Komplex 2019 FR

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LE MAGAZINE DE HALTER SA No 12/2019



Editorial

Avoir le courage de suivre de nouvelles voies : une décision qui n’est pas toujours facile à prendre, mais qui se vit souvent comme une libération. Car ce choix est, dans bien des cas, l’étape nécessaire pour faire avancer une affaire. Il en a été ainsi de notre magazine Komplex, lancé en 2007 et dont nous avons imprimé onze numéros jusqu’en 2018, année du centenaire de notre entreprise. En mai dernier, nous avons mis en ligne komplex-magazin.ch et, maintenant, la nouvelle édition imprimée arrive. Elle est différente. Et ce, pour une bonne raison. La numérisation n’a pas seulement touché l’industrie de la construction ces dernières années. Les médias aussi ont été ébranlés dans leurs fondements. Leur ruée sur internet ne leur a pas apporté de solution réellement viable à ce jour. Bien au contraire : la chasse aux clics nuit aux contenus journalistiques. Les publications se disputent l’approbation du public au lieu de remettre les choses en question d’un point de vue critique. Ce qui ne correspond pas au courant dominant ne trouve (plus) que rarement sa place. Une évolution qui rend les contenus insipides et de plus en plus interchangeables. Nous voulons aller à l’encontre de cette évolution avec le nouveau Komplex. Le débat a toujours fait partie de notre ADN. Des articles d’architecture, des contributions factuelles, des interviews et des chroniques ont constitué le noyau de Komplex tel que vous l’avez découvert ces dernières années. Quelques brèves en introduction et une partie consacrée à l’entreprise, avec des descriptions de projets, ponctuaient chaque numéro. Ce ne sera plus le cas désormais, car les données brutes et les actualités trouvent une meilleure place sur internet. Sur halter.ch, vous trouvez depuis longtemps tout ce que vous avez besoin de savoir sur notre entreprise. Quant à la plateforme en ligne komplex-magazin.ch, elle présente désormais notre domaine d’activité sous une forme journalistique, passionnante et attrayante. En plus des textes classiques et des reportages photo, nous y publions des images animées – films, prises de vues aériennes, animations en 3D. Tout comme Halter SA a changé ces dernières années grâce aux nouveaux outils numériques, notre communication connaît également une mue. 3

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Nos auteurs ont maintenant la possibilité de défendre leur propre opinion. La possibilité et même le devoir, car c’est en posant des questions et en s’interrogeant qu’on parvient à lancer de nouvelles idées hors des sentiers battus. Ainsi, le sociologue de l’architecture Joris Van Wezemael esquisse dans son article un nouveau système de mise au concours et montre comment augmenter la productivité dans le secteur du bâtiment. Mais on n’a pas toujours besoin de visions à long terme. ­Parfois, il est bon qu’experts et scientifiques descendent de leur tour d’ivoire et aillent à la rencontre des gens, de nos clients. Des projets comme « Wir sind Stadtgarten » à Berne peuvent alors voir le jour. Halter y a lancé une coopérative d’habitation qui peut maintenant servir de modèle dans toute la Suisse pour aider ceux qui ne trouvent plus d’appartements à prix abordable sur le marché libre. Mais pourquoi a-t-on besoin d’un toit au-dessus de la tête en fin de compte ? N’est-il pas parfois plus excitant de passer des journées à parcourir la périphérie ou à rouler en ville à toute allure, comme les situationnistes l’ont fait après la Seconde Guerre mondiale pour ressentir leur Paris. Le célèbre philosophe et penseur zurichois Stefan Zweifel nous montre cette vision différente de la ville et ses effets sur notre psyché. Un essai qui invite à faire une pause et à rêver. Le président de notre Conseil d’administration, Balz Halter, s’engage avec détermination en faveur de la densification, un projet qui se révèle souvent laborieux, voire impossible à mettre en œuvre en Suisse. Dans son article, il expose les moyens et stratégies permettant de réussir cette densification urbaine en misant sur la qualité, ce qui permettrait même de soulager le marché immobilier si tendu. Mais revenons à mon affirmation initiale. Oui, nous croyons toujours aux médias imprimés parce que nous constatons que, parfois, nous avons besoin de faire une pause et de nous éloigner de notre vie quotidienne, trop souvent passée devant l’ordinateur. Prenez donc votre temps et penchez-vous sur la nouvelle édition de  Komplex . Christine Marie Halter-Oppelt 4

Editorial




SOMMAIRE 3 Editorial

8 PLANIFICATION & CONSTRUC­TION 8 Le concours, une chance à saisir 20 Une étoile pour Grand-Lancy

46 ARCHITECTURE

46 L’immeuble d’habi­tation Honegger Frères 52 La naissance d’une ville 66 Du même bois

68 IMMEUBLES & CAPITAL

68 Chronique : L’industrie du b ­ âtiment lanterne rouge 70 Coopératives : un nouveau départ 76 « L’échec ne doit pas faire peur, au contraire, il peut être le tremplin vers la réussite »

84 DÉVELOPPEMENT URBAIN

84 Essai : Dérives dans l’enveloppe du moi. De l’urbanisme utopique des situationnistes parisiens à la maison rêvée de notre enfance – avec l’expérimentation psychogéographique 102 La densification ne doit pas être une coquille vide

126 Le groupe Halter en un clin d’œil 128 Impressum

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LE CONCOURS, 8 UNE CHANCE À SAISIR

Les secteurs de la planification et de la construction se transforment en un modèle intégré de création de valeur et en un système d’information et d’innovation de bout en bout. Les concours ne doivent pas se contenter de survivre à cette évolution, ils doivent y jouer un rôle de poids et se renforcer dans leur essence même. Le débat ne fait que commencer. Planification & Construction

Dessin : Bernard Tschumi Architects, projet de concours portant sur le nouveau Musée de l’Acropole, 2014

Texte : Joris Van Wezemael


Les secteurs de la planification, de la construction et de ­l’immobilier génèrent, selon la méthode de calcul utilisée, entre 15 et 18 % du produit intérieur brut de la Suisse et comptent donc parmi les moteurs économiques les plus importants du pays. Il n’est donc pas anodin si, en comparaison sectorielle, la construction et l’immobilier sont les lanternes rouges en termes de croissance de la productivité du travail (voir graphique ci-dessous). Il suffit pour s’en rendre compte d’observer un chantier de construction actuel, qui ressemble étonnamment à ce qu’il était il y a cent ans. Toutefois, le recul de la productivité du travail ne doit pas occulter le fait que les choses bougent beaucoup actuellement et que le blocage des réformes est en train de se résorber dans le sillage d’une vague de changements profonds. Ainsi, la chaîne de valeur linéaire basée sur le principe de la cascade, telle qu’elle est définie dans les contrats types et les règlements de prestations, est en réalité confrontée depuis longtemps à une multitude de modèles organisationnels. Citons entre autres l’intégration horizontale (entre planificateurs de différents domaines spécialisés) et verticale (regroupements tout au long de la chaîne de valeur, notamment les modèles d’entrepreneur total), l’imbrication de la planification et de l’exécution (comme dans la construction modulaire), le grand retour du préfabriqué, l’importance croissante des solutions techniques ­d’entrepreneurs ou encore l’orientation de la planification et Evolution de la productivité du travail par branche, 1995–2016 200

180

140

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60

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Graphique : Office fédéral de la statistique, 2017

160

Industrie manufacturière

Construction

Commerce

Transports, information & communication

Activités financières

Assurance

Immobilier & services aux entreprises

Santé humaine & activités sociales

Par rapport aux prix de l’année précédente, année de référence 2010, 1995 = 100

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de la gestion sur le cycle de vie complet des infrastructures, rendue possible par des modèles de données de bout en bout grâce à la numérisation. Alors que les associations ont du mal à ­renoncer à leurs acquis et à participer à cette évolution dans l’intérêt de l’ensemble du secteur, des approches et des produits ambitieux de la scène PropTech ou de précurseurs numériques du secteur apparaissent presque chaque jour sur le marché. L’avenir indissociable de ses origines

Les concours d’architecture datent d’au moins 2500 ans. On a notamment connaissance d’un concours pour la construction de bâtiments sur l’Acropole d’Athènes en 448 av. J.-C., et plusieurs concours bien documentés existaient déjà à l’époque de la Renaissance, par exemple pour des édifices religieux en ­Italie. Cependant, la forme contemporaine des concours de planification ne naît que dans la seconde moitié du XIXe siècle. Depuis, les concours font partie de la culture (de la construction) de pays comme l’Autriche, la Finlande ou la France. Mais la Suisse occupe une position particulière à cet égard. C’est en effet le seul pays où les maîtres d’ouvrage et les planificateurs considèrent les concours comme faisant tout naturellement partie de leur culture de travail. La Suisse peut donc, par rapport au reste du monde, se targuer de disposer d’un système de concours largement répandu, qui revêt une grande importance économique et sociale. A la fin du XIXe siècle, le jeune Etat fédéral commence à construire un grand nombre de bâtiments représentatifs sur la base de procédures modernes de concours d’architecture – à l’instar des bâtiments postaux, emblématiques de nombreux centres-villes aujourd’hui. Deux événements méritent d’être soulignés dans ce contexte . D’une part, l’adoption de la Constitution fédérale de 1874, qui autorisait la Confédération à ­fonder sa propre autorité en matière de constructions. D’autre part, l’Assemblée générale de la jeune Société suisse des ­ingénieurs et des architectes (SIA) qui s’est tenue à Zurich en 1877, à l’occasion de laquelle l’association a adopté ses principes pour le règlement des concours d’architecture. Ces deux événements ont permis à l’Etat suisse, alors lui-même encore en pleine définition de ses institutions et de son ­identité, d’édifier ses bâtiments publics. En même temps, dans le cadre de la création du règlement des concours, les ingénieurs et architectes suisses ont dressé un plan d’action afin que les prestataires de planification et de construction aient leur part du gâteau. A cette époque (et aujourd’hui encore), l’acquisition était le moteur des associations professionnelles 10

Planification & Construction


en Suisse. Avec la mise en place du système de concours suisse, les mandataires ont progressivement mis sur pied un marché national inédit pour les prestations de planification et de construction. La mise en concurrence fait toujours partie de l’ADN de la planification suisse et joue donc un rôle central dans l’identité du secteur. Mais des questions se posent quant à l’utilité des concours, à leur essence et à la manière dont nous pouvons les développer aujourd’hui, pour l’avenir. La légitimité, résultat d’un processus

Le premier point fort de la mise en concurrence est sa capacité à créer de la légitimité de par son processus même. Cet aspect prend de plus en plus d’importance dans un contexte de développement de l’urbanisation vers l’intérieur du milieu bâti, avec ses multiples parties prenantes. Depuis une quinzaine d’années, des questions telles que le logement, le développement urbain et l’aménagement du territoire se sont fortement politisées et suscitent désormais l’intérêt général. Les concours doivent devenir davantage une source d’acceptation et de légitimité. Mais comment faire ? Deux théories classiques des sciences systémiques et sociales l’ont mis en lumière : en 1981, la « théorie de l’agir communicationnel » de Jürgen Habermas jette les bases pour comprendre comment la communication peut être source de rationalité. Prenons à titre d’exemple la prise de décision dans la planification : dans ce cas, la légitimité et donc l’acceptation d’une décision ne reposent pas uniquement sur son contenu, mais aussi sur la manière dont elle est prise et qui est impliqué dans l’élaboration de solutions. Les spécialistes de la théorie des systèmes Roger C. Conant et W. Ross Ashby l’ont formulé de la sorte dès 1970: « Tout bon régulateur d’un système doit en être un modèle. » Le concours est donc un reflet de la réalité. Les membres du jury professionnel représentent les disciplines les plus pertinentes du secteur, ceux du jury non professionnel d’autres domaines décisifs dans le cas d’espèce. On retrouve ainsi dans les jurys les discours, les dynamiques et les conflits d’objectifs qui existent dans la réalité et qui permettent à la procédure – comme modèle de la réalité – de prendre des décisions collectives. Dans une perspective d’avenir, cela signifie toutefois que non seulement les membres du jury professionnel, mais aussi ceux du jury non professionnel doivent posséder les compétences nécessaires. C’est la raison pour laquelle les compétences sociales, économiques et technologiques doivent être renforcées au sein du système. 11

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Ce que le public sait des questions relatives au développement de la construction dans nos villes, il l’a le plus souvent appris au travers de procédures de concours. Le concours soulève des questions et fait le lien entre le bâti et le social. Le deuxième point fort de la mise en concurrence est donc sa capacité à traduire des idées entre des domaines distincts de la réalité : d’une part, les concours peuvent être considérés comme des passerelles directes entre différents domaines de la société tels que la politique, l’esthétique, le droit, l’économie et la science. Cet aspect interdisciplinaire permet à un concours d’établir des liens et de servir de médiateur entre différents domaines essentiels pour la planification dans le cadre d’une même procédure. D’autre part, les concours servent d’intermédiaires entre le discursif et le construit. Ils traduisent par exemple dans le « programme de construction d’un établissement scolaire » les questions sur la signification des concepts d’« enfance » et d’« apprentissage », ainsi que sur la manière de concevoir les relations entre l’enseignant et l’élève aujourd’hui et à l’avenir. Il en va de même pour les questions d’habitat et de travail et les projets de construction de logements ou de bureaux correspondants : quel genre de vie souhaite-t-on y vivre et quelle forme de construction la fera s’épanouir au mieux ? Les concours transforment donc les idéaux sociétaux en un paysage urbain construit, créant ainsi des références identitaires pour la société. Variantes et adjudication

Historiquement, les concours sont des « procédures d’adjudication avant la lettre ». Ils ont longtemps été réalisés de cette manière, avant même que le système d’adjudication n’existe sous sa forme actuelle. Un concours vise à trouver, par le biais d’une concurrence organisée, le meilleur projet, le meilleur partenaire ou les deux. Avec l’entrée en vigueur de l’Accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les marchés publics en 1994, la mise en concurrence en Suisse s’est également vu accorder une grande importance en tant que procédure d’adjudication sur le plan formel. Un concours ne sert cependant pas à évaluer des offres clairement définissables (matériaux, fournisseurs, etc.). Il est surtout utile lorsque, malgré des spécifications claires (programme spatial, spécifications urbanistiques), une ébauche est nécessaire afin d’explorer diverses possibilités. C’est ainsi que, dans la recherche du meilleur projet, une grande variété de solutions concurrentes voient le jour, avec souvent, 12

Planification & Construction


voire systématiquement, des surprises à la clé. Cela fait partie de la procédure d’adjudication du concours et ne constitue pas un accident de parcours. Les maîtres d’ouvrage affirment certes que « les critères d’évaluation sont définis dans le programme du concours et sont connus de tous les participants » (voir, par exemple, l’exposition « Fokus Architektur-Wettbewerbe », Service des travaux publics du canton de Zurich). Mais cela n’est vrai que dans une certaine mesure. En effet, c’est précisément le fait que les critères soient affinés, modifiés ou précisés au cours de la procédure qui fait du concours ce qu’il est et qui remet donc en cause pour de bonnes raisons les prescriptions de l’accord de l’OMC. Evaluer avec l’œil d’un concepteur

La sélection par concours s’apparente au processus de conception. C’est un processus créatif où les critères de décision prennent forme tout au long de l’évolution du programme et des projets proposés. Ces critères ne sont donc pas indépendants des solutions présentées. En d’autres termes, le concours met l’accent sur l’incertitude et l’obligation d’apprendre. Les procédures d’adjudication fondées sur l’accord de l’OMC sont très différentes. Elles reposent sur des commandes définitives, sujettes à recours et / ou exigibles, puisque les ­critères d’adjudication sont définis dès l’appel d’offres. En Suisse, très peu de gens s’intéressent aux intérêts divergents existant entre un concours et un appel d’offres technique. C’est insensé, car lors d’un concours de planification, une institution culturelle essentielle doit en effet se conformer à un ensemble de règles convenues au niveau international. Quelle est donc l’essence même d’une sélection par concours ? Le processus d’évaluation d’un jury est avant tout une inter­ action entre la foule des possibilités offertes, qui ne se font jour qu’au travers des projets soumis. Cela signifie que le ­programme, la composition du jury et les projets soumis ne permettent de faire émerger que le spectre des possibles qui ­déterminera la pertinence et la légitimité des propositions. Les critères effectifs – pas nécessairement ceux qui figurent dans le rapport du jury – ne sont définis que dans le contexte de l’interaction décrite. Telle est l’essence d’une sélection par concours, cela et rien d’autre. Rien ne distingue plus clairement l’essence des concours des autres procédures d’adju­ dication. Comme le souligne Jean-Pierre Chupin, chercheur spécialiste des concours à l’Université de Montréal, le travail du jury ressemble en soi beaucoup au processus de conception avec ses séquences de mise au point et d’élimination. 13

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Une approche réfléchie et anticipée des infractions au programme (par exemple par le biais de la possibilité d’attribuer des ­mentions) – parce que l’équipe propose des solutions qui élargissent pour le mieux la question – est un autre argument à l’appui de ce raisonnement. Cependant, la discussion que l’on peut entendre sur les concours montre clairement que les partisans du système ne se rendent pas suffisamment compte de ce que représente réellement la sélection par concours. L’internationalisation du secteur de la construction et de la planification est actuellement en plein essor et la culture suisse des concours n’y est pas préparée. Le « système » des concours

Les secteurs de la planification et de la construction se transforment en un modèle de création de valeur intégré et en un ­système d’information et d’innovation de bout en bout. Il était La gestion de projet conventionnelle selon la SIA Planification stratégique

Etudes préliminaires

Avantprojet

Projet de construction

Procédure d’autorisation

Appel d’offres

Réalisation

Exploitation

Maître d’ouvrage Architecte Ingénieurs spécialisés Entreprise 25% +/-

15% +/-

10% +/-

0% +/-

Savoir-faire en matière de coûts / Sécurité des coûts

La gestion de projet intégrée – modèle d’avenir Development

Design

Engineering

Production

Operation

Maître d’ouvrage Architecte Ingénieurs spécial. Entreprise

Savoir-faire en matière de coûts / Sécurité des coûts Quoi?

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Qui?

Comment?

Do it!

Planification & Construction

Graphiques : Halter SA

Spécialistes


grand temps ! Les concours ne doivent pas se contenter de survivre à cette évolution, ils doivent y jouer un rôle de poids et renforcer leur essence même : créer de la légitimité, traduire, générer des solutions variées et, surtout, permettre d’apprendre à évaluer avec l’œil d’un concepteur. C’est ainsi que leur forme concrète va changer, à l’instar de l’ensemble des modèles de collaboration. L’opinion très directe de Thorsten Dirks – « Si vous numérisez un processus foireux, vous obtenez un processus numérique foireux » – nous rappelle cependant que la numérisation est un changement de culture économique (collaboration, partage des risques, circulation de l’information, etc.) et non pas une simple question de technique. Il ne faut donc surtout pas envisager de numériser les formats actuels. Nous savons que les processus d’apprentissage se déroulent généralement au niveau d’un système et non des individus. C’est le cas notamment pour la sécurité routière, qui n’est pas attribuable à de meilleures compétences des conducteurs. Il en va de même pour les concours : les formes de jeu, les procédures, la répartition des risques doivent être repensées pour le « système » de concours dans son ensemble et non pour chaque concours. Vers une gestion de projet intégrale

La mise en concurrence actuelle s’inscrit dans un modèle de création de valeur qui est remis en question dans ses fondements mêmes. Dans la gestion de projet conventionnelle (illustrée par exemple dans les descriptions des prestations de la SIA), les processus se déroulent de manière linéaire, successive et séparément les uns des autres – la planification (mandataire) et l’exécution (entrepreneur) sont très éloignées les unes des autres (principe de cascade) (voir graphique p. 14 en haut). De tels modèles conviennent lorsque la sécurité l’emporte sur les ­prestations et les s ­ olutions. Ils ne fonctionnent en revanche pas lorsqu’ils interviennent dans un contexte où l’innovation est engendrée par l’association de pratiques jusqu’alors dissociées ou par des rétroactions entre conception et mise en œuvre. Dans ce cas, on se retrouve avec un cloisonnement des connaissances et des expériences qui fait obstacle à l’innovation du fait de l’absence de liens entre les différentes formes de savoirs. Autre conséquence : les risques ne sont traités que tardivement dans le processus, par exemple les dangers d’échec courants et non négligeables que représentent les coûts, l’ap­ titude à recevoir une approbation ou les chances d’acceptation. Dans le cadre de la gestion de projet intégrée, en revanche, les processus se déroulent en parallèle et à plusieurs niveaux et profondeurs de planification simultanément (voir graphique p. 14 en bas). 15

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Le design et l’ingénierie, la production et le fonctionnement entrent dans un système circulaire. Les connaissances et les expériences sont intégrées au début du processus et les informations sont partagées ouvertement. La culture de la collaboration change également, le succès reposant sur la confiance et le respect. Le secteur tendant à adopter ce genre de processus intégrés, il faut se poser les questions suivantes : à quoi sert le concours dans un processus de planification et de construction intégré, et comment fonctionne-t-il? Modèle d’innovation intégré

Dans le modèle conventionnel, ce sont le Quoi (fonction, volumes, etc.) et le Comment (méthode de construction, etc.) qui dominent toutes les phases de la planification jusqu’à l’appel d’offres (voir graphique p. 16 en haut). L’appel d’offres porte ensuite

Do it!

Qui?

Quoi?

Comment?

dépenses

Comparaison coût-temps dans le modèle conventionnel

durée

Graphiques : Halter SA

Do it!

Comment?

Qui?

Quoi?

dépenses

Comparaison coût-temps dans le modèle numérique intégré

durée

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Planification & Construction


essentiellement sur le prix, ce qui n’a de sens que si les offres ne diffèrent guère sur le plan qualitatif (en termes de type de solution). En revanche, dans une méthode de travail intégrée de bout en bout, assistée numériquement et basée sur le cycle de vie, les solutions présentent de plus grandes différences conceptuelles et des degrés d’innovation plus élevés, nécessitent des connaissances spécifiques et ne peuvent donc pas être pilotées ou sélectionnées principalement en fonction du prix. Ainsi, la question du partenaire spécifique passe au second plan, derrière le Quoi. Dans l’univers intégré et numérique, le Comment résulte donc largement du Quoi et du Qui (voir graphique p. 16 en bas). Les questions liées aux compétences, à l’innovation et au partenaire deviennent ainsi la véritable condition préalable au Comment. Les nouveaux acteurs – le Qui – et notamment les entrepreneurs doivent par conséquent être systématiquement impliqués dans le processus de conception. Cela remet en cause le concours et les limites du système et on voit se dessiner une « inversion du cas normal »: le concours de projets conventionnel est fondé, pour la planification, sur le principe de la cascade et donc sur un modèle de moins en moins capable de relever les défis systémiques et structurels. Un nouveau type élargi de concours portant sur une prestation globale pourrait-il ainsi devenir la forme prédominante naturelle de concours dans un environnement de planification intégré ? Tout indique que c’est le cas. Comme le montre la confusion qui règne dans le Building Information Modeling, il est également essentiel de définir clairement les prestations, les obligations et les modalités. Pour ce faire, nul besoin d’une instance de régulation. Il serait plus approprié de privilégier des cultures de collaboration établies dans les domaines de l’open source et de l’open data. Celles-ci offrent en effet à tout secteur la possibilité de mettre en place progressivement, collectivement et de manière transparente des normes ouvertes auxquelles on pourra se référer à l’avenir et qui peuvent être perfectionnées. Extension des limites du système

Outre des raisons structurelles d’intégration, des raisons ­factuelles font également éclater les limites du système de concours. D’autres dimensions socialement pertinentes – en particulier une meilleure compréhension du développement durable en tant qu’approche sur plusieurs générations et cycles de vie – doivent à l’avenir pouvoir être « traduites » au moyen de procédures de concours. En ce qui concerne l’urbanisme, l’aménagement du territoire, le développement vers l’intérieur, le climat urbain, les espaces commerciaux et d’habitation abordables, 17

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les solutions énergétiques et l’intégration systématique du cycle de vie à différents échelons dans la prise de décisions, la distinction entre professionnels et non professionnels est aussi insuffisante. Elle reflète le principe de la cascade avec ses étapes successives au lieu de prendre en compte les expériences et connaissances équivalentes de façon intégrée et circulaire. Afin de pouvoir garantir une légitimité à l’avenir également, d’autres dimensions essentielles à la réussite du projet doivent donc être considérées dès le début du processus de concours. Cet intérêt précoce pour l’analyse renforce le système de concours : la réflexion holistique, spécifique au site, et la concurrence entre des variantes de solutions fondamentalement différentes sont encouragées et renforcées dans d’autres domaines de la planification et du développement. Pour que le champ d’application thématique des concours puisse être élargi, il faut que les possibilités de simulation dans les domaines de l’énergie primaire, des coûts (investissement et exploitation) et du comportement des utilisateurs (repérage, orientation, etc.) soient intégrées en continu et de manière interactive tout au long du processus de planification – et en particulier de la phase d’évaluation des projets. Le fait ­d’évaluer avec un œil de concepteur dans le cadre d’un processus d’apprentissage ouvert qui pose les critères de décision du jury permet de couvrir un plus grand nombre de dimensions. La promotion de la relève dans le cadre des concours peut également être considérée sous un jour nouveau, car elle concerne des jeunes talents dans toutes les disciplines de la planification et dans le domaine des start-up. Si l’on considère des champs d’activité comparables très marqués par l’innovation dans lesquels les prestations intellectuelles se font concurrence, ce sont généralement les jeunes et les passionnés d’innovation qui font la course en tête ; les entreprises établies courent pour leur part le risque de rater le coche. Les concours à l’origine de l’augmentation de la productivité

Les données clés dans les domaines de l’énergie et des coûts sont intégrées, analysées à un stade précoce et définies de manière contraignante. Résultat : les risques sont réduits et la productivité augmente. Sur le plan conceptuel, le concours conven­tionnel couvre les principaux objectifs contradictoires et constitue essentiellement une aide pour leur négociation et leur examen axé sur la recherche de solutions. Comme on l’a vu, cela a été la base de son succès pendant longtemps : le concours est source de légitimité ! Cet aspect sera encore renforcé et élargi sur le plan thématique dans le cadre du concours intégral. 18

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A l’avenir, le lobbying politique devra être encore plus intensif qu’aujour­d’hui. En effet, le résultat holistique et intégratif du concours ne doit pas être dissocié et divisé dans une logique de cloisonnement des connaissances ou de la réglementation. La véritable qualité des bons résultats de concours réside précisément dans le fait qu’il s’agit d’une solution intégrale. Et celle-ci doit recevoir plus de poids dans un univers thématique plus large, car intégré ! Il est important dans ce contexte que l’on ne puisse pas travailler « un peu » de manière intégrative. Au contraire, notre branche fait face à un changement de système. En conséquence, l’alliance renouvelée et élargie des partisans des concours doit veiller à ce que ces derniers puissent produire des résultats de qualité et solides (y compris la sécurité juridique) et permettre d’économiser du temps et de l’argent. Le secteur et sa nouvelle culture

Il a été démontré plus haut que le concours devait être considéré dans son contexte (origine, avenir) et compris dans son essence. Le présent texte est un appel à renouveler le système de concours avec le même esprit pionnier, le même optimisme et la même volonté de réussite que lors de son lancement. Pour y par­ venir, nous devons risquer notre peau, nous remettre en question et avoir le courage de contester de front les défenseurs du statu quo et les sceptiques. Nous, planificateurs et spécialistes de la construction, devons faire sortir notre branche de la logique de syndicalisme et de l’écueil des accords sur les prix et les honoraires. Le renouvellement du concours en tant que moteur d’une gestion de projet intégrée et d’une méthode de travail innovante est pour nous une preuve de faisabilité. Chacun devrait être invité à participer de manière productive à une alliance pour le développement progressif d’un concours intégratif. Les personnes d’ores et déjà prêtes au changement prendront très bientôt leurs distances avec celles qui ne font qu’en parler.

Joris Van Wezemael a dirigé plusieurs projets du Fonds national suisse (FNS) sur la concurrence et a lancé la plate-forme konkurado.ch. Il connaît le domaine des concours en tant qu’organisateur, membre de jury et participant. L’urbaniste et sociologue de l’architecture belgo-suisse est partenaire d’Imhof Van Wezemael Odinga AG pour la densification urbaine à Lucerne, cofondateur de Civic Data Intelligence, cividi.ch, à Zurich et codirecteur de Spatial Transformation Laboratories (STL) à l’EPF de Zurich. Auparavant, il était responsable de projet d’une fondation de placement du groupe Pensimo et professeur de géographie urbaine et de développement territorial à l’Université de Fribourg. 19

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UNE ÉTOILE POUR GRAND-LANCY

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Photos (avec page de couverture): Senta Simond Texte : Carole Villiger

Construit dans la deuxième moitié des années 1960 par le bureau d’architecture Honegger Frères, l’immeuble Etoile-Palettes au Grand-Lancy était considéré comme totalement hors d’échelle pour le quartier et la ville de Genève. Son plan original en forme d’étoile à trois branches et ses seize niveaux répondaient à la forte pénurie de logements de l’époque. La force d’innovation des architectes s’est notamment révélée dans l’affectation mixte entre espaces de vie et de travail, ainsi que dans l’utilisation d’éléments de construction modulaires. Au cours du développement de l’urbanisation, le bâtiment a fini par s’intégrer dans le paysage urbain existant. Aujour­ d’hui, l’ensemble est devenu un symbole du quartier à belle mixité sociale des Palettes. Une partie des logements de ce bâtiment de plus de 50 ans sera rénovée par étapes d’ici à 2021 par ­Halter SA, en collaboration avec 2dlc Architectes partenaires. Un essai photographique. Planification & Construction

























Senta Simond est née à Genève en 1989. Elle a étudié l’histoire et l’esthétique du cinéma à l’Université de Lausanne, avant d ­ ’obtenir en 2017 un master en photographie à l’ECAL. La même année, ses travaux ont été nominés à l’Unseen Dummy Award ainsi qu’au First PhotoBook Award dans le cadre de la foire Paris Photo. En 2018, elle a reçu le Swiss Design Award. Entre-temps, elle a exposé ses photos à la Webber Gallery et à la Peckham 24 à Londres, au Centre d’art Pasquart à Bienne, ainsi qu’au Museum FOAM à A ­ msterdam. Les photos de son projet de diplôme ont été publiées dans un ouvrage intitulé Rayon vert, considéré comme l’un des meilleurs livres de l’année par le British Journal of Photography. Le travail de Senta Simond repose sur une approche intime du corps féminin et des visages. Pour l’heure, elle vit et travaille à Londres. 44

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Les trois frères Jean-Jacques, Pierre et Robert Honegger (de haut en bas). Photos : Archives privées, Claude Zürcher


L’IMMEUBLE D’HABI­TATION HONEGGER FRÈRES Texte : Christian Bischoff

Dans les années 1950 et 1960, le bureau Honegger Frères a construit à Genève environ 400 immeubles, 9000 appartements, soit près du tiers des logements mis alors sur le marché dans le canton. En pleine période d’explosion démographique, près de 35 000 personnes ont pu être logées grâce au talent et au savoir-faire de ce bureau d’architectes-constructeurs. Longtemps, ces données quantitatives ont prévalu et empêché toute autre considération. L’appréciation qualitative de ce corpus bâti n’a débuté que récemment. Depuis une dizaine ­d’années, la perception a en effet changé et les immeubles ­Honegger, si familiers aux Genevois, sont enfin envisagés en tant qu’œuvres architecturales. Leur valeur patrimoniale a été évaluée et, pour quelques réalisations, reconnue et confirmée par des mesures de protection. 47

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Frères… En architecture, ce pluriel évoque, en Suisse alémanique, les frères Pfister, « die Gebrüder Pfister », Otto (1880–1959) et Werner (1884–1950), dont les œuvres sont indissociables de l’image de la ville de Zurich, tels les immeubles commerciaux Peter­hof et Leuenhof à la Bahnhofstrasse ou encore le siège de la Banque nationale suisse, la gare de Enge, et bien d’autres. Dans le monde francophone, ce sont bien sûr les maîtres du béton armé, les frères Perret, qui viennent immédiatement à l’esprit, Auguste (1874–1954) et Gustave (1876–1952). Ce dernier et le benjamin, Claude (1880– 1960), sont moins connus et leurs prénoms échappent souvent à la mémoire. Il en va de même pour les Honegger, la fratrie de bâtisseurs genevois. Jean-Jacques (1903– 1985), l’aîné, fait de l’ombre à ses frères, Pierre (1905–1992) et Robert (1907–1974). Jean-Jacques et Pierre Honegger sont ingénieurs mécaniciens formés à l’Ecole d’ingénieurs de l’Université de Lausanne qui deviendra, en 1969, l’actuelle Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Seul Robert, le dernier-né, est architecte de formation. Il a étudié à l’Ecole des beauxarts à Genève. En 1948, ils s’associent pour fonder Honegger Frères. Les tâches de chacun y sont clairement définies : ­Jean-Jacques, bien qu’il n’ait pas de formation ad hoc, gère l’architecture, Pierre la technique et Robert le chantier. En 1967, reflétant ­l’arrivée d’une nouvelle génération aux affaires, la raison sociale devient ­Honegger-Frères, Schmitt & Cie. Cependant, l’activité des Honegger s’étend bien au-delà des limites temporelles de la dénomination ­Honegger Frères. Le père Henri Honegger (1878–1949) est un homme d’affaires très actif dans les milieux immobiliers genevois au début du XXe siècle. Ses fils, en particulier Jean-Jacques, s’y font remarquer également dès les années 1930. En association avec l’architecte Louis Vincent, et avec son frère Pierre comme ingénieur, Jean-Jacques est l’auteur de quelquesunes des rares réalisations du Mouvement moderne à Genève : les deux immeubles d’habitation de l’avenue Théodore-Weber (1930–1932) et les villas Les Ailes (1932) et Vincent (1932–1933). Devenant les administrateurs de la société immobilière fondée en 1912 par leur père, Riant-Parc, les deux frères édifient également les remarquables locatifs sis 53–57, route de Frontenex, premiers 48

immeubles à structure ponctuelle de Genève L’implication de la famille Honegger sur la scène architecturale genevoise ne s’achève pas non plus avec le retrait des affaires de la génération des fondateurs. Leurs descendants poursuivent l’activité avec intensité dans les années 1970 et 1980, puis plus modestement jusqu’en 2008.

(ill. 1).

Ill. 1 — Les immeubles d’habitation ­Riant-Parc. Carte postale des années 1930. Photo : Archives privées, Claire-Lise Schmitt-­Honegger

C’est la période centrale qui nous intéresse ici, les années 1950 et 1960. Les trois frères créent alors un type architectural, l’immeuble d’habitation Honegger Frères que tout Genevois connaît : longues barres ­percées de généreuses loggias et coiffées de toitures plates à larges débords. Ces barres d’immeubles composent de grands ensembles dans la périphérie urbaine, Balexert à V ­ ernier (1957–1962, 704 logements) (ill. 2), cité Caroll à Lancy (1958–1966, 1048 logements) (ill. 3), mais aussi à proximité du centre-ville, cité Carl-Vogt (1960– 1964, 445 logements) (ill. 5), cité d’Aïre (1960–1963, 340 logements). Dans plusieurs quartiers de Genève, aux Acacias, à Champel, aux Eaux-Vives, des immeubles ponctuent la ville comme des citations de ces grandes compositions urbaines, par exemple entre les rues des Rois et du Diorama (1960–1962, 76 logements) (ill. 4) ou, à Saint-Jean, Les Tilleuls (1961–1963, 48 logements). Ces immeubles de la maturité du bureau ne sont pas nés d’un coup de baguette magique, mais d’une patiente évolution. En effet, depuis les premiers immeubles construits au début des années 1930 à l’avenue ­Théodore-Weber, les frères Honegger multiplient les expériences et valident telle ou telle autre caractéristique. L’immeuble Architecture


Ill. 2 — L’ensemble de Balexert dans les années 1960. Photo : Archives Honegger Frères

type, celui de la maturité du bureau, est donc le fruit d’un savoir cumulatif rare en architecture, comme le montre l’étude universitaire dirigée par Franz Graf, dont est issu en 2008 le livre Honegger frères, architectes et constructeurs 1930–1969 – De la production au patrimoine. Dans cette évolution, l’aventure marocaine, tentée par le bureau Honegger Frères en 1949, joue un rôle essentiel. Alors qu’à Genève les affaires peinent à redémarrer après-guerre, les frères Honegger ouvrent un bureau à Casablanca. Ils y développent un mode de préfabrication pragmatique en béton armé qui permet de réaliser à un prix de revient modéré planchers et façades. En 1951, Pierre Honegger dépose deux brevets en Suisse auprès du Bureau (aujourd’hui: ­Institut) fédéral de la propriété intellectuelle : l’un pour les dalles à caissons, l’autre pour les murs de façade. Appliqué pour la première fois à Genève en 1954, ce mode de construction nommé « système Honegger Afrique » ou « système HA » est associé à un système de coordination modulaire appelé « norme Maroc », basé sur une trame carrée de 60 centimètres qui régit les plans types des logements.

Ill. 3 — La cité Caroll, vue depuis le patio du centre commercial, années 1960. Photo extraite de la plaquette Jean-Jacques ­Honegger raconte Honegger Frères, à l’occasion du 50e anniversaire de Honegger-Frères, Schmitt & Cie, urbanistes, architectes, ingénieurs à Genève, Imprimerie G. de Buren SA, Genève 1981 environ

Ill. 5 — La cité Carl-Vogt dans les années 1960. Au premier plan, les anciens abattoirs. Photo : Georges Neri, Documentation photographique de la Ville de Genève

Ill. 4 — L’immeuble du Diorama sis au centreville de Genève entre les rues des Rois et du Diorama, 2019. Photo : Christian Bischoff, architecte, Genève

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Ces deux systèmes combinés sont d’une grande souplesse et s’adaptent à tout type de ­programmes. Malgré les variations qu’ils permettent, ils confèrent une forte identité formelle à l’architecture des frères H ­ onegger. Les caissons carrés des dalles, d’une grande force plastique, sont visibles en sousface des auvents, des loggias et des avanttoits. Quant aux façades, leurs composants normalisés, dessinés pour se recouvrir comme les tuiles d’un toit afin d’assurer l’étanchéité, composent des modénatures subtiles Komplex No 12/2019


Ill. 6 — Une partie des immeubles de l’ensemble de Balexert, 2019. Photo : Christian Bischoff

Ill. 7 — Détail des balcons, ensemble de ­Balexert, 2019. Photo : Christian Bischoff

Ill. 8 — Détail de la surface d’un trottoir en ciment caractéristique de Genève, 2019. Photo : Christiane de Muralt

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d’expression raffinée. Cependant, l’aspect caractéristique des immeubles Honeg­ger Frères n’est pas seulement le produit de ces systèmes et détails constructifs, mais résulte aussi des partis urbanistiques et architecturaux adoptés. La morphologie des immeubles en découle : barres de huit étages sur rez-de-chaussée, toiture plate débordante protégeant les façades scandées par le rythme régulier des loggias dans ­l’horizontale et les claustras des cages d’escalier dans la verticale (ill. 6). Un détail, reconnaissable entre tous, parachève l’image des immeubles et apparaît comme une mise en abyme du carré de la trame modulaire : les parapets de la pièce sup­plémentaire que constituent les loggias sont faits d’éléments préfabriqués perforés ­d’alvéoles carrées (ill. 7). Ce motif ­renvoie à un autre détail constructif typiquement genevois : les trottoirs de la ville sont revêtus de ciment taloché, sur lequel, pour imiter la pierre, de faux joints sont t ­ racés. La surface des dalles est ensuite bouchardée à la roulette. Il en résulte un réseau régulier de petites aspérités carrées (ill. 8). La cité Carl-Vogt Située dans le quartier central de la Jonction, la cité Carl-Vogt est sans doute celle où peut être vu l’exemple le plus représentatif de l’immeuble d’habitation Honegger Frères (ill. 9/10). Le « système Honegger Afrique » trouve ici sa dernière application d’ampleur. Dès 1962, il est progressivement abandonné au profit de la préfabrication lourde, en raison, notamment, de l’augmentation du coût de la main-d’œuvre. Construit en un temps record en 1965–1966, le monumental immeuble Etoile-Palettes – 588 appartements répartis sur 15 étages sur rez-de-chaussée – est le dernier bâtiment du bureau Honegger Frères où les caractéristiques dalles à caissons ont été utilisées (voir photo de couverture et essai photographique pp. 20 et ss). L’insertion urbaine de la cité Carl-Vogt est remarquable. Les cinq barres qui composent l’ensemble sont disposées perpendi­ culairement au boulevard Carl-Vogt dont le côté nord est formé d’un front continu ­d’immeubles éclectiques, construits au tournant des XIXe et XXe siècles par les architectes Léon Bovy (nos 31–43) et Théo Cosson (nos 45–53). Pour répondre à cette situation, les frères Honegger lient les barres en Architecture


rez-de-chaussée par un front commercial coiffé d’un auvent continu qui couvre le trottoir (ill. 11). Suite à un mandat d’études parallèles, remporté par les bureaux MSV architectes urbanistes et CLM architectes (aujourd’hui CCHE Genève), la cité Carl-Vogt est actuel­ lement en chantier (ill. 12). L’intervention, respectueuse de la qualité architecturale de l’ensemble, entend concilier, selon les auteurs du projet, « valeurs sociales, patrimoniales et d’usage et exigences énergétiques et environnementales ». Ill. 10 — La cité Carl-Vogt vue depuis le boulevard d’Yvoy, années 1960. Photo : ­Dominique Appia et Victor Bouverat, Archives Honegger ­Frères

Ill. 11 — La cité Carl-Vogt en chantier, vue depuis le boulevard Carl-Vogt, 2019. Photo : Christian Bischoff

Ill. 9 — La cité Carl-Vogt vue depuis le boulevard d’Yvoy, 2016. Photo : Claudio Merlini

Ill. 12 — Une loggia de la cité Carl-Vogt en cours de travaux, 2019. Photo : Christian Bischoff

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LA NAISSANCE D’UNE VILLE Texte : Hubertus Adam Photos : David Willen

Les conditions n’étaient pas faciles pour redonner vie au site de Zwicky, coupé des agglomérations voisines de Wallisellen et Dübendorf par de grands axes de transport. Mais le changement d’affectation du bâti classé et la construction de nouveaux immeubles compacts ont permis à une nouvelle petite ville de voir le jour. La parcelle principale à côté des bâtiments industriels historiques est désormais terminée. Baptisée Zwicky-Zentrum, elle compte quatre immeubles de Giuliani H ­ önger et un de Zanoni Architekten. 53

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Le chat est de retour. Dessiné en 1946 par le graphiste suisse Donald Brun, il faisait la publicité pour le fil de soie de l’entreprise Zwicky, une bobine entre les pattes. Avec son charme des années 1950, ce chat a fait connaître l’entreprise aux quatre coins de la Suisse et même au-delà puisque ce fil était distribué dans le monde entier. Mais la mondialisation et les délocalisations vers des pays à bas salaires vont mettre à mal la rentabilité de la production en Suisse. ­L’entreprise va alors chercher à déjouer la crise en développant des produits pour ­l’industrie automobile et va fusionner avec la société Gütermann basée à Gutach im ­Breisgau, en Allemagne. Peine perdue : après de longues années difficiles, l’usine historique de Wallisellen ferme définitivement en 2001. Les 23,6 hectares de l’ancien site industriel sont alors reconvertis : des appartements et des ateliers sont réalisés dans l’ancienne filature et de nouveaux immeubles construits sur différentes parcelles, les derniers à Zwicky-Zentrum, au cœur même de l’ancien site industriel. Quant au chat de Donald Brun avec sa bobine de fil, il est de retour sur les brochures de commercialisation des logements et surfaces commerciales. Cerné de routes et de voies ferrées Comme ailleurs en Suisse, l’énergie hydraulique a ici aussi été le moteur de l’industrialisation. La filature de Neugut voit le jour en 1839 à l’embouchure du Chriesbach dans la Glatt. Le site connaît une croissance fulgurante, d’autant plus qu’il faut construire des logements pour les ouvriers. A cette époque, l’usine forme un îlot au milieu des bois et des prairies, à égale distance des villages de Wallisellen, ­Schwamendingen et Dübendorf. Vers 1902, une nouvelle filature est réalisée et seulement six décennies plus tard, l’entreprise doit à nouveau s’agrandir sur le site d’origine. Après la Seconde Guerre mondiale, au fur et à mesure que la métropole zurichoise se développe, la périphérie se densifie. Les espaces verts cèdent la place, mais la filature de Neugut reste isolée : coupée de ­Wallisellen par l’autoroute A1 construite dans les années 1970, elle est ensuite flanquée, à l’ouest, d’une bretelle surdimensionnée aménagée pour relier l’Überlandstrasse à l’autoroute. Au fil des différents projets 55

de construction dans les environs, la Glatt et le Chriesbach sont abaissés et canalisés, ce qui interdit toute utilisation de l’énergie hydraulique. Au cours de la décennie suivante, un viaduc ferroviaire bifurquant vers le nord-est va encore venir s’y ajouter lors de l’extension du S-Bahn de Zurich. Ainsi, le site de Zwicky n’est plus seulement entouré d’axes de transport, il en est traversé. Difficile dans ces conditions de redonner vie au site après l’arrêt de la production en 2001. Mais en 2003, les propriétaires, convaincus de son potentiel, chargent l’architecte Tomaso Zanoni d’élaborer un plan de quartier privé. Le projet prévoit une affectation mixte, combinant logements et surfaces commerciales. L’ensemble du site, qui n’est que partiellement bâti, est subdivisé en plusieurs parcelles. En 2007, des appartements sont d’abord réalisés dans l’ancien bâtiment administratif. Puis, à partir de 2009, de nouvelles constructions sont entamées sur les parcelles non bâties. Un complexe résidentiel avec cour intérieure, dessiné par Spühler Architekten, est réalisé sur la longueur à l’ouest, un immeuble commercial de Tomaso Zanoni accueille notamment la Swiss International School le long du viaduc du S-Bahn de l’autre côté de la Neugutstrasse et un complexe ­résidentiel de Fischer Architekten est implanté à l’extrémité nord-est. Densification et masse critique La parcelle E, mieux connue sous le nom de Zwicky-Süd, présentait les plus grandes ­difficultés. Elle se trouve en effet directement dans l’espace délimité par le viaduc ferroviaire et les axes très fréquentés de la ­Neugutstrasse et de l’Überlandstrasse. La société de conseil immobilier Wüest & Partner va alors mettre les propriétaires en contact avec la coopérative de construction zurichoise Kraftwerk 1, connue non seulement pour ses concepts expérimentaux dans la construction résidentielle, mais aussi pour son expérience dans les zones périphériques urbaines. Le jeune bureau Schneider Studer Primas, qui a remporté le mandat d’étude en 2009, va délibérément miser sur un aspect brut avec du béton apparent, de l’acier et des grillages métalliques. L’urbanisme classique ne se prêtait en effet pas à ce site isolé de l’extérieur, qui révèle ses qualités dans les ruelles et places entre les immeubles ainsi que dans les appartements non conventionnels. Komplex No 12/2019


La planification de la parcelle A, quant à elle, ne commencera qu’après le début de la réalisation de la parcelle E. Il s’agissait d’attendre avec cette partie de Zwicky-Zentrum pour profiter de l’expérience acquise sur les autres parcelles aussi bien en termes d’offre de logements que de structure commerciale. Le succès de Zwicky-Süd, où la coopérative de construction Kraftwerk 1 vise à obtenir un mix de population correspondant à la moyenne de la ville de Zurich, va aussi motiver la décision de ne pas miser sur des concepts résidentiels classiques pour la périphérie de la ville. Un quartier urbain animé Le plan d’aménagement détaillé actualisé et révisé disponible en 2012 prévoyait de toute manière une forte densification. Non seulement pour des raisons économiques, mais aussi parce qu’il était nécessaire d’attirer une population suffisante pour permettre aux commerces de fonctionner malgré la situation isolée. Il n’était pas question de créer une cité dortoir mais, au contraire, un quartier urbain animé. Cet objectif a été atteint avec Zwicky-Zentrum : en visitant le quartier, on se sent indéniablement plus en ville que dans la plupart des quartiers avoisinants de Wallisellen, Dübendorf ou Schwamendingen. Les bâtiments en brique classés de l’ancienne usine textile, transformés en bureaux, surfaces commerciales et logements, contribuent considérablement à la qualité du n ­ ouveau complexe. Il s’agit de trois constructions parallèles : les petits bâtiments de la teinturerie sur les rives de la Glatt, une rangée de bâtiments d’usine avec des halles de machines dominée par la haute cheminée portant le nom de la société ainsi que la filature datant de 1902. A l’extrémité, sur la Zwickystrasse, l’ancien bâtiment administratif forme un angle droit parfait avec les trois rangées. De l’autre côté, la rue est bordée par les immeubles d’habitation de M ­ artin Spühler et une ancienne ferme appartenant au site de la filature. Vers l’ouest, la rue se prolonge par un pont sur la Glatt qui mène aux anciens logements ouvriers, en attente de rénovation. Derrière ceux-ci, le complexe résidentiel et commercial Zwicky-Riedgarten du cabinet lausannois Localarchitecture est en cours de réalisation sur la parcelle D. Avec ses ­bâtiments de sept ou huit niveaux, il comptera 215 logements supplémentaires. En 2014, le bureau d’architectes zurichois Giuliani Hönger remporte le concours 56

avec son projet concernant la parcelle A. L’investissement total pour les cinq bâtiments – quatre de Giuliani Hönger et un de Zanoni Architekten – s’est élevé à 90 millions de francs. Halter est chargée du ­développement et de la commercialisation pour le compte de l’investisseur, le fonds immobilier UBS Anfos. Les nouveaux immeubles s’intègrent dans l’alignement, la disposition et la volumétrie du complexe existant. Les constructions de Giuliani Hönger forment deux ensembles de deux bâtiments, décalés l’un par rapport à l’autre : ceux au nord et à l’est comptent sept niveaux tandis que ceux au sud et à l’ouest assurent la transition vers l’usine historique avec leurs quatre niveaux. ­L’ensemble le long du viaduc ferroviaire se compose de deux immeubles en équerre qui entourent une cour commune au rez-de-chaussée, tandis que les deux bâtiments plus proches de la Neugutstrasse partagent une plate-forme publique extérieure commune. Il fallait en effet créer une grande surface d’un seul tenant pour accueillir un supermarché de plain-pied. Les architectes ont opté pour des façades en maçonnerie apparente en briques hollandaises, structurées par des verticales saillantes et des parapets en retrait. Ces choix architecturaux ainsi que les matériaux rappellent les bâtiments historiques, tandis que la couleur beige iridescente contraste avec le jaune et le rouge des briques des ­bâtiments existants. Sur les immeubles de sept niveaux, seul le rez-de-chaussée est en brique hollandaise, les niveaux supérieurs ayant des façades crépies de couleur claire isolées de l’extérieur. Zanoni a choisi une teinte tirant davantage sur le jaune pour l’édifice de six niveaux qui prolonge la rangée centrale de l’usine et forme, avec le bâtiment de ­Giuliani Hönger, un portail vers Zwicky-Süd et le viaduc ferroviaire. Des commerces et une brasserie Ce qui manque dans bon nombre de nouveaux complexes résidentiels a été réalisé à Zwicky-Zentrum : les rez-de-chaussée ont une hauteur sous plafond plus élevée et sont essentiellement affectés aux commerces. De petites boutiques et des magasins d’une ­surface de 22 à 58 mètres carrés sont alignés sous les arcades des immeubles de quatre niveaux. S’y ajoutent un café-­restaurant sur la Neuguetplatz, entre les deux ensembles Architecture


Parcelle A, coupe et vue le long de l’axe de la Neuguetplatz

Giuliani Hönger, et la brasserie Hardwald qui occupe le rez-de-chaussée de l’immeuble Zanoni, avec un restaurant. En été, l’espace ouvert vers la Glatt sert aussi de terrasse à la façon d’un Biergarten. Dans l’immeuble Zanoni, les étages supérieurs sont occupés exclusivement par des appartements-ateliers et des ateliers commerciaux, des logements à aménagement flexible avec salle d’eau et réduit d’une surface entre 42 et 67 mètres carrés. Les bâtiments de Giuliani Hönger accueillent des appartements-ateliers dont la pièce principale occupe les deux niveaux tandis que l’espace nuit se trouve sur la galerie. Sur les 194 appartements du ZwickyZentrum, 44 sont des appartements-ateliers. Pour le reste, la taille varie de 1,5 à 4,5 pièces avec 78 appartements de 2,5 pièces d’une superficie entre 53 et 75 mètres ­carrés. Presque tous les logements disposent d’espaces extérieurs, le plus souvent sous forme de loggias. Les habitants des appartements-ateliers de l’immeuble Zanoni ont accès à une terrasse commune sur le toit.

Z W I C K Y

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Zwicky Zentrum A6-A9_Ansicht Osten Publikationspläne

Le site fonctionne en réalité comme une ville en petit et non pas comme une petite ville. Grâce à la disposition judicieuse des bâtiments, la granularité des places et rues entre les bâtiments existants a été maintenue de manière homogène. Isolé de la ­Neugut­strasse par un mur antibruit, un espace vert entoure la villa construite en 1930 par Erhard Gull, fils du conseiller municipal zurichois et professeur à l’EPF Gustav Gull. De l’autre côté de la route, un hôtel et des appartements occupent la tour résidentielle Neuguet de Ramser Schmid Architekten, ­achevée depuis peu. Au sud, la Glatt ne ressemble plus depuis longtemps à un canal et ses rives servent d’espace de détente. Quant au Chriesbach, il a aussi été renaturalisé ces dernières années. Enfin, il reste l’espace sous le viaduc : depuis qu’il est ceint de nouveaux bâtiments, il forme un élément de raccordement entre les deux parcelles. L’espace sous les voies ferrées recèle un potentiel qui ne demande qu’à être découvert et exploité en tant qu’espace ouvert protégé contre les intempéries.

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giuliani .hönger architekten eth-bsa-sia , Zürich


Etage standard, Zwicky-Zentrum 14.08.2019

Erdgeschoss

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Rez-de-chaussĂŠe, Zwicky-Zentrum

Regelgeschoss

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Situation de la parcelle A Situation Baufeld A

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p. 52 — La Neuguetplatz est située entre les deux complexes résidentiels de Giuliani Hönger. L’escalier mène à la cour surélevée entre l’immeuble d’habitation de sept niveaux le long de la Neugutstrasse et le bâtiment de briques plus bas, situé en face de la filature historique. p. 54 — Les nouveaux immeubles, dont les proportions répondent à celles des bâtiments de la fabrique transformée, s’échelonnent vers le sud. Deux immeubles de sept et quatre niveaux abritent une cour intérieure. Les larges ouvertures et les hauteurs différentes relativisent ­l’impression d’une construction en îlot fermé. p. 59 — La Neuguetplatz est également bordée par une zone extérieure aménagée en parc, où s’érige la villa de ­l’ancien propriétaire de la fabrique, une réalisation de l’architecte Erhard Gull datant de 1930. pp. 60/61 — La haute cheminée avec le logo Zwicky a été conservée et constitue la caractéristique dominante des bâtiments historiques de l’usine. Ils ont été construits successivement au XIXe siècle, puis complétés par la ­filature (au centre de l’image).

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p. 62 — Appartement-atelier au rez-de-chaussée, côté est du complexe d’habitation de Giuliani Hönger. La surface habitable s’étend sur 77,8 mètres carrés. L’appartement dispose également d’une terrasse de 20 mètres carrés. p. 63 — De petits commerces se sont installés sous les arcades, au rez-de-chaussée des bâtiments de G ­ iuliani Hönger. Le Zwicky-Zentrum comprend également un supermarché et deux restaurants. Ce quartier urbain vivant inclut d’autres surfaces commerciales dans les bâtiments historiques de la filature ainsi que des ateliers. p. 65 — Situé juste à côté du viaduc ferroviaire, le nouvel immeuble de Zanoni Architekten se dresse à l’entrée du Zwicky-Zentrum et s’intègre dans la rangée médiane des bâtiments de l’usine. La brasserie Hardwald et son restaurant ont emménagé au rez-de-chaussée. A gauche, vers la Glatt, le parvis bordé d’arbres fait office de Biergarten en été.

Architecture



DU MÊME BOIS

66 Texte : Victoria Easton Photo : Martina Bjorn

La série de meubles « Athens Series » des architectes bâlois Emanuel Christ et Christoph Gantenbein est basée sur l’idée et la forme d’un billot traditionnel en bois « comme nous l’avons trouvé au marché aux poissons d’Athènes ». Intéressés par ­l’apparente banalité de l’objet trouvé, les concepteurs lisent ce bloc comme une architecture et développent à partir de lui une série de tables, de tabourets et de tables d’appoint. « En essayant de comprendre l’objet, nous avons découvert sa tectonique. Elle renvoie à un système dans lequel des éléments individuels ont pu être combinés pour former un ensemble plus vaste. Par interprétation, interprétation biaisée, ­traduction et transformation, cette ‹architecture anonyme› est devenue une série d’objets qui, dans un même mouvement, ­définissent puis abandonnent leur cadre de référence. ‹Athens Series› n’est pas l’expression d’une idée, d’un sentiment ou d’une obsession personnelle et intime, mais d’une position créative consciente, qui questionne les auteurs. » Le plateau et l’assise de tous les objets sont constitués de blocs de bois de tulipier maintenus ensemble par des éléments cylindriques, avec une « serrure japonaise », ce qui leur confère leur robustesse et un caractère unique. « Athens Series » a été développée par Emanuel Christ et Christoph Gantenbein pour l’initiative de design bruxelloise Maniera. Architecture



L’INDUSTRIE DU 68 ­BÂTIMENT LANTERNE ROUGE Texte : Nik Grubenmann

Fin 2018, Anja Karliczek, ministre allemande de la Recherche, lâchait une petite bombe dans une interview sur l’extension du réseau mobile accordée à Reuters TV en affirmant que la 5G n’était pas indispensable à chaque coin de rue. Cette déclaration allait provoquer un tollé dans les médias, d’aucuns l’estimant révélatrice du scepticisme ambiant et de l’hostilité de certains milieux politiques et économiques vis-à-vis de l’innovation. Pour d’autres, elle faisait écho aux propos de Ron Sommer qui considérait, en 1990, qu’internet n’était qu’un jeu réservé à quelques mordus d’informatique et n’avait aucun avenir. Chacun sait aujourd’hui à quel point l’ancien patron de l’opérateur Deutsche Telekom avait tort. Mais, alors que la plupart des industries profitent d’ores et déjà des avantages de la numérisation, le secteur du bâtiment est à la traîne. Les raisons de ce retard sont certes de nature structurelle, mais pas seulement. Le boom que connaît cette industrie depuis vingt ans a ôté tout sentiment ­d’urgence aux acteurs impliqués, qui ont allègrement profité de taux d’intérêt bas et de l’immigration persistante. Des conditions qui ont permis au secteur du conseil et des prestations de prospérer – à la faveur d’une densité réglementaire croissante –, nourri par des mandats confortables et des marges généreuses. Même des acteurs étatiques ou proches de l’Etat, dans des domaines marginaux comme la protection des oiseaux ou l’animation sociale, se sont développés dans des proportions dépassant les critères du bien-fondé économique. Bref : le gâteau immobilier était trop savoureux pour que quiconque s’intéresse à une autre recette. Stagnation de la productivité Cette situation a contribué à masquer le véritable problème de l’industrie du bâtiment et de l’immobilier : la stagnation de la productivité. Un phénomène qui dépasse largement les frontières suisses et que l’on observe au

niveau mondial. Une étude du McKinsey Global Institute (MGI), réalisée en 2017, a estimé que la productivité dans le secteur de la construction affichait une modeste croissance mondiale de 1 % depuis deux décennies, alors que l’industrie dans son ensemble pouvait se targuer d’une croissance annuelle de la ­productivité atteignant 3,6 %. On peut faire le même constat en Suisse. En revanche, il est intéressant de noter que l’agriculture qui, contrairement au bâtiment, a rapidement adopté la technologie numérique – pilotage d’engins, gestion des semences et management – a réalisé des progrès considérables. En fonction de leur productivité, l’étude MGI range les différents pays dans les ­catégories « A la traîne », « En accélération », « Leaders sur le déclin » et « Surperformants ». L’essentiel des pays européens se situent dans la catégorie « Leaders sur le déclin » et quelques-uns dans la catégorie « ­  Surperformants ». Les pays en développement et les BRICS figurent tous dans les catégories « A la traîne » ou « En accélération ». Un seul Etat sort véritablement du lot : la Belgique. Dans ce pays, le secteur du bâtiment présente une croissance de la productivité de 1,8 % par an. Un chiffre qui peut paraître modeste, mais qui dépasse ceux de l’Allemagne, de ­l’Espagne, de la Grande-Bretagne et de la plupart des autres pays de l’Union européenne. Cette évolution positive en Belgique a été possible alors même que, contrairement à la Suisse, il n’y a pas de boom de la construction favorisé par l’immigration et qu’une grande partie de l’activité dans le bâtiment concerne la rénovation du parc immobilier. Quelles sont donc les raisons de cette évolution ? D’une part, les salaires pratiqués dans le secteur de la construction belge sont relativement élevés, ce qui incite les entreprises à réduire les coûts ailleurs, notamment en exploitant le potentiel des nouvelles ­technologies. D’autre part, les autorités belges, qui sont déjà tenues d’appliquer les Immeubles & Capital — Chronique


directives de l’UE, renoncent à réglementer davantage les projets de construction. Enfin, autre particularité favorable du secteur de la construction en Belgique : les compétences en ingénierie dans la construction navale et dans les parcs éoliens offshore sont énormes. Des processus de préfabrication d’éléments en ciment développés pour ces activités sont adaptés par le secteur du bâtiment. Une complexité d’origine historique En Suisse, la réalité est tout autre. Le secteur de la construction et de l’immobilier s’y distingue par une grande fragmentation et une structure complexe. Témoin le site internet netzwerk-digital.ch – une initiative de la SIA, du CRB, de la KBOB, de l’IPB et de Bâtir digital Suisse – qui s’est donné pour tâche de coordonner « la transformation numérique dans les domaines de la planification, de la construction et de l’immobilier »: les liens entre les différents domaines thématiques de la numérisation dans le bâtiment sont représentés par des centaines de lignes, à l’image des tableaux en fils tendus. Mais après cinq clics, au plus, l’utilisateur perd la vue d’ensemble et s’égare dans la jungle du réseau. La métaphore ne pourrait être plus pertinente pour illustrer la complexité du marché du bâtiment. « Le caractère local (par essence) des immeubles va de pair avec une certaine inertie qui est certes due à la statique mais aussi bien souvent à l’ancrage régional du secteur du bâtiment », pouvait-on lire dans l’introduction de l’édition spéciale de la revue Architektur + Technik consacrée à la construction numérique en 2016. « Il est intéressant de constater que la numérisation est la plus avancée là où la proximité avec le chantier est secondaire : au stade de la planification et de la préfabrication », poursuivait ­l’auteur. Le fossé entre la planification et l’exécution dans le modèle de prestations explique les rythmes différents de la numérisation : alors qu’elle est déjà avancée dans la planification, elle reste à la traîne dans le domaine de l’exécution. Or, il ne pourra y avoir gain de productivité que lorsque ce fossé sera comblé et que, de surcroît, les deux étapes seront non seulement intégrées, mais qu’elles seront considérées et proposées comme un tout. Pour y parvenir, il faudra que le secteur réalise sa mue et passe d’un système d’appel d’offres basé sur les produits et les prestations à 69

un système axé sur les fonctions et les éléments de construction. Concrètement, le ­mandant définit l’aspect général et la fonction du bâtiment durant la phase de développement, sans s’occuper de l’exécution technique de l’ouvrage, qui est spécifiée par le mandataire et l’entrepreneur dans le cadre de l’élaboration de l’offre. Leur objectif consiste toujours à trouver une solution optimale en ce qui concerne les exigences fonctionnelles définies, en respectant l’aspect architectural voulu, mais surtout en tenant compte des coûts induits par la phase de réalisation. L’approche intégrée permet non seulement d’atteindre une efficacité maximale, mais aussi d’offrir rapidement au mandant un engagement ferme et une garantie des coûts, sans planification longue, coûteuse et, peut-être, inutile. Intelligence entrepreneuriale requise Tout le monde sait aujourd’hui que la transformation numérique dépend moins de la ­technique que de la culture d’entreprise. « Agilité », « scrum », « new work » sont les mots d’ordre quelque peu obscurs d’une tendance qui s’inscrit dans la culture numérique. En fait, la transformation numérique nécessite une certaine intelligence entrepreneuriale : il s’agit d’oser s’interroger sur l’utilité de la modernisation et de la transformation et, le cas échéant, de remettre en question son propre modèle d’affaires. Selon Orestis Terzidis, responsable de la chaire d’entrepreneuriat et de gestion de la technologie à l’Institut de technologie de Karlsruhe, la compétence essentielle de la numérisation consiste à « savoir trancher ». La question de la transformation numérique est d’une importance stratégique cruciale pour une entreprise. La problématique présentée au début – croissance de la pro­ ductivité en panne dans le secteur de la construction – deviendra véritablement aiguë au plus tard lorsque les facteurs externes comme le niveau des taux d’intérêt et l’immigration persistante auront disparu. Et il n’est pas nécessaire d’être prophète pour voir que les acteurs du marché qui auront fait leurs devoirs et qui généreront une meilleure productivité grâce à des processus numériques, à des procédures bien rodées pour la planification, la construction et l’exploitation ainsi qu’à une culture d’entreprise valorisant la prise de décision, auront une longueur d’avance. Komplex No 12/2019


COOPÉRATIVES : UN NOUVEAU DÉPART

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Texte : David Strohm Visualisation : Play-Time

Avec deux nouvelles coopératives d’habitation en ville de Berne, c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre pour les maîtres d’ouvrage d’utilité publique en Suisse. La coopérative d ­ ’habitation ­Huebergass, initiée par le groupe Halter, devient une coopérative de locataires. La coopérative « Wir sind Stadtgarten », quant à elle, se donne pour mission de diffuser le modèle dans toute la Suisse en tant que partenaire de développement. Immeubles & Capital


Au regard du niveau élevé des loyers et de la rareté de l’offre dans de nombreuses villes suisses, proposer des logements abordables est devenu une urgence. Le critère économique est d’ailleurs souvent imposé dans le cadre d’appels d’offres pour des projets de construction sur des terrains publics. La ville de Berne, où les électeurs ont adopté l’initiative « Pour des logements abordables » en 2014, ne fait pas exception. Ainsi, le Fonds pour la politique foncière et la construction de logements de la ville avait fait de l’économicité l’un des éléments déterminants du concours combiné pour le lotissement qu’il souhaitait réaliser et pour le parc de quartier attenant. L’objectif du concours était de confier à un consortium de maîtres d’ouvrage à but non lucratif la planification, le financement, la réalisation et l’exploitation du lotis­ sement à la Mutachstrasse. Lors de l’éva­ luation des projets, le jury a accordé une importance particulière à la création de logements à faible coût et avec un rendement atteignant le seuil de rentabilité, à une construction durable et au rattachement des bâtiments au parc de Holligen-Nord. Le projet Huebergass a finalement remporté le concours à l’unanimité du collège d’experts contre neuf projets concurrents. Il prévoyait la création de la coopérative « Wir sind Stadtgarten », Halter SA agissant comme initiatrice en partenariat avec le bureau bernois GWJ Architektur, le bureau zurichois ASP Landschaftsarchitekten et le planificateur social bernois Martin Beutler. La procédure pour ce concours était inhabituelle. Au lieu de choisir d’abord un maître d’ouvrage comme il est d’usage ailleurs, de lui remettre le terrain en droit de superficie et de lui faire réaliser ensuite un concours d’architecture, les responsables à Berne ont opté pour un concours anonyme avec des équipes de planificateurs et d’investisseurs. Le fait que le lauréat soit un promoteur immobilier, Halter SA, a suscité de vives discussions. Cent ans de tradition Pour l’entreprise centenaire Halter, ce modèle n’a cependant rien de nouveau. En 1922 déjà, l’entreprise avait fondé une société coopérative dont le but était de fournir à ses membres, avec l’aide de l’Etat et de la commune, des logements bon marché à vendre ou à louer en construisant des maisons pour deux familles ou plus. L’article 2 des statuts 71

précisait à l’époque que la coopérative ne visait pas la réalisation de bénéfices et que la spéculation immobilière sur le terrain de la coopérative était exclue à jamais. Dans les années 1920, Halter a en outre réalisé des bâtiments pour la Coopérative d’habitation des cheminots. Nonante-cinq ans plus tard, la nouvelle coopérative « Wir sind Stadtgarten » redonne vie à cet esprit d’antan. Le permis de construire a été octroyé au printemps 2019 et les travaux ont été entamés en août de la même année. Le complexe Huebergass et ses 103 unités d’habitation devrait être prêt à l’emménagement début 2021. L’éventail des logements proposés doit contribuer à la diversité des habitants, ainsi qu’à un développement socialement et écologiquement durable de la ville. L’offre s’adresse principalement aux familles, avec des logements de 4,5 et 5,5 pièces, mais comprend également des lofts, des appartements cluster et des unités de 1,5, 2,5 et 3,5 pièces afin de répondre aux besoins des personnes vivant seules ou à deux. Des salles communes, des places de cotravail, des surfaces extérieures et pièces joker, ainsi qu’une crèche, une salle de quartier et un café complètent l’ensemble. Le concept de mobilité prévoit des places de stationnement Mobility en bordure du lotissement et des participations aux frais d’abonnement aux transports publics. De multiples possibilités d’économies La Ville de Berne a accordé au projet une rente du droit de superficie avantageuse, soit 16 francs au mètre carré de surface brute de plancher, mais a imposé le principe d’un loyer établi selon les coûts et l’utilité publique. L’objectif : ne pas dépasser 187 francs de loyer annuel net par mètre carré de surface utile principale. Pour répondre à cette exigence, Halter a fait appel à sa propre expérience dans la construction d’immeubles d’habitation et s’est appuyée sur les enseignements tirés de l’étude qu’elle a réalisée en 2012 avec Pensimo Management AG et l’Office fédéral du logement, afin d’identifier les facteurs de succès des logements à loyer modéré. L’étude part d’un constat : le parc de logements bon marché qui ne correspondent plus aux standards « habituels » de la construction résidentielle disparaît progressivement au gré des assainissements Komplex No 12/2019



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Surface moyenne par habitant, selon le nombre de pièces 58m²

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Logements issus de la construction de logements à but non lucratif Plus l’appartement est grand, plus la différence est marquée entre la surface par habitant dans les coopératives et la surface par habitant moyenne.

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L’étude a été bien accueillie par les experts et ses conclusions ont été reprises non seulement sur le marché immobilier libre, mais également dans la construction de logements d’utilité publique et appliquées ici et là. Se concentrer sur l’essentiel Pour la coopérative d’habitation Huebergass, les lignes claires et simples des corps de bâtiments, les plans d’étage allant à l’essentiel et la limitation des espaces de cir­ culation poursuivent précisément cet objectif de maîtrise des coûts. N’est construit que ce qui est véritablement nécessaire. De cette façon, la limite maximale visée pour les loyers ne sera pas atteinte et les plus grands appartements familiaux pourront être proposés au prix de 200 francs par pièce et par mois. Par ailleurs, des limites de revenus et de fortune ainsi que des exigences en matière d’occupation ont été définies, afin que ces loyers favorables profitent effectivement à ceux qui ont des difficultés à trouver un logement abordable sur le marché libre. ­Néanmoins les appartements offrent un certain niveau de confort qui dépasse parfois nettement les exigences minimales légales. Le projet Huebergass fait siens les idéaux de la construction d’utilité publique. Pendant la phase de concours, les sept membres fondateurs, dont quatre collaborateurs de Halter, ont élaboré les structures de la future coopérative d’habitation, à savoir les statuts et le règlement des locataires, en plus du projet à proprement parler. Après avoir remporté le concours en 2017, ils ont fondé la coopérative « Wir sind Stadtgarten », rebaptisée Huebergass en 2019. A cette même date, « Wir sind Stadtgarten » a été refondée, avec une nouvelle mission : initier et lancer d’autres projets de coopératives d’habitation. Le projet réalisé à Berne servira ainsi de première référence. Les efforts déployés afin de créer une bonne communauté au sein des futurs résidents se veulent également exemplaires. Ainsi, un jardinier dit social a déjà commencé son travail, qui consiste à faire progresser, en collaboration avec plusieurs groupes de travail, les trois dimensions de la durabilité – environnement, économie et société – et le dialogue avec la population du quartier. Les deux jeunes coopératives, qui ont adhéré à la fédération Coopératives d’habitation Suisse, cherchent à rencontrer d’autres coopératives d’habitation afin Immeubles & Capital

Graphique : Office fédéral du logement / Statistique des bâtiments et des logements 2015, OFS

et des constructions de remplacement. L’écart qui en résulte entre la demande de tels ­logements et l’offre peut, selon les auteurs de l’étude, être comblé par des projets conçus en ce sens. Le principal levier pour réduire le loyer mensuel brut serait ainsi la superficie par appartement – un défi auquel des plans d’appartement modernes, bénéficiant d’une intégration optimisée et efficace dans le corps de bâtiment, permettent de répondre. Les auteurs détaillent également les économies réalisables sur les coûts de fabrication : équipements et matériaux utilisés, mise à profit des effets d’échelle par une normalisation des composants, taille du projet et prise en compte des coûts pour l’ensemble du cycle de vie des composants. Une offre de logements clairement axée sur le groupe cible, un développement et une gestion rigoureux du projet sont également nécessaires. Enfin, expliquent les praticiens, il ne faut pas faire de changements pendant la phase de construction. Même au niveau de l’aménagement, il est possible de réaliser des économies sans trop de sacrifices. Différentes solutions permettent de réduire les surfaces et donc le budget : nombre et taille des pièces annexes (compartiments de cave notamment), sup­ pression des réduits et des encastrements dans les logements, recours aux buanderies communes, équipements standard, portes ­coulissantes et liaisons transversales entre les pièces. Cela vaut également pour la conception des cages d’escalier, dans le respect du droit de la construction.


d’échanger avec elles. Leur objectif déclaré est de « développer et réaliser des logements économiquement viables » tant lors du développement de nouveaux projets que lors de leur réalisation. Ainsi, les initiateurs bernois s’inscrivent dans la tradition plus que centenaire des coopératives d’habitation en Suisse. Le 20 septembre 1919, des représentants des autorités, des architectes et des responsables politiques avaient fondé le Schweizerischer Verband zur Förderung des gemeinnützigen ­Wohnungsbaues (Fédération suisse pour la ­pro­motion de la construction de logements d’utilité publique), à laquelle 57 coopératives adhérèrent dès la première année d’existence. Par la suite, des principes de base, des modèles de statuts, des normes et des maisons témoins avaient été élaborés et des conférences, consultations, expositions et visites organisées sur le thème de la construction. En 1921, la Confédération constitua un fonds de construction de 200 000 francs pour des logements destinés aux personnes démunies, posant ainsi la première pierre du futur Fonds de roulement. Ce dernier accorde aujourd’hui encore aux coopératives d’habitation des prêts remboursables à faible taux d’intérêt. En 1956 fut ensuite créée la Société coopérative de cautionnement hypothécaire (cch), qui facilite depuis le financement de constructions d’utilité publique. En 2002, la fédération a élaboré ses propres lignes directrices et a, en collaboration avec d’autres organisations faîtières et l’Office fédéral du logement, rédigé une Parts de marché sur le marché immobilier suisse

Graphique : Coopératives d’habitation Suisse

5%

38% 57%

Locataires ou sous-locataires

charte pour les maîtres d’ouvrage d’utilité publique reposant sur les principes d’interdiction de la spéculation, de solidarité, de développement durable, de participation des membres et de transparence pour tous. Les forces du marché ne suffisent pas à elles seules pour assurer à tous un logement à des conditions abordables. Les maîtres d’ouvrage d’utilité publique tels que les coopératives d’habitation, les fondations et associations à but non lucratif et les sociétés anonymes viennent combler ce vide. La part des coopératives d’habitation dans le parc de logements en Suisse a récemment baissé et n’est actuellement que d’un peu moins de 5 % (voir graphique ci-dessous). De nombreux instruments de promotion Comme à Berne, des efforts sont donc en cours dans de nombreuses villes et communes pour promouvoir les coopératives d’habitation, souvent par le biais d’initiatives législatives. Les instruments disponibles relèvent, d’une part, de l’aménagement du territoire : vente ou cession de terrains en droit de superficie, quotas dans les plans d’affectation ou bonus d’utilisation à titre incitatif, obligations de construction et droits d’emption. D’autre part, il existe des instruments de financement, tels que des subventions pour l’acquisition de terrains ou des intérêts favorables sur le droit de superficie, des prêts bon marché, des garanties ou des contributions à fonds perdu, par exemple pour des mesures énergétiques. Cela inclut également la participation des pouvoirs publics au capital social, des mesures fiscales ainsi que des conseils, un accompagnement des projets et une sensibi­ lisation des communes et des propriétaires fonciers. Les coopératives « Wir sind Stadtgarten » et Huebergass n’utilisent qu’une partie desoutils évoqués. En effet, grâce au savoirfaire de leurs fondateurs, elles sont en mesure de s’organiser et se financer dans une large mesure sans aide extérieure et apportent néanmoins une contribution précieuse à ­l’habitat coopératif, la « troisième voie entre la location et la propriété ».

Propriétaires de logement ou de maison Membres de coopérative ou résidents d’autres logements à but non lucratif Dans toute la Suisse, les maîtres d’ouvrage d’utilité publique détiennent environ 185 000 logements, soit une part de marché de 5 %.

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pp. 72/73 — Le lotissement Huebergass est en construction dans le quartier bernois de Hollingen et disposera de généreux espaces de rencontre.

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« L’ÉCHEC NE DOIT PAS FAIRE PEUR, AU ­CONTRAIRE, IL PEUT ÊTRE LE TREMPLIN VERS LA RÉUSSITE » Texte : Chantal de Senger Photos : Anoush Abrar

Abdallah Chatila fait partie des plus importants promoteurs immobiliers privés de Genève. Son groupe m3 est actif dans de nombreux secteurs, de l’architecture au développement de ­projets en passant par la gérance et la vente de biens immobiliers. Le groupe investit également dans des domaines comme la restauration, l’hôtellerie, les assurances ou encore le cannabis. A travers ses différentes démarches, l’ambition du « serial entrepreneur » est avant tout d’embellir, de préserver, de moderniser et de faire bouger Genève. 77

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Abdallah Chatila est né au Liban en 1974. Il est âgé de 2 ans quand sa famille fuit la guerre pour s’installer d’abord en Italie, puis en France, avant de s’établir en Suisse, sur les bords du Léman, en 1988. Diplômé en gemmologie, il rejoint en 1995 l’entreprise familiale de haute joaillerie. Puis, en 2006, il entame une activité de promoteur immobilier résidentiel et commercial. Il est aujourd’hui président et unique actionnaire du groupe m3 qui détient une soixantaine d’entreprises. L’amateur d’art, mécène et philanthrope a également créé en 2011 la fondation Sesam qui soutient des projets éducatifs et socioculturels essentiellement à Genève mais aussi au Liban. C’est au siège du groupe m3, dans le bâtiment de la gare Cornavin, que nous avons rencontré ­l’entrepreneur aux multiples casquettes et père de trois enfants.

Quels souvenirs et quels liens gardez-vous avec le Liban, pays que vous avez quitté quand vous étiez enfant ? Je n’ai pas gardé de très beaux souvenirs d’enfance, car nous avons quitté le pays en pleine période de guerre civile. Je me souviens encore de mes parents, me prenant dans leurs bras pour se cacher dans des souterrains durant les bombardements. Pour le reste, j’ai quelques jolis souvenirs de vacances avant que nous décidions de ne plus y retourner, c’est-à-dire à partir de 1981. Depuis lors, j’y suis allé quelques fois, mais pas de façon régulière. Aujourd’hui, je n’ai plus vraiment de liens avec le Liban, même s’il me reste des cousins et quelques membres de la famille, dont certains que je ne connais pas.

Pourquoi votre famille a-t-elle choisi Genève ? L’attache avec la Suisse a commencé dans les années 1950 lorsque mon grand-père, qui craignait la guerre civile au Liban vu l’augmentation des tensions interreligieuses, avait conseillé à mon père et à mon oncle d’ouvrir un bureau ici. L’idée était d’y investir une partie de leurs gains réalisés dans l’entreprise de diamants. Jusque dans 78

les années 1970, les deux frères ont ainsi investi de l’argent à Chiasso. Avant que la guerre ne commence, ils étaient devenus des grossistes assez importants, avec un bureau transféré aux Ports Francs à Genève. En quittant le Liban, nous sommes d’abord allés vivre en Italie, à Milan, car nous possédions une fabrique de bijoux pas très loin de là. Ensuite, en attendant de pouvoir nous installer dans la Cité de Calvin, nous avons vécu trois belles années à Cannes. En 1981, mon père et mon oncle ont décidé d’ouvrir une boutique à Genève, à la rue du Rhône, qui existe encore aujourd’hui. Nous nous sommes installés ici quand j’avais 15 ans. J’ai obtenu mon baccalauréat français à l’Institut Florimont, puis j’ai décroché un diplôme de gemmologie à Los Angeles, car j’étais prédestiné à travailler dans la joaillerie.

Vous avez justement commencé votre carrière dans la joaillerie. Racontez-nous cette période de votre vie. J’ai effectivement commencé à travailler avec mon père dès l’âge de 21 ans dans le business familial. J’ai réussi à faire fructifier l’entreprise et j’en suis très fier. Mon père et mon oncle se sont ensuite séparés en 1989. Avec mon frère, nous avons ouvert de nombreuses boutiques en France, mais que nous avons aussi rapi­ dement ­fermées. Puis, en 1998, nous avons lancé la montre R9 avec le joueur de ­football Ronaldo, montre qui nous a bien fait connaître. Cela a été une belle ­rencontre, mais nous n’étions pas prêts, avec mon frère, à gérer un projet aussi ambitieux. Nous avions 25 ans et avons fait un certain nombre d’erreurs jusqu’à perdre 30 millions de francs de l’argent familial. En 2003, nous avons déposé le bilan, puis nous avons attaqué Ronaldo pour rupture de contrat. Pour rembourser nos parents, nous sommes revenus travailler dans l’entreprise familiale et avons ainsi réussi, ­heureusement, à réaliser de grosses ventes de diamants grâce à des clients du MoyenOrient. Cela nous a permis de regagner des fonds propres et redémarrer d’autres aventures, comme celle du fonds d’investissement sur les diamants. Immeubles & Capital


Comment avez-vous débuté dans l’immobilier ? Cela a commencé un peu par hasard. Je jouais au tennis à Bois-Carré, à Veyrier, et par un concours de circonstances, j’ai rencontré le même jour le propriétaire d’une parcelle à vendre et son représentant qui la louait, juste à côté du club. Le projet m’intéressait beaucoup, donc je n’ai pas lâché le morceau et j’ai réussi à l’acheter. Je me suis ainsi lancé comme promoteur, avec la construction de 52 appartements à vendre. Cette première expérience m’a permis de gagner pas mal d’argent, ce qui m’a poussé à mener d’autres projets, à la Capite, à Vésenaz, avec 16 logements qui ont très bien marché et ainsi de suite.

Vous avez près de 60 entreprises aujourd’hui, dont une dans le cannabis. Laquelle vous passionne le plus ? Les restaurants me passionnent en ce moment, car c’est le début d’une belle aventure. Et puis, je suis quelqu’un qui aime manger et sortir, donc cela me correspond bien. Mais ce qui m’intéresse surtout, c’est de créer une connexion entre toutes ces entreprises. Qu’elles s’apportent une valeur ajoutée. Et cela sera possible notamment grâce aux restaurants. L’idée est de capter un maximum de Genevois à travers notre réseau.

Quels critères vous décident à investir dans une entreprise ? Cela dépend toujours des opportunités. Par exemple, j’ai investi 2 millions dans une société qui produit du cannabis. Aujourd’hui elle en vaut quinze. Je passe mon temps à acheter et vendre des sociétés. Mais je veux dorénavant me concentrer sur Genève en créant une grosse structure locale.

Quelle entreprise vous demande le plus d’énergie ? Toutes nos sociétés qui tournent autour de l’immobilier me prennent beaucoup de temps et d’énergie. Gérer les collaborateurs – 250 dans le groupe – engendre aussi beaucoup de 79

travail, sans compter que c’est quelque chose que je ne fais pas très bien. Par exemple, j’ai beaucoup de mal à me séparer de quelqu’un, même si je sais qu’il n’est pas bon dans le domaine où il se trouve. Je vais toujours essayer de le replacer ailleurs. Alors parfois, quand certains collaborateurs quittent l’entreprise d’eux-mêmes, je suis soulagé, car c’est quelque chose que j’ai du mal à faire. Plus le temps passe, plus je souhaite déléguer et au final être à la tête de la holding qui gère le tout. En effet, je me rends compte que moins je m’en mêle, mieux je me porte.

Quels sont vos futurs projets ? Nous sommes sur le point de lancer m3 Leasing, un service de location de mobilier et d’outils informatiques pour nos clients (résidentiel et bureaux). Nous allons lancer également une carte de paiement pour nos restaurants. Cette carte offrira différents avantages, dans des stations essence par exemple. Nous allons aussi créer un service de ménage interne pour nos clients, à des prix très compétitifs, qui aura pour nom m3 Ménage.

Combien de restaurants envisagez-vous ? Nous allons ouvrir sept restaurants en 2020, soit deux restaurants à Pont-Rouge, le ­Sesflo à Champel qui est en train d’être rénové, un restaurant à la rue du Prince dans un hôtel de 100 chambres que nous allons ouvrir bientôt, un autre à la Tour-­Maîtresse, un au centre commercial de Meyrin et un dans la zone industrielle Stellar 32 à Planles-Ouates. Mon objectif est d’ouvrir une cinquantaine de restaurants d’ici trois ans. L’idée serait d’avoir une grande cuisine centrale de 1500 mètres carrés à Plan-les-­ Ouates, qui ferait toute l’acquisition, la préparation et la découpe qu’elle enverrait ensuite aux autres établissements. Le concept est d’industrialiser le système pour que cela soit rentable. Tous les produits seront de saison et locaux. Et nous souhaitons donner la priorité aux chômeurs et aux personnes en situation de handicap léger. Nous souhaitons devenir un centre de perfectionnement et d’intégration sociale, en collaboration avec l’Etat de Genève. Komplex No 12/2019



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Quels sont vos projets immobiliers actuels ? Il y a Pont-Rouge, aux Acacias, un projet à 400 millions de francs qui comprend deux tours, dont une destinée à l’hôtellerie, des bureaux et commerces, ainsi qu’un parking. Nous le réalisons en collaboration avec le groupe Halter. De plus, nous avons deux ­projets à Etoy (VD), une halle industrielle de 20 000 mètres carrés et un hôtel de 7000 mètres carrés comprenant 200 chambres. Quant aux projets résidentiels, nous venons de signer deux grandes parcelles, l’une de 15 000 mètres carrés à Thônex, l’autre de 20 000 mètres carrés à Corsier. Et aussi 10 000 mètres carrés à Cologny et à Vandœuvres et deux nouveaux projets à Anières de 7000 et 12 000 mètres carrés. Nous avons aussi un plus petit projet à Mies (VD). Nous avons encore un projet de 100 000 mètres carrés aux Cherpines, à Plan-les-Ouates. Tous les jours, nous étudions de nouveaux projets ou des promesses de vente, recherchons des ­terrains que nous mettons en valeur et vendons. Pour prendre moins de risques, nous avons fait entrer des investisseurs privés dans tous nos projets résidentiels.

Pour certains, Genève devient saturée, surtout au niveau de la circulation et de la construction. Comment voyez-vous son développement ? Je suis très confiant pour l’avenir de Genève, économiquement et politiquement. Il est vrai que Genève bouge lentement, c’est à la fois une faiblesse et une force. Mais la richesse de la ville vient surtout de sa diversité au niveau des personnalités et des entreprises. Et il ne faut pas oublier que la Genève internationale a une aura mondiale, une situation juridique très claire, une qualité de vie incroyable, une bonne sécurité. Tout fonctionne bien. Et c’est notamment lorsque l’on voyage que l’on réalise la chance qu’on a.

Vous investissez principalement à Genève. Pourquoi ? C’est plus facile pour moi, car je connais bien ce canton … et je suis un peu paresseux. 82

Vous êtes aussi un grand amateur d’art. D’où vous vient cette passion ? Je ne suis pas un collectionneur, mais j’aime surtout tout ce qui gravite autour du monde de l’art. Acheter et vendre des objets et des tableaux m’a permis de rencontrer des collectionneurs et des marchands passionnants. C’est un peu comme quand les amateurs de vin se retrouvent autour d’une bonne bouteille pour partager les plaisirs de Bacchus. D’ailleurs, nous allons lancer m3 Vins, une sorte de « Regus du vin » qui offrira la possibilité de louer une surface pour stocker ses bouteilles en zone franche, de se faire livrer des flacons, mais également d’avoir accès à des espaces pour organiser des dîners avec un accès direct à ses crus.

Vous êtes également un grand philanthrope, notamment à travers votre fondation Sesam. Quels sont les projets que vous aimez soutenir ? Je suis quelqu’un de très social, c’est­­à-dire que j’aime soutenir la base, les ­personnes dans le besoin ou en manque ­d’éducation. Cependant, même si j’offre, chaque année, un million de francs à travers ma fondation, cela reste très frustrant, tant il y a de causes à soutenir. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à organiser des partenariats avec de nombreuses autres fondations genevoises, afin de soutenir des projets sur le long terme. A ­travers nos restaurants, nous allons aussi collaborer avec la banque alimentaire ­Partage qui fournit 54 associations et services sociaux du canton de Genève, en leur offrant les aliments, et non les restes, qui n’ont pas été utilisés. Nous avons aussi financé ces dernières années plusieurs centres d’accueil pour les migrants, ainsi que des projets ponctuels, tel le skatepark de Plainpalais.

Vous passez parfois pour quelqu’un d’un peu sulfureux dans le monde immobilier genevois. Comment l’expliquez-vous ? Immeubles & Capital


Ma mère m’a toujours dit que j’avais une peau de crocodile, que rien ne passait à travers. Cela peut être perçu comme une force ou une faiblesse. Je pense cependant humblement que toutes les personnes qui me connaissent ­vraiment m’apprécient, car j’aime partager, je suis foncièrement bon et honnête.

en moi, tel un phénix, j’ai été capable de me relever après une défaite. D’ailleurs, ­j’estime que l’échec ne doit pas faire peur, au contraire, il peut être le tremplin vers la réussite.

On dit aussi de vous que vous êtes quelqu’un de très fidèle en amitié. Je suis surtout très généreux et cela m’aide énormément. Par exemple, je prends le temps de rencontrer tous ceux qui veulent me voir et j’essaie d’aider au maximum tous ceux qui en ont besoin.

Racontez-nous une anecdote sur vous. J’ai été capitaine de mon équipe de volley malgré mes 1,69 mètre (rires). Blague à part, en parlant de sport, nous allons ouvrir m3 Fitness, des espaces de 1000 mètres carrés dédiés aux activités sportives et qui ne coûteront qu’un franc par jour aux membres. Les coachs sportifs ou autres professeurs de yoga et d’arts martiaux pourront, quant à eux, louer des espaces pour y donner leurs cours. Un modèle d’entreprise qui nous évitera d’avoir des employés fixes.

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui voudrait se lancer dans l’entrepreneuriat ? Pour être entrepreneur, il faut avoir une idée qui fait la différence. Si tu ne penses pas faire cette différence, il ne faut pas te lancer. Ensuite, un jeune doit avoir le maximum d’expériences, voir ce qui ne va pas dans telle ou telle entreprise, avant de démarrer dans l’entrepreneuriat. Il pourra ainsi essayer d’y apporter une solution.

De quoi êtes-vous le plus fier aujourd’hui ? D’avoir réussi ma vie familiale. Quand je vois mes enfants grandir, c’est une véritable joie. Au niveau de ma carrière, je suis content d’avoir su me reconstruire. J’ai cru 83

p. 76 — Abdallah Chatila devant l’une des œuvres d’art qui ornent son bureau dans le bâtiment de la gare Cornavin. pp. 80/81 — Père de trois enfants, l’entrepreneur aux ­multiples casquettes est actionnaire unique du groupe m3.

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Guy Debord The Naked City. Guide psychogéographique de Paris, 1957. Après des mois de dérive, Guy Debord a enregistré les « plaques tournantes » émotionnelles de Paris. © 2019, Alice Debord

Jean-Louis Brau Sans titre, 1950. « Les secondes radiodiffusent des larmes. » L’une des ­premières tentatives de cartographier l’influence de la ville sur notre humeur.


DÉRIVES DANS ­L’ENVELOPPE DU MOI DE L’URBANISME ­UTOPIQUE DES ­SITUATIONNISTES ­PARISIENS À LA ­MAISON RÊVÉE DE ­NOTRE ENFANCE – AVEC L’EXPÉRIMEN­ TATION PSYCHO­ GÉOGRAPHIQUE Texte : Stefan Zweifel

« Chacun habitera sa ‹ cathédrale › personnelle. Il y aura des pièces qui feront rêver mieux que des drogues et des maisons où l’on ne pourra qu’aimer. »

Ivan Chtcheglov, Formulaire pour un urbanisme nouveau, 1953

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Guy Debord et Asger Jorn Mémoires. Structures portantes d’Asger Jorn, Internationale situationniste, Paris 1959 (imprimé en 1958). On y voit des plans de prisons, des ajouts de peinture d’Asger Jorn et des citations organisées par Guy Debord, sous le titre Une génération passe, avec mention des

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drogues préférées (éther, absinthe, gros rouge) et en bas, l’affirmation « La violence n’est que l’indice du désert des cœurs ». © 2019, Alice Debord, © Donation Jorn, Silkeborg / 2019, ProLitteris, Zurich

Développement urbain — Essai


Le jeune Guy Debord dans la revue lettriste ION 1, 1952. © 2019, Alice Debord

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Les jeunes ­situationnistes dans un bar parisien au début des années 1950.

Graffiti à la ­Sorbonne, Paris en mai 1968.

Internationale situationniste Nouveau théâtre d’opérations dans la culture, Paris 1958. Avec cette affiche, les situationnistes ont rendu publique leur volonté de transférer le théâtre d’exposition et d’opérations de l’art dans la rue.

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Développement urbain — Essai


Les visiteurs de l’exposition ­situationniste Destruction de RSG-6 (1963) visaient ­des images de chefs d’Etat comme Charles de Gaulle. Au second plan, une « peinture » de Guy Debord intitulée Dépassement de l’art.

Guy Debord Unités d’ambiance à Paris, 9 janvier 1957. L’un des très rares documents qui aient subsisté sur les études psychogéographiques. © 2019, Alice Debord

Constant Gele sector, 1958. Métal (fer, aluminium, cuivre) et bois 21 × 82,5 × 77,5 cm © 2019, ProLitteris, Zurich

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« Quelle influence exerce l’architecture d’une ville sur notre autoperception psychique ? », s’interrogeaient les situationnistes parisiens après la Deuxième Guerre mondiale. « Et comment notre perception des premiers logements et pièces où nous avons vécu influence-t-elle notre vie ? », s’était demandé Marcel Proust pendant la Première Guerre mondiale. A ces questions, chacun doit trouver sa propre réponse, ici et maintenant, avec son cœur et son esprit. Si l’on transpose nos réponses individuelles sur le plan ­collectif, on soulève la question suivante : dans quelles villes voulons-nous habiter ? Mais qu’est-ce qui influence le plus notre perception et notre imagination du monde : l’extérieur de la ville ou l’intérieur de nos souvenirs ? Doit-on et peut-on planifier et orienter ces perceptions sur le plan urbanistique, faut-il construire de nouvelles villes pour libérer les gens et leur imagination, comme le soutenaient les situationnistes, ou bien la créativité individuelle estelle suffisamment puissante pour que chacun crée une topographie de ses propres désirs dans tout environnement, comme Marcel Proust l’a montré dans A la recherche du temps perdu ? Les études urbanistiques des situationnistes ont été publiées dans des tracts qu’ils envoyaient à leur gré à des personnes qui leur importaient. Ils y polémiquaient contre les machines à habiter de Le Corbusier, qu’ils surnommaient « Le Corbusier Sing-Sing » parce que ses constructions leur rappelaient des prisons et que la vue de ses « maquettes » leur donnait une seule envie : le suicide immédiat ! Ils avaient aussi horreur du Bauhaus de Max Bill, où la fonctionnalité célèbre le rationalisme cartésien, et où la nature et la psyché humaine sont soumises aux contraintes de la rationalité finaliste. Le peintre Asger Jorn, qui avait travaillé pour ­Le ­Corbusier en 1937 et été initié au Bauhaus par Max Bill, quitta précipitamment le mouvement au bout d’un an et forma à Alba le « Bauhaus imaginiste », un Bauhaus qui influence notre imagination, comme le montre l’exposition au Centre Paul Klee cet automne.1 L’appel d’Asger Jorn et de ses amis situationnistes est resté lettre morte jusqu’à ce qu’il soit repris par des architectes comme Rem Koolhaas, lequel constata, lors d’un marathon de manifestes organisé à Londres par Hans Ulrich Obrist en 2009, que personne n’était cité aussi souvent que les situationnistes.2 Ils représentent la dernière avant-garde véritable et sont les héros de nombreux artistes contemporains – tout en restant 1 2

Bauhaus imaginista, Centre Paul Klee, 20.9.2019–12.1.2020. In Girum Imus Nocte. L’Internationale situationniste : 1957–1972, catalogue de l’exposition au Musée Tinguely, Stefan Zweifel, Juri Steiner et Heinz Stahlhut (éd.), Editions JRP Ringier, Zurich 2006.

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Développement urbain — Essai

Constant Spatiovore, 1960. © 2019, ProLitteris, Zurich


Eli Lotar Aux abattoirs de la Villette, 1929. © 2019, Eli Lotar

largement inconnus. Leur maître à penser Guy Debord vient même d’être baptisé « Christ de l’avant-garde ».3 Un riche ouvrage sur le point de paraître aborde le fait que la diversité des expériences dont les situationnistes étaient précurseurs invite encore à l’expérimentation individuelle.4 En effet, chacun de nous peut faire une telle expérience dans le cadre d’une psychogéographie, en s’échappant à vélo dans la périphérie de sa propre ville ! Une aventure à entreprendre au même titre que celle, suggérée par Proust, d’explorer les effets sur sa vie des pièces dans lesquelles on a grandi. A la recherche d’un temps perdu et d’une architecture perdue. Perspectives surréelles

Manuel Alvarez Bravo Optical Parable, 1931. © 2019, Estate of Manuel Alvarez Bravo

Autrefois, les surréalistes avaient, l’esprit rêveur, exploré le charme de la capitale française. Ils gravitaient dans le quartier des Halles où sommeillait encore le XIXe siècle. Ce réseau de ­passages constituait une sorte de grand magasin dans lequel on pouvait circuler, comme Charlie Chaplin sur ses patins à roulettes, et où le choc de l’ancien et du neuf assaillait la rétine des flâneurs : ils voyaient une vitrine de prothèses pour victimes de la Première Guerre mondiale et, plus loin, l’enseigne ­clignotante d’un opticien ou l’entrée d’un sauna aux moiteurs érotiques. Comme dans le film de Luis Buñuel, Un chien andalou, l’œil est tranché, fendu par la perception des contraires. Dans ce choc, le siècle disparu se heurte aux instincts du présent. Les surréalistes dégustaient donc des boissons « dada » au café Certa et essaimaient, fuyant le centre où Nadja, la muse sup­ posément folle d’André Breton, sentait la force des prisons cachées sous les pavés parisiens et voyait une main de feu s’élever sur la Seine.5 Les surréalistes voulaient de nouveau célébrer le merveilleux des modernes grâce à l’association libre, comme leur enseignant secret Sigmund Freud l’avait fait si fructueusement dans le cadre de sa psychanalyse. Ils délaissèrent ainsi le centre historique pour se diriger vers les faubourgs, hors des périmètres de sécurité. Ils déambulaient de nuit dans les décharges et les parcs, notamment celui des Buttes-Chaumont où, sur le pont dit des Suicidés, ils célébraient l’imagination du romantisme noir et se laissaient embrasser en écoutant des poèmes en prose : « O couples ! dans votre silence un grand oiseau se profile soudain. […] Ceux qu’un seul pont unit, par exemple aux épaules, ceux qui sont tout mêlés du haut au bas du corps, ceux qui 3 4 5

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Mehdi Belhaj Kacem, « Tombeau pour Guy Debord », in DIAPHANES no 6/7, Spectres de l’avant-garde, Berlin / Zurich 2019. Psychogeografie, Anneke Lubkowitz (éd.), paraît en octobre chez Matthes & Seitz, Berlin. André Breton, Nadja, NRF, Paris 1928.

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s’écoutent, ceux qui sont dissipés dans l’air du paysage, les amoureux distants, les peureux, les pressés, ceux qui se croient invisibles au fond d’un baiser sans fin […]. Promenons-nous dans ce décor des désirs. » 6 Nous nous ennuyons dans les villes !

Les situationnistes étaient en quelque sorte les héritiers des surréalistes, mais ils pensaient que cette clé de l’enchantement avait été perdue : « Nous nous ennuyons dans la ville, il n’y a plus de temple du soleil. Entre les jambes des passantes les dadaïstes auraient voulu trouver une clef à molette, et les ­surréalistes une coupe de cristal, c’est perdu. […] Nous nous ennuyons dans la ville, il faut se fatiguer salement pour ­découvrir encore des mystères sur les pancartes de la voie publique. […] Nous évoluons dans un paysage fermé dont les points de repère nous tirent sans cesse vers le passé. Certains angles mouvants, certaines perspectives fuyantes nous permettent d’entrevoir d’originales conceptions de l’espace, mais cette vision demeure fragmentaire. » 7 Les situationnistes parisiens, « dernière caisse de résonance de la radicalité » (Jean Baudrillard), ne voulaient plus faire de l’art comme les surréalistes, considérant que les galeries et musées l’achètent, que sa puissance critique est convertie en capital et alimente la société du spectacle. Dans celle-ci, le capitalisme atteint un nouveau niveau : la marchandise devient une pure illusion que les gens consomment, isolés et atomisés dans leurs appartements équipés de réfrigérateurs et de télévisions (ou aujourd’hui devant leurs smartphones). Tel un vampire, on ne vit plus que d’images vides au lieu de sentir la vie bien remplie. La dernière forme d’art, selon eux, était de créer de nouvelles situations, de susciter la confusion au cœur des villes. Ils buvaient ainsi quelques bouteilles de mescal avant de ­s’engager dans les déserts de béton pour sentir ce que ces cons­­tructions provoquaient sur leur psyché : « L’alcool nous assomma littéralement, nous faisant rouler sous une table que nous vîmes se fluidifier avant de se dissoudre dans la géométrie aberrante d’une pièce, dont nous étions devenus les ombres. […] Ce fut une véritable descente aux enfers que nos déambulations insensées, dans un ordonnancement de caserne, qui rendait l’errance et la flânerie impossibles, les murs rythmant l’ennui en répétant, angle après angle, le parcours identique de la vacuité, tandis que se faisait plus lancinante notre migraine prémonitoire. » 8 6 7 8

Louis Aragon, Le Paysan de Paris, Editions Gallimard, Paris 1926. Gilles Ivain, « Formulaire pour un urbanisme nouveau », 1953, in Ivan Chtcheglov Ecrits retrouvés, établis et présentés par Jean-Marie Apostolidès et Boris Donné, Allia, Paris 2006. Raoul Vaneigem, Le chevalier, la dame, le diable et la mort, Le Cherche midi, Paris 2003.

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Développement urbain — Essai

Le rejet de l’industrial design qui analyse les gestes des personnes à leur poste de travail a été publié dans le premier numéro de la revue Internationale situationniste en juin 1958.

Le parking commande l’urbanisme – le ­progrès ­de la maladie. Illustration dans la revue Internationale situationniste no 9, août 1964.


Constant Ambiance de départ, 1959. Métal (fer, acier, cuivre), plexiglas, huile / bois 10 × 99 × 77,5 cm © 2019, ProLitteris, Zurich

Ils appelèrent cette nouvelle recherche la « psychogéographie ». Au lieu de révéler l’association de leurs pensées sur le divan d’un psychanalyste, ils suivaient l’association de leurs pieds dans la rue pour explorer et libérer non seulement leur propre inconscient, mais aussi celui de la ville. Et si leur besoin de se libérer devenait impérieux, ils zigzaguaient en voiture dans Paris à 120 kilomètres par heure pour abandonner leurs ­trajets piétonniers habituels et s’immerger dans l’inconnu. Ils se sentaient en effet repoussés dans le ghetto de ­Saint-Germain-des-Prés. « Du point de vue de la dérive, il existe un relief psychogéographique des villes, avec des courants constants, des points fixes, et des tourbillons qui rendent l’accès ou la sortie de certaines zones fort malaisés. » Ils publièrent une carte de Paris indiquant tous les trajets effectués en un an par une étudiante. Leur rayon était aussi étroit que celui d’un prisonnier entre l’école, le domicile de la jeune fille et celui de son professeur de piano. Elle voulait échapper à cette étroitesse et trouver dans la ville des endroits et seuils de passage dans le royaume de l’imagination. Drogues sur glissières

Les situationnistes rêvaient que l’art ne doive pas être exposé dans les musées et que les œuvres des artistes soient transférées dans les bars et restaurants de la ville. Déguisés en policiers, ils se postaient à l’angle du Café de Flore à Paris et faisaient circuler les voitures dans le sens inverse. Ils voulaient ­manipuler les horaires et les destinations des trains sur les panneaux d’affichage des gares pour qu’un voyageur voulant par exemple aller de Zurich à Lucerne pour rentrer dormir chez lui arrive soudain à la gare centrale de Milan et se dise : le café est bien meilleur ici, j’y reste et je quitte femme et enfants pour y commencer une nouvelle vie. Parmi eux, l’architecte Constant a essayé d’établir un nouveau réseau pan-européen de constructions visionnaires à partir de leurs études psychogéographiques : New Babylon. Comme Ivan Chtcheglov l’avait suggéré dans son Formulaire pour un u ­ rbanisme nouveau, Constant voulait construire des maisons qui se déplacent sur glissières la nuit pour que l’on puisse subitement se réveiller sur une plage bretonne et non dans la rue Madame à Paris. Et il a conçu d’énormes sculptures architecturales censées influencer directement l’imagination des habitants et les « faire mieux rêver ». Des pièces riches en stimulations érotiques, d’autres où l’on succombe à ses rêves sensuels. Les odeurs et la musique, les sons et les réverbérations des pièces devaient élargir la psyché à l’instar de drogues. 93

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« Les deux maisons-labyrinthes sont constituées par […] la salle sourde, revêtue de matériel isolant ; la salle criarde aux ­couleurs vives et aux sons écrasants ; la salle des échos (jeux d’émetteurs radiophoniques); la salle des images (jeux cinématographiques) ; la salle de la réflexion ; la salle du repos ; la salle de jeux (influences psychologiques des jeux érotiques), la salle de la coïncidence, etc. Un séjour de longue durée dans ces maisons a l’effet bénéfique d’un lavage de cerveau.» 9 Mais contrairement aux approches similaires de Yona ­Friedman, d’Archigram ou de Superstudio, Constant prévoyait un labyrinthe que chacun puisse constamment modifier lui-même, et non pas un plan directeur mettant à disposition un « Fun Palace » dans le style de Cedric Price où les gens pourraient simplement consommer des expériences.10 Toute personne devait être un artiste ! Une sorte d’anarchie des gens créatifs qui modifient et influencent l’enveloppe architectonique et adaptent leurs souhaits à tout moment pour créer un espace intérieur du monde résolument nouveau, comme le résume Peter Sloterdijk : « Les néo-Babyloniens caracolent dans les jardins suspendus de la folie – combattants, co-géniaux, co-délirants. New Babylon veut produire un paradis artificiel sous forme d’un jardin suspendu planétaire pour mutants à la créativité permanente. » 11 La maison des Barbapapa

A Nanterre, les situationnistes ont déclenché les événements parisiens de Mai 68 avec des tracts sur « la misère sexuelle en milieu étudiant » et dirigé le comité d’occupation de la S ­ orbonne. Ils inscrivirent leurs slogans comme « Ne travaillez jamais ! » ou « Sous les pavés, la plage » sur les murs de Paris. Ces derniers devinrent des pages du traité révolutionnaire de Guy Debord, La Société du spectacle 12, que l’on pouvait parcourir en allant au travail pour lire les slogans de la résistance. La grève générale et la révolution ont certes échoué, mais avec le recul, Debord constata, non sans fierté : « Nous avons fait danser Paris. » Leurs idées furent reprises par des livres qui ont marqué mon enfance : Barbapapa de Talus Taylor et Annette Tison, qui avaient fait leurs études d’architecture en France, et Le Merveilleux Chefd’œuvre de Séraphin de ­Philippe Fix. La famille Barbapapa est évacuée d’une ancienne maison vouée à la démolition. En échange, les Barbapapa reçoivent un appartement dans un immeuble moderne. Ils s’y sentent piégés et 9 Constant, « Description de la zone jaune », in Internationale situationniste no 4, juin 1960. 10 Simon Sadler, The Situationist City, MIT Press, Cambridge 1998. 11 Peter Sloterdijk, Sphères III – Ecumes, traduit par Olivier Mannoni, Editions Buchet-Chastel, Paris 2005. 12 Guy Debord, La Société du spectacle, Editions Gallimard, Paris 1992.

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Développement urbain — Essai

Comité Enragés-­ Internationale situationniste A Nanterre comme ailleurs il n’y a plus de hasard, Nanterre, 14 février 1968. Organisateurs secrets basés à Nanterre, les situationnistes ont préparé les événements parisiens de Mai 68.


Constant De New Babylon, informatief, Uitgave Stichting Artishock, juillet 1965. © 2019, ProLitteris, Zurich

s’échappent à la campagne. Ils se défendent contre les bulldozers qui les poursuivent, se servant de fruits pour confectionner des bombes qui collent aux rouages des engins. Enfin libres, ils peuvent construire la maison de leurs rêves : chaque enfant a une chambre qui est moulée en sable sur le corps de Barbapapa. La maison ne comporte aucun angle, seulement des formes arrondies. Chaque pièce jouit d’une atmosphère propre. Barbidur peut faire du sport et utiliser des haltères, Barbibul observer les étoiles au télescope, Barbalala diffuser les sons de ses instruments avec des tuyaux d’orgue. Cette forme de vie a laissé son empreinte sur mes rêves. Aujourd’hui encore, je rêve régulièrement d’une maison idéale dans un paysage dégagé, avec des angles arrondis et, au centre, une piscine dont le plafond peut s’ouvrir grâce à des mécanismes coulissants. Elle évoque à la fois les villas des premiers films de James Bond et les illustrations des livres des Barbapapa. Comme j’aimerais pouvoir y vivre ! Dans le lit de Proust

Quant à moi, j’ai grandi dans un immeuble en bordure de forêt à Witikon à côté de Zurich. Aujourd’hui encore, l’architecture de cet immeuble structure ma psyché et mon image de la famille. Ma chambre près de celle des parents, un long couloir avec la salle de bain, puis un séjour avec cuisine donnant sur un petit jardin. Tout en angles et en arêtes, exactement à l’inverse de la maison des Barbapapa. Mais je reste attaché à cette image. Même si elle n’était pas ronde, ma chambre devenait, au fil des jeux, un radeau sur une mer houleuse, une grotte de dinosaures ou un stand de Formule 1 paré pour un changement de pneus. Cette force poétique des espaces sur les enfants a été étudiée par Marcel Proust. Il a ainsi écrit les trois mille pages de son roman A la recherche du temps perdu dans son lit, il avait tapissé de liège les murs de la chambre pour que le bruit de la ville ne le dérange pas dans cette recherche. Dès le début du roman, le narrateur s’endort et tournoie dans le temps et l’espace ; une belle femme naît de sa côte et il ne sait plus où il se trouve à son réveil. Dans une chambre d’hôtel au bord de la mer, dans la maison de sa tante, dans la chambre de son enfance ? Tout d’abord, il n’a qu’un souvenir fragmentaire de la maison de vacances de son enfance à Combray. Ensuite, après avoir goûté un morceau de madeleine trempée dans une infusion de tilleul, la maison et toutes ses pièces lui apparaissent, « et j’entends la rumeur des distances traversées ». Quand il dort par la suite dans des chambres inconnues, il éprouve de l’anxiété. Le plafond est trop haut, il se sent perdu. 95

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Proust décrit cela avec des phrases qui donnent le vertige et font peu à peu perdre des yeux le rapport avec la chambre par un débordement de subordonnées et d’adjectifs dans la syntaxe : « Chambres d’hiver où quand on est couché, on se blottit la tête dans un nid qu’on se tresse avec les choses les plus disparates : un coin de l’oreiller, le haut des couvertures, un bout de châle, le bord du lit, et un numéro des Débats roses, qu’on finit par cimenter ensemble selon la technique des oiseaux en s’y appuyant indéfiniment ; et où, le feu étant entretenu toute la nuit dans la cheminée, on dort dans un grand manteau d’air chaud et fumeux, traversé des lueurs des tisons qui se rallument, sorte d’impalpable alcôve, de chaude caverne creusée au sein de la chambre même, zone ardente et mobile en ses contours thermiques, aérée de souffles qui nous rafraîchissent la figure et viennent des angles, des parties voisines de la fenêtre ou éloignées du foyer et qui se sont refroidies.» 13

13 Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, Editions Gallimard, Paris 1999.

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Développement urbain — Essai


Alice Taylor & Thomas Taylor Barbapapa. © 2019, Alice Taylor & Thomas Taylor

Comment pourrait-on alors construire de tels espaces-phrases ? Des espaces où l’on perd le rapport central à son moi pour recueillir de nouvelles impressions comme, autrefois, les situationnistes lors de leurs dérives ? Paradoxalement, ce ne sont pas forcément des constructions postmodernes dans la lignée de Constant, mais peut-être d’anciennes visions et maisons qui reprennent vie. La maison en tant que tombe

Constant Spatiovore, 1958/1959. Aluminium, plexiglas, 25 × 41 × 38 cm. © 2019, ProLitteris, Zurich

HP Zimmer Sans titre, 1960. Kunsthalle Emden – donation Otto van de Loo. © 2019, ProLitteris, Zurich

Depuis trois ans, la maison de ma grand-mère est vide – c’est une laide construction en béton à laquelle j’attache pourtant de beaux souvenirs. En m’appuyant contre le garage, j’y ai appris à faire du monocycle. Des poules gloussaient dans le jardin, à la grande irritation des voisins. Et des plantes s’épanouissaient dans la serre. Mon grand-père avait dissimulé l’architecture en béton derrière d’affreux plafonds en bois. Mais je les oublie parce que ma grand-mère préparait une fabuleuse semoule à la cannelle dans la cuisine intégrée juste avant que je parte explorer une jungle dans le garage avec mon cousin. Par leur imagination, les enfants peuvent élargir les espaces dans l’invisible et vivre dans des univers que les architectes n’auraient jamais imaginés. La maison est donc vide depuis des années, depuis que ma grand-mère est décédée à la table de la cuisine un matin, alors que le café fumait sur la plaque électrique. Je me sens encore proche d’elle dans ce vide et ce froid de la mort. Je l’ai revue couchée sur son lit après sa mort. Dans mes souvenirs de cet autre monde lointain de Richterswil. Et je me demande : la construction d’un étage supplémentaire étant désormais autorisée dans cette zone à bâtir, quel genre de maison de rêve devrait-on y bâtir ? Mais peut-être, ce n’est qu’une idée, peut-être qu’il n’y a rien de plus triste que d’envisager de telles maisons de rêve. Non pas parce que l’on ne peut pas se les permettre. Mais parce que la maison rêvée est purement une illusion spatiale qui nous fait croire que nous pouvons bien nous installer dans la vie – alors que nous refoulons toute pensée à la maison de rêve et de deuil véritable, la tombe. En effet, si la technique et la statique nous permettent de maîtriser et concevoir à notre gré l’espace, elles nous laissent impuissants face au temps qui passe. La maison de mes rêves

La maison de mes rêves, elle ne se trouve pas au bord de la mer, elle ne doit pas non plus être entourée d’une étendue neigeuse scintillante qui fasse ressortir le confort et la chaleur 97

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intérieurs, elle ne requiert ni piliers ni colonnes, ni promenoir ni balustrades de balcons surplombant généreusement un jardin paradisiaque, non : la maison de mes rêves n’a nul besoin d’un architecte, mais doit être habitée par les bonnes personnes. Le dimanche, ma grand-mère doit être dans la cuisine et préparer ses tortellini maison. Mon grand-père devrait encore ­dessiner ses plans à cette table qui se trouve maintenant dans mon deux-pièces, et menuiser cette autre table intégrant des compartiments pour les couverts, les crayons et les photos jaunies d’anciennes amies. Mais il ne dessine plus. Il n’est plus de ce monde. Comment puis-je aménager cette maison en maison de mes rêves tout en portant le deuil de ceux qui devraient l’habiter, mais ne le peuvent plus ? Le rêve échappe à la loi du temps. En rêve, ils continuent tous de vivre, mes amis, mes proches, mes modèles, mes amies. Dans le rêve, tous les espaces-temps se superposent. Des images d’enfance prédominent souvent. Le philosophe français Gaston ­Bachelard, dont le livre La Poétique de l’espace 14 devrait être lu avant de faire construire sa maison (rêvée), a décrit à quel point les sentiments de l’enfance se condensent dans le rêve et dans la maison. La maison devient coquille et mère : elle fait écho aux sons d’autrefois, quand la mère cognait les assiettes ou lavait la salade dans la cuisine. Chaque chambre est une grotte dans cette coquille de l’éternelle marée où l’écume des jours et le sel des nuits solitaires bruissent simultanément.

Micky Maus, décembre 1973. © 2019, The Walt Disney Company

En sécurité à la ferme de Grand-Mère Donald

Oui, autrefois, le facteur m’apportait la maison de mes rêves toutes les semaines. Je dégringolais trois étages, la poitrine collée à la rampe d’escalier, avant de prendre le courrier, de remonter l’escalier quatre à quatre, de déchirer le paquet et d’en sortir le contenu : le coffre-fort de Picsou ou la ferme de Grand-Mère Donald. Le supplément bricolage du Journal de ­Mickey. Les ciseaux faisaient « couic couic », mes doigts se couvraient de colle. De pli en pli, le papier se métamorphosait en ferme de Grand-Mère Donald, habitée par Riri, Fifi et Loulou, entourée de vaches et d’arbres. Mais j’étais si excité que les arbres se pliaient et que la maison trônait, penchée, dans ma chambre. Renzo Ganz, le frère de Bruno Ganz, habitait chez nous à l’époque. Nous avions repeint l’appartement en rose. Lors d’une fête, les acteurs de Peter Stein étaient venus chez nous après avoir présenté l’œuvre de Shakespeare au théâtre Stadthof 11: elle s’ouvrait dans une pièce d’un blanc lumineux où les acteurs surplombaient 14 Gaston Bachelard, La Poétique de l’espace, Presses universitaires de France, Paris 1961.

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Développement urbain — Essai

Guy Debord Projet de Mémoires. Structures portantes d’Asger Jorn sans les ajouts de peinture d’Asger Jorn, 1958. Fondation culturelle Phoenix Art collection Falckenberg © 2019, Alice Debord


le public pour commencer à jouer. Par un couloir, on accédait à la scène suivante : dans la pièce étaient répartis les arbres dont le héros amoureux avait gravé l’écorce du nom de sa bien-aimée et dont l’odeur chatouillait nos narines – Rosalinde. Rosalina : c’est ainsi que se prénomme ma mère. Après la première, tous sont venus faire la fête chez nous. Toute la soirée, Bruno Ganz s’est tenu au seuil de la cuisine. Cette position au seuil m’a accompagné toute ma vie, dans toutes les caves et salles de bars illégaux. Je me surprenais toujours à ne pas ­vouloir m’avancer sur la piste de danse, mais à tout observer depuis le seuil. Réconforté par ce souvenir. Dans la tour de Séraphin

Philippe Fix Le Merveilleux Chef-d’œuvre de Séraphin. © 2019, Diogenes

Il était longtemps de bon ton de se moquer des illusions de sécurité des acquéreurs de maisons individuelles. Mais honnêtement, j’aimerais, comme dans le livre d’enfants Le Merveilleux ­Chef-d’œuvre de Séraphin, construire une gigantesque maison-­ tour de rêve au milieu de la ville, avec des créneaux étincelants et des constructions en bois audacieuses. Aussi haute que mes désirs. Mais la maison de Séraphin fut cernée par des spéculateurs qui bâtissaient des gratte-ciel et rétrécissaient de plus en plus l’espace libre. Finalement, ils envoyèrent la police pour chasser Séraphin et son ami Plume de la maison. Tous deux ­s’enfuirent de plus en plus haut. Jusqu’au dernier étage. Et à l’arrivée des policiers, ils prirent quelques marches et les ajoutèrent à l’escalier. Quatre marches. Ils les gravirent. Ensuite, ils reprirent la marche la plus basse et la placèrent en haut. Et ainsi de suite. Ils se déplacèrent donc sur leurs quatre marches en prenant de plus en plus de hauteur. Quatre marches portées par le désir de liberté, flottant dans le ciel, s’évadant à l’air libre, sous le regard envieux des policiers. Ce n’est pas la haine envers ceux qui s’offrent la maison de leurs rêves qui guérit les blessures de nos désirs, mais ­seulement la certitude qu’on ne peut réaliser sa maison rêvée qu’en s’échappant par l’imagination. Qu’on peut seulement ­habiter sa propre tête, cette tête avec toutes ses pièces, issues de couloirs et recoins de cuisine, avec ses chambres et tous les amis, avec ses cuisines et des grands-mères qui préparent des tortellini le dimanche. Un espace au-delà du temps. Dérive dans la périphérie

Pour explorer cet espace au-delà de tous les espaces, je dérive donc en psychogéographe dans la ville. Je suis sensible à la douceur féminine de places et de rues qui évoquent Ida, 99

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Gertrude, Berthe. A la lumière jaune de la pleine lune, je sens déjà croître des seins auxquels je tête la force de la Voie ­lactée. La pluie fait gonfler les fleuves. Je prends le train de bonne heure, bottes de pêcheur aux pieds, et j’arrive dans le Toggenbourg, ce « long accord mineur à travers l’histoire du monde » (Peter Weber). Son « faiseur de temps » fait apparaître brumes et vapeurs dans le paysage, derrière les immeubles de Wattwil. Je glisse déjà au fil d’un affluent de la Thur, curieusement baptisé « Steinenbach » (ruisseau de pierres). Les ombres des truites filent à travers l’eau. La mouche de la canne à pêche s’envole. Un poisson monte à la surface comme mon propre désir et fait frémir la canne. Je reprends mon chemin à la hâte. Dans la verdure sombre. On n’y distingue plus ni vallée ni immeubles. Les arbres me fouettent de leurs branches. Mon pied dérape sur le sol argileux. Un tourbillon m’incite à y jeter mon appât. L’eau du rivage fait disparaître les caniveaux de la ville. Je chancelle entouré de vert et de bleu. Un héron s’envole. J’entends déjà un murmure. Une immense cascade de désirs, les ombres de truites s’agitent dans le bassin. Les pierres mènent-elles, telles des marches, à un bar de la Langstrasse ? La ville et ses voluptés se dissolvent ici dans l’écume des jours. La forêt devient une ville et la ville une forêt. Le seuil de chaque courant devient un seuil de rue qui élargit la conscience. Suis-je en train d’entrer en chancelant dans un bar ? Ou de boire l’eau de la ville ? La canne à pêche frémit, une truite se montre, reluisante comme un passage piétons au clair de lune. Je ne sais plus où je suis. Est-ce le grésil­ lement d’une poêle dans la Gertrudstrasse ? Non, c’est une cascade. La ville est-elle devenue un fleuve des désirs et des pulsions ? L’écume dissout tout, je glisse sur des rails dans le train pour Zurich, comme dans les maisons de Constant, et les murs de la ville retiennent l’eau des désirs. Les angles de l’appartement sont poncés par l’eau, mon bureau flotte comme un radeau sur le fleuve, mais ce radeau est mon lit dans ma chambre d’enfant, long de presque quatre mètres, un lit sur lequel je pouvais faire des roulades sans penser au capital qui créait ces pièces ; je fais des roulades en passant devant la tour Eiffel, dont l’envie d’atteindre le ciel a inspiré aux situationnistes le rêve de la faire exploser une nuit reculée de 1950, mais cette aspiration ne cesse jamais, elle m’accompagne en dehors de Zurich, sur mon vélo, le long du fleuve, entre les constructions angulaires qui se courbent dans mon délire, car mes propres souhaits sont si puissants qu’ils dépassent toutes les 100

Développement urbain — Essai

Ed van der Elsken a photographié les jeunes situationnistes dans les bars parisiens et l’ambiance dans les rues parisiennes au début des années 1950. © 2019, Nederlands Foto­museum, Rotterdam


Dora Maar Portrait d’Ubu, 1936. © 2019, ProLitteris, Zurich

frontières que l’architecture leur impose, dans les rêves et rêveries qui nous libèrent tous des paradigmes de l’avant-garde et des paragraphes des plans cadastraux. Le moi n’est chez lui que lorsqu’il sort de lui-même. Dans le bruissement de la cascade, j’entends un poème d ­ ’Arthur Rimbaud : « Assez vu. La vision s’est rencontrée à tous les airs. Assez eu. Rumeurs des villes, le soir, et au soleil, et toujours. Assez connu. Les arrêts de la vie. – O Rumeurs et Visions ! Départ dans l’affection et le bruit neufs ! » L’enveloppe de nos maisons se dissout alors dans le fleuve des souvenirs de notre propre enfance et le désir de nouvelles villes. Si, comme des escargots, nous voulons nous réfugier dans la vieille coquille, nous remarquons l’horreur et, sous le choc de la beauté, inventons une nouvelle ville, la ville de nos rêves où la vapeur parfumée des tortellini de ma grand-mère embue les fenêtres et fait disparaître la maison d’en face pour faire place à une ville que nous pouvons découvrir chaque nuit, pour autant que nous suivions nos désirs au-delà des seuils du conscient, en tant que psychogéographes de notre propre désir qui fait éclater toute enveloppe.

Rogi André Jacqueline Lamba dans un aquarium, 1934. © 2019, Bibliothèque nationale de France, © 2019, Linéature

Stefan Zweifel, né en 1967, est docteur en philosophie. Il a traduit en allemand La Nouvelle Justine du Marquis de Sade (avec Michael Pfister), Les ­Rêveries du promeneur solitaire de Jean-Jacques Rousseau et les premières épreuves des Intermittences du cœur de Proust. Avec Juri Steiner, il a été commissaire de l’exposition Imagine 68 – Le spectacle de la révolution au Musée national suisse à Zurich, en 2018. Critique et animateur de l’émission Literaturclub à la télévision suisse alémanique de 2007 à 2014, il a reçu le prix des critiques littéraires de Berlin 2009 et celui de la médiation culturelle de Zurich 2017. 101

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Passeig de Gràcia, Barcelone, 1:13 000

Passeig de Gràcia, Barcelona

Barcelona, Eixample mit der Altstadt im Südosten und dem Quartier Gràcia im Nordwesten 1:10.000


LA DENSIFICATION NE DOIT PAS ÊTRE UNE COQUILLE VIDE Texte : Balz Halter Plans tirés de : Atlas zum Städtebau

Responsables politiques et opinion publique s’accordent sur un constat : si nous voulons préserver notre paysage, nous devons densifier l’espace urbain. Mais la mise en œuvre concrète de cette ambition se heurte régulièrement à de fortes résistances de toutes parts. Quelles stratégies adopter pour mener à bien, de façon durable et qualitative, la mission d’aménagement du territoire que nous nous sommes fixée ? 103

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Approuvée en 2013 à une large majorité de 63%, la nouvelle loi sur l’aménagement du territoire (LAT), entrée en vigueur en mai 2014, a pour principal objectif la densification vers ­l’intérieur du milieu bâti. Il s’agit d’absorber la croissance démographique actuelle et future en Suisse (10 millions d’habitants à l’horizon 2040, contre 8,5 aujourd’hui) tout en empêchant l’extension du territoire urbanisé. Les paysages, la nature et les monuments existants doivent être préservés. L’esprit de la loi est unanimement reconnu et accepté, et pourtant, cinq ans seulement après son entrée en vigueur et quelques timides premiers pas, la désillusion et l’impuissance règnent en maîtres. Les résistances au sein de la population se renforcent. Pas un projet de densification, ou si peu, qui ne soit combattu au moyen de procédures politiques ou de recours – par des particuliers, des groupes d’intérêt ou des services administratifs. Collision entre des intérêts aussi divers qu’individuels et entre des lois, des plans et des règlements d’application contradictoires : les blocages sont légion et entravent une densification pourtant urgente. Pendant ce temps, la croissance effrénée et non coordonnée du milieu bâti se poursuit, avec son cortège d’agglomérations sans visage ni âme et une pénurie flagrante de logements modernes et abordables dans les centres économiques. Pour traiter le sujet de la densification avec le sérieux requis et être à la hauteur du mandat politique que nous nous sommes donné, nous devons développer des visions, des stra­ tégies, des outils et des procédures appropriés, permettant de trouver un point d’équilibre entre les intérêts opposés, de faire avancer le processus de transformation à la vitesse requise et de poursuivre le développement de notre patrimoine architectural dans la qualité visée. Planifier et construire à nouveau des villes

La situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui n’est pas nouvelle. Dès la fin du XIXe et le début du XXe siècle, ­l’accélération de l’industrialisation a provoqué un accroissement de la population qui s’est accompagné d’une pression migratoire considérable sur les centres économiques. Pour répondre à la demande de logements abordables, de nouveaux quartiers denses virent le jour dans les communes de la périphérie de Zurich, par exemple, où s’installèrent principalement des travailleurs aux revenus modestes. Au regard des mauvaises conditions d’hygiène et des dysfonctionnements sociaux qui y régnaient, une première vague d’incorporations de communes fut réalisée en 1893 afin de permettre une planification globale. En intégrant la commune d’Aussersihl, Zurich gagna ainsi plus d’habitants 104

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qu’elle n’en comptait elle-même. La ville se développa alors à ses frontières extérieures en adoptant les modèles des métropoles de l’époque, notamment les immeubles en îlots fermés. ­Tandis que ce type d’habitat était alors peu apprécié et plutôt réservé aux couches de population défavorisées, Aussersihl, Wiedikon ou encore Seefeld font aujourd’hui partie des quartiers résidentiels les plus recherchés de Zurich en raison de leur densité urbaine élevée et de leurs espaces publics accueillants. La pression de croissance ne faiblissant pas, les édiles décidèrent d’organiser un concours international pour le Grand-­ Zurich, sur le modèle de Berlin. L’objectif était de réfléchir en faisant fi des frontières traditionnelles et de développer des visions et des stratégies reposant sur les approches d’urbanisme les plus modernes. La pragmatique et zwinglienne Zurich n’a cependant réalisé que quelques-uns des projets, pourtant intéressants et largement salués, présentés au concours. Pendant l’entre-deux-guerres, les crises et la pénurie de moyens financiers condamnèrent les grands projets visionnaires tels que celui qui avait fait naître, au XIXe siècle, sous la houlette de l’ingénieur municipal Arnold Bürkli, la Bahnhofstrasse, le quartier de la gare et l’aménagement des rives, à rester au stade de projets. Cependant, le concours permit de sensibiliser les esprits aux atouts de la planification urbaine et de ­l’urbanisme en Suisse. La nomination de Hermann Herter et Konrad Hippenmeier, deux lauréats du concours, aux postes d’architecte de la ville et d’adjoint à l’ingénieur municipal va marquer l’entrée dans l’administration de la ville des idées portées par un urbanisme moderne. Malheureusement, la prise de conscience et la culture de l’urbanisme n’ont été que de courte durée. Dès l’après-guerre, la voiture entame sa domination, soutenue par l’idée selon laquelle la mobilité est la meilleure alliée d’une croissance en cours de redressement. Des infrastructures de transport vont alors être conçues et construites sans égard pour les villes. Des agglomérations vont voir le jour, amorçant un mitage sans âme ni structure de notre paysage et de nos villages. La nouvelle loi sur l’aménagement du territoire est la manifestation politique du constat que nous devons mettre un terme à ce type de développement de l’habitat. « Densifier », tel est le nouveau mot d’ordre. L’injonction s’adresse à tous les cantons, toutes les communes, avec, pour conséquence, que nous allons densifier partout. Partout un petit peu, mais nulle part véritablement. Le principe démocratique veut que chacun paie son tribut à la croissance : personne ne doit supporter une trop lourde charge et personne ne doit en profiter indûment. 105

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Cité de Trévise, Paris, 1:13 000

Paris 1:10‘000, Erstes, zweites, neuntes und zehntes Arrondissement

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EducationalVersion

Zentralhof, Zurich, 1:13 000

Zürich, Altstadt mit umliegenden Quartieren Enge, Aussersihl, Industrie, Unter- und Oberstrass, Fluntern und Hottingen, Maßstab 1:10.000

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Piazza Farnese, Rome, 1:13 000

Rom, Centro Storico mit den historischen Quartieren Ponte, Parione, S. Eustachio und Regola 1:10.000

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L’effet en termes d’aménagement du territoire ? Un bétonnage de   l’agglomération. Les indices d’utilisation vont augmenter partout, dans une « mesure raisonnable » par égard pour les « structures établies ». Des zones dignes d’être préservées, par exemple des cités-jardins ou encore des quartiers de maisons individuelles, attrayants et recherchés, vont enfler démesurément, perdant leurs contours et leur caractère. Ailleurs, surélévations et extensions viendront compléter des lotissements moins réussis, prolongeant ainsi leur cycle de vie de 50 à 100 ans. La densification est indispensable, mais elle doit être réalisée intelligemment : au bon endroit, dans une mesure pertinente et en aucun cas là où il existe des structures de qualité dignes d’être préservées et répondant à la demande ni là où il en résulterait un trafic excessif. Seule une densification judicieuse pourra soulager un marché immobilier tendu. Elle seule fera naître des lieux denses, où une vie palpitante et des offres diversifiées pourront se développer et perdurer. En d’autres termes, nous devons à nouveau planifier et construire des villes. En Suisse, dans un milieu bâti bien délimité, cela signifie d’une part transformer les lieux bénéficiant d’excellents raccordements en véritables villes et d’autre part poursuivre le développement des villes à leur périphérie et créer des quartiers urbains denses. Le milieu bâti actuel doit faire l’objet d’une approche plus différenciée. Il faut créer des contours nets. Les incorporations de communes telles que celles pratiquées il y a cent ans ne sont pas indispensables. A l’inverse, l’idée d’un concours à l’image de celui du Grand-Zurich pourrait être reprise, également à Berne, Bâle, Lucerne, Genève et ­Lausanne. La planification urbaine et l’urbanisme doivent à nouveau être enseignés et pratiqués. Mettons à profit et ­inspirons-nous des nombreux exemples qu’offrent les villes européennes et faisons évoluer notre culture du bâti. Les gens recherchent la ville, une desserte excellente, la diversité de l’offre de travail, de culture, de gastronomie, de ­formation et de divertissement. Ils apprécient les rues et les places, les jardins publics et les rives aménagées. Ils ont besoin de logements abordables à proximité du centre-ville. Si nous voulons répondre à ces attentes légitimes, nous devons repenser, redéfinir et réaffecter le territoire en dépassant le prisme politique. Nous devons délimiter des espaces urbains et les planifier selon une approche stratégique, cohérente et axée sur un horizon temporel de plusieurs décennies, pour entamer ensuite une construction progressive et de grande qualité. Dans notre société fondamentalement démocratique, c’est plus facile à dire qu’à faire. Cela requiert des impulsions – ­ 109

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citons à titre d’exemple l’étude réalisée par le groupe d’architectes Krokodil –, de l’engagement, du temps et du travail de persuasion. Il faut des outils et des processus appropriés. Il faut remettre en question, modifier, voire supprimer complètement les plans existants, tout comme les procédures et structures traditionnelles. La tâche est ardue. Mais dans notre pays fédéraliste, nous pourrions avoir la chance de voir certains cantons ou certaines communes montrer l’exemple et ouvrir la voie à une nouvelle ère de l’aménagement du territoire, de l’habitat et de l’urbanisme suisses. Des règles d’urbanisme plutôt que des indices d’utilisation

Les exigences en matière d’aménagement du territoire ont changé, mais les instruments sont restés les mêmes. Ils datent de l’époque de la croissance industrielle où, pour des raisons d’hygiène de la construction, il a fallu séparer les utilisations les plus polluantes de celles plus calmes, une ère au cours de laquelle la mobilité individuelle n’a fait que progresser, alimentant les aspirations à vivre à la campagne, hors des villes bruyantes, malodorantes et à l’activité frénétique. Les zonages qui définissent aujourd’hui la majorité du territoire bâti portent encore en eux cette idée de la séparation des utilisations. Ils séparent là où aucune séparation n’est plus nécessaire aujourd’hui, voire où une diversification serait souhaitable pour stimuler et optimiser la mobilité. Les industries de haute technologie typiques de la Suisse, telles que la biotechnologie, la microélectronique ou le développement de logiciels, n’occupent plus des halles immenses et bruyantes, mais de plus en plus souvent des immeubles de bureaux. Aujourd’hui, les règlements de construction définissent le type et le degré de l’utilisation, les distances, les hauteurs de bâtiment, les structures de toit, etc. Ils sont schématiques, monotones et interchangeables. Ils ne sont porteurs d’aucune vision, d’aucun concept d’urbanisme, d’aménagement ou d’occupation. Ils ne font aucune distinction entre l’espace public et l’espace privé et son utilisation. Un ensemble de règles adapté à une zone industrielle ou commerciale a bien peu de chances d’être adéquat pour définir un quartier, que ce soit dans un village, une commune ou en centre-ville. Le résultat – cette succession indéfinie de maisons, d’utilisations et de faubourgs – est particulièrement visible sur le Plateau suisse, où aucune architecture, aussi bien conçue soitelle, n’est en mesure de compenser le manque de volonté de ­planification en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Les efforts déployés aujourd’hui pour parvenir à une 110

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densification de qualité, principalement sur d’anciens sites industriels, constituent de premiers pas prometteurs. Cependant, n’étant mis en œuvre qu’à l’échelle parcellaire sous le régime des plans de zones, sans tenir compte de l’espace dans son ensemble et tendant trop souvent, par excès de bonnes intentions, à s’étioler aux frontières, ils restent fragmentaires et se perdent dans l’immensité sans contours des agglomérations. Nous devons dépasser le régime des règlements universels et technocratiques sur les constructions et les zones et développer des idées spécifiques pour chaque lieu. Il s’agit pour l’essentiel de définir les espaces publics, routes, places, parcs et rives, car ces éléments relèvent de l’intérêt général, remplissent des fonctions d’utilité publique et déterminent le caractère et la vie d’un lieu. Les alignements (obligatoires), la hauteur des bâtiments et des gouttières peuvent ainsi reprendre de l’importance, tout comme la conception des façades et des rezde-­chaussée. Plus les règlements sont restrictifs à l’égard de l’espace public, plus la liberté accordée à l’intérieur des parcelles peut être grande. Il n’est plus nécessaire alors d’imposer des utilisations et des densités, celles-ci pouvant être laissées à la discrétion du maître d’ouvrage. Concernant les exigences en matière d’hygiène ou de police du feu, les lois et ordonnances correspondantes offrent une base suffisante. Naturellement, ­certains paradigmes, comme la protection contre le bruit et l’ensoleillement, doivent être remis en question, des restrictions excessives étant susceptibles d’empêcher la construction de logements urbains bon marché dans des endroits moins privilégiés en termes de bruit mais néanmoins demandés. Quant au règlement discutable sur les deux heures d’ombre, il constitue une entrave à la réalisation d’ensembles ou de quartiers d’immeubles élevés pourtant très efficaces et sensés en termes de densification. L’abandon des règlements génériques et abstraits sur les constructions et les zones au profit de directives de planification concrètes, répondant aux spécificités du lieu et capables de garantir le niveau de qualité requis exige une volonté d’aménagement, une prise de responsabilités et une affirmation ­politique. Choisir une idée, un concept, une stratégie et les défendre personnellement est une condition indispensable pour permettre une densification intérieure pertinente et de qualité. Il s’agit là d’un acte d’autorité de législation et d’adoption des plans. Et cela exige à la fois courage et leader­ ship de la part de l’exécutif ainsi que de la clairvoyance de la part du législatif. Malheureusement, bon nombre d’autorités politiques se soustraient à cette responsabilité. Elles laissent dans une large 111

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mesure aux maîtres d’ouvrage privés ou institutionnels le soin de lancer des projets de densification, pour leur imposer ensuite, dans le cadre de procédures dites coopératives, des règles et conditions, voire leur faire assumer des obligations et exigences qui dépassent leurs capacités. De plus, elles renvoient ces ­derniers à la procédure législative difficilement prévisible en matière de plans d’affectation spéciaux et aux révisions des plans directeurs et des règlements sur les constructions et les zones. Par le passé, de tels risques politiques pouvaient encore être compensés par les augmentations de valeur, principalement liées à la baisse constante des taux sur les marchés des capitaux. Mais il est à craindre que, dans un contexte de marché plus tendu, l’économie privée ne cherche plus à relever ces défis et opte pour des constructions standardisées. Une chose est certaine : la planification et le développement urbains se feront au hasard des initiatives privées et ne s’inscriront dans aucune vision ni aucun plan d’ensemble supérieurs. Procédures pour une meilleure qualité et davantage de sécurité juridique

La démocratie et l’Etat de droit sont des piliers essentiels de notre société, et cela transparaît aussi dans les procédures de planification et d’autorisation en vigueur. Les particuliers, les groupes d’intérêt et les autorités disposent de nombreuses voies de recours, la planification découle en majeure partie de décisions adoptées par voie de démocratie directe. Notre appareil législatif et normatif est très productif et nous disposons d’un nombre croissant de fonctions publiques et de fonctionnaires qui – sans nul doute pétris de bonnes intentions – tentent de prendre en compte tous les intérêts et d’éliminer tous les risques potentiels. Le prix à payer par les acteurs du marché et par l’économie est exorbitant. Nous planifions beaucoup trop longtemps, construisons beaucoup trop cher et entretenons une coûteuse armée de consultants et de juristes qui ne génèrent pratiquement aucune valeur ajoutée. Ainsi, contrairement à tous les autres secteurs de l’économie, y compris ­l’agriculture, la productivité dans le secteur de la construction n’a pas augmenté au cours des deux dernières décennies – elle a même reculé dans le secteur immobilier. Par la nature des choses, les projets de densification voient s’affronter une grande diversité d’intérêts et l’on observe déjà une nouvelle augmentation massive des recours ou d’autres actions retardant sensiblement ou empêchant leur poursuite. Ils se heurtent à la peur du changement, à la crainte de perdre son environnement habituel, ainsi qu’aux préoccupations ­écologiques et de protection de la nature et des monuments. 112

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Hackesche Höfe, Berlin, 1:13 000

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Berlin, Spandauer Vorstadt nördlich der Berliner Kernstadt und der Dorotheenstadt, Maßstab 1:10.000

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La multitude des voies de recours, les importants obstacles qu’elles constituent ainsi que la densité des intérêts consacrés par la loi menacent à différents titres le calendrier de réalisation, voire la réalisation à proprement parler, de tout projet de densification. Comme il est impossible de déterminer si les oppositions soulevées correspondent ou non à des intérêts effectifs, cette question devient accessoire. Si nous voulons promouvoir une densification sérieuse et pertinente, nous devons nous doter de procédures dans le cadre ­desquelles les intérêts privés et publics peuvent être évalués et pesés de façon juridiquement contraignante, à des coûts ­prévisibles et dans des délais raisonnables. La complexité croissante et la diversité des prétentions nous obligent à avancer progressivement et à recourir à des solutions comme celles qu’offre d’ores et déjà la numérisation. En Suisse, le concours d’architecture est considéré comme une procédure importante et largement établie pour garantir la qualité. Faisant la part belle à la créativité et à la diversité des idées, il peut, notamment dans le cadre de processus de sélection en plusieurs étapes, aboutir à des résultats de grande qualité et aux multiples atouts. Les exemples de concours d’urbanisme ou d’architecture très réussis sont légion. Le concours pour le Grand-Zurich, évoqué plus haut, en fait partie, même s’il n’a été mis en œuvre que dans une moindre mesure. Les concours d’idées permettent d’exploiter les immenses compétences techniques et créatives présentes en Suisse, mais aussi à l’étranger, et d’assurer la qualité et la durabilité de nos projets de construction publics et privés et de l’aménagement de notre environnement. Si les projets de construction reposent non seulement sur des normes qualitatives mais aussi sur des normes économiques, les chances que soient effectivement mises en œuvre les bonnes solutions augmentent. Pour cela, les concours de prestataires globaux ou d’investisseurs doivent être préférés aux concours de pure planification, car ils créent un effet contraignant, empêchent la présentation de projets fantaisistes irréalisables et fournissent en définitive des bases tangibles pour la prise de décision. Si, en outre, les participants au concours sont tenus au respect des principales données économiques, les échecs dus aux facteurs financiers peuvent, dans une large mesure, être écartés. Les mises au concours présentent l’avantage non négligeable de refléter des préoccupations très différentes et même contradictoires. Bien souvent, les projets de densification se heurtent à des intérêts écologiques ou relevant de la protection des monuments. Le programme du concours permet d’aborder ces intérêts divergents et d’en débattre, de les évaluer et de les 114

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équilibrer lors des différentes étapes de sélection. Le facteur décisif pour le succès de la procédure et de la réalisation ultérieure est toutefois que les différents représentants ­d’intérêts habilités à faire opposition plus tard non seulement soient consultés, mais qu’ils participent activement et de manière contraignante à la pesée des intérêts dans le cadre de cette procédure. Un concours, en particulier s’il comporte ­plusieurs étapes, est idéal pour mener un débat global et techniquement approfondi sur les solutions envisageables. Et, à défaut de toujours résoudre l’ensemble des conflits avec élégance, il a pour le moins l’avantage d’offrir un cadre pour ces discussions et d’approfondir certaines questions spécifiques. Pour que la pesée de l’ensemble des intérêts puisse se faire sérieusement et être porteuse d’avenir, toutes les parties doivent s’engager par avance à soutenir la solution retenue conjointement, c’est-à-dire la décision claire du jury, et à ne pas la torpiller dans une procédure ultérieure par des moyens juridiques, administratifs ou politiques. De trop nombreuses procédures d’adjudication complexes, longues et coûteuses ayant retenu des projets prometteurs sont réduites à néant parce que des groupes d’intérêt ou des représentants des autorités – alors même qu’ils participent aux procédures – se réservent le droit de faire opposition ou de déposer un recours à une étape ultérieure de planification ou d’autorisation et finissent par l’exercer. L’architecture et l’urbanisme sont des interventions qui déploient leurs effets à l’échelle locale, parfois régionale, mais très rarement au-delà. Il convient donc de veiller au ­respect du primat du fédéralisme. C’est à la population locale qu’il revient de façonner l’espace dans lequel elle souhaite vivre. Elle a sa propre culture, connaît les lieux et son patrimoine culturel et réalise ses propres idées. Par conséquent, sa souveraineté doit être préservée, sa compétence décisionnelle respectée, et les questions de permis de construire et d’adéquation doivent être confiées en premier lieu aux communes et, le cas échéant, aux cantons. La tendance à attribuer toujours plus de compétences aux échelons supérieurs ou à s’arroger des compétences décisionnelles doit donc être freinée, voire inversée. Cela s’applique à la législation, aux inventaires et à la jurisprudence. Une décision telle que celle rendue dans l’affaire Ringling ne devrait pas se produire – le Tribunal fédéral a en effet refusé le permis de construire à ce projet de construction résidentielle en ville de Zurich, alors même qu’il résultait d’une mise au concours garantissant la qualité et arbitrée par un jury incontestablement compétent et largement soutenu. Cela vaut aussi pour les inventaires fédéraux, tels que l’ISOS, 115

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qui couvre 20 % de tous les sites construits de Suisse. S’ils ne déploient pas systématiquement un effet protecteur contraignant, les inventaires fédéraux sont néanmoins souvent invoqués pour arguer de la possible importance nationale d’un site. Les procédures participatives impliquant un nombre aussi élevé que possible de parties prenantes dans la prise de décisions, en particulier les résidents et les citoyens intéressés, sont de plus appréciées. Elles permettent en effet de recueillir de bonnes idées et des préoccupations spécifiques qui, autrement, seraient passées à la trappe. Mais leur atout majeur réside dans le fait qu’elles créent une compréhension et une acceptation qui peuvent avoir un effet positif sur les processus politiques et juridiques ultérieurs et réduire les oppositions. Toutefois, les procédures participatives doivent être soumises à un contrôle très strict et requièrent une gestion très claire et habile, faute de quoi, elles risquent d’aller au-delà des ­objectifs souhaités, d’avoir l’effet contraire, voire d’empêcher les qualités visées. Une participation citoyenne exige un engagement personnel. Le processus invite les citoyens à s’impliquer et à formuler des visions ou des souhaits, qui peuvent se muer en frustrations et provoquer des résistances lorsque qu’ils ne peuvent être pris en compte en raison de diverses contraintes. La multitude des visions exprimées et le réflexe politique compréhensible de chercher à satisfaire tout le monde tendent à diluer des concepts qui étaient à l’origine riches en potentiel et fondateurs d’identité. Les souhaits exprimés par les citoyens reflètent souvent des besoins immédiats et sont fortement influencés par le contexte et les tendances du moment. Or, comme elle marque le lieu et la vie pour plusieurs décennies, la planification urbanistique et architecturale doit adopter une approche stratégique et de long terme, source parfois de conflits difficiles à résoudre. Il faut donc étudier avec soin l’opportunité de mettre en place une procédure participative, son timing et les questions sur lesquelles elle doit porter. L’expérience ayant montré que des procédures de concours structurées aboutissent aux meilleures solutions, des idées peuvent être développées dans le cadre de processus participatifs en amont de la définition des tâches pour être, dans la mesure du raisonnable, intégrées ensuite dans le programme du concours. A l’issue des procédures qualifiées, il peut s’avérer judicieux d’impliquer la population dans des questions spécifiques, notamment l’équipement et l’utilisation des espaces publics, en veillant à ne pas provoquer de débats sur les goûts et les couleurs et à ne pas saper l’idée originelle des auteurs du projet. 116

Développement urbain


La complexité des procédures de demande d’autorisation de construire s’est accrue au cours des dernières années et décennies sur fond d’exigences croissantes imposées aux bâtiments et de multiplication des normes, lois et ordonnances. De même, le nombre des intérêts légitimes a augmenté, entraînant dans son sillage une hausse du nombre des offices chargés des vérifications et des parties habilitées à formuler des oppositions. Il est à craindre que cette tendance se renforce, notamment en raison de la densification. Les coûts de ces procédures sont aujourd’hui considérables, tant pour le secteur privé et les entreprises que pour les cantons et les communes. Le prix économique ne peut plus être négligé, surtout au regard de l’allongement de la durée des procédures. Le numérique au service de procédures d’autorisation plus efficaces

A l’ère du numérique, on peut donc légitimement se demander s’il ne serait pas possible d’accroître l’efficacité des procédures d’autorisation en réduisant les coûts et les délais. Cela vaut en particulier pour la phase durant laquelle la sécurité juridique de la capacité d’obtenir une autorisation n’est pas encore acquise en raison des possibilités de recours de tiers. Les outils numériques disponibles aujourd’hui recèlent en effet un potentiel considérable de gains d’efficacité, potentiel qui serait encore renforcé si l’on remettait en question et restructurait la procédure d’autorisation dans son ensemble. Une structuration sensée et ciblée diviserait le processus d’autorisation en deux phases. La première traiterait de ­l’effet extérieur du projet de construction et de la possible violation d’intérêts juridiques des tiers. Elle se concentrerait sur des thèmes tels que la hauteur des bâtiments, les volumes, les utilisations, les accès, les émissions, voire les matériaux. Serait également analysée l’existence éventuelle d’un impact indu sur des monuments existants dignes d’être protégés ou sur la nature et le paysage. Ces questions peuvent avoir des incidences juridiquement reconnues sur des tiers et les habiliter à formuler des oppositions. Or, un recours, s’il est admis, peut conduire à la révocation d’une autorisation et entraîner la révision fondamentale d’un projet. La deuxième phase traiterait de l’effet intérieur, notamment de la sécurité, de l’hygiène de l’habitat et du bâtiment et de l’écologie. Ces aspects sont dans une large mesure régis par des normes et sont approuvés ou contestés lors de leur examen par les autorités compétentes. Le nombre d’opposants légitimes est alors beaucoup plus restreint et l’effet sur un projet de construction beaucoup plus faible. 117

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Wienfluss-Promenaden, Vienne, 1:13 000

Wien, Innenstadt mit den angrenzenden Bezirken 2 bis 4 und 7 bis 9, 1:10.000

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DĂŠveloppement urbain


Herengracht, Amsterdam

Herengracht, Amsterdam, 1:13 000

Amsterdam, Stadtbezirk Centrum mit den drei angrenzenden Stadtteilen Oost und Zuid 1:10.000

Amsterdam - Schwarzplan - M 1:10'000

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DĂŠveloppement urbain

Kramgasse, Berne, 1:13 000

Bern, Altstadt mit den umliegenden Quartieren Längasse, Altenberg, Schlosshalde, Kirchenfeld und Sandrain 1:10.000


En examinant et validant d’abord l’effet externe dans le cadre d’une procédure structurée, un premier obstacle important ­pourrait être franchi plus rapidement et à moindre coût, apportant une sécurité juridique dans les domaines essentiels pour le public et le voisinage. Les demandes d’autorisation ne requerraient plus un niveau de justification et de détail aussi élevé qu’actuellement, ce qui réduirait massivement le risque d’une planification erronée voire inutile, mais aussi le délai s’écoulant jusqu’à la décision de construire. L’élaboration détaillée du projet aurait lieu au cours de la deuxième phase et servirait de base à l’examen de l’effet interne, par exemple pour l’ouverture à la construction. Dans les deux phases, la numérisation peut apporter un soutien très précieux et améliorer considérablement l’efficacité et la qualité de la vérification. Concernant l’effet externe, les outils 3D permettent de présenter un projet dans un environnement numérique, grâce à la réalité virtuelle, voire d’intégrer le projet dans l’environnement réel, grâce à la réalité augmentée. Par le biais de ces technologies, chaque projet peut être examiné sous tous les angles, en simulant n’importe quelle heure du jour à n’importe quelle saison, avec la position correspondante du soleil – un atout indéniable pour mener des discussions fondées et examiner avec précision les intérêts en jeu. Les questions d’impact visuel, d’ombrage, de vue, etc. peuvent être appréhendées rapidement, sans aucune incidence financière. Si ces outils étaient mis à la disposition de tous, par exemple sur internet, on pourrait même envisager de renoncer à la mise en place de gabarits. Le modèle 3D, plus détaillé, établi lors de la deuxième phase pourrait être utilisé pour un contrôle algorithmique des normes lors des vérifications internes, et se substituerait aux fastidieuses vérifications manuelles. Un ordinateur pourrait réaliser ces opérations de façon objective et exhaustive, rapidement et à moindres coûts. Il serait en mesure de comparer tous les aspects, normes et règlements et d’inventorier les conflits. Les technologies requises existent déjà et ne font même pas appel à l’intelligence artificielle, même s’il y a fort à parier que cette dernière apportera des gains supplémentaires considérables. La densification : une chance historique

La densification ne doit pas être comprise uniquement en tant que stratégie ou mesure d’aménagement du territoire ou d’urbanisme purement axée sur la protection de la nature et du paysage. La densification représente une chance inestimable, à la 121

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fois sociétale, économique et politique, de réinterpréter notre milieu bâti et notre paysage, de faire évoluer notre culture du bâti, de créer de nouveaux lieux et de nouvelles villes agréables à vivre et de corriger certaines erreurs de planification. ­Pratiquée raisonnablement aux bons endroits, la densification offre naturellement la possibilité de créer, sous une forme mixte et sans subventions directes ou indirectes des pouvoirs publics, des logements aujourd’hui bien trop rares dans les centres urbains. Ce serait là une occasion unique de faire renaître une culture de l’urbanisme et de tenir un discours qualifié, différencié et holistique sur l’état actuel et sur l’avenir, le rôle et l’aménagement des villes, quelle que soit leur taille, tout en clarifiant l’importance, le fonctionnement et le caractère des espaces publics, des routes, places et rives aménagées. Le savoir-faire existe, les exemples dans les villes suisses et européennes ne manquent pas. Des procédures s’inspirant du concours pour le Grand-Zurich devraient également être envisagées. A cet égard, le fédéralisme est une chance, car il ­favorise l’identification et la diversité des concepts et stratégies. Il n’existe pas de solution unique pour la multitude de lieux et la multitude des histoires qui les ont marqués. Il faut un leadership, en particulier au sein des autorités politiques. La planification du milieu bâti et l’urbanisme sont des tâches régaliennes de longue haleine qui doivent survivre aux modes, aux courants éphémères et aux sensibilités. Elles doivent être pensées et mises en œuvre au-delà des clivages politiques. Elles exigent un discours démocratique, mais ne peuvent réussir qu’à condition que des personnalités et des autorités politiques, au niveau communal et cantonal, s’engagent et s’exposent en faveur de ces idées, processus et concepts, acceptant aussi le risque d’un échec politique.

Les plans des pages 102 à 123 sont tirés de l’Atlas zum Städtebau, paru en 2018 chez Hirmer Verlag, Munich. Cet ouvrage en deux volumes édité par Vittorio Magnago ­Lampugnani, Harald R. Stühlinger et Markus Tubbesing présente une sélection de 68 rues, places, cours intérieures et promenades de villes européennes. La collection, conçue avec le plus grand soin, donne un aperçu tout à fait unique de l’urbanisme européen. Elle se veut une invitation à approfondir, adapter et développer cette culture dans son environnement d’aujourd’hui et de demain. Balz Halter, entrepreneur zurichois et actionnaire principal de Halter SA, est actif depuis plus de trois décennies sur le marché immobilier suisse. Forte d’une histoire plus que centenaire, cette entreprise familiale a lancé de nombreux projets de développement urbain, en commençant par Zurich-Altstetten, projets qu’elle a, pour la plupart, également réalisés. 122

Développement urbain


Plaza Mayor, Madrid, 1:13 000

Madrid, Stadtzentrum mit den Quartieren Salamanca und Retiro im Osten 1:10.000

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KOMPLEX-M


MAGAZIN.CH


HALTER SA

Business Development

Mission Nous identifions des potentiels de développement de sites, terrains, projets de construction et immeubles, et les exploitons.

Organisation du groupe Markus Mettler CEO

Personnel 236 collaborateurs

Rolf Röthlisberger Service juridique

Mission Nous développons des visions et des business cases. Cela nous permet de détecter des potentiels de plus-value dans l’immobilier.

Chiffre d’affaires 2018 500 à 600 mio de CHF

Nik Grubenmann Communication

Personnel 13 collaborateurs

Adresses Siège de Zurich Halter AG Hardturmstrasse 134 CH–8005 Zurich T +41 44 434 24 00

Alexandra Stamou Gestion des produits et de l’innovation

Organisation Simon Schmid Région Zurich et Suisse du Nord-Est

www.halter.ch

Raphael Strub Région Bâle et Suisse centrale

Bureau de Bâle Halter AG Freilager-Platz 4 CH–4142 Münchenstein (BL) T +41 61 404 46 40 Bureau de Berne Halter AG Europaplatz 1A CH–3008 Berne T +41 31 925 91 91 Bureau de Lucerne Halter AG Zihlmattweg 46 CH–6005 Lucerne T +41 41 414 35 40 Bureau de Lausanne Halter SA Rue de Genève 17 CH–1003 Lausanne T +41 21 310 13 00 Bureau de Saint-Gall Halter AG St. Leonhard-Strasse 49 CH–9000 Saint-Gall T+41 71 242 44 10

Conseil d’administration Balz Halter Président Roger Dettwiler Membre Urs Ernst Membre Nicolas Iynedjian Membre

Thomas Bachmann Corporate Services

Olivier Thomas Suisse romande Herbert Zaugg Région Berne Deborah Eggel « Wir sind Stadtgarten » Alex Valsecchi Gestion des investissements et Movement Systems

Prestations globales Mission Nous optimisons des projets immobiliers et réduisons les coûts de construction grâce à une planification et une exécution intégrales. Personnel 99 collaborateurs Organisation Maik Neuhaus Directeur général Anna von Sydow Engineering Rainer Schmitt Planification et construction numériques Thomas Zenhäusern Projets spéciaux ­(développement et acquisition) Marcel Weber Région Bâle Theo Fahrni Région Berne

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Le groupe Halter en un coup d’œil


TEND AG

RAUMGLEITER AG

Philip Kiefer Suisse centrale

Mission Nous assurons les rendements et réduisons les coûts d’exploitation. Cela nous permet de réaliser des biens immobiliers plus précieux pour nos clients.

Mission Nous offrons une gamme complète de services dans le domaine de la conception et de la construction numérique, des modèles 3D et des visualisations haut de gamme.

Rénovations

Personnel 31 collaborateurs

Frédéric Boy Suisse romande Diego Frey Région Zurich et Suisse orientale

Mission Nous proposons des solutions globales et le savoir-faire artisanal en matière de transformations. Personnel 46 collaborateurs Organisation Felix Hegetschweiler Directeur général Daniel Handschin Développement et ­acquisition / rénovations Stefan Cavallaro Prestations de construction Roland Baron Rénovations Christian Ulrich Rénovations Andreas Wüthrich Service de construction

Développements Mission Nous investissons dans des développements de sites et créons des objets de placement. Personnel 29 collaborateurs Organisation Ede I. Andràskay Directeur général Andreas Campi Développements Mario Ercolani Gestion des constructions Est

Conseil d’administration Markus Mettler Président Roger Dettwiler Membre Organisation Jacques Hamers Directeur général Andres Stierli Facility management Philipp Schelbert (à partir du 1er novembre 2019) Gestion des transactions Adresses Siège de Zurich Tend AG Hardturmstrasse 134 CH–8005 Zurich T +41 44 434 24 24 Bureau de Bâle Tend AG Freilager-Platz 4 CH–4142 Münchenstein T +41 61 404 46 40 Bureau de Berne Tend AG Europaplatz 1A CH–3008 Berne T +41 31 925 91 91 Bureau de Lausanne Tend SA Rue de Genève 17 CH–1003 Lausanne T +41 21 310 13 00 Bureau de Chiasso Tend SA c/o Acofin Via Luigi Pasteur 1 CH–6830 Chiasso T +41 91 921 80 80

www.tend.ch Bertrand Borcard Gestion des constructions Ouest

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Personnel 30 collaborateurs Conseil d’administration Markus Mettler Président Roger Dettwiler Membre Organisation Daniel Kapr Virtual Design & Construction Matthias Knuser Recherche et développement Adresse Raumgleiter AG Pfingstweidstrasse 106 CH–8005 Zurich T +41 44 202 70 70 80

www.raumgleiter.com


KOMPLEX LE MAGAZINE DE HALTER SA No 12/2019

Editeur et adresse de la rédaction Halter SA Hardturmstrasse 134 CH–8005 Zurich T +41 44 434 24 00 www.halter.ch Concept du magazine et rédaction en chef Christine Marie Halter-Oppelt Design et direction artistique Studio Marie Lusa, Marie Lusa, Dominique Wyss Ont participé à cette édition Anoush Abrar, Hubertus Adam, Martina Bjorn, Christian Bischoff, Victoria Easton, Nik Grubenmann, Balz Halter, Senta Simond, Chantal de Senger, David Strohm, Carole Villiger, Joris Van Wezemael, David Willen, Stefan Zweifel Traduction Lionbridge Switzerland AG, Opfikon Correction Bettina Kunzer (édition allemande) Mario Giacchetta (édition française) Photo de couverture Etoile-Palettes, Grand-Lancy, Senta Simond Tirage 13 000 exemplaires (édition allemande) 2000 exemplaires (édition française) Impression et lithographie Druckerei Odermatt AG, Dallenwil Remarque Toute réimpression nécessite l’autorisation de la rédaction. L’indication des noms des photographes et des titulaires de droits d’auteur a eu lieu en toute bonne foi. ­Veuillez nous informer en cas de mention incomplète. Impression climatiquement neutre. Emissions carbone compensées par ­l’intermédiaire de ClimatePartner. www.swissclimate.ch No de compensation : SC2019082901 Imprimé en Suisse

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