aux hommes la connaissance. » Nous touchons maintenant à une période de son existence qui, commencée sous un ciel encore serein, se terminera bientôt aux premiers éclairs d'un orage sans précédent. Et ce sera cet orage même qui demain déchirera le voile d'oubli dont la servante de Dieu chercha toujours à s'envelopper. Le plus magnifique témoignage sur ses vertus nous viendra de l'évêque qui, en 1786, succédait à Mgr des Laurents. C'était toujours chose très solennelle que l'entrée d'un évêque et seigneur de la cité. Aux cloches lancées à toutes volées, les canons des remparts et des forts répondaient en salves qui se répercutaient sur les flots ; le clergé, les diverses autorités, la garde de la ville s'avançaient, suivis du peuple, à la rencontre du prélat qui, selon l'ancien cérémonial des évêques, devait « venir chevauchant, entouré de ses familiers ». Ensuite, rites ecclésiastiques, serments et hommages se succédaient longuement.


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Le 13 février 1786, l'évêché de Saint Malo venait devoir son dernier triomphe; quatre ans après, sa Passion commencerait. Combien peu auraient pu le croire alors ! Celui qui venait de prendre possession de son siège, Gabriel Cortois de Pressigny, s'était mûri près de son oncle, 1 evêque de Belley, et du cardinal de la Luzerne, dont il était grandvicaire. Esprit juste et distingué, ferme dans ses principes, il avait une âme très sacerdotale et alliait une simplicité évangélique aux manières d'un grand seigneur. Pendant les trop courtes années qu'il passa parmi ses diocésains, il exerça une action féconde et son zèle ne négligeait aucun détail. C'est ainsi qu'il demanda aux Dames de la Charité de se diviser la ville par quartiers, afin que les pauvres se vissent secourus d'une manière plus régulière; avec sa docilité ordinaire, Mme des Bassablons s'empressa d'entrer pleinement dans ses vues. Les mesures prises eurent une particulière utilité au temps de la disette de 1789, qui fut très grande et qui se prolongea les années suivantes. La maison de la Providence ne pouvait plus suffire à aider de trop nombreuses misères, mais la charité de sa directrice ne se déconcertait jamais; une de ses ingénieuses ressources était de mettre en loterie des objets confectionnés par la manufacture des pauvres. Elle se donnait alors, avec Mlle White, un surcroît de peine et suscitait de nouvelles bonnes volontés. Le malaise excité dans l'âme populaire, à la fois par les privations et par les sourdes menées qui commençaient à se faire sentir, rendait encore plus


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ardue la tâche de Mme des Bassablons, mais aussi mettait plus en relief sa douce sagesse et ses vertus, Elle était loin de se douter que son évèque admirait silencieusement et n'oublierait plus. Quand bientôt son exil et le désarroi jeté dans la paternelle administration épiscopale aggraveront les privations des nécessiteux, du moins la mère des pauvres sera encore là et, selon ce qu'écrit ailleurs l'abbé Manet avec son grain d'humour, « elle empêchera de mourir de faim ceux que des parleurs de vertu s'essayent à nourrir administrativement ». Un des premiers actes de Mgr de Pressigny avait été d'appeler M. de Glorivière de la cure de Paramé à la direction du collège de Dinan, où le nouveau supérieur donna le plus heureux essor aux études et à la piété. Les relations avec son évêque, les ministères qui lui étaient demandés, son zèle des âmes, autant de raisons qui le ramenaient de temps en temps à Saint-Malo ou aux environs. S'il voulait, dans une tranquille solitude, se livrer à la méditation et au travail silencieux, la maison de campagne de Mme des Bassablons et ses vieux serviteurs étaient à sa disposition; il en a daté des lettres de diverses époques. Nous l'y retrouvons à la fin de l'année scolaire de 1790, alors que de graves événements viennent de se passer. A la déclaration des Droits de l'homme, à la sécularisation des biens ecclésiastiques, ont succédé les coups portés à la vie religieuse, et en juillet 1790, la Constitution civile du Clergé. L'ancien religieux prévoit que sa présence à la tête du collège de Dinan ne saurait se prolonger; déjà, la fermeté


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évangélique de sa prédication de carême lui a valu les vexations d'une municipalité dont le chef est un prêtre indigne. En même temps, lui arrive d'Amérique un appel de Mgr Carrol, ancien jésuite, réclamant son concours, et il se demande si, sous sa houlette, la Compagnie de Jésus ne pourrait se reconstituer pour les missions. Le P. de Clorivière s'ouvre alors de ses désirs à Mgr de Pressigny, et celui-ci acquiesce au départ, non sans un vif regret de se séparer de celui dont plus tard il écrit au Saint-Père : « Je l'aimais singulièrement, non seulement pour son talent, sa doctrine, sa fermeté d'âme et sa douceur, mais encore pour son éminente piété et son zèle pour la gloire de Dieu (1)... » Mgr de Pressigny songeait lui même dès lors à un éloignement de son diocèse, qui lui semblait temporairement nécessaire; la suppression, décrétée par la Constitution civile du clergé, de l'évêché de Saint-Malo et, d'autre part, la juridiction si étendue qu'exerçait jusqu'alors l'évêque sur tout le gouvernement de la cité, multipliaient les causes qui devaient amener, à bref délai, une situation plus aiguë encore qu'ailleurs. L'évêque espérait, en quittant pour un temps sa résidence, éviter les conflits violents, ménager un retour à l'heure propice, et, en attendant, diriger de loin, libre des 1. Le P. de Clorivière devait vivre assez pour voir le rétablissement de sa chère Compagnie par Pie VII, et même pour en être en France le premier instrument. Octogénaire et presque aveugle, il s'y donna avec un zèle admirable, dans les fonctions de Provincial de 1815 à 1818. Il mourut en 1820, au pied du tabernacle.


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entraves de détail, plus efficacement que de près. Ce fut le 15 octobre 1790 que le prélat quitta SaintMalo; il n'y devait plus revenir. Au moment de son départ, deux curés de campagne vinrent lui exposer les besoins de leurs paroisses; il leur remit, en dépit des objections de son secrétaire, la somme qui lui restait et partit pour la Bourgogne dans un dénûment tout apostolique. Avant de s'éloigner, Mgr de Pressigny avait approuvé et béni les vues que M. de Clorivière lui avait soumises. Celui-ci sentait qu'il ne devait pas se hâter de passer l'Océan, et, sans se croire nécessaire, il s'estimait redevable aux âmes qui lui avaient donné leur confiance et qui avaient tant besoin de nouvelles forces et de nouvelles lumières pour des temps si difficiles ; il se donna largement à leur service pendant son séjour au Plessis-Pontpinel. A l'automne, il se rendit à Paris. En mars 1791, il est de nouveau à Saint-Malo, bientôt va partir le vaisseau où il devait prendre place. Mais les événements ont marché, la persécution violente s'annonce; est-ce l'heure d'aller au loin? Toujours fidèle à la voie de l'obéissance, M. de Clorivière soumet à son évêque son désir de rester. Mgr de Pressigny approuve ce généreux changement de décision. Quand le navire qui emportait ceux dont il devait être le compagnon eut quitté le port, l'ancien religieux se retira de nouveau à Pontpinel pour y envisager, seul avec Dieu, ce que Dieu demandait de lui. Il augurait mal de l'avenir et dut être alors, par plus d'un, taxé de pessimisme; en tout cas, c'était ce pessimisme dont parle Brunetière, qui est « générateur d'énergie ».


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Les âmes d'élite que, depuis des années, il dirigeait dans ce pays, trouvaient, comme lui, dans les maux de la religion un stimulant vers une plus haute perfection, et sentaient le besoin de s'unir pour être fortes dans l'orage. Quelques-unes se groupaient avec Mme des Bassablons pour entendre les conseils de leur saint guide. Il se trouvait là, comme autrefois aux réunions de la Confrérie du Sacré-Cœur, des dames des alentours et des paysannes, unies par les mêmes vues de foi et les mêmes nobles aspirations. Le P. de Clorivière ne pouvait manquer de leur dire ce que, dans le même temps, il écrivait : « Le danger est trop pressant pour s'éloigner ; il faut sauver du naufrage le plus d'âmes possible. » C'était le sentiment auquel il avait obéi, ce sera celui que nous verrons dominer jusqu'au bout dans le cœur de Mme des Bassablons. Il disait encore à ces âmes, capables d'un tel langage, qu'elles devaient être comme une sainte pépinière où Dieu pourrait se plaire à choisir ses martyres, et parmi elles, en effet, Dieu déjà avait fixé son choix. Des prêtres, ses amis, venaient aussi conférer avec le P. de Clorivière. L'un d'eux, ce « Grand Ecolàtre » deSaint-Malo,M.Engerrand, que nous avons une fois rencontré, avait depuis longtemps sa confiance. Ce fut à lui tout spécialement qu'il demanda d'être l'appui des âmes qu'il dirigeait et dont il allait s'éloigner, des motifs du service de Dieu le rappelant à Paris. Il comptait cependant revenir encore dans le pays ; les circonstances ne le permirent pas. Dans la correspondance que, aussi longtemps qu'il fut possible, il continua largement avec les siens et avec d'autres, Mme des


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Bassablons dut avoir sa part; rien n'en est resté, de sorte que, pendant les années qui vont suivre, nous perdons de vue le P. de Clorivière jusqu'à l'instant suprême où il reparaîtra pour assister sa fille spirituelle. Ainsi la noble veuve se voit séparée de ceux dont l'appui eût semblé pour elle plus nécessaire que jamais : son évêque et le père de son âme. Elle devra, elle si défiante d'elle-même, continuer, au milieu d'obstacles et de dangers sans nombre, une tâche de charité dont l'importance va prendre des proportions inattendues. Avec un calme tout surnaturel, elle saura faire face à tout, et les circonstances mettront en pleine lumière sa grandeur d'âme jusqu'ici voilée par sa modestie profonde. Du côté de la famille quel appui trouverat-elle? Les vides se sont creusés, nous l'avons vu, au cours des années. En 1790, elle perd ses deux belles-sœurs et peu après une tante, sœur de sa mère, Mme de Castel, qui a l'âge du siècle. Quant à ses frères, François, fixé à Saint-Domingue, où il siégeait au Conseil suprême du Cap, y aura aussi son tombeau; Louis, chanoine de SaintPierre de l'Isle-en-Flandre, est déjà âgé et vit au loin. Seule, sa sœur, Mme de Launay est encore là, avec son mari et sans doute ses filles, ce qui, bientôt, ne sera plus pour elle qu'un sujet de douloureuses émotions, de soucis et de dangers. Mais elle a une autre famille, celle des pauvres et des souffrants, plus nombreuse que jamais, plus agitée aussi. La manufacture fournit du travail à six cents personnes, et la généreuse directrice garde complètement à sa charge douze


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orphelines. On la retrouve comme par le passé au chevet des malades, et là il est bien rare, nous dit-on, tant sa charité est douce, et pénétrante l'onction de sa parole, que les âmes ne se rendent pas; c'est toujours, en effet, la misère spirituelle qui l'occupe le plus. Nous aurions aimé quelques détails sur ces conquêtes faites à la Miséricorde divine par celle qui portait son reflet, mais une fois de plus il faut nous contenter des termes sous lesquels ses biographes résument tout un ensemble, s'excusant toujours sur le discret silence dont Mme des Bassablons enveloppait toutes ses œuvres, surtout celles de ce genre. L'année 1791 a marqué pour Thérèse les premières stations d'un chemin de la Croix qui va durer trois ans. Dans une des rares paroles qui nous sont restées d'elle, nous l'avons entendue dire qu'elle serait prête à tout souffrir pour empêcher une seule injure envers Dieu ; et une des principales épreuves de son existence a été de rencontrer souvent le vice, et de ne pouvoir l'arrêter comme elle l'eut voulu. Maintenant, dans une totale impuissance, cette âme plus que jamais aimante et dévouée à la gloire de son Dieu, va voir s'accumuler tout près d'elle attentats et blasphèmes qu'elle n'eut pas imaginés. La vente des biens ecclésiastiques a préludé ; peu à peu des sanctuaires vénérés sont affectés à d'indignes usages ; le bref de Pie VII, condamnant la Constitution civile du clergé, est lacéré et brûlé sur la place de la cathédrale, par la main de l'exécuteur criminel. Puis vient le remplacement des curés non assermentés et l'installation des intrus. Une belle conso-


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lation brille cependant au-dessus des premières ruines et restera la fierté et la force des cœurs chrétiens, c'est la fidélité du clergé. Parmi les très nombreux prêtres du diocèse de Saint-Malo, vingttrois seulement prêtent le serment, et, au bout de quelques jours, plusieurs déjà se sont rétractés. Bien des paroisses doivent à cette heureuse disette de « jureurs » de rester, quelque temps du moins, plus tranquilles. Mais les principales cures sont cependant pourvues et c'est « au milieu des baïonnettes » que se fait, le S juin, l'installation du curé constitutionnel de Saint-Malo. Il en est de même à Saint-Servan, et peu après, à Paramé, en attendant la visite pastorale de l'évêque intrus, qui contraste si amèrement avec les fêtes du passé. Tristement les fidèles se renferment chez eux, et préparent déjà des autels pour les prêtres qui, désormais, se refusent à célébrer dans l'église livrée au culte schismatique. La maison de la Providence ne pouvait manquer d'être des premières à posséder un petit sanctuaire, et pour comprendre avec quel amour sa directrice s'occupa d'y pourvoir, il suffit de la connaître. Vers ce temps, parait auprès d'elle, une nouvelle aide, qui, sans doute, devait spécialement s'adonner à ce soin de l'autel; c'était une religieuse, son amie, dont rien ne nous précise le nom ni l'institut, mais qui, depuis la dispersion forcée de sa communauté, partagea la vie de Mme des Bassablons, et y retrouva le recueillement et les vertus du cloître. Après l'expulsion des anciens Grands Vicaires, qui représentaient Mgr de Pressigny, les motions


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violentes avaient commencé à s'élever dans les clubs contre tous les prêtres non assermentés, les tracasseries s'étaient multipliées, les visites domiciliaires devenaient à l'ordre du jour. Et il en était ainsi, plus ou moins, d'un bout à l'autre de la France. Rapidement, fatalement, la persécution religieuse en venait aux mesures de force; et Dieu, cette fois encore, allait laisser plus large champ aux oppresseurs violents de son Église qu'aux ennemis qui prétendaient l'asservir ; ceuxci sont vite débordés par ceux-là. On touche alors à l'une de ces époques où dans la contradiction se révèle « le secret des cœurs ». Parmi ceux qu'elle connaît depuis longtemps, Mme des Bassablons va rencontrer de ces révélations, les unes belles, les autres déconcertantes. On verra surgir des dévouements, des énergies, des savoir-faire insoupçonnés. Mais il y aura aussi, et là parfois où on devait le moins s'y attendre, de ces lâchetés, de ces désertions de la conscience et de l'honneur, de ces participations à l'injustice, qui, pour une grande part, contribueront à rendre possible la Terreur déjà montant à l'horizon. Constater cela, comme malgré soi, ce dut être une profonde amertume pour celle dont le cœur était si généreux de son estime, si lent à juger et à blâmer. D'ailleurs, elle n'a garde de s'attarder en plaintes inutiles, et toute son attention, toutes ses forces vont plus que jamais se concentrer dans une héroïque réponse au nouvel appel de Dieu. C'est le Duc in altum où va se révéler pour elle aussi, dans les grandes eaux de la tribulation, tout le secret de son cœur.


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Sous la tourmente. — La receleuse des prêtres. La providence de tous.

Comme des feuilles poussées par un ouragan, des fugitifs affluaient vers la côte, car de là ils se proposaient de gagner les îles anglaises ; d'hospitalières demeures s'ouvraient largement pour les recevoir, en attendant l'occasion propice du départ, et jamais encore Saint-Malo n'avait rempli en de telles proportions le rôle de ville de refuge. Mais déjà ses anciennes prérogatives ne comptent plus, et bientôt ses propres enfants ne seront plus en sécurité dans ses murs. Des familles entières, harcelées par les menaces, quittaient le sol natal qui tremblait sous leurs pieds. Des prêtres fidèles, traqués d'un lieu à un autre, arrivaient aussi, souvent épuisés, manquant de tout. La maison de la Providence les accueillait et Mme des Bassablons, avec un respect ému, leur procurait le repos et les choses nécessaires. L'exode fut surtout considérable depuis le décret du 26 août 1792, obligeant à « se déporter les ecclésiastiques, fonctionnaires publics, qui n'avaient pas prêté le serment ». Un délai de


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quarante jours leur était donné pour cela. Dans la suite, d'autres proscrits arrivaient encore, il fallait prudemment les cacher et leur procurer les moyens de s'embarquer. Ce n'était pas chose aisée, on devait y renoncer dans le port même, les nombreux départs d'émigrés avaient trop attiré l'attention. Alors, furtivement, ceux qui allaient vers l'exil gagnaient des anses isolées pour y attendre le Courrier céleste. On appelait ainsi un audacieux service de vaisseaux qui, par les nuits les plus sombres, approchait de la côte, et, d'après des signaux convenus, envoyait une yole recueillir les fugitifs. L'embarquement fait, fanaux dans les rochers et rapides jeux de lumière dans les vergues cessaient leur muette conversation et le navire repartait pour Jersey. Souvent le Courrier céleste ramenait aussi des passagers, et il méritait doublement son nom, quand, à travers la houle et les récifs de points de la côte presque inabordables, il rendait au pays des apôtres : prêtres admirables qui, après s'être éloignés pour un temps, voyant l'orage se prolonger et s'aggraver, revenaient s'exposer à tous les périls pour remplir leur ministère. A ceux-là, à ceux qui étaient restés, il fallait des dévouements prêts à tous les sacrifices, ils en rencontrèrent d'héroïques. Dès les premiers temps de la persécution, Mme des Bassablons avait offert l'hospitalité à un prêtre âgé et infirme, qu'elle garda jusqu'au jour où on vint le lui arracher pour l'interner au Mont Saint-Michel. D'autres prêtres trouvèrent constamment asile sous son toit ou par ses soins pendant les plus mauvais jours. Elle les


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entoura de tant de précautions et de tant de prières, qu'à part le bon vieillard dont nous venons de parler, nul de ceux qu'elle abritait ne fut pris chez elle. Un jour cependant, l'un d'eux était là au moment d'une perquisition : il passe au milieu des sbires sans être aperçu. Pontpinel était un excellent refuge que sa châtelaine n'avait garde de laisser inutilisé, et qui s'ouvrait discrètement, permettant aux fidèles de profiter, dans toute la mesure possible, des secours religieux. Pour veiller à la sécurité des prêtres et du service apostolique, Mme des Bassablons avait appelé au manoir une auxiliaire de sa charité, depuis longtemps connue, Perrine Guichard, une de ces vaillantes au caractère simple et décidé que rien ne trouve à court. Grâce à cette organisation, la parole de Dieu put même être distribuée à de petits groupes fervents, et des personnes qui avaient assisté à ces réunions, dignes des premiers âges du christianisme, en gardaient un inoubliable souvenir. Elles rappelaient aussi avec quelle sollicitude Mme des Bassablons faisait circuler des livres de doctrine chrétienne, propres à soutenir les âmes dans leur foi et dans leur confiance. Aux alentours, d'autres retraites existaient pour les prêtres, d'autres assemblées saintes avaient lieu autour d'autels improvisés, de telle sorte que, quand il y avait alerte d'un côté, ministres et lieux de culte se retrouvaient ailleurs; châteaux et granges de fermes s'en disputaient, en quelque sorte, le périlleux honneur. Paramé était pour cela un terrain propice, car il restait des plus


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réfractaires aux poussées antireligieuses. En dépit des objurgations et des menaces, les cérémonies schismatiques, et ensuite les fêtes décadaires n'avaient guère d'autre assistance qu'une piteuse municipalité. Le curé jureur, dès qu'il paraissait, voyait le vide se faire comme au passage d'un lépreux. Plus tard, vaincu par l'implacable et silencieux mépris de toute une population, il s'en ira sans tapage. En attendant, un ancien vicaire de la paroisse, M. Rouazin, d'ordinaire caché chez une pieuse veuve, Mme Faribault, entretient courageusement l'esprit chrétien ; il est toujours là, et il reste introuvable (1). C'est en vain aussi que le Comité de surveillance fouille divers coins de la commune, pour découvrir certains conciliabules de femmes, « dont quelques-unes sont accusées d'endoctriner les autres d'une manière peu conforme au bien public ». M. Manet ajoute que « ces maudites ménagères aristocrates ont un talent tout particulier pour se soustraire à la pince nationale ». Le prêtre chroniqueur qui, on le voit, ne perd jamais sa belle humeur, est, comme plusieurs de ses confrères, caché dans un grenier de la ville; quelquefois, par un hardi calcul, ces hors la loi vivent sous le même toit que leurs persécuteurs, De pauvres gens, leurs amis, couvrent ces retraites, d'où ils ne sortent que dûment déguisés, où souvent ils ne rentrent que par les toits du voisinage. De discrètes visites leur portent provisions et nouvelles. Parfois, les mêmes mains dévouées font 1. Au plus fort de la Terreur, il fut cependant obligé de s'éloigner.


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passer, de maison en maison, les avis de l'autorité ecclésiastique, et en particulier les lettres de Mgr de Pressigny, où le cœur du Père et la ferme doctrine du Pasteur versent à tous lumière et réconfort. C'est ainsi que fut connu à Saint-Malo, alors qu'il resta ignoré en beaucoup de diocèses, le Bref de Pie VI du 19 mars 1792, confirmant les condamnations déjà portées, et encourageant clergé et fidèles. Depuis si longtemps on voyait la chère notre Dame de bon secours aller d'une porte à une autre et monter à tous les galetas, que cela lui facilitait de tels ministères de charité et de zèle; pour les remplir, en même temps que ses œuvres coutumières, elle continuait de parcourir la ville, comme si rien n'était changé, cachant sous la longue pelisse que tous connaissaient, avec les secours temporels, des moyens de salut pour les âmes. En l'abordant, on retrouvait dans son sourire cette paix sereine que rien n'exile d'une âme comme la sienne, car elle sait que Dieu est là et qu'en laissant faire les hommes, Il conduit toutes choses à ses fins. Mais comment son front ne se serait-il pas penché, voilé de tristesse, quand elle passait à la porte de la cathédrale où pendant de longues années, chaque jour, sa prière s'était répandue au pied de l'autel. Maintenant elle n'en franchissait plus le seuil, il n'y avait plus là que culte sacrilège ou odieuse idolâtrie. L'histoire de cette chère église était celle de toutes les églises de son pays, elle ne l'ignorait pas, et quels actes de douloureuse réparation une telle pensée devait faire jaillir d'un tel cœur !


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Les plus tièdes même se réveillaient, saisis d'angoisse, en voyant la belle France catholique réduite comme à l'agonie. Elle eut alors ses Macchabées, qui redirent l'antique parole : « Sommesnous nés pour voir la ruine de notre peuple et pour rester inertes tandis que son sanctuaire est aux mains des impies? » Elle eut ses martyrs qui, sans résister au mal autrement que par leur inébranlable fidélité et leur courageux dévouement à la religion, scellèrent leur foi de leur sang. Pour mériter d'être de ces derniers, Thérèse des Bassablons n'a-t-elle pas bien fait jusqu'ici, sans y prétendre, tout ce que créature peut faire ? De ses relations avec ceux qui auraient voulu secouer le joug de la tyrannie révolutionnaire, nous allons avoir à parler et nous verrons que, toute à son rôle de charité, elle n'en sortit jamais — il était assez étendu — mais qu'elle le remplit noblement vis-à-vis de ceux qui se trouvaient compromis dans des complots vrais ou supposés. Il eut été indigne de son caractère et de sa vertu d'agir de manière différente. Les historiens sérieux s'accordent à reconnaître que les soulèvements qui, dès 1792, commencèrent à se produire dans l'Ouest, avaient pour cause la persécution religieuse. Mirabeau l'avait prévu, et, dès son premier rapport, un agent de la Sûreté générale, envoyé en Bretagne, le constatait : « La raison du mécontentement, écrivait-il, est qu'on a voulu imposer les prêtres constitutionnels. » Si celui qui entreprit alors d'organiser en Bretagne le mouvement y apporta surtout ses vues politiques et son esprit d'aventure, il n'en reste


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pas moins que chez la plupart des hommes qui s'y enrôlèrent, le motif dominant et déterminant fut la défense de la foi et de la liberté catholique. A partir du début de 1793, les coups de foudre se succèdent rapidement en Bretagne. Au lendemain de la mort de Louis XVI, on apprend qu'un traître a révélé toute la trame de la conjuration bretonne. Dans les premiers jours de mars, plusieurs chefs ou affiliés sont incarcérés ; parmi eux le frère de M. de Clorivière, M. de Limoëlan, et aussi trois de ses nièces, les sœurs du héros de Nancy; deux jours après, c'est le beau-frère de Mme des Bassablons, Guillaume de Launay qui, arrêté à deux pas de chez elle, va rejoindre les autres prisonniers, et est enfermé avec eux au château de Saint-Malo. Un Vincent, parent éloigné, y est aussi. Ils n'y passent que quelques jours et sont ensuite dirigés sur Rennes, puis sur Paris. Il y a heu de croire que la visiteuse des prisons put encore remplir son office envers celui qui lui tenait de si près, et envers ses amis éprouvés ; mais surtout elle eut à soutenir la désolée Mme de Launay et ses filles. Il était besoin de courage et de chrétienne résignation, car la sentence devait être implacable ; sur vingt-sept accusés qui comparurent devant le tribunal révolutionnaire, douze furent condamnés à mort, et M. de Launay était du nombre, parce que son nom s'était trouvé sur une liste de souscription. La même feuille entraîna la condamnation d'une des nièces de M. de Clorivière, Mme de la Fonchais ; ne voulant pas révéler que le nom inscrit était celui de sa belle-sœur, elle mourut victime de cet héroïque silence. M. de


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Limoëlan subissait le même sort, avec cette circonstance poignante que la seule preuve à conviction contre lui était un billet de sa fille faisant allusion à la mort de la Rouerie. Sa lettre d'adieu à ses enfants est belle de calme courage et de foi profonde. D'ailleurs l'attitude des douze Bretons força l'admiration d'une foule immense au jour de leur exécution, 18 juin 1793. Mme des Bassablons s'était vue ainsi frappée à la fois dans sa famille et dans ses amitiés. Ce fut sans doute alors que dans son entourage on commença de la presser de s'éloigner, et la pensée d'accompagner à l'étranger sa chère Jeanne, maintenant veuve, était de nature à faire impression sur son cœur. Cependant, on ne voit pas que même dans cette circonstance elle ait songé à partir. Une des nombreuses perquisitions dont il nous est parlé en termes généraux dut avoir lieu dans le temps où ses liens de parenté se marquaient si compromettants ; en tout cas, on ne trouva rien, on ne pouvait rien trouver, puisqu'elle se livrait exclusivement aux œuvres de miséricorde. Toute sa conduite le prouvait tellement, elle était entourée d'une telle vénération que des mois encore, tout en la tourmentant en mille manières, on n'osera ni l'arrêter, ni même empêcher son libre accès près des prisonniers. Ceux qu'elle visitera maintenant ne sont plus ses anciens clients : beaucoup ont la clef des champs et trouvent des emplois faciles dans les clubs révolutionnaires, il a bien fallu faire place à d'autres. Mais les prisons ordinaires deviennent trop petites, il faut en créer de nouvelles pour


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recevoir prêtres, aristocrates et fanatiques. Ainsi est transformé l'ancien couvent de la Victoire, grande construction qui existe encore aujourd'hui (1), de même que l'hôtel d'Asfeld(2). Toutes ces prisons vont se remplir des noms que jusqu'ici Saint-Malo inscrivait dans ses fastes comme des gloires ou comme des bienfaiteurs de la cité. La visiteuse va y retrouver ceux qui l'aidaient le plus généreusement de leurs aumônes, celles mêmes avec lesquelles depuis longtemps elle travaillait au service des pauvres. Bon nombre y sont jetés sous inculpation de complicité à une certaine « conspiration Magon ». De l'avis de Berryer père, et des auteurs les plus sérieux, cette conspiration était inexistante, pas une preuve ne put en être fournie; mais Magon de la Ballue, banquier à Paris, était puissamment riche ; ce vieillard, type de probité et d'honneur, avait prêté de l'argent aux princes, dans ses lettres il avait blâmé la Constitution et flétri le régicide : c'était trois fois plus qu'il n'en fallait pour le perdre et mettre la main sur ses biens. Un sous-ordre du Comité de Sûreté générale, Héron, d'origine malouine, ayant dénoncé les Magon de Bretagne comme complices de celui de Paris, leur nom s'inscrivit bientôt à chaque page des livres d'écrou de Saint-Malo, et on leur adjoignit des alliés à tous les degrés possibles. Nous ne cesserons plus de les rencontrer, en particulier Mme Magon de Coëtizac, amie de Mme des Bassablons. 1. Actuellement caserne de la Victoire. 2. Aujourd'hui l'école Sainte-Thérèse, sous le patronage de la sainte dont Mme des Bassablons portait le nom.


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On ne pouvait songer à impliquer celle-ci dans un complot prablématique, qui en serait devenu encore plus invraisemblable. Elle put donc rester la douce providence de ces geôles improvisées où manquait l'hygiène la plus élémentaire, où les maladies étaient multipliées et la mortalité fréquente, et cela dans un encombrement, une promiscuité des plus pénibles. En de telles conditions, il n'est courage si grand qui n'ait besoin de réconfort, surtout quand l'épreuve se prolonge, dans l'anxieuse incertitude, le désœuvrement forcé et la continuité de tracasseries de toutes sortes. C'était bien l'heure de cette sainte femme dont le propre, ses biographes nous l'ont dit, était de porter partout la consolation et la paix. Sa mission prenait alors un caractère apostolique plus étendu, et grandi encore par le danger. Il était bien rare qu'un prêtre put pénétrer près des détenus, et ce n'était pas, quelles que fussent les précautions, sans de terribles risques. Aux cœurs dans l'angoisse, aux esprits aigris ou abattus, aux malades qui languissaient sans les soins nécessaires, aux mourants surtout, il fallait un ange visible : Thérèse des Bassablons était là, aussi souvent, aussi longtemps qu'elle le pouvait. Elle aurait passé par le feu pour les assister, et parfois encore, les membres du district ne pouvaient se défendre de favoriser ses démarches. Ils étaient désarmés par cette charité qui n'avait plus rien de la terre, qui ne faisait nulle acception de personnes et qui, à leur grande surprise, s'étendait même aux pires ennemis de la religion quand la disgrâce les atteignait. De malheu-


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reux prêtres tombés de la manière la plus lourde dans'le schisme et dans divers désordres, avaient commis des délits si criants qu'ils furent emprisonnés. Méprisés même de leurs geôliers, ils restaient dénués de tout. Les trouvant dans cette misère sordide, Mme des Bassablons ne vit plus que leurs souffrances, leur caractère sacré et leurs âmes à rapprocher de Dieu, s'il se pouvait, par de bons offices. Quand elle se présenta pour obtenir la permission de leur procurer des lits, il lui fut dit, avec étonnement : « Tu ne sais donc pas, citoyenne, que ces hommes ne sont pas de ton parti. — Ce sont des hommes, donc mes frères », réponditelle. Ce fait dut se passer vers 1792 ou début de 1793, car un des misérables ainsi secourus pendant son emprisonnement se retrouve libre et en faveur auprès de Le Carpentier quand celui-ci paraît à Saint-Malo. C'est Tobie, l'ex-moine, dont le proconsul fera un de ses meilleurs, lisez un de ses plus haineux acolytes, dans la campagne contre le fanatisme qui atteindra la bienfaitrice des prisonniers. Les prêtres fidèles, dont la détention était particulièrement sévère, avaient toujours la première et la plus large place dans des sollicitudes auxquelles se mêlaient toutes les délicatesses du respect et de l'esprit de foi. Le courage avec lequel Mme des Bassablons poursuivait son œuvre effrayait ceux qui la connaissaient. « J'aA^ais entendu des patriotes, dit un témoin, former le projet de l'arrêter, je l'en prévins, l'engageant à se dérober. « Que faire ? Cela m'est


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« impossible, répondit-elle en souriant. S'il plaît « à Dieu que je partage le sort réservé aux amis « de la religion, que sa volonté soit faite. » Lorsqu'elle parlait ainsi, elle venait de visiter à la prison un respectable curé ; elle ne discontinua pas ses dangereuses visites. » C'est donc bien en pleine réalité, c'est en actes, que cette vaillante, dans son humble héroïsme, compte pour rien ce qui la concerne, et même sa vie, quand il s'agit de servir Dieu et le prochain. Dieu bénit tant de générosité en favorisant son action de telle sorte que pour un temps ses ennemis semblaient n'avoir pas pouvoir de l'empêcher. Ceux qui alors l'ont vue à l'œuvre ont « unanimement considéré comme miraculeux », selon l'expression de l'abbé Carron, tout le bien qu'elle est arrivée à faire sous les yeux mêmes des autorités révolutionnaires. L'heure n'est plus loin où la main divine qui veut la couronner, lâchera la bride à ses persécuteurs, afin qu'ils soient les instruments de sa gloire.


VII

L'heure du sang. — Courage tranquille. Arrestation.

L'année 1793 s'achève, léguant à celle qui vient, des décrets toujours plus oppressifs et plus arbitraires dont les effets, cependant, sont loin d'atteindre ce qu'ils auraient pu être s'il ne restait encore tant d'honnêteté en France. Il y en a beaucoup en particulier dans le coin de France qui nous occupe. Les habitudes de probité, de justice, d'honneur profondément enracinées à Saint-Malo, ont continué d'influer encore dans le gouvernement de la cité au début de la Révolution. Même au Comité de surveillance, où siègent les plus tristes personnages, quelques-uns ont gardé au moins des sentiments d'humanité. Mais peu à peu la situation est devenue intenable pour ceux qui n'ont pas consenti à participer aux mesures violentes, et plusieurs passeront au rang des suspects, en dépit des gages précédemment donnés à l'esprit révolutionnaire et anticatholique. La garde nationale compte encore beaucoup de braves gens qui n'ont pas la moindre envie de


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molester leurs concitoyens, et s'arrangent même à les protéger en ayant l'air de les rudoyer. Il en est qui longtemps se sont prêtés à favoriser les touchantes sollicitudes de Mme des Bassablons envers les prisonniers. Cependant toutes ces bonnes volontés timides sont impuissantes, et bien peu iraient jusqu'à compromettre leur tête. L'audace des pires meneurs devenait, au contraire, à la fois plus insolente et plus dangereuse pour ceux — ils étaient nombreux — qui avaient le malheur de leur déplaire. Mme des Bassablons ne pouvait manquer d'être du nombre, et plus encore que d'autres, car cette céleste charité qui contrastait avec leurs injustes haines et en déjouait si souvent les efforts, ne faisait que les exaspérer. En face de sa maison existait une tabagie où se réunissaient les membres d'un club de forcenés. La sainte femme entendait avec douleur tous leurs blasphèmes, et, au milieu de leurs vociférations, lui parvenaient aussi des menaces à son adresse. La violence en était telle que, même parmi ces hurleurs du jour, comme l'abbé Manet les appelle, il se rencontra un homme pour demander, par deux fois, « d'où peut venir pareil acharnement contre celle qui n'a fait que du bien ». Pour lui prouver que ce n'étaient pas paroles vaines, les visites domiciliaires se renouvelaient chez elle, « soit pour chercher des prêtres réfractaires, soit pour enlever les signes du christianisme, soit même pour le seul plaisir de lui donner l'alarme ». Parmi ceux qui brutalement bouleversaient sa demeure, elle vit des hommes qui la veille recouraient à elle, à qui elle n'avait rien


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refusé de ce qui était en son pouvoir, qu'elle avait mis à même de gagner honnêtement leur vie. Ces malheureux préféraient un métier plus facile, et il s'en trouva qui furent payés six francs par semaine pour épier toutes ses démarches et signaler ceux qui entraient chez elle. Harcelée sans trêve par de telles vexations, « cette créature angélique, affirme encore le biographe, ne perdait rien de sa sérénité ». Elle ne répond à l'ingratitude qu'en s'efforçant de faire du bien, dans la mesure où elle le peut encore, mais les obstacles vont croissant, non moins que les besoins d'une population en effervescence. La disette est à l'état permanent; le commerce, jadis si florissant, est presque nul, les vaisseaux restent à l'ancre désarmés, laissant tomber leurs vergues, car l'insécurité est dans le port même et un vent souffle, autre et plus terrible que les tempêtes du large. De temps en temps, une rafale plus violente fait courber les têtes. Sourde si les succès des Vendéens se font craindre, la colère des Sans-Culotte devient arrogante en face de leurs revers ; et quand quelques débris des armées de la Vendée arrivent jusque sur la côte, c'est souvent pour tomber sous les représailles avant que la charité catholique ait pu recueillir blessés et malades. Le moment est venu où la tourmente, complètement déchaînée, va jeter pendant des mois le ravage et la mort dans tous les milieux de ce pauvre pays. Au commencement de décembre, deux membres du Comité de Sûreté générale sont envoyés à SaintMalo pour exciter les poursuites. Alors, au Comité


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de surveillance est adjointe une commission militaire révolutionnaire, et ces deux organismes ne font qu'un avec le Conseil de la commune, pour exercer une action terroriste. Mais un bras plus lourd encore va s'abattre sur la cité, c'est celui du commissaire délégué par la Convention, Le Carp entier. Il faut faire connaissance avec ce personnage, qui va tenir entre ses mains le sort de Mme des Bassablons. D'obscure origine, Le Carpentier a profité des premières secousses de la Révolution pour se faire une place et un nom : il y réussit, il sera appelé « le bourreau de la Manche ». Nommé représentant du peuple pour le département de la Manche et les départements voisins, il a commencé par terroriser Cherbourg, Valognes, Granville, etc. Le tour de Saint-Malo était venu de subir son joug odieux. Il y arriva, comme partout, en despote qui arrache à la peur de factices hommages. Le maire de Saint-Malo s'était rendu jusqu'à Paramé pour recevoir et haranguer, « au nom de la nation », le commissaire empanaché, qui dut trouver maigre l'enthousiasme du peuple, mais eut la mauvaise joie de se voir saluer par Caron, le curé jureur et marié. C'étaient de tels hommss qu'il voulait, il ne négligera rien pour en obtenir, il répandra à profusion dans ce but une honteuse petite gazette. Il se trompait, les fruits qui portaient le ver au cœur étaient tombés au premier souffle de l'ouragan, triste récolte qui ne s'accrut point; car si quelques-uns, comme le curé constitutionnel de SaintMalo, passèrent du schisme à l'apostasie, cette


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descente dans l'abîme eut pour effet de rattacher plus encore les autres à l'unité catholique. Mais la fidélité du clergé, celle des simples chrétiens va porter à son paroxysme la rage insensée du proconsul. « Le sacerdotisme est une colonne antique ettenace qu'il faut briser, déclare-t-il. L'aristocratie, le fédéralisme et la superstition seront replongés dans le néant. » Il y fait rentrer de son mieux les saints même du paradis, car Saint-Malo s'appelle Port-Malo et Saint-Servan devient Port-Solidor, du nom de la vieille tour si pittoresque, qui ne méritait pas cet opprobre. Toutefois, dans un pays encore si attaché à la religion, le persécuteur trouve sage de voiler sous divers prétextes les poursuites dirigées contre elle, et il fait à ses affidés des recommandations en ce sens : « Il faut réprimer les prêtres, non comme ministres du culte, mais comme mauvais citoyens. » En vain cherchera-t-il à donner le change sur l'objet de sa haine et à enlever à ses victimes l'honneur de leur sacrifice, il se trahira lui-même dans des accusations sans prétexte plausible. « Nous ne pouvons que t'engager à te continuer toi-même », lui a-t-on écrit élégamment du Comité de Sûreté générale. L'encouragement n'était pas nécessaire. En peu de temps, il fait incarcérer, de son propre aveu, cinq cents suspects, y compris le maire et autres administrateurs. La commission militaire instituée peu avant est bien tiède : dans le cours de décembre, elle n'a ordonné que six exécutions ! Mais la voici réorganisée et, dès les premiers jours de 1794, la guillotine est dressée en permanence sur la place Saint-Thomas. Les Sœurs


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de l'hospice qui remplissent encore leurs charitables fonctions, ont le spectacle sous les yeux, et si, dans les relations d'œuvres qu'elles entretiennent ensemble, Mme des Bassablons veut arrivera elles, elle ne le peut plus sans frôler l'horrible instrument et respirer l'odeur qui se dégage de la fosse sanglante creusée sous l'échafaud. Dans ses visites aux prisons, son rôle prend un caractère émouvant qui doit briser ce cœur si sensible. C'est tous les jours maintenant qu'il y a des victimes destinées à la mort, et qu'il faut chercher à être le plus possible auprès d'elles pour les consoler. Souvent, nul autre ne sera là pour leur montrer le Ciel, l'entrée du prêtre est plus difficile que jamais, ou plutôt impossible. Combien de fois la visiteuse elle-même devra, en ces tristes mois, se voir repoussée avec menaces, car d'anciens gardiens sont peu à peu remplacés par de plus féroces. Parfois, un involontaire frisson la saisit dans ses périlleuses sorties ; elle ne rencontre plus que visions d'épouvante, et la pensée du sort qui l'attend se présente à elle. Elle va quand même, ne lui faut-il pas se hâter vers les familles privées de leurs membres, pour sécher des larmes brûlantes et apaiser des cœurs débordants d'une amertume parfois désespérée. Dans les étroites rues qu'encombrent si souvent des patrouilles, des cortèges de prisonniers ou de condamnés, des manifestations de patriotes ivres de sang, on rencontre du moins encore l'humble et noble silhouette dont le seul aspect parle de paix et de charité. Qu'est-ce donc que ce groupe de femmes, toutes jeunes, que, peut-être sous les yeux de Mme des


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Bassablons, on pousse hors de la ville comme des brebis menées à l'abattoir. La guillotine ne suffit plus, on va les fusiller sur la grève du Talard, et la marée montante viendra lécher leur sang. Une autre fournée était préparée, mais la plupart des condamnées succombèrent avant le jour fixé, tant était grande l'insalubrité des lieux où on les entassait. Les fusillades se renouvelèrent plus tard, vers ce point du « Sillon » où maintenant s'élève une croix. Mme des Bassablons avait-elle pu encore arriver jusqu'à ces infortunées avant leur mort violente ou pendant leur lente agonie? Avant l'exécution des femmes dont nous parlions tout à l'heure et qui eut lieu le 23 janvier, sa maison a été de nouveau, le 21, fouillée en tous sens et on y a fait une découverte, relatée en ces termes dans un rapport au Comité de salut public : « Vraie aristocrate et fanatique. On a trouvé, avec deux mannequins et une caisse remplie de livres, une somme de 12.124 livres, dont 93 en assignats, somme que cette citoyenne a déclaré appartenir à son frère, Louis Guillaudeu de la Villarmois, prêtre, résidant dans la République. » Les gazettes à la solde de Le Carpentier se hâtent alors de la présenter comme une vile et criminelle accapareuse des biens du peuple. A la suite de cet événement, ses amis la pressent plus encore de partir ; ceux même qui avaient pu croire que personne ne voudrait, n'oserait toucher à la mère des pauvres sont obligés de comprendre que rien n'est plus respecté, que la charité même est devenue un crime. L'héroïque femme


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est inébranlable, elle ne veut pas quitter ses enfants adoptifs. Cependant, elle se trouve plus isolée encore; un de ses meilleurs appuis, l'abbé Engerrand, traqué à cause du courage qu'il a mis à continuer son ministère, a dû se retirer à Rothéneuf. Les services qu'elle-même rendait jusqu'ici lui deviennent presque impossibles, tant les entraves et les pièges se multiplient, sa mission active touche à sa fin. Mais avec le danger grandit cette force d'âme qui chez elle a toujours raison du tempérament impressionnable. Alors que certains hommes sont en ce temps, sans vouloir se l'avouer, gouvernés par la peur qui se trahit dans leur conduite, elle, toute vraie, a plus d'une fois confessé simplement l'effroi qui par instants la glace, mais elle ne s'en laisse pas dominer, elle ne s'y arrête pas ; et son généreux regard, éclairé par la foi, se reporte aussitôt vers Dieu et vers ses frères. La prudence même qui mesure ses démarches montre qu'elle n'est pas le jouet de ses impressions, quelles qu'elles soient, car il est remarquable que si longtemps elle ait pu se livrer à une telle activité, sans donner prise aux dénonciations qui la guettent. Un nouvel encouragement est donné aux délateurs, le représentant du peuple fait faire une bannie promettant des primes à tous ceux qui découvriront des prêtres ou signaleront des suspects. Sur une population de onze mille habitants, on recueillit en tout trente dénonciateurs. Mais nous le savons déjà, quelques-uns étaient sataniquement acharnés à la perte de celle que presque tous, au contraire, vénéraient et aimaient comme une mère.


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Le 7 février (19 pluviôse) est marqué par l'arrestation des sept Sœurs de Charité de la rue SaintSauveur qui secondaient la directrice de l'Œuvre de la Providence. Le lendemain, ordre est donné à l'ingénieur de la place « d'enlever au plus tôt la Vierge et les inscriptions qui étaient encore audessus de la porte de la maison et qu'il veuille bien faire de ce local un magasin ». C'est pour le cœur de Mme des Bassablons un double et rude coup, déjà quelque chose d'elle-même lui est arraché, et tout annonce que bientôt sa propre liberté lui sera prise. L'imprudence qu'elle n'a pas faite, une autre va s'en charger : une religieuse, de ses parentes, lui écrit de Vitré pour la remercier d'un don, et en même temps elle lui parle de son horreur pour le serment exigé, et lui raconte des scènes dont elle a été témoin. Cette lettre, interceptée et livrée au Comité révolutionnaire, fournit le prétexte attendu, et, dès le lendemain, 6 avril (17 germinal), Le Garpentier signe un mandat d'arrêt ainsi motivé : « Considérant que cette citoyenne fut rendue suspecte en donnant depuis longtemps le dangereux exemple d'un attachement aveugle au fanatisme, en l'alimentant, en faisant passer des sommes à ses partisans, et en entretenant avec eux une correspondance contraire aux principes du gouvernement révolutionnaire. » La lettre saisie, à laquelle il est fait une allusion, à dessein vague et générale, est tellement un prétexte qu'elle ne sera même pas produite au procès. Mais le vrai motif est nettement indiqué et doit être retenu, c'est le fanatisme, plus que cela : « le


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dangereux exemple du fanatisme. » Il faut le reconnaître, le Proconsul, au point de vue où il se place, a bien jugé, rien de plus fort qu'un tel exemple : il mérite la mort ! L'ordre d'arrestation ne pouvait tarder à s'exécuter. L'amie de Mme des Bassablons, cette religieuse innommée qui, depuis quelque temps, vivait près d'elle, dit dans ses souvenirs : « On vint m'en prévenir et je lui en fis part. Elle me pressa de partir pour l'Angleterre, j'étais bien éloignée de vouloir la quitter, ne doutant pas que je lui serais utile dans sa captivité. » Il est beau de simplicité, ce récit de quelques lignes où on voit lutter deux générosités dignes l'une de l'autre. Certainement, les deux amies, aussitôt, mirent à profit les heures de liberté qui s'annonçaient si courtes, et ce fut, sans doute, en grande partie pour prévenir les dangers que d'autres pourraient courir. Il paraît évident que, depuis quelque temps, Mme des Bassablons ne devait plus cacher de prêtres dans sa maison de Saint-Malo, par trop signalée et exposée ; mais elle ne cessait pas de leur ménager abris et assistance de toutes sortes, à sa campagne en particulier. Ni elle, ni ses auxiliaires n'ignoraient à quoi elles s'exposaient : quiconque recélait un prêtre sujet à la déportation ou revenu de déportation était passible de la même peine que le prêtre lui-même. Les décrets, surtout celui du 21 octobre 1793, étaient formels et le couperet restait toujours suspendu sur la tête des receleurs, c'était le terme consacré. Une journée entière s'écoula depuis l'ordre 6


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d'arrestation, et ce fut le surlendemain, 8 avril, qu'il reçut son exécution. Dès six heures du matin, la cohorte était là, elle y resta jusqu'à huit heures du soir ; les soldats bouleversèrent la maison, chacun s'appropria ce qui lui plaisait, et le mobilier fut séquestré au profit « de la nation », expression commode pour voiler bien des choses. Quand, faisant halte à leurs exploits, les sbires allèrent dîner, un soldat s'offrit à garder, il voulait en profiter pour témoigner à Mme des Bassablons, — dont la douceur l'avait touché, — son regret des avanies dont elle était l'objet. Elles recommencèrent l'après-midi. On était en carême et, à quatre heures du soir, la patiente victime n'avait encore rien pris, elle eut une défaillance. Ses persécuteurs voulurent s'opposer à ce qu'on allât lui chercher quelque nourriture, mais deux soldats qui étaient logés chez elle, — sans doute d'office comme il arrivait souvent, — furent révoltés d'une telle cruauté et déclarèrent qu'ils passeraient leurs armes au travers du corps du premier qui voudrait les empêcher de sortir. Les autres se tinrent cois. On avait attendu la nuit pour emmener la captive, et c'était, comme pour son divin Maître, « de crainte d'un soulèvement parmi le peuple ». Il était impossible cependant que la nouvelle n'eut pas transpiré, et vraiment elle atteignait au cœur tous les Malouins encore dignes de leur cité ; aussi malgré la crainte, on guettait à la dérobée le triste cortège, on le suivait dans l'ombre, et, au moment où il atteignit la porte de la prison, des larmes coulèrent au milieu de murmures étouffés. Les


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tristes pensionnaires de la Maison d'arrêt virent arriver, pour partager leur sort, celle qui leur avait été si secourable, « elle y fut reçue comme une sainte, » on se jetait à ses pieds. Désormais, elle serait toujours là, chère et douce étoile de consolation, mais on ne la possédait qu'au prix de sa liberté...


VIII

La prison. — La préparation à la mort. Les compagnes.

Thérèse des Bassablons commence, avec la semaine de la Passion, sa vie de prisonnière. Et si vous demandez en quel lieu et en quelle société, une liste des détenues de la maison d'arrêt de Port-Malo, imprimée à la fin de germinal an II, — mi-avril 1794 — nous apportera quelques éclaircissements. Quand il faisait paraître ces listes, Le Garpentier les accompagnait d'une invitation à tous les bons patriotes de faire connaître tous les faits à la charge des prévenus ; trois jours étaient accordés pour avoir droit à la prime. La feuille qui nous intéresse compte 175 noms, et celui de Mme des Bassablons s'y trouve à côté d'autres noms qui figuraient alors à la Victoire, ce qui ferait penser qu'elle y fut internée ; une tradition cependant parle de l'hôtel d'Asfeld. Il arriva, du reste, plus d'une fois, qu'on fit passer des détenues d'un lieu à un autre. Toutes ces geôles se ressemblaient parleurs plus rudes aspects, on y entassait, jusque dans des caves fétides, le gibierpris au piège, aristocrates ou fanatiques, qui s'y trou-


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vaient souvent sans lits et sans couvertures. Il fallait s'en procurer comme on pouvait, et il en était de même de la nourriture, ce qui avait un côté fort précieux en permettant des communications plus faciles avec parents, amis ou serviteurs dévoués. A défaut de précisions sur la prison elle-même, l'abbé Manet a soin de nous décrire le local où la vénérée captive va se préparer au suprême sacrifice. C'est un cabinet de six pieds sur huit, dont l'unique fenêtre a été aveuglée, et qui ne reçoit d'air et de lumière que par deux autres pièces auxquelles il sert de passage. Dans ces pièces, languissent vingt-quatre valétudinaires. L'étroit et obscur réduit aura du moins l'avantage de ménager des heures de silence et de recueillement aux deux amies que nous y retrouvons, car avec Thérèse, voici encore cette religieuse dont les deux biographes s'accordent à ne nous parler qu'en taisant son nom ; comme si elle-même avait AMJUIU s'envelopper d'oubli jusque dans les détails qu'elle a fournis. On est tenté de découvrir le dévouement qui se cache. Sur la liste des détenues un nom semble, — à l'exclusion des autres, — réunir les indices pouvant s'appliquer à cette amie si discrète : c'est celui de Marie Desilles de Cambernon, ancienne ursuline, dont la noble famille a été frappée et dispersée par l'orage aussi bien que la communauté. D'autres religieuses sont là également, presque toutes par groupes : les Filles de la Charité du bureau de bienfaisance qui furent arrêtées il y a deux mois, les cinq Sœurs de la Passion que nous


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avons aperçues un jour dans leur rôle de maîtresses d'école des enfants pauvres, les dix-sept religieuses de Saint-Thomas de Villeneuve qui, hier encore, se dépensaient à l'hôpital, et avec elles dix hospitalières arrachées à leurs malades de Port-Solidor ; car là-bas aussi les prisons regorgent et même tellement qu'elles déversent leur trop-plein sur celles de Port-Malo. Une seule religieuse du couvent de la Victoire y était restée après la dispersion de ses sœurs ; de gardienne, elle est devenue prisonnière. Passant entre les grabats étroitement serrés des différentes salles, Mme des Bassablons salue celles que, jeune femme, elle rencontrait dans les brillantes fêtes d'antan, celles qu'hier encore elle retrouvait dans leurs tranquilles demeures ou dans les réunions des dames de la Charité. Elles ont gardé du passé les nobles manières; elles ont gardé aussi habitudes et vertus à hauteur de l'épreuve, ou défauts qui la rendent plus fâcheuse pour soi et pour autrui, en un mot, ce que chacune a bien à elle, ou plutôt ce qu'elle est, et rien que cela. En de telles conditions, il n'est pas surprenant que l'abbé Carron parle du caractère « mal assorti » des prisonnières, devenant entre elles une cause de souffrances. Cela se compliquait évidemment des contrastes d'éducation, d'un relief si crû dans ce pêle-mêle où des femmes de tout rang se trouvaient, de jour et de nuit, les unes sur les autres. Mais il y avait pire : on remarquait des personnes dont nul ne s'expliquait pourquoi elles étaient là, sinon « pour faire souffrir les autres »,


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disait-on. L'explication existe, car à ce moment, dans les prisons de Saint-Malo comme dans celles de Paris, où on les appelle « les moutons », des gens, hommes ou femmes, sont payés pour être là, au milieu des vrais détenus; leur office est d'épier, de dénoncer, et parfois de pousser à bout la patience des infortunés. Le Carpentier en était venu à escompter qu'à force de vexations on provoquerait une révolte, et cyniquement son plan était fait d'un procédé expéditif; il ferait murer les prisons et on y mettrait le feu. Les prisonniers eurent la sagesse de ne se laisser prendre ni aux excitations sournoises ni aux provocations exaspérantes, et le parti extrême fut évité. Sentant au milieu d'elles des espionnes, les captives étaient obligées à une extrême prudence entre elles et dans les visites qu'elles recevaient, et ce système odieux rendait comme impossible la pratique des sacrements. Cependant, de petits cercles se formaient où, à mi-voix, on échangeait ses pensées; Mme des Bassablons y paraissait, toujours avec sa douce bonne grâce, et trouvait moyen, nous dit-on, de faire passer aux autres, même dans ce triste séjour, de bons et joyeux moments. Il arriva parfois que, quand on agitait les prévisions d'avenir, les chances d'un sort meilleur ou pire, elle se prit à dire : « Oui, je serai guillotinée, ils m'ont trop fatiguée avant mon arrestation pour que ma vie ne se termine pas ainsi. » Mais aussitôt, ajoutent les mémoires, elle reprenait son « enjouement accoutumé ». Cette expression est trop souvent employée par les biographes pour n'être pas une caractéristique de la physio-


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nomie de notre héroïne. Elle nous apparaît dans la prison comme avant, avec sa manière simple, allègre et souriante, qui ne plie un instant sous le choc d'une impression que pour réagir vaillamment, et qui emploie le tour piquant de son esprit resté jeune à aider le courage des autres du ressort surnaturel du sien. Sa présence était donc une bonne fortune pour toutes ses compagnes ; à toutes sans exception, elle se donnait comme toujours. Il y avait là des femmes âgées et infirmes, il y avait des jeunes filles, parfois des enfants, car on emprisonnait des familles entières. Mmes de Blessin, de la Baronnais, de Gouyon, de Bizien, ont chacune autour d'elles leur quatre ou cinq filles; d'autres en ont deux ou trois: Telle Mme de Chateaubriand, la mère du Correspondant des Princes, qui succombera, ainsi que son mari et l'une de ses filles, à l'insalubrité de la prison. « On y mourait comme mouche », est-il dit, et par suite l'ancienne visiteuse des prisons trouvait sur place de nombreuses occasions d'exercer sa charité toute compatissante et apostolique, oublieuse des maux de sa propre détention pour s'occuper du bien des autres. Avec cette prédilection qu'elle eut toujours pour les petits, elle était prête à converser avec les plus rustiques de ses co-détenues comme à aider les plus nécessiteuses. Il en était qui partageaient le même lit ; l'une de celles-là étant atteinte d'une fièvre pernicieuse, la seconde n'avait plus où coucher; Mme des Bassablons n'eut pas de repos qu'elle ne lui eût procuré un lit. « Verrais-je Lazare souffrir à ma porte sans lui porter se-


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cours? » disait-elle en cette circonstance. Et on la voyait donner des preuves de bonté même à ces malheureuses, signalées plus haut, fausses détenues prêtes à la trahir. Il faut ranger dans la même catégorie ces mendiantes qui avaient droit d'entrer dans la prison et d'importuner l'ancienne directrice de la Providence. Telle venait solliciter un secours pour sa mère malade, ajoutant que, grâce à Dieu, un prêtre assermenté lui avait donné les sacrements. Mme des Bassablons vit le piège et donna, sans mot dire, un secours, en attendant que la triste femme allât toucher, comme d'autres, le prix de sa tentative. Tandis que de telles entrées dans la maison d'arrêt étaient non seulement favorisées mais provoquées, les visites amies se voyaient écartées et rendues impossibles. Si on permettait encore aux prisonniers de recevoir leur nourriture du dehors, c'était sous les yeux des gardiens et sans échanger une parole avec les porteurs. Alors des billets cousus dans les ourlets des torchons devinrent le moyen courant de communiquer. C'était ainsi qu'une des captives correspondait avec sa soeur quand celle-ci avait dû, à cause de ses infirmités, être transportée à l'hôpital. Ces deux sœurs étaient particulièrement chères à Mme des Bassablons qui les avait vues, toutes jeunes, se former à la piété et au zèle sous la direction de M. de Clorivière. A Paramé, dans la maison où elles habitaient depuis la mort de leurs parents, Mlles Chenu avaient, dès le début de la Révolution, offert asile à des prêtres; puis, pour faciliter à un plus grand nombre de personnes


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l'assistance à la messe et la fréquentation des sacrements, elles louèrent un vaste local, et, grâce à la fidélité de presque tous les habitants de cette paroisse, de réconfortantes cérémonies purent s'y dérouler; telle la Noël de 1792 avec ses trois messes, qui avait remis de la joie dans les cœurs. Malgré les tracasseries croissantes, les choses allèrent ainsi jusqu'à l'automne de 1793, mais le 14 octobre, Paramé fut envahi par des soldats, de nombreuses maisons perquisitionnées, et Miles Chenu arrêtées avec d'autres. En partant, l'aînée prit son Evangile, et toutes deux s'en allèrent tranquilles et bénissant Dieu de ce qu'un prêtre, l'abbé Gautier, et une religieuse, Mère Félicité Desilles, cachés chez elles, n'avaient point été découverts. L'arrivée des deux sœurs avait fait quelque effet à Saint-Malo, car l'aînée étant infirme, il avait fallu la faire monter sur un âne, et les soldats lui disaient : « Te voilà comme Jésus-Christ entrant à Jérusalem. » Se voyant en cet équipage, les prisonnières avaient peine à garder leur sérieux, en dépit d'une situation qui ne présentait rien de rassurant, elles ne l'ignoraient pas. Mais Amable avait l'âme aussi vaillante que le corps était chétif; et Thérèse, une intrépide au cœur très chaud, n'aurait rêvé rien de mieux que d'aller en paradis par le plus court chemin, surtout par celui du martyre. Ce fut d'abord dans la tour du château qu'elles reçurent la visite de celle qu'elles connaissaient et aimaient déjà si intimement, et qui les retrouva ensuite dans la maison d'arrêt, en attendant d'y être enfermée elle-même.


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Ce ne pouvait être sans anxiété que Mme des Bassablons jetait de loin un regard du côté de Pontpinel, où des prêtres avaient pu se trouver fort exposés. Mais sans doute, ils n'y devaient plus séjourner, car la fidèle auxiliaire de la châtelaine, Perrine Guichard, bien connue pour son dévouement aux malades, avait été appelée à Cancale par les autorités pour soigner des marins, au foyer d'une terrible épidémie que tout le monde fuyait. Une autre pieuse paraméenne, Marie Tertra, était avec elle et succomba bientôt. Perrine, atteinte aussi, revint à Pontpinel et n'y trouva plus que les vieux serviteurs, trop cassés pour lui donner les soins voulus. Dévorée par la gangrène, elle mourut après d'horribles souffrances supportées sans une plainte. Elle avait été consolée par l'assistance d'un jeune prêtre, M. Vielle, qui fit en ce temps des merveilles d'audace pour aller au secours des âmes. Ainsi, les nouvelles qui parvenaient aux prisonnières n'apportaient guère de sujets de joie. L'écho de certaines fêtes venait parfois expirer en leurs murs, mais quelles fêtes ! Celles du Decadi, avec leurs comédies sacrilèges, où pontifiait un apostat aux côtés du Proconsul. Ou bien ces réunions dansantes auxquelles Le Carpentier invitait des parents de ses victimes, qui passeraient vite au rang des suspects s'ils n'y venaient pas, ou même si, ayant eu le triste courage d'y venir, ils portaient quelque ombre sur leur front. Il faut lire l'adresse envoyée à la Convention le 24 ventôse an III — 15 mars 1795 — par les citoyens administrant le district de Saint-Malo,


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pour se mieux convaincre de ce qu'était le joug Le Carpentier. Après avoir dépeint les nouveaux patriotes dont il s'était entouré, « pour la désolation de la malheureuse cité », selon leur expression, ils parlent des emprisonnements de vieillards, d'enfants, de .femmes, et ajoutent : « Tout fut entassé dans ces bastilles que l'on s'étudiait à rendre un séjour de désespoir. L'existence des citoyens honnêtes qui n'étaient pas enfermés n'était guère différente : on n'osait plus se voir ni se parler. Dieux, quelle liberté!... » Et après d'autres plaintes encore, les auteurs de l'adresse, qui d'ailleurs ne sont point d'ardents réactionnaires, protestent que « ce tableau de la persécution et des cruautés qu'a souffert ce malheureux pays n'a rien d'exagéré ». A l'époque dont un document si authentique vient de nous dire l'horreur, et pendant que Thérèse des Bassablons est sous les verrous, sa chère associée de la Providence, Julienne White, est restée presque seule au milieu des ruines de leur œuvre. Elle soutient ce qui subsiste, avec un courage et un sang-froid inespérés, et cette timide donne, elle aussi, toute sa mesure dans l'épreuve. Il arriva que le Comité révolutionnaire voulant exiger qu'elle livrât plusieurs centaines de bas du bureau de bienfaisance, son refus lui avait fait courir de grands risques ; des amis officieux le lui faisant remarquer, elle se contenta de répondre : « Ce bien est aux pauvres, je dois faire tout ce que je peux pour le leur conserver jusqu'à ce qu'on me l'enlève de force. » Néanmoins, elle ne partagea pas le sort de son amie, Dieu la réservait pour un


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autre genre de sacrifice. Elle devait continuer vaillamment l'exercice de la charité, même au milieu des infirmités d'une vieillesse douloureuse. Aveugle, couverte de plaies, elle souffrira longuement avec une douceur angélique et n'ira qu'en 1802, rejoindre au port de l'éternité celle qui, maintenant, y touche de si près. Depuis plus de quinze ans, elle nous l'a dit, Thérèse, chaque jour, se prépare à la mort et, maintenant, il est aisé de comprendre quel renouveau d'humilité et de ferveur elle met dans cette préparation. Peut-être a-t-elle emporté dans la prison cet ouvrage — seul souvenir resté d'elle — qui traite de ce .grand sujet. Bien des fois, il a dû lui servir pour assister des mourants ; ses doigts l'ont feuilleté, son cœur est entré dans les sentiments de foi pure et élevée qu'il exprime. Nous en emprunterons quelques lignes, écho des pensées qui l'occupaient alors : « J'accepte la mort très volontiers, ô mon Dieu, pour rendre hommage à votre souveraineté. Je la reçois comme un effet de votre justice sur moi. Je l'accepte par amour en vue d'imiter et d'honorer la mort de mon Sauveur Jésus-Christ. Je l'accepte pour ne plus vous offenser, je l'accepte pour obéir à votre volonté, je l'accepte pour votre gloire à laquelle se doit rapporter tout notre être, notre vie et notre mort. Je l'accepte afin de m'unir à vous pour éternellement vous aimer, vous louer et jouir de vous, et enfin pour voir l'accomplissement de cette parole : « En ce jour, Dieu sera seul grand et honoré. » (Isaïe, H, 17.) Par d'autres actes, la servante de Dieu s'offrait


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à suivre Jésus-Christ obéissant jusqu'à la mort de la croix, ou bien elle s'unissait à Lui par des communions spirituelles renouvelées. Depuis si longtemps, elle était privée de l'aliment divin! Il se peut qu'elle redise alors avec d'autres, si une main amie a pu les faire parvenir, des strophes composées par son ancien recteur de Paramé pour la consolation des prisonnières. Citons-en deux : Du pain vivant, mon âme languissante, Depuis longtemps ne peut plus se nourrir ! Vous le savez, la faim qui me tourmente, Seigneur mon Dieu, me force de mourir! Mais mon Sauveur Jésus a mis sa gloire Dans les tourments qu'il endura pour moi. C'est ma plus noble et plus douce Aictoire, Que de souffrir et mourir pour mon Roi !

Le cabinet noir où déjà nous avons pénétré, est devenu comme un sanctuaire, où la captive et son amie trouvent, à certaines heures au moins, de silencieux loisirs pour s'entretenir plus librement avec Dieu. C'est là que se passent les jours de la Semaine Sainte, non seulement dans la méditation, mais dans la participation humblement vécue aux liens et aux opprobres du Seigneur allant à sa Passion. Quand vient l'aurore de Pâques, les cloches de la cathédrale ne se réveillent plus, elles sont parties pour la fonte avec le plomb des cercueils, car les sépultures ont été violées; la prison et ses misères restent les mêmes, rien ne rappelle les douces et belles fêtes de jadis, mais, des coeurs plein de foi, Y Alléluia monte quand même vers le ciel, et les paroles de l'Évangile versent de nouvelles clartés. S'il a « fallu que le


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Christ souffrît », c'est maintenant le tour des pauvres servantes, c'est le legs béni de la Croix. Thérèse le comprend, dans son cœur le Fiat règne, doux, universel, communicatif ; et ce que ses compagnes admirent le plus en elle pendant sa détention, c'est ce plein et tranquille abandon au bon plaisir de Dieu. Le temps pascal s'écoule ainsi. Les prisonnières se voient comme emmurées dans leur étroite réclusion par les mesures prises pour les priver de toutes communications autres que celles qui peuvent les affliger ou les effrayer. Les minuscules billets sont une consolation dont on ne peut abuser ; les heures pèsent, tantôt mornes, tantôt hantées d'angoissantes conjectures, et les tempéraments s'épuisent. Aux âmes abattues, la fête de l'Ascension a rappelé plus vivement les espérances du ciel, s'ouvrant au-dessus de leurs maux passagers. Pour quelques-unes, c'est la dernière préparation à de nouvelles épreuves.


IX Le chemin de croix. — Suprême apostolat.

« Nous, Représentant du Peuple, délégué par la Convention Nationale... après avoir soigneusement examiné le tableau des détenus à nous communiqué par le Comité révolutionnaire de cette Commune, et attendu qu'il en résulte que les individus ci-après dénommés sont tous prévenus de conspiration, Arrêtons que les dits individus... seront tous traduits devant le Tribunal révolutionnaire à Paris, pour y être jugés conformément à la loi... » Tel est l'arrêté de Le Carpentier qui est lu dans la prison le 1er juin, dans le cours de la matinée. Malade, Mme des Bassablons était encore au lit, et elle pria son amie d'aller entendre les noms appelés. « Malgré tout ce qu'elle m'avait dit, rapporte sa confidente, je ne m'attendais pas à ce qu'elle eût pareil sort. En l'apprenant, je perdis l'usage de mes sens; on m'aida ensuite à me rendre auprès d'elle, et dès qu'elle me vit : « Oh! ta figure m'annonce que je suis sur la liste », dit-elle. Aussitôt elle se leva et prodigua ses soins à sa compagne. De ses craintes, il n'est pas question. Cette âme, allais-je dire, rebondit toujours, oui, elle rebondit jusqu'à Dieu. Se faisait-elle illusion en ce moment? Non, car dit l'abbé Manet : « Notre courageuse martyre ne se flatta point, elle comprit qu'elle touchait


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à sa dernière heure. » Ce qui s'affirme et brille en elle à cette minute émouvante, c'est tout de nouveau le fond de son âme si pleinement donnée. Tout à l'heure encore, abattue par l'épuisement physique, elle se redresse maintenant pour s'occuper des autres et, après avoir soigné et consolé de son mieux son amie bouleversée, elle se met en devoir de visiter celles qui doivent être ses compagnes de voyage. Elle en trouve quelques-unes dans un espoir qu'elle ne partage pas ; ces pauvres femmes qui, depuis si longtemps, se morfondent dans la prison, sont presque soulagées d'un changement dans leur infortune, et se figurent que là-bas l'inanité des poursuites exercées contre elles sera reconnue. Suivons Mme des Bassablons dans cette tournée d'une si touchante amabilité, et faisons avec elle plus ample connaissance avec celles qui vont partager le même sort jusqu'au dernier instant. Le Comité de surveillance nous aidera, pour sa part, car il a dressé un tableau des détenues, qui va les devancer à Paris; mais nous ne lui demanderons, n'est-ce pas, ni une charité, ni une véracité très évangéliques. Quelques traits empruntés par anticipation au réquisitoire compléteront la présentation. Voici, d'abord, « Anne-Hélène Gardin, femme Magon-Coëtizac », elle a soixante-six ans. Nous retrouvons là une amie déjà nommée de Mme des Bassablons. Il faut noter ce qui lui est particulier parmi les chefs d'accusation : « On a trouvé chez elle des cœurs enflammés, signe de ralliement des contre-révolutionnaires. » D'après une tradition, il en eût été de même chez son amie Thérèse ; les 7


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documents n'en disent rien, quoique ce ne soit pas improbable, au contraire, pour une âme aussi dévouée au Sacré-Cœur. La chose était si fréquente, qu'au procès de Marie-Antoinette, un de ces insignes étant exhibé parmi les objets saisis, Fouquier-Tinville fit cette remarque : « La majeure partie des conspirateurs dont la loi a fait justice portait ce signe. » Il semble qu'on ait négligé, à dessein, de le relever souvent, et qu'on l'ait fait plutôt quand le nombre des insignes découverts indiquait une propagande, ce qui parait bien être le fait de Mme de Coëtizac. ' Saluons maintenant une femme vénérable, la marquise de Saint-Pern-Ligouyer, âgée de soixante-dix ans, que l'on arrache à son mari infirme ; celui-ci, par un raffinement de cruauté, est réservé pour une autre fournée, qui partira, en effet, au bout de quelques jours, mais arrivera, seulement après le 9 thermidor. De la commune où ces nobles vieillards ont passé plus de cinquante ans, la Municipalité avait eu le courage d'envoyer une protestation en ces termes : « Ils n'ont jamais fait de peine à personne, ils se sont toujours montrés bons pour les pauvres et prêts à obliger tout le monde. » Cela n'empêche pas notre tableau des détenues d'affirmer, de son côté, que « la femme Saintpern est un caractère violent et despote ». La sœur aînée du pseudo-évêque d'Agra, « Rosalie Guillot, veuve Geslin », est plus doucement traitée, c'est un « caractère bénin ». Elle n'en gardera pas mieux sa tête sur ses épaules, non plus que sa cadette Marie Françoise dont on ne nous dit rien du tout. Mme de la Grassinais a


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la mauvaise chance de ne voir relever contre elle que le crime d'avoir caché de l'argenterie et du numéraire, — ce que tout le monde eût fait à sa place. Voici trois nobles femmes qui seront comprises sous une même accusation. La doyenne d'âge est une amie, voisine de campagne et, sans doute, alliée de Thérèse, c'est Jeanne Le Breton, dame Eon de Carman, dont le cas s'aggrave du fait d'avoir donné à Dieu, parmi ses enfants, deux Visitandines. Mme Le Saige de Landcost laisse derrière elle dans la prison, deux filles éplorées. Adélaïde Fournier de Varennes, dame de Lys, retrouvera son frère dans le convoi. « Ces trois femmes, dit l'acte fatal, ont tenu chez elles des conciliabules de jour et de nuit, avec des conspirateurs, surtout des prêtres, et surtout la femme Delisce. » Un crime spécial à celle-ci, c'est qu'elle a « montré un chagrin sensible à la mort de Gapet». Toutes trois sont taxées de royalisme et de fanatisme, et le tableau y ajoute quelques aménités de sa façon : « fourbe, hypocrite, dangereuse », ce sont les épithètes qu'il égrène sur les trois noms. Il se trouve à court d'imagination pour nous peindre Julienne Le Fol, femme Quesnel, mais nous apprenons, par ailleurs, qu'elle a « molesté publiquement des patriotes ». C'est un peu vague pour envoyer quelqu'un à l'échafaud, surtout avec le luxe préalable d'un voyage à Paris. Qu'y a-t-il là dessous?... Quant à Marie Chapelain, une couturière, on veut bien lui reconnaître un « caractère enjoué », mais elle a « colporté des libelles dictés par le fanatisme pour allumer le feu de la guerre civile ». Ne s'agirait-il point de ces


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mandements de Mgr de Pressigny et de ces brefs du Pape que, si courageusement, des chrétiennes dévouées faisaient circuler? Il y a tout lieu de le croire, car, en langage révolutionnaire, ce sont bien « des libelles dictés par le fanatisme », et s'il ne s'agissait pas de chose semblable, pourquoi de telles poursuites contre cette obscure enfant du peuple? Des religieuses que nous avons vues dans la maison d'arrêt, une seule est appelée, JeanneMarie Sainte Sebert, du couvent de la Victoire. Est-ce pour faire disparaître ce gênant témoin de la spoliation? Elle est portée comme ayant refusé le serment et entretenant des relations avec les royalistes. Voici, enfin, Mme des Bassablons, présentée par le tableau en des termes qu'il faut donner intégralement et sans y changer une lettre : « Détenue le 19 germinal par ordre du Représentant du Peuple, Le Garpentier, pour causes cy-après : relations et liaisons avec roïalistes et fanatiques, pour ses opinions semblables ; recellé des prêtres réf ractaires et favorisé de tout son pouvoir les menées aristocratiques. Elle tient un bureau ou petite manufacture pour emploïer les pauvres à filer et faire des bas. Elle jouit d'environ S.267 livres de rente. » Le scribe n'a essayé d'aucune épithôte, mais il a eu soin, et cette particularité est unique dans le tableau, d'indiquer que la veuve Bassablons était « détenue par ordre du Représentant du Peuple. Le Carpentier », comme si le Comité de surveillance lui même avait tenu à constater qu'il se lavait les mains d'une arrestation si particulièrement odieuse. Nous nous rappelons comment était


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motivé l'ordre qui en fut donné le 6 avril et, plus loin, l'acte d'accusation apportera un surcroît de lumière. La journée du 1er juin s'avance; il a fallu faire quelques préparatifs, mais les voyageuses sont prévenues de se munir de fort peu de chose ; elles trouveront à l'arrivée « tout ce qu'il leur faut », leur est-il dit avec sarcasme. Quand celle dont les biens étaient toujours au service des pauvres, demande à emporter de l'argent qui lui appartient, elle se heurte à un refus brutal et complet, et est obligée de recourir à ses compagnes de captivité. Elle le fait avec la simplicité humble et souriante qu'elle mettait jadis à quêter pour les autres, et dit à son amie : « Ne t'avais-je pas annoncé que quand je n'aurais plus rien, tu tiendrais la bourse pendant que je quêterais? » En vain a-t-on essayé d'objecter que l'état de santé de Mme des Bassablons ne permet pas le départ, il est répondu, toujours avec une cruelle ironie, qu'on a pourvu à tout : un médecin sera du voyage. Ce n'est pas là ce qui inquiète la sainte partante, déjà tout immolée dans son cœur à la volonté de Dieu. Mais il y a longtemps, dit-elle, qu'elle n'a pu se confesser. On lui fait remarquer que ce n'a pas été par négligence et que, « mourant pour la cause de la religion, elle ne doit pas se tourmenter. Ce mot, ajoute l'abbé Garron, l'affermit dans l'heureux calme qu'elle éprouvait. » Nul n'en pouvait douter, en effet, c'était bien uniquement pour cette sainte cause qu'elle était persécutée. Ellemême avait dit déjà : « S'il plaît à Dieu que je partage le sort réservé aux amis de la religion... »


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Malgré cette fortifiante pensée, il semble que son humilité lui ait en partie caché de quelle suave odeur serait son immolation et quelle auréole lui était préparée. En cette nuit qui est comme son Jardin des Oliviers, Thérèse des Bassablons reste levée, son amie auprès d'elle. Elles prient ; de temps en temps elles échangent un mot. « Celle que le Seigneur appelle au martyre, écrit l'abbé Carron, renouvelle souvent avec paix et tranquillité le sacrifice de sa vie. » Puis elle jette un dernier regard sur tous ceux qui étaient l'objet de sa sollicitude, elle écrit quelques lignes, en particulier à la femme de chambre dévouée qui ne l'avait pas quittée depuis son mariage. Elle s'émeut en pensant à son sort et à celui d'un vénérable ecclésiastique, âgé et infirme, dont jusqu'ici elle était l'appui. Mais les grâces de paix et de force que Dieu lui fait ne lui sontelles pas un gage qu'il veillera lui-même sur ceux qu'il lui avait confiés et qu'elle a si fidèlement gardés? Le matin du 2 juin est venu ; vers quatre heures, un lourd chariot ébranle la rue et s'arrête devant la prison; sans retard, les douze femmes, s'arrachant aux embrassements des autres captives, s'entassent sur les mauvais bancs et les quelques bottes de paille qu'on leur accorde. Aussitôt, entouré de gendarmes, le véhicule s'ébranle. Toutes se signent et se recueillent... Hier soir, Mme des Bassablons et quelques-unes de ses compagnes ont fait demander à l'abbé Manet, caché dans un grenier avec quelques confrères, de leur donner de là une absolution générale ; voici le


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lieu, voici le moment convenus. Les fronts s'inclinent, les lèvres murmurent avec ferveur l'acte de contrition, puis les cœurs, renouvelés et fortifiés par la rosée du Sang divin, entrent dans la voie douloureuse. Après avoir relaté ce fait, l'abbé Manet ajoute : « Depuis cet acte de piété, le calme, la résignation, la douce paix, ce cachet des élus, furent constamment répandus sur le front de Mme des Bassablons, malgré l'affreuse agonie que des gendarmes cruels commencèrent à lui faire endurer par toutes sortes de mauvais traitements. Elle ne perdit pas un instant depuis son enjouement céleste ; elle s'appliqua surtout à relever le courage abattu du sieur X..., dont la conscience devait avoir plus d'un reproche à se faire, ce en quoi elle eut la consolation de réussir. » Celui qui ne nous est pas nommé se trouve sur le chariot des hommes ; ceux-ci sont au nombre de dix-sept. C'est donc un groupe de vingt-neuf captifs que le Comité de surveillance de Port-Malo envoie, en l'appelant « l'échantillon », au tribunal révolutionnaire suprême. La cynique dénomination indique la composition panachée prise dans les diverses catégories de détenus. Tous les rangs, tous les motifs de condamnation y sont représentés : des hommes compromis dans la Conjuration bretonne; plusieurs membres, hommes et femmes, de la famille Magon impliqués dans la prétendue conspiration de ce nom; des fédéralistes, désignation commode pour envelopper des cas douteux, parmi lesquels se trouvent d'anciens fauteurs de révolution ; des femmes enserrées dans un réseau de vagues griefs qui, nous l'avons vu, semblent bien,


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pour quelques-unes, être surtout d'ordre anticatholique. Mais la haine révolutionnaire garde jusque dans ses fureurs le caractère de l'impiété, le mensonge, et tâche, autant qu'elle le peut, de voiler hypocritement de motifs politiques les poursuites contre la religion et ses fidèles. Il faut que les prétextes soient par trop vains pour qu'elle se trahisse et se déclare plus nette, incontestable, et c'est le cas pour Thérèse des Bassablons. Les contemporains ont remarqué qu'un des principaux motifs du choix de ceux qu'on envoyait à Paris était que, à des titres divers, leur exécution eût paru particulièrement révoltante à SaintMalo. On l'a dit surtout, et avec combien de raison, pour celle qui nous occupe. Les deux groupes, hommes et femmes, vont marcher de conserve. Ceux-là saluent celles-ci quand les chariots se rejoignent, débouchant des rues étroites pour quitter Saint-Malo par la porte Saint-Vincent. Dans la journée, la ville saura ce départ, et des voix consternées se chuchoteront la désolante nouvelle : notre Dame de bon secours n'est plus là ! Quel adieu ému elle a dû adresser à son cher Paramé en le traversant à l'aurore, une belle aurore du mois de juin qui va être suivie d'une chaleur écrasante. Elle est si forte, les voyageuses sont si épuisées, qu'il en est qui se trouvent mal; mais les conducteurs ne ralentissent même pas la marche. Les cahots de la route sont terribles, et quand on traverse des villages, pour éviter les manifestations de la pitié et peut-être de la colère populaire, les postillons lancent leurs chevaux à fond de train. Il faut bien cependant faire


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halte au milieu du jour. Tous les compagnons d'infortune vont se retrouver, sans doute, à une table d'auberge, d'une auberge de patriotes évidemment. C'est le moment de présenter ceux auxquels va s'étendre la douce influence de notre héroïne. Il en est un qui figure toujours en tête de liste, comme si on voulait rattacher à sa cause les causes qui suivent, cependant des plus diverses. C'est un quincaillier, Louis Thomazeau, « complice de la la Rouerie ». Ce qu'on reproche plus spécialement à cet ouvrier c'est d'avoir, en juillet 1792, rédigé et fait signer une pétition en faveur des ex-nobles de Port-Malo. Viennent à sa suite des hommes de loi, et l'un d'eux, François Chenu de la Villanger, est le frère de ces demoiselles Chenu dont nous avons fait connaissance dans la prison. Nommons encore Luc de Gouyon de Beaufort, qui est septuagénaire ; Nicolas Magon de la Villehuchet, JeanJacques Fournier de Varennes, Henri de SaintMeleuc. Mme de Goëtizac retrouve là son fils et un neveu. Tous sont accusés, sous une forme ou sous une autre, d'attachement à la tyrannie, etc. Les griefs sont à peu près les mêmes contre le médecin Jean Bougourd, mais on lui fait l'honneur d'y ajouter la note de fanatisme, de même qu'on donne celle de superstition à Pierre Fraval, qui cherchait ainsi, parait-il, à égarer « les esprits faibles. » Ils voisinent avec un cuisinier, qui se trouve là on ne sait trop pourquoi et qui s'en tirera on ne sait trop comment. Deux autres ont occupé des places sous le nouveau régime et connu ses faveurs. Comme beaucoup de leurs semblables, maintenant rejetés, suspects pour s'être arrêtés à mi-chemin, leur sort


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n'est pas meilleur que celui des contre-révolutionnaires les plus avérés, et il n'est pas surprenant que ces hommes déçus de leurs illusions soient particulièrement abattus. La douce charité de Mme des Bassablons va être la principale ressource morale de ces dévoyés, de l'un d'eux plus spécialement, d'après l'abbé Manet; elle ramène peu à peu leurs regards vers le Ciel oublié, vers ses miséricordes et ses espérances. D'ailleurs, tous ces Malouins que nous voyons auprès d'elle sont accoutumés d'avance à la regarder comme une mère; on lui en donne le nom, et, dans ce groupe d'opprimés, elle en exerce d'autant mieux le rôle bienfaisant, la douce autorité, que tout se réunit alors pour rendre plus touchante cette maternelle auréole. Son dévouement, si impuissant qu'il soit, brille davantage dans des souffrances qu'elle partage tout en les consolant, car ce voyage est un continuel supplice en commun. Le Carpentier a donné ses ordres : des gendarmes accompagneront le convoi « de brigade en brigade », et les municipalités des lieux de passage fourniront la nourriture et le logement. Le tout sera payé sur la caisse des émigrés ; le chef de l'escorte a reçu une assez forte somme pour les frais, et on devine où elle passe. Aussi les privations que subissent les prisonniers sont excessives, et quand le soir on arrive dans une localité où le choix et la préparation du gite ont été confiés aux bons soins des sans-culottes de l'endroit, il est aisé de se figurer ce que peut être le repos de la nuit; et le mieux qu'on puisse rêver, c'est une grange avec quelques bottes de paille, car en de semblables cas,


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on vit plus d'une fois hommes et femmes parqués ensemble dans des locaux infects. Chaque jour plus brisés après un repos de ce genre, nos vingt-neuf captifs doivent repartir, souvent sous les injures de gardes-chiourmes, dont plusieurs se plaisent à leur faire la peinture de ce qui les attend au terme du voyage. Avant la fin du premier jour, les illusions de quelques-uns avaient dû déjà s'évanouir, et d'autres s'étant vu refuser, au départ, les pièces à décharge nécessaires pour leur défense, c'était là pour tous un indice assez révélateur : d'avance, ils étaient condamnés. Un tel ensemble de souffrances morales et physiques demandait une mesure exceptionnelle de patience. Thérèse des Bassablons en était le constant exemple, à tel point, car il faut ici le rappeler, que même alors « elle ne perdit rien de son enjouement céleste ». Cette heureuse expression de l'abbé Manet nous peint à la fois la vaillance doucement entraînante et l'àme d'où elle découle, une âme de martyre. Elle s'épanouit dans la persécution, comme la rose de son blason entre les deux têtes de bêtes sauvages. Son endurance en de telles épreuves paraît comme sans effort, tant depuis longtemps elle s'est détachée de tout, exercée à la pauvreté et affectionnée au sacrifice. C'est ce qui explique l'ascendant de cette créature magnanime sur tout ce qui l'approche. Les haltes ont donc encore, comme hier la réclusion, leurs moments de détente. Etrange société que celle de ces criminels convoyés par des gendarmes, et qui, sous leurs vêtements en désordre, dans la misère des taudis où on les arrête, gardent


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entre eux toutes les formes de la vieille urbanité française, renouvelée dans la tribulation à sa source la plus pure, la charité chrétienne. Vers le milieu de l'interminable route, à Villers-Bocage, localité du Calvados, un des captifs, encore un jeune homme, Turin, ex-juge, réussit à s'évader. Si les autres s'en réjouirent pour lui, ils eurent aussi à en souffrir, car la surveillance devint encore plus étroite et plus vexatoire le reste du temps. Seize fois les terribles journées et les nuits de cauchemar se sont répétées ; le dix-septième jour voit enfin la dernière étape, et, au soir, les chariots roulent sur les pavés de la capitale. Ils passent un des ponts delà Seine, et de là, sans doute, les voyageurs relèvent un instant leur regard alangui pour saluer, comme on salue une reine outragée, Notre-Dame, toujours splendide, mais temple désert et profané. Sous les derniers feux de ce 18 juin, une autre grande ombre se profile maintenant, tout près, le Palais de Justice. Les chariots entrent dans la cour du Mai, voici la Conciergerie. Ce n'était pas la première fois que le portier voyait s'affaler dans la cour des convois semblables, il en venait de divers points de la France, mais il ne saurait refuser un regard de pitié à des voyageurs en si fâcheux état. Ce gardien, Richard, était là sous l'ancien régime, on l'y retrouvera sous le Directoire. Il n'en voit guèreplus haut ni plus loin que sa consigne, mais ce n'est pas un méchant homme, et même, pourvu qu'on ne le compromette pas, il a parfois des tolérances précieuses. Sa femme, sa petite-fille, sa servante, sont, paraît-il, vraiment compatissantes et le prou-


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vent comme elles peuvent. Peut-être notre captive et ses compagnons ont-ils rencontré, du moins de ce côté, quelques légers soulagements à leurs maux. Il a fallu passer au greffe, puis les cachots se sont ouverts. La partie d'ordinaire occupée parles femmes était voisine du guichet et proche aussi de la chapelle qui elle-même servait de prison. Mais l'encombrement était tel que, quand arrivaient les convois de province, d'avance marqués pour la mort, c'était sous les magnifiques ogives de l'ancien palais bâti au xme siècle par saint Louis que, sur un peu de paille, s'entassaient les prisonniers. Si, pénétrant par l'entrée actuelle de la Conciergerie, située quai de l'Horloge, vous traversez la salle des Gardes, on vous montrera ensuite ce qu'on appelle encore «laSalle desPailleux », en souvenir des victimes de la Terreur qui attendaient là leur condamnation. A cette époque, des cloisons formées de mauvaises planches coupaient la perspective de colonnes qui s'étend sous la salle des Pas-Perdus, et formaient d'obscurs cachots où ont gémi des groupes nombreux d'hommes ou de femmes, suffoqués par un air empesté et tourmentés par la vermine et par les rats. C'est un rapport officiel du temps qui donne ces derniers détails. Nous pouvons donc chercher notre captive dans quelques-unes de ces travées de la Salle Saint-Louis, dont les belles voûtes sombres font comme un sanctuaire, et dont le sol fétide, occupé hier encore par des condamnés, avertit les survivants qu'ils n'ont plus rien à attendre de la terre, Au-dessus, dans le cabinet de l'accusateur pu-


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blic, la haine ne dort pas. De même que le Comité de Sûreté générale, Fouquier-Tinville, a reçu d'avance communication de l'arrêté de Le Carpentier, avec extrait des tableaux de détenus, et il dresse fiévreusement l'acte d'accusation, il faut que cette affaire aille vite ! Dès le 30 prairial, le tribunal donne acte à l'accusateur public de son accusation, l'original est remis aux copistes, demain le jugement pourra avoir lieu. Pendant que hâtivement se prépare leur arrêt de mort, les captifs ont, dans cette journée du 19 juin, qui est celle de la Fête-Dieu, comme une halte pour se fortifier avant le dernier combat. Depuis des jours, l'arrivée du convoi breton est anxieusement guettée, des visages connus paraîtront quelques instants derrière les fortes grilles du parloir, et là, d'émouvants adieux, d'ultimes confidences vont se faire. Thérèse des Bassablons a, dans la capitale, peut-être des parents (1), sûrement des amis très dévoués. Le premier de tous est son ancien recteur de Paramé, M. de Clorivière. Pour assister les âmes, il s'est condamné à demeurer entre deux murailles, dans une sorte de long couloir sans air, au bout duquel est un petit autel. Il vit là, prisonnier en quelque sorte avec le Prisonnier du tabernacle, et il ne sort que pour ses périlleux ministères. Appelé près des mourants, il prend sur lui l'hostie sainte, il recommande filialement à la sainte Vierge de garder son trésor, puis il va, confiant. Il i. Un cousin, Jacques Vincent de Gournay meurt à Paris en 1799.


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ne pouvait manquer de venir, coûte que coûte, vers sa fille spirituelle, et il vint. Les détails manquent, on sait seulement qu'il la confessa. Divers déguisements et divers prétextes pouvaient y servir, ainsi que l'a remarqué l'auteur inconnu d'une notice sur M. de Clorivière. Il n'était pas jusqu'à l'extrême désordre régnant alors, et dont parfois les détails sont inouïs, qui ne favorisât certaines entrées. Quoique nous ignorions le moyen dont a pu se servir le P. de Clorivière, il est assez naturel de supposer que la faculté du parloir est utilisée, et même que Mme des Bassablons ne sera pas seule à profiter de l'occasion bénie. Mais, pour elle surtout, la chose est facile à celui qui connaît si bien la limpide délicatesse de son âme. Deux mots doivent suffire, et Thérèse, purifiée encore et embellie par le Sang de l'Agneau, est maintenant pleinement préparée à lui offrir demain le sien. « On ne saurait exprimer à quel degré d'énergie la grâce du Sacrement éleva cette sainte âme », dira plus tard le P. de Clorivière. Il en est peutêtre d'autant plus frappé qu'il n'a pas, comme d'autres, suivi de près, depuis trois ans, le plein épanouissement de cette énergie surnaturelle. On n'en peut douter, le religieux eut quelques paroles brûlantes pour aider l'essor du sacrifice et montrer le ciel ouvert ; puis il promit d'être là, perdu dans la foule, à l'heure suprême, pour donner à tous, une fois encore, l'absolution (1). 1. Il n'est pas question d'une dernière communion. On aimerait à penser qu'elle fut possible, comme il arriva quelquefois quand des prêtres, eux-mêmes prisonniers, avaient reçu des hosties consacrées. La vie de M. Emery en témoigne.


X Le jugement. — Vimmolation.

Vers le soir de la journée de répit, où quelques rayons de joie ont adouci l'épreuve, notification est faite aux prisonniers bretons : c'est demain, 1er messidor, à dix heures, qu'ils sont cités à comparaître devant le Tribunal révolutionnaire. Demain !... Et toujours, c'est dans la journée même que s'exécute la sentence de mort. Thérèse, qui le sait bien, ne passe-t-elle pas cette nuit-là comme elle avait passé sa dernière nuit à SaintMalo, dans la prière et l'offrande souvent renouvelée de sa vie ! Et dans ces longues heures, où le sommeil les fuit, où l'angoisse les oppresse, combien de ses compagnes ont dû appuyer leur cœur sur celui de leur habituelle consolatrice. Le jour est venu, et parmi toutes ces chrétiennes, un silence recueilli doit planer encore, coupé seulement de temps en temps par une prière où leurs âmes sollicitent ensemble le secours de Dieu et l'assistance de la Vierge Marie. Un peu avant dix heures, on les fait monter par un escalier étroit, puis elles sont introduites, avec les autres accusés, dans ce qui fut jadis la Grande Chambre, où se tenaient les Lits de Justice. C'est maintenant la Salle de la Liberté. Les tentures fleurdelysées ont été arrachées ; à la muraille,


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sont appendus deux larges tableaux, où se lisent la Constitution et la Déclaration des Droits de l'homme. L'image du Christ, souverain Juge et Rédempteur, est détrônée, mais le buste de Marat est là avec celui de Lepeletier et celui de Brutus. Au fond de la salle, les sièges des juges ; à droite du tribunal, une estrade dont les gradins s'étagent très haut : c'est là qu'on fait monter les accusés entourés de gendarmes ; à gauche, en face de l'estrade, le jury prend place, et plus en avant, l'accusateur public. Une enceinte entourée de barrières est réservée au public, qui souvent fait entendre approbations ou murmures. Là se glissaient, là doivent se glisser au jour où nous sommes, des amis dont le cœur bat d'angoisse, dont les yeux cherchent à rencontrer ceux des accusés — souvent pour s'unir dans un même regard vers le ciel. La séance va commencer ; voici trois juges, dans un accoutrement assez eu rapport avec la tragique comédie qu'ils jouent et avec leur rôle de valets de Robespierre. Ils ont été choisis parmi des sousordres de tribunaux, à l'àme vénale et aux idées aveuglément révolutionnaires. Le président Coffinhal est connu pour s'enivrer. Voici le jury, ou, pour parler exactement le langage du temps, les « Jurés de Jugement » : on en compte neuf aujourd'hui. On y rencontre surtout des ouvriers de divers métiers, et les professions libérales n'y sont représentées que par des gens tarés influant sur les autres. Quant à la procédure qui va être employée, elle est fort simple. Les débris de l'ancienne législation 8


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qui, au début du Tribunal révolutionnaire, subsistaient encore et avaient sauvé des victimes, sont tombés assez vite, ils étaient gênants; et la loi du 22 prairial est venue légaliser le plein arbitraire. La formalité de l'interrogatoire préalable a été supprimée comme superflue, et, de plus, « s'il existe des preuves soit matérielles, soit morales, il ne sera pas entendu de témoins, à moins que cette formalité ne paraisse nécessaire pour découvrir des complices ». Des témoins, c'était ce que FouquierTinviile détestait le plus : « Je veux qu'on s'en passe », s'était-il écrié un jour. Il supportait mieux les plaidoiries les plus assommantes. Mais aujourd'hui il n'y en aura même pas, ce serait trop long. Les accusés n'ont pas eu la faculté de choisir des défenseurs, il ne leur en est pas donné d'office. Seul parmi ceux qui ont place à ce tribunal, Fouquier-Tinville était déjà homme de Palais; il en profite pour concentrer toute la conduite des opérations judiciaires en ses terribles mains; juges et jurés sont aussi plats et serviles devant lui que les derniers des huissiers. Il va soutenir l'acte d'accusation contre les prévenus qui sont là, en face de lui, sur les gradins. Le procès-verbal de cette séance du Tribunal révolutionnaire est dressé sur une de ces feuilles où toutes les formalités sont d'avance imprimées. Ici, tout ce qui concerne les défenseurs, les témoins, le serment des jurés est biffé. Ce simple papier est une chose monstrueuse ! Quand on l'a sous les yeux, dans les mains, on reste saisi comme devant une photographie de la Justice mutilée. Voici ce


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qui subsiste des formalités et ce qui est rempli de la main du greffier (1) : « Le président a dit aux accusés qu'ils pouvaient s'asseoir, après quoi il leur a demandé leur nom, âge, profession, demeure etlieu de leur naissance. « A quoi ils ont répondu se nommer... » Gomme toujours, Thomazeau est en tête. Celle que nos yeux cherchent parmi les accusés est appelée la vingtième et consignée ainsi sur l'acte : « PélagieAnne Guillodeux, femme Bassablons, âgée de soixante-cinq ans, née à Port-Malo, y demeurante, ex-noble vivante de son bien. » Le scribe n'a pas entendu le premier nom, Thérèse, ou ne s'est pas donné la peine de l'écrire. Deux autres accusés sont joints à la liste de nos Bretons : un diacre et un cultivateur. Après l'appel du trentième nom, l'acte continue ainsi sa partie manuscrite : « Le Président a averti les accusés d'être attentifs à ce qu'ils allaient entendre et a ordonné au Greffier de lire l'Acte d'accusation : le Greffier a fait Ladite Lecture à haute et intelligible voix. Le président a dit aux accusés : « Voilà de quoi vous « êtes accusés, vous allez entendre les charges qui « vont être produites contre vous : « N'ayant été indiqué par l'accusateur public aucuns témoins pour être entendus sur les faits portés en Lacté d'accusation, Les débats se sont ouverts Sur Les pièces existantes au procès, dont a été donné connaissance par Laccusateur public et sur Lesquels Les accusés ont été interpellés de s'expliquer. » 1. Cette pièce ainsi que les autres qui vont être citées se trouvent aux Archives Nationales : W 392, dossier 908.


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Ceci se termine par un grand trait de plume dans un espace blanc, et sous ce trait de plume cette phrase laconique : « Les débats ont été fermés. » L'acte d'accusation qui vient d'être lu par le greffier est celui dont il avait été déjà parlé et dont les termes vont se retrouver dans le jugement même. Les « pièces existantes au Procès », ce sont les arrêtés de Le Garpentier et les Tableaux des détenus de Port-Malo. On se souvient que les pièces à décharge ont été refusées aux prévenus à leur départ. Quant aux réponses des accusés, le procèsverbal, on le voit, n'en dit rien. Les débats fermés, Fouquier-Tinville « a été entendu sur les moyens de justifier l'accusation », puis « il a rédigé la série des questions de faits sur lesquels les jurés ont à se prononcer ». Ceux-ci entrent alors dans leur chambre spéciale et le Président fait retirer les accusés. Quand les jurés sont prêts à donner leur déclaration, ils rentrent et émettent leur vœu l'un après l'autre. Ensuite, et ici encore nous copions la formule du procès-verbal : « Les accusés ont été réintroduits, libres et sans fers, le Président leur a donné connoissance de la déclaration du juré, après quoi il leur a dit : « Vous « allez entendre les conclusions de l'accusateur « public. » Ce fait, ledit Citoyen Fouquier accusateur public a été entendu dans ses conclusions sur l'application de la loi; après quoi, le président a demandé aux accusés s'ils n'avaient rien à dire sur l'application de la loi Ce à quoi Ils Nont rien repondus. » Noble silence quil seul convient alors! Le Tribunal opine ensuite à haute voix, en pré-


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sence des accusés, et leur lit le Jugement de condamnation. Ce jugement, qui est la sanction de toutes les pièces précédentes et qui en reproduit les termes, est chose trop importante pour ne pas le citer largement. Nous en donnerons donc la teneur en ce qui concerne tous les accusés en général, et Thérèse des Bassablons en particulier, toujours avec le soin de reproduire même l'orthographe. Cette pièce, entièrement manuscrite, est datée : « 2 Messidor An 2e de la République », et porte en marge : « Jugement qui condamne à la peine de mort Thomazeau et autres. » Elle s'ouvre ainsi : « Vu par le Tribunal révolutionnaire l'acte d'accusation dressé par l'accusateur public près icelui « Antoine Quantin Fouquier accusateur public près le tribunal révolutionnaire établi a paris par décret de la convention nationalle du dix mars mil sept cent quatre vingt treize, sans aucun recours au tribunal de cassation, envertu du pouvoir alui donnée par l'article deux d'un autre décret de la convention « portant, que l'accusateur public est « autorisé à faire arretter, poursuivre et Juger, « sur la dénonciation des autorités constituées, ou des citoyens », « Expose que Par arrêtés du Représentant du peuple Commissaire de la convention dans Le département de la manche et autres environnants, du neuf Prairial dernier « 1er Louis Thomazeau « 20° Pélagie Anne Guillodeu, veuve Bassablons, etc. « Ont tous été traduits au tribunal révolution-


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naire comme Prévenus de conspiration et manœuvres Contre Révolutionnaire, qu'Examen fait des Pièces Remises a l'accusateur Public il en résulte que : » Ici viennent les charges particulières contre chaque accusé, et voici ce qui concerne, au n° 20, Mme des Bassablons : « La veuve Bassablon, entretenoit des intelligences avec Les Ennemis intérieures de la republique, Sa maison étoit Lasile ou plutôt le Repert des Prêtres Refractaires quelle Recéloit Pour Les Soustraire a la déportation et favoriser Leurs trames et compelots, Le fanatisme étoit surtout Le moyen dont elle Se Servoit pour faire des partisans a la contrerevolution. » Le mot « surtout » est souligné dans l'original et, en marge, en face des dernières lignes, une croix est fortement tracée. L'acte de condamnation ainsi étayé sur l'acte d'accusation, est ensuite formulé d'après « la dé« claration du juré de jugement faitte individuel « lement et a haute et intelligible voix en l'audience « publique du tribunal partant : « Qu'il est constant qu'il a existé des ennemis « du peuple qui ont cherché à anéantir la republi« que en conspirant contre son unité et son indivise sibilité, en provoquant l'avilissement et la dis« solution de la représentation nationale, le « rétablissement de la royauté, en prenant part à « la rébellion de tous les départements, fédera« lises, en entretenant des correspondances et « intelligences avec les ennemis intérieurs et exte« rieurs de la république, en secondant leurs pro« jets, en calomniant et assassinant les patriotes,


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« en corrompant l'esprit public par la distribution « et la lecture publique de brochures et écrits « contre révolutionnaires, « que Thomazeau « et, 20', Pélagie anne Guillodeux veuve Bassa« blons « sont convaincus d'avoir été du nombre de ces « ennemis du peuple. » « Le Tribunal après avoir entendu l'accusateur « public sur l'application de la loi, condamne Louis « Thomazeau Pélagie anne Guillodeux veuve « Bassablons à la peine de mort, conformé« ment aux dispositions des articles 4, etc., de la « loi du vingt deux Prerial dernier. » « Ordonne qu'a la diligence de l'accusateur public le présent jugement sera exécuté dans les vingtquatre heures, et qu'il sera lû, imprimé, publié et affiché dans toutte l'étendue de la republique. » Vous l'avez entendu, la mère des pauvres, celle que Saint-Malo appelle notre Dame de bon secours, est « convaincue d'avoir été du nombre des ennemis du peuple ». Et vous savez aussi ce qui a fait d'elle une ennemie du peuple, l'acte de condamnation le rappelait tout à l'heure : c'est l'asile qu'elle a donné aux prêtres réfractaires ; c'est son fanatisme, ce fanatisme dont elle a donné si « longtemps le dangereux exemple », comme le signalait très bien l'acte d'arrestation. C'est pour cela que va au supplice celle dont toute la vie a laissé un pur et lumineux sillage de charité. Une parole explique tout, elle est divine : « Le disciple n'est pas au-dessus du Maître, s'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi... »,a dit Jésus-Christ.


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Thérèse des Bassablons le sait, elle ne s'étonne ni ne s'indigne, c'est de Dieu même qu'elle reçoit son arrêt de mort, avec cette humble et généreuse soumission qui atoujours été la loi de sa vie (1). « L'élément du martyre, c'est la simplicité unie à la force », a écrit Dom Guéranger. N'est-ce pas ce qui distingue celle dont nous avons respiré la simplicité et vu grandir la force jusqu'à ce degré d'héroïsme où la grâce l'élève aujourd'hui. Armée du secours divin, elle va maintenant aider autour d'elle des âmes moins accoutumées qu'elle à regarder toujours En-haut, car elle paraît alors, est-il dit, comme revêtue d'un sublime apostolat. Les douze coups de midi ont sonné à la tour de l'horloge, les condamnés ont quitté la salle de la Liberté dans le morne silence d'un public où même des « Patriotes » commencent à se dégoûter de ces scènes, et où les amis cachés étouffent leurs larmes. Un avocat qui a vu souvent ces tristes descentes du tribunal a été frappé des yeux baissés de ceux qui se recueillaient pour mourir. Telle devait bien être l'attitude de Thérèse des Bassablons, et ses compagnons, tous des chrétiens, s'élevaient aussi certainement aux pensées de l'éternité. Elle va les y porter par son exemple, par quelques-uns de ces mots vifs et pleins de foi qui sont comme un coup d'aile vers le ciel. On apporte aux condamnés leur dernier repas, 1. Unmois après, les principaux auteurs de cette condamnation se retrouveront dans les cachots de la Conciergerie, Coflinhal pour être guillotiné à la suite d'un procès sommaire, FouquierTinville pour voir défiler, avant sa condamnation, lui qui ne voulait pas de témoins, une nuée de témoins accusateurs. Quant à Le Carpentier, il mourra tranquille trente-cinq ans plus tard.


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et, pendant ces funèbres agapes, dans les paroles échangées chacun cherche sûrement à affermir son propre courage en même temps que celui des autres, car ces Bretons forment une famille plus unie que jamais devant la mort. Un seul a été acquitté, le cuisinier Antoine Goguay, son insignifiance et quelque adroite camaraderie ayant sans doute réussi à lui valoir la vie sauve. Ce sera le second témoin qui restera du terrible voyage. Pour les autres, les maux de cette vie sont près de finir, la toilette des condamnés va commencer. Elle se fait, pour les femmes, dans une sorte de cachot voisin du guichet, séparé par une grille du corridor qui alors donne accès à la prison, et ne recevant qu'ainsi air et lumière. Cet étroit local ressemble à une cage de bêtes fauves, et ceux qui vont et viennent peuvent s'arrêter là, curieux ou atterrés (1). Les valets du bourreau font asseoir les patients sur des escabeaux, lient les mains derrière le dos et coupent les cheveux. Voici maintenant les douze victimes dans cet état, attendant assises sur le banc scellé au fond du cachot. Il nous souvient que parmi celles qui entourent Thérèse, il en est dont les motifs de condamnation les associent plus étroitement à son sacrifice et les enveloppent dans le halo de sa gloire. Si nous cherchons à surprendre quelques-uns des mots qui errent sur leurs lèvres, nous avons un indice ; parmi les versets de psaumes qui étaient familiers à Thérèse (2), il en 1. On montre encore ce cachot près de l'ancienne entrée de la prison, maintenant murée. 2. Son Vade-Mecum de préparation à la mort se compose en grande partie de passages de l'Écriture Sainte et de pages empruntées à saint Augustin.


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est qui doivent se présenter naturellement à elle, pour la consolation des autres comme pour la sienne, tels que ceux-ci : « Je suis regardée comme sans secours et n'ayant plus qu'à mourir. — Cependant mon âme sera soumise à Dieu, c'est de lui que vient ma patience. — Il est mon Sauveur, il est mon défenseur, rien ne pourra me séparer de lui. — Il m'a cachée dans son tabernacle au temps même où les maux fondaient sur moi. — Je répondrai à ceux qui m'insultent que j'ai espéré dans vos promesses, Seigneur. — Je ne mourrai pas, je vivrai et je louerai] le Seigneur (1). » — Souvent, à n'en pas douter, dans cette agonie de l'attente, revient le doux murmure de la Salutation angélique. Quand enfin les portes de la prison s'apprêtent à livrer passage aux victimes, l'ange qui assiste Thérèse lui remet peut-être en mémoire une de ses prières de préparation à la mort : « Ouvrez-moi, mon Dieu, les portes de votre justice afin que j'aille dans votre royaume chanter vos miséricordes. Ouvrez-moi les plaies de Jésus-Christ, afin que par son côté sacré, j'entre dans le sanctuaire de votre amour et dans la lumière de votre divinité. » On est au vendredi, à l'heure de la consommation de la Passion... Dans la cour, la foule est massée pour voir le chargement des charrettes, et quand les condamnés paraissent, selon sa coutume elle les entoure de près. L'insulte parle haut, le mot de compassion est timide... Mais que fait à ceux qui sont déjà des séparés du monde, tout ce qui s'ar1. Tiré des psaumes 37, 61, 25, 118.


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rête au seuil qu'ils vont franchir? On les fait monter au hasard, et voici deux des condamnés qui ont choisi leur place, comme s'ils pensaient être mieux accueillis de Dieu en se tenant près de Thérèse des Bassablons : « Ma bonne mère, aidez-nous »,lui disent-ils simplement. Et elle, oublieuse d'ellemême jusqu'au bout, leur est ange d'espérance et prie pour eux. Spectacle auquel on commence à s'habituer sur le parcours du Palais de justice à la place du Trône renversé, que ces convois entourés de gendarmes à cheval se suivant en désordre. Sur la place où maintenant l'échafaud apparaît aux yeux des condamnés, une foule de même genre que tout à l'heure dans la cour va commenter les attitudes; et, le plus près possible de l'instrument de mort, un prêtre comme toujours s'est glissé pour verser les pardons divins. Aujourd'hui M. de Clorivière réussira peut-être, au moment de renouveler l'absolution, à encourager d'un dernier regard le dernier pas de son héroïque fille vers le sacrifice et vers le triomphe. Du moins il loue de nouveau Celui qui donne à cette âme une force si sereine que son courage brille parmi les autres courages. Il n'est pas seul à admirer, car, dit l'abbé Manet, « selon plusieurs témoignages respectables, Dieu lui fit la grâce de voir avec tranquillité le hideux instrument et de recommander à la divine Miséricorde ses concitoyens et ses bourreaux ». Très rapidement l'exécution commença et se poursuivit, il en était toujours ainsi, car on comptait une minute en tout pour chaque victime ; de sorte que, en trente minutes, trente fois le couperet


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fit son œuvre. D'après quelques-uns, quand vint le tour de Thérèse des Bassablons, la vue du sang et des cheveux qui jonchaient l'échafaud lui fit perdre l'usage de ses sens. Cette défaillance physique n'enlèverait rien à son mérite, mais cette version ne concorde pas pleinement avec le témoignage précédent ; nous avons pour celui-ci le nom d'un des témoins, le P. Clorivière, et ce témoignage parait mieux en harmonie avec la grâce d'invincible énergie qui éclatait en elle jusqu'à cet instant où son sacrifice va se consommer. Voici la minute suprême : c'en est fait... le couperet se relève perlé de sang. Il a rompu le voile de la mortalité, et l'âme de Thérèse des Bassablons voit maintenant le Dieu qu'elle a tant aimé... De cette ineffable rencontre que l'élue seule pourrait nous dire, notre regard impuissant à la suivre va-t-il revenir sur les affreuses charrettes où, sans respect, ont été entassés les restes sanglants? L'Église pleure ses enfants, mais aujourd'hui elle ne peut les entourer de ses rites tout faits de tendresse et de foi. Il est S heures du soir. Le convoi n'a pour cortège que les valets de la mort, il s'en va non loin de là, vers ce terrain de Picpus, où d'énormes fosses ont été creusées, que des débris humains commencent à combler (1). Cependant ces suppliciés ne restent pas abandonnés, car la prière que rien n'enchaîne les suit. Sûrement aussi les anges honorent les restes des chrétiens morts dans l'amitié de leur Dieu, et quand dans 1. Ces fosses avaient trente pieds de long, vingt-cinq de large, vingt de profondeur. La seconde recevait des victimes depuis le 14 juin.


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l'horreur d'un de ces tombereaux ils discernent une vermeille dépouille de martyre, déjà ils lui font une invisible fête, en attendant le jour où ils viendront dire à tous ces morts : Levez-vous. Le corps de Thérèse des Bassablons attend ce jour dans le champ du sang de Picpus, à côté des carmélites de Compiègne, tandis que sa mémoire, pour laquelle son humilité ne rêvait que l'oubli, est restée en vénération et prend en ce moment, avec d'autres, un nouvel éclat. Au lendemain de l'exécution du 20 juin, des lettres envoyées de Paris en divers lieux racontent, dit l'abbé Carron, « qu'une dame des Bassablons a fait éclater un courage dont tous les spectateurs se sont montrés étonnés et plein d'admiration ». Une autre lettre venant du Comité de surveillance de Saint-MaLo est adressée au citoyen Pointel, accusateur public à Rennes, à la date du 28 messidor, an II ; à côté d'allusions aux mesures à prendre contre les gueux et les fanatiques, on trouve cette ligne : « La Bassablons a été conduite au tribunal et guillotinée. » Il n'est rien dit de ses compagnons, et on sent dans cette courte phrase, jetée là pour elle seule, le froid triomphe de la haine contre le fanatisme, une haine qui, sans le vouloir, glorifie Thérèse. D'autres voix se taisent encore, elles ne pourront parler que plus tard. Entre toutes, celle de l'évêque de Saint-Malo doit être entendue. Dans son mandement sur le rétablissement du culte en France, du 28 septembre 1800, Mgr de Pressigny parle ainsi aux habitants de la cité : « J'aurais plusieurs exemples à choisir parmi vous et à vous


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proposer. Je me bornerai à vous en rappeler un seul, parce que Dieu, qui se plaît à marquer la puissance de sa grâce selon les dispositions d'une volonté toujours sage, semble l'avoir fait éclater de notre temps d'une manière plus particulière dans la personne de Mme des Bassablons. Lorsque je me rappelle, et souvent j'y pense pour ma propre édification ; lorsque je me rappelle cette foi vive mais discrète, cette charité si douce et si aimable, cette charité si active qu'on avait peine à comprendre qu'une santé faible et délicate pût y suffire; oh! j'espère, j'ai la confiance que le Dieu juste n'abandonnera pas ceux à qui il a permis que de tels exemples fussent donnés, et à qui il a ménagé de tels intercesseurs; car, je l'avoue, mes frères, je me sens souvent porté à implorer auprès du Dieu de charité, l'intercession de cette âme si charitable, et si quelque pensée put adoucir ma douleur profonde, lorsque j'appris la perte que vous aviez faite, ce fut Tespoir que cette âme sainte avait été reçue immédiatement dans le sein du Dieu son Sauveur, dont le nom avait été glorifié par elle pendant sa vie et à sa mort. » Aune telle page d'un acte épiscopal, il n'est rien à ajouter. Pour faire écho à la voix de l'évêque, la voix d'un de ses prêtres nous redira ce mot déjà cité, si bien fait pour clore ces pages : « Femme incomparable, je m'arrête devant ton souvenir comme devant l'image d'une sainte ! »


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t THERESIAE P.-A. GUILLAUDEU DOMINAE VINCENT DES BASSABLONS PARERTET OMNIS VIRTUTUM CHORUS ; LUGEAT ALUMNAM RELIGIO, PATRONAM VERITAS, SLMPLICITAS AMICAM, ET MISERATA MALORUM CHARITAS MATREM PAUPERUM. ClVIBDS GRATA, AMICIS GRATIOR, GRATISSIMA DEO, PARISIIS CECIDIT DIE 20 JUNII 1794. HABES, HOSPES, MORAE PRETICM ! VALE, ET AD EJUS EXEMPLUM, PIETATEM COLE PROMISSIONEM HABENTEM VITAE QUAE NUNC EST, PARITER AC FCTORAE.

(Épilaphe composée par l'abbé Manet.)


TABLE

I. — La famille. — La jeunesse. — Le mariage.

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9

II. — Le pays. — Le foyer. — La vie du monde.

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III. — Le veuvage. — La vie parfaite. — Les œuvres.

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IV. — La vie intérieure. — La voie montante. — Le zèle apostolique

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V. — L'œuvre de la grâce. — Le raz de marée révolutionnaire

48

VI. — Sous la tourmente. — La réceleuse des prêtres. — La providence de tous

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VII. — L'heure du sang. — Courage tranquille. — Arrestation

72

VIII. — La prison. — La préparation à la mort. — Les compagnes IX. — Le chemin de croix. — Suprême apostolat. X. — Le jugement. — L'immolation

P.HtRSUI.L, SUTZàC",imp.,IÏ,vlIlad,Al*!i!l PABIS-14-

.

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29.065.


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