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Chantal Prod’hom quitte le Mudac, interview exclusive

CHANTAL PROD’HOM, 20 ANS DE DESIGN

Fin décembre, Chantal Prod’Hom quitte ses fonctions en laissant une empreinte et une contribution importante au rayonnement culturel du canton de Vaud.

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Patricia Lunghi

Pendant deux décennies elle a dirigé le Mudac, installé dans l’ancienne Maison Gaudard, face à la cathédrale de Lausanne. Et elle l’a accompagné dans son nouvel écrin sur le site de Plateforme 10, dont elle a été la présidente du conseil de direction de 2015 à 2020. Après avoir été décorée par les autorités lausannoises, la Ville lui a décerné la Médaille d’or 2022 pour son engagement remarquable en faveur du Mudac et du nouveau quartier des arts Plateforme 10, soulignant que «durant vingt ans, Chantal Prod’Hom a développé une véritable identité pour le musée, plaçant Lausanne sur la carte internationale du design».

Chantal Prod’Hom

VOUS VENEZ D’ARRIVER SUR LE SITE DE PLATEFORME 10. N’AVEZ-VOUS PAS DE L’AMERTUME À QUITTER CE MUSÉE FLAMBANT NEUF?

Non, au contraire, je pense que c’est le bon moment pour partir, je suis très contente d’avoir pu mener à terme cette exposition qui me tient particulièrement à cœur et qui m’occupe depuis plus de six ans (« MA Chair and You», actuellement à l’affiche). Je suis également très contente d’avoir pu ouvrir le nouveau musée et soulagée d’avoir pu tester le bâtiment, le voir en activité, constater qu’il fonctionne parfaitement comme musée et que le public répond positivement. Même si j’ai toujours trouvé cette architecture magnifique, on ne sait jamais si l’outil est opérationnel avant de le pratiquer physiquement.

DEPUIS L’OUVERTURE DU NOUVEAU MUSÉE, Y A-T-IL PLUS DE VISITEURS?

Avec la nouvelle exposition «A Chair and You», on a une fréquentation extraordinaire, 400 à 500 personnes par jour de manière régulière et pas seulement le weekend! Il y a l’effet découverte et c’est frappant de voir à quel point les gens adorent ce bâtiment, qu’ils soient experts en architecture ou pas, ils s’y sentent bien et aiment y rester. L’engouement du public est certain.

SONT-ILS INTÉRESSÉS PAR L’EXPO DU MUDAC OU PAR L’ENSEMBLE DES MUSÉES?

Exceptés les gens qui n’achètent un billet que pour le Mudac, on ne sait pas exactement qui vient chez nous, ni pourquoi le public est là, car il y a la possibilité d’acquérir un billet commun qui permet de visiter les trois musées. On sait que chaque visiteur va souvent voir au moins deux expos. C’est précisément l’idée de Plateforme10 : ouvrir l’accès à la culture et à tous les publics.

VOUS QUITTEZ DANS QUELQUES JOURS VOS FONCTIONS, COMMENT VA SE PASSER LA SUITE?

Je n’ai pas voulu bloquer la programmation trop longtemps de manière à ce que ma successeure puisse s’exprimer. Des expos sont planifiées jusqu’au printemps 2024, cela donne à Beatrice Leanza une année et demie pour préparer la suite et mettre en place sa propre vision. C’est important que la nouvelle directrice ne doive pas attendre quatre ans avant d’agir. Je lui laisse un superbe outil, fonctionnel et une très belle équipe!

COMMENT AVEZ-VOUS PARCOURU CES 20 DERNIÈRES ANNÉES?

Ce que j’ai aimé au fil des expos et des années, c’est la tonalité, la couleur que l’on a réussi à donner à cette institution. Cela s’est construit progressivement car l’acronyme Mudac ne voulait pas dire grand-chose au début des années 2000 et finalement, c’est le contenu qui l’a défini. J’ai eu la chance folle de jouir d’une liberté totale de programmation; il fallait juste respecter les budgets, ce que j’ai toujours fait. J’ai pu façonner l’identité du Mudac avec mes goûts, mes intérêts, au fil des rencontres avec des créateurs, des commissaires d’exposition, des scénographes. J’ai pu amener des grandes thématiques ou me concentrer sur des aspects précis. Maintenant on travaille à trois (avec la direction du MCBA et de Photo Élysée) et c’est autre chose. Cela dit, ça fait longtemps que ce n’est plus moi qui curate les expositions, excepté celle-ci. Moi, je signe une programmation, une vision, c’est ce qui m’intéresse.

TROIS NOUVEAUX MUSÉES AVEC TROIS NOUVEAUX DIRECTEURS, QU’EN PENSEZ-VOUS?

Je trouve cela formidable pour le projet, car maintenant que nous avons amené ce grand paquebot à quai, il reste encore beaucoup à faire pour que le site vive, et c’est très bien qu’il y ait de nouvelles personnalités qui s’occupent de la suite. Pour le Mudac, Beatrice Leanza aura aussi une formidable équipe qui s’est constituée avec le temps et cela aussi est très important. Il sera intéressant de voir comment le Mudac évolue avec cette nouvelle directrice qui va certainement prendre une autre orientation, et je m’en réjouis, car je pense qu’il ne faut pas quitter un poste en imaginant transmettre un testament mais bien plutôt une vision qui aura pu s’exprimer et qui, je l’espère, servira de tremplin pour la suite de l’aventure du musée. J’ai travaillé avec beaucoup de plaisir et, dans l’ensemble, le public a apprécié ma programmation. J’ai essayé le plus possible d’ouvrir le monde du musée à un public non spécialisé.

Lucie Jansch ©

Vues de l’exposition A Chair and You (jusqu’au 26 février 2023) avec la collection exceptionnelle de chaises de Thierry Barbier-Mueller, dans une scénographie immersive et sonore signée par le grand metteur en scène et artiste américain Robert Wilson.

Lucie Jansch ©

Lucie Jansch ©

QUELLES SONT LES EXPOS QUI VOUS TIENNENT PARTICULIÈREMENT À CŒUR? QUELS ONT ÉTÉ LES MOMENTS FORTS?

Je ne peux pas dire que j’ai préféré un projet en particulier, mais ma première expo en 2000, « Air en forme », concentrait déjà ce que j’avais envie de faire. C’est-à-dire travailler avec tous les univers : mode, architecture, arts plastiques, performance et bien sûr design. J’ai par la suite sans cesse décliné cette approche très pluridisciplinaire.

Je suis aussi très heureuse d’avoir pu, grâce au design, enregistrer les phénomènes de société, comme lorsqu’on a présenté « Recycling/Design » en 2003, ou « Nature en kit » en 2009 qui marquait le retour en force des matériaux naturels. C’est cette approche anthropologique du design qui m’a toujours intéressée.

EST-CE QUE L’ATTITUDE DU PUBLIC PAR RAPPORT AU DESIGN A BEAUCOUP CHANGÉ?

Oui, je pense que le Mudac a réussi, grâce à sa façon de programmer, à casser la méfiance et les a priori du public vis-à-vis du design, à ouvrir les esprits. Je suis persuadée que le musée a un rôle à jouer dans l’éducation, surtout pour une discipline comme le design qui a toujours été le parent pauvre. De plus, les musées étaient jusqu’ici très axés sur le produit, sur le côté commercial et les grands succès ; personnellement je m’intéresse plus au design prospectif, celui qui s’interroge sur nos modes de vie, qui met le doigt par exemple sur la frénésie de consommation d’objets, comment les designers se positionnent et s’interrogent sur l’avenir. Aujourd’hui on parle beaucoup de tout cela, mais à l’époque c’était nouveau.

COMMENT AVEZ-VOUS VU ÉVOLUER LE PAYSAGE DU DESIGN CES DERNIÈRES ANNÉES?

En vingt ans, on a assisté à une reconnaissance, une compréhension, une curiosité croissante de la discipline du design. De plus, le design de galerie a émergé, avec ses éditions limitées très coûteuses. Aujourd’hui, le design n’a plus rien à envier à l’art contemporain.

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