BIKINI JANVIER-FÉVRIER-MARS 2018

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JANVIER-FÉVRIER-MARS 2018 #35



TEASING

À découvrir dans ce numéro... « UNE LÉGENDE URBAINE QUI A LA PEAU DURE » TRANSHUMANISME

AMOCO SOURIS VERTE ENDIVES AU JAMBON

POUDREUSE

CRÊPES WHAOU

«ON LUI A OFFERT CINQUANTE PINTES»

FUZATI GRATUITHÈQUE

RESTO ROUTIER

CONNEMARA

«ON TUAIT LES COCHONS DANS LA COUR»


ÉDITO

RÉSURRECTION Amateurs de miracles, sortez vos agendas. L’été prochain, c’est une résurrection qui se produira. Après sept années de mort clinique, le festival de Saint-Nolff dans le Morbihan va renaître de ses cendres au mois d’août 2018. Un retour pas anodin tant ce rendez-vous avait réussi à se positionner sur le créneau du dernier festival de la saison estivale en Bretagne. L’occasion d’une dernière grosse chouille avant de reprendre la direction du taf. Plutôt malin. C’est la boîte de prod’ Régie Scène, à qui on doit notamment les festivals Fête du Bruit et Insolent, qui sera aux manettes de ce futur événement dont le premier nom a été dévoilé il y a quelques semaines (Indochine). Une saison 2017-2018 déjà témoin d’une renaissance. En octobre dernier à Saint-Brieuc, c’est le festival culte Carnavalorock qui a signé son retour après vingt ans (!) d’absence. Un come-back gagnant (à guichet fermé les deux soirs) pour un rendez-vous qui prévoit de remettre le couvert les 19 et 20 octobre prochains pour une nouvelle édition. Une perspective qu’espère également Au Pont du Rock à Malestroit. Si le festival morbihannais est fidèle au poste chaque été depuis 1989, il a connu une dernière année plus que compliquée et organise aujourd’hui un concert de soutien (les 19 et 20 janvier) pour espérer continuer l’aventure. À l’affiche : No one is innocent, Fuzeta, Tagada Jones, Craftmen Club… Pour que le plus vieux festival rock estival de Bretagne vive encore ! La rédaction

SOMMAIRE 6 à 13 WTF : écrivains sur scène, faire son beurre, Franz Ferdinand, incubateurs de startups, théâtre d’impro, météo à la radio... 14 à 25 Une journée sur la RN 12 26 à 29 Cache cash 30 & 31 Les Bretons font du ski 32 à 39 Culture pub 40 à 47 RDV : Klub des Loosers, France-fantôme, The Flashers, The Jacques, L’Or du Commun, Équipe de Foot... 48 & 49 Que reste-t-il de l’Amoco Cadiz ? 50 BIKINI recommande 4

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Directeur de la publication : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Isabelle Jaffré, Brice Miclet / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Consultant : Amar Nafa / Couverture : Éric Fougere / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos lieux de diffusion, la CCI de Rennes, Michel Haloux, Mickaël Le Cadre, Émilie Le Gall. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - Espace Performance Bât C1-C2, 35769 Saint-Grégoire / Téléphone : 02 99 23 74 46 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Magazine édité à 20 000 exemplaires. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2018.



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QUEL ÉCRIVAIN VOIR SUR SCÈNE ?

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BISCOTTINES

LES ROMANCIERS SONT-ILS TOUS DES RATS DE BIBLIOTHÈQUE ? QUE NENNI. LA PREUVE PAR TROIS AVEC CES ÉCRIVAINS, FERS DE LANCE DE LA LITTÉRATURE CONTEMPORAINE FRANÇAISE ET ARTISTES TOUCHE-À-TOUT.

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Le bien aimé Chris Esquerre continue de joliment remplir son CV d’humoriste absurde. Après un premier spectacle éponyme lancé en 2010, le second Sur Rendez-Vous est joué depuis 2016 à Paris et s’exporte désormais en régions, dont la Bretagne. À Penmarch le 3 février.

ALICE ZENITER Titouan Massé

UN AUTRE MONDE

À l’affiche du festival de ciné Travelling à Rennes, une curiosité : le “game-concert” que joueront Totorro (photo) et des invités (Robert Le Magnifique, Maëlan de Bantam Lyons) le 28 février. Un hommage aux jeux vidéo autour du cultissime Another World.

PAYS-BAS-BAS

fanzouzes

Valeurs sûres du rock psyché, les Néerlandais de Birth of Joy reviennent en février avec un nouvel album Hyper Focus. Habitués de la région, ils y prévoient plusieurs étapes : le 14 mars à L’Échonova à Saint-Avé, le 17 mars à l’Ubu à Rennes, le 18 mars à La Citrouille à Saint-Brieuc. 6

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Lauréate il y a quelques semaines du Prix Goncourt des lycéens avec son roman L’Art de perdre, l’auteure Alice Zeniter (aujourd’hui installée dans les Côtes d’Armor) proposera une lecture musicale du Seigneur des Porcheries, œuvre à la fois poétique et violente de l’Américain Tristan Egolf. Elle sera accompagnée de Nathan Gabily et de Benoît Seguin. Quand et où ? Du 21 au 26 mars au festival Les Émancipées à Vannes et le 28 mars au festival 360 Degrés à La Passerelle à Saint-Brieuc.

VIRGINIE DESPENTES

NICOLAS REY

Celui qui a obtenu le Prix de Flore en 2000 avec son second roman Mémoire Courte a mis un pied dans le spectacle vivant avec Les Garçons Manqués, duo musico-littéraire qu’il forme depuis 2014 avec le zicos Mathieu Saïkaly (vainqueur de La Nouvelle Star). Après un premier spectacle Et vivre était sublime, les deux gars sont revenus l’an passé avec une nouvelle lecture musicale, Des Nouvelles de l’Amour. Quand et où ? Le 9 février à L’Asphodèle à Questembert

La plus féministe et punk des romancières françaises multiplie les projets musicaux depuis un paquet d’années : écriture de morceaux pour A.S Dragon, adaptation pour Placebo, création de son propre groupe Skywalker… L’auteure de King Kong Théorie et de Vernon Subutex tourne actuellement avec le groupe de rock Zëro pour « une mise en voix, en corps et en musique » de Requiem des innocents, œuvre de Louis Calaferte sur son enfance violente et miséreuse. Un des livres qui a le plus marqué Virginie Despentes (photo). Quand et où ? Le 15 mars à La Carène à Brest



WTF

ON A FAIT NOTRE PROPRE BEURRE Et soudain l’effroi, la catastrophe, Armageddon : plus de beurre dans les rayons. La pénurie de cet automne était proche de déclencher une nouvelle guerre mondiale, laissant les Bretons désœuvrés, en train d’errer dans les rues l’air hagard, en quête d’une motte de l’or jaune. Alors plutôt que de rester sous la coupe de l’industrie agroalimentaire et de ses sautes d’humeur, n’est-il pas envisageable de s’en fabriquer chez soi ? « Vous pouvez essayer avec un batteur et de préférence de la crème non industrielle, entière bien sûr : battez jusqu’à obtenir des petits grains de beurre, retirez

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DE LA CRÈME FRAÎCHE ENTIÈRE, DU SEL ET DE L’HUILE DE COUDE : ON A TESTÉ LE BEURRE-MAISON, MÉTHADONE EN CAS DE NOUVELLE PÉNURIE ET DE RAYONS DÉSESPÉRÉMENT VIDES. À TAAAAAAAABLE.

le petit lait, pressez, rincez à l’eau froide, malaxez et salez », préconise Éric De Sonis, dirigeant de la société artisanale Le Vieux Bourg dans les Côtes d’Armor. Conseils complétés par ceux de David Akpamagbo, de la ferme finistérienne Le Ponclet, qui livre les meilleurs restos de Paris : « Crème à température ambiante et sel de Guérande sont à privilégier, la clé du goût étant le choix du

lait, ingrédient de base permettant d’obtenir la crème puis le beurre. » Adeptes du journalisme total mais pas vraiment portés sur les produits de luxe ni l’outillage hautde-gamme, on a tenté la chose avec une simple bouteille en guise de shaker, 20 cl de crème liquide à 40 % de matière grasse et du sel de table, d’après les recommandations d’un tuto YouTube : cinq minutes à se détruire l’épaule plus tard, on a effectivement obtenu de quoi beurrer l’équivalent de deux biscottes et le résultat est plutôt savoureux (quoiqu’un peu fade). Prends ça Marmiton.

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LA BOURRICHE DE LUBITSCH

Deux soirées chics et cool au programme de l’opéra de Rennes les 15 et 16 février : la projection de The Oyster Princess (photo), un grand classique du cinéma muet (Ernst Lubitsch, 1921), magnifié par le live de l’Orchestre symphonique de Bretagne. Deux autres ciné-concerts sont également prévus dans le cadre du festival rennais Travelling (20-27 février) : Fargo, avec le groupe Fragments, et ComiColor, avec GaBLé. .

DAÑSFABRIK : LA TÊTE ET LES JAMBES Pour sa 7e édition, DañsFabrik, le festival de danse du Quartz à Brest, cultive son exigence. Parmi les propositions chorégraphiques qui font autant bouger les muscles que les neurones : Unwanted de Dorothée Munyaneza, sur les viols en zone de conflit. Du 12 au 17 mars à Brest. 8

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FRANZ FERDINAND, RETOUR DE HYPE ?

UN NOUVEL ALBUM ET UNE TOURNÉE QUI PASSE DANS LE COIN : COME-BACK GAGNANT DES ÉCOSSAIS ? Ne pas bouder son plaisir : un groupe de stature internationale qui vient jouer en Bretagne hors saison des festivals, c’est rare. Faut-il pour autant se jeter les yeux fermés dans la fosse pour se secouer le popotin sur la machine à tubes des années 2000 (Take me out, Do you want to...) ? Isabelle Chelley, qui suit la formation depuis ses débuts pour Rock & Folk, dit banco : « J’ai eu la chance d’écouter le nouvel album en avant-première (Always Ascending, sortie le 9 février, ndlr). Les Écossais restent une usine à singles avec ce rock très dansant. Ils sont inclassables et en ce sens ils me paraissent suivre l’héritage de ces groupes qui tracent leur carrière sans se soucier des modes, comme Blur ou Depeche Mode. » Un discours élogieux quelque peu nuancé par Christophe Conte, qui faisait partie des privilégiés à assister au concert privé donné au Point Ephémère à Paris fin octobre, répétition à la tournée 2018 du groupe. « Le départ du guitariste Nick McCarthy apporte une sonorité encore plus dance qu’avant, témoigne le journaliste des Inrocks. Musicalement, c’est très glam, limite à sonner comme Duran Duran par moment ! Ça a le mérite de ne pas rester figé mais je ne les vois pas reconquérir le large public de leurs débuts et qui s’est un peu éloigné depuis. » Le 23 mars au Liberté à Rennes 9


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MAIS POURQUOI OUEST-FRANCE ET LE TÉLÉGRAMME SE LANCENT DANS L ’INCUBATION DE STARTUPS ?

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PAPA DE LA MINIMALISTE

Pour ouvrir l’édition hivernale d’Astropolis, la productrice française Chloé et la percussionniste bulgare Vassilena Serafimova rendent hommage au New-Yorkais Steve Reich. Grand monsieur de 81 ans, pionnier de la musique minimaliste, pour un “tribute to” à l’interprétation créative. Le 22 février au Mac Orlan à Brest.

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GASTRONOMIQUE

Révélée en 2011 aux Trans, la Britannique Hollie Cook vient de sortir son troisième album Vessel of love. Toujours dans cette veine de pop-reggae, loin des stéréotypes du genre. L’occaz d’une mini-tournée dans la région : le 22 février au 1988 Live Club à Rennes, le 23 à Gwernandour à Brasparts et le 24 à L’Échonova à Saint-Avé.

I, ROBOT

2 en 1

Deux spectacles en une seule soirée : c’est ce que propose le Théâtre de Poche d’Hédé avec Ersatz et Comment le monde échappa à la ruine. Le premier : une réflexion sur l’homme de demain plus fort et plus intelligent. Le second : une divagation autour du robot du futur. Du 15 au 17 février à Hédé-Bazouges. 10

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L’inauguration est programmée au printemps prochain. À Rennes, le groupe Télégramme et le réseau 1Kubator se sont tous les deux associés pour ouvrir un accélérateur de startups spécialisées dans le numérique. Le quatrième pour 1Kubator en France (après Lyon, Bordeaux et Nantes) mais une grande première pour le journal basé à Morlaix. « Si on veut être au fait des évolutions profondes de l’économie, il faut être au cœur du dispositif. Cela nous permet d’être en éveil pour détecter les entreprises qui feront bouger les choses demain », justifie Olivier Clec’h, directeur délégué du Télégramme, en charge du développement. Un simple rôle d’observateur et de témoin ? Pas vraiment. « Avec 1Kubator, l’idée est bien sûr d’être partie prenante dans le développement de sociétés innovantes. Chacune des startups accueillies bénéficie d’un financement à hauteur de 25 000 euros, moitié en services moitié en cash. Plus tout ce que peut apporter un groupe médias : un réseau, un carnet d’adresses… » Un engagement loin d’être philanthropique pour Le Télégramme (qui a investi 150 000 euros dans le capital d’1Kubator). « Ce n’est pas une obole bénévole. Avec ce projet, nous nous mettons en situation de détecter la pépite et, je l’espère, la future success story. Sans oublier bien sûr les intérêts directs pour le journal : ces

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DANS UN MARCHÉ EN PLEINE MUTATION, LA PRESSE RÉGIONALE POURSUIT SA DIVERSIFICATION. POUR RÉUSSIR LEUR TRANSITION NUMÉRIQUE, LES DEUX PRINCIPAUX JOURNAUX BRETONS MISENT SUR L’ACCÉLÉRATION DE STARTUPS.

startups peuvent nous apporter des outils plus efficaces. » Un accompagnement auprès des jeunes entreprises qu’Ouest-France expérimente désormais depuis une année avec son incubateur OFF7, en partenariat avec Startup Palace. « Lors de la première saison, nous avons accueillis pendant douze mois huit startups du numérique en lien avec les métiers du groupe : les médias, les annonces et le maritime, expose Fabrice Bazard, directeur des services numériques à Ouest-France. Nous avons par exemple accompagné la société Swarmbird, qui développe un outil de livetweet, ou encore Mediego, qui apporte des solutions pour des newsletters personnalisées. » Sur les huit startups de la saison 1 d’OFF7, deux collaborent toujours avec Ouest-France (qui a investi dans une). Et pour la saison 2 dont la sélection a été effectuée fin 2017 ? « L’accent est porté sur les sociétés dont les activités tournent autour des réseaux sociaux et du vocal. » J.M


L ’IMPRO, C ’EST VRAIMENT DE L ’IMPRO ? « Je dis souvent aux gens qui sont venus nous voir : si vous avez aimé, revenez car la prochaine fois ce sera différent, et si vous avez pas aimé, revenez aussi car la prochaine fois et ben… ce sera différent. » Pauline Vernier (photo), comédienne d’impro invitée de la prochaine édition du festival Subito !¡ à Brest, est formelle : le théâtre d’impro, pas d’arnaque, c’est vraiment de l’improvisation. « Dans son format le plus connu, en battle, t’as juste une demi-heure d’échauffement pour prendre tes marques avec les autres comédiens, et puis c’est parti pour le spectacle, sur des thèmes dont on ignore le contenu à l’avance. » Mais du coup, n’y a-t-il pas tentation de préparer quelques vannes

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À L’HEURE DU POMPAGE SANS PRESSION DE QUELQUES COMÉDIENS ET HUMORISTES, CEUX DU THÉÂTRE D’IMPRO PROMETTENT DE L’INÉDIT À CHAQUE REPRÉSENTATION. PROMIS JURÉ CRACHÉ, PRRRFT.

à l’avance ou, pire, de pomper des gimmicks d’auteurs connus pour être sûr de faire rire ? « Non, on est vraiment dans l’improvisation pure selon l’humeur du moment et la connexion avec le public. Après, chaque comédien a sa patte : des "joueurs" plus physiques, d’autres plus subtils… » Un saut dans le vide du lol qui tranche avec le one-man-show écrit et répété jusqu’à lassitude.

Ou, pire encore, le pompage de certains humoristes français pris la main dans le sac à punchlines déjà faites outre-Atlantique, que la bande de CopyComic s’amuse à repérer avec ses compils YouTube (coucou Tomer Sisley !). « L’impro, c’est l’approche la plus libre du spectacle vivant, embraye Franck Buzz, un des organisateurs de Subito !¡. C’est la spontanéité qui fait que ça marche. Ça nécessite de l’entraînement mais ça ne peut pas se répéter puisque tu ne sais pas à l’avance ce qu’il va se passer. On doit surprendre les spectateurs mais aussi se surprendre soi-même. » R.D Festival Subito !¡ à Brest du 30 mars au 14 avril

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AVIS DE TEMPÊTE POUR LA MÉTÉO À LA RADIO ? Le ciel est clair et dégagé pour la météo à la radio, zéro cumulus en vue pour l’un des plus vieux programmes à passer sur les ondes, assure MariePierre Planchon (photo), « la » voix du temps qu’il fait sur France Inter, prochainement invitée au festival de radio Longueur d’Ondes à Brest : « Aucune raison que ça disparaisse et il n’en a jamais été question. D’ailleurs depuis 2015 la météo a été extraite des journaux, ce qui a tendance à renforcer son importance. » Mais tout de même, à l’heure des smartphones, n’y a-t-il pas quelque chose de daté à “dire” la météo, sans carte ni image ni graphique ? « Il

France Inter

À L’HEURE DES SMARTPHONES, LES BULLETINS MÉTÉO À LA RADIO SONT AUSSI SURANNÉS QU’INCONTOURNABLES. UN PROGRAMME QUI RÉSISTE SANS CARTE NI IMAGE MAIS AVEC POÉSIE.

ne suffit pas de réciter le bulletin de Météo France mais y apporter sa petite musique. C’est ce que les auditeurs attendent. De l’informatif ponctué de petites touches de poésie : piocher des villages dans la carte de France, faire référence à la nature… J’aime à penser que j’offre une ballade à ceux qui se lèvent le matin dans leur appartement. Quand on me demande

ce que je fais, je dis d’ailleurs que “je chronique le temps”. » Et ce n’est pas la disparition il y a un an de la météo marine qui va remettre en cause la place de la météo-tout-court sur les ondes, insiste Marie-Pierre Planchon : « C’est juste dommage qu’elle ait été supprimée car là pour le coup on était vraiment dans l’onirisme presque ésotérique. Jean-Louis Murat m’avait dit une fois que depuis ses montagnes auvergnates, ça lui donnait l’impression de se retrouver l’espace d’un bulletin dans un phare du littoral breton. » Festival Longueur d’Ondes du 30 janvier au 4 février à Brest

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QU’EST-CE QUE C’EST QUE CE CIRQUE ?!

Un solo acrobatique dénudé (Aneckxander), un duo sur vélo acrobatique (Dad is dead), un trio de jonglage expérimental et gaguesque (Dystonie), un quatuor volant, bondissant et dansant (C’est quand qu’on va où !?)… C’est le programme étonnant du festival des arts circassiens Ay-Roop, qui se tient du 23 mars au 8 avril en Ille-et-Vilaine (Rennes, Vitré…). Autre rendez-vous pour les amateurs de cirque contemporain : le festival Circonova au Théâtre de Cornouaille à Quimper du 26 janvier au 23 février. À l’affiche : la compagnie australienne Circa avec son spectacle Beyond, ou encore la troupe québécoise Machine de cirque (photo). 12

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Corentin Fohlen

QUEL GROUPE SOUS PSYCHOTROPE ÉCOUTER ?

DES NOMS DE FORMATION QUI NE PASSENT PAS LA BRIGADE DES STUPS. VOS PAPIERS, SILEU-VOUS-PLÉ. COCAÏNE PISS La Belgique n’en finit plus de nous envoyer ses meilleurs groupes. Dans la catégorie noise-punk, Cocaïne Piss : une meuf et trois gars originaires de Liège qui tracent leur route dans le rock véner. Après un passage aux Bars en Trans en décembre, ils sont (déjà) de retour en BZH. C’est quand ? Le 27 janvier à L’Antipode à Rennes

LE PEUPLE DE L’HERBE Vingt ans que les Lyonnais, ambassadeurs français de l’électro-dubhip-hop, sont dans le game. L’occasion d’une tournée anniversaire qui passe – forcément – dans le coin. Feuilles Rizla de rigueur. C’est quand ? Le 9 mars à L’Étage à Rennes et le 10 à L’Échonova à St-Avé

FOREVER PAVOT Son premier album de rock psyché en 2014 permettait de mieux comprendre son pseudo aux accents d’opiacé. Émile Sornin (photo) de son vrai nom revient aujourd’hui avec La Pantoufle, réjouissant disque de pop seventies. De la bonne. C’est quand ? Le 26 janvier au Novomax à Quimper et le 7 février à l’Ubu à Rennes 13


DOSSIER

UNE JOURNÉE SUR LA RN 12

DE RENNES À BREST, ON A REMONTÉ LES 240 KM DE L’ARTÈRE PRINCIPALE DE LA RÉGION, QUI FÊTE CETTE ANNÉE LES 50 ANS DU “PLAN ROUTIER BRETON”. VROOM VROOM ! 14

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e gwenn-ha-du, le kouign amann, la galettesaucisse, la Bigoudène… À cette liste des symboles incontournables de notre région, il en existe un auquel on ne pense pas forcément. Et pourtant. Faisant le pont entre Est et Ouest, terre et mer, Basse-Bretagne et Haute-Bretagne, Armor et Argoat, villes et champs, la RN 12 semble rassembler tous les critères du parfait dénominateur commun. Route emblématique de Bretagne, artère principale de notre territoire, cet axe de 240 kilomètres entre Brest et Rennes a connu plusieurs vies. Issue de l’antique chemin royal, cette voie prend le nom de “route nationale 12” en 1824 et fait alors office de chemin principal entre Paris et l’Armorique. « Il faut l’imaginer telle qu’elle était à l’époque : 4 à 5 mètres de large, en ligne droite la plupart du temps pour aller au plus court, resitue l’historien Alain Lozac’h, auteur de l’ouvrage Sur les routes de Bretagne paru chez Coop Breizh. L’actuelle voie express a conservé en partie l’héritage de cette voierie parfois très pentue, qu’avaient du mal à emprunter les convois lourds. » 15


DOSSIER

Convois de chevaux tout d’abord (emmenant régulièrement de nouveaux prisonniers au bagne de Brest) puis convois motorisés à partir de la fin 19e, début 20e. « Les travaux de goudronnage vont débuter au sortir de la Première Guerre et jusque dans les années 30. La voie est alors partagée entre voitures, camions, chevaux, cyclistes, piétons… » Elle traverse les bourgs en leur cœur, engendrant vite des embouteillages monstres, « surtout après les années 50 et l’émergence du tourisme ». Une version BZH de la fameuse route nationale 7 reliant Paris à la Méditerranée : pompes à essence dans tous les villages, relais routiers qui ne désemplissent pas et murs noirs de pollution. Une RN 12, non adaptée au trafic de masse, qui s’apprête à vivre une transformation majeure. Porté et ardemment défendu par le CELIB (Comité d’étude et de liaisons des

intérêts bretons), un Plan routier breton (PRB) est décidé par le gouvernement français le 9 octobre 1968 (lire par ailleurs pages 18 et 24). « Le principal objectif du PRB était de désenclaver la Bretagne en l’équipant d’un réseau routier moderne gratuit, adapté à l’identité territoriale bretonne, rappelle Jean Ollivro, géographe et professeur à l’Université de Rennes 2. Des travaux ont alors été entrepris sur certains tronçons, dont le fameux Brest-Rennes, pour passer en 2 x 2 voies avec terre-plein central. » Une révolution en Bretagne, alors seule région française à ne pas être équipée d’autoroute ni de voie express. Un changement de voirie tellement radical que Ouest-France consacre même des suppléments spéciaux pour expliquer à ses lecteurs comment bien utiliser ces nouvelles routes. « Les travaux de passage en voie express vont débuter au début des

« En dix ans, j’ai parcouru 150 000 km en stop » 16

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années 70 et vont s’échelonner, tronçon par tronçon, jusqu’au milieu des années 90, poursuit Alain Lozac’h. Le tracé a été effectué, en déviant systématiquement les centre-bourgs. Parfois en construisant de nouvelles routes, d’autres fois en dédoublant la route existante. C’était du cas par cas en tenant compte des normes de voierie imposées par le ministère de l’équipement : de longues courbes sans virages trop abrupts ni pentes trop fortes. Il fallait permettre de traverser la région d’un bout à l’autre avec fluidité. » Cinquante ans après l’adoption du PRB, la RN 12 a plus que rempli son rôle et s’est imposée comme “la” route de Bretagne. Chaque jour, les tronçons les plus pratiqués (zone de Saint-Brieuc, toi-même tu sais) voient défiler plus de 75 000 véhicules (dix fois plus qu’en 1968). Un univers gorgé de particules fines, ponctué de renards écrasés et de tags “44=BZH” que nous avons exploré. Kilomètre par kilomètre, entre actuel et ancien tracé, à la rencontre de ceux qui y passent, y vivent et y taffent.


KM 0 : RENNES C’est à la sortie de la capitale bretonne, dans le prolongement de la rue de Saint-Brieuc, que notre road trip démarre. Un spot prisé des autostoppeurs à quelques centaines de mètres du tracé officiel de la RN 12. C’est sur cette large bande d’arrêt d’urgence qu’on retrouve en cette matinée Elvin, parka couleur bleue pétante sur le dos et pancarte “Bédée” à la main. « Salut les gars, moyen de m’emmener ? » Carrément, vas-y monte. À 28 ans, ce garçon originaire du Finistère et animateur sportif dans le Mercantour a fait du stop un de ses moyens de locomotion principaux. Preuve en est dans son sac où plus d’une trentaine de pancartes aux destinations variées s’entassent. « J’ai calculé qu’en dix ans j’ai parcouru plus de 150 000 kilomètres comme ça. Au début, c’était par économie, et puis j’y ai pris goût. Pourtant, j’ai une bagnole, une Fiat Panda de 1994 qui tourne toujours, explique le jeune homme dont la mission du jour consiste à rejoindre Bordeaux. À la station-service de Bédée, j’espère trouver une voiture qui descend en

« Y a rien dedans, héhé. C’est juste pour la déco » routier niché entre l’ancienne et l’actuelle RN 12. « Franchement, c’est un bon emplacement. 80 % de ma clientèle, c’est des camionneurs. Pour eux, c’est facile d’accès et j’ai la chance d’avoir un parking. » Même si le gros de la circulation ne passe plus devant chez lui depuis le déclassement de la voie en route départementale, René-Claude a tout de même fait installer une petite pompe à essence. « Ah non en fait, y a rien dedans, héhé. C’est juste pour la déco, je suis fan de moto. » Au plat du jour ce KM 25 : MONTAUBAN-DE-BRETAGNE midi : endives au jambon, suivies d’un Après avoir déposé Elvin à l’échangeur sauté de dinde. Malgré les avis plutôt de Bédée, on file vers Montauban- bons sur Truckfly (le Tripadvisor des de-Bretagne en empruntant l’ancien routiers), on poursuit notre route. tracé, rebaptisé D 612, jusqu’à ce qu’on tombe sur René-Claude, un KM 36 : QUÉDILLAC sympathique gazier habillé d’un Ambiance radicalement diffét-shirt “Breton 100% pur beurre” rente dans ce bourg aux allures de et de grosses bagouzes sur les doigts. ville fantôme. Cette commune de Depuis un an et demi, il est le gérant 1 100 habitants a pourtant connu du Relais de la Hucheraie, un resto des heures plus animées lorsque Gironde. J’ai bon espoir d’y être d’ici la fin d’après-midi. » Un mode de transport qu’Elvin associe par ailleurs à sa grande passion de la course à pied (il a gagné à plusieurs reprises le trail de Guerlédan). « Je fais pas mal de courses à travers l’Europe : Luxembourg, Écosse, Suisse, PaysBas, Italie… À chaque fois, c’est en stop que je m’y rends. Cela fait partie d’une démarche globale et d’un état d’esprit. C’est presque philosophique. » En effet.

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DOSSIER

voitures et camions empruntaient l’avenue centrale en direction de Brest ou Rennes. « La construction de la 4 voies en 1982 a tout changé. » Le constat est signé André Guitton, 70 ans, propriétaire du Relais de la Rance, un hôtel-restaurant dont il a confié la gérance à un jeune couple, Yannick et Corinne. « Malheureusement, ils sont sur le départ. L’affaire ne tourne pas assez pour en vivre, lâche le septuagénaire, dépité. C’est dommage d’en être arrivé là car il y eut une époque où ça tournait du feu de dieu. » Cet âge d’or, André Guitton s’en souvient encore très bien. C’était avant la voie express. Alors cuisinier au Lido à Paris, cet enfant du pays rejoint l’affaire familiale lorsqu’il a 20 ans. « Je suis revenu à Quédillac suite au décès de

mon père. Il s’est fait écraser par un camion juste devant le restaurant. Malgré ce drame et la douleur, j’ai accepté, pour aider ma mère que je ne pouvais pas laisser seule. » C’est le temps des grands travaux : bar, hôtel, façade… Le Relais de la Rance tourne alors à plein régime, rythmé par les arrêts d’automobilistes venant casser la croûte. « Chaque matin, on servait entre 200 et 300 petits déjeuners. Ce qui était énorme. Parallèlement, on a monté le restaurant en gamme, ce qui nous a permis d’être sélectionné dans le Bottin gourmand. On ne se demandait jamais si on allait avoir du monde : on savait qu’on aurait du monde. » Un rythme de fou, avant la perte de vitesse. « La mise en circulation de la nouvelle RN 12

a tué les commerces du bourg. Ici avant, il y avait deux boucheries, quatre épiceries, deux boulangeries, six ou sept cafés. Aujourd’hui, seule une supérette subsiste. Le Relais de la Rance a également été touché,

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« SI ON MET DES ARTÈRES, IL Y AURA DU SANG » Claude Champaud, ancien viceprésident du CELIB (Comité d’étude et de liaisons des intérêts bretons) et auteur de l’ouvrage Le CELIB, quand des Bretons éveillèrent la Bretagne, paru en septembre 2017. Qu’est-ce qui a poussé le CELIB à porter et initier le Plan routier breton (PRB) ? Avant les années 1970, le réseau routier était relativement médiocre en Bretagne : les routes, aussi bien nationales que départementales, étaient sinueuses, tortueuses, montueuses… Elles n’étaient 18

pas compatibles avec le développement massif de l’automobile. D’un point de vue général, la Bretagne était donc mal desservie. C’est pourquoi le CELIB s’est concentré sur ce problème-là afin de palier l’éloignement et faire cesser cet enclavement. Après un travail de lobbying, le PRB était décidé par le gouvernement en octobre 1968. Pourquoi cette obsession du désenclavement ? Car c’était la clé de tout. Un réseau routier de qualité allait avoir un effet sur le développement économique. Au CELIB, l’idée défendue pour justifier le

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PRB était simple : si on met des artères, il y aura du sang. Tous les centres économiques prospères sont des carrefours. Au sein du CELIB, il y avait des grands élus mais aussi beaucoup de maires de petits bourgs. Et eux voyaient bien l’intérêt à avoir une voie express sur leur territoire et, surtout, un échangeur. Près de la plupart de ces bretelles, des entreprises se sont installées et des zones d’activités se sont créées. Sur quel point le PRB aurait pu être amélioré ? Je n’en vois qu’un véritablement : la route du milieu, la RN 164,

celle du Centre-Bretagne. Pourquoi cela a mis tant de temps à se faire ? La direction des Ponts et Chaussées tenait pour acquis qu’il n’y aurait jamais personne à l’emprunter. Or, comment pouvait-elle savoir qu’il n’y aurait pas de voitures s’il n’y avait de routes ? Cela peut aussi s’expliquer par le fait que le Centre-Bretagne n’a pas eu de grands élus pour défendre ses intérêts : il lui a manqué un Pleven, un Marcellin, un Lombard... La Bretagne centrale aurait sans doute été différente aujourd’hui si jamais les travaux de la RN164 avaient été faits plus tôt.


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même si notre positionnement hautde-gamme et les travaux de l’hôtel pour être classé 3 étoiles nous ont permis de tourner correctement, détaille André qui veut croire à une résurrection de son affaire. L’idéal serait de trouver des jeunes restaurateurs qui connaissent bien le métier. Je reste persuadé du potentiel de l’établissement. Si j’avais cinq ans de moins, j’y retournerais… »

KM 38 : SAINT-JOUAN-DE-L’ISLE Toujours sur l’ancien tracé de la RN 12 aujourd’hui dénommé D 712, c’est au niveau de la commune de Saint-Jouande-l’Isle qu’on passe la frontière entre Ille-et-Vilaine et Côtes d’Armor, en traversant la Rance. Une borne, qui a certainement connu René Coty, est toujours là sur le bord de la route, signalant le passage dans les “Côtes du Nord”.

KM 73 : NOYAL Retour sur la voie express. Peu avant Lamballe, en léger dévers sur la droite après le radar fixe, la vue est immanquable sur une incongruité : une piste bosselée, qu’on croirait de prime à bord adaptée à la pratique du BMX ou de motocross. Mais c’est le “dirt” que la bande de l’asso Noyal Shore pratique. 19


DOSSIER

« La légende dit qu’ils seraient coulés dans le béton... » « C’est la discipline de freestyle du VTT : pas de chrono, juste le plaisir de s’envoyer en l’air sur des bosses qui peuvent atteindre les deux mètres de haut », précise Pierre, venu avec ses potes en ce jour froid d’hiver pour façonner leur terrain de jeu. « En cette saison, on joue de la pelle, pour préparer la saison de dirt des beaux jours. » Offert par la mairie de Noyal en 2004 (« ils en avaient marre de nous voir faire les cons dans le bourg avec nos VTT »), le site est une ancienne décharge végétale devenue aujourd’hui une référence de la spécialité, qui a déjà accueilli de grosses compètes par le passé. « Mais le plus drôle c’est d’être pas mal connu du monde des routiers et des automobilistes, du fait de la proximité avec la route. Seule la rambarde de sécurité nous sépare, on reçoit des coups de klaxon parfois, c’est fun. »

du Groupe Rose, boîte spécialisée dans les constructions en bois. Elle avait été achetée par l’entreprise pour servir de bureau pour sa filiale Rose Loisirs. C’était un bon moyen d’attirer l’attention. Et vu qu’elle est tout en bois, c’était en cohérence avec notre cœur d’activité. » Elle devrait néanmoins décoller prochainement. « Le Groupe Rose ayant cessé l’activité de sa filiale en 2015, nous sommes en réflexion sur l’avenir de la maison. Démontée ? Vendue ? Je ne sais pas encore. »

Une “route des oignons” qui ne doit encore son nom que pour un dernier étal, tenu par une dame âgée pas franchement causante. « Je suis fatiguée, revenez plus tard. » Le sens du commerce.

KM 95 : SAINT-BRIEUC

Il fut un temps où la ville se traversait entièrement, depuis la rue de Gouëdic jusqu’à la route quasi-montagneuse menant à Trémuson. Un fond de vallée ignoré des automobilistes depuis l’inauguration en 1981 du viaduc du Gouët, faisant désormais passer voitures et camions à 75 mètres audessus du Légué, le port briochin. « Ses travaux ont débuté en 1976 et sa longueur est de 524 mètres, ce qui en fait le 113e pont le plus long de KM 86 : YFFINIAC France », indique Stéphane Botrel, des Sur les deux aires de repos d’Yffi- archives municipales de Saint-Brieuc. niac juste avant Saint-Brieuc, seule On est loin des 2 460 mètres du viaduc celle située au nord a résisté aux de Millau mais il fait tout de même coupes budgétaires et à la démolition. la fierté des riverains. « Il a choqué Lieu de drague gay connu des Côtes un peu au début mais aujourd’hui on d’Armor la nuit, l’aire s’avère bien s’est habitué. Perso il ne me déplaît plus calme en journée. Quelques camions qui font une pause, des KM 77 : LAMBALLE conducteurs qui s’arrêtent pour On passe devant la sortie pour pisser et une friterie fermée en ce Pléneuf-Val-André, le fief de Radio jour. Pour un sandwich saucisseBonheur qu’on capte sur le 99.1 FM. frites-mayo, on repassera. Petites annonces pour acheter du fumier de cheval, dernier single de KM 90 : LANGUEUX l’accordéoniste Sylvère Burlot et L’ancienne route montante depuis résultats de l’En Avant de Guin- Yffiniac vers Langueux a longtemps gamp : le 22 qui triche pas, il est là. eu sa petite réputation pour deux raisons : avoir été le premier lieu KM 78 : LAMBALLE d’entraînement du champion cycliste Presque aussi belle que la soucoupe Bernard Hinault et le théâtre d’une volante de Strip Tease, la maison vente d’oignons, d’échalotes et d’ail ronde à hauteur de Lamballe in- par les paysans du coin sur le bastrigue les automobilistes de la voie côté. À l’âge d’or de cette drôle de express depuis un paquet d’années. coutume, des dizaines de stands « Elle est là depuis 1994, indique étaient ainsi installés tout le long David Grimault, chargé de com’ de la voie au pied des maisons. 20

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pas. Au contraire, dans la brume ça lui donne un joli drôle d’air, philosophe Norbert, aux commandes des tireuses à bières du bistrot La Marine. La légende raconte que des ouvriers sont coulés dedans, prisonniers du béton pendant les travaux. » Ce n’est pas la seule anecdote morbide de Norbert puisqu’il affirme qu’il y aurait « deux à trois suicides en moyenne par mois », malgré la mise en place de filets pour dissuader les désespérés. « Le pire c’est en décembre, t’arrives au Légué tu vois des flaques de sang séché, tu comprends qu’il y en a encore un qui a sauté… » Des propos invérifiables, ni auprès des archives, ni auprès de la mairie (« pas de chiffres, désolé »). Brrr quand même.

KM 120 : PLOUAGAT

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Question camembert bleu de l’édition Bretagne du Trivial Pursuit : quelle est la commune située à égale distance de Rennes et de Brest ? Réponse : Plouagat, à 120 km de chacune des deux villes et qui possède d’ailleurs sa “rue de la mi-route” pour fêter ça.

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DOSSIER

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KM 155 : PLOUNÉVEZ-MOËDEC

KM 125 : SAINT-AGATHON La RN 12, certains y vivent aussi. Dispersées le long du trajet, plusieurs habitations flirtent avec les barrières de sécurité. Parmi les cas les plus impressionnants, celui de Marie-Pierre à Saint-Agathon dont la maison colle la route au plus près. Sur le pas de sa porte, les véhicules nous frôlent et les pots d’échappement nous en mettent plein les narines. On a connu plus safe. « Ça n’a pas toujours été comme ça. En 1969 pour mon mariage, on pouvait danser devant la maison, la route à cette époque était un petit peu plus loin. » Avant que ne déboule la voie express en 1973 sur ce tronçon. De quoi donner des envies d’ailleurs ?

« C’était la maison familiale de mon mari. Il y était attaché et ne voulait pas la quitter. De mon côté, cela ne me dérangeait pas plus que ça. On a tout de même entrepris quelques travaux : on a changé les portes et fenêtres pour être mieux isolés du bruit. Si c’est efficace ? Ça dépend si la route est mouillée ou pas. Les heures les plus calmes, c’est entre minuit et 5 h. Après par contre, ça n’arrête pas. » Si au décès de son époux Marie-Pierre a hésité à changer d’air, elle y a finalement renoncé. KM 158 : PLOUNÉRIN « Ça reste ma maison. » Alors en pleine digestion de notre couscous, petit crochet par l’ancien KM 144 : BELLE-ISLE-EN-TERRE tracé pour traverser le bourg de “Tous à poil et on baise”. Il est là Plounérin où se trouve l’enseigne le plus beau tag de la voie express. la plus vintage du road trip. Le Café du bon voyage a l’air fermé depuis Mathusalem, mais sa devanture affiche encore l’antique marque de pinard Grappe Fleurie. La pancarte est sacrément défraîchie mais on

« C’est calme entre minuit et 5 h. Après par contre... » 22

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Assiette généreuse de couscous aux trois viandes, bouteilles de rouge en libre-service, fromage, mousse au chocolat et café : addition ? 10,10 euros. Imbattable sur les prix, le Relais de Beg Ar C’hra. Et incontournable depuis… 1870 ! Le plus vieux restaurant routier de Bretagne est une institution chez les conducteurs de poids lourds, les artisans, les vacanciers et les locaux qui se retrouvent tous mélangés sur les vingt-trois tables de la pièce principale (avec bar attenant, douche, salle TV et même hôtel si nécessaire, comme lors de la dernière tempête de neige en 2010). Installé au croisement de la RN 12 avec la D 11 qui file vers Lannion, l’établissement est tenu depuis 2010 par Gaud-Marie et Erwan Le Manchec, cinquième génération familiale aux manettes. « Et la sixième génération, 8 ans, vient me donner un coup de main en cuisine de temps en temps », annonce fièrement le papa. 60 kg de frites maison à éplucher chaque jour, 150 repas à préparer chaque midi de la semaine, un peu moins le soir, il faut que ça turbine. « Le métier est dur mais valorisant car nos clients sont des fidèles, alors on les bichonne : du kig ha farz de temps en temps mais c’est les plats en sauce qu’ils préfèrent. » Alerte hipsters vegan en PLS.


jurerait encore entendre causer en zone d’activité. C’est pourquoi on breton à l’intérieur. a opté pour une construction originale. » Trois architectes sont sollicités KM 184 : ST-MARTIN-DES-CHAMPS et c’est finalement le projet “Totem” C’est ici près de Morlaix que se représentant un indien en carrelage trouve le seul Quick de la RN 12 blanc et bleue qui est choisi. Non sans (contre sept McDo le long du trajet mal. « La direction de l’équipement tout de même). Si vous aussi vous ne voulait pas de ce château d’eau car êtes de la #TeamGiant, ne tardez pas elle avait peur que ça attire l’attention trop : ce restaurant sera prochaine- des automobilistes et provoque des ment remplacé par un Burger King. accidents. N’importe quoi. Heureusement, je connaissais le préfet de KM 186 : SAINTE-SÈVE l’époque qui, lui, était emballé. » C’est l’une des curiosités de l’itiné- Un équipement qui dépasse sa simple raire : le château d’eau en forme fonction pratique, estime Yvon d’indien de Sainte-Sève. Trente ans Hervé. « Nous sommes une petite qu’il domine la route et fait la fierté commune avec peu de patrimoine. d’Yvon Hervé, le maire de la bourgade. Ce château d’eau, c’est finalement « Quand il a fallu s’équiper d’un aujourd’hui le monument le plus nouveau château d’eau, on s’est dit connu de Sainte-Sève. » qu’il fallait marquer le coup. Avec la RN 12, c’était l’occasion idéale pour KM 193 : SAINT-THÉGONNEC se faire remarquer et signaler notre Tel un phare en pleine tempête, elles

font face aux éléments : les affiches de François Asselineau. « LE CANDIDAT DU FREXIT ! »

KM 215 : PLOUÉDERN Juste après la sortie de Plouédern, quelques kilomètres avant Landerneau, pensez à baisser les vitres. L’usine de crêpes Whaou !, installée ici depuis 1998, embaume littéralement toute la zone. Les petits plaisirs ne seraient-ils pas les plus beaux ?

KM 240 : BREST Sur le tracé officiel, cette bonne vieille RN 12 s’arrête à hauteur de Gouesnou, avant que la D 112 prenne le relais jusqu’au panneau “Brest”. Un tour complet du rond-point de Pen Ar C’hleuz et c’est reparti. Rennes, nous revoilà ! Julien Marchand et Régis Delanoë

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Pourquoi la construction de la RN 12 et des voies express était considérée comme si importante ? Les Bretons voulaient rattraper leur retard. Jusque dans les années 1950, la région connaît un sous-développement. La moitié des fermes n’ont pas l’électricité et 90 % d’entre elles n’ont pas l’eau courante par exemple. Très pragmatique, le CELIB (lire par ailleurs page 18) travaille alors beaucoup sur la question des réseaux. Il veut le désenclavement de la région et milite donc pour le Plan routier breton qu’il obtiendra en 1968. À cette époque, il y a une vision très forte du mythe des “effets structurants des transports”. En clair, on se dit que si on améliore les réseaux et qu’on facilite la mobilité, cela va entraîner de l’activité, du développement et du progrès.

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Jean Ollivro, géographe, spécialiste de l’aménagement du territoire et professeur à l’Université de Rennes 2

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« LES ROUTES, DES RIDES STRUCTURANTES »

on observe également que la Bretagne a réussi à inverser son solde migratoire depuis 1968. Un point important surtout lorsque l’on sait que la région avait perdu 1,1 million d’habitants entre 1932 et 1968.

On évoque « l’effet échangeur »… Le CELIB avait négocié un échangeur tous les sept kilomètres en moyenne. Il ne voulait en aucun cas avoir des autoroutes et leurs sorties tous les vingt kilomètres. Un espace simplement traversé, où on ne peut s’arrêter, ne bénéficie en rien du réseau. Cela a eu un rôle structurant. On le voit bien avec les zones d’activités installées Ça a été le cas ? Pour certains, les routes ne servent à le long des axes et, en particulier, au rien ; pour d’autres, elles apportent niveau des échangeurs. le miracle. C’est plus compliqué que ça. Il y a des effets intrinsèques Le réseau routier breton est-il de incontestables (hausse de la vitesse, qualité ? de la sécurité, du confort) et des ef- Beaucoup d’argent a été investi et, fets directs (augmentation des flux globalement, le réseau routier est et de la fréquentation). Alors oui, salué en Bretagne. Il y a un maillage malgré quelques impacts négatifs à différents niveaux et une grande (l’emprise foncière, les conséquences densité de routes. La dispersion de écologiques, les effets de coupure des l’habitat entraîne une prolifération territoires), cela a globalement per- de routes de tous les côtés. Le PRB mis un développement économique. a joué un rôle de polarisation où D’un point de vue démographique, Rennes est devenu le premier centre 24

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breton. C’est la conséquence de ce tracé en « Y », un réseau en fourche qui converge vers Rennes. Cela a entraîné un déséquilibre entre la Basse-Bretagne et la Haute-Bretagne. L’écart démographique entre ces deux territoires s’est accentué. Les axes est-ouest ont également été privilégiés au détriment des axes nord-sud… Avec cet objectif de désenclavement, il y avait une volonté d’ouverture vers la France et l’Europe. Les routes étaient là pour exporter les productions. Cela explique la forme du réseau. Grâce aux volontés politiques régionales, des axes nord-sud ont été développés par la suite. Je pense notamment à l’axe Triskel, reliant Saint-Brieuc à Vannes et Lorient, qui a permis de mieux desservir le CentreBretagne. Les transports impactent l’évolution des territoires. Les routes sont, comme sur un visage, des rides structurantes. Ce sont des résultats de choix politiques. Il suffit de regarder une carte pour mieux comprendre la perception des centralités et des périphéries. Recueilli par J.M


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C’est une légende particulièrement tenace : en Bretagne, les voies express seraient gratuites grâce à la duchesse Anne de Bretagne (illustration) dont le contrat de mariage en 1491 avec Charles VIII stipule que le roi de France s’engage à ne lever aucun nouvel impôt dans la région. Un privilège historique qui expliquerait la gratuité actuelle d’utilisation du réseau routier et l’absence totale de péage autoroutier (le plus proche de nous se trouve à La Gravelle, en Mayenne). Si l’histoire est belle, elle est d’abord et surtout fausse. « La raison est en réalité très simple, corrige Claude Champaud, ancien vice-président et porte-parole du CELIB (lire par ailleurs page 18) à l’origine du Plan routier breton. Le dispositif consistait à réaménager les routes nationales existantes, donc à les supprimer, pour y implanter les nouvelles voies express. Partout ailleurs en France, toutes les autoroutes payantes sont doublées par une route nationale gratuite, l’ancien tracé ayant subsisté. En Bretagne, il était donc impossible de faire payer les automobilistes, sans alternative gratuite. Sous peine de rendre ces nouvelles voies illégales, voire même anticonstitutionnelles. » 25


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CACHE CASH

VIA FACEBOOK, SUR LA PLACE PUBLIQUE OU DANS DES MAGASINS D’UN NOUVEAU GENRE, REVIENT À LA MODE UNE FAÇON DE CONSOMMER BASÉE SUR LE DON OU LA REVENTE À PRIX SYMBOLIQUE. UN SUJET 0 % CENTRES COMMERCIAUX. e froid hivernal est un vrai bon prétexte à inviter des amis autour d’une bonne bouffe. Avec en incontestable reine des repas la raclette. Rien à préparer, convivial et méga bon, on est sur un neuf sur dix sur l’échelle de l’hédonisme, à condition d’avoir l’outillage pour. Sauf qu’un appareil à raclette en magasin, ça va chiffrer dans les 50 euros et qu’il serait dommage de sacrifier une telle somme quand on peut la dépenser en charcute et vin rouge. Comment faire alors, si on n’en a pas ? S’en faire prêter ? Pas pratique. En choper un gratos ? En voilà une idée qu’elle est bonne. 26

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Justement, une dénommée Priscille aimerait justement se débarrasser de son appareil. « Il a juste un faux contact qui fait sauter les plombs mais sinon il est nickel. » Un déplacement chez elle et un coup de vis pour le réparer, le voilà prêt à être (ré)utilisé. Un Tefal 10 places, gentiment offert par une inconnue, comment diable est-ce possible ? Priscille fait partie du groupe Facebook “Parallèle Rennes”, ouvert à tous sur invitation, sur lequel ses membres proposent des objets qu’ils souhaitent donner. « Des vêtements, du petit électroménager, des accessoires de jardin, de bricolage… Il y a de tout », observe Alexandre, l’administrateur

de la page. En général, ça trouve preneur très rapidement. » Ayant récupéré avec succès l’appareil à raclette le jour-même de l’annonce postée par Priscille, j’ai voulu rendre la pareille à la communauté en cédant une vieille gazinière qui trainaît dans ma cave. Résultat : une certaine Hilary venue avec son diable la récupérer, heureuse de son acquisition. « Une copine m’a fait entrer dans la communauté. J’ai chopé du parquet flottant, des planches pour faire une bibliothèque et des boutures. Maintenant je cherche une machine à laver et une armoire. » Les groupes Facebook Parallèle ont vu le jour à Nantes il y a trois ans


avant de s’étendre dans deux autres villes bretonnes : Saint-Brieuc, dont la communauté dépasse les 1 800 membres, et Rennes plus récemment, pour déjà plus de 1 000 inscrits. « C’est un réseau informel mais doté d’une charte dans laquelle il est stipulé que l’idée est de promouvoir la gratuité, l’échange et l’entraide », explique Alexis. « Parallèle a une double visée : économique et militante. On cherche à lutter contre le gaspillage et le consumérisme par le réemploi d’objets qui ont mieux à faire que de partir à la déchetterie ou de rester dans un grenier, embraye Julie, du groupe briochin. On se rend service et si en plus on peut éveiller les consciences, c’est mieux. »

« La gratuité, c’est une radicalité » Entrée dans le réseau il y a un an pour « chercher à se remeubler après un déménagement », Priscille possède désormais un séjour « presque entièrement constitué de mobilier déniché via Parallèle, Emmaüs et les videgrenier. Les dons, c’est la suite logique du marché de la seconde main qui a explosé avec Le Bon Coin. Il y a une part de lutte contre la consommation frénétique et le tout jetable. » Une approche militante qui tend vers le politique avec le magasin gratuit de Rennes fondé en 2014 par La Souris Verte, une émanation de militants écologistes. Si le collectif est aujourd’hui en sommeil, sa boutique ouvre toujours chaque mercredi et samedi après-midi dans la rue Legraverand. « L’idée de départ était de se réapproprier l’espace public en proposant une zone de gratuité et un espace d’échange sur le sujet. Si je donnais plutôt que d’accumuler ? Quelles alternatives à l’argent ? Ce genre de questionnements. On s’installait au quartier du Blosne, au cœur de la cité, avant de finalement décider d’investir ce local pour sédentariser la chose », rembobine Marianne, une des membres 27


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du collectif à l’initiative du magasin gratuit. Elle a aujourd’hui laissé la main à d’autres bénévoles qui, deux fois par semaine, se chargent de réceptionner les dons, de les trier et de les proposer en libre-service au public : vêtements, livres, vaisselle… Réseau Parallèle sur Facebook, magasin gratuit La Souris Verte mais aussi cabanes à dons qui se multiplient dans les communes de la région, ou encore “gratuithèque” (un marché de Noël éphémère où tout est gratuit) expérimentée en décembre à Plœren dans le Morbihan : la liste des initiatives pour développer une forme d’économie du don est non exhaustive. Bien qu’elles soient encore toutes relativement marginales, mises bout à bout ces démarches dessinent une tendance de fond qui interrogent les universitaires (lire ci-dessus). « La gratuité, c’est une radicalité, pose Marianne. On est dans une logique de “finir” les objets. Dans un

monde qui nous impose un rythme de consommation par l’obsolescence programmée, il faut au contraire responsabiliser les gens : plutôt que de jeter ce qui peut encore être utilisé, et si vous recousiez ce qui est déchiré ou bricoliez ce qui est réparable ? Plutôt que de stocker pour rien, pourquoi ne pas donner ? » La limite de la gratuité en revanche, c’est sa viabilité sur le long terme en tant que modèle économique.

Le système ne peut que reposer sur le bénévolat, à moins que les pouvoirs publics s’emparent un jour du sujet. S’ils le font symboliquement en encourageant des petites initiatives comme les cabanes à dons, il paraît difficile actuellement d’envisager un engagement plus poussé. « Pourtant, il y aurait matière à développer d’autres magasins gratuits dans les quartiers, mais a minima on a besoin de locaux pour cela et pour l’instant on est trop

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« UN MARQUEUR FORT DE RUPTURE GÉNÉRATIONNELLE » Pascal Glémain, responsable du master Économie sociale et solidaire à l’Université de Rennes 2 Troc et don d’objets entre particuliers, marché de la seconde main : n’assisterait-on pas à une nouvelle manière de consommer ? Il y a effectivement rupture entre les habitudes de consommation de la génération des Trente 28

Glorieuses avec l’actuelle des Quarante Piteuses. C’est celle de la crise, du chômage, de la raréfaction des ressources et de la pollution engendrée par le gaspillage. Une mutation sociétale s’installe, autant par choix (ne plus consommer sans conscience) que par obligation (trouver des systèmes D pour composer avec un portefeuille allégé). C’est un marqueur fort de rupture générationnelle.

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Comment s’inscrit ce phénomène dans le temps ? Si c’est une rupture avec la génération précédente, ce n’est pas une nouveauté. Plutôt une correction : on troque et on réutilise depuis des siècles. L’Homme s’adapte à la fin de l’ère d’abondance en la retournant positivement : retour à une économie plus courte et solidaire où on cède des objets à qui en a besoin plutôt que de les laisser prendre la poussière.

Que pense l’économiste que vous êtes de la gratuité ? Elle pose problème car elle n’est pas un modèle en soi. C’est une logique individuelle qui ne construit rien : ni emploi ni réinsertion, contrairement aux modèles des ressourceries ou d’une structure comme Emmaüs. Le don pur a quelque chose de court-termiste, réminiscence de la charité. Je préfère un système qui maintienne et remette les personnes debout.


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à la marge pour recevoir une quelconque aide de cet ordre », déplore Joëlle, permanente de l’exiguë boutique de dons de la rue Legraverand. En attendant de complètement remiser ses euros au placard, l’alternative se trouve peut-être dans le développement actuel des ressourceries. Ces structures associatives, réunies en réseau national, récoltent des objets donnés qui sont ensuite triés, réparés si nécessaire et proposés à la vente, à prix modique. « C’est un modèle économique viable : en plus de lutter en faveur de la réduction des déchets, on y ajoute un volet social par la réinsertion professionnelle », indique Priscilla Zamord, co-gérante de Le Belle Déchette, dernière ressourcerie en date à avoir vu le jour en Bretagne (la région en compte cinq). Installée dans le centre-ville de Rennes depuis la rentrée de septembre, cette échoppe d’un nouveau genre se veut à la croisée de la friperie classique (en moins cher), du vide-grenier (en mieux rangé) et d’Emmaüs (en moins cheap). La Belle Déchette devrait bientôt compter six salariés dans ses rangs, preuve qu’entre le tout gratuit et le centre commercial, un intermédiaire peut prendre ses marques. Régis Delanoë 29


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LES BRETONS FONT DU SKI

IL Y A 30 ANS, LA PREMIÈRE (ET DERNIÈRE) PISTE DE SKI VOYAIT LE JOUR EN BRETAGNE. C’ÉTAIT À PLOUISY DANS LES CÔTES D’ARMOR. UN PROJET DINGO AVEC REMONTÉES MÉCANIQUES ET CHALET DE MONTAGNE. « J’VAIS TE LE PLANTER MOI L’BÂTON ! »

Photos : Jean-René Gouriten

louisy : son manoir de Kérizac, sa chapelle SaintAntoine du 15e siècle, son château de Kernabat et… sa piste de ski. En 1987, cette commune de 2 000 habitants des Côtes d’Armor a sans nul doute inscrit son nom au palmarès des initiatives les plus WTF de la région. Malgré un faible relief et une absence totale de neige, c’est pourtant bien une mini station de ski qui fut érigée dans un champ pentu au lieu-dit de Pont-Ezer. Piste, remontées mécaniques, chalet, location de matériel : tout y était. Trente ans plus tard, les habitants de Plouisy s’en souviennent encore. « Ce n’est pas le genre de trucs qu’on oublie. Ça reste de loin la chose la plus surprenante qu’il y ait jamais eu dans la commune, témoigne d’emblée Chrystelle Rospars qui a connu la piste lorsqu’elle avait 13 ans. J’étais assez excitée de l’essayer. Mes copines et copains partageaient le même enthousiasme. » Idem pour Sylvain Meunier qui depuis Guingamp, la ville voisine, s’y rendait en vélo le mercredi après-midi. « J’avais l’habitude d’aller aux sports d’hiver avec mes 30

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« C’était pas de la poudreuse » C’était le cas de Marie-Louise et Jean-René Gouriten, qui habitaient Pabu à cette époque. S’ils n’ont jamais emprunté la piste, ils y ont emmené leurs filles, Catherine et Anne, alors âgées de 10 et 13 ans. « C’était un équipement modeste. Le temps de descente était relativement court. Mais cela avait le mérite d’exister. C’est là que nos filles sont montées sur des skis pour la premières fois. Anne était plutôt prudente alors que Catherine, elle, aimait la vitesse. C’est sans doute là qu’elle a pris le goût de la glisse, elle va régulièrement au ski depuis. »

Si le public a répondu présent les premiers temps, la suite s’est avérée en revanche plus compliquée. Après seulement deux saisons d’activité, l’attraction a fermé boutique. « Avec le recul, ce n’était pas exceptionnel en fait. J’ai souvenir d’un sentiment de déception une fois arrivée en bas de la piste. C’était sans doute bien pour une initiation au ski pour des enfants, mais pas plus », estime aujourd’hui Chrystelle. « Les chutes étaient fréquentes. Et comme c’était pas de la poudreuse, mais du plastique, ça n’a pas aidé. On a compté quelques blessés », fait savoir Rémy Guillou. Si les pylônes des remontées mécaniques ont longtemps trôné à Pont-Ezer, ils ont aujourd’hui disparu, mangés par la végétation et la rouille. Le maire poursuit : « De mémoire, Alain Hamon avait également pour projet d’installer une piste de ski de fond tout le long de la rivière en contre-bas. C’est peut-être plus ça qui aurait marché. » Julien Marchand

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parents quand j’étais petit, mais il était évident qu’il fallait que j’essaie la piste de Plouisy. Dans mes souvenirs, elle devait faire une petite centaine de mètres, avec quelques passages assez raides. On dévalait sur des grandes plaques en plastique, emboitées les unes dans les autres. Il y avait des sortes de picots assez durs dessus, valait mieux pas tomber. Surtout qu’on faisait ça sans casque, la sécurité à l’époque… » Un projet un peu fou qu’on doit à Alain Hamon (aujourd’hui décédé) alors installé à Plouisy en tant que cuisiniste-ébéniste. « Il faisait des superbes meubles. Mais il croyait dur comme fer au succès de sa piste. Il a pas mal investi dedans. Dans un premier temps, il avait bricolé un petit tremplin dans son jardin en guise de test, avant de se lancer grandeur nature, rembobine Rémy Guillou, actuel maire et ancien correspondant pour Ouest-France sur la commune. À l’époque, j’ai couvert la construction, l’inauguration, les premiers dimanches… Ça a bien fonctionné au début. C’était l’attraction du week-end : il y avait des embouteillages, des voitures partout, beaucoup de curieux qui voulaient voir à quoi ça ressemblait... »

Skier en été, près de la plage, en maillot de bain. C’était l’idée un peu folle de Robert Legrand, un habitant de La Baule en Loire-Atlantique, à la fin des années 50. Un étonnant projet qu’il concrétise le 11 juillet 1959 en inaugurant une activité carrément zinzin sur la dune de la Jo : le ski sur aiguilles de pin. Une pente de 80 mètres, équipée d’un tremplin et d’un remontepente. Les sensations sont plutôt bonnes (bien que la descente s’avère rapide) et un club de ski local verra même le jour. L’affaire sera revendue en 1966 à des exploitants originaires de Courchevel qui la rebaptiseront “Le Schuss”. Mais en 1975, la mairie ne renouvelle pas l’autorisation d’occupation du site, sonnant la fin officielle de la piste. Aujourd’hui, il n’en reste plus rien, seuls les pins ont survécu. 31


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CULTURE PUB

EN ATTENDANT LA SAINT-PATRICK LE 17 MARS, RENCONTRE AVEC CES IRLANDAIS, PATRONS DE PUB EN BRETAGNE, POUR QUI LEUR ÉTABLISSEMENT EST BIEN PLUS QU’UN SIMPLE BAR. 32

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« LE PUB EST UN VIENT COMME IL

CHRIS O’REILLY, 61 ANS, PATRON Avant de me poser à Brest, j’ai pas DU TARA INN À BREST mal bougé et voyagé. À mes 18 ans, « C’est marrant parce que quand j’étais jeune, je ne me serais jamais imaginé tenir un pub. Travailler quand les autres font la fête, quelle horreur… Aujourd’hui, je pense tout le contraire. Accueillir les gens chez soi, faire en sorte qu’ils se sentent bien et passent un bon moment : c’est un plaisir comme métier.

j’ai quitté Dublin, ma ville natale, pour Londres. C’était compliqué de trouver un boulot en Irlande à ce moment, alors qu’en Angleterre ça embauchait plus facilement. J’ai bossé dans plusieurs usines, dans une fonderie aussi. J’y suis resté trois ans, avant de partir aux PaysBas puis en Israël. Là-bas, j’ai tra-

« LA DEUXIÈME MAISON » EOGHAN HUNT, 37 ANS, GÉRANT lycée à Fougères, avant de travailler DU FOX & FRIENDS À RENNES au pub O’Connells sur la place du « Mon premier petit boulot, c’était au Egan’s Pub à Ballinasloe, une petite ville dans le comté de Galway. Je devais avoir 15-16 ans… Le pub est un univers que j’ai toujours connu, j’y ai toujours traîné et y ai grandi. Petit, avec mon Seven Up et mon paquet de chips Tayto. Plus grand, pour le travail ou avec les copains. Pour tous les Irlandais, c’est un peu la deuxième maison. Je suis arrivé en France à 25 ans. J’ai suivi une Française rencontrée lors de mes études à Galway. J’ai commencé comme assistant de langues dans un 34

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Parlement à Rennes. Ça a été un super moment. J’y ai notamment découvert la chance que j’avais d’être Irlandais en Bretagne. Et puis, après six ans là-bas, j’ai eu l’opportunité de monter le Fox & Friends avec deux associés. Avoir un pub, ça reste une petite fierté quand t’es Irlandais. Parmi les moments que j’aime bien : les samedis matin. Il y a pas mal de jeunes couples avec enfants qui passent ici après le marché de la place des Lices. Il y a un côté convivial et familial que l’on retrouve dans les pubs en Irlande. »

vaillé dans un moshav, une sorte de ferme coopérative qui accueillait des volontaires venus de tous les pays. Nous étions au sud du Golan, près de la Jordanie, à faire pousser des tomates et des poivrons au milieu du sable en plein désert. C’était incroyable. C’est là que j’ai rencontré Marie, une Bretonne qui allait devenir ma femme, que j’ai suivie à Brest. J’avais 26 ans. Je me souviens débarquer place de Strasbourg avec seulement 7 francs en poche. J’ai commencé par faire la plonge à l’hôtel Oceania, avant que mon beaufrère qui tenait un café me propose de le rejoindre. J’y ai découvert le métier de barman et y ai pris goût. À tel point que j’ai eu envie de lancer ma propre affaire. J’ai alors rencontré


LIEU OÙ CHACUN EST »

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Joe, un autre Irlandais installé dans le coin, et on a monté ensemble le premier pub brestois The Dubliners en 1989. Ça a cartonné. Du monde tout le temps à bloc. Les gens venaient pour retrouver l’ambiance qu’ils avaient pu connaître en Irlande. Et puis trois ans après, j’ai racheté un ancien restaurant au port de commerce pour y monter The Tara Inn. On a fabriqué l’ensemble du pub nous-même, tout en bois. Jusqu’à l’ouverture officielle le 14 mars 1993, trois jours avant la Saint-Patrick, juste à temps. Je retrouve un peu le même esprit entre Bretons et Irlandais. Des gens simples, solidaires, pas frimeurs. Ce qui colle plutôt bien à l’idée que je me fais d’un pub, un lieu ouvert où tout le monde se mélange et où chacun vient comme il est. »

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« LE PREMIER PUB IRLANDAIS DE BRETAGNE » PADRAIG LARKIN, 56 ANS, PATRON et que les pierres chantent. Dans le DU GALWAY INN À LORIENT centre, c’était compliqué, la ville « Je suis arrivé ici en 1982. C’est pour une femme rencontrée à Galway, ma ville natale, que j’ai quitté l’Irlande. Elle était originaire du CentreBretagne, on s’est donc installé là-bas, où on a tenu notre première affaire à Guern, près de Pontivy. On l’a appelé taverne par simplicité mais c’était un pub irlandais en réalité. Le premier qui ait existé dans la région. Un type d’établissement alors tout nouveau en France. À Paris, on en comptait seulement deux à cette époque. Quelques années plus tard, en 1988, on a eu envie de déménager. Lorient nous semblait la ville idéale. Avec le Festival Interceltique, les gens avaient une bonne connaissance et un attrait pour la culture irlandaise. On se disait qu’ils allaient pouvoir trouver chez nous cette même ambiance toute l’année. On s’est donc mis en quête d’un lieu. On voulait un endroit qui ait déjà une histoire. Que les murs parlent

ayant été en grande partie reconstruite après-guerre. C’est finalement rue de Belgique, légèrement excentrée, qu’on a déniché l’endroit idéal. Un ancien cafécharcuterie datant du 19e siècle. Ici, on tuait les cochons directement dans la cour, juste là derrière. Je voulais aussi une cheminée, ce qui était compliqué à trouver. Dès qu’il fait un peu froid, j’y brûle de la tourbe en provenance directe du Connemara. Ça donne une odeur typique. Dans le pub, tous les sens sont ainsi sollicités : le goût avec la bière, l’ouïe avec la musique, la vue avec la déco et les photos, le toucher avec les tables en bois et l’odorat avec le parfum de tourbe. Mon pub ressemble un peu à ceux qu’on trouvait à Galway dans les années 80. J’essaie de faire en sorte qu’on y retrouve la même ambiance. Pub, ça vient de “public house”, c’est le salon de tout le monde. En Irlande, les gens préfèrent se

DIASPORA

BZH : LITTLE IRELAND ? À DÉFAUT DE S’ENVOLER POUR L’ÎLE VERTE, LA BRETAGNE S’AVÈRE UN BON PALLIATIF. TOUR D’HORIZON DES POINTS COMMUNS ET LIENS ÉTROITS ENTRE LES DEUX TERRITOIRES. 36

Partout où tu vas dans le monde, tu tombes sur un Breton. Même chose pour les Irlandais, forts d’une diaspora XXL (entre 80 et 100 millions de personnes dans le monde revendiquent des origines irlandaises), conséquence d’une vague d’émigration qui a frappé l’île au 19e siècle pendant la Grande famine.

PAYSAGES Envie d’un avant-goût d’Irlande ? Grands espaces,

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donner rendez-vous au pub qu’à la maison. Tout cela participe au lien social : c’est une façon de rencontrer du monde, de croiser des amis, de prendre des nouvelles… Dans beaucoup de bars en France, les gens restent entre eux, en groupes, en petits cercles autour d’une table. C’est dommage je trouve. En presque 30 ans d’activités ici, je retiens notamment la venue en 2014 de Michael D. Higgins, l’actuel président irlandais. Sur les 48 heures

landes et tourbières : les Monts d’Arrée sont le Connemara breton. Falaises abruptes, houles massives et fortes rafales de vent : Ouessant a des allures de Wild Atlantic Way, la côte ouest sauvage de l’île verte.

MUSIQUE Établir la liste des connexions entre ces deux cultures traditionnelles serait sans fin. Climax de cettre relation : le Festival Interceltique de Lorient chaque été.

LANGUES Le gaélique irlandais et le breton ont connu un destin aux nombreuses similitudes. Des langues majoritairement parlées, puis réprimées, en voie de disparition, avant de connaître un sursaut et de résister tant bien que mal. Si le gaélique est aujourd’hui la première langue officielle du pays, il n’est parlé quotidiennement que par 1,8 % des Irlandais. Quant au breton, le nombre de locuteurs est évalué à 172 000 personnes, soit 5 % de la population en Bretagne.


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de sa visite à l’occasion du Festival Interceltique, il a passé près de deux heures au pub. Il a notamment parlé du foot gaélique : il était ravi que ce sport se développe autant en Bretagne. Dans les autres bons souvenirs, il y a eu aussi l’anniversaire de Paddy Moloney, leader du groupe dublinois The Chieftains, une formation culte. Il était là pour fêter ses 50 ans. Pour l’occasion, on lui a servi 50 pintes… il en a bien sûr offert une partie ! » J.M

JUMELAGES Sur les 150 jumelages officiels entre les communes françaises et irlandaises, on en compte 96 en Bretagne. De (très) très loin la première région.

APÉRO Difficile de le nier : Irlande et Bretagne partagent un amour commun pour le lever de coude. Dans son roman Ulysse, l’écrivain irlandais James Joyce décrit le véritable casse-tête de traverser Dublin sans passer devant un pub. Un défi à tenter à Rennes, Brest ou encore Lorient (ville bretonne avec le plus de bars par habitant : un peu plus de 18 bars pour 10 000 personnes). 37


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UN MARCHÉ PARALLÈLE DE LA GUINNESS ?

Parmi les grands mystères de la vie, il y en a un qui traverse les siècles sans trouver de véritable réponse. Une même interrogation qui nous taraude et vient réveiller nos consciences à chaque gorgée : « hey tavernier, elle vient vraiment de Dublin ta Guinness ? » Cette question, tous les patrons de pub l’ont un jour entendue. La provenance de la plus célèbre des bières irlandaises s’est imposée comme l’un des sujets récurrents des discussions de comptoir. Un doute soulevé par de nombreux clients qui affirment que la Guinness n’a pas le même goût en France et entretenu par certains barmen qui se vantent de recevoir leurs fûts directement de Dublin, sous-entendant que ce n’est pas le cas partout. Chez les patrons de pub, le lieu de production de cette bière brune reste flou. Pour certains, elle ne serait pas produite intégralement à St. James’s Gate, brasserie historique de Guinness à Dublin. « Honnêtement, je ne peux pas te dire d’où elle vient vraiment, confesse Yann Guenneguez, patron du pub O’DonNeil 38

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à Porstall et ex-boss du Westport Inn à Rennes. Mais pour moi, il y a une différence entre la Guinness en Irlande et celle que tu peux boire ici. Au niveau du goût, y a pas photo. Là-bas, elle est plus douce, plus crémeuse, moins amère. »

lui, ajoute Yann. Ça me semblait la meilleure solution pour avoir une bière 100 % irish. » Des efforts qui pour Édouard Cozigou, chargé de développement dans l’entreprise du même nom et leader de la distribution de boissons en Bretagne, ne sont pas nécessaires. « Une légende urbaine » « Toute la Guinness que nous livrons Si cette bière est vendue en France provient bien d’Irlande, assure-t-il. par Kronenbourg (qui détient une Toute cette histoire sur son origine, licence exclusive de commerciali- c’est une légende urbaine qui a la sation dans le pays), puis livrée peau dure. Un peu comme cette dans les bars par des distributeurs rumeur de la bière coupée à l’eau (France Boissons, Cozigou, Ouest en festivals. On a beau dire la vérité, Boissons…), elle se retrouve éga- les gens ont toujours un doute. » lement au catalogue d’un fournis- « Je peux vous garantir que tous seur indépendant basé à Angers, les fûts de Guinness que nous comIrish Beer Company, qui a fait de mercialisons viennent de Dublin, son approvisionnement direct en confirme Philippe Collinet, direcIrlande son principal argument. teur de la communication chez Une sorte de marché parallèle de Kronenbourg. Sa différence de goût la Guinness en quelque sorte. présumée s’explique selon moi par Un fournisseur par lequel passe le contexte de dégustation : quand Padraig Larkin, gérant du Galway vous êtes dans un authentique pub Inn à Lorient : « Au moins je suis en Irlande et qu’on vous sert une sûr qu’elle vient directement de Guinness tirée dans les règles de Dublin. Je prends pas de risque l’art, à bonne température, dans comme ça. » « Quand j’étais à un bon verre, c’est là qu’elle vous Rennes, je travaillais également avec paraît forcément la meilleure. » J.M


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EN VERRE ET CONTRE STOUT

Couleur noire, arôme café et gazéification quasi nulle due à un tirage mixte azote et CO2 en pression : la stout est une bière particulière pour initiés. D’origine britannique, devenue spécialité irlandaise, elle est « de fermentation haute, avec des malts torréfiés pour l’arôme caractéristique et de l’avoine voire du seigle pour le côté crémeux typique », précise Gabriel Thierry, auteur de l’ouvrage La Bière bretonne paru il y a quelques semaines. Dans la région, quelques brasseurs s’y sont essayés. Mais pas Lancelot, comme l’explique son président, Stéphane Kerdodé : « La bière Telenn Du que nous fabriquons est une brune (ou noire selon les appellations) au blé noir mais pas une stout. On la laisse aux spécialistes. » Une bière de niche qui s’inscrit dans un marché plutôt compliqué en France. « La stout est dans le top 3 de nos moins bonnes ventes. On subit le leadership écrasant de Guinness », déplore Matthieu Breton, patron de Coreff, dont la stout est présente à la pression dans « une trentaine d’établissements, que des passionnés ». Une résistance qu’a récemment rejointe une poignée de microbrasseries de la région, dont An Alarc’h, Bleizi Du ou encore La Guernouillette. Slaínte ! 39


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FUZATI VIENT DE SORTIR LE TROISIÈME ALBUM DU KLUB DES LOOSERS. UN DISQUE SOUS FORME DE RECUEIL DE NOUVELLES OÙ LE RAPPEUR MASQUÉ SE DÉCLINE EN PLUSIEURS PERSONNAGES. TOUJOURS DÉSABUSÉ ET DÉSENCHANTÉ, RASSUREZ-VOUS. e nouvel album, Le chat et autres histoires, n’est clairement pas hip-hop. Tu avais envie de t’écarter de cette musique ? C’est une évolution, il n’est jamais intéressant, quand on est un artiste, de se contenter de refaire à l’infini ce qu’on a déjà fait. Depuis trois ans, je suis entouré par un groupe live, 40

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je traîne surtout avec des musiciens de la scène pop indé française. Je n’écoute plus de hip-hop depuis dix ans, j’écoute surtout du jazz, de la musique brésilienne, des choses très organiques... Sur ce nouvel album, je me mets plutôt en avant comme musicien, j’ai tout composé, il n’y a aucun sample, j’ai joué tous les claviers...

Même ton rap semble différent sur cet album, peut-être plus monocorde... Peut-être, mais parce que ce n’est pas forcément un album de rap. Par rapport à mes deux précédents disques, où il n’y avait pas vraiment de refrain, j’ai vraiment essayé de faire des chansons. Et en même temps, je raconte des histoires,


resté culte pour beaucoup... Comment l’expliques-tu ? S’il s’est inscrit dans la durée, c’est parce que je n’ai pas mis de références dans mes textes. Un adolescent qui le découvre maintenant va se dire que ça lui parle. Si j’avais abordé ce qu’il se passait en 2004, ça aurait peut-être mal vieilli. De même pour mon disque La fin de l’espèce. C’est un album qui parle de ne pas se reproduire, c’est un sujet intemporel. Mais il est impossible d’avoir une emprise sur tes albums de toute façon. Dans quelques années, les gens auront peut-être une autre lecture du Chat et autres histoires...

donc si tu les noies dans un flow hyper compliqué, ça ne les fait pas ressortir. Là, je suis plus comme un conteur. Tu incarnes plusieurs personnages dans cet album... C’est donc ton personnage de Fuzati qui incarne lui-même plusieurs personnages. T’es pas un peu paumé des fois ? Les gens sont peut-être déroutés par cet album parce qu’ils s’attendaient à retrouver le Fuzati qui vient cracher sa haine. Là, je suis dans le recueil de nouvelles. Les précédents albums ressemblaient plus à des romans avec un sujet transversal. Là, c’est plutôt des variations autour du personnage de Fuzati. Il n’y a pas Fuzati sur tout l’album, mais on peut retrouver une part de lui dans tous les personnages. Le premier album du Klub des Loosers, Vive la vie, sorti en 2004, est

Pourquoi Le Klub des 7, collectif que tu avais monté avec des membres de Svinkels, Gravité Zéro et ATK, s’est arrêté ? Cest le label Vicious Circle qui m’avait contacté pour faire ce projet, j’ai donc invité des gens à venir poser sur mes prods. Mais ça n’était pas un groupe.

Mais il y a eu une tournée, puis un second album... Quand Fredy K (membre du Klub des 7, ndlr) est décédé en 2007, on s’est dit qu’il fallait faire un second album pour lui rendre hommage, et certains ont commencé à vouloir transformer Le Klub des 7 en groupe. C’est là qu’il y a eu de la friction et Le premier morceau de l’album que ça a commencé à me saouler. s’appelle Préface, tu rappes des Tout le monde n’avait pas la même sortes de nouvelles, tu mobilises notoriété, et peut-être qu’avec Le Klub l’image du chat, animal très litté- des 7, certains faisaient des salles plus raire... Tu te serais vu écrivain ? grosses que celles en solo, ils avaient C’est un truc par lequel je vais envie de continuer. certainement passer. Par contre, ce que je n’aime pas trop en France, On a une image de cette scène dite c’est que beaucoup de journa- alternative assez soudée, ce qui est listes posent la question en disant finalement faux. Tu t’es toujours en substance : « Bon, la musique, tenu à distance ? c’est bien, mais écrire un livre c’est Mais comme plein de gens en mieux. » Ils font une hiérarchie, fait. C’est pas parce que tu fais un et j’ai toujours trouvé ça un peu morceau avec un gars que c’est ton dégueulasse. C’est comme si c’était meilleur pote. Il y avait des gens très une sorte d’accomplissement, alors différents. Le truc disant que c’était que je ne vois ça que comme une du rap de Parisiens blancs, c’est des autre forme d’écriture. conneries. James Delleck a grandi à Vitry, il traînait avec les mecs du 113, Que t’apporte le fait d’évoluer en Fredy K était dans ATK, dans un indépendant ? truc plus “rue”... Le Klub des 7 n’a Ça change plein de choses. Je suis rien à voir avec La Caution, qui n’a totalement libre artistiquement, rien à voir avec TTC, etc. Il n’y a pas mais c’est deux fois plus de travail. qu’une seule histoire. Aujourd’hui les Je fais les interviews, les concerts, gens parlent du Klub des 7 comme si mais je suis aussi le label, je gère c’était un truc dingue, alors que sur énormément de choses. Je vois des le moment ce n’était pas vraiment artistes signés chez des majors qui ça. Mais tant mieux, ça veut dire galèrent parce qu’ils sont bloqués, que ça a traversé le temps. parce qu’ils sont en désaccord avec un directeur artistique... Mais je ne Recueilli par Brice Miclet crois pas qu’il y ait de situation ou de configuration parfaite. Le 27 janvier à l’Ubu à Rennes 41


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DANS SA PIÈCE « FRANCE-FANTÔME », LA METTEURE EN SCÈNE TIPHAINE RAFFIER IMAGINE UN FUTUR PROCHE FAIT DE TRANSFERT D’ESPRIT ET DE RÉINCARNATION, EXPLOITANT (ENFIN) LE GENRE DE LA SCIENCE-FICTION AU THÉÂTRE. n quoi la question du transhumanisme est un bon sujet pour une pièce de théâtre ? C’est une façon d’aborder une constellation de thèmes : la vie, la mort, l’amour… Écouter le discours des transhumanistes a développé mon imagination : il y a tout un courant de pensée qui explique que le transhumanisme est d’abord un humanisme et qu’il va sauver les hommes. Dans France-fantôme, les gens peuvent être réincarnés dans de nouveaux corps. Et cette question de l’incarnation, c’est-à-dire d’avoir un corps qu’on n’a pas choisi, m’intéresse fortement. Cela permet de parler de l’altérité.

La science-fiction, c’est compliqué à mettre en scène au théâtre ? À la différence du cinéma, on ne peut faire voler les voitures… Je savais en revanche que la puissance poétique de la SF trouverait sa place sur scène. Comment ? En laissant une grande part à l’imaginaire. En représentant le minimum, le spectateur s’imagine le maximum.

Pierre Martin

Pourquoi la SF est-elle un genre peu exploré au théâtre ? Beaucoup se disent certainement que la littérature et le cinéma sont des arts plus appropriés pour ce genre... Et je pense aussi que le théâtre est peuplé de personnes qui ne sont pas forcément attirées par ça. La SF est sans doute Vous considérez-vous comme considérée comme un sous-genre. technophile ou technophobe ? À tort, selon moi. La scienceJ’essaie d’éviter les deux écueils. Ce fiction permet en réalité de parler qui m’intéresse, c’est de faire res- de notre époque : derrière les quessortir la beauté de la technologie. tions scientifiques, on observe des Y compris celle du monde informa- enjeux politiques, sociétaux… tique qui, pour beaucoup de gens, semble froid. Je trouve qu’il charrie Recueilli par J.M pourtant une forme de romantisme absolu. Les 25 et 26 janvier au Théâtre de Lorient 42

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Mathilde Kauffmann

FLASH MODS

LA SCÈNE ROCK RENNAISE A ACCOUCHÉ DE DRÔLES DE REJETONS AVEC THE FLASHERS. Trois gars, une fille, 20 ans de moyenne d’âge, un style flamboyant et un talent fou pour aligner les tubes rock sensuels et gouailleurs : dites bonjour à The Flashers, fondé à Rennes il y a trois ans. Charles, Eliott, Ophélie et Arthur n’ont au départ d’autres ambitions que de « faire du bruit dans une salle ». Un quatre titres sorti en K7 sur Renegade Records et une poignée de dates convaincantes plus tard, les voilà propulsés sur le devant de la scène garage local : l’invitation du Binic Folk Blues Festival et l’adoubement de Beast Records et Howlin Banana, sur lesquels sortira mi-mai le premier album de la bande. « Un dix titres qui n’a pas encore de nom. Y figurent le single Fille Facile et deux clips à paraître en début d’année, Lucifer et Skylean. » Des morceaux dans lequel la bande alterne chant français et anglais, piochant des deux côtés de la Manche au moment de citer leurs influences : « Les Olivensteins, les Clash, Nick Cave, Bowie période Ziggy Stardust… Le glam on kiffe, dans la musique comme dans le style. » Une matière à inspiration pour un groupe qui avance avec assurance et ambition. « On ne veut pas marcher sur les pieds des autres mais imposer notre style. On n’est pas un énième groupe garage lambda, on est les Flashers. » Le 8 février à l’Ubu à Rennes Le 19 mai à l’Antipode à Rennes 43


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COMME SON NOM NE L’INDIQUE PAS, THE JACQUES EST UN GROUPE ANGLAIS MENÉ PAR UNE PAIRE DE FRANGINS QUI JOUE DU ROCK D’INSPIRATION LIBERTINES REMIS À JOUR BIEN COMME IL FAUT. VOTEZ #THEJACQUES2018. u rayonnage “frangins du rock”, l’étalage est varié et même parfois avarié (coucou les Jonas Brothers, vous passerez le bonjour aux Las Ketchup). Il y a les vraies filiations comme les Bee Gees, les Kings of Leon ou les Hanson (MMMBop !). Il y a les fausses aussi, comme les White Stripes ou les Ramones. Et puis il y a The Jacques, qui a longtemps fait dans l’inédit en proposant deux paires de frères : Elliot et Fin O’Brien pour l’une, Jake et Oliver Edwards pour l’autre. « Mais depuis nos débuts en 2014, la compo a changé, Jake et Oliver sont partis, remplacés par Will Hicks depuis deux ans puis Clint Trembath l’an dernier. On s’est 44

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rencontré par des potes communs à Londres mais on s’aime comme des frères, sans distinction », cadre Elliot, le batteur. Originaire de Bristol, le groupe au nom très français (« N’y vois aucun clin d’œil, ça sonne juste bien ») a déjà plus de cent concerts au compteur et espère continuer à faire tourner le moteur à un rythme effréné. « Il faut bien pour parfaire notre musique. D’autant qu’elle a pas mal changé récemment avec l’arrivée de Harry aux claviers et qui a eu une grosse influence dans notre changement de style. » Un style qui s’inscrivait jusqu’alors peut-être un peu trop dans l’héritage de l’indie rock anglais des années 2000, avec les petits gratouillements de guitare aigus caractéristiques. Et ce n’est

d’ailleurs pas étonnant que les maîtres du genre, The Libertines, aient choisi les petits gars de Bristol pour assurer une prestigieuse première partie à Hyde Park dès les premiers mois de leur formation en 2014. Une étiquette “héritage de” dont ils aimeraient se défaire, préférant retenir l’actu récente (un passage aux Trans 2016 et des dates communes avec Kaviar Special, entre autres). « On devrait sortir un premier album en 2018, promet Elliot, en tout cas on va essayer ! On se le dit tous les ans et puis c’est jamais le bon moment. Mais là vraiment on va le faire, juré. » R.D Le 8 février à l’Ubu à Rennes Le 9 février à La Citrouille à St-Brieuc


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LES CITÉS D’OR

DANS LA HYPE ACTUELLE DU RAP BELGE, ON MET UNE PIÈCE SUR L’OR DU COMMUN. Dans le sillage de la vague rap belge, peuplée des désormais blockbusters Damso, Roméo Elvis ou Caballero & JeanJass, il y a un paquet d’artistes. Parmi eux, L’Or du Commun, qui sort progressivement du bois, surtout depuis que le clip du titre Apollo, paru cet été, a dépassé les deux millions de vues. Présent sur son dernier EP, Zeppelin, le titre symbolise le nouveau son du groupe, qui était bien différent en 2014. « Ça fait cinq ans qu’on fait de la musique ensemble. Au début, on était très influencé par le son old school des années 1990. Mais en 2014, on en a eu marre. » C’est là que le nouveau visage de L’Or du Commun se dévoile. Fini les délires comiques et presque adolescents. À 25 ans, les trois gaziers Primero, Loxley et Swing ont désormais troqué leurs personnages pour un rap plus introspectif et personnel, tout en évitant de tomber dans les clichés politiques et “conscients”. De là à savoir s’il carbureront comme le fait leur grand pote Roméo Elvis... « Il était à notre premier concert. Quand on a commencé à tourner ensemble, ça a toujours été clair : L’Or du Commun et Roméo Elvis, c’était deux choses bien séparées. » Avec le bon petit succès de Zeppelin, 2018 sera une année chargée pour le groupe avec des projets solos pour chaque rappeur, avant un EP et album alors en commun. Le 17 mars à l’Antipode à Rennes 45


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DROIT AU BUT

LA PALME DU NOM DE GROUPE LE PLUS DÉBILOS DU MOMENT EST ATTRIBUÉE À ÉQUIPE DE FOOT, UN DUO ROCK BORDELAIS. SURTOUT PARCE QU’ILS S’EN TAPENT, EN VRAI, DU BALLON.

Marine Truite

Alex et Mike sont de sacrés zigotos. Les deux trentenaires bordelais ont fondé un groupe en 2015 répondant au drôle de nom d’Équipe de Foot sans être fadas du sport en question. Mais alors… pourquoi ? « Mike était obsédé par ce nom de groupe mais tous les zicos à qui il en parlait se moquaient. Moi, comme j’étais fan de son jeu de batterie, je lui ai dit “OK pour qu’on monte un truc tous les deux avec ce nom à la con”, et c’est parti comme ça », explique Alex le guitariste. Mieux vaut les brancher musique, là pour le coup ils sont dans leur élément. « On est de la génération

du rock 90’s : Nirvana, Weezer… On dit parfois qu’on fait du stoner. La vérité c’est qu’on fait du gros rock pour les popeux et de la pop pour les gros rockeurs. » Un entre-deux assumé par un groupe qui envoie de la décibel (« je joue de la gratte avec un son qui sort sur trois amplis différents, dont un ampli basse octavé vers le bas ») et un CV qui se remplit joliment : « Un top 10 du tremplin Ricard SA Live et un premier LP, Chantal, sorti en octobre. » Le 26 janvier au Festival du Schmoul à Bain-de-Bretagne Le 3 février au Novomax à Quimper

Vincent Paulic

JOYEUX ANNIVERSAIRE(S) !

Pour tous ceux qui souhaitent concilier musique et bougies, plusieurs soirées d’anniversaire sont programmées prochainement. C’est le cas du café-concert Le Mondo Bizarro à Rennes qui célèbre son 16e anniversaire les 12 et 13 janvier avec dix concerts au programme (James Eleganz, Kitschenette’s…). Dans un autre style, le label de rock garage Beast Records fête ses 15 ans à La Citrouille à Saint-Brieuc le 2 février. L’occasion de découvrir les Briochins de Buck (photo), nouveau nom de l’écurie. Enfin, last but not least, grosse nouba pour les 3 ans du collectif électro Chevreuil. Ça se passe le 17 février à l’Antipode à Rennes. À l’affiche notamment : Codex Empire et Ryan James Ford. 46

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VTS

QUE RESTE-T-IL DE L’AMOCO CADIZ ? LE 16 MARS 1978, LE SUPERTANKER LIBÉRIEN AMOCO CADIZ S’ÉCHOUAIT SUR LES ROCHERS DE PORTSALL, LIBÉRANT PLUS DE 200 000 TONNES DE PÉTROLE ET PROVOQUANT UNE MARÉE NOIRE SANS PRÉCÉDENT. QUARANTE ANS APRÈS, L’HÉRITAGE DE CETTE CATASTROPHE EST GRAND, POUR LE PIRE MAIS AUSSI LE MEILLEUR.

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UN DÉSASTRE ÉCOLOGIQUE 360 kilomètres de côtes souillées, 10 000 oiseaux morts, jusqu’à 7 500 hommes mobilisés chaque jour par le Plan Polmar pour nettoyer le littoral avec des moyens parfois dérisoires (râteaux, tonnes à lisier) : l’ampleur de la catastrophe reste à ce jour inédite en Europe (pour comparer, l’Erika déversa 19 800 tonnes de pétrole au sud de la Bretagne en 1999). « Un événement a fait beaucoup de mal aux locaux : la visite de Valéry Giscard d’Estaing, le président de l’époque, en août 1978 qui déclare que finalement ce n’est pas si grave que cela. Mais on avait camouflé pour

préparer sa visite, creusé des fosses à la hâte qui existent encore aujourd’hui, sans oublier le nettoyage au détergeant polluant », rappelle Yvon Rochard. Des galettes de pétrole seront présentes sur les plages pendant plusieurs mois, avant que la nature achève de réparer les dégâts.

Fylip22

Onze ans avant l’Amoco, le naufrage du Torrey Canyon au large des îles anglaises de Sorlingues avait déversé 119 000 tonnes de pétrole, pour la première marée noire d’envergure. Le drame écologique était déjà XXL mais il sera bien plus vaste avec ce que vont connaître les habitants de Portsall, sur la commune de Ploudalmézeau, ce 16 mars 1978 : un supertanker en perdition qui s’échoue sur les récifs de Men Goulven, libérant 227 000 tonnes d’une matière gluante et puante. « Je garde en mémoire l’odeur de mazout portée par un vent puissant, comme si on se trouvait à côté d’une cuve à fioul percée, se souvient Yvon Rochard, auteur de L’Affaire Amoco en 2005, à l’époque journaliste pour Ouest-France. L’accablement de la population face à cette catastrophe était impressionnant. Les gens étaient pétrifiés. » Et le traumatisme est resté longtemps en Bretagne-nord, se rappelle Gwen Morizur, petite-fille d’Alphonse Arzel (décédé en 2014), le maire de Ploudalmézeau à l’époque : « Je n’étais pas née mais cette histoire est restée longtemps incontournable dans les discussions de famille, on en parlait souvent les larmes aux yeux. »

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UN TRAUMATISME


Ludovic Péron

Nicolas Job

« En 1980, un syndicat mixte de protection et préservation du littoral est fondé par les maires des communes touchées, afin d’obtenir réparation », poursuit l’auteur de L’Affaire Amoco. Pavillon libérien, pétrole du hollandais Shell, c’est finalement vers l’affréteur américain, la Standard Oil Company, que la justice s’est tournée. A alors débuté une bagarre judiciaire épique à Chicago, se concluant après 14 ans de procédure par une victoire des plaignants. Une jurisprudence qui institue le principe du pollueur-payeur. « Mairies et assos recevront 1,25 milliard de francs (270 millions d’euros, ndlr), soit la moitié des préjudices estimés. Ça n’en a pas fait des communes riches pour autant, loin de là. Mais au moins cela a éveillé des consciences environnementales… et permis de réparer les routes abimées par le passage des camions transportant le mazout ! » Autres “bienfaits” du naufrage : un couloir de passage des supertankers plus éloigné des côtes, une lutte plus accrue des dégazages sauvages et plus de moyens alloués au sauvetage en mer (via notamment les remorqueurs Abeille).

Nicolas Job

UNE PRISE DE CONSCIENCE ET UNE JURISPRUDENCE

UNE ÉPAVE Quarante ans après, le pétrolier supertanker gît toujours au fond de l’eau à 30 mètres de profondeur. Il s’agit de la plus grosse épave en France. Plongeur et photographe, Nicolas Job, auteur de l’ouvrage 65 épaves en Bretagne, a eu l’occasion de s’en rapprocher. « La carcasse s’étend sur 330 mètres. On a vraiment le sentiment de plonger sur un tapis de tôles et de tubes. Quelques éléments sont encore bien visibles, comme la poupe, les bollards, les cuves… »

Si le site a été entièrement dépollué, il tarde malgré tout à y accueillir la vie aujourd’hui. « Il faut savoir que la plupart des épaves constituent des récifs artificiels peuplés de crabes, homards et poissons. Mais bizarrement, sans que je sache pourquoi, ce n’est pas le cas de l’Amoco... », s’interroge Nicolas. L’ancre monumentale du pétrolier est quant à elle exposée sur le front de mer, comme une nécessaire piqûre de rappel.

Fanny Montgermont

UN HÉRITAGE CULTUREL La marée noire de l’Amoco a produit son lot de chansons old school (Tri Yann, Alain Barrière…) et films militants (Marée noire, colère rouge de René Vautier), mais aussi plus récemment une BD, Bleu Pétrole, signée Fanny Montgermont pour le dessin et Gwen Morizur pour le scénario (illustration). « Le récit est en partie basé sur mon histoire familiale, indique la petite-fille d’Alphonse Arzel. Il m’apparaissait important de rappeler ce qu’il s’était passé, aussi bien tout l’effroi face à cette pollution à grande échelle que la lutte exemplaire qui a suivi. Cette affaire, c’est l’illustrationmême de l’expression “changer le mal en bien”. » 49


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LEE FIELDS

FESTIVAL 360 DEGRÉS

L’énergique groupe originaire de Brighton avait pas mal secoué l’année 2004 avec son album Thunder, Lightning, Strike, à la pop foutraque et efficace. Le quintet raboule sa fraise en ce début d’année avec un nouveau disque, Semicircle, et un passage à l’édition hivernale de La Route du Rock.

Le pitch d’À Vif, la pièce écrite et jouée par Kery James ? Un concours d’éloquence au cours duquel le rappeur se livre à un duel d’avocats avec Yannick Landrein autour de la situation des banlieues. L’État est-il le seul coupable ou les citoyens sont-ils aussi responsables de leur condition ? Du théâtre engagé et nuancé.

Surnommé « Little JB » en référence à James Brown, Lee Fields est une légende vivante de la soul et du rythm and blues. Un témoin précieux d’un style musical qui a récemment perdu deux autres figures, Charles Bradley et Sharon Jones. Il est accompagné sur scène par son fidèle groupe The Expressions.

Le rendez-vous pluridisciplinaire du théâtre de La Passerelle à Saint-Brieuc revient pour une 10e édition. On retrouvera notamment la chorégraphe Maud Le Pladec avec Moto-cross (photo), un solo à l’esprit pop eighties. Ou encore le sonneur Erwan Keravec avec Blind, pour une représentation les yeux bandés. Oh oui attache-moi.

Le 16 février à La Nouvelle Vague à St-Malo et le 17 à La Carène à Brest

À La Passerelle à Saint-Brieuc Du 26 au 29 mars

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Irven Lewis

Du 22 au 27 janvier au TNB à Rennes Le 20 février au Théâtre de Vannes

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À La Nouvelle Vague à Saint-Malo Le 24 février

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Ovni théâtral, Blockbuster se présente comme une pièce-film parodique réalisée à partir de 1 400 plans séquences puisés dans 160 films américains avec une trame sur la révolte du peuple contre l’austérité et les inégalités. Un Hollywood version CGT.

Trisomie 21 n’a rien du groupe pastiche lourdingue que son nom laisse présager. Sérieux représentants français de la cold wave à la Joy Division, les Nordistes, qui avaient mis fin en 2010 à une carrière de plus de 30 ans, viennent de se reformer pour une tournée événement.

Utiliser le caddie comme un bobsleigh dans les allées du supermarché : un de nos kifs quand, petits, on allait faire les courses. Un peu sur le même principe, cinq performeurs de la compagnie C-12 Dance Theatre ont imaginé un ballet de danse avec des chariots. Oubliez pas votre jeton.

Avec sa tête à la Jean-Christian Ranu, Bertrand Burgalat rend un bel hommage au retour de Message à caractère informatif sur Canal. Mais le patron du label Tricatel est également un musicien aussi coté que rare, revenu en 2017 avec le délicat album Les Choses qu’on ne peut dire à personne.

Le 16 janv au Th. de Vannes et le 30 mars au Th. de Cornouailles à Quimper

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Au Manège à Lorient Le 2 février

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Au festival Circonova à Quimper Le 10 février

Au Schmoul à Bain-de-Bretagne Le 27 janvier




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