BIKINI NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2019

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NOVEMBRE-DÉCEMBRE 2019 #44



TEASING

À découvrir dans ce numéro...

«ÊTRE PRÊT POUR LA FIN DU MONDE»

BIODIVERSITÉ

SÉPULTURE

MUR DE BERLIN

ROCKY SOLASTALGIE «LES BESOINS DE L’HOMME RÉUNIS EN UNE PLANTE»

MASHUP PERMACULTURE

AN 2000

BIÈRE EN VRAC

«52 JOURS DANS UNE PRISON TURQUE»


ÉDITO

ÊTES-VOUS ÉCO-ANXIEUX ? Petit test. À chaque rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), passez-vous par les stades suivants : constat d’une situation environnementale qui commence vraiment à devenir craignos, colère devant l’inaction politique, peur et/ou déprime face à l’impuissance d’un monde qui court à sa destruction ? Si vous cochez les trois cases, il y a de fortes chances que vous souffriez d’éco-anxiété, de climato-dépression ou, terme plus complexe, de solastalgie (soit la détresse engendrée par les changements environnementaux). Sachez que vous n’êtes pas seul. 85 % des Français se déclarent inquiets du dérèglement climatique. Un taux qui monte même à 93 % chez les 18-24 ans. Si ce sondage réalisé en octobre 2018 par l’Ifop affiche des scores significatifs, on peut imaginer qu’ils ne se sont pas arrangés depuis, tant les derniers rapports sur la hausse des températures, sur la perte de la biodiversité et sur la santé des océans ont de quoi filer les chocottes. Une angoisse verte à l’origine de nouvelles formes d’engagement ? Défendue notamment par Yves Cochet, la théorie de l’effondrement suscite en effet de plus en plus de curieux et d’adeptes, à l’image des collapsologues qui construisent des écolieux pour se préparer à la « la fin du monde » (lire page 16). S’ils espèrent encore l’éviter, des mouvements écologistes (principalement de jeunesse, comme “Youth for Climate” et les « grèves scolaires » initiées par Greta Thunberg) ont également réussi à capter cette anxiété climatique et à la transformer en militantisme. Comme le résume et le souligne le slogan de la très en vue ONG “Extinction Rebellion” : « L’espoir est mort, l’action commence ». La rédaction

SOMMAIRE 6 à 11 12 à 23 24 à 31 32 à 35 36 & 37 38 à 45 46 à 49

WTF : nom animal, bière en vrac, chute du Mur de Berlin, gratuité des transports en commun... Apocalypse now ? L’heure du cannabiz’ ? « 52 jours dans une prison turque » Les 20 ans du bug de l’an 2000 RDV : Le petit mashup illustré, Motorama, AJA, Moundrag, Dewaere, Stallone, Guadal Tejaz... Les tombes mystérieuses

50 BIKINI recommande 4

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Directeur de la publication et de la rédaction : Julien Marchand / Rédacteurs : Régis Delanoë, Isabelle Jaffré, Brice Miclet / Directeurs artistiques : Julien Zwahlen, Jean-Marie Le Gallou / Consultant : Amar Nafa / Couverture : Plainpicture - Jean Marmeisse / Relecture : Anaïg Delanoë / Publicité et partenariats : Julien Marchand, contact@bikinimag.fr / Impression par Cloître Imprimeurs (St-Thonan, Finistère) sur du papier PEFC. Remerciements : nos annonceurs, nos partenaires, nos lieux de diffusion, nos abonnés, Émilie Le Gall, Louis Marchand. Contact : BIKINI / Bretagne Presse Médias - 1 bis rue d’Ouessant BP 96241 - 35762 Saint-Grégoire cedex / Téléphone : 02 99 25 03 18 / Email : contact@bikinimag.fr Dépôt légal : à parution. BIKINI “société et pop culture” est édité par Bretagne Presse Médias (BPM), SARL au capital social de 5 500 €. Les articles publiés n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Le magazine décline toute responsabilité quant aux photographies et articles qui lui sont envoyés. Toute reproduction, intégrale ou partielle, est strictement interdite sans autorisation. Magazine édité à 20 000 exemplaires. Ne pas jeter sur la voie publique. © Bretagne Presse Médias 2019.



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QUEL « ANIMAL » ALLER VOIR ?

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ELLE VIENT DU BLUES

EN CETTE FIN D’ANNÉE, LES SALLES DE CONCERTS ET FESTIVALS DU COIN PRENNENT DES ALLURES DE ZOO. DANS LEUR PROGRAMMATION : DES GROUPES ET ARTISTES ARBORANT UN PATRONYME ANIMALIER.

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En novembre 1969 était organisé le Chicago Blues Festival, un festival itinérant mettant en avant la scène musicale de la métropole des Grands Lacs. Une tournée anniversaire des 50 ans de l’événement est organisée et fait escale à Brest, avec les guitaristes Wayne Baker Brooks et Maurice John Vaughn, l’harmoniciste Russ Green… Le 5 décembre au Vauban.

GRAND SINGE Marie-Sarah Piron

MÉTROPOLITAIN

Mohamed Lamouri, comme avant lui Oxmo Puccino, Keziah Jones ou Renaud, a commencé sa carrière musicale dans le métro. Bien connu des usagers de la ligne 2 à Paris, l’Algérien malvoyant joue sur un petit clavier un raï mélancolique qui prend aux tripes. Un artiste DIY invité par le festival No Border. Le 14 décembre à La Carène à Brest.

RECTIF

erratum

Dans notre précédent numéro, une erreur s’est glissée dans l’article sur les clubs de cricket en Bretagne. Une partie des propos de Hazrat Khan a été malencontreusement attribuée à Mansur Nasiri. Nous nous excusons pour cette confusion. 6

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En provenance de Besançon (oui oui), Grand Singe est un collectif de trois rappeurs nommés Zo, Miqi O et Boucherie Chevaline (grand nom, là encore !). Vêtus sur scène de masques de primates, ils proposent un hip-hop bien old school et s’amusent de rimes à répétition et d’assonances alambiquées à la Stéphane de Groodt (pas forcément un compliment). Un croisement d’Orelsan et du zoo de La Bourbansais. Oumpa oumpa ! Quand ? Le 5 décembre aux Trans Musicales à Rennes

THE CHATS

FRED POULET

Icône méconnue de la scène underground francophone, le dénommé Fred Poulet sévit depuis plus de vingt ans dans une veine punk gaulois, déblatérant plus que chantant de sa drôle de voix nasale des textes décalés (souvent) et subversifs (parfois) sur un fond de rock minimaliste. Son dernier album, The Soleil, est paru en 2018. Un gallinacé pas très beau, gambadant les deux pattes dans le fumier mais fier comme un coq. Co-co-cot ! Quand ? Le 22 novembre au festival Invisible à La Carène à Brest

Bon là c’est un peu tiré par les cheveux car The Chats est un groupe australien. Ses trois jeunes membres (photo) rendent donc plus certainement hommage à feu MSN Messenger qu’au plus branleur des félins. Mais c’est l’occasion de parler de ces adorateurs de la coupe mulet, adoubés par Iggy Pop, Dave Grohl et Josh Homme, la sainte trinité rock’n’roll. On lance ça comme ça mais leur garage punk irait comme papa dans maman à la prog’ du prochain festival de Binic. Miaou ! Quand ? Le 26 novembre à l’Ubu à Rennes



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BIÈRE EN VRAC : QU’IMPORTE LE FLACON... DANS LA TENDANCE ACTUELLE DU ZÉRO DÉCHET, LA VENTE EN VRAC TOUCHE UN NOUVEAU PRODUIT : LA BIÈRE. EN BRETAGNE, LE DISPOSITIF SE MET DOUCEMENT EN PLACE AVEC DES AVANTAGES PLUTÔT COOL. la raison économique. Si on observe les prix au litre, les bières au growler sont moins chères. » Une différence de tarif qui peut osciller entre 20 et 40 % sur certaines gammes. Un calcul qu’ont également effectué Christophe Bernard et Marek Fest de la Brasserie de Dinan. D’ici l’été 2020, sa consigne. » Au-delà de l’intérêt ils prévoient de mettre en place une écolo, le dispositif permet d’offrir vente directe en vrac. « Sur une bouune qualité pression à la maison. « Il teille de 33 cl, le verre, l’étiquette et ne s’agit pas d’une tireuse classique, la capsule représentent un tiers du mais d’une colonne permettant une coût. Avec un growler, on peut donc contre-pression : l’oxygène est chassé imaginer vendre la bière un tiers moins du cruchon qui se remplit entièrement chère. Un argument de poids pour de CO2. On garde ainsi une belle convaincre les consommateurs et, au bulle, se félicite Tony qui avance aussi final, tendre vers le zéro déchet. » J.M Bikini

Vous aussi vous trouvez ça pénible d’aller à la colonne à verre ? De 1/ la flemme. De 2/ c’est toujours un peu débile, malgré le recyclage, de jeter des bouteilles encore nickel. À Rennes, les amateurs de binouze ont la solution : le vrac. Un principe simple que nous détaille Tony Misiaszek, gérant du Marchand de bière, caviste pionnier en la matière en BZH (photo). « La première fois, le client achète 12 € un “growler”, un cruchon de 1,89 litre, qu’il remplit parmi une sélection de quatre bières artisanales en rotation. L’idée, c’est qu’il réutilise ce growler à chacune de ses venues. Et le jour où il souhaite nous le rendre, il récupère

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PAYE TA TOURNÉE

Avant-goût du festival, la Tournée des Trans reprend la route et fait escale dans six salles de l’Ouest : l’Ubu à Rennes, La Carène à Brest, le 6PAR4 à Laval, le VIP à Saint-Nazaire, l’Hydrophone à Lorient et Bonjour Minuit à Saint-Brieuc. L’occasion de découvrir en avant-première les groupes accompagnés par Les Trans cette année : Songø et son afropop (photo), Moundrag et son rock seventies (lire par ailleurs page 42), Mohican et sa chanson hip-hop, Tekemat et sa brass house, Meloman & Máni et leur électro hip-hop. Du 14 au 29 novembre. Et c’est gratuit !

À LA FRANÇAISE Jardin est le projet musical de Lény Bernay qui mélange rap, techno indus et ghetto house. En clair, c’est pas Céline Dion. Le 9 novembre à l’Antipode à Rennes, le 10 aux Indisciplinées à Lorient et le 7 décembre aux Bars en Trans. 8

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ICH BIN EIN JAHRESTAG

IL Y A 30 ANS, L’ALLEMAGNE ET L’EUROPE FÊTAIENT LA CHUTE DU MUR DE BERLIN. UN ANNIVERSAIRE CÉLÉBRÉ EN BZH. CONCERT Cela reste l’une des images fortes du 9 novembre 1989 : le violoncelliste Mstislav Rostropovitch jouant au pied du Mur de Berlin (photo). Parmi les premières notes entamées, celles des Suites de Jean-Sébastien Bach. Une prestation « en mémoire aux morts », confia le musicien russe, auquel rend hommage l’Orchestre Symphonique de Bretagne avec le concert Hoffnung und freiheit. Le 9 novembre aux Champs Libres.

DANSE La compagnie rennaise Hors Mots a fait des remparts, réels et invisibles, anciens et récents, le thème de son dernier spectacle, MURmurs. Des édifices racontant des séparations, des disparitions mais aussi des retrouvailles. Le 9 novembre à la plage de l’écluse à Dinard, le 11 aux Capucins à Brest et le 7 décembre aux Halles à Saint-Brieuc dans le cadre du festival Migrant’Scène.

CONFÉRENCES ET EXPO La Maison de l’international de Brest consacre un large cycle à ce 30e anniversaire. Des conférences sur la liberté acquise et sur l’organisation politique de l’Allemagne, ainsi qu’une exposition photo sur la RDA, viennent ponctuer ce temps fort. Du 5 au 13 novembre. 9


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PROCHAIN ARRÊT : LA GRATUITÉ ?

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CALIFORNICATION

Ancien de Success, James Eleganz a mis les petits plats dans les grands avec son nouveau projet musical en enregistrant son album The Only One dans le mythique studio Rancho de la Luna en Californie, avec à la production Toby Dammit (ex-batteur des Stooges et clavier de Nick Cave). Le 21 novembre à La Nouvelle Vague à Saint-Malo et le 6 décembre aux Trans à Rennes.

Roger Legrand

CASPER

Sept fantômes phosphorescents qui flottent, dansent et se poursuivent… Habillés de simples draps blancs, les spectres de Pillowgraphies réveillent notre imaginaire enfantin où l’on jouait à se faire peur. Un ballet hypnotique orchestré par la compagnie La BaZooKa. Le 13 décembre au théâtre de Cornouaille à Quimper et le 12 mars au Triangle à Rennes.

PLAN À 3

rituel Déjà la 3e édition du festival pluridisciplinaire Rituel. Un rendezvous mélangeant avec goût concerts, tatouages et expo. À l’affiche : Die Wilde Jagd, S Ruston, Acute Dose... Du 13 au 16 novembre à Rennes (Ubu, Marquis de Sade...). 10

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En Bretagne, trois communes appliquent déjà la gratuité de leur service de transports en commun : Vitré, Dinan et Carhaix. Un service qui pourrait s’étendre ailleurs à en croire les discours de campagne des municipales 2020. À Rennes par exemple, la maire sortante Nathalie Appéré n’y serait pas opposée, poussée par l’aile gauche de ses soutiens. À Brest, Vannes ou encore Saint-Brieuc, la gratuité totale ou partielle est promise par des listes d’opposition. Une actualité qui n’étonne pas Éric Le Breton, maître de conférences à Rennes 2 et spécialiste des questions de mobilité. « C’est une revendication électoraliste historiquement forte qui continue à prendre de l’importance avec les transformations urbaines et le développement des communes périphériques », observe-t-il. Le premier argument des partisans de la gratuité est d’ordre social : faciliter l’accession des plus modestes aux transports en commun. « Mais dans les faits, de fortes réductions sont déjà appliquées à une bonne partie des usagers comme les allocataires des minimas sociaux ou les étudiants, observe l’universitaire. Un lissage est opéré en fonction des revenus et ne paient généralement plein pot que ceux qui en ont les moyens. » Ne faudrait-il pas, par souci d’égalitarisme, tendre vers une gratuité générale ? « La mesure peut s’avérer plus néfaste qu’autre chose, répond l’universitaire. Des villes comme Rennes polarisent déjà assez de monde, il est inutile de continuer

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LA QUESTION DE LA GRATUITÉ DES TRANSPORTS EN COMMUN POURRAIT ÊTRE UN THÈME DE CAMPAGNE MAJEUR DES ÉLECTIONS MUNICIPALES DU PRINTEMPS PROCHAIN. UN ACTE FORT MAIS À LA PERTINENCE DISCUTABLE.

à encourager les gens de s’y rendre par une politique tarifaire trop avantageuse. C’est vers le périurbain et les zones rurales qu’il faut surtout chercher à développer des solutions de mobilité alternatives à la voiture. » Si le tout gratuit s’avère peu pertinent, certains cas de figure incitent néanmoins à réfléchir en ce sens. « Dans le cas de villes moyennes comme Saint-Brieuc, confrontées au phénomène inverse de désertification de son hyper-centre, encourager à l’utilisation des transports en commun pourrait au contraire contribuer à ce que la population périphérique le réinvestisse, juge le sociologue. Mais ce n’est pas non plus une solution miracle car on sait d’expérience qu’il est difficile d’inciter les automobilistes à changer leurs habitudes. » La voiture est une drogue dure. R.D



DOSSIER

APOCALYPSE NOW ?

UN EFFONDREMENT ÉCOLOGIQUE, FINANCIER ET POLITIQUE : ET SI LA FIN DU MONDE ÉTAIT POUR DEMAIN ? C’EST EN TOUT CAS LA CONVICTION DES “COLLAPSOLOGUES” QUI, EUX, S’Y PRÉPARENT. 12

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Julien Zwahlen - Bikini


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« LA FIN DU MONDE ? ENTRE 2020 ET 2030 » Il en est certain : le monde tel que nous le connaissons va disparaître. Cette fin serait même imminente. Ancien ministre de l’Environnement du gouvernement Jospin, Yves Cochet, installé à une vingtaine de kilomètres au nord de Rennes, vient de sortir Devant l’effondrement. Un essai de collapsologie. Un des ouvrages choc de cet automne.

Pour quand prévoyez-vous cela ? Je ne suis pas Madame Soleil mais il est imaginable – j’en suis convaincu en tout cas – que l’effondrement adviendra dans la prochaine dizaine d’années, entre 2020 et 2030. Suivra un intervalle de survie, puis le temps d’une renaissance à partir de 2050.

2020, c’est demain. Un chaos si imminent apparaît peu probable... À quoi va ressembler l’effondrement Nous sommes encore dans la montée, que vous présagez ? bientôt à l’apogée du triomphalisme L’effondrement, c’est lorsque les de la civilisation thermo-industrielle. besoins de base des êtres humains Seulement voilà, avant d’arriver au ne sont plus garantis à une majorité col, vous ne voyez pas la descente. de la population par des services Et une fois que vous passez le col, la encadrés par la loi. Autrement dit, descente peut être rapide. voit l’état des 450 réacteurs nucléaires l’État est totalement défaillant et les dans le monde, on peut craindre une grandes entreprises ne répondent Qu’est-ce qui vous fait dire ça ? Terre inhabitable. plus. Il ne s’agira pas d’une catas- Dans un système mondialisé comme trophe locale comme peut l’être un le nôtre, tous les domaines sont inter- À quoi ressemblerait concrètement la ouragan ou un tremblement de terre, dépendants. L’énergie, l’alimentation, vie quotidienne de tout un chacun ? mais d’un effondrement mondial et l’environnement… Ces éléments sont La grande majorité des gens perdront systémique. Que l’on soit à Rennes, reliés entre eux. Un secteur s’effondre, leur métier actuel. Ils habiteront des Paris, New-York ou Tombouctou, puis par propagation les autres. Pre- écolieux résilients et feront de la toute la planète sera touchée. Et cela nons celui de l’énergie, primordial à permaculture pour se nourrir (lire concernera l’ensemble des domaines notre bien-être matériel. Aujourd’hui, par ailleurs page 16). L’alimentation de la vie individuelle et collective : la quasi-totalité de nos besoins énergé- sera locale, saisonnière et principalel’alimentation, l’eau, l’énergie, les tiques proviennent d’énergies fossiles ment végétale. Ce n’est pas sûr qu’il transports, l’habitat, la sécurité, le qui se raréfient. Le monde tel qu’on y ait toujours de l’électricité ni d’eau social… Il y aura des épidémies, l’a conçu n’est pas prêt à faire sans. À potable au robinet. Et bien sûr, pas des famines, des guerres civiles… supposer qu’il reste vivable : il suffit de voitures. Cela ne veut pas dire La population pourrait être divisée de lire les rapports de plus en plus qu’il n’y aura plus de technologie, par deux, par trois, par quatre… Le alarmistes du GIEC sur le dérègle- mais ce sont les low-tech (techniques monde tel qu’on le connaît n’existera ment climatique ou de l’IPBES sur la simples nécessitant peu d’énergie, plus. C’est ce qu’étudie la collap- biodiversité pour se rendre compte ndlr) qui seront plébiscitées. sologie : à quoi ressembleront nos que cela va de plus en plus mal. Sans sociétés quand presque tout se sera oublier la possibilité d’un épisode Et vous, comment vous êtes-vous écroulé. nucléaire civil ou militaire : quand on concrètement préparé ? Avec ma fille, cela fait une quinzaine d’années qu’on y pense. Nous avons acheté une longère qu’on a retapée et équipée : chauffage au bois, panneaux solaires, un puits, un petit étang,

« Les besoins de base ne seront plus garantis »

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« Le choix sera simple : s’entretuer ou s’entraider »

plusieurs citernes de 1 000 litres où l’on récupère l’eau de pluie… Nous avons aussi deux chevaux et deux calèches. Le terrain fait 7 hectares, partagés entre partie boisée, vergers et potager… Tout cela est rentré en compte au moment de s’y installer. L’effondrement est-il inéluctable ou peut-on encore activer certains leviers pour l’éviter ? Effondrement il y aura, c’est selon moi une certitude. Si une politique de développement durable peut nous sauver ? Bien sûr que non, c’est de la foutaise. Cela reste dérisoire face à l’ampleur de ce qui nous attend. Il fallait prendre les bonnes décisions à la bonne mesure et au bon moment. Aux grands maux, les petits remèdes n’apportent pas de petits soulagements, juste des désillusions. Si le protocole de Kyoto en 1997 était efficace car juridiquement contraignant, les accords de Paris suite à la COP 21 en 2015 n’apportent rien car les pays ne peuvent pas être sanctionnés. À présent, il faut

plutôt penser à trouver des solutions les choses. Le psychanalyste Jacques qui réduiront le nombre de morts. Lacan disait que « le réel, c’est quand on en prend plein la gueule ». C’est Que faire pour que cela ne vire pas quand les gens souffriront dans leur au survivalisme ? chair que ça bougera. L’effondrement Churchill disait : « Entre la civilisation se fera de gré ou de force. Alors autant et la barberie, il y a cinq repas ». Si essayer de s’y préparer. on veut vivre de manière civilisée et durable, cela ne peut passer que Que pensent vos anciens alliés et amis par un projet collectif centré sur des politiques de votre discours que l’on écolieux ou des biorégions résilientes peut juger radical ? dans deux principaux domaines : Je suis l’un des co-fondateurs des l’alimentation et l’énergie. Le choix Verts en 1984 et l’un des derniers sera simple : s’entretuer ou s’entrai- survivants de ce mouvement qui der. Et si on n’apprend pas à s’aider a beaucoup changé. Nous avons avant l’effondrement, cela sera plus prochainement un congrès où l’on compliqué après. Cette coopération va présenter une motion collapso avec les gens proches de vous (famille, qui va être minoritaire. Mais c’est amis) est primordiale. Prenons mon au sein de ce parti que je suis le plus exemple : un de mes voisins vote FN, écouté. Les socialistes, Mélenchon, l’autre est chasseur. Et moi l’écolo au les Républicains, Macron : ils ne me milieu. Cela ne nous empêche pas prennent pas au sérieux. Ils ne croient d’avoir déjà de bonnes relations et sincèrement pas à l’effondrement. de nous donner des coups de mains. Mais c’est justement pour cette raison que ça va arriver. La collapsologie peut-elle se traduire politiquement ? C’est un avenir déprimant que vous S’il y avait un candidat collapso à présentez. Comment faites-vous pour une prochaine élection, qui voterait ne pas sombrer moralement ? pour ? Hélas pas grand monde. Car Je suis vieux, ma vie active est derrière il annoncerait que la fête est finie et moi et je vais bientôt mourir. Et puis qu’il faut se serrer la ceinture. Avec ce n’est pas mon tempérament, j’ai notamment une politique de ration- un esprit peu sensible à l’affect. C’est nement sur les besoins de base pour un défaut qui, là, me sert. J’arrive à les garantir à tous le plus longtemps me dire froidement que des millions possible. Il faudrait appliquer une d’hommes vont mourir à cause de économie de guerre avant la guerre. l’effondrement, alors que je sais bien Le problème, c’est qu’en temps de que c’est affreux et dramatique. paix, personne n’acceptera. Je sais que ce n’est pas mon livre qui changera Recueilli par Julien Marchand 15


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Il y a des étudiants, des retraités, un informaticien, des maraîchers, un ébéniste, des artisans, des ingénieurs, une cuisinière, des intermittents du spectacle… En ce samedi de fin septembre, ils sont près d’une cinquantaine à avoir fait le déplacement à Querrien, dans le centre-Bretagne. Nous sommes dans le hameau du Boudigen, habituel QG de l’asso culturelle Tomahawk mais, ce weekend, c’est la coopérative La Suite du Monde (SDM) qui prend possession des lieux. Deux jours de rencontre et de réflexion pour poser les bases d’une future « commune imaginée » en Bretagne. « Il s’agit d’un lieu autonome, autogéré et résilient, éclaire Nicolas Voisin, ancien entrepreneur du Net (le site Owni, c’était lui) passé par le mouvement Nuit Debout et l’un des co-fondateurs de la SDM en 2018. Face à l’effondrement écologique, démocratique et financier – ça se compte en jours là, pour ne pas dire en heures ! –, il faut vite s’organiser et reprendre la main sur nos modes de vie. Concrètement, cela passe par l’acquisition de terrains agricoles et de biens immobiliers qui seront réinvestis par des collectifs d’habitants pour y développer un projet communaliste et y fédérer les initiatives. L’idée, c’est d’être prêt et de pouvoir faire face quand tout va s’écrouler. » Des communes imaginées, il en existe déjà deux en France : celle du “Bandiat” dans le Périgord et celle de “Païolive” en Ardèche. Des maisons, des terres, des commerces, des hangars, des ateliers ou encore des auberges viennent composer ces communautés 2.0. En attendant une prochaine en Bretagne ? C’est en tout 16

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« DES ÉCOLIEUX RÉSILIENTS POUR FAIRE FACE

cas l’objet de ce rassemblement où les participants sont amenés à exposer leur parcours, leurs savoir-faire (ça va de « construction » à « permaculture » en passant même par « druidisme »), motivations et lieux d’installation souhaités. Parmi les localités ciblées : le pays de Brocéliande, Belle-Île, la région de Dinan…

« Plus qu’un frémissement » Face à ces projets encore embryonnaires, celui d’Antonin Deudon, « venu pour partager son expérience », s’avère quant à lui déjà concret. Depuis deux ans, il fait partie de l’association Demain en main qui a monté son premier écolieu à Locoal-Mendon dans le Morbihan. « Cela s’étend sur 20 hectares, moitié forêt, moitié prairie. Le tout dans une autonomie alimentaire et énergétique : potagers, éoliennes, panneaux solaires, bois… Il y a aussi un hangar que l’on va rénover pour la transformation des légumes et,

pourquoi pas, un bar associatif. À terme, il y aura sept logements qui pourront accueillir autant de familles, détaille le jeune homme de 32 ans, par ailleurs développeur informatique et concepteur de jeux vidéo. D’ici un an et demi, je pense passer à mi-temps dans mon boulot pour me consacrer davantage à l’écolieu. Sur la partie maraichère notamment. » Un choix de vie qu’Antonin a commencé à mûrir plus sérieusement il y a 7-8 ans avec sa compagne Mélodie. « J’ai toujours été sensible à la cause environnementale. Mais mon année passée en Nouvelle-Zélande à faire du woofing (travailler dans une ferme biologique en échange du gîte et du couvert, ndlr) a été une révélation, explique ce père de deux enfants pour qui ce projet constitue pour eux le meilleur des avenirs. J’ai envie de leur offrir le cadre le plus vivable possible. Qu’il y ait effondrement ou pas, cela entre en résonnance avec mes idées. »


Demain en main

À L’EFFONDREMENT »

Même son de cloche de la part de Patrick, 49 ans. Écologiste « convaincu », ce Lorientais, éditeur d’un magazine à destination des enfants, a roulé jusqu’à Querrien pour en savoir davantage sur les écolieux. « Au-delà d’une vie plus sympa, ça peut être une solution face à la situation qui nous attend. Je considère que l’effondrement a déjà commencé : le climat, la biodiversité, les boîtes qui ferment, les services publics qui se pètent la gueule… C’est plus qu’un simple frémissement », explique celui qui s’est définitivement converti à la collapsologie après la lecture de Comment tout peut s’effondrer de Pablo Servigne et Raphaël Stevens. La bible de tous ceux présents aujourd’hui. « Je ne considère pas cet ouvrage comme idéologique, mais au contraire comme très factuel. Ce qui fout d’autant plus les boules ! Il a fini de me convaincre Même si je pense qu’on exagère la rapidité du phénomène : je vois un déclin certain mais cela sera progressif. » 17


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« Tu remplaces les zombies par des gens qui ont  faim » S’il a lui aussi répondu présent à l’invitation de la SDM, LouisJérôme Thibaud, 38 ans, a déjà attaqué la construction de son futur camp de base. Quelques semaines plus tôt, on l’avait rencontré sur son terrain situé à Baud, dans le centre-Morbihan. Quatre hectares à la lisière de la forêt domaniale de Camors que ce maraîcher bio tout juste formé compte bien transformer en un parfait écolieu alliant autonomie énergétique et indépendance alimentaire. Cerise sur le gâteau : la construction d’une “earthship”, un bâtiment réalisé à partir de pneus usagés. « Remplis et recouverts de terre, ils sont aussi résistants qu’une brique. Côté isolation, c’est également excellent : dans le désert de l’Arizona, l’earthship permet de maintenir une température de 20°, sans climatisation ou connerie énergivore. Dans un premier temps, cela me servira de hangar pour mon activité agricole, mais très vite j’y calerai une habitation en mezzanine. » Si Louis-Jérôme a déjà commencé à disposer les premières rangées de pneus, le plus gros reste encore devant lui. « En tout, il faut que j’en tasse 720. J’espère avoir fini pour le printemps prochain. » Une date pas choisie au hasard puisque le Morbihannais prévoit les premiers soubresauts de l’effondrement pour la mi-2020. « Les projections climatiques, environnementales et économiques n’incitent pas à l’optimisme. Tu vois Walking Dead ? Et ben tu remplaces les zombies par des gens 18

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« On l’a acheté il y a seulement trois mois. Tout reste à construire mais on sait dans quelle direction aller : ici tout d’abord notre maison en bois de 35 m2, volontairement petite, qui ont faim. Une ville comme Paris dans l’esprit des tiny houses ; plus n’a que trois jours d’autonomie ali- loin une large partie consacrée au mentaire. Voilà pourquoi je veux maraîchage ; au fond une zone de être prêt. » phytoépuration pour le traitement des eaux grises… » « Survivalisme de gauche » Un projet de vie que Ched explique Un scénario aux accents hollywoo- par sa volonté de se rapprocher de diens que n’imagine pas vraiment la nature. Une réaction également Ched Hélias. « Et même si des per- à une sorte de déprime qui l’avait sonnes débarquaient pour me piller, envahi lors de sa découverte de la qu’est-ce que je pourrais bien faire ? collapsologie. « J’ai souvenir d’être Rien. Je ne vais quand même pas dans une fascination morbide à la mettre des barbelés… » Cet édu- lecture des ouvrages de Rob Hopcateur spécialisé de 45 ans a quitté kins et de Pablo Servigne. Je suis le Cap Sizun, dans le sud-Finistère, passé par des phases d’anxiété où je avec sa femme et ses deux enfants me posais tout un tas de questions. pour s’installer dans un hameau de Jusqu’à ce que je me lance dans ce la commune de La Feuillée, en plein projet, comme pour sortir de cette cœur des Monts d’Arrée. C’est ici peur et être dans l’action. Au final, je « dans ce coin sauvage et préservé » me rends compte que je ne cherche qu’il a dégoté un terrain de 3 hec- pas à éviter la fin du monde, mais tares dans lequel il se projette déjà. plutôt à être en cohérence avec mes


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idées : quitter la société de consommation, apprendre à faire avec moins sans avoir le sentiment de manquer, ne plus abîmer la Terre… » Si l’ensemble des ces projets paraissent louables sur le papier, le conférencier et collapsologue Anthony Brault, installé à une trentaine de bornes au nord de Rennes, les regarde néanmoins avec une certaine réserve. « Les écolieux ne seront pas suffisants pour éviter l’effondrement. Et croire que l’on va pouvoir survivre sans sortir de son hameau est d’une bêtise sans nom. Il faudrait plutôt imaginer des réseaux d’entraide à une plus grande échelle. L’angle social et politique doit être pris en compte, et pas que l’aspect écologique. Si les services publics ne sont plus correctement assurés, que vont devenir les personnes les plus faibles : les vieux, les malades, les fous, les handicapés, les migrants ? Face à ces enjeux, les écolieux peuvent apparaître comme des bulles individualistes. L’écueil serait de tomber dans une sorte de survivalisme de gauche et bourgeois. » J.M

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TEMPÉRATURE, BIODIVERSITÉ… LA BRETAGNE UN THERMOMÈTRE EN HAUSSE Ce n’est plus un scoop : d’ici 2100, attendez-vous à avoir plus chaud. Malgré l’influence océanique, la température de la Bretagne va continuer à croître. « Sur les trente dernières années, la température moyenne de Rennes a déjà augmenté d’un degré environ », situe Vincent Dubreuil, géographe à l’Université de Rennes 2 et co-auteur de l’ouvrage Changement climatique dans l’Ouest. Une hausse qui va se poursuivre sur un rythme de « 1 à 2 dixièmes de degré par décennie pour ensuite se stabiliser ». Soit environ une augmentation de 2° à l’issue du 21e siècle. « Mais il s’agit là du scénario le plus optimiste. Les modèles les plus pessimistes penchent plutôt pour une hausse de 4° en moyenne. On atteindrait dans ce cas les 16°, c’est-à-dire la température moyenne annuelle qu’il fait dans le sud de la France. »

DES VILLES PLUS TOUCHÉES

DES ÉPISODES EXTRÊMES

Particulièrement sensibles à cette Le nombre de jours considérés hausse des températures : les villes comme “chauds” (à partir de 25°) et leurs fameux îlots de chaleur. « La doublerait d’ici la fin du siècle, nuit, la ville de Rennes affiche 2° avec un risque accru de canicules. de plus que dans une zone rurale « Beaucoup de projections prévoient environnante. Certaines nuits, cela également une hausse des épisodes « ANORMALEMENT CHAUD » peut monter à 6° », éclaire Vincent extrêmes, c’est-à-dire plus d’épisodes À condition bien sûr que cela ne Dubreuil. Pour atténuer ce phéno- secs et plus d’épisodes de pluie ins’emballe pas. Spécialiste de la ques- mène, une végétalisation de l’espace tense, avec des précipitations moins tion de la « variabilité naturelle du urbain s’avère une des solutions. étalées dans l’année. » climat », Florian Sévellec, chercheur au CNRS basé à Brest affirme que « les années 2018 à 2022 seront UNE MER QUI MONTE anormalement chaudes à l’échelle du Depuis 1711, le niveau de la mer au port de Brest a augmenté de 25 à globe ». Le scientifique s’explique : 30 cm, affirmait l’Observatoire de l’environnement en Bretagne (OEB) « Le réchauffement de la planète est dans son riche rapport de l’an passé. Un phénomène qui va perdurer. dû à plusieurs phénomènes, le plus « C’est un point toujours compliqué à évaluer, mais la tendance actuelle connu et le plus important étant est d’une élévation de 3 mm par an. Sur un siècle, ça fait quelques dizaines la concentration de gaz à effet de de centimètres en plus, indique Vincent Dubreuil. Ça peut ne pas paraître serre. Mais le climat a aussi des beaucoup mais ça fait évoluer le trait de côte. Et même dans les scénarios cycles naturels où une hausse de les plus optimistes, il ne faut pas oublier le phénomène d’inertie de l’océan. la température se produit. C’est La montée du niveau de la mer va se poursuivre bien au-delà de 2100. » cela qu’on a réussi à prévoir sur Toujours selon l’OEB, « en Bretagne, 35 614 hectares de zones basses cette période. » littorales sont particulièrement exposées au risque de submersion marine ». 20

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EN 2100 UNE BIODIVERSITÉ BOUSCULÉE

Jody Davis

Victimes du bouleversement environnemental, la faune et la flore subissent aussi de plein fouet les activités humaines. Selon l’OEB, sur les vingt dernières années, 56 espèces n’ont plus été revues dans la région. Et pour les années à venir, près de 21% des espèces évaluées en BZH seraient menacées de disparition à court terme. C’est notamment le cas des oiseaux nicheurs dont près de la moitié sont en situation critique. Le réchauffement climatique entraînera aussi des migrations d’espèces.

UNE AGRICULTURE EN MUTATION Avec un écosystème différent, les activités économiques sont vouées à se transformer. L’agriculture en tête. « Ce que sera ce secteur dans 50 ans ne sera pas dicté uniquement par le climat. Ce n’est qu’une composante, au même titre que les nouvelles technologies par exemple, tempère Vincent Dubreuil. Mais on peut tout de même dire que dans un climat plus chaud et plus sec, certaines espèces auront du mal à s’adapter. Le maïs notamment qui nécessite beaucoup d’eau en juillet et en août. Soit il faudra des systèmes d’irrigation, soit les rendements risquent de diminuer. Dans ce cas, nul doute que les producteurs cultiveront des plantes moins gourmandes en eau. » Le sorgho, céréale plus résistante à la sécheresse, est souvent cité comme possible alternative. « Une hausse de la température entraînera forcément aussi de nouvelles activités, comme la production viticole actuellement en plein essor dans la région. » 21


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« NOTRE FOI EN UNE TECHNOLOGIE QUI NOUS

Imaginez-vous déambuler dans un décor post-apocalyptique. Muni d’une combinaison de cosmonaute et d’un casque intégral, vous arpentez les vestiges de notre société : maisons en charpie, troncs d’arbres brûlés, sol couvert de gravats, végétalisation galopante… Sur une Terre désormais inhabitable, plus aucune forme de vie humaine ne semble avoir survécu. Quant tout à coup, au milieu des ruines, des visions apparaissent. Des fantômes d’une civilisation perdue qui soudain ressurgissent. Expérience immersive, Solastalgia, qui investit la salle Anita Conti aux Champs Libres à Rennes, mêle installations et réalité augmentée (grâce à des lunettes intégrées au casque). Pour une totale plongée sensorielle dans un avenir que le dérèglement climatique et la folie des hommes pourraient bien dessiner. « Cette création transporte le visiteur dans un possible futur, situent Antoine Viviani et PierreAlain Giraud (photo), les deux auteurs et réalisateurs. On imagine un changement d’atmosphère qui, dans quelques siècles, annoncera la fin de notre espèce. Une machine sous la forme d’un gigantesque monolithe est alors inventée pour permettre aux derniers survivants de subsister sous forme d’hologrammes. » Un paradis « artificiel et déconnecté du monde réel » dans lequel les 22

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humains viennent se réfugier pour se remémorer à l’infini les meilleurs moments de leur existence. Désignant l’angoisse liée la destruction de notre environnement, la solastalgie (terme inventé en 2003 par le philosophe australien Glenn Albrecht) prend ici une nouvelle dimension en ces temps d’éco-anxiété et d’effondrement annoncé. « Au-delà d’une simple réflexion sur la fin du monde, c’est un questionnement sur la place des machines et notre rapport aux nouvelles technologies. Elles nous fascinent autant qu’elles nous terrifient. Prenons Internet : c’est le plus grand monument construit dans l’histoire de l’humanité, on s’en méfie autant qu’on le vénère. Solastalgia permet d’interroger notre foi en une technologie qui nous sauverait », expliquent les deux garçons influencés par des œuvres comme

2001 : l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, Walkabout de Nicolas Roeg ou encore L’invention de Morel d’Adolfo Bioy Casares. Dans un autre registre, il y a aussi Second Life, un jeu qui offre la possibilité d’évoluer dans un monde virtuel et de vaincre le temps. » Une question d’ordre philosophique pour les deux créateurs. « Se souvenir plutôt que vivre. Si une machine comme le monolithe existait de nos jours, qui ne serait pas tenté de s’y connecter, préférant la nostalgie d’un monde perdu à la réalité d’aujourd’hui ? Solastalgia peut amener les visiteurs à se poser cette question. On souhaite qu’ils ressentent une tension vitale et qu’ils sortent troublés de cette expérience. » J.M À partir du 8 novembre aux Champs Libres à Rennes


Marine Bigourie

SAUVERAIT »

DR

CONTEMPLATION ISLANDAISE

En regard de Solastalgia, le festival TNB propose de se plonger dans la création islandaise, propice à l’introspection et au questionnement existentiel. Le 6 novembre aux Champs Libres tout d’abord, avec le concert de Valgeir Sigurðsson. Le compositeur (qui a bossé avec Björk sur la B.O de Dancer in the Dark) viendra présenter ses productions mélodiques et bruitistes. Du 14 au 17 novembre, la plasticienne Gabríela Friðriksdóttir (photo), qui a réalisé les décors de Solastalgia, exposera également au Centre chorégraphique national de Rennes. Une installation qui se vit comme une traversée méditative face aux cycles de la vie. 23


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L’HEURE DU CANNABIZ’ ?

L’EXPÉRIMENTATION DE L’USAGE MÉDICAL DU CANNABIS LAISSE PRÉSAGER UN DÉVELOPPEMENT DE LA FILIÈRE. EN BRETAGNE, PRODUCTEURS ET TRANSFORMATEURS ATTENDENT LE FEU VERT. 24

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Julia Teichmann


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a nouvelle est tombée en plein mois de juillet, entre une victoire de Thibaut Pinot sur le Tourmalet et une énième soirée apéro-barbecue. Alors forcément, elle est passée un peu (beaucoup) inaperçue malgré son importance. Le 11 juillet dernier, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) donnait son feu vert à l’expérimentation du cannabis thérapeutique en France, un mois après les conclusions rendues en ce sens par un collège d’experts. Accord confirmée le 16 octobre à l’Assemblée nationale par un amendement voté à une très large majorité. « Cette expérimentation va concerner entre 2 000 et 3 000 patients volontaires atteints de douleurs neuropathiques sans autre solution de traitement, de certaines formes d’épilepsie sévères, pour traiter les douleurs musculaires liées à la sclérose en plaques, dans les situations palliatives et en soin de support pour les malades du cancer. Ce n’est que dans le strict cadre de ces cinq indications que des médecins formés sur le sujet pourront prescrire du cannabis », rembobine Nathalie Richard, directrice adjointe du médicament à l’ANSM. La date de mise en place de cette expérimen-

tation n’a pas encore été divulguée mais elle doit débuter « au premier trimestre 2020 pour une durée de deux ans », avec la création d’un comité de suivi permettant d’étudier les effets bénéfiques comme secondaires de ces nouveaux traitements. « Le protocole de mise sur le marché est le même que pour tout autre médicament, mais comme il s’agit de cannabis le sujet est plus sensible, forcément… » D’autant qu’il est à la croisée de quatre ministères : santé, agriculture, intérieur et finances.

« Un retour en grâce » Le Rennais Gilles Edan a fait partie du groupe d’experts missionnés par l’agence du médicament pour statuer. Neurologue du CHU de Pontchaillou et spécialiste de la sclérose en plaques, il n’a pas hésité à donner un avis favorable, non qu’il soit forcément persuadé des bénéfices médicaux du cannabis mais, dit-il, « car cela mérite d’être tenté et qu’il faut bien passer par une phase d’expérimentation pour en tirer les premières conclusions ». Et de constater : « On sait que certains patients s’automédiquent déjà et veulent sortir de l’illégalité. Un moment il faut les écouter. La France a assez pris de retard en la matière… » Une trentaine de pays

« Certains patients

s’automédiquent déjà » 26

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dans le monde a déjà autorisé l’usage médical de la “weed”, dont l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne, le Canada et vingt-trois États américains. En janvier dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommandait de déclassifier le cannabis du tableau des stupéfiants et donc de reconnaître ses fins médicinales. « C’est un retour en grâce récent dans l’histoire, après des décennies de prohibition », observe l’universitaire nantais Renaud Colson, spécialiste en politique des drogues. Plante médicinale utilisée dans la Chine ancienne et l’Égypte des pharaons, le cannabis était inscrit dans la pharmacopée française au 19e siècle, utilisé notamment comme analgésique pour les douleurs chroniques, relaxant, antispasmodique et antivomitif, jusqu’à son interdiction en 1953. « S’est imposé depuis dans l’imaginaire des gens que la plante médicinale d’autrefois est devenue un produit stupéfiant, une drogue tout simplement », poursuit Renaud Colson. On lui a même changé de nom pour symboliser le changement de statut : le chanvre va devenir can-


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nabis. « On parle pourtant bien de la même chose, le cannabis étant juste le nom botanique et savant du chanvre. » « Il ne s’agit pas d’encourager son utilisation détournée mais de tester son efficacité médicale pour certaines pathologies bien spécifiques », insiste le professeur Edan, qui a cette comparaison : « Dans les hôpitaux, on utilise bien au quotidien de la morphine, qui est à la base une drogue bien plus dangereuse que le cannabis. Bien encadrée, elle a pourtant ses vertus. Le cannabis, c’est pareil. » Sa consœur Catherine Allaire, spécialiste des épilepsies, pratique déjà l’expérimentation auprès de trois de ses patients grâce à une ATU (autorisation temporaire d’utilisation) nominative du médicament concerné, l’Epidiolex. « Deux formes d’épilepsie seulement sont ainsi traitées : les syndrome de Dravet et de Lennox-Gastant, explique-t-elle. L’Epidiolex est utilisé pour réduire le nombre de crises convulsives et contient du cannabidiol, autrement appelé le CBD, un des cannabinoïdes du cannabis. » On concède que la dernière phrase est difficile à assimiler, surtout pour les réfractaires aux cours de chimie 27


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Pierre-Yves Normand

Pierre-Yves Normand

de production n’a encore vu le jour sur le territoire. Une anomalie pour le Quimpérois Pierre-Yves Normand, président-fondateur de l’association Bretagne Chanvre Développement, qui œuvre pour la réintroduction de cette plante dans la région et sa valorisation. « Il ne faut pas manquer ce rendez-vous avec l’histoire, plaidet-il. La France est le premier pays producteur de chanvre en Europe et la Bretagne en particulier, par son climat, doit constituer un pôle d’excellence en la matière. Mais il faut nous en donner les moyens et qu’un cadre légal plus lisible et moins contraignant soit mis en place. » Un petit cours d’agronomie s’impose pour bien comprendre de quoi on parle. Le chanvre est une plante dont il est actuellement possible d’exploiter Edan. Tout sauf la combustion ! » la fibre (pour l’industrie du textile, la Autrement dit : rien qui se fume. papeterie, l’isolation maison, etc.), Et pour l’instant, tous ces produits la graine (transformée en huile et sont importés. L’Epidiolex est par farine pour l’alimentation) mais pas exemple fabriqué par le laboratoire la fleur. Or, c’est cette fleur qui, par britannique GW Pharmaceuticals, le un phénomène de macération, sert Sativex (utilisé dans le traitement de la de matière première en pharmacolosclérose en plaques) par les Espagnols gie. « Un grand flou juridique existe d’Almirall, etc. S’il sera possible dès encore autour de son ramassage et de 2020 de soigner certaines pathologies sa transformation, explique Pierreau cannabis en France, aucune filière Yves Normand. Légalement, c’est

à l’école, mais pour la faire simple : le cannabis (ou chanvre) est une plante contenant une centaine de substances chimiques (les cannabinoïdes) et que parmi elles il y a le cannabidiol (ou CBD). Dans le cas de l’Epidiolex, il s’agit d’un sirop mais les médicaments à base de cannabis peuvent se présenter sous d’autres formes. « En spray, patchs, gouttes, huile, en inhalation…, énumère le professeur

« FAIRE TOMBER LES OBSTACLES ADMINISTRATIFS » Deux figures politiques bretonnes s’investissent particulièrement sur la légalisation du cannabis thérapeutique et bien-être : le député de Ploërmel Paul Molac et le sénateur de Saint-Nolff Joël Labbé.

une alternative aux opiacés utilisés en médecine comme la morphine. Pour certaines pathologies, il permet de sortir du tout chimique en revenant vers une médecine plus naturelle et moins agressive.

Pourquoi faut-il légaliser le cannabis à usage médical ? Paul Molac : Des études ont montré qu’il pouvait être

Joël Labbé : Avant d’être un partisan du cannabis thérapeutique, je travaille plus largement au retour de l’herboristerie en France

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et je soutiens la première école du genre en Bretagne, Cap Santé à PlounéourMénez. Le métier a quasi disparu avec l’industrialisation des médicaments de synthèse. C’est dans cette optique que les vertus médicinales du chanvre doivent être réhabilitées. 2,3 millions de personnes en France souffrant de douleurs chroniques sont concernées.

La classe politique est-elle frileuse ? Joël Labbé : Elle attendait peut-être que l’opinion publique change d’avis sur le sujet. Or, je constate que les mentalités évoluent. Beaucoup savent désormais que le cannabis peut soigner s’il est bien utilisé. Il nous revient maintenant de faire tomber les derniers obstacles administratifs pour permettre d’utiliser légalement ces produits.


interdit mais pourtant les variétés de chanvre qu’on autorise à cultiver en France – une dizaine, toutes recensées par l’INRA – contiennent moins de 0,2 % de THC. » Le THC, ou tétrahydrocannabinol : la substance psychotrope des cannabinoïdes, celle qui, en fonction des proportions, transforme le chanvre légal en produit illicite et tombant sous le coup de la loi (là où le CBD est autorisé, quel que soit son taux). En France, le taux de 0,2 % maximum de THC dans la plante a été désigné comme la limite à ne pas dépasser. Actuellement, il est donc autorisé de cultiver certaines variétés de chanvre mais il reste interdit d’exploiter les fleurs de ces plantes pourtant parfaitement inoffensives puisque contenant un taux trop minime à une quelconque “défonce”. « Pour que ça commence à faire de l’effet, il faudrait fumer une botte de paille en entier, et encore ! », rigole Paul Hascoët, un des 1 500 producteurs de chanvre recensés en France. Installé à Dinéault dans le Finistère, il en cultive sur 2 des 60 hectares de son exploitation céréalière, et ne tarit pas d’éloges la concernant. « C’est une plante formidable, très facile à faire pousser et en 140 jours seulement. Ses rendements ne sont pas exceptionnels La production représente-t-elle une réelle opportunité pour la Bretagne ? Paul Molac : J’en suis persuadé. On ne parle pas d’or vert – du moins pas pour l’instant – mais bien d’une culture de complément très avantageuse pour le paysan local. Le marché actuel, tel qu’il existe, est très pénurique et la matière première se revend très cher. Il y a largement la place pour que des acteurs du secteur puissent s’y engouffrer en proposant du qualitatif : du cannabis pleine terre, bio de préférence, alternative intéressante à ce que les Américains produisent par exemple. 29


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croissance à deux chiffres » (autour d’une tonne à l’hectare) mais il n’est de toute façon pas question de s’inscrire dans une agriculture productiviste… » S’il valorise actuellement les graines pour les transformer en huile et en tourteaux pour la nourriture animale, il ne verrait pas forcément d’un mauvais œil la possibilité de récolter également la fleur. « Si le droit nous l’y autorise, cela peut être une plus-value très intéressante. Mais il faudrait déjà dépassionner le débat et sortir des fantasmes. »

des fleurs… Il y a encore beaucoup à prévoir », souffle Pierre-Yves Normand. Quelques entreprises du secteur semblent déjà prêtes à démarrer pied au plancher cette transformation dès que le feu vert sera allumé. C’est le cas de la société Olmix à Bréhan, qui produit des antibiotiques à base d’algues et qui, d’après un article récent du Télégramme, procéderait d’ores et déjà à des tests sur le cannabis (nous avons cherché à la contacter pour confirmer l’info, en vain). C’est aussi un marché qui intéresse « Filière artisanale et agricole » L’Chanvre à Gouarec, spécialiste du À une trentaine de kilomètres plus chanvre alimentaire à partir de la au sud, Gwénaël Le Berre espère lui graine (huile, farine, galettes, chocoaussi pouvoir bientôt exploiter l’inté- lat…), prête à embrayer sur le travail gralité de la plante sans craindre de de la fleur si la loi l’y autorise. « Les tomber sous le coup de la loi. « J’ai perspectives sont grandes – on parle mis 5 hectares de chanvre sur mes d’une croissance à deux chiffres dans pâtures en 2018 mais cette année la première décennie (une récente j’ai fait une pause en partie à cause étude du CAE, le conseil d’analyse de ce manque de clarté, explique cet économique, parle également d’un exploitant agricole de Gourlizon spécialisé dans les vaches à viande. Puis finalement, je vais relancer la production l’an prochain en la doublant pour la porter à 10 hectares. L’actualité m’a rassuré : on sort des tabous. Je pense que c’est dans l’ordre des choses que le chanvre finisse par s’imposer comme une culture d’avenir ici et non pas seulement du passé. » Si des producteurs comme Paul et Gwénaël semblent prêts à s’investir dans son développement et ses débouchés futurs – en pharmacologie mais aussi en bien-être et en cosmétique –, il faut aussi que la filière s’équipe. « Matériel de moissonnage, de ramassage et de transformation 30

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marché pouvant générer 80 000 emplois en France, ndlr) – mais il faut qu’on nous donne les moyens, nous filière artisanale et agricole, de nous y engouffrer. Car le risque est grand que ce soit le lobby pharmaceutique qui s’empare finalement du marché et en fasse un monopole, craint son président Christophe Latouche. On ne doit pas laisser passer cette occasion de mettre en place en Bretagne une économie qui peut s’avérer à la fois rétributrice pour le producteur et le transformateur, mais aussi écologiquement saine. Le chanvre est la plante de la décroissance : durée de culture très courte, consommation minimale d’eau et zéro traitement. » Pour une valorisation aux perspectives encore largement inexploitées, conclut Pierre-Yves Normand : « Très riche en protéines, sa graine permet de se nourrir. Sa fibre, elle, offre de quoi se loger et se vêtir. Quant à la fleur, elle peut soigner. On a les quatre besoins primaires de l’homme réunis en une plante. » Régis Delanoë

Photos : Bikini

« Des perspectives de


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Pourra-t-on bientôt en France acheter et fumer un joint de weed contenant plus de 0,2 % de THC sans risquer de poursuite judiciaire ? « Ce n’est pas en discussion à l’heure actuelle, assure le sénateur morbihannais Joël Labbé, en pointe sur ces questions. Évoquer cette possibilité peut même s’avérer contreproductif car ça risque de brouiller le débat sur l’usage médical du cannabis. » Chaque chose en son temps, donc, même si le très sérieux Conseil d’analyse économique a publié une note en juin dernier, défendant l’idée selon laquelle « la légalisation du cannabis récréatif, strictement encadrée, permet à la fois de restreindre l’accès au produit par les plus jeunes, de lutter contre la criminalité et de développer un secteur économique créateur d’emplois et de recettes fiscales. » « L’encadrement des usages du cannabis, c’est la clé, commente Mario Cavecchi, patron de GreenBee à Rennes (photo), une enseigne également présente à Morlaix et qui vend des produits contenant du CBD (huiles, chocolat…). Nous faisons régulièrement des tests de non-toxicité de nos produits, on est en contact avec les autorités douanières, sanitaires… Si le cannabis récréatif venait à être autorisé, il faudrait que ce soit vendu dans des officines bien identifiées. Mais avant de parler de légalisation, qu’on commence déjà par dépénaliser. » 31


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INTERVIEW

« 52 JOURS DANS UNE PRISON TURQUE » L’ÉTÉ 2017, LE JOURNALISTE LOUP BUREAU, FORMÉ À L’IUT DE LANNION, ÉTAIT ARRÊTÉ ET INCARCÉRÉ EN TURQUIE, ACCUSÉ DE TERRORISME. IL PUBLIE AUJOURD’HUI LES CHRONIQUES DE SA DÉTENTION. UN RÉCIT BRUT ET ÉTOUFFANT. orsqu’on a rencontré Loup Bureau au début du mois d’octobre, il rentrait tout juste du Donbass en Ukraine, décor de son prochain documentaire. Un travail initié depuis près d’une année et une façon pour ce reporter de 29 ans, formé à l’IUT de Lannion, de reprendre goût au terrain, deux ans après son incarcération en Turquie. C’était le 26 juillet 2017. Alors qu’il souhaitait passer la frontière irakienne, le journaliste est arrêté par des policiers qui découvrent une photo de lui en 32

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compagnie de combattants kurdes YPG, considérés comme terroristes par le gouvernement turc. Un cliché datant de 2013, pris lors d’un reportage réalisé pour la chaîne TV5 Monde, qui conduira Loup en prison pendant 52 jours. Une détention qu’il raconte dans Chroniques d’un prisonnier, ouvrage écrit – en grande partie – depuis sa cellule. Au cours de ton incarcération, qu’estce qui t’a poussé à écrire ? Écrire me permettait de me souvenir de mes journées passées. Sinon

j’oubliais tout. En prison, le temps est une notion étrange. Les jours durent mille ans et une semaine se passe sans que tu te souviennes véritablement de quelque chose. J’avais cette obsession d’essayer de comprendre ce qui m’arrivait et, dans ce processus, l’écriture m’aidait à me remémorer chaque instant et chaque détail. Dans ton livre, tu expliques que cela ne t’a pas soulagé d’écrire… Non, car au fur et à mesure de mes chroniques, je me rendais compte que j’étais bel et bien un prisonnier. Ce


que je me refusais d’admettre. Même si tu connais les dérives autoritaires d’un pays et les risques quand tu es journaliste au Moyen-Orient, c’est difficile à encaisser. J’avais beau avoir un élément de comparaison avec Mathias Depardon (journaliste français arrêté en Turquie en mai 2017, avant d’être expulsé, ndlr), tout était plus grave dans mon cas : je n’étais pas accusé de propagande terroriste mais de participation à un groupe terroriste. Je risquais entre 20 et 25 ans de prison. Écrire me faisait prendre pleinement conscience de la situation compliquée dans laquelle je me trouvais. Quelle est la part d’autocensure dans tes chroniques ? Je ne pensais pas pouvoir sortir de ma cellule avec ces écrits. Je me disais que les gardiens les confisqueraient à un moment pour voir ce que j’avais noté. Alors du coup, j’ai tu ou minimisé certaines choses. Il y a eu plus de violence par exemple. Ça allait au-delà des baffes que je pouvais recevoir. En garde à vue, j’ai clairement été molesté. Des surveillants venaient aussi régulièrement me cracher dessus. Et d’autres choses dont je ne souhaite pas parler. C’était de l’humiliation pure et simple quasi quotidienne. Pour certains gardiens, je représentais – à tort – tout ce qu’ils détestaient : l’Occidental terroriste qui vient combattre aux côtés des militants YPG. Penses-tu que ton arrestation avait vocation à servir d’exemple ? Oui, j’en suis persuadé. Je ne suis pas le premier journaliste étranger à être emprisonné en Turquie, mais je suis le premier à passer en procès et à être réellement enfermé dans une prison de haute sécurité. Une façon pour ce gouvernement nationaliste de montrer que s’il veut incarcérer un journaliste, il le fait. 33


INTERVIEW

À quoi ressemble une journée type dans une prison turque ? Les matinées et les réveils sont assez bruyants, entre les haut-parleurs, les gardiens… À 8 h, tu te mets au gardeà-vous devant ta porte, arrive ensuite le petit déjeuner. Et puis après, c’est le vide. Quand je dis le vide, c’est vraiment le vide. C’est possible d’attendre et de ne rien faire pendant des heures. On entre dans une léthargie totale. C’est un univers qui empêche le développement de la réflexion. C’est pour cela que mon livre est aussi brut et factuel. Jamais je n’ai eu envie de romancer des choses, d’avoir des envolées lyriques ou d’écrire un poème. J’étais un robot. C’est quoi la chose la plus dure au quotidien ? Le manque d’informations. Et l’isolement (il était seul dans sa cellule, ndlr). Au début, je le prenais comme quelque chose de positif, puis ça m’a détruit au fur et à mesure. D’autant plus que j’étais aussi dans un isolement culturel, linguistique… Dans tes chroniques, tu évoques le suicide… J’y pensais sans y penser, comme n’importe qui en prison j’imagine. Un jour, les gardiens m’ont apporté une lame de rasoir et je n’ai pas compris pourquoi. Je l’ai pris comme une incitation à faire une connerie. Pas forcément me suicider, mais blesser ou prendre quelqu’un en otage… Cette lame m’a seulement servi à tailler le bout de mon manche à balai si jamais j’avais dû me défendre un jour…

Heureusement, tu as pu t’appuyer sur Mesut, ton avocat… Mesut a eu une importance primordiale. C’est lui qui m’a permis de tenir. C’est la seule personne avec qui je pouvais converser. J’ai senti que c’était quelqu’un d’honnête et d’éthique. Je pense qu’il était persuadé que j’étais innocent et il a essayé de me sortir de là. Il ne m’a jamais fait croire sans raison que ma situation allait s’améliorer, mais il tentait de trouver des solutions. Un lien d’amitié s’est créé entre nous. On continue d’échanger un peu par WhatsApp. Comment juges-tu la gestion de ton dossier par les autorités françaises ? Je suis évidemment reconnaissant qu’elles aient fait le nécessaire. Je leur dois ma libération. C’est une chance d’avoir la nationalité française : cela t’apporte une protection lorsque tu es à l’étranger. Mais je pense que si mon dossier avait été pris en main plus rapidement, je n’aurais pas eu à subir tout cela. J’aurais été relâché au bout de la garde à vue je pense. À ce moment-là, peut-être qu’elles ne savaient pas trop quoi penser de moi. Je ne suis qu’un petit pigiste lambda, mais il suffisait d’appeler TV5 Monde pour en savoir plus.

Cela reste un choix professionnel qui implique aussi les proches… C’est une question importante pour un reporter qui va sur des zones de guerre : est-on prêt à infliger ça à sa famille ? Avant, j’avais une attitude sans doute égoïste sur ce point. As-tu pensé arrêter le journalisme ? Aujourd’hui, je suis plus mesuré car Quand j’étais dans ma cellule, je je sais que ça a été dur pour mes me suis dit que le jeu n’en valait parents, mes grands-parents et ma pas la chandelle, que j’aurais pré- copine de l’époque. féré vivre une vie plus “normale”. Les envies de grands reportages à Qu’as-tu fait les premiers temps qui l’étranger, c’est chouette jusqu’à un ont suivi ton retour ? certain moment, mais quand on fait Toutes les choses simples auxquelles je pensais quand j’étais en prison. Me promener, boire des cafés en terrasse, aller au cinéma, passer du temps avec mes proches. Je suis même parti en vacances en Grèce.

« Un isolement physique, culturel, linguistique... » 34

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face à certains risques, on voit les choses différemment. À mon retour, j’ai pensé arrêter, mais très brièvement. Je me suis rendu au festival des correspondants de guerre à Bayeux et, en voyant les collègues et leurs reportages, je me suis rendu compte que c’était quelque chose d’important pour moi. J’ai envie de continuer à bosser sur ces terrains-là.


Loup Bureau

Et ta reprise en tant que journaliste ? Après six mois au RSA, j’ai recommencé à travailler. À TV5 Monde en piges régulières, d’abord sur un travail de “desk”. Actuellement, je suis incapable de repartir au Moyen-Orient (cela ne m’est pas conseillé de toute façon) ou dans une zone où je pourrais me faire capturer. C’est pour ça que je travaille en ce moment sur l’Ukraine et la région du Donbass pour un futur film. Malgré la situation, ça reste un pays européen, je m’y sens en sécurité. Penses-tu revoir la Turquie un jour ? J’espère y retourner quand je serai définitivement acquitté (l’État turc a fait appel de cette décision, ndlr) pour remercier les gens qui m’ont aidé, Mesut notamment. Un jour, je pense que j’en aurais besoin, pour mieux comprendre ce qui m’est arrivé et ce que j’ai vécu. Recueilli par Julien Marchand

Chroniques d’un prisonnier publié aux éditions des Équateurs 35


PAPIER

LES 20 ANS DU BUG DE L’AN 2000

ON NOUS ANNONÇAIT LE PIRE POUR NOS ORDINATEURS : CRASH, VIRUS, PLANTAGE… IL Y A VINGT ANS, UN GIGANTESQUE BUG INFORMATIQUE DEVAIT S’ABATTRE LORS DU PASSAGE À 2000. UN BUZZ, UN BUSINESS… ET FINALEMENT UN GROS FLOP.

ingt ans plus tard, l’histoire paraît complètement dingue. En 1999, une folie douce s’était emparée du monde. Paco Rabanne prédisait l’apocalypse pour le 11 août de l’année, avec la chute de la station spatiale Mir sur le Château de Vincennes. Raté ! Pour tous les fans de fin du monde, l’arrivée de l’an 2000 fournissait heureusement d’autres motifs de s’alarmer. En tête : le bug de l’an 2000. Les prédictions étaient implacables : à minuit pile, le 1er janvier 2000, les ordinateurs et appareils électroniques devaient tous devenir fous, incapables de gérer le passage de 36

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99 à 00, nos systèmes étant conçus pour n’utiliser que deux chiffres pour désigner les années. Est-ce que nos ordinateurs allaient se croire en 1900 ou tout simplement cesser de fonctionner ? Est-ce que des virus allaient se répandre dans les machines ? Le doute créa un “buzz” – avant même que le mot n’existe vraiment –, les médias s’emparant de l’affaire et déclenchant une anxiété quasi générale. Une excitation qui faisait lever au ciel les yeux des informaticiens, si l’on en croit Christophe Cariou. Aujourd’hui architecte logiciel, il est arrivé en 1999 chez Asten, prestataire informatique finistérien pour

les entreprises. « J’ai l’impression qu’on en parlait plus dans les médias qu’entre informaticiens, estime-t-il. Bien sûr, il y avait une crainte que des logiciels plantent. Mais ça fait partie du boulot des développeurs de maintenir le code. Entre nous, on en rigolait. »

Cellule de crise S’il pouvait y avoir un souci pour les plus vieux logiciels, le problème était connu et anticipé dans la plupart des cas. Depuis des mois, les informaticiens alertés faisaient leur taf et passaient en revue les programmes pour s’assurer que tout irait bien. « Il y a quand même eu


savoir s’ils passeraient l’an 2000. On a mis à jour quand c’était nécessaire. En tout, cela représentait environ 200 équipements ou applications à vérifier. Sans oublier la cellule de crise le jour J ! »

Un réveillon plutôt calme

pas mal de boulot pour automatiser la recherche dans les lignes de codes », modère Catherine Wynant. Cette responsable organisation et technologies au Crédit Agricole du Finistère était en 1999 informaticienne pour le groupe de consulting Capgemini et réalisait des missions dans différentes entreprises. « Dans les banques, de toute façon, cela avait été anticipé depuis longtemps. Avec des crédits à 20 ou 30 ans, elles avaient été confrontées au problème des deux chiffres pour définir la date bien avant d’autres entreprises », ajoute Philippe Le Gallic qui, en 1999, travaillait chez un fournisseur de logiciels professionnels, avant de fonder à Lorient Aetia Informatique avec son collègue Julien Cahoreau. Dans les collectivités aussi, il avait fallu anticiper. « On avait entendu parler du bug trois ans avant », se souvient Patrick Vallée. Directeur informatique adjoint du conseil général des Côtes d’Armor à l’époque, il avait été mis à la tête du projet de préparation au passage à l’an 2000. « On a répertorié toutes les applications, électroniques et informatiques. On a écrit à tous les éditeurs de nos logiciels pour

Le Costarmoricain était parmi les 45 000 informaticiens français qui ont passé leur réveillon du 31 décembre 1999 au boulot. « Chez nous, on était trois-quatre mobilisés, en lien avec les élus. On était plutôt sereins, mais il fallait rester vigilants... et humbles. » Au final, le jour J, ou plutôt la nuit N, aura été plutôt calme pour la plupart des permanenciers. « On a respiré quand tout s’est bien passé à minuit », sourit Christophe Cariou. Patrick Vallée, lui, garde le souvenir flou, vingt ans après, d’une soirée sans accroc. « On a dû partir vers 2 h du matin, quand on a vu que tout se déroulait bien. » Les deux dirigeants d’Aetia Informatique n’ont pas eu, eux, à participer à une quelconque cellule de crise. « J’avais 29 ans, je venais tout juste d’être papa pour la première fois. Mais j’ai dû quand même surveiller ça de loin en donnant le biberon la nuit. C’était doublement stressant ! », plaisante Julien Cahoreau. Au final, aucun ne se souvient de souci particulier dans les entreprises ou administrations bretonnes : ni plantage ni virus ni problème de sauvegarde. « On a bien eu quelques anomalies sur de très vieux ordi qui sont revenus en janvier 1960, se rappelle Patrick Vallée. Mais il n’y a eu aucun impact pour les contribuables, ce qui était l’essentiel. » Pour Philippe Le Gallic, de toute façon, « si certains ont eu des galères, ils se seraient bien gardés de le dire car cela voudrait dire qu’ils n’avaient pas fait ce qu’il fallait ». Trop peur de passer pour des cons, en d’autres termes. Et chez les particuliers ? Aucun couac non plus.

Si le bug s’est transformé en flop, il a représenté une aubaine commerciale, avouent aujourd’hui les informaticiens. « On n’a pas eu le temps de s’ennuyer en 1999 ! », se souvient Philippe Le Gallic. Dans les premiers temps, il a bien fallu convaincre les patrons de s’y intéresser, mais le bruit médiatique a fini de paniquer tout le monde et créé un pic de demandes. « Le bug était un gros argument de vente. Nos fournisseurs nous faisaient descendre l’info qu’il fallait changer de logiciel pour passer l’an 2000. Ce qu’on proposait aux clients qui le souhaitaient », indique Julien Cahoreau. Entre 1999 et 2000, son ancienne entreprise est passée de 24 à 36 millions de francs de chiffre d’affaires. Une jolie croissance de 50 %. Avec un bémol tout de même : quasiment toutes les entreprises avaient changé ou optimisé leur système informatique en 1999 en prévision d’un possible crash. Résultat : un gros trou d’air dans l’activité en 2000. « Il y a eu de la casse pour les sociétés qui n’avaient pas les reins assez solides », note Philippe Le Gallic.

Le bug de l’an 2038 Heureusement, d’autres opportunités de bug informatique émergent toujours. Le prochain est prévu en 2038. Très exactement le 19 janvier à 3 h 14 min et 8 secondes. « Celuilà fait moins de bruit mais pourrait avoir plus d’impact », estime Christophe Cariou. Il concerne les fichiers zippés, les clés USB, etc. Et, un peu comme celui de l’an 2000, il vient du nombre de bits choisi pour identifier la date. « Mais il devrait se résorber au fur et à mesure », rassure quand même l’informaticien. Pas la peine de paniquer tout de suite donc. Isabelle Jaffré 37


RDV

CRÉER UN FILM À PARTIR D’IMAGES ET DE SONS PROVENANT D’ŒUVRES DIFFÉRENTES. C’EST LE PRINCIPE DU MASHUP. UNE PRATIQUE BRICOLO-GEEK QUE LE CINÉASTE JULIEN LAHMI DÉCORTIQUE DANS UNE CINÉ-CONFÉRENCE. CONTRÔLE C / CONTRÔLE V. C’est quoi le mashup ? D’un point de vue purement technique, c’est l’utilisation d’images déjà existantes pour créer une nouvelle œuvre. C’est l’art du cinéma recyclé, on fait du neuf avec de l’ancien. Mais pour préciser davantage la chose et la différencier des autres cinémas d’emprunt qui ont précédé, je dirais que c’est la punk attitude qui s’empare de la pop culture. Le mashup est-il un art récent ? Le recyclage et le détournement artistique existent depuis des milliers d’années. Au cinéma, on cite souvent Inflation de Hans Richter, sorti en 1928, comme un pionnier. C’est en effet le premier film de pur montage : le cinéaste a réalisé une œuvre avec des images qui n’étaient pas de lui. Le principe est ancien mais, aujourd’hui avec Internet, les possibilités sont infinies : le web est une bibliothèque géante dans laquelle on peut puiser à volonté.

cinéma. Mais les démarches et les intentions sont multiples dans le mashup. J’en ai défini quatre : la révérence (l’hommage à une œuvre ou un acteur), le doigt d’honneur (une déconstruction qui va toucher à la satire), le scanner (une analyse du langage audiovisuel) et le coup de pinceau (une utilisation d’images brutes pour créer une tout autre histoire). Ces quatre gestes peuvent évidemment se combiner.

Photos : DR

Quand on pense mashup, on pense d’abord humour. Est-ce justifié ? Oui parce que, d’un point de vue quantitatif, les vidéos comiques sont les plus importantes. Chez beaucoup de mashupers, il y a une envie d’être décalé et dans le second degré. Sans oublier le fait que les succès grand public (Mozinor, La Classe américaine, Message à caractère informatif...) ont une volonté de faire rire. Mais il ne faut pas réduire cet art à ce registre. Un mashup, ce n’est pas qu’une petite vidéo marrante qu’on Le mashup est-il forcément toujours va partager sur Internet. Derrière dans l’hommage ? cette partie immergée de l’iceberg, Ce procédé part toujours d’une se cachent d’autres registres qui vénération des images et des films. peuvent aller dans l’expérimental, C’est avant tout un cri d’amour au l’art contemporain… 38

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Est-ce un art sous-estimé ? Oui, encore malheureusement. Même si les choses évoluent. Il y a quinze ans, les mashupers étaient vus comme des pirates et des voleurs d’images. Aujourd’hui, certains animent des master class dans des écoles ou sont invités dans des festivals de cinéma. Une façon de réhabiliter la profession de monteur également… Le mashup, c’est la prise de pouvoir du montage sur la mise en scène. Le monteur devient le réalisateur. Ce qui constitue un super exercice d’éducation à l’image. S’intéresser au montage, c’est comprendre comment un film se construit : ne pas être uniquement dans la consommation de l’image mais également dans sa compréhension. À l’heure où nous sommes envahis et gavés de vidéos, cette réflexion est un besoin vital pour l’homo numericus que nous sommes tous. Les mashups sont-ils voués à rester des films amateurs sur YouTube ? La diffusion à la télévision reste impossible pour des histoires de droit d’auteurs. Sur YouTube, disons qu’il y a une certaine tolérance, de même que dans les festivals de cinéma ou dans le cadre de projections exceptionnelles. D’un point de vue général, la majorité des mashup reste illégale si on veut en “faire commerce” et en vivre. Mais cet obstacle juridique devrait normalement s’atténuer à l’avenir. La législation bouge. Si ce verrou saute, la création pourrait exploser. Énormément de cinéastes vont s’emparer de cet outil en voyant le potentiel créatif qu’il représente. Dans le mashup, il n’y a aucune limite matérielle. Recueilli par Julien Marchand Le Petit mashup illustré, le 14 novembre au Quartz au Festival du Film Court de Brest 39


50 NUANCES DE NOIR DEPUIS SES DÉBUTS EN 2005, LE GROUPE MOTORAMA S’EST VU AFFUBLER DU SURNOM DE « JOY DIVISION RUSSE ». FLATTEUR MAIS UN PEU RÉDUCTEUR POUR CE QUINTET QUI A JOLIMENT RÉUSSI À SE FAIRE UNE PLACE EN FRANCE.

’ils étaient un artistepeintre, ils seraient Pierre Soulages : comme lui, les cinq de Motorama aiment le noir non pour son uniformité mais pour la richesse des teintes que ce champ chromatique propose. Un travail sur l’obscurité que les Russes retranscrivent en musique. « On nous classe parfois dans la cold wave, d’autres fois dans le pop rock contemplatif et mélancolique. Pour moi, c’est d’abord une base de guitare avec des influences new wave », propose Vladislav Parshin, chanteur, sosie vocal de Ian Curtis et porte-parole de ce groupe né en 40

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2005 dans la ville de Rostov-surle-Don, à près de 1 000 km au sud de Moscou. « C’est un chouette coin à visiter », assure-t-il, même s’il est autrement plus disert à vanter les mérites de la France, la « deuxième maison » de la bande, comme il s’en explique : « C’est un pays très spécial pour nous, c’est là qu’on a le plus joué en dehors de la Russie, avec également le Mexique. On y a visité plus de soixante villes, chaque lieu est différent, la nature, les gens, les tempéraments… » C’est dans l’Hexagone aussi que ce groupe expérimenté – bientôt 15 ans et 550 concerts vécus –

s’est trouvé un label à sa convenance avec les Bordelais de Talitres (Micah P. Hinson, François & the Atlas Mountain...). « Ce sont devenus des amis, des gros mélomanes très enthousiastes », se félicite Vlad, auteur avec ses potes de cinq albums, dont le dernier, Many Nights, est paru en 2018. « On espère en sortir un sixième bientôt mais rien ne presse : on ne s’ennuie toujours pas à jouer les morceaux de Many Nights en live ! » Voilà le public rassuré. Régis Delanoë Le 23 novembre au Festival Invisible à La Carène à Brest

DR

RDV


Maxime Gaudet

LA CHANTEUSE DE LA FEMME LANCE UN PROJET SOLO BAPTISÉ AJA. AUCUN LIEN AVEC GUY ROUX. Cherchait-elle l’apaisement, après des années tumultueuses de tournées menées à fond les ballons ? Possible. Toujours est-il que Clémence Quélennec, chanteuse de La Femme et seule présence féminine sur scène, a fini par s’en échapper, aussi bien physiquement qu’artistiquement. Pour de bon ? La Quimpéroise d’origine botte en touche sur les questions relatives à son (ancien ?) groupe (« Je préfère que tu vois avec les autres membres, j’ai pas envie de parler de La Femme », répondelle lorsqu’on l’interroge sur l’avenir des auteurs du tube Sur La Planche) et préfère s’épancher sur la genèse de son nouveau projet, baptisé AJA. « J’avais un peu d’argent de côté et l’envie de me poser. On est parti vivre au Maroc avec mon copain et l’atmosphère de ce nouveau lieu m’a inspiré. Je me suis monté un petit studio maison et j’ai commencé à composer. » Résultat de ce travail studieux : un premier EP sorti début octobre et baptisé à bon escient Solitaire. « De l’ambiant assez expérimentale et organique, présente-telle. Je me suis beaucoup servi de bruits de la nature et d’animaux enregistrés sur place. » Des sons qui matchent avec la voix cosmique et envoûtante de la Finistérienne. Le 9 novembre à La Carène à Brest et le 6 décembre aux Bars en Trans à Rennes 41


RDV

THAT ’70 S SHOW LES DEUX FRANGINS PAIMPOLAIS DE MOUNDRAG TENTENT LA COMBINAISON INÉDITE : ORGUE ET BATTERIE. EST-CE QUE VOUS AIMEZ LE ROCK FORT ?!! OUH YEAH. L’ovni musical du moment sur la scène bretonne se nomme Moundrag et ce n’est guère étonnant qu’il ait séduit les Trans Musicales. « On a eu une date test à l’Ubu et Jean-Louis Brossard, qu’on connaît pour avoir déjà joué aux Trans en 2017 avec notre autre groupe Smooth Motion, nous a dit “c’est bon les gars, on vous prend pour la tournée”. » Ce qui a séduit le programmateur historique du grand raout rennais ? L’association simple mais diablement originale d’un orgue old school et

d’une batterie de ce duo composé des frères Colin et Camille Goellaën-Duvivier. Originaires des Côtes d’Armor, les deux frangins de 20 et 23 ans, embrayent. « On voulait faire un truc ensemble, brut de décoffrage, résolument rock, sans basse ni guitare. Pas pour nous démarquer mais parce que Colin est batteur et que l’orgue, c’est mon instrument de base, tout simplement, expose l’aîné. Les claviers type Moog et Hammond que j’utilise apportent

direct une touche seventies qui nous va bien. » Le premier EP éponyme sorti cette année éclaire sur le résultat de ce drôle d’assemblage : un prog rock primitif virant au hard rock des origines, une impression renforcée par les voix haut perchées et lancinantes des deux garçons. « Le chant, ça a été le plus dur pour nous, confesse Camille. On est tous

Éric Legret

GAVOTTE, AN DRO, PLIN…

Festival de la culture traditionnelle bretonne, Yaouank revient pour une nouvelle édition du 7 au 23 novembre à Rennes et en Ille-et-Vilaine. Parmi les temps forts, le plus grand fest-noz de Bretagne et sa prog XXL qui verra notamment défiler sur la scène du Parc expo : Fleuves (photo), Erik Marchand, Annie Ebrel, Christophe Le Menn, Toï-Toï…

POW WOW 2.0 Présenté comme un « chœur populaire du Massif Central », San Salvador est un ensemble de six jeunes hommes et femmes originaires de Corrèze qui pratiquent un chant polyphonique en langue occitane. Une expérience artistique proposée le 16 novembre au Run Ar Puñs à Châteaulin et aux Trans Musicales de Rennes le 7 décembre. 42

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Winnie Gotmilk

les deux débutants en la matière alors on doit encore travailler ce registre mais c’est vrai qu’on a un timbre qui colle bien au style heavy qu’on souhaitait mettre en place. » R.D Le 14 novembre à l’Ubu à Rennes, le 21 à la Carène à Brest, le 29 à Bonjour Minuit à Saint-Brieuc et le 7 décembre à L’Étage à Rennes

ET DE 30 ! Jazz à l’Ouest, le festival concocté par la MJC Bréquigny à Rennes, fête sa 30e édition ! Un anniversaire célébré en compagnie de quelques jolis noms, comme Chassol, Delgrès, Madeleine Cazenave, Airelle Besson (prix Django Reinhardt 2014) ou encore La Récré (le side project de Forever Pavot). Du 6 au 23 novembre en Ille-et-Vilaine.

Flavien Prioreau

BIENVENUE CHEZ LE CH’TI

Dunkerquois désormais installé à Amsterdam, Awir Leon vient de sortir Man Zoo, son second album. Un disque d’électro mélodique et onirique où il vient poser sa (douce) voix. Fans de James Blake, ça devrait vous plaire. Le 13 novembre à Bonjour Minuit à Saint-Brieuc et le 7 décembre à L’Échonova à Saint-Avé. 43


RDV

COUP DE TÊTE S’il n’y a vécu que quelques mois, Patrick Dewaere est né à Saint-Brieuc. C’est en hommage à l’acteur mythique des Valseuses et de Coup de tête, mort en 1982 à seulement 35 ans, que les Briochins Marc, Julien, Hugues et Maxwell ont nommé leur projet musical. Le premier nommé fait les présentations : « Julien et moi sommes des anciens de Rafale, Hugues est un batteur qui a pas mal roulé sa bosse dans le milieu hardcore et métal, et Maxwell est un chanteur australien installé ici depuis peu et dont on a fait la connaissance un peu par hasard. » En décembre 2018, ils

Titouan Massé

AVEC DEWAERE, DEUX ANCIENS DU GROUPE RAFALE RÉHABILITENT LE ROCK DES NINETIES.

sortent un premier album, Slot Logic, et enchaînent depuis les concerts à un rythme soutenu. « On est pas mal surpris ouais. Le truc prend plutôt bien. » Définition du « truc » : un noise rock bien vénère qui ne se pose pas trop de questions, certainement plus spontané que l’électro-rock de l’époque Rafale. « C’est difficilement comparable musicalement mais c’est vrai que dans l’attitude on a peut-être

moins d’attente donc on est plus relax, confirme le bassiste. C’est l’âge qui veut ça aussi, on a des boulots, des gamins… » Un emploi du temps de daron qu’il va falloir aménager, car des dates sont déjà bookées jusqu’au printemps 2020. R.D Le 2 novembre aux Indisciplinées à Lorient, le 8 à Bonjour Minuit à St-Brieuc, le 5 décembre aux Bars en Trans à Rennes et le 14 à La Nouvelle Vague à Saint-Malo

Titouan Massé

¡ SÍ SÍ SÍ SÍ SÍ SÍ SÍ SÍ !

Une première partie de Ty Segall à la Cigale en octobre, faisant suite à une jolie date au festival de Binic cet été, un premier album Cóatlipoca sorti en septembre : c’est peu dire que la rentrée est chargée pour les quatre de Guadal Tejaz. Un quatuor à consonance mexicaine – le chanteur Morgan est un gros fan du pays – mais qui trouve plus prosaïquement ses origines du côté de Rennes. « On a débuté en 2015 dans une veine Brian Jonestown Massacre avant d’évoluer vers quelque chose entre Sonic Youth, Jesus Lizard et Joy Division. » Soit un mélange de noise, de krautrock, et de psyché à consommer avec une sauce salsa. Le 27 novembre à l’Antipode à Rennes 44

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DR

L’ŒIL DU TIGRE, MEUF !

AVEC LA PIÈCE « STALLONE », FABIEN GORGEART PROPULSE ROCKY SUR LES PLANCHES. TROIS EN UN « L’origine du projet Stallone, c’est une nouvelle de la romancière Emmanuèle Bernheim, explique le metteur en scène Fabien Gorgeart qui, pour ce projet, a fait appel à l’actrice Clotilde Hesme. L’histoire autobiographique d’une femme marquée à vie par Rocky III L’œil du tigre. Ce film lui sert de révélateur de la médiocrité de sa vie. Elle va décider de s’en servir pour se prendre en main et vivre ses rêves intensément. C’est donc l’adaptation au théâtre d’un livre lui-même inspiré d’un film : trois arts réunis en une pièce. »

STALLONE VS SCHWARZY « Si Bernheim et moi avons flashé sur Stallone, ce n’est pas un hasard, poursuit le metteur en scène. C’est l’humain boursouflé, cet être fragile et plus complexe qu’il n’en a l’air derrière la montagne de muscles. Il est à comparer avec l’autre héros des années 80, Schwarzenneger, l’homme robot, froid, le mythe Terminator. Même si Schwarzy, avec le film Last Action Hero, s’est rapproché de ma démarche : faire qu’un personnage de film traverse l’écran pour changer la vie d’un spectateur. » Du 6 au 9 novembre au festival TNB à Rennes 45


VTS FOCUS

LES TOMBES MYSTERIEUSES ON LES TROUVE AU MILIEU DES FORÊTS, LE LONG DES CHEMINS, AU CŒUR DES CIMETIÈRES… DANS LA RÉGION, DES SÉPULTURES À LA MÉMOIRE DE « SAINT LOCAUX » FONT L’OBJET DE RITUELS SURPRENANTS : OFFRANDES, APPOSITIONS DES MAINS, REQUÊTES… UN PHÉNOMÈNE DE DÉVOTION QUE NOUS DÉCRYPTE BERNARD RIO, HISTORIEN ET AUTEUR DE L’OUVRAGE « VOYAGE DANS L’AU-DELÀ, LES BRETONS ET LA MORT ».

Stèles sauvages, arbres sacrés, fontaines guérisseuses… Combien de lieux de dévotion populaire dénombre-t-on en Bretagne ? Ils sont innombrables. On en compte plusieurs milliers. On peut sans forfanterie parler d’une terre sacrée pour évoquer la Bretagne. Les rites, les pratiques et les phénomènes “surnaturels” perdurent depuis des temps immémoriaux. La plupart des tombes de dévotion se trouvent à la campagne et sont situées à l’est d’une ligne partant de Lorient jusqu’à Saint-Malo. Il existe cependant quelques tombes urbaines qui se trouvent dans des cimetières, la dévotion populaire des citadins s’exerce donc à l’intérieur des nécropoles. On peut citer par exemple : la tombe de l’abbé Félix Forveille à Concarneau, la tombe d’Olive Danzé à Plogoff, la tombe du jésuite Louis Le Leu à Vannes…

de la dévotion et l’absence de toute récupération institutionnelle. Au mieux, l’Église catholique est en effet indifférente à ces superstitions locales, au pire elle s’y oppose et tente d’éliminer ces rites. Les autorités laïques ne sont guère plus compatissantes, en omettant l’entretien des lieux ou ne réagissant pas quand Autour de ces tombes, sont disposés un site est détruit. En une trentaine plein de petits objets : bibelots, sta- d’années, une dizaine de tombes de tuettes, bijoux… À quoi servent-ils ? dévotion ont disparu sans la moindre Il s’agit d’ex-voto. Cela s’inscrit réaction des autorités élues. dans la pratique codifiée du don et contre-don : je demande, je reçois et Qu’est-ce que ce phénomène révèle je remercie en donnant à mon tour. de la culture bretonne ? Des offrandes pour qu’une prière Dans la région, la frontière est perse réalise (guérir, ne plus souffrir, méable entre les mondes (visibles mourir dans la dignité, avoir un et invisibles) à tel point qu’on peut enfant, réussir un examen..., ndlr). s’interroger : les morts sont-ils vraiLe monde n’est pas figé et les cultes ment morts ? Bien que les cimetières évoluent. Dans la forêt de Camors aient été déménagés à la périphérie par exemple, la “tombe du saint” des bourgs, la mort semble irrémédiareçoit désormais des ex-voto d’un blement enracinée dans le paysage, nouveau genre : des bâtons de marche dans la société, dans la culture. La Qui sont ces morts célébrés ? et des chaussures de randonnées. Des croyance des Bretons révèle un cathoLes tombes de mémoire ne cor- promeneurs y déposent leurs godillots licisme sociologique, pour reprendre respondent pas au culte des saints pour s’assurer préventivement des l’expression de l’essayiste Gilbert bretons. Il n’est pas ici question des accidents. Durand. La Bretagne s’est certes cénotaphes des saints tutélaires déchristianisée, mais elle conserve qu’abritent les cathédrales, basiliques Comment se positionne l’Église à une empreinte religieuse dans sa et églises. Il s’agit de tombes situées à ce sujet ? mentalité. l’orée d’un bois, au coin d’un champ, Le point commun de toutes ces en bordure de chemin… Ce sont des tombes pourrait être la spontanéité Recueilli par Julien Marchand 46

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sépultures non cadastrées qu’il faut parfois chercher au petit bonheur la chance après avoir interrogé des riverains. Elles abritent souvent des victimes, connues ou inconnues, ayant subi une mort tragique, violente ou injuste. Dès lors, elles font l’objet d’une dévotion.


Bikini

La tombe Saint-Léonard à Andouillé-Neuville

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FOCUS

À une vingtaine de kilomètres au nord de Rennes, une drôle de sépulture borde le long de la route départementale 175. Légèrement enfoncée dans un bois, la tombe de Saint-Léonard (ou Saint-Lénard) se tient là depuis 1870. La légende raconte que Léonard était un enfant bandit qui aimait tourmenter les voyageurs. Un jour, il se rendit compte du mal qu’il causait et décida alors de venir en aide aux gens. Mais un conducteur qui l’avait reconnu se sentit attaqué et le tua d’un coup de bâton. Cette injustice fit de lui un saint. Devenu lieu de pèlerinage, sa tombe est principalement connue pour recueillir les demandes en matière de réussite scolaire, mais reste visitée pour tous types de prières. En témoignent les centaines d’ex-voto déposés tout le long de l’allée : photos, jouets d’enfant, chaussures, lettres, ardoises, fleurs…

LA TOMBE AUX BOUCHONS ET LA TOMBE AUX POCHONS À RENNES (35) Des bouchons de bouteilles de vin et des capsules de bières. Située au cimetière du nord à Rennes, la stèle de l’abbé Joseph Thébault (mort en 1860) en est recouverte par dizaines. Des offrandes (photo ci-contre) qui, selon les superstitions, permettraient de vaincre l’alcoolisme. À seulement quelques dizaines de mètres de là, une autre sépulture attire également son lot de curieux : celle de Philippe-Hélène de Coëtlogon, épouse du gouverneur de la ville et morte en 1677, aujourd’hui appelée la “sainte aux pochons”. La raison de ce surnom ? Les nombreux petits sacs en plastique ou en tissu remplis de terre et accrochés au lierre recouvrant la croix. Des pochons qui apporteraient guérison et rétablissement, à condition de les avoir portés sur soi pendant neuf jours, le temps pour la sainte d’éradiquer la maladie. 48

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LA TOMBE DU PÈRE BRETTEAU DE LA GUERETTERIE À VITRÉ (35) Le cimetière Saint-Martin de Vitré voit défiler de nombreux parents accompagnés de leurs progénitures. Lorsqu’ils tardent à se tenir debout, il suffirait de les faire marcher cinq fois autour de la tombe du Père Bretteau de la Gueretterie, enterré ici depuis 1840, pour que leur situation s’améliore.

Une légende raconte qu’un soir d’automne le recteur de Brandivy, qui revenait de porter les derniers sacrements, fut attaqué par deux hommes qui lui tranchèrent la tête. Celle-ci rebondit sept fois. Depuis, sept mystérieux trous seraient apparus à l’endroit même de sa mort. Devenu lieu de dévotion, les personnes ayant des problèmes de mobilité viennent y déposer un objet en quête de guérison.


Si sa mort date du 4 juin 1884, sa tombe continue toujours d’être régulièrement fleurie. C’est l’une des curiosités du cimetière Saint-Martin à Brest : la sépulture du père Le Sauce, fondateur des Petites sœurs des pauvres. Souvent présenté comme un saint local, il fait depuis l’objet de nombreux rituels. L’apposition des mains sur la pierre tombale permettrait de soigner les maladies de peau.

LA TOMBE À LA FILLE À TEILLAY (35)

Photos : Bikini

Tout au sud de l’Ille-et-Vilaine, à la frontière avec la Loire-Atlantique, la forêt de Teillay abrite un tombeau esseulé (photos ci-contre). À la fin du 18e siècle, une jeune fille du nom de Marie Martin aurait été tuée par les Chouans durant la Révolution française. Selon les croyances locales, elle fut enterrée directement sur place. L’émotion générale fut telle que sa stèle devint un lieu de recueillement. Au fil des décennies, on lui prêta des pouvoirs guérisseurs, à destination des enfants notamment. Sur place : des vêtements, des chaussures, des poupées...

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Phile Deprez

Élisabeth Froment

RECOMMANDE

FIVE EASY PIECES

BARS EN TRANS

ARCHIVE

NO BORDER

Metteur en scène suisse qui n’hésite pas à mettre les doigts dans la prise, Milo Rau propose avec Five Easy Pieces de traiter de l’affaire Dutroux par le regard des enfants (sept jeunes comédiens sur scène), posant la question des limites du jeu théâtral et plaçant les spectateurs face à leurs tabous. Osé.

Toujours de bon goût la prog des Bars en Trans. Et surtout le meilleur moyen de découvrir avec un peu d’avance les artistes qui tourneront dans les salles et festivals dans les mois à venir. Dans cette cuvée 2019, gros crush pour Bandit Bandit, La Battue, Grande (photo), Bracco, Lucie Antunes…

Chefs de file de l’éphémère mode du trip hop dans les années 90, les Anglais d’Archive ont depuis évolué vers un rock progressif lorgnant plus vers Pink Floyd que vers Massive Attack. Les 25 ans du groupe ont été dignement fêtés avec un album anniversaire sorti en mai et une tournée qui s’achève en fin d’année.

Le festival des musiques populaires du monde porte bien son nom. Un line-up sans frontière où se côtoient découvertes et valeurs sûres des scènes traditionnelles de la planète (et de Bretagne) : Aynur de Turquie, Talisk d’Écosse, Achille Ouattara du Burkina Faso (photo)… N’oubliez pas votre passeport.

À Brest (Carène, Quartz, Vauban…) Du 7 au 15 décembre

Agathe Poupeney

À La Carène le 8 novembre, le 9 au Liberté, le 10 aux Indisciplinées

Blaise Arnold

Dans les rades de Rennes Du 5 au 8 décembre

DR

Au Quartz à Brest Les 8 et 9 novembre

PRIZ’UNIQUE

FRUSTRATION

QUI A TUÉ MON PÈRE

FILM INTERGALACTIQUE

Déployé sur deux jours, le rendez-vous électro de La Passerelle à Saint-Brieuc accueille un casting de premier choix : Dima (aka Vitalic, photo), La Fraîcheur, The Driver (aka Manu le malin), Théo Muller et les deux zinzins de The Pilotwings. Du tout bon.

Qu’est-ce qui est froid, dur et qui rentre dans les oreilles ? L’otoscope du docteur lors d’une consultation ORL mais aussi la cold wave des vétérans de Frustration, en tournée hivernale pour fêter la sortie de leur 4e album chez Born Bad.

Révélé avec En Finir avec Eddy Bellegueule, Édouard Louis a publié l’an dernier Qui a tué mon père, un troisième roman à seulement 26 ans. Son adaptation au théâtre n’a pas trainé non plus avec aux manettes de ce drame filial le metteur en scène Stanislas Nordey.

Rendez-vous ciné incontournable, le Festival Intergalactique de l’image alternative fait de la démocratie le thème central de sa 18e édition. Un questionnement on ne peut plus actuel (Trump, les Gilets Jaunes, les lobbys…) qui sera décortiqué lors de projections, rencontres et débats. A voté !

À La Passerelle à Saint-Brieuc Les 14 et 15 novembre

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Aux Indisciplinées à Lorient le 2 nov. À L’Antipode à Rennes le 14 déc.

novembre-décembre 2019 #44

À La Passerelle à Saint-Brieuc Les 28 et 29 novembre

À Brest et dans le Finistère Du 25 novembre au 8 décembre




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