Numero 7 Decembre 2008

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NumĂŠro 7 Hiver 2008-2009

Le Berger, un Eleveur ISSN 1958-7813


Tradicioun Association loi 1901 http://www.tradicioun.org/ Maison des associations 13430 Eyguières

Sommaire

Directeur de la Publication Magali Blanc Rédacteur en Chef Eric Blanc Coordinatrice Patricia Escallier Rédacteurs Eric Blanc Magali Blanc

Marseille Saint Pierre Es Liens La Mourrejado la Fête Provençale de la Saint-Michel

Crédits photos Eric Blanc Conception graphique Eric Blanc

28-09-2008

Nîmes A la découverte de la course landaise Finale du Trophée des As La capelado La course 12-10-2008

Val d’Azun Berger en 2008 Journée de la Jupe piquée La Saint Martin 05-08-2008

Istres

Tradicioun

Revue Trimestrielle Numéro 7 Hiver 2008-2009 ISSN 1958-7813 Prix de Vente 5€ Dépôt légal: A parution

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La Fête des Bergers La Crèche Orsini Le Musée des vallées cévenoles 07-12-2008


Editorial L’écart entre ville et campagne se creuse. Que savent donc de nos campagnes les citadins que nous sommes... Plus grand chose visiblement. Entre les amalgames, les grandes phrases, les idées préconçues, les poncifs... L’automne a été riche d’enseignement. L’article sur le quotidien d’un berger Pyrénéen a fait sortir du bois ses ennemis, qui sont venus nous expliquer à quel point nous avions été manipulés, à quel point ce pâtre était un violent, quelqu’un à qui «ils ne confieraient pas leur enfant» (sic)... De longs messages visant à nous faire absolument changer notre façon de penser et tenter de nous convaincre de la noirceur de l’âme de cet homme. Mais c’est ainsi, le citadin s’est promené un été dans un champ, a traversé une foire, et surtout, il a vu à la télé, ou ailleurs «Doctus cum libro». Cela lui suffit pour décider ce qui est bien, mal. Juger du bienfondé de la vie de ces hommes qui vivent avec et part la nature. Le sujet cette fois est un berger face à la réintroduction des ours. Plus avant dans la saison un autre combat se nouera. Le démon est cette fois la Fédération Française de Course Camarguaise ou un éleveur, l’opposant une adjointe au Maire de Marseille qui lutte contre la corrida en interdisant une course camarguaise à Marseille. La prochaine levée de boucliers se fera certainement contre la chasse... Un texte à l’étude au Parlement pourrait en effet permet aux fédérations de chasse de demander l’agrément au titre d’association de protection de la nature. Ces dernières pourront donc participer aux actions sur l’environnement, seront consultées pour des projets d’aménagement du territoire. On y reconnait l’influence bénéfique des chasseurs sur l’environnement. De quoi déclencher les foudres de nombre de bien pensants... Sortez, prenez l’air... Non cela ne pue pas, ce sont nos villes qui puent le bitume et le fuel. La réalité de la vie des éleveurs est celle des paysans, ces paysans dont nous sommes tous les enfants, à une ou deux générations de là. C’était hier, mon grand père était un paysan qui à 70 ans en faisait plus que moi qui en avait 15. Souvenez vous... Que faisaient vos grand-parents ?

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Marseille

Saint Pierre Es Liens L ’estaque a conservé ses ruelles étroites et son église de briques et son âme. Chaque année, le temps d’un jour de septembre, le village retrouve même son identité avec la fête de Saint Pierre es liens L'Estaque... Avant de devenir un quartier de Marseille, l'Estaque est avant tout un village de pécheurs fondé au XIIIème siècle. Tout entier tourné vers la mer, immortalisé par Cézanne, c'est "l'Estaque"... Un coin que l'on ne décrit pas et qui fera frémir le marseillais du bout du monde à sa seule évocation. Le village a conservé ses ruelles étroites et son église de briques et il n'en a pas moins gardé son âme. Chaque année, le temps d'un jour de septembre, il retrouve même son identité avec la fête de Saint Pierre es liens et la Mourrejado. La petite église ouvre ses portes ce matin, laissant voir ses murs de chaux abimés par les outrages du temps. Face à la porte, Saint Pierre attend ses porteurs, les gaillards de la "Fine lance estaquéenne", le club de joutes local. L'Escolo de la Nerto est déjà arrivée, portant le costume traditionnel maritime, et est rejointe par les tambourinaires de l'ensemble musical Provençal. La foule des grands jours est absente, rappelant qu'avant d'être une fête, c'est avant tout une procession en l'honneur d'un saint. Intimiste, le cortège descend de la colline emmené par les trilles des 4

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galoubets jusqu'au quai où se déroulera la messe. Le local du club de joutes sera aujourd'hui la sacristie de cette messe célébrée presque les pieds dans l'eau. Le quai est large, aurait on dit une heure plus tôt, mais qu'il semble étroit maintenant que les fidèles s'installent. On en oublie sa vocation première tant le lieu se charge de dévotion religieuse. Une messe en l'honneur d'un saint, pour la sauvegarde de ceux qui partent en mer, une messe qui se poursuit sur l'eau, avec la bénédiction des bateaux de la rade. Le saint est chargé dans un des bateaux des jouteurs, et s'en va fièrement emmené par les célébrants porter la bénédiction aux pécheurs et plaisanciers. Une bénédiction à laquelle sont sensibles "lei pescadou de l'estaco".

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Marseille U ne réunion de voiles latines, dans le port de l’estaque. Elle est la doyenne de ces rassemblements, elle en est devenue une référence.

Tout à coté des Jouteurs, «Lei pescadou de l’Estaco» organisent eux aussi ce matin une manifestation : «La Mourrejado de l’Estaco». Le mourre est le museau, la mourrejado est le nom donné à un banc de thons qui crève la surface de l’eau, signe du début de la pèche, l’Estaque était bien un village de pécheurs. Au temps des voiles blanches, le port était empli de barquettes marseillaises, bettes, tartanes et mourré dé pouarc tous tournés vers cette activité. La mourrejado a été le premier rassemblement de voiles latines et est devenu, sous l’impulsion de la société nautique de l’Estaque, un incontournable, une référence dans ce type de regroupement. On trouve aujourd’hui amarrés au quai les participants qui arrivent l’un après l’autre. L’André Jean, le Monte-Christo,

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La Mourrejado


la Marie Louise, la Mimi, la Bonne Mère, le Toucan... Certains étaient déjà ici, propriétés de la société nautique, les autres arrivent par la route, comme Flaminda la barquette marseillaise dont le port d’attache est Serre Ponçon. Les derniers sont venus par voie de mer, les plus lointains visiteurs viennent du Cros de Cagnes, si l’on exclue évidemment ceux que tous iront chercher cette après midi, de retour de la manifestation Brest 2008. Pour l’heure, il est temps d’arborer toutes ces coques. Tartanons, bettes, barquettes marseillaises, barques catalanes et corses montent tour à tour leur gréement. L’occasion de discuter avec ces passionnés, qui ont su et pu sauver leur bateau. La doyenne du jour est une barquette marseillaise de 1899 classée aux monuments historiques «Marie-Louise». Histoire de coeur que cette barquette, un vieux pécheur est allé la voir au Martègue, au «Miroir aux Oiseaux» le coin réservé aux pécheurs. La coque était en mauvais état, mais le vieux accompagné de son beau-fils l’achète. Nous sommes alors en 1963. Les deux marins ramènent le bateau à l’Estaque, par le tunnel du Rove encore ouvert, le vieux à la barre, le jeune écopant tant et plus avec une marmite. Il était temps, une semaine de plus et la voûte du tunnel s’effondrait, fermant à jamais ce mythique passage. La Marie Louise avec son gréement latin et son De Dion Bouton de 1922 est sauvée par les années de travail appliqué de deux hommes... Une jolie histoire comme souvent sont celles des vieux gréements. Truculentes histoires de pécheurs marseillais aussi pour certains. La plus fantastique est celle du Monte Christo, le tartanon de la société nautique. Même s’il n’est pas barré par le Capitaine Achab, il n’en a pas moins péché le cachalot dans la rade de Marseille. Le cétacé avait du suivre un banc de thons, il s’est perdu dans la rade. Le Monte Christo et quelques bâtons de dynamite en ont eu raison. Quelques histoires plus tard, tous ont monté leur gréement, ils disparaissent pudiquement derrière la digue, le temps d’un souffle de vent. Le vent des demoiselles vient caresser et gonfler ces voiles depuis longtemps disparues des ports modernes. Un petit tour, sans compétition, moment de pur plaisir, une après midi d’été.

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Marseille

la Fête Provençale de la Saint-Michel Organisée par la mairie des 9 et 10e arrondissements de Marseille, la grande fête provençale de ce dernier dimanche de Septembre investit cette année la place de l'obélisque à Mazargues, caractéristique de cette fête organisée par une mairie responsable de deux arrondissements et qui oscille entre Saint Loup et Mazargues. Mazargues donc a l'insigne privilège de recevoir un petit bout de la Camargue, sous la houlette des gardians Eyguiérens de la Manade Agu recevant aujourd'hui dans leurs rangs un cavalier de plus en la personne de Mr le maire de Secteur, Mr Guy Tessier. Une cavalcade et un cortège apprécié comme il se doit par les marseillais venus profiter du spectacle, les Frisons de Mr Dubois suscitant même les premiers hoooo... d'admiration. Il faut dire que la calèche est belle, et qu'à l'intérieur, Mr Didier Réault conseiller général du canton de Marseille Mazargues est en compagnie 8

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de Mlle Caroline Serre, XXe Reine du Pays d'Arles. Caroline est venue accompagnée de deux de ses demoiselles d'honneur Marion Pitras et Elodie Bretagne. Les marseillais ont de la chance, ces trois demoiselles ont tenu à honorer cette invitation qui va les faire courir ensuite jusqu'à Saint Remy de Provence pour l'inauguration du plus jeunes des parcs naturels Régionaux, le PNR des Alpilles, et ensuite vers le domaine de Méjanes pour une fête dans un des plus anciens PNR, celui de Camargue... Une journée chargée. Mais pour l'heure, elles ont choisi de débuter leur marathon par la ville de Marseille retrouvant ici la compagnie du Condor groupe venu de "leur" ville, ou des Attelages Dubois de Tarascon, et de la Capouliero de Martigues avec lesquels elles ont défilé une semaine auparavant à Mouriès pour la fête des Olives Vertes. Les groupes locaux encadrent leurs invités, la Ribambello dóu Roudelet de San-Ro, le groupe du quartier est en tête, suivi par l'oulivarello du


quartier voisin du Petit-Bosquet. Musique et danses rythment le passage de la cavalcade emmenée par Mr le Maire. Les gardians, les calèches et les charrettes, les groupes, les ânes et les brebis se lancent dans un tour du quartier fort apprécié des riverains, peut être un peu moins des automobilistes... Le défilé se termine sur les accents des galoubet et grailles du Condor, et la fête continue un peu plus loin, dans l'enceinte du Parc de la mairie des 9 et 10e Arrondissements. La table est dressée pour les nombreux convives venus partager un aïoli monstre sous le barnum toujours animé par le groupe arlésien. L'après midi commence ainsi, dans les rires et les chants. Il n'y a guère que les gardians qui s'affairent au fond du parc. Ils terminent le balisage du parcours de l'abrivado... Et oui... Nous sommes bien à Marseille, et il va y avoir des taureaux... Désolé... Moins toutefois que Mr le Maire de Secteur, Mr Guy Teissier, à qui nous sommes allés demander son avis au sujet de l'interdiction qui est faite à la course qui doit se tenir la semaine prochaine. Mr le Maire une question polémique autour de la course de la semaine prochaine ? La question est ainsi posée parce que toute question posée en bouvino devient un jour une polémique, autant mettre les points sur les i d'entrée de jeu. Numero 7 Hiver 2008-2009

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Eux non plus ne comprennent pas la levée de boucliers de ces derniers jours, depuis dix ans, il n'y a jamais eu de problèmes, et la journée est un vrai plaisir. Il n'y a qu'à regarder le parc plein pour réaliser que nous sommes en présence d'une fête aussi traditionnelle que familiale. Il faut conserver nos traditions sous peine de les perdre et de devoir adopter celles des autres. N'en déplaisent à certains, il y a bien une tradition taurine à Marseille, même si elle est hors propos en ce qui concerne la course camarguaise: Cette notion de tradition taurine ininterrompue ne s'applique qu'à la tauromachie espagnole. Je garde en Et il faut dire qu'il a raison, Mr le Maire. mémoire une acampado de la Nacioun Nombre des marseillais présents ne connais- Gardiano à Châteaurenard, lors de lasent strictement rien de la bouvino, et ne sont quelle je discutais avec un des gardians donc pas montés ni formatés contre ce specta- du Marquis qui m'expliquait sa travercle. Ils apprécient ainsi d'un oeil neuf l'abriva- sée du Cours Belsunce de nuit il y a une do donnée par les gardians de la manade Agu, quarantaine d'années avec les taureaux des habitués de l’événement qui animent cette de la course du lendemain... Un marfête depuis maintenant une dizaine d'années. seillais dirait "Et alors, y a riien là ?"... Mr Guy Teissier s'est dit surpris et déçu de la décision de Mr Jean-Claude Gaudin. Il ne comprend tout simplement pas la décision du Maire de Marseille, pourtant un provençal de souche, d'interdire cette manifestation sportive. Il s'agit bien de course camarguaise, les animaux ne sont pas martyrisés, il n'y a pas de violence. Et de montrer la réussite de sa fête. Ici, en cette après midi les marseillais sont venus en nombre profiter de ce magnifique parc. La fête de la Saint Michel a vingt-cinq ans, et tout se passe dans la meilleure des ambiances possibles. Il y a bien eu certaines années des agités anti qui sont venus manifester contre ces spectacles, mais quand ils ne sont pas là tout se passe du mieux possible.

Les portes du char s'ouvrent laissant sortir les 4 taureaux, que les gardians emmaillent et font passer devant une foule médusée. Nombre des spectateurs n'ont jamais vu cela, les gamins roulent des yeux émerveillés sous les regards attendris de leurs parents. L'abrivado terminée, d'autres points de fixation se créent autour de la scène sur laquelle évoluent la Capouliero, puis l'oulivarello, et l'escolo de la Ribo, mais aussi autour d'un parc de bédigues pour une démonstration de tonte, et enfin autour d'une arène démontable. Quatre jeunes de l'école taurine de Saint Rémy de Provence ont fait le déplacement pour une démonstration. Seulement Quatre ? Et oui, moi aussi j'aurai hésité à envoyer des gamins dans cette ville de perdition qu'est Marseille (Tant qu'à y être avec les clichés...). Il vont affronter des va10

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chettes emboulées pour une démonstration de course camarguaise. Difficile exercice, la piste n'est pas recouverte de sable, mais d'une splendide pelouse qui rend les courses difficiles. Alors ils arrondissent leur trajectoire et ralentissent leur fuite. Les raseteurs sont jeunes et sont confrontés à du bétail jeune. Tous sont en phase d'apprentissage, d'où les emboulages sur les cornes. Les minots apprennent un sport, il n'est pas question de les jeter aux lions. Ils rasetent, et font briller les bêtes... Ils ont déjà tout compris. Et les marseillais présents de vibrer avec le ballet des gamins en piste, ils prennent visiblement un réel plaisir à les voir déambuler, sauter, se pendre aux tubes... Que de villages rêveraient de réunir autant de monde. Surtout un monde comme celui là. Les maires ont tous ce but ultime, de créer une fête familiale, à laquelle les gens viennent petits et grands réunis. Cette fête l'a fait. Aujourd'hui, énormément de familles sont présentes. Les gosses courent partout, découvrant ici des chèvres, là des moutons, des lapins, des ânes. L'espace d'une après midi la ville retrouve des accents ruraux. Une fête "à l'ancienne". Pas de manèges, pas de tir au pigeon, et pourtant les enfants s'amusent. Merci Mr le Maire. Longue vie à votre fête.

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Marciac

A la découverte de la course landaise

Surprise à l’arrivée à Marciac. Le village est petit, mais le festival international de Jazz qui s’y déroule n’a rien d’un petit évènement. A tel point que trouver une place de parking relève de la gageure. La course ne va plus tarder. Nous arrivons aux arènes avec des images de course camarguaise plein la tête. Même passion, même ambiance. Je taille le bout de gras à l’entrée avec les coursayres, demande quelques conseils sur le déroulement de la course, où me placer pour faire quelques photos... Je finis ainsi en contrepiste, derrière les talencaires. En course landaise, les barrières sont hautes de 1m50, les raseteurs qui se sont essayé dans ces pistes ont eu bien du mérite... Je pose la question stupide: «Elles ne sautent pas au moins ?» Nooon, on est pas en course camarguaise, il n’y a pas de souci de ce genre ici... Soit. Faudra penser à expliquer cela à la deuxième coursière de l’après midi qui est tombé en contrepiste deux mètres derrière moi... Bref, je m’en doutais quelque peu, toujours rester vigilant quand des cornus sont à proximité... C’est vrai que ces demoiselles sont emboulées, c’est une des deux caractéristiques de la course landaise: Ne courent que des femelles, et elles sont emboulées. Mais bon, tout de même... La course va débuter La course landaise met en scène une série de vaches, les coursières face à une équipe d’écarteurs et sauteurs, la cuadrilla. Dans une course classique, 8 vaches sortent en première partie pour 9 écarts, dont une sans corde, une vache débutante et une réservée au sauteur. 12

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En seconde partie 6 vaches dont une pour le sauteur, les 2 dernières vaches sont en général les plus réputées les plus dangereuses. Il y a donc dans une cuadrilla des écarteurs et un ou deux sauteurs sous la conduite du chef de cuadrilla. L’écart est noté de 0 à 5 pour sa difficulté, sa prise de risque et sa pureté. L’écarteur doit passer le plus près possible de la vache sans jamais se faire bousculer. Il y a deux formes d’écart : l’écart feinté lors duquel l’écarteur «embarque» la coursière dans un pas et l’évite sur le pas opposé. L’écart sauté est plus difficile à réaliser. L’écarteur attend l’arrivée de la vache, puis il saute pieds joints, retombant devant la vache en avançant la jambe externe pour pouvoir sortir du berceau des cornes en creusant les reins. Le sauteur, lui, doit passer bien au dessus de la vache. Là encore différents sauts sont effectués : Le saut périlleux Le saut périlleux vrillé Le saut de l’ange Le saut pieds joints dans un béret, les jambes attachées par la cravate. Pour le reste... Comme en course camarguaise, et loin des règles écrites, il existe des subtilités que seule la pratique assidue des étagères permet de saisir. Le choix de l’écart vers la corde ou à l’extérieur selon la corne d’attaque de la coursière en est une. Le placement par le cordier derrière son refuge en est un autre. Mais le spectacle se suffit à lui seul.

La course landaise est plaisante, agrémentée d’un décorum qui contribue à rapprocher les acteurs des spectateurs: Un paséo nickel chrome, des vueltas méritées, des fleurs offertes aux compétiteurs et la musique d’une marche cazérienne faisant participer le public sont autant «d’accessoires» propices à ce rapprochement entre gradins et piste. Une découverte qui en a ravi plus d’un autour de moi. Pas tous, évidemment... Que serait donc un spectacle taurin sans reboussier. Mais Il y avait en piste tous les ingrédients propres à faire aimer ce sport aux néophytes: Un maestro, 8 fois champion de France des écarteurs, accompagné de jeunes de l’école taurine, des coursières pleines de sang, le président de la Fédération Française de Course Landaise dans la tribune présidentielle, des spectateurs avertis prenant en main les touristes, un commentateur expliquant, détaillant sans jamais sombrer dans la logorrhée, et même une coursière dont la prestation est commentée «comme dans une vraie course» afin que les néophytes puissent goûter l’ambiance d’une compétition ... une vraie découverte d’un sport patrimonial. Une après midi riche d’enseignements sur la présentation d’un spectacle. Si vous passez par là-bas... Pensez à vous arrêter. Retrouvez plus d’infos sur la course landaise sur le site de la Fédération Française de Course Landaise http://www.courselandaise.org/

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Nimes Finale du Trophée des As 2008

La capelado

Il existe deux façons d'assister à un spectacle. La première est de s'imposer aux répétitions. Elle permet d'assister au montage technique de l'ensemble, d'en appréhender l'ampleur artistique et technique. Un danseur n'est pas à sa place, une arlésienne pas dans la ligne. Tout se peaufine avec minutie. Rien n'est laissé au hasard, tout est pensé réfléchi. Un tableau va se dessiner. Les couches de peintures doivent suivre les circonvolutions des Cavaliers, danseuse et arlésiennes. L'autre façon est d'être présent au milieu du public pour profiter de ce moment unique. Une seule représentation. Un seul instant en ouverture d'un autre spectacle. Patrice Blanc, le chef d'orchestre se voit confier encore une fois l'organisation de la capelado de la finale du trophée taurin. Un choix qui ne se dément pas, tant la prestation fournie par l'artiste est fantastique. Le public venu remplir les gradins s'est déplacé pour voir un sport viril presque violent dans l'affrontement entre l'homme et l'animal. Un sport qui est tout sauf féminin. L'exploit est de faire précéder ce spectacle par de la poésie, une touche d’opéra, de la danse... Cette année, les arènes sont transformées en tableau. Un Lelée, évidemment. Une composition avec comme toile de fond la Camargue, l'oeuvre de Mistral et les arlésiennes. Les premiers traits sont tracés par un carrousel de chevaux, qui dansent en piste, précédant dans leur prestation une allégorie sur Mireio et Ourrias. Aujourd'hui Chloé est Mireio et Ourrias un Cheval. 14

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L'instant passé, les danseurs plantent les couleurs Rouge et Vert de la Ville, alors que les farandoleuses les encadrent. Et le public entre dans le tableau. Il n'est plus spectateur, il devient le cadre qui manquait encore. Il applaudit au moment où les danseurs vont arriver, applaudit quand vont entrer les arlésiennes. Apanage de la réussite d'un projet, comme on applaudit l'esquisse d'un maître avant les touches de couleur, les spectateurs applaudissent les figures des danseurs avant même de les voir. Un grand moment. Plus de vingt Cavaliers, 120 farandoleuses, les couleurs de la ville partout, la reine d'Arles et ses demoiselles d'honneur... Tout un cérémonial. Mais un tableau se doit de mettre en valeur ses personnages. Le maître ne l'a pas oublié, et parvient à mettre en valeur chacun des acteurs à son tour: Caroline Serre, XXe Reine d'Arles seule au centre de la piste, les Manadiers présentés au public au bras de demoiselles en Gansés, les Raseteurs se partageant autour d'une haie de drapeaux. Chacun d'entre eux reçoit l'hommage qui lui est dû, chacun a sa dimension, une dimension qui sait se faire grave avec la minute de silence en l'honneur des disparus, en particulier les deux grands noms qui nous ont quitté il y a peu: Espelly et Jalabert. Le tableau est complet, signé. Il est l'heure des Biòu...

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Nimes

Finale du Trophée des As 2008

La course

La Course Le soleil est absent aujourd'hui, il est le seul absent de ces arènes qui réalisent le plein. La course est belle sur le papier. Les meilleurs taureaux, sont confrontés aux meilleurs hommes. Fidèle premier des grands rendez vous, Candello de la Manade Guillierme sort dans la lumière. On l’a peu vu cette année, cette course n’est que la seconde de 2008 après celle de la cocarde d’Or lors de laquelle il s’est brillamment illustré. Tous attendent qu’il reproduise l’exploit. Sa maîtrise des hommes face à lui, son coup de tête, sa façon de résister à la pression des hommes en changeant de terrain... Beaucoup d’espoir sur la tête de ce premier là. Aujourd’hui pourtant, il est en deçà de ses sorties habituelles. Il refuse beaucoup, semble absent. Un jour sans pour ce biòu, comme il en arrive parfois. Son manque de combativité prive les raseteurs d’adversaire, et cul tanqué au toril malgré quelques mouvements, il conserve ses ficelles. Son retour au toril sera sanctionné par les sifflets du public, déçu par sa prestation.

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Vidourlen le suit dans sa course. Lui aussi n’est pas au top de sa forme. Il montre tout de même de belle fusées. Le souci qu’il pose aux raseteurs est lié à quelques départs «un temps trop tard». Il démarre à contre temps, les hommes ont du mal à s’approcher. Le plus vif à le voir venir est Sabri, seul en piste capable de compenser ce retard en venant le provoquer plus près. Il réussit ainsi à le lancer à sa poursuite pour le tirer aux barrières. Allouani lui fait coupe cocarde et cocarde, alors que Loic Auzolle et Hadrien Poujol se partagent les glands. Vidourlen garde néanmoins ses ficelles. Sa prestation n’a pas totalement démérité, il est applaudi à son retour.

Le début de course au ralenti, ou tout au moins plus doucement que ce que les hommes attendaient leur donne confiance en eux. Trop peut être, la question se pose avec Adil Benafitou, qui le premier en prend la mesure et lui fait coupe cocarde et cocarde. En confiance, il se lance dans un long raset qu’Andalou voit beaucoup trop tôt. Il coupe la trajectoire qu’Adil envisageait de prendre pleine piste. Pire, Adil s’embronche et prend un temps de retard. Pris de court, il se retrouve dans le berceau des cornes effilées du biòu avec juste assez de lucidité pour plonger et passer sous l’animal dans les cris de la foule. Andalou lui marche sur la jambe et le contraint à sortir un moment, emmené sur une civière. Il reviendra en piste après l’entracte. Andalou est en forme, montre de splendides anticipations mises à profit par Villard, Allouani ou Auzolle qui le feront briller. La course est bien lancée avec les courses de ce taureau. Tant et si bien qu’il entend son dernier Carmen en rentrant au toril.

L’entracte passé, le «seigneur de Camargue» entre en piste. Camarina triple biòu d’Or sort à la place du chef. Son entrée est pour lui aussi en douceur. Sa course n’est pas bien déroulée, son train arrière a l’air emprunté. Une peur qui ne dure pas, le taureau se chauffe et sa foulée est de plus en plus déliée. Un quart d’heure parfait? Pour certains oui, pour d’autres non. Maladie de la Course camarguaise où tout le monde râle sans arrêt. En fait Camarina est raseté aujourd’hui à son avantage. Pas de reprises pour cet animal. Tous les rasets sont pris à l’arrêt. Enorme Poujol, qui recommence un duo formé avec un Laurent il y a quelques années. Une course, qui passe juste, tirant le taureau jusqu’aux barrières. Et de recommencer de justesse, une puis deux fois... Le taureau est plutôt gaucher aujourd’hui, et ceux-ci profitent de l’aubaine. Ouffe à deux reprises et Poujol encore lui font entendre Carmen. Hadrien Poujol prend de plus en plus de risques dont un n’est pas sans conséquences. A la 13eme minute, Sur un raset osé, il saute en contrepiste, mais ne s’accroche pas. Erreur, Camarina a sauté après lui. Des cris, beaucoup de mouvements en contrepiste, Hadrien s’arrache et saute en piste. Il s’est fait accrocher la jambe. Pas assez néanmoins pour l’obliger à s’arrêter. Il reste pour un public qui l’ovationne. Et la ficelle monte, monte jusqu’à 2000 euros à la dernière minute. Camarina la rentre sous les applaudissements d’un public conquis. Un quart d’heure «de rêve» dans le sens où le public a poussé à fond, les raseteurs ont raseté tout à l’avantage du taureau pour des courses d’anthologie... Numero 7 Hiver 2008-2009

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Yvan du Pantai prend la place de Mathis dans l’affiche de la course. Il démontre un quart d’heure durant qu’il est à sa place dans cette piste. Ses courses sur Loic Auzolle ou sur Benjamin Villard dont il prend le pied à la barrière font réagir les spectateurs. Avec sa rapidité et son coup de tête, il tient les hommes à l’écart, rentrant sa première ficelle primée 900 euros.

Rodin des Baumelles le suit. Le meilleur taureau de la journée. Il est complet, méchant, avec des finitions lourdes aux planches. Son anticipation sur Victor Jourdan est stupéfiante. Sa finition sur Sabri pleine de rage. Malgré cela, Sabri se lance de loin, pleine piste. Enorme course du Champion de France, la main sur le frontal dans une trajectoire qui n’en finit plus, devant un public médusé. Un raset qui vient du fond de la piste... Et que Sabri envisage sérieusement de rééditer... A deux reprises on le voit s’élancer, mais le taureau ne lui laisse pas le temps d’armer sa course. Lors de sa prestation un gaucher et un droitier Hadrien et Sabri se partageront les points. La deuxième ficelle soulève le traditionnel litige, la moitié des arènes ayant mieux vu l’action que le juge de piste qui, lui, était placé juste devant le taureau quand ce dernier a perdu sa ficelle. Une bronca salue ainsi l’attribution de cette ficelle à Sabri. La Course camarguaise est bien un sport, et le partisianisme est bien présent.

Renoir finit l’après midi. Mal, serais je tenté de dire... Le taureau est excellent et laisse augurer des prochaines saisons pleines de promesses. Mais Renoir s’est blessé. Et suffisamment pour que la course soit interrompue. Trois minutes auparavant, une action sur Lahcène Outarka se terminait dans un cri du raseteur qui s’est mal reçu en contrepiste. Il a quitté la course, porté. Deux blessés pour un quart d’heure. Beaucoup trop.

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Rodin Meilleur taureau de la Finale

Une finale excellente a montré en quelques heures toutes l’étendue des émotions liées à ce sport. Camarina et Sabri Allouani sont les deux grands vainqueurs de cette année 2008, le premier s’adjugeant son troisième biòu d’Or et le second son 8e trophée des As, rejoignant Castro dans la légende. Ils sont aussi, avec Rodin, les vainqueurs de la journée. Mais au delà des victoires, et des lignes qu’ont écrit en bas des pages de palmarès, les images de cette course resteront. Des rasets extraordinaires du champion sur Rodin, sa façon d’entrer dans le terrain d’Andalou resteront autant d’images. Il n’était pas seul en piste, et cette finale a aussi montré quelques courses stupéfiantes, comme celles des gauchers sur Camarina, ou des rasets osés de Benjamin villard, Loic Auzolle. la Course Camarguaise, et félicitations aux champions.

Camarina Biòu d’Or

Benjamin Villard 2e

Victor Jourdan 3e

Loic Auzolle 4e Sabri Allouani Vainqueur

Julien Ouffe 5e

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Val d’Azun Jean-Pierre Pommiès, Berger dans les Pyrénées

Berger en 2008 Un jour d’été sur les estives, un berger raconte. Il parle de son métier, de sa vie, de sa montagne. Il nous apprend que son métier de berger a plus changé ces trente dernières années que dans les deux siècles précédent.

La rencontre Sur le parking, les touristes se regroupent autour du berger, au cul de son Kangoo, la voiture officielle de la profession. Jean-Pierre y distribue les bâtons, et les premières recommandations «Le bâton se tient avec le bout fort à terre, le bout fin à la main.». «C’est comme ça qu’on reconnaît les touristes par ici» ajoute t’il incidemment... Pas de doute, on en est, on venait de dire le contraire aux minots... Bon, Ça au moins, c’est fait... Il prend la tête de la colonne, accompagné de ses deux filles Kattalin et Maialen, son ânesse Jeanne suitée de son ânon Zorro, et nous entraîne dans le premier raidillon... Le ton est donné, on n’est pas en plaine... La côte est courte, mais... On est dans les Pyrénées... Derrière nous s’étend maintenant le «Val d’Azun». Toutes les bosses ont un nom ici, souvent local avant d’avoir été francisé, Val d’Azun vient du béarnais, et signifie Vallée ensoleillée. Ensoleillée, la vallée l’est certainement. Le Val d’Azun tient pour cela une place particulière dans les Pyrénées, elle est la seule vallée qui ne soit pas orientée Nord-Sud, mais Est-Ouest. En outre, elle marque la délimitation entre les départements des Hautes Pyrénées et les Pyrénées Atlantiques. Le berger a prévu un petit laïus, à l’ombre d’un éperon rocheux. Ça tombe bien, on en avait besoin. Là il explique. Il parle de lui, et de sa profession aujourd’hui. Une plongée dans un monde que tous ignorons, parfaitement, englués que nous sommes dans nos images d’épinal : le vieux berger hirsute et barbu, portant le chapeau, la cape et tenant un long bâton «de berger». Nous avons bien besoin d’un cours, besoin et envie de découvrir ce 20

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métier. Le berger en face de nous est svelte, musclé, glabre et un peu chauve. Seule concession à l’image traditionnelle que nous avions, il porte le béret «béarnais», et non basque comme on le pense souvent. Le béret vient de Nay en Béarn à l’origine, les basques l’ont seulement fait connaître. Le métier de Berger «Les bergers louent les montagnes que vous voyez...» Voilà un premier préjugé qui tombe. Les montagnes n’appartiennent pas à tout le monde, le terrain est communal, et la commune loue ces montagnes aux bergers qui veulent faire pâturer leurs bêtes. Chaque berger se voit attribuer une parcelle (dont il a intérêt à ne pas sortir) pour les mois compris entre juin et octobre. Ce sont les «Estives», ce que dans les Alpes on nomme les Alpages. Jean-Pierre loue ainsi 4 montagnes. Aujourd’hui on peut voir de la son troupeau se détacher sur une plaque de neige sur le flanc du Gabizos qui nous fait face au loin. Cent trente brebis pâturent là haut. Il a aussi sur le versant où nous nous trouvons, un petit troupeau de brebis, et un troupeau de vaches. Il est arrivé ici avec ses bêtes le même jour que les autres «étrangers», le 15 juin dernier. Il n’habite pas Arrens-Marsous, commune propriétaire des lieux, et est donc considéré comme un étranger. Avant le 15 juin, seuls les bergers locaux ont le droit de monter sur ces montagnes. La date du 15 juin voit donc arriver tous les bergers ayant loué des terrains, soit environ 90% de l’activité pastorale du coin. Le jour d’arrivée, les bergers sont reçus par un employé communal qui vérifie les certificats sanitaires des animaux et calcule la «Baccade», la redevance qui permettra au berger d’occuper les terrains. Cette redevance est calculée en


fonction des animaux présents [[elle s’élève à 3,5euros la brebis, 25 euros la vache, 80 euros la jument, ou encore 45 euros la ruche]]. Quelquefois, le système choisi est différent, avec un système de location forfaitaire pour une montagne, comme c’est le cas pour lui de l’Estibète, la montagne juste derrière nous. Jean-Pierre fait partie des 2500 bergers recensés dans les Pyrénées Atlantiques, le plus important département français en terme de pastoralisme. Sous la force de ce chiffre se cache pourtant une érosion non négligeable, ils étaient 2700 l’an dernier, combien en restera-t’il l’an prochain... Il est en effet de plus en plus difficile de vivre décemment de cette activité, qui est pourtant aidée par le système, notamment par un remboursement sous forme de subventions de la Baccade, au grand dam des bergers, qui préféreraient largement tirer les fruits de leur travail. Au fond de la Vallée, le berger nous pointe 4 cabanes. Elles viennent d’être mises aux normes pour une dizaine de bergers locaux, qui y traient leurs vaches pour servir de base à un fromage mixte brebis-vache. Un autre mode de fonctionnement, un point de fixation, et des bergers qui viennent le matin et le soir pour la traite, redescendant dans la vallée pour faire le fromage...

«Aborder un animal ne se fait jamais sans précaution, quelque soit l’animal.» Entre temps, le troupeau que nous formons s’est déplacé, rejoignant quelques juments qui paissent là. Des chevaux pour la boucherie, l’élevage de chevaux lourds en France est principalement dédié à cela de nos jours. Le berger nous invite à ne pas trop nous approcher des chevaux, on ne peut jamais préjuger des réactions d’un animal, et un coup de pied de cheval n’a rien d’une caresse. Encore une idée de citadin, le sacro-saint «oh qu’il est mignon...». Sauf que la mignonne pèse 700 kilos et que vous la dérangez, ou que vous venez de passer entre elle et son poulain, ou que vous l’avez surprise... Aborder un animal ne se fait jamais sans précaution, quelque soit l’animal. «Ne bougez pas d’ici, je reviens» Il disparaît au delà de la butte pour réapparaître aussitôt suivi d’une trentaine de brebis maintenues en groupe serré par Isard, son troupeau de brebis, des tarasconnaises, qu’il fixe sur ce pré et monte voir tous les jours. - «Comment reconnaissez vous vos bêtes?» - Les brebis sont marquées d’une tâche rouge sur la nuque et bleu sur la croupe à l’aide d’un mélange coloré sur la laine, qui tient le temps de la saison. - «Comment se fait il qu’elles ne s’en vont pas d’ici?» - Elles savent que je vais passer, et je leur donne ici du sel le matin. Elles ne partent pas parce qu’elles savent qu’elles auront ce sel. On appelle cela «fixer» un troupeau. - «Pourquoi passer tous les jours ?»

- Les brebis sont sensibles au piétin, un champignon qui se loge entre les doigts et les handicape sérieusement. Il faut surveiller sans cesse, vérifier que tout se passe bien, qu’aucune bête n’a de souci. - «Elles ne sont pas tondues ?» - On tond les brebis en fin de saison, pas en début. Cela peut sembler paradoxal, mais la laine protège de la chaleur, et l’hiver les bêtes sont enfermées... Au sujet de la tonte... Antan, les tontes se faisaient de façon concertées, c’était l’occasion d’être ensemble, les bergers tondaient un troupeau, puis passaient à un autre. Aujourd’hui, la tonte est réalisée par des professionnels capables de faire un troupeau dans la journée. Vendue, la laine paie la moitié du coût de la tonte, mais la tonte est nécessaire à la bonne santé de la bête. Les questions continuent de fuser, quelquefois décousues, donnant à cette matinée l’aspect d’une classe qui écoute, s’intéresse et découvre la face cachée de ce métier. Nous laissons là les brebis, non sans avoir vu Isard, le border collie, à l’oeuvre. Il prend ses ordres en Béarnais. On dit souvent que «bon chien chasse de sang», ce qui est vrai pour les chiens de chasse l’est aussi pour les chiens de berger. Les borders ont une propension naturelle à encercler un groupe et à le maintenir serré. Un vrai plaisir que de voir ce chien décoller comme une fusée, serrer les brebis, les contourner et les ramener... Numero 7 Hiver 2008-2009

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rêt de l’utilisation de ces bâtisses aujourd’hui vouées à la destruction, ou à une inévitable mutation en résidence secondaire. Hier était différent.

Les Pyrénées Nous revoilà une pose plus tard, sous les arbres cette fois. Jean-Pierre nous parle des Pyrénées. Ces montagnes dans lesquelles il a grandi, et de ce qu’elles sont devenues aujourd’hui. Une histoire qui prend sa source il y a 4 à 5000 ans... Les agriculteurs ont utilisé les plaines, puis se sont tournés vers les coteaux, couverts par des forêts immenses, une forêt qui montait jusqu’à 2000 mètres d’altitude. Leur besoin de terres les a contraint à défricher massivement cet espace en propageant des feux dits de conquête qui ont lentement sculpté le paysage visible aujourd’hui. De grandes prairies utilisées et maintenues par les bergers. Mais les bergers sont de moins en moins nombreux, et les terres inclinées sont peu propices au travail mécanisé. Peu à peu les hommes cessent d’utiliser et de travailler ces terres. Un écobuage soutenu maintenait la forêt à distance. La pression diminuant, cette dernière regagne le terrain perdu. La grange que le berger montre en est un exemple frappant, située dans une forêt, elle était jadis cernée de foins et de prairies. Une grange à flanc de coteau. Elle était utilisée jadis par les bergers. En hivernage et estives, cette grange abritait pour un temps l’homme et son troupeau. Tout autour du bâtiment, les foins permettaient de nourrir un temps une trentaine de brebis. Mais la taille du bâtiment, associé à la nécessité de faire les foins à la main ont conduit à l’ar22

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Les Vaches Laissant ces granges et l’élevage des moutons, il est temps d’aller chercher l’autre troupeau: les vaches. La diversification de l’activité est aujourd’hui une nécessité, ou une envie. Le berger possède outre ses 150 brebis, une quarantaine de vaches, qu’il est temps de regrouper et d’amener au point d’eau. Un autre travail représente d’autres besoins. Le troupeau de blondes d’Aquitaine est menée par deux Vaches gasconnes au caractère trempé. Elles sont arrivées adulte dans ce troupeau et l’ont pris en main. Elles en sont aujourd’hui les meneuses. Placides, les génisses avancent à la suite des deux femelles grises, poussées par le chien qui gesticule efficacement. La conduite du troupeau est plus rustique qu’avec les brebis, ces demoiselles ne se laissent pas toujours faire. Mais Isard est rapide et malin... Arrivé au point d’eau, Jean-Pierre sort un sac de Maïs. Le principe est le même que pour les brebis. Donner aux animaux ce qu’ils aiment tous les jours au même endroit et à une même heure les incite à rester ou même venir à cet endroit. Le maïs les fixe plus efficacement qu’une clôture. Et les vaches de se tenir face à nous, mangeant avec gourmandise. - «Elles sont écornées ?» - Oui, Les vaches sont écornées dans leur quatrième année, après que la pousse de la corne s’arrête. Couper les cornes permet de rééquilibrer les dominations dans le troupeau. On laisse une partie de la corne afin de pouvoir les tenir à la corde en cas de besoin. Une vache tenue par le cou fait ce qu’elle veut. Tenue par les cornes, elle se laisse dominer. Ces vaches sont gravide, elles ont été inséminées, et devraient vêler en octobre. Le vêlage ne se fera pas sur les estives, elles seront redescendues avant. - «Pourquoi ?» - Le vêlage est quelquefois difficile, ou tout au moins doit il être surveillé. Et il faut aussi composer avec les nombreuses populations de vautours fauve. Un sujet qui devient délicat aujourd’hui. Les Vautours Enfant, il se rappelle que voir un vautour était un événement. Il faut dire que jusqu’aux années soixante, de sombres histoires alimentaient les veillées dans les Pyrénées. «Les vautours ne sont pas que des charognards, ils sont capables d’enlever des enfants parfois...» Des fables pour effrayer les petits enfants qui ont nui à la réputation de ce fossoyeur au rôle essentiel. En 1963 le vautour a bénéficié de programmes de protection qui ont permis de changer son image et de conforter ses effectifs.


Il y a eu d’autres facteurs comme des charniers exposés coté Aragonais où des porcheries industrielles trouvaient faciles de déposer des cadavres. Ces charniers ont «fixé» des colonies de vautours. La nouvelle réglementation européenne aidant, ces charniers ont été interdit et les vautours ont dû trouver d’autres sources de nourriture. Avec beaucoup d’individus et peu de carcasses, l’espèce s’est adaptée. Depuis une petite dizaine d’années, des observations parlent de cas dans lesquels ces oiseaux auraient fait preuve d’impatience, n’attendant pas que les animaux soient morts. Ils se sont mis à prélever leur pitance sur des jeunes nés, les placenta des femelles, et même à attaquer les femelles épuisées par un agnelage, un poulinage ou un vêlage. En dehors de ce phénomène, le rôle de charognard du vautour reste important en montagne. Son action, ainsi que celle des autres charognards que sont les vautours percnoptères et les gypaètes barbus contribuent à nettoyer les carcasses. Le matin même on était tombé sur le cadavre d’une jument, foudroyée le 17 juin 2006. Il n’en restait que les os, après une curée monumentale de ces grands oiseaux. Le berger lève la tête. Ce n’est pas uniquement pour nous montrer la ronde des trois vautours, à une encablure de là. Les nuages tournent et le temps change vite en montagne. Laissant les vaches, on poursuit sur le chemin, plus facile en descente, jusqu’à une dernière halte avant le point d’eau, autour de 4 pierres. Berger, Hier - Ici, vous êtes sur un vestige pastoral, une maison de berger. Il nous la dessine telle qu’elle était avec son toit en lauzes, une petite maison avec un petit lit, sans confort. A gauche là, au mur, des étagères, et ici, sous le pignon, un trou dans le mur pour servir de conduit à la cheminée. Son histoire nous entraîne 50 ans, 100 ans en arrière. La vie d’un berger autrefois. _ Une autre image d’Epinal que nous gardons tous: un berger s’avance vers sa cabane seul avec son chien. Il a choisi sa vie d’ermite, las de la compagnie des hommes... Et si la réalité était différente. Nos ancêtres avaient de grandes familles. Il n’était pas rare d’avoir 7,8 voire 12 enfants. Partout en France, la règle était simple. On ne morcelle pas le patrimoine qui part en héritage à l’aîné des mâles. Que les autres se débrouillent... Sauf un. Un que les parents ont choisi pour être le Baylet. Un des mâles que les parents désignent pour être le domestique, «l’esclave» de l’aîné. Il passera sa vie à servir son frère, contre l’unique gîte et couvert. Il lui sera interdit de fonder un foyer. Et cette cabane sur laquelle nous nous trouvons est la sienne. C’est lui qui est désigné pour s’occuper du troupeau et pour passer ces longs mois seul ici, dans une vie et une solitude qui a poussé tant et tant d’hommes au suicide. L’esclavage, un autre temps ? Numero 7 Hiver 2008-2009

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Il n’est pourtant pas si éloigné le temps où cette pratique existait encore, à peine une génération. Jean-Pierre est fils de Baylet, un de ceux qui ont eu la force de dire non à cette existence, qui ont fondé un foyer, malgré la pression des us et coutumes, de la société d’autrefois. De l’âge de 12 à 27 ans, il a servi son frère, avant de tirer un trait sur des siècles de cette pratique. Il était le dernier peut être. L’évolution de la condition, et du métier, de berger en un siècle, en ce siècle est incommensurable. Aujourd’hui, les hommes ne restent plus 24 heures sur 24 en montagne avec leurs bêtes, on finit par mieux comprendre pour quelle raison. Les ours - «Et les Ours?» Le sujet devait apparaître. Le berger n’a pas outre mesure envie d’en parler. Pourquoi agiter la polémique? Il accepte cependant, si de notre coté on prend le temps de l’écouter dérouler son argumentaire. Les raccourcis de l’info aujourd’hui ont diabolisé les bergers face à ces pauvres plantigrades, le berger en face de nous ne veut plus se laisser aller à quelques phrases type. Devant notre insistance, il se décide. Durant une heure, il explique sa façon de voir, n’omettant rien, maîtrisant son sujet. Lui, Pyrénéen aime les ours des Pyrénées, ceux que l’homme ne verra jamais. Il est contre les réintroductions d’ours slovènes. Difficile de ne pas être d’accord avec lui tant ses arguments sont justes. Un coin du voile se déchire. Comment résumer tout cela sans lui causer encore du tort? Le sujet a été maintes fois débattu, et l’info partielle et parcellaire sur le sujet a volontiers omis tout élément pouvant donner raison aux bergers. Les ours ne sont pas naturellement montagnards. Des plaines, ils ont été poussé par l’homme vers les montagnes. La cohabitation entre hommes et ours ne s’est jamais bien passé, pour s’en convaincre, il n’y a qu’à feuilleter les ouvrages montrant des photos du début du siècle. Chasseurs ou montreurs d’ours se disputent la vedette. Pourtant aujourd’hui on a tous une tendresse pour le «Teddy Bear», l’ours en peluche de notre enfance. La source de cette attitude est peut être liée aux américains. Il était de coutume de permettre au président des états-unis nouvellement élu de tirer un ours, après son investiture. Théodore Roosevelt, attendri par la bête, refusa de la tirer, d’où le «Teddy Bear» et l’apparition des ours en peluche. Aujourd’hui, on a fini par presque oublier qu’il est un grand prédateur et un animal qui peut se révéler dangereux. Dans notre inconscient, il reste la peluche, et qui24

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conque est contre l’ours «doit» être mauvais. Nous en étions aux chasses à l’ours, avant cette digression. Les dernières chasses au plantigrade ont été réalisé par l’état. Il s’agissait de battues administratives pour éliminer un danger menaçant un troupeau. Un berger ayant subi des attaques se tournaient vers les autorités, et le préfet montait une battue. Il rameutait tous ceux qui voulaient bien y participer, et les lieutenants de louveterie poussaient la bêtes vers les tireurs.

«Lui, Pyrénéen aime les ours des Pyrénées, ceux que l’homme ne verra jamais» Probablement afin d’exorciser les démons et rassurer la population, le tueur avait droit à une prime et la dépouille était montrée de village en village, ce qui donnait lieu à de grandes fêtes. En 1947, un épisode a conduit à la dernière battue administrative. Un ours s’est déchaîné sur des troupeaux de bovins, tuant une trentaine de génisses dans la vallée de l’Ouzoum. Il a été abattu. Les Pyrénéens ont été les derniers à tolérer une vie à proximité du plantigrade. Les autres régions se sont débarrassées du problème bien plus tôt. C’est dans ces conditions que la réintroduction a été décidée. Malgré les différentes alarmes lancées il y a quarante ans, il a fallu attendre 1995 pour qu’un programme de protection des ours pyrénéens soit lancé. A cette date, les 187 fonctionnaires du réseau Ours ont dénombré 5 ours restant dans les Pyrénées, 4 mâles et une femelle. Ces chiffres calamiteux pour la survie de l’espèce ont servi de base au programmes de réintroduction. Un premier lâcher (Zyva, Melba et Pyros) a eu lieu, loin des populations d’ours locales. On garde tous en mémoire la mort de Mellba, largement médiatisée. L’infâme a tué l’ourse. Il a été démontré que le tir a été réalisé à faible distance et de face. Mais le sujet est intéressant à médiatiser dans notre société citadine fermement protectrice de la faune sauvage. L’anathème a été lancé contre le tireur. Zyva a survécu. Elle a donné naissance à Néré. Néré est arrivé sur la montagne où nous nous trouvons le 17 juin 2000. Néré a tué 136 brebis, une vache et un poulain. Les bergers ont vécu un calvaire avec cet animal. Déviant dans son comportement, l’ours s’est amusé avec ses proies. Les bergers ont du finir au couteau au petit matin des brebis aux pis ou aux oreilles arrachés durant la nuit. Agonisantes, il fallait abréger les souffrances des moutons.


Néré a fini par changer de Vallée, au soulagement des bergers d’ici, au grand dam des bergers là bas. Malgré un climat peu amène, d’autres réintroductions ont eu lieu au printemps 2006. Les populations étaient pour cette réintroduction à 77%. Un chiffre extraordinaire, sauf que... Ce chiffre est le résultat d’un sondage internet. Les éleveurs étaient contre, les maires des communes étaient contre sauf 5 d’entre eux. Mais le programme est national, et dans ces conditions... Cinq ours ont ainsi été réintroduits: Balou, un mâle et 4 femelles, dont Franska.

«Pour les bergers locaux, ce fut le commencement de 5 mois d’angoisse» Franska. Encore une source d’inquiétude pour les bergers. Choisie et capturée par des experts en Slovénie, cette jeune femelle de trois ans devait permettre de repeupler la région. Elle a été lâchée à Bagnères de Bigorre qui avait dit oui à la réintroduction. Il lui a fallu 15 minutes pour changer de commune, et aller là où «on» avait dit non, ici, sur cette montagne. Pour les bergers locaux, ce fut le commencement de 5 mois d’angoisse, à attendre le matin pour constater les dégâts, regrouper et calmer les brebis effrayées, compter les mortes, les survivantes. Au total cette année là Jean-Pierre a perdu 17 brebis, mais combien d’avortements suite au traumatisme des attaques à répétition... Trois de ces brebis ont été payées, les autres ont été «finies» par les vautours avant que les experts du réseau ours n’analysent les dépouilles. Les solutions pour empêcher une attaques sont peu nombreuses. Elles consistent en un «Gardez vos bêtes». L’état a même prévu une solution qui consiste en la fourniture d’un aide gardien, d’un patou, d’une clôture et d’un sac de croquette. Un maire a, un jour, contacté le préfet pour que, suite à une attaque, on fournisse au berger victime de l’attaque l’ensemble des fournitures de cette procédure. Un gamin a accepté le poste d’aide gardien ainsi proposé. Il s’est retrouvé sous une tente sur un flanc de montagne à attendre l’ours. Cela n’a pas duré longtemps, le second soir l’ours est venu. Le troupeau a senti l’ours, défoncé la clôture, le patou s’est réfugié sous la tente, et le gamin a été terrorisé... Un autre éclairage sur ces lâchers d’ours. Les mesures prévues sont dérisoires dans une zone où le pastoralisme est si important. Il n’y a pas moins de 600000 brebis en estives dans les Pyrénées. L’ours pratique des attaques de «glissement», changeant de cibles si la résistance

est présente. Dans ces conditions, il faudrait, à la première attaque, protéger tous les troupeaux afin que le prédateur ne se déchaîne pas sur le suivant, moins protégé. Depuis cette sortie, j’ai fait un tour sur le net, à la recherche d’infos sur ces réintroductions Les ours importés viennent de Slovénie. Dans ce pays, il n’y a pas de pastoralisme. En revanche, la population d’ursidés a considérablement augmenté ces 30 dernières années. On y trouve environ 500 ours répartis sur 35000 hectares. Ces populations sont séparées en deux groupes. La population humaine du nord du pays étant moins encline à supporter la présence des plantigrades, on peut lire çà et là que les autorités ont du «prendre cela en compte». Il n’y a guère que deux façons d’éloigner les ours des zones où ils ne sont pas souhaités: les enfermer dans une réserve, ou les fixer en leur donnant de la nourriture, au risque de les voir se laisser aller. Que feront ces animaux qui ont perdu l’habitude de chasser? Mais les experts ont choisi les animaux à réintroduire. Franska a été tuée en 2007 sur une quatre voies par un véhicule militaire. L’animal a été autopsié, et on a appris qu’elle n’était pas subadulte, mais âgée de 17 ans. Dixsept ans, presque trop âgée pour se reproduire, pour un animal qu’on imaginait avoir entre 3 et 6 ans. Balou de son coté a été repéré en Août près de Toulouse, à une vingtaine de kilomètres de la Ville rose. Il était, à la fin de l’été activement recherché. D’autant plus activement qu’il y avait urgence, son collier est en train de l’étrangler. Depuis, l’ours a été tiré par un chasseur lors d’une battue au sanglier, il est blessé à une patte. Jean-Pierre est en colère. En colère parce qu’on n’a pas le droit de faire n’importe quoi avec les animaux, fussent ils sauvages. Franska méritait de finir ses jours dans sa réserve, nourrie par les autorités slovènes. Balou ne méritait pas ce traitement. Il nous avait prévenu, «vous lirez ce que l’on dit de moi sur internet». En effet... Impressionnant de lire à quel point la mauvaise foi associée à la stupidité peut donner des résultats étonnants. Mais en fait, au delà de cette agression personnelle, tout le sujet sent le soufre. Entre pro et anti, l’ours fait écrire, et raconter n’importe quoi, ou plus exactement, d’omettre à bon escient les sujets qui pourraient soulever des questions. Numero 7 Hiver 2008-2009

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Quelques exemples de questions ? L’ours des Pyrénées est un ours brun. Animal qui n’est pas en voie d’extinction en Europe. Pourquoi le WWF se lance t’il dans ce programme? De son propre aveu, le hamster d’Alsace ou la Tortue Herrmann sont des espèces bien plus menacées. Les animaux importés viennent d’un pays ne connaissant pas le pastoralisme. Pourquoi ne pas introduire le pastoralisme «gardé» en Slovénie pour que les ours comprennent que les brebis ne doivent pas être une cible facile? Sur TF1 après la mort de Franska, on voit un «expert» expliquer que Franska n’était pas un ours à problème, puisqu’un ours est considéré comme tel, lorsqu’il s’attaque à des troupeaux gardés. Or cela n’a pas été le cas. Dit il... On a vu ici que les mesures de protection d’un troupeau ont tout de même conduit à son attaque. Etait il mal renseigné, ou est ce un oubli coupable ? Un ours brun est principalement végétarien, le mouton constitue tout de même 8% de son alimentation. L’année où Franska est arrivée, elle a tué 73 brebis. Ca fait beaucoup pour un animal dont l’habitat naturel n’est pas la prairie où sont parquées les brebis. Les programmes de réintroduction des ours sont une réussite en Italie ou en Espagne. Le WWF prend comme exemple le Trentin. Pourquoi ne pas se lancer dans une extension occidentale vers les Alpes de ce programme ? Autre exemple de réussite, la cordillère cantabrique est toute proche... Pourquoi ne pas mettre l’accent sur ces programmes ? Les gens qui sont «pour» la réintroduction de l’ours savent ils que si l’état écoute les recommandations du WWF, les promeneurs seront interdits dans les zones déclarées espaces protégés ? Autant de questions qui ne sont pas soulevées, la pression médiatique est déjà passée, les bergers sont les mauvais élèves de la classe. Balou a comme parrains Gérard Depardieu et Fanny Ardant... Dans ces conditions... Je ne me permettrai pas de conclure sur ce sujet. Je ne suis après tout qu’un citadin habitant très loin des paysages et reliefs concernés par ces réintroductions. Dans ces conditions, comment pourrais je faire la part des choses ? Qu’il me soit juste permis de regretter que bon nombre de mes concitoyens n’aient pas l’honnêteté de reconnaître leur incompétence.

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Trets Journée de la Jupe piquée

A Trets depuis 2004, la confrérie de Saint Eloi et Saint Christophe organise une Biennale dédiée au costume de Provence. Le temps d'un week end, le cotillon piqué est à l'honneur d'expositions, conférences et défilés.

Nous sommes en 2004 lorsqu'un groupe de passionnés de tradition lance une nouvelle biennale. Le thème de cette manifestation est la mise en valeur du costume provençal. Arles a sa fête du costume, mais il s'agit du costume d'Arles, et le costume d'Arles fait partie des costumes provençaux. Une partie pas un tout. Pour rappeler que la Provence existe sans le ruban et la cravate, Trets institue sa fête du costume. Lors de cette journée, une seule contrainte est imposée, porter le costume traditionnel provençal avec jupes ou jupons piqués. Alors les coiffes de Provence, coiffe à Courduro, à la Couqueto ou à la Frégate reprennent ici cours pour deux petits jours, portées par des dames de différentes conditions, différents siècles, mais une unité de lieu, chez nous. L’événement prend de l'ampleur, édition après édition. 28

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Pour cette troisième biennale, le défilé du dimanche est une animation au milieu d'une foule d'activités proposées aux visiteurs. Des ateliers de démonstration, voire d'initiation sont ainsi présentés: les dentelles, leur tuyautage, de la broderie, ou la restauration de pièces d'étoffe sont autant de techniques expliquées, et étudiées par une assistance studieuse et admirative. Dans le château, une exposition de piqués a investi les deux premiers niveaux, alors que dans le casino, Cyril Laboureau donne le samedi après midi une conférence passionnante sur les bijoux anciens. Le dimanche, un premier défilé, une autre conférence sur la couleur, un second défilé avec calèches, un concours de costumes et pas un instant de répit ... Un programme d'une ampleur qui impose le respect tant par son sérieux que par son éclectisme. Le sérieux vient des participants... Le défilé est emmené par les tambourinaires de Sant Sumian de Brignoles, l'Escolo de la Ribo de La Ciotat ou la Poulido de Gemo de Gémenos. Mais ils ne sont pas seuls. Loin des grandes formations, nombre de celles et ceux qui sont venus défiler, ne font pas partie d'un groupe. Ils et elles aiment leur costume et sont venus le porter, sont venus partager ces pièces uniques. Les plus lointaines pièces sont portées par trois Dames venus du Bitterois. Trois costumes de Bedarieux datant de 1835, 1850 et 1880 qui ont su ravir les badauds. Au final une manifestation qui ne manque plus que d'un auditoire à sa dimension, même si le photographe que je suis lui souhaite de conserver longtemps cette atmosphère intimiste et vraie des manifestations qui se découvrent. Entre sourires et bonne humeur, envie de faire plaisir et de se faire plaisir... Ces passionnés de la Confrérie de Saint Eloi et Saint Christophe ont découvert un filon, une mine qu'ils exploiteront certainement longtemps.

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Aramon La Saint Martin

Et Aramon de tourner les grandes pages d’un grand livre.

Avec son thème "A chaque Epoque son Costume", les organisateurs de cette grande fête se sont lancés dans une gigantesque épopée, celle de l’humanité, en remontant à l’âge des Cavernes pour revenir parmi nous à l’époque moderne.

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Plus de 600 participants ont contribué à donner à cet inventaire à la Prévert une touche de magie à laquelle a adhéré le public venu en masse assister à ce défilé en costumes. Tout y était condensé : Néanderthal talonné par une décurie romaine, elle même précédant des nobles médiévaux... Et de siècle en siècle, on trouvait pêle-mêle la Renaissance, la révolution, le XIXe, et pour finir les grands moments du XXe siècle : le French Cancan, la libération, les jupes plissées des années yéyé juste devant le «Flower power»... Rien ne semblait manquer... Même les légendes immémoriales ont été invitées. Omniprésent comme le raton laveur de Prévert, un Faune déambulait gracieusement, sans syrinx malheureusement. Pourtant, victime de son succès, les organisateurs n’ont pu tout envoyer. Des chars sont restés bloqués en raison de contraintes de sécurité hasardeuses eu égard au monde massé en centre ville... Un petit tour a emmené les participants à l’autre bout de la ville avant un retour parmi les stands des artisans. Un détour qui, l’espace de quelques mètres, le long d’une route a permis des rencontres intemporelles entre des pages d’un livre pourtant éloignées, Une châtelaine du Haut MoyenAge s’offusquant d’une jupe plissée, une traction-avant croisant un cueilleur d’olives du début du siècle. Loin du regard des badauds, ces rencontres d’un instant fugace rappellent qu’en fait de livres, ce défilé est une expression de la vie au jour le jour, le costume change mais l’âme reste la même. Un instant de vie. Trop vite fini, les participants s égayent ensuite en ville pour profiter des autres aspects de la fête, Artisanat d’art, produits de terroir, et anciens métiers dans le coeur du village. Aramon a vibré de différents sons pour la Saint Martin, comme un carillon bien accordé.

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Istres

La Fête des Bergers

Le Premier dimanche de Décembre clôture la fête des Bergers à Istres. La fin d’une semaine folle qui a vu passer un concours de chiens, des spectacles, des veillées, un loto... Et qui se termine donc par une grande journée. Une journée qui commence au domaine de Sulauze avec une messe en lengo nostro, et une procession vers la chapelle Sainte Madeleine où Caroline Serre XXe Reine d’Arles et Laure Novelli demoiselle d’honneur lui rendent hommage.

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Le soleil d’hiver nous fait grâce de sa présence, allongeant les ombres et illuminant les visages des pèlerins, visages toujours plus nombreux d’une année sur l’autre. La bergerie dans laquelle se tient la messe est si grande vide, mais semble si petite en ce dimanche matin pour l’office du Père Desplanches. Cette année, nombre de ceux qui sont venus entendre l’homélie du prêtre devront se résoudre à ne pas y assister. Malgré le réaménagement de la bergerie pour augmenter sa capacité, quelques ouailles sont dehors. La messe finie, le cortège se forme et la procession déroule son bandeau jusqu’à la chapelle Sainte Madeleine : Mr le Maire et son adjoint en charge des manifestations de traditions en tête suivie par la calèche de Mr le curé en compagnie de nos arlatenco Caroline et Laure. Les gardians ferment la marche, apportant cette touche particulière qu’on ne retrouve qu’en ce pays si particulier et qui fait si cruellement défaut quand on s’en éloigne. Heureusement devrais je dire tant les chevaux sont les seuls à être en mesure de faire reculer un lot de spectateurs plus que pressants... Une matinée à Sulauze ne saurait se terminer sans le vin chaud offert par le maître des lieux. Le premier dimanche de décembre doit vraiment se commencer au domaine de Sulauze... Un instant à part.

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Mais la journée ne fait que commencer, et une fête en Provence doit avoir son défilé. Encore une fois les organisateurs trouvent LA touche. Rien n’a encore commencé quand au loin une mélodie... Le son clair de cloches tintinnabulent quelque part. Ces cloches s’appellent Bruxelles, Cracovie, Bregen, Saint Jacques de Compostelle, Reykjavik, Prague, Helsinki, Bologne, Bergen et Avignon. Ce sont celles du Carillon de l’Europe, le Carillon du Ban des Vendanges qu’Avignon a fait créer en 2000 lorsque la ville et ses consoeurs ont été capitales de la Culture Européenne. Le maître André Gabriel délaisse cette après midi sa massette et son galoubet pour tenir les marteaux et faire résonner le son clair de cet instrument unique. L’effet est saisissant, la maestria du musicien et son âme d’enfant donne aux mélodies un de ces sourires que l’on devine même lorsqu’on ne les voit pas. En tête de cortège, il semble attirer à sa suite les participants de ce défilé. Il est accompagné bien sûr, et les groupes lui donnent écho de sa musique au son des fifres et tambours de Gémenos ou des galoubets tambourins du Trelus d’Istres. Parachevant l’oeuvre, les habitués de ce défilé qui a trouvé son empreinte sont la carreto ramado de Saint Remy, les gardians d’Istres et Miramas, lei dindouleto dou Roucas, la Ribambello de Tartarin, Reneissenço, ou encore les attelages du pays d’Arles... Sans oublier bien sûr, que serait la transhumance sans les bédigues, les 3000 bêtes de Christian Trouillard. Passage extraordinaire d’un tel troupeau dans les rues d’une ville, le ruban de laine semble ne pas vouloir se terminer, uniquement tâché ça et là du brun de la robe d’une chèvre du Rove. Extraordinaire... Tout a une fin, celle là se passe à la salle des fêtes. Les fifres et tambours de Gémenos ouvrent un bal dont le trelus signe l’apothéose. Un tout nouveau spectacle autour de la cueillette et la transforma34

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tion de l’olive. Lou Trelus glane, cueille, presse, goûte. Un spectacle mettant en scène des générations de danseurs de 4 ans à ... chuuut... Tous travaillent l’olive, tous dansent et rient pour le plus grand plaisir des spectateurs qui participent de ce tableau, adhèrent à l’idée, voire se rappellent peut être un peu qu’ils ont un jour cueilli ces fruits. Aujourd’hui Le Trelus les emmène sur scène avec eux. La force de ce groupe est sa capacité à partager l’émotion unique d’un air de galoubet avec une salle entière.

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Allauch

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La Crèche Orsini

L’avent commençant, sortent des cartons les crèches et santons. Vous avez fait la votre le premier dimanche de l’Avent, sinon vous êtes en retard... D’autres ont fait une grande crèche. Une crèche qui sort du cadre privé, pour être proposée au public. Parmi ces crèches, il faut aller à Allauch voir la 31ème crèche de Gilbert Orsini. Comment vous la décrire... Ses jeux d’éclairage mettent en valeur 120m2 d’exposition au long desquels sont exposés 600 santons dont 35 animés. Ces santons sont habillés de piqués de provence et fichus d’indiennes du XIXème Siècle... Elle est époustouflante, servie par un hôte tout autant remarquable qui vous fera partager sa passion. Et elle n’est pas seule à être présentée au public. Allauch, Arles, Aubagne, Marseille, Paradou... Partout en Provence, cet art s’exprime avec dévotion et ferveur. Elles sont à découvrir.

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St Jean du Gard Le Musée des vallées cévenoles

Les Cévennes. Un seul mot pour couvrir différents paysages, depuis les hauts-plateaux jusqu’aux basses vallées. En écho à ces différences, l’activité de l’homme s’est adaptée. Les hauts plateaux ont servi de support au pastoralisme, aux cultures céréalières, ou aux activités sylvestres alors que les basses vallées, elles, ont vu se développer la culture de la vigne, de l’olivier et des muriers platanes, base de la culture du ver à soie. Entre ces deux zones, la polyculture s’est installée sur les hautes vallées schisteuses, avec une utilisation particulière des ressources du châtaigner. C’est ce que le musée se propose de faire vivre: La mémoire de lieux, la mémoire des outils des hommes.

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Au travers des salles, dans une présentation exceptionnelle des outils de ces différentes activités, vous y redécouvrirez les accessoires de nos ancêtres, et leur façon de les utiliser. C’est une des forces de ce musée, après l’extraordinaire travail de collection qui y a été effectué. D’ordinaire, la présentation des outils se suffit d’elle même. Histoire sans paroles pour les citadins que nous sommes devenus, ces prolongements de la main de l’homme des champs n’évoquent plus rien pour nous. Même si nous avons grandi en regardant houes, faux, serpettes et épinettes dans l’appentis du grand père, nous aurions bien été en peine de les utiliser. Panneaux après panneaux, on regarde et lit et découvre les techniques d’hier, voire d’avant hier. Passent ainsi en revue : Le ramassage des châtaignes dans une saqueta , des fagots liés à la nadilha, le métier de muletier et de ses coblas, un roulier et négociant dont la description du costume est tout simplement extraordinaire, le travail des champs avant hier, quand les paysans utilisaient encore l’araire... Pas après pas, on découvre les différents aspects d’une vie qui ne semblaient pas facile quand relief et climat s’ingéniaient à compliquer la tâche des hommes. Ici comme ailleurs l’eau ne devait pas être gaspillée, entre puits potz et citernes cistèrna, les paysans savaient la trouver et la collecter.

bre à pain tant son influence fut grande. Les fruits certes, mais aussi le bois ou les feuilles ont été exploités par les hommes. On découvre ainsi les taraire, pisaire, lo sa pisador qui sont utilisés après la cleda. Une vraie percée dans un univers inconnu, sur cette page du livre de ce lieu, qui effeuille ensuite la chasse, puis le pastoralisme, avant de consacrer un grand chapitre à une activité qui s’est arrétée à l’an pèbre: le ver à soie. Castellets d’incubation, tours à dévider, métiers à tisser, vêtements terminés, les différentes étapes de cette culture sont expliquées détaillées, montrées même au travers de video... D’autres salles vous attendent encore dévoilant d’autres aspect de la vie cévenole, d’autres métiers, d’autres instants de vie, du serrurier, au trousseau d’une mariée, du maréchal ferrand à l’intérieur d’une cuisine... Tant à voir, tant à apprendre. L’école nous enseigne l’Histoire, celle des grands: rois et empereurs. Elle ignore plus souvent le sort des sans grades, des 99,9% des gens qui menaient une vie simple, tourmentée par le climat, le pays, et les caprices des grands. Ce lieu est un vibrant témoignage, un livre d’histoires.

Surveillez votre montre, le temps en ce lieu est tout autre, il y a fort à parier que vous vous laisserez prendre à l’évocation de cette vie à jamais disparue et ne verrez pas les heures passer. Faites donc un tour à Saint Jean du Gard, il s’y conserve Après les ustensiles servant à la culture de la vigne et la des fragments d’un temps révolu, que la tradition seule vinification, on arrive à une grande salle dédiée au châtai- évoque encore. gner. Ressource majeure du lieu, il fut même appelé ar-

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