BIKINI SEPTEMBRE-OCTOBRE 2016

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SEPTEMBRE-OCTOBRE 2016 #28



TEASING

À découvrir dans ce numéro...

«TROIS LITRES DE VIN PAR JOUR»

LIBAN

VOST

UTOPIE

SÉRIGRAPHIE

«JE PARLE AVEC LES MORTS»

TRUMP APÉRICUBES

TRANSHUMANISTE PRÉSIDENTIELLE

BIOPLASTIQUE

«LES ANNÉES 90, C’ÉTAIT LES MEILLEURES»


ÉDITO

TU SAIS QUE C’EST LA RENTRÉE QUAND... … tu coupes tes bracelets de festival portés tout l’été. … tu passes désormais tes jeudis soirs rue de la Soif à Rennes, place Jules Ferry à Lorient, au port de commerce à Brest ou place du Chai à Saint-Brieuc. … tu fais la queue à l’agence Bibus ou à celle de la Star pour renouveler ton abonnement de bus. … tu vas pouvoir chasser les Pokémons de la fac (on a vérifié : il y a des pokéstops sur les campus bretons). … la programmation des Trans Musicales va bientôt tomber (annonce complète en septembre). … tu fais les mots croisés du Télégramme dans l’amphi. … tu rejoues au cap’s. … le Stade Rennais croit encore qu’il sera européen à la fin de la saison et le Stade Brestois pense qu’il va remonter en Ligue 1. … tu retrouves le resto U et ses plats légendaires (une pensée pour le fameux “pizza-frites” du R.U Champs de Mars à Rennes). … tu repères la boutique de photocopies la plus proche. Parce que bon, il va t’arriver de sécher, cesse de mentir. … tu profites des derniers barbecues avant de sortir l’appareil à raclette. … tu remises la Quechua au grenier. Salut à toi fidèle allié des festoches et à l’année prochaine ! La rédaction

SOMMAIRE 6 à 13 WTF : artistes sans voyelle, Nuit Debout, films en VO, affiches de festivals, anciens de Canal Plus... 14 à 25 À la recherche des bistrots perdus 28 à 37 « Je rêvais d’un autre monde » 38 à 41 On a parlé avec les morts 42 à 47 RDV : Bachar Mar-Khalifé, Las Aves, Sônge, Cheapster, Le Comte 48 & 49 United States of Armorica 50 BIKINI recommande 4

septembre-octobre 2016 #28

Directeur de la publication : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Isabelle Jaffré, Brice Miclet, Jean-Marc Le Droff, Manon Le Roy Le Marrec / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Illustrateur : Étienne Laroche / Consultant : Amar Nafa / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos lieux de diffusion, la CCI de Rennes, Michel Haloux, Mickaël Le Cadre, Émilie Le Gall. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - Espace Performance Bât C1-C2, 35769 Saint-Grégoire / Téléphone : 02 99 23 74 46 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Magazine édité à 20 000 exemplaires. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2016.



WTF

LES ARTISTES SANS VOYELLE

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« PLUTÔT BRACH ? VASARELY ? »

AU MOMENT DE LA PIOCHE DANS LEUR PARTIE DE SCRABBLE, DES GROUPES ET MUSICIENS ONT FAIT L’IMPASSE SUR LE A, E, I, O, U, Y. UN TIRAGE 100 % CONSONNES POUR UN PATRONYME EN MODE ACRONYME.

Elisa Parron

L’art contemporain à Rennes, c’est la teuf tous les deux ans. Les années paires en automne, c’est la Biennale qui s’installe. C’est la cinquième édition de la manifestation, avec une trentaine d’artistes exposés et un thème général nommé Incorporated ! sur les relations entre art et économie. Du 1er octobre au 11 décembre.

MHD

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BANDES BLANCHES

The Limiñanas, c’est ce duo catalan longtemps connu des seuls inités, sorti de l’anonymat grâce à un excellent dernier album, Malamore, paru sur le label Because. Monsieur aux cordes, Madame derrière les fûts : les White Stripes français sont en concert le 2 novembre à La Citrouille à Saint-Brieuc.

JETEZ L’ENCRE

tattoo

Après une première convention organisée en juillet à Lorient, réunissant une soixantaine de tatoueurs, l’asso Moby d’Ink remet le couvert avec son édition nantaise, la 11e du nom. Au programme : plus de 200 artistes, des shows burlesques, du skate, du BMX… Du 7 au 9 octobre à La Beaujoire. 6

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Mohamed Sylla (photo) de son vrai nom a rendu fou les Internets avec un refrain particulièrement entêtant : « C’est la champions league … » Un gimmick issu de son titre AfroTrap, décliné en six parties, toutes clipées sur YouTube. Réussissant à renouveler un genre très codifié (la trap) grâce à des sonorités africaines, MHD connaît une année 2016 plutôt fat : premières parties de Booba, album éponyme disque d’or et une tournée solo qui l’occupe jusque fin 2016. Points Scrabble ? 2 + 4 + 2 Quand et où ? Le 5 octobre à l’Antipode à Rennes et le 6 à La Carène à Brest

SCH

Il s’appelle Julien Schwarzer, patronyme SCH, est issu de la scène rap marseillaise (coucou Jul !), débute dans le game en pleine époque Skyblog, utilise abondamment le vocodeur, est dans la lignée des Lacrim ou PNL et joue les gros poseurs avec cheveux longs et lunettes fumées. Le CV est discutable mais la réussite incontestable avec plusieurs de dizaines de millions de vues pour chacune de ses vidéos sur YouTube. On vous entend gémir d’ici les vieux cons. Points Scrabble ? 1 + 3 + 4 Quand et où ? Le 16 novembre à L’Étage à Rennes et le 17 à La Carène à Brest

Autour des Astropolis, Phenüm et Echap, gravite le collectif BR I ST. Derrière ce blaze en hommage à « la meilleure ville du monde », on retrouve une armada de DJ et compositeurs finistériens (Loo, Pierre Grall et Carlton notamment, qu’on a pu voir à l’affiche d’Astro cet été). Des gaziers ayant tous un sérieux penchant pour la house, la techno et la bass music. Points Scrabble ? 3 + 1 + 1 + 1 Quand et où ? Le 15 octobre à La Carène à Brest



WTF

QUE RESTE-T-IL DE NUIT DEBOUT ? Né au printemps à Paris en protestation contre la loi El Khomri, le mouvement Nuit Debout avait vite essaimé ailleurs en France et forcément à Rennes la rouge. « Il y a eu jusque 600 personnes place Charles de Gaulle », rappelle Matthieu, un des participants les plus actifs. À Lannion, ils ont été « plus d’une centaine au max » à se réunir devant la mairie, comptabilise Johann. À Brest, Quimper, Morlaix, Lorient ou encore Saint-Brieuc, il y a aussi eu dans l’air un frémissement révolutionnaire, avant une mise en sommeil forcée, Euro de foot et bronzette estivale oblige.

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EN SOMMEIL PENDANT L’ÉTÉ, LES OCCUPANTS DES PLACES PUBLIQUES COMPTENT RELANCER LE MOUVEMENT À LA RENTRÉE. CONTRE LA LOI TRAVAIL MAIS PAS SEULEMENT.

Fin de la sieste pour bientôt ? « Oui, dès la rentrée on va continuer à protester contre la loi Travail (malgré sa promulgation cet été via l’utilisation du 49.3, ndlr) », annonce Johann, qui cite les Indignés espagnols comme source d’inspiration. « On travaille actuellement sur un projet de réécriture de la constitution sur le modèle des cahiers de doléances », enchaîne Matthieu.

Les modes d’action devraient rester les mêmes : soutien aux grèves et réappropriation de l’espace public (« cette prise de parole libre a été la plus belle réussite de Nuit Debout. Une réussite dans la forme plus que dans le fond », reconnaît Matthieu). S’agissant des échéances électorales, aucune décision n’a encore été prise malgré la tenue mi-août des assises nationales inter-Nuit Debout à Paimpont en pays de Brocéliande, précise Johann. « Certains veulent avancer vers la reconnaissance du vote blanc, d’autres sont pour un parasitage de ces élections qui légitiment une démocratie tronquée. »

Salch

STRIP CLUB

Le festival de BD Quai des Bulles en est tout de même à sa 36e édition. Au programme comme d’hab, de la dédicace à gogo, des expos et des auteurs au top : dans le lol avec Terreur Graphique et Salch (photo), l’instructif avec Davodeau et Kris. Sans oublier le mythique, avec la présence de Monsieur Uderzo. Du 28 au 30 octobre à St-Malo.

GRAND SOUFFLET : MAIS NON, MESSI ! L’Argentine : le pays de la grinta, de la viande rouge et de l’accordéon. C’est cette dernière caractéristique qu’a retenu le festival du Grand Soufflet, mettant cette terre à l’honneur pour sa nouvelle édition. Avec de la cumbia, du chamamé et bien sûr du tango, qu’il soit classique, hip-hop ou électro… Du 6 au 15 octobre en Ille-et-Vilaine. 8

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BOLLORÉ AYANT VIDÉ LA CHAÎNE DE SES MEILLEURS HUMORISTES, ILS REPRENNENT LEURS SPECTACLES. MERCI POTO ! CHRIS ESQUERRE Après le succès de son premier spectacle éponyme, ce très cher Chris Esquerre (photo) revient avec Sur rendez-vous. Toujours dans cette même veine d’humour absurde faussement sérieux, qui faisait le bonheur de L’Édition Spéciale. C’est quand ? Le 14 octobre à Briec et le 15 à Plancoët

BLANCHE GARDIN Révélée au Jamel Comedy Club et dans la série WorkinGirls, Blanche Gardin cartonne sur scène depuis l’an dernier avec son premier one-woman-show Je parle toute seule. De l’humour bien trash envoyé au bazooka façon PierreEmmanuel Barré. Fan de Bérengère Krief, mouille-toi la nuque avant. C’est quand ? Le 3 novembre au Théâtre de Cornouaille à Quimper

ALEX LUTZ Depuis le départ de Yann Barthès et l’arrêt de la revue de presse du Petit Journal, Catherine, de Catherine et Liliane, repart à l’automne pour une tournée de représentations de son spectacle, avec sa trogne en gamin Kinder sur l’affiche. L’équivalent d’un grand verre de lait. C’est quand ? Le 22 octobre au Quartz à Brest 9


WTF

LA VO VA-T-ELLE DOUBLER LA VF ?

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LES MAINS SUR LE BUZZER

Sing Street, sortie le 26 octobre / The Weinstein Company

SI LA VF RESTE OMNIPRÉSENTE DANS LES SALLES DE CINÉMA, LES FILMS EN VERSION ORIGINALE SOUS-TITRÉE - VOST POUR LES INTIMES - SE DÉVELOPPENT DE PLUS EN PLUS. NOTAMMENT AUPRÈS DES MOINS DE 30 ANS.

Le festival Cultures Hip Hop fête sa dixième édition. Au menu de cet anniversaire : concerts (Guizmo, La Smala, Sidi Wacho, Panama Bende...), battles, graff, breakdance, beatbox, open mic… Sans oublier la finale régionale du tremplin rap Buzz Booster. Du 12 octobre au 12 novembre à Quimper (et Cornouaille).

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DÉTROIT

Attention monstres sacrés. Deux piliers de la scène techno US débarquent au 1988 Live Club à Rennes. Kevin Saunderson (photo) d’abord le 16 septembre, puis Carl Craig (<3) le 30 septembre. Un voyage dans le Détroit des années 90 en compagnie de deux pères fondateurs de l’électro. God bless America.

TROP FORT

penfeld La team Astropolis fait sa traditionnelle rentrée des classes au fort de Penfled. Pour cette nouvelle session de Fortress, les Brestois accueillent Daniel Avery, Molecule, Marcel Dettmann… Bim bada BOUM ! Le 10 septembre. 10

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Dans le match VO-VF, cette dernière l’emporte encore haut la main. Selon un sondage BVA de 2015, seulement 28 % des Français préfèrent voir les films en version originale sous-titrée. La version française a donc encore de beaux jours devant elle. Pour les fans de VO, la difficulté réside le plus souvent dans le fait de trouver des cinémas qui proposent des séances spéciales. « Cela ne dépend pas de nous ! C’est un choix du distributeur. On donne notre avis mais c’est lui qui décide, explique Pascal Turgis du Multiplexe Liberté à Brest qui essaie de proposer trois séances en VO par semaine. On nous reproche beaucoup de ne pas en faire assez mais celles que nous faisons ne sont pas remplies. Ça dépend de la clientèle. »

« UNE PHILOSOPHIE » Mais le public évolue. Chez les 18-34 ans, ils sont déjà 45 % à vouloir laisser tomber le doublage. Directeur des salles Cinéville

dans l’Ouest, Yves Sutter note une demande grandissante de la VO, notamment à Rennes, « chez les moins de 30 ans, plus anglophiles ». Pour les cinés Art et Essai, la question, elle, ne se pose même pas. « C’est une obligation sur un certain nombre de films, rappelle Sébastien Le Goff des Studios à Brest. Chez nous, c’est systématique. De toute façon, sur les petits films, il n’y a pas de doublage, seule la VOST est disponible. » Pour Jacques Fretel, qui gère à la fois le TNB ciné et l’Arvor à Rennes, la VO est « une philosophie de base de l’Art et Essai. Il y a quarante ans, c’était loin d’être évident. Il fallait le plus souvent aller à Paris. Il y a un gros travail qui a été fait », se réjouit-il. Quant aux raisons de l’engouement naissant, « c’est difficile à dire, mais le développement des séries anglophones disponibles sur Internet a sans doute mis le pied à l’étrier à certains spectateurs ». Merci le streaming. Isabelle Jaffré



WTF

AFFICHES DE FESTIVALS : LE MAKING-OF ENTRE LIBERTÉ ARTISTIQUE ET RÈGLES INCONTOURNABLES, COMMENT SE CONSTRUIT LE VISUEL D’UN FESTOCHE ? ÉLÉMENTS DE RÉPONSE AVEC LES GRAPHISTES DE DEUX RENDEZ-VOUS AUTOMNAUX. Pour la 5e édition consécutive, c’est Synckop qui réalise l’affiche des Indisciplinées à Lorient. Une sorte d’aquarelle abstraite qui constitue depuis deux ans l’identité visuelle du festival. « On peut dire que j’ai carte blanche. La seule indication, c’était un avis du programmateur qui aimait bien l’estampe La Vague du Japonais Hokusai. J’ai alors essayé de capter cette idée de mouvement circulaire. » Même topo pour Julien Marboeuf, auteur des derniers visuels de La Teufestival à Briec. « On me laisse beaucoup de liberté. On ne m’a jamais imposé un élément. Les seules

Synckop. Mais je connais l’esthétique du festival. C’est pourquoi j’essaie de partir sur un truc coloré, capable de rassembler aussi bien le public de Lou Doillon que celui de The Soft Moon. » « Pour un festival grand pistes touchent plus à l’ambiance public, mieux vaut éviter les visuels globale : que ça incite au voyage par trop futuristes ou minimalistes, ajoute exemple. Ce qu’on m’avait demandé Julien qui a conscience de la dualité en 2014 où Zebda et Le Peuple de entre art et marketing. On est dans le l’Herbe étaient programmés. » domaine culturel donc c’est important d’être créatif. Mais il faut aussi qu’une L’INFLUENCE DE LA PROG’ ? personne qui voit l’affiche dans la Les graphistes tiennent-ils justement rue ait envie de s’arrêter pour lire la compte des artistes programmés ? prog’. C’est quand elle a également « Quand je travaille sur l’affiche, envie de l’accrocher aux murs de sa je ne connais pas la prog’, confie chambre que tu as réussi les deux. » DR

CARTE BLANCHE ?

Le Pacte

« DE SALLE EN SALLE ET DE FILM EN FILM ! »

Joli coup du Festival du film britannique de Dinard qui, pour sa 27e édition du 28 septembre au 2 octobre, présente en avant-première, un mois avant la sortie nationale, le nouveau film de Ken Loach, Palme d’Or 2016, Moi, Daniel Blake (photo). Pour ceux qui préfèrent le fantastique, direction le festival Court Métrange qui ne change rien à sa bonne recette : du chelou, de l’insolite, du bizarre, de l’incroyable. Du 19 au 23 octobre au TNB à Rennes.

« REMBOURSEZ NOS INVITATIONS ! » C’est la fin de l’été mais pas celle des festivals. En cette rentrée, on vous invite à La Teufestival à Briec, à Cultures Hip Hop à Quimper, aux Indisciplinées à Lorient et au Film court à Brest. RDV sur notre Facebook pour choper des places. 12

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À LA RECHERCHE DES BISTROTS PERDUS RUSTIQUES, OLD SCHOOL, HORS DU TEMPS... NOUS SOMMES PARTIS À LA RENCONTRE DE CAFÉS COMME ON N’EN FAIT PLUS. « RADE TRIP » DANS UN MONDE EN VOIE DE DISPARITION.

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l existe des lieux que les initiés se partagent secrètement. Des adresses qu’on se refile sous le manteau, qu’on dévoile uniquement aux personnes de confiance, aux amis de toujours et à ceux de demain. Tels des coins à champignons ou des spots à Pokémons, une catégorie de bistrots fait partie de ces endroits d’exception : les vieux bars de campagne. Des établissements comme on n’en fait plus, toujours dans leur jus, où rien ne semble avoir bougé depuis la mort de René Coty (« Un grand homme, il marquera l’Histoire »). Des rades hors du temps, loin des modes, des tendances, où on ne sert ni mojito ni latte macchiato. Prenons Le Tue Mouches, à Plurien dans les Côtes d’Armor. Situé face à l’église de ce bourg de 1 430 habitants, ce bar à la façade en pierres de taille s’est imposé au fil de son histoire comme une étape obliga-

toire pour tous les amateurs de troquets authentiques. Nous y avons mis les pieds un mardi matin, à la découverte de Pierrette, la volubile patronne. Une “gueule” et une gouaille qui méritent pleinement de faire un crochet depuis la RN12. « Salut les gars ! Alors, qu’est-ce que je vous sers ? », nous lancet-elle à peine entrés comme si nous étions des habitués. Ici, tout le monde semble se connaître : ça se marre, ça demande des nouvelles de la famille, ça raconte des conneries (« mon fils s’est amusé à mettre du cidre dans ses analyses d’urine, forcément ça s’est vu », raconte le plus sérieusement du monde une cliente), les gens à table discutent avec ceux postés au comptoir et, au milieu, Pierrette, 62 ans, garante de la bonne ambiance et de la tenue des discussions. « Le bar a été créé par mon arrièregrand-mère. C’est la vie qui a fait que je l’ai repris. Je suis née ici. Déjà

« Mon fils a mis du cidre dans ses analyses d’urine » 16

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toute petite, je servais les clients… », raconte celle qui depuis 1981 dirige l’établissement avec sa sœur Isabelle et son frère Guy. Si Pierrette trône derrière son comptoir en bois, ces deux derniers officient à la boucheriecharcuterie, séparée par une simple porte battante et dont les clients usent pour passer d’une pièce à l’autre avec du saucisson ou de l’andouille à l’heure de l’apéro.

Tasses Arcopal Un moment de la journée qui a fait la renommée de Pierrette, grâce à un cocktail dont elle seule a la secret et qui donnera d’ailleurs son nom au bar : Le Tue Mouches. « C’est une recette qui a été inventée par un gars du Nord. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il y a sept choses dedans, dont six alcools. » Dans ce breuvage de couleur noire, on y devine une note de Picon, une autre de muscadet. Pierrette opine de la tête mais n’en dira pas plus, alors qu’on en commande un deuxième dans la foulée (il est taquin, on s’y fait vite). « Chaque été, j’ai des touristes de passage qui le découvrent


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et repartent avec plusieurs bouteilles : Belgique, Ukraine… » Rencontré au Tue Mouches, Stéphane, un guide touristique local, prévoit d’ailleurs de faire du bar l’une des étapes de son circuit. « Pierrette est un personnage de la commune : ça me semblait difficile de ne pas passer la voir. Et puis ce genre de café, c’est à la fois authentique et insolite. On ne voit pas ça tous les jours. » On confirme. À quelques kilomètres de là, à Planguenoual, un troquet fait lui aussi partie de ces établissements uniques. Tenu par Armelle Bourdais, une petite dame de 83 ans dépassant à peine du comptoir, ce café-épicerie « ouvert tous les jours, même Noël » appartient au patrimoine vivant de la commune. Des tasses Arcopal aux motifs fleuris à la devanture signée des vins Père Benoît : une déco coincée à l’époque des Côtesdu-Nord, mais toujours plus jolie que celle d’un Starbucks. Si la clientèle se fait de plus en plus maigre, Armelle compte tenir la boutique le plus tard possible. Et ainsi continuer à faire vivre la maison ouverte par sa grand-mère. « Je ne me vois pas encore arrêter, c’est devenu une habitude. 17


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« Bistrotière : plus qu’un métier, un mode de vie » Je préfère voir quelques clients par jour que de rester toute seule à la maison. » Un discours également tenu par Simone Cloarec, Trégorroise de 87 ans et doyenne des bistrotières bretonnes. C’est au Dresnay, un lieu-dit dans la cambrousse de Loguivy-Plougras, que cette dame habillée d’une blouse nous a reçus alors qu’elle venait de fermer les volets. Installé au rez-de-chaussée d’une vieille maison de ferme, ce bar est du genre rudimentaire : pas de comptoir mais un bout de table, pas de chaise (seul un banc et deux tabourets sont disposés), pas de tireuse à bière mais des Kro à température ambiante, pas de machine à expresso mais une simple cafetière. On a vraiment l’impression d’aller boire un coup chez sa mamie, surtout quand elle ouvre sa boîte à biscuits et nous offre des crêpes enveloppées d’une feuille de Sopalin. « Le moderne est venu trop vite, répond-elle d’emblée quand on la questionne sur le look rustique de son bar. Si certains curieux aiment s’arrêter ici, c’est parce que c’est vieux et que ça ne ressemble pas aux bars de ville. » Sans enfant, Simone sait que son bistrot s’arrêtera avec elle. Idem pour Armelle à Planguenoual : « J’ai deux petits-enfants mais aucun des deux ne compte reprendre le bar. Ils ne pourraient pas en vivre de toute façon. » Des petits bars ruraux qui font figure d’espèces en voie de disparition. En Bretagne, 3 500 débits de boisson ont baissé le rideau en même pas 30 ans. Sur les 7 000 troquets qui existaient 18

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en 1987, il en restait à peine la moitié en 2014, lors du dernier décompte de l’Insee. « Il y a une vraie urgence à témoigner car c’est un monde qui disparaît sous nos yeux, s’inquiète Pascal Le Liboux, auteur de deux tomes de Bistrot Breizh, un récit de voyage des rades de campagne. C’est un musée encore vivant, mais plus pour longtemps. »

« Un monde révolu » Sylvain Bertrand, qui y est aussi allé de son road book intitulé Bistrots, rades et comptoirs, récit d’un tour de Bretagne, reconnaît la subtilité d’une telle recherche aujourd’hui. « Ce patrimoine est rare et pas toujours perçu comme quelque chose de précieux par les riverains. Durant notre expédition, on nous dirigeait parfois vers des PMU sans âme en oubliant de nous indiquer les quelques trésors d’authenticité qui perdurent mais qui sont tellement loin des circuits touristiques, voire des lieux de vie tout court. » Un constat également partagé par le photographe Gilles Pouliquen, co-auteur avec le journaliste Gérard Alle de l’ouvrage Commerces de campagne paru en 2002. « C’est un monde révolu. La majorité des rades présents dans le bouquin ont depuis disparu. Il s’agissait de bistrots généralement tenus par des vieilles dames qui, à mon avis, ne gagnaient pas d’argent avec. Plus qu’un métier pour elles, c’était un mode de vie. Elles le faisaient car elles n’avaient fait que ça toute leur existence. Toutes avaient conscience

de faire partie des dernières résistantes, elles savaient que c’était la fin d’une époque. » L’implacable diminution du nombre de ces rades à l’ancienne va aussi de pair avec la désertification rurale, en centre-Bretagne notamment. Les contrôles biniou n’ont pas non plus arrangé les choses. Les modes de consommation ont également pas mal changé. « La culture bistrot se meurt, regrette Jean-Pierre Provost, patron du Ty Anna, à Plouyé, pas loin de Carhaix. Aujourd’hui, les gens préfèrent rester chez eux. Et les jeunes boivent dehors. Ce n’était pas le cas il y a vingt ou trente ans : cela se faisait au bar. C’était une autre philosophie. Tu apprenais avec les anciens. Boire, ce n’était pas juste une question d’alcool. » À la tête de ce café depuis 1992, anciennement tenu par sa mère


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et ses grands-parents, ce garçon de 58 ans aux (derniers) cheveux longs est aujourd’hui l’unique commerçant sur la place centrale du village. « Dans les années 80, y avait neuf bistrots dans le bourg. On comptait même une discothèque ! Aujourd’hui, ça n’a plus rien à voir… » Dernier véritable lieu de proximité dans la commune, le Ty Anna fait aussi épicerie. « C’est surtout du dépannage : une bouteille d’huile, un paquet de chips, un pot de confiture, du pain… » Ce que passeront acheter quelques clients durant ces quelques heures passées làbas, alors qu’une poignée d’hommes squattent le comptoir le temps d’un demi ou d’une tasse de café (soluble). Le tout dans un décor que vous avez peu de chance de retrouver à Maisons du Monde : photos de clients qui tapissent le moindre bout de tapisserie, poster grandeur nature de Renaud (époque

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cheveux longs, perfecto et bandana rouge), autocollants bretonnants et quelques affiches collector comme celle d’un festival de folk irlandais datant de 1978. « Ça plaît ou ça plaît pas mais j’aime ce que dégage mon bar. Il y a du vécu. Je dirais pas qu’il a une âme car ça fait un peu curaille, mais c’est l’idée. » De quoi ravir le photographe Gilles Pouliquen : « J’aime les bistrots qui n’obéissent à aucune mode. Quand on voit les chaînes de café qui se ressemblent toutes qu’on habite à Brest, Paris ou Marseille, ça me désole. Cette uniformisation me glace. Sans parler de leur esthétique abominable : du faux bois, du faux cuir, du plaqué… Ce sont des lieux neutres. » Comme à Plouyé, un café subsiste vaille que vaille à Maël-Pestivien, commune du pays de Callac d’à peine 500 habitants. Un troquet qui a la particularité de faire aussi… garage. Chez les Simon, Camille répare voitures et tracteurs tandis que sa femme Yolande est au comptoir. « C’est le dernier commerce du village, annonce cette sexagénaire, ancienne institutrice à Guingamp, venue il y a quelques années succéder à sa belle-mère au café. C’était un

bistrot-forge aux origines, la mécanisation l’a transformé en café-garage il y a 56 ans. Le bar est resté en l’état, on a seulement changé le zinc qui se dégradait. L’activité bar n’est bien sûr pas viable mais j’aime bavarder et me dire que c’est important qu’on maintienne l’activité tant qu’on peut la garder. » Ici, on vient rigoler en breton autour d’un verre de rouge ou d’une Amstel, et accessoirement remplir le réservoir du Massey Ferguson. La déco ? Des photos jaunies de motocross, un ruban attrape-mouches,

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« MA DERNIÈRE CUITE DANS UN BAR ? POUR L’EURO ÉVIDEMMENT » Pierre-Emmanuel Barré, humoriste et chroniqueur sur France Inter, nous parle de ses habitudes au bistrot. Un terrain où, là aussi, ce Breton est champion. Ton bistrot préféré ? Je vais toujours au même, 20

au Plein Soleil à Paris. Parce que c’est tout près de chez moi, et puis parce que c’est le seul bar ou j’ai encore le droit d’aller. Il ferme assez tôt, et dans les bistrots qui ferment tard, je suis grillé. Passé deux heures du matin, je dépasse les deux grammes. Et passé

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un panneau en liège où des post-its servent d’ardoises (« Jacky 3,20 », « Suzie 20 », « Philippe 2,20 + 2,20 + 2,20 +7 »…) : hé ouais, à la campagne, la maison continue de faire crédit. Chaque jour, Yolande dénombre « une trentaine de clients » de l’ouverture à 7 h 15 jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne à servir, « parfois 19 h, parfois 23 h s’il le faut ». Même quand le dernier client de la journée prend tout son temps pour déguster sa bière, pas question de le presser dans ces lieux d’un autre espace-temps. « Ce sont des endroits

deux grammes, je passe à un humour assez clivant, qui m’a valu une interdiction de séjour dans quelques bars. Tu commandes quoi ? Toujours une pinte de blonde. Les gens qui commandent autre chose sont des cons. T’es plutôt en terrasse, au comptoir ou à table ? En terrasse, c’est l’habitude des anciens fumeurs. Je m’assieds à coté d’un groupe de trente

fumeurs et j’hyperventile pour avoir un peu de nicotine. Ta dernière cuite dans un bar ? Pour l’Euro évidemment. J’aime pas le foot, mais j’adore quand les gens renversent de l’alcool en poussant des cris. Ça n’arrive que pendant les matchs de foot ou pendant les tournantes dans les caves à vin. Et malheureusement, on m’invite jamais aux tournantes.


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où il peut parfois ne rien se passer mais c’est toute la force poétique du truc, philosophe Sylvain Bouttet, auteur il y a quelques années de Café Bouillu, un documentaire sur le sujet en forme de road-trip XXL (« 15 000 bornes en six mois, presque exclusivement dans le 22 »). Pour certains clients, ce sont des lieux de retraite : s’assoir dans la pénombre, seul, au frais, à siroter pendant des heures un bock tiède. » Une démarche quasi spirituelle, remplacée par de la convivialité de comptoir dès qu’un autre client débarque. « Les vieux cafés sont des lieux où on peut rencontrer toutes sortes de gens, à la différence des bistrots culturels qui se développent à la campagne, type barlibrairie, observe Gilles Pouliquen. Dans les troquets à l’ancienne, on peut y rencontrer un ouvrier, un paysan, un étudiant, un prof… Tous conversent ensemble autour du bar. » Son collègue Gérard Alle poursuit : « C’est une parenthèse dans le quotidien, entre le boulot, les gosses à aller chercher à l’école et les courses au supermarché. On entend constamment les gens dire qu’ils n’ont pas le temps. Là, c’est prendre le temps de vivre, de rencontrer, de causer… C’est 21


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Renan Péron

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devenu un luxe, alors que ça devrait être normal. Qu’est-ce que la vie si on ne s’offre pas ces parenthèses ? » Si ces joyeuses appartés se font de plus en rares au Ty Anna à Plouyé, reste les souvenirs. Ceux de la grande époque où le bar refaisait le monde, carburait à la Coreff jusque tard dans la nuit et accueillait les jeunes qui partaient en piste. « J’ai en mémoire des soirées où c’était rempli du comptoir jusque là-bas, indique Jean-Pierre en pointant du doigt le fond de sa boutique. On a eu du beau monde ici : Gilles Servat, Alan Stivell, Glenmor, venus comme simples clients. Et même Youenn Gwernig (poète breton, ndlr) qui passait ses coups de fil ici parce qu’il n’avait pas de téléphone chez lui. » Une nostalgie que l’on retrouve également chez Bernard Nadotti, 62 ans, patron de l’estaminet La Pomme situé au Bois de la Roche, un hameau de la commune de Mauron dans le Mor-

bihan. « Les années 90, c’était les meilleures. Tôt le matin, on avait les jeunes qui rentraient de boîte. Après le déjeuner, des gens passaient prendre le digestif. Et, en fin de journée, on avait les clients de l’ancien camping naturiste, installé de l’autre côté de la route, qui venaient boire un coup. Habillés bien sûr ! », se marre cet ancien cuistot. Vingt ans plus tard, l’ambiance est moins funky (« là il est 17 h, j’ai juste eu deux clients avant vous aujourd’hui ») et les horaires du bar sont devenus variables (« si j’ai besoin d’aller faire des courses ou si j’ai un rendez-vous, j’hésite pas à fermer »).

Soirées Apéricubes Si la conjoncture n’est pas vraiment synonyme de teuf pour les rades de campagne, tous les établissements ne sont pas non plus moribonds. Certains bars ruraux ont su se réinventer en montant en gamme (via le label

« Il est 17 h, j’ai juste eu deux clients avant vous aujourd’hui » 22

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“Café de Pays” notamment) alors que d’autres campent sur leur position old school. Vieux et cool à la fois, comme un Jean Rochefort. C’est le cas du Momo Club, toujours à Mauron. Un bar tout en lambri du centre-bourg, qui a eu droit à son petit moment de gloire (un article dans Les Inrocks !) en ayant été le théâtre du premier concert en France des Franz Ferdinand en 1997. « En fait, ça s’appelait pas encore Franz Ferdinand à l’époque mais The Karelia », corrige le patron, Maurice Monvoisin. Dans les nineties, le festival “Ils ne Mauron pas” flaire les bons groupes, principalement venus d’Écosse : Arab Strap, Mogwai et donc le jeune Alex Kapranos, marqué par l’atmosphère du Momo Club. À tel point que toute la bande de zicos, devenus des rock stars depuis, reviendra dans la commune pour un concert anniversaire. C’était en novembre dernier pour les besoins d’un docu sur Franz Ferdinand intitulé Lost in France. « J’étais à la porte. Une vraie émeute malgré le fait que c’était censé être un concert secret. Kapranos était content de revenir. Il a trinqué au whisky, qu’il a payé », raconte le patron, par ailleurs sacré en 2008 meilleur vendeur de bière Duvel dans toute la France. « À 3 euros le verre, tu penses… J’en ai vendu jusqu’à 177 en un soir, les gens dormaient dehors après la fermeture. On avait aussi l’habitude des soirées Apéricubes : une pyramide de fromages, le premier qui la faisait tomber payait sa tournée. » Si l’âge d’or est passé, Momo continue d’accueillir du monde. « Des jeunes, des vieux, pour les soirées foot… Par contre je ne fais plus de concert. À 56 ans j’ai passé l’âge et j’apprécie de prendre du temps pour aller pêcher. »


Pas vraiment le cas à La Fontaine. Niché au bord de la départementale D40, à Saint-Péran dans le 35, ce café organise un concert par semaine. Et ce, toute l’année, avec une préférence pour le métal et le punk. Du genre à détonner dans ce bourg de 382 habitants. « On a déjà eu Mass Hysteria, les Ramoneurs de Menhirs quatre fois… Des soirs avec 20 personnes, d’autres où c’est blindé, à plus de 150 dans le bar », s’amuse Patrick Gouevy, 52 ans aujourd’hui. Il en avait 28 quand il a acheté le bistrot à « une dame qui était restée au comptoir de ses 18 à ses 78 ans sans jamais fermer. Elle faisait épicerie aussi, ça marchait bien ». Reprendre un bar ? Un « rêve d’enfant » pour ce natif d’Iffendic, commune voisine du pays de Brocéliande. « C’était celui-ci ou rien, un coup de cœur. J’avais pas de maison, je me

suis dit que ça m’en fera toujours une. Mes premiers clients, c’étaient mes potes. » L’épicerie cède sa place à une scène bricolée artisanalement. « J’ai retapé un peu le bar aussi mais sinon c’est tout resté en l’état depuis 1992. » Y compris les rangées de K7 démo envoyées par les groupes voulant se produire à La Fontaine. « Tiens, celle-là c’est celle de Caravage, le premier groupe de Gaëtan Roussel, avant Louise Attaque. » Les groupes viennent souvent jouer sans cachet. « Faut être un peu fou et passionné pour faire ça. Je parle de moi comme des musiciens d’ailleurs. Ils viennent contre la promesse d’une bonne soirée, d’un repas chaud et de bières. D’ailleurs en parlant de bière, vous en revoulez une ? » Allez, banco.

ET AUSSI... TY ELISE, PLOUYÉ (29) Tenue par Byn, un Gallois, cette taverne a été une des toutes premières en BZH à servir de la Coreff au milieu des eighties. Esprit mod kozh garanti.

LA BUVETTE, CAP SIZUN (29) Au lieu-dit de Pors Théolen près de la pointe du Raz, ce bar aux volets bleus fait face à la mer depuis 1935. À la barre : Françoise, 3e génération, qui a vu passé vagues et tempêtes. Pour une bière iodée.

CHEZ MINOUCHE, PONT-SCORFF (56) La déco ? Des soutifs poussérieux accrochés au plafond et des fanions vintage d’équipes de foot. À instagramer.

LE LORAND BAR, MORIEUX (22) Une adresse réservée aux initiés. L’entrée

Julien Marchand ne se fait que sur réservation et un seul et Régis Delanoë cocktail y est servi, le Makka, à base de cassis et de vermouth. VIP et rustique.

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L’ANCIEN EMPIRE DU PINARD FINISTÉRIEN

Fin de la Grande Guerre : les poilus bretons qui restent encore en vie malgré l’enfer des tranchées et des attaques en première ligne reviennent au pays avec la haine du “Boche” et l’amour de la bouteille. « Pour leur donner du courage, l’armée les inondait d’un affreux picrate auquel ils ont fini par s’habituer », éclaire Alain Martin, président de l’association Pleyber Patrimoine. Si le cidre reste traditionnellement produit dans la région, c’est du vin que les vétérans veulent boire, et beaucoup. Il faut approvisionner les milliers de cafés de Bretagne de cet or pourpre qu’on consomme désormais en masse. Parmi les marchands de vin qui vont se lancer sur ce nouveau marché, la maison Guével, basée à PleyberChrist, va vite se placer au-dessus de la concurrence. Les raisons ? D’abord parce qu’elle déniche les bons fournisseurs pour proposer un produit qui plaît au palais des Bretons : fort en alcool et dégueulasse en goût. « C’était un mélange de coteaux de Mascara d’Algérie et de vins de l’Hérault, avec un peu 24

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de vinaigre si c’était trop sirupeux, un peu de caramel si trop acide », explique Alain Martin. Quatorze degrés d’une vinasse « impossible à boire aujourd’hui », proche de ce qui se consommait à Verdun.

« Ça sortait des mêmes cuves » L’autre raison, c’est « la politique de communication hyper agressive des Guével, fait savoit Gérard Alle, auteur de l’ouvrage Le Vin des Bretons. Ils étaient des pionniers de la publicité telle qu’on l’entend aujourd’hui ». Parmi les 200 employés au plus fort de l’activité dans les années 50-60, il y avait des menuisiers, peintres et décorateurs chargés de bricoler des camions rutilants et colorés, porteurs d’illustrations naïves mettant en scène des familles, gamins compris, un verre de vin à la main. « L’un des frères, Job, était le créatif, poursuit Alain Martin. Il s’occupait de dessiner les étiquettes. » Grappe Fleurie, Père Benoît, Dom Grégoire, Bonum Vinum, Pelure d’oignon, Roy des vignes… « Tout ça sortait des mêmes cuves, seul le nom changeait », ajoute Gérard Alle. Ainsi,

le Grappe Fleurie se buvait massivement dans le Finistère, le Père Benoît dans les Côtes du Nord et le Dom Grégoire dans les cérémonies comme les mariages… Mais le miracle économique sur lequel s’est bâtie la réussite de la maison Guével est fragile : dans les années 80, la consommation est en chute libre. Ces vins de table ne sont plus à la mode et la répression entre en jeu pour reléguer des stratégies commerciales d’un autre âge : « À la grande époque, les marchands de vin s’arrêtaient dans tous les bistrots qu’ils livraient. Dans les camions des chauffeurs, un panneau indiquait qu’ils devaient limiter leur consommation à trois litres par jour ! », illustre Alain Martin. La famille Guével cède l’entreprise en 1985. Deux repreneurs se succèdent. Le deuxième, l’empire Castel (Roche Mazet…) délocalise en 2012, laissant les 35 derniers salariés sur la paille. Aujourd’hui à Pleyber-Christ, il ne reste plus aucune trace de cet ancien empire de la vinasse. Seulement un arrièregoût de banane. R.D





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« JE RÊVAIS D’UN AUTRE MONDE »

POLITIQUE, TECHNOLOGIE, ENVIRONNEMENT, ALIMENTATION... ENTRE RÊVE ET RÉALITÉ, ILS IMAGINENT LA SOCIÉTÉ DE DEMAIN. RENCONTRE AVEC CEUX QUI VEULENT RÉVOLUTIONNER NOS VIES. 28

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maginez-vous toucher automatiquement 1 000 euros par mois, sans la moindre contrepartie, condition ou obligation. Plutôt cool, non ? C’est le principe du revenu universel. Un dispositif où chaque personne se verrait attribuer, quelle que soit sa situation professionnelle ou patrimoniale, un revenu censé couvrir ses dépenses de base : logement, nourriture, énergie… Une mesure qui, depuis quelques mois, connaît un intérêt grandissant en Europe. Le parti espagnol Podemos l’avait inscrit dans son programme, la Suisse a organisé un referendum sur le sujet en juin dernier (76,9 % des électeurs ont néanmoins voté contre), la Finlande et les Pays-Bas ont officiellement annoncé vouloir tenter l’expérimentation… La France, elle non plus, n’est pas insensible à ce projet. Depuis plus d’un an, il se fait régulièrement une place dans le débat public. « Il y a cinq ans, peu de gens en parlaient et les rares qui le faisaient étaient considérés comme des utopistes ou des révolutionnaires. Aujourd’hui, l’idée commence à faire son nid », observe Thomas Maugey, 32 ans, membre

MRFB Rennes

ET SI ON RECEVAIT UN REVENU SANS DEVOIR

de l’antenne rennaise du Mouvement français pour un revenu de base (MFRB). Pour ce collectif, fondé en 2013, le principe est plutôt simple : une grande partie des actuelles aides sociales serait remplacée par un revenu « universel, inconditionnel, individuel, inaliénable et cumulable avec toutes formes de revenus, salaires ou certaines allocations ». En clair, si on appliquait un calcul basique en divisant l’ensemble des prestations sociales (715 milliards d’euros en 2013) par le nombre de Français (66 millions), cela équivaudrait à verser environ 900 euros à chacun (enfant compris) par mois. « C’est un peu plus compliqué que cela, nuance Thomas, car au sein du MFRB nous estimons qu’il ne faut pas toucher au fonctionnement de certaines allocations ou prestations : la Santé, l’Éducation, les aides à

« Cela redonnerait une liberté économique à chacun » 30

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destination des personnes handicapées par exemple. Nous défendons un revenu de base dit “de gauche”, à la différence d’une version plus libérale qui voudrait l’appliquer pour casser les aides sociales, privatiser la Sécu... »

À la présidentielle de 2017 ? Pour les partisans du revenu de base, le premier objectif serait de lutter contre la pauvreté par un montant permettant de se protéger socialement. « Au-delà de cet aspect, cela redonnerait une liberté économique à chacun, poursuit Ronan Kerleo, membre du groupe brestois du MFRB. Les gens n’auraient plus peur pour leur travail et oseraient davantage se lancer dans telle ou telle activité, dans des métiers qui correspondent à leurs aspirations. » « L’idée, c’est de se passer durablement de l’emploi tel qu’on l’entend aujourd’hui, ajoute Thomas. Aujourd’hui, on n’est reconnu dans un travail que lorsqu’on a un emploi. Il faut casser cette relation et valoriser d’autres types de travail, qu’ils soient


TRAVAILLER ? rémunérés ou non mais qui comptent tout autant, comme le bénévolat par exemple. » Si cette proposition trouve des soutiens, elles compte aussi ses opposants. C’est le cas des Économistes Atterrés, collectif d’universitaires classés à gauche, qui y voit « un piège » tendu par le capitalisme : « Si la collectivité décide de verser un revenu minimum à tous, cela va aboutir à une libéralisation accrue du marché du travail. Les employeurs verront qu’ils n’ont pas besoin de verser des salaires aussi élevés que par le passé. Le revenu universel signerait alors la fin du salaire minimum », développe Jean-Marie Harribey pour qui « seul le travail génère des revenus monétaires. À la différence des activités libres dont nous parlent les membres du MFRB qui, elles, ne produisent pas de valeur économique. Comment veulent-ils alors financer un revenu pour tous ? » Pas de quoi faire flancher les partisans du revenu de base qui continuent leur travail d’information du grand public (réunions, projections...) et de lobbying auprès des élus locaux. Avant l’échelon national à l’occasion de la prochaine présidentielle ? Si Europe Écologie-Les Verts figure parmi les partis précurseurs sur la question, d’autres suivent le pas : Villepin et Boutin affirment y être favorables, Frédéric Lefebvre en a fait un thème de sa campagne pour la primaire des Républicains qui se tient en novembre, Marine Le Pen dit y réfléchir… « Je doute malgré tout que le revenu de base soit un élément fort de campagne, estime Ronan à Brest. Mais s’il est évoqué comme une piste de travail, cela serait déjà une bonne chose pour sa future application. Ce n’est plus qu’une question de temps. » J.M 31


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CITOYENS LAMBDA ET CANDIDATS À L’ÉLECTION Son programme ? « Plus de démocratie participative, sur le modèle suisse. L’actuelle constitution est à l’agonie. »

« Un système qui me déprime » Si sa candidature n’a pas passé le premier cut (bénéficier du soutien d’au moins 500 internautes inscrits avant la mi-juillet), la Rennaise Charlotte Marchandise Franquet, consultante de profession, fait par contre partie des 16 finalistes avec un programme basé sur la citoyenneté, l’humanisme et le travail pour l’intérêt général. « Ce n’est en rien bisounours. Les sceptiques peuvent ne pas croire qu’un petit groupe déterminé peut changer le monde, mais si ! Au moins, j’agis et je fais ma part face à un système qui me déprime. » Prochaine étape pour les finalistes : « Faire des unions pour parvenir à cinq listes d’ici fin octobre, puis on organisera des cafés citoyens et meetings en région pour les faire connaître », précise David Guez,

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« Vous en avez assez des Sarko, Juppé, Le Pen, Hollande et Valls ? On va vous en débarrasser. » C’est de cette volonté qu’est née l’idée de proposer des primaires citoyennes, ouvertes sur la société civile, pour les prochaines échéances électorales de 2017. En gros, sortir de la logique des partis traditionnels, auxquels près de la moitié des Français ne croient plus d’après un récent sondage, et « faire repartir la démocratie de sa base en réenchantant l’initiative civique », explique David Guez, un des initiateurs du mouvement LaPrimaire.org, né il y a une bonne année. À son initiative, ils ont été plus de 200 citoyens lambda à présenter leur candidature sur le site dédié, dont Jean-Marie Maléfant, un étudiant morbihannais de 23 ans. « La politique m’intéresse depuis que je suis gamin mais je ne parviens pas à trouver un parti qui me correspond. Ils sont constitués d’oligarques qui ont professionnalisé l’appareil à leur profit. »

L’utopie est-elle une idéologie ? C’est d’abord un genre littéraire fondé au 16e siècle par l’auteur anglais Thomas More. Son idée était d’essayer d’imaginer une société plus juste et plus heureuse. Mais il n’a jamais considéré que c’était applicable car il n’a réalisé 32

aucune réforme en ce sens lorsqu’il a été nommé chancelier du roi Henri VIII. L’utopie est-elle universelle ? Non, c’est très occidental et c’est lié à notre soif de grandes découvertes : la conquête des Amériques, des autres planètes… Tant qu’il existe des

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qui s’occupe également en parallèle de « collecter des dons citoyens pour constituer un budget de campagne et les 500 parrainages de maire obligatoires pour présenter un candidat à l’élection ». D’autres organismes se lancent dans le projet de primaires citoyennes pour la prochaine présidentielle. Le plus connu est aussi le moins

territoires inconnus, on peut imaginer qu’il existe des sociétés plus heureuses, vivant dans l’abondance.

communautés qui prônaient l’égalité, le bien commun et la liberté, notamment sexuelle.

Mais a-t-elle déjà été mise en application ? Sa reproduction politique suscite aujourd’hui la méfiance depuis l’échec des sociétés communistes, l’URSS en tête. L’application concrète de l’utopie a pourtant été à la mode au 19e siècle aux États-Unis avec la multiplication des phalanstères, ces petites

Pourquoi l’utopie ne fonctionne pas sur la durée ? Il y a trois raisons principales : la disparition du leader charismatique et initiateur de ce modèle, les tensions humaines nées de la difficulté à vivre en communauté et à se détacher du schéma de famille “à l’ancienne”, et enfin le défi de la répartition des richesses produites.


PRÉSIDENTIELLE

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abouti : La Primaire des Français, portée par des soutiens VIP (Corinne Lepage, Jean-Marie Cavada, Alexandre Jardin…), n’en est qu’au stade de la pétition. Autre projet, La Vraie Primaire bénéficie de l’appui du think tank Synopia. Même EELV s’y met, avec l’organisation prévue en octobre d’une primaire ouverte à tous. R.D

Est-ce irrémédiable ? Non, mais la clé c’est la décentralisation. L’utopie ne peut fonctionner qu’en petites unités territoriales, qui redonnent de la puissance créatrice et des responsabilités aux individus qui les composent. Il faut également déculpabiliser l’utopie au regard de l’échec du communisme : le collectif ne conduit pas forcément au collectivisme et à l’homogénéisation. Une société utopique doit laisser place à l’individu et magnifier sa singularité. Ce n’est en rien incompatible. En conférence le 10 octobre au Théâtre de Cornouaille à Quimper 33


DOSSIER

ILS INVENTENT L’HUMAIN DE DEMAIN Serons-nous tous demain des hommes augmentés ? Avec des capacités accrues et des pouvoirs nouveaux ? Si la science-fiction nous laisse fantasmer un avenir assez fou, des start-ups et laboratoires bretons travaillent déjà sur des technologies capables de “réparer” l’humain. En attendant de le révolutionner ?

NATALIYA KOSMYNA : « PILOTER UN DRONE PAR LA PENSÉE » Aussi forte qu’un maître Jedi, Nataliya Kosmyna, docteur en informatique à l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique) de Rennes, peut contrôler des objets par la pensée. Parmi ses performances les plus notables : le pilotage d’un drone. « Mais cela peut être n’importe quel robot. L’idée, c’est de capturer l’activité électrique cérébrale grâce à un casque muni d’électrodes, puis de transformer ce signal en une commande. Cette application existait déjà mais mon travail se concentre plus sur l’interface entre le cerveau et l’ordinateur, avec un calibrage qui ne prend que quelques minutes. » Malgré la complexité de la manœuvre, Nataliya a réussi à concevoir un système reposant sur « l’imagination active ». La jeune femme de 26 ans détaille : « Une image est égale à un mouvement. Si on enregistre votre activité cérébrale lorsque vous pensez à un nuage et qu’on associe l’image d’un nuage au décollage, il vous suffira de penser à un nuage pour que le drone s’envole. » Easy.

À partir de cet automne, Nataliya travaillera avec des personnes tétraplégiques. « Nous allons acheter un fauteuil roulant et modifier l’interface pour qu’elles puissent le piloter par la pensée », espère la chercheuse qui tient à rappeler « qu’aucun ordinateur dans le monde » ne peut dépasser le cerveau humain : « Réparé, augmenté ou connecté : l’homme reste le principal. »

NICOLAS HUCHET : « IMPRIMER UNE MAIN BIONIQUE EN 3D » Nicolas avait 18 ans quand il perdit sa main droite dans un accident du travail. Dix années plus tard, une découverte allait changer sa vie. « C’était en octobre 2012. J’ai rencontré des gens du LabFab de Rennes qui m’ont présenté les avantages de l’impression 3D en plastique, capable d’imprimer n’importe quel objet. Je leur ai alors demandé si c’était possible de fabriquer une main. » Après plusieurs mois d’échanges avec des “makers” partageant leurs plans en open source sur le Net, un premier modèle de main bionique, capable de faire bouger tous les doigts, est conçu. « Elle ne répondait pas encore à toutes mes espérances mais c’était quand même génial. » Plusieurs prototypes seront ensuite développés jusqu’aux modèles actuels, permettant ainsi d’élaborer une main bionique pour 700 euros (main + emboîture), quand une prothèse classique perfectionnée coûte entre 40 000 et 70 000 euros.

« Devenir plus performant, plus concentré, plus efficace » 34

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Une première réalisation qui a débouché sur la création de l’asso My Human Kit, basée dans la capitale bretonne. Une structure qui, en plus de la main, propose diverses réalisations, là encore réalisables à partir de plans dispo sur le web : un “gant sonar” pour malvoyants, des prothèses auditives… Pour que des personnes en situation de handicap puissent retrouver des capacités perdues. En attendant de nouveaux pouvoirs ? « Il faut que cela ait du sens. On pourrait par exemple imaginer une main bionique avec plus de force qu’une main normale mais dans quel but ? Si c’est pour secourir des gens, c’est bien ; si c’est pour casser des murs, moins. Avant de penser à l’amélioration de l’homme, attaquons-nous à sa réparation. »

JEAN-YVES QUENTEL : « VISUALISER SA PROPRE ACTIVITÉ CÉRÉBRALE » Cofondateur de Mensia Technologies, entreprise basée à Rennes, Jean-Yves Quentel aime trifouiller dans nos têtes. Sa start-up a conçu une application capable de décoder en temps réel ce qui se passe dans notre cerveau, en capturant l’activité électrique grâce à un casque équipé


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d’électrodes. « Si je voulais, je pourrais trouver en quelques minutes le code de votre carte bleue, rigole-t-il en guise de préambule. Plus sérieusement, le logiciel qu’on a développé permet notamment à des enfants atteints de troubles de l’attention de visualiser leur propre activité cérébrale. En prenant conscience de celle-ci, ils peuvent ainsi corriger eux-mêmes les déséquilibres. » Cela s’appelle du neurofeedback : par un effort de concentration, le patient compense lui-même ses propres troubles. Ce qui laisse présager de futures possibilités. « Il n’y a pas de raison de penser que ce qui marche sur des enfants inattentifs ne peut pas marcher sur des enfants attentifs. Dans ce cas, en quoi ce dispositif ne permettrait-il pas de devenir plus concentré, plus efficace, plus performant ? » Un rêve transhumaniste que tempère tout de même le boss de Mensia Technologies : « L’homme est homéostatique. En améliorant une fonction, nous pouvons prendre le risque qu’une autre se détraque. Gare aussi aux normes sociales qui évoluent avec le temps : dans 50 ans, la société valorisera peut-être plus les gens capables de zapper d’une activité à une autre, et non plus de se concentrer longtemps sur une seule. » J.M 35


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LE BIOPLASTIQUE, C’EST FANTASTIQUE

Après l’interdiction des sacs à usage unique le 1er juillet dernier et celle à venir de la vaisselle jetable en 2020, peut-on enfin imaginer un monde sans plastoc ? Une perspective que certains industriels préparent en bossant sur une matière alternative, biosourcée et biodégradable : le bioplastique. C’est le cas d’Algopack, une startup née en 2010 à Saint-Malo. Son business ? Créer du bioplastique à base d’algues brunes cultivées par deux entreprises de la région : C-Weed à Saint-Malo et Technature à Dirinon. « L’idée est venue de Rémi Lucas, un ancien ingénieur en plasturgie. Il était choqué par la quantité de plastique dans la mer : chaque seconde, plus de 400 kilos y sont jetés !, expose David Coti, actuel président d’Algopack. Il a donc décidé de créer un bioplastique grâce à un polymère que l’on trouve dans les algues. » Malin. Aujourd’hui, cette innovation permet de produire des clés USB, des pots pour l’horticulture, des gobelets, des urnes funéraires ou encore des emballages alimentaires dans un plastique respectueux de l’environnement (une bouteille en bioplastique se biodégrade en 12 semaines, contre 250 ans pour une bouteille en plastique classique issu du pétrole). 36

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Un secteur d’activité qui, depuis plus de vingt ans, ne cesse de se développer. « En France, cela remonte au début des années 90, rembobine le Breton Christophe Doukhi-de Boissoudy, président du club des bioplastiques (association représentant l’ensemble de la branche française). En 1992, on a réalisé un bioplastique à base d’amidon et de PCL, un polyester à base de pétrole mais biodégradable. Puis petit à petit, il y a eu un engouement et la filière s’est étoffée. »

Algues, huîtres, mollusques... En plus des algues, de nouvelles matières premières entrent désormais en jeu. À l’Usine de Kervellerin, implantée à Cléguer, des déchets de coquilles d’huîtres réduits en poudre constituent la base d’un bioplastique à destination des imprimantes 3D. À Lorient, le projet BluEcoPHA travaille sur des bioplastiques à partir de bactéries de mollusques. Ces dernières, nourries de déchets végétaux, synthétisent grâce à un processus de fermentation des molécules de polyester biodégradable, déclinables en bioplastique. Assez ouf. Alors pourquoi ne pas passer au 100 % bioplastique ? « Aujourd’hui la part du plastique biosourcé est

seulement de 1 % en France, situe Stéphane Bruzaud, directeur scientifique du programme BluEcoPHA. C’est un marché de niche. Alors passer au tout bioplastique me paraît illusoire. En revanche, il faut cibler les applications et développer cette industrie pour des usages de durée courte. » Ce que fait CGL Pack, une entreprise d’emballages alimentaires basée à Lorient, qui s’est également lancée dans le biosourcé. Seul hic : le coût. « Par rapport à du plastique traditionnel, le bioplastique est de 50 à 200 % plus cher », signale Jean-Luc Rival, directeur recherche et développement de CGL Pack. Malgré le prix, la société M Com’ Musique, spécialisée dans la production de vinyles et installée à Orgères près de Rennes, a elle aussi mis un pied dans le bioplastique. Après des premiers essais infructueux (« nos productions étaient invendables »), les deux gérants Antoine Ollivier et Mickaël Collet ont réussi leur pari en fabriquant, en juillet dernier, un disque à base d’algues offrant une qualité d’écoute satisfaisante. Une première mondiale. Manon Le Roy Le Marrec


Incroyables Comestibles

DES POTAGERS AU PIED DE TON IMMEUBLE

Le conseil municipal du 27 juin à Rennes a pas mal buzzé dans le milieu écolo : un vœu a été voté pour faire entrer la ville dans une démarche de labellisation “ville comestible”. « C’est sur le même principe que les panneaux “ville fleurie” : reconnaître les localités qui œuvrent en faveur de l’autosuffisance alimentaire », explique Nadège Noisette, adjointe aux approvisionnements à la mairie. Une démarche portée par l’association Incroyables Comestibles, dont les missions sont justement tournées vers une urbanité plus verte. « Rennes n’est que la deuxième ville de France après Albi à agir en faveur de ce label. C’est bien même si ça reste encore sans valeur contraignante ni échéances fixées », précise son porte-parole Gaël Lorin. Nadège Noisette voit tout de même quelques éléments concrets : « On s’est fixé un plan pour approvisionner les cantines de l’agglomération en 20 % de bio et 20 % issus de l’agriculture durable. On aimerait aussi mettre en place plus de potagers en libre accès, comme c’est déjà le cas avec les arbres fruitiers. » Remettre de l’agriculture dans la ville : un vœu pieu surveillé de près par Gaël Lorin. « Un sondage a montré que neuf urbains sur dix aimeraient avoir un lopin de terre à cultiver. En attendant, les démarches administratives pour obtenir une parcelle en jardins partagés sont interminables et décourageantes. » 37


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PAPIER

UNE FOIS PAR MOIS, ILS SE RASSEMBLENT POUR UN MOMENT PARTICULIER : COMMUNIQUER AVEC L’AU-DELÀ. ENTRE MÉDIUMS AUTOPROCLAMÉS, PERSONNES EN DEUIL ET CONNEXION SPIRITUELLE, ON A SUIVI UNE DE CES RÉUNIONS MYSTIQUES. n s’était imaginé une ambiance de château hanté, avec bougies dans les coins et poulet prêt à être sacrifié. Pour les clichés cinématographiques, on repassera. Rangées de chaises en plastique, bureau sur une estrade et néons qui clignotent : c’est dans une salle associative défraîchie, en plein cœur de Brest, que le rendez-vous avait été donné. En ce dimanche matin, ce sont une vingtaine de 38

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personnes, essentiellement âgées de la cinquantaine et plus, qui ont décidé de faire une croix sur Téléfoot pour suivre une réunion d’un genre spécial : une séance de contact avec l’au-delà. Droit d’entrée : 12 euros la demi-journée, 20 euros la journée complète. Dans le fond de la pièce, Mickaël, 42 ans, s’affaire à déballer des paquets de gaufrettes et des cakes Brossard. « C’est pour la collation. En attendant que la médium arrive »,

précise-t-il en nous proposant une tranche de Savane. Cela fait deux ans qu’il participe à ces événements organisés par “Le Trait d’Union”, qui se définit comme une association d’aide au deuil. « J’ai commencé à m’investir dans l’asso après avoir perdu mon père. Il s’est suicidé, j’avais besoin de réponses. Je les ai trouvées ici. » Des messages de son papa qu’il déclare avoir reçus par “transcommunication instrumentale”.


« Un médium a réussi à enregistrer sa voix qui, lue à l’envers, était alors compréhensible. C’est une technique courante. Mon père m’a dit qu’il était fier de moi et de ce que je devenais. Je n’ai jamais douté de la possibilité d’entrer en contact avec lui car je sentais toujours sa présence dans la maison. Son corps physique n’existe plus mais l’esprit est toujours là », expose Mickaël alors que Brigitte Reitz, la médium invitée ce matin, vient tout juste d’arriver.

« Pas un hasard » « Je suis ici pour vous dire que la vie continue après la mort », annonce-t-elle d’emblée pour ouvrir son intervention. Ancienne gérante d’une agence immobilière, cette femme de 62 ans, originaire de l’Aisne, affirme avoir commencé à développer des capacités médiumniques suite au décès de son fils, Matthieu, percuté par un train en 2003. Depuis, elle communiquerait avec lui par l’écriture automatique (le stylo serait guidé par l’esprit du défunt) et capterait les signes qu’il lui envoie depuis l’au-delà. « Un jour, je pensais fort à lui en regardant la télé. À ce moment-là, il y avait une pub pour un opérateur téléphonique où on entendait “Vous êtes bien sur le répondeur de Matthieu”. Ce n’était pas un hasard. Surtout que c’était une pub Bouygues : ça commence par un B, comme mon prénom », explique-t-elle avec le même aplomb que Cahuzac face à Bourdin. Dans la salle, tout le monde écoute religieusement. Comme Nadine, Briochine de 50 ans. C’est la troisième fois qu’elle se rend à cette séance médiumnique en espérant obtenir de nouveaux signes de sa mère décédée. « Il y a quelques temps, elle m’a dit qu’elle m’aimait et que mes deux filles étaient belles », raconte-t-elle émue et sans l’ombre d’un doute. Des messages personnels que 39


PAPIER

semble être venue chercher chaque personne présente ce matin. Après une heure de conférence, la séance collective de contacts médiumniques débute alors. « Le prénom Christine, cela évoque quelque chose pour vous ?, demande Brigitte en passant devant une dame assise au deuxième rang. Non ? La Sainte-Christine se fête au mois de juillet, ce mois vous concerne-t-il ? » Nouveau flop. Pas de quoi faire broncher l’assemblée dans l’attente d’une illumination : « Je vois quelqu’un qui vous tient la main. Vous avez perdu votre papa si je ne me trompe pas », « Le prénom Didier, cela vous dit quelque chose ? », « Et le violet, cette couleur vous est-elle familière ? » : des inspirations que Brigitte livre à chaque personne qu’elle approche, sans susciter de réelles révélations dans la salle. « Ce sont de simples repères, des mots qui ne vous disent peut-être rien aujourd’hui mais réfléchissez-y tout de même, se dépatouille la médium qui réussira malgré tout à convaincre une dame dont le fils est décédé depuis plusieurs années. Je vois quelqu’un qui vous caresse les cheveux. C’est sans doute lui. Vous dites qu’il aimait bien vous taquiner. Sachez qu’il est toujours là près de vous. »

Derrière cette matinée, se cache Jean-François Colaianni, le président du Trait d’Union qu’il a créée il y a quatre ans. Après avoir été crêpier, vendeur dans un magasin de bricolage ou encore réparateur de mobil-homes, “Jeff” s’est mis à son compte comme « medium professionnel » au début des années 2000.

« On n’accuse pas les dentistes » Des dons paranormaux qu’il affirme posséder depuis qu’il est tout petit. « À 10 ans, j’ai vu des premières entités, des formes blanches, des humains en transparence. Puis, j’ai commencé à entendre des voix. La toute première, c’était ma tante décédée qui m’appelait par mon prénom. » La communication avec les défunts interviendra quelques années plus tard, après le décès de son fils alors âgé de quatre mois. « Les capacités médiumniques se développent souvent après de forts chocs émotionnels », éclaire ce Brestois de 53 ans

« Nous apportons des preuves de la survivance » 40

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qui, en plus des réunions mensuelles, anime une web-radio spécialisée (où les auditeurs font appel à ses services par téléphone) et propose des rendezvous privés. « Il s’agit de consultations de voyance ou de médiumnité. Je travaille sans photo, juste à partir d’un prénom. La plupart du temps, les gens demandent des nouvelles et des conseils de la part du défunt. Sur des questions importantes, un divorce par exemple, ou des choses plus anodines de la vie de tous les jours. » Une prestation qu’il facture 60 euros. Tout comme Brigitte Reitz qui, le lendemain de sa conférence, rencontrera des personnes pour des séances individuelles. De là à y voir un business profitant de la tristesse de personnes en deuil ? Jeff réfute. « On n’accuse pas les dentistes de se faire de l’argent grâce au mal de dents. Nous c’est pareil : nous sommes des docteurs de l’âme. » Un discours également tenu par Brigitte Fayet, présidente de l’association Cœur de Cristal à Rennes qui, comme Le Trait d’Union, organise une à deux fois par mois des journées médiumniques où se retrouvent entre 60 et 100 parti-


Bikini

cipants. « Nous soutenons moralement les personnes en souffrance en leur apportant des preuves de la survivance », assure cette retraitée de 65 ans qui voit les médiums comme « des facteurs de l’au-delà. Certains sont très réputés dans le milieu. Il y a des “stars” qui sont réservées jusqu’en 2019. Cela s’explique par l’intérêt grandissant qu’ils suscitent : il y a de plus en plus de gens qui veulent en savoir plus sur la vie après la mort. Grâce à l’association, ils ont un lieu où ils peuvent échanger sur le sujet ». Personnes fragiles émotionnellement, consultations payantes et promesses paranormales : un cocktail dangereux ? Pour Annik Le Héritte, présidente de l’ADFI Bretagne-Sud (Association de défense des familles et de l’individu), qui recense les dérives sectaires dans le Finistère et le Morbihan, aucune trace de l’association Le Trait d’Union dans son fichier. « Parmi les signalements reçus, nous avons peu de médiums. Seulement deux en seize années. Il est compliqué de parler de secte avec cette activité. Le plus souvent, il s’agit d’un simple fonds de commerce. » Julien Marchand 41


RDV

L’ORIENT-EXPRESS ENTRE PIANO-VOIX, MUSIQUES ÉLECTRONIQUES ET TRADITIONNEL LIBANAIS, BACHAR MAR-KHALIFÉ CONSTRUIT UN PONT ENTRE ORIENT ET OCCIDENT, À L’IMAGE DE SON ALBUM « YA BALAD », UNE SURPRISE DE L’ANNÉE. ’était le mois dernier au Festival du Bout du Monde à Crozon. Sur la scène du chapiteau, Bachar Mar-Khalifé allait mettre KO les festivaliers dès leur premier concert de la journée. Au piano, le garçon capte l’audience dès les premières notes, avec un morceau d’une beauté dingue, vite épaulé par un batteur et un bassiste. C’est le début d’une débauche d’énergie et de poésie, entre rock, jazz, musiques traditionnelles libanaises et kicks électroniques lourds. Un headshot musical qui nous rappelle celui qu’on avait eu à l’écoute 42

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de son album Ya Balad, une des surprises de 2016. Un disque mêlant influences d’hier, d’aujourd’hui, de l’Orient, de l’Occident. Pour comprendre ce mélange, il faut s’intéresser au bonhomme. Fils du musicien culte libanais Marcel Khalifé et ancien membre du groupe Aufgang (spécialiste du piano allié à l’électronique) dans lequel officie toujours son frère Rami, Bachar sonne comme la synthèse d’une famille d’artistes. « Je ne suis pas un spécialiste de la musique traditionnelle mais j’en ai une approche poétique et sensorielle. Elle a bercé mon enfance. Quand ces chansons

ressurgissent en moi, elles prennent une forme différente. C’est ce qui fait, je pense, leur force car c’est une erreur de vouloir les figer. C’est de la matière vivante qui appelle à être travaillée, modifiée. Elles ont quelque chose d’intrinsèquement révolutionnaire. » La découverte des musiques électroniques (« Ricardo Villalobos notamment ») se fait au début des années 2000, lors d’un voyage en Amérique du Sud, devant des paysages à couper le souffle. « Cette musique s’est intégrée à moi, comme une couleur additionnelle, après avoir découvert le piano, le jazz… »


Lee Jeffries

Comme son père, Bachar aime évoquer l’exode, le départ, la migration : « Nous sommes tous exilés à un moment donné de notre vie. Le seul fait d’être en silence est déjà une forme d’exil. » Des thèmes qui, en 2016, résonnent avec encore plus de force. Mais le succès a aussi sa rançon. En avril, son morceau Kyrie Eleison, un des titres phare de son album, est censuré au Liban par la “Sûreté générale”. Motif : il serait blasphématoire et porterait atteinte à « l’autorité divine ». Coup dur et sale souvenir pour le musicien qui, au lendemain de l’interdiction de sa chanson, promettait qu’il continuerait à la chanter pour crier son « rasle-bol des institutions politiques ou religieuses qui veulent régir nos vies ». Amen Bachar. Brice Miclet Le 12 octobre au Quartz à Brest (dans le cadre de l’Atlantique Jazz Festival), le 4 novembre à Chartres-de-Bretagne, le 5 novembre à Sons d’Automne à Quessoy 43


RDV

THE DØ(DOZ) AVEC PLUSIEURS ANNÉES DE POST-PUNK, LES TOULOUSAINS DE THE DODOZ ONT OPÉRÉ UN VIRAGE À 90°. PLACE DÉSORMAIS À L’ÉLECTRO-POP SOUS LE NOM DE LAS AVES. UNE MUTATION AMORCÉE SOUS LE REGARD DE DAN LEVY, DE THE DØ.

L’influence de Dan Levy, moitié de The Dø, est très présente. C’est lui qui a produit votre album Die In Shanghai sorti avant l’été. Comment s’est fait le rapprochement ? On l’avait croisé sur un festival à l’époque de The Dodoz. La première approche n’était pas très positive. On l’avait trouvé un peu connard. Et lui nous avait confié par la suite qu’on avait l’air de petits cons. Au final, il nous avait quand même envoyé un mail pour nous dire qu’il aimait bien notre musique. On l’a donc sollicité quand les premiers 44

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morceaux de Las Aves sont nés. Il s’est senti proche de ce qu’on faisait, une direction que lui aussi avait prise pour l’album Shake Shook Shaken. C’est cette rencontre avec Dan qui a fini de nous transformer.

scène. En France, on pointe souvent du doigt, de façon négative, la place du producteur. Alors qu’aux États-Unis par exemple, son rôle et la touche qu’il apporte sont au contraire mis en avant. On aime l’idée de former une “scène” avec Vous avez déclaré être attachés au The Dø. Être sur le même tourneur, rôle, parfois central, du producteur. le même label, faire des morceaux en Quelle a été la place de Dan Levy ? commun : on envisage la musique Il nous a permis de prendre du recul de la même façon. Quand ça colle sur ce qu’on faisait et de nous orien- artistiquement avec quelqu’un, il ter vers des choses auxquelles on faut se mettre avec. n’aurait pas pensé. Dans notre son, la patte de Dan se ressent. Ce qui fait Recueilli par Julien Marchand que certaines personnes trouvent que notre musique peut ressembler Le 10 novembre à La Teufestival à celle de The Dø, même si on n’est (au Run ar Puñs à Châteaulin), pas tout à fait d’accord, surtout sur le 16 novembre à l’Ubu à Rennes

Sunny Ringle

n vous a connu avec le groupe de rock The Dodoz. Vous faites aujourd’hui de la pop et vous appelez Las Aves. Pourquoi cette transformation ? Ça faisait dix ans qu’on tournait ensemble avec The Dodoz et on avait le sentiment d’être arrivé au bout de quelque chose. Quand on s’est remis à composer après une grosse tournée en Europe de l’Est, les morceaux commençaient doucement à changer. On a utilisé des synthés, des instruments électroniques, des appareils qu’on ne connaissait pas du tout. On a fait plein d’essais, multiplié les accidents. On a mis plus d’un an et demi pour faire émerger ce nouveau son.


Nicolas Martinez

ORIGINAIRE DE QUIMPER, SÔNGE EXPORTE SON R’N’B LUNAIRE, LES YEUX GRANDS OUVERTS. À 27 ans, la Quimpéroise est tranquillement en train de se faire un nom. Comment ? Avec un R’n’B sensuel et robuste. « Je crois qu’il y a un avant et après James Blake », estime-t-elle. Océane Belle de son vrai nom s’inscrit effectivement, comme son aîné anglais, dans cette génération de home producers mélodiques. Pour un résultat oscillant entre FKA Twigs et M.I.A. Son premier EP, qui sortira le 18 novembre, est l’un des projets bretons à surveiller, comme le laisse présager Now, le premier morceau dévoilé. « Je compose des ambiances, des accords, et ça me fait voir des couleurs. Je peux partir sur un morceau mauve foncé par exemple, assez sombre. Ensuite je modifie et enrichis le tout comme si je peignais un tableau. » En France, beaucoup voient le R’n’B comme une soupe servant aux refrains de rappeurs aux talents douteux. Que nenni. La musique de Sônge l’emmène déjà sur les scènes parisiennes (elle a rejoint le tourneur Super!), épaulée par le Novomax et le Run Ar Puñs, qui lui offrent résidences et réseau. En point d’orgue : une programmation aux Trans Musicales en décembre. B.M Le 1er octobre à l’Avel-Dro à Plozévet, le 5 novembre aux Indisciplinées à Lorient, le 24 novembre au Novomax à Quimper 45


RDV

LIKE TEEN SPIRIT

À PEINE MAJEURS, LES DINANNAIS DE CHEAPSTER SQUATTENT DÉJÀ LES SCÈNES BRETONNES AVEC LEUR ROCK-GRUNGE DES NINETIES. ÇA CROUSTILLE.

DR

Mudhoney, Sonic Youth, Nirvana, Dinosaur Jr, Melvins… Quand la crème de la scène grunge et noise a connu son apogée il y a une grosse vingtaine d’années, aucun des membres de Cheapster n’était né. Les plus jeunes de la bande sont encore au lycée à Dinan, où le groupe s’est formé il y a deux ans. Le plus âgé, Paul, est en seconde année de fac et fait les présentations. « La base de Cheapster, c’est un groupe de collège : avec Baptiste et Briac, on monte un truc à trois, plutôt garage. Valentin arrive via une annonce postée à La Nouvelle Vague, puis Marine aux synthés, Guillaume au saxo… » Des potes, de la déconne, des binouzes, de la musique : un cocktail qui leur permet d’afficher une ving-

taine de concerts à leur compteur. « À Paris un peu, mais on a surtout joué dans le coin. » Dont le festival de Binic cet été, place forte du garage, une scène dont ils se sentent de moins en moins raccords. « Les années 90 c’est plus notre truc, même un peu de métal, stoner, doom. » Un premier album, délicieusement nommé The Pléboulle Chainsaw Massacre, est sorti fin 2015, un second devrait suivre. « On va démarcher les labels maintenant en essayant de gagner en visibilité. » Cheapster n’en est qu’à ses débuts, tout juste à l’apéro. R.D Le 3 septembre au Mondo Bizarro à Rennes, le 10 à Rock’On à Noyal-Châtillon, le 22 à I’m From Rennes

LE COMTE EST BON Dans la version française de The Big Lebowski, Jeff Bridges se fait appeler Le Duc. Christophe Sauvaget, lui, c’est Le Comte, un nom de scène pour un projet solo lancé tout récemment au printemps. « C’est JS qui m’a poussé au cul pour rendre public des trucs que je bidouillais chez moi. » JS, c’est Jean-Sylvain Le Gouic, leader des Juveniles, dont Le Comte est le claviériste. Et les trucs bidouillés, c’est un premier EP : Chaleur et Mouvement. Quatre titres 46

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pour autant de prénoms féminins (Eva, Kaitlyn, Suzanne, Manon), références à « des histoires sentimentales, avec des morceaux plus longs que d’autres et se terminant plus ou moins brutalement ». Le résultat oscille entre ambient et electronica. Du son planant pour rêver en fermant les yeux. Sur scène, quatre premiers concerts donnés jusqu’à présent ont permis la mise en route. « Là encore les choses se mettent en place petit à petit, c’est encore tout frais

Jean-Sylvain Le Gouic

LE CLAVIÉRISTE DES JUVENILES SE LANCE DANS UN SIDE PROJECT SOLO : ÉLECTRONIQUE, PLANANT ET CONTEMPLATIF. POUR PARAPHRASER ÉRIC JUDOR, « C’EST DE TOUTE BEAUTÉ ».

mais c’est en train de bien prendre et c’est cool. » Des envies particulières ? « Explorer d’autres univers aussi. Deux sources m’inspirent pas mal en ce moment : Chagall et RobbeGrillet. À voir si c’est transposable musicalement. » Le 15 octobre au festival Maintenant à Rennes



VTS

UNITED STATES OF ARMORICA AU PAYS DE LA FUTURE PRÉSIDENTE HILLARY CLINTON OU DU FUTUR PRÉSIDENT DONALD TRUMP (DAMN !), RÉSIDENT UN PAQUET DE BRETONS D’ORIGINE, DESCENDANTS DE PLUSIEURS VAGUES D’ÉMIGRATION. LE FRUIT D’UNE LONGUE HISTOIRE D’AMOUR ENTRE LES USA ET LA BZH.

LES HUGUENOTS DE VITRÉ : DE PERSÉCUTÉS À PLANTEURS Les premiers Bretons à pénétrer sur le territoire US sont de confession protestante, persécutés suite à la révocation de l’Édit de Nantes en 1685. Parmi ces Huguenots, plusieurs dizaines de Vitréens et quelques Rennais font le choix de traverser l’Atlantique. « Il s’agissait pour la plupart de grands bourgeois qui ont pu rapidement acquérir des terres et s’installer

DES BRETONS HÉROS DES GUERRES du côté de la Caroline du Sud », précise l’historien de la Bretagne Olivier Le Dour. Certains deviendront de fameux propriétaires de plantations, dont des membres de la famille Ravenel, qui a donné quelques figures locales dans le monde politique et scientifique, et dont l’ancêtre René Ravenel avait quitté Vitré à l’époque des guerres de religion.

L’IRRÉSISTIBLE RUÉE VERS L’OR EN CALIFORNIE En Californie, lorsque sont trouvées les premières pépites d’or peu avant le milieu du 19e siècle, la nouvelle enfièvre le monde jusqu’en France, où tous les transatlantiques en capacité de passer le cap Horn sont réquisitionnés. « Beaucoup de marins bretons vont embarquer et déserter une fois arrivés sur place, par appât du gain. Mais les conditions de vie sont épouvantables. » Un d’eux va néanmoins réussir à faire fortune : le natif de Plœmeur Joseph-Yves Limantour (photo), armateur débarquant dans l’ouest américain en 1841. « Il avait des 48

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liquidités qui lui ont permis de faire affaire avec les autorités locales : prêt d’argent en échange de concessions. Il s’est retrouvé à la tête d’une fortune considérable, possédant près de la moitié des terres de San Francisco. » Sa richesse a fait tellement d’envieux que, menacé de mort, il a dû s’enfuir au Mexique où sa descendance fait partie de la haute société.

Lors de la Guerre d’indépendance américaine (17751783), des officiers français s’engagent au côté des troupes locales. C’est le cas de Toussaint-Guillaume Picquet de La Motte (illustration) et d’Armand Tuffin de La Rouërie (qui reste célèbre aux États-Unis sous le nom de “Colonel Armand”), respectivement Rennais et Fougerais et qui vont devenir des héros du conflit. « Les frégates françaises partaient de Brest, avec aussi beaucoup de marins bretons qui vont se signaler, notamment lors du siège de Yorktown », une bataille décisive de l’alliance francoaméricaine sur les troupes anglaises en 1781. On estime à 20 000 le nombre de Bretons impliqués dans la Guerre d’indépendance. Quelques décennies plus tard, lors de la guerre de Sécession (1861-1865), le Breton d’origine Régis de Keredern de Trobriand se fera remarquer en combattant dans le camp des Unionistes, et obtiendra même le grade de major-général de l’armée du Potomac.


LE RÊVE AMÉRICAIN DE DIZAINES DE MILLIERS DE GOURINOIS

Dans les années 1880, la légende veut que trois copains du pays de Gourin, en centre-Bretagne, décident de partir chercher fortune en Amérique. « On dit même qu’ils sont partis pieds nus pour ne pas user leurs sabots avant la traversée », ajoute Olivier Le Dour. Travaillant à la mine, aux chemins de fer et dans la restauration, leur réussite finit par donner des envies d’ailleurs à leurs anciens voisins gourinois. « Jusqu’en 1969, date à laquelle est votée une loi américaine restreignant les conditions d’émigration, on estime qu’il y a eu 15 000 personnes de Gourin et de ses environs à traverser l’Atlantique », précise Jean-François Baudet, président de l’association Bretagne Transamerica. Petit à petit, ils vont se spécialiser dans la restauration, à New York notamment. « Au Brittany du Soir ou au Café des Sports, près de Time Square, les Bretons qui débarquaient du bateau venaient récupérer leur première mission : un extra pour un mariage, un remplacement dans un resto italien… C’était la débrouille. » 49


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AGENDA

Pierre Grosbois

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I’M FROM RENNES

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LES MOLIÈRE DE VITEZ

Ce n’est que la 5e édition mais le festival Photoreporter en baie de Saint-Brieuc est déjà un incontournable du genre, avec des expos toujours bien chiadées partout dans l’agglo briochine pour nous donner à voir le monde. Cette année, voyage en Indonésie, Somalie, Macédoine… N’oubliez pas votre passeport.

La rentrée de la scène rennaise passe par le festival I’m from Rennes. Tous les styles y sont représentés, avec un total de 18 soirées programmées dans les salles de la ville, bars, apparts, outdoor… Inloupable : l’événement à L’Étage le 22 septembre avec le must du garage local : Madcaps (photo), Sapin...

Laboratoire pluridisciplinaire, le festival Maintenant mêle arts numériques, installations, musique… Un concentré de création contemporaine, à l’image du ludique et interactif Polyphonic Playground du Studio PSK ou du spectacle Ljós de la Compagnie Fuse (photo) où chorégraphie et technologies se répondent en temps réel.

Séance de rattrapage avec ce concept né en 1978 à Avignon sur une idée originale du metteur en scène Antoine Vitez et remis au goût du jour : 4 pièces de Molière (L’école des femmes, Tartuffe, Dom Juan, Le Misanthrope) enchaînées dans un décor minimaliste avec des acteurs interchangeables. Au Théât. de Cornouaille à Quimper Du 11 au 15 octobre

Joost van der Broek

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À Rennes (Antipode, Ubu, Triangle…) Du 7 au 16 octobre

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À Rennes Du 15 au 25 septembre

Lenka Rayn H

À Saint-Brieuc Du 1er au 30 octobre

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LA GRANDE GUERRE

Les musiques électroniques investissent le domaine de Suscinio et son château médiéval. Pour sa 4e édition, Rêverie Moderne multiplie les ateliers de création sonore et accueille, pour ses lives du samedi, un joli quarté gagnant : Torb, Molecule, Douchka et Rival Consoles (photo).

Les loustics de Totorro remettent le couvert en cette fin 2016 avec un deuxième album, Come to Mexico succédant à Home Alone, toujours dans la veine math rock. Pour la release party, c’est à domicile que ça se passe, avec Colin Stetson et Gregaldur en invités.

Sérigraphie, gravure, graphisme, typographie, dessin… Festival de la micro-édition, Le Marché noir revient pour la 5e année avec des expositions, des rencontres et – surtout – des ateliers où chacun peut s’initier à ces arts imprimés à l’esprit DIY.

Pour les hommages au centenaire de Verdun, il y a les images d’archives et commentaires des historiens. Il y a aussi La Grande guerre, une pièce de théâtre d’objets assez fascinante avec des soldats en plastique animés et des bruitages en direct. Art + Histoire = cœur.

À Sarzeau et Saint-Avé Du 22 au 25 septembre

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À L’Antipode à Rennes Le 9 novembre

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Aux Ateliers du Vent à Rennes Du 22 au 25 septembre

Au Théâtre de Lorient Du 4 au 7 octobre




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