Le Bonbon Nuit - 83

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Mai 2018 - n° 83 - www.lebonbon.fr

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SAMEDI 26 MAI 2018 AU GRAND PALAIS OPENING • 22H — 06H

SEASONS SUMMER EDITION

JAMIE JONES • GUY GERBER BUTCH • dOP (live) MICHEL CLEIS seasonsgrandpalais.com


EDITO

Le Bonbon Nuit → 05/2018

© Pussy Archy

Il était onze heures lorsque mon réveil a sonné, dimanche dernier. Déjà, j’ai trouvé ça assez louche : pourquoi avais-je mis un réveil ? Pas de réunion familiale, pas de brunch hors de prix, pas de footing dominical… Rien de toutes ces choses que j’exècre. Puis en regardant les messages non lus sur mon téléphone, j’ai senti qu’il s’était passé un truc : « T’es parti avec qui ? », « Il est où l’after ? », « La prochaine fois que tu me parles comme ça, je t’éclate », « C’était qui la fille avec qui tu discutais, elle était pas mal ? », « Chéri, fais attention à toi », « Connard, tu me dois encore cinquante euros », « Eh, t’as gardé les clés de chez moi, t’es où ? », « Mon pote, viens au bar je t’offre un coup », « Gros con, pourquoi t’as pécho ma meuf ? », « C’était vraiment lourd cette teuf », « Je peux squatter ton canap’ cette nuit ? », « Mec, réponds, tu m’inquiètes ». Incompréhensible, quoi. D’autant plus que je ne me souvenais de rien sinon que j’avais commencé l’apéro assez tôt au bureau en cachant du whisky dans mon thermos pour ne pas que le patron me fasse une remarque, et que j’avais décollé fissa pour rejoindre un appart’, que j’avais continué à boire un peu tout ce qui me passait sous la main, que j’étais descendu à l’épicerie pour me prendre quelques bières, et que j’avais bougé ailleurs, je ne sais où, en piquant au passage le verre d’un type qui m’expliquait que Pantin était le nouveau Brooklyn… Puis, plus rien. L’alcool ? Ou bien peut-être le nouveau truc à la mode qui fait la fortune des garagistes et ruine la santé des jeunes fêtards, le GHB, “la drogue du violeur”, ou le GBL, un puissant dissolvant industriel qui fait le même effet que son homologue interdit et qui a vraisemblablement causé la mort d’un pauvre gars au Petit Bain y’a pas si longtemps... Qui sait ? En tout cas, GHB/GBL ou pas, sachez que cette perte de mémoire passagère aurait tout aussi bien pu survenir sans cette belle cuite réglementaire que j’avais pris cette nuit-là. Alors chers lecteurs, continuez de boire, sachez que ça fait le même effet – et par pitié ne mélangez pas l’alcool si vous prenez cette drogue, ça c’est très dangereux. Victor Taranne

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OURS

Confiseur Rédac’ chef Design Graphistes Couverture Rédaction

SR Digital Chefs de projets Partenariats Régie Pub Le Bonbon Siret Imprimé en France

Jacques de la Chaise Victor Taranne République Studio Coralie Bariot Juliette Creiser Lara Silber Angèle par Prioreau Alexandra Dumont Pierig Leray Masha Litvak Ivan Vronsky Emma Panchot Christian Alvarez Flavien Prioreau Louis Haeffner Antoine Viger Dulien Serriere Florian Yebga Fanny Lebizay Lionel Ponsin Benjamin Alazard 15, rue du Delta 75009 Paris 01 48 78 15 64 510 580 301 00040

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À la une

Angèle, rapide comme l’éclair

15 Expérience

Imaginary Porn Experience

21 Reportage

Peintres hollandais et binouzes

27 Cinéma

Festival de Cannes 2018, faites vos jeux

33 Soirée

30 tonnes de bambou au Grand Palais

35 Fiction

Voyage au bout de la teuf

40 Cinéma

Défendre la diversité sous toutes ses formes

44 Musique

Al’Tarba Interrogatoire

46 Photo

Emma Panchot

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HOTSPOTS

LA TECHNO AUX LONGUES DENTS On espère que vous courez vite, parce que Concrete lâche les chiens. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’ils ont les dents acérées et qu’ils ont franchement la dalle. Ce qui donne une soirée avec Varg (live), Karenn (live), Shlømo ou encore les Fils de Jacob. Bref, de sacrés gugusses de la techno. Karenn, Varg, Shlømo etc. @ Concrete Lundi 7 mai

Mai 2018

MERCI PATRONS ! Juste après le live de St Germain au Grand Rex, descendez quelques mètres plus bas pour l’aftershow avec deux Dj’s qui ont la science du disque et de la foule pour eux : DJ Deep et Alex From Tokyo. Ah, et St Germain descendra également pour mixer un petit peu. Merci qui ? Aftershow Saint Germain @ Rex Club Jeudi 17 mai

UNE TEUF LONGUE COMME LIEF Le jeune label LIEF Records, fondé par le Dj Waldman, a le vent en poupe. Pour la nouvelle édition de ses LIEF Night, rendez-vous dans un nouveau club niché près du canal de l’Ourcq pour seize heures de fête techno et house. Comme ça, sans pression. LIEF XXL @ Ouh Lala nuit Samedi 12 mai

LE GRAND PALAIS N’EST QU’UN ÉNORME VÉGÉTAL C’est le pari fou d’un seul homme : organiser une énorme fête house au Grand Palais et y amener 50 tonnes de végétaux pour transformer cette institution en jungle surexcitée. Et les Dj’s, alors ? Jamie Jones, Guy Gerber, Butch, dOP (live) et Michel Cleis. De jolies fleurs. Seasons Opening @ Grand Palais Samedi 26 mai

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À LA UNE

Interview

Angèle, rapide comme l’éclair Texte

VICTOR TARANNE FLAVIEN PRIOREAU

Photos

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À LA UNE

Angèle

C’est l’histoire d’un go fast entre Bruxelles et Paris. Une course à pleine vitesse qui convoque la pop et le rap, brûle tous les feux rouges et se gare en marche arrière sur une place laissée fumante par les pneus qui crissent. Voici donc Angèle et ses lunettes aérodynamiques, sa légèreté candide et son joli accent belge, qui part à la conquête de la pop contemporaine avec l’envie d’une femme moderne. 8


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Elles sont jolies tes lunettes de vitesse ! Merci ! C’est des lunettes de vélo quoi ! (rires) Tu es allée un peu vite entre Bruxelles et Paris. T’as aussi mis des lunettes de vitesse pour débuter ta carrière, non ? Oui, ça a été très rapide, en effet ! Il y a eu un mélange de chance et un bel entourage autour de moi, je pense notamment à ma famille et à mes amis. Puis il y a eu du travail, évidemment. J’ai eu la chance d’être repérée par les bonnes personnes, d’être entourée des bonnes personnes également, comme mon frère (le rappeur Roméo Elvis, ndlr), Damso et Charlotte (Charlotte Abramov, la réalisatrice des clips d’Angèle, ndlr). Tous ces gens-là ont été vraiment bienveillants et tous ont supporté mon travail. Ma manageuse, mon copain, ma famille étaient là… Et ça m’a vraiment donné de la force. Le début, c’était comment du coup ? J’ai commencé le piano à cinq ans et j’en ai fait jusqu’à mes 18 ans en classique. J’ai ensuite débuté une école de jazz pendant deux ans et c’est là que j’ai appris un peu plus à composer, ce qui m’a beaucoup aidée pour la suite. J’ai accompagné mon père sur scène en tant que claviériste, et j’écrivais des petites

chansonnettes en anglais mais qui ne racontaient pas grand-chose, c’était juste pour moi… Les vidéos Instagram, bien sûr, qui ont fait que mon manager m’a “repérée” – enfin, attention, pas du tout dans le sens requin, il était juste super intéressé par le boulot que je faisais. À ce moment-là, je travaillais avec Sylvie, qui est mon ancienne baby-sitteuse et une très bonne copine à moi. Elle m’aidait à organiser des concerts et tout, sauf qu’on ne connaissait rien du milieu et qu’on ne connaissait personne… Tu avais quel âge à cette période ? 19 ou 20 ans, je dirais (elle a aujourd’hui 22 ans, ndlr). Le manager en question, qui est soit dit en passant très chouette, s’est super bien entendu avec Sylvie, ce qui fait que je suis doublement accompagnée. Je suis avec quelqu’un qui a de l’expérience et du métier, qui fait un travail incroyable, et j’ai Sylvie qui est tout le temps avec moi, et qui a appris le métier très rapidement. Tu es une personne qui a besoin d’être entourée et dont on doit prendre soin ? Oui, je suis la petite sœur ! Avec Sylvie, je retrouve ce truc-là de la grande sœur qui me protège. Tout a été très vite parce que tout est aussi très bien ficelé. Si je n’étais pas entourée de personnes bienveillantes et qui m’ont montré la voie, ça n’aurait pas été aussi rapide.

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À LA UNE

Comment as-tu vécu le fait de quitter Bruxelles pour vivre à Paris ? Je n’ai pas vraiment quitté Bruxelles puisque j’y vis encore. En fait, je suis entre les deux. L’organisation de ma vie fait que c’est plus simple d’avoir un appart’ à Paris et un appart’ à Bruxelles, mais ce n’est pas tant le fait de quitter Bruxelles que de pouvoir la retrouver qui m’enchante. Quand je pars à Paris pour quelques jours, je retrouve toujours Bruxelles en me disant que c’est quand même vachement cool, comme ville. Retrouver sa ville, c’est important. Mais elle n’a pas vraiment le temps de me manquer puisque je ne pars jamais longtemps, mais je suis bien contente de retrouver mon chez-moi. Les gens y sont très cool et bon enfant. Rien à voir avec Paris où tout est plus cher, beaucoup plus stressant et où les gens sont bien plus serrés les uns aux autres. Comment Angèle se place dans ce paysage musical et médiatique qui semble l’appuyer ? C’est là que j’en reviens à cette idée de chance que j’évoquais au début. Une immense porte ouverte s’est créée pour une artiste comme moi. Je fais de la musique en français et je fais de la pop. La pop fonctionne toujours et, en plus, j’ai eu l’énorme poids des rappeurs qui, je ne sais pas pourquoi, m’ont soutenue. Je pense qu’il y a quand même un truc de “petite sœur”, car les rappeurs ont un délire très fraternel.

Angèle

Ah oui ? Si c’est la famille, on donne la force. Quand Damso m’a proposé de faire cette tournée, il y avait évidemment un truc où il voulait faire parler la scène de Bruxelles, mais il a aussi vu en moi une meuf pour contrer le fait qu’on le traite de sexiste. D’autant plus que je suis un peu considérée comme féministe. Il n’y a donc pas que le talent… Évidemment que non, et je ne dirais jamais ça ! En école de musique, j’ai rencontré énormément de gens avec du talent et j’ai trop d’amis qui font de la musique et qui sont extrêmement bons. Ils n’ont juste pas eu la même chance et le même appui que moi, c’est certain… Le talent, malheureusement, ne suffit plus, aujourd’hui… Ta musique, c’est un taf à plein temps ? Carrément, je fais bien ça à plein temps ! (rires) Je n’ai plus du tout de temps pour moi-même ! Je le fais à plein temps parce que je fais tout en même temps aussi. C’est-à-dire ? On a sorti La Loi de Murphy (son premier morceau, ndlr) en octobre en faisant le clip dix jours avant de le sortir. C’était hyper intense mais à la base, deux-trois mois avant, je n’avais pas de label, je voulais juste sortir ce clip à la cool, j’avais simplement un éditeur avec qui j’ai fait une co-édition, donc tranquille. Puis le morceau est sorti et en même temps on nous a proposé

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de faire la tournée de Damso, donc jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas arrêté. Le deuxième clip est sorti ensuite et là je suis en train de terminer l’album… Puis il y a les promos, évidemment. J’ai une question dystopique : n’as-tu pas peur que les réseaux sociaux, qui ont beaucoup fait pour toi, se transforment en intelligences artificielles capables d’orienter nos désirs ?

“Ce n’est pas tant le fait de quitter Bruxelles que de pouvoir la retrouver qui m’enchante.”

J’ai eu cette peur avec Facebook mais je me rends compte qu’aujourd’hui, Facebook, c’est terminé. Instagram, là c’est encore cool, mais dans cinq ans ça sera terminé également. Je pense qu’il y aura toujours des choses au-dessus. Ces réseaux sociaux sont juste le reflet un peu vicieux de l’humain, qui est de vouloir se montrer. L’humain se compare beaucoup et veut toujours montrer aux autres qu’il est le meilleur. Je m’en rends peut-être un peu moins compte puisque j’ai grandi avec ça, remarque. J’aurais peur que ça ait un trop gros impact sur la jeunesse, notamment celle qui me suit. Je suis jeune mais ceux qui me suivent le sont encore plus… Mes fans ont entre 18 et 22 ans, et en concert je suis étonnée de voir des filles très jeunes. Ce qui m’inquiète, c’est de voir ces filles se prendre sans arrêt en photo et qu’elles ne soient jamais contentes au final. Quand tu es adolescent, ça doit être terrible. Mais l’Humanité ne s’arrêtera pas à ce point. As-tu des fans hardcore ? Oui ! (rires) Le premier concert que j’ai fait il y a deux semaines et où j’étais

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À LA UNE

Angèle

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“Si tu fais de l’art, tu peux combattre chaque chose qui méritent de l’être” tête d’affiche et accompagnée de mon groupe, il y avait deux filles qui n’ont pas arrêté de hurler pendant toute la performance. On s’est vraiment tous regardés durant toute la durée du concert en se demandant ce qu’il se passait. Le truc, c’est que j’étais aussi impressionnée qu’elles. Je n’étais pas du tout prête pour ça à vrai dire. Quand deux filles te voient et hurlent, ça fait peur. Est-ce que cette idolâtrie te paraît naturelle ? En sortant des concerts, je me demandais vraiment ce qu’il m’arrivait. Et avec un pote chanteur – qui est accessoirement jury de The Voice –, j’en ai pas mal discuté. Il m’a dit quelque chose de très important : tu ne peux pas faire autrement que de créer un personnage qui établisse une distance entre la personne qui monte sur scène et qui fait son travail et la personne qui fait ses courses au supermarché et qui peut refuser la photo d’un fan parce que ça appartient à sa vie privée.

Pour revenir sur le féminisme, comment combats-tu au quotidien ? Je ne sais pas si je combats… Je ne suis pas militante et ça serait un peu hypocrite de ma part de le dire alors que je ne le suis pas. Je fais le minimum que je peux faire en tant qu’artiste et je porte ce t-shirt qu’on m’a donné (un t-shirt sur lequel est inscrit : “Women need more sleep than men because fighting the patriarchy is exhausting”, ndlr) pour donner de la visibilité à cette cause. Je l’ai porté avec Charlotte qui elle, pour le coup, est beaucoup plus militante que moi vu qu’elle a sorti un clip spécial qui en parle. Du coup on a porté ce t-shirt, la photo a super bien fonctionné et ça m’a un peu catégorisée dans un truc lié au féminisme mais qui finalement me va très bien. C’est un combat que moi j’ai toujours suivi puisque ma mère a toujours été intéressée par la cause, mais moi à la base je n’avais pas l’idée d’en parler dans mon métier. Avec l’ampleur que ça a pris, je me suis dit que j’allais assumer ce truc-là, et je dois avouer qu’au début, ça m’a fait un peu peur, surtout parce qu’on aurait pu me tomber dessus avec Damso. Mais au final non, l’un n’empêche pas l’autre. Si tu fais de l’art, tu peux combattre chaque chose qui mérite de l’être. Et de préférence en faisant passer de beaux messages. — Angèle se produira le samedi 2 juin au festival We Love Green . Elle se produira aussi au Trianon le mardi 22 mai (complet).

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EXPERIENCE

Interview

LE PORNO SANS ECRAN 14

PHOTO

TEXTE

ALEXANDRA DUMONT ADRIANA ESKENAZI

IMAGINARY PORN EXPERIENCE


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Chambre 206 , Hôt

el Gr and A mour, un couple nous entraîne dans ses ébats torrides. Dans nos oreilles s’immisce le détail des corps humides qui se frôlent et s’échauffent. Le porno d’Olympe de  G. se raconte sans l’image. Une œuvre alternative, éthique et féministe, conçue avec la Dj Piu Piu et l’artiste sonore Antoine Bertin, dans le cadre de leur Imaginary Club Experience, labellisé “porn” pour l’occasion. C’est la seconde édition, entre une performance avec le musicien NSDOS et une autre en préparation avec un architecte. Ils proposent un contenu immersif en son binaural (perception naturelle en 3D) et ASMR (technique empruntée à la relaxation) pour éveiller nos sens au gré des murmures d’une voix off qui accompagne la masturbation. 15


INTERVIEW

Comment vous est venue l’idée du porno auditif ? Piu Piu : Chacune de notre côté. Olympe de G. : Mais tu as pris les choses en main et monté ce projet très rapidement. Moi, je trouvais la production de films lourde, coûteuse et chronophage, j’y ai vu une opportunité de dépasser tout ça avec l’audio. Et toi, pourquoi avais-tu envie d’aller vers un contenu sexuel ? P : Il y a quelques années, j’ai demandé à des copines de s’enregistrer en train de se masturber puis j’en ai fait une mixtape. L’intimité, le sexe, la sexualité sont des sujets qui m’intéressent depuis longtemps. J’avais enfin l’occasion d’aller au bout de mes envies. À quand remonte votre premier visionnage ? P : J’avais neuf ans. C’était par hasard, mais j’y ai vite pris goût, en me sentant coupable. À 10-11 ans, j’ai découvert Manara, qui a développé mon goût de l’esthétisme. Ado, les films érotiques vintage Histoire d’O me passionnaient. J’aimais le look des meufs des années 70-80. J’y voyais un espace de liberté. O : Moi je m’y suis intéressée quand j’avais 17-18 ans. Je recherchais une éducation sexuelle. Comment faire une pipe ? Qu’est-ce qu’une golden shower ? Je voulais des réponses, comme si j’ouvrais une encyclopédie du sexe. En tant que créatrice de contenu, j’ai commencé il y a trois-quatre ans, en venant de la pub et du clip, car je trouvais que le porno manquait de créativité cinématographique. C’est important un regard féminin, pour renouveler le genre.

Imaginary Porn Experience

Réaliser un porno sans l’image, c’était un défi ? P : Le rapport à l’espace est primordial pour créer une œuvre immersive. C’est pour ça qu’on entend la circulation, une porte qui s’ouvre, l’eau dans la baignoire. Tous ces détails nous ont permis de scénariser l’action. O : J’ai appris un nouveau langage. J’avais déjà réalisé un film avec des plans macroscopiques au ralenti que je voulais accompagner de gros plans sonores, mais c’est impossible sur un plateau de tournage, à cause des lumières, des ventilos. Là, c’était mon obsession. Lélé, la performeuse, portait une veste à paillettes et une jupe en vinyle pour qu’on entende le froissement du vêtement. On a choisi ensemble la levrette plutôt que le missionnaire, car les bassins qui claquent ont un son reconnaissable, et du lubrifiant qui se dilue dans l’eau – qu’on utilise généralement pour les massages “body body” très gluants. C’est un délire spécial qui s’apparente à une naissance (rires), mais le son est hyper intéressant. Associer le son binaural à l’ASMR, c’est inédit dans le X ? O : L’ASMR non, mais ce qu’on a fait nous, oui. Lélé, qui est camgirl, fait de l’ASMR rose (une version modernisée du téléphone rose, ndlr). Elle se filme avec sa webcam, visage caché, et donne des “jerk off instructions” (instructions pour la branlette, ndlr) à la voix tout en se dévoilant. On trouve aussi du porno auditif amateur, comme ce site sur lequel on est tombés, qui propose une suite de liens avec des descriptions sommaires, du type “hot dude with irish accent”. Le truc dure 25 minutes et c’est enregistré avec les pieds, mais c’est excitant car

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© Bettina Pittaluga

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“Les garçons ne sont pas éduqués pour accorder de l’importance au désir de l’autre, pourtant le sexe, ça se fait à deux” 17


Imaginary Porn Experience

© Seren

a Salva

dori

INTERVIEW

assez réaliste. Nous, on propose une œuvre scénarisée et purement audio, c’est complètement inédit. Est-elle destinée à exciter autant les femmes que les hommes ? O : Oui, je l’espère. Surtout que chacun peut s’imaginer le type de corps qu’il veut. P : C’était important pour toi que ce ne soit pas genré. Tu as pensé à tout, tu avais même préparé un lexique (sourire). O : C’est plus évident qu’on ne le pense de parler des sexes sans nommer les parties génitales. Dans les instructions de masturbation, un homme devient mouillé et une femme devient dure. On espérait les exciter avec les mêmes mots.

Avec le porno auditif, le sexe gagne en spontanéité ? O : C’était l’idée. On s’émancipe totalement des injonctions du porno mainstream sur le type de corps qu’il faut avoir et comment il faut baiser. On propose à l’auditeur de créer son propre contenu érotique. Ça redonne de l’importance aux sensations et même au toucher si on s’abandonne les yeux fermés. P : Quand on regarde un porno, on a l’impression que tout est joué d’avance. Là, comme tu n’anticipes rien de ce qui va se passer, tu es complètement dans le présent. Ça laisse une liberté folle de s’imaginer dans la peau des personnages et de se laisser aller à l’aventure.

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Vous créez une interaction avec l’auditeur, dès les premières minutes de l’échange entre les deux partenaires… O : J’étais assise sur le lit avec des micros dans les oreilles, les yeux bandés, pour être au plus proche de votre oreille. L’auditeur est passif, voyeur et témoin d’une scène de sexe entre deux personnes. Le plus intrusif qu’on se permet à son encontre, c’est : « est-ce que tu me laisserais faire ça ? » On ne va pas plus loin pour qu’il ne se sente pas dégoûté ou mal à l’aise. On lui demande aussi s’il est d’accord pour entrer dans la chambre. L’attention est portée sur le consentement, y compris entre les deux performeurs. C’est très militant. P : C’est essentiel dans la manière de concevoir le rapport à l’autre. Les garçons ne sont pas éduqués pour accorder de l’importance au désir de l’autre, pourtant le sexe, ça se fait à deux. C’est important d’inclure le consentement et de le faire exister de manière fun ! O : Beaucoup de gens pensent que ça rend les choses tièdes, mais pour moi, c’est comme la capote, il faut l’intégrer comme une gymnastique à deux. Les acteurs ont une connexion particulière. On les entend rire pendant l’acte. Pour pallier un manque de réalisme qui a trait au porno mainstream ? O : Ils se font même des compliments mignons. Il y a une chose avec laquelle on ne peut pas tricher dans le porno, c’est la complicité entre les performeurs. Je ne leur demande pas d’être amoureux ni de se connaître depuis longtemps, simplement qu’ils aient envie l’un de l’autre. C’est Lélé qui a choisi son partenaire. Entre eux, c’était explosif et ça s’entend. On évite les expressions de plaisir stéréotypées du

genre « t’aimes ça » ou « mets-la-moi », et on gagne en sincérité. P : Le casting était une grosse prise de tête à cause de ça. Dans la manière usuelle de faire du porno, il y a des expressions qui sont des coupe-court à l’excitation. Il y a vraiment de mauvais acteurs, à croire que ça fait partie du folklore. Nous, on a été intransigeantes là-dessus. Qu’est-ce qui vous révulse dans le porno mainstream ? P : Quand tu sens que la fille n’a pas envie, ça me dégoûte. O : Je n’aime pas voir des chattes qui se font claquer, car ça ne fait pas du bien. Je trouve dommage que pour des angles de caméra et une espèce de représentation qui est censée exciter les mecs, on montre des pratiques qui dans la vraie vie ne marchent pas. Je préfère regarder du porno gay indie, au moins ils n’y a que des bites et ils savent s’en servir. P : Tu mets le doigt sur un truc intéressant. Quand tu étais jeune, tu disais utiliser le porno comme un apprentissage, mais comment un garçon peut faire plaisir à une fille, si on lui montre tout ce qu’il ne faut pas faire ? Doit-on diaboliser l’influence du porno chez les jeunes ? P : On n’a jamais raison de diaboliser quoi que ce soit. L’important c’est de multiplier les offres, proposer des alternatives au mainstream, et parler aux jeunes. Quand tu es ado, tu es curieux de ton corps et de celui des autres, tu as envie d’être bon au sexe, mais il n’y a rien d’autre qui s’offre à toi hormis trois cours d’éducation sexuelle avec ton prof de SVT. C’est important de créer un cadre pour découvrir sa sexualité de manière non-violente. O : Sur le mainstream, il y a des dérives

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INTERVIEW

Imaginary Porn Experience

“Un regard féminin est important pour renouveler le porno.” 20


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inquiétantes dans la représentation des femmes, qui vont de pair avec une surenchère du hardcore ! Le porno continue d’avoir un rôle éducatif pour beaucoup de jeunes, et c’est en ça qu’il a une responsabilité. Je milite pour des contenus d’éducation sexuelle, explicites et pornographiques, comme un manuel du sexe animé mais avec des vrais sexes, pas des schémas. Au moins, au moment de se lancer sur YouPorn, ils pourront identifier ce qui leur plaît. P : Sinon tu as toutes les chances de tomber sur un gang bang.

© Adriana Eskenazi

Plus jeunes, vous avez souffert du jugement des femmes qui avouent apprécier le porno ? O : Plus depuis que j’en fais ! À la puberté, j’avais une sexualité active, j’allais vers les garçons, alors on me traitait de salope. Mais depuis que j’ai fait mon “coming out porn” et que je l’assume partout sur le web – car je tourne aussi dans des pornos –, on me fait moins chier. Ça m’a libérée. P : Quand tu assumes, les gens en face de toi sont désarmés, mais on n’a pas la force de caractère nécessaire à 14 ans. Assumer aimer le sexe pour une femme, autant qu’un garçon, c’est compliqué. On est toujours la salope de l’autre. Même de femme à femme, il y a un jugement. Je l’ai très mal vécu. C’est aussi ça qui a éveillé en moi le désir de monter des projets féministes pour libérer les filles de cette pression sociale. Ce projet est-il un moyen de concurrencer le porno mainstream ? O : Dans nos rêves les plus fous, oui, mais on est réalistes. P : C’est comme faire un court-métrage

alternatif en se disant qu’il sera diffusé sur TF1. O : J’espère que les gens réfléchiront à leur consommation du porno. Comme s’ils regardaient leur premier documentaire sur la malbouffe alors qu’ils se nourrissent que de McDo (rires). Difficile de faire bouger les lignes de l’industrie du X ? O : Les projets éthiques et féministes se multiplient, comme ceux d’Erika Lust, mais il faut que les gens acceptent de payer pour financer une production décente qui soit faite par des réalisateurs qui ont des idées et des principes, et qui sont moins dans une course à l’enrichissement. Je suis allée voir Dorcel une seule fois pour réaliser un film, et ils m’ont proposé 4000€. Leur discours était : « c’est facile, tu loues un appart' et tu fais quatrecinq films dans l’après-midi ». Dorcel, c’est le haut du panier de la production mainstream française. Comment veux-tu produire des films correctement dans cette économie-là ? Dans notre société des écrans, dominée par la VR, diriez-vous que l’avenir du porno se joue dans l’audio ? P : Oui car c’est très immersif. O : La souplesse de l’audio est inégalable, en termes de coût de production, et puis c’est excitant de pouvoir consommer son porno partout, même dans le métro (sourire).

— Imaginary Porn Experience. Livre érotico-audio, disponible en téléchargement sur le site Audible

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REPORTAGE

Fête au Petit Palais

Peintres hollandais et binouzes Texte & Photo

MASHA LITVAK

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Le 13 avril dernier, le Petit Palais donnait une soirée en honneur des peintres hollandais. Ce qui se présentait comme un moyen de sensibiliser un public à une exposition a finalement tourné comme toutes les tentatives de sortie culturelle un vendredi soir : un apéro. Dj set, queue au bar et décor mirifique, tout ce qu’il fallait pour intégrer le Panthéon des soirées stylées, aux côtés de gens stylés, avec un but un peu plus stylé que celui consistant simplement à s’enivrer – n’oubliez pas, c’était dans un musée. Vendredi, 13 avril. Il est presque 20h. Le soleil se couche sur Paris, tandis que les âmes de fêtards s’éveillent. Le week-end, communément vécu comme une libération des chaînes du travail, permet aux êtres humains de lâcher prise, de s’adonner à des activités divertissantes et de déconnecter leur bulbe – pour le peu qui correspondent à une frange confortable de la population. Ainsi, tout ce temps rendu disponible par l’absence d’obligations lucratives ouvre la voie à des sorties culturelles, l’entretien de sa vie sociale ou même les deux à la fois pour les plus audacieux. Malheureusement, les moments passés avec ses amis se révèlent souvent être un gouffre aussi bien financier que physiologique ; on donne son accord pour déguster une bière, on finit le lendemain avec un mal de crâne équivalent à 15 heures d’écoute de Despacito, les poumons atrophiés, la carte bancaire en situation critique. Aucune pensée intellectuelle ne transite par le cerveau – sauf celle de la culpabilité d’avoir passé un énième week-end à jouer avec ses points vie et ses responsabilités. Je répète : cette description correspond à la vie de quelqu’un de plutôt aisé, vivant plutôt en Occident. Si vos valeurs ne correspondent

pas à celles d’un rythme capitaliste teinté d’hédonisme 2.0, passez votre chemin. Ce qu’il y a d’extraordinaire avec Paris, c’est bien cette cohabitation inédite entre une offre culturelle foisonnante et un esprit festif frénétique. Le problème est que pour profiter de l’un, il faut sacrifier l’autre. Et le dilemme revient chaque semaine : faire la fête ou stimuler sa matière grise ? Toutefois, les promoteurs culturels ont toujours plus d’un tour dans leur sac et, pour éviter ce genre de choix cornélien, pensent des liaisons entre des univers artistiques aux codes différents, afin de faire tout plein d’heureux. C’est ainsi que des événements comme celui de ce vendredi 13 prennent vie. Le Petit Palais, institution mythique, s’est donc allié à Trax Magazine, fer de lance de la presse électronique française, pour une soirée encore plus inédite que ce festival réunissant K’Maro, Tragédie et les L5. Parce que bon, ils sont bien sympas avec leur revival des 90’s mais en attendant, il y a des gens qui proposent des choses visionnaires, comme inviter un artiste à mixer pour promouvoir une exposition sur les figures hollandaises de la peinture. Je vous l’accorde, on frôle le même niveau d’excitation que la sortie de l’album posthume de David Bowie ou du vote Macron au second tour de la présidentielle – non pas contre le FN, mais par conviction. De cette façon, Trax nous montre que ce qu’il y a de super beau dans l’art, c’est l’absence de frontière, et qu’en 2018 nous pouvons nous vanter d’écouter de la techno dans un musée bâti en 1900, à l’occasion d’une Exposition universelle. Pour toujours plus de sensations et de stories Instagram stylées. J’y suis donc allée avec tout

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REPORTAGE

l’enthousiasme d’un vendredi soir, mêlé à ma sensibilité artistique qui me fait autant aimer un Mondrian que l’image romantique des cadavres de bières à la fin d’une soirée. Assise sur un banc aux abords du Petit Palais, je repérais déjà quelques canettes au contenu alcoolisé jetées par des individus en sneakers-casquette-tote bag – des signes qui ne trompent pas. Une queue semblable à celle du Rex une nuit de Laurent Garnier était formée devant l’entrée, pas tant par sa longueur que par les profils qui la composaient. Des amis également amateurs de fête et d’art m’ont rejointe, déjà égayés par quelques coupes de rosé bues auparavant, et je songeais moi aussi à me délecter d’un breuvage à 11 degrés pour accompagner le soleil, la musique, la vue sublime.

Fête au Petit Palais

Musées are the new rooftops éphémères En entrant, la Galerie Sud semblait d’autant plus immense qu’elle était vide, seulement emplie par la réverbération des kicks. Pour croiser des âmes humaines, il fallut accéder au magnifique jardin exotique où les ombres des palmiers interagissaient avec celles des visiteurs, des canettes de Heineken, des bouteilles de vin et des cigarettes. Car oui, en l’espace de quelques instants, ce lieu culturel historique avait pris des allures de repaire à gens-branchés-sirotant-unverre-dans-un-spot-inédit-repéré-sur-leFacebook-du-Bonbon. Et la promotion de l’exposition sur les peintres hollandais se faisait engloutir par l’ambiance d’un apéro estival. Mon premier témoignage à ce sujet est unanime : « J’ai sauté sur la bouteille avant d’aller voir l’expo. On fait une soirée dans un lieu extrêmement magnifique, qui ressort du patrimoine, et j’ai rarement l’occasion d’être dans un spot aussi joli pour faire la fête. ». La teuf, nouvel outil transcendantal pour ces musées chiants et passéistes – prends donc note, ministère de la Culture : si tu veux rajeunir tes centres culturels, ramène un Dj et ça prendra 10 points sur l’échelle du cool. Pour ne pas sortir de l’esprit festif, une queue longeait l’autre élément-clé d’une soirée : le bar. À 5€ les 33cl de bière et 30€ la bouteille de pinard, tout était en place pour rappeler le côté sympa des clubs parisiens – avec un meilleur décor et des gens moins amochés par les substances, tout de même. Des groupes s’agglutinaient dans les recoins du jardin, la circulation se faisait de plus en plus difficile parmi les individus armés de verres ou de clopes. Au fur et à mesure que le

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soleil se couchait, les corps des personnes se déplaçaient vers le centre névralgique de la soirée : la piste de danse. Avec une moyenne d’âge de 25 ans, la masse de danseurs se conformait au lectorat de Trax Magazine, et il faut admettre que les avoir sorti des secret warehouses est une grande réussite pour la politique du Petit Palais. D’après la vendeuse de la boutique de souvenirs, le public habituel serait majoritairement composé de personnes âgées – pas besoin de consulter l’INSEE pour s’en douter. Je devine alors la volonté du musée des Beaux Arts d’ouvrir sa collection à ces jeunots pour qui Internet constitue déjà une énorme galerie. La meilleure manière de le faire étant de lier un partenariat avec un média fédérateur d’une jeunesse friande de contre-cultures, biberonnée par la récupération occidentale du bouddhisme (une sorte d’individualisme décomplexé) et, par extension, colporteuse de tendances. Je ne saurais dire s’il s’agissait d’une opération marketing – pensez au chiffre qu’a dû se faire le bar, bon sang – ou d’un réel désir de sensibiliser un public jeune à la beauté du patrimoine artistique. Je laisse ce questionnement binaire à votre merci, lecteurs ; n’hésitez pas à me tacler intérieurement si vous n’êtes pas d’accord, parce que l’esprit critique, c’est important en ces temps de fake news et de « faut réformer !! ». En tout cas, il faut avouer que les jeunes n’étaient pas les seuls à venir se prendre cette dose de sensations dans la tronche. Au sein des danseurs, deux femmes d’une cinquantaine d’années se trémoussaient avec bien plus de grâce et de vie que n’importe quel pisto sous [insérer nom de drogue à la mode au moment où vous lisez cet article].

Surstimulation du ciboulot et souvenirs virtuels Je continuerai à titiller votre mépris envers ma logorrhée de rabat-joie avec le concept qui m’a le plus traversé durant cette soirée : l’hyperréalité. Jean Baudrillard fait partie de ses théoriciens, et le résume par une surabondance d’informations vidées de leur sens, une mise en scène qui effacerait le réel au profit de quelques sensations dominantes. Et admettons-le, le lien entre les codes du dancefloor et ceux du musée était difficilement perceptible, si ce n’est absent. Même le Dj booké n’avait de néerlandais que sa nationalité – mais bon, la musique électronique efface les frontières « mec », on n’allait quand même pas se taper tous les tubes du Thunderdome parce que les

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REPORTAGE

Fête au Petit Palais

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Pays-Bas ont vu émerger le gabber. Les couloirs de l’exposition étaient de véritables havres de paix comparés à l’atmosphère désinhibée de la Galerie Sud. Quelques jeunes gens se baladaient hagards ou plus ou moins intéressés, une poignée de couples de touristes circulaient sans grande sensibilité pour le brouhaha au loin, et un vieil homme en trench observait les œuvres exposées avec une attention touchante. La rétrospective de ces peintres néerlandais paraissait intéressante, seulement la concentration avec les facteurs vintechno-fatigue se faisait aussi difficile qu’un trajet dans la ligne 13 en heure de pointe. Un autre témoignage poignant s’immisce : « franchement l’expo a l’air top, là je commence à être trop pompette pour comprendre mais ça donne envie de revenir ». Trax et le Petit Palais ont donc eu le mérite d’éveiller la curiosité de ces individus dont le vendredi soir est mécaniquement destiné aux apéros, que ce soit entre les murs d’un musée ou dans un bar bruyant – oh wait, il y avait bien un bar bruyant entre les murs de ce musée. Un point bonus également pour tout le contenu photographique qui a dû faire un bon coup de com’ à l’exposition, en même temps normal, « c’est vraiment dingue de danser dans un lieu pareil ». 21h30, la fête est finie. Nous nous faisons escorter par le cortège de sécurité,

étrangement semblable à l’équipe SQUAD de Concrete en un peu plus poli, ambiance Petit Palais oblige. La musique s’arrête d’un coup dans la Galerie Sud, et la foule compacte se dirige vers la sortie si sagement que je réalise concrètement l’inadéquation de ce lieu avec la fête. Une interrogation me taraude à l’issue de cette extraordinaire expérience anthropologique : les musées, avec tout ce qu’ils engagent en comportements (comme la sobriété et la contemplation), sont ils réellement compatibles avec les dancefloors électro (et leur lot de débauche, soyons honnêtes) ? En fin de compte, je pense que ce n’est pas le plus important. Car chacun, moi y compris, a eu sa dose d’émerveillement aussi bien réel que virtuel (parce que oui, fallait montrer tout ça via Internet et attiser la jalousie des absents qui n’ont pas vécu ce moment ex-ce-ption-nel). Et putain, ça changeait de la crasse de certaines teufs – même celles dans les clubs aseptisés – ou de l’austérité des musées. Il serait peut-être temps de rendre les premières moins excessives et les seconds moins élitistes, d’apprendre aux gens à ne pas vomir sur les fauteuils en similicuir après le Jagerbomb de trop, et aux commissaires de trouver des façons plus cohérentes d’attirer les jeunes qu’en leur faisant pratiquer ce qu’ils font déjà très bien sans eux.

“Une sensibilité artistique qui me fait autant aimer un Mondrian que l’image romantique des cadavres de bières en fin de soirée.” 27


CINÉMA

Cannes 2018

Festival de Cannes 2018 faites vos jeux

Révolution ! Mais où sont les Dardenne, le dernier Audiard, la soubrette Dolan, le cercle de l’entre-soi mis en scène par la puissante combinaison FrémauxLescure ? À la trappe ! Que de nouveauté à Cannes cette année ! Selfie interdit sur les marches, adios Netflix (sélection uniquement de films sortant en salles),

la presse mise à l’amende (suppression des séances avant la première diffusion) et donc une sélection 2018 qui prône le renouveau, vent de folie et fraîcheur retrouvée, nous qui tendions à suffoquer dans une sélection 2017 meurtrie par les erreurs de casting. La star c’est Godard ! Voilà un beau pied de nez à l’industrie cinématographique qui tente tant bien que mal de faire du neuf avec des idées de vieux. Et c’est bien le réacohelvétique qui sera la tête d’affiche de ce nouveau festival, avec à ses côtés, la bombe annoncée du type de It Follows, Under the Silver Lake . Sans oublier le comeback du nazi oublié Lars Von Trier après son titre honorifique de persona non grata il y a sept ans et du Don Quichotte de Gilliam, le film maudit, avec Adam Driver en Sancho Panza. Comme chaque année, tentative désespérée de pronostics à ne surtout pas relire en fin de quinzaine.

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Top 5 de nos plus grosses attentes 1. Le livre d’image de Jean-Luc Godard : comment ne pas suffoquer à l’idée de découvrir les nouvelles images d’un Godard au bord de la rupture qui nous amène dans un docu-fiction en cinq chapitres sur le monde arabe en 2017. Gros dérapage ou coup de génie ? 2. Un couteau dans le cœur de Yann Gonzales : mon protégé, le metteur en scène le plus chébran du monde revient après le splendide Les rencontres d’après Minuit , Nicolas Maury dans la main et c’est Vanessa Paradis qui lui donnera la réplique baveuse dans le milieu du porno gay. 3. Under the Silver Lake de David Robert Mitchell : après l’absolutisme du film d’horreur et son It Follows qui hante encore, Mitchell revient avec une histoire de disparition codée à travers d’obscurs messages cachés dans une société contemporaine Brazilienne. Gros outsider, mais on a dit place aux jeunes ! 4. Lazzaro Felice de Alice Rohrwacher : la jeune (encore !) réalisatrice italienne m’avait bouleversé avec le prix du jury cannois de 2016 La Meraviglie et elle devrait de nouveau étinceler sur la croisette avec son mélange subtil et signature entre la réalité de la terre paysanne et l’imaginaire utopiste enfantin.

Under the SIlver lake

The house that Jack built

5. The House That Jack Built de Lars Von Trier : le comeback du méchant sympathisant pour Hitler ; hormis cette polémique absurde, on espère un retour déroutant et réussi pour un Lars Von Trier qui s’épuisait quelque peu dans le cul mal odorant (Nymphomaniac). Avec cette histoire de tueur en série et Uma Thurman en tête, cela peut être la grande réussite des films hors compétition (le Star Wars et l’histoire d’Han Solo est semblerait-il catastrophique).

Prédiction infondée L’heure des paris sans même voir un film, ça nous connaît bien. Pour commencer, je vois très bien Cate Blanchett jouer le corporatisme “balance ton porc” en récompensant par un Grand Prix Eva Husson et Les filles du soleil. Tandis que Godard partira les mains vides, bien loin de toute cette agitation dans sa ville de Rolle en Suisse, Lazzaro Felice précédemment citée sera la gagnante du Prix du Jury tandis que les Français Honoré avec Plaire, aimer et courir vite et Brizé avec En guerre repartiront éventuellement avec un prix d’interprétation (Lindon ? Lacoste ? Rover ?). Et la palme ? Soit la révolution est totale et elle sera donnée à l’inexpérience et une mise en scène intuitive (Hamagushi et son Asako,

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CINÉMA

Par Pierig Leray

Guy, de Alex Lutz

Dvortsevoy et Ayka) ou la bonne palme rassurante et inattaquable avec le forcément réussi Todos los saben de Farhadi en ouverture et le duo BardemCruz. Réponse le 18 mai prochain.

Et les autres alors ? On n’oublie bien entendu pas les sélections parallèles et notamment celle de l’ACID – les responsables en interview dans ce numéro – avec deux films qui me tapent à l’œil : le documentaire sur le fantasque catcheur gay Cassandro the Exotico de Marie Losier et We the Coyotes de Hanna Ladoul et Marco La Via qui parlera des 24 premières heures d’une nouvelle vie d’un couple à Los Angeles. À la Quinzaine, bien sûr le dernier Gaspard Noé Climax et son pote Romain Gavras avec Le monde est à toi qui s’annonce comme une grosse claque trashos dans le milieu du deal. À

la semaine de la critique, le premier film d’Alex Lutz en fermeture avec Guy, faux documentaire sur un chanteur français has-been interprété également par Lutz et Sauvage de Camille Vidal-Naquet, film choc sur le milieu de la prostitution. Cette année Un certain regard, tout comme la sélection officielle, lance des très jeunes cinéastes sans grandes références ; on peut ressortir deux films très attendus : celui du belge Lukas Dhont Girl et Meurs, Monstre, Meurs de l’Argentin Alejandro Fadel après le très réussi The Wild Onces en 2012. Et on finit avec trois mastodontes en hors compétition, Solo : A Star Wars Story de Ron Howard, tellement mal embarqué que le scénario et le réalisateur ont changé pendant la production du film, le terriblement attendu L’Homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam et le pas du tout attendu car ça sent sévèrement le sapin, Le Grand Bain du teufer Gilles Lellouche. • Pierig Leray

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Cassandro the exotico

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NIGHTLIFE

Monde de la nuit

30 tonnes de bambou verrière d’Europe pour Texte

CHRISTIAN ALVAREZ

Dans les discussions mondaines autour d’un café ou d’une bière revient souvent une idée simple et raccourcie de la vie parisienne : c’est une véritable jungle. Trafic, agitation, stress et pas mal de piétons qui ne traversent pas dans les clous ni même au feu vert – une hérésie que nos voisins européens nous reprochent sans arrêt. Évidemment, que Paris soit une jungle est une image faussée de la réalité. Quoique… Il y a bien un petit coin de Paris qui, le temps d’une nuit, se transformera en jungle, en vraie, et pas n’importe quel lieu puisque ce sera la nef du Grand Palais qui l’accueillera. Pour la soirée d’ouverture de Seasons, une nouvelle fête parisienne qui s’inspirera des différentes saisons pour proposer un concept rafraîchissant : une scénographie pensée en profondeur, des Dj’s à la pointe de la musique électronique… et un lieu

absolument magique pour organiser cela – la nef du Grand Palais, donc, et sa somptueuse verrière, la plus grande d’Europe. « Ce qu’il manquait à Paris, c’est une soirée qui ne soit pas simplement qu’une soirée mais surtout un grand show, une véritable performance », m’explique son fondateur, Michaël Rheins, un ancien Dj reconverti dans de l’événementiel pour des marques de luxe et qui s’est donné avec Seasons un défi de taille, « un rêve de gosse même » : organiser le plus gros événement électro de l’année 2018. « Vingt semi-remorques provenant des quatre coins de la France vont amener à Paris les végétaux qui vont être utilisés pour notre scénographie. » Et ces végétaux comprennent bambous, kentias, arecas, strelizia augusta et palmiers, dont certains atteindront douze mètres de

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sous la plus grande une soirée magistrale

hauteur et qui seront répartis sur les 13 700 m2 qui constituent la nef du Grand Palais. Rarement une soirée aura donc autant poussé son travail scénographique.

de Puff Daddy, mais aussi le trio français dOP pour leur live révolté, Butch et sa précision légendaire et Michel Cleis pour clore cette programmation exigeante.

Niveau light, c’est un peu le même combat : la barre est fixée très haut. Attendez-vous à « un light-show unique composé de Portman P1 / P2 combiné avec d’autres machines type Robe MegaPointe », ce qui se fait de mieux actuellement en termes d’habillage lumière – le tout orchestré par d’excellents techniciens. Pour le système-son, ce sera la sono irréprochable de L-Acoustics.

« Cette fête et les suivantes, je les réalise vraiment pour des raisons culturelles car je ne ferai clairement pas d’argent là-dessus. » Et pour ceux qui reprochent à Seasons d’être cher (entre 50€ et 70€), Michaël Rheins répond simplement que c’est proportionnel aux coûts de production – presque un million d’euros tout de même. La fête de l’année, on vous dit !

Pour la programmation, car Seasons reste une fête, ce seront les plus grands représentants de la scène house internationale : le fondateur du label Hot Creations, Jamie Jones, l’Israélien Guy Gerber, habitué d’Ibiza et collaborateur

— Seasons Opening au Grand Palais avec Jamie Jones, Butch, Guy Gerber et… 30 tonnes de bambou ! Le samedi 26 mai

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FICTION

Épisode 3

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VOYAGE AU BOUT DE LA TEUF Texte

IVAN VRONSKY

Photos

PROPAGANDA MOSCOW

Nos teufs semblent bien trop pâles dans les chroniques. Ou plutôt, elles sont plates. C’en est désespérant. Pourtant, votre humble serviteur ici présent a ratissé le fond lubrique de cette satanée nuit parisienne. Pris de vertige face à la purulence et la satiété, la haine et la joie, voici le récit personnalisé des visages de ceux qui accueillent sans répit vos haleines chargées d’alcool et d’éther, vos mines fripées et vos airs religieux. Cessez de croire que cette nuit est ludique pour tout le monde. Il y en a, dans les bas-fonds écorchés de vos soirées, qui en bavent. Voici leurs portraits. 35


FICTION

Cet œil m’observe sans jamais cligner. Avec sa petite lumière rouge, jamais trop forte, comme pour ne pas trop attirer nos regards mais en même temps s’assurer qu’on ne l’oubliera jamais. Cette foutue caméra est devenue une obsession. Je n’avais pas tout compris à mes débuts. On m’avait parlé d’engagement, de polyvalence. Pire, mon ego avait été salement tripoté jusqu’à ce qu’un liquide visqueux coule, bouillant, entre les doigts du moustachu lubrique à l’origine de cette “juteuse offre d’emploi”. Il fallait de l’ambition pour un tel poste. J’allais avoir un rôle décisionnaire, à l’issue de cet entretien, dans cette magnifique structure de nuit. Il comptait évidemment en ouvrir d’autres, élargir les murs, bref, devenir – avec moi – un ponte de la nuit parisienne.

Épisode 3

C’était vite vu, j’en mouillais sale pour ce poste. Quelle conne. La caméra est toujours là. Parfois, j’ai la sale impression qu’elle me fait un clin d’œil vulgaire. Elle veut s’assurer qu’elle reste une hantise malsaine pour moi. Son angle est assez étrange. On dirait qu’elle a été parfaitement axée pour avoir la caisse et mon cul en gros plan. Que cela soit derrière le bar, derrière le guichet ou dans le vestiaire. Mon boule est en constant plan serré. Je sais très bien que ça se tripote dans les bureaux d’en haut. Pas crédule pour un sou, ce vieux vicelard me veut comme pas possible. Il transpire à chaque fois que je mets un legging ou une jupe, il se fait des sessions de matage poudré dans son poste de surveillance, il en ressort la bouche sèche, le teint blême,

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la nuque trempée. « Mets-moi un p’tit Get ma jolie », il me dit alors. Une fois sur deux, il est agrémenté d’un mollard. Chacun notre tour, on crache la sauce. Seulement, y’a que lui qu’avale. Trop sûre de moi, j’ai signé sans rien questionner. Il me fascinait ce con. Un truc sauvage se dégage de lui, une espèce de violence qui peut péter à n’importe quel moment. Il la jouait cool avec moi. On devait être alliés. J’avais même l’impression qu’il reluquait moins mes nibards que les autres. J’aurais dû me douter. Petit, les cheveux gominés, la moustache acérée et puis cette odeur d’eau de Cologne, comme une éponge imbibée. Un Italien ! Pourtant, tout le monde sait que ce pays n’est qu’un ramassis de crétins puant la virilité bafouée et la haine. Des nazes qui ne savent que faire des voitures pour bourgeois aux mini-bites et des pâtes pour les pauvres qui meurent de faim. Au début, y’avait pas ces caméras. Seulement, “la formation” a mis plus de temps que prévu. En fait, tout a pris un temps si démesuré que j’ai abandonné. Mon contrat a mis plus de six mois à arriver entre mes pattes. Ce qu’il faut savoir, c’est que ce patron, bien que détesté par tout son staff, a réussi à contrôler tout ce petit monde avec une facilité déconcertante. De la sécu’

jusqu’aux techniquos, nous sommes tous soumis à sa tyrannie. Ici, personne n’est pote. On fait notre taff, comme des mineurs, on charbonne et on se casse. Certains ont plus d’aisance. Benett’ et ses Portugais adorent taper des arabes dans les angles morts, Gabriel essaye d’arranger une turlutte de ma part au patron et le reste du staff rêve juste de mon cul à chaque discussion. Personne ne m’aura ici. Ces chiens de la casse bavent longuement sur mon corps. C’est insupportable. Il suffit qu’il y ait un personnage féminin dans une histoire et ce sont ses courbes qui deviennent l’objet central des considérations. Jamais on ne viendra questionner sa vision des choses. Jamais on ne saura que Jessica qui s’occupe du vestiaire et du bar a des idées politiques ferventes. Tout le monde s’en tape que Jessica espère qu’un jour ce patriarcat, cette haine de la femme libre et indépendante, disparaîtra sous les coups d’une milice de meufs trop déter' qui, armées de manches de pioche et de casques, iront arracher les couilles ou fracasser le crâne de tous ces crevards en chien qui harcèlent, frappent, insultent d’autres camarades. Ils veulent juste espérer qu’un jour je daigne leur vider les couilles d’une manière douce et agréable. Quand je suis préposée au vestiaire, la galerie humaine qui me fait face n’est qu’un étrange amas de bourgeois cons

“Il suffit qu’il y ait un personnage féminin dans une histoire et ce sont ses courbes qui deviennent l’objet central des considérations.” 37


FICTION

Épisode 3

“Nous sommes les serviteurs de leurs joies éphémères et nous devons garder la tête haute malgré les sourires narquois et les insinuations sexuelles.” comme leurs pompes. Il essayent de faire passer deux vestes pour une, de mettre leurs bonnets et écharpes dans leurs manches. Pire, ces forceurs accompagnent évidemment leurs gestes de paroles censées “me faire tomber”. Pour chacun d’entre eux, je n’hésite jamais à taper dans leur portefeuille laissé radinement dans leur veste pour éviter d’être, dans un tourbillon de molly, tenté de payer un verre. Je suis la place forcée qui, immobile, voit l’évolution de la soirée sur les visages crispés de ces jeunes tarés. Ils arrivent souvent alcoolisés mais assez fringants et sûrs d’eux. Ce sont des mines patibulaires qui reviennent, crispées et figées dans une extase factice. Ils articulent bêtement un “bonne soirée” et sortent éblouis par un soleil qui décidément n’en aura jamais rien à foutre de leurs indécences matinales. Au bar, les mains baladeuses sont prodigieusement écrabouillées par mon collègue Marco. C’est le seul qui me soutient. J’en viens à espérer qu’il soit toujours prêt de moi, à me protéger de ce harcèlement constant. Et puis je me reprends et me rends compte de la bêtise de cette posture. Pauvre cocotte, protégée par Marco le gay de service qui fait des Mojitos d’une main et inspire gaiement du Poppers de l’autre, en toute décontraction, sans que cela ne puisse gêner quiconque. C’est lui qui essaye pourtant de me

détendre et de m’assurer qu’une place existe pour moi. C’est vrai, il dit qu’on est ensemble contre tous ces connards. Avec ses yeux noirs, sa tête chauve et ses veines qui sont sur le point d’exploser, il répète inlassablement : « Tous les murs qui nous bloquent, brisons, avance, laisse-les klaxonner, viens, la vitesse de mon son, frisons ». Il arrive sans cesse à me remettre en route, comme si j’étais un moteur en manque d’huile. Je l’écoute docilement, une sorte de quiétude m’envahit, je lui souris et je cesse ces grommellements furieux. Mais déjà ça se gâte. On me commande « deux Mojitos bien chargés » d’un air entendu, puis l’un d’eux m’ajoute dans un plissement de paupière ridicule, « la menthe est bio ou pas ? ». Puis, c’est la tournée des intentions vaseuses. « Paiement sans contact ? - Non, moi j’aime le contact… » Les clients savent créer une foutue rage sous nos crânes. La foule s’avance, heureuse de cette société de service et prompte à te démembrer au moindre faux pas. La soirée s’enchaîne dans sa violence habituelle. « On sent pas l’alcool dans ton verre », « Un Mojito steuplait », « Tu m’offres un shot ? », « Et sinon tu t’appelles comment ? », « Un Mojito ! », « Tu finis à quelle heure ? », « En fait c’est pas un Mojito mais trois ! », « Faut sourire dans la vie », « Si t’es pas contente, démissionne ! », « Eh, dis-lui de

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se calmer, elle parle trop mal ta collègue ». Et toujours Marco pour venir sauver la partie quand j’ai préparé un tesson de bouteille pour m’assurer sa jugulaire. Tenir un bar, un vestiaire, un guichet dans une boîte de nuit parisienne relève donc d’une infernale autodestruction. Ces fêtes sont excluantes, nous sommes les serviteurs de leurs joies éphémères et nous devons garder la tête haute malgré les sourires narquois et les insinuations sexuelles. Les types en polo rose, short vert et mocassins arrivent en meute dès juin, féroces dans leurs outrages avec leurs casques de cheveux et leurs dents satinées. Ils fument des Marlboro Light d’un air prude, sourient devant leurs copains lorsqu’ils font leurs avances

débiles, je les entends jacter en partant : « je me la taperais bien cette conne ». Entre eux et nous, c’est bien un fossé de haine qui nous sépare. Nos seuls liens sont ceux du Mojito, ce cocktail honteux où la menthe et le sucre abreuvent un rhum industriel pour provoquer sueur et animalité en des blancs-becs aux orbites brûlants de leurs egos gonflés. Marco, je l’adore, il les soumet brutalement. Une tape sur l’épaule, un claquement de lèvre et ces Arthur, Antoine et Simon évacuent fissa le bar, secoués par cet homosexuel qui avec ses doigts et sa bite arracherait leurs fantasmes tout en secouant violemment cet amour propre dégueulasse qu’a tout Versaillais qui se respecte. Suite au prochain numéro.

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CINÉMA

Dossier

Défendre la diversité du cinéma sous toutes ses formes

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Résister et tenter de niveler les inégalités d’un milieu qui s’en nourrit. Voilà la volonté de l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion depuis plus de 20  ans. Je rencontre aujourd’hui Idir Serghine, co-président de l’association et réalisateur, ainsi que Fabienne Hanclot, déléguée générale de l’association pour mieux comprendre l’importance de l’ACID et sa place dans le cinéma indépendant. Dans un monde qui dérive, cette rencontre redonne espoir dans le choix de la qualité et de l’audace artistique plutôt que dans la quantité et la médiocrité populaires. Ouf, j’étais à deux doigts d’abandonner. Texte

PIERIG LERAY

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CINÉMA

Dossier

L’ACID a été pensé à travers le manifeste d’Henri Langlois de 1991 Résister où il avance que « tous les films sont égaux » ; est-ce là l’idée principale de l’ACID, égaliser les chances ? Fabienne Hanclot : Oui, et principalement pour niveler les inégalités de distribution. En effet, au départ les films étaient très peu vus en régions, et l’idée de l’ACID était d’aller les diffuser directement auprès des salles en créant une chaîne directe entre l’auteur, la salle et le public. Tirer des copies et faire le tour de la France pour les montrer. Idir Serghine : Et de résister à la contrainte de marché qui écrase les films que l’on défend, créer des brèches pour s’y engouffrer et diffuser nos films pour défendre la diversité sous toutes ses formes. Justement, comment réussir à garder cette diversité de proposition mais dans une certaine homogénéité dans la sélection artistique de vos films ? IS : On refuse l’idée d’un étiquetage ACID, on défend n’avoir aucune ligne rédactionnelle. La seule homogénéité que l’on pourrait déceler, c’est l’audace de la proposition artistique. L’audace du geste malgré les maladresses qui peuvent d’ailleurs créer la force du film. On est sensibles aux tentatives, sans pour autant qu’elles soient réussies. Nous sommes exigeants mais généreux. Il ne faut pas oublier que nous sommes une association de réalisateurs, solidaires les uns envers les autres. FH : Les deux seuls critères sont simples,

moins de 40 copies et uniquement des distributeurs indépendants. Pas de ligne éditoriale mais une conviction principale, celle de se battre pour les films que l’on sélectionne. Lorsque dix cinéastes d’âges et de sensibilités différentes sont emballés par un film, il ne peut y avoir aucun retour en salles. L’exemple le plus cinglant est avec Sans Adieu l’année dernière, rejeté par les distributeurs et qui a fait 50 000 entrées. L’idée est de renverser l’offre et la demande. Comment ont évolué les propositions artistiques des films indépendants sélectionnés par l’ACID ces dernières années ? IS : C’est clairement le décloisonnement entre la fiction et le documentaire. Et la raison est simple, faire de la fiction demande énormément de subventions. Et pour avoir cet argent, il faut formater ton projet, le broyer à la moulinette. Généralement la bonne idée de base est vidée de son substrat. Savoir y résister, se battre pour son projet jusqu’au bout malgré la pression économique, c’est ça que l’on veut défendre. Quelle est l’importance de l’ACID Cannes et vos ambitions avec une telle exposition ? FH : Elle est indispensable et vitale. C’est la meilleure vitrine professionnelle qui soit, tout le monde produit à Cannes. Et nous sommes convaincus depuis 1993 que le cinéma indépendant y a toute sa place. Par contre, nous sommes hors toute compétition, notre seul lien avec le festival est la location de salles et leur aval. Le seul côté malsain d’une telle

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exposition, c’est que tout le monde veut y être. On reçoit des centaines de films à visionner en peu de temps et ce n’est pas l’idéal. IS : Oui, les films ont une vraie tribune, une exposition énorme, un retour de la presse internationale. Et on en profite pour défendre le cinéma que l’on aime, affirmer notre spécificité. Et surtout, révéler les cinéastes de demain comme Serge Bozon (La reine des pommes, La Chambre bleue) par exemple, passé par l’ACID. Comment gérez-vous la ligne étroite entre votre démarche associative et votre engagement politique ? FH : En France, les décisions politiques se font en concertation avec les professionnels du cinéma. C’est donc d’ordre commun que les associations participant au débat politique sont également financées par l’État avec lequel elles discutent. C’est certes un terrain glissant mais ça ne nous empêche pas de gueuler non plus ! Mais on a un vrai rôle d’expertise, nous qui sommes directement sur le terrain. Avec ACID Trip (programme d’échanges européens sur le cinéma indépendant, ndlr), vous ouvrez la porte à l’Europe ; est-ce là une vraie volonté d’expansion ? FH : On est très sollicités par les associations de cinéastes étrangères. Nous avons récemment envoyé deux cinéastes de l’ACID pour aider à la distribution des films en Argentine par exemple. C’est un échange d’expertises,

on croise les pratiques. IS : Et cela donne aujourd’hui la mise en avant du cinéma indépendant portugais, cette année à l’ACID Cannes, le cinéma serbe l’année dernière. Avec bien entendu comme principal objectif dans l’avenir, la mise en place d’une chaîne de diffusion européenne dans les salles. La culture est devenue une masse, l’élite devenue un commerce, la consommation du cinéma automatisée par les grands groupes (Netflix, Amazon). Il y a encore de l’espoir alors ? FH : Mais bien sûr ! Ce qui nous sauve, c’est le terrain. Et les réactions unanimes dans les salles à chaque fin de projection : « Mais pourquoi ce film ne passe pas dans la ville d’à côté ? ». Mais nous sommes d’accord, dans l’idéal l’ACID n’existerait pas. Devoir être présent signe déjà un problème majeur. Mais soit on abandonne, soit on avance, on se bat chaque jour sur le terrain en espérant que cette situation critique crée un besoin plus fort de rassemblement. Cela implique de repenser en permanence le lien avec le public. IS : Faire ce que les libraires ont réussi à faire. Dépasser la seule projection d’un film pour en faire un événement culturel à part entière, avec des débats, des échanges pédagogiques avec le jeune public. Quand tu vois la projection de Swagger devant une salle remplie de jeunes en délire, ça te file une bonne dose d’espoir. Il faut réinventer la salle de cinéma et instaurer un réseau positif du cinéaste et de son film jusqu’au public à travers l’exploitant. Il faut créer du débat. Et donner envie.

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MUSIQUE

Al'Tarba

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Le Bonbon Nuit → 05/2018

Ah, Al’Tarba… Ce petit garnement du hiphop français ! De Toulouse jusqu’à Paris avec des samples plein les poches, des instrus pour une bonne partie de la scène underground (Swift Guad, Raekwon, Ill ou Lino), un album tout à fait dans l’esprit du mag’ (La Nuit Se Lève, paru chez I.O.T. Records en mars 2017) et des punchlines qui sentent le soufre, le bitume et les errances nocturnes. Proche d’une scène instrumentale affirmée faite de trip-hop sombre (celle d’un DJ Shadow ou d’un Tricky), de rap un peu morbide (du style Necro) ou de la trap d’Atlanta dopée aux basses. Si depuis l’artiste compose des beats abstract dans l’intimité, il continue de se produire sur scène avec, prochainement, une date à la deuxième édition du Festival La Tour Met Les Watts, qui se tiendra le 2 juin à Voisins-leBretonneux (78). — La Nuit Se Lève (I.O.T. Records) est toujours disponible. Retrouvez Al’Tarba le 2 juin au Festival La Tour Met Les Watts #2 de Voisins-le-Bretonneux (78).

© Serge Rigaud

À l’apéro, tu bois quoi ? Whisky ou vin. La levure des bières fait à présent exploser mon ventre comme dans Anthropophagous, le film de cannibal sympa. Où y'a un ventre qui explose, du coup.

Un lieu coupe-gorge à Paris ? Le Sombre Stud’, 20e arrondissement, chez Inch. Un lieu de débauche et de création. L’after, c’est important ? C’est un genre de réincarnation inversée. T’es plus mort qu’au début de l’histoire et tu hantes la ville réincarné en rat livide quand t’en sors. Une ville plus folle que Paris ? Toulouse bien sûr ! La drogue, c’est mal ? Sûrement… Ça fait mal quand y'en a plus en tout cas. Un artiste sous les radars ? Staff de Droogz Brigade au volant. Les radars l’adorent ! Un spot vraiment underground ? Le Petit Voisin à Toulouse. En fait c’est pas underground mais je leur fais de la pub car c’est l’endroit qui m’a fait jouer en premier il y a dix ans avec mon groupe de rap Droogz ! Le sexe, c’est comment ? C’est propre et ça sent bon. Un truc vraiment chelou ? Les vidéos de Cool 3D World.

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@emma_panchot

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AGENDA

JEUDI 3 MAI 17h L’Aérosol 10€ Beats Across Border VENDREDI 4 MAI 23h55 Ouh Lala nuit 10€ Métamorphe : “Passion Pyjama” 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits’ sur lebonbon.fr SAMEDI 5 MAI 22h Concrete 15€ Concrete curated by DJ Pete 23h Nuits Fauves 10€ Agents Of Time (all night long) LUNDI 7 MAI 23h30 Badaboum 12€ Rendez-Vous - Petre Inspirescu MERCREDI 9 MAI 22h La Bellevilloise 9€ Nostromo Drone Night VENDREDI 11 MAI 23h55 La Machine du Moulin Rouge 10€ Insomnia 4 Years 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits’ sur lebonbon.fr

SAMEDI 12 MAI 23h La Bellevilloise 12€ Mona 30 Years Of House 23h Secret Place 10€ Vryche Basement : IV VENDREDI 18 MAI 23h30 Badaboum 12€ Romare & Pit Spector 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits’ sur lebonbon.fr SAMEDI 19 MAI 00h Secret Warehouse 18€ Possession 00h Rex Club 15€ Rexist 5 DIMANCHE 20 MAI 00h La Java 10€ Beat à L’air presents Makam VENDREDI 25 MAI 23h45 Secret Warehouse 12€ Swarm Factory ATWT Birhday & Nicolas Lutz 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits’ sur lebonbon.fr SAMEDI 26 MAI 00h Secret Place 15€ Myst 002 - Mascarade Endiablée 22h Grand Palais 59€ Seasons Opening

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Ricard SAS au capital de 54 000 000 euros - 4&6 rue Berthelot 13014 Marseille - 303 656 375 RCS Marseille

SWEDISH BY NATURE* É L A B O R É E À PA R T I R D ’ E A U D E S O U R C E P U R E P U I S É E D I R E C T E M E N T E N S U È D E . D E P U I S 1 8 79. *S U É D O I S P A R N A T U R E.

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L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


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