Komplex 2022 FR

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LE MAGAZINE DE HALTER SA No 15/2022


Je me souviens encore parfaitement de la série d’images de la « Ronde annuelle des marteaux-piqueurs », accrochée au mur de ma salle de classe en primaire. C’était il y a plus de cinquante ans, et le fait que ces illustrations soient encore si présentes dans mon esprit aujourd’hui doit être dû à la fascination qu’elles exercent. J’étais captivé en comparant les dessins, en cherchant de nouveaux éléments, mais aussi les témoins ­restants du temps passé. Nous vivions à Uitikon, une localité zurichoise qui, dans les années 1970, s’est rapidement ­transformée de village agricole en commune d’agglomération. Cela m’a permis d’établir des parallèles et, avec le recul, je crois aujourd’hui me souvenir d’une certaine ambivalence, voire d’une certaine mélancolie. Mais à l’époque, du haut de mes 11 ans, je n’avais aucun jugement de valeur. Dans ce numéro de « Komplex », plusieurs articles reviennent sur cette époque : l’essai d’Hubertus Adam (p. 42), dans lequel figure l’illustration décrite, ainsi que les articles consacrés aux projets de rénovation de l’Hôtel International à Oerlikon (p. 12) et du centre commercial Metropol à Wetzikon (p. 120). Avec un demi-siècle de recul, nous constatons qu’un changement de cap s’est produit à l’époque. Après la croissance fulgurante des années 1950 et 1960, un certain désenchantement s’est installé. Les émeutes de 1968, le retrait des Américains de la guerre du Vietnam, la crise pétrolière qui a suivi la guerre du Kippour et l’abandon de l’étalon-or avec des taux de change fixes furent autant d’événements qui changèrent durablement le monde. Le Club de Rome annonça les « limites à la croissance ». Bien peu de personnes étaient alors conscientes de l’importance de ces événements. Pour ma part, ce sont les dimanches sans voiture, un taux de change du dollar à 4,30 francs et les rides d’inquiétude de mon père lorsqu’il parlait du développement de notre entreprise de construction qui sont restés gravés dans ma mémoire. Sommes-nous aujourd’hui confrontés à un tournant similaire ? Il semble y avoir des parallèles en ce qui concerne les limites à la croissance, la crise énergétique, les tensions sociales, les bouleversements politiques ou encore la politique monétaire effrénée. Nous le verrons sans doute bientôt. 2

Editorial


Le regard rétrospectif est une tradition dans notre magazine. Il nous éclaire à plusieurs égards. Parfois, nous nous rendons compte que bon nombre de théories et de concepts prétendument nouveaux ont déjà été pensés et réalisés sous une forme similaire par le passé. Nous découvrons des qualités dans des projets qui étaient qualifiés de fiascos à leur époque ou par les générations suivantes. Etudier l’histoire inspire et incite à aborder les idées actuelles ou personnelles avec un certain scepticisme et une certaine humilité. La nature humaine ne change guère, mais les possibilités technologiques dont nous disposons évoluent à un rythme de plus en plus rapide. La manière dont nous les transformons en ­opportunités dans notre industrie pour relever des défis connus ou (apparemment) nouveaux constitue un autre thème central de ce numéro. Les articles de notre nouvelle rubrique Exploitation & Cycle de vie (à partir de la p. 98) montrent des voies pour ­sortir de la dépendance aux combustibles fossiles et utiliser les ressources de manière plus efficace et durable. La rubrique Ingénierie & Production (à partir de la p. 144) s’intéresse, elle, aux processus et aux nouveaux modèles de travail et commerciaux. Les rencontres avec des personnes intéressantes occupent aussi une place particulière dans ce numéro de « Komplex » : dans notre interview avec l’architecte et urbaniste Markus Schaefer sur la ville industrieuse ou « Industrious City », nous appro­ fondissons la mutation des formes de travail dans un monde urbanisé (p. 110). L’entrepreneur Mark Imhof nous présente Luucy, une start-up avec laquelle il a créé une plateforme virtuelle qui permet de percevoir concrètement les évolutions spatiales (p. 136). Enfin, l’artiste Sophie Bouvier Ausländer nous explique la raison d’être de son travail d’intervention ­artistique « Ursinae » pour la BäreTower à Ostermundigen (p. 80). C’est avec grand plaisir et une certaine fierté que nous vous présentons le 15e numéro de notre magazine « Komplex » – un numéro à nouveau aussi varié qu’inspirant. Je vous souhaite une excellente lecture. Balz Halter Président du Conseil d’administration Halter SA 3

Komplex No 15/2022


www.halter.ch

Nr. 7 — 2014

k o M P l e X

2014

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2015

K O M P L E X

nr. 8 — 201 5

dAs MAgAZin dEr hALtEr Ag

Nr. 9 — 201 6

25.04.11 16:22

K O M P L E X

K O M P L E X

2016

Komplex, 15 ans déjà

Das MagaziN DEr haLtEr ag

2012

Nr. 9 — 2016

2009

BauEN iM BEstaND — DigitaLE urBaNität uND DiE NEuE staDt — MEhrwErtaBgaBE DEr LiMMat tOwEr iN DiEtiKON — aLEXaNDEr tschäPPät iM iNtErviEw — aMBassaDOr hOusE

2011

hAus dEr rELigiOnEn — ZEntruM EurOPAPLAtZ — hybridE häusEr MALL Of switZErLAnd — Ein hOchhAus für dAs ZwicKy-ArEAL — wOhnEn Mit sErvicEs

2008

www.halter.ch

nr. 8 — 2015

NR. 4

Das MagaziN Der halter ag

2011

Das Magazin von Halter Unternehmungen

Nr. 7 — 2014

NR. 4

KOMPLEX

Das hochhaus harD turM Park iN zürich-west – urbaNität iM liMMattal osterMuNDigeN ist überall – lebeN, wohNeN uND arbeiteN iM jahr 2024 – geNosseNschaftsbauteN

KOMPLEX

KOMPLEX, 15 ANS DÉJÀ

2010

2011

Die Zentrumsüberbauung parkside 26

Von der Brache zum Wohnquartier 38 Stadtentwicklung Architektur

Das erste Hotel von Alfredo Häberli 52

mivune steuert die Haustechnik 76 Technologie Immobilien

Generalunternehmen im Wandel 98 Finanzen

2013


Nr. 13/2020

www.halter.ch

NR. 10 — 2017

K O M P L E X

5 NR. 10 — 2017

DAS MAGAZIN DER HALTER AG

NR. 11 — 2018

DAS TRANSITLAGER VON BJARKE INGELS — BETREIBERVERANTWORTUNG — 3D -VISUALISIERUNG UND BIM HOTELINVESTMENTS — JACQUELINE DE QUATTRO IM INTERVIEW — STADTPARKS — DAS MODELL DER GESAMTLEISTUNG

K O M P L E X K O M P L E X

NR. 11 — 2018

DAS MAGAZIN DER HALTER AG

MALL OF SWITZERLAND — DIGITALES 3D-STADTMODELL LIMMATSTADT — 100 JAHRE HALTER DAS GESAMTLEISTERMODELL — MOBILITÄT UND STADTENTWICKLUNG — DIGITALER ARCHITEKTURWETTBEWERB

K O M P L E X

2017 2018 2019

2020 2021 2022

Nos couvertures de 2008 à 2022. Chaque numéro peut être commandé en ligne sur www.komplex-magazin.ch/fr.

Komplex No 15/2022


→ p. 2 Editorial

→ p. 4 Komplex, 15 ans déjà

→ p. 7 Journal

Architecture & Design → p. 12 Coup de jeune pour un monument

→ p. 24 La tour penchée de Bâle

→ p. 42 Essai : La croissance et ses limites – Une rétrospective de l’architecture des années 1970

→ p. 56 Habiter le paysage

→ p. 64 Jeu de cubes

Société & Environnement → p. 72 Chronique : Sous l’avalanche des oppositions

→ p. 76 La voix politique à Berne

→ p. 80 Entretien : « Les artistes ne cessent d ­ ’explorer les questions liées à leur travail »

→ p. 92 Ancienne poste, nouveaux bureaux

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Sommaire


Mouvement sur l’Aar

Sans grand remous, le plan d’affectation du site d’Attisholz (photo) a été approuvé fin 2021 par le Conseil d’Etat du canton de Soleure et adopté par la commune de Riedholz. Ainsi la principale base de planification pour la future transformation du site est-elle entrée en vigueur. Une première procédure de mandats d’étude parallèles, portant sur un périmètre d’environ 70 000 mètres carrés, a pu être lancée pour la zone centrale. Six bureaux d’architectes paysagistes nationaux et ­internationaux ont soumis leurs propositions pour aménager les espaces ouverts et urbains. Le cahier des charges portait sur une question centrale, à savoir comment créer des conditions durables et évolutives pour mettre en valeur le cadre de vie des habitants, des entreprises et des visiteurs sur le site d’Attisholz. Dans cette optique, le bureau d’études viennois DnD Landschaftsplanung a été unanimement recommandé pour la qualité et le potentiel de ses interventions. Ainsi ont été posés les jalons d’un développement réussi du site. Cet été encore, un programme culturel et de loisirs varié sera proposé dans ce site industriel désaffecté, dont le cadre est absolument unique. Week-end street food, festival techno Mission, concert de Marc Storace & Friends – musicien légendaire du groupe Krokus –, retransmission en direct des matchs de la Coupe du monde de football dis­ putés par l’équipe suisse dans la Kiesofenhalle ne sont que quelques-unes des activités pro­ posées. Le site d’Attisholz vaut donc plus que jamais le détour. → www.attisholz-areal.ch

Travail 2.0

Il y a un an, The Branch ouvrait son espace de cotravail dédié aux secteurs de la construction et de l’immobilier au JED, l’ancienne impri­ merie de la NZZ située dans la Zürcherstrasse, à Schlieren. The Branch Collab propose des espaces de travail modernes pour les particuliers ainsi que des bureaux partagés pour les équipes, un lounge de travail, plusieurs salles de réunion et deux autres dédiées notamment à la formation. L’offre a rencontré un tel succès que d’autres espaces ont été ouverts en avril de cette année. Outre dix bureaux à deux ou quatre places, ils comprennent également trente postes de travail en libre circulation. Un grand lounge de travail où l’on peut aussi se restaurer vient compléter l’offre, sans oublier les box de réunion pour les rencontres informelles et les cabines pour passer ses appels en toute tranquillité. → www.thebranch.ch

Les choses en grand

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En décembre 2021 est paru le deuxième numéro du célèbre magazine culturel zurichois « Du » autour du thème de l’urbanisme. Elaboré en étroite collaboration avec la Fondation Culture du bâti Suisse, il aborde la question de l’aménagement des villes à grande échelle en dépassant leurs limites administratives afin de couvrir tout l’espace fonctionnel et ainsi mettre la ville en relation avec son environnement. Depuis le début 2020, Balz Halter s’engage activement dans son rôle de vice-président de la nouvelle fondation. L’organisation a pour mission de promouvoir une culture architecturale de haut niveau en Suisse et d’éveiller les consciences en suscitant un dialogue sur l’importance d’un aménagement de qualité. → www.du-magazin.com, → www.fondation-culture-du-bati-suisse.ch


Pour la vie

La start-up belge Nobi a été créée pour simplifier et sécuriser le quotidien des personnes vulnérables. Dernière idée de produit en date : une détection intelligente des chutes, intégrée dans un luminaire (photo de gauche). Elle est destinée à un usage domestique ou en établissement médicosocial. Afin d’éviter toute impression de surveillance, son design, certes attrayant, est resté volontairement très discret. Mais cette lampe recèle d’autres atouts. Elle est équipée d’une commande d’éclairage et d’une IA enregistrant les schémas de mouvement au cours de la journée. Ainsi allume-t-elle automatiquement la lumière lorsqu’une personne se lève de son lit la nuit et active une alarme en cas d’activité inhabituelle. Les données recueillies permettent également de dresser un bilan de l’état de santé général des utilisateurs et de prendre les mesures de soins et d’assistance adéquats. Ayant pour objectif de se développer à l’international, l’entreprise a annoncé une levée de fonds début 2022. Au total, Nobi a réussi à rassembler 13 millions d’euros auprès de différents fonds d’investissement européens. Soutien de la première heure, Balz Halter siège à son conseil d’administration. → www.nobi.life

Nomen est omen

Halter SA vient de remporter un nouveau projet d’envergure. L’achat de deux immeubles de grande hauteur à usage commercial et de bureaux datant de 1992 à Lupfig, en Argovie (photo du milieu), ouvre la voie à leur rénovation et à leur repositionnement sous le nom de ­Futurama. Afin de créer un site moderne et tourné vers l’avenir à la croisée de l’industrie, de l’enseignement et de la recherche, de la restauration et des loisirs, l’architecture singulière des bâtiments doit être reva­ lorisée par des interventions ciblées. Situé à proximité immédiate du Green Datacenter, ce projet de revalorisation mise sur le potentiel de synergie et de développement offert par la zone industrielle de Lupfig, cluster du centre Hightech Aargau.

Numérique et intelligent

La numérisation, la mise en réseau et l’évolution des besoins du marché immobilier ont ­fait émerger de nouveaux champs d’action dans l’exploitation des bâtiments. Tend AG épouse à son tour la tendance en accompagnant des projets d’avenir dans cet environnement passionnant qu’est la transformation. L’exploitation numérique globale de biens immobiliers crée de nouveaux usages et applications pour des expériences client de qualité. Des éléments modulaires associés à des processus et orga­ nisations allégés, voire remaniés, constituent aujourd’hui les bases d’une exploitation transparente et rentable. Au sein d’un écosystème ouvert, sa structure est fortement ­collaborative et offre des solutions appropriées dans différents domaines : pour une conception proactive dès la phase d’études, un déploiement cohérent et une exploitation robuste. Plusieurs projets phares soutenus par Tend AG sont actuellement en cours de réalisation. → www.tend.ch Journal


Ensemble, c’est mieux

En 2017, Halter a fondé « Wir sind Stadtgarten » dont l’objectif est d’implanter dans toute la Suisse des coopératives d’habitation partenaires lors des études et de la réalisation de projets de construction ou de rénovation. En 2021, les appartements de la coopérative Huebergass, à Berne, ont accueilli leurs premiers occupants. Malgré une aide ponctuelle, le bien est géré de manière autonome. Quel­ ques nouveautés ont été prévues pour 2022: outre le lancement du site internet « Wir sind Stadtgarten », une nouvelle coopérative baptisée Rüüssegg a vu le jour. A Emmen, son nouveau projet Seetalplatz a pour ambition de créer des logements abordables et d’utilité publique dans la région de Lucerne. Différents types de logements y cohabiteront afin d’en faire un lieu vivant ou règne la mixité sociale. Il s’agira notamment de logements standards, de micro-­appartements et de quelque 300 logements conformes au modèle coopératif. → www.wir-sind-stadtgarten.ch

Sur pression d’un bouton

MOVEment propose un concept d’aménagement astucieux avec des meubles modulaires qui coulissent automatiquement au gré des situations (photo de droite). Depuis son lancement, la demande ne cesse d’augmenter. En 2021, deux projets ont été réalisés à Sion et Zurich, avec une centaine d’appartements labellisés MOVEment. Cela porte à 170 le nombre d’appar­ tements désormais en service sur quatre sites à travers la Suisse. Cinquante-cinq autres unités sont en cours de production et seront opérationnelles sur quatre nouveaux sites à partir de 2022. D’ici 2024, 135 unités intégrées à des projets Halter devraient être installées sur six sites. Afin de s’adresser à différents groupes d’utilisateurs, l’évolution technique et le design du produit feront l’objet d’un effort continu. L’équipe réunie autour du directeur général Alex Valsecchi développe en ce moment le concept MOVEment light afin de répondre aux besoins spécifiques des étudiants. Un projet qui semble susciter de l’intérêt à l’étranger aussi : d’intenses discussions sont en cours dans toute l’Europe avec plusieurs entreprises désireuses d’obtenir la licence MOVEment. → www.move-ment.ch

Un portefeuille d’avenir

Une gestion immobilière moderne exige des opérateurs un changement de mentalité et l’utilisation de nouvelles technologies. Le BuildingCloud est l’une d’entre elles. Outil d’intégration de services et de données, il offre un aperçu en direct du portefeuille immobilier et de chaque bien. En l’utilisant, les propriétaires et gestionnaires de portefeuilles et d’actifs bénéficient d’une visibilité et d’un contrôle complets de leurs dossiers afin d’améliorer en continu leurs performances. BuildingCloud permet également de surveiller et d’optimiser l’énergie et le CO₂, la gestion, les revenus et les coûts d’exploitation. L’outil a été conçu dans l’écosystème Halter avec des groupes de travail internes, et a été présenté au grand public à l’occasion du salon IMMO22. → www.tend.ch

Komplex No 15/2022


Entre vin et logement

En 2021, le bureau Halter de Lausanne a réalisé quelques acquisitions. Etablie de longue date à Rolle, la maison viticole Schenk SA a choisi Halter comme partenaire de dévelop­ pement. Ensemble, les deux sociétés ont l’intention de réaliser le projet de la Cité du Vin (photo). Il est prévu de construire une nouvelle cave à proximité immédiate du site actuel, puis de créer pour la commune un quartier innovant et agréable à vivre sur la parcelle voisine. L’objectif est d’établir de nouveaux critères en matière de technique de production, d’écologie et d’aménagement : à l’instar de son homologue bordelaise, la Cité du Vin ambitionne de devenir un pôle d’attraction en Suisse romande en faisant découvrir la région et ses produits aux amateurs de vin. Le développement durable y jouera un rôle particulier. Le projet renoncera en effet à toute énergie fossile : ainsi, 2500 panneaux voltaïques transformeront l’énergie solaire en électricité. Les eaux du Léman seront même utilisées pour le refroidissement et le chauffage. Quant à la chaleur générée par les installations de production de Schenk, elle sera récupérée et réintroduite dans le système énergétique du quartier. Si tout se déroule comme prévu, le nouveau site de production pourra être mis en service à l’automne 2024. → www.schenk-wine.ch

Expertise et expérience

Le 1er mai 2022, Kurt Ernst Baumann, expert reconnu du secteur immobilier, a rejoint Halter SA. Responsable du développement et membre du comité de direction, il apportera son soutien à l’unité Développements. Ces dernières années, le besoin en logements sociaux à prix modérés est devenu urgent. Dans ce contexte, Halter SA poursuit le développement de ses activités dans le domaine de la construction de logements coopératifs. Dans son nouveau poste, Kurt Ernst Baumann assumera la responsabilité à l’échelle nationale de maître d’ouvrage des projets de la coopérative « Wir sind Stadtgarten » fondée par Halter SA. → www.wir-sind-stadtgarten.ch

La région s’engage

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La vallée de la Limmat constitue une zone urbaine diversifiée offrant un immense potentiel. La société de promotion économique Limmatstadt s’est fixé pour objectif de mettre en valeur ce potentiel en friche et de donner plus de poids et d’attrait aux villes et communes de la région grâce à une identité commune. Sa nouvelle image de marque « Limmat­ stadt. Raum für mehr » (litt. « Limmatstadt. De l’espace en plus. ») doit renforcer ce sentiment d’appartenance collective. Elle offre un espace public sur lequel la région peut promouvoir son dynamisme, sa diversité et sa force d’innovation. On retrouve ce slogan dans toute la communication de la place économique de Limmatstadt. Depuis début 2022, plusieurs localités, ainsi que le Zürcher Planungsgruppe Limmattal (ZPL, ou groupement d’aménagement zurichois de la vallée de la Limmat), se présentent avec les logos associés et signalent de ce fait qu’ils font partie intégrante de la région. → www.limmatstadt.ch Journal


Exploitation & Cycle de vie → p. 98 Pour une forêt de labels plus structurée

→ p. 102 Chronique : « Open API » ou inspiration Lego

→ p. 106 Moins d’émissions dans le parc immobilier

Développement & Urbanisme → p. 110 Entretien : « L’efficacité est le contraire de la résilience »

→ p. 120 Un coup libérateur et un escalier monumental

→ p. 128 Qu’entendez-­vous par « placemaking », et quels sont les éléments pro­metteurs ­asso­ciés à ce terme ?

→ p. 136 Changer le monde vite fait

Ingénierie & Production → p. 144 Le zéro net, une question d’assiduité

→ p. 148 Un bâtiment scolaire en un temps record

250

200

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1900

1925

1950

1975

2000

2025

2050

→ p. 158 Chronique : Integrated Project Delivery à tout prix ?

→ p. 162 Redistribuer les rôles

→ p. 168 Ici, tout le monde gagne

→ p. 174 Le groupe Halter en un coup d’œil 11

→ p. 176 Impressum Komplex No 15/2022


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COUP DE JEUNE POUR UN MONUMENT Texte : Deborah Fehlmann Visualisations : Züst Gübeli Gambetti AG Photos : Archives de l’histoire de l’architecture de la ville de Zurich, Michael Wolgensinger, succession Wolf-Bender

Dans les années 1970, l’Hôtel International était le lieu le plus sélect des quartiers nord de Zurich. On se donnait rendezvous au bar Check Point, au snack-restaurant Marmite ou à la piscine couverte avec sauna et salle de repos. Après avoir été rebaptisé Swissôtel, il a dû subir plusieurs rénovations, puis le Covid-19 est arrivé. Sa faillite fut suivie d’une utilisation transitoire. Aujourd’hui, on parle de réhabilitation. Avec de petits appartements, un balcon urbain et une chaîne d’hôtels branchés, ce colosse de béton devrait se ­métamorphoser en un biotope urbain à compter de 2024. Une étonnante transformation d’un jeune monument historique. 13

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Matelas et tables de chevet s’entassent dans l’entrée de l’ancien Swissôtel. Les déménageurs évacuent les chaises et les lampadaires par palettes. Dehors, le camion attend déjà sous l’auvent de l’allée. Au-dessus, vidée de ses occupants, la tour de l’hôtel s’élance à 85 mètres dans le ciel. Voisine immédiate de la gare, elle est pour beaucoup, passagers ou habitants, l’emblème par excellence d’Oerlikon. Mais les près de cinquante ans sans rénovation d’envergure ont eu raison de son éclat d’antan. L’état du bâtiment fut d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles Credit Suisse avait, dès 2018, demandé à Halter SA d’étudier ses projets de transformation et de déve­ loppement pour le compte du fonds immobilier propriétaire de l’édifice depuis 2012. L’autre raison était la baisse de fréquentation de l’hôtel. En 2020, avec l’arrivée du Covid-19, il a fallu se rendre à l’évidence : devant la faillite du Swissôtel, ­Credit Suisse a dû agir plus vite que prévu. Les autocollants et pancartes de couleur laissés dans les cages d’escalier rappellent encore l’utilisation temporaire qui en a été faite : début 2021, des logements partagés et un hôtel éphémère y avaient été installés afin d’éviter toute vacance durant la phase de projet. Pour la première fois depuis son inauguration en 1971, les éclairages de la tour s’éteignent à présent pour une durée prolongée. Les travaux de transformation et de rénovation menés sous la conduite de Halter Rénovations dureront au moins deux ans et demi. Clients de l’hôtel ou résidents permanents devraient pouvoir prendre leurs quartiers dans les premiers locaux rénovés à la fin de l’été 2024. Monoculture internationale « Cette tour est un élément urbain idéal au regard d’une telle situation centrale », estime l’architecte Roman Züst, dont le cabinet Züst Gübeli Gambetti a été chargé de la réhabilitation. Il évoque ici la silhouette des bâtiments d’après-guerre, caractérisée par leur grande plateforme surmontée d’une tour. A travers ses usages publics, le socle servait de liaison avec le contexte urbain, tandis que la tour – de bureaux ou d’habitation – se chargeait de densifier le bâti et de créer l’effet de distance désiré. A Zurich, la Geschäftshaus zur Palme construite en 1964 par Häfeli Moser Steiger ou encore le complexe Zum Bauhof signé Werner Gantenbein et achevé en 1967 en sont quelques exemples. 14

« Jusqu’à présent, l’usage hôtelier créait ici une sorte de monoculture », explique Roman Züst. Dès ses débuts, en effet, l’hôtel s’était exclusivement adressé à des clients venus de loin et nonobstant la présence du restaurant et des magasins au rez-de-­ chaussée, il restait largement à l’écart du quartier. L’« International », comme on ­l’appelait, était aiguillonné par le tourisme mondial. Le hall d’entrée abritait deux agences bancaires, un grand kiosque, une agence de location de voitures ainsi qu’un comptoir Swissair. Rien d’étonnant à cela, puisqu’aux côtés de l’entrepreneur zurichois Karl Steiner se rangeaient, sous la maîtrise d’ouvrage Hotel International AG, la Banque Populaire Suisse (rachetée en 1993 par l’actuel Credit Suisse), l’Union de Banques Suisses (fusionnée en 1998 avec la Société de Banque Suisse pour former UBS) et Swissair 1. Le premier étage abritait des salles de congrès et de réception équipées de technologies dernier cri. Outre leur programme de conférences ou de vacances, les hôtes venus du monde entier pouvaient y acheter des bijoux et des chaussures, ou se faire coiffer dans l’artère commerçante du rez-de-chaussée. Côté restauration, le bar Check Point et le snack-restaurant remplissaient la mission culinaire. Les 23 étages de la tour tota­ lisaient 348 chambres d’hôtel, un restaurant panoramique avec bar dansant et, dans la couronne revêtue d’aluminium, une piscine intérieure avec sauna et salle de repos 2. Un cloisonnement évolutif En termes de construction, ce grand hôtel était également à la pointe de la technologie. L’entrepreneur général Karl Steiner en avait dessiné les plans avec l’architecte Fred ­Widmer, et même dirigé la construction. Sur­ élevée par rapport au socle de deux niveaux, la tour repose sur une table de poutres en béton de la hauteur d’un étage. Pour les étages des chambres, c’est le système Allbeton de l’entreprise de construction suédoise Skanska qui a été retenu. D’un point de vue statique, il s’agit d’une construction ­cloisonnée avec murs intérieurs et plafonds bétonnés. Cependant, l’utilisation de coffrages réutilisables de la taille d’une pièce réduit considérablement le temps de con­s­ truction par rapport à une structure en béton coffrée conventionnelle. Il n’aura fallu que huit jours aux ouvriers d’Oerlikon pour réaliser le gros œuvre d’un étage standard Architecture & Design



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Architecture & Design


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Plan du 2e étage : ici, le toit du socle sera transformé en un balcon urbain 2. Obergeschoss Grundriss avec pergola et café. 31.01.2022

F a ltw a n d

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Umbau und Umnutzun 0 2 5 10 grand hall 20 Grundriss Erdgeschos Plan du rez-de-chaussée : le d’entrée de l’hôtel, les locaux ­commerciaux et le restaurant restent inchangés en termes d’usage. 31.01.2022

Umbau und Umnutzung Hotelhochhaus, Zürich

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Plan du 14e au 20e étage : la structure porteuse classée sera autant que possible préservée lors du changement d’affectation. Deux chambres d’hôtel ne formeront plus qu’un petit appartement.

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avec des chambres d’hôtel le long des façades, deux couloirs longitudinaux et une zone de desserte entre les deux3. Revers de la médaille, la structure est rigide et toute modification du plan, dispendieuse. Quoi qu’il en soit, l’idée initiale des architectes visant à supprimer la zone centrale non éclairée au profit d’une plus grande profondeur a vite été abandonnée. « Témoin exceptionnel du modernisme d’aprèsguerre à rayonnement national »4, le bâtiment est inscrit à l’inventaire communal des ­monuments historiques depuis 2021. Outre la façade, la conservation du patrimoine a considéré comme particulièrement dignes de protection les plans à deux couloirs de la tour, qui, cela dit en passant, sont typiques des tours de bureaux, mais pas des immeubles d’habitation datant de la même époque 5. Comment ce géant de béton rigide peut-il donc passer d’une monoculture à un biotope varié ? « La structure est polyvalente », affirme Roman Züst : la tour abritera des chambres d’hôtel jusqu’au 12e étage. Le remplacement des salles de bain et des ins­ tallations techniques ne nécessitera que de petites interventions dans la structure ­porteuse. Dans la partie supérieure de la tour, des deux-pièces de 38 mètres carrés occuperont en largeur l’équivalent de deux chambres d’hôtel. Le percement de murs est ici nécessaire pour relier les chambres aux séjours. Celles situées sur les flancs étroits de la tour seront attribuées aux appartements d’angle, plus grands Les futurs occupants des 21e et 22e étages vivront de manière encore plus compacte. Baptisés mini-lofts, ces appartements équivalent en superficie à une chambre d’hôtel. Ils se démarquent toutefois par une hauteur sous plafond un peu plus élevée dans le salon et par leur « compartiment » situé au-dessus de l’entrée et de la salle de bain, accessible au moyen d’une échelle. Pour certains, cet espace de rangement se transformera peutêtre en cabine de couchage, qui sait. Les habitants de ces mini-lofts auront le loisir de faire connaissance dans les buanderies communes situées au centre de chaque étage. Enfin, six « townhouses » de quatre pièces chacune s’étendront sur le dernier étage et les deux niveaux de la couronne. Disposant d’un accès au toit-terrasse, ce sont les seuls appartements de la tour qui bénéficieront d’un espace extérieur privé, avec de surcroît une vue à couper le souffle.

Plan du 25e étage : sous la couronne du bâtiment, dans le ventre du central technique, se trouvent les entrées des townhouses à trois étages.

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Surtout, l’immeuble a pour défi de mieux se connecter à la ville. A l’avenir, un large escalier en colimaçon invitera le public arrivant de la gare à monter sur le « balcon urbain », ainsi que l’appellent les architectes et le maître d’ouvrage pour désigner le toit-terrasse du socle. Sous la nouvelle pergola, clients, résidents et habitants du quartier s’y retrouveront autour d’un café ou d’un apéritif. « Pour nous, l’accessi­ bilité était cruciale », souligne Jessica ­Lindauer. Gestionnaire de portefeuille chez Credit Suisse, elle est responsable du fonds immobilier auquel appartient l’immeuble. « Dans un lieu aussi éminent, il est nécessaire d’impliquer le public. » « Afin d’offrir un visage plus accueillant et surtout plus jeune à l’espace hôtelier, il est prévu de faire appel à Mama Shelter, une chaîne d’hôtels française haute en ­couleur qui, comme Swissôtel, appartient au groupe Accor. Jessica Lindauer s’est par­ ticulièrement réjouie de la réponse positive adressée par la marque hôtelière fin 2021: « L’hôtel et les appartements s’adressent au même public, des citadins jeunes d’esprit qui voyagent beaucoup et aiment passer du temps en dehors de chez eux. » Elle espère de tout cœur que l’immeuble sera vivant et qu’une communauté émergera, comme ce fut le cas lors de son affectation éphémère. C’est aussi la raison pour laquelle les salles de conférence et de réception seront réduites au profit de zones de détente et de cotravail en libre-service. Redéploiement spatial Avant que cette nouvelle vie ne voie le jour, il reste encore beaucoup à faire dans la tour. « La dépollution à elle seule va nous prendre cinq à six mois », confie Alexander Delev, membre de la direction de Halter ­Rénovations. La coordination des installations techniques est très exigeante également. Dans les sous-sols, il faut en ajouter un certain nombre, notamment pour les nouveaux chauffages au sol dans les appartements. Les normes actuelles exigeant des renforcements statiques pour la sécurité sismique au niveau du socle et des sous-sols, toute la distri­ bution électrique doit être délocalisée. Si, en bas, l’espace se rétrécit, l’entresol de 1,70 mètre situé sous l’ancien restaurant panoramique sera, lui, vidé. Les mini-lofts y gagneront ainsi en hauteur et en espace de rangement. Il reste encore de la 22

place dans le central technique se trouvant sous la couronne, où se croisaient jusqu’à présent les canalisations de l’espace bienêtre. C’est ici que s’interrompent les ascenseurs, et dans le ventre de l’étage sans fenêtre se trouveront les futures entrées et les salles à manger des townhouses. La lumière du jour descendra du niveau supérieur par des ouvertures dans le plafond. Sur la façade protégée, les travaux seront beaucoup moins lourds qu’à l’intérieur. Les éléments en béton préfabriqués seront isolés à l’intérieur, lavés à l’extérieur et repeints dans leur couleur d’origine. L’efficacité énergétique des fenêtres datant de l’année de construction avait été renforcée dans les années 1990. Une expertise réalisée par un spécialiste des fenêtres et de la conservation du patrimoine a démontré qu’elles pouvaient être remises en état sur place. « Du point de vue de la conservation des monuments historiques, nous aurions pu remplacer les fenêtres, explique A ­ lexander Delev, mais cela aurait été moins écologique. » Ce qui manque encore à la tour, c’est un nouveau nom. Sans doute un retour aux origines s’impose-t-il. Avec le Mama Shelter destiné aux travailleurs nomades, des mini-lofts pour les globe-trotters juste au-dessus et des townhouses pour les couples sans enfants tout en haut, « International » serait parfaitement adapté. 1 Steiner (éd.), Hotel International, Zurich 1972, p. 4. 2 Ibid., p. 15 ss. 3 Ibid., p. 11 ss. 4 Ville de Zurich, Office de l’urbanisme, Service inventorisation et conservation des monuments historiques (éd.), Abklärung der Schutzwürdigkeit. Schul­ strasse 44, Hofwiesenstrasse 360, Hotel International (heute Swissôtel), 27 avril 2020, p. 50. 5 Ibid., p. 37.

Züst Gübeli Gambetti Architektur und Städtebau AG Les architectes Roman Züst, Michel Gübeli et Andrea G ­ ambetti avaient déjà une solide expérience lorsqu’en 2010, ils fondent leur cabinet commun à Zurich. Et les grosses commandes ne se sont pas fait attendre : parmi leurs premières réalisations figurent notamment la transformation et l’extension du site Hero à Lenzbourg (2015–2017), l’extension du siège de Google (2013) et le nouvel immeuble de bureaux et de séminaires HCP de l’EPF (2015), tous deux à Zurich. L’entreprise emploie aujourd’hui un peu plus de 70 personnes. Ses activités se déclinent sur toutes les échelles, du design de produits à l’urbanisme, et intègrent également des services de conception et de conseil. Outre la réhabilitation de la tour d’Oerlikon, Züst Gübeli Gambetti élabore actuellement plusieurs projets d’immeubles de commerces et d’habitation dans la région de Zurich. → www.z2g.ch

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p. 12 – L’immeuble de grande hauteur arbore la silhouette typique des bâtiments d’après-guerre, caractérisée par leur grand socle surmonté d’une tour. Il doit maintenant faire l’objet d’une réhabilitation. p. 15 – A la place d’une piscine couverte et d’un spa, la couronne abritera des logements originaux. Les townhouses de trois étages jouissent de la meilleure vue et sont les seuls appartements de la tour à disposer d’un espace extérieur privé (en haut). Grâce au café et à la nouvelle pergola (en bas), le toit-terrasse du socle, aujourd’hui à l’abandon, deviendra demain un balcon urbain animé.

S c h le u s e

pp. 16/17 – A ses débuts (ici des photos datant de 1972/73), l’Hôtel International se voulait un établissement cosmopolite, à l’image de son nom. L’hébergement et la restauration répondaient alors aux goûts de sa clientèle internationale, avec des salles de conférence et une offre de loisirs à la pointe de la technologie. Umbau und18/19 Umnutzung–Hotelhochhaus, Zürich pp. Alors que

l’extérieur de l’hôtel est resté pra0 2 fil 5 10 inchangé au des ans,20l’aménagement intérieur 31.01.2022 a toujours épousé l’évolution des tendances, comme en témoignent ces photos prises en 1984. tiquement Schnitt B-B

Coupe : des interventions plus importantes dans la structure protégée sont prévues dans les étages supérieurs et la couronne. Les démolitions de plafonds permettront d’installer les mini-lofts et les townhouses.

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p. 23 – Le large escalier en colimaçon faisant face à la gare invitera les clients de l’hôtel, les résidents et le public à séjourner sur le balcon urbain.

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LA TOUR PENCHÉE DE BÂLE

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Texte : Christine Marie Halter-Oppelt Photos : Lucas Peters

Vu de loin, le constat est sans appel : avec la Claraturm, la ville de Bâle a ajouté un nouveau solitaire à sa skyline. Avec ses 30 étages et près de 100 mètres, elle est certes un peu plus petite que la Messeturm située non loin, mais sa façade en aluminium anodisé brun lui confère une prestance particulière. Sa forme inclinée, qui se dresse vers le ciel comme une cale, exprime également sa force et son caractère. En s’approchant de ce géant conçu par Morger Partner Architekten, on s’aperçoit qu’il a également toute sa place dans son contexte architectural. La plus haute tour d’habitation de Bâle est construite sur un terrain situé à l’angle de la Clarastrasse et du Riehenring, et son annexe de cinq étages vient fermer le carré d’immeubles existant. Halter a été chargée en août 2018 par la société Balintra AG de construire ce bâtiment complexe. L’historique du projet remonte à 2007. Un concours avait permis à l’époque de définir les premières idées. Près de onze ans plus tard, après de longs travaux de planification et de nombreux obstacles, les pelleteuses ont enfin pu entrer en action et démolir les bâtiments existants. La phase des travaux n’a pas non plus été exempte de défis – le Covid-19 n’en étant qu’un parmi d’autres. Malgré tout, la livraison au maître ­d’ouvrage a eu lieu dans les délais. En décembre 2020, 60 appartements ont pu être achevés dans l’annexe, dont 35 équipés de la technologie MOVEment ; fin octobre 2021, 225 appartements locatifs ont suivi dans la tour, tout comme l’immeuble rénové de la Clarastrasse 57 avec ses 19 appartements locatifs supplémentaires. Depuis lors, la Claraturm prend l’allure d’un château fort dans le fourmillement de la ville, surtout la nuit. -> Infos complémentaires sur le projet et plans sous « Claraturm », www.komplex-magazin.ch/fr

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p. 25 – Par-delà le Rhin, le regard se pose sur les rangées de maisons du Petit-Bâle, aux origines pluricentenaires. Derrière elles se dresse la Claraturm, la toute nouvelle tour bâloise, qui pointe vers le ciel tel un monolithe noir. p. 26 – Le pont du Milieu (ou Mittlere Brücke) relie le Grand-Bâle au Petit-Bâle. Il donne sur la Greifengasse, qui débouche à son tour sur la Clarastrasse, au bout de laquelle se trouve la Claraturm, conçue par le cabinet d’architectes Morger Partner. p. 27 – Boutiques, banques, restaurants et un hôtel se trouvent le long de la très animée Clarastrasse. A l’angle du Riehenring, la Claraturm pointe vers le ciel, juste en face du hall d’exposition des architectes Herzog & de Meuron et son habit métallique scintillant. pp. 28/29 – L’entrée principale de la Claraturm donne directement sur le Riehenring. Son vaste hall d’entrée doté d’une installation lumineuse a été revêtu de dalles de pierre naturelle en travertin italien. Les murs en béton sont recouverts d’une lasure colorée subtile. p. 30 – Un escalier en colimaçon permet aux locataires d’accéder à la piscine depuis le sixième étage. Elle a été installée sur le toit plat de l’annexe et mesure 12 × 4,50 mètres. p. 31 – Vue sur la nouvelle cour intérieure qui jouxte l’immeuble de la Clarastrasse 57. Un jardin verdoyant avec des bancs et une pergola offrira un lieu de retraite paisible. Un abri couvert est prévu pour les vélos. p. 32 – Des éléments préfabriqués et anodisés en brun dessinent les lignes architecturales nettes de la façade de l’immeuble. Sa forme oblique crée un effet de dynamisme. Selon leur position, les stores à lamelles modifient en permanence l’aspect de la tour d’habitation. p. 33 – Dans l’un des appartements situés au sommet, la finition brune caractéristique de la façade intérieure frôle directement le parquet en chêne. L’îlot de cuisine a été placé juste devant la baie vitrée qui descend au ras du sol et qui est assortie de fenêtres à doubles battants à la française.

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pp. 34/35 – Face aux fenêtres, des piliers en béton préfa­ briqués inclinés révèlent la structure porteuse de la tour. Les câbles métalliques à l’extérieur, qui servent à guider les stores, constituent eux aussi un élément caractéristique. Grâce à un triple vitrage isolant, on n’entend pas le bruit de la rue, notamment dans les étages supérieurs. p. 36 – La cage d’escalier de secours est fonctionnelle, avec des rampes à barreaux métalliques galvanisés et des éléments d’escalier en béton préfabriqués. En cas d’incendie, l’installation de ventilation par surpression assure une voie d’évacuation verticale sans fumée. Cette protection anti-incendie technique est un élément indispensable à la mise en service d’une telle tour. p. 37 – De larges couloirs desservent entre six et neuf appartements par étage. Ils sont dotés de sols en pierre artificielle sobres et clairs ainsi que de la même lasure sur les murs en béton que celle utilisée dans le hall d’entrée. Le plafond au cadre blanc et les luminaires encastrés spéciaux créent une atmosphère accueillante et conviviale. p. 38 – Dans la Claraturm, les installations techniques ont été placées non seulement dans les étages inférieurs, mais aussi au 30e étage. Elles comprennent des monoblocs, des conduites apparentes ainsi qu’une installation d’accès à la façade avec plateforme élévatrice. La forme de la tour rend nécessaire un télescope pour effectuer l’entretien et le nettoyage des différents niveaux de la façade. p. 39 – Depuis la Messeturm, haute de 105 mètres, le regard se porte sur le hall 2, puis sur le bâtiment d’Herzog & de Meuron et finalement la Claraturm. Avec sa tour d’habitation, le cabinet de Morger Partner propose une réponse percutante à l’architecture du parc des expositions. p. 40 – Construit par les architectes Diener & Diener dans les années 1980, l’immeuble rénové de sept étages de la Clarastrasse 57 a désormais un nouveau vis-à-vis avec la Claraturm. Vus depuis la Clarastrasse, les deux bâtiments s’associent pour former un ensemble architectural urbain.

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LA CROISSANCE ET SES LIMITES

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UNE RÉTROSPECTIVE DE L’ARCHITECTURE DES ANNÉES 1970 Texte : Hubertus Adam

Œuvre de Jörg Müller, la « Ronde annuelle des marteaux-­piqueurs » (1973) – ici quatre planches sur sept – illustre la trans­ formation d’un lieu fictif entre 1953 et 1972. © « Ronde annuelle des marteaux-piqueurs »

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Les années 1970 ont marqué un tournant dans l’histoire et peuvent être qualifiées de période de changement fondamental, que ce soit sur le plan social, politique ou architectural. Les principaux acteurs de l’architecture moderne étaient décédés au cours des cinq années précédentes : Le Corbusier en 1965, ­Walter Gropius et Mies van der Rohe en 1969, Richard Neutra en 1970. Un changement générationnel s’est donc également produit. Diverses dates marquent l’abandon de l’idée d’innovation, d’expansion et de ­progression continues : les protestations étudiantes de 1968, le rapport du Club de Rome sur « les limites à la croissance » de 1972, la crise pétrolière de 1973 et enfin l’Année européenne du patrimoine architectural en 1975. En 1973, Lucius Burckhardt publie dans la revue « Das Werk » sa « critique des années 1960 », dans laquelle on peut lire ceci : « Les années 1960 ont apporté la crise de l’architecture insouciante, qui a mené fondamentalement chaque tâche vers une solution démonstrative. […] L’architecture fraîche et joyeuse sur la table rase […] montrait de premiers signes du déclin dont elle était elle-même responsable1. » L’article était illustré, entre autres, par des images tirées du recueil « Ronde annuelle des marteaux-piqueurs » de l’illustrateur Jörg Müller, paru la même année2. Les sept planches à rabats de grand format, largement diffusées également en dehors de la Suisse grâce à leur utilisation dans l’enseignement, montrent la transformation, entre 1953 et 1972, d’une localité fictive du Mittelland suisse au nom évocateur de « Güllen », utilisé auparavant par Dürrenmatt pour le décor de « La visite de la vieille dame ». Même si Jörg ­Müller ne voulait pas que sa suite d’illustrations fasse polémique, sa réception s’est réalisée dans le contexte d’une perception globalement critique de la décadence. Dans le sous-titre de son œuvre, Jörg Müller avait parlé de « mutilation d’un paysage », mais c’est sa destruction pure et simple qui a été perçue. Avec le « Lehrcanapé », qui a existé entre 1970 et 1973, Lucius Burckhardt a testé à l’EPF de Zurich une forme d’apprentissage non hiérarchique et expérimentale, et a ouvert le débat sur l’image de l’architecte et son rôle au sein de la société. Les chargés de cours invités allemands Jörg Janssen, H ­ ans-Otto Schulte et Hermann Zinn, qui ont analysé avec leurs étudiants l’activité de construction de logements de l’entreprise générale Ernst Göhner AG, se sont montrés plus radicaux 3. Leur approche marxiste a été sanctionnée et ils ont dû quitter la haute école en 1971. 1 2 3

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Lucius Burckhardt, « Kritik der sechziger Jahre » (Critique des années 1960), in : Das Werk 60, 12/1973, pp. 1588–1600, ici p. 1588. Jörg Müller, Ronde annuelle des marteaux-piqueurs ou La Mutilation d’un paysage, Aarau 1973. Collectif d’architectes de l’EPF de Zurich (éd.), « Göhnerswil » – Wohnungsbau im Kapitalismus (Construction de logements sous le capitalisme), Zurich 1972.

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Cela a provoqué encore plus de mécontentement au sein du département d’architecture. La crise a pu être désamorcée un an plus tard grâce à la nomination d’Aldo Rossi comme nouveau chargé de cours invité. Cet architecte milanais, eurocommuniste reven­ diqué, jouissait d’une certaine crédibilité auprès des étudiants contestataires, mais il se détourna de l’approche sociologique et canalisa l’énergie vers les salles de dessin en considérant l’architecture comme une pratique autonome. Aldo Rossi devint en quelque sorte le père fondateur d’une nouvelle architecture suisse, qui détermine depuis lors l’image de la construction helvétique. Jacques Herzog et Pierre de Meuron, qui avaient étudié aussi bien chez Burckhardt que chez Rossi, sont des exemples de cette lignée. Utopies et visions Cependant, toute une série d’autres positions et tendances de l’époque, aujourd’hui quelque peu oubliées, témoigne du bouleversement de l’architecture suisse autour de 1968. On peut citer dans ce contexte, par exemple, les organiciens Pascal Häusermann et Daniel Grataloup, actifs en Suisse romande et en France voisine, qui se sont intéressés aux maisons bulles en béton projeté armé. En 1968, Pascal Häusermann et sa femme Claude Costy ont créé leur propre maison-atelier, La Ruine, à Minzier, près de Genève : une œuvre architecturale plastique, à la fois grotte d’habitation et plateforme d’observation. Un an plus tôt, l’hôtel L’Eau vive avait vu le jour à Raon-l’Etape – chacune des chambres de l’hôtel est constituée d’une bulle, la plus grande d’entre elles servant de réception et de café. En 1966, Pascal Häusermann a rejoint le Groupe international d’architecture prospective (GIAP), un groupement informel qui a œuvré entre 1965 et 1970. Outre Yona Friedman, Ionel Schein et Michel Ragon, l’artiste et architecte germano-suisse Walter Jonas, qui travaillait depuis le début des années 1960 sur l’Intrapolis, une ville de maisons en entonnoir, comptait également parmi les membres. Rééquilibrer l’individualité et la collectivité était l’une des idées centrales de l’époque, et l’on constate que les ­lotissements de vacances constituaient un terrain d’expérimentation particulièrement apprécié dans ce contexte. L’architecte zurichois Justus Dahinden, également associé au GIAP, s’y est intéressé de près. A la fin des années 1960, il a conçu différents lotissements – pour la plupart jamais construits – qu’il a publiés dans diverses revues et dans des livres. La ville de loisirs Kiryat Ono près de Tel-Aviv, dédiée à l’esthétique pop, est restée au stade de projet, tout comme la Radio City constituée de collines en forme de dômes. Toutefois, Justus Dahinden 44

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est parvenu à concrétiser quelques-unes de ses visions à une échelle plus modeste. Le village Trigon dans le quartier zurichois de Doldertal (1966–69), dont les modules de base variables forment des cellules triangulaires de 50 mètres carrés, en fait partie, tout comme la grande discothèque Schwabylon à Munich (1970–74), qui s’est avérée un mauvais investissement et a été démolie peu de temps après. Avant cela, il avait déjà construit à Munich, en collaboration avec le sculpteur Bruno Weber, le restaurant Tantris (1971) qui, grâce à Eckart Witzigmann et à sa Nouvelle Cuisine, a servi de cadre à une révolution culinaire. Issu d’une famille d’hôteliers, il n’est peut-être pas si surprenant que Justus Dahinden se soit régulièrement intéressé à ­l’architecture hôtelière et de loisirs, notamment en concevant l’hôtel Twannberg qui surplombe le lac de Bienne (1980). L’architecte suisse André M. Studer s’est également penché sur le thème du regroupement de cellules d’habitation à cette époque. En 1967/68, il a travaillé sur le projet de la résidence de vacances Paradiesli près du village lucernois d’Altwis. Divers croquis montrent qu’André M. Studer cherchait des types appropriés pour les cellules d’habitation surélevées, afin de ne pas recouvrir entièrement la pente. La réalisation était d’abord prévue en béton, puis en plastique renforcé de fibres de verre. Pour ce projet, André M. Studer a demandé conseil à l’ingénieur Heinz Isler, spécialisé dans les constructions en coque et en plastique. En 1968/69, il a repris l’idée des m ­ aisons types surélevées pour le concours d’un lotissement d’étudiants de l’EPFZ sur le Hönggerberg zurichois, cette fois-ci sous la forme de champignons dotés d’un pilier central et ­d’éléments d’habitation suspendus entre deux tours de desserte. André M. Studer voyait son concept comme un « réseau de con­s­ truction biologique » et soulignait « l’interdépendance ouverte entre l’individu et le groupe4 ». Ainsi, des considérations éco­ logiques et sociologiques caractéristiques de l’époque devaient être intégrées dans le projet. André M. Studer n’était pas un pionnier avec ses idées. Les maisons en plastique étaient en vogue depuis les années 1950. Les nouveaux matériaux stimulaient les expérimentations, mais celles-ci allaient rarement plus loin que des prototypes. L’architecte bâlois Angelo S. Casoni a présenté son concept Rondo en 1969 à la foire aux échantillons de Bâle, puis en 1971 à l’exposition internationale des matières plastiques ika 71 à L ­ üdenscheid, en Allemagne. Suspendues à des gaines d’alimentation, les cellules devaient être rassemblées en structures arborescentes,

L’hôtel de vacances Twannberg (1980) de Justus Dahinden repose sur une structure de base hexagonale. La couleur rouge des fenêtres, des façades et des pointes des toits contraste avec le gris des toitures et des crépis. 4 © Hubertus Adam

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Citations tirées du descriptif de construction d’André M. Studer ; succession Studer, archives gta, EPF de Zurich.

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Le compendium de Justus Dahinden « Stadtstrukturen für morgen » (Structures urbaines pour demain) de 1971 réunit des modèles d’habitat visionnaires et utopiques. Y figure également son propre projet Radio City de collines résidentielles circulaires avec des maisons en terrasse sur la face extérieure de la calotte et des installations communes à l’intérieur. © « Stadtstrukturen für morgen »

Avec le projet de ville de loisirs en forme de cône tronqué, dont voici une vue en coupe, à Kiryat Ono (à l’est de ­Tel-Aviv), Justus Dahinden a développé son idée de Radio City. Destinée à accueillir 3000 habitants, la colline devait contenir des installations communautaires à l’intérieur ; des coussins d’air placés au sommet isolent l’univers intérieur. Pour les cellules insérées dans la structure porteuse, l’architecte avait prévu des « coques sandwich » en mousse synthétique. © « Stadtstrukturen für morgen »

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En 1971, Justus ­Dahinden a publié « Stadtstrukturen für morgen ». L’illustration de la couverture montre le projet Pneumacosm du groupe d’architecture autrichien Haus-Rucker-Co. © « Stadtstrukturen für morgen »

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un peu comme ce qu’avaient également imaginé Häusermann et ­Grataloup ; une des maisons Rondo de Casoni a survécu, presque par hasard, dans une zone industrielle de Fribourg-en-Brisgau. Les prototypes d’Angelo S. Casoni représentent l’essai de faire fructifier commercialement des cellules individuelles ; mais à cette époque, le sujet préoccupait également les cercles avant-gardistes de Vienne. Les groupes d’artistes-architectes actionnistes qui se sont formés à Vienne vers 1968 étaient ­particulièrement fascinés par les constructions pneumatiques, c’est-à-dire les structures gonflables et praticables. Haus-­ Rucker-Co firent office de pionniers, suivis par Coop H ­ immelblau. Les membres de Coop Himmelblau se sont également produits à Bâle en 1971 avec l’action Restless Sphere, en t ­ raversant le centre-ville bâlois dans une sphère pneumatique en plastique de 4 mètres de haut. La publication de Justus Dahinden « Stadtstrukturen für morgen » est parue la même année. Non seulement elle contient ses pro­ pres esquisses, comme sa vision urbaine Radio City et la ville de loisirs israélienne Kiryat Ono, mais elle donne également un aperçu complet des utopies internationales contemporaines en matière d’urbanisme et d’habitat. Selon le texte de la couverture, celles-ci se distinguaient des projets idéaux d’autrefois par leur diversité conceptuelle, leur rapport au social et les possibilités de développements futurs. Le panorama est des plus variés : il comprend aussi bien la ville spatiale de Yona Friedman que les projets d’Archigram, les visions des métabolistes japonais et les cellules en plastique empilées de ­Wolfgang Döring, mais aussi les maisons-bulles de Jean-Louis ­Chanéac ou Costy / Häusermann, ainsi que les « conglomérats cellulaires » de Joe Colombo et Haus-Rucker-Co. Les structures ­d’habitation pneumatiques de Coop Himmelblau sont également représentées. Des cellules individuelles d’une part, de vastes complexes résidentiels d’autre part : en 1970/71, André M. Studer a planifié un complexe résidentiel pour 1500 personnes dans la baie de Constance. Le projet concentrait toute la masse de construction en un seul complexe gigantesque, qui ressemblait à un entonnoir ouvert, se dressant vers le haut et censé accueillir un café panoramique en son sommet. Outre des logements et des appartements de vacances, des galeries marchandes avec des boutiques et des restaurants, des salles d’exposition et une piscine à vagues étaient prévues. Les investisseurs parlaient d’une « ville sous un seul et même toit ». En tant que mégastructure, ce ­complexe est un produit caractéristique de son époque et rappelle vaguement les visions d’Intrapolis de Walter Jonas. Des Komplex No 15/2022


difficultés de financement ont retardé le développement du projet, qui a fini par être définitivement condamné par la limitation à six étages maximum imposée par la législation en matière de construction sur les rives du lac de Constance. Le projet d’André M. Studer à Constance oscille entre deux époques : d’un côté, on peut le considérer comme un produit tardif du fonctionnalisme de l’économie de la construction de la fin du modernisme, de l’autre, des idées avant-gardistes se reflètent dans la forme globale, dans les concepts de logement et dans l’intégration de divers équipements collectifs. Quand construction rime avec destruction de l’environnement

« Gefährlichkeit der Utopien » (Dangerosité des utopies) est le titre d’un chapitre du livre « Bauen als Umweltzerstörung » (La construction comme destruction de l’environnement) de l’architecte suisse Rolf Keller, publié en 1973 et qui a également fait couler beaucoup d’encre hors de la Suisse. Cette publica­ üller, tion5, parue la même année que les « marteaux-piqueurs » de M présente elle aussi une argumentation essentiellement visuelle, même si Keller a accompagné les images de légendes, de notes et de petits textes. Si pendant des siècles, un équilibre a régné entre l’individualisme et l’ordre, le chaos et la monotonie sont désormais devenus les principes dominants : le chaos comme résultat d’un pluralisme égoïste, la monotonie comme conséquence d’une normalisation globale – une grimace et une perte de face. En indiquant les fonctions des bâtiments sur des photos de paysages urbains dispersés, Rolf Keller fait comprendre que celles-ci ne sont plus lisibles sur le plan architectural ; des noms de villes sont ajoutés aux photos de grands lotissements ou d’échangeurs autoroutiers pour dénoncer l’uniformité globale. Pour ce faire, Rolf Keller se sert avec maîtrise et suggestivité de différents éléments et stéréotypes de la critique de la modernité, qui étaient déjà utilisés au début du XXe siècle : ­critiquant la décadence, il travaille avec des comparaisons d’images avant / après, met à l’épreuve le récit d’une pathogenèse de la modernité (« Bilder einer Krankheit » – Images d’une ­maladie)6 et juxtapose des projets utopiques d’architectes anonymisés (Kenzo Tange, Justus Dahinden, Fritz Haller, Walter Jonas) avec des photos de leurs habitations privées, afin d’illustrer le décalage entre la théorie et la pratique 7. La Fédération des architectes suisses (FAS) n’est pas la seule à avoir fait l’éloge de cette « image non déformée de notre 5 6 7

Rolf Keller, Bauen als Umweltzerstörung. Alarmbilder einer Un-Architektur der Gegenwart, Zurich 1973. Ibid., p. 82. Ibid., p. 173.

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Le livre de Rolf Keller « Bauen als Umweltzerstörung » (1973) réunit des exemples suisses et internationaux. Rolf Keller a également publié une photo iconique de la démolition de la cité de Pruitt-Igoe à Saint-Louis, aux Etats-Unis. © « Bauen als Umweltzerstörung »


En 1970/71, André M. Studer a planifié un projet de grande envergure à Constance. Si les premières esquisses prévoyaient encore deux volumes, l’architecte a finalement concentré la masse de construction en un seul complexe de bâtiments qui ressemblait à un entonnoir découpé. Outre des logements et des appartements de vacances, des galeries marchandes avec des boutiques et des restaurants, des salles d’exposition et une piscine à vagues étaient prévus – les investisseurs parlaient d’une « ville sous un seul et même toit ». © Succession Studer, archives gta, D-Arch, EPF de Zurich

Dans son livre « Bauen als Umweltzerstörung » (1973), Rolf Keller illustre la destruction de l’environnement et l’urbanisation du paysage entre autres en prenant pour exemple la ville argovienne de Neu-Spreitenbach. La construction de cette ville satellite a été interrompue plus tard suite à la crise pétrolière. © « Bauen als Umweltzerstörung »

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Le caractère pittoresque de Seldwyla résulte de la renonciation à des plans types. Les maisons sont juxtaposées avec de nombreuses variantes, laissant entrevoir des ruelles et des places publiques. © Archives Hubertus Adam

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Le lotissement ­Seldwyla a été créé sous la direction de Rolf Keller. Le portail d’entrée est un vestige du marché des bouchers de Zurich, démoli en 1962. © Hubertus Adam

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environnement », comme en témoigne une lettre du comité central reproduite à la fin du livre8, la presse nationale et internationale a elle aussi accordé une grande attention à cet ouvrage, qui tombait manifestement à point nommé, et l’a généralement commenté de manière très positive9. Le magazine allemand « Der Spiegel » a consacré un compte rendu détaillé à ce pamphlet10. Toutefois, on pourrait objecter que la publication de Rolf K ­ eller a certes permis d’établir un diagnostic de la situation actuelle de la construction, mais qu’elle n’a pas abordé la question des solutions possibles. Le lotissement de Seldwyla à Zumikon près de Zurich constitue le manifeste construit de Rolf Keller lui-même. A l’époque de sa création, Seldwyla était vivement contesté, surtout en raison de sa forme pittoresque, prétendument inconvenante. En 1967, Rolf Keller avait fondé une coopérative avec des collègues afin de construire un lotissement modèle commun comme alternative aux grands ensembles de la fin de l’ère moderne. Après six ans de recherche, ils ont acheté en 1972 une parcelle de près de 2 hectares à Zumikon. L’indice d’utilisation du sol prévu de 0,5 a cependant dû être abaissé à 0,35. Entre 1975 et 1982, 31 maisons ont finalement été construites en trois étapes. Une brochure commerciale de 1974 parle d’un esprit de construction commun et de personnalités individuelles des maisons : contrairement à la cité Halen de l’Atelier 5 (1959–61), tout à fait comparable en raison de l’association de la propriété privée et de la copropriété (salle de club, piscine, place du ­village, garage souterrain), de la relative homogénéité des habitants issus d’un milieu cultivé de la classe moyenne, et de la situation en dehors de la ville, Seldwyla n’était pas basé sur des plans types. En effet, chaque maison était planifiée ­individuellement (ce qui obligeait à échelonner les travaux en fonction de l’intérêt des acheteurs), la hauteur, la pente du toit, la couleur et les matériaux étant imposés par Rolf Keller. On lui doit dix-huit maisons, deux à Rudolf et Esther Guyer, six à Max Lechner, trois à Manuel Pauli et deux à Fritz Schwarz. Considéré aujourd’hui comme le premier projet de construction postmoderne de Suisse, Seldwyla suivait l’idée d’une construction de maisons individuelles mitoyennes denses mais de petite taille, et devait ainsi montrer une troisième voie entre les grands lotissements et les quartiers de maisons individuelles suburbains, entre la monotonie et le chaos ; Keller parlait d’une alternative aux formes d’habitat de l’après-guerre : 8 9 10

Ibid., p. 191. Voir « Bauen als Umweltzerstörung » im Spiegel der Presse, in : SIA 92, 10/1974, pp. 1028–1031. « Bilder einer Krankheit », in : Der Spiegel, 17/1974.

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les grands ensembles, les villas et les maisons mitoyennes. Le langage des formes des bâtiments au crépi blanc, alliant le bois et le béton, permettait d’associer les constructions méditer­ ranéennes et corbusiennes aux constructions mexicaines, tout en faisant référence aux traditions suisses par l’intégration d’éléments de maisons démolies, même s’il s’agissait en fin de compte d’une construction patrimoniale artificielle. Seldwyla reçut un écho controversé dans la presse, mais fut aussi largement discuté dans les publications d’architecture. Fait marquant, le public spécialisé s’est montré généralement hostile à cette expérimentation. Seul le sociologue Lucius Burckhardt a réussi à inscrire le projet dans une autre lignée, qui allait de la cité-jardin anglaise aux « villages artificiels » alternatifs des années 1970, en passant par la cité Halen de l’Atelier 5.11 Il faut admettre qu’à l’origine, la cité était censée avoir une apparence plus « moderne ». Les premières esquisses montrent des maisons à toits plats, ce qui, tout comme une densification accrue, n’était toutefois pas compatible avec la législation locale en vigueur en matière de construction. Les grands ensembles et la crise économique

La crise pétrolière était en réalité une crise économique mondiale qui, en Suisse, a eu un impact notamment sur le secteur de la construction. Celui-ci s’est effondré au milieu de la décennie, ce qui a eu des répercussions sur les grands promoteurs immobiliers. Le géant de la construction Ernst Göhner AG, qui a réalisé 9000 logements dans le Mittelland suisse entre 1965 et 1980 en est un bon exemple. En utilisant des éléments préfabriqués, Göhner est devenu le pionnier des barres d’immeubles (Plattenbau) en Suisse, alors qu’il n’avait jusqu’alors pas joué un rôle significatif dans la construction des grands ensembles. Le Webermühle à Neuenhof près de Baden est l’un de ses lotissements de taille plutôt modeste, avec 450 unités d’habitation. Le complexe résidentiel, conçu par le célèbre bureau d’architectes steiger + partner de Zurich, est composé de quatre barres disposées en croix, de 30 à 150 mètres de long, qui atteignent 13 étages et sont orientées vers une place centrale. En 1974, seules deux barres étaient achevées. En raison de l’effondrement du secteur de la construction, les travaux n’ont pu être finalisés qu’en 1982. Le Webermühle fait donc partie des cités les plus tardives de l’entreprise Göhner, dont le dirigeant était déjà décédé en 1971. De ce fait, ce dernier n’a pas non plus subi les attaques 11

Lucius Burckhardt, « Künstliche Dörfer », in : Michael Andritzky / Lucius Burckhardt / Ot Hoffmann, Für eine andere Architektur, Francfort-sur-le-Main 1981, pp. 161–165.

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Réalisé à partir de 1973 par Peter ­Steiger, le ­Webermühle à Neuenhof près de Baden fait partie des cités les plus tardives d’Ernst Göhner AG. Après la rénovation énergétique, les bâtiments ont été repeints en blanc. © Hubertus Adam


L’achèvement de la cité Telli à Aarau, conçue en 1970 par Hans Marti et Hans Kast, a été retardé jusqu’en 1991 en raison de la crise pétrolière. © Hubertus Adam

médiatiques contre ses cités : ni la publication « Göhnerswil » du collectif d’auteurs de l’EPF de 1972, ni le film « Die grünen Kinder » (Les enfants verts) de Kurt Gloor, sorti la même année, qui aborde les effets d’une cité-dortoir standardisée et qui se termine sur une constatation amère : « Ainsi, cette société produit continuellement des personnes abîmées pour une société qui a besoin de personnes abîmées 12. » Des études ont toutefois révélé que la satisfaction des habitants des cités en question a toujours été relativement élevée, notamment en raison du bon agencement des logements et des loyers comparativement bas grâce à la préfabrication. Le Webermühle profite par ailleurs de sa situation dans le paysage de la boucle de la Limmat près de Wettingen – un avantage que ne présentent toutefois pas toutes les cités Göhner. Comme bon nombre de cités de l’époque, le Webermühle a depuis été rénové. A cette occasion, la couleur d’origine des dalles de béton, un orange soutenu typique des années 1970, a été abandonnée. La cité Telli à Aarau13, avec ses 1258 unités d’habitation, compte également parmi les réalisations tardives de grands ensembles en Suisse. En 1970, Hans Marti et Hans Kast avaient remporté le concours pour les quatre longues barres d’immeubles parallèles et légèrement coudées. En 1974, seuls deux des ­bâtiments en gradins, atteignant jusqu’à 15 étages, avaient été construits. La crise économique a également stoppé ce projet, si bien que l’achèvement total a été retardé jusqu’en 1991. La conception des plans était en grande partie dictée par les ­éléments d’aménagement définis par l’entreprise de construction Horta AG, ce qui laissait peu de liberté aux architectes pour les modifier. Cela a aussi conduit à une construction identique de la quatrième barre, réalisée tardivement après vingt-cinq ans. La cité Liebrüti à Kaiseraugst, construite entre 1972 et 1978, s’apparente d’une certaine manière à la cité Telli. Elle se compose de six barres d’immeubles également en gradins, disposées dans un ordre orthogonal. Ici aussi, les caractéristiques déterminantes sont de vastes espaces dégagés, la séparation des fonctions, la dissociation du trafic et la préfabrication. Le complexe résidentiel Grünau, qui comptait 455 unités d’habitation au total, a été construit en 1975/76 à la périphérie ouest de Zurich et constituait à l’époque le plus grand ensemble résidentiel de la ville14. Les architectes Heinrich Kunz et Oskar Götti, qui avaient remporté le concours en 1970, étaient les 12 13 14

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Werner Jehle, « Die grünen Kinder – zu einem Dokumentarfilm von Kurt Gloor », in : Das Werk 59, 4/1972, pp. 229/230. Felix Fuchs / Michael Hanak, « Die Wohnsiedlung Telli in Aarau : Eine 25-jährige Grossüberbauung im planerischen und städtebaulichen Kontext », in : Aarauer Neujahrsblätter 72/1998, pp. 131–160. « Gesamtüberbauung Grünau Zürich-Altstetten », in : Wohnen 49, 10/1974, pp. 262–264; « 455 Wohnungen in der Grünau Zürich-Altstetten », in : Wohnen 52, 3/1977, p. 43; Halter 1918–2018, Zurich 2018, pp. 67–70.

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Conformément à l’esprit du temps, les éléments préfabriqués en béton de la cité Webermühle étaient colorés en orange et en brun. La façade a perdu cet aspect après la rénovation. © Hubertus Adam

La cité Telli est composée de longues barres d’immeubles en gradins et légèrement coudées. La ville satellite située au nord-est d’Aarau se caractérise par ses vastes espaces dégagés qui s’étendent jusqu’aux rives de l’Aar. © Hubertus Adam

Une tour d’habitation constitue la dominante verticale de la cité Grünau, située à la périphérie ouest de Zurich. Au total, la cité Grünau comprend 455 unités d’habitation, intégrées dans un paysage aménagé en parc. Les travaux ont été achevés en 1975/76. © Hubertus Adam

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Dans la cité Grünau, deux barres d’immeubles coudées s’ajoutent à la tour d’habitation. © Hubertus Adam

principaux concepteurs du projet. Le site était en majeure partie constitué d’une réserve de terrain à bâtir de la ville, à laquelle s’ajoutaient des surfaces appartenant à la famille ­Halter. Le projet collectif de quatre coopératives d’habitation, d’une fondation municipale et de l’entreprise générale Halter & Co. (aujourd’hui Halter SA), qui a réalisé un tiers des logements, s’articule autour de deux barres d’immeubles de 250 mètres de long, coudées en plusieurs endroits, qui s’inspirent clairement de la cité du Lignon près de Genève (1962–71), et d’une tour comme dominante verticale. A l’époque, la cité Grünau a également suscité de nombreuses critiques en raison de sa situation insulaire due à différents ouvrages de voirie, de sa mauvaise desserte et de l’absence d’infrastructures sociales. Il est intéressant de constater que la jeune génération – et pas seulement en Suisse – porte un regard plus nuancé sur le phénomène du Plattenbau que ses détracteurs à l’époque 15. Cette évolution est liée à un intérêt croissant pour le brutalisme, qui s’explique notamment par le fait que de nombreux bâtiments de cette époque sont menacés de destruction 16. Toutefois, on perçoit également dans ces bâtiments des éléments qui peuvent nous inspirer à nouveau aujourd’hui, puisque de nombreuses questions de l’époque reviennent dans le débat. Enfin, avec le recul, il est fascinant de constater que jusque dans les années 1970, on pouvait encore voir et planifier les choses en grand. Si certaines utopies peuvent nous paraître naïves ou dépassées aujourd’hui: un regard rétrospectif sur le début des années 1970 est vraiment intéressant. Il est effrayant de constater que le rapport «Les limites à la croissance», paru il y a exactement cinquante ans, n’a guère perdu de son actualité non plus. 15 16

Fabian Furter / Patrick Schoeck-Ritschard, Göhner Wohnen. Wachstumseuphorie und Plattenbau, Baden 2013. Oliver Elser / Philip Kurz / Peter Cachola Schmal (éd.), SOS Brutalism – A Global Survey, Zurich 2017; également disponible en ligne sur www.sosbrutalism.org

Hubertus Adam (57 ans), né à Hanovre, est historien d’art et d’architecture indépendant, critique d’architecture et conservateur. En 1996/97, il a travaillé comme rédacteur pour la revue « Bauwelt » à Berlin, puis de 1998 à 2012 pour « archithese » à Zurich. De 2010 à 2015, il a dirigé le S AM Musée suisse d’architecture à Bâle. Hubertus Adam a publié de nombreux ouvrages sur l’architecture contemporaine, l’architecture du XXe siècle, l’art et la sculpture autour de 1900, l’histoire du design, l’architecture paysagère et la scénographie, ainsi que sur le thème du monument. Il travaille comme juré ainsi que comme conférencier, animateur et critique invité pour diverses institutions et hautes écoles internationales. En 2004, il s’est vu décerner le Swiss Art Award pour médiatrices et médiateurs d’art et d’architecture. 55

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HABITER LE PAYSAGE Texte : Héloïse Gailing Visualisations : Raumgleiter AG

Sur La Côte, la rive ouest du Léman entre Lausanne et Genève, la demande immobilière est forte et les terrains à bâtir sont rares. Dans ce contexte tendu d’urbanisation, quelques terrains préservés offrent encore des respirations dans le bâti. C’est le cas de la parcelle du Domaine du Lac, à Nyon, où ­Halter développe pour l’été 2023 un projet de 49 appartements, conçus par les bureaux Bonnard Woeffray et Lacroix Chessex, dans un parc où cohabitent architecture et paysage. 57

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Située au-dessus de la plage de Nyon, en surplomb du lac et à proximité du centre-ville, la parcelle qui accueille ce nouveau projet était un grand parc de 2 hectares. Au milieu, une maison de maître avait été construite au début du XXe siècle pour être la villégiature d’une famille bourgeoise de Genève. Aujourd’hui résidence principale recensée en note 3 à l’inventaire cantonal, la maison et ses annexes ont été conservées. L’ensemble du site a été requalifié de manière à créer deux domaines enchevêtrés de taille égale. Le dessin de la nouvelle limite, qui respecte le patrimoine bâti et végétal du terrain, ne donne pas à lire le découpage, de manière que chaque parcelle existe pleinement et cohabite avec la voisine. Les nouveaux bâtiments ne semblent ainsi pas être construits autour de la maison existante, mais bien dans leur propre jardin. Grâce à une réflexion menée sur l’insertion dans le site et une collaboration précieuse avec les services de la ville, trois bâtiments de gabarits vari­a­ bles ont été développés. Leur forme organique et leur faible hauteur (R + 1 + attique) permettent de préserver la maison existante et le patrimoine arboré du site, formé de ­bosquets d’arbres feuillus et de pins. Tout autour des bâtiments, le parc, conçu par le bureau MAP Monnier Architecture du Paysage, est commun et partagé entre les 49 logements de la PPE. Même au rez-de-chaussée, les appartements sont prolongés par des terrasses légèrement surélevées, ce qui assure une distinction claire entre le privé et le commun. Structure végétale Ce grand jardin collectif reprend le langage paysager du domaine en alternant surfaces de gazon fleuri et bosquets d’arbres, de manière à limiter les vis-à-vis entre les nouveaux bâtiments mais aussi avec la maison existante à l’ouest. Pour cela, la séparation avec cette dernière est constituée d’une alternance de masses arbustives et de modelés de prairie fleurie qui accompagnent de nouveaux bosquets d’arbres feuillus. Cette limite passive permet de conserver une certaine intimité tout en donnant à lire une continuité visuelle entre les deux parcs. Ailleurs, les bosquets forment les vides à construire et viennent renforcer la structure du domaine en marquant les entrées des bâtiments. Il s’agit d’arbres existants qui ont été conservés ou renforcés. Au nord, un nouveau groupe d’arbres majeurs marque l’entrée du site et le départ 58

de l’allée de desserte qui longe la limite est. Ce chemin, qui reprend le tracé d’une voie d’entretien, permet de relier le site au Léman via la promenade du Mont-Blanc. En rassemblant les accès aux immeubles sur une allée commune, le parc, libéré de toute circulation, prend toute sa dimension oisive et contemplative. En sous-sol, caves et places de stationnement suivent la répartition des constructions. Le bâtiment Lac possède son propre accès véhicules depuis la promenade du ­Mont-Blanc. Ce niveau ne communique pas avec les autres bâtiments dont l’entrée du parking commun se trouve à l’extrémité nord. Cette distinction souterraine permet de conserver les arbres existants et d’offrir un espace de pleine terre. Bien qu’elles participent à libérer le parc de tout véhicule, la mise en œuvre de ces installations souterraines mettent en péril le patrimoine arboré du site. Des précautions spéciales ont donc été prises pour protéger les arbres majeurs à conserver pendant le chantier, qui a démarré pendant l’été 2021, réduisant ainsi le périmètre d’intervention. Nommé d’après l’élément contextuel auquel il renvoie, chaque immeuble de l’opération est unique. En haut du terrain, le bâtiment Jura dialogue avec la chaîne de montagnes et le soleil couchant ; au centre, l’immeuble Parc rayonne sur son contexte immédiat ; en contrebas, le bâtiment Lac se déploie vers le panorama du Léman. En résulte un ensemble hétérogène mais harmonieux issu d’un pro­ cessus de conception mené en parallèle par deux bureaux d’architecture aux identités fortes : les Valaisans Bonnard Woeffray ont conçu les bâtiments Jura et Parc, et les Genevois Lacroix Chessex ont imaginé celui du Lac. Dès les premières études en 2018, Halter a souhaité faire collaborer deux bureaux afin de confronter leurs idées pour enrichir le projet. Après avoir défini ensemble le plan masse et quelques intentions générales, comme l’expression marquée des strates en béton des balcons, les architectes ont ensuite conçu trois bâtiments différents aux caractéristiques propres. Liaisons architecturales A l’entrée du site, le bâtiment Jura fonctionne comme une barre hybride s’épaississant aux extrémités pour accueillir les cages d’escalier qui desservent une variété d’appartements, allant du 2½ pièces mono-orienté Architecture & Design



au 4½ pièces traversant. Organisés autour de séjours généreux, les logements se prolongent au travers de grands vitrages toute hauteur en terrasses profondes et presque surdimensionnées. La façade légère, constituée de panneaux d’aluminium éloxé sur une ossature bois non structurelle, crée des biais et des décalages en fonction du plan intérieur pour offrir des espaces extérieurs variables. Aux angles, des poteaux-consoles en béton préfabriqué reprennent les portées des grands balcons et sont parfois doublés de porteurs intérieurs ainsi que d’appuis en métal dissimulés dans les parois de ­séparation des balcons. L’ensemble forme un jeu géométrique unifié par les garde-corps en serrurerie qui filent tout autour des bâtiments en formant un filtre. Le profil des barreaux, un L sur les 75 premiers centimètres qui devient une simple ligne sur le haut, permet d’intimiser les balcons tout en libérant la vue à hauteur d’assise. A côté, le bâtiment Parc reprend les mêmes caractéristiques architecturales, mais selon un plan condensé autour d’une seule cage d’escalier centrale. Les appartements profitent d’une double ou triple orientation qui procure au plan un effet de rayonnement sur son contexte direct. Au sud, le bâtiment Lac forme un front souple face au Léman. Sa forme courbe s’ouvre vers le paysage pour déployer des terrasses tout aussi généreuses que celles des bâtiments voisins. Là aussi, un jeu de redents, mais réguliers, permet de démultiplier le linéaire de façade et d’individualiser les balcons qui, cette fois, ne se retournent pas sur la façade nord. Le plan est organisé de manière symétrique et rationnelle, chaque moitié articulant trois appartements autour d’une cage d’escalier. Les logements centraux sont traversants tandis que ceux des extrémités bénéficient d’une triple orientation. La géométrie du bâtiment permet à tous les appartements de bénéficier d’une vue sur le Léman. A l’intérieur des logements, si les chambres sont plutôt orientées vers le parc, elles bénéficient tout de même de ­percées à travers les espaces vers le panorama. La façade, porteuse, est revêtue ­d’­éléments en béton préfabriqués qui participent à la structure. Des panneaux de béton teintés en vert et polis, qui résonnent avec les arbres autour, alternent avec les éléments d’angles, traités en béton de ciment blanc. Ce jeu de couleurs et matières 60

marque une certaine verticalité qui compense les lignes très horizontales des balcons, dont l’affinement des têtes de dalle accentue encore l’effet aérien. Afin de renforcer l’allure horizontale donnée par les porte-à-faux des balcons, une attention particulière a été portée sur les toitures, de manière qu’aucun volume technique, monobloc ou cage d’ascenseur ne dépasse. Travaillées comme les façades des bâtiments, ces surfaces végétalisées accueillent une quantité importante de panneaux photovoltaïques pour l’ensemble du site. Des sondes géothermiques assurent la production de chaleur et le refroidissement. En cohérence avec la relation souhaitée entre l’intérieur et l’extérieur, les appartements sont ventilés en simple flux. L’air est extrait dans les pièces humides et renouvelé par l’ouverture des fenêtres. Habiter le paysage, proche ou lointain, reste un thème récurrent dans la culture du bâti et bien souvent un fantasme. Il est en fait assez complexe de mener des travaux à proximité d’arbres et le jardin finit par être une construction à part entière. Ici, la préexistence du parc et le respect de son patrimoine arboré ont directement contribué à l’architecture. Les vides entre les bosquets ont façonné l’emprise des bâtiments ; l’omniprésence du panorama a par­ ticipé au dessin des plans dans une recherche de continuité spatiale et visuelle entre l’intérieur et l’extérieur. Pourtant, les immeubles ne tendent pas à se fondre dans le décor et assument leur présence construite. Avec un certain recul depuis leurs terrasses, les habitants du Domaine du Lac pourront donc jouir à 360 degrés de cet environnement encore préservé. -> www.domainedulac.ch

Monnier Architecture du Paysage SA Maxime Monnier fonde à Lausanne le bureau Monnier Architecture du Paysage (MAP) en 2013 et intervient depuis sur une grande variété de projets et d’échelles. Le bureau a réalisé les espaces publics de plusieurs établissements scolaires ou quartiers de logements comme le quartier Cœur de Cité à Martigny avec Halter. Actuellement, le bureau mène, entre autres, le réaménagement des espaces extérieurs du cycle d’orientation de Sécheron dans le cadre du projet Cool City et développe les espaces publics de Montbrillant autour de la gare Cornavin de Genève. -> www.map-paysage.com

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Plan d’étage : le contexte et la forme de chaque bâtiment ont donné lieu à une diversité de plans d’appartements, avec de grands balcons comme dénominateur commun.

Plan du rez-de-chaussée : la forme des bâtiments est issue des vides disponibles entre les bouquets d’arbres du site.


Bonnard Woeffray architectes Depuis plus de trente ans, Geneviève Bonnard et Denis ­Woeffray conçoivent dans leur bureau de Monthey des bâtiments singuliers et iconiques. Par une maîtrise technique du métal et du béton, leur architecture audacieuse explore la couleur et la géométrie. Leur production ­comprend aussi bien des bâtiments de logements collectifs ou individuels que de nombreux établissements scolaires comme l’école primaire de Conthey, dont la façade noire abrite en pleine zone commerciale un paysage intérieur de patios colorés, ou sociomédicaux, à l’image du Centre d’accueil pour adultes en difficulté de Saxon dont l’enveloppe en tôle ondulée renvoie aux hangars agricoles de la plaine du Rhône. -> www.bwarch.ch

Lacroix Chessex SA Fondé en 2005 par Hiéronyme Lacroix et Simon Chessex à Genève, le bureau intervient à des échelles variées aussi bien sur l’existant, avec par exemple l’extension en béton d’une villa privée à Gland ou l’impressionnante surélévation d’une barre de logements rue de Lausanne à Genève, que pour des constructions neuves, comme la maison des étudiants qui marque l’entrée en gare de Genève. Régulièrement primée, leur architecture urbaine explore différents matériaux dans leur dispositif constructif et esthétique. En résultent des objets très finis, enveloppés, aux lignes dynamiques et à l’expression unitaire. -> www.lacroixchessex.ch

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p. 56 — Sur les bords du Léman à deux pas de la plage de Nyon, le Domaine du Lac s’étend sur un terrain qui faisait autrefois partie d’une ancienne maison de maître. Ses trois bâtiments, Lac, Jura et Parc, doivent être achevés à l’été 2023. p. 59 — Les garde-corps en verre et les plis de la façade du bâtiment Lac projettent les habitants dans le panorama (en haut). A l’intérieur, les menuiseries en bois cadrent le paysage (en bas). p. 63 — Dans les bâtiments Parc et Jura, les grands balcons sont pensés comme une extension de l’appartement, une pièce à part entière. Le dessin des garde-corps offre de ­l’­intimité tout en libérant la vue (en haut). Autour des nouveaux bâtiments, le parc est partagé entre tous les logements. Les vieux arbres bénéficient d’une protection particulière (en bas).

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Coupe longitudinale sur le site : d’un bout à l’autre du terrain, chaque bâtiment se réfère à un contexte singulier. La végétation et le paysage structurent le parc.

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JEU DE CUBES

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Texte : Christine Marie Halter-Oppelt Photos : Robert Hausmann / Eiffage Suisse AG

On dirait qu’un géant a poussé six blocs de construction d’un simple geste dans la pente pour ériger les nouveaux bâtiments destinés au logement des étudiants sur la route de la Fonderie, à Fribourg. Pourtant, leur construction ne doit rien à un conte de fées, mais plutôt à une planification intelligente. Le cabinet KPA Architekten a réalisé plusieurs volumes transversaux pour la fondation d’investissement Apartis au lieu des deux barres initialement prévues le long du versant de la butte de Pérolles. Cette solution a permis de conserver la topographie existante. De plus, ce terrain en pente offre à cinq immeubles de huit niveaux, totalisant 413 chambres, une accessibilité sur deux côtés : au niveau de la rue, sur la route de la Fonderie, via un socle de deux niveaux avec une façade en polycarbonate bleu, vert, jaune, orange ou rose ; et depuis la pente, à l’arrière des bâtiments revêtus de plaques ondulées en fibres-ciment, par un chemin en gravier qui suit la crête verte. Le sixième immeuble se distingue clairement des autres par son plan polygonal et sa façade crépie plus foncée. C’est là que se trouvent 28 appartements de différentes tailles, destinés aux jeunes adultes. Avec la livraison par Halter Développements au printemps 2021, l’ancien quartier industriel en cours de transformation depuis plusieurs années, situé à proximité immédiate des hautes écoles spécialisées et de l’université, s’est enrichi d’un complexe immobilier plein de vie. En phase avec le pôle scientifique, La Fonderie a été construite selon la norme Minergie et s’est vu décerner le label Site 2000 watts. -> Infos complémentaires sur le projet et plans sous « Changement structurel postindustriel », www.komplex-magazin.ch/fr

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p. 65 – Au printemps 2021, les travaux d’aménagement des abords battent encore leur plein, mais les six immeubles de la fondation pour le logement des étudiants Apartis, construits par Eiffage Suisse, sont déjà presque terminés. Cinq d’entre eux possèdent des entrées donnant sur la rue avec des façades en polycarbonate multicolores (bleu, vert, jaune, orange et rose). Le socle de deux niveaux abrite des locaux à vélos, des buanderies et des espaces de rangement. pp. 66/67 – La vue sur le quartier est imprenable, non seulement depuis la butte de Pérolles, mais aussi depuis de nombreuses chambres d’étudiants. De l’autre côté de la rue, les anciennes halles industrielles sont utilisées par le club Fri-Son et l’initiative culturelle Fonderie 11. Derrière elles se dresse une tour d’habitation de 17 étages, qui fut jadis un silo à fourrage.

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p. 68 – Les cages d’escalier ont été conçues dans un style sobre. Elles donnent accès aux appartements de 3 ou 4 pièces avec des espaces communs comme la cuisine, le salon et la salle de bain, ou à des studios, dont certains sont accessibles aux personnes handicapées. p. 69 – Le complexe se trouve le long de la route de la Fonderie et est structuré par les couleurs vives de la façade au niveau des entrées. En arrière-plan, on peut voir une station-service qui était déjà présente avant la construction. Sa boutique est installée sur le côté long du bâtiment orange. p. 70 – A l’extrémité ouest de la parcelle, séparé du reste du complexe par la station-service, se trouve un immeuble de 28 appartements loués à de jeunes adultes. Si son plan polygonal diffère de celui des bâtiments voisins, sa hauteur est la même.

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SOUS L’AVALANCHE 72 DES OPPOSITIONS Texte : Toni Bucher Illustration : Dominique Wyss

En Suisse, la savante procédure d’octroi de permis de construire, avec la participation des riverains et des associations, est un acquis dont nous sommes fiers. Néanmoins, oppositions et recours contre les demandes de permis de construire ont aujourd’hui autant de poids qu’un amen à l’église. Ce droit d’opposition est souvent détourné à des fins personnelles, comme en témoigne une fois de plus le projet Pilatus Arena, à Kriens. Projet précurseur pour le sport et la Suisse centrale, la Pilatus Arena est un parfait exemple d’une étroite collaboration entre secteur public et privé. Ces dernières années, une salle de sport et d’événements avec affectation commerciale des abords a été projetée avec le plus grand soin. Il est notamment prévu de construire une enceinte de 4000 places. Pour financer le projet, 380 logements seront construits. Ce projet porté par Helvetia Assurances et Halter SA doit voir le jour sur un terrain de la ville de Kriens appartenant à la ville de Lucerne. Dans les deux villes, il a fallu organiser des votations populaires. Et dans les deux villes, il y a eu majorité populaire. La ­Confédération et le canton de Lucerne soutiennent financièrement la réalisation. Malgré tout, on voit des particuliers s’évertuer à retarder inutilement le projet, mettant au passage certaines associations sportives en danger, pour lesquelles une réalisation rapide est pourtant essentielle à leur survie. Dès les premières étapes, notre société, la Pilatus Arena AG, a compris que nous n’avions pas le droit à l’erreur. Nous avons donc fait appel à des experts renommés, dont l’ancien conseiller communal et directeur des travaux publics Kurt Bieder, qui nous a rappelé la nécessité d’impliquer les instances politiques et, bien sûr, la population. Ancien architecte de la ville de Lucerne, Jean-Pierre Deville a organisé pour nous le concours d’architecture et veillé à ce que le projet réponde aux plus hautes exigences d’urbanisme et d’architecture. A chaque étape, nous avons impliqué les villes de Kriens et de Lucerne, l’organisme de développement régional LuzernPlus, la Confédération et le canton de Lucerne. Société & Environnement – Chronique


Tous ces efforts ont été récompensés. Le 28 février 2016, les Lucernois ont clairement dit « oui » dans les urnes à 64% au contrat d’achat du terrain de Mattenhof, à Kriens. Les études pouvaient alors commencer. Il nous avait été recommandé ­d’organiser un concours en deux étapes. Un jury composé d’architectes suisses de haut rang, de la ville de Kriens et de la ville de Lucerne, ainsi que d’experts reconnus, a désigné le projet gagnant. Avec transparence, nous avons largement informé la population, les habitants et leur association de quartier, les partis politiques ainsi que tous les autres intéressés. Au parlement de la ville de Kriens, le plan d’affectation spécial a reçu un vaste soutien. Tout était prêt pour que cette infra­ structure essentielle puisse rapidement voir le jour. Les esprits s’échauffent Contre ce large appui, un célèbre avocat de Kriens s’opposant régulièrement aux projets de construction dans la région a créé un comité référendaire afin d’imposer la tenue d’une votation populaire. A grand renfort d’arguments chocs et de contre-­ vérités, ledit avocat a enflammé les esprits. « Trop haut », « surdimensionné », « Kriens n’en a pas besoin », tels étaient les slogans de la campagne référendaire. Nous avons cherché à nouer le dialogue à l’aide de courriers et d’entretiens individuels : autant se battre contre des moulins à vent. Le requérant faisait également fi du fait que la Pilatus Arena était un projet d’envergure nationale. Nous avons été contraints de stopper le projet, de remercier les concepteurs et de nous préparer à la campagne de votation. A ce moment-là, les études complètes avaient déjà coûté près de 3 millions de francs, auxquels il a fallu ajouter 600 000 francs supplémentaires pour leur mise à l’arrêt. Pendant la campagne, nous avons en outre été obligés d’affronter les déformations et contre-­ vérités du comité référendaire par une campagne d’information avec affiches, annonces, conférences et débats publics. Par chance, nous avons bénéficié du soutien d’un comité énergique et engagé, composé de membres issus de toutes les parties. Le 29 novembre 2020, la population a décidé. Une majorité s’est prononcée en faveur de la Pilatus Arena, du plan d’affectation spécial et de la modification du plan de zones. La joie était évidemment palpable chez les responsables du projet et les acteurs du monde sportif. Le dimanche de la votation, un représentant du comité référendaire nous a fait la promesse d’accepter la décision et de ne plus s’opposer au projet. Ce référendum avait causé huit mois de retard. Heureux de l’engagement des opposants, nous avons lancé la procédure 73

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de permis de construire de la Pilatus Arena sous haute pression et en avons déposé la demande au début de l’été 2021. Nous attendions maintenant avec impatience les réactions à l’enquête publique. Malgré l’ampleur du projet de construction, seuls huit oppositions et deux avis nous sont parvenus. Ces derniers, ainsi que quatre oppositions, ont pu être traités dans le délai de vingt jours. Pour les quatre oppositions restantes, nous avons évidemment cherché à établir un dialogue. Nous avons été très surpris ­d’apprendre qu’après sept ans d’études prudentes, l’association de protection de la nature du lac des Quatre-Cantons se plaigne de n’avoir jamais été impliquée dans la planification du projet. Pourtant, elle a eu maintes fois l’occasion de s’exprimer dans le cadre de consultations, de participations et de pro­ cédures politiques. Le fait que cette association de protection ait à nouveau critiqué la hauteur de la tour d’habitation peu avant le début des travaux nous a paru arbitraire et juridiquement infondé. Le règlement sur les constructions et les zones fixant la hauteur des bâtiments était en vigueur depuis longtemps. Quelques réunions et visualisations ont réussi à les convaincre. L’association a fini par admettre que l’emplacement était idéal pour un immeuble de grande hauteur et a retiré son opposition. Il en restait une dernière à traiter, derrière laquelle se cachait l’entreprenant avocat qui se révéla fort mauvais perdant. En déposant son opposition par l’intermédiaire d’une certaine fondation nommée Archicultura (laquelle, selon ses dires, serait dédiée à la préservation des sites et des paysages), il bafouait la promesse faite par son comité référendaire d’accepter le résultat du vote. Par le passé, ladite fondation s’était déjà fait remarquer à plusieurs reprises par d’étranges actions. Elle s’est notamment opposée au Kunsthaus de Zurich qui a dû être déplacé de 2 mètres. Impossible de savoir en quoi cela était d’une quelconque utilité pour la collectivité ni quel surcoût cela a entraîné dans la conception du projet. Il semble qu’Archicultura se soit rendu compte, au cours des différentes réunions, qu’elle avait été instrumentalisée et ­abusée par un individu qui poursuivait un combat personnel et acharné. Membre d’un comité ayant combattu le centre sportif ­Allmend, ce même avocat s’oppose également à un immeuble de près de 35 mètres de haut sur la Bundesplatz de Lucerne, à l’étude depuis plus de trente ans. De telles oppositions sont malheureusement monnaie courante de nos jours. Elles sont déposées « par principe », « par dépit » ou tout simplement parce que les opposants espèrent en tirer des avantages financiers. Leur objectif 74

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est ni plus ni moins de mettre des bâtons dans les roues de projets de construction soigneusement élaborés et d’en retarder la réalisation. Il est donc grand temps que les pouvoirs publics mettent un terme à ces agissements. Il est intolérable, en effet, qu’un individu avançant des arguments fallacieux ou qu’une organisation peu digne de foi puisse tout bonnement retarder un projet à sa guise, avec des répercussions financières injustifiées, alors même que les lois ont été clairement observées. Le versement d’une caution de 2000 francs par recours, restituée en cas d’acceptation, pourrait être une solution utile. Cela permettrait déjà de réduire le nombre d’oppositions juridiquement infondées. Ne nous méprenons pas : une opposition n’est évidemment pas injustifiée lorsqu’un maître d’ouvrage tente de passer outre les dispositions légales. Nous parlons ici des personnes s’opposant par principe, pour leur intérêt personnel et en toute connaissance de cause. D’ailleurs, nous sommes prêts à mettre au clair cette situation intolérable sur le plan juridique. Une fois le permis de construire de la Pilatus Arena octroyé et l’opposition rejetée, nous calculerons le préjudice subi et porterons plainte contre les opposants. Si la Suisse parvient à mettre un terme aux oppositions abusives, tout le monde en profitera, avec des logements moins chers pour la population ; une sécurité juridique accrue pour les investisseurs qui retrouveront l’envie de réaliser des infrastructures et des logements dans le pays ; des contribuables déboursant moins d’argent pour le traitement des recours inutiles par l’administration ; et des riverains en profitant car leurs oppositions légitimes seront prises au sérieux et ne se noieront pas dans la masse d’oppositions des râleurs et autres contestataires professionnels.

Toni Bucher (66 ans), né à Sempach, a suivi une formation d’employé de commerce puis de fiduciaire immobilier avant de passer plusieurs années aux Etats-Unis. A son retour, il a travaillé pendant douze ans dans le département immobilier de la Suva. En 1999, il rejoint l’entreprise Eberli AG à Sarnen, dont il a été le PDG entre 2002 et 2015, avant d’en devenir copropriétaire et président du conseil d’administration en 2017. Grâce à son travail, Toni Bucher a contribué de manière décisive à la réalisation de la Swissporarena à Lucerne, des hôtels Frutt Lodge & Spa et Frutt Family Lodge dans la station de Melchsee-Frutt, ainsi que du Grand Hotel Titlis Palace à Engelberg. Depuis 2017, il est investisseur privé dans divers projets. Il accompagne le développement du projet Pilatus Arena en tant que président du conseil d’administration de la SA homonyme depuis plus de six ans.

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LA VOIX POLITIQUE À BERNE Texte : Cristina Schaffner Photo : Services du Parlement 3003 Berne Graphique : Constructionsuisse

En tant qu’association faîtière nationale du secteur de la cons­­ truction, Constructionsuisse défend les intérêts de ses membres vis-à-vis de la politique, des autorités et du public. Afin d’atteindre encore mieux cet objectif, de prendre position plus tôt et d’anticiper les thèmes spécifiques à la branche, son comité de direction a créé un nouvel instrument à durée indéterminée. Des questions et des domaines thématiques interdépendants du secteur suisse de la construction sont traités en commun par les membres sur des « plateformes thématiques ». 77

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Constructionsuisse est l’association faîtière nationale de l’industrie de la construction suisse. Elle comprend quelque 76 associations membres et quatre groupes de base : Planifi­ cation, Gros œuvre, Second œuvre et techniques du bâtiment ainsi que Production et négoce. Construction­suisse défend les intérêts de ses membres vis-à-vis de la politique, des autorités et du public. Cela inclut notamment les prises de position au nom de l’ensemble du secteur de la construction lors des consultations en cours et le suivi des affaires par­ lementaires au niveau national. Outre la représentation des intérêts politiques, les tâches de l’association faîtière sont la formation de l’opinion politique sur les thèmes pertinents pour le secteur de la construction ainsi que le suivi et le leadership dans les affaires politiques centrales pour le secteur de la construction. Construction­suisse assure par ailleurs l’échange d’informations entre les sous-branches et les associations membres et veille à une mise en réseau avec d’autres organisations économiques. Perspectives pour 2022 En raison de la situation liée au Covid-19, Construction­suisse a connu une année associative mouvementée. Néanmoins, le secteur de la construction a été moins durement touché par la pandémie que d’autres branches. Dès le début, l’ensemble du secteur a appliqué avec succès les règles de distanciation et d’hygiène recommandées par la Confédération et les cantons afin de protéger les colla­ borateurs. Les chantiers ont donc pu rester ouverts en permanence, sans devenir des clusters de Covid-19. Le secteur de la construction s’est ainsi révélé un pilier élémentaire pour surmonter la crise économique actuelle. Avec un taux de performance économique allant jusqu’à 15% et plus de 500 000 travailleurs qualifiés, il constitue un moteur essentiel pour la place économique suisse. Au cours de la nouvelle année, Constructionsuisse et ses associations membres continueront à concentrer leurs efforts sur l’harmonisation du droit révisé des marchés publics à tous les échelons fédéraux. Le fait de se focaliser non plus sur le prix mais sur la qualité, l’innovation et la durabilité représente un véritable changement de paradigme qu’il convient de soutenir de manière positive. Dans cette optique, Construction­ suisse maintient le dialogue avec les maîtres d’ouvrage et prévoit de créer une publication 78

spécifique. Le changement culturel en matière d’adjudication ne sera achevé que lorsque l’innovation et la qualité auront remplacé la concurrence fondée sur les prix dans les appels d’offres aux trois échelons fédéraux, et que les échanges entre les adjudicateurs et les soumissionnaires seront basés sur l’égalité et la confiance. Autres dossiers politiques nationaux : 1. Tous les thèmes relatifs à la modernisation du parc immobilier : Construction­suisse élabore actuellement une réponse à la consultation sur le thème de l’économie circulaire et s’implique dans le nouveau projet de loi sur le CO₂. 2. Le débat parlementaire sur le droit contractuel de la construction, prévu pour le troisième trimestre : Construction­ suisse s’engage depuis des années contre une protection disproportionnée des consommateurs dans le domaine de la construction ; le projet mis en consultation allait dans la bonne direction. 3. Le projet du Conseil fédéral de révision de la loi sur la protection de l’environnement, qui vise notamment à mieux coordonner la protection contre le bruit et le développement de l’urbanisation : Construction­suisse soutient l’orientation du projet, qui crée une sécurité juridique et de planification pour les projets de construction préservant les ressources. 4. La décision d’opposer ou non un contre-projet à l’initiative paysage avec la LAT 2 (construction hors de la zone à bâtir) : Construction­ suisse s’en féliciterait et continue à défendre la méthode de planification et de compensation. Et enfin, le suivi de la « petite » révision du droit des cartels et la motion déposée par Hans Wicki, conseiller aux États et président de Construction­suisse, pour préserver le principe de l’enquête. Anticiper les thèmes politiques Construction­suisse continuera de se mobiliser en faveur d’un regroupement des forces et réunira autant que possible les différents acteurs pour les faire parler d’une seule voix. Dans un secteur aussi diversifié, ­développer un sentiment d’appartenance et être perçu ainsi à l’extérieur ressemble à une tâche herculéenne. Mais le jeu en vaut la chandelle. En adoptant des positions fortes qui bénéficient d’un soutien aussi large que possible et en disposant d’un bon réseau dans l’administration et la politique, on se fait entendre et on participe très tôt au débat sur les solutions. Cela implique un Société & Environnement


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Comité

Secrétariat central

Associations membres

Autres

Groupe de base Production et négoce

Groupe de base Second œuvre et techniques du bâtiment

Plateformes thématiques

Groupe de base Gros œuvre

Deux nouvelles plateformes thématiques Sur la base de ces deux analyses, le comité de Construction­suisse s’est posé l’an dernier des questions sur la suite de son travail. Quelles sont les tâches centrales du secteur de la construction ? Quels sont les thèmes communs au sein de Construction­suisse ? Une plateforme thématique est-elle nécessaire à cet effet ? Puis il a chargé le secrétariat central d’y répondre avec des représentants de tous les groupes de base. Sous la direction de Markus Mettler, membre du comité, ils se sont réunis dans le cadre de trois ateliers et ont défini cinq questions pertinentes pour le secteur de la construction. Après avoir établi des priorités, le comité a décidé fin 2021 de créer les deux plateformes suivantes : « Construction et gestion durables » – projet de position sur le thème de l’économie circulaire et de la modernisation du parc immobilier avec pour objectif le zéro net et le suivi des dossiers politiques nationaux, comme la consultation sur l’économie circulaire ou la « nouvelle version » de la loi sur le CO₂ après le rejet par les électeurs. « Modèles de prestations et commerciaux sur l’ensemble du cycle de vie » – discours continu et sans parti pris sur l’intégration des processus de création de valeur par le biais de la planification, de la construction et de l’exploitation dans le contexte de la numérisation et de l’industrialisation, et sur les exigences en matière de culture de collaboration. Le comité définit les membres, formule les objectifs et les questions, puis adopte les résultats et les points de vue correspondants. Cela permet d’obtenir des positions et des informations fondées et largement

soutenues, tandis que le dialogue sur les thèmes pertinents pour le secteur est mené en permanence. Le coup d’envoi a été donné avec succès, le travail reste à faire. Le format de la plateforme thématique constitue donc un nouvel instrument de travail pour le comité et le secrétariat central de Construction­suisse. -> www.constructionsuisse.ch

Groupe de base Planification

travail de longue haleine sur des thèmes communs et une intégration étroite des associations membres. Une évaluation de la situation par la nouvelle équipe du secrétariat central et l’enquête menée auprès des membres du groupe de base Production et négoce ont confirmé cette impression : les discussions de fond sur les thèmes et les affaires politiques n’ont lieu qu’au sein des groupes de base. Il manque un cadre permettant de discuter à temps des thèmes politiques importants dans le secteur de la construction et de définir la position de Construction­ suisse. L’introduction d’une organisation matricielle avec des plateformes thématiques permanentes a été demandée.

Cristina Schaffner (39 ans) est directrice de Cons­ tructionsuisse depuis avril 2020. Auparavant, elle a travaillé pendant dix ans en tant que Senior Consultant et membre de la direction chez furrerhugi, une agence de communication spécialisée en Public Affairs et Public ­Relations. Elle est titulaire d’un Master of Arts in International Affairs and Governance de l’Université de Saint-Gall.

p. 76 – Le Palais fédéral à Berne, l’un des lieux d’action de Constructionsuisse, l’association faîtière du secteur suisse de la construction. p. 79 – Les plateformes thématiques constituent un nouvel instrument de travail pour le comité et le secrétariat central de Constructionsuisse (graphique).

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« LES ARTISTES NE CESSENT D’EXPLORER LES QUESTIONS LIÉES À LEUR TRAVAIL » Texte : Christine Marie Halter-Oppelt Photos : Linus Bill

Au printemps dernier, l’inauguration de la BäreTower, la plus haute tour d’habitation de Suisse, a marqué la naissance d’un nouveau centre à forte identité pour la commune d ­ ’­Ostermundigen, proche de Berne. Afin de conférer davantage de rayonnement à ce lieu, les investisseurs et les promoteurs ont lancé un projet d’intervention artistique. C’est l’artiste lausannoise Sophie Bouvier Ausländer qui a été choisie pour y participer. Ses recherches, superpositions et abstractions l’ont menée à Ursinae, une toiture de verres colorés qui illustre jour et nuit les constellations de la Petite et de la Grande Ourse. 81

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Les œuvres de Sophie Bouvier Ausländer se nourrissent du contexte dans lequel elles ap­­ paraissent et de la mise en relation de différents thèmes. En ce qui concerne la BäreTower, développée par Halter SA pour l’investisseur Helvetia Assurances, la plasticienne romande a créé dans le cadre d’un projet d’intervention artistique une sculpture qui fait également office d’abri pour la Bärenplatz. Trois mois avant l’arrivée des habitants dans l’immeuble, nous avons rendu visite à l’artiste dans son atelier à Lausanne. Celui-ci se trouve non loin du centre-ville, dans un ancien entrepôt près des voies ferrées. Une rampe de chargement permet d’accéder à une grande pièce composée de différents espaces de travail. On y trouve des tables à dessin, des étagères avec des curiosités telles que des écorces d’arbres ou des nids de guêpes, des chariots avec des outils et du matériel de peinture, des œuvres d’art archivées dans des tiroirs. De fragiles créations en papier mâché sont accrochées aux murs. Un petit bureau chauffé est installé dans un conteneur sur pilotis. A côté se trouve une estrade construite en palettes, sur laquelle sont disposées des maquettes de projets en cours. Des croquis, des échantillons de matériaux et des plans documentent leur état actuel.

Komplex : Sur la sonnette de votre porte, on lit « Hotel Ausland ». Pourquoi ? Sophie Bouvier Ausländer : C’est le nom de l’installation créée pour une exposition solo que j’ai présentée en 2014 au Musée d’art de Pully. Depuis lors, ce nom m’accompagne. C’est presque devenu une marque. Mon nom de famille, Ausländer, est très important pour mon œuvre. Où que j’aille, je reste toujours une étrangère. Le terme « hôtel » sonne comme une contradiction. La police de caractères que j’ai choisie à l’époque – non pas pour son esthétique, mais pour son nom – s’appelle Helvetica. Cela ajoute encore un peu plus de confusion. Je m’intéresse beaucoup aux mots et à la langue à travers mon travail. En plus, je pense que chaque artiste est un étranger qui travaille dans une situation temporaire et propose des solutions temporaires.

Comment avez-vous vécu ces deux dernières années ? 82

La pandémie n’a pas tellement changé mon quotidien. Je me suis rendue dans mon atelier tous les jours pour travailler. Il n’y a que la pression du public que j’ai trouvée désagréable. On attendait des artistes qu’ils répondent à l’actualité. Or, nous répondons toujours aux questions de notre époque. Je me suis intéressée aux questions du corps. Il s’en est résulté une série d’organes en papier mâché, par paires : des globes oculaires, des seins, des poumons, des reins. Nous dépendons de ces organes sans même les connaître. Comme ils sont si mystérieux, j’ai voulu les extirper et les rendre visibles. Cette recherche a donné naissance à un livre ­d’artiste, une sorte de journal intime. Il est imprimé sur le papier du « Financial Times ».

Pourquoi ? Je lis ce quotidien tous les jours pour découvrir ce qui se passe dans le monde. Son papier est rose clair, comme ma peau. Cette métaphore m’a interpellée. Car lorsque je travaille avec ce matériau, c’est comme si je parlais de ma relation à notre monde. Il m’a été très difficile de me le procurer, car il est breveté et fabriqué spécialement pour le « Financial Times ». Mais la maison d’édition de Londres a trouvé mon projet intéressant et m’a envoyé quelques rouleaux en Suisse.

Que peut-on lire dans votre journal ? Seulement des bribes de mots. J’ai réalisé des impressions par technique de transfert des photographies d’organes en papier mâché, combinées avec des bribes de textes du journal. On dirait que j’ai jeté les mots en l’air et qu’ils sont retombés par fragments sur le papier. Mon but était de raconter des mondes différents et de montrer les contradictions. Les deux poumons sont représentés au milieu du livre. Exposé l’été ­dernier au Musée d’art contemporain de Rome, il a également fait l’objet d’une performance.

Réfléchissez-vous longtemps à une œuvre avant de la commencer ? Je crois que je suis très spontanée. Quand j’ai une idée qui me passionne, je me mets au travail. Mais lors de mes recherches, je dois Société & Environnement – Entretien



parfois me rendre à l’évidence : mes idées ne sont pas réalisables. Il se peut alors que je continue malgré tout et que je prenne un tout autre chemin que celui imaginé au départ.

Vous aimez aller au fond des choses ? C’est mon caractère. Je pense que les artistes sont comme des chercheurs. Ils explorent sans cesse les questions liées à leur travail. Entre 2013 et 2019, j’ai fait un doctorat à la Slade School of Fine Art de Londres. Je continue aujourd’hui encore à travailler sur le thème de ma thèse qui portait sur les reliefs contemporains.

Y a-t-il un fil rouge dans votre travail ? Je crois que l’on ne peut pas classer mon travail ou le placer dans une catégorie particulière. Cependant, beaucoup de mes œuvres sont très fragiles et éphémères. C’est particulièrement vrai pour mes travaux réalisés 84

en atelier. Ici, je me permets par exemple d’utiliser un papier acide. Mes dessins sont donc susceptibles de s’estomper avec le temps. Ou bien je peins sur des cartes géographiques qui sont en principe destinées à être pliées et emportées en voyage. A côté de cela, je développe des travaux temporaires pour l’espace public, mais aussi des œuvres d’art permanentes, durables et solides. J’adore cette grande diversité.

Le thème de l’art dans la con­s­ truction en fait également partie. C’est un aspect très important de mon travail depuis quelques années. Un projet inscrit dans l’espace public m’oblige à quitter mon atelier et mon quotidien. J’effectue des recherches sur l’histoire du bâtiment et je tiens compte du contexte. Se posent alors des questions liées à un lieu précis. Cela me pousse à aborder de tout nouveaux thèmes, auxquels je ne serais pas confrontée si je ne produisais que pour des collectionneurs, des galeries ou des salons d’art. Société & Environnement – Entretien


Comment est né le projet de la tour BäreTower ? J’ai été invitée à me présenter en compagnie de quatre autres artistes. Chacun de nous devait montrer quelques travaux antérieurs et proposer des premières idées pour la ­BäreTower. Le jury a été séduit par mon approche lors de précédents projets et par la diversité avec laquelle j’investis les lieux de mon approche artistique. Je n’ai pas de signature clairement définie, chaque œuvre est une surprise. J’analyse un lieu et son architecture et j’élabore un concept qui exprime son identité.

Vous souvenez-vous de votre première visite sur le chantier ? C’était en juillet de l’année dernière. La BäreTower était à l’état de gros œuvre et il n’y avait pas encore d’ascenseurs dans l’immeuble. Nous avons donc dû emprunter un ascenseur extérieur. Le trajet a été affreusement long. J’ai le vertige et j’ai été vraiment soulagée lorsque nous sommes enfin arrivés au 32e étage. De là, on a une vue magnifique qui s’étend au loin sur la ville de Berne. On y distingue sa collégiale et le Palais fédéral. La Bärenplatz au pied de la tour semble toute petite. Une fois notre groupe redescendu, une tempête s’est sou­ dainement levée. Il pleuvait des cordes et nous cherchions un abri. C’est alors que j’ai eu l’idée de construire un toit, quelque chose qui couvrirait la place.

Avec ses 100 mètres, la BäreTower sera bientôt la plus haute tour d’habitation de Suisse. Je sais. La collégiale de Berne ne fait que 60 centimètres de plus. Il existe une loi tacite à Berne selon laquelle aucun bâtiment ne doit la dépasser. Ce fait, ainsi que ­certains de ses éléments visuels, sont les raisons pour lesquelles je me suis intéressée à la collégiale dès le début. Je la connaissais déjà auparavant, mais je l’ai redécouverte dans le cadre du projet. J’ai été particulièrement impressionnée par la structure de la voûte de la nef centrale et par les vitraux sertis au plomb. Mon travail est censé y faire écho. 85

Mais votre projet porte le nom d’Ursinae. Ce qui m’a également intéressée dès ma première montée en ascenseur au sommet de la BäreTower, c’est la relation entre le ciel et la terre. Et comme je travaille beaucoup avec des cartes géographiques, je me suis dit que je pourrais tout aussi bien regarder une carte du ciel pour une fois. J’y ai découvert les constellations de la Grande Ourse et de la Petite Ourse, et juste à côté celle du Bouvier – le « Gardien de l’Ours ». Or, Bouvier est aussi mon nom de famille. J’ai trouvé cela incroyable. Cela ressemblait presque à un coup du destin. En plus, tous les participants me disaient à quel point l’ours était important pour le projet et pour Berne. Ursinae est le nom latin et scientifique de la constellation.

Comment avez-vous ensuite intégré les différents éléments dans votre projet ? Le lien symbolique entre tous les éléments est l’idée d’éternité. Tout comme la BäreTower est une sorte de trait d’union entre le ciel et la terre, Ursinae symbolisera également ce lien – inspiré d’une part par la vaste palette de couleurs et la voûte de la nef centrale de la collégiale de Berne, et d’autre part par la constellation d’étoiles telle qu’on la voit au moment de l’emménagement dans les appartements de la BäreTower. J’ai développé une sorte de grille à partir de ces éléments, que j’ai réduite de plus en plus jusqu’à atteindre un certain degré d’abstraction. Néanmoins, le contour du toit avec ses nombreuses pointes traduit clairement l’idée d’une étoile.

Comment le toit est-il construit sur le plan technique ? La sculpture s’étend sur une bonne centaine de mètres carrés et repose sur des piliers de 3,50 mètres de haut. Sa structure métallique sera recouverte d’un vernis anthracite mat et scintillant. Douze films de différentes ­couleurs sont intégrés dans le verre de sécurité qui repose sur la structure en grille. La surface présente une très légère pente afin que l’eau de pluie puisse s’écouler. La neige Komplex No 15/2022



fraîchement tombée g ­ lissera tout simplement. Tous les calculs statiques ont été effectués par le bureau d’ingénieurs Theiler de Thoune.

Avez-vous eu des contacts avec le cabinet d’architectes Burkard Meyer, qui a planifié le complexe ? Lorsque j’ai été choisie, ma première question a été celle-ci : est-ce que l’architecte a voté pour moi ? Heureusement, c’était le cas. Car si un architecte n’est pas content de toi et de ton projet, cela ne se passe pas bien. Même si l’œuvre d’art n’est pas directement raccordée au bâtiment ou n’y fait pas référence, il y a toujours un dialogue. Lorsque je suis arrivée avec mon projet, les architectes étaient super contents, parce qu’ils avaient eux-mêmes envisagé de cons­ truire un toit ou un abri sur la place. Nous sommes donc arrivés à la même con­clu­sion. Je dois dire que je trouve leur projet de la BäreTower tout aussi fascinant. La façade en aluminium avec des détails en laiton jaune réfléchit la lumière et change ­d’aspect au fil de la journée. La tour est comme un caméléon.

Ursinae rayonnera également sur les environs. Oui. Selon l’endroit où se trouve le soleil et le temps qu’il fait, des points lumineux plus ou moins intenses et colorés sont pro­ jetés sur le sol. J’aimerais que les gens qui y vivent ou qui passent par là soient attirés par Ursinae. Qu’ils entrent en contact avec la sculpture, qu’ils jouent avec elle et qu’ils s’abritent sous elle lorsqu’il pleut ou qu’il fait chaud. La Bärenplatz peut aussi accueillir des marchés. Ça me plairait bien. Il est très important pour moi que la vie quotidienne soit présente sous Ursinae.

Pensez-vous que les passants comprendront votre œuvre ? Je ne sais pas, mais cela me ferait plaisir qu’elle leur laisse une impression durable. Peut-être pourrait-on installer un petit panneau qui explique l’œuvre. Je pense qu’une signature a également son importance. Les sculptures anonymes dans l’espace public sont souvent négligées. C’est vraiment dommage. 87

C’est pourquoi il nous tient à cœur que ma sculpture n’invite pas au vandalisme. Une table d’eau et un banc en pierre seront ­également installés sur la Bärenplatz. Nous avons fait très attention à ce que les ­différents éléments de la place dialoguent bien entre eux et avec l’architecture.

Comment vous assurez-vous qu’Ursinae sera considéré comme de l’art et non comme de l’architecture ? C’est un aspect important. Bien que la cons­ truction soit calculée par un spécialiste de la statique pour des raisons de sécurité, sa valeur réside dans la création artistique et conceptuelle. Je travaille par exemple actuellement sur les cinq piliers sur lesquels reposera le toit. Ils auront tous une orien­ tation différente. Je joue avec les angles et les positions. Ici, ce sont les petits détails qui comptent. Je pense qu’il faut avoir un concept sophistiqué et dense, mais arriver au bout du compte à une forme simple. Quelque chose qui attire et qui soit lisible. C’est d’ailleurs pourquoi nous parlons toujours d’Ursinae et jamais d’un toit.

Vous rendez-vous souvent à Ostermundigen ? J’y vais régulièrement. Sur le chantier, je rencontre les architectes ou le chef de ­chantier Agron Noshi. Il est très positif et me soutient. Je suis aussi souvent accompagnée par Friederike Schmid. Basée à Lenzbourg, curatrice et directrice de projets artistiques, elle est l’interlocutrice centrale de ce projet pour une intervention artistique. Friederike a animé l’ensemble du concours et agit encore aujourd’hui comme facilitatrice lors des rencontres avec le maître d’ouvrage, les autorités ou les ingénieurs. Elle veille à ce que, malgré les exigences en matière de sécurité et de budget, l’expression et la force artistique d’Ursinae ne soient pas amoindries. Bien qu’il s’agisse de mon septième projet de ce genre, les conditions ne sont jamais les mêmes.

Ursinae ne transformera pas seulement la Bärenplatz en point de repère urbain, mais fait également Komplex No 15/2022


partie d’un projet immobilier commercial. Qu’en pensez-vous ? C’est une question intéressante. Ce genre de mandat m’offre la possibilité de m’exprimer à travers mon art. C’est quand même ­merveilleux. J’essaie toujours de donner le meilleur de moi-même et ce faisant, je me préoccupe davantage des utilisateurs d’un lieu que de savoir qui finance l’œuvre ou qui l’utilise pour son image. Dans ce cas, l’investisseur s’appelle Helvetia. J’associe une assurance à des notions fondamentales comme la vie en tant que telle, la sécurité, les valeurs durables et les perspectives à long terme – d’où aussi le thème de l’éternité. Je peux facilement m’identifier à tout cela.

Quand est-ce qu’un projet est réussi ? C’est difficile à dire. Peut-être lorsque deux pièces s’assemblent soudain comme par

magie, lorsque l’on a trouvé la bonne combinaison, l’équilibre parfait.

Vous arrive-t-il de ressentir des incertitudes ? Bien entendu, j’espère toujours que mes ­travaux seront appréciés. Mais je ne peux et ne veux pas contenter tout le monde. Les œuvres d’art doivent aussi se frotter à l’opinion publique. Mais il y a une chose qui me préoccupe toujours dans l’espace public : la dimension. Je suis curieuse de voir quels seront la grandeur et l’impact d’Ursinae.

Vous avez déclaré dans une inter­ view avec le « Kunstbulletin » que vous aviez plus appris dans votre enfance qu’à l’université. Je parlais de l’école primaire. J’utilise encore des techniques que j’y ai apprises.


Ce sont des choses simples, comme écrire avec un stylo plume. J’adore la sensation de l’encre liquide qui coule sur le papier. J’aime aussi dessiner au crayon gris ou piquer des reliefs dans le papier avec une simple aiguille. L’école d’art a été pour moi un bon moyen de rencontrer des gens et de me créer un réseau.

Où avez-vous grandi ?

Quand le projet Ursinae sera-t-il achevé ? L’emménagement dans les appartements de la BäreTower est prévu pour le 1er avril 2022. Au même moment, les constellations de la Grande Ourse, de la Petite Ourse et du Bouvier seront visibles dans le ciel nocturne ­d’Ostermundigen, tout comme leur présence symbolique dans l’œuvre Ursinae.

Dans une ferme en pleine nature, à une vingtaine de minutes de Lausanne. Nous étions entourés de prairies et de forêts, nous avions des animaux et un jardin plein de légumes. Je pouvais jouer pieds nus et me rendre à l’école à vélo. Quand quelque chose était cassé, nous le réparions nous-mêmes, et il y avait toujours des meubles ou des volets à repeindre.

Avez-vous des enfants ? Oui, j’ai trois enfants : deux fils et une fille. Ils sont désormais adultes.

Actuellement, on parle beaucoup de la position des femmes artistes. Je peux illustrer ce débat, qui est très important pour les femmes artistes, par une anecdote que j’ai vécue. J’ai été présentée à un directeur de musée et quelqu’un a dit : « Elle a trois enfants. » Il m’a alors tendu la main et m’a dit : « Toutes mes condoléances. » Je ne l’oublierai jamais. Les femmes artistes ont encore la vie dure.

Depuis votre thèse de doctorat, vous avez un deuxième atelier à Londres. Quand souhaitez-vous y retourner ? Cela fait des mois que je prévois un voyage à Londres. Mon galeriste est là-bas et j’y ai eu une exposition individuelle l’année dernière. Mais à cause du Covid-19, ce n’était pas possible jusqu’à présent. Je suis aussi très occupée en ce moment. J’ai trois gros mandats publics que je dois terminer. 89

BäreTower, Ostermundigen La BäreTower est une étape importante dans le développement urbanistique d’Ostermundigen, une commune limitrophe de Berne. Le projet prévoit divers usages publics et privés sur un site facilement accessible. Après l’obtention du permis de construire en juillet 2018, Halter SA, en tant que développeur, a pu s’adjoindre Helvetia Assurances en tant qu’investisseur institutionnel. Les travaux de construction ont démarré fin 2018. Au printemps 2022, 152 appartements et 3000 mètres carrés de surfaces commerciales et de services ont été remis aux locataires par l’entreprise de commercialisation Tend AG. L’hôtel life­ style Harry’s Home avec 116 chambres et un restaurant panoramique viennent compléter l’offre. → www.bäre-tower.ch

Komplex No 15/2022


p. 80 – Sophie Bouvier Ausländer devant une partie de son installation Mare Vostrum, qu’elle a exposée en 2019 au Musée des beaux-arts du Locle. p. 83 – La maquette de la BäreTower trône sur une estrade dans l’atelier de l’artiste. Au mur sont accrochés des dessins, des photos, des échantillons de couleurs et de matériaux pour le projet d’intervention artistique Ursinae. p. 84 – La sculpture Ursinae, une toiture de verres colorés, sera placée au pied de la tour sur la Bärenplatz et ­projettera des points lumineux multicolores sur le sol (à gauche). L’artiste montre une carte du ciel avec les constellations de la Grande Ourse, de la Petite Ourse et du Bouvier, qui lui ont inspiré son œuvre (à droite). p. 86 – De grandes et petites œuvres d’expositions passées sont entreposées sous et à côté du container-bureau monté sur pilotis, à côté de toiles, de rouleaux de papier et d’autres matériaux. Deux seins en papier mâché sont accrochés au mur.

90

p. 88 – Le livre d’artiste, une pièce unique, a été réalisé à partir du papier rose clair du quotidien britannique « Financial Times ». Les motifs ont été appliqués sur les pages au moyen d’une impression par transfert. Au milieu du livre figurent deux poumons – la photographie d’un objet en papier mâché. p. 89 – L’artiste de 52 ans regarde par la fenêtre de son atelier, situé dans un ancien entrepôt près des voies ferrées, non loin du centre-ville de Lausanne. p. 90 – Le crin de cheval doit être utilisé pour une installation qui sera créée pour l’ouverture des nouveaux musées lausannois Photo Elysée et mudac en juin 2022. p. 91 – L’atelier dispose de beaucoup de place pour des étagères remplies de curiosités, des chariots avec des outils, des ustensiles et pots de peinture et des tables de travail. Au premier plan à gauche se trouve un paravent rempli de livres, réalisé dans le cadre du projet d’intervention artistique « Manières de faire des mondes ». Contre le mur s’empilent des globes colorés constitués de fines bandes de papier collées.

Société & Environnement – Entretien



ANCIENNE POSTE, 92 NOUVEAUX BUREAUX Texte : Sherin Kneifl Visualisations et plans : Integral design-build AG

Les exigences en matière de bureaux évoluent à toute vitesse. Les espaces de travail modernes offrent non seulement des postes de travail bien connectés, mais aussi des zones pour se retirer et des possibilités pour des rencontres et des échanges informels. Integral design-build AG connaît les tendances et met systématiquement en œuvre les nouvelles exigences. C’est ainsi qu’est née une solution de bureaux sur mesure pour ­Bellevue Group dans l’ancienne poste centrale de Zoug. Société & Environnement


Nul besoin d’une boule de cristal pour prédire que notre façon de travailler va changer ­durablement. Le Covid-19 nous a apporté le télétravail qui continuera à nous accompagner. La pandémie agit comme un accélérateur de la numérisation et a aussi bouleversé les exigences vis-à-vis des bureaux. Toutefois, la numérisation n’est qu’une mégatendance parmi d’autres : évolution des rôles de genre, connectivité, individualisation, culture du savoir, néo-écologie, etc. Autant de mutations profondes qui ont des répercussions globales et à long terme sur divers domaines de la société et de l’économie. Elles sont le point de départ de stratégies de grande envergure au sein des entreprises et contribuent à déterminer comment, où et dans quel environnement nous allons travailler. Le fait que les entrepreneurs et les CEO y réfléchissent n’est pas seulement une question de philosophie d’entreprise, mais aussi une condition préalable indispensable à leur succès. Ils trouveront du soutien auprès de la société Integral design-build AG, spécialisée dans les environnements de travail modernes tels que les corporate offices, les espaces de cotravail ou les bureaux partagés. Fondée en 2020, cette entreprise sœur de ­Halter propose un service complet, de l’analyse et de la conception stratégique au ­déménagement, en passant par l’aménagement intérieur. Stefanie Wandiger et Katja Wöhler, cheffes de projet chez Integral design-build, sont des expertes en conception et gestion de l’espace de travail. Ces deux architectes d’intérieur spécialisées dans les nouveaux environnements de travail apportent tout leur savoir-faire réuni grâce au job sharing. Dans le cadre des projets, Katja Wöhler ­s’occupe surtout du développement de la vision et de l’analyse des utilisateurs. Stefanie Wandiger entre en action dès qu’il s’agit de traduire les besoins dans un espace tridimensionnel. Les temps changent Aujourd’hui, les bureaux performants sont clairement axés sur la rentabilité. Ils font preuve d’une grande efficacité énergétique et d’une bonne gestion des ressources, et leur empreinte écologique est minimale. Mais ils doivent aussi offrir du confort et des conditions optimales pour la santé et le bien-être des utilisateurs. L’effet positif sur le comportement et la culture d’entreprise 93

est tout aussi important. Un tel environnement favorise la communication, optimise et ­accélère les processus. Il motive, crée des valeurs et de l’identification. De plus, il attire les meilleurs talents. Dans les start-up, la suppression des symboles de statut traditionnels (du type « étage réservé à la direction ») constitue un aspect important. Ils sont considérés comme ringards et n’ont plus leur place dans des hiérarchies horizontales qui ne sont plus fondées sur le rang. Les signes de performance sont devenus plus subtils. Au fond, le bureau est une carte de visite pour l’entreprise. Les facteurs cités permettent de fidéliser le personnel, de réduire l’absentéisme et, en fin de compte, d’améliorer le résultat final et la productivité. « Aujourd’hui que le télétravail est devenu une réalité, les collaborateurs veulent une bonne raison de retourner au bureau. Cela se traduit par le souhait que les locaux soient aussi agréables que la maison, et par la nécessité de combler les déficits technologiques et ergonomiques accumulés. A mesure que les frontières entre vie professionnelle et vie privée s’estompent, les attentes envers le lieu de travail augmentent. Après le Covid-19, il servira davantage à l’échange social et au développement créatif commun », explique Stefanie Wandiger. Tout auprès d’un seul prestataire Les entreprises s’adressent à Integral design-build parce qu’elles souhaitent non seulement transformer et utiliser les locaux existants dans une optique d’avenir, mais aussi disposer d’un prestataire unique pour l’ensemble du processus de projet, du développement de la surface à la réalisation. Elles évitent ainsi les interfaces inutiles et n’ont qu’un seul interlocuteur. Cela entraîne une mise en œuvre plus rapide et plus économique du projet. Au cours de la première phase, la gestion de l’espace de travail se concentre sur la stratégie et la conception. Puis, au cours de la deuxième phase, le design-build aide les entreprises dans la mise en œuvre – de la planification à la réalisation, en passant par l’ingénierie – si nécessaire, la gestion complète du déménagement peut également être prise en charge. Dans le cadre du mandat de base, les clients souhaitent par exemple améliorer la collaboration entre les employés, créer un environnement de travail inspirant qui Komplex No 15/2022


permette d’augmenter la productivité, mais aussi que l’ADN de l’entreprise se reflète dans l’architecture et renforce ainsi le sentiment d’appartenance des collaborateurs à leur employeur. « Actuellement, nous travaillons surtout pour des PME. Elles apprécient un encadrement résolument terre à terre », se réjouit Stefanie Wandiger. « Mais comme nous sommes très rapides et agiles, de plus en plus de grandes entreprises s’intéressent aussi à nous », ajoute Katja Wöhler. Un nouveau site pour Bellevue Group Le nouveau site de Bellevue Private M ­ arkets SA dans l’ancienne poste centrale de Zoug est l’un des projets qui vient de s’achever. Ce bâtiment de la poste et des télégraphes a été construit entre 1899 et 1902 dans un endroit bien en évidence au centre de la ville. En vue de sa réaffectation – des surfaces de bureaux haut de gamme sur 1300 mètres carrés et trois étages avec restauration au rez-de-chaussée –, le bâtiment historique a été entièrement rénové, les installations techniques ont été renouvelées et la structure des locaux a été optimisée. Ce faisant, il a fallu tenir compte de nombreuses contraintes liées à la conservation des monuments historiques, notamment en ce qui concerne l’enveloppe du bâtiment et la cage d’escalier. La magnifique façade en pierre a été maintenue. Ces paramètres ont déterminé le mandat au même titre que les délais, la surface, la stratégie en matière de postes de travail ainsi que le budget et ont été examinés au préalable dans le cadre d’une procédure de due diligence qui a permis d’identifier les lignes directrices structurelles et techniques. Le défi posé pour les 460 mètres carrés du deuxième étage consistait à concilier les différentes exigences des employés et des groupes de clients de la banque – les dix plus grands investisseurs de Suisse. Ce contraste culturel a donné lieu à d’importantes réflexions. Si la banque, dont la devise est « Excellence in Entrepreneurial Investment », se montrait trop discrète sur le plan visuel, cela entraverait l’établissement de la relation de confiance avec les clients. Toutefois, une apparence trop pompeuse aurait le même effet. Selon Kerstin Schuller, qui a dirigé le projet chez Integral design-build, la solution consistait à créer une atmosphère très calme et paisible. L’ambiance devait être élégante, mais pas luxueuse. Une autre 94

difficulté consistait à donner une impression de générosité sur une surface relativement modeste, tout en créant des espaces fermés pour assurer la confidentialité. D’autres exigences concrètes ont été formulées par le client. Cela a abouti à un mélange entre postes de travail fixes, zones de réunion ouvertes et fermées et postes occasionnels pour les collaborateurs d’autres succursales, qui peuvent venir s’installer sur des « work benches ». La palette de couleurs utilisée privilégie les tons bleus et reprend ainsi l’image de marque du groupe bancaire. Le mobilier sobre et de grande qualité des six pièces est de fabrication européenne. Des tables blanches réglables en hauteur sont associées à des chaises pivotantes signées Vitra. Des étagères métalliques de la marque Hay apportent une touche de simplicité nordique. Les lus­ tres en verre d’Artemide ajoutent en revanche une note décorative. Des patères murales et un portemanteau à la structure géométrique, tous deux du fabricant allemand Schönbuch, attirent discrètement les regards. Confort et discrétion Deux salles de réunion permettent d’accueillir jusqu’à quatorze personnes. Des parois en verre dotées d’une protection pare-vue ainsi que des rideaux colorés confèrent autant de confort que de discrétion. Des tissus tantôt opaques, tantôt transparents, fabriqués par Création Baumann, ont été utilisés dans des coloris plus ou moins clairs ou soutenus. Le lampadaire en granit et métal signé Normann Copenhagen contribue également à l’ambiance. Une table de forme trapé­ zoïdale au design original – une création ­d’Arper – apporte une véritable identité à la grande salle de réunion. Même le couloir est exploité. Il est équipé de fauteuils lounge et de tables d’appoint en bois, provenant tous deux de Zeit­raum. Il sert ainsi de zone d’attente ou d’espace pour se retirer. Les touches de bois chaleureuses sont reprises dans la zone de pause, par exemple avec les bancs ou les chaises hautes, toujours d’Arper, qui entourent des tables hautes noires. Un rideau en cotte de mailles cache habilement le désordre éventuel dans cette zone. Avec ses lignes droites et son style épuré, tout en restant agréablement accueillant, cet environnement permet à Bellevue Group de travailler en toute agilité depuis avril 2022. Société & Environnement


Bien entendu, chaque projet est considéré de manière très individuelle. Cependant, tous commencent par les trois mêmes questions. Premièrement : pourquoi ? Les objectifs d’un agrandissement ou d’une transformation sont définis dès le début, en prenant en compte les tendances du marché et la technologie. Deu­ xièmement : pour qui ? Cette question porte sur la marque et la culture d’une entreprise. Elle concerne les groupes d’utilisateurs, les processus et le type de collaboration et de communication. Troisièmement : où ? Outre l’analyse du site et du marché, les conditions architecturales sont également déterminantes. Vers l’objectif en trois étapes En vue d’élaborer un concept, Stefanie ­Wandiger et Katja Wöhler procèdent en trois étapes et passent de la macro à la microconsidération. Le premier niveau qu’elles prennent en compte est celui des mégatendances, c’est-à-dire des courants profonds du changement à l’échelle mondiale, qu’elles transforment au deuxième niveau en déve­ loppements et influences qui auront un impact à court et moyen terme. Cela inclut par 95

exemple les compétences post-Covid ou futures, qui gagneront nettement en importance dans la vie professionnelle au cours des cinq prochaines années (et ce dans toutes les branches et tous les secteurs industriels), ainsi que la pensée analytique et la force d’innovation, la créativité ou encore l’apprentissage actif. Le troisième niveau concerne le client et ses thèmes respectifs. Un nouveau concept de lieu de travail peut avoir différentes motivations : les objectifs visés vont de la réduction des coûts et du gain d’espace à l’augmentation de l’attractivité pour les nouveaux talents, en passant par la représentation de la croissance ou de la décroissance. Souvent, il est prévu d’en atteindre plusieurs. C’est pourquoi les concepts d’espace de travail sont multiples et variés. « Nous examinons les mégatendances et les influences qui sont réellement per­ tinentes pour l’entreprise. Cela ne sert à rien de tout vouloir représenter. Ce n’est qu’ensuite que nous procédons à une analyse précise de l’entreprise : quelles valeurs, quelle philosophie commerciale, quelle cul­ ture du travail incarne-t-elle ? Et comment Komplex No 15/2022


pouvons-nous les faire vivre d’un point de vue fonctionnel, émotionnel et social ? », explique Stefanie Wandiger. Tout d’abord, il y a l’observation fonctionnelle, c’est-à-dire l’analyse des ­présences, des activités et des processus à l’aide de différents outils. L’échelle sémantique différentielle est l’un d’entre eux. Cette méthode a été développée en ­psychologie afin de découvrir les représentations que les personnes associent à certains termes, faits ou planifications. Le duo d’expertes cherche à obtenir des réponses sur la manière dont les employés collaborent, sur leurs exigences à l’intérieur et à ­l’extérieur de leur lieu de travail, sur le degré de confidentialité de leur emploi, sur leur niveau de bruit, sur leur sensibilité, sur leurs habitudes numériques et sur bien d’autres aspects encore. Cela permet de déterminer, entre autres, les modules d’espace nécessaires. La psychologie au service du projet De telles analyses basées sur les activités fournissent des informations sur les besoins du client. Toutefois, ce sont les émotions et les personnes qui se cachent derrière la marque qui sont le véritable moteur des ­changements. « Dans la mesure où nous travaillons avec et pour les gens, ce lien est le plus important », déclare Stefanie Wandiger. Avec sa collègue, elle organise des ateliers, réalise des interviews et pose des questions. Elle utilise également des méthodes neuro­scientifiques et de psychologie comportementale : des outils qui associent les dernières découvertes dans le domaine de la recherche sur le cerveau, la psychologie et la biologie de l’évolution à la recherche empirique sur la consommation. Partant de là, l’équipe d’Integral design-build déduit des attributs spatiaux basés sur la science et crée un « look and feel » stratégique. Elle emmène le client en voyage vers l’objectif visé. Pour ce faire, l’entreprise crée non seulement des mood boards attrayants, mais aussi des espaces virtuels en 3D pour une expérience spatiale aussi proche que possible de la réalité. Le Key Performance Indicator (indicateur clé de performance ou KPI) permet de mesurer l’efficacité des mesures prises. Les critères retenus sont par exemple une plus grande satisfaction du personnel, une augmentation des performances ou une diminution 96

des absences. « Ce qui compte le plus pour nous, c’est le feedback positif des clients. Nous considérons que nous avons réussi lorsque nous avons non seulement mis en place la bonne solution, mais également respecté le budget, les délais et les exigences de qualité fixées au départ », affirment les collaboratrices d’Integral design-build. La collaboration avec des promoteurs immobiliers et des sociétés de commercialisation immobilière représente une part croissante de leur portefeuille. Dans ce domaine, elles coopèrent étroitement avec Halter Développements afin de définir les futures stratégies d’utilisation des bâtiments dès la phase de planification. Un parcours utilisateur spécialement développé et simulé en 3D permet au client final d’expérimenter un espace presque comme s’il y était, bien avant la fin des travaux. Où en est la Suisse par rapport au monde du travail moderne ? « Les pays d’Europe du Nord sont beaucoup plus avancés, notamment en ce qui concerne le thème de la santé et du bien-être. La Suisse est plutôt à la traîne. Elle se comporte avec prudence et évalue d’abord tous les risques avant d’agir », explique Katja Wöhler. Integral design-build entend bien changer cela – en proposant des solutions orientées vers le client, basées sur les connaissances les plus récentes, et des environnements de travail propices à l’inspiration.

Integral design-build AG Cette entreprise spécialisée dans l’aménagement intérieur des environnements de travail a été fondée en 2016 sous le nom de W21 Innenausbau AG. Elle a été repositionnée en 2020 et depuis, Integral design-build est une société sœur de Halter SA. Basée au JED, le hub de connaissances et d’innovations de Schlieren, cette société de prestations de services opère sous la direction de son CEO Markus Brunner et emploie une trentaine de personnes. Elle travaille principalement sur la réalisation de solutions intégrées pour les environnements de travail tout au long du cycle de vie. Pour cela, l’entreprise mise sur des processus numériques de bout en bout, sur un solide réseau d’entreprises et de partenaires, ainsi que sur l’écoute des besoins des clients à travers des contacts personnels. → www.integralag.ch

p. 92 – Différentes nuances de bleu dominent dans les salles de réunion de Bellevue Group. Jusqu’à seize personnes peuvent prendre place autour de la grande table. p. 95 – Dans la zone de pause, les collaborateurs et collaboratrices de la banque peuvent s’asseoir sur des bancs ou des tabourets de bar. Des rideaux en cotte de mailles protègent visuellement cet espace.

Société & Environnement


Les différentes zones d’utilisation sont indiquées par différentes couleurs sur le plan de l’étage des bureaux entre les murs historiques.

Travail

Silence

Travail

Cuisine Travail alternatif

Rencontre 2

Hub central Collaboration Travail

Réunion

BAUVORHABEN:

Mieterausbau 2.OG Postplatz 1, 6300 Zug

AUFTRAGGEBER:

Bellevue Private Markets AG Seestrasse 16, 8700 Küsnacht PROJEKTNUMMER:

PLANUNGSPHASE:

Ausführung Ausführung Ausschreibung PLANNUMMER:

PLANTITEL:

GR02

Grundriss blank

PLANVERFASSER:

Integral design-build AG

Zürcherstrasse 39, 8952 Schlieren

PROJEKTKÜRZEL:

8082

NANO

MASSSTAB:

PLANGRÖSSE:

DATUM:

GEZEICHNET:

01.11.2021

SKE

REVIDIERT:

REVISION:

www.integralag.ch

C:\Users\SKE\buildagil\NANO_Bellevue Group - Dokumente\44_MAB_Modelle\05_CAD Modelle\ITG_ske_Adbodmer_Hauptpost Zug_2.pln GSPublisherVersion 57.73.95.1

Bellevue Group occupe un étage entier de 460 mètres carrés. Une grande table de réunion trapézoïdale trône dans la salle centrale en encorbellement.

Bureaux 2 postes

Bureau 3 postes

Coin cuisine

Mix bureaux et work bench

Bulle acoustique

DW

DW

DW

SWL

DW

2

DW

SWL

DW

Grundriss 2.OG

Zone de rencontre

Réduit

SWL

Salle de réunion

Collaboration

Salle de réunion

Alle Masse sind am Bau zu überprüfen. Unstimmigkeiten sind der Bauleitung unverzüglich mitzuteilen.

Sind Hinweise über Spezialpläne angegeben, so sind diese verbindlich.

Services

BAUVORHABEN:

Mieterausbau 2.OG Postplatz 1, 6300 Zug

AUFTRAGGEBER:

Bellevue Private Markets AG Seestrasse 16, 8700 Küsnacht

97

Komplex No 15/2022

PLANUNGSPHASE:

Ausführung PLANNUMMER:

PLANTITEL:

GR02

Grundriss Komplex

PLANVERFASSER:

Integral design-build AG

Zürcherstrasse 39, 8952 Schlieren

C:\Users\SKE\buildagil\NANO_Bellevue Group - Dokumente\44_MAB_Modelle\05_CAD Modelle\ITG_ske_Adbodmer_Hauptpost Zug_2.pln GSPublisherVersion 126.72.95.1

www.integralag.ch

PROJEKTNUMMER:

PROJEKTKÜRZEL:

8082

NANO

MASSSTAB:

PLANGRÖSSE:

DATUM:

GEZEICHNET:

01.11.2021

SKE

REVIDIERT:

REVISION:


98 POUR UNE FORÊT DE LABELS PLUS STRUCTURÉE Texte : Stefan Fahrländer Graphiques : Fahrländer Partner AG

Des accords internationaux rendent aujourd’hui la mise en œuvre des trois piliers du développement durable plus contraignante qu’il y a quelques années encore. Outre le développement et l’implémentation de directives stratégiques, la mesure proprement dite de la durabilité devrait être effectuée de la manière aussi automatique, efficace et étendue que possible pour l’ensemble de la Suisse – sans entrer en concurrence avec les systèmes et labels existants. Une initiative de la branche est en cours dans ce sens. Exploitation & Cycle de vie


Les 17 objectifs de durabilité de l’ONU sont assez clairs. En Suisse, notamment sur le marché de l’immobilier, nous considérons que certains d’entre eux sont atteints et nous nous concentrons sur le reste. Nous avons l’impression d’avoir fait notre travail et nous nous reposons tranquillement. Mais attention ! Sur le chemin de l’ONU jusqu’à nous, les objectifs sont passés par les bureaux de Berne et 163 sous-objectifs sont venus s’y ajouter. Cela génère des incer­ titudes, de la perplexité et de la fébrilité dans le secteur immobilier. Les émissions de CO₂ sont particulièrement visées. Sur ce point, la pression politique est forte et se répercute sur les acteurs via le régulateur, par exemple à travers l’obligation de reporting ou l’interdiction des chauffages à combustibles fossiles. Par ailleurs, les organes exigent la rédaction de rapports, la définition de trajectoires de réduction ou l’obligation d’obtenir un label. Environmental Social Governance (ESG – critères environnementaux, sociaux et de gouvernance, en français), labels, systèmes de notation sont autant d’arbres qui cachent la forêt. A l’échelle mondiale, la diversité est énorme. En Suisse aussi, divers systèmes sont connus et répandus. Il n’y a pas qu’une seule réponse. Le système ESG, la notation de la durabilité et, le cas échéant, les labels qui entrent en ligne de compte pour un acteur dépendent des structures des propriétaires et des locataires, y compris en Suisse. Toutefois, il faut respecter les objectifs de l’ONU et les objectifs nationaux qui en découlent ou les accords signés et ratifiés. Voilà la principale différence par rapport aux quarante dernières années, au cours desquelles la durabilité écologique était encore un phénomène de la haute conjoncture pour de nombreux acteurs et que l’opinion à ce sujet évoluait souvent en fonction du prix du pétrole. La tendance au reporting ESG En raison également du caractère plus contraignant de la mise en œuvre des thèmes relatifs à la durabilité, les directives ne concer­ nent plus seulement l’Etat, mais aussi les organes des banques, les propriétaires et les investisseurs finaux ainsi que les locataires, et doivent être appliquées. Il en résulte des directives et donc des besoins de reporting sur la gouvernance générale (G), mais aussi sur les piliers de l’écologie (E) 99

et de la durabilité sociale (S). L’économie est censée être déjà couverte par le reporting financier. Il existe d’autres exemples de reporting ESG : l’indépendance des organes et la séparation des pouvoirs, les questions de genre au sein de l’entreprise, les relations avec les fournisseurs et les pres­ tataires de services, l’origine des matières premières et des produits intermédiaires ou des matériaux de construction, l’économie circulaire, les exigences écologiques envers les surfaces locatives, les aspects de durabilité sociale du côté des locataires et bien plus encore (voir graphique p. 100 en haut). Parfois, un observateur neutre pourrait se dire : « Il y a quand même la morale, l’éthique et le discernement. Pourquoi tout cela doit-il être enregistré, consigné et contrôlé à grands frais ? Où se situe la création de valeur dans tout ça ? » Mais visiblement, le monde réel n’est pas aussi bon que nous le souhaiterions. Labels, normes, systèmes Dans les réflexions des acteurs du secteur immobilier, les trois piliers du développement durable jouent depuis longtemps un rôle majeur. La plupart du temps, ils sont motivés par des considérations pécuniaires et chiffrés en francs suisses. S’agissant des aspects écologiques, les coûts du cycle de vie ont souvent été et sont toujours des arguments avancés – et un prix du pétrole « adapté » est utilisé. Mais parallèlement, il y a toujours eu des acteurs dont les décisions étaient également influencées par des convictions éthiques et morales. Dans l’ensemble, toutefois, ces dernières ont joué un rôle secondaire, de sorte que l’Etat tente d’orienter ses exigences ou d’accélérer les développements à coups de subventions. Il existe depuis quelque temps déjà des labels, notamment écologiques, qui évaluent les mesures prises de manière binaire, à savoir si elles ont été appliquées ou non. Le Certificat énergétique cantonal des bâtiments (CECB) est moins complet, mais plus différencié : l’efficacité énergétique et les émissions de CO₂ donnent lieu à une note comprise entre A et F. Pour les nouvelles constructions, il existe le Standard Cons­ truction durable Suisse (SNBS) et, pour les immeubles collectifs et de bureaux, le Swiss Sustainable Real Estate Index (SSREI), un système d’évaluation couvrant les trois piliers du développement durable. Komplex No 15/2022


Durabilité (ONU Brundtland) Economie, Ecologie, Social

Ecologie

Social

Véhicule / entreprise

Stratégies et directives globales concernant les critères ESG

Entrées sur les trois piliers de la durabilité : Immeuble individuel

– Macrosituation – attribution des mesures de FPRE, PAC, etc.

Indices de référence

Interpréter automatiquement, rendre comparables, combler les lacunes, évaluer

– Microsituation – attribution des mesures de FPRE, PAC, etc. – Bien – utilisation des données disponibles, labels, mesures de CO₂, CECB, Minergie, SSREI, modèle de CO₂ pour comparaison, propriétés issues des données de base, état locatif, etc.

Tableaux, illustrations, etc. générés automatiquement dans le cadre des rapports ESG

Livraison automatisée de la notation sous forme de vecteur de données et de fichier XLS/PDF – Preuve des entrées, valeurs types, bases – Feux de signalisation pour le remplissage et la crédibilité

Remplissage de systèmes de notation

Véhicule / entreprise

Sortie – Rapports

– Pronostic de notation, par ex. CECB, Minergie, SSREI – Classement dans des indices de référence

Exploitation & Cycle de vie

Immeuble individuel

Economie

Entrée – Collecte de données

100

Les objectifs de durabilité de l’ONU s’accompagnent également de directives et de besoins de reporting pour les acteurs du marché immobilier suisse.

Reporting ESG Ecologie, Social, Gouvernance

Reporting financier

Un système de durabilité numérique, basé sur des données, fournit des tableaux et des illustrations pour un reporting ESG complet.

Régulateur Véhicule / entreprise Immeuble individuel

Objectifs de l’ONU Prescriptions pour banques, assurances, fonds, ­gestionnaires d’actifs, etc.


Néanmoins, tous les labels et notations présentent quelques inconvénients, à savoir : les coûts internes pour la collecte et la mise à disposition des données, les coûts externes pour les contrôles et la certification, la limitation de l’applicabilité, par exemple uniquement pour les nouvelles constructions ou uniquement pour l’habitat, la binarité au sens de « conforme ou non conforme aux critères ». En fin de compte, un label ne sert à rien en tant que tel, ce n’est qu’un instrument de communication. La valeur ajoutée réside dans le standard proprement dit qui, même sans certification, peut servir d’orientation au sens d’une « meilleure pratique ». Pour un système basé sur des données La situation de départ dans de nombreux portefeuilles immobiliers, sans parler des livres hypothécaires des banques ou de l’état des données des propriétaires privés, est très hétérogène, et le niveau d’information s’avère souvent médiocre. Il n’en demeure pas moins le souhait de disposer d’un indice de référence couvrant l’ensemble des près de deux millions de bâtiments en Suisse. Nous aimerions savoir où nous en sommes en matière de durabilité, afin que chacun puisse identifier la nécessité d’agir au niveau de son bien immobilier et, le cas échéant, prendre des mesures. En tant que société, nous souhaitons aussi, en plus de l’état des lieux, un suivi de l’évolution au fil du temps. Il est admis que les labels ne sont pas adaptés à une certification à grande échelle. Il est également clair qu’un système national doit naître d’une initiative de branche. Ce n’est qu’ainsi que la Suisse pourra progresser en matière de développement durable. Une initiative lancée il y a un an par le secteur immobilier, avec la participation de toutes les parties prenantes, est en train de mettre en place un système numérique de durabilité exclusivement basé sur des données. Elle vise à générer automatiquement des tableaux et des représentations de tous les types de bâtiments en Suisse en vue d’un reporting ESG complet. Le système est composé d’une interface d’entrée qui peut être ­alimentée par tous les systèmes de gestion centraux et par d’autres systèmes d’information, y compris par des « petits particuliers ». Dès lors qu’une norme est respectée et documentée ou qu’il existe un label, cette information peut être transmise. 101

Les données reçues sont interprétées et harmonisées de manière entièrement automatique, les données manquantes sont complétées par des valeurs disponibles publiquement et par des modèles d’entreprises spécialisées. Compte tenu de la situation en matière ­d’information, il est peu réaliste de dépenser de grosses sommes pour la saisie complète de données et d’indicateurs, car les choses doivent avancer rapidement. Les données ­complétées et harmonisées permettent d’établir une notation de la durabilité pour ­chacun des trois piliers (économie, écologie et social), de la comparer à des critères de référence et de la restituer au moyen d’une interface (voir graphique p. 100 en bas). Cela permet de dresser un état des lieux de l’immobilier au sens d’une note scolaire et non à douze décimales près. Si l’on ­voulait tout saisir et certifier, les coûts seraient immenses, la perte de temps importante et l’utilité somme toute modeste. Il est possible grâce au système suisse d’évaluer automatiquement tous les bâtiments à l’aide des informations disponibles ainsi que d’une multitude de données auxiliaires et de données de registres publics, notamment en ce qui concerne les qualités du site, les sources d’énergie et d’autres critères de référence, et d’en assurer le suivi dans le temps. Cela permet de procéder à une évaluation par bien immobilier ou pour des portefeuilles immobiliers entiers, et de les comparer à l’ensemble. L’analyse peut porter sur un immeuble collectif donné par rapport au porte­ feuille ou par rapport à tous les immeubles collectifs de Suisse. Au moyen d’une évaluation automatique, il est possible de trier de vastes portefeuilles immobiliers pour ­identifier les cas les plus problématiques. Lorsque les défauts et les champs d’action sont identifiés, il s’agit de procéder aux approfondissements nécessaires, de planifier les mesures et de les mettre en œuvre. C’est ici qu’ont lieu le travail, la création de valeur et l’amélioration de la durabilité, tandis que les tâches relatives aux mesures peuvent être confiées à la machine. Stefan Fahrländer (51 ans) a fait des études d’économie à l’Université de Berne et de statistique appliquée à l’EPF de Zurich. Il a obtenu son doctorat en 2006 et a travaillé entre autres chez DIW Berlin et Wüest Partner à Zurich. Il est membre fondateur de Fahrländer Partner Raument­wick­ lung AG à Zurich, qui possède des succursales à Berne et à Francfort-sur-le-Main. → www.fpre.ch

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« OPEN API » OU 102 INSPIRATION LEGO Texte : Stefan Zanetti Illustration : Dominique Wyss

Numérisation – ce mot vous sort également par les yeux ? C’est le cas de beaucoup de monde. Lors du salon IMMO22 qui s’est tenu à Zurich au début de l’année, des CEO et membres de la direction d’entreprises immobilières renommées se sont exprimés comme suit : « Au moins une fois par jour, je reçois un e-mail d’une entreprise de PropTech qui me propose une collaboration. » – « Je ne sais même plus ce que je dois choisir parmi les innombrables solutions numériques. » – « A la base, nous voulions augmenter notre efficacité, mais aujourd’hui, nous avons encore plus d’interfaces manuelles qu’avant au sein de notre établissement. » On peut dire que la numérisation est désormais pleinement entrée dans le secteur immobilier – avec quelques années de retard, certes, mais sa présence ne fait plus aucun doute. Le Covid-19 y est pour quelque chose : même les derniers collègues qui pensaient que rien ne changerait pour eux au cours des ­cinquante prochaines années ont maintenant compris que l’échange entre les personnes et les entreprises se faisait aujourd’hui principalement par voie numérique. En même temps, la lassitude s’installe : là où, au milieu de la dernière décennie, on assistait encore à un véritable engouement pour la numérisation, on observe aujourd’hui un certain désenchantement. Il existe désormais de bonnes solutions individuelles pour chaque étape du processus. Pourtant, il n’y a pas eu de grands changements. Les utilisateurs des immeubles sont-ils davantage satisfaits ? Les promesses d’efficacité dans le développement ou l’exploitation des biens immobiliers pour les propriétaires ont-elles pu être tenues ? Avons-nous atteint une transparence totale sur ce qui se passe dans les immeubles – par exemple en ce qui concerne les consommations ? Malheureusement, dans la plupart des cas, la réponse est non. L’introduction des technologies numériques dans les secteurs se fait généralement en plusieurs phases : dans un premier temps, les processus et les modèles commerciaux existants sont améliorés grâce à la numérisation. Rien que le terme Exploitation & Cycle de vie – Chronique


« numérisation » indique qu’il s’agit d’une action « sur quelque chose » – à savoir que « quelque chose d’existant » est désormais fait numériquement. On constate ainsi dans le secteur extrêmement fragmenté de l’immobilier qu’en Europe, plus de 3000 solutions PropTech et au moins autant de fournisseurs établis se bousculent au portillon pour réaliser des gains d’efficacité dans les différents fragments du secteur de l’immobilier. Cela nous a valu d’innombrables solutions isolées dans de nombreux schémas individuels, et au lieu d’en réduire le nombre, cela a créé encore plus de ruptures médiatiques. Dans le monde des banques, la numérisation a fait son entrée il y a vingt ans déjà

Il n’est pas étonnant que la frustration s’installe. Mais heureusement, nous n’en sommes qu’à la phase 1. Une amélioration se profile à l’horizon et, plutôt que de se résigner, il vaut la peine de jeter un coup d’œil à d’autres secteurs – par exemple à celui des banques. La numérisation y a déjà fait son entrée il y a vingt ans. Cela se voit bien au fait que nous sommes habitués depuis longtemps, en tant que clients des banques, à ­effectuer nos transactions quotidiennes de manière purement numérique via une application, un portail ou un distributeur ­automatique, ou à y consulter des documents et le solde de nos comptes. Désormais, nous devons même payer un supplément si nous souhaitons par exemple recevoir un relevé de compte au format papier. Dans les banques aussi, la première phase de l’introduction des technologies numériques a consisté à augmenter l’efficacité des processus existants au sein de grands systèmes. Mais nous sommes ensuite entrés dans la phase 2 : l’open banking était la suite logique de la numérisation. L’open banking décrit une ­évolution par laquelle des mondes de systèmes auparavant fermés sont ouverts au sein d’un établissement bancaire, afin que des systèmes internes puissent échanger des données de manière automatisée avec des applications d’autres fournisseurs – dans le respect bien sûr de toutes les règles de protection des données et avec l’accord des clients. Cela a permis, par exemple, à une nouvelle catégorie de fournisseurs de présenter de manière automatisée et numérique la consolidation de tous les avoirs déposés auprès de différentes banques, c’est-à-dire une fortune globale. Cela devient possible dès lors que les logiciels sont cons­ truits de telle sorte qu’ils peuvent être facilement reliés à d’autres applications par le biais de principes généralement 103

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acceptés. « Relier » signifie ici échanger des données de manière standardisée et en temps réel, et déclencher des processus dans d’autres applications. Dans le monde des logiciels, on parle d’Application Programming Interfaces (API). Il ne s’agit pas du simple téléchargement de données au format Excel ou CSV et de leur chargement « du jour au lendemain » dans un autre système, ce qui est encore trop souvent considéré comme une « interface ». Dans un univers API, l’objectif est que chaque système puisse déclencher directement des processus dans d’autres systèmes. Par exemple de manière qu’une plateforme de locataires puisse, à partir de la déclaration de sinistre d’un habitant, créer directement un mandat dans un système en aval d’un gestionnaire ou d’un artisan et déclencher des processus consécutifs, sans qu’un collaborateur ou une collaboratrice du gestionnaire doive copier les données d’une application à une autre. De la numérisation à la « légoïsation »

Pour simplifier les choses, on peut comparer cela aux Lego : ce qui compte le plus sur les briques Lego, ce sont les picots. Quiconque achète des Lego sait qu’il n’a pas à se soucier de savoir si les briques vont s’assembler. Jaune, rouge, verte, bleue, droite ou oblique – l’aspect d’une brique n’a aucune importance. Tout s’emboîte facilement grâce aux picots bien connus. Les API sont les picots du monde des logiciels. Et pour reprendre l’image de la « legoïsation » : si les picots sont standardisés, il est possible de construire les plus belles nouvelles réalisations. De même, le mouvement de l’open banking a donné naissance à de nombreux nouveaux modèles commerciaux au profit des clients – les modèles commerciaux inefficaces étaient déjà sous pression depuis longtemps. Ce n’est pas pour rien que l’Association suisse des banquiers déclare que l’« open banking […] est appelé à influencer et à transformer durablement le secteur bancaire. L’Association suisse des banquiers ­considère qu’il recèle un fort potentiel pour la place financière. » Le besoin d’Open API et d’un mouvement « Open Real Estate » correspondant est évident. Les tâches gigantesques dans le domaine du développement durable ou l’évolution vers une économie c ­ irculaire ne peuvent se passer d’une disponibilité continue des données. Mais les utilisatrices et utilisateurs des biens immobiliers profiteront aussi massivement de la possibilité de relier entre eux les différents systèmes techniques. Enfin, les professionnels de l’immobilier susmentionnés seront moins perdus s’ils savent que leurs systèmes fonctionnent ­correctement ensemble. 104

Exploitation & Cycle de vie – Chronique


Dans l’environnement bancaire, l’évolution vers des interfaces ouvertes a été soutenue par la réglementation, ce qui montre l’importance de l’ouverture des systèmes fermés, même du point de vue du régulateur. Par exemple, la 2e Directive sur les ­services de paiement (PSD2) a largement contribué à l’évolution vers des API ouvertes, afin que les utilisateurs puissent consolider leurs données de compte dans différents systèmes. Dans l’environnement immobilier, une telle pression réglementaire n’est pas manifeste, mais peut-être pas non plus nécessaire. Au fond, que faut-il pour créer un monde logiciel ouvert ? Pas grand-chose, étonnamment. Les développeurs de logiciels savent depuis longtemps ce que sont les API ouvertes. Cela peut être décrit en quelques pages. Du côté des fournisseurs, nous n’avons donc aucun problème de compréhension. En revanche, du côté des donneurs d’ordre, les API ouvertes doivent faire partie intégrante de chaque appel d’offres afin d’amener le secteur immobilier vers un monde plus ouvert. Et si les donneurs d’ordre ne disposent pas des compétences nécessaires, il est possible de les acheter ou même de les centraliser via des organisations sectorielles. Car une chose est claire : si une orientation vers des interfaces ouvertes devient le critère principal de toute acquisition de système, le monde des fournisseurs s’y adaptera automatiquement – ou alors le tri se fera naturellement. Après sept ans de numérisation, déclarons donc pour les sept prochaines années l’ère de la légoïsation dans le secteur immobilier ! Pour qu’à la fin de cette décennie, il soit normal que les propriétaires et les prestataires de services immobiliers se procurent des modules de logiciels individuels en fonction de leurs préférences personnelles et qu’ils n’aient plus du tout à se demander, grâce aux picots existants sous forme d’API, si ces modules peuvent être assemblés pour former un bel ensemble.

Stefan Zanetti (50 ans), fondateur et président du conseil d’administration d’Allthings Technologies AG, est l’une des personnalités marquantes de la scène PropTech en Europe. Fasciné par le développement de nouvelles choses et pres­ tations de service, il a fondé Allthings en 2013, sa troisième spin-off de l’EPFZ après Synesix et Careware. En créant la plateforme d’intégration et de gestion des locataires, désormais leader sur le marché, pour les propriétaires et les gestionnaires de biens immobiliers, il a combiné son enthousiasme pour la conception d’inter­ actions clients, la gestion des risques et la durabilité avec sa passion pour les nouvelles technologies et les logiciels. -> www.allthings.me

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106 MOINS D’ÉMISSIONS DANS LE PARC IMMOBILIER Texte : Christoph Zaborowski Captures d’écran : CO₂mpass

Le CO₂mpass est une application qui permet d’aborder de manière très concrète et réalisable des mesures énergétiques pour des portefeuilles entiers d’immeubles de r ­ endement. Des stratégies permettant de planifier rapidement des rénovations et d’atteindre plus rapidement les objectifs en matière de CO₂ sont identifiables avec un minimum de données déjà. L’impact de ces mesures sur les émissions est représenté par une ­trajectoire de réduction pour le CO₂. Exploitation & Cycle de vie


Le 21 novembre 2021, les électeurs du canton de Zurich ont accepté la loi sur l’énergie. Ainsi désormais, lors du remplacement d’un chauffage, l’installation de chauffages neufs au mazout ou au gaz ne sera plus autorisée que dans des cas exceptionnels. En septembre de la même année, Glaris avait déjà interdit les chauffages neufs au mazout et au gaz, et des réglementations similaires existent à Bâle-Ville et à Neuchâtel. A l’étranger, une feuille de route a été adoptée au niveau de l’Union européenne avec la « taxonomie verte », qui vise à éliminer progressivement les émissions de CO₂ au niveau des bâtiments. En principe, ni le CO₂ ni les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance de façon plus générale ne sont des thèmes nouveaux. Même dans le secteur immobilier, généralement plus lent, la durabilité a été le mot d’ordre de ces dernières années. Tou­ tefois, le débat s’est principalement concentré sur les nouvelles constructions et sur des immeubles spécifiques. Pour le parc immobilier existant, et donc pour la grande ­majorité des bâtiments et des investisseurs, la réduction des émissions de CO₂ est restée très longtemps au second plan. Sachant que plus de la moitié du parc immobilier suisse est encore chauffé à l’énergie fossile, l’objectif d’un parc immobilier sans émissions de CO₂ est aujourd’hui loin d’être atteint. Il est temps que les propriétaires immobiliers s’intéressent de plus près à ce sujet. La trajectoire de réduction pour le CO₂ permet de formuler des objectifs ambitieux Certains investisseurs immobiliers se sont fixé, il y a quelques années déjà, des objectifs ambitieux concernant les émissions de CO₂. C’est ainsi que la notion de trajectoire de réduction a été mise à l’ordre du jour. Celle-ci indique la manière dont les émissions de CO₂ d’un portefeuille immobilier donné doivent diminuer au cours des prochaines années. La plupart des investisseurs effectuent leurs analyses selon le protocole GHG (Greenhouse Gas Protocol). Il s’agit d’une norme internationale de mesure des émissions nocives pour le climat. Appliqué au secteur immobilier, le protocole GHG distingue trois catégories : les émissions du scope 1 sont les émissions directes générées dans le cadre de l’exploitation des bâtiments sur place. Elles incluent principalement les émissions de CO₂ du chauffage au mazout ou au gaz installé. Les émissions du scope 2 comprennent 107

en outre les émissions indirectes liées à l’énergie achetée (c’est-à-dire produite à l’extérieur du bâtiment), comme l’électricité ou le chauffage urbain. Les émissions du scope 3 sont très vastes et incluent encore d’autres émissions indirectes générées par l’utilisation d’un bâtiment, comme l’autoconsommation collective des locataires, mais aussi les émissions générées dans le cadre de la mobilité des pendulaires ou de la gestion des bâtiments. On comprend ici que l’établissement d’une trajectoire de réduction peut se révéler ­complexe. Si l’on veut un bâtiment totalement neutre pour le climat, il faudrait logiquement prendre le scope 3 comme référence. Mais cela implique d’assumer la responsabilité pour des éléments sur lesquels on ne peut avoir qu’une influence limitée. La mesurabilité de la mobilité et de la consommation d’élec­ tricité des locataires est également limitée, ce qui rend presque impossible un relevé correct des émissions du scope 3. Pour calculer les émissions du scope 2, il faut connaître aussi bien la consommation propre d’électricité et de chauffage urbain que l’ampleur des émissions dues à la production d’électricité (c’est-à-dire le mix électrique) ou à la production de chauffage urbain. Grâce à diverses études, il existe des valeurs de référence pour ces données, sans lesquels le calcul serait difficile. Les émissions du scope 1 sont faciles à mesurer, pour autant que la consommation de combustibles dans le bâtiment soit connue. Si les émissions ont été mesurées dans un premier temps de manière plus ou moins complète et précise, les objectifs ou la trajectoire de réduction peuvent être formulés dans un deuxième temps. Un objectif est généralement formulé de manière plutôt simple et accrocheuse, par exemple « neutralité carbone d’ici 2040 ». La trajectoire de réduction consiste alors souvent en une simulation qui montre comment cet objectif peut être atteint dans un portefeuille immobilier concret. C’est là que se pose le prochain défi : sur quelles hypothèses la trajectoire de réduction simulée devrait-elle se baser ? Quel type de mesures s’impose et doit être mis en œuvre ? Le CO₂mpass, une aide innovante à la planification Au final, c’est la réduction effective des émissions de CO₂ qui est au premier plan lors de l’établissement d’une trajectoire de Komplex No 15/2022


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p. 108 – Captures d’écran de l’application CO₂mpass. Impact des mesures passives proposées pour un immeuble collectif à Berne : réduction des émissions de CO₂ de 36 à 21 tonnes (scope 2) par an (1). Impact des mesures passives et actives proposées pour un immeuble collectif à Berne : réduction des émissions de CO₂ de 36 tonnes à 0 tonne (scope 2) par an (2). Trajectoire de réduction pour le CO₂ d’un portefeuille type en fonction de l’ensemble de mesures par rapport aux objectifs fixés (3). Faisabilité concrète des systèmes de chauffage alternatifs pour ­l’immeuble collectif à Berne analysé par l’application (4).

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réduction. Pour cela, les investisseurs immobiliers disposent de mesures concrètes. L’application CO₂mpass permet de les planifier de manière très concrète et surtout réaliste pour des portefeuilles immobiliers entiers, moyennant quelques données d’entrée seulement. De cette manière, les rénovations peuvent être entreprises rapidement et les objectifs de CO₂ peuvent être atteints plus vite. Enfin, bon nombre de ces mesures augmentent également la rentabilité des biens immobiliers. Mesures passives Les mesures passives sont les plus évidentes. Elles consistent à améliorer le bâtiment de manière générale, ce qui entraîne une réduction de la consommation d’énergie. Cela permet de réduire les émissions de CO₂ sans même avoir à remplacer le chauffage. L’accent est mis sur des travaux tels que la rénovation des façades, le remplacement des fenêtres, la rénovation du toit ou encore l’isolation des plafonds de cave. Il ne s’agit pas nécessairement d’atteindre la norme Minergie. Cela n’est pas toujours rentable ni souhaitable d’un point de vue esthétique pour tous les bâtiments. Mais dans le cas d’une construction non rénovée des années 1980, les résultats d’un ensemble de mesures passives « normales » sont souvent déjà très impressionnants. Dans l’application CO₂mpass, des mesures passives de réduction des émissions de CO₂ sont proposées en fonction du scénario choisi. Mesure active Lorsqu’un chauffage existant est remplacé en raison de son âge ou de sa performance, il est possible de franchir une étape décisive dans la réduction des émissions. Selon l’emplacement et les conditions individuelles, différentes variantes sont envisageables pour cette mesure active : les plus courantes consistent à installer des pompes à chaleur (air, eau glycolée ou eau), des chauffages à copeaux de bois / pellets ou encore un chauffage urbain. Lors de l’établissement de la trajectoire de réduction, on calcule pour l’ensemble d’un portefeuille immobilier le résultat que donnerait le remplacement successif des chauffages au mazout et au gaz par des alternatives ainsi que la mise en œuvre de diverses mesures passives. Il existe pour cela différentes applications sur le marché. Cependant, la faisabilité effective n’est souvent pas vérifiée. Dans le cadre de la mise en œuvre, de nombreux investisseurs immobiliers 109

se heurtent alors à des obstacles, soit en raison de défis techniques, soit en raison d’une rentabilité insuffisante des mesures simulées. Dans ce cas également, le CO₂mpass aide à la planification en ne proposant que des mesures en principe réalisables. Pour une approche pragmatique et efficace de la réduction des émissions de CO₂ Pour de nombreux investisseurs, la saisie des consommations actuelles et la simulation d’une trajectoire de réduction pour le CO₂ vont déjà de soi. Il est très positif que les acteurs du marché se fixent des objectifs mesurables. Enfin, une documentation sérieuse sur ses propres émissions de CO₂ est aujourd’hui obligatoire pour certains investisseurs. Mais on constate souvent qu’elle n’est pas mise en œuvre de manière efficace. Les ressources investies dans les projets de collecte de données font défaut. De plus, les trajectoires de réduction simulées se heurtent à des obstacles pratiques ou économiques qui entraînent des retards, voire la suspension des projets. Le fait que certains objectifs ne puissent pas être atteints par le propriétaire lui-même rend les choses encore plus difficiles. Les ­projets visant à inciter les locataires à changer leurs comportements, par exemple en limitant les déplacements, peuvent être tout à fait pertinents, mais ils ne peuvent pas être comparés à des mesures évidentes telles que le remplacement du chauffage combiné à quelques mesures passives. En bref : l’effet sur les économies de CO₂ d’un remplacement rapide et efficace du chauffage combiné à une rénovation de la façade peut rapidement dépasser 70%. Est-il vraiment important de savoir si les émissions calculées étaient à l’origine de 40, 50 ou 60 tonnes de dioxyde de carbone par an ? Ce qui compte, c’est d’aller dans la bonne direction, de choisir les outils adéquats et de prendre les mesures qui s’imposent. Le CO₂mpass permet d’adapter les scénarios futurs rapidement et en toute simplicité. Christoph Zaborowski (54 ans) a été partenaire chez Wüest Partner jusqu’en 2014 et s’engage depuis lors en faveur des innovations sur le marché immobilier avec sa propre entreprise REFL Invest AG. En tant que membre du conseil d’administration de BS2 AG et de Mivune Schweiz AG, il a joué un rôle déterminant dans le développement du ­CO₂mpass. Christoph Zaborowski est par ailleurs membre du conseil d’administration de Fundamenta Group Holding SA et siège au sein de divers comités d’investissement. → www.reflinvest.com

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« L’EFFICACITÉ EST LE CONTRAIRE DE LA RÉSILIENCE » Texte : Hubertus Adam Photos : Lukas Wassmann

Le bureau zurichois Hosoya Schaefer étudie depuis longtemps la question de savoir comment la production dans le paysage ­polycentrique de la Suisse peut être ramenée dans les villes, sur le plan tant théorique que pratique. Les architectes donnent une réponse dans leur nouveau livre « The Industrious City » – la ville industrieuse. C’est selon ce principe que se développe à Saint-Gall l’entreprise de coproduction Fabrik SG, que Halter a imaginée en collaboration avec Hosoya Schaefer. 111

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Zurich-Altstetten, Flüelastrasse. Le bureau Hosoya Schaefer, auparavant installé dans le quartier plutôt cossu de Seefeld, a déménagé il y a quelques années à l’ouest de la ville. De l’extérieur, cet ancien bâtiment industriel de Brieger Verpackungen ne paie pas de mine. Mais à l’intérieur, il impressionne par sa structure porteuse en béton, qui détermine la répartition des surfaces largement ouvertes, la hauteur des pièces et les vues grandioses. Un esprit d’atelier parfait pour un cabinet d’architecture qui a besoin d’espace pour la réflexion théorique et pas seulement pour la pratique de la construction.

Komplex : En 2021, l’éditeur Lars Müller a publié votre dernier livre « The Industrious City » ainsi que la version en allemand « Industrie.Stadt ». L’adjectif industrious (industrieux) s’oppose au traditionnel industrial (industriel). Le message est que la production et l’artisanat peuvent et doivent revenir dans les villes. Pourquoi et quand l’Industrious City ­ est-elle devenue un enjeu pour votre bureau lui-même ? Markus Schaefer : Notre exploration des questions liées à l’exploitation industrielle a commencé au sens strict avec le Tech Cluster Zug, un concours organisé en 2013, auquel nous avons été invités parce que nous avions mené auparavant une réflexion sur l’aménagement du territoire dans les périmètres de densification du canton de Zoug. Il s’agissait de la transformation et de la poursuite du développement du site de production de V-Zug. Pour nous, ce concours était intéressant parce qu’il soulevait des questions allant de la construction, de l’urbanisme et des espaces non bâtis aux aspects systémiques et tech­ nologiques. Cette combinaison de thèmes nous intéresse. Nous avons gagné le concours parce que nous avons trouvé de bonnes réponses à l’ensemble de ces questions. Pour V-Zug, tout a commencé par la décision stratégique de continuer à produire sur le site. 112

V-Zug aurait tout aussi bien pu délocaliser la production et vendre le site ou le réaménager complètement. Pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas ? Ne pas délocaliser la production a été une décision stratégique fondamentale, intimement liée à la résilience et à des trajets logistiques courts dans un environnement économique sûr. De plus, d’autres sites comme Suurstoffi ou Metalli avaient déjà été réaffectés. Ils font aujourd’hui partie du portefeuille de Zug Estates. Du point de vue de V-Zug, une grande compétence technique est disponible sur place et tous les flux logistiques sont établis. Toutefois, maintenir la production sur le site implique d’abandonner une organisation traditionnelle et à un seul étage. Il faut densifier et verticaliser l’industrie, augmenter la production tout en permettant de nouvelles implantations, afin que des synergies se développent entre différentes entreprises. Et enfin, il s’agit d’ouvrir le périmètre. Là où se trouvait auparavant une clôture, la ville traversera le site. Nous accompagnons le projet depuis de nombreuses années avec un schéma directeur ­fortement axé sur les processus et une planification évolutive qui permet de poursuivre la production en continu tout en transformant progressivement le site. Tous les éléments que nous avons proposés sont en cours de mise en œuvre. Un système énergétique efficace a été mis en place dans le Tech Cluster Zug, tout comme un Mobility Hub que nous avions planifié, et bien d’autres choses encore.

L’industrialisation en Suisse a eu lieu relativement tôt – avec une proto-industrialisation manu­ facturière loin des villes à la fin du XVIIIe siècle, en raison de l’utilisation de l’énergie hydraulique bon marché. Puis, cent ans plus tard, de vastes sites industriels urbains ont vu le jour, comme à Zurich, Baden ou Winterthour. Un autre siècle plus tard s’est produit ce que nous appelons aujourd’hui la mutation Développement & Urbanisme – Entretien



structurelle postindustrielle : les zones de production, auparavant hermétiquement fermées, sont devenues des zones de conversion. Mais celle-ci a généré une nouvelle monotonie en raison de modèles d’utilisation toujours identiques. Dans le monde entier, et finalement aussi en Suisse, on a constaté que l’on était allé trop loin dans l’éviction de la production. En 2007, le conseil communal de Zurich a adopté une stratégie visant à maintenir certaines productions en ville. La révision du règlement sur les constructions et les zones qui s’est ensuivie a imposé de ne pas modifier l’affection de différents sites à Oerlikon ou Altstetten. Cela a obligé les investisseurs à réfléchir aux actions à entreprendre. Il y avait de la place pour de nouveaux modèles commerciaux, car la revalorisation des surfaces dans ces sites est beaucoup moins élevée que dans ceux qui voient leur degré d’utilisation augmenter, lesquels permettent un usage mixte. En ­parallèle, on a assisté à un changement des 114

mentalités au sein de la population : l’intérêt pour une production locale et matérielle, pour l’authenticité, pour une relocalisation des activités manufacturières – que ce soient les sacs Freitag ou de la bière artisanale – a augmenté. Des idées comme la circularisation gagnent également du terrain au sein de la population urbaine et tertiarisée mondialisée. Cela offre aux start-up un terrain fertile qui fonctionne, car des opportunités spatiales existent tout autant qu’un marché de consommateurs urbains. Aujourd’hui, la numérisation permet aux start-up d’agir au niveau non seulement local, mais aussi régional ou international. Une petite entreprise et un petit showroom permettent tout à fait de conquérir un marché international.

Le site des ateliers CFF à ZurichAltstetten est l’un des projets auxquels vous avez participé de manière déterminante. Deux éléments ont conditionné la création de l’actuelle Werkstadt Zürich, où de petites entreprises artisanales produisent avant tout pour le Développement & Urbanisme – Entretien


marché zurichois : le site n’a pas changé d’affectation, et une grande partie des bâtiments sont classés monuments historiques. Comment ce projet a-t-il débuté ? Tout a commencé en 2014 par un mandat de la ville. En l’occurrence, les services de ­l’urbanisme, du développement urbain et de la promotion de la ville se sont associés pour réfléchir à l’avenir du site des ateliers CFF et montrer tout ce qui serait possible sans changement d’affectation. Cela intéressait la ville, car on est plus résilient lorsque l’on propose des choses variées dans un espace relativement restreint. Mais les CFF ont également évolué et sont intéressés par une diversification de leur portefeuille. En fin de compte, il s’agit aussi de savoir si l’on préfère construire beaucoup avec une forte pression sur le rendement, ou alors peu, avec une faible pression sur le rendement. Si l’on investit peu, on gagne certes moins, mais on peut tout de même parvenir à une bonne rentabilité. Notre argument était le contexte environnant : il y a l’EPF, les hautes écoles spécialisées, la tendance au do-it-yourself, la scène créative – tout cela crée un mélange très puissant. Mais dès le début, la Werkstadt Zürich a eu suffisamment de candidats à la location, ce qui prouve que le projet répond à une réelle demande. Aujourd’hui, les jeunes ne créent plus forcément une agence Internet, mais une agence qui vend des machines à café. Le concept d’utilisation et la mixité fonctionnent étonnamment bien. Désormais, nous ne participons plus à la mise en œuvre, dont la responsabilité incombe à KCAP, Denkstatt, IBV Hüsler, Studio Vulkan et d’autres planificateurs.

On observe globalement une renaissance de l’artisanat, mais bien entendu à un autre niveau qu’autrefois. En quoi la nouvelle industrie urbaine se distinguet-elle de l’ancienne ? L’industrie qui revient en ville aujourd’hui est organisée de manière beaucoup plus morcelée qu’avant. L’industrie du XXIe siècle est numérisée, interconnectée, polycentrique, 115

proche de l’innovation et capable de servir un marché tertiarisé avec des produits qui sont fortement personnalisés et non standardisés. Après la phase de la macro-industrie, nous revenons presque à la production manufacturière du XVIIIe siècle. Mais malgré tous les aspects positifs, il ne faut pas non plus se voiler la face : les manufactures urbaines s’accompagnent d’exigences systémiques. Par exemple, la logistique de la production en flux tendu sans surfaces de stockage et avec une livraison permanente via l’espace public. Le problème de la maind’œuvre désorganisée, d’un prolétariat créatif numérique, n’est pas résolu non plus. Enfin, les innovations permanentes sont trans­ formées en start-up financées par le contribuable. Si les entreprises internalisaient autrefois les problèmes, elles les externalisent désormais : transport et logistique, innovation, protection du travail et droit du travail. Si l’industrie revient en ville, nous avons besoin d’une ville, d’une société qui accepte le dialogue et qui soit capable de gérer et de résoudre ces problèmes.

Nous vivons en Suisse, un pays où la valeur des terrains et les salaires sont élevés. L’industrie lourde classique continue d’exister, mais en dehors de notre pays. Il n’y a qu’en Suisse que les nou­ velles économies remplacent les anciennes. L’acier chinois arrive chez nous, mais les produits branchés de la Werkstadt Zürich n’arrivent pas en Chine. La nouvelle production urbaine ­ est-elle un phénomène de luxe ? Concrètement, nous sommes à la tête d’un système capitaliste mondial et sommes donc capables de délocaliser les problèmes. Dans les nouvelles « usines » numérisées, nous ne pourrons jamais produire la technologie qui nous fait vraiment vivre, par exemple les iPhone ou les poutres en acier. Ici, nous créons des produits de niche de haute qualité comme les produits pharmaceutiques de Bâle ou bien des produits de niche artisanaux comme les sacs Freitag et la bière Turbinenbräu. Notre chance, c’est que nous possédons encore Komplex No 15/2022


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Développement & Urbanisme – Entretien



suffisamment d’entreprises de classe mondiale dans ces domaines. Chaque présent est toujours un mélange d’idées issues du passé et d’autres qui annoncent déjà l’avenir. L’idée de relocaliser la production et les flux de matériaux est l’une des stratégies d’avenir. V-Zug en est un bon exemple. Malgré ses prix plus élevés que ceux de ses concurrents, il y a quand même de la demande. En tant que société, nous devons nous donner les moyens de résoudre localement certains flux de matériaux et de diversifier la production. Nous ne pouvons pas tout délocaliser. L’efficacité est d’ailleurs le contraire de la résilience. Lorsque quelque chose fonctionne de manière optimisée, il n’y a plus de marge de manœuvre pour le changement. Cet état est fragile. Je considère qu’une certaine inefficacité est tout à fait positive.

Avec Halter, vous planifiez le projet Fabrik SG à l’ouest de SaintGall. Ici, il ne s’agit pas d’une transformation (post)industrielle, mais d’un terrain à bâtir jusqu’ici non construit, situé entre la route cantonale et l’autoroute dans une zone industrielle qui s’est développée depuis les années 1970 et présente aujourd’hui un carac­ tère hétérogène. Pouvez-vous résumer brièvement de quoi il s’agit ?

au second degré. Cela signifie que l’on n’a pas besoin d’un investisseur qui exige un rendement, mais que l’on peut s’adresser directement aux différentes entreprises. Les coûts de surface pour les utilisateurs finaux sont 40% moins élevés que si nous développions un bâtiment à usage industriel et artisanal conventionnel avec un investisseur.

Le modèle fonctionne-t-il comme la propriété par étages : propriété individuelle plus copropriété des espaces communs ou partagés ? Exactement. La livraison, l’axe d’infra­ structure, la réception, la cantine et d’autres installations publiques appartiennent à la communauté, tandis que les zones de production proprement dites sont la propriété des entreprises concernées. Grâce aux différents modules, l’aménagement spécifique pour les locataires permet de confi­ gurer les surfaces en fonction des besoins individuels. Pour moi, l’idée de base est très intéressante : le problème du marché immobilier, à savoir la flambée des prix des loyers provoquée par l’argent des bailleurs de fonds, peut être contourné en créant des offres attrayantes avec le capital des utilisateurs finaux, sans participation des investisseurs – et en permettant ainsi à la ville d’attirer des entreprises intéressantes. C’est presque subversif.

L’objectif de la promotion économique de la ville de Saint-Gall, qui cède le terrain en droit de superficie, est de construire un bâtiment à usage industriel et artisanal qui offre des emplois dans le secteur MEM (machines, électricité, métal). Nous avons développé un projet dans lequel la production peut être empilée verticalement, avec des espaces de 6 mètres de haut qui permettent l’insertion de faux plafonds. Le volume est réparti en quatre modules, reliés par un garage situé en dessous et un axe logistique. A l’avant, on voit une granulation urbaine, à l’arrière, en direction de l’autoroute, sont disposés des espaces logistiques et des entrepôts extensibles. Halter a eu l’idée plutôt géniale de mettre le bâtiment sur le marché sous forme de ­propriété par étages en droit de superficie 118

Développement & Urbanisme – Entretien


p. 110 – Markus Schaefer dans son bureau. La chaise est un premier prototype pour le restaurant japonais Anan dans l’Autostadt de Wolfsbourg. p. 113 – Sur les étagères sont disposées des maquettes de projets actuels, dont la place de la gare d’Herisau (au milieu à droite), Birkenhof Uzwil (en bas à gauche), le Mobility Hub Zug Nord (en bas à droite) et le Tech Cluster Zug (devant). p. 114 – Dans la publication « The Industrious City », parue en 2021, Hiromi Hosoya et Markus Schaefer se penchent sur l’industrie urbaine à l’ère du numérique.

Markus Schaefer (52 ans) a fondé le cabinet Hosoya Schaefer Architects à Zurich en 2003 en compagnie de Hiromi Hosoya. Il est titulaire d’un master en architecture de la Harvard University Graduate School of Design et d’un master en neurobiologie de l’Université de Zurich. Il a travaillé pendant cinq ans pour le bureau OMA de Rem Koolhaas à Rotterdam et a été directeur et cofondateur du think tank AMO. De 2007 à 2012, il a enseigné à l’Académie des beauxarts de Vienne, en 2016/17, il a été professeur invité à Moscou et en 2018, il a enseigné à la Harvard GSD. Le lien entre la science, la pratique et la recherche caractérise également l’œuvre de Hosoya Schaefer Architects, qui comprend aussi bien des constructions concrètes que des projets d’urbanisme et des travaux théoriques. → www.hosoyaschaefer.com

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p. 116 – Différentes maquettes en 3D sont regroupées sur une étagère (en haut). Impressions du studio Hosoya ­Schaefer, situé dans le bâtiment réaffecté de Brieger Verpackungen à Zurich-Altstetten (en bas). p. 117 – La salle de réunion, séparée par des éléments en verre, offre une vue directe sur le bâtiment voisin à travers les espaces de bureaux ouverts. p. 118 – L’architecte de 52 ans avec une maquette de l’aérodrome régional de Samedan (Engadin Airport). Le projet est actuellement en phase de planification de l’appel d’offres. p. 119 – La structure porteuse en béton permet des espaces largement ouverts. La grande maquette à gauche sur la photo a été réalisée dans le cadre de la procédure de partici­ pation « Neugasse » des CFF. Derrière elle est exposée une maquette pour la Biennale d’architecture de Venise 2010.

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UN COUP LIBÉRATEUR ET UN ESCALIER MONUMENTAL

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Texte : David Strohm Visualisations : Raumgleiter AG Photos historiques : Wetzipedia

Un nouveau centre voit le jour à Wetzikon. Le centre commercial Trompete vétuste devient le centre Metropol, offrant un mélange équilibré d’habitat, de travail et de commerce de détail. Grâce à l’ouverture urbanistique du projet et à des espaces libres supplémentaires, Halter a réussi à amorcer un nouveau départ après un long blocage. Le projet et la mixité des usages peuvent être considérés comme exemplaires pour les ­aménagements de centres dans d’autres petites et moyennes villes de Suisse. Développement & Urbanisme


Il suffit parfois de peu de choses pour dénouer le fameux nœud gordien d’une situation enlisée : une nouvelle vision, des idées sortant des sentiers battus et un changement des personnes impliquées. Lorsqu’un accord surprenant est finalement trouvé entre des parties jusque-là en conflit et qu’une décision courageuse est prise pour un nouveau départ, les anciens obstacles peuvent être éliminés. Souvent, ce sont plusieurs facteurs combinés qui rendent le changement possible. C’est exactement ce qui s’est passé à ­Wetzikon, le chef-lieu du district de ­l’Oberland zurichois. Ici, un centre commercial du nom de Trompete faisait jadis parler de lui. Mais ces dernières années, le complexe semblait un peu désuet, comme si l’esprit du siècle dernier y soufflait encore. La planification et la construction datant de la fin du boom économique témoignaient des promesses de la consommation et de la modernité qui, à l’époque, étaient encore bien ancrées dans l’esprit du peuple. On était fier des grands projets qui se développaient aussi à proximité. Jusqu’à ce que le crépi s’écaille et que les vitrines se vident ici et là. Le centre commercial démodé – il aurait tout juste fêté ses 50 ans – indiquait clairement qu’il était urgent d’agir. Du « cristal étincelant » aux vacances et aux oppositions Les débuts étaient pourtant prometteurs. Jusqu’à la fin des années 1960, une usine de tissage traditionnelle caractérisait le centre de la commune de Wetzikon. Lorsqu’elle a dû fermer, il a fallu chercher une nouvelle affectation. En 1970, les anciens bâtiments de l’usine ont finalement été démolis et les travaux pour la construction d’un nouveau centre commercial ont débuté. A l’époque, on pouvait lire dans un article du journal local « Zürcher Oberländer » : « Le centre commercial Trompete ressemble à un cristal ­étincelant sorti d’une roche insignifiante. » L’ouverture du centre commercial T ­ rompete, ainsi nommé en raison de son plan allongé en forme de trompette, a eu lieu en 1972. Le mélange de magasins, encore nouveau à l’époque, composé de supermarchés, d’un restaurant ainsi que de commerces de détail et de magasins spécialisés, s’est rapidement révélé attrayant. Le grand magasin Epa est devenu un véritable pôle d’attraction. ­Wetzikon a grandi, passant du « statut de commune à celui de ville », comme le constata 121

le conseiller communal de l’époque, Max ­Honegger. De nouvelles boutiques et offres gastronomiques arrivèrent, d’autres dis­ parurent. Le centre commercial avait prospéré pendant près de trente ans. Au tournant du millénaire, il a fait l’objet d’un changement de propriétaire. Comme beaucoup d’éléments n’étaient plus au goût du jour, l’immeuble avait besoin d’un rafraîchissement. Et surtout, la façade devait être rénovée d’urgence. Ainsi, l’aspect nid d’abeille de la façade des magasins de la Bahnhofstrasse a été remplacé par un simple revêtement en verre. En 2003, au moment du ­ enner 30e anniversaire, le magasin de discount D a quitté le centre commercial, et deux ans plus tard, Epa a également fermé ses portes. Un nouveau nom devait apporter un vent de fraîcheur : le centre commercial fut rebaptisé City Center Wetzikon (CCW). Mais le succès ne fut pas non plus au rendez-vous. En 2012, la société CCW Wetzikon AG de Markus Bryner a repris le bâtiment avec l’objectif de rénover, transformer et revaloriser le centre commercial. Le nom Metropol est apparu pour la première fois. Mais le projet s’est rapidement enlisé. Un entrepreneur connu de la ville, propriétaire de plusieurs immeubles dans le voisinage, s’est opposé au plan d’affectation spécial. La procédure s’est poursuivie devant les instances jusqu’à ce que le Tribunal fédéral rejette, cinq ans plus tard, le recours contre le plan d’affectation spécial privé Metropol. Entre-temps, la demande de permis de construire était restée en suspens et devait être réexaminée. Un autre recours contre le permis de construire a interrompu le projet en 2019. Les tiraillements ont finalement été résolus par la vente d’une parcelle de la Bahnhofstrasse par le ­recourant à la société Halter SA. Après l’acquisition par cette dernière du projet gelé, la voie était définitivement libre. Un nouveau départ avec un concept retravaillé Par la suite, le projet a été retravaillé par le cabinet meierpartner architekten sur la base du plan d’affectation spécial et d’une demande de modification. Le nouveau centre Metropol prévoit de remplacer l’ancien centre commercial par un complexe résidentiel suré­ levé et de relooker le quartier situé au centre de Wetzikon. Avec une hauteur de 26 mètres, deux de ses neuf tours d’habitation Komplex No 15/2022



dépasseront légèrement l’ancien immeuble. L’ancien centre commercial couvert sera transformé en une ruelle urbaine ouverte qui divisera le corps de bâtiment en deux parties. Elle invitera les gens à flâner et à faire du lèche-vitrine, mais servira aussi de lien et de passage entre la Bahnhofstrasse et la Tödistrasse, située plus haut. Ce n’est pas par hasard qu’un large escalier entre les bâtiments rappelle le célèbre escalier espagnol de Rome. A l’instar de son modèle historique, il doit à l’avenir assurer le caractère public et l’identité du lieu. Il permettra en outre de rendre la topographie de Wetzikon visible et perceptible et créera un lien entre les deux axes de ­circulation importants et le parc Jörg-­ Schneider. La construction du centre au cœur de Wetzikon apporte également une touche urbanistique à cet endroit particulièrement bien desservi et fréquenté tout en reliant l’espace urbain aux quartiers environnants. Une place de marché à découvrir La zone qui s’étend tout en longueur entre la Bahnhofstrasse et la Tödistrasse couvre une surface de 9000 mètres carrés. Grâce au nouveau développement, le complexe disposera à terme d’une surface locative de 18 300 mètres carrés. Au rez-de-chaussée, le long de la Bahnhofstrasse, une série de magasins est prévue, sous lesquels se trouve un parking souterrain de 6000 mètres carrés. Il comprend 210 places de stationnement pour les voitures et les motos, auxquelles s’ajoutent 450 places pour les vélos. Sur les deux premiers niveaux, de part et d’autre de la ruelle urbaine protégée mais ouverte, seront installés des locaux pour des commerces, des cabinets médicaux, un centre de fitness et un espace de cotravail. Au total, une surface de 3000 mètres carrés est prévue pour des services, et près de 5000 mètres carrés sont disponibles pour des magasins et restaurants. L’offre doit être à l’image d’une « place de marché » où l’on peut découvrir des produits alimentaires, des articles non alimentaires, de santé, de beauté et de mode, mais aussi des bars, des cafés et de la restauration à emporter. Ce mélange de commerces, surtout de petite taille, est principalement concentré au rez-de-chaussée. Les étages supérieurs sont entièrement réservés à un usage résidentiel. La vaste offre d’appartements se compose de 149 unités au total. Parmi ces dernières, 114 unités 123

sont prévues pour des appartements conventionnels de 2½, 3½ et 4½ pièces. Trente-cinq appartements d’un nouveau genre, plus petits, seront construits au deuxième niveau de bureaux et de vente. Les unités d’habitation compactes comprises entre 32 et 42 mètres carrés seront équipées de la technologie MOVEment et sont destinées au segment croissant des ménages d’une personne, des expats, des nomades modernes et des « néocélibataires » ainsi qu’aux personnes qui y habitent seulement en semaine ou le week-end. Grâce à des modules déplaçables de manière électronique, que les résidents peuvent adapter au moment de la journée et à la situation d’habitation en appuyant sur un bouton, les appartements MOVEment offrent un maximum de confort, de flexibilité et d’espace de rangement sur une petite surface au sol. C’est l’architecte autrichien Angelo Roventa qui a eu l’idée de MOVEment. Au cours des dernières années, Halter a réussi à ­amener le concept de micrologement à maturité et à l’établir en Suisse. Ainsi, depuis 2019, plusieurs centaines de logements MOVEment ont été réalisés sur différents sites urbains. Pour Wetzikon, cette forme d’habitat est encore nouvelle. Mais grâce à l’excellente desserte de cette commune de l’Oberland ­zurichois, qui compte près de 27 000 habitants, la demande devrait être au rendez-vous, estime Andreas Campi, directeur général de Halter Développements. Il suffit de 17 minutes pour se rendre de la gare de Wetzikon à la gare centrale de Zurich. En journée, le S-Bahn circule même toutes les 15 minutes. Une collaboration exemplaire Le permis de construire pour le centre Metropol est entré en vigueur en septembre 2021, les travaux ont démarré en janvier 2022. Le volume d’investissement s’élève à 138 millions de francs. L’investisseur est UBS, représentée par la société Turintra AG. « Le projet Metropol à Wetzikon est un parfait exemple de transformation et de mise en œuvre réussies d’un lotissement en centre-ville. Le fait de pouvoir se loger, travailler et se détendre dans un seul et même lieu assurera à ce développement un caractère moderne et durable », déclare Martin Strub, gestionnaire du plus grand fonds immobilier de Suisse, UBS « Sima ». Les travaux relatifs au centre Metropol devraient durer trois ans au total et se dérouler en deux étapes. La première étape de construction devrait être Komplex No 15/2022


jour, mais un quartier attrayant par son architecture et ses espaces extérieurs, avec des usages mixtes et tournés vers l’avenir.

meierpartner architekten ag Matthias Reifler qualifie de « cabinet d’architecture classique » l’entreprise fondée en 1978 et basée à W ­ etzikon, dont il gère les affaires avec son partenaire Omid Arami. Il a été fait appel à cette équipe de 26 personnes pour la révision du projet du centre Metropol, car elle dispose à la fois du savoir-faire et des ressources nécessaires à la planification d’un projet d’une telle envergure. meierpartner architekten avait déjà réalisé deux grands projets avec Halter Développements. « On se connaît, on s’apprécie et on se fait confiance », déclare Matthias Reifler. Outre les bâtiments d’habitation, meierpartner se consacre également aux mandats de commerçants de détail. Le cabinet est connu dans toute la Suisse pour ses ­projets de cinémas multiplexes des deux grands groupes de cinéma Blue Cinema /Kitag et Pathé. → ­www.meierpartner.swiss

Coupe : l’escalier monumental forme un couloir entre les bâtiments et utilise la topographie existante.

achevée fin 2023, la seconde en novembre 2025. « Le fait que le projet entre maintenant dans sa dernière ligne droite n’a été possible que grâce à une collaboration exemplaire entre les autorités, le développeur et toutes les autres parties prenantes du projet », poursuit Martin Strub. Le gestionnaire de fonds d’UBS estime même que ce processus a « valeur de modèle ». Matthias Reifler, de meierpartner architekten, a lui aussi fait des expériences similaires. Il salue tout particulièrement la communication ouverte de la part des autorités de Wetzikon. « Elles ont compris et soutenu la nouvelle version du projet, qui ne proposait plus un centre commercial mais un quartier entier, dès sa présentation. Le lancement du projet, intense pour toutes les parties impliquées, s’est déroulé de manière agréable et constructive », déclare l’architecte. Il considère le centre Metropol comme une aubaine à plus d’un titre pour la commune, notamment d’un point de vue urbanistique. Avec la ruelle urbaine et l’escalier monumental, ce ne sera pas simplement un nouveau bâtiment qui verra le

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Plan du rez-de-chaussée : de grandes et petites surfaces de commerce de détail se trouvent le long de la Bahnhofstrasse et des deux côtés de la ruelle urbaine.

Metropol, Bahnhofstr Bauherr

(LOGO) Turintra AG Bahnhofstrasse 45 8001 Zürich Architekt

meierpartner architekten meierpartner architekten ag kantonsschulstrasse 6 postfach 1224 8620 wetzikon t +41 44 933 05 05 f +41 44 933 05 06 info@meierpartner.swiss www.meierpartner.swiss

M03 Plantitel

Publikation - Gr Plannummer Architekt

7150 Dateiname Modell

Plan du 4e étage : neuf tours d’habitation avec des unités de 2½ à 4½ pièces émergent du complexe de bâtiments disposé tout en longueur.

MET_GMNP_ARC_MEI_ARC_098-108

Metropol, Bahnhofstr Bauherr

(LOGO) Turintra AG Bahnhofstrasse 45 8001 Zürich Architekt

meierpartner architekten meierpartner architekten ag kantonsschulstrasse 6 postfach 1224 8620 wetzikon t +41 44 933 05 05 f +41 44 933 05 06 info@meierpartner.swiss www.meierpartner.swiss

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Publikation - Gr Plannummer Architekt

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p. 120 – L’ancien centre commercial Trompete, situé au 99 de la Bahnhofstrasse à Wetzikon, a été inauguré en 1972. Il s’est rapidement transformé en pôle d’attraction pour toute la région, comme le montre la photo prise un an plus tard. p. 122 – Le futur centre Metropol reprend la forme allongée du bâtiment précédent. Il est surmonté de neuf tours d’habitation imposantes (en haut). Un large escalier reliera à terme la Bahnhofstrasse à la Tödistrasse, située plus haut, et au parc Jörg-Schneider. La place située devant devrait accueillir la vie publique (en bas).

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p. 126 – La maquette du centre commercial Trompete a été réalisée en 1970. Elle montre la forme allongée du ­bâtiment, qui se rétrécit vers le sud. Le rez-de-chaussée abritait des surfaces commerciales donnant sur la rue et situées dans un passage commercial couvert. Un bloc résidentiel entouré de balcons était superposé. p. 127 – Les bâtiments vides de l’usine de tissage de Wetzikon en 1969 (en haut à droite). Le terrain de la Bahnhofstrasse après la démolition de l’usine de tissage (en bas à droite). Vue de la fouille au centre de la ­localité (en haut à gauche). La partie sud du bâtiment du centre commercial Trompete – ici à l’état de gros œuvre – était décalée vers le bas (au milieu à gauche). Un grand parking se trouvait devant le centre commercial (en bas à gauche).

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Qu’entendez-­ vous par « placemaking », et quels sont les éléments prometteurs asso­ciés à ce terme ?

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Enrico Slongo (50 ans) a étudié l’architecture à l’EPF de Lausanne. De 2007 à 2011, il y a accompagné l’atelier de conception du professeur Andrea Bassi en tant qu’assistant de ce dernier. Jusqu’en 2013, il a travaillé comme architecte chez Burckhardt + Partner AG à Bâle et Rast Archi­tekten AG à Berne. En 2013, il a obtenu un MAS en aménagement du territoire à l’EPF de Zurich. De 2013 à 2019, il a été chef du Service des constructions de la ville de Langenthal, qui a reçu le Prix Wakker en 2019. Depuis 2019, il travaille comme architecte de ville et chef du Service d’urbanisme et d’architecture de la ville de Fribourg. Depuis 2020, Enrico Slongo est président de la Fondation Culture du bâti Suisse. → www.fondation-culture-du-bati-suisse.ch

Le terme « placemaking » est souvent utilisé dans le contexte de l’urbanisme. L’aménagement attrayant de l’espace est au centre des préoccupations. D’une part, l’espace réaménagé est destiné aux habitants et aux visiteurs. L’accent est mis sur les effets esthétiques, physiques et sociaux. D’autre part, il s’agit d’attirer l’attention des investisseurs sur le lieu. Pour cela, la qualité du site et le capital social sont mis en avant. Cependant, le placemaking est également compris comme un processus collectif visant à améliorer la qualité d’utilisation d’un espace. Dans ce but, les acteurs de l’Etat, de l’économie privée et de la société civile doivent être mis en réseau. Comment une autorité, par exemple un office des constructions ou de l’urbanisme, peut-elle accompagner activement le placemaking ? Nous nous concentrerons ici sur les processus liés aux projets de construction privés. Dans le contexte actuel du dévelop­ pement de l’urbanisation vers l’intérieur, où l’extension des zones à bâtir n’est possible que moyennant un déclassement ailleurs, les projets de construction de petite, moyenne et grande envergure ayant un impact sur le cadre de vie doivent présenter des qualités urbanistiques et architecturales à la hauteur – le placemaking doit être de qualité et s’inscrire dans une culture du bâti de niveau élevé. Cela doit être mis en évidence très tôt au moyen de processus appropriés et faire l’objet d’un débat participatif et interdisciplinaire. Ce ­dialogue doit être orchestré par les autorités communales. Un élément déterminant pour le succès est le facteur temps. Le placemaking, au sens d’une mise en réseau des acteurs pour la création d’un nouvel espace de qualité, doit être limité dans le temps et efficace. Les processus ont un début et une fin. Il s’agit ensuite de passer à l’étape suivante. Pour les ­projets de construction de grande envergure, différentes 129

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procédures d’adjudication avec élaboration de variantes se sont désormais imposées dans toutes les grandes communes suisses afin d’en garantir la qualité. Pour les projets de construction de petite et moyenne envergure également, les contrôles de qualité dans le cadre d’un dialogue interdisciplinaire prendront de plus en plus d’importance. Toutefois, il n’est pas possible d’attendre la phase du permis de construire pour mener cette discussion. C’est trop tard ! Des procédures d’accompagnement sont nécessaires dès la phase d’avant-projet. La procédure de workshop à Langenthal, désormais également établie comme atelier à Fribourg, est un processus qui peut tenir compte du souhait d’accompagnement de la procédure dans le cadre du placemaking.

Thomas Sevcik (52 ans) est cofondateur du spécialiste en stratégie narrative arthesia à Zurich. Il est notamment considéré comme l’un des cerveaux de projets tels que l’Autostadt à Wolfsbourg ou le LabCampus à l’aéroport de Munich. Il s’intéresse également au développement d’idées pour des projets immobiliers de grande envergure, des zones spéciales et des districts urbains, ainsi qu’aux stratégies de positionnement pour les villes et les régions. Il a étudié l’architecture à l’Université technique de Berlin et travaille au Central Saint Martins College of Arts and Design de Londres. → www.arthesia.com

La notion de placemaking est assez paradoxale. En effet, pourquoi un lieu ou une place doivent-ils être créés alors qu’ils existent déjà ? Et les lieux ne fonctionnent-ils pas simplement par eux-mêmes ? Tout cela n’est pas si évident. Car dans le domaine du placemaking, deux évolutions fortes de ces dernières années se percutent de plein fouet. L’urbanisation a fait de nombreuses personnes des citadins avertis. Ils s’attendent à des villes intéressantes, une vie culturelle foisonnante et, surtout, un environnement animé. Parallèlement, le dévelop­ pement de nouveaux quartiers ou périmètres entiers a (re)commencé. Ces nouveaux morceaux de ville doivent offrir les mêmes qualités que les quartiers établis. C’est là qu’intervient le placemaking. Ce dernier crée justement de l’urbanité en ajoutant des éléments d’aménagement, communautaires ou culturels à l’environnement bâti. Il peut s’agir de manifestations de quartier ou d’espaces et ­d’événements culturels, mais aussi d’éléments d’aménagement 130

Développement & Urbanisme


spécifiques ou de « folies », c’est-à-dire d’objets ou de situations en principe superflus, mais enrichissants. Le placemaking est de plus en plus répandu depuis quelques années. Toutefois, de nombreux investisseurs et développeurs le considèrent avant tout comme un facteur de coût, autrement dit comme un mal nécessaire. Cette vision est erronée. Le ­placemaking est un facteur de rendement. En effet, aujourd’hui, les promoteurs immobiliers ne vendent plus des surfaces, mais des produits. Ces produits doivent être attrayants pour générer un rendement élevé. Le placemaking constitue un investissement dans l’amélioration de la qualité du produit qui offre une vie urbaine à un public devenu exigeant. Grâce au placemaking, une zone nouvellement construite devient un quartier, alors que sans cela, il ne s’agirait que de mètres carrés construits. Le placemaking se fait de plus en plus raffiné et complet : des restaurants et des espaces artis­tiques « cool » ou « branchés » peuvent être créés, tout comme des événements prétendument « spontanés ». Des artistes se voient offrir des ateliers gratuits s’ils interviennent en contrepartie dans le quartier et contribuent ainsi à son caractère branché. Tout cela améliore la qualité et l’image tout en augmentant la valeur d’un développement immobilier.

Martin Rein-Cano (54 ans) est architecte paysagiste et fondateur et Creative Director de Topotek 1. Dan Budik (47 ans) est architecte, Managing Partner et responsable du service Architecture de Topotek 1. Basé à Berlin et à Zurich, ce cabinet travaille dans les domaines de l’architecture paysagère, de l’architecture et de l’urbanisme et se considère comme évoluant à la frontière entre les typologies et les échelles. L’hybridation de thèmes et de disciplines, le transfert et la recontextualisation d’éléments de conception ainsi que la mise en scène de processus scénographiques sont des stratégies déterminantes du travail de Topotek 1. → www.topotek1.de

Partant du principe que le changement est urbain et que la planification des espaces extérieurs et urbains doit laisser une place à l’inattendu, nos propositions se basent sur les qualités existantes des lieux et cherchent un équilibre subtil entre les aspects artistiques, sociaux et commerciaux. Une nouvelle programmation des lieux peut faire naître de toutes nouvelles qualités. Le maintien de la spontanéité est tout aussi important qu’une « improvisation institutionnelle » grâce 131

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à une combinaison d’utilisations qui génère de nouvelles significations et codifications. L’objectif est de faire cohabiter des éléments qui ne vont pas forcément ensemble. Pour relier les espaces intérieurs et extérieurs et en faire des points de rencontre urbains attrayants, une petite dose d’« incertitude mesurée » peut aider à laisser de la place au hasard. Dans notre projet pour le siège de la Kuwait Foundation for the Advancement of Science, par exemple, nous créons le long de la promenade riveraine voisine un lieu soigneusement intégré dans son environnement et qui revêt un caractère public. Cet espace extérieur accueillant s’intègre parfaitement dans la corniche. En s’inspirant du patio ombragé et de l’oasis de verdure, le projet adapte des stratégies traditionnelles afin de minimiser la lumière directe du soleil – sans pour autant perdre les avantages de l’éclairage naturel. Pour le Konzerthaus de Nuremberg, il s’agissait de développer un bâtiment indépendant qui complète la Meistersingerhalle afin d’en faire un ensemble, tout en créant une expérience spatiale et acoustique. La présence du nouveau bâtiment renforce l’identité de l’espace public : le foyer central, relié au parc, est entouré d’une enveloppe transparente qui rend également perceptible de l’extérieur l’ambiance qui règne à ­l’intérieur. En journée, les arbres se reflètent sur la façade et la nuit, la salle de concert est illuminée. Les bâtiments sont perforés par des vides, ce qui donne lieu à des « paysages intérieurs » qui se déploient lorsque l’on les traverse. Les frontières entre l’intérieur et l’extérieur sont estompées et le bâtiment se fond dans son environnement vert. Dans notre projet pour l’école Champagne à Bienne, les espaces extérieurs sont un élément essentiel de l’organisation. Ce nouveau campus scolaire se veut un « espace d’apprentissage flexible », qui offre des espaces dédiés au sport et aux jeux entre les bâtiments. Le hall d’entrée devient une extension de la cour de récréation, tandis que trois loggias de deux étages à l’étage supérieur offrent des espaces extérieurs avec une vue sur le Jura. Des balcons relient ces loggias en un espace ouvert de jeu et d’apprentissage dans une ambiance intime et protégée. 132

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Marcel Stoffel (58 ans) est le fondateur et CEO du Swiss Council of Shopping Places, la plus grande communauté indépendante suisse pour le secteur du commerce de détail, de l’immobilier commercial et des centres commerciaux. Il conseille par ailleurs des entreprises des mêmes branches avec son entreprise stoffel.zuerich, fondée en janvier 2011, en mettant l’accent sur le développement stratégique, l’élaboration de concepts d’utilisation et de surfaces, la commercialisation et la location. → www.stoffel.zuerich

Il n’existe pas vraiment de définition universelle du terme « placemaking ». On le rencontre surtout dans le domaine de la planification urbaine, dans les processus de développement des quartiers ainsi que dans le cadre du community building. L’intention première du placemaking en tant que discipline peut toutefois être expliquée comme suit : « Le placemaking consiste à transformer un espace (public) que l’on s’empresse de traverser en un lieu que l’on ne veut plus jamais quitter. » Il s’agit de toute évidence de créer des lieux publics et ­multifonctionnels offrant une grande qualité de séjour et d’expérience. Et qu’est-ce que cela signifie pour nos immeubles et centres commerciaux ? Si l’on observe l’évolution du secteur de l’immobilier commercial et des centres commerciaux, on comprend vite l’importance du placemaking. En effet, les centres commerciaux, la grande distribution, les grands magasins et les ­commerces de détail devront à l’avenir offrir davantage que des simples étalages de produits et assortiments de marchandises s’ils veulent survivre face au commerce en ligne. Les espaces de vente doivent se transformer en lieux où il fait bon vivre (« from spaces to places »), en points de rencontre sociaux dégageant une atmosphère positive et offrant un excellent accueil. La création d’émotions positives, d’expériences et d’une ambiance de bien-être, associée à la conception d’une prestation de marché pertinente, devient le facteur clé pour créer un lieu à fort pouvoir d’attraction, où les gens aiment passer du temps et dépenser leur l’argent. Les trois principales tendances futures pour le secteur de l’immobilier commercial et des espaces commerciaux, soutenues par le placemaking, sont les suivantes : 1. Diversité : les places de marché et les lieux de vente au détail deviennent de 133

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véritables destinations à usage mixte grâce à des offres de loisirs, de cotravail, de divertissement, de bien-être, de fitness, de médecine, de beauté, de santé et de gastronomie. Les services et les offres de prestations vont augmenter ­massivement. 2. Flexibilité : des utilisations flexibles, des locations temporaires, des baux flexibles ainsi que des durées contractuelles flexibles au lieu de loyers fixes, de baux de longue durée et d’une offre uniformisée. Les places de marché modernes et les lieux de vente au détail et de loisirs vivants devront à l’avenir s’adapter beaucoup plus rapidement à l’évolution des besoins, des souhaits et du comportement de la société en matière de consommation et de loisirs. 3. Emotionnalité : les lieux de vente au détail et les places de ­marché prospères deviennent des points de rencontre sociaux, des zones conviviales et des destinations de découverte. Il en résulte des tiers-lieux où les gens ne dépensent pas seulement leur argent, mais où ils aiment également passer leur temps. Il en résulte des lieux qui suscitent des émotions.

Andreas Campi (47 ans) est ingénieur diplômé HES, titulaire d’un MSc Real Estate Management (CUREM) et membre de la RICS depuis 2008. Depuis 2010, il travaille chez Halter SA, d’abord comme chef de projet, puis comme responsable du développement et, depuis 2020, comme directeur général de l’unité Développements. Il s’engage auprès de la RICS en tant qu’expert d’audit et donne des cours au CUREM à l’Université de Zurich. Il a par ailleurs été élu con­seil­ ler économique du canton de Soleure pour la législature 2021–2024.

Le développement de projets est considéré comme la discipline reine du secteur immobilier. Dans ce cadre, le placemaking est probablement la cerise sur le gâteau. Jan Gehl, architecte et urbaniste danois renommé, pose cette question pragmatique : « Comment voulons-nous vivre ? » – et traduit ainsi une tâche urbanistique très complexe qui met en avant l’interaction de l’homme avec les espaces bâtis et non bâtis. Selon lui, un bon endroit est comme une bonne fête : les gens restent plus longtemps que nécessaire parce qu’ils s’y sentent bien. Le placemaking consiste donc essentiellement à créer des conditions favorables à notre bien-être. Mais pour y parvenir, il faut examiner de plus près la procédure classique d’une tâche de développement et la remettre en question. 134

Développement & Urbanisme


Régulièrement, une fois que les analyses ont été effectuées et que la décision de lancer le projet a été prise, un concours de projet ou une procédure de mandat d’étude sont organisés. Le plus souvent, cela se fait dans l’intention louable de garantir une qualité élevée. Mais combien de ces programmes de concours ont pour objectif de « faire en sorte que les gens se sentent bien » ? Généralement, il s’agit de répondre à la fois à des critères architecturaux, techniques et économiques – jusqu’à la justification de l’emplacement de la centrale des installations techniques. Selon la composition de l’organe d’évaluation, il en résulte un projet qui s’inscrit convenablement dans le cadre et semble susceptible de recueillir une majorité des voix. La question de savoir si les personnes se sentiront bien une fois la construction achevée est (le plus souvent) laissée au hasard. Avec notre projet générationnel Attisholz-Areal, nous avons emprunté une nouvelle voie. Lors de l’acquisition du terrain fin 2016, nous avons successivement ouvert ce site autrefois fermé au public. Des mesures architecturales ciblées visent à créer une qualité de séjour élevée. Le site jouit aujourd’hui d’une grande popularité auprès d’un large public. Après que le plan d’affectation élaboré par Halter en étroite collaboration avec la commune de Riedholz et le canton de Soleure a été approuvé par le gouvernement cantonal fin 2021, la sécurité de planification est atteinte et les premiers projets sont en cours de concrétisation. Ce projet a été lancé de manière aussi innovante que peu conventionnelle. Dans le cadre du mandat d’étude « Freiraum », six bureaux d’architectes paysagistes nationaux et internationaux élaborent des propositions pour l’aménagement des espaces ouverts et urbains de la zone centrale qui s’étend sur près de 70 000 mètres carrés. La création d’une base porteuse d’avenir et évolutive pour le dévelop­ pement d’un espace de vie pour tous les utilisateurs (habitants, entreprises, visiteurs) a été formulée comme tâche essentielle dans le programme. Les premières transformations et constructions seront réalisées sur cette base au cours des prochaines années. L’objectif est clair : les gens doivent se sentir bien sur le site d’Attisholz. 135

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CHANGER LE MONDE VITE FAIT Texte : Christine Marie Halter-Oppelt Photos : Dan Cermak

La start-up Luucy a donné naissance en 2019 à une plateforme ouverte, numérique et interactive, censée servir d’instrument novateur pour le développement territorial et immobilier. Sont appelés à y participer et à échanger mutuellement aussi bien les autorités, les planificateurs, les développeurs que la population. Nous avons rencontré le fondateur Mark Imhof à l’espace de cotravail Laboratorium Luzern, qu’il a non ­seulement contribué à créer, mais qu’il utilise également comme lieu pour transmettre ses idées. 137

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Un peu cachée dans une arrière-cour se trouve l’ancienne centrale de réseau de la compagnie d’électricité de Lucerne, un bâtiment à toit plat des années 1950. Devant l’entrée est apposée une sonnette avec l’inscription « Kommandozentrale Steghof », à côté de laquelle est accrochée la boîte aux lettres de l’espace de cotravail Laboratorium Luzern et de la Stiftung Stadtmodell Region Luzern, sous laquelle sont inscrits les noms d’une douzaine d’autres entreprises locataires. Pour les visiteurs attentifs, il s’agit d’un premier indice sur l’histoire et l’utilisation actuelle de l’immeuble qui, une fois la porte ouverte, se révèle être une véritable pochette surprise sur deux étages. Dans la cage d’escalier aux couleurs vives, on trouve toutes sortes de choses : des tables pliantes, une échelle en aluminium et deux cartons remplis de pantoufles en feutre gris. Nous avons rendez-vous avec Mark Imhof, le directeur de Luucy, une start-up qui a élu domicile dans cet espace de cotravail. Il nous attend déjà en haut de l’escalier et nous accueille tel un maître de maison. Ce n’est pas seulement parce qu’il est l’une des seules personnes présentes aujourd’hui en raison des mesures de protection contre le Covid-19 toujours en vigueur. Il est également le ­fondateur du Laboratorium Luzern, installé au premier étage, et le co-initiateur de la fondation qui occupait autrefois la majeure ­partie de la surface du rez-de-chaussée. Ici, tout est lié en quelque sorte. Et aujourd’hui, nous aimerions qu’il nous explique ces liens. Se donner à 100% Nous nous installons autour de l’une des tables de réunion et Mark Imhof commence à nous raconter son histoire. Cet architecte de 53 ans a un parcours intéressant. Se donner à 100% a toujours été pour lui une évidence. Son appartenance au cadre de l’équipe nationale suisse junior de volley-ball en témoigne, tout comme la note maximale de 6 qu’il a ­obtenue pour son travail de diplôme au Zentral­schweizer Technikum de Lucerne. S’en est suivie une carrière d’officier chez les grenadiers. Après ses études, il a travaillé pendant quelques années pour des architectes connus comme Hannes Ineichen (Lucerne) ou Hans Hamel (Rotterdam), tout en fondant son premier cabinet d’architecture à Lucerne. Mais à l’époque déjà, il voyait plus loin que le bout de son nez. Très vite, il s’est engagé dans la protection du 138

patrimoine et la conservation des monuments historiques. Se sont ajoutés à cela des ­fonctions publiques, des mandats de conseil et des activités d’enseignement. De 2001 à 2016, il a dirigé avec deux partenaires le cabinet d’architecture GKS à Lucerne. « C’est à cette époque que je me suis rendu compte de combien il était difficile pour les architectes de réaliser des ouvrages pertinents et attrayants, qui répondent non seulement à des objectifs économiques et déploient leurs effets jusqu’à la limite du terrain, mais apportent également une contribution précieuse au cadre de vie, lequel doit être compris comme un organisme fonctionnant de manière cohérente », déclare Mark Imhof. Il s’est alors demandé « pourquoi ne pas développer une nouvelle approche du développement territorial multidimensionnel sur la base des informations géographiques numériques déjà disponibles en Suisse ? » et a fondé une autre entreprise en 2016. Cette dernière opère aujourd’hui sous le nom d’IVO Innenent­wick­ lung AG et exploite les compétences méthodologiques acquises au cours des dernières années pour la transformation des espaces urbanisés et des stratégies de développement vers l’intérieur, ainsi que pour le conseil stratégique aux organisations du secteur privé, aux communes et aux autorités. L’outil numérique utilisé à cet effet – une technologie ouverte aux interfaces et évolutive pour le jumeau numérique – est devenu en 2019 un ­spin-off de la start-up Luucy. Il s’agit de la quatorzième entreprise de Mark Imhof. Ce Valaisan d’origine estime que la plateforme mise à disposition par Luucy permettra à l’avenir de rendre les processus de planification transparents et d’augmenter ainsi leur acceptation. Selon lui, le secteur privé a reconnu depuis longtemps l’utilité des outils numériques et se montre très dynamique. En revanche, les autorités sont encore à la traîne, notamment sur le plan législatif. Le modèle numérique 3D de Luucy permet de représenter des thèmes complexes et de jeter un pont entre tous les participants au processus de planification. Les géodonnées comme base Pour ce faire, Luucy rassemble sur une plateforme toutes les informations relatives au territoire et disponibles publiquement en Suisse. Les données concernant le paysage avec tous les bâtiments, collectées par ­l’­Office fédéral de topographie (Swisstopo), Développement & Urbanisme




servent de base. Celles-ci sont complétées en permanence grâce au travail sur le modèle numérique et à l’intégration d’outils de simulation et ensembles de données d’entreprises du secteur privé. La nouvelle plateforme en ligne met aussi à la disposition de ses utilisateurs et abonnés des outils de modélisation, des bases juridiques en matière de construction, des données issues du cadastre officiel, des cartes et d’autres applications utiles. Les projets de construction peuvent ainsi être insérés dans l’environnement existant, vérifiés et ajustés ; les outils intégrés de sociétés tierces permettent même de calculer les coûts d’investissement à ce stade précoce. Les autorités ont la possibilité, grâce à Luucy, de visualiser des planifications de zones en appliquant des algorithmes aux volumes de construction potentiels sur l’ensemble d’une commune ou d’une ville. Sur la base de ces informations, les investisseurs et les autorités entament un dialogue, tandis que la population peut être informée clairement des projets. Les risques sont ainsi anticipés et minimisés, les coûts réduits. 141

Les communes acquièrent un avantage en termes de localisation, les investisseurs peuvent réaliser des développements plus efficaces et se heurtent à moins d’oppositions. « L’idée d’une plateforme et la réflexion approfondie sur l’espace de vie de demain sont le fil rouge de mon travail. Nous n’en sommes qu’au début d’une nouvelle compré­ hension des thèmes complexes du développement de l’espace de vie », souligne Mark Imhof. Il se lève, se dirige vers l’un des bureaux au fond et revient avec un petit dossier. « Wiesen­schwein » (cochon des prés) est inscrit au-dessus de la photo d’un cochon domestique qui broute. Cette start-up est aussi domi­ ciliée au Laboratorium Luzern et il est luimême membre du conseil d’administration. Une technologie sophistiquée et l’intelligence artificielle ont permis de développer dans la biosphère de l’Entlebuch la première exploitation répondant à une nouvelle norme en matière d’élevage de porcs respectueux des animaux, en grande partie en plein air. Cela offre aux animaux une vie meilleure et plus saine que celle de leurs congénères élevés de manière conventionnelle. Attirée par la Komplex No 15/2022


conversation, une personne qui travaillait jusque-là dans une pièce voisine s’approche de nous et pose une tablette de chocolat sur la table. Florian Studer a fondé Schöki pour lutter contre la pauvreté et le travail des enfants dans la filière du chocolat. Pour ce faire, il a développé un système de suivi numérique des matières premières qui s’étend jusqu’au producteur de cacao et qui devrait être utilisé à l’avenir dans toute la branche. L’idée de la collaboration et de la coopération est omniprésente dans cet espace de cotravail – que ce soit dans les différentes entreprises qui se sont ­installées, mais aussi dans l’ensemble du ­bâtiment, avec divers espaces de travail, des lieux pour se retirer et des zones de repos au premier étage, ainsi que d’autres espaces au rez-­de-chaussée, qui sont ­également utilisés pour des événements. Survoler les paysages urbains Pour nous montrer le fonctionnement de Luucy, Mark Imhof pourrait maintenant se tourner vers son ordinateur. Au lieu de cela, il nous invite à le suivre en bas. Il ouvre un long 142

rideau gris à côté de l’entrée. Devant nous apparaît une grande pièce dont le sol est entièrement recouvert de carrelages imprimés. On y voit la carte de la maquette urbaine de la région de Lucerne, initiée par la Stiftung Stadtmodell Region Luzern en 2016 et qui était l’étape préalable à la réalisation d’une maquette en impression 3D. On comprend mieux maintenant la raison d’être des grands cartons remplis de pantoufles. Elles servaient jadis à protéger le sol, qui ne devait pas être rayé. Cette précaution est aujourd’hui dépassée, car la représen­ tation a depuis longtemps migré vers le monde numérique. Le projecteur qui doit la projeter sur le mur est déjà en marche. Mark Imhof branche son ordinateur portable. Un paysage urbain avec des maisons, des rues et des arbres apparaît devant nos yeux. Tout est représenté de manière très simple et claire – un mélange de visualisation architecturale et de jeu vidéo. Nous commençons à survoler le décor, faisons une halte à Urdorf-Nord, où des maisons blanches représentent les ­bâtiments existants, tandis que des volumes transparents illustrent des projets en cours Développement & Urbanisme


de planification. D’un simple clic, la vue passe à Celerina. Cette commune grisonne utilise Luucy pour visualiser le réaménagement de ses espaces libres au centre du ­village et le partager avec la population. Ici, les façades des vieilles maisons engadinoises semblent réelles. Leur représentation en 3D, proche de la réalité et ressemblant à une photo, a été assemblée à partir de données de nuages de points collectées par la société Raumgleiter. Un autre exemple des possibilités d’application se trouve à ­Hergiswil, où le logiciel représente de manière automatisée et sur toute la surface de chaque parcelle le futur volume de construction potentiel, minimal ou maximal. De la même manière, un concours d’archi­ tecture numérique peut être intégré dans l’environnement. D’innombrables programmes de simulation peuvent être utilisés ici, par exemple pour relever le rapport entre la façade et la surface, la surface de référence énergétique, les nuisances sonores ou encore le potentiel solaire. Même l’infra­ structure souterraine est visible. Un modèle commercial d’avenir Les partenaires tels que le spécialiste zurichois de la visualisation Raumgleiter ne sont pas les seuls à l’avoir compris. Ce dernier a intégré dans Luucy le jumeau numérique de la Limmatstadt, l’espace urbain de la vallée de la Limmat, qu’il a conçu au cours des dernières années. Début 2020, Halter SA a pris des parts dans Luucy. Son CEO Markus Mettler a fait son entrée au conseil d’administration et soutient, avec quatre autres investisseurs, la croissance de cette start-up. « J’ai toujours eu la chance de pouvoir susciter l’enthousiasme des bonnes personnes avec mes idées au bon moment. Ce que nous faisons avec Luucy est unique en Europe. C’est pourquoi nous voulons maintenant créer une dynamique et grandir le plus rapidement possible », explique Mark Imhof, qui a quitté la direction d’IVO Innen­entwicklung afin de consacrer toute son énergie à Luucy. Les premières étapes ont déjà été franchies : un nouveau siège a été ouvert au JED de Schlieren près de Zurich, l’équipe de développeurs de Prague en République tchèque ne cesse de s’agrandir et des développeurs de logiciels ont été engagés à Hô Chi Minh-Ville, au Vietnam. La start-up ne veut pas seulement servir les 2172 communes de Suisse, mais se développer dans tout l’espace européen. 143

« Les Européens partagent l’idée d’une cohabitation basée sur le dialogue. Avec notre philosophie open source, nous réussirons partout où des communautés souhaitent mener une vie épanouie reposant sur la démocratie de base », estime Mark Imhof. Reste une dernière question : d’où vient le nom Luucy ? « Des mots Lucerne et City, explique Mark Imhof. J’ai aussi été inspiré par le film ‹Lucy› de Luc Besson, dans lequel le personnage principal, interprété par Scarlett Johansson, voit chaque jour un peu plus clair dans le monde – jusqu’à ce qu’elle puisse finalement exercer une influence. » -> www.luucy.ch

p. 136 – Dans un coin s’entassent des pantoufles en feutre usagées. Elles servaient jadis à protéger les carrelages imprimés avec la maquette de la région de Lucerne. p. 137 – L’espace de cotravail au premier étage offre des box de réunion, des tables de travail et un coin salon avec un canapé Vitra jaune (à gauche). Le sol en lino vert date de l’époque de la construction du bâtiment (à droite). p. 139 – Mark Imhof a lancé l’espace de cotravail Laboratorium Luzern et siège au sein de son conseil d’administration. C’est également depuis ce lieu qu’il fait progresser sa start-up Luucy. p. 140 – Dans la salle événementielle au rez-de-chaussée, le modèle numérique 3D de Luucy peut être projeté sur le mur. Les carrelages au sol rappellent une époque révolue. p. 141 – L’architecte explique le modèle commercial de Luucy (à gauche). Florian Studer, fondateur de Schöki, travaille dans une petite pièce adjacente (à droite). p. 142 – Des plantes vertes confèrent une ambiance chaleureuse à cet espace de cotravail peu conventionnel. p. 143 – Ce Valaisan de 53 ans n’a jamais manqué d’idées. Luucy AG est sa quatorzième entreprise.

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LE ZÉRO NET, UNE QUESTION D’ASSIDUITÉ

Consommation annuelle d’énergie par m2 en kWh

250

200

150

100

50 1,46 million de bâtiments

1900

1925

1950

1975

Evolution attendue 2000

2025

2050

Plus de 65% de tous les bâtiments en Suisse ont été construits ou rénovés pour la dernière fois de manière significative il y a plus de trente ans. Ces « dinosaures » fossiles représentent de sacrés obstacles sur la voie de la neutralité climatique souhaitée par la société et les milieux politiques. Leur rénovation énergétique est urgente, car elle constitue la clé d’un parc immobilier entièrement décarbonisé. Les étapes vers une transformation zéro net sont parfois laborieuses, mais les résultats sont convaincants. Ingénierie & Production

Evolution réelle et attendue de la consommation d’énergie spécifique des bâtiments résidentiels en Suisse de 1900 à 2050.

Texte : Marc Bätschmann Graphiques : Tend AG


Quel est le point commun entre chauffer un appartement Minergie de 80 mètres carrés au mazout pendant un an, parcourir 7000 kilomètres avec une petite voiture, faire une croisière de trois jours et prendre deux vols de Zurich à Londres ? Chacun de ces scénarios entraîne l’émission d’une tonne de CO₂. Si le débat sur l’influence du dioxyde de carbone sur le climat fait désormais partie de notre quotidien, ce gaz reste pour beaucoup peu tangible et quantifiable. Mais la prise de conscience croissante de la société s’accompagne d’une pression accrue sur les acteurs. Les propriétaires immobiliers institutionnels, en particulier, sont appelés à rendre transparents leurs efforts en faveur d’un parc immobilier neutre sur le plan climatique. En effet, près d’un quart des émissions totales dans notre pays sont générées par le secteur du bâtiment. Si ces émissions ont pu être réduites de 34% jusqu’en 2019 par rapport à l’année de référence 1990, l’objectif indicatif d’une réduction de 40% ne sera probablement pas atteint. Cette baisse a été obtenue grâce à des mesures simples, comme le remplacement des fenêtres ou du chauffage électrique. Ces « fruits faciles à cueillir » sont maintenant en grande partie récoltés, la poursuite de la réduction promet d’être plus compliquée. Mais il faut s’y atteler sans tarder, car la question n’est plus de savoir si le parc immobilier ne doit plus émettre d’émissions à l’avenir, mais quand le parc immobilier sera entièrement décarbonisé. Les bâtiments inefficaces en ligne de mire Aujourd’hui, les bâtiments neufs, surtout ceux de petites dimensions, sont construits dans un souci d’efficacité énergétique, conformément à la loi, et sont généralement alimentés en énergie renouvelable. Les bâtiments neufs plus grands, planifiés de manière moderne, doivent eux aussi disposer exclusivement d’un approvisionnement en énergie renouvelable et même produire de l’énergie pour la mobilité. Or plus de 65% des bâtiments en Suisse ont été construits ou rénovés pour la dernière fois il y a plus de trente ans. Plus de 110 000 édifices de plus de six logements ont été construits entre l’aprèsguerre et 1990, selon l’Office fédéral de la statistique. Il s’agit des immeubles collectifs typiques, tels que nous les connaissons aux abords de nos centres-villes, dans les agglomérations, les petits centres et de très 145

nombreux villages. En raison de leur forte présence, ils jouent un rôle décisif dans la décarbonisation du parc immobilier. Ils consomment généralement trois à six fois plus de chaleur que les bâtiments neufs. De plus, ces bâtiments sont presque exclusivement alimentés par de la chaleur fossile, ce qui génère plus de dix fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que les bâtiments neufs. C’est pourquoi, dans le cadre d’une transformation du parc immobilier vers le zéro net, il faut se concentrer sur ces « dinosaures » à énergie fossile inefficaces, qui sont à l’origine d’une grande partie des émissions et dont la décarbonisation peut être facilement mise à l’échelle. La rénovation énergétique en pratique L’immeuble collectif double de 17 logements construit en 1975 dans la Ländischstrasse à Meilen (voir graphique à la page 146) est l’illustration d’un exemple réussi d’une telle réno­ vation énergétique. Il correspond à un type de bâtiment très répandu en Suisse, qui génère aujourd’hui – comme expliqué plus haut – une part importante des émissions de CO₂. Cet immeuble a été équipé en 2016 d’une pompe à chaleur, de sondes géothermiques à régénération saisonnière et d’une installation solaire tout en restant occupé. Cela a permis de faire en sorte que le nouveau système énergétique ne produise plus d’émissions de CO₂ pendant son fonctionnement. Pour le maître d’ouvrage, il n’était pas question de raccorder l’immeuble au réseau de gaz après la rénovation énergétique. La rénovation de l’immeuble collectif a été discrète : le bâtiment, vieux de 47 ans, a conservé son apparence et les adaptations visibles s’intègrent bien dans l’environ­ nement. L’analyse des données de mesure des années d’exploitation 2017 à 2020 prouve qu’aujourd’hui, l’électricité utilisée permet de produire quatre fois plus de chaleur (chauffage et eau chaude). La rénovation énergétique de la façade et du toit a permis de réduire la consommation de chaleur de 25%. La réduction de la consommation d’élec­ tricité pour la production de chaleur grâce à l’installation solaire a été de 93%. Toutes les mesures ont pu être mises en œuvre alors que l’immeuble était occupé et n’ont entraîné qu’une faible augmentation des loyers. L’exem­ple de ce projet montre donc qu’une transformation zéro net n’est pas forcément incompatible avec les aspects sociaux. Komplex No 15/2022


le degré de décarbonisation, le bon ordre des mesures de rénovation et une coordination appropriée du chauffage avec la rénovation de l’enveloppe sont déterminants pour une rentabilité optimale de la rénovation globale. Une rénovation énergétique s’accompagne également d’une amélioration du confort. Une enveloppe de bâtiment optimisée améliore souvent sensiblement le climat ambiant. De plus, les pompes à chaleur peuvent également être utilisées pour rafraîchir les pièces en été moyennant un modeste investissement supplémentaire. Ce confort supplémentaire peut alors justifier une augmentation de loyer. Vers le zéro net en quatre étapes La plus-value d’une rénovation énergétique pour les propriétaires et les locataires est évidente, et les conditions de base pour la transformation sont réunies. Il s’agit à présent d’ouvrir la voie vers un parc immobilier zéro net grâce à des moyens adéquats. La première étape consiste à sensibiliser les maîtres d’ouvrage à l’importance de la prise en compte du cycle de vie. Les faibles coûts d’exploitation des énergies renouvelables

Rénovation énergétique du bâtiment (sans certification)

Système énergétique du bâtiment selon 2SOL (conception)

– S ur le plan structurel : isolation de la façade, rénovation du toit, isolation du plafond de la cave

– T rois sondes géothermiques de 360 m (double tube en U) avec régénération saisonnière du sol

– S ur le plan technique : production de chaleur sans CO₂ selon le principe 2SOL

– 160 m² de collecteurs hybrides (28 kWp électrique, 87 kW thermique, solaire thermique, env. 60 % de régénération)

– N ouvelle distribution de la chaleur dans la couche d’isolation sur la façade – D iffusion de la chaleur via des radiateurs, température de départ à 46 °C (conception) – E au chaude par technique d’eau fraîche, température de soutirage à 50 °C (conception)

Immeuble collectif double, année de construction 1975, 17 unités d’habitation, surface de référence énergétique (SRE) env. 2000 m2

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Ingénierie & Production

Exemple d’une rénovation énergétique avec différents ensembles de mesures pour un immeuble collectif double datant de 1975.

Deux des principaux objectifs d’une rénovation énergétique sont l’augmentation de la renta­ bilité sur l’ensemble du cycle de vie et la réduction du risque d’investissement. Dans ce contexte, il est impératif de considérer le bâtiment dans sa globalité et en conséquence, une approche de rénovation intégrale est ­exigée en tenant compte de l’état des différents éléments de son cycle de vie. L’électrification de l’approvisionnement en chaleur représente la principale étape de la décarbonisation. Le remplacement des chauffages fossiles par des pompes à chaleur réduit de cinq à huit fois les émissions. Avec l’optimisation de l’enveloppe du bâtiment, il en résulte généralement un facteur d’amélioration supérieur à dix. Sans aucun doute, les coûts d’investissement pour un passage aux énergies renouvelables sont plus élevés que le remplacement d’un chauffage par une solution fossile. Dans ce contexte, l’efficacité du bâtiment exerce une influence directe sur la taille du chauffage et, par conséquent, sur les coûts d’investissement. Alors que l’électrification de l’approvisionnement en chaleur a un impact décisif sur


doivent être opposés aux coûts d’investissement plus élevés en raison de l’application systématique de la prise en compte du cycle de vie. Il serait donc malvenu de se concentrer uniquement sur les coûts d’investissement. Dans la plupart des cas, une rénovation optimisée sur le plan économique est rentable pour le propriétaire si l’on considère le cycle de vie. La sécurité d’investissement accrue constitue un autre atout des énergies renouvelables, car des coûts énergétiques calculables pour les trente prochaines années réduisent le risque d’investissement. Deuxièmement, de nouveaux modèles de collaboration sont nécessaires pour des projets plus efficaces et plus rentables. Le processus de planification et de construction actuel, divisé en différents domaines spécialisés, n’est plus adapté à notre époque. Il ne répond pas aux exigences d’un bâtiment moderne et oublie dans une large mesure ­l’exploitation. Cela est encore plus vrai pour les rénovations que pour les constructions neuves. Le modèle de groupe de travail, tel qu’il est pratiqué par l’association d’entreprises The Branch, offre une alternative bien plus efficace. Il permet à un groupe de travail aux compétences diverses et spécifiques au projet de soumettre au maître d’ouvrage une offre globale et contraignante, de l’accompagner tout au long du projet et d’être à sa disposition également pendant l’exploitation. L’échange actif et constructif d’expériences entre les entreprises exécutantes est un élément essentiel qui profite à tous les participants. De tels enseignements ont également été tirés des groupes de travail de l’Alliance 2SOL dans le domaine de l’approvisionnement énergétique global des bâtiments. Le troisième moyen consiste à tirer parti de la numérisation. Elle permet de collecter facilement des données et de prendre des ­décisions sur cette base tout au long du cycle de vie. Des objectifs clairs et une gestion structurée des données sont importants. Dans le cadre du parc existant, les données dis­ ponibles peuvent être combinées à un benchmarking pour développer des mesures et évaluer des variantes. Dans un projet de construction, il s’agit de poser les bons jalons pour garantir la transparence et préparer des informations rapidement disponibles lors de l’exploitation régulière ultérieure. Avec BIM4FM, la plus-value qualitative du projet de construction BIM est transférée dans 147

l’exploitation. Ces deux éléments permettent au propriétaire un reporting au processus allégé. Il peut se consacrer à des activités stratégiques de contrôle et d’intervention au lieu de gérer des cimetières de données. Le quatrième et dernier outil pour la transformation zéro net réside dans les nouvelles offres de l’industrie pour les maîtres d’ouvrage. Pour faciliter la mise en œuvre de la rénovation, il est nécessaire de développer de nouveaux modèles commerciaux qui combinent les éléments susmentionnés et qui soient aussi lucratifs pour les propriétaires que pour les exécutants. La voie à suivre passe par l’industrialisation des processus et de la production de la rénovation. Cela implique de nouveaux modèles d’exploitation qui offrent au maître d’ouvrage un « pack zéro souci », et qui ne démarrent pas seulement après la construction de l’installation, mais dès la phase de conception. Les énergies renouvelables nécessitent en principe peu d’entretien. Elles exigent cependant une phase de réglage plus longue en raison de leur plus grande interconnexion en réseau. Mais cela ne signifie pas pour autant que des contrats de service coûteux sont nécessaires. Ces derniers sont rem­ placés par une surveillance numérique automatisée et des heures d’expertise ponctuelles. Accepter les tâches et les mettre en œuvre Les moyens décrits ici permettent à tous les acteurs du marché de faire progresser de manière décisive la décarbonisation du parc immobilier suisse. Ce sont les bâtiments construits dans les années 1950 à 1980 qui feront pencher la balance. Leur rénovation énergétique est une question d’assiduité. Toutefois, nous disposons depuis longtemps des technologies nécessaires et nous savons ­comment procéder d’un point de vue économique et social. Alors qu’attendons-nous ?

Marc Bätschmann (39 ans) est ingénieur en génie mécanique et a effectué pendant cinq ans des recherches sur la ­technique du bâtiment à faible consommation d’énergie à l’EPF de Zurich. Il a ensuite développé des produits et des services pour la décarbonisation du parc immobilier dans des entreprises industrielles et spin-off. En tant que directeur de l’Alliance 2SOL et cofondateur du collectif « Netto Null », il travaille sur de nouvelles approches et de nouveaux modèles commerciaux pour la modernisation des bâtiments. Depuis juin 2021, il conseille les propriétaires d’immeubles et de portefeuilles en tant que partenaire chez Tend AG sur les concepts énergétiques et les stratégies de réduction des émissions de CO₂. → www.tend.ch

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UN BÂTIMENT SCOLAIRE EN UN TEMPS RECORD Texte : Reto Westermann Photos : Oliver Stern

Le Heilpädagogisches Zentrum Innerschwyz (HZI) se voit adjoindre un nouveau bâtiment scolaire pouvant accueillir douze classes. Une équipe dirigée par Halter a remporté en 2018 le concours portant sur les études et la réalisation du bâtiment. Grâce à la méthode de construction en bois préfabriquée et à la planification basée sur un modèle BIM tridimensionnel, le nouveau bâtiment sera prêt à temps pour la rentrée en août 2022, seize mois à peine après le premier coup de pioche. 149

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Un chantier impressionnant a été dressé en novembre et décembre 2021 à Ibach, dans le canton de Schwytz, sous les yeux des élèves et du corps enseignant du Heilpädagogisches Zentrum Innerschwyz (centre médico-éducatif de Schwytz intérieur) : en l’espace de quelques semaines, les cinq étages de leur nouveau bâtiment scolaire ont poussé à toute vitesse sur le terrain voisin. A intervalles réguliers, un semi-remorque chargé de poutres et de poteaux en lamellé-collé, de parois en bois préfabriquées et de dalles de béton pour les plafonds d’étage faisait son apparition. Pour un seul étage, le matériel représentait au total quinze chargements de camion, et les éléments étaient assemblés sur place en une semaine par les charpentiers de l’entreprise de construction en bois Häring AG. La grue de chantier a soulevé environ 450 composants. Plusieurs mois auparavant déjà, les arbres nécessaires à cette construction neuve avaient été abattus dans les forêts schwyt­ zoises, coupés et séchés chez Schilliger Holz AG à Küssnacht am Rigi, puis transformés en éléments de construction finis chez Roth Burgdorf AG et Häring AG à Eiken, en Argovie. Ils ont ensuite entrepris leur voyage de retour vers le canton de Schwytz. Parallèlement, les ouvriers ont creusé la fouille sur place à partir d’avril 2021 et ont construit le sous-sol et le noyau du bâtiment en béton, de sorte que tout était prêt début novembre pour le montage de la construction en bois. Un calendrier serré Ce projet a été précédé en 2018 d’un concours en deux étapes portant sur les études et la réalisation organisé par le canton de Schwytz, avec six participants en phase finale. L’équipe composée de Halter en tant que prestataire global et développeur du ­projet, du cabinet d’architectes Lussi + Partner de Lucerne, de w + s Landschafts­ architekten de Soleure et de l’entreprise de construction en bois Häring AG a réussi à l’emporter. La réalisation en bois et l’utilisation, autant que possible, de ressources sylvicoles du canton de Schwytz étaient des exigences du concours, tout comme le standard environnemental Minergie-A Eco. « En construction massive classique, le calendrier serré pour la réalisation du nouveau bâtiment n’aurait pas été réalisable », explique Raphael Näf, chef de projet global 150

chez Halter. En effet, le timing des travaux était sportif : le premier coup de pioche a été donné en avril 2021, afin que le bâtiment achevé puisse être remis au canton de Schwytz seulement seize mois plus tard, en juillet 2022, et que les cours puissent commencer le 22 août dans les nouveaux locaux. Pendant la courte période de construction, quelque 20 millions de francs seront dépensés et un volume de près de 20 000 mètres cubes ainsi que plus de 6000 mètres carrés de surface de plancher seront construits. Deux fois plus d’élèves Le centre médico-éducatif d’Ibach est l’un des deux établissements de ce genre du canton. Il accueille des enfants souffrant d’un handi­ cap mental, physique ou multiple et est géré comme une école de jour. L’ancien établissement scolaire ne suffisait plus à satisfaire la demande. Le nombre d’élèves avait doublé depuis 1990 et une grande partie de l’enseignement devait être dispensée dans des locaux provisoires. En 2018, le canton a pu acquérir une parcelle adéquate à proximité immédiate du bâtiment scolaire existant. Le nouveau bâtiment accueille dix classes d’école et deux classes de jardin d’enfants pour un total de 60 à 70 enfants. Outre les salles de classe, les locaux comprennent également une salle de gymnastique, un réfectoire, des salles pour les cours de travaux manuels ainsi que l’administration scolaire et des espaces extérieurs avec des aires de jeux et de récréation. La situation de départ du nouveau bâtiment a été particulièrement exigeante pour les planificateurs : par rapport à la surface du terrain, il fallait construire de vastes locaux tout en laissant suffisamment d’espace extérieur aux élèves. La situation en bordure de la très fréquentée Gotthard­strasse n’a pas non plus facilité les choses. « Pour laisser suffisamment d’espace libre, nous avons dû exploiter au mieux les volumes », déclare l’architecte Daniele Savi, copropriétaire de Lussi + Partner. Les architectes ont conçu un corps de bâtiment rectangulaire très compact d’une surface au sol de 900 mètres carrés avec quatre étages pleins et un dernier étage plus petit. Le positionnement du bâtiment en retrait de 8 mètres par rapport à la rue a permis d’une part de réduire les nuisances sonores dues à la circulation et d’autre part de créer autour du bâtiment un espace extérieur attrayant. Ingénierie & Production




Le volume compact permet une organisation du plan qui se contente d’un minimum de surface de desserte : une seule cage d’escalier placée au centre du bâtiment et deux ascenseurs relient tous les étages. Des sanitaires et d’autres locaux annexes sont accolés à cette zone centrale. Le noyau du bâtiment est entouré d’un couloir qui dessert toutes les salles. Au rez-de-chaussée, un préau accueille les élèves. C’est ici qu’ils peuvent descendre des bus scolaires, à l’abri des intempéries. A côté du hall d’entrée, le rez-dechaussée abrite le réfectoire, l’accueil et deux classes de jardin d’enfants. Dans les quatre étages supérieurs se trouvent des salles de classe et des salles thérapeutiques. Le premier étage abrite ­également des salles pour les enseignants et le troisième étage la salle de gymnastique, dont l’espace s’étend en hauteur jusqu’au quatrième étage. Ce dernier offre également un toit-terrasse accessible aux personnes à mobilité réduite. Les salles pour les cours de travaux manuels ainsi que les locaux techni­ ques et un petit garage pour les voitures sont situés au sous-sol. Les ateliers sont éclairés par un puits de lumière situé à l’avant. Construction à ossature en bois et plafonds à structure hybride Les cinq étages en bois ont été construits en ossature poteaux-poutres. Cela permet de positionner assez librement les parois intérieures et de les déplacer si nécessaire. Une structure quadrillée de 3,58 mètres cons­ titue la base de l’ossature. « Notre objectif était de trouver une solution qui permette à la fois une répartition intelligente du plan et des dimensions économiques pour les plafonds », déclare Oliver Hasler, chef de projet chez Häring. Pour les plafonds, les spécialistes du bois ont choisi une structure hybride composée de poutres en bois de 40 centimètres de haut et d’une dalle préfabriquée en béton de 10 centimètres d’épaisseur. Sur place, celle-ci a été posée sur les poutres à l’aide d’une grue, puis solidarisée avec elles. « Les dalles peuvent ainsi absorber les forces horizontales et les transmettre au noyau massif du bâtiment », explique Oliver Hasler. Ainsi, aucun autre contreventement n’est nécessaire. Cette méthode de construction hybride a non seulement permis de faire avancer les travaux rapidement, mais également d’économiser de la hauteur sous plafond. Ainsi, 153

l’éclairage et les éléments suspendus pour l’isolation phonique trouvent leur place dans les espaces entre les poutres. « Cela nous a permis d’exploiter au mieux la hauteur légale autorisée et de réaliser un maximum d’étages. De plus, nous avons ainsi pu réduire l’empreinte du bâtiment sur le terrain », précise Simon Kellenberger, qui dirige le projet chez Lussi + Partner. Les poteaux et les poutres en bois restent apparents dans le bâtiment fini, tout comme le bois brut sur les murs des couloirs qui contraste avec un revêtement en linoléum rouge. Les revêtements de sol des cages d’escalier sont de la même couleur. Dans les niches des vestiaires devant les salles de classe, la couleur change. Les panneaux encastrés de différentes couleurs servent de repères aux élèves et leur indiquent à quel étage ils se trouvent. Ainsi, chaque étage a sa propre couleur – le rez-de-chaussée est par exemple caractérisé par des vestiaires roses et le quatrième étage par des vestiaires bleus. « Les chiffres et les lettres ne fonctionneraient pas bien, car certains enfants ont des difficultés à les lire », explique l’architecte Simon Kellenberger. Les salles de classe, en revanche, sont aménagées de manière plus sobre. Le blanc et des teintes de gris plus ou moins claires y prédominent. Plus tard, l’ameublement et surtout les nombreux travaux de dessin et de bricolage des élèves apporteront de la couleur. Le bois en tant que matériau de construction caractérise non seulement une partie de l’aspect intérieur du bâtiment, mais aussi les façades. Celles-ci sont composées d’éléments en bois habillés de planches enduites en vert – une protection contre les intempéries que l’on connaît des maisons en bois scandinaves, où elle est toutefois généralement de couleur rouge. La surface du bâtiment est structurée par une grille régulière de grandes zones vitrées fixes adjacentes à d’étroits volets d’aération opaques et à des bandeaux horizontaux en tôle claire. Des losanges sont placés entre les fenêtres en guise d’éléments décoratifs supplémentaires. Ils rappellent le style des constructions traditionnelles en bois. Au quotidien, les étroits volets d’aération sont rarement ­utilisés, car le bâtiment dispose d’une venti­ lation de confort. Celle-ci est reliée à un registre terrestre de 500 mètres de long situé sous le socle du bâtiment. L’air peut ainsi être prérefroidi en été et apporter une Komplex No 15/2022


température agréable dans les pièces. En hiver, l’air froid entrant est préchauffé, ce qui permet d’économiser de l’énergie. Visite virtuelle de la maquette numérique Les délais très courts ont nécessité non seulement de préfabriquer une grande partie des composants, mais aussi de numériser la planification. Les architectes, les planificateurs de la construction en bois et les ingénieurs spécialisés en technique du bâtiment ont ainsi travaillé avec le Building Information Modeling (BIM). « Grâce à la maquette numérique en 3D, nous avons pu planifier directement sur ordinateur de nombreux éléments qui ne sont habituellement résolus en détail que sur le chantier », déclare Raphael Näf, chef de projet global chez Halter. La maquette en 3D a également été utile lors des réunions avec le maître d’ouvrage. Ce dernier pouvait se déplacer directement sur l’ordinateur à travers la maquette virtuelle du bâtiment, qui montrait déjà toutes les surfaces dans leur apparence prévue. « Cela a permis de prendre des décisions rapidement et à l’avance, par exemple pour déterminer la couleur des murs et des sols ou pour choisir les matériaux », explique l’architecte Simon Kellenberger. Le 5 janvier 2022, le dernier élément en bois était monté dans la Gotthardstrasse à Ibach. A l’intérieur, les travaux de finition se sont poursuivis à un rythme effréné afin que le nouveau bâtiment scolaire soit prêt à temps pour la fin des vacances d’été. La première visite des locaux sera donc un grand moment, surtout pour les élèves.

Lussi + Partner AG Fondé en 2014, ce cabinet d’architecture lucernois emploie une vingtaine de personnes. Son éventail de projets comprend des bâtiments résidentiels, commerciaux, hôteliers et scolaires dans toute la Suisse. Parmi les réalisations connues du cabinet, on peut citer la construction du nouvel hôtel Frutt Lodge & Spa à Melchsee-Frutt (2011), le lotissement Suurstoffi à Rotkreuz (2012), le nouveau siège principal des CFF à Berne-Wankdorf (2014) et la rénovation de la Bibliothèque centrale et universitaire de Lucerne (2019). -> www.lussipartner.ch

w + s Landschaftsarchitekten AG Ce cabinet d’architecture paysagère de Soleure a été fondé en 1983. La planification des espaces libres, l’archi­ tecture des jardins et l’aménagement paysager constituent autant de compétences clés de son équipe composée d’une bonne dizaine de personnes, qui a déjà remporté de nombreux prix. Le cabinet a notamment participé à l’aménagement de la place de la gare à Soleure, à la viabilisation du site d’Attisholz à Riedholz ainsi qu’au parc Bally à Schönenwerd. -> www.wslarch.ch

Häring AG L’entreprise, dont le siège se trouve à Eiken dans le canton d’Argovie, a été fondée il y a 140 ans comme une entreprise de construction en bois classique. Aujourd’hui encore, le bois en tant que matériau de construction est au cœur de l’activité de cette entreprise diversifiée, qui couvre tous les domaines de la construction, du développement immobilier à la rénovation de bâtiments existants, en passant par la réalisation en tant qu’entreprise générale. En plus de ses quatre sites en Suisse, Häring AG possède également des bureaux à Singapour et en Chine. -> www.haring.ch

p. 148 – Durant l’été 2021, le sous-sol, le parking souterrain et le noyau desservant le bâtiment ont été bétonnés sur place. Le montage des éléments en bois préfabriqués a commencé en novembre. Un peu plus d’un étage a pu être achevé par semaine.

p. 155 – Malgré des conditions météorologiques pas toujours favorables, l’ensemble du gros œuvre des cinq étages a pu être achevé avant la fin de l’année 2021. La parcelle est située au bord de la très fréquentée Gotthardstrasse à Ibach (en haut).

p. 151 – Les poteaux et poutres en bois ainsi que les cloisons ont été montés en premier (en haut). Le montage des dalles de béton, également préfabriquées, a ensuite été effectué pour la finition des plafonds. Ces dalles sont fixées à des points précis aux poutres situées en dessous par des vis cimentées sur place (en bas).

p. 157 – Visualisation du bâtiment scolaire achevé avec sa façade caractéristique en planches de bois enduites de vert. Des losanges clairs rappellent des motifs traditionnels tout en apportant une touche ludique (en haut). A l’intérieur, on peut voir à la fois le noyau en béton et la construction en bois grâce aux poutres apparentes du plafond et aux murs des couloirs revêtus de bois. Les sols en linoléum colorés apportent de jolis contrastes (en bas).

p. 152 – La distribution verticale des câbles électriques se fait directement sur les dalles de béton. L’isolation phonique et la chape seront posées par-dessus ultérieurement (en haut). Montage de la couverture du toit au niveau de la grande terrasse du cinquième étage (en bas).

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Coupe : le sous-sol abrite des ateliers et des places de stationnement pour ­voitures. La salle de gymnastique est située à côté du noyau bétonné du bâtiment.


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Rez-de-chaussée : l’accueil, un réfectoire et deux classes de jardin d’enfants se trouvent ici. Des espaces de jeu et de récréation sont aménagés à l’extérieur.

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3e étage : un couloir avec des niches de vestiaires dessert les salles de classe. Une des pièces maîtresses : la salle de gymnastique aux 3e et 4e étages.

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INTEGRATED 158 PROJECT DELIVERY À TOUT PRIX ? Texte : Diego Frey Illustration : Dominique Wyss

Le secteur de la construction et de l’immobilier cherche désespérément de nouveaux modèles de gestion de projet. Tout le monde connaît désormais la chanson du potentiel de conflit des modèles traditionnels fragmentés. Les parties prenantes s’accordent à dire que l’intégration de la planification et de l’exécution à un stade précoce présente de nombreux avantages. L’Integrated Project Delivery (IPD) figure en bonne place dans le palmarès des nouvelles approches intégrées de la gestion de projet. Mais avant de se prononcer sur cette méthode, il convient de jeter un coup d’œil sur l’histoire de l’IPD en vue de son adaptation à notre environnement de projets. L’IPD est né sur une plateforme pétrolière en mer du Nord

L’IPD a vu le jour au début des années 1990. A l’époque, l’entreprise pétrolière British Petroleum (BP) voulait construire une plateforme de forage en mer du Nord. Constatant qu’elle dépassait largement son budget avec le modèle classique d’approvisionnement et d’exécution, BP a cherché un nouveau modèle. BP était consciente qu’elle devait intensifier la collaboration avec les entreprises exécutantes et que cela impliquerait un changement radical des mentalités. Pour atteindre les objectifs de coûts ambitieux, une alliance de projet a été créée afin de garantir une véritable coopération entre tous les acteurs. Grâce à un système de bonus-malus et à la répartition de tous les risques du projet, toutes les parties prenantes étaient désormais liées contractuellement les unes aux autres. En outre, la rémunération des entrepreneurs était calculée en fonction de la réussite du projet, ce qui a permis à BP de réduire encore une fois considérablement les coûts visés et de raccourcir de six mois la durée de réalisation. D’autres projets d’infrastructure hautement complexes ont suivi en Australie et en Nouvelle-Zélande, pour lesquels ce même modèle a été utilisé. Ingénierie & Production – Chronique


Des principes qui reposent sur l’égalité, l’unanimité, la responsabilité solidaire et une culture de projet commune avec des valeurs telles que l’ouverture, l’honnêteté, la transparence et la volonté de coopérer. IPD est ainsi synonyme d’un modèle de gestion de projet qui représente la commande, la planification et la réalisation intégrées d’un ouvrage sous la responsabilité commune d’une équipe de projet, dans l’esprit d’une alliance avec les principales entreprises impliquées dans le projet. L’objectif principal est d’éviter les conflits d’intérêts dans les projets complexes et risqués de grande envergure. Pour garantir cela, l’IPD prévoit une large participation financière, technique et managériale du maître d’ouvrage au sein de l’équipe de projet. En parallèle, les parties impliquées dans le projet s’engagent entre elles à satisfaire aux exigences et à respecter le budget du projet par un contrat multipartite, un contrat d’alliance ou une société simple créée spécialement pour le projet. Le système de rémunération mérite également d’être mentionné. Ce dernier se base uniquement sur les coûts de personnel et de matériel ainsi que sur une participation aux bénéfices en cas de réalisation des objectifs et de dépenses inférieures au budget. Conformément au principe de solidarité, la logique veut que tous les participants au projet gagnent ou perdent ensemble. Le système de rémunération des projets IPD outre-mer prévoit une rémunération en trois étapes, sous réserve de réalisation des objectifs de projet définis en commun : dans un premier temps sont rémunérés les coûts salariaux et matériels, dans un d ­ euxième temps les frais généraux et enfin le bénéfice. Une ascension rapide jusqu’à devenir le chouchou de la branche

Avec la notoriété croissante du modèle IPD au niveau international, et aussi grâce à son application en Europe, le modèle a été et est désormais envisagé par les professionnels en Suisse pour des projets moins complexes dans le génie civil et le ­bâtiment. Le nombre des événements au cours desquels l’IPD et les projets à caractère IPD sont présentés et où les institutions de formation du secteur de la construction et de l’immobilier, les planificateurs et les entrepreneurs décrivent leurs premières expériences avec l’IPD, augmente actuellement. L’IPD y est volontiers présenté comme un éventuel remède miracle. Mais qu’en est-il vraiment ? Aujourd’hui, il existe en Suisse une poignée de projets qui sont planifiés ou réalisés avec certains éléments et principes IPD. On constate toutefois que la rédaction et, plus encore, la conclusion d’un contrat multipartite ou d’alliance ou la création d’une société simple 159

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spécifique au projet constituent un défi de taille. C’est pourquoi, en raison de la complexité et de l’immense travail initial, les projets menés jusqu’à présent ont en grande partie consisté à conclure des contrats bipartites à caractère IPD. En ce qui concerne le système de rémunération, différentes variantes sont retenues dans notre pays. En règle générale, les entrepreneurs sont indemnisés pour les frais généraux en plus des coûts salariaux et matériels, et ils peuvent même percevoir des parts de bénéfices à l’avance. La « cagnotte commune », qui doit couvrir les éventuels dépassements de coûts ainsi que les dépenses liées aux défauts et aux dommages pendant la période de garantie avant la répartition des bénéfices, est ainsi réduite en conséquence. L’IPD ne convient pas à tous les maîtres d’ouvrage

En Suisse, environ 33 milliards de francs sont investis chaque année dans la construction de bâtiments. Les immeubles collectifs occupent la première place avec un volume de 14 milliards de francs. Les maisons individuelles arrivent en deuxième position avec un volume d’environ 4,5 milliards de francs. Le volume moyen des projets s’élève à environ 1,6 million de francs pour l’ensemble des quelque 21 000 projets de construction. Dans le domaine du génie civil et de la transformation, les volumes moyens des projets sont encore plus bas, avec respectivement 490 000 francs et 125 000 francs. Des projets générationnels d’envergure tels que Cargo Sous Terrain, un nouveau tube pour le tunnel routier du Saint-Gothard ou la nouvelle construction de l’hôpital universitaire de Zurich ont un caractère unique et sont par ailleurs exposés à des années d’incertitude, notamment sur le plan politique. La majorité des projets réalisés dans notre pays sont donc très éloignés des grands projets complexes et coûteux pour lesquels le modèle IPD a été initialement développé au niveau international. Outre la question de savoir si un projet se prête à l’IPD, chaque maître d’ouvrage doit évaluer s’il est lui-même prêt et capable de gérer un projet complexe et dans quelle mesure cela répond à ses intérêts et à ses objectifs. Le passage du rôle de donneur d’ordre à celui de membre et gestionnaire d’une équipe de projet présuppose d’une part une très grande compétence ­technique – car le maître d’ouvrage partage les décisions relatives au mode d’exécution et assume ainsi une coresponsabilité – et d’autre part, l’IPD exige également un engagement consi­dérable en termes de temps sur l’ensemble de la durée du projet. Les participants au projet sont incités par les modalités contractuelles à rester en dessous des coûts cibles. Mais dès lors que la « cagnotte » est épuisée, les éventuels dépassements 160

Ingénierie & Production – Chronique


de coûts restants sont à la charge du maître d’ouvrage. Ainsi, la question de savoir comment définir les coûts cibles au début du projet devient essentielle. Dans la mesure où cela se fait sans concurrence de prix, le maître d’ouvrage doit être à même d’évaluer les coûts, que ce soit sur la base de sa propre ­expérience du marché ou sur la base des données de référence auxquelles il a accès. Des approches précieuses pour une démarche globale

L’Integrated Project Delivery peut être considérée aujourd’hui comme une stimulation importante pour la réorientation de la gestion de projet dans le secteur suisse de la construction. Le modèle de gestion de projet offre des approches précieuses, notamment en ce qui concerne une nouvelle culture d’équipe de projet et une démarche globale. La structure contractuelle exigeante et le système de rémunération qui ne permet aux partenaires de toucher les bénéfices que bien plus tard devraient toutefois être examinés d’un œil critique en cas d’adaptation à des projets moyennement complexes. Le marché connaît déjà des modèles de développement intégrés et entrepreneuriaux tels que le design-build, qui permettent une approche globale et partenariale similaire, mais qui devraient davantage répondre aux exigences de nombreux maîtres d’ouvrage en ce qui concerne la tarification orientée vers le marché et la gestion des risques.

Diego Frey (40 ans) a rejoint Halter SA en 2007 en tant que directeur de travaux. Depuis 2021, il est responsable de l’ingénierie et directeur adjoint de Halter Prestations globales. Au cours des dernières années, il s’est formé à l’école des arts et métiers de Wetzikon, a obtenu un CAS en gestion de projet à la ZHAW et un MAS en gestion immo­ bilière à la Haute école de Lucerne. La mise en place et le développement de l’ingénierie interne font partie de ses spécialités. Il est également coresponsable de l’extension continue de Halter Prestations globales dans le domaine de la régionalisation et de l’offre de prestations. En tant que membre du comité de Bâtir digital Suisse, il dirige un groupe de travail sur le thème du « traitement intégré des projets ». Diego Frey s’investit également dans l’association Branch Do Tank pour la révision des processus dans le secteur de la construction et de l’immobilier dans le domaine du design-build.

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REDISTRIBUER LES RÔLES

162 Texte : Jürg Zulliger Photos : Lucas Peters Graphique : Halter SA

Dans le déroulement classique des chantiers de construction, les nombreuses interfaces et les responsabilités souvent peu claires s’avèrent être des sources d’erreurs fréquentes. Il est prouvé que les modèles de gestion intégrée avec une collaboration accrue et une structuration en groupes de travail permettent d’obtenir de meilleurs résultats et de réduire les coûts. Le projet CityGate à Bâle illustre comment les entreprises exécutantes contribuent à un meilleur résultat en assumant davantage de responsabilités. Ingénierie & Production


La multitude de cours et de manuels sur le thème de la gestion de projets de construction fait qu’il est quasi impossible de garder une vue d’ensemble. Et les informations fournies ne répondent que rarement aux attentes actuelles. C’est pourquoi, dans de nombreux pays, y compris en Suisse, le besoin se fait sentir de remettre en question les processus et les responsabilités ­habituels. L’approche design-build (soit conception-réalisation en français) est très prometteuse. Ce système de gestion de projet repose sur la coopération et la ­participation des entrepreneurs exécutants à un stade précoce de la planification, ce qui permet de réduire considérablement les délais, d’éliminer les charges inutiles et d’optimiser la communication. De nombreux projets de référence en Suisse, parmi lesquels le développement du CityGate à Bâle, mais aussi des projets du secteur public, prouvent déjà que les projets peuvent être menés à bien avec une structure légère, de manière économique et très efficace. En même temps, les modèles intégrés contribuent à réduire considérablement la charge et ­surtout les risques pour le maître d’ouvrage.

La voie classique vers un projet de construction passe par le modèle de phases habituel, non intégré, avec l’avant-projet, le projet de construction, le permis de construire et ainsi de suite. Il se caractérise par une distinction stricte entre la planification et l’exécution. Plus le projet est vaste et plus le nombre de planificateurs, d’ingénieurs, d’entreprises exécutantes et de sous-traitants est élevé, plus la gestion du projet se révèle complexe. Viennent s’ajouter à cela d’innombrables interfaces à gérer entre le maître d’ouvrage, les planificateurs, les architectes, les entrepreneurs et les sous-traitants. Dans la pratique, toutes les parties prenantes sont confrontées à des processus inefficaces, à des malentendus et à des responsabilités mal définies. C’est pourquoi les lacunes ou les erreurs dans la planification ne sont détectées que bien trop tard, quasiment au moment de l’exécution. Et personne ne se sent responsable au moment où un défaut est découvert à la fin des travaux. La séparation stricte entre la planifi­ cation et l’exécution et la division des responsabilités qui en découle aboutissent au fameux petit jeu du « c’est pas moi, c’est


Le nouveau rôle de l’entrepreneur Maik Neuhaus, directeur général de l’unité Prestations globales chez Halter SA, résume le dilemme ainsi : « Le modèle classique rend ­difficile à la fois une bonne collaboration entre les participants et l’obtention de solutions économiques et de grande qualité. » Dans le modèle des groupes de travail, en reva­ nche, il n’y a pas de scission entre la planification et l’exécution. Ce qui peut sembler ­anodin dans une représentation purement ­schématique a des conséquences importantes :

l’entrepreneur exécutant n’est plus le « preneur d’ordres » subordonné qui exécute une à une les tâches planifiées par d’autres. Bien au contraire, le rôle de l’entrepreneur dis­ posant de connaissances techniques approfondies et d’une grande expérience est nettement revalorisé. Ainsi, dans le processus designbuild, l’entrepreneur est impliqué très en amont dans l’élaboration et la conception ; son avis, ses propositions et ses solutions sont pris en compte dès le départ. L’entrepreneur et ses spécialistes qualifiés apportent leur savoir-faire et leur excellence commerciale dans un sens global et assument également – contrairement au planificateur – l’entière responsabilité de leurs concepts et planifications. Diego Frey, ­responsable de l’ingénierie chez Halter Prestations globales, ajoute : « En contrepartie, le système profite également aux entrepreneurs. La nouvelle compréhension de leur rôle leur permet de se démarquer clairement des autres concurrents de la branche. » La revalorisation et le basculement vers une collaboration encore plus qualifiée et une corespon­­sabilité ont en outre un effet motivant et favorisent l’identification avec le travail.

Maître d’ouvrage

Organisation de maîtres d’ouvrage Mandant Mandataire

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Représentation des relations entre le maître d’ouvrage, le prestataire global, les planificateurs et les entreprises exécutantes dans le modèle de groupe de travail.

l’autre ». Les entreprises exécutantes refusent alors d’endosser la responsabilité d’une éventuelle erreur de planification. Inversement, les planificateurs ont eux aussi tendance à chercher la cause des défauts ailleurs. De nombreux maîtres d’ouvrage sont aussi insatisfaits de ce type d’organisation de projet que de la qualité des ouvrages livrés. En effet, il arrive beaucoup trop souvent que les objectifs fonctionnels ne puissent pas être pleinement atteints, que la qualité laisse à désirer et que, pour couronner le tout, le budget ne soit pas respecté.


Dans la pratique, les quatre groupes de travail suivants se sont établis : le groupe de travail 1 s’occupe des domaines liés au gros œuvre, aux fondations et aux fouilles. Toutes les fonctions essentielles, à savoir la planification ainsi que les tâches du chef de projet et du responsable BIM, sont réunies dans cette entité. Grâce au groupe de travail, l’ensemble des prestations, de la planification et de la conception à la réalisation, est fourni par un seul et même ­prestataire. Le groupe de travail 2 est responsable de la planification et de la réalisation de l’enveloppe du bâtiment. Ici aussi, les planificateurs ou les éventuels ingénieurs spécialisés et les entrepreneurs exécutants travaillent en collaboration et assument ensemble la responsabilité. Le groupe de travail 3 couvre tout le domaine de la technique du bâtiment comme le chauffage, la ventilation, la climatisation, les sanitaires, l’électricité (CVCSE). La planification, la gestion de projet, l’exécution et la responsabilité BIM sont réunies sous l’égide de ce groupe de travail. Enfin, le groupe de travail 4 assume conjointement la direction de l’ensemble de l’aménagement du bâtiment. L’attention est portée sur les objectifs Une approche totalement nouvelle est adoptée dès le début de la définition du projet avec l’établissement d’un catalogue d’exigences : dans le processus design-build, il ne s’agit pas d’élaborer en détail tous les plans et toutes les descriptions pour l’ensemble du projet dans le cadre d’un travail de titan aussi coûteux que chronophage. En effet, le maître d’ouvrage se concentre sur la définition des principales exigences et fonctions du bâtiment à construire. Le résultat en dit long sur les usages, les exigences techniques telles que la qualité de la climatisation et de l’air, l’insonorisation ou le confort. La phase d’appel d’offres ne passe pas non plus par un devis classique et un processus détaillé avec des appels et la soumission d’offres. Toute l’attention est portée sur la définition des principaux objectifs. Cela soulage également les entrepreneurs et / ou les groupes de travail. Ils sont moins confron­tés à la tentation de se prémunir contre toute éventualité, de constituer des réserves et d’établir un catalogue de prestations interminable. Avec une nouvelle conscience de leur responsabilité et de leur rôle, ils proposent ni plus ni moins la 165

solution qu’ils estiment la meilleure possible. S’ils ont par exemple mis en œuvre avec succès certaines solutions dans le cadre d’autres projets ambitieux en matière de technique du bâtiment, ils intégreront directement ce savoir-faire. Tout ce qui est inutile est laissé de côté Pour le maître d’ouvrage, cette procédure allège la charge de travail et permet d’économiser de manière considérable sur les ressources et les coûts. « Nous avons constaté dans de nombreux projets différents que nous pouvions travailler beaucoup plus vite et efficacement au cours de cette phase », explique Maik Neuhaus. Les avantages sont particulièrement évidents dans les projets de très grande envergure, car dans le cas de bâtiments très complexes et de montants de construction élevés, p. ex. 100 millions de francs, des sommes de plusieurs millions sont engagées lors de la première phase rien que pour les prestations de planification et les appels d’offres. Selon Maik Neuhaus, il n’est pas rare dans de tels projets que l’inves­ tisseur doive avancer jusqu’à 10% du montant total de la construction pour les travaux préliminaires et les appels d’offres. Dans le cas d’appels d’offres purement fonctionnels et axés sur les objectifs essentiels, la majeure partie de ces dépenses n’est pas nécessaire. Le maître d’ouvrage et ses ingénieurs et planificateurs peuvent renoncer en toute quiétude à planifier par exemple la technique du bâtiment jusque dans les moindres détails. Sur la base de l’appel d’offres fonctionnel, les partenaires contractuels impliqués se mettent d’accord sur un prix cible ou un budget maximum. Cette approche différente et la philosophie collaborative portent leurs fruits : les extras et les options non indispensables sont laissés de côté dès le début. L’ensemble du processus est plus efficace, la communication et les responsabilités sont définies. « Pour nous, après le succès de nombreux projets, il est clair que les modèles de gestion intégrée permettent d’obtenir de bien meilleurs résultats », souligne Maik Neuhaus. A l’inverse, le modèle classique, non intégré, crée de fausses incitations. Les entrepreneurs et les planificateurs généraux avancent le slogan anodin selon lequel les délais et les coûts sont « garantis ». Mais dans les faits, ce modèle entraîne des offres à prix avantageux à tous les niveaux et au Komplex No 15/2022


cours de différentes phases, dans le but de remporter le contrat. Si le budget est finalement trop serré, des coûts supplémentaires et des avenants sont généralement invoqués. Plus-value et augmentation de l’efficacité Un vent différent souffle sur les groupes de travail bien rodés. C’est ce que confirme aussi Peter Pfiffner, propriétaire de ­Pfiff­ner AG : « Je peux proposer les solutions qui me semblent optimales et les défendre dans ce sens. Si j’en suis vraiment convaincu, j’en répondrai avec toute mon expertise. » Mais cette attitude présuppose un état d’esprit correspondant. Un premier défi consiste à prendre en main des planifications et à proposer des solutions sur la base de directives fonctionnelles relativement peu étoffées. Mais cela offre aussi la possi­ bilité d’apporter une plus-value et d’améliorer considérablement l’efficacité. Bref, l’entrepreneur se limite à ce qui est exigé sur le plan fonctionnel. Tout ce qui n’est pas vraiment nécessaire est écarté selon le principe de suffisance. En procédant selon le schéma habituel, de nombreux planificateurs – notamment dans le domaine de la technique du bâtiment ou des faça­des – planifient des prestations étendues et assorties de réserves dans l’espoir qu’un entrepreneur en aval permettra tout de même d’atteindre le prix cible grâce à des rabais (trop) importants. Au sein d’un groupe de travail, les entrepreneurs doivent être agiles. Toutes les parties prenantes doivent savoir ce qu’elles font, et connaître les chances et les risques liés à cette nouvelle forme de collaboration. Car le groupe de travail est responsable de l’achèvement de l’ouvrage dans la qualité souhaitée et de la fourniture des fonctions et des valeurs commandées. Peter Pfiffner insiste encore sur un autre point : intégrer un groupe de travail, c’est changer de dis­ cipline – comme passer du saut à la perche au saut en hauteur : « Tant le planificateur que l’entrepreneur exécutant devraient avoir en interne les compétences en matière d’innovation et de suffisance permettant de générer une plus-value stratégique à long terme. » C’est précisément là que les groupes de travail peuvent faire valoir leurs avantages. Car de plus en plus de projets, tant d’investisseurs institutionnels que de pouvoirs publics, exigent un haut degré d’innovation en matière de technique du bâtiment et de 166

l’énergie. Le plus souvent, il s’agit de couvrir le chauffage, la climatisation, la ­ventilation voire l’ensemble de l’exploitation avec des énergies renouvelables. L’idée de suffisance et de faibles coûts d’exploitation à long terme y jouent un rôle important. L’exemple de CityGate Le lotissement CityGate de la fondation de placement Patrimonium fait partie des nombreux projets de référence en Suisse. Situé à l’est de la gare de Bâle, ce complexe comprend des surfaces commerciales, 195 appartements locatifs et un nouvel hôtel de 137 chambres. Le projet a été livré au maître d’ouvrage en septembre 2020, et ce même en deçà des délais et des coûts stricts impartis. Pour le déroulement du projet, les domaines du gros œuvre et du chauffage, de la venti­ lation, de la climatisation, des sanitaires et de l’électricité ont été définis dès le début comme des groupes de travail. Marcel Weber, responsable de la région Bâle chez Halter Prestations globales, déclare à ce sujet : « Lors de la planification et de la réalisation de CityGate, les groupes de travail ont clairement pu faire valoir les avantages de ce modèle. » La préfabrication a été largement utilisée, tant pour le gros œuvre que pour l’aménagement intérieur. Cela a permis d’accélérer les processus, car les éléments préfabriqués ont été produits en usine dans des conditions optimales. Alors que les planificateurs auraient probablement proposé des chauffages au sol dans le cadre d’un schéma conventionnel, les nouveaux bâtiments ont été équipés de systèmes de composants thermoactifs intégrés dans les plafonds. Cela a apporté de nombreux avantages, notamment des temps de séchage plus courts pendant la phase de construction. Dans cet exemple, les nouvelles technologies combinées à l’énergie renouvelable apportent une forte plus-value en termes de coûts, de confort et de durabilité. Le maître d’ouvrage a profité bien plus que d’habitude de propositions convaincantes de la part des entrepreneurs. Le maître d’œuvre a proposé des éléments préfabriqués dans le gros œuvre avant tout parce qu’il a été impliqué très tôt dans le projet. En parallèle, l’organisation du projet a pu être allégée à tous les niveaux. Les innombrables étapes inter­ médiaires avec un avant-projet, des appels d’offres détaillés, des soumissions, la délégation de tâches à un entrepreneur total Ingénierie & Production


ou à des sous-traitants, comme c’est généralement le cas dans une exécution conventionnelle, ont tout simplement été supprimées. Le modèle de groupe de travail et la planification de plus en plus numérisée se ­complètent idéalement. Dans le cas de CityGate, la planification a été systématiquement numérisée et toutes les personnes impliquées ont pu disposer à tout moment de tous les plans et modèles. Il est notoire que le jumeau numérique contribue de manière décisive à identifier d’éventuelles erreurs et lacunes dans la planification. « Grâce à la numérisation, le maître d’ouvrage a pu très facilement mettre en œuvre sa propre gestion de la qualité », affirme Marcel Weber. Une autre conclusion : les ruptures médiatiques d’autrefois, avec des tas de documents de planification, des indications de dimensions et de quantités différentes, étaient dues à la répartition classique des tâches. Mais lorsque, grâce à la numérisation, toute la planification et toutes les infor­ mations importantes sur le projet sont disponibles à toutes les étapes, un basculement fondamental vers des modèles de collaboration intégrés s’impose de toute façon. 167

Dans la pratique, le modèle des groupes de travail fait ses preuves dans des projets très divers. Il convient comme partie d’une approche de prestataire global, mais aussi en interaction avec un modèle d’ET. Une nouvelle culture de collaboration et de responsabilité s’établit. L’implication plus précoce des entrepreneurs et la définition des produits et des processus dans l’exé­ cution des travaux de construction sont des conditions obligatoires pour l’optimisation de l’utilisation des ressources tout au long du cycle de vie du bien immobilier, ainsi que pour l’établissement d’une économie circulaire. En fin de compte, les coûts ne sont pas plus élevés, mais au contraire nettement plus bas, car on évite les charges inutiles et les fausses incitations. Les investissements préalables pour des planifications, préparations ou appels d’offres coûteux peuvent être réduits de jusqu’à 70%. p. 163 – Le nouveau lotissement CityGate est situé à l’est de la gare de Bâle. Des surfaces commerciales, 195 appartements locatifs et un hôtel de 137 chambres y ont été réalisés. p. 167 – Malgré la proximité du centre, les deux immeubles d’habitation profitent d’un environnement verdoyant.

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ICI, TOUT LE MONDE GAGNE Texte : Bettina Kunzer Visualisations : ZSC Lions AG Captures d’écran : Tend AG

Les préparatifs en vue de l’exploitation de la Swiss Life Arena, située dans un emplacement central à Zurich-Altstetten, battent leur plein. C’est ici que les ZSC Lions entendent ­bientôt fêter leurs victoires avec leurs fans. Un jumeau numérique est utilisé afin que l’équipe, la direction du club, les visiteurs et les entreprises de service puissent bénéficier dès le début de la meilleure expérience possible dans ce nouveau bâtiment. Cela permet d’assurer le transfert des données de la phase de construction à celle de l’exploitation et ­d’optimiser l’aptitude à l’exploitation et la rentabilité des processus. 169

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Quiconque arrive à Zurich par l’ouest ne peut guère manquer la Swiss Life Arena. Située entre la sortie d’autoroute et la gare d’Altstetten, elle affiche fièrement son statut d’arène sportive et événementielle la plus moderne de Suisse. Le bâtiment, conçu par le cabinet Caruso St John Architects, est recouvert d’éléments en béton coulé sur place. Ils ondulent à l’est et à l’ouest avec la légèreté d’un rideau dans les espaces entre les contreforts. Leur aspect en relief et leur allure textile évoquent une tente de cirque qui invite au spectacle à la périphérie de la ville. Le ZSC comme exploitant du bâtiment Lorsque les premiers palets voleront sur la glace de la nouvelle demeure des ZSC Lions cet automne et que l’équipe, encouragée par les cris de ses fidèles supporters, atteindra des sommets, l’exploitation du stade tournera à merveille. La salle de 170 mètres sur 110 pourra accueillir 12 000 fans de sport. Une salle d’entraînement offrant environ 200 places assises, des salles pour des utilisations supplémentaires pouvant accueillir de 12 à 1200 personnes, un restaurant du club et un parking au sous-sol viennent compléter les installations. Des arcades entourent les vastes zones d’accès au stade, qui porte le nom de son sponsor principal. A leur extrémité sud, où arriveront la plupart des supporters, elles s’ouvrent sur des escaliers monumentaux qui mènent à une vaste terrasse. C’est depuis cet endroit que les spectateurs pénètrent dans le stade. A l’intérieur se trouve l’arène qui, avec ses tribunes en pente raide, créera à l’avenir une ambiance de « chaudron de ­sorcière ». La passion du hockey sur glace est également perceptible dans les locaux destinés à la location à des tiers. Par exemple, la salle de conférence Sulo, avec vue sur le terrain, est un hommage au gardien de but légendaire Ari Sulander. L’infrastructure multifonctionnelle de la Swiss Life Arena ne sert donc pas seulement aux matchs de hockey sur glace, mais aussi à des manifestations culturelles, des événements et des rendez-vous d’affaires. Cela ouvre des perspectives économiques prometteuses à l’exploitant, ZSC Lions AG. Si la commercialisation et l’exploitation d’événements tiers incombaient à la société Hallen­stadion AG dans le domicile précédent, le ZSC est désormais devenu lui-même 170

l’exploitant du bâtiment et s’est vu confronté au défi de gérer un vaste bien immobilier en plus d’un club de sport. Aussi, ZSC Lions AG a décidé de collaborer avec le prestataire de services immobiliers Tend AG pour développer et mettre en œuvre sa s ­ tratégie d’exploitation. Un modèle précis grâce au numérique Andres Stierli, partenaire chez Tend, a dirigé la préparation de l’exploitation. Il est convaincu que la numérisation continue des données pendant toutes les phases du projet constitue un outil précieux pour une planification optimale et une exploitation régulière sans heurts. « Toutefois, le transfert de la chaîne de données numériques d’un projet de cette envergure de la phase de construction à la phase d’exploitation reste un défi. En règle générale, les informations relatives à la phase de réalisation se tarissent lorsque le projet est achevé pour les entreprises exécutantes. En revanche, si les données peuvent être transférées de la phase de construction à celle de l’exploitation, il est possible de franchir la ‹­vallée de la mort du savoir-faire› en jetant un pont précieux », explique Andres Stierli. Bien que la planification et la réali­ sation de la Swiss Life Arena n’aient pas eu recours à la méthode BIM, des modèles 3D de grande qualité étaient disponibles. Ils ont servi de base au modèle AIM (Asset Information Modeling, développé par Tend). Le numérique du bâtiment comprend les données de l’ensemble des surfaces, volumes et matériaux, visualisées en 3D et suffisamment détaillées pour que les informations pertinentes pour l’exploitation soient visibles. Les données de haute qualité ont permis de développer un modèle d’exploitation précis et de concevoir des ensembles de prestations pratiques. « Le modèle de données nous a fourni les outils numériques nécessaires pour représenter avec simplicité les ­corrélations complexes et les rendre accessibles aux utilisateurs. Dans le cadre de l’exploitation régulière, c’est un soulagement non seulement pour nous, mais aussi pour les prestataires de services externes », confirme Bruno Vollmer, COO de ZSC Lions AG et responsable général de l’exploitation. L’exploitation du stade représente une mission complexe que Bruno Vollmer souhaite voir entre de bonnes mains. « C’est pourquoi il fallait répartir au mieux le volume Ingénierie & Production


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Définition de l’espace avec toutes les caractéristiques pertinentes pour ­l’exploitation. Les informations peuvent être consultées en un simple clic.

Modèle AIM de la Swiss Life Arena: près de 900 pièces sont représentées dans le jumeau numérique du bâtiment.



du mandat entre les différents acteurs compétents. Nous avons recours à une solution mixte de prestations externes et internes. Nous pouvons et voulons assurer nous-mêmes les tâches principales, proches du hockey sur glace et de la technique événementielle. En revanche, nous achèterons les prestations de base en vue d’une flexibilité et d’une rentabilité maximales », explique-t-il. Le club de hockey sur glace fournira donc le Head of Facility Management, doté de compétences élevées en matière de technique événementielle. Les travaux de nettoyage et l’entretien technique seront confiés à des prestataires externes. Une stratégie multifournisseurs a été adoptée à cet effet, afin de bénéficier d’une part du professionnalisme des grandes entreprises et d’autre part des partenariats de longue date avec des PME, qui ont à cœur de soutenir le club. Dix ensembles de prestations ont ainsi pu être répartis entre différents fournisseurs et partenaires leaders dans leur segment. Maîtrise des données et des coûts Durant la phase de soumission, les entreprises de nettoyage devaient réussir à comprendre la structure complexe du bâtiment avec ses quelque 900 pièces, comprenant l’arène sportive, la salle d’entraînement, les espaces gastronomique et VIP, les ­vestiaires et les zones humides, les loges, les Business Clubs et les bureaux des ZSC Lions, sans oublier la centrale technique, les locaux d’exploitation et ceux réservés au personnel de ménage. Dans le modèle AIM, chaque pièce est représentée avec sa matérialisation et sa structure quanti­ tative. Les distances entre les locaux sont également indiquées, pour permettre de cal­ culer les temps de trajet. Grâce aux données précises de l’appel d’offres, les prestataires externes ont pu soumettre des offres de grande qualité à des prix attrayants. Ce qui permet désormais d’exploiter la Swiss Life Arena avec une grande rentabilité. Les informations du modèle AIM, documentées de manière centralisée, sont disponibles dans une qualité de données élevée et peuvent être réutilisées et étendues de diverses façons. Grâce à la connexion aux outils CAFM, à l’environnement système de l’exploitant du bâtiment ainsi qu’aux systèmes de gestion et de facturation, tous les partenaires de service impliqués disposent à tout moment de données en direct et de 173

cockpits de gestion fiables qui assurent la transparence. Des processus fluides sont ainsi garantis pendant la mise en œuvre pour une exploitation efficace. Dès lors que le modèle AIM est intégré à l’exploitation régulière, les données augmentent en pertinence. Au fur et à mesure de l’expérience pratique, les niveaux de service peuvent être optimisés et incorporés dans le modèle. Cet enrichissement et cette mise à jour permanents permettent un fonctionnement préventif, similaire à la maintenance prédictive de l’industrie 4.0. Grâce aux données historiques et en temps réel, il est facile de répondre à la question « Que va-t-il se passer et à quel moment ? ». L’exploitant est en mesure de planifier, d’exécuter et de surveiller toutes les activités en optimisant les ressources et les coûts. La sécurité opérationnelle des installations pertinentes pour le système et les événements est nettement améliorée. De plus, il est possible de déterminer rapidement et de manière fiable les besoins en personnel de nettoyage à l’aide de valeurs tierces telles que les données météorologiques, les jours de la semaine et les événements réguliers à forte fréquentation. Une démarche axée sur les avantages pour le client Dans le domaine de l’exploitation immobilière, on vise toujours la meilleure expérience utilisateur possible à moindre coût. L’utilisation de modèles numériques contribue de manière décisive à cette proposition de valeur. Grâce à la mise en réseau intelligente des installations et des systèmes, ZSC Lions AG peut se concentrer encore davantage sur ses tâches de gestion et ses activités stratégiques de contrôle et d’intervention. Et si son équipe reste tout aussi concentrée, la finale de la prochaine saison de hockey sur glace aura peut-être lieu dans une Swiss Life Arena parfaitement organisée.

p. 168 – La Swiss Life Arena doit être inaugurée à l’automne 2022. Elle deviendra le nouveau domicile de l’équipe de National League ZSC Lions, ainsi que des U20 Elite et des U17 Elite du club. p. 172 – Les gradins en pente raide commencent près du terrain (en haut). La nouvelle Arena pourra également accueillir des événements d’entreprises et des manifestations culturelles (en bas).

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HALTER AG Mission Conjointement avec nos clients, nous identifions et exploitons des potentiels de développement de sites, terrains, projets de con­s­ truction et immeubles en vue d’une utilisation efficiente de nos ressources. Personnel 332 collaborateurs Chiffre d’affaires 2021 700 à 800 mio de CHF Conseil d’administration Balz Halter Président Roger Dettwiler Urs Ernst Nicolas Iynedjian Membres Organisation du groupe Markus Mettler CEO Thomas Bachmann Corporate Services Andrin Gantenbein (a.i.) Service juridique Nik Grubenmann Communication Alexandra Stamou Gestion des produits et de l’innovation Business Development Nous identifions les potentiels de valeur ajoutée, développons des visions d’utilisation et des modèles commerciaux ainsi que des des business cases qualifiés qui constituent une base d’investissement pour nos clients et nos partenaires. Organisation Ede I. Andràskay Directeur Business ­Development Suisse Olivier Thomas Suisse romande Sacha Gräub Région Berne Raphael Strub Suisse centrale et du Nord-Ouest Rolf Geiger Suisse orientale

Prestations globales Notre compétence maîtresse s’incarne dans un développement, une ingénierie et une réalisation de pointe. Nous donnons donc la priorité à la stratégie de projet et d’entreprise de nos clients. Organisation Maik Neuhaus Directeur général Diego Frey Engineering / planification et construction numériques Marcel Weber Région Bâle Theo Fahrni Région Berne Frédéric Boy Suisse romande Oliver Kern Région Zurich Adrian Roth Suisse orientale Philip Kiefer Suisse centrale Rénovations Nous détectons la valeur ajoutée par la rénovation ou la réhabilitation de biens immobiliers et nous créons des solutions rentables, stables et évolutives. Organisation Anna von Sydow Directrice générale Daniel Handschin Développement et acquisition Roland Baron Alexander Delev Burim Mustafa Lars Steffen Réalisation Andreas Wüthrich Service de construction Stefan Cavallaro Prestations de construction

Développements Nous développons et réalisons des biens immobiliers conformes au marché et producteurs de valeur ajoutée. La priorité est donnée aux besoins des investisseurs et des ­usagers, ainsi qu’à la durabilité de la construction urbaine.

TEND AG

Organisation Andreas Campi Directeur général

Personnel 40 collaborateurs

Kurt Ernst Baumann Développements Andreas Campi Herbert Zaugg Stratégie et coaching Mario Ercolani Gestion des constructions Est Bertrand Borcard Gestion des constructions Ouest Adresses Siège de Schlieren Halter AG Zürcherstrasse 39 CH–8952 Schlieren T +41 44 434 24 00 Bureau de Bâle Halter AG Freilager-Platz 4 CH–4142 Münchenstein T +41 61 404 46 40 Bureau de Berne Halter AG Europaplatz 1A CH–3008 Berne T +41 31 925 91 91 Bureau de Lucerne Halter AG Am Mattenhof 12 CH–6010 Kriens T +41 41 414 35 40 Bureau de Lausanne Halter SA Rue de Genève 17 CH–1003 Lausanne T +41 21 310 13 00 Bureau de Saint-Gall Halter AG St. Leonhard-Strasse 49 CH–9000 Saint-Gall T +41 71 242 44 10 www.halter.ch

Mission Nous assurons les rendements, diminuons les coûts d’exploitation et réduisons les émissions de CO₂. Cela nous permet de ­réaliser des biens immobiliers plus précieux pour nos clients.

Conseil d’administration Markus Mettler Président Roger Dettwiler Alexandra Stamou Markus Streckeisen Membres Organisation Jacques Hamers Directeur général Marc Bätschmann Susanne Baumann Roman Egger Fabian Hammer Mareike Herbrik David Huber Philipp Schelbert Andres Stierli Associés Adresses Siège de Schlieren Tend AG Zürcherstrasse 39 CH–8952 Schlieren T +41 44 434 24 24 Bureau de Bâle Tend AG Freilager-Platz 4 CH–4142 Münchenstein T +41 61 404 46 47 Bureau de Berne Tend AG Europaplatz 1A CH–3008 Berne T +41 31 310 98 33 Bureau de Lausanne Tend SA Rue de Genève 17 CH–1003 Lausanne T +41 21 321 41 35 Bureau de Chiasso Tend SA c/o Acofin Via Luigi Pasteur 1 CH–6830 Chiasso T +41 91 921 80 80 www.tend.ch

Alex Valsecchi Gestion des investissements

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Le groupe Halter en un coup d’œil


RAUMGLEITER AG

WIR SIND STADTGARTEN

MOVEMENT SYSTEMS AG

Mission Nous poursuivons l’objectif de rendre l’espace virtuel réel. De cette manière, nous créons des visions de l’avenir qui peuvent être vécues et qui soutien­ nent durablement la prise de décision.

Mission Avec le modèle coopératif, nous donnons forme et structure à l’espace de vie et créons ainsi une base pour un développement dynamique.

Mission MOVEment est un concept d’aménagement aussi intelligent que surprenant. Avec des modules coulissants, le système crée différents espaces de vie au gré des humeurs et des envies sur simple pression d’un bouton.

Personnel 30 collaborateurs Conseil d’administration Markus Mettler Président Heinz Beiner Roger Dettwiler Alexandra Stamou Membres Organisation Matthias Knuser CEO Claude Büechi Robin Dittli Daniel Kapr Francine Rotzetter Matthias Ryntowt Associés gérants Adresse Raumgleiter AG Zürcherstrasse 39 CH–8952 Schlieren T +41 44 202 70 80 www.raumgleiter.com

Comité directeur Rolf Geiger Président Raphael Strub Directeur général Raphael Burkhalter Sandra Romagnolo Oliver Uebelhart Slavica Vranjkovic Membres Adresse Wir sind Stadtgarten Europaplatz 1A CH–3008 Berne T +41 31 925 91 91 www.wir-sind-stadtgarten.ch

Personnel 2 collaborateurs Conseil d’administration Markus Mettler Président Roger Dettwiler Membre Organisation Alex Valsecchi Directeur général Ruben Goedhart Chef de produit Adresse MOVEment Systems AG Zürcherstrasse 39 CH–8952 Schlieren T +41 44 434 24 72 www.move-ment.ch

THE BRANCH

Mission Nous proposons des solutions intégrées pour des milieux de travail inspirants couvrant tout le cycle de vie immobilier. Pour cela, nous misons sur des pro­ cessus numériques de bout en bout et sur l’écoute des besoins de nos clients au travers d’entretiens personnels. Personnel 30 collaborateurs Conseil d’administration Markus Mettler Président Mario Ercolani Peter Pfiffner Membres Organisation Markus Brunner CEO Michael Peter COO Rainer Schmitt CDO Adresse Integral design-build AG Zürcherstrasse 39 CH–8952 Schlieren T +41 44 438 28 00

Mission The Branch défend un univers immobilier intégré. De nouveaux processus dans l’industrie de la construction et de l’immobilier passent ici de la réflexion à l’action.

www.integralag.ch

Organisation Sandra Romagnolo Directrice générale Adresse The Branch Zürcherstrasse 39 CH–8952 Schlieren +41 44 434 27 77 www.thebranch.ch

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INTEGRAL DESIGN-BUILD AG

Komplex No 15/2022


KOMPLEX LE MAGAZINE DE HALTER SA No 15/2022

Editeur et adresse de la rédaction Halter SA Zürcherstrasse 39 CH–8952 Schlieren T +41 44 434 24 00 www.halter.ch Edition en ligne www.komplex-magazin.ch

Concept du magazine et rédaction en chef Christine Marie Halter-Oppelt Design et direction artistique Studio Marie Lusa : Marie Lusa, Dominique Wyss Ont participé à cette édition Hubertus Adam, Marc Bätschmann, Linus Bill, Toni Bucher, Beatrice Catalani, Dan Cermak, Stefan Fahrländer, Deborah Fehlmann, Diego Frey, Héloïse Gailing, Nik Grubenmann, Robert Hausmann, Sherin Kneifl, Jan Paulich, Lucas Peters, Cristina Schaffner, Oliver Stern, David Strohm, Lukas Wassmann, Reto Westermann, Christoph Zaborowski, Stefan Zanetti, Jürg Zulliger Traduction Supertext AG, Zurich Correction Bettina Kunzer (édition en allemand) Mario Giacchetta (édition en français) Images en couverture Maquette de la BäreTower à Ostermundigen (1re de couverture), détail de l’atelier de Sophie Bouvier Ausländer (4e de couverture), Lausanne, Linus Bill Tirage 8200 exemplaires (édition en allemand) 1000 exemplaires (édition en français) Lithographie et impression Druckerei Odermatt AG, Dallenwil Remarque Toute réimpression nécessite l’autorisation de la rédaction. L’indication des noms des photographes et des titulaires du droit d’auteur ont lieu en toute bonne foi. Veuillez nous informer en cas de mention incomplète. Impression climatiquement neutre. Emissions carbone compensées par l’intermédiaire de ClimatePartner. www.swissclimate.ch No de compensation : SC2022040601 Imprimé en Suisse

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