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1. L’industrie mondiale de l’éducation

I. Analyse bibliographique

1. L’industrie mondiale de l’éducation

L’émergence de l’industrie mondiale de l’éducation (IME) reflète l’intervention de plus en plus marquée du marché dans les différents secteurs des services publics (Verger, Lubienski et Steiner-Khamsi, 2016). Au cours de ces dernières décennies, l’éducation a connu une croissance rapide de quasi-marchés, notamment en ce qui concerne les services d’évaluation, les ressources pour l’enseignement et l’apprentissage, le développement professionnel, le soutien administratif et les technologies de l’éducation (Burch, 2009). Comme l’observent Verger et ses collègues, l’IME est une industrie dynamique en constante évolution ayant le potentiel de rapidement configurer de nouveaux marchés en réponse à des situations particulières. Dépassant les frontières, ces nouveaux marchés sont le plus souvent le fait d’organisations non gouvernementales, d’entreprises commerciales et de sociétés philanthropiques créées pour répondre à la demande des gouvernements souhaitant des politiques publiques plus efficaces (Verger, Fontdevila et Zancajo, 2016). Ball (2012) soutient que l’influence croissante du secteur privé résulte de l’augmentation des « opportunités commerciales » créées au sein des gouvernements en adoptant de « nouvelles formes d’externalisation, de contrats et de partenariats public-privé » (p. 94). Les principales caractéristiques de l’IME sont : L’intervention de secteurs commerciaux et non commerciaux dans l’offre de biens et de services éducatifs.

Les activités à grande échelle, notamment la prestation transfrontalière de services éducatifs tels que les technologies d’apprentissage en ligne. La concurrence entre les entreprises et la concurrence avec les services publics traditionnels, incitant à aligner ces derniers sur le mode de fonctionnement des acteurs commerciaux.

La quête de profit, principale motivation poussant les intervenants privés et certains acteurs étatiques et non commerciaux à participer à l’éducation. L’accès aux marchés des capitaux pour financer le déploiement des activités, notamment via le capital-risque, les fonds d’investissement ou d’autres modes de financement.

Les intégrations, fusions et acquisitions entre sociétés et organisations au sein du secteur de l’éducation (Verger et al., 2016). De nombreuses recherches ont décrit en détail les conséquences de ce phénomène, notamment les mécanismes du marché qui visent à intégrer les intérêts du secteur privé aux politiques publiques (Ball et Youdell, 2008 ; Ball et Junemann, 2012 ; Reckhow, 2012). Nous observons ici un problème du même ordre : un acteur du secteur privé peut créer des « solutions » aux « problèmes » de l’éducation, commercialement avantageuses pour lui-même ou ses actionnaires (Riep, 2019). En général, l’IME combine privatisation et commercialisation, deux phénomènes distincts mais souvent liés dans la prestation des services publics. Hogan et Thompson (2017) considèrent que la privatisation s’applique aux écoles au travers du développement de quasi-marchés, par le biais des structures et politiques institutionnelles, par exemple une intervention du secteur privé dans l’éducation réglementée par l’État. La commercialisation a lieu dans les écoles et comprend la création, la commercialisation et la vente de biens et services éducatifs à des fins commerciales. Comme précisé ci-dessous, la réponse mondiale à la Covid-19 démontre la nature interconnectée de la privatisation et de la commercialisation4. Par exemple, la privatisation apparaît comme un « outil politique » qui reflète et apporte une réponse au rapide changement dans les modalités d’enseignement. Les partenariats public-privé et les contrats commerciaux se décident dans le cadre d’une stratégie délibérée des gouvernements de se tourner vers le secteur privé pour faire progresser l’enseignement en ligne en réponse à la crise. La commercialisation, pour sa part, concerne la façon dont les acteurs tirent profit de la « marchandisation » de l’éducation. Point intéressant, la commercialisation est à la fois prolifique et cachée dans notre cartographie de la réponse mondiale à la Covid-19. L’étendue de la gamme de produits et services proposés aux écoles, aux enseignant·e·s et aux parents pour assister l’apprentissage en ligne est ahurissante, nombre d’entre eux leur étant offerts « gratuitement » durant une période limitée. Nous pensons, comme beaucoup d’autres, que cette réponse sociale est une caractéristique essentielle du « capitalisme de catastrophe » (Klein, 2007) et une preuve démontrant que les « politiques de la pandémie » commencent à influencer la pratique de l’enseignement, l’industrie mondiale de l’éducation misant vraisemblablement sur une voie de rentabilité future (Williamson, Eynon et Potter, 2020).

4 Hogan, A. (12 décembre 2018). Marketisation, privatisation and commercialisation in education: Defining key terms. Unite for Quality Education. https://www.unite4education.org/global-response/marketisationprivatisation-commercialisation-in-education-defining-key-terms/