BIKINI AVRIL-MAI 2021

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NUMÉRO A

N N IV ERSAIRE

AVRIL-MAI 2021 #51



TEASING

À découvrir dans ce numéro... «MICK JAGGER DEVANT LA BOUCHERIE»

MUSCADET

ESPION SAUCISSES «LE SOUFFLE DE LA MORT DANS LE DOS»

KOMBUCHA

BOYS CLUB CANCEL CULTURE

T H I E R RY B E C C A R O


ÉDITO

BIKINI A 10 ANS ! Vous dire qu’on aurait aimé fêter cet anniversaire dans un contexte différent serait un euphémisme. Les 10 ans de Bikini auraient dû se vivre au comptoir d’un bar, à la terrasse d’un restaurant, dans la fosse d’une salle de concerts, sous le chapiteau d’un festival… Car à l’heure où nous bouclons cette édition (le 17 mars), les lieux culturels sont toujours dans l’attente d’un calendrier quant à leur réouverture. Un manque de visibilité et un sentiment d’iniquité qui ont poussé des collectifs à investir théâtres et scènes nationales. Un mouvement qui a rapidement fait tâche d’huile et qui, en Bretagne, s’est traduit par des occupations au Quartz à Brest, à l’Opéra de Rennes, à La Passerelle à Saint-Brieuc, au Théâtre de Lorient et au Carré Magique à Lannion. Nul doute que cette liste s’allongera en l’absence de perspectives de la part de la ministre Roselyne Bachelot (même si « on croise les doigts », comme elle aime le répéter, en vain). En attendant de se saouler de musique live et de savourer une pression (en 50, s’il vous plaît), profitons donc autant que possible de cet anniversaire. Car dix années au compteur, ce n’est pas rien pour un média indépendant. Le pari était tout sauf évident lorsqu’on s’est lancé avec insouciance en 2011, porté par l’ambition d’apporter une voix nouvelle dans la presse régionale. Cinquante numéros plus tard, Bikini est toujours là. Surpris, heureux et ravi de s’être fait une place dans le paysage médiatique et culturel breton, grâce à la fidélité de nos lecteurs et à la confiance de nos annonceurs et partenaires. Une décennie qui en appelle maintenant une autre. Et là promis, le contexte sera joyeux, serein, léger et riant lorsque nous célébrerons tous ensemble nos 20 ans. La rédaction

SOMMAIRE

6 à 13 14 à 27 28 à 31 32 à 37 38 à 41 42 à 45

Anniversaire : dix ans de Bikini, dix ans de couv’ And now, ladies and gentlemen Mick Jagger dans le Kreiz Breizh ? Bretagne, nid d’espions RDV : Maxwell Farrington, Les Bacchantes, Vince Lahay Monts d’Arrée, « monde à part »

46 BIKINI recommande 4

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Ce numéro a été bouclé le 17 mars. Si annulation ou report d’événements en raison de la crise sanitaire, consulter les sites des salles, musées et festivals.

Directeur de la publication et de la rédaction : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Brice Miclet, Isabelle Jaffré / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Couverture : Tara Greenbaum / Consultant : Amar Nafa / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos partenaires, nos lieux de diffusion, nos abonnés, Émilie Le Gall, Louis Marchand. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - 1 bis rue d’Ouessant BP 96241 - 35762 Saint-Grégoire cedex / Téléphone : 02 99 25 03 18 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2021.



ANNIVERSAIRE

DIX ANS DE BIKINI DIX ANS DE COUV’

N° 1 ET 2 Un saute-mouton de compét’ et un maillot de bain moulant comme il faut (capturé au tournoi de foot de La Route du Rock !) : au printemps et à l’été 2011, Bikini déboule avec ses deux premiers numéros. Une douce époque où on écoutait The English Riviera de Metronomy, El Camino des Blacks Keys, Hurry Up, We’re Dreaming de M83, Safari Disco Club de Yelle, Audio Video Disco de Justice ou encore Sur la planche de La Femme . Pfiouuuu, autant dire il y a une éternité. 6

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Bikini

Justin Bihan

LE 1ER AVRIL 2011, DÉBARQUAIT LE PREMIER NUMÉRO DE BIKINI. EN UNE DÉCENNIE, LE MAGAZINE A SORTI 50 NUMÉROS, ET AUTANT DE COUVERTURES. RIGOLOTES, ATYPIQUES, CATCHY, SAUGRENUES… DES « UNES » QUI REPRÉSENTENT PLEINEMENT NOTRE ADN.


Bikini et DR Bikini

N° 4, 5 ET 6

J. Land

DR

N° 3 La couverture de la rentrée 2011 s’appelle Glenn : il a aujourd’hui 16 ans, est au lycée à Morlaix et a depuis retrouvé toutes ses dents.

N° 8, 9 ET 10

N° 7 À l’été 2012, on retrouve le fantasque Basile. À cette époque, le garçon arpentait les festivals de BZH avec son appareil photo jetable. En est né un blog porté sur la déconne. Ici pas de cliché de concert, mais un joli souvenir de pêche. « Oh la belle prise ! » 7


ANNIVERSAIRE

N° 11, 12 ET 13 Au début de l’année 2013, un groupe était sur le point de « faire le buzz », ce qui à l’époque n’était pas encore une expression totalement ringardos. Avec leurs quelques vidéos énigmatiques postées sur YouTube, les Parisiens de Fauve, autant décriés qu’encensés, affolaient public et programmateurs, jusqu’à devenir l’une des sensations françaises de l’année. En Bretagne, un premier concert à Panoramas à Morlaix (au club Coatélan ! <3) suivi d’une date à Mythos à Rennes marquaient le début d’une tournée XXL, l’occasion de les interviewer dans notre n° 13 (une parution bodybuildée qui célébrait alors nos deux ans). Si Fauve s’est depuis volontairement sabordé, certains de ses anciens membres ont lancé l’an passé Magenta, projet plus orienté électro. 8

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Bikini

DR et Musée nat. de l’Éducation

DR

N° 14, 15 ET 16

N° 17 Si Bikini devait passer à Popopop sur France Inter et répondre à la question « c’est quoi pour vous la pop culture ? » posée par Antoine de Caunes, nul doute que la couverture de notre numéro d’été 2014 serait la réponse. Tout le cool des beaux jours en version concentrée.


Chris Piascik Swim Ink

Corbis

N° 18, 19, 20 ET 21

Bikini

Douglas Kirkland

N° 22 ET 23 « Mo-mo-motus ! » La bonne tête de Thierry Beccaro sur la couv’ de la rentrée 2015 annonçait un large dossier sur les castings de jeux télé. Un reportage que notre ancienne stagiaire Nolwenn a payé de sa personne en participant aux épreuves… et en se qualifiant pour l’enregistrement de l’émission à Paris ! Résultats : une prestation honorable et une boule noire tirée. « Oh-ohohohoh ! »

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Bikini

ANNIVERSAIRE

Vincent Pavy et Bikini

Douglas Kirkland

N° 24 Votez Bikini

N° 26, 27 ET 28 En 2016, trois nouvelles parodies viennent compléter la collec. 10

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N° 25 Avec sa photo signée Douglas Kirkland, la couverture de janvier 2016 reste celle qui a le plus marqué les esprits (on nous en parle encore) et qui a été la plus partagée sur les réseaux sociaux. Un besoin manifeste d’amour et de tendresse alors que toute la France était encore sous le choc des attentats de novembre 2015. Un an après ces terribles événements, trois anciennes victimes du Bataclan, originaires de Bretagne, revenaient sur cette nuit d’horreur et nous racontaient leur reconstruction (Bikini n° 30).


Blase, Jean Jullien et Bikini

Éric Fougere

R. Baker, G. Tiedemann et Bikini Gilles Bouquillon et Guillaume Blot

N° 29, 30, 31, 32, 33 ET 34

N° 35 To be free, or not to be !

N° 39 Et ça fait bim bam boum ! Ce boxeur aux gants en cœur est signé de la talentueuse illustratrice nantaise Gwendoline Blosse. Ce numéro de la fin d’année 2018 s’ouvre par un road-trip le long de la Vilaine, de Rennes jusqu’à son estuaire. Un fleuve mal-aimé, plus beau que son nom le sous-entend.

N° 36, 37 ET 38 Wouf !

S. Tlatli, S. Mariez et G. Blot

Guillaume Blot

N° 40, 41 ET 42

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Gäetan Heuzé et Jean Marmeisse

ANNIVERSAIRE

N° 46 Une parution plus que particulière. Bouclé quelques jours avant l’annonce du confinement du printemps 2020, ce numéro a dû attendre le 11 mai, et la première phase du déconfinement, pour gagner ses premiers points de distribution (les commerces), puis le 3 juin avec la réouverture (qu’on espérait alors pérenne) des cafés et des bars. À l’image du cheval de la couv’, photographié dans le Morbihan par Jean-Maurice Colombel (la photo est aujourd’hui conservée dans les collections du Musée de Bretagne). Sortie quelques mois plus tôt, la couverture masquée (n° 44) paraît, avec le recul, tristement prémonitoire. 12

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Jean-Maurice Colombel - Musée de Bretagne

N° 43, 44 ET 45


N° 49 Espace toujours avec cette couverture inspirée de Space Invaders (où le logo de Bikini a exceptionnellement eu le droit à un lifting pixellisé). Dans ce numéro, on se penchait sur la création de l’équipe de Bretagne de e-sport, discipline en plein boom dont les compétitions et les jeux en ligne attirent désormais le grand public. Bientôt game over, la Covid ?

Anthony Raymond

Bikini

Volker Pook et Richard Baker

N° 47 ET 48 Malgré un été silencieux où la quasi-totalité des festivals ont dû se résoudre à annuler, une envie d’aller de l’avant se faisait ressentir à la rentrée dernière dans les lieux culturels. Si demander leur réouverture paraît aujourd’hui plus compliqué que demander la Lune, on avait en tout cas prévu la combinaison spatiale.

N° 50 Une scène dont on rêve tous, immortalisée par le photographe brestois Anthony Raymond. Des copines, des copains, des verres qui s’entrechoquent, des apéros qui s’éternisent… Raaa, le bonheur ! On vous donne rendez-vous en terrasses dès leur réouverture : la première tournée, c’est Bikini qui régale. 13


DOSSIER

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AND NOW LADIES AND GENTLEMEN

DANS LE SILLON DU MOUVEMENT #METOO, LE SECTEUR MUSICAL POURSUIT SON AUTOCRITIQUE POUR PLUS D’ÉGALITÉ ENTRE HOMMES ET FEMMES. VOICI 10 PISTES DE RÉFLEXION.

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DOSSIER

UNE PARITÉ DANS LES PROG’ ’il fallait donner une date de naissance à la prise de conscience d’une nécessaire avancée de la place de la femme dans le spectacle vivant en Bretagne, ce serait le 5 novembre 2013. En ce jour fondateur, était officiellement créée l’association HF Bretagne. « L’organisme a pour but d’agir en faveur de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes dans les arts et la culture, présentent ses porte-paroles Nolwenn Chaslot, Clémence Hugo et Sarah Karlikow. Il était grand temps que le spectacle vivant se réveille, car il était – et il est encore – sacrément en retard en la matière. Si toute la société reste globalement gangrénée par la domination masculine, le secteur artistique et culturel en est malheureusement la parfaite démonstration. » Pour appuyer sa dénonciation, HF Bretagne a épluché le contenu proposé par les différentes structures présentes sur le territoire : salles de concert, de spectacle et d’exposition, festivals… Le résultat a été publié en 2019, sous la forme d’une étude complète basée sur l’année culturelle précédente, avec des chiffres éloquents à la clé. Concernant la présence des femmes sur scène, si le théâtre et la danse s’en sortent plutôt bien avec respectivement des taux de 46 % et 42 %, la musique est méchamment à la traine avec un taux de 27 %. Dans les musiques actuelles, c’est même la cata, avec 17 % de présence féminine. Concrètement, cela signifie que pour

100 zicos des groupes de rock, pop, électro ou hip-hop, on dénombre 17 filles pour 83 gars ! Un calcul effectué sur une analyse exhaustive de 2133 concerts en Bretagne sur l’année 2018.

« Politique de quotas »

Notre région ne fait ni mieux ni moins bien qu’ailleurs en France, des études nationales ayant abouti à des conclusions similaires : 17,4 % de musiciennes sur scène d’après la Fedelima (fédération des salles de musiques actuelles, s’appuyant sur les données de 97 structures en 2019) et même seulement 14 % de femmes sur les scènes des festivals, selon une enquête du centre national de la musique (CNM) effectuée en 2019 auprès de 90 événements

« Il est grand temps que le

spectacle vivant se réveille » 16

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en Hexagone. Pour Christophe Dagorne, directeur du Novomax à Quimper, « les chiffres ne mentent pas. Ils ne font pas plaisir à entendre mais ils permettent d’avancer dans la réflexion à partir de données concrètes, pour proposer dans l’avenir des programmations moins masculines ». De la même manière que c’est en mettant le nez du chat dans son caca qu’on lui apprend à utiliser la litière, c’est en présentant au secteur des musiques actuelles un tableau statistique de son grand retard qu’il a le plus de chances de se bouger le popotin. Et pour HF Bretagne, c’est sûr, c’est par la contrainte que ce petit monde peut enfin se décider à rectifier le tir. « Le modèle à suivre, c’est celui des grandes entreprises, obligées depuis la loi Copé-Zimmermann de 2011 de tendre vers l’égalité des sexes parmi les membres des conseils d’administration. En dix ans, cette politique de quotas a fait ses preuves. »


« Le but est d’atteindre 50 % de femmes d’ici 2022 » Si les salles de musiques actuelles ont enfin pris conscience du problème, c’est moins le cas des festivals. En 2018, le mouvement international Key Change avait pourtant fait signer un engagement vers la parité à 45 festivals dans le monde… dont seulement deux structures françaises : le Midem à Cannes et le Worldwide Festival de Sète. Durant cette même année, Le Printemps de Bourges avait tout de même pris le pli en programmant 69 artistes femmes pour 70 hommes, Alors peut-être va-t-il falloir que la accompagné d’une grosse campagne musique s’y mette aussi. Directeur de com’ sur le sujet. de La Carène à Brest, Gwenn Potard n’est pas contre. « Avec d’autres « Boys club » institutions culturelles brestoises, Et en Bretagne ? « On est attentif à on vient de s’entendre sur une feuille la question et je ne crois franchement de route en faveur de l’égalité dans pas qu’on soit un mauvais élève du la culture, préparée en coordination genre. Sur la prog’ qui était prévue avec la Ville et sa première adjointe pour 2020, je vois Céline Dion, chargée de l’égalité hommes-femmes, Pomme, Morcheeba, Lauryn Hill, Karine Coz-Elléouet. Nous avons Catherine Ringer, Izia, Yseult, Aloïse tous convenu d’avancer vers des Sauvage, etc. D’après nos calculs, objectifs concrets, notamment de on approchait les 40 % d’artistes tendre vers la parité dans la program- féminines », se défend Jeanne Rucet, mation d’ici 2024/25, contre 25 % programmatrice des Vieilles Charde femmes programmées actuelle- rues (un taux de 40 % atteint en ment. » Le chemin est long également calculant les projets portés par une à Bonjour Minuit, la salle briochine. artiste femme ; en comptabilisant « Mais les choses vont dans le bon l’ensemble des musiciens sur scène, sens, assure sa programmatrice il est néanmoins inférieur). « Les Hélène Dubois. En 2018, nous festivals sont en bout de chaîne et étions seulement à 9 % de femmes programment des artistes féminines programmées, 14 % en 2019 et, sur en proportion de ce qui est proposé les cinq mois d’activités en 2020, par les tourneurs, justifie Chloé on en comptabilise 37 %. Le but, Berthou-Lis, du Bout du Monde à c’est d’atteindre 50 % d’ici 2022. » Crozon. Quand on peut programmer

un groupe 100 % féminin, on le fait et on le met en avant, comme récemment les Espagnoles de Las Migas par exemple, mais l’offre en la matière reste trop disproportionnée. C’est tout l’écosystème qui doit faire son autocritique. » Christophe Dagorne, du Novomax, abonde : « La mixité, ça se travaille à la base, dès l’accès aux studios et à l’apprentissage des pratiques musicales. Le premier des leviers, c’est l’éducation artistique et la lutte contre les stéréotypes. Certaines esthétiques sont encore plus en retard que d’autres et c’est sur celles-ci qu’il faut particulièrement appuyer le message : en hip-hop par exemple, on propose volontairement des plateaux féminins en espérant faire évoluer les mentalités. » Pour Jeanne Rucet, « c’est effectivement plus facile de trouver des artistes féminines en pop qu’en rap par exemple, même s’il y a du mieux. En métal par contre, ça reste encore très compliqué… » D’après les statistiques du CNM, les deux festivals spécialisés métal du grand-ouest – Hellfest et Motocultor – figurent d’ailleurs parmi les plus inégalitaires, avec moins de 5 % de présence féminine sur scène. Ce qui fait dire à la Rennaise Orane Guéneau, fondatrice du label queer et féministe Black Lilith, que « la logique de boys club a malheureusement encore de beaux jours devant elle ». Régis Delanoë 17


DOSSIER

Titouan Massé

PLUS DE FEMMES AUX POSTES DE DIRECTION

es salles de concerts auraient-elles du mal à être dirigées par des femmes ? C’est la question qu’on peut se poser lorsqu’on observe la dernière étude de la Fédération des lieux de musiques actuelles (Fedelima). Parmi leurs 145 structures adhérentes en France, seulement un tiers sont dirigées ou codirigées par des femmes. Un chiffre qui descend à 22 % lorsqu’elles assurent seules la fonction de direction générale. Si ces lieux atteignent une quasi-parité dans l’équipe salariée permanente (42 %), c’est donc sur les postes à responsabilités que les inégalités apparaissent. Un même constat que l’on retrouve en Bretagne. Si le tableau n’est pas folichon du côté des festoches (« Sur les trente festivals adhérents à notre structure, seuls quatre sont dirigés ou codirigés par des femmes : Béatrice Macé aux Trans, Émilie Audren à Mythos, Carol Meyer à Art Rock et Stéphanie Retière à La Gacilly », illustre Maryline Lair du Collectif des festivals), la balance s’équilibre dans les lieux labellisés Smac (Scène de musiques actuelles). Sur les sept recensés en BZH, trois comptent une 18

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femme à leur tête : Béatrice Macé à l’Ubu, Janick Tilly à Penn ar Jazz et, tout nouvellement, Stéphanie Thomas-Bonnetin (photo) à l’Antipode. Arrivée il y a quelques semaines pour diriger la salle rennaise, cette dernière regrette ce manque de parité. « Le monde des musiques actuelles a toujours été un milieu très masculin. Avec beaucoup de cooptation par les pairs. Cela fait qu’il peut y avoir un plafond de verre que beaucoup de femmes ne s’autorisent pas à franchir. Elles osent moins prétendre à des postes de direction. Des études montrent qu’une femme postule quand elle répond à 75 % des compétences requises, contre 50 % chez les hommes, expose Stéphanie qui a par le passé dirigé la Ferarock (Fédérations des radios associatives de musiques actuelles). Moi-même, j’ai longtemps hésité à candidater. Mais j’ai eu la chance d’avoir été soutenue par mon entourage qui m’a poussé à postuler. Sans ces encouragements, je ne sais pas si j’aurais osé. » Des nominations de femmes qui, selon François Demarche, directeur de Bonjour Minuit à Saint-Brieuc, sont primordiales car « elles permettent

aux femmes de s’identifier, de se projeter sur ces postes à responsabilités et de se dire “pourquoi pas moi”. » Mais comment faire pour contrer cette sous-représentation ? « Déjà, il faut rappeler que cette inégalité touche l’ensemble des secteurs d’activité. C’est un problème structurel. Il faut dès le plus jeune âge, et ça commence dès l’école, changer les mentalités, pour que toutes les femmes se sentent légitimes », explique Carol Meyer, directrice d’Art Rock, pour qui « le secteur culturel devrait avoir un certain devoir d’exemplarité par les valeurs d’égalité qu’il revendique ». En attendant ce changement profond de société, restent des dispositifs pour tenter de rectifier le tir. À commencer par le mentorat, à l’image des programmes “WAH !” de la Fedelima et “MEWEN” de la Felin (Fédération nationale des labels et distributeurs indépendants). « Cet accompagnement et ce partage de compétences entre professionnelles permettent de corriger le manque d’expérience que peuvent subir certaines femmes », estime Maryline Lair. « Le mentorat est intéressant car il lève des freins pour de nombreuses femmes en les rendant visibles. L’objectif est qu’elles soient aussi facilement repérées que les hommes quand on pense à des postes de direction, ajoute Émilie Toutain, directrice adjointe à l’Hydrophone à Lorient, pour qui la question de la parité doit se penser sur l’ensemble des équipes. Pourquoi les postes techniques sont majoritairement occupés par des hommes et la billetterie tenue à 90 % par des femmes ? Il faut que chacun déconstruise les présupposés qu’il peut avoir sur tel ou tel sexe. » Julien Marchand


Daniel Tajford

LIBÉRER LA PAROLE

ans le sillon de #MeToo, l’industrie musicale est elle aussi marquée par des révélations de violences sexistes et sexuelles. Un secteur où la parole se libère depuis plusieurs mois, faisant surgir dans l’actualité des affaires d’agressions et de harcèlements : Yohann Malory (ancien parolier de Johnny et de Louane) mis en examen pour viol, Moha La Squale dénoncé par des jeunes femmes pour violence et séquestration, le rappeur Retro X accusé de viol par cinq personnes... En Bretagne, le mouvement MusicToo a connu deux principaux coups de projecteur. Le premier, en octobre 2019, avec la mise en examen pour viols de Loïc Le Cotillec, ancien penn-soner du bagad d’Auray, aujourd’hui incarcéré.

Le second, en novembre dernier, avec la publication par nos confrères du Mensuel de Rennes de témoignages de jeunes femmes dénonçant les agissements d’artistes de la scène locale. Parmi ceux-ci, un membre de Kaviar Special, accusé d’agressions sexuelles. Si elle s’est aujourd’hui séparée, cette formation rock rennaise (dont certains membres ont depuis monté le groupe Carambolage) s’est excusée publiquement plus d’un an après avoir eu connaissance des faits, un délai qui lui valu de vives critiques. Sur le plan judiciaire, une enquête « sur certains faits évoqués (dans l’article du Mensuel de Rennes, ndlr) » a depuis été ouverte par le procureur de la République. Une libération de la parole que les acteurs culturels de la région jugent salutaires. « Il faut reconnaître qu’il peut y avoir une masculinité toxique dans le monde de la musique, affirme François Demarche, directeur de Bonjour Minuit à SaintBrieuc. Dans ce contexte, le plus important est de recueillir la parole des victimes et de ne pas la remettre en cause. Chaque structure doit assurer à ses équipes qu’elle est un lieu de confiance, qu’elles seront entendues et que si sanctions il doit y avoir, il y aura. »

« Le rôle de la justice »

Dans cette même lignée, le Jardin Moderne indique travailler actuellement sur « une procédure de signalement ». Un protocole formalisé pour faciliter le témoignage des victimes. « Tous les secteurs d’activité peuvent être confrontés à ces dérives. Dans la musique, la

spécificité est que la frontière entre vie pro et vie perso est très ténue. Avec les débordements que ça peut engendrer », pointe Juliette Josselin, la codirectrice du lieu rennais. Entre une parole qui se libère, une écoute qui se fait plus attentive et une présomption d’innocence qu’il faut respecter, certains acteurs essaient de trouver le bon positionnement. « S’il y a un faisceau de preuves et de témoignages concernant un des artistes dont nous gérons les tournées, on mettra bien sûr les choses en suspens, le temps d’éclaircir la situation, explique sans ambiguïté Eddy Pierres, directeur de Wart et de Panoramas. Mais ce n’est pas non plus à nous de faire le procès d’une personne. Ce rôle appartient à la justice. S’il y a mise en examen ou condamnation, nous prendrons alors les décisions qui s’imposeront. » Des situations que l’on pourrait prévenir ? Selon les acteurs interrogés, ces agressions et ce sexisme dans le milieu s’expliqueraient en partie par une iniquité structurelle. « S’il y a des violences, c’est parce que des éléments viennent légitimer l’inégalité : les écarts de salaire, la faible présence de femmes aux postes à responsabilités, le fait de leur confier des tâches jugées subalternes… », avance Carol Meyer à Art Rock. Un point de vue partagé par Maryline Lair, du Collectif des festivals. « Il y a une continuité entre la place des femmes dans la société et le fait qu’elles soient les premières victimes de violences. Davantage de parité à tous les niveaux peut être un levier simple et efficace pour limiter ces abus et dérives. » J.M 19


DOSSIER

COMBATTRE LES VIOLENCES n festival est certes un moment de fête, mais ce n’est pas un moment sans danger. C’est, dans les grandes lignes, le message que répètent tous les organisateurs. Le tout dans un contexte où les plaintes pour agressions sexistes et sexuelles en milieux festifs se sont multipliées ces dernières années. Un phénomène qui n’exempte pas les rendez-vous bretons. Au festival de Bobital, une plainte pour viol a été déposée en 2008 (l’homme a été condamné en 2011 à un an de prison, dont six mois ferme). À Astropolis, une enquête a été ouverte en 2015 pour agression sexuelle. À Panoramas, deux plaintes pour viol ont été enregistrées en 2013, une plainte pour agression sexuelle en 2014 et deux plaintes pour viol en 2016.

Un constat dramatique que déplore Eddy Pierres, le directeur du festival morlaisien. « Pour Panoramas, les faits qui ont conduit à des dépôts de plainte se sont déroulés en marge de l’espace scénique, sur les zones extérieures au festival. Cela reste

néanmoins un problème dont nous avons pleinement conscience et qu’il nous faut régler. » Depuis quelques années, les organisateurs de l’événement électro multiplient donc les actions de sensibilisation et de prévention. « On communique

UNE SÉCU 100 % FÉMININE ’est l’une des propositions de Julia Lanoë, du groupe Mansfield.TYA, qui à l’automne dernier a créé Warrior Records, un label queer, transféministe et antiraciste. Parmi ses pistes pour une musique plus égalitaire : la mise en place d’une sécurité exclusivement composée de femmes les soirs de concert. Face à une activité largement occupée par les hommes (les femmes représentent moins de 15 % des effectifs de la sécurité privée en France), l’idée peut surprendre. Pour Anna Merigeaux de l’asso Les Catherinettes, elle est pourtant loin d’être bête dans la gestion des violences. « Cela pourrait 20

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permettre à de nombreuses spectatrices de se sentir plus en sécurité en cas d’agression. Quand tu es sous le choc, tu n’as pas forcément envie de te tourner vers un homme, d’autant plus s’il a une attitude viriliste. » Gérant de Shark Sécurité (qui intervient aux Charrues, Art Rock, Pano, Binic…), David Ollivier se montre plus réservé. « Placer des femmes sur certains postes, comme les devants de scène, risque de les mettre davantage en difficulté. Alors imaginer des équipes 100 % féminines, cela me semble plus que compliqué. Je préconise en revanche le maximum de mixité. Sur les maraudes, c’est par exemple une bonne chose, répond le

dirigeant qui avoue ne pas dispenser à ses employés d’enseignements spécifiques sur les violences sexuelles. Nous sommes formés sur la gestion des conflits, quelle que soit leur nature. Les agents sont d’abord là pour porter assistance aux personnes en détresse. Savoir écouter ou recueillir des témoignages, ce n’est pas notre métier. » Un point de vue pas forcément partagé par Anna Merigeaux : « On ne gère pas une bagarre comme on gère des attouchements. Dans ce dernier cas, séparer les personnes ne suffit pas : il faut protéger la victime, maîtriser l’agresseur et l’identifier pour qu’une plainte puisse être déposée. » J.M


EN CONCERT « Un stand dans un coin du festival ne suffit pas »

pas mal dessus, que ce soit dans le programme du festival, ou dans les opérations qu’on peut mener dans les lycées. Très concrètement, on fait comprendre aux jeunes qu’il ne faut pas qu’ils s’isolent pendant leur soirée, qu’ils restent au maximum avec leur groupe de copains et de copines. C’est triste d’en arriver là mais c’est nécessaire de le rappeler. »

« Éviter toute prédation »

Un travail de communication qui se poursuit sur le terrain, à travers la diffusion de messages. « C’est un volet important. Je pense notamment aux campagnes “Non, c’est non” ou à celles du collectif “Ici, c’est cool” qu’ont pu relayer plusieurs rendezvous, poursuit Carol Meyer à Art Rock qui n’a pas eu écho d’agressions au sein même du festival. Un viol s’est en revanche passé en ville pendant le week-end de l’édition 2018. Ni l’agresseur ni la victime ne participaient aux concerts, ils étaient simplement venus à Saint-Brieuc pour profiter de l’ambiance. C’est là qu’on se rend compte que ce travail

de prévention doit être mené avec l’ensemble des acteurs de la ville. » Ancienne stagiaire dans l’équipe organisatrice du Hellfest en 2017 (une édition où le festival métal avait dû faire à de nombreux récits de festivalières relatant attouchements, agressions et tentatives de viol), la Rennaise Anna Merigeaux s’est beaucoup questionnée sur ce phénomène. Avec, très vite, l’envie d’agir. L’an passé, elle a cofondé Les Catherinettes, une association qui accompagne les structures culturelles dans la mise en place de dispositifs de lutte contre les violences sexuelles. Malgré cette année perturbée par la Covid, les Trans Musicales, Au Foin de la Rue, Dub Camp ou encore le Hellfest ont répondu présent. « Si ces événements acceptent de travailler avec nous, c’est parce qu’ils reconnaissent un manque de leur part en la matière. Ils sont donc volontaires et manifestent une envie de faire bouger les choses, se félicite Anna. Bien sûr, il faut faire en sorte que ce ne soit pas du “féminisme washing”. Un simple stand dans un coin du festival, ça ne suffit pas. Il faut une prise de conscience à tous les niveaux de l’organisation. » Une réflexion globale qu’avait notamment initiée le festival Astropolis, lors de son édition hivernale en février 2020, avec la tenue d’une table ronde sur les violences sexuelles. Parmi les participants, on comptait l’association féministe Difenn qui propose des stages d’auto-défense.

Des ateliers pratiques et concrets que le public de Visions à Plougonvelin avait pu suivre lors de l’édition 2018 du festival. Ce qui était alors une première. Une prévention des agressions qui passe également par une sécurisation repensée. Comme l’a entrepris l’équipe de Panoramas. « Nous avons fait en sorte de limiter au maximum les zones d’ombre. Les points de rendez-vous et les chemins sont par exemple mieux éclairés. Cela pour éviter toute “prédation”. Un gros travail est également effectué avec la gendarmerie sur les abords du site, détaille Eddy Pierres pour qui le travail d’associations comme l’Orange bleue ou le Planning familial s’avère primordial. Elles interviennent principalement sur les campings. Au moindre geste déplacé, harcèlement ou autre, on incite les victimes à se présenter à elles. Le but est qu’une personne en difficulté trouve rapidement une réponse adaptée. » Une écoute spécialisée jugée capitale par Anna Merigeaux qui, avec Les Catherinettes, propose aux festivals la création d’un protocole de sécurité dédié. « La plupart des événements ont su mettre en place une politique de réduction des risques en matière d’alcool, de drogues, de maladies sexuellement transmissibles, de santé auditive… Il est important que la question des violences sexistes et sexuelles fasse aujourd’hui l’objet d’une attention spécifique. » J.M 21


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DES TOILETTES SOULAGÉES

’est malheureusement un classique des festivals. Les toilettes y sont, pour les femmes, trop souvent synonymes d’attente, d’insécurité et de manque d’hygiène. Une situation que les hommes ne connaissent pas ou peu, et qui met en exergue une inégalité certes anecdotique sur le papier mais bel et bien concrète. Depuis quelques années heureusement, les choses évoluent, soulevant des initiatives et des questions jusquelà tues ou oubliées. Symbole de cette prise de conscience, le pisse-debout (photo), permettant aux femmes d’utiliser des urinoirs, s’est fait une place dans de nombreux événements, grâce au travail de collectifs spécialisés sur la question. C’est le cas notamment de l’association Fête le Debout qui produit et fournit ces fameuses urinettes aux festivalières fatiguées de devoir faire la queue ou de se défroquer en permanence 22

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pour faire pipi. Hélène Sauvage, sa présidente, explique : « Les files d’attente peuvent isoler les femmes car elles perdent leurs potes qui font autre chose en attendant. Du coup, certaines vont se soulager soit dans des coins sombres – ce qui n’est pas l’idéal – soit se retiennent pendant des heures. Ce qui n’a rien d’agréable et peut occasionner des infections. » Parmi les festivals bretons qui ont déjà fait appel à Fête le Debout, on retrouve le Bout du Monde, les Vieilles Charrues ou encore Astropolis. Ces derniers reconnaissent avoir mis du temps à s’attaquer au problème, mais tentent désormais de combler activement ce retard. « Avant l’été 2019, on n’avait que des toilettes sèches mixtes et des urinoirs pour hommes, détaille Madenn Preti, administratrice de la bamboche brestoise. C’est en réfléchissant à une problématique plus large, celle des violences sexistes et sexuelles, qu’on s’est enfin penché

sur ce sujet. Cela s’inscrit dans une réflexion globale pour combattre les inégalités. » Le Festival du Roi Arthur à Bréalsous-Montfort a, quant à lui, opté pour une autre méthode. Lors de leur dernière édition, les équipes ont loué huit “Lapee” : des urinoirs nouvelle génération où les femmes peuvent s’asseoir en étant partiellement cachées. Les files d’attente sont drastiquement désengorgées. Si l’expérience a été une première en Bretagne et une satisfaction pour l’équipe, des pistes d’amélioration restent cependant à creuser. « Notre configuration manquait un peu d’intimité, avoue Nadège Couroussé, coprésidente du festival brétilien. Le deuxième soir, on a donc rajouté des barrières et reculé l’espace dédié pour qu’il soit moins visible depuis le site. » Si le projet a bénéficié d’une belle exposition médiatique en 2019, il doit désormais poursuivre sa quête


de notoriété auprès des festivalières et a question engendre gagner en facilité d’utilisation (papier beaucoup de débats. toilette et serviettes hygiéniques se Mais la thématique des jetant dans une poubelle dédiée et safe zones et des zones non directement dans les Lapee, non-mixtes dédiées aux femmes en ce qui a engendré un travail de tri festivals commence progressivement laborieux pour les équipes). à poindre dans le milieu. Un type d’initiative loué par certains qui y « Se sentir en sécurité » voient là une solution, mais aussi Et pourquoi ne pas en profiter pour redouté par d’autres pour qui cela va mener plusieurs combats à la fois ? à l’encontre de l’esprit rassembleur L’association nantaise Sweatlodge, qui anime bien des événements. qui organise des soirées mêlant cirque Un positionnement complexe qui n’a et sound system, s’est lancée dans un pas effrayé les équipes d’Astropolis concept nommé Wonder Cake. Un à Brest. Lors de l’édition 2019, une semi-remorque complètement fou safe zone a été mise en place sur le dans lequel sont installées plusieurs site avec l’aide du collectif Consentis, cabines de toilettes sèches décorées par sans pour autant rencontrer le des artistes, et où il est uniquement succès escompté. « Le stand était possible de s’asseoir. Les femmes y ont très identifié sur le site, se souvient donc largement accès (et les hommes Madenn Preto, administratrice. Ça aussi d’ailleurs s’ils souhaitent). Un n’était pas très sexy, mais on avait dispositif qui se présente avant tout appelé cet endroit “Point relais comme un complément aux sanitaires agressions sexistes et sexuelles”. déjà présents sur le site et auquel ont C’était avant tout un lieu où une déjà fait appel des rendez-vous comme fille qui avait perdu ses potes ou Au Foin de la rue, Arts Sonnés ou qui ne se sentait pas en sécurité Chauffer dans la Noirceur. pouvait venir se poser… » En « Nous sommes d’abord inscrits 2020, Astropolis devait installer un dans une démarche écologique, deuxième espace, là encore encadré c’est une envie de palier aux toi- par des bénévoles formés sur ces lettes chimiques classiques qui se sujets. Mais la pandémie a reporté salissent très vite, explique Wendy le projet. Vits, membre de Sweatlodge, pour Tous les festivals ne sautent pas à qui le projet Wonder Cake révèle pieds joints dans le mouvement. aussi d’une réflexion engagée et « Séparer les filles et les garçons, cela féministe. Dans le camion, les me ferait mal au cœur, concède Eddy femmes se sentent en sécurité. Ce Pierres, directeur de Panoramas à qui est primordial lorsque tu vas Morlaix. Un festival reste un espace aux toilettes. Nous réfléchissons de fête, de rencontres et d’échanges. également aux problématiques Avant d’arriver à ce stade, il nous rencontrées par les personnes non- reste encore des moyens d’actions binaires. Des points sur lesquels pour éviter cette situation. » Au nous devons tous nous améliorer festival Art Rock à Saint-Brieuc, pour plus d’égalité. » Brice Miclet la directrice Carol Mayer abonde

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DES ZONES DE NON-MIXITÉ

dans ce sens : « Je suis réservée sur ce genre d’initiative. On travaille sur plus d’égalité et de mixité, pas sur une séparation entre les gens. J’ai du mal avec l’idée de créer une frontière. » Cofondatrice de l’association Les Catherinettes, qui œuvre à prévenir les violences sexuelles et sexistes en milieu festif, Anna Merigaux se veut plus pragmatique : « Pour des femmes qui auraient vécu des traumas sur les campings, ça peut être des zones intéressantes à mettre en place pour davantage de sérénité. Je ne sais pas si c’est une solution à terme, mais “en attendant” ça peut être un outil. » Une non-mixité qui est également envisagée par certaines musiciennes dans le cadre de leur apprentissage et pratique artistique. Ce que va prochainement mettre en place le Jardin Moderne à Rennes. « Nous allons proposer un atelier intitulé “Salut les zikettes”, une formation de deux jours uniquement réservée aux femmes, annonce Juliette Josselin, la codirectrice. Certaines musiciennes souffrent en effet d’un “syndrome de l’imposteur” et de sexisme ordinaire. Là, elles pourront s’exercer, pratiquer et composer dans un cercle bienveillant. » B.M et J.M 23


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DES INSTRUMENTS NON GENRÉS a représentation du genre a longtemps été caricaturée à l’extrême. Et ce, dès le plus jeune âge. Petites voitures pour les garçons, poupées pour les filles : les magasins de jouets ont longtemps clairement distingué les rayonnages masculin et féminin, sans que cela ne soit jamais vraiment remis en cause. Mais depuis quelques années heureusement, ce n’est plus aussi clairement séparé. Non, il n’existe pas de jouets pour gars incompatibles aux filles, et inversement. C’est toujours bon de le rappeler. En cours de déconstruction dans la sphère ludique, ce stéréotype se retrouve-t-il dans la musique, et notamment son apprentissage ? Faut-il mener le même travail pédagogique pour combattre les préjugés selon lesquels il y aurait des instruments masculins et d’autres féminins ? Les acteurs du secteur culturel interrogés à ce sujet sont tous d’accord avec ce parallèle à faire entre jouets d’enfants et instruments. « La comparaison est valable, alors il faut bien le redire : pas plus qu’il n’existe de jouets spécifiquement garçons, il n’existe d’instruments inadaptés aux filles, jure Assia Maameri, directrice adjointe du conservatoire de Brest. Physiologiquement, c’est une légende que de considérer par exemple que les cuivres sont faits pour des hommes qui ont du coffre. » Christophe Leynaud, du magasin Lamballe Musik, abonde : « Nul

besoin d’être costaud pour souffler dans une trompette, un trombone ou un saxophone. Pourtant, ce sont les instruments qui résistent encore aujourd’hui le plus aux croyances et que les filles hésitent le plus à pratiquer. » Une impression confirmée par les statistiques effectuées par Sylvie Lemercier-Yvon, du conservatoire de Lorient : « Notre classe de cuivre est composée de seulement 10 filles pour 41 garçons. » Dans ce même établissement, un important déséquilibre est également constaté dans les percussions avec « 5 filles pour 18 garçons ». Parmi les instruments de base utilisés dans les musiques actuelles, la batterie reste d’ailleurs le plus masculinisée, ce que constate également Christophe Dagorne, directeur du Novomax : « La répartition filles-gars y est de l’ordre d’un tiers-deux tiers. Néanmoins elle progresse vers un plus grand égalitarisme. Il y a encore quelques années, on observait une disproportion sensiblement similaire concernant la pratique de la basse, alors qu’on est aujourd’hui à l’équilibre. C’est encourageant. » Un optimisme partagé par Assia Maameri, pour qui l’évolution des mentalités va plutôt dans le bon sens. « Ce sont les parents plus que leurs enfants qui sont plus empreints de clichés sexistes. Le temps joue pour les filles. Je me souviens qu’à l’occasion d’un concert d’un groupe de jeunesse dont je faisais partie en tant que guitariste, un mec dans le

« L’effet de mimétisme joue énormément » 24

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public s’était permis de venir triturer mon ampli pendant qu’on jouait, comme si je ne savais pas l’utiliser ! Je ne crois pas qu’il existe une telle condescendance aujourd’hui. »

« Tu joues bien pour une fille »

Directeur de La Carène à Brest, Gwenn Potard assure également que « le travail de déconstruction des stéréotypes est en cours, lentement peut-être, mais irrémédiablement. On peut tous y jouer notre part. Si on constate durablement un déséquilibre dans la pratique de la batterie par exemple, on peut décider de faire jouer une batteuse plutôt qu’un batteur lors de nos journées portes ouvertes. » « Cette question de la représentation est capitale, embraie Assia Maameri du conservatoire brestois. L’effet de mimétisme joue énormément, surtout chez les plus jeunes. J’ai vu une fille se mettre à la batterie en voyant


Novomax

jouer Meg White des White Stripes. Il y a aussi une gamine qui cartonne sur les réseaux sociaux avec ses reprises rock (Nandi Bushell, ndlr), ou Anne Pacéo en jazz… Elles décomplexifient leur instrument. » Un apprentissage musical qui, au moment de la pratique collective, peut également voir l’inégalité hommesfemmes se creuser. « Dans les écoles de musique, il y a globalement autant de filles que de garçons. Mais c’est au moment de se constituer en groupes et de monter de leur propre projet qu’une disparité apparaît, observe Juliette Josselin, codirectrice du Jardin Moderne à Rennes. Parmi les personnes qu’on accueille dans nos studios de répétition, il n’y a que 12 % de femmes. Une tendance qu’on retrouve dans quasiment toutes les structures de musiques actuelles. Comment expliquer ce constat ? Le sexisme ordinaire peut se retrouver dans un groupe de musique (la fameuse phrase “tu joues bien pour une fille”), de quoi en dégoûter certaines. » Une situation semblable à l’Hydrophone à Lorient. « Il n’y a que 20 % de femmes qui fréquentent nos studios, pointe Émilie Toutain, la directrice adjointe. On essaie davantage d’aller “les chercher” : il faut faire en sorte que les musiciennes amateures du territoire viennent répéter chez nous et qu’elles puissent ainsi aller plus loin dans leur pratique musicale. Sur certaines esthétiques, le manque de parité est criant. En rap, parmi les jeunes artistes qu’on accueille, il n’y a par exemple qu’une seule fille, contre une dizaine de garçons. Idem pour le métal où c’est quasi exclusivement masculin. Il faut déconstruire tout cela. » R.D et J.M 25


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QUESTIONNER LE PASSÉ

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moins », concède Clémence Hugo. La programmatrice du festival carhaisien assure que si l’ex-chanteur de Noir Désir, condamné pour l’homicide de Marie Trintignant, a été invité, un Marylin Manson ne foulerait pas la pelouse de Kérampuilh, en raison de ses accusations d’agressions sexuelles, si un tourneur le proposait. Refus similaire observé au Novomax à Quimper, par la voix de son directeur Christophe Dagorne, concernant un artiste comme Moha La Squale, soupçonné de viol et séquestration. « Dans le même esprit, j’ai aussi eu à refuser par le passé de programmer Capleton pour son homophobie ou le groupe de death metal Inquisition pour ses accointances avec l’extrêmedroite. Notre structure associative repose sur un socle de valeurs bannissant toutes les discriminations. J’ai tendance à penser que pour une structure organisatrice de concerts, plus le cahier des charges édicté en ce sens est clair et plus ça évite des cas de conscience sur quel artiste inviter ou pas. » R.D

Andreas Lawen

DR

S’agissant des concerts en revanche, difficile d’imaginer la tenue d’une conférence avant ou après le live d’un artiste dans le contexte festif d’un festival. « Mais d’autres alternatives sont envisageables, estime Clémence Hugo. De l’affichage, un travail de communication… Les organisateurs doivent aussi donner plus de place à des associations de prévention comme Stop harcèlement de rue par exemple, en ne reléguant pas leurs stands au fin fond du site du festival comme c’est trop souvent le cas… » Pour Jeanne Rucet des Vieilles Charrues, « c’est un sujet plus sensible encore aujourd’hui que par le passé, #MeToo est passé par là et c’est tant mieux. Lorsque Bertrand Cantat est revenu avec Detroit en 2014, il n’y avait pas eu de polémique. Possible que ce serait différent aujourd’hui, même s’il a purgé sa peine et que le droit à l’oubli existe. » « Droit à l’oubli d’un côté, présomption de vérité des victimes de l’autre, la frontière est mince entre ce qui est moralement possible et ce qui l’est

Loewen

ctuellement en train d’étudier l’histoire du glam rock, Christophe Brault consacre une partie de ses recherches à une figure incontournable du genre : Garry Glitter, icône rococo qui a vendu des palettes de disques dans les seventies, avant de tomber pour abus sexuels et pédopornographie. « Le mec est un dégueulasse, OK. Est-ce que pour autant je dois m’interdire d’écouter ses morceaux alors que c’est l’un des fondateurs de ce style ? Je ne crois pas. » L’historien rennais ne s’imagine pas plus brûler ses vinyles d’Ike Turner, qui brutalisait sa femme Tina, ou de Phil Spector, récemment mort en prison après avoir été condamné pour le meurtre d’une actrice. Pour lui il faut « séparer l’homme de l’œuvre artistique. C’est le même débat qu’avec Roman Polanski ». Selon Clémence Hugo, de l’association HF Bretagne qui travaille sur les inégalités hommes-femmes dans la culture, le cas du cinéaste franco-polonais peut servir de baromètre sur ce qu’il faut faire ou ne pas faire sur cette question de la “cancel culture” : « Lorsque son dernier film est sorti à Rennes, nous nous sommes prononcées en faveur de l’organisation d’un débat autour des violences sexistes en amont de la projection. À minima, une mesure compensatoire de ce type doit s’imposer car elle a une valeur pédagogique. » Appliqué dans l’industrie musicale, ce principe peut par exemple s’imaginer en mettant un bandeau d’avertissement sur les albums des artistes condamnés, comme lorsque le “explicit lyrics” est indiqué pour signaler des paroles jugées borderline.


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DES LABELS FÉMINISTES

ans la capitale bretonne, les deux derniers labels à avoir vu le jour sont 100 % féminins. « Disons 99,9 % féminins, pour montrer que la démarche n’est pas excluante pour les hommes ouverts, corrige Charline Patault, du label électro Elemento, créé en décembre et qui compte neuf artistes dans son roster. L’idée est d’offrir un lieu d’accueil aux artistes femmes, non-binaires et trans qui peuvent se sentir exclues des structures existantes. » Pour Roxane Hesry et Claire Auffret (photo), du label Black Lilith présenté comme « queer, féministe et anti-raciste », « les femmes musiciennes ont souvent à prouver deux fois plus que les hommes. On nous laisse moins le droit à l’erreur et on a tendance à nous enfermer dans un moule : on est jugé pas seulement pour ce qu’on fait mais aussi pour ce qu’on est, ce qu’on représente… Black Lilith, comme les autres labels féministes, permet de prendre confiance en soi et de ne pas être dans la posture de se justifier. Et rien que ça, ça fait du bien ! » Une démarche adoptée par les pionnières de Conne Action, asso brestoise organisatrice de concerts privilégiant les artistes féminines depuis 2008. « C’est un cercle vertueux, estiment Eve Delaporte et Madenn Preti du collectif. Les filles doivent sortir du bois, tout espace leur offrant de la visibilité est bon à prendre. C’est une reprise en main de nos droits à la liberté artistique. » Girl power is not dead. R.D 27


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MICK JAGGER DANS LE KREIZ BREIZH ?

C’EST L’UNE DES PLUS BELLES LÉGENDES DU CENTRE-BRETAGNE : LE LEADER DES ROLLING STONES AURAIT PASSÉ UNE SEMAINE DANS LA CAMPAGNE MORBIHANNAISE OÙ HABITAIT SON AMI, LE MUSICIEN IRLANDAIS PADDY MOLONEY. AU PROGRAMME PRÉSUMÉ DE SON SÉJOUR BRETON : SAUCISSES, MUSCADET ET PMU.

maginez-vous la scène : c’est le samedi matin, il fait beau, vous êtes tranquillement en train de faire vos courses pour votre barbeuc du soir et là, au moment de rentrer dans la boucherie, vous tombez nez à nez avec… Mick Jagger. La rencontre a de quoi surprendre, et encore plus lorsqu’elle se déroule en pleine cambrousse morbihannaise. Aussi invraisemblable qu’une chipolata piquée avant cuisson, cette histoire serait pourtant vraie. C’est en tout cas ce que jurent tous ceux qui vous racontent cette folle légende 28

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urbaine (rurale pour le coup) du Centre-Bretagne. À commencer par Daniel Jaffrédo, 61 ans, qui habite Guern, à une dizaine de bornes de Pontivy. C’est en effet chez lui, au lieu-dit Le Pradigo situé à la sortie du bourg, que serait passé le leader des Stones il y a près d’une trentaine d’années. « Personnellement, je ne l’ai pas vu, mais plusieurs anciens clients m’ont assuré qu’il était bien venu, à l’époque de mes parents. » Si aujourd’hui l’établissement ne fait plus que bar (« en temps normal, j’ouvre uniquement le week-end,

pour le plaisir, après ma semaine de travail »), il faisait également boucherie-charcuterie à ses origines. « À droite il y avait un petit comptoir et quelques tables, et à gauche un grand billot et les étals de viande. La spécialité de la maison, c’était la saucisse. Elle était pas mal réputée, les gens se déplaçaient spécialement de tout le Morbihan, raconte avec nostalgie le volubile sexagénaire. L’ingrédient secret, c’était l’ail. Les gens ne savaient pas qu’il y en avait, on en mettait très légèrement, mais c’est ce qui faisait toute la différence. »


Une saucisse qui expliquerait, en partie, la possible visite du chanteur de Satisfaction. « Il n’était pas venu seul, mais avec Paddy Moloney. Le musicien irlandais (fondateur du groupe The Chieftains, ndlr) a longtemps eu une maison de vacances à Bubry (de 1987 jusqu’à la fin des années 90, ndlr), à quelques kilomètres de là, et c’était un de nos clients réguliers chaque été, affirme Daniel qui le voyait souvent accompagné. Soit la famille, soit des amis. Alors pourquoi pas un jour Mick Jagger ? »

« Cinquante pintes »

Une hypothèse également partagée par Éric Jubin, auteur culinaire et chocolatier, qui a des attaches familiales à Guern (« mon père m’a dit l’avoir vu un jour dans une voiture devant la boucherie ») ou encore Pierre-Yves Le Tallec, ancien responsable administratif du label Keltia Musique. « Cette histoire, c’est un ancien journaliste de RBO (France Bleu Breizh Izel aujourd’hui, ndlr) qui me l’a racontée. La légende part bien de Paddy Moloney et de sa maison de Bubry où Mick Jagger aurait passé une semaine au vert. Ils seraient même allés tous les deux un dimanche matin au bistrot. Paddy aurait présenté son ami “Mick” aux habitués du bar, mais personne ne l’aurait reconnu. Tout le monde aurait bu du muscadet. Au moment de partir, un ancien serait même allé dire au fameux ”Mick” que c’était à son tour de payer la tournée. » Des anecdotes à base de vin blanc et de saucisses qui font marrer Padraig Larkin. Cet Irlandais, actuel patron du pub The Galway Inn à Lorient, a tenu une taverne à Guern jusqu’à la fin des années 80. « J’ai aussi entendu parler de cette rumeur, mais hélas je ne pense pas que ce soit vrai. C’est exact que Paddy a un carnet d’adresses incroyable, de Sting à Kate Bush en passant par Stevie Wonder, des artistes avec qui il a col29


laboré. Mais Mick Jagger à Bubry, on l’aurait su quand même !, estime Padraig qui, le 1er août 1988, a fêté les 50 ans du leader des Chieftains dans son pub lorientais. Pour l’occasion, on lui avait servi cinquante pintes de Guinness. Il les a bien sûr partagées avec tous ses autres amis présents. » Pas de Mick ce soir-là ? « Et non, malheureusement. » À Bubry, la rumeur concernant Mick Jagger amuse toujours autant ses 2 400 habitants. À tel point que le journaliste Hervé Bellec en a même fait un écho dans son ouvrage Brèves de Bretagne paru en 2014. « Je suis originaire de ce coin du Morbihan, ça fait partie des légendes locales. Le problème, c’est qu’aujourd’hui je ne sais plus du tout d’où je tiens cette info... Ça peut paraître fou mais c’est tout sauf impossible : le chanteur des Stones passe du temps en France, il a un château sur les bords de Loire (le château de Fourchette, situé sur la commune de Pocé-surCisse, qu’il a acheté en 1980, ndlr), il aurait donc pu très bien venir rendre visite à son ami Paddy. » Parmi les autres arguments pouvant plaider en faveur d’une visite de Mick Jagger à Bubry : l’album The Long Black Veil des Chieftains où les deux artistes collaborent sur un titre. Un disque sorti en 1995, période où Paddy Moloney possédait bien un piedà-terre dans le Morbihan. Un faisceau d’indices que balaient, hélas, ses anciennes connaissances de Bubry. Vice-président du comité de jumelage franco-irlandais, Louis Le Corre faisait partie de ses amis les plus intimes. C’est lui qui a notam-

Jack Fossard - Festival Interceltique Lorient

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ment facilité son installation dans la commune en 1987. « Paddy, qui était copain avec le musicien breton Polig Montjarret, cherchait un endroit tranquille pour passer ses vacances dans le Morbihan. C’est comme ça que je lui ai trouvé une maison dans le hameau de Tal Er Ganquis. Avec le Festival Interceltique de Lorient, il avait surtout l’habitude de venir l’été, pendant plusieurs semaines, rembobine-t-il. Mick Jagger ? Les gens fantasment sans doute un peu dessus, mais je ne crois pas que ce soit vrai. J’étais un proche de Paddy – je le suis toujours d’ailleurs ! – et il ne m’a jamais informé de sa venue. »

« Sur un nuage »

Même son de cloche de la part de Michel Le Pochat, ancien gérant du bar PMU La Croix Verte où l’artiste dublinois avait ses habitudes. « Quasiment tous les matins, il venait boire son thé chez moi.

« Un astronaute avait un

coup de blues en orbite » 30

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C’était quelqu’un de discret, de très humble. Alors que c’est une immense vedette en Irlande où chacune de ses apparitions provoque un mouvement de foule, les gens ici le laissaient tranquille. C’est ce qu’il aimait à Bubry, déroule le retraité qui affirme n’avoir jamais servi de muscadet au chanteur des Stones. En revanche, j’ai déjà accueilli Sophie Marceau, Philippe Noiret, Charlélie Couture... Sans oublier Renaud à l’occasion de son concert au stade de foot en 1983 (pour la tournée Morgane de toi portée par le tube Dès que le vent soufflera, ndlr) : un mec adorable, on a tous pu faire des photos avec lui. » Si on ne retrouve aucune trace de l’acolyte de Keith Richards dans la campagne morbihannaise, reste les souvenirs encore vivaces du leader des Chieftains, bien qu’il ait vendu sa maison il y a plus de vingt ans désormais. Joueur de bombarde, Louis Le Corre garde un souvenir ému de la fois où Paddy l’a invité à se produire sur scène avec lui. « C’était pour le Festival Interceltique en 2000, devant 8 000 spectateurs. Un super cadeau de sa part, j’étais


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sur un nuage », confesse le sonneur ravi de la venue programmée des Irlandais cet été à Lorient. Yves Le Carrer, l’un de ses autres amis proches à Bubry, n’a rien oublié de cette période qu’il prend toujours plaisir à raconter. « Parmi les anecdotes les plus mémorables, je me rappelle de ce jour où Pierce Brosnan (James Bond de 1994 à 2004, ndlr) l’a appelé car il souhaitait qu’il vienne interpréter un morceau de flûte pour son mariage. Mais Paddy était déjà à Bubry et n’avait pas le courage de s’y rendre. L’acteur a insisté et lui a fait venir un jet privé rien que pour lui. De retour le lendemain dans le Morbihan, il jouait à la fête des battages, comme si de rien n’était, sourit cet ancien correspondant local au Télégramme. Il y eut aussi ce soir d’été où il a reçu un appel de la Nasa. Il s’est alors isolé et a commencé à jouer de la flûte au téléphone. C’était pour un astronaute américain d’origine irlandaise qui avait un gros coup de blues en orbite. » Allô l’espace, ici Bubry. Julien Marchand The Chieftains en concert le 10 août au Festival Interceltique de Lorient 31


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BRETAGNE NID D’ESPIONS

LE TROISIÈME VOLET DES AVENTURES D’OSS 117 DOIT (LOGIQUEMENT) SORTIR AU PRINTEMPS. UNE NOUVELLE PLONGÉE DANS LE MONDE DE L’ESPIONNAGE QUI, DANS LA RÉALITÉ, S’AVÈRE PLUS COMPLEXE, MAIS TOUT AUTANT FASCINANT.

rançois Waroux a un petit côté Hubert Bonisseur de La Bath. Comme le personnage connu sous l’alias OSS 117 et joué au cinéma par Jean Dujardin, cet ancien agent des renseignements des services secrets a un côté charmant et beau parleur. Un peu vieille France aussi parfois, comme lorsqu’il qualifie benoitement les Pakistanais de « gens fourbes » ou qu’il explique que le meilleur endroit pour glaner des renseignements, « c’est dans les soirées cocktails », tout simplement. Ou encore quand il interpelle soudainement votre serviteur en plein milieu de l’interview téléphonique : « Vous enregistrez, là ? Non parce qu’il faudra effacer la bande (sic), c’est confidentiel ce que je raconte. » Confidentiel, pas vraiment pourtant car François Waroux s’est déjà raconté dans le détail en publiant en 2017 ses mémoires d’ancien espion. Il corrige : « Espion, c’est péjoratif. C’est l’ennemi l’espion. Moi, j’étais un officier traitant. » Il a appelé son livre James Bond n’existe pas, manière de démystifier la fonction qu’il a occupé de 1977 à 1995. « La réalité, ce n’est pas 007. Je n’ai eu à porter une arme que pour une mission, sans avoir 32

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à m’en servir. » La vie de François Waroux est pourtant un roman, même si son histoire n’a pas le glamour des pérégrinations vécues par le personnage de Ian Fleming. « J’ai fait le métier le plus dégueulasse qui soit, avoue-t-il sans ambages. On ment, on pousse des gens à trahir, ce n’est pas beau. » Ce père de famille de cinq enfant l’a fait pourtant, au service de la France, après des études menées à Saint-Cyr Coëtquidan puis à Supélec Rennes. « Car c’est aussi très palpitant, justifie-t-il. C’est de l’interdit permis par l’État. »

« Une seconde d’inattention »

Jeune capitaine de l’armée de Terre, il s’engage à 32 ans pour le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), qui deviendra la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) en 1984. Affecté dans un premier temps au département “Amérique”, Waroux est envoyé à plusieurs reprises sous légende aux États-Unis, avec pour objectif de soutirer des informations sur les avancées nucléaires des Yankees. De l’espionnage qu’il nomme pudiquement « renseignements techniques ». « Travailler sous légende,

c’est comme dans Le Bureau des légendes : vous êtes envoyé à l’étranger sous une identité fabriquée. » Son prénom d’agent était Frédéric et son faux employeur une banque française pour laquelle il était censé sillonner le pays pour y dénicher des destinations touristiques. Habile. « La série est assez réaliste, même si c’est plus dur en vrai de rester


longtemps sous légende, poursuit-il. Trois semaines déjà, c’est beaucoup. Une fois, j’ai failli me faire avoir à mon retour d’hôtel, après avoir bu quelques bières en boîte de nuit : en voulant payer avec un traveller chèque, je l’ai signé de mon vrai nom. J’ai raturé, je me suis excusé et c’est passé. Mais il suffit d’une seconde d’inattention… » Par la suite, François Waroux travaillera non plus sous légende mais sous couverture (« vous gardez votre identité mais vous continuez à soutirer des informations sans que personne ne le sache »). Il sera envoyé à l’ambassade d’Éthiopie, où il échappe à une tentative d’assassinat à base de salade empoisonnée (!) et où il participe notamment à la libération d’otages de la Croix Rouge en Érythrée. En fin de carrière, Waroux est également missionné au Pakistan. Il voyage entre l’Asie centrale et la France, assistant à cette même période à la naissance des premiers réseaux djihadistes. « Un changement d’époque après la guerre froide. »

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DOSSIER

« Tentative d’intrusion d’une start-up locale » Reste que l’espionnage est encore aujourd’hui – plus que jamais, même – une machine à fantasmes et la base scénaristique de tout un univers fictionnel, en films, séries et littérature. L’un des nouveaux maîtres du genre est Rennais et s’appelle Frédéric Paulin. Auteur de polars, il a récemment signé une trilogie sur les actions terroristes de l’islamisme algérien. Le troisième volume baptisé La Fabrique de la terreur a obtenu le Grand prix de la littérature policière et sera prochainement adapté pour la TV. « Les renseignements, c’est l’arrière-cuisine de la géopolitique mondiale. Pour un romancien, c’est un extraordinaire terrain de jeu, analyse l’écrivain. En la matière, les auteurs américains sont les meilleurs car derrière leur côté patriote, ils ont un degré d’autocritique et d’autodérision que nous n’avons pas encore assez en France vis-à-vis de nos autorités. » 34

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Mais c’est en train de changer : le succès du Bureau des légendes ou, dans un autre style, d’OSS 117, le démontre. Ces fictions auraient même une vertu surprenante : « Susciter des vocations, ce qui n’est pas pour déplaire à un monde du renseignement qui recrute actuellement massivement », pointe Julien Nocetti, enseignant-chercheur à Saint-Cyr Coëtquidan et consultant médias sur les questions d’espionnage. Comme Frédéric Paulin, il constate que « longtemps, ces coulisses d’un pays ont été vues en France comme sales et scandaleuses car opaques et donc infréquentables. Là où dans les pays anglo-saxons, les instances équivalentes sont considérées comme nobles ». Chez nous, l’équivalent du FBI américain et du MI5 britannique se nomme DGSI, la Direction générale de la sécurité intérieure, organe chargé

de la surveillance dans les frontières nationales, dépendant du ministère de l’Intérieur. L’équivalent de la CIA ou du MI6 est la DGSE où a bossé François Waroux, service en charge de la surveillance des menaces extérieures, dépendant du ministère des armées. Julien Nocetti complète : « La France compte au total six agences dédiées au renseignement, avec également des instances plus spécifiques au monde militaire, pénitentiaire, douanier… » Au total, c’est un mastodonte qui pèse 1,5 milliard d’euros de budget et 12 000 employés. « Rien que la DGSE, c’est 7 000 emplois recensés en 2019, contre 4 400 en 2008, c’est dire son importance grandissante », constate le journaliste breton Jean Guisnel, auteur d’une Histoire secrète de la DGSE, dans lequel il explique le rôle accru des agents de renseignement dans un monde actuel plus complexe encore qu’à l’époque binaire de rivalité entre blocs de l’est et de l’ouest. « Des pays comme la Russie et, plus encore, la Chine, se révèlent être de redoutables adversaires cherchant parfois à soutirer illégalement des informations, alors que ce sont des partenaires économiques de façade », ajoute Antoine Izambard, qui a enquêté avec son ouvrage FranceChine, les liaisons dangereuses, sur les tentatives d’intrusion chinoises sur le territoire national et particulièrement en Bretagne. Car oui, assez étonnamment, la Bretagne est autant une terre d’espionnage qu’un nid d’espions. « Étonnamment pas tant que ça, corrige Izambard. La région possède des atouts non négligeables qui attirent les convoitises : dans l’ingénierie militaire et navale, dans les biotechnologies, la recherche sous-marine… J’ai notamment retrouvé une note faisant état d’une


tentative d’intrusion d’une start-up locale, spécialisée dans l’exploitation des ressources sous-marines. Il y en a sûrement d’autres mais évidemment les entreprises ciblées ne vont pas se vanter de leur permissivité… »

« L’avenir est à la cybersécurité »

Pour riposter, la France est elle aussi en accroissement constant de ses effectifs d’agents de renseignement, avec le développement considérable du volet en ligne. « L’avenir est à la cybersécurité, pointe ainsi Julien Nocetti. Ce sont désormais les compétences informatiques qui sont les plus recherchées. » Et là encore, la Bretagne est en pointe. « L’influence de Jean-Yves Le Drian joue énormément, observe Jean Guisnel. Comme ministre concerné par le sujet, il a pesé de tout son poids pour que le pays s’appuie sur les compétences déjà existantes localement, la Bretagne étant historiquement une place forte des télécoms. » C’est ainsi que Comcyber, le QG de la cyberdéfense nationale, a été installé en 2017 à Rennes. Niveau formation, l’antenne du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) de Ploufragan forme des linguistes arabes, chinois et russes, ainsi que des analystes directement recrutés par les services de renseignement. Et à Rennes, a ouvert à la rentrée de septembre la Cyberschool, une école dépendant de Rennes 1 préparant des spécialistes de sécurisation des infrastructures, futures recrues là aussi de la DGSI et de la GDSE , pour des carrières derrière un écran à espionner des conversations cryptées ou à déjouer les plans de pirates informatiques. C’est certes moins sexy que les cocktails de François Waroux ou les aventures de James Bond, mais l’espionnage continue de susciter des vocations. Régis Delanoë 35


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comptable, qui doit retourner dans l’Hexagone, promet de revenir. Après une mutation en Arabie Saoudite, il retrouve la Chine cinq ans plus tard, en tant que porteur de la valise diplomatique. À son arrivée, Shi Pei Pu l’attend et lui annonce qu’il est père d’un petit garçon nommé Shi Du Du. « Alors que je suis chez lui, des membres des masses populaires arrivent. Ils fouillent toute la maison et commencent à nous faire un lavage de cerveau. Nous sommes finalement séparés et je rentre chez moi effrayé. »

« Pas le moindre soupçon »

Un événement qui marque le début de sa “carrière” d’espion. Car, peu de temps après, on lui annonce que s’il veut voir son fils, il doit collaborer et accepter de travailler pour les services secrets chinois. Sa mission ? Transmettre des papiers de l’ambassade de France aux autorités pékinoises. « Je ne ramenais pas plus de trois éléments à la fois par peur qu’ils pensent que c’était facile », dit-il en souriant. Le Français fournit toutes sortes de documents : des articles de presse, des notes de services, des correspondances de diplomates

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L’amour rend aveugle. Un adage qui résume parfaitement la vie de Bernard Boursicot, un Vannetais d’origine au parcours rocambolesque. La folle histoire de cet homme, né d’un père commerçant et d’une mère couturière, débute le 24 octobre 1964 lorsqu’il atterrit à Pékin en tant que comptable à l’ambassade de France. « J’avais seulement 20 ans. Je ne connaissais personne. C’était un monde nouveau pour moi », retrace le septuagénaire aujourd’hui installé dans un Ehpad à Livré-sur-Changeon, au nord-est de Rennes. Ses premiers mois dans la Chine communiste de Mao sont difficiles, jusqu’à ce qu’il rencontre, à l’occasion d’une réception à l’ambassade, l’artiste lyrique Shi Pei Pu. Un chanteur androgyne qui tout de suite le fascine. « Il était libre de ses mouvements, tout à fait différent des autres Chinois, se remémore celui qui était alors un jeune homme esseulé. Il parlait parfaitement le français, c’est comme ça qu’on a commencé à discuter et à sympathiser. » Les deux hommes se voient alors tous les dimanches pour des cours de chinois et des dégustations de thé « servi cérémonieusement ». Au fil des séances et d’une confiance qui s’installe, l’artiste annonce au Breton qu’il est en réalité une femme. Cela est bien évidemment faux, mais l’inexpérimenté Boursicot y croit. « Je suis tombé sous son charme. Un grand piège dont je n’ai pu échapper. Je ne sais pas comment on faisait l’amour, mais il avait une telle technique que je n’y ai vu que du feu. Un grand acteur sur scène et dans la vie. » Quelques mois plus tard, Shi Pei Pu annonce au dupé être enceinte. Le

Bikini

BOURSICOT, ESPION CHINOIS MALGRÉ LUI

européens et américains… « C’est excitant de faire l’espion, qu’on ose me dire le contraire ! On a l’impression de doubler tout le monde », reconnaît l’ancien fonctionnaire qui n’a jamais éveillé « le moindre soupçon » à l’ambassade. Un rôle d’espion que Boursicot tiendra jusqu’au début des années 70, avant d’être affecté en Mongolie, puis en Irlande. En 1982, il s’installe à Paris avec Shi Pei Pu et son fils présumé. Il sera démasqué par la CIA et la DST deux ans plus tard et arrêté, ainsi que sa prétendue amante dont il avoue aujourd’hui ne pas savoir quel était son véritable rôle. C’est lors de son incarcération, avant son procès, que le Vannetais apprend à la radio que « la Mata-Hari chinoise est un homme ». Lui et Shi Pei Pu seront tous les deux condamnés à six ans de prison. Trois décennies plus tard, celui qui inspira David Cronenberg pour le film M. Butterfly sorti en 1993, ne regrette rien de ses années pékinoises. Bracelet au motif chinois à son poignet, il affirme garder un attachement à ce pays qu’il n’a plus foulé depuis. Guillaume Monnier



Franck Alix

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SANS FILTRE EN DUO AVEC LE SUPERHOMARD, EN SOLO AVEC SES CONCERTS FAÇON KARAOKÉ OU EN GROUPE AVEC DEWAERE, LE PERFORMEUR AUSTRALIEN MAXWELL FARRINGTON, INSTALLÉ À SAINT-BRIEUC, EST SUR TOUS LES FRONTS. as la peine d’en rajouter, Maxwell Farrington (à gauche sur la photo) est un phénomène. Il suffit de le voir se trémousser en concert et faire l’amour à son micro pour vite se convaincre qu’on a là affaire à un vrai « performeur », comme il se définit lui-même dans un français quasi parfait, tinté d’un joli accent australien, son pays d’origine. « Depuis que j’ai découvert le karaoké chez moi à Brisbane avec ma sœur, c’est devenu mon truc de chanter devant des gens. C’est une vraie bonne école, le karaoké, 38

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pour se sentir à l’aise en public, assure-t-il très sérieusement. Sauf que beaucoup de pratiquants ne savent pas chanter. Moi ça va, en plus je me débrouille ! » Crooner autodidacte élevé à l’école des bars, biberonné à la pop par son père fan des Beatles, il décide en 2013 de déménager en Angleterre, par goût de l’aventure autant que par détestation de… la chaleur. Sauf que la vie londonienne, il se rend vite compte que ce n’est pas l’eldorado espéré. « Enchaîner les jobs pourris sans avoir droit au chômage, c’était une

vraie galère », grimace-t-il. Alors au bout de six mois, un peu sur un coup de tête, le trentenaire prend un car pour Marseille, sans savoir parler un mot de français mais avec l’envie de tester un nouvel endroit. Il est comme ça Maxwell : baroudeur sans attache, vadrouillant au gré des opportunités. Après la Méditerranée et un passage à Toulouse, il s’installe finalement il y a quatre ans à SaintBrieuc où sa copine est mutée et où il trouve un job de cuistot au bar Le Chaland qui pêche, repère de l’équipe du festival de Binic.


« J’ai tout de suite adoré le coin ! Ici il pleut, y a pas la canicule, et les gens sont super sympas, un peu trop rockeurs à mon goût mais je m’adapte. » L’intégration se passe bien, et Maxwell est tellement cool, qu’au moment où le groupe Dewaere se cherche un chanteur pour concrétiser son projet noise rock, on pense à lui et le voilà à faire partie de l’aventure (« un deuxième album est en route et devrait sortir en cours d’année »). Mais son vrai truc, c’est Frank Sinatra, Scott Walker et Burt Bacharach, des chanteurs old school qui font des trémolos dans la voix et des papillons dans le corps. « J’aime aussi tout ce qui est happy hardcore : Salut c’est cool, Musique Chienne, ce genre de choses hyper pop. » Un mélange hétéroclite qu’il pratique en solo depuis pas mal de temps déjà (« Je branche mon portable et je chante dessus, c’est une formule facile à vendre dans les bars ») et qui doit se concrétiser là encore avec un album en novembre « si tout va bien ». Mais l’actu la plus chaude de Maxwell Farrington, c’est une formule duo (photo) qu’il a débutée l’an dernier avec Le SuperHomard, nom de scène du musicien avignonnais Christophe Vaillant et qui va se concrétiser avec la sortie de l’album Once le 30 avril sur le label bordelais Talitres. Posée sur des arrangements pop presque enfantins, sa voix surannée prend des allures de Mac DeMarco de cabaret. « Avec un peu de chance, le virus va nous laisser tranquille et on va pouvoir présenter ça sur scène. » Si tout va bien, une date est prévue en mai, à la maison, au festival Art Rock à Saint-Brieuc. Régis Delanoë Once : sortie le 30 avril 39


RDV

HAUT LES CHŒURS Dans la grande famille du rock, il y a des mélanges plus communs que d’autres : y associer une teinte pop par exemple, ou électro, ou folk. Un peu plus rare déjà, mettre des touches hip-hop dans son rock, façon Rage Against The Machine. Carrément plus audacieux encore, il y a le pari tenté par Les Bacchantes : poser du chant lyrique – du vrai beau chant façon chant sacré d’église – sur une base de rock indé. Pour bien comprendre l’assemblage, il faut remonter à la genèse du groupe en 2016. Amélie Grosselin, l’une de ses quatre membres, décrypte : « L’idée est née de Faustine (Seilman), qui venait d’acquérir un harmonium indien au joli son de bourdon. Ça c’est pour le côté rétro. Elle voulait monter un projet collectif – féminin idéalement – et a sollicité des copines musiciennes : Claire (Grupallo) du groupe Sieur & Dame, Astrid (Radigue) de Mermonte, et moi de Fordamage. On a toutes apporté nos influences. Mon background est plutôt vers les musiques extrêmes. Le côté lyrique est venu d’Astrid, membre d’un collectif gospel et qui nous a motivées à toutes nous mettre à chanter. Il se trouve que nos voix se com40

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Tesslye Lopez

COUPLER ROCK INDÉ ET CHANT LYRIQUE : TEL EST LE PARI AUDACIEUX (ET RÉUSSI) DU QUATUOR LES BACCHANTES. UN PROJET 100 % FÉMININ, NÉ À RENNES, QUI VIENT DE SORTIR SON TOUT PREMIER ALBUM.

plètent plutôt bien. Et pour les textes, c’est Claire qui a eu l’idée de ramener des vieux recueils de poésie. » Le résultat ? Un objet musical non identifié, improbable rencontre entre Electrelane, Super Parquet, Maria Callas et Gérard de Nerval. « On nous a classé dans du dark folk, on a des gothiques qui sont fans, sachant qu’à la base on voulait s’orienter vers du drone... Ce côté indéfinissable nous va très bien. »

Un premier album éponyme est sorti en février chez Figures Libres Records et le groupe, rennais de base même si trois des quatre membres vivent désormais hors de Bretagne, est suivi par L’Antipode. « Comme tout le monde, on attend l’autorisation des concerts avec impatience. Comme on s’est déjà produites en configuration assise par le passé, ça ne nous posera pas de problèmes d’adaptation si c’est une mesure imposée. On sait faire ! » R.D


L’Or Breizh

LES BEAUX JOURS

VINCE LAHAY DÉBOULE AVEC SPRING IS ON THE RIDE, LUMINEUX ALBUM D’INDIE-FOLK. C’est une histoire qui finit et commence dans une cabane en bois. « Quand j’étais ado, mon père nous en avait construit une dans le jardin. Avec mon frère, on l’a vite transformée en studio de répé. On y jouait de la guitare », rembobine Vince Lahay, originaire de Glomel dans le Kreiz Breizh. Un apprentissage musical que le garçon va poursuivre en tant que side-man dans des formations de blues et de jazz, avant de construire son propre projet. « Je me sentais plus à l’aise avec ma voix et je souhaitais aller vers des choses plus épurées. Je me suis alors naturellement tourné vers la folk », explique celui dont les influences vont de Bon Iver à Patrick Watson, en passant par Piers Faccini (il a d’ailleurs assuré les premières parties de ce dernier en 2017, tout comme celles de Rover et de Sarah McCoy). Après Bird on the grave, opus sorti en 2018, il revient avec Spring is on the ride, épaulé par un trio à cordes qui donne profondeur et corps à ses compositions. « Je les ai voulues plus lumineuses, moins mélancoliques. C’est un voyage en Islande qui m’a guidé : quand au printemps, la lumière revient pour la première fois. Une idée qui traverse tout l’album. » Un disque que Vince Lahay a enregistré en partie au Novomax à Quimper, ainsi que dans sa fameuse cabane, « aujourd’hui home studio ». J.M Spring is on the ride : sortie le 20 avril 41


FOCUS

MONTS D’ARRÉE « MONDE A PART »

APRÈS AVOIR PLONGÉ DANS LE MONDE DES TRAVAILLEURS DE LA MER AU GUILVINEC, LE PHOTOGRAPHE STÉPHANE LAVOUÉ SE PENCHE AUJOURD’HUI SUR LES MONTS D’ARRÉE, AU CŒUR DU FINISTÈRE, À LA RENCONTRE DE SES HABITANTS LES PLUS ATYPIQUES, DE LEURS CROYANCES ET DE LEUR RAPPORT AU TERRITOIRE. UN VOYAGE SINGULIER.

« BOUT DU MONDE » « J’habite à Penmarch, à l’extrême sudouest du Finistère. J’ai longtemps pensé que c’était le bout du monde, mais le véritable bout du monde il se situe au milieu du Finistère, dans les Monts d’Arrée. C’est un territoire que j’avais l’habitude de traverser mais sans vraiment rentrer dedans. Pour le découvrir, il faut s’y enfoncer. Ce lieu constitue pour moi une sorte de parenthèse bretonne : quand tu quittes Brasparts, au bout de trois virages, tu déboules dans le Yeun Elez et là c’est un monde à part. Et cette porte se referme quand tu redescends vers Plounéour-Menez. Je trouve ça fascinant. Ce n’est pas un territoire fade et sans identité. J’avais donc envie de savoir qui habitait là-bas et ce que les gens y faisaient. Ce que j’ai fait avec cette série photo que j’ai appelée Les Enchanteurs. » 42

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Photos : Stéphane Lavoué

« LE SOUFFLE DE LA MORT » « Un jour, un copain libraire m’a conseillé La Légende de la mort, d’Anatole Le Braz. J’y ai découvert le territoire de l’Ankou (la mort personnifiée en Basse-Bretagne, ndlr). Ça m’a donné envie de le trouver et d’essayer de lui tirer le portrait (rires). Cet ouvrage a constitué un point départ et un prétexte pour m’y aventurer. Une bonne partie des personnes que j’ai rencontrées n’en ont rien à faire des légendes, mais ça fait malgré tout partie des lieux. C’est dans l’épaisseur de l’air. T’as toujours l’impression d’avoir le souffle de la mort qui te passe dans le dos. Comme ce soir de fin décembre où un homme est décédé brutalement quelques heures après notre rencontre. Une fois le choc de l’annonce passé, le réflexe des gens du coin a été de dire que ce dernier mort de l’année allait devenir l’Ankou de la nouvelle année. »

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FOCUS

« DES PERSONNAGES » « Quand tu te balades dans les Monts d’Arrée, tu peux avoir le sentiment que c’est vide, que personne n’y habite. On y trouve pourtant une variété de profils, des personnes dont les familles y sont originaires depuis plusieurs générations ou des gens nouvellement installés. Le tout avec un réseau d’entraide assez fort. Pour Les Enchanteurs, je me suis surtout concentré sur les habitants les plus atypiques. J’ai pu croiser des druides, des magnétiseurs, des coupeurs de feu... Le côté ésotérique est très présent. Et puis, il y a des personnages, comme Yves (photo) de Saint-Cadou, qui a racheté une ancienne mine dans la montagne. Il y fait du kombucha, une boisson qui se veut soignante. Il est complètement habité par ce truclà. Il utilise l’eau de la montagne qu’il veut la plus pure, il mène une vie d’ascète pour éviter de perturber le processus de fermentation, il est entouré de 25 chevaux… Je pense aussi à ce bûcheron de Botmeur, passionné par l’opéra et les légendes, qui se déguise en korrigan lors de balades contées. Ou encore cette femme un peu chamane qui se baigne tous les matins dans la rivière de Saint-Rivoal (photo suivante). »

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« UNE COMPLEXITÉ DE LUMIÈRE »

Photos : Stéphane Lavoué

« Comme sur mon précédent projet À Terre (qui s’intéressait aux travailleurs de la mer au Guilvinec, ndlr), l’esthétique de mes photos se rapproche de la peinture flamande. Elle m’inspire beaucoup. C’est un type de lumière que j’affectionne particulièrement, ce qu’on appelle les “available lights” (les lumières disponibles, ndlr). Je ne rajoute jamais de sources lumineuses. Cela permet une lumière douce, diffuse, avec des détails qui émergent de l’ombre. Les Monts d’Arrée, j’y étais durant l’automne 2019 et l’hiver 2020. Quand les fougères sont marrons, quand le ciel est très bas et qu’il se confond avec le sol. Il n’y a pas de différence entre le matin et le soir. Tu composes avec une lumière grise, filtrée, quasiment inexistante. C’est là que tu vas réussir à trouver une complexité de lumière. J’y suis retourné par la suite au printemps : il faisait beau, tout avait verdi, tout avait changé. Ce n’était plus les Monts d’Arrée dans lesquels je m’étais plongé. » Recueilli par Julien Marchand Exposition aux Champs Libres à Rennes jusqu’au 5 septembre. Ouvrage aux Éditions 77 45


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AGENDA

C. Truong Ngoc

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Simon Gosselin

RECOMMANDE

ARNAUD REBOTINI

ALICE ZENITER

BACHAR MAR-KHALIFÉ

PHOTO FESTIVAL

Au MeM à Rennes Le 28 mai

À La Passerelle à Saint-Brieuc Les 21 et 22 avril

Le 18/05 à L’Aire Libre à St-Jacques, le 19/05 au Vauban à Brest et le 17/06 à Bonjour Minuit à St-Brieuc

À Saint-Brieuc Du 17 avril au 29 août

Enregistré chez lui au Liban dans des conditions brutes, le sublime cinquième album de Bachar Mar-Khalifé, tout en dépouillement, se devait d’avoir la tournée qu’il mérite. Reportée une première fois cet hiver, on l’espère enfin ce printemps, avec trois dates prévues dans le coin.

Le rendez-vous photo de la baie de Saint-Brieuc se réinvente cette année pour sa 9e édition : changement de saison (exit l’automne), durée plus longue et une majorité des expos hors les murs. Parmi les invités, deux photographes en résidence, Jean-Christophe Béchet (photo) et Céline Alson, dresseront un portrait du territoire.

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Pierre Andreotti

Jérémy Kergourlay

Jeune écrivaine à succès (L’Art de perdre, Comme un empire dans un empire...), Alice Zeniter touche aussi au théâtre, avec Je suis une fille sans histoire (elle est à la fois à la création et à l’interprétation). Un passage sur scène qui, logiquement, fait étape chez elle dans le 22.

François Lepage

Gros daron de l’électro, le Français Arnaud Rebotini a de l’actu (comme souvent) : la promo de l’excellent nouvel album de Feu! Chatterton, Palais d’argile, dont il a assuré la production. Et une tournée avec un ensemble orchestral (le Don Van Club) pour interpréter en live la B.O de 120 battements par minute.

MANUEL LITTÉRAIRE

YANN-FAÑCH KEMENER

LUCIE ANTUNES

LA CHAISE PLIANTE

Au Triangle à Rennes Les 11 et 12 mai

Au TNB à Rennes Le 27 mai

Au Novomax à Quimper Le 22 mai

Partout en Bretagne Cet été

Quels bouquins lire avant de vivre en forêt ? C’est l’excellente question posée par les deux auteurs rennais, Alexis Fichet et Nicolas Richard, dans leur nouvelle pièce. Une divagation littéraire pour s’interroger sur la place de l’humain dans la nature.

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Il y a deux ans, cette figure du chant traditionnel (gwerz, kan ha diskan) nous quittait. Un militant de la langue auquel rend hommage le musicien Clément Le Goff qui, à cette occasion, réunit les artistes qui ont entouré cette grande voix de Basse-Bretagne : Erik Marchand, Annie Ebrel…

Valeur sûre du label In Fine, la percussionniste Lucie Antunes a signé avec Sergeï l’un des disques les plus enthousiasmants de 2020. Un album organique et électronique, asymétrique et dansant, qui révèle tout le potentiel de cette musicienne hors pair.

Bon OK, ce n’est pas l’idéal. On aurait tous aimé être debout, mais pas le choix. S’il faut passer par une chaise pour regoûter au plaisir d’un festival et d’un concert live, on peut faire l’effort pour une année. Avis aux esthètes : le modèle Quechua avec portegobelet intégré est top.




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