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4,9 Programme Karama : passer d’une approche purement médicale à une approche fonctionnelle en République arabe d’Égypte

Encadré 4.9 Programme Karama : passer d’une approche purement médicale à une approche fonctionnelle en République arabe d’Égypte

Le gouvernement égyptien a lancé le programme Takaful et Karama (TKP) en 2015 qui vise à fournir une aide au revenu et à accroître l’inclusion sociale des familles pauvres avec de jeunes enfants, ainsi que des personnes âgées et celles porteuses de handicaps sévères. Les objectifs principaux du programme incluent la protection des ménages vulnérables face à la grande pauvreté, l’investissement dans le capital humain en s’assurant que les enfants grandissent en bonne santé et bien éduqués, et l’autonomisation des femmes par des transferts monétaires. Takaful (solidarité) est un programme d’aide au revenu familial avec un programme de transfert monétaire en coresponsabilité (conditionnel) qui vise à réduire la pauvreté et à améliorer le développement humain (dans la santé et l’éducation). Karama (dignité) est un sous-programme d’aide au revenu inconditionnelle et d’inclusion sociale qui a pour objectif la protection et l’inclusion des personnes pauvres et âgées (plus de 65 ans) et des personnes en situation de handicap.

Karama a tout d’abord réalisé un exercice d’inventaire et d’analyse comparative pour identifier les difficultés et goulets d’étranglement dans le processus actuel d’évaluation du handicap, avant de concevoir une nouvelle solution. Cet exercice a permis de cerner des difficultés et des lacunes au sein de l’actuel processus de demande de prestation, notamment des procédures longues et coûteuses avec des exigences peu claires, ainsi que certains défauts dans l’évaluation uniquement basée sur une évaluation médicale et rarement objective. L’analyse des lacunes a eu les effets suivants :

n Lancement d’un nouvel outil d’évaluation fonctionnelle du handicap pour les adultes et les enfants utilisé par un corpus de commissions médicales formé à son utilisation afin de déterminer les bénéficiaires éligibles aux transferts monétaires du programme Karama. Le nouvel outil

vise à déterminer l’impact fonctionnel et social du handicap pour le demandeur, et garantit simplicité et facilité d’utilisation ainsi qu’objectivité et équité. n Développement d’un processus nouveau de demande efficace et automatisé, qui utilise un site

Internet/centre d’appel pour garantir à toutes les personnes la transparence et l’équité d’accès aux informations. Le processus augmente l’efficience et réduit le temps d’attente pour prendre un rendez-vous. L’ancien système souffrait de longs temps d’attente et nécessitait de multiples visites. Toutes les données des bénéficiaires sont également enregistrées à l’aide de tablettes, ce qui permet l’installation d’un système de gestion des opérations des bénéficiaires en situation de handicap. n Mise en place d’un mécanisme de gestion des réclamations pour recevoir les commentaires des clients et améliorer les prestations de services. n Mise en place d’un groupe de travail sur le handicap pour s’assurer de la bonne gouvernance et pour superviser la transition d’une approche médicale vers une approche fonctionnelle, notamment en promouvant le bien-fondé d’une combinaison de ces deux approches auprès des médecins.

Aujourd’hui, le programme Karama dispose de normes et d’outils alignés sur la CIF et la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations Unies. L’éligibilité se base sur un outil d’évaluation fonctionnel combiné à une évaluation des ressources par approximation. Les données collectées jusqu’à présent apportent également des éclairages sur les types et la fréquence des handicaps dans les différents gouvernorats. À l’avenir, Karama veut aller au-delà de la simple approche fonctionnelle qui offre des transferts en espèces pour tendre vers une approche exhaustive du handicap orientant les bénéficiaires éligibles vers des opportunités d’emploi et des services qui leur sont adaptés.

Source : Nahla Zeitoun, spécialiste de la protection sociale, Banque mondiale.

Il n’existe pas d’approches simple et universelle permettant de transformer les procédures d’appréciation et d’évaluation du handicap d’un pays. Chaque pays doit développer son propre outil adapté à sa culture, en s’appuyant sur des références et normes internationales. Il est important de rappeler qu’indépendamment de l’approche adoptée par un pays, le premier point de contact de toute évaluation du handicap doit toujours être un examen médical réalisé par un organisme autorisé. Ce processus doit être standardisé pour garantir rigueur et exactitude. Cet examen est ensuite suivi d’une évaluation du handicap qui inclut une évaluation fonctionnelle de la capacité ou l’aptitude au travail. Elle est parfois associée à une évaluation des ressources par approximation pour déterminer l’éligibilité aux programmes ciblant la pauvreté. Si un pays souhaite adopter progressivement une approche d’évaluation du handicap axée sur les droits, il lui faudra tenir compte des importants aspects suivants :

l Un cadre juridique définissant le handicap (loi sur le handicap); l Une structure de gouvernance composée d’un groupe de travail multidisciplinaire sur le handicap qui inclut toutes les parties prenantes concernées et notamment le gouvernement, les personnes en situation de handicap et leurs organisations représentatives; l Un processus de demande de prestation pratique, transparent et faisable (comprenant un site Internet ou une assistance téléphonique) ainsi qu’un outil d’évaluation du handicap associé à un manuel de formation; l Des exigences techniques telles que l’automatisation du processus de demande de prestation, la collecte des données, la comparabilité et la validation des données, les outils de mesure, le suivi et l’évaluation, un mécanisme de gestion des réclamations et la création d’un corpus d’évaluateurs du handicap ; l Des systèmes d’orientation clairs pour orienter les bénéficiaires éligibles vers des prestations et des services adaptés tels que la réadaptation, les dispositifs d’assistance, les prestations monétaires ou les opportunités d’emploi; l Des procédures claires d’évaluation.

Évaluation des risques sociaux auxquels sont confrontées les personnes vulnérables

L’outil le plus couramment utilisé pour diagnostiquer les facteurs de risque auxquels sont confrontées les personnes vulnérables est l’évaluation qu’en font les travailleurs sociaux. Cette évaluation peut être réalisée en plusieurs étapes avec, par exemple, un dépistage initial effectué par les travailleurs sociaux pour identifier les éventuelles vulnérabilités, puis une évaluation plus approfondie des facteurs de risque conduite par des équipes spécialisées. Sachant que les individus interagissent au sein d’une famille et d’une communauté, les facteurs de risque sont généralement évalués à trois niveaux. Les risques individuels incluent la santé physique et mentale, le handicap, les expériences négatives de l’enfance, l’estime et l’image de soi, les compétences sociales, les difficultés de communication, les problèmes de toxicomanie ou de dépendance et les troubles du comportement. Les risques familiaux incluent la santé mentale et la dépression parentale, la faiblesse ou l’absence de supervision parentale, la négligence et la maltraitance des enfants, les abus sexuels, la violence domestique, les conflits conjugaux et le divorce, les conflits familiaux, la grossesse d’adolescentes, la toxicomanie ou la dépendance des parents, la perte d’un parent ou d’un membre de la famille, le statut socio-économique et le chômage. Les risques communautaires incluent la violence régnant dans les quartiers dangereux ou au sein de la communauté (y compris la violence à l’école), les événements stressants ou traumatisants dans la communauté (y compris à l’école), le harcèlement ou le rejet par les autres individus de la communauté, la fréquentation de personnes qui consomment de la drogue, la perte d’un ami ou d’un mentor, entre autres. Les facteurs de risque sont souvent interdépendants et les individus peuvent être simultanément confrontés à plusieurs facteurs de risque.

Les travailleurs sociaux ont généralement recours à une combinaison de méthodes formelles et informelles pour conduire leurs évaluations. Les méthodes formelles d’évaluation incluent souvent des questionnaires, des entretiens et des listes de contrôle. Les questionnaires peuvent être particulièrement utiles pour classer un individu ou une famille dans les principales catégories de risque. C’est le cas en Macédoine

du Nord, où les travailleurs sociaux répertorient les personnes en 22 catégories de risque, dont entre autres les orphelins, les enfants sans protection parentale, les enfants de parents divorcés, les adolescentes enceintes, les enfants dont les parents sont en train de divorcer ou sont parents isolés, les victimes et les auteurs de violence domestique, les victimes d’abus sexuels, de traite humaine ou de prostitution, les sans-abri, les ex-détenus ou les individus en conflit avec la loi, les demandeurs d’asile, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap et autres25. Une fois identifiée la catégorie de risque, les travailleurs sociaux utilisent des questionnaires spécifiques correspondant aux risques détectés pour mieux évaluer ces derniers. De plus, ces méthodes formelles d’évaluation sont utilisées par des équipes multidisciplinaires, des personnes spécialisées ou des agences partenaires qui, pour ce faire, disposent d’outils spécialisés tels que l’évaluation du niveau éducatif et des compétences, du handicap, de la toxicomanie ainsi que l’évaluation psychosociale. Ces outils peuvent couvrir les antécédents médicaux de la personne enregistrée, les antécédents familiaux de maladie physique ou psychiatrique, les antécédents d’addiction (alcool/drogue), les antécédents de dépendance au jeu, les antécédents d’abus ou violence sexuels, les antécédents de violence domestique, l’historique de l’éducation ou de l’apprentissage, les antécédents sociaux, la mesure des fonctions exécutives (par exemple, la capacité pour mener à bien les activités de la vie quotidienne), les antécédents professionnels, le passé juridique, les interactions avec les membres de la famille ou du ménage, les antécédents de traitement antérieur, les récentes situations stressantes de la vie, l’état mental, les points forts de l’individu ainsi que l’impression clinique (Thompson, Van Ness et O’ Brien, 2001). Les méthodes informelles d’évaluation reposent grandement sur les compétences interpersonnelles et non techniques des travailleurs sociaux, compétences qui leur permettent d’établir une relation de confiance, d’observer les modèles de comportement et d’inciter l’individu ou les membres de sa famille à leur donner des informations souvent privées (parfois même des informations que les individus eux-mêmes peuvent ne pas reconnaître comme pertinentes) qui les aident à évaluer leur vulnérabilité, leurs besoins et les conditionnalités. Le résultat de ces évaluations est généralement consigné dans un rapport où le travailleur social décrit la situation, les besoins et les conditions de vie ainsi que les principaux risques et vulnérabilités du client et son impression générale. Le rapport d’évaluation éclaire le plan d’intervention et de services (voir le chapitre 5).

Bien que les outils d’analyse prédictive et de profilage statistique ne constituent pas encore les bases du travail social, certains pays les expérimentent en tant que contribution à l’évaluation des risques sociaux. Le Département des services sociaux (DSS) du comté d’Allegheny, Pennsylvanie (USA), utilise des données et analyses intégrées pour élaborer un modèle de pratiques intégrées pour ses services sociaux. Un des outils développés concerne la prévention de la maltraitance des enfants. En utilisant des données provenant de plusieurs sources internes et externes, il permet de calculer un score de dépistage qui vient compléter les évaluations cliniques réalisées par les travailleurs sociaux, dans les cas de signalement. Ce score de dépistage s’avère assez précis pour prédire si dans le futur un enfant sera placé hors du domicile familial en raison d’abus qui auront alors été perpétrés. Le comté d’Allegheny a adapté ses pratiques opérationnelles, ses politiques et son processus de prise de décision afin d’intégrer le score de dépistage dans l’évaluation par les travailleurs sociaux de la maltraitance des enfants (encadré 4.10). Cela dit, certaines critiques de cette approche soulignent les faiblesses de conception qui limitent la précision des modèles prédictifs et leur impact sur la situation des personnes pauvres ou vulnérables (Eubanks, 2018).

Approches intégrées en appui à l’évaluation des besoins et des conditions de vie

Les individus sont souvent confrontés à de multiples besoins et facteurs de risque. Pour les travailleurs sociaux, le fait de travailler en vase clos, dans des agences ou des bureaux, peut cacher cette complexité et entraîner des interventions inefficaces ou inadaptées. Les approches intégrées qui mettent en commun les compétences et les connaissances de différentes administrations peuvent aider à mieux évaluer les besoins et les conditions de vie parfois complexes des individus, et se traduisent par des ensembles de prestations et de services qui leur sont mieux adaptés.

Ces approches multidimensionnelles peuvent évaluer de manière exhaustive les besoins et les conditions de vie des individus selon différentes caractéristiques.