BIKINI SEPTEMBRE-OCTOBRE 2022

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SEPTEMBRE-OCTOBRE 2022 #58

À découvrir dans ce numéro... TEASING BEETHOVEN LOUP COLLECTAGE «UNE COURSE CONTRE LA MONTRE» «DES JOYEUSES FUNÉRAILLES» FÉMINISME PINARDIERS HARPELITHOGRAPHIEVOIXSATURÉE «LE RETOUR DU SAUVAGE DANS LA NATURE»

- La Bretagne est la seule région à avoir eu tous ses départements en état de crise sécheresse, soit le niveau d’alerte maximale.

Les cours d’eau n’ont jamais été aussi bas, avec certains ruisseaux et rivières totalement à sec (près de 20 % des cours d’eau bretons). Une situation qui menace les espèces aquatiques, notamment des populations de poissons qui meurent asphyxiés.

- L’été a été historiquement sec. Au mois de juillet, le déficit de pluie a atteint les 95 % en Bretagne. De nombreuses communes n’ont pas vu la pluie (précipitations supérieures à 1 mm) pendant plus d’un mois : 43 jours à Brest, 42 à Rennes, 42 à Lorient, 37 à Saint-Brieuc…

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- Les agriculteurs ont fait face à des interdictions d’irrigation, laissant parfois mourir certaines cultures. Des éleveurs ont également dû entamer le fourrage prévu pour l’automne et l’hiver. Certains craignent déjà de prochaines pénuries.

ÉDITOARRÊTONSDEFAIRE

12 à 23 Chasseurs de sons 24 à 31 J’ai retrouvé le loup 32 à 37 Comment (bien) finir un groupe 38 à 45 RDV : caroline, Rebirth of Jazz

- Cali sort un nouvel album en octobre.

6 à 11 WTF

Sir Greggo... 46 à 49 La PAM : « Imprimer le futur » 50 BIKINI recommande 4 septembre-octobre 2022 #58

Des villages du centre-Finistère ont manqué d’eau potable et ont dû en importer de communes voisines pour approvisionner leurs habitants.

L’AUTRUCHE - La Bretagne s’est littéralement embrasée cet été, avec une multiplicité des départs de feu encore jamais vue. Parmi les incendies les plus importants : 400 hectares ont brulé en forêt de Brocéliande, plus de 200 hectares dans le sud du Morbihan (dont 50 à Erdeven, autant à Locoal-Mendon) et, surtout, près de 3 000 hectares (!) dans les monts d’Arrée (bien au-delà des 900 hectares détruits en 1996, date du dernier grand incendie dans ce secteur).

La rédaction

- Des records de chaleur sont tombés dans la région : 40,5° à Rennes, 40,2° à Vannes, 39,3° à Brest… Le record absolu revient à Bléruais, en Ille-et-Vilaine, où une température de 41,6° a été enregistrée.

Damien Fleau,

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SOMMAIRE : harpistes, Beethoven, théâtre féministe, voix saturées... , S8jfou,

Un petit nouveau fait son apparition dans le paysage des festivals bretons : Le Son d’Gaston. Pour fêter la fin de l’été, ce rendez-vous qui se tient au Rheu, à côté de Rennes, invite les Bordelais de Smokey Joe & The Kid, les Tourangeaux de Toukan Toukan, ainsi que trois valeurs sûres du coin : Atoem, Clavicule et Faygo. Le 24 septembre.

MORGANE LE CUFF

Des territoires forts de traditions orales et de répertoires traditionnels dans lesquels Morgane Le Cuff s’est plongée. En résulte une musique transfrontalière où se mélangent harpe celtique, percussions ibériques et chants galiciens.

QUELLE HARPISTE ALLER VOIR ?

dahoCOIN-COIN Classique de la littérature jeunesse, Le Vilain petit canard, récit signé Hans Christian Andersen, a droit à son adaptation théâtrale avec Sandra Gaudin à la mise en scène, Arnaud Valois (120 battements par minute) sur scène et Étienne Daho pour la musique. Du 19 au 22 octobre au TNB à Rennes. WTF

Sur le CV de la Californienne, figurent de jolies références : Jar vis Cocker, Thurston Moore, Kurt Vile…. Des collaborations pour lesquelles la musicienne est venue poser son instrument fétiche : la harpe. Mais le parcours solo de Mary Lattimore (photo) vaut tout autant le détour. En témoigne son dernier et quatrième album, Silver Ladders, où l’artiste basée à Los Angeles navigue entre néo-classique et ambient experimental, pour une musique contemplative et méditative. Quand ? Le 10 novembre à l’Anti pode à Rennes

Pour son tout premier concert en tant que nouvelle artiste associée de Plages Magnétiques, Rafaelle Rinaudo est à l’affiche de la 19e édi tion de l’Atlantique Jazz Festival, organisé par la structure brestoise. Pour l’occasion, elle s’associe à la chanteuse bretonne Rozenn Talec pour un set où la musicienne fera parler sa harpe électrique entre free jazz, classique et baroque. Tou jours dans sa volonté d’amener cet instrument vers des chemins inattendus. Quand ? Le 23 octobre à la chapelle du Bon Port à Brest

6 septembre-octobre 2022 #58

Le 5 octobre à L’Échonova à St-Avé.

Quand ? Le 5 octobre à la bibliothèque de Boisgervilly, le 7 à La Canopée à Janzé, le 11 au Blosne à Rennes, les 13 et 14 à l’ESCC Eugénie Duval à Maen Roch, dans le cadre du festival Le Grand Soufflet MARY LATTIMORE

L’UN DES PLUS DÉLICATS INSTRUMENTS À CORDES CONNAÎT UNE JOLIE MISE EN LUMIÈRE AVEC CES TROIS ARTISTES QUI AMÈNENT LA HARPE DANS DES ESTHÉTIQUES NOUVELLES : NÉO-CLASSIQUE, AMBIENT, FREE JAZZ... CassellsPonyRachael DR RAFAELLE RINAUDO

Y A L’TÉLÉFON QUI 1SON

Présentée comme une « harpiste, chanteuse et conteuse tout terrain », la Rennaise a beaucoup voyagé entre la Bretagne, la Galice et les Asturies.

AFROBEAT Génie de l’afrobeat, Femi Kuti est de passage en BZH. Aujourd’hui accompagné de son fils, troisième génération d’une lignée de musiciens d’exception, le Nigérian mêle toujours convictions citoyennes et énergie musicale, comme sur son dernier album Stop the Hate.

LES MORCEAUX SONT-ILS ISSUS DU RÉPERTOIRE TRADITIONNEL CELTE ?

CELA A-T-IL INFLUENCÉ LA SUITE DE SON ŒUVRE  ? « Il a peaufiné ses capacités de com positeur, c’est certain, conclut Élisa beth Brisson. Il montrait alors que la composition était la plus importante, il pouvait faire feu de tout bois. À partir de n’importe quelle mélodie, il écrivait une œuvre. » À la même période, Beethoven écrivait sa 7e sym phonie, parue en 1813, considérée comme sa plus joyeuse. Pour bien des observateurs comme Carlos Núñez, c’est tout sauf un hasard. Brice Miclet

COMMENT BEETHOVEN S’EST-IL INTÉRESSÉ AUX MUSIQUES CELTES  ?

WTF BEETHOVEN, UN BARDE CELTE ?

Entre 1810 et 1820, Ludwig van Bee thoven a écrit près de 300 arrange ments de chants et mélodies celtiques. Un travail surprenant qui a permis au plus grand compositeur de son temps de s’exercer à la composition et de découvrir les musiques irlan daises, galloises et écossaises. Un pan méconnu de l’histoire classique que l’Orchestre National de Bretagne a décidé de faire resurgir en invitant le multi-instrumentiste galicien Car los Núñez à interpréter une trentaine d’œuvres issues de ce corpus.

Le 8 octobre à l’Espace Kéraudy à Plougonvelin, le 9 octobre au Roudour à Saint-Martin-des-Champs, les 12 et 13 octobre au TNB à Rennes

UN RÉPERTOIRE MIS À L’HONNEUR PAR L’ORCHESTRE NATIONAL DE BRETAGNE ET EXPLORÉ PAR LE MUSICIEN CARLOS NÚÑEZ.

QUEL INTÉRÊT POUR BEETHOVEN ?

DR 8 septembre-octobre 2022 #58

Oui et non. Plusieurs thèmes étaient connus depuis longtemps. Mais pour Élisabeth Brisson, « il s’agit en grande partie de productions et de mélo dies présentées comme populaires et anciennes, mais qui étaient en fait très récentes. À l’époque, c’était à la mode de soi-disant collecter les musiques folkloriques. »

PENDANT PLUS DE DIX ANS, LUDWIG VAN BEETHOVEN A PRODUIT DES COMPOSITIONS ET ARRANGEMENTS CELTIQUES.

Il s’agit en fait de commandes. « À la fin du 19e siècle, il fallait que les jeunes filles anglaises de bonnes familles puissent chanter et jouer ensemble des œuvres faciles, explique Élisabeth Brisson, autrice du Guide de la musique de Beethoven et spé cialiste du compositeur. On prenait donc des airs populaires et des mélo dies que l’on envoyait aux grands compositeurs pour qu’ils écrivent la musique et les arrangements autour. Haydn et Beethoven ont été très sollicités à l’époque. C’est un édi teur écossais, George Thomson, qui organisait tout cela. »

Le premier argument est financier. « Beethoven était parfois furieux que le cahier des charges élaboré par Thomson soit si sévère et demande tant de simplicité dans l’écriture, précise Élisabeth Brisson. Mais il était très bien payé. » Carlos Núñez, qui s’est passionné pour cette histoire, abonde en tempérant : « Je suis persuadé que ce travail lui plaisait. On le sent dans sa musique. Lui qui était souvent présenté comme un homme fermé semble s’ouvrir lorsqu’on interprète cette musique celtique. »

TOUTFÉMINISMETERRAIN ENCOURAGER L’ÉGALITÉ DES SEXES ET L’ÉMANCIPATION : LE THÉÂTRE SE FAIT MILITANT EN CETTE RENTRÉE.

GrosboisPierre 9

ÉTERNEL Ruth Rosenthal et Xavier Klaine décor tiquent la banalité du patriarcat, observé dans leur propre famille, et s’attaque à ses mécanismes de domination. Quand ? Du 16 au 19 novembre au TNB à Rennes, les 6 et 7 décembre au CDDB à Lorient SIRÈNES Féérique, manipulatrice… La sirène fait l’objet de nombreuses croyances. Une représentation du féminin que déconstruit la compagnie 52 Hertz. Quand ? Les 10, 19 et 20 novembre au Théâtre de Poche à Hédé-Bazouges

EN AVANT TOUTES Zoé Grossot et Lou Simon mettent en lumière les femmes que l’Histoire a effacées. Une réhabilitation qui ques tionne les stéréotypes de genre. Quand ? Les 19 et 20 octobre à l’Aire Libre à Saint-Jacques-de-la-Lande FÉMININES L’épopée de la première équipe fémi nine de foot à Reims en 1968. L’autrice Pauline Bureau retrace cette histoire d’émancipation collective (photo). Quand ? Du 22 au 24 sept. au Théâtre de Cornouaille à Quimper, les 28 et 29 sept. à La Passerelle à Saint-Brieuc PATRIARCAT, VIVRE EN CONFINEMENT

VOIX SATURÉES : MODE D’EMPLOI

10 septembre-octobre 2022 #58 WTF

RÉCRÉATION Quand l’univers pop onirique de Frànçois Atlas et le speed rock de Lysistrata se rencontrent, ça donne PARK, un projet commun qui sonne joliment nineties, avec un album (sorti au printemps dernier) et des concerts à venir à l’automne, dont La Carène à Brest le 14 octobre et Bonjour Minuit à Saint-Brieuc le 15 octobre.

YVES COCHET LIKES THIS Vraie fausse conférence imaginée par la compa gnie La Sensitive, le spectacle La Conf étudie un des derniers spécimens de l’espèce humaine face à l’urgence climatique et l’effondrement du monde. Caustique, drôle et plein d’espoir. Les 11 et 12 octobre à La Passerelle à Saint-Brieuc, le 14 au Théâtre du Vieux Saint-Étienne à Rennes et le 18 au Centre Juliette Drouet à Fougères.

MAIS COMMENT LES MÉTALLEUX FONT-ILS POUR PAS SE NIQUER LES CORDES VOCALES AVEC LEUR VOIX D’OUTRE-TOMBE  ?

DAVID FÉRON, FORMATEUR EN SONS SATURÉS, RÉVÈLE LEUR SECRET. BROAAAAAAAAAH !

Les chanteurs metal, comme les bary tons ou les sopranos, doivent travailler leur voix pour sortir les sons les plus gutturaux. « Le secret pour saturer sa voix, c’est de parvenir à jouer avec les bandes ventriculaires situées dans le larynx, révèle David Féron, ex-chanteur du groupe Nothing, devenu prof de chant spécialisé (photo).

Les cordes vocales vibrent 440 fois par seconde, les bandes ven triculaires trois à cinq fois moins. C’est en jouant sur ce différentiel qu’on obtient ce son si particulier. »

Un son dit “saturé” qui n’est pas forcément grave. « Brian Johnson d’AC/DC possède une voix qui part dans les aigus. À l’inverse, dans le black metal façon Ensaved ou le death à la Cannibal Corpse, on va chercher le son le plus caverneux possible. La différence se joue au niveau de la zone de résonance de l’air, selon qu’on va chercher très profond dans la gorge ou plus à l’avant du visage jusque dans les narines. On joue avec son corps comme avec la palette des touches d’un piano. » Et inutile, selon le coach, de postillon ner dans le micro pour devenir le roi de la saturation. « Certains prennent de grandes bouffées en pensant que ça va les aider à mieux éructer mais c’est contre-productif. Crier nécessite la même quantité d’air que parler. Tout se joue dans l’intention et l’expression des émotions : colère, joie… Un bon chanteur metal doit jouer avec ses tripes, littéralement. »

R.D Formation les 14 et 15 octobre au Novomax à Quimper DR

DR

DOSSIER DECHASSEURSSONSDEPUIS50ANS,DASTUMENREGISTRELEPATRIMOINE SONORE DE LA RÉGION. CE TRAVAIL MINUTIEUX ET ESSENTIEL PERDURE, PORTÉ PAR UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE JEUNES COLLECTEURS. 12 septembre-octobre 2022 #58

DastumCollection-MarlieuPatrick Élie Guichard au violon, à Monterfil, en juin 1976 13

DOSSIER ’Ehpad de Carantec res semble à tous les Ehpad. Pour y pénétrer, il faut reprendre l’habitude d’enfi ler un masque, puis s’enregistrer à l’entrée et se frayer un chemin dans les couloirs de couleur crème, aux virages arrondis pour faciliter le passage des fauteuils roulants. Dans l’espace commun, des résidents ont la tête penchée vers le mur sur lequel est fixée la télé, laquelle déverse en continu son flot d’émissions mati nales.

L’entretien va durer une heure et demie, enregistré avec le petit magné tophone que Jean a soigneusement posé face à Ernest. Que se disent les deux interlocuteurs que deux bonnes générations séparent ? Le fond est au moins aussi important que la forme. En breton toujours, ils échangent sur l’habitat, la construction des maisons, les outils utilisés, les expressions de la charpente et des fondations… La thématique du jour est précise. « Culture orale » Minutieusement, Jean pose des ques tions à partir d’un questionnaire qu’il a apporté avec lui. « On appelle ça un entretien semi-directif. Il y a quinze jours, on a parlé de ses anciennes activités en mer et sur terre. Pour les prochains entretiens, on parlera des rituels religieux. C’est très divers. En tout, on a prévu de se voir une vingtaine de fois. » Ernest, en tout cas, est sacrément content de pouvoir parler dans sa langue maternelle qu’il ne pratique plus du tout. « À l’Ehpad, ça parle français uniquement. Qu’un jeune comme Jean parle aussi bien breton et s’intéresse à l’ancien temps, ça donne le moral. » Jean Roualec-Quéré est donc ce qu’on appelle un collecteur. Prof de breton originaire de Saint-Jean-du-Doigt, il enseigne en bilingue au collège de Saint-Martin-des-Champs près de Morlaix. « J’ai connu le breton par l’intermédiaire de mes grandsparents, puis à l’école Diwan et enfin à la fac où les cours de linguistique m’ont incité à approfondir la langue et ses spécificités. C’est comme ça que je me suis retrouvé à aller chez les anciens pour recueillir leur parole et effectuer mes enquêtes ethnolinguis tiques. Le breton tel qu’il est appris aujourd’hui diffère pas mal de celui que je recueille…  C’est fastidieux mais très précieux. J’y consacre une bonne partie de mes vacances. » Jean a des centaines d’heures d’enregis trement compilées chez lui. « Cette matière, j’aimerais en faire quelque chose. Un atlas linguistique peutêtre… Le diffuser et le transmettre à destination de ceux qui le veulent, peut-être un jour par l’intermédiaire de Dastum. » Dastum, qui veut dire “recueillir” en breton, est le nom de l’association de référence en matière de collectage en Bretagne. Elle a été fondée il y a tout « monde qui disparaît

La conscience d’un

» 14 septembre-octobre 2022 #58

Le regretté Motus a cédé sa place à Chacun son tour, nouveau jeu de l’outrecuidant Bruno Guillon. Bientôt, ce sera le très attendu Tout le monde veut prendre sa place. Jean Roualec-Quéré, 28 ans, semble connaître les lieux par cœur. « C’est la troisième fois que je viens, je commence à maîtriser. » Un petit « bonjour » jovial par-ci, un autre « bonjour » par-là, le jeune homme monte jusqu’au deuxième étage, frappe à une porte et pénètre dans l’une des chambres de la maison de retraite. « Toc-toc… Demat ! Demat Ernest ! »

Le vieux monsieur en face de lui s’appelle Ernest L’Hour, encore bien valide malgré ses 92 ans, mais arrivé ici il y a peu à la mort de sa Tranquillementfemme. assis dans son fau teuil, l’ancien agriculteur-pêcheur de l’île Callot, tout au bout de Carantec, a eu ses visites habituelles du matin. Il en attendait impatiemment une autre qui commence à se ritualiser. Celle de ce Jean Roualec-Quéré, qui n’est pas un petit-fils, pas même un membre de sa famille, mais un collecteur. « Ernest, j’en ai entendu parler par le biais d’autres informa teurs que j’avais interrogés. C’était le dernier paysan de son île. Avec lui, je devrais pouvoir découvrir des spécificités insulaires. Forcément, c’est intéressant. »

Le folklorisme va naître durant ces décennies de grandes découvertes », éclaire Vincent Morel. En 1839, Théodore Hersart de la Ville marqué publie le Barzaz Breiz, premier recueil de chants populaires de Bre tagne. Paul Sébillot est un autre de ces pionniers, avec sa Revue des traditions populaires. « Il y a déjà chez eux la conscience d’un monde qui disparaît et dont il faut capter les dernières traces, écrites d’abord, enregistrées ensuite, Bikini

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juste 50 ans, le 23 novembre 1972 à Saint-Vincent-sur-Oust où résidait son fondateur Patrick Malrieu. « Lui et quelques autres collecteurs de l’époque avaient pris conscience de la valeur patri moniale de leurs enregistrements qu’il fallait préserver de la dégradation du temps. Jusqu’alors, chacun faisait les choses de son côté. L’idée a été de tout rassembler et de procéder à un catalogage minutieux », rembobine Vincent Morel, conservateur et animateur de l’asso. Les origines du collectage remontent au 19e siècle, à une époque où toute une communauté de savants s’entiche d’exotisme. « C’est la prise de conscience qu’il existe dans les peuples une culture populaire et orale digne d’intérêt, hors des langues officielles et des rayonnages de bibliothèques.

DOSSIER Si la démarche de collec tage a, depuis ses débuts, surtout consisté à capter un patrimoine sonore passé (en gros, enregistrer les per sonnes âgées avant qu’elles ne disparaissent pour figer dans le temps leur patri moine oral), il ne faudrait pas négliger le monde qui nous entoure actuellement, prévient Sébastien Toinen, animateur au Centre de découverte du son à Cavan : « Ce son du présent a une valeur insoupçonnée pour les générations à venir. On milite ici pour sa prise en compte. » Parmi les initia tives que le parc de loisirs et de découvertes costarmori cain souhaite amorcer, « la création d’une sonothèque » Un recensement participa tif des sons caractéristiques d’un territoire avait été lancé en 2020 pendant le confinement, « mais il n’a donné que très peu de résul tats pour l’instant ». L’idée était de recueillir tout ce qui constitue l’ADN audio d’un lieu. Avouez pourtant que ce serait cool de pouvoir dispo ser dans le futur de capsules sonores permettant de se re plonger, par exemple, sur le marché des Lices à Rennes, ou dans la fièvre d’un derby de foot à Francis-Le-Blé à Brest, avec ambiance et dis cussions d’époque.

« C’est le cœur de l’activité de l’asso : archiver, documenter et continuer à susciter des vocations. Depuis une vingtaine d’années, nous numérisons cette matière. En 50 ans, près de 1 000 collecteurs ont permis d’enrichir nos réserves. 9 000 heures sont consultables en ligne, librement et gratuitement, sur simple inscription. Nous estimons en avoir encore au moins le double à traiter et à venir. »

Adepte du field recording et ancien étudiant en ethnomusicologie, l’artiste électro morbihannais Ojûn (photo) est forcément sensible à cette démarche de paysage sonore local. Il s’est d’ailleurs rendu dans des lieux comme le marché aux poissons de Lorient pour y recueillir des sons de “maritimité”.

«

ce qui sera rendu possible avec la révolution sonore au tournant du 20e siècle. »

Vincent Morel nous fait pénétrer dans la réserve de Dastum, désormais basée à Rennes : des milliers de bandes et de K7 audio rangées dans des éta gères, avec un étiquetage permettant de retrouver la date, la localisation et autres éléments essentiels de classe ment, le tout conservé à température constante et avec une hygrométrie surveillée.

« Des paroles furtives, des bruits caractéristiques de la criée… J’ai aussi passé trois jours sur un bateau de pêche en Atlantique. Au total, une centaine d’heures d’enregistrement d’instants de vie capturés. » De quoi ali menter son prochain album à paraître en 2023.

« Un monde englouti » Des chiffres vertigineux qui ne sont pas pour déplaire à Hyacinthe Le Hénaff. À 42 ans, cet accordéoniste trad’ de renom puise régulièrement dans la banque de sons de Dastum pour garnir son répertoire. Et il pour rait bientôt lui-même l’enrichir, s’étant mis à la collecte depuis près de dix ans du côté de chez lui, à Landré varzec. « On m’avait toujours dit qu’il n’y avait aucun sonneur dans le pays Glazik, mais c’est juste qu’on n’avait pas cherché. Moi, je l’ai fait.

LE SON DU PRÉSENT A UNE VALEUR INSOUPÇONNÉE »

Dans l’entre-deux-guerres, l’ethno musicologie se développe, d’abord aux États-Unis avant d’essaimer en France, où une première enquête du genre est réalisée en 1939 par Claudie Marcel-Dubois et François Falc’hun sur disques à gravure directe. « La Bretagne est apparue comme un ter rain d’enquête privilégié, avec une langue très différente du français et une culture populaire très ancrée », poursuit Vincent Morel. Dans les années 50, les bagadoù et cercles celtiques s’emparent de cette matière orale. Elle n’est plus seule ment muséale et patrimoniale mais bel et bien vivante. La révolution technologique des magnétos K7 et l’arrivée combinée d’une nouvelle génération militante au début des années 70 vont permettre de consi dérablement enrichir la somme de ces enregistrements.

EonKillian 16 septembre-octobre 2022 #58

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Pourquoi ? Par curiosité. Collecter, c’est lutter contre l’ignorance et l’oubli. » À force d’abnégation, le musicien a iden tifié 43 de ses prédécesseurs dans son secteur géographique. « Tous ces accor déonistes sont morts. C’est un monde englouti auquel je me suis attaqué. Il a fallu que je puise dans la mémoire des enfants, des petits-enfants… C’est de l’archéologie. » Passionné, Hyacinthe poursuit désormais sa quête dans le secteur de Crozon. Plus dans les terres, Yoran Piernet est un autre de ces collecteurs, dont la démarche se rapproche davantage de celle de JeanRoualec-Quéré. Lui aussi est prof de breton – au collège de Rostrenen – et lui aussi s’intéresse à la dialectique. Joël Guilloux, 73 ans, est son troisième informateur. Les sessions d’enregistre ment se passent au domicile de Yoran, à Trébrivan. Ensemble, ils échangent en breton sur les vêtements, les cou leurs, la météo… À 28 ans, l’apprenticollecteur voit cela comme un moyen d’approfondir son breton. « Comme je vais enseigner dans le secteur, j’aimerais pouvoir maitriser le breton d’ici, qui est un mélange de vannetais, de trégorois et de léonard. Ça vient compléter mon breton académique. »

Débarqué à l’UBO sans parler un mot de breton, il s’est perfectionné au contact d’anciens locuteurs recom mandés par des profs bienveillants.

des informateurs : 80 ans. « Une forme de passage de témoin. » Le succès de “Marins à l’ancre”, qui a donné lieu à une exposition sonore et visuelle, a poussé à développer l’activité collectage, avec récemment un travail autour des chansons tradi tionnelles locales (qui donnera lieu à la publication en décembre d’un recueil d’environ 120 chansons) et un autre sur le parler douarneniste (« tout ce qui concerne l’argot d’ici »).

Une collecte personnelle qui l’a amené à sillonner la région : « Plouarzel, Moréac, Pleumeur-Bodou, Sein, Guilvinec, Penmarc’h…, énumère l’étudiant de 23 ans, désormais inscrit en master et qui vise l’agrégation de breton. J’enregistre mes conversa tions pour m’entraîner ensuite chez moi. Les locuteurs sont à chaque fois hyper enthousiastes.

DOSSIER

On est engagé dans une course contre la montre

Qu’un jeune étranger venu d’aussi loin s’intéresse à eux, ça les valorise. »

Accents et intonations » Si le collectage en basse-Bretagne a longtemps été plus important et mieux considéré qu’en haute-Bretagne, c’est en train de s’équilibrer. En plus des collecteurs de l’est de la région liés à Dastum, une association de pro motion du gallo, nommée Chubri, dispose depuis 2015 d’une chargée d’inventaire linguistique (autrement dit une collecteuse professionnelle, la seule sur le territoire) : Jessica Hau mont, 32 ans, originaire de SaintDolay à la frontière entre le Morbihan et la Loire-Atlantique. Enregistreur sur le trépied, elle recueille ce jour-

» Bikini:Photos 18 septembre-octobre 2022 #58

Redonner sa fierté à une langue et une culture : c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles l’association Emglev Bro Douarnenez s’est lancée dans le collectage. Elle qui s’est donnée pour mission de mettre en avant le patri moine culturel du pays de Douarnenez mène depuis 2015 différents projets d’enquêtes sonores. Le plus ambitieux est sans doute “Marins à l’ancre”, qui a permis à une trentaine de bénévoles entre 2016 et 2018 de se former au collectage. Un travail encadré par des ethnologues et qui a abouti à l’enregistrement d’une centaine de personnes. « Des anciens marins et patrons de cafés, pour parler du lien intime entre le monde de la mer et celui des bistrots », présente Olivier Dussauze, le coordinateur de l’asso. Moyenne d’âge des collecteurs : une trentaine d’années. Moyenne d’âge

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Dans le petit monde du collectage, Seongwoo Kang est aussi un nouveau venu. Son profil est très atypique. Sud-Coréen, il est arrivé à Brest il y a trois ans après avoir découvert le breton par hasard dans un livre d’apprentissage du… français. « J’ai voulu l’étudier mais j’ai découvert qu’il n’y avait qu’en Bretagne qu’on pouvait le faire, alors je suis venu ici. »

là à Nivillac la parole de trois sœurs, Madeleine, Monique et Marie, ainsi que d’une voisine d’enfance, MarieOdile. Leur âge va de 76 à 86 ans. Les premières minutes, le gallo est un peu rouillé et se mélange au français, mais petit à petit la parole enfouie depuis l’enfance reflue. Alors le débit s’accélère et c’est une langue encore aujourd’hui déconsidérée qui resurgit. En bout de table, devant l’antique buf fet du salon des trois sœurs, Jessica savoure. Cet enregistrement viendra s’ajouter aux 500 autres du catalogue Chubri, lequel est relié à Dastum. « La parole des anciens est un trésor, ex plique-t-elle. Tout ce collectage permet de capturer une langue, des accents, des intonations... On est engagé dans une course contre la montre. » C’est d’éco logie des langues dont il est question.

Tel le pépiniériste soucieux d’enrichir sa banque de graines d’espèces menacées de disparition, cette nouvelle génération de collecteurs enregistre frénétiquement, pour ne pas que se perde un patrimoine oral fragile et précieux. Régis Delanoë

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QUE VALENT NOS VIEILLES PHOTOS ? 20 septembre-octobre 2022 #58

Pour nos deux conservatrices, c’est souvent le temps qui permet de déterminer la valeur d’un cliché et sa possible place dans des collec tions muséales. « Il y a un temps de latence entre le moment de la prise photographique et le fait de savoir si c’est du patrimoine. Il faut parfois laisser “décanter”. Le regard qu’on

DOSSIER

Le statut des photos évolue »

«

Pour Gwenola Furic, les images de monsieur et madame Tout-le-monde comptent tout autant. « Car elles permettent de documenter une époque et un quotiden. Des clichés de femmes et d’hommes ordinaires, c’est la petite histoire dans la grande. »

Un avis que partage Manon Six, conservatrice au Musée de Bre tagne. Si dans les collections ver tigineuses de l’institution rennaise (500 000 œuvres et documents) on compte principalement des produc tions issues de studios professionnels, des photos de particuliers y trouvent également leur place. « Elles nous intéressent si elles viennent répondre à un manque de nos collections. Les photos familiales illustrent des pra tiques sociales avec un point de vue différent. Il y a plus de naturel et d’émotions que si elles avaient été prises par un professionnel, éclairet-elle. Les clichés d’amateurs que l’on collecte aujourd’hui peuvent aussi accompagner le don d’un autre objet. Exemple : un costume tradi tionnel. La photo vient ici attester son utilisation et le replacer dans son contexte. »

Elles sont là, parfois classées avec minutie dans des albums, le plus souvent rangées en vrac dans des boîtes à chaussures. Chez nos parents ou nos grands-parents, il nous arrive de tomber dessus en ouvrant le tiroir d’un buffet. Au milieu des papiers, courriers et vieilles factures, des an ciennes photos surgissent subitement du passé, nous ramenant quelques décennies en arrière. Mariages, repas de Noël, anniversaires, souvenirs de vacances ou simples moments du quotidien… Des clichés, qu’on avait oubliés pour certains, dont on ne soupçonnait pas l’existence pour d’autres, mais qui viennent alors s’inscrire dans notre mémoire Unfamiliale.patrimoine photographique à la simple valeur affective le plus souvent, mais pas toujours. Parmi ces vieux tirages, lesquels peuvent être consi dérés comme importants ? Lesquels peuvent être jugés plus anodins ? Une réflexion qui anime quotidiennement Gwenola Furic. Depuis son atelier basé à Redon, cette conservatrice et restauratrice photo (la seule dans tout l’Ouest) est amenée à travailler sur des supports confiés par des musées ou des archives municipales, ainsi que des Récemment,particuliers.elles’est ainsi penchée sur une vieille boîte transmise par une de ses cousines. « J’ai un oncle disparu dernièrement qui a laissé tout un tas de photos. C’était un expatrié qui a beaucoup voyagé : Afrique, Amérique du Sud, ProcheOrient… Sur ses photos, on voit : les chantiers sur lesquels il travaillait, des enfants, des apéritifs entre amis, des bateaux… Et puis, au milieu de ça, une pépite : une photo dans les rues de Téhéran au moment de la révolution. En 1979, il était en Iran et, comme il était un peu tête brûlée, il n’a pas eu peur de sortir avec son appareil. On voit des gens avec des kalachnikovs, d’autres qui courent… » S’il s’agit là d’un exemple fort, qu’en est-il pour les photos du quotidien, celles qu’on pourrait considérer comme banales ?

peut poser sur une photo change avec les évolutions de la société, développe Gwenola Furic qui se rappelle d’un travail effectué aux archives de Vitré. Le service avait récupéré un fonds repré sentant les intérieurs de banques et les distributeurs automatiques de la ville. On me demandait si c’était important de les conserver, j’ai répondu que oui !

Bikini:Photos

Mathieu Pernot confirme. Actuelle ment en résidence aux Champs Libres à

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Au Musée de Bretagne, Manon Six pour suit : « Même si des photos peuvent nous paraître anecdotiques, nous ne pouvons pas préjuger de ce que les générations futures trouveront intéressant. Le statut des photos évolue avec le temps. Pre nons les photographies d’entreprises par exemple. Hier, elles n’étaient pas vraiment estimées, aujourd’hui, on leur trouve un intérêt esthétique. »

Au-delà du fait que les agences bancaires tendent à disparaître, cela nous permet de montrer ce qui était perçu comme important et moderne à une certaine époque. »

Demeurant à Dinard, ce sexagénaire a retrouvé dans les affaires de son père, décédé il y a peu, plusieurs bobines de films tournés entre la fin des années 1950 jusqu’au milieu des années 1970. « C’était un passionné de caméras. Il avait une 16 mm avec laquelle il a filmé tout un tas de choses : des vacances en famille, des fêtes locales, des paysages… Parmi les événements notables : la Route du Rhum 1978, le passage du paquebot France, la construction du barrage de la Rance… », énumère ce passionné d’Histoire. « Loin de tout formatage » À ses côtés, Hervé Le Bris, qui s’occupe de la collecte des films à la Cinémathèque, n’en perd pas une miette. Les yeux collés sur les bobines, il ausculte les images, muni de sa loupe. « Là, je vois un bateau, un drapeau français, de la brume… C’est légèrement sous-exposé mais c’est très bien filmé », observe-til, visiblement ravi. En tout, ce sont sept bobines 16 mm et onze films aux formats vidéo 8 et Hi8 «

Les films de famille ont une vocation universelle »

Une volonté de transmettre qui a poussé Jean-Noël Séroin à sollici ter la Cinémathèque de Bretagne.

22 septembre-octobre 2022 #58

DOSSIER Rennes pour préparer une exposition au printemps 2023, ce photographe et artiste a déniché il y a cinq ans un lot d’anciennes photos représen tant des boutiques Kodak. « Elles datent de 1965 et se situent toutes en Bretagne », précise-t-il. Ces cli chés, dont l’incroyable charme s’est révélé avec les années, l’ont poussé à aller sur le terrain pour voir ce que ces magasins étaient devenus.

Ce que les archives avaient notam ment entrepris en 2009 avec l’opé ration “Regards neufs” : elles étaient parties à la rencontre des habitants de Cleunay en quête de témoignages et de photos pouvant témoigner de la vie dans ce quartier historique de l’ouest rennais. Ou encore l’exemple de cet habitant du Blosne, au sud de la capitale bretonne, qui depuis le douzième étage de sa tour, avait pris l’habitude de photographier le paysage à différentes époques. « Des documents qui permettent de mieux voir le développement de la ville et l’avancée des constructions avec un point de vue inédit », illustre Marie Penlaë qui précise que « les collectes suscitées, et non spontanées, repré sentent environ 30 % des dons ».

« Quasiment tous ont été remplacés par d’autres commerces. Ce que je trouve intéressant avec ces photos, c’est qu’elles permettent de témoigner d’une pratique de la photographie qui a disparu » , argue Mathieu Pernot habitué à travailler à partir d’anciennes collections dégotées dans des marchés aux puces ou sur Ebay. Un intérêt que les propriétaires de ces documents ne soupçonnent pas tou jours, rendant difficile leur conser vation et acquisition. Ce qu’observe Marie Penlaë, des archives munici pales de Rennes. « Le regard porté sur les anciennes photos varie selon les publics. Je pense notamment à une famille issue de la bourgeoisie rennaise qui avait conscience de l’importance de ses archives et qui est venue nous voir. Ses membres sont dans la construction d’un récit familial. Cela fait qu’on a pu récu pérer un fonds extrêmement fourni avec de nombreuses pièces qui per mettent de documenter Rennes. A contrario, les familles plus modestes ne sont pas toujours convaincues de la richesse de leurs archives. À tort ! Elles possèdent des choses passionnantes qui racontent tout autant la ville. Il nous faut donc faire l’effort d’aller les chercher. »

qui seront étudiés pour une possible numérisation et conservation dans les collections. Ils viendront s’ajouter au plus de 33 000 films qui composent actuellement le fonds. « Celui-ci est réparti à 50 % amateur et 50 % pro fessionnel », précise Hervé Le Bris qui, avec ses collègues, collecte environ 900 nouveaux films chaque année. Un patrimoine dans lequel Gaïd Pi trou, directrice de la Cinémathèque de Bretagne, souligne la part d’œuvres provenant de particuliers. « Cela fait partie de notre ADN. Ce sont des films qui n’avaient pas vocation à être conservés, alors qu’ils contribuent à la mémoire de la région. Les films de famille, en montrant l’intime, ont par ailleurs une vocation universelle. Ce sont des documents loin de tout formatage, dans lesquels on trouve davantage de sensibilité », estime celle qui pointe quelques priorités pour les futures collectes : « Les films amateurs en langue bretonne et en gallo. Certains territoires sont aussi moins représentés, comme le Centre-Bretagne. »

Julien Marchand

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J’AI RETROUVÉ LE LOUP ENFIN J’AI ESSAYÉ. LE FEUILLETON ANIMALIER DE L’ÉTÉ M’A AMENÉ DANS LE CENTRE-FINISTÈRE OÙ LE PLUS SAUVAGE DES CANIDÉS A OFFICIELLEMENT FAIT SON RETOUR. AHOUUUU ! 24 septembre-octobre 2022 #58 DOSSIER

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C’est d’ailleurs pour ça que c’est la préfecture et non Bretagne Vivante qui a publié le communiqué. »

« En dispersion » De ce loup, que sait-on exactement ? « C’est un jeune mâle de souche italienne qui aurait environ un an, comme le montre sa composition plutôt gracile. Il est très probablement issu des groupes reproducteurs de l’arc alpin. C’est certainement un loup en dispersion depuis son départ ou son éviction de son groupe familial d’origine. C’est tout ce qu’on peut dire jusqu’à présent », présente avec précaution Philippe Defernez, membre du Groupe mammologique breton (association d’étude et de défense des mammifères sauvages) qui, avec Bre «

Il est passé à une dizaine de mètres de la maison »

HolderEmmanuel 26 septembre-octobre 2022 #58 DOSSIER

De Berrien à Plounéour-Menez, en passant par Lannéanou, j’ai crapahuté dans le centre-Finistère à la recherche de cet animal qui, depuis mai, a of ficiellement fait son retour dans la région. Le long des petites routes, au milieu des landes, à l’entrée des champs et des sous-bois, j’ai scruté le moindre mouvement. À l’aube quand la brume nappait encore le paysage, en journée sous le ciel bleu et le soir quand la nuit tombait (le coucher de soleil depuis Roc’h Trédudon <3), j’ai guetté tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin au plus sauvage des canidés… En vain. En Bretagne, rares sont ceux qui ont réussi à voir ou photographier le loup. Parmi ces privilégiés, Emmanuel Holder. C’est grâce à lui que tout a commencé. Naturaliste de Bretagne Vivante, association de protection de la nature, il est notamment en charge de la réserve des landes du Cragou, à cheval entre les communes de Berrien et du Cloître-Saint-Thégonnec. C’est là que son appareil a immortalisé, le 4 mai dernier, l’animal (photo). Une belle prise, mais avant tout un joli coup de bol, avoue-t-il. « Il y a quelques temps, j’y avais vu un cerf, mais je n’avais pas réussi à le prendre en photo. En le suivant, je suis arrivé dans un petit bois où il y avait des traces d’animaux… Je me suis donc dit que c’était l’endroit idéal pour poser un piège photo afin de mieux connaître leurs habitudes et leurs heures de passage…, rem bobine-t-il. Quelques semaines plus tard, je suis aller le récupérer. Dessus, il y avait 30 vidéos : 29 de biches, chevreuils, marcassins… et une avec un canidé. Et clairement, ce n’était pas un simple chien. »

On y voit ce qui ressemble à un loup, de couleur grise, marchant tranquil lement de gauche à droite. Même s’il n’a guère de doute sur l’espèce de l’animal (« son masque labial, la taille de sa queue et sa gradation de couleurs sont des indices probants »), Emmanuel envoie tout de même la vidéo à l’Office français de la bio diversité (OFB) pour vérification, avant que la préfecture ne confirme le retour du “canis lupus” dans la région. Cela faisait plus d’un siècle qu’un loup n’avait pas été observé en BZH. « Cela nous pendait au nez (le 20 octobre 2021, un loup avait été signalé à Saint-Brévin-les-Pins, en Loire-Atlantique, ndlr). Le fait que le loup arrive ici n’était qu’une question de temps, mais quand je l’ai vu sur mon appareil, j’ai tout de même été surpris, reconnaît Emma nuel. Ça fait quelque chose car tu sais que ça va avoir un retentissement, avec de nombreux enjeux derrière.

’étais pourtant parfaitement équipé. Une paire de jumelles, mon appareil photo avec un méga zoom et une thermos de café pour rester concentré. Il ne me manquait plus qu’une veste sans manches multipoches et ma cas quette kaki achetée dans un surplus militaire au début des années 2000 (à une époque où c’était vaguement la mode) pour parfaire ma tenue de “chasseur” de loup.

tagne Vivante, est à l’origine du “Groupe loup”, effectuant « un travail de veille sur l’animal en Bretagne ». Depuis le 4 mai, l’individu se fait plus que discret. Il n’aurait été observé qu’à une poignée de reprises. À Berrien, si la vidéo a fait parler les jours qui ont suivi, les témoignages n’ont pas afflué. « On a juste eu un automobiliste qui est venu nous voir après l’avoir vu traverser la route en direction de Morlaix. C’était fin mai, fait savoir Hubert Le Lann, le maire de la commune. J’ai eu par contre un veau en divagation à 2 h du matin y a pas longtemps. Sinon c’est calme. » Éleveuse de chèvres sur les hauteurs de Plounéour-Menez, Marie Ménager fait partie des chanceuses à avoir vu ce qu’elle pense être le loup. C’était moins d’une semaine après l’épisode de Berrien. Depuis son immense jardin qui domine la crête des monts d’Arrée, alors épargnés par les flammes au moment de notre rencontre début juillet, elle raconte cette visite inattendue. « Il était environ 22 h. J’étais au téléphone avec une amie à ce moment-là, je regardais par la fenêtre de la cuisine quand, sou dain, j’ai vu passer le loup à une dizaine de mètres de la maison. Pour moi, ça ne fait pas de doute que ça en était un. Il ressemblait à celui qui a été filmé », Bikini

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Les différents témoignages dessinent un triangle Berrien-PlounéourLannéanou, localisé au nord-est des monts d’Arrée (relativement éloigné des secteurs de Brasparts et de Brennilis où près de 3 000 hec tares ont brulé cet été). Une zone qui selon Philippe Defernez est plutôt un bon spot. « Sur le plan théorique, il y a une ressource alimentaire non négligeable avec des populations de chevreuils, de cerfs et de sangliers… Sans oublier qu’il a une capacité à se nourrir de manière très opportuniste avec des petites proies : ragondins, blaireaux, renards… Les monts d’Arrée consti tuent également une zone de tran quillité pour lui servir de refuge.

« Il y a de fortes chances qu’il soit tou jours dans le coin. S’il se sent peinard et s’il a de quoi manger, il va rester..., ajoute Emmanuel Holder. L’ouverture de la chasse à l’automne pourrait en revanche peut-être le déranger. On peut aussi imaginer qu’au printemps prochain ça va commencer à lui grat ter le bas du ventre. À partir de là, plusieurs hypothèses : s’il est seul et s’il ne trouve pas de partenaire, il sera sans doute amené à partir pour en chercher une ailleurs. Par contre, s’il y a déjà plusieurs individus ici, ils vont finir par faire des petits. »

À deux kilomètres de là, c’est au hameau de Resloas, toujours sur la commune de Plounéour-Menez, que Marie-Anne Brusq affirme avoir vu l’animal cinq jours plus tard. « J’étais avec ma fille qui allait se coucher. En regardant par la lucarne de sa chambre, je l’ai aperçu : il sortait d’un chemin de terre, il est passé devant les poubelles et il est reparti. Il était calme et paraissait serein, raconte la quadragénaire. Ça n’a duré que quelques secondes, mais j’étais super heureuse. »

« Muloter » Dernière apparition en date, le 13 juillet, chez un agriculteur qui ra contait au Télégramme avoir réussi à le photographier à Lannéanou, au sud-est de Morlaix. Un cliché étudié par l’OFB qui confirme qu’il s’agit bien d’un loup, sans pour autant faire un lien avec celui de Berrien. Entre temps, un autre cultivateur avait également contacté Emma nuel Holder pour lui faire part de son témoignage. « Il aurait vu un animal “muloter” dans un de ses champs. Une technique de chasse qu’utilisent les renards, mais pas les chiens. Ce qui laisse penser, vu la description de l’individu, que c’était sans doute un loup. »

S’il se sent peinard et s’il a de quoi manger, il va rester »

Reste une question, sans doute la principale, où est-il aujourd’hui ?

De quoi imaginer, à plus ou moins long terme, une installation durable du canidé en Bretagne ? En plus d’avoir de la gueule (« ce retour «

DOSSIER témoigne celle qui a d’abord pensé à ses bêtes. Si son troupeau était alors à l’abri, c’est pour ses poules qu’elle a eu peur. « Mais le loup n’a pas pipé mot. Il était calme et marchait tranquillement. Il a traversé en diagonale, avant de disparaître. Au fond du terrain, j’ai un cabanon avec deux cochons mais lorsque j’ai été les voir, ils dormaient calmement dans la paille... »

Bikini 28 septembre-octobre 2022 #58

« Un retour du sauvage »

Même s’il faut souligner que c’est un animal très plastique dans son comportement. Il est susceptible de tolérer des milieux très anthropisés. Un loup à proximité d’une ville dans une grande plaine céréalière, ce n’est pas du tout une aberration. »

du sauvage renforce l’émerveillement qu’on peut avoir à se promener dans la nature. Quand tu es dans une forêt où tu sais qu’il y a un loup, cela prend toute de suite une autre dimension », juge Emmanuel Holder), cela ne serait finalement qu’un juste retour des choses. Car si le loup apparaît aujourd’hui comme un animal exotique, pour ne pas dire mythologique, il faisait pourtant hier partie du paysage. Vers 1800, sa population était estimée à 600 dans les cinq départements de la Bretagne historique, dont près de 300 rien que pour le Finistère grâce à ses nombreuses surfaces de landes et de bois. Avant qu’il ne disparaisse. « Depuis le Moyen Âge, le loup est un animal diabolisé. On l’a accusé de nombreux maux, comme le fait d’avoir propagé la rage par exemple, alors qu’on sait que les chiens et les renards étaient tout autant responsables », éclaire Delphine Toudic, directrice du musée du loup au Cloître-SaintThégonnec (unique établissement consacré à cet animal en France). On craignait aussi qu’il ne s’attaque aux

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«

Parmi les premières missions du lieu : corriger les problèmes de comporte ment (stress, ennui…) liés à la cap tivité. « Le but est également qu’ils créent des liens entre eux et qu’ils se désimprègnent de l’Homme. Moins on a de contact avec eux, mieux c’est », insiste Willy pour qui « des loups à l’état sauvage en Bretagne devraient être quelque chose de normal. Il n’y a pas à s’en inquiéter. Ils ne seront jamais en surpopulation : les meutes s’adaptent à la ressource alimentaire présente sur leur territoire ». « Esprit de protection » Un discours qui fait tiquer certains éleveurs. Si une partie d’entre eux ne sont pas du tout préoccupés par ce come-back (à l’image de Marie Ménager à Plounéour-Menez malgré ses 47 chèvres en semi-liberté : « Tant qu’il n’y a pas d’attaques sur les bêtes, pourquoi est-ce que j’aurais peur ? Ce sont davantage des chiens errants dont il faut se méfier. On verra en temps voulu »), d’autres en revanche préfèrent anticiper.

« Game of Thrones » Jusqu’au 4 mai dernier, les seuls loups connus dans la région se trouvaient en captivité. Parmi les principaux lieux, le domaine de Menez Meur à Hanvec, dans le centre-Finistère, où vivent actuellement quatre individus (« le jour de la vidéo, j’avais d’ailleurs appelé l’équipe du domaine pour savoir si elle les avait tous bien », glisse le naturaliste de Bretagne Vivante). Une présence avant tout due à un concours de circonstances. « En 1990, les services de l’État avaient récupéré un loup chez un particulier qui n’avait pas d’autori sation. Ils cherchaient un lieu pour l’accueillir, retrace Thibaut Thierry, directeur du développement du Parc naturel régional d’Armorique, chargé du domaine de Menez Meur. Pour des raisons d’histoire du loup dans le Finistère, de pédagogie auprès du public et aussi d’attractivité du domaine, les élus de l’époque ont souhaité en faire venir d’autres pour constituer une meute. Depuis, les effectifs ont évolué : il y a eu des mor talités naturelles, des naissances…

DOSSIER troupeaux, ainsi qu’aux hommes – à tort, car c’est un animal plutôt craintif. On va alors encourager son abatage. Des primes sont même versées à ceux qui les tuent. » La dernière de ces bourses est ainsi attribuée en 1891 à Milizac, dans le nord-Finistère. D’autres phéno mènes, comme la diminution des forêts et le défrichage de la lande expliquent aussi sa disparition. « C’est pourtant un animal qui a marqué la région et qui fait partie de son patrimoine », poursuit Delphine Toudic. Que ce soit dans la toponymie (en témoignent les nombreux lieuxdits nommés ”bleiz”, loup en breton), les armoiries (un paquet de blasons de communes et de familles utilisent la figure du loup), ainsi que dans les légendes populaires ou religieuses (plusieurs saints bretons ont le loup comme emblème : saints Thégonnec, Malo, Tujan, Brieg, Ronan, Hervé…).

30 septembre-octobre 2022 #58

Pour aujourd’hui compter un mâle et trois femelles. »

« Depuis Game of Thrones, il y a une explosion des hybridations. Les croisements sont pourtant interdits, mais il y a pas mal de trafics, fait savoir Willy Bigot, fondateur en 2006 de ce refuge qui s’étend sur plus de 30 hectares. Les individus présents ici proviennent soit de saisies suite à des détentions illégales, soit il s’agit d’anciens animaux du spectacle. »

À Lescouët-Gouarec, à la frontière entre les Côtes d’Armor et le Morbi han, le refuge de Coat-Fur accueille quant à lui 17 canidés : dix loups, six hybrides de loups avec des croisements de sous-espèces et un hybride loupchien.

La question n’est pas d’être pour ou contre le loup... »

Parmi les outils privilégiés par Kristen : un patou, un chien protégeant le trou peau. « C’est actuellement la meilleure option, mais cela prend deux à trois ans avant que le chien ne soit opérationnel. Voilà pourquoi il faut que les éleveurs entament une réflexion dès à présent. »

Des problématiques que comprend Emmanuel Holder. « Je me mets à la place d’un berger : je n’ai pas forcément envie de voir ma vie chamboulée par l’arrivée d’un bestiau, mais des solu tions existent. » Autorisés uniquement sur décision préfectorale (le loup étant une espèce protégée), les “tirs de pré lèvement” peuvent-ils être une bonne idée ? Pas des masses, répondent nos naturalistes. « Les tirs de défense se font en dépit de la nécessité de protéger efficacement les troupeaux. Tout comme d’autres dispositifs : si on subventionne des filets d’une hauteur de 80 cm par exemple, alors qu’un loup peut sauter au-dessus, ça ne sert à rien, juge Philippe Defernez, du Groupe mammalogique breton, pour qui seul le facteur humain conditionnera l’avenir du loup. Ce sont les décisions politiques et les compor tements de l’Homme qui perturbent son implantation. La gestion française permet l’abattage à une échelle qui est peu compatible avec un véritable esprit de protection. »

C’est le cas de Kristen Bodros, éleveur de 90 brebis en bio, à Landébaëron, près de Guingamp . En novembre 2021, ce membre actif de la Confédération Paysanne des Côtes d’Armor avait orga nisé une formation pour se prémunir du retour du loup en BZH. « L’idée était de mieux comprendre les enjeux en termes de prédation et de présenter les dispositifs mis en place dans d’autres régions. La question n’est pas d’être pour ou contre le loup, mais comment on fait avec. Car cela va perturber notre travail et nos conduites d’élevage. »

Julien Marchand

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Dans la foulée, je retrouvais Léo, le batteur, pour des vacances. Il m’a dit qu’il voulait arrêter. On s’était fait la promesse que si l’un de nous partait, c’était la fin des Madcaps. »

« Un groupe, c’est comme un couple, confirme Thomas Dahyot, ancien leader des Madcaps. On s’est uni parce qu’on s’aimait et parce qu’on croyait en un avenir ensemble. Et quand survient la rupture, pour ne pas que ça parte en éclats, il faut savoir agir avec intelligence et respect. Se dire qu’on s’apprécie encore mais qu’on n’est plus amoureux. »

COMMENT (BIEN) FINIR UN GROUPE 32 septembre-octobre 2022 #58

Une union tacite célébrée dans un studio de musique, autour d’un projet qu’on espère amener loin, très loin, jusque sur les plus grandes scènes et en tête de gondole des disquaires. Mais tout le monde n’est pas les Rol ling Stones, à durer ensemble jusque près de 80 ans. Après un temps plus ou moins long, il faut généralement savoir dire stop.

Ce même accord tacite entre musi ciens-copains a lié pendant 18 ans les membres de Craftmen Club. Pour les Guingampais qui avaient DES RÉPÉTITIONS, DES ENREGISTREMENTS, DES MOMENTS FORTS SUR SCÈNE, ET PUIS PARFOIS LES GALÈRES, LA ROUTINE… JUSQU’À DÉCIDER D’ARRÊTER. CONCERNÉS, DES MUSICIENS RACONTENT CETTE FIN D’AVENTURE.

La fameuse fin d’Oasis sur une dernière méga engueulade entre les frères Gallagher dans les coulisses de Rock en Scène le 28 août 2009 n’est pas vraiment la norme. Bien plus souvent, un groupe acte sa fin dans le calme et l’intimité. « Un jour de répétition, c’est un sujet qu’on a mis sur la table, presque comme un autre. On s’est dit : “On est fiers de ce qu’on a fait jusqu’à présent. Si ça devait s’arrêter, il faudrait prendre la décision ensemble” », témoigne Théo Radière des Nantais de Von Pariahs, dont l’aventure s’est arrêtée en juin dernier. Pour les Madcaps, « la fin s’est actée en deux temps, retrace Thomas. En 2018, à l’issue d’une bouffe entre nous, j’ai mis les pieds dans le plat : “Des musiciens qui ne jouent plus, un disque qui met du temps à venir, c’est un groupe qui s’arrête.” Chaque répétition devenait plus laborieuse, mais on n’était pas encore prêts à s’avouer que c’était fini. On a conti nué quelques mois de plus. Jusqu’au concert de trop en février 2019, à La Grange à Musique à Creil. L’accueil était super, le public aussi, tout était réuni pour que ça roule mais… il ne s’est rien passé entre nous. On a fait le concert comme on va au boulot.

RÉCEMMENT

DOSSIER la vie, à la mort. Il en va de l’existence d’un groupe comme de celle d’un couple uni par les liens du mariage. Pour le meilleur et pour le pire, les succès et les emmer dements, un disque bien noté dans une revue qui compte et ce putain de fourgon rempli de matos en panne sur une aire de repos. Ce sont des liens d’amour fraternel qui se jouent. On s’engage à tout vivre ensemble, les joies et les peines.

ACTER LA SÉPARATION

« On finissait par tourner un peu en rond, poursuit l’ex-membre de Craftmen Club. À mesure des années, l’enthou siasme était redescendu. Le rock avait moins la cote, les programmateurs don naient l’impression de nous tourner le dos. On se prenait la tête à faire des supers albums pour au final les défendre sur une dizaine de dates. Ça use. » Une déconvenue que Yann a doublement connue, avec l’arrêt de Thomas Howard Memorial, son autre groupe, quelques mois après. « Là ce qui nous a achevés, MichéaBrice

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fait leurs débuts en 2000, la rupture a été consommée à domicile le 12 mai 2018 au stade de Roudourou. « Pour fêter la fin de saison, le club nous avait convié à une soirée où on partageait l’affiche avec Boney M et un gars qui chantait la Macarena… Ça partait d’une bonne intention mais ça a été le concert de trop. On avait l’impression de devenir des bêtes de foire », se rappelle Yann Ollivier, le batteur. SANS REGRET

FINIR

Le fait que les Madcaps devenaient moins le projet central de chacun des membres du groupe a également contribué à sa fin, analyse Thomas : « Des chemins s’écartent. Musica lement, on n’était plus sur la même longueur d’onde. Pour contenter tout le monde, ça aboutissait à un consensus mou. Résultat : moins de hargne sur scène. D’autant que notre dernier tourneur nous a fait des faux plans avec des dates péraves et des bornes pour rien. Je suis prof à côté, toutes mes vacances y passaient. Un moment tu te dis : “À quoi bon ?” »

DOSSIER

« Certains groupes arrêtent parfois sans rien dire ni faire, de mort natu relle, observe Tom Picton, boss de Howlin’ Banana, le label de Combo matix et des Madcaps. Notre rôle est d’accompagner les groupes jusqu’au bout et on a quand même tendance à conseiller le dernier baroud sur scène, pour boucler la boucle plus proprement. Dans notre cas, les en jeux financiers ne sont pas énormes mais l’impact est d’abord affectif. »

Tous les groupes interrogés dans le cadre de cette enquête ont décidé d’en finir sur scène. Dans le cas de Mansfield.TYA, ce sera le 1er no vembre dans un Olympia de Paris rempli à ras bord. Pour les autres, « Un dernier concert, des joyeuses funérailles »

OppermannSoliotopoulosÉléonore 34 septembre-octobre 2022 #58

PRÉVENIR L’ENTOURAGE ET LES FANS

Pour les Von Pariahs aussi, la pandé mie a été fatale. « Ça nous a coupé les pattes, confirme Sam Sprent, le chanteur de la formation nantaise. Faut dire aussi qu’on avait dépassé la trentaine, avec des enfants pour certains d’entre nous, des projets parallèles mis en sommeil qui ont peut-être ressurgi pendant la période de confinement… Petit à petit, on s’est aperçus que ça devenait compliqué de trouver des créneaux pour répéter. »

c’est clairement le Covid. On sort un album le 31 janvier 2020 et avec ce foutu virus on n’a jamais pu le jouer sur scène. Déjà qu’avant c’était com pliqué, là ça devenait impossible… »

Lorsque Rosaire s’est arrêté de tourner après 2019, c’est de temps pour les études que ses membres ont manqué, reconnaît Guirec Feuvrier, le bassiste : « Je voulais poursuivre les cours, parce que faut être hon nête, on gagne rarement sa vie de la musique. Quand l’année d’avant on sort l’album Crystal Eyes et qu’on est invité à jouer à domicile pour Art Rock, on a vite capté qu’on avait atteint un plafond de verre. On a kiffé mais y a un temps pour tout. »

Une fois prise la décision d’arrêter, reste à en informer les suiveurs. Une étape facile de prime abord, mais pas forcément selon Guirec : « Inconsciemment, on avait du mal à l’exprimer je crois. Pendant quasi deux ans notre page Facebook est restée sans nouvelle. Comment dire au-revoir ? On ne savait pas comment faire. » Encore plus long, le groupe de garage rennais Combomatix a mis six ans à se décider d’annoncer sa fin définitive ! Dans l’intervalle, Charles Samson le guitariste-chanteur a monté un projet parallèle nommé Bikini Gorge, tandis que Yann Le Corre, son compère batteur, s’était éloigné des fûts. « Chacun traçait sa route mais il fallait clarifier la chose. Donner à cette fin un aspect “joyeuses funérailles”. C’est ainsi que nous est venue l’idée d’un dernier concert. »

CHOISIR SES ADIEUX

Pour Joran Le Corre, coresponsable de Wart, la structure morlaisienne qui accompagne Mansfield.TYA jusqu’à sa fin programmée à l’automne, les répercussions sont en revanche plus importantes. « C’est l’une des têtes de pont de notre catalogue. Il y aura un manque à gagner, c’est sûr. En attendant, elles nous font un beau cadeau d’adieu. » Avec une dernière tournée triomphale pour accompa gner le dernier album de Julia Lanoë et Carla Pallone paru en 2021.

FuhrmannJayh

l’aventure est déjà terminée. Depuis le 28 octobre 2018 et une dernière date au Vauban à Brest pour Craftmen Club. Depuis le 20 septembre 2019 et un ultime concert au Café de la Danse à Paris pour The Madcaps (précédé de premiers adieux au public rennais au 1988 Club le 14 juin de la même année).

Depuis le 3 juin dernier au off d’Art Rock pour Rosaire. Depuis le 15 juin et un triomphe à domicile au Stereo lux de Nantes pour les Von Pariahs. Et depuis le 9 juillet pour Combomatix, qui a décidé d’organiser un ultime set au bar-concert rennais Le Melody Maker, où le duo a joué plusieurs fois par le passé. « C’était complément cohérent de finir là-bas, estime Charles. D’autant que le bar change de proprié taire. On a été les derniers à y jouer avec l’ancienne équipe en place avec qui on avait de forts liens. »

Le choix du lieu pour l’ultime concert est d’ailleurs important car générale ment hautement symbolique. Autre exemple avec Craftmen Club qui en a fini dans cette salle du Vauban que le groupe connaît bien. « Au fil des ans, on avait noué un fort lien de complicité avec le public brestois », note Yann. Preuve que Guingampais et Brestois, hors football, peuvent s’entendre.

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Pour Guirec en revanche, l’aprèsRosaire devrait s’inscrire loin d’une scène. Sans regret. « Après le dernier concert, j’ai parlé à ma basse et je lui ai dit : “Toi ma vieille, tu prends ta retraite !” Je ne me suis jamais senti artiste dans l’âme. Pour moi c’était le groupe d’une vie. » Arrêter la musique a également tra versé l’esprit de Thomas, pour qui l’après Madcaps s’est avéré compli qué, avant de repartir en solo depuis un an sous le nom d’artiste Pepper White. « J’ai mis des mois à m’en remettre tellement j’étais anéanti. Des soirées entières, je regardais d’anciennes photos, les itinéraires de tournée… J’ai ressassé cette vie magique dont on ne prend conscience qu’une fois passée : monter sur scène avec ses meilleurs potes et se faire porter par la foule. Sans les Mad caps, ça me semblait inconcevable de continuer. Et puis je me suis remis à écrire et à composer. C’est plus fort que moi, comme une thérapie. Finalement, finir un groupe, c’est douloureux mais on s’en remet. La vie continue. » Régis Delanoë Mansfield.TYA : le 27 octobre à La Carène à Brest « Depuis le début de la tournée, l’émotion monte »

DOSSIER GÉRER L’ÉMOTION

PlantardSylvain 36 septembre-octobre 2022 #58

Ces derniers moments passés en semble et avec le public s’avèrent particuliers, forcément. « C’est un moment étrange, le temps est sus pendu, tu vois ta vie qui défile. 18 ans, putain… La salle était blindée, on a rejoué des vieux morceaux sans se rater, c’était une belle dernière », poursuit le batteur de Craftmen Club. Pas facile de jouer de la guitare avec les mains qui tremblent un peu plus que d’ordinaire, reconnaît Thomas des Madcaps : « Au 88 Club, on a étiré le set au max, 1 heure 45 et plusieurs rappels. J’ai bien pris le temps de regarder les visages face à moi : les copains et la famille venus en nombre, même d’anciens élèves ! Le son était un peu dégueu, j’ai joué au milieu d’une marée de câbles, c’était pas les conditions idéales mais c’est pas grave, c’était génial. »

Charles, de Combomatix, est déjà tourné lui aussi vers un nouveau projet de groupe nommé Chris Pal. Du côté des ex-Von Pariahs, si certains membres ont décidé de se mettre en retrait de la musique, Théo et Sam poursuivent leur col laboration avec un projet futur à deux qui a pour nom Robock. Les Mansfield.TYA ne manquent pas non plus d’envies d’autres choses, d’après leur tourneur Joran : « Julia devrait continuer dans l’électro et Carla plus dans du baroque et de la musique de film. »

Pour gérer l’émotion, Théo des Von Pariahs a choisi de dédramatiser le moment. « À aucun moment on s’est dit que c’était la dernière. On a fait le job, mais avec ce petit plus d’énergie apporté par les potes, les gens du label, les proches… Ma fille de 3 ans a pu me voir jouer avec le groupe pour la première et la dernière fois. Et ça, c’est cool. » Joran redoute déjà les adieux à venir de Mansfield.TYA, tapi dans l’ombre de l’Olympia. « On les suit depuis quinze ans. On s’aime tellement, je sais pas comment je vais gérer ça. Là déjà depuis le début de la tournée, je sens que l’émotion monte… »

Après Craftmen Club et Thomas Howard Memorial, Yann poursuit en solo avec son projet Pandapendu.

PRÉPARER L’APRÈS Une fois le dernier concert bouclé, une fois le matos rangé, que faire ? « C’est une petite mort et franchement c’est pas facile, avoue Yann. Mais logiquement si t’as bien géré ta fin de groupe, ça le fait. Humainement déjà, on s’entend tous encore très bien, peut-être justement parce qu’on a su arrêter à temps pour rester potes. »

JEU COLLECTIF 38 septembre-octobre 2022 #58

RDV FORMATION TENTACULAIRE, CAROLINE CULTIVE L’ESPRIT DE TROUPE QUI L’ANIME DEPUIS SES DÉBUTS

UN POST-ROCK DÉLICAT ET EXALTANT. l’heure où la majo rité des groupes de musique s’articulent autour de trois ou quatre membres, il est toujours surprenant de voir débouler une formation copieusement garnie. C’est le cas de caroline. Un collectif à huit têtes qui s’est formé entre Manchester et Londres, la capitale britannique apparaissant actuellement comme un terreau idéal aux groupes plétho riques (Black Country, New Road et ses sept membres, ou encore Blue Bendy et ses six musiciens).

Une envie de la jouer collectif qui guide caroline depuis ses débuts en 2017. « La plupart d’entre nous étions déjà amis avant de monter ce projet. Mike, Hugh et moi jouons de la musique ensemble depuis notre adolescence. Casper et Freddy se connaissent depuis l’enfance. Et une partir d’entre nous se sont rencontrés à l’Université de Man chester », rembobine Jasper, à la fois guitariste, violoncelliste, batteur et Cetchanteur.esprit de groupe, sans d’autres idées que de se faire plaisir (« nous n’avons jamais vraiment eu d’ambi tion, assure Jasper, nous voulions juste faire des morceaux que nous aimions »), s’est rapidement concrétisé par des sessions d’im provisation collective. Un mode de création toujours prisé par la formation. « Nous nous réunis sons encore pour travailler de cette façon. Cela permet d’expérimenter et de générer des idées. Cette spon tanéité est excitante. Quand vous vous synchronisez soudainement sur quelque chose tous ensemble, c’est un sentiment vraiment unique, poursuit Mike, guitariste. En dé but d’année, nous avons d’ailleurs réalisé une performance publique : une improvisation de cinq heures durant laquelle d’autres amis nous ont rejoints. » Le collectif, encore et C’esttoujours.surle label Rough Trade qu’est sorti, en février 2022, leur premier album éponyme. Un disque oscillant entre post-rock et ambient folk sur lequel le groupe s’est fait aider par John Murphy, l’ingé son des Dublinois de Lankum, actuels chefs de file de la scène néo-trad irlandaise. Pas vraiment un hasard, fait savoir Mike. « Nous étions fans du son de leur dernier album (The Livelong Day, sorti fin 2019, aussi

POUR DÉVELOPPER

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Lankum et caroline sont des groupes très différents mais il y a quelque chose de très “bourdonnant” dans leur musique qu’on retrouve éga lement dans la nôtre. »

Une vibration qui donne corps aux principales pièces et longues plages de l’album : Dark Blue, IWR, Skydiving onto the library roof… Des morceaux aux émotions contrastées, pouvant tout autant illustrer le chaos que la résurrection. Des titres « parfois plein d’espoir, parfois non », indique Jasper qui ne souhaite pas « prédéterminer les émotions que chacun peut res sentir ». Casper, second guitariste, théorise davantage : « Nous essayons, consciemment ou inconsciemment, de trouver une forme musicale qui ait un sens avec ce que ressentons. Le confi nement et ses conséquences, ainsi que des mouvements comme Black Lives Matter ont eu un impact. Cela a été une rupture importante. Les tensions actuelles, les crises économiques, poli tiques et climatiques que nous traver sons nous questionnent. Cela nourrit nos instincts de création. »

chez Rough Trade) qu’il a produit et enregistré.

Julien Marchand Le 9 novembre aux Indisciplinées à Lorient Le 10 novembre à l’Antipode à Rennes

« Ce morceau est tiré d’une expres sion réunionnaise, mais c’est aussi une référence au titre Donna Lee de Charlie Parker. » Brice Miclet Sortie le 16 septembre

GaumontetVoodooDino:Photos

UNE MUSIQUE À

40 septembre-octobre 2022 #58 RDV LA COMPILATION « REBIRTH OF JAZZ » SOULIGNE LES LIENS HISTORIQUES ET MÉCONNUS

QUE LORIENT A ENTRETENUS AVEC LE JAZZ. QUI LA VILLE DOIT, EN PARTIE, SA RECONSTRUCTION. n jour, un type est rentré dans Corner Records, le magasin de disques de Julien Lo Bono, à Lorient, se souvient Emma nuel Le Priol. Il disait que la ville était merdique, qu’à part le rock celtique, les gens ne connaissaient rien à la musique. On a décidé de prouver qu’il avait tort. » Voici le point de départ de la compilation Rebirth Of Jazz, élaborée par les deux garçons, fondateurs du label local Rebirth Of Wax. Un hommage à une histoire méconnue, celle de l’un des tout premiers clubs de jazz de Paris. En 1946, Lorient se remet des terrib les bombardements qui ont réduit plusieurs quartiers de la ville à l’état de gravats. À Paris, une famille de Bretons, les Pérodo, décide d’ouvrir un lieu dédié au jazz dans le 5e ar rondissement, première « cave à zazous » du pays, et d’envoyer les bénéfices en Bretagne pour œuvrer à la reconstruction de la ville. Son nom : Le Caveau des Lorien tais. Ouvert le 17 avril 1946, on y croise Boris Vian, Juliette Gréco, Tyree Glenn, Jean-Paul Sartre… Le tout Paris branché jusqu’à l’os s’y retrouve pour danser le lindy hop. Fermé pour des questions de sécu rité, Le Caveau des Lorientais aura à peine existé deux ans, et sombrera peu à peu dans l’oubli. « Une histoire sur laquelle nous sommes tombés par hasard, retrace Emmanuel Le Priol. Quand on la racontait à nos amis, ils trouvaient cela fascinant. Alors, l’idée nous est venue de faire appel à des musiciens ayant un lien avec Lorient, hors de l’esthétique celtique, et de compi ler certains de leurs morceaux rares. Et ainsi de montrer que Lorient a un lien profond avec le jazz, que l’expression “Loriengeles”, que l’on employait dans nos années hip-hop, est toujours d’actualité. »

LA PUISSANCE DU PORT DU JAZZ

Parmi les invités : Philippe de Lac roix-Herpin, musicien phare de la scène rennaise des années 1980, Lo rientais d’origine, et dont les titres La Dense Danse, en duo avec son compère Daniel Paboeuf, et surtout Donn’ A Li Baba ! sont ici présents.

« Max Richter, Nils Frahm, Hans Zimmer, Philip Glass, Steve Reich…, égrène-t-il. Je partage avec eux la quête de la musique entê tante et des boucles répétées jusqu’à la perfection. »

DR Quel est le point commun entre Soprano et Charlie Chaplin ? Réponse : Damien Fleau. Le compositeur malouin de 41 ans au CV bien rempli s’est vu confier la B.O du docu consacré au premier, et a collaboré au spectacle musical de James Thierée, petit-fils du second. L’ancien élève du conservatoire de Rennes est un habitué des grands écarts musicaux et des expériences en tous genres, lui qui a aussi fondé son propre label (Laborie Jazz), monté un quartet de jazz et travaillé sur des musiques de pub. Mais sa grande passion reste la musique de film, spécialités ambient et minimaliste.

R.D Le 10 sept. au Palais des Arts à Vannes Le 23 sept. à Baisers Volés à Saint-Malo

41 DO À DO

LE MALOUIN DAMIEN FLEAU DÉVOILE SON PREMIER ALBUM, TOUT EN PIANO ET MINIMALISME.

Revenu à Saint-Malo il y a cinq ans après pas mal d’années sur Paris, Da mien se lance en solo avec un premier album composé au piano et orchestré au synthé (Breaking Waves, à paraître en novembre), ainsi que de premières dates où il se distingue en jouant… dos au public. « C’est un choix artistique. On a beaucoup travaillé la scénographie avec un ingénieur lumière et des jeux de fumée. L’idée, c’est de permettre au public de voir le travail sur les claviers et les machines. »

ET C’EST PAS

Le rock est mort, paraît-il. Alors pour le ressusciter, Sir Greggo secoue bien fort et fonce dans le tas. Ce trio est né à Plougoulm, où deux des membres du groupe, Charles et Édouard, sont originaires et ont passé leur confine ment. C’est là-bas, en pays léonard, qu’ils ont rencontré le troisième lar ron, Fulup. « Il est flûtiste, issu du réseau Diwan et des irish sessions. Édouard et moi, on est plus de l’école rock classique, avec plusieurs projets de groupes dans les pattes depuis le lycée, dont Abram », retrace Charles. Les trois avaient envie de fusionner leur musique ensemble, mêlant la flûte de l’un avec la batterie et la guitare-basse des deux autres. Rude tâche. « On a mené un gros travail de recherche sur la flûte branchée sur des amplis guitare, pour lui enlever un peu de sa couleur trad’. » Enregistré au studio Streat ar Skol de SaintCadou, le premier album éponyme de Sir Greggo sorti en début d’année est un objet musical difficilement définissable, qu’on peut néanmoins classer au rayonnage de King Gizzard et de Oh Sees. « C’est une sorte de post-punk psyché assez libre dans l’esthétique, synthétise Charles. On touche un peu à tous les styles. »

DR 42 septembre-octobre 2022 #58

JON TONIC Il y a plus de 20 ans déjà, sévissait Jon Spencer avec son groupe d’avant, The Blues Explosion. Revoilà le lascar avec cette fois The Hitmakers, une bande de musiciens tout spécialement au service de son garage blues incendiaire qui ne fait pas dans la dentelle. One two three, viva la furie ! Le 3 novembre aux Indisciplinées à Lorient et le 4 aux Sons d’Automne à Quessoy.

Ce qui marche : le disque et la soixantaine de concerts joués depuis fin 2019 ont convaincu l’équipe d’Horizons (dispositif piloté par l’Antipode et Le Jardin Moderne) d’accompagner le groupe dans son développement. R.D Le 7 octobre à L’Antipode à Rennes SIR GREGGO PSYCHÉ, PUNK ET JAZZ. DU PIPEAU.

CoscarelliBob

FLÛTE ALORS ! LE TRIO FINISTÉRIEN

RDV

MIEL POPS

Trois ans après son premier album, Miel de Montagne revient avec Tout autour de nous. Un disque de pop espiègle qui rappelle Flavien Berger ou encore Jacques (avec qui il partage d’ailleurs le titre Le Tuto). Le 23 septembre au 6PAR4 à Laval, le 11 novembre aux Rendez-Vous Soniques à Saint-Lô et le 3 décembre à La Carène à Brest.

FUSIONNE

Signé sur le label rennais indé Para pente, S8jfou décline également son art en live. Avec l’artiste designer Simon Lazarus, il bâtit une colla boration scénique en interaction avec leur discipline respective : « Le live, c’est une autre recherche que l’album, confie-t-il. Celle du dia logue en réseau entre deux logiciels et deux machines qui ne sont pas initialement conçues pour cela. »

MUSIQUE DE DINGUE Budovitch 44 septembre-octobre 2022 #58

Le néo-Pyrénéen s’y détache de son album. Ici, la musique inspire l’image et vice-et-versa. « Il y a toute une partie du live où la ges tuelle de Simon et son tracé vont produire une mélodie sur laquelle je l’accompagne. C’est très percep tible visuellement. Parfois, c’est lorsque je joue du clavier que des éléments visuels principaux vont se mouvoir, et j’en profite aussi en changeant mon jeu en conséquence, ou en créant volontairement des “glitchs ” dans le son pour voir comment les images vont réagir. »

Les influences d’Aphex Twin ou de Nicolas Jaar, musicales ou conceptuelles, sont limpides, fai sant de S8jfou un artiste connu des connaisseurs, aimé des amateurs.

ÉLECTRONIQUE ET ATYPIQUE, LE NANTAIS S8JFOU SORT SON NOUVEL ALBUM EN CETTE RENTRÉE. UN DISQUE ACCOMPAGNÉ D’UN LIVE HYPNOTIQUE MÊLANT MUSIQUE ET DESIGN.

l n’y a pas si longtemps, S8jfou (à prononcer “suis-je fou”) était du genre à vaga bonder dans Nantes, à y graffer son blase et à se mêler à la faune underground de la capitale ligérienne. Mais, même grande, la ville lui semblait trop étroite. Il a fini par s’en aller, par se fondre dans la campagne pyrénéenne ou il a construit, seul, sa propre mai son, pour mieux se concentrer sur sa Sesmusique.deuxpremiers albums, à savoir Constr8re Sa Maison en 2016 puis Too Much Humans en 2019, sont, comme leur nom l’indique, empreints de cette volonté de fuite et de tranquillité créatrice.

Comme une soif d’expérimenta tion. Brice Miclet

Le 8 octobre à l’Antipode à Rennes dans le cadre du festival Maintenant

Pour ce nouvel album, Op.Echo, S8jfou s’est fixé des contraintes, des barrières créatrices. Il a décidé de n’utiliser que deux outils digi taux disponibles sur le logiciel de composition Ableton : le synthé tiseur Operator et le delay Echo. Une nouvelle preuve de sa men talité “less is more” qui illustre qu’avec peu, qu’avec moins, on peut faire bien plus.

RDV

Le 9 septembre à Hydrophone à Lorient

GunterbergdeEnfantsLes 46 septembre-octobre 2022 #58 FOCUS

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Un moyen pour le garçon de re prendre, d’une certain façon, le flam beau familial. « C’est mon grand-père, Édouard Le Bris, qui a créé la PAM en 1928. Et j’ai longtemps habité audessus de l’imprimerie. J’ai usé mes fonds de culotte à jouer dans les soussols au milieu des presses typo et de la linotype. »

Une liste longue et non exhaustive qui peut sembler fourre-tout, mais pas du tout, assure Antoine. « Toutes les personnes qui feront vivre le lieu par tagent des valeurs communes : l’envie d’un monde plus juste qui passe par l’humain, le local, la transition écolo gique… Nous faisons tous le constat qu’il y a des problématiques sociales et sociétales auxquelles nous voulons répondre. Notre volonté, c’est d’impri mer le futur. »

UNE NOUVELLE PAGE POUR LA PLUS ICONIQUE DES IMPRIMERIES BRESTOISES QUI, AU MILIEU DU 20E SIÈCLE, A CONNU UN ÂGE D’OR GRÂCE AUX ÉTIQUETTES DE BOUTEILLES DE VIN. Au cœur du centre-ville de Brest, la PAM s’apprête à connaître une nouvelle vie. Fini les activités d’im pression et de papeterie qui ont fait pendant 90 ans sa renommée, place désormais à un tiers-lieu qui investit les 3 000 m2 du 16 rue Pasteur. Une structure aux contours mouvants portée par une diversité assumée d’ac teurs. « Quand on rentrera, il y aura une boutique de produits éthiques, une boulangerie… Ici, des bureaux et des espaces de coworking, une salle de danse…, présente Antoine Horel lou, un des porteurs de ce nouveau projet, qui nous fait la visite. Là-bas, un maraîcher, une librairie solidaire, un cabinet de conseil spécialisé dans l’environnement… En bas, un “food court” avec restaurants, bars, microbrasserie… »

« IMPRIMER LE FUTUR » FERMÉE EN 2018, LA PAM RENAÎT DE SES CENDRES AVEC L’OUVERTURE D’UN TIERS-LIEU.

« Chaque année, cela représentait des millions et des millions d’étiquettes, ce qui a contribué à l’âge d’or de la PAM jusque dans les années 1970 », souligne Grégory Le Bris. ÂGE D’OR Des machines qui pendant près d’un siècle ont tourné à pleine balle. D’abord rue Vauban, puis à Morlaix durant la Seconde Guerre mondiale (c’est là d’où vient le “M” de PAM : Presse Armoricaine Morlaisienne), avant de revenir dans la cité du Ponant en 1955. Une époque où le secteur de l’imprimerie était alors important. « Au début du 20e siècle, cela repré sentait un million et demi de personnes en France. Nous étions sur une activité qui n’était pas aussi automatisée qu’au jourd’hui et qui avait un fort besoin de main d’œuvre», situe Grégory Le Bris, autre petit-fils du fondateur, qui de 2000 à 2018 a dirigé l’entreprise.

48 septembre-octobre 2022 #58

FOCUS VINS DU MAGHREB Si la PAM a réalisé toutes sortes d’impression (formulaires d’entre prises, affiches, brochures, fairepart), une production a marqué son histoire : les étiquettes de produits alimentaires. Et en particulier celles des bouteilles de vin. Nous sommes dans les années 1960 et les Bretons consomment alors de belles quantités de rouquin (en moyenne, 130 litres par an et par habitant). Dans la région, des centaines de négociants mettent en bouteille du vin en provenance du Maghreb (principalement Algérie), acheminé dans les ports bretons par des anciens pétroliers transformés en pinardiers. Si le vin est souvent identique (car transporté en vrac), seules les étiquettes diffèrent, chaque débitant souhaitant avoir sa propre marque : Le Minaret, Vieille Kasbah, Sancho, Brennus, Royal Aïssa, Le Caïd, Vin de la Vénus, Le Pacha…

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ESTHÉTIQUE DE LA SIMPLICITÉ

Des étiquettes sur lesquelles s’est penchée Marie-Michèle Lucas, artiste et ancienne enseignante à l’école des beaux-arts de Brest. « Elles étaient réalisées par lithographie, un procédé d’impression sur pierre. C’est une tech nique où on dessine directement sur le calcaire et où on doit penser couleur par couleur. Tout ce travail était fait à la main par les illustrateurs de l’impri merie. Il y a alors une codification qui se fait par la technique. Cela force une esthétique de la simplicité. Le dessin va à l’essentiel, il quitte le réalisme pour aller vers quelque chose d’efficace. »

MYTHE ORIENTALISTE

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PATRIMOINE MÉSESTIMÉ

Parmi les principales caractéristiques de ces illustrations : les aplats de couleur, les encad rements, une prédominance du rouge et du noir (« pour les vins les moins onéreux »), des écritures dans l’air du temps (« la PAM pos sédait toutes les typos modernes : la Mistral, la Banco… »), une réutilisation de certains motifs (« un même personnage pouvait se retrouver sur plusieurs étiquettes. Il y avait un art de l’assemblage et du montage »). Des visuels souvent axés sur « un mythe orientalis te magnifié », souligne Grégory Le Bris. « De nombreux ponts se font entre le Maghreb et la Bretagne, poursuit Marie-Michèle Lucas. On y mélange des éléments issus des deux territoi res : paysages, personnages, noms… » Avec quelques amusantes inventions, à l’image de l’arabisante appellation “El Laoum”, simple inversion de “Le Moual”, nom d’un négociant en vin de la région.

Des visuels toujours conservés sur des “pierres de mémoire” dans les sous-sols de la PAM. On en compte près de 3 000. « C’est la deuxième plus grande collection en France après les imageries d’Épinal, fait savoir Gré gory Le Bris qui estime que ce patrimoine reste mésestimé. Car cela touche à la culture populaire. » Lors de la liquidation judiciaire de la PAM en 2018, ce fonds a d’ailleurs failli disparaître. Avant d’être sauvé par l’associa tion Les Enfants de Gutenberg. « Quand la PAM a fermé, il était impor tant de conserver des machines, des jeux de caractères, et bien sûr les pierres lithogra phiques. Nous avons réussi à faire en sorte que cela passe au budget participatif de la ville. Aujourd’hui, ce fonds est la propriété de tous les Brestois, se réjouit Alain Corre, le président de l’association qui animera un “musée vivant de l’imprimerie” au sein du nouveau lieu. Un espace de création ouvert au grand public, aux scolaires, aux artistes… L’objectif est de redonner de l’intérêt à la matière papier et aux différentes techniques d’impression. »

Le 12/11 à l’Aire Libre à St-Jacques Le 13/11 au SEW à Morlaix

VivierCamille FESTIVAL

Applaudies au Festival du Bout du Monde cet été, les sept Béninoises de Star Feminine Band (âgées de 11 à 18 ans) sont de retour en Bretagne. L’occasion pour la lumineuse formation afropop de célébrer la sortie de son nouvel album, sur le label Born Bad, en cette rentrée.

Rendez-vous incontournable pour sentir le pouls de la capitale bretonne, le festival I’m from Rennes revient pour sa 11e édition. Parmi les groupes à l’affiche cette année : Gwendoline, Bops (photo), Combattants, Tchewsky & Wood, Söwe, Marché Noir, Bonnie… Du 8 au 17 septembre À Rennes

ONE SHOT

Le 29 octobre À La Nouvelle Vague à Saint-Malo

2022

I’M FROM RENNES

HERMAN DUNE Après des années à bourlin guer avec son frère André, David Ivar assume désor mais en solo Herman Dune.

Le 09/09 à l’Ilophone à Ouessant Le 26/10 à Bonjour Minuit à St-Brieuc Le 3/11 à l’Ubu à Rennes

Excitant thème que celui choisi par Dangereuses Lectrices. Après le cœur en 2021, le festival de littérature féministe s’intéresse cette année « au cul ». Nouvelles normes, représentations des corps, charge sexuelle… Un sujet intime qui révèle des enjeux collectifs et sociétaux. Les 22 et 23 octobre Aux Ateliers du Vent à Rennes DR DR DR septembre-octobre #58

Du 24 septembre au 09 octobre À Rennes

MOUNDRAG « We are Moundrag, we are brothers, we have no guitar and we play hard progressive heavy psych » : c’est ainsi que se présentent les deux larrons paimpolais héritiers du prog rock 70’s, qui sortent enfin leur premier album, avec des dates pour fêter ça. Ô joie !

Le 29/10 à La Carène à Brest

La mort à 45 ans fin 2020 d’Ousmane Sy a été un choc dans le monde de la danse hip-hop et contemporaine, dont il était une référence internationale. En hommage, un groupe de cinq danseuses reprend One Shot, dernière œuvre de l’ex-codirecteur du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne. Les 8 et 9 septembre Au TNB à Rennes GEORGES Valoriser la d’architecturetoutpère(clinchouetteemblématiques.laproblématiquescettecomprendrearchitecturalecréationcontemporaine,l’importancededisciplineauxmultiplesetredécouvrirvilleautraverssesbâtimentsC’estlapromessedeGeorgesd’oeilàGeorgesMaillols,destoursHorizons),premierfestivalàRennes.

DR STAR FEMININE BAND

AGENDA HananiaMayon

@bikinimagazine @bikinimag @bikini_mag HuteauClaire 50

ConquérantLeBasile RECOMMANDE

JEANNE ADDED Trait d’union entre le milieu indé (dont elle est issue) et mainstream (qui l’a adoubée aux Victoires de la Musique), sans jamais dévier de sa ligne électro-pop, Jeanne Added sort en septembre By Your Side, son 4e album. Avec, pour l’accompagner, une grosse tournée qui débute en Bretagne. Le 10/09 à l’Archipel à Fouesnant Les 22 et 23/09 à l’Ubu à Rennes

DANGEREUSES LECTRICES

Le Franco-Suédois, exilé aux USA, sort à l’automne un nouvel entièrementalbum,acoustique, en témoigne le premier extrait, Black Dog, merveilleux de dépouillement. Le 5/11 aux Indisciplinées à Lorient

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