La nouvelle quêtes des marcheurs

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notre enquête Compostelle, Assise, Mont-Saint-Michel

La quête

des nouveaux marc Randonner un dimanche ou un été, partir en pèlerinage quelques semaines : le succès de la marche ne se dément pas. À l’occasion du salon Destinations nature (1) et de la parution de notre hors-série Compostelle : l’appel du chemin, voici le portrait de ces nouveaux marcheurs et des pistes pour mettre un pied devant l’autre ! par Isabelle Vial photos Léonard leroux illutrations frédéric bony

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heurs

La chapelle Saint-Sixt d’Eygalières (XIIe siècle), au nord-est d’Arles. La pureté de son architecture mérite le détour.

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notre enquête

la quête des nouveaux marcheurs

«E

n avant ! » Un jour de juillet, Marie-Hélène a rangé ses pinceaux et ses cahiers d’aquarelles. Cette dynamique enseignante en arts plastiques de 51 ans a fait provision de bons conseils, de topoguides, de crème contre les ampoules et s’est lancée sur la route pour sa première marche. Six semaines pour rallier l’abbaye de La Pierre qui Vire, dans le Morvan, à la maison de son enfance, dans la région d’Aubenas. Un chemin bien à elle, un voyage intérieur. L’éloignement de sa dernière fille pour ses études et le déménagement d’amis l’ont décidée. « Je voulais mettre un peu d’ordre dans ma vie, explique-t-elle. J’ai renoué avec un groupe d’amis et décidé de m’engager dans l’aide aux devoirs. » Voilà pour les décisions concrètes. Les bénéfices plus invisibles, Marie-Hélène n’en finit pas de les mesurer : « Avoir vivifié ma foi, pris acte du départ des enfants… Je suis toujours en chemin… » Comme elle, ils sont de plus en plus nombreux à se lancer sur la route avec des questions plein leur sac à dos. Ces nouveaux pèlerins explorent les sentiers porteurs de sens qui peuvent fournir des réponses à leur quête personnelle et spirituelle. Le chemin emblématique de ce nouvel appétit, c’est Saint-Jacques-de-Compostelle. De quelques milliers dans les années 1980, le nombre de « jacquets » a

Au pas du randonneur dans les ondoyantes collines du Gers.

dépassé les 100 000 avec l’an 2000. En 2009, ils étaient 145 000 ! Au-delà du « Camino », de nombreux pèlerinages et chemins de foi (pardons, Tro Breiz, sentiers datant du Moyen Âge…) sont de nouveau à l’honneur. « En vingt ans, la marche est passée d’un loisir à un engagement du corps et de l’âme », souligne le sociologue et anthropologue David Le Breton.

Une façon de se retrouver avec soi-même Que cherchent-ils, ces nouveaux marcheurs ? Grand randonneur, auteur d’un ouvrage à succès sur le sujet (2), David Le Breton avance une explication : « C’est une forme de résistance à un monde centré sur les impératifs de rendement tous azimuts. Ce succès tient aux valeurs que la marche porte en elle : contemplation, gratuité, inutilité, jubilation, lenteur… On avance avec un projet commun et à un rythme intime. » C’est une façon de se retrouver avec soi-même. « Elle apporte un sentiment d’exister, d’être unifié », poursuit David Le Breton. Pour lui, cet engouement a aussi un lien avec la recherche de sens et de spiritualité. « Marcher permet de se confronter à l’élémentaire du monde : sentir son corps, manger, boire, faire silence, être en communion avec la vie… » « La mécanique propre à la marche met dans un état proche de la méditation », confie de son côté Olivier Lemire, un ancien cadre qui raconte dans

Le pont Valentré (XIVe siècle), emblème de Cahors (Lot).

un livre (3) son cheminement entre Plaisir, en région parisienne, et le Bonheur, une petite rivière des Cévennes. « Marcher vers le Bonheur fait émerger de nombreuses questions : qu’estce que c’est ? Étais-je heureux avant de partir ? Suis-je heureux dans ma vie ? », témoigne-t-il. Olivier Lemire se consacre désormais à la marche entre des lieux aux toponymes riches de sens.

Le boom des clubs de marcheurs Autre nouveauté : le développement des clubs de marcheurs. 69 % des Français pratiquent la randonnée pédestre, dont 23 % régulièrement. Pour les vacances, 59 % mettent en avant les balades dans la nature, devant le repos, les retrouvailles en famille ou la baignade (4) ! « Nous avons clairement dépassé le phéno-


À chaque marcheur, sa randonnée ! De multiples pistes existent pour se mettre en chemin. En voici quelques-unes pour randonner en famille, marcher solidaire, interroger sa foi ou simplement se ressourcer.

1 mène de mode, souligne Jean-Michel Humeau, directeur général de la Fédération française de randonnée pédestre (FFRP). Les nouveaux marcheurs sont en majorité des femmes, qui commencent après 50 ans pour découvrir la nature, être en forme et nouer des liens amicaux… »

« Marcher, c’est s’abandonner aux imprévus » À la FFRP (5), qui compte 210 000 licenciés, on estime le nombre d’adeptes à 15 millions au total. De nouvelles formes de marche ont le vent en poupe : balades en ville, sportives, en famille, avec un coach… Les publications spécialisées se développent. Chez Transboréal, certains ouvrages se vendent jusqu’à 15 000 exemplaires. « La fascination pour le voyageur qui part loin sans connaître exactement son chemin est très forte », témoigne émeric Fisset, grand marcheur lui-même et éditeur. « Marcher, c’est nettoyer ses yeux pour prendre le temps de voir ce que l’on ne voyait plus. Je pense qu’avec le développement du confort, les gens vont éprouver encore davantage le besoin de tout lâcher, de s’abandonner aux imprévus et à la providence », prédit-il. Pari tenu ? l (1) à Paris, du 25 au 27 mars. www.randonnee-nature.com (2) Éloge de la marche, Éd. Métailié, 2000 ; 10 €. (3) L’esprit du chemin, Éd. Transboréal, 2011, 291 p. ; 19,90 €. (4) Sondage TNS Sofres-ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, juin 2010. (5) www.ffrandonnee.fr

Randonner en famille Avec un âne, avec ou sans guide. Exemple : rando de 3 jours dans le Vercors : 111 € pour un âne + 28 € la nuitée dans un tipi (adulte). Contact : 04  75 45 53 17. www.randodaneduvercors.com Fédération nationale ânes et randonnées : 06 33 97 91 54. www.ane-et-rando.com Randojeu : l’objectif, partir à la découverte d’une ville (SaintMalo, Noirmoutier, etc.) sur un parcours de 3 à 9 km muni d’un questionnaire. Pochette de jeu à télécharger : 10 €. www.randojeu.com Rando avec un conteur ou un musicien : dans les monts

d’Arrée, la Rando des lutins, une promenade musicale et contée autour des légendes bretonnes, pour les 4-12 ans et leurs parents ; 6 €. www.arree-randos.com

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Marcher solidaire

Avec une personne handicapée : dans de

nombreuses régions, des associations proposent des randonnées accompagnées en Joëlette, des fauteuils roulant à une roue. Liste sur www.netrando.fr En Afrique, en Amérique latine ou en Asie, des randonnées qui permettent de financer

des projets de développement. Exemple : au Burkina Faso, contes et randonnée avec les griots, 7 jours et 6 nuits ; 550 € par personne (hors avion). Contact : 02 43 56 70 88. www.alter-enga.fr. Liste des associations : www.tourismesolidaire.org

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Partir à la rencontre de Dieu

Chemins de Saint-Jacques-deCompostelle : de Saint-Jean-Pied-

de-Port à Saint-Jacques, 13 jours et 12 nuits (à l’hôtel) avec un guide, à partir du 10 avril ; 1 675 €. Contact : La Pèlerine, 04 71 74 47 40. www.lapelerine.com Chemins du Tro Breiz : pèlerinage en l’honneur des sept saints fondateurs de la Bretagne. Les Chemins du Tro Breiz : 02 98 69 11 80. www.trobreiz.com Chemins de Saint-Michel : de Coutances au Mont-Saint-

Michel : 7 jours, 6 nuits (hôtel) ; à partir de 598 €. Contact : La Pèlerine, 04 71 74 47 40. www.lapelerine.com

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Randonner pour se retrouver Rando philo : initiation à la philosophie, en randonnant dans les Pyrénées aux côtés du philosophe Baptiste Lanaspèze. 7 jours et 6 nuits. Départs : 11 et 18 juillet, 8 et 15 août ; 595 €. Contact : La Balaguère, 05 62 97 46 46. www. labalaguere.com Rando sens et ressourcement :

balade dans les Pyrénées en groupe avec un psychothérapeute. 6 jours et 5 nuits. Départs : 3 et 10 juillet, 14 et 21 août ; 750 €. Contact : La Balaguère, 05 62 97 46 46. www.labalaguere.com

Et chaque semaine, d’autres idées dans notre page « Chemins de pèlerinage ».  N°6695 → 24 mars 2011 → 31


notre enquête

La quête des nouveaux marcheurs

Je marche, pour…

Yann Durand

27 ans, animateur d’ateliers d’écriture et de slam, Charente-Maritime

« Surmonter ma maladie chronique » 2008, on m’a diagnostiqué la «Enmaladie de Crohn, une inflam-

pas toujours confortable, mais avec le recul, on en sort grandi. mation chronique des intestins… Au fil des kilomètres, le doute et Cette nouvelle a provoqué une la peur ont laissé place à une force remise en question person- inouïe que je ne soupçonnais pas. Ce nelle : j’ai regardé les cho- voyage m’a permis de faire la paix avec ses que j’avais accomplies mon corps, d’amorcer un dialogue avec et celles que j’avais laissées lui et de l’habiter pleinement. Je me suis en suspens. J’avais toujours rendu compte que, même éprouvé par été habité par le désir d’aventu- deux ans de maladie, il était capable de res et de grands espaces. C’est alors grandes choses et que les limites que que m’est venue l’idée de rallier je lui imposais résidaient surtout dans à pied l’Atlantique à la Médi- ma tête. Bien sûr, je reste malade mais terranée, depuis La Rochelle je sais maintenant que je peux garder jusqu’à Montpellier, soit mon état à sa juste place. Nous avons 750 kilomètres. La marche, tous des forces et des faiblesses. Sans par sa lenteur, vous lais- cette maladie, je ne serais peut-être se beaucoup de temps jamais parti… » l pour réfléchir. Ce n’est Recueilli par Gilles Donada

Sylvette Carrière

62 ans, retraitée, Haute-Garonne

« être en communion avec Dieu dans la nature » y a trois ans, lors d’un « I lséjour à San Francisco, aux

États-Unis, je suis rentrée dans l’église Saint-François-d’Assise. Il y avait une sorte de lumière que je n’avais jamais perçue. C’était comme un appel. J’ai eu envie de marcher pour être en contact avec Dieu. J’ai laissé un mot : « Saint François, accompagne-moi. » Dès mon départ à la retraite en 2009, j’ai réalisé un pèlerinage de six mois de Vézelay jusqu’à Assise. Pour moi, c’était un chemin de providence. Depuis toujours, je voulais ne

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plus avoir de contraintes dans ma vie. Mon rêve s’est accompli quand je suis partie. J’ai fait des rencontres fabuleuses. Un jour, un prêtre en Toscane m’a dit : « Avec tous les signes de la providence que tu reçois, enfile ces perles pour en faire un collier. À ton retour, avec ce collier, tu témoigneras. » Quand je suis arrivée à Assise, j’ai pleuré devant la tombe de saint François et je l’ai remercié de m’avoir accompagnée. Dieu et saint François m’ont portée spirituellement. Ce pèle-

rinage m’a transformée. J’avais seulement 10 € par jour pour manger et dormir. Mais je me suis rendu compte que si je faisais confiance à Dieu, j’aurais tout ce dont j’ai besoin. Aujourd’hui, j’essaie de Le retrouver dans l’humain. Je fais attention aux personnes seules, j’essaie d’aller les voir. Je suis toujours en chemin dans mon quotidien. » Recueilli par Marine Bisch

Illustrations frédéric bony


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HORS-SÉRIE

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David Martin

43 ans, chef de projet web en cours de reconversion professionnelle, picardie

 Pouvoir faire le point sur ma vie 

chef de projet J’Êtais Web. Je me sentais

bien, le travail ĂŠtait intĂŠressant. En 2008, j’ai ĂŠtĂŠ licenciĂŠ. Je me suis remis en question car ma colère prenait le dessus. Pour moi, l’important est de gĂŠrer des humains plus que des projets. Au fil des jours, ma rage grandissait. Or, je ne suis pas agrĂŠable quand je suis en colère ! Je me suis dit qu’il fallait que je fasse un break. Je suis parti de SaintJean-Pied-de-Port pour rejoindre Saint-Jacques-de-Compostelle, soit 800 kilomètres. Ce pèlerinage ĂŠtait

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une belle opportunitĂŠ dans mon malheur. Quand je marche, je suis en paix avec moi-mĂŞme. Et les gens sont très ouverts et riches intĂŠrieurement. Grâce Ă ce pèlerinage, j’ai appris Ă rela­ tiviser les choses, Ă ĂŞtre plus tolĂŠrant et Ă prendre la vie comme elle vient. J’ai encore cette colère au fond de moi, mais elle s’est apaisĂŠe. J’ai reconsidĂŠrĂŠ ma vie professionnelle. J’ai quittĂŠ le secteur d’Internet pour revenir Ă mes premières amours : la photographie. DĂŠsormais, je vois l’avenir plus sereinement.  Recueilli par M. B.

8/03/11 13:54:44

Le frisson du dĂŠpart vous taraude ? Plongez dans notre hors-sĂŠrie Saint-Jacques-deCompostelle. Il dĂŠroule Ă vos pieds tous les itinĂŠraires, recense les ĂŠtapes et sĂŠlectionne les haltes. Cette nouvelle ĂŠdition est pleine de ÂŤÂ plus  : plus de photos et de tĂŠmoignages de pèlerins, plus de spiritualitĂŠ et d’histoire, de patrimoine et de pages pratiques, de cartes et de conseils. Et en prime, un nouveau chemin Ă dĂŠcouvrir : la voie de Rocamadour. Glissez ce guide dans votre sac Ă dos, il sera un prĂŠcieux compagnon de route. C.L.

< Compostelle, l’appel du chemin, hors-sĂŠrie Pèlerin, 52 p. ; 7 â‚Ź. En kiosque Ă partir du 24 mars ou par tĂŠl. : 0 825 825 831.

Évelyne et JeanCharles Santerre

64 et 66 ans, retraitĂŠs, Ille-et-Vilaine

Jeu concours

 Renforcer notre relation de couple 

< Gagnez une randonnĂŠe de

jour, en regardant un ÂŤU nreportage sur Saint-Jacques-

de-Compostelle, j’ai dit : “J’aimerais bien y aller â€?, raconte Évelyne. “Moi aussi !â€? m’a rĂŠpondu mon mari. Il a aussitĂ´t achetĂŠ les guides, rĂŠservĂŠ les gĂŽtes‌ Moi, j’avais peur de ne pas y arriver. Notre relation ĂŠtait dĂŠjĂ très forte avant. Durant le chemin, nous avons toujours marchĂŠ ensemble, mĂŞme si nous n’Êtions pas tout le temps cĂ´te Ă cĂ´te. J’ai dĂŠcouvert mon mari plus fragile que je ne le voyais. Contrairement Ă mon habitude, je n’ai pas paniquĂŠ. Cette expĂŠrience a renforcĂŠ notre couple.  ÂŤÂ J’ai dĂŠcouvert chez Évelyne une force morale que je ne lui connaissais pas ! reconnaĂŽt Jean-Charles. Au

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dĂŠbut, je trouvais qu’elle ne marchait pas assez vite. Mais lorsque j’ai eu des ennuis de santĂŠ, elle a pris les choses en main avec une maĂŽtrise qui m’a ĂŠpatĂŠÂ ! Moi qui pensais faire ce chemin sans problème, je suis arrivĂŠ ĂŠpuisĂŠ et elle, très en forme ! Nous avons vĂŠcu un moment très intense en arrivant, main dans la main, sur le parvis de la cathĂŠdrale de Compostelle. Depuis qu’on est revenu, le chemin ne nous quitte pas. Il ne se passe pas une journĂŠe sans que nous n’y fassions rĂŠfĂŠrence‌  Recueilli par G. D.

4 jours dans le massif du Sancy (Massif central), autour des lacs et des volcans d’Auvergne, avec le site i-trekkings.net et Chamina voyages. < Les tĂŠmoignages de Yann, ĂŠvelyne et Jean-Charles, David et Sylvette vous ont touchĂŠ ? Ils racontent leur pĂŠriple dans le dĂŠtail sur le blog des marcheurs : http://marcheurs.blog.pelerin.info

Pour prolonger ce dossier, vous pourrez suivre une ĂŠmission spĂŠciale, en direct du salon Destinations nature, le samedi 26 mars, de 16 h Ă 17 h, animĂŠe par Vincent Belotti, avec Gilles Donada, Muriel Fauriat, GaĂŤle de La Brosse de Pèlerin. FrĂŠquences de RCF au  04 72 38 62 10 et sur www.rcf.fr N°6695 → 24 mars 2011 → 33


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