Le Bonbon Nuit - 98

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Octobre 2019 - n° 98 - www.lebonbon.fr


IMMERSIVE ART FESTIVAL PARIS

7 SOIRÉES 18 —> 24 OCTOBRE 2019

WWW.IMMERSIVEARTFESTIVAL.COM AVEC LE SOUTIEN DU


OCTOBRE 2019

RIEN N’EST PIRE QUE LA LANGUE ADMINISTRATIVE... Tiens, ce matin par exemple, j’ai ouvert mon courrier et je suis tombé sur une lettre de mon voisin. Au cas où tu ne comprendrais pas ce langage insipide de faux-derche, rien que pour toi, je t’en fais la traduction en italique. Ça donne donc ça : Monsieur, Connard, Je soussigné XXX, demeurant à XXX, souhaite vous signaler, par la présente, des troubles occasionnés par vous, M. MPK, résidant au XXX. Là, tu vois, tu m’as bien vénère, du coup, je vais te poucave aux flics. En effet, je fais face depuis plusieurs jours à des nuisances sonores répétées qui gênent de façon notable ma tranquillité. Parce que jpp de tes putains d’afters qui durent jusqu’à point d’heure avec ta bande de dégénérés. Conformément aux articles R1334-32 à R1334-35 du code de la santé publique, je suis dans le droit de contester ces bruits qui sont trop élevés par rapport aux seuils fixés par la loi. En vrai, je n’y connais rien à ces lois, mais d’après ce que j’ai vu dans une vieille émission de Julien Courbet, avec ça, tu vas bien l’avoir dans l’oignon mon pépère. Je m’en remets donc à l’autorité de la préfecture pour intervenir et régler ce problème qui nuit aux habitants de notre immeuble. On aurait pu régler ça à la régulière, mais j’ai préféré aller chouiner dans les jupons des fonctionnaires.

N°98

En vous remerciant par avance de l’attention que vous porterez à cette lettre, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de ma respectueuse considération. Allez, salut connard ! Un sale goût cette langue administrative, vraiment, surtout lorsqu’elle vient te râper la joue de bon matin. Et puis j’ai ouvert un deuxième courrier : mon banquier avec pour objet “Procédure d’interdiction bancaire suite à un découvert nonautorisé”. Je vais pas te refaire une traduction, je crois que t’as compris que ma journée commençait en beauté. MPK


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INFOS & RÉSERVATIONS SUR GDP.FR & POINTS DE VENTE HABITUELS


METRONONMY UN JOUR, METRONOMY TOUJOURS 15. MUSIQUE BARBI(E)TURIX, UNE VRAIE SORORITÉ 21. ART L’ŒIL ET LA NUIT 23. CINÉMA CLAIR OBSCUR, L’ÉDITO CINÉMA 25. PHOTO THOMAS SMITH 27. ART NOUVELLE POP CRUE ET CUL 33. FESTIVAL MAMA FESTIVAL 35. STYLE ÔDE AU MAUVAIS GOÛT : LE BEAUF, CE BRANCHÉ COMME LES AUTRES 41. MUSIQUE LE MONDE D’ACID ARAB EST “JDID” CONFISEUR JACQUES DE LA CHAISE RÉDACTEUR EN CHEF LUCAS JAVELLE DESIGN RÉPUBLIQUE STUDIO GRAPHISTES CLÉMENT TREMBLOT, ANTOINE MERCIER RÉDACTION INÈS AGBLO, MANON MERRIENJOLY, PIERIG LERAY, SARAH SIREL, JACQUES SIMONIAN, MPK SR LOUIS HAEFFNER RÉGIE CULTURE FANNY LEBIZAY, ANTOINE KODIO RÉGIE PUB LIONEL PONSIN LE BONBON 15, RUE DU DELTA, 75009 SIRET 510 580 301 00040

SOMMAIRE

7. MUSIQUE


11 AU 19 OCTOBRE 2019


LA PREMIÈRE TEUF FORAINE DE PANAME

Si t’as envie d’un concept qui sort de l’ordinaire, Madame est servie. Parce que là on te parle quand même de tir à la carabine, spectacles de cirque et gros DJ sets de pointures comme Jeremy Underground ou DJ Pierre. Ou la dizaine d’autres gros calibres qui s’ajoutent à la liste. Un joyeux bordel qu’on n’a pas trouvé mieux que de qualifier de teuf foraine. Campion n’a qu’à bien se tenir. L’extraordinaire chapiteau de Madame Loyal @Une Journée au Cirque 12 octobre

UN FESTIVAL DE VALEURS

On vous le répète : il ne faut pas manquer le MaMA Festival. Surtout si on manque de culture musicale. Non pas qu’on émette un jugement quelconque à votre cher égard, mais ce rendez-vous annuel a le don de nous en apprendre sur la musique. De nous faire découvrir des talents nichés qui n’attendent que d’éclater. De nous promener dans un quartier artistique historique de Paris : le 18e. De nous vendre du rêve quoi. MaMA Festival @Paris 18 16-18 octobre

BON TIMING

SORTEZ LES FOURCHES

Quand Pitchfork est là, on envahit volontiers la Villette pour en faire notre terrain de jeu. Piscine à boules, marché de disquaires, roller disco… on trouve que le terme est adéquat ici. Tu prends avec ça une bonne scène rap menée par YARD le jeudi pour enchaîner sur deux jours de lives et concerts de musique électro et rock. Et un p’tit coup d’affter le vendredi au Trabendo avec la fine fleur de la nouvelle vague de DJ’s. Boum. Pitchfork Music Festival @Grande Halle de la Villette 31 octobre-2 novembre



MUSIQUE

METRONOMY UN JOUR, METRONOMY TOUJOURS T P

LUCAS JAVELLE NAÏS BESSAIH


8/9 METRONOMY MUSIQUE

Avec la bande de Joseph Mount, charismatique leader de Metronomy, cela fait plus d’une décennie que notre histoire d’amour a commencé. Précisément, depuis que sortait leur tout premier essai, le synthétique Pip Paine (Pay The £5000 You Owe). Alors, quand on a reçu leur dernier disque, que l’on a évidemment adoré, avec son nom tout trouvé pour notre love story, Metronomy Forever, autant vous dire que nous nous sommes hâtés d’organiser une rencontre pour en parler. Ça a été chose faite une semaine après la sortie de cet album, au lendemain d’une soirée parisienne où nous croisions la troupe ; comme si tout était écrit. En bon capitaine de navire, c’est Joseph,

seul et rieur, qui a répondu à nos questions.


LE BONBON : Pour commencer, j’aimerais

que nous parlions des retours que tu as eus pour cet album. La presse française a été cool mais pas forcément les Américains… Qu’en dit le public ?

JOSEPH MOUNT : Je n’ai pas vu

beaucoup de reviews américaines, peut-être une… celle de Pitchfork. Mais tout le monde se fout de Pitchfork maintenant (rire). C’est intéressant… En termes de continents, nous sommes très populaires en Amérique du Sud et Centrale, mais en Amérique du Nord… C’est le seul pays du globe qui semble ne pas comprendre notre groupe, à l’inverse de la France par exemple. Pourtant, nous allons à New York, à Los Angeles… Nous avons donné de gros concerts dans toutes ces grandes villes, mais cet endroit est vraiment différent de la France encore une fois… Le public d’ici est le meilleur.

L.B. Tu accordes toujours la même importance aux critiques qu’avant ?

J.M. Non, plus du tout. Je crois que tout

dépend du type de musicien que tu es. Tes premiers albums établissent en quelque sorte ta relation avec la critique, même si ces gens ne savent rien de toi et que tu ne connais rien d’eux. Quand tu lis toutes ces réactions, tu le prends de façon assez personnelle. Aussi, il ne faut pas oublier que le travail de ces “critiques” est de justement le faire (rire). Mais peu importe. Au bout de 6 albums, je pense quand même que les gens devraient avoir une certaine forme de respect. Un truc m’a toujours surpris… Quand tu regardes ce qui se dit dans un magazine ou sur le web, et que tu vois des choses négatives, tu te demandes : pourquoi ils s’ennuient à ça ?

Mais, maintenant, à chaque fois que je traîne sur Internet, les reviews sont toutes notées de 4 ou 5 étoiles. C’est vraiment comme Uber : tu donnes à tout le monde la même note !

L.B. Le titre de ce nouveau disque,

Metronomy Forever, est assez spécial. C’est comme si tu l’avais choisi pour montrer que Metronomy existe depuis un bout de temps, et existera encore longtemps. C’est l’idée ?

J.M. En quelque sorte oui. D’une certaine

façon, ce titre est drôle, mais c’est aussi une espèce d’affirmation sur notre longévité. Tu sais, il y a cette attitude envers les musiciens ou les groupes qui veut qu’on trouve leur travail cool pour un court temps avant que celui-ci ne tombe dans l’oubli le plus total. Dans un sens, ça va, je crois que ça marche avec certaines personnes, mais je pense aussi que c’est un peu… triste, surtout quand tu consacres toute ton existence à ça. En tout cas, oui, ce titre évoque à la fois le passé et le futur. Il représente bien à quel point c’est stupide de dédier ta vie à un groupe de musique !

L.B. C’est pour appuyer ce message que

l’artwork du disque ressemble à quelque chose de très primitif, sans aucune trace de vie humaine ?

J.M. Oui, je crois. C’est marrant, car l’idée

derrière ça, c’est de supposer que Metronomy existait même avant que les premiers hommes arrivent sur Terre (rire).

L.B. Cela fait 13 ans que votre premier album est sorti. Après tout ce temps, es-tu toujours le même homme ?

J.M. Je crois que oui. Il y a quelque


10 / 11 METRONOMY MUSIQUE

Maintenant, à chaque fois que je traîne sur Internet, les reviews sont toutes notées de 4 ou 5 étoiles. C’est vraiment comme Uber : tu donnes à tout le monde la même note !”



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chose de drôle là-dedans… Les gens, pendant toute leur vie, immortalisent leurs changements avec des photos qu’ils rangent dans des journaux intimes, ou que sais-je, pour ensuite les regarder avec une certaine émotion. De mon côté, j’ai toujours pensé qu’avec la musique, en plus de faire sensiblement la même chose en capturant tes moments d’inspiration, tu les rendais publics. Quand je me replonge là-dedans, oui, je crois que je suis la même personne, absolument… Mais, ce qui est important pour un jeune homme de 22 ans n’est plus du tout valable pour quelqu’un qui en a 37. Je suis toujours la même personne certes, mais les sujets des chansons ne sont plus les mêmes. Quand je les écoute, je ressens que je n’avais pas le même âge !

L.B. Parlons de cet album. Je trouve que c’est le disque le plus complet que vous ayez fait. “Lying Low” rappelle la période Pip Paine, “Walking In The Dark” renvoie à The English Riviera… Metronomy Forever représente-t-il tout le savoirfaire de Metronomy ?

MUSIQUE

J.M. Lorsque tu fais des disques, tu as

toujours en tête ce que tu as fait avant et ce que tu peux faire après. Je crois que, quand je pensais à cet album, j’imaginais que je ramènerais tout ensemble, plutôt que d’essayer de faire un son particulier comme pour The English Riviera ou Love Letters. Oui, il y a des éléments de tout le reste, et oui, c’est agréable de rappeler aux gens les harmonies de Pip Paine ou autre. Tu sais, il y a un moment, j’ai pris la décision de chanter. Si je ne l’avais pas fait, Metronomy aurait eu un son fondamentalement différent. Quelque chose de plus instrumental… qui d’ailleurs m’intéresse toujours.

L.B. Le premier morceau que tu as écrit pour cet album, qui lui a d’ailleurs donné son titre, est “Forever Is a Long Time”. C’est une chanson aux antipodes des standards de la pop. Tu l’as réalisée volontairement dans ce style, comme pour mieux t’émanciper des étiquettes qui collent au groupe ?

J.M. J’ai d’abord enregistré une version

de l’album qui ne m’allait pas, avant de tout recommencer. Et “Forever Is a Long Time” est la première chanson de cette deuxième version. Ça fait longtemps que je suis dans l’industrie musicale, et si tu ne t’intéresses pas aux rouages, tu es quand même au courant des ventes, des radios et de comment tout fonctionne… Malgré tout, tu deviens “institutionnalisé” et tu gardes ces choses en tête. Même si je ne pensais pas directement à ça quand je composais, je crois que dans mon subconscient, si. Les gens aiment l’honnêteté. Ils aiment sentir que ce qu’ils écoutent est vrai. Pour ce disque, j’ai plus résonné en termes d’ambiance et de mood, c’est pour ça que cette chanson est là.

L.B. Ce disque laisse une place énorme

aux contrastes. On passe de “Miracle Rooftop” très électronique et sans paroles, à “Upset My Girlfriend”, un titre aux allures grunge, quoique tourné un peu en dérision. L’enchaînement de “Sex Emoji” à “Walking In The Dark” marche aussi. Ce jeu des contrastes, c’est l’une des signatures de Metronomy ?

J.M. (Il hésite) C’est probable. Mais, si

j’écoute tous les albums que j’aime, ils ne sont pas du tout pareils. Il y a effectivement des contrastes, mais c’est plutôt une question de dynamique finalement.


L.B. Avec cet album, tu as recommencé à

jouer de la guitare. Sur “Insecurity”, on peut entendre une ligne assez grunge, ou de la guitare électrique sur “Lately”.

J.M. Ces instruments ont quelque chose

de spécial dans la musique. Elles apparaissent puis disparaissent. Elles représentent différentes choses. Sur le moment, j’ai pensé que les guitares étaient toujours associées à une seule personne. Par exemple, Ed Sheeran en a une… Ou tu as… beaucoup d’Anglais les utilisent en fait (rires). Mais il n’y a pas énormément de groupes avec des guitares. C’est une sorte de réaction à ce que j’entends dans la musique. Je crois que nous vivons une période ou les grattes vont ressurgir, de différentes manières. Certains des sons qui s’en échappent peuvent réintéresser le public.

L.B. Autre nouveauté, ton utilisation de la

Linn Drum. Au lieu de jouer d’abord avec une machine pour enregistrer live ensuite, tu as fait le contraire.

J.M. Dans l’histoire, cette machine a été

très importante. Pour Prince par exemple. Elle possède certaines caractéristiques que j’aime beaucoup. Mais, je l’ai utilisée pour ramener une certaine cohérence dans l’album. Avant, il y avait beaucoup de samples et de choses différentes, et je crois qu’un album doit avoir un son cohérent avec ses instruments. Ce n’est pas que j’essaye absolument de faire un son différent, mais, quand tu as une idée de ce que tu veux faire et que tu fais un album avec ça en tête, le résultat est spécial. Plus que d’essayer de faire directement quelque chose de nouveau, il faut d’abord créer un concept et se laisser porter.

L.B. Cet album ressemble à un énorme

terrain de jeu. Tu passes d’un titre très baggy, “Sex Emoji”, à quelque chose de presque dub, reggae, avec “Walking In The Dark”.

J.M. Quand je composais, je me répétais

sans cesse : « pourquoi pas ? ». Quand tu fais un album, tu peux vraiment faire tout ce que tu veux. Et en réalité, j’ai réalisé que ça tient simplement du fait que c’est toi qui prends tes propres décisions. Et c’est très libérateur.

L.B. Avec tout ce que vous avez fait, tu penses que vous faites partie de l’histoire de la musique anglaise ?

J.M. Oui carrément ! La chose triste avec

ce que tu fais, c’est qu’il faut toute une vie avant que les gens réalisent ce que tu as accompli. J’ai rencontré des groupes, ou des gens qui ont été influencés par nous. Et, je crois que, quand tu es confronté à ça, que des personnes se réfèrent à ton art, oui, tu fais partie de cette histoire.

METRONOMY – METRONOMY FOREVER (BECAUSE MUSIC) EN CONCERT À L’OLYMPIA (PARIS) LES 15 & 16 OCTOBRE


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T P

LUCAS JAVELLE NAÏS BESSAIH

BARBI(E)TURIX, UNE VRAIE SORORITÉ


Le mois dernier,

on pleurait encore la disparition de notre diva Moda. La communauté LGBT en deuil, il fallait qu’on retrouve vite un territoire de jeu. Comme une vieille amie qu’on n’a pas vue depuis longtemps, on a retrouvé un de nos premiers amours : Barbi(e)turix. Une communauté de lesbiennes, à l’origine des soirées Wet For Me où il fait bon vivre pour elles, mais aussi pour qui veut découvrir un monde libre. La bonne nouvelle, c’est qu’en quinze ans, rien n’a changé. La meilleure nouvelle, c’est qu’elles sortent leur toute première compilation. Une sorte de porteparole des valeurs de BBX – à la manière de leur ancien fanzine aujourd’hui disparu – où “les copines” s’expriment en musique. Et qui de mieux pour nous la dépeindre qu’un membre historique du crew : Rag.


16 / 17 BARBI(E)TURIX

LE BONBON : Quand on écoute cette belle

compilation, on ne peut s’empêcher d’y discerner une histoire, un message… Qu’est-ce que tu as voulu raconter ?

RAG : Déjà c’est important de préciser que ce n’est pas moi toute seule qui l’ai voulue. On est trois vraiment à l’origine de ce projet avec Sophie Gonthier et Vale Poher. Elles font toutes les deux de la musique. Moi j’étais moins sensible à faire une compilation parce que je suis vraiment plus promoteur, militante, DJ… mais pas productrice. Les filles m’ont vraiment convaincue parce qu’elles font de la zik et elles galèrent grave. Elles galèrent à avoir un label, un distributeur… Pourtant ce sont des filles qui ont du talent ! On avait envie donc de mettre justement en avant toutes les copines qui sont déjà venues jouer à nos soirées – pour qu’il y ait un fil conducteur et que ça soit cohérent – et en même temps donner un tremplin à toutes ces artistes féminines. On reste Barbi(e) turix, on défend quelque chose de féministe ; tout ça avec une direction musicale qui nous ressemble. Ce qui est super, c’est que tout le monde a répondu présent ! On se retrouve du coup avec une compil’ de 18 morceaux – ce qui est énorme. Et sûrement qu’une deuxième verra le jour… On fait ça en mode DIY comme le fanzine Barbi(e)turix de l’époque. L.B. C’est votre nouveau mode d’expression pour pallier sa disparition ?

MUSIQUE

R. Clairement dans la continuité. On n’avait jamais fait ça alors qu’on est hyper présentes dans la scène musicale. On est un des collectifs qui existent depuis plus de dix ans, donc il fallait graver dans le temps. On a fait plein de distribution papier, mais cette fois-ci, on voulait s’attarder à la musique. L.B. Pour ça, vous êtes allées chercher des

artistes comme Jeanne Added, Rebeka Warrior, Léonie Pernet, Mila Dietrich, Sônge… À la fois parmi les reconnus et les émergents !

R. On a fait les deux, mais on a surtout invité que des gens “proches”. En aucun cas on profite du nom des uns ou des autres. Jeanne Added, Rebeka Warrior… ce sont des filles qu’on a déjà invitées plusieurs fois à nos soirées. En même temps, elles nous aident clairement à propulser la compil’ et réfléchir à comment donner de la visibilité. Forcément, si on ne fait que des artistes émergents, je ne suis pas sûre que certains médias s’y seraient intéressés. Ou même le public. C’est une bonne balance entre les deux, mais ça reste des gens qui nous sont chers et qui ont pour nous des valeurs. L.B. Vous qui êtes pourtant abonnées

à la Machine du Moulin Rouge, pourquoi avoir choisi la Station pour la release party ?

R. On avait envie d’un truc un peu punk. Je voyais mal faire une release party aux Bains Douches ou un truc comme ça… C’est marrant parce que des filles du crew étaient étonnées justement qu’on fasse ça là-bas. On voulait rester dans cet esprit DIY, un peu punk. La compil’ a des morceaux très différents, on l’a auto-produite… on avait envie d’un lieu qui corresponde bien à ce projet. Ils sont très amoureux de la musique, avec une programmation hyper rock, hyper électro, hyper techno… Ils proposent quelque chose de vraiment alternatif. À la Machine, il y aurait trop eu la connotation Wet For Me dont on voulait sortir justement. L.B. C’est représentatif des deux visages de BBX, entre le collectif et la Wet.

R. Complètement. Les Wet, c’est un peu notre amiral, notre vaisseau – ça roule. Il y a toujours du monde, il y en aura toujours parce qu’on essaye de rendre la soirée attractive et proposer quelque chose pour les filles. Après on a des évènements en dehors de la Wet qui s’entrecroisent avec, mais où on essaye de faire quelque chose de différent – comme le musée


d’Orsay il y a peu. Donc oui, deux visages : la Wet un peu facile, un peu gouine, un peu mainstream, et de l’autre côté nos events un peu plus alternatifs. Par contre, je ne pense pas qu’on verra BBX dans une warehouse je ne sais pas où avec une sécu’ à la con… Je fais partie de l’exploitation donc la sécurité du public, c’est hyper important et respectueux pour moi. Il y en a beaucoup qui oublient ça.

L.B. Tu trouves qu’il y a des problèmes

importants de sécurité en ce moment ?

R. Il ne se passe pas un mois sans qu’il y ait un promoteur qui fasse un statement : « Nous condamnons, nous sommes désolés que machine se soit faite agressée là, que machin soit tombé dans les pommes parce qu’il a pris trop de drogue, etc... » Après, tout n’est pas dû aux promoteurs – c’est évident. Il y a un gros problème de drogue et de défonce à Paris en ce moment. Là, la communauté est en deuil à cause d’une overdose à Dehors Brut. Je trouve ça hyper injuste que le lieu se prenne un mois de fermeture administrative alors que ce sont les premiers à faire hyper attention à la prévention, au respect du public, à la sécurité. Bon, il y a un nouveau préfet... Le climat est assez compliqué. La réalité sociétale extérieure est... comment dire... on vit dans une société de bâtards quoi ! C’est hyper agressif, à Paris particulièrement. Toujours les plus précaires qui s’en prennent plein la tête. L.B. Qu’est-ce qu’il y a de mieux à faire pour empêcher tout ça ?

R. La prévention. Plus de prévention, moins de répression. La société va mal, j’ai l’impression qu’on se défonce pour oublier qu’on est au chômedu et qu’on n’a pas de thune, qu’on galère, qu’on vit dans des 15 m2… On se libère de quelque chose. Ce n’est pas aux promoteurs d’assumer tout ça. Mais forcément, la nuit et l’insécurité vont ensemble depuis toujours. On ne va pas refaire le monde. Mais de la prévention et de

“ J’ai l’impression qu’on se défonce pour oublier qu’on est au chômedu et qu’on n’a pas de thune, qu’on galère, qu’on vit dans des 15 m2… On se libère de quelque chose. ” la sensibilisation pour les promoteurs, et que les institutions nous aident plutôt que de nous réprimander.

L.B. Globalement, la nuit parisienne se porte comment ?

R. Très bien ! On reste quand même “capitale des Lumières”... Après il y en a toujours pour râler, on est Français. Par rapport aux autres capitales, je trouve que Paris a énormément d’offres – pour tout le monde. Ça coûte cher, mais je pense qu’à Berlin, c’est plus cher que dans le trou du cul de la Bavière ; ça fait partie du jeu. Je trouve que la nuit queer/LGBT se porte très bien aussi. Énormément d’évènements se font avec très peu de lieux sédentaires – souvent les médias communautaires se plaignent de ça. Pas mal de soirées itinérantes, ce qui peut malheureusement entraîner des problèmes de sécurité. Mais il y a une ébullition artistique hyper forte qui fait que Paris se porte très bien, je trouve.


MUSIQUE

BARBI(E)TURIX

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L.B. Après 15 ans de BBX, le message est-il passé ?

R. Oui, mais le combat continue quand même. Je vois comment la société a évolué et comment nous on a évolué avec nos soirées. S’il y a presque 2 000 personnes à chaque Wet, c’est qu’on a réussi à toucher des gens. Notre site internet – même si ces derniers temps il est moins alimenté – tourne super bien, dès qu’on poste on sent une réaction réelle de la communauté, fidèle. On était parmi les premières à ouvrir la porte à tout le monde, ce qui nous aura aussi causé du souci. Le combat n’est pas fini, certes, mais quand on en arrive à être contactées pour finir au musée d’Orsay... C’est hyper cool ! L.B. Jusqu’à présent, ton plus grand problème en 15 ans de BBX, c’était...

R. Les mecs. Les mecs à la programmation, les mecs à la régie, les mecs à la porte, les mecs à la soirée... Et encore aujourd’hui. Il y a deux ans, cette interview n’aurait peut-être jamais eu lieu. Donc je me dis, il y a quand même beaucoup de progrès. Les médias font hyper gaffe, certains festivals essayent de faire des programmations paritaires… On a la chance d’avoir une sororité qui s’est vraiment construite. Si on a la Machine aujourd’hui, c’est parce qu’à l’époque c’était une programmatrice. C’est elle qui a poussé le truc. C’est cette solidarité qui a fait que. D’autant plus avec l’apparition de plus en plus de groupes aussi, comme shesaid.so ou Collectif 52. On essaye de se donner des coups de main entre professionnelles. L.B. On progresse quand même plus rapidement ces derniers temps. R. Parce que la société a changé aussi ! On recule sur beaucoup de choses, mais on avance pas mal. Il y a beaucoup d’hommes du métier qui ont compris la démarche et la nécessité d’ouvrir les programmations

“ Tu peux te sentir mal dans ta peau et ton corps et venir quand même à nos soirées où tu ne seras pas jugée. Tu peux venir t’envoyer en l’air dans tous les sens du terme. ” et le travail. Ça a avancé, mais on n’est pas au peak encore.

L.B. Il y a eu un moment dans ta vie où tu t’es dit : « J’ai réussi » ? R. Je n’ai pas d’exemple précis, mais quand on reçoit des messages de remerciements type « merci d’être là », c’est hyper fort. Je trouve ça incroyable d’en être là. C’est touchant, parce que tout est résumé en une seule phrase. On a réussi à donner du bonheur à ces personnes, mais aussi de la visibilité ou juste leur montrer que tu peux être une femme et réussir. Que tu peux être gouine et te sentir mal dans ta peau et ton corps et venir quand même à nos soirées où tu ne seras pas jugée. Tu peux venir t’envoyer en l’air dans tous les sens du terme, sans gêne. COMPILATION BBX #1 DÉJÀ DISPONIBLE RELEASE PARTY LE 19 OCTOBRE @LA STATION


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La nuit bouleverse nos sens. Elle peut nous bercer, nous transporter au-delà du réel ou nous effrayer. Elle exalte notre imagination et altère notre discernement en nous enveloppant d’une obscurité mystérieuse, terrifiante ou complice. Son immensité nous dépasse et nous inspire, entre croyances et désir de connaissance.


L’ŒIL C’est un peu ce que cherche à représenter la toute dernière exposition de l’Institut des Cultures d’Islam : L’œil et la nuit. Des œuvres de 18 artistes originaires d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Europe remettent en question notre perception du monde de la nuit, « entre profane et sacré, réel et imaginaire ». Un nouveau décor à découvrir depuis le 19 septembre et jusqu’au 9 février en plein cœur de la Goutte-d’Or. Une thématique peu surprenante quand on sait que le prophète Mahomet avait reçu le message divin durant la nuit ou que la moitié des fêtes sont décidées selon la Lune, ellemême responsable du calendrier musulman. Au-delà même de la religion, c’est toute la culture arabe qui a façonné les prémices et les premières vérités de l’astronomie. On ne peut donc que fermer les yeux et se laisser guider par ceux qui y voient bien mieux dans le noir que dans la lumière. Une exposition en trois temps, c’est ce qui nous attend. D’abord une première rencontre avec une nuit des plus obscures, « source de connaissance et de révélations », où mystique et science riment avec poésie céleste. Ensuite, un parcours aux lueurs inquiétantes qui nous plonge un peu plus dans cet inconnu ; un moment de solitude

ET LA NUIT face au clair-obscur des œuvres, entre constellations et ombres. La dernière étape laisse, elle, carte blanche aux artistes pour vous emmener dans leur nuit, celle qu’ils idéalisent, conceptualisent et réalisent. Des créations issues de leurs rêves et réminiscences, « entre éclipses et illusions ». Curatée par Géraldine Bloch, l’exposition n’est pas qu’une expérience visuelle. Pensée pour que la rencontre entre le visiteur et la nuit soit des plus intimes, concert de banga et transe tunisienne avec Ifriqiyya et live Gnawa viendront apporter une touche poétique en plus, en dates des 30 novembre et 8 février prochains. Des conférences sur l’astronomie arabe et des films sur les trajectoires nocturnes que les êtres prennent complètent une programmation déjà bien garnie, sans compter les ateliers artistiques réservés et ciné-goûters au jeune public. L’occasion de se perdre une fois de plus dans la nuit pour la redécouvrir.

L’ŒIL ET LA NUIT DU 19 SEPTEMBRE AU 9 FÉVRIER INSTITUT DES CULTURES D’ISLAM PLUS D’INFOS SUR INSTITUT-CULTURES-ISLAM.ORG


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CLAIR OBSCUR, CINÉMA

T

PIERIG LERAY

L’ÉDITO CINÉMA


Comment survivre dans ce merdier ? Est-ce que le nihilisme ne serait donc pas la transition la plus adaptée face à l’écologique qui semble perdue d’avance ? Peut-on encore consciemment penser que l’idiocratisasion d’une société qui applaudit des sneakers exposées dans un centre d’art contemporain peut résolument prendre de bonnes décisions ? Peut-on, à trente ans, espérer quoi que ce soit d’un futur qui s’assombrit, et qui n’est désormais dessiné que par une médiocrité atmosphérique, entre les vingtenaires qui s’extasient des années 90, et les quarantenaires, d’un egoïsme invraisemblable, qui délivrent des bambins à la pelle sans considérer le futur qu’ils leurs offrent. Peut-être que la rédemption viendra donc des plus jeunes, ces collégiens qui gueulent, chaque vendredi, menés par l’héroïne des temps modernes Greta Thunberg. Eux qui, bien naïvement, mais d’une force inédite, semblent enfin vouloir bouger les lignes. Et pour le coup, leur prise de conscience est formidable. Qu’est-ce qu’était l’écologie à mes 15 ans ? La question ne se posait même pas. Quand Ken Loach s’attaque à l’uberisation de la société (Sorry we missed you, sortie le 23 octobre), il est déjà anachronique, la modernisation du travail et de la consommation a déjà dépassé le stade de l’esclavagisme moderne, il s’attaque désormais à l’abrutissement de masse par l’image et la domination par l’écoute (Allo ? Zuckerberg ?). Quand Mati Diop et son bel Atlantique (sortie le 2 octobre) filme avec brio un sujet similaire (des travailleurs sénégalais exploités par un magnat de l’immobilier, qui rêvent d’une vieille Europe qu’ils ne verront jamais, morts en mer, laissant leurs femmes seules et sans le sou), elle voit la révolution par la zombification du peuple au sens littéral, non pas comme l’on pourrait l’imaginer, en mouton de

Panurge, mais par une révolution féministe qui se soulève contre l’autorité capitaliste par l’investigation de la peur. Quand Todd Phillips filme Joaquin Phoenix en Joker (sortie le 9 octobre), et transforme la folie en anarchie, il nous parle également de révolution. Plus métaphysique, mais dans une violence salvatrice comme chez Mati Diop. Comme si l’être exclu, les peuples isolés et le travailleur en bas de chaîne ne pouvaient s’émanciper qu’à travers l’investigation de la peur, de la menace, et d’une révolution personnelle ou commune qui s’entend, qui se hurle. On peut certes continuer à s’apitoyer sur le versant pathétique que ce soit à des collégiens d’amorcer une telle révolution. Mais la précocité n’est plus à prouver, lorsque la première cigarette est à 10 ans, la première ligne à 13 et la première levrette à 14… que cette révolte vienne de nos neveux en devient presque logique. La première réaction facile est d’en rire, puis de s’en foutre. Mais tâchons, nous autres trentenaires losers, d’enfin réagir, soutenir le mouvement ou au pire, simplement le suivre. Ça fait 10 ans maintenant que l’on ne branle rien à amasser notre capital misérable, et tenter de trouver un sens à notre vie entre cuites dévalorisantes et borred-out, nous et notre génération paillasson qui n’a rien fait, et qui ose encore s’émouvoir de la suite de Shining (Doctor Sleep de Mike Flannagan, sortie le 30 octobre) ou se questionner sur l’amour et sa nostalgie à la con (Chambre 212 de Christophe Honoré, sortie le 9 octobre). À nous de rejoindre nos nièces et neveux, et tenter de sauver ce que l’on peut. Au mieux un climat mourrant, au pire le peu de dignité qui subsiste en nous.


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THOMAS SMITH

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MUSIQUE

T P

ALEXANDRA DUMONT SÉBASTIEN DOLIDON

NOUVELLE POP

CRUE ET CUL

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Elles balancent des mots crus pour parler d’amour et de sexe et brisent les tabous. Elles prouvent que ce vocabulaire sans concession n’est pas un apanage masculin, ni même le privilège des rappeurs. Plus rafraîchissant encore, elles osent parler de leur désir et de leur plaisir, parce qu’elles en ont. Surprise ! Elles prennent toutes ces libertés, comme d’autres avant elles. La différence ? Elles ne sont plus timides. “Elles”, ce sont les Françaises Marie-Flore et Marine Pellegrini (Erotic Market), la Suissesse Sandor ou la Japonaise Kazu Makino, échappée des Blonde Redhead.

« The sheets are soaked by your tiny fish. » Ces mots sont ceux de Kate Bush, gravés pour la première fois sur l’album Alone At My Piano, sorti en 1988. Un vocabulaire imagé pour désigner l’empreinte de la jouissance de son partenaire sur les draps. Ce n’est pas banal, surtout à la fin des années 80. Trois décennies plus tard, appelons un chat un chat. « Pour moi, t’es qu’un détail, une pipe de plus que je taille », chante MarieFlore sur son nouvel album à paraître le 18 octobre. Point d’inhibition pour la chanteuse de 32 ans qui renonce définitivement aux allusions métaphoriques. Pourquoi

parler cul si on ne peut pas parler cru ? Telle est sa réflexion, loin de ses premières compositions folkeuses. Elle a coupé ses cheveux, abandonné l’anglais, modernisé le son et durci son vocabulaire. « Je n’ai pas envie d’édulcorer mes propos, affirme celle qui se montre sous son vrai jour. Je voulais une photo nette et précise d’un moment, brutal, que j’ai vécu, une passion, physique, viscérale, et qui dit rapport au corps dit rapport au cul. C’est aussi une façon de briser mon image de “petite meuf à guitare, voix douce, jolies chansons” qui m’a gavée. »


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Franche, Marie-Flore explore pourtant une zone vierge. Elle a goûté à la crudité des mots en écoutant Damso, jusqu’à l’obsession. « Dans le hip-hop, les artistes parlent de sexe avec tous les détails, repoussant toujours plus les limites de l’obscénité, et c’est devenu la norme », explique Kazu Makino, représentante féminine du trio d’indie-rock Blonde Redhead. Sur son dernier single en solo, “Come Behind Me, So Good !”, la Japonaise s’amuse en son nom propre avec le doublesens des paroles et joue sur la puissance érotique de chœurs haletants. Le clip, filmé dans une église, a nécessité l’autorisation du Vatican. « Plutôt que de dire à quelqu’un “je surveille tes arrières”, j’ai préféré lui suggérer de venir derrière moi pour que je puisse prendre soin de lui. Je pensais que les gens seraient plus nombreux à me parler du sous-entendu sexuel, mais finalement, il n’y a que chez vous qu’on me fait la remarque », plaisante-t-elle. Spécificité française ou non, notre femcee-pop MarieFlore partage ses punchlines décomplexées avec sa compatriote Marine Pellegrini alias Erotic Market. La Lyonnaise est rompue à l’exercice, en anglais dans le texte de “Cinnamon Rolls” : « You can fuck whatever damn girl you want/You’ll never find a spice like this/They’ll never squeeze like me/You’ll never feel a juice like this/Mine drowns you instantly » (« Tu peux baiser n’importe quelle autre fille/ Tu ne trouveras jamais une épice comme la mienne/Elles ne se serreront jamais comme moi/Tu ne sentiras jamais un jus comme celui-là/Le mien te noie immédiatement »).

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BAISE-MOI, JE TE BAISE Marine s’offre ainsi la première référence lyrique aux femmes fontaines. « Le sexe est un sujet que j’aime bien, sans doute parce que je me suis sentie sexualisée très tôt dans ma vie », explique celle qui cultive son parler cru avec les hommes de son entourage. « C’est quelque chose que je pratiquais beaucoup avec mon batteur, raconte-t-elle. Ça m’est rarement arrivé de parler de femmes fontaines avec des femmes, ni même de porno, alors qu’avec les

hommes, on peut parler technique. » « Nous les filles, on sait aussi parler cash, lui soutient la Suissesse Sandor, balayant les considérations de genre. Certains seraient surpris de nous savoir aussi impudiques en privé, donc arrêtons de se le cacher. » Son titre “Tu disais” explore la transparence de l’acte sexuel avec impudeur et justesse : « Tu aimais hein que je t’encule hein tu disais “viens”/Soulève ton pull que je te touche tu disais “viens dans ma bouche”/Tu te souviens dis ? quand tu disais “Oh oui, baise moi !/Baise-moi encore Baise-moi plus fort”/Tu disais “entre dans mon corps”/Mes souvenirs s’en vont/Tu disais “Hmm c’est bon”/mon amoureux/ Fais-moi l’amour/tu disais “elle est bonne ta queue”. » Madonna, Cher, les Rita Mitsouko, Guesch Patti… il y a des précédents dans la pop music. Mais au-delà de la simple évocation du sexe, les artistes d’aujourd’hui s’emparent du sujet sans ambages, avec force et parfois agressivité, pour faire date. « Quand une femme chante le sexe, sans forcément parler d’amour, c’est forcément plus puissant et plus agressif, parce que c’est en même temps une prise de pouvoir », dit Kazu, avant de préciser : « Quand je dis “agressivité”, c’est surtout dans


“ Je voulais une photo nette et précise d’un moment, brutal, que j’ai vécu, une passion, physique, viscérale, et qui dit rapport au corps dit rapport au cul. C’est aussi une façon de briser mon image de « petite meuf à guitare, voix douce, jolies chansons » qui m’a gavée.”


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leur façon de se représenter au monde. Il faut assumer, avoir l’aisance de chanter sa sexualité. J’aimerais pouvoir le faire. ». « C’est plus délicat quand les mots crus sortent de la bouche d’une femme, témoigne Sandor, qui appréhende la question de l’autocensure comme une injonction inconsciente. À l’origine, “Tu disais” n’était pas destinée à sortir. C’était un revenge fuck. » Sandor, qui emprunte son pseudonyme à une comtesse hongroise transgenre, est d’abord enseignante avant d’être chanteuse. Son premier trouvait que « c’était un peu chaud », son deuxième trouvait cette chanson « géniale ». « J’étais très embêtée, poursuitelle. Certains journalistes m’ont conseillé de changer les paroles pour que “Tu disais” passe en radio, mais je n’ai touché à rien, et au final, cette chanson, brute de décoffrage, pour laquelle je n’ai fait aucune promo, a dépassé toutes les autres sur les plateformes de streaming. » Biberonnée au très érotique “Déshabillezmoi” de Juliette Gréco, Sandor s’inquiète d’une frilosité certaine à parler sexe aujourd’hui. « Il faut non seulement s’attribuer les mêmes droits que les hommes mais aussi le langage, dit-elle. Ces dernières années, on l’a beaucoup recadré, sur des questions comme le racisme et le sexisme, et c’est bénéfique, mais le genre s’est invité là-dedans et ça a donné un discours unique, où la femme est dépeinte comme une chieuse, portée sur les vêtements, et le pauvre mec qui ramasse. C’est affligeant. Ma chanson est inclusive et j’en suis fière. On ne sait pas s’il s’agit d’une fille-un garçon, deux filles ou deux garçons. »

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SEXE FORT Toutes les chansons précitées sont habitées d’une force expressive féministe. Leurs sentiments sont non-retouchés, débarrassés des tabous, en particulier sur la question de la libido féminine. « May I offer my sexe/Stop by the stoup/Take Some Holy Water/ Sunday mass is about to begin/Stop by the vault/Say a little prayer/Can you feel my cunt quivering » (« Puis-je offrir mon sexe/Arrête-toi au

bénitier/Prends de l’eau bénite/La messe du dimanche est sur le point de commencer/ Arrête-toi sous la voûte/Dis une petite prière/Peux-tu sentir ma chatte frémir »), chante Marine d’Erotic Market dans un délire érotico-mystique à la Georges Bataille. « Je trouve que le vagin est un endroit sacré, fragile et en même temps puissant comme souvent avec la ferveur mystique », justifie-telle. En creux, la question du pouvoir dont on voudrait priver la femme. « La libido, c’est la vie, c’est le désir d’aller de l’avant, d’aller vers l’autre, de s’aimer soi-même, de se trouver belle, et c’est le début de la puissance, du pouvoir. » « Mon attitude sur scène a évolué, analyse Marie-Flore. Jusqu’à maintenant, je n’étais que fragilité pour les gens, mais la force des propos et la manière dont je les scande me font me sentir puissante. » Quand la brune aux cheveux courts chante « J’t’ai pas dit chéri mais t’es très loin, très loin, d’être au niveau » sur “Pas Envie”, c’est pour mieux recadrer l’ego masculin. « On nous fait croire aux préliminaires mais la jouissance masculine marque souvent un point d’arrêt à l’acte sexuel, et si tu as eu le temps de jouir entre les deux ma petite, c’est tant mieux pour toi », regrette-t-elle. Dans son rapport au plaisir, la Française renverse les rôles et fait de l’homme un objet de désir au même titre que ce dernier objective la femme, la réduit à son sex-appeal. Quand Trent Reznor des Nine Inch Nails chante « I want to fuck you like an animal » (« Je veux te baiser comme un animal ») et Alex Cameron, « hard to breathe eating your ass like an oyster » (« difficile de respirer en mangeant ton cul comme une huître »), elle répond : « Des mecs, je m’en suis tapé » (“Bleu Velours”) ou « Me faire l’amour à domicile/C’est quand tu veux (…) Ce sera si bon/Et j’en ai jamais assez » (“Presqu’île”). « Les femmes sont autant des animaux que les hommes, annonce-t-elle fièrement. Nous ne sommes pas des petites filles gentilles qui ne savons pas ce que nous voulons. » Elles sont no-limit. C’est dit !


MARIE-FLORE NOUVEL ALBUM BRAQUAGE LE 18 OCTOBRE EN CONCERT LES 25 NOVEMBRE, 2 ET 9 DÉCEMBRE À PARIS (LES ETOILES)

KAZU PREMIER ALBUM ADULT BABY DISPONIBLE EN CONCERT LE 22 NOVEMBRE À PARIS (LES ETOILES)

EROTIC MARKET NOUVEL EP BOREDOMS LE 26 SEPTEMBRE

SANDOR PREMIER ALBUM SANDOR DISPONIBLE


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C’est un de nos rendez-vous riverains préférés. Déjà parce que c’est quand même juste à côté, pas besoin d’aller au terminus d’une ligne de métro plus longue que vos réunions du lundi en gueule de bois… Parce que ce n’est pas le week-end non plus ! Et surtout, parce que c’est le MaMA Festival.

FESTIVAL

MaMA

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Notre bien-aimée rencontre du 18e est de retour du 16 au 18 octobre et investit ses quartiers comme chaque année. De la Machine du Moulin Rouge au Carmen, en passant par la Boule Noire, la Cigale, le Bus Palladium, les Trois Baudets… c’est tout le boulevard de Clichy qui va vibrer sous la musique. On en profite d’ailleurs pour vous faire un petit brief rapide de qui il faut absolument aller voir, et pourquoi.

LALA&CE On parlait d’elle dans notre double numéro de cet été, parce qu’on avait flairé le bon filon. Passée par le Loud & Proud il n’y a pas si longtemps, la jeune Lyonnaise s’offre à nouveau un voyage à Paris ; retour en terre conquise. Ancienne membre du 667, elle fait partie de cette nouvelle vague du rap français : plus franche, plus dure, plus folle.

OUAI STÉPHANE

NSDOS Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas eu l’occasion de voir NSDOS en live. Alors là, quand on nous dit que l’artiste prépare un spectacle inédit où des instruments sont branchés à son corps pour analyser ses mouvements de danse et les transformer en musique, mais que du coup les mouvements seront aussi calés sur la musique, enfin c’est mélangé… J’ai pas tout compris, mais on a hâte.

VON BIKRÄV On reste encore un peu sur de l’électro, mais dans un registre plutôt méchant. Le genre de son qui va te vriller les tympans, les genoux, la mâchoire… la totale. Roi du frapcore (mélange rap français et hardcore) dont il est l’un des précurseurs, son dernier album 100% Bibi a mis une distance d’environ deux années-lumière sur ses successeurs. Va falloir bosser les gars.

SÔNGE Parce qu’il faut quand même que tu puisses chiller et profiter de la musique façon concert de soul, jazz et autres influences de la culture afro-américaine. Et ça, Sônge a tout pour t’en faire profiter. Un nouveau genre de R’n’B qui n’est pas sans rappeler Lauryn Hill, IAMDDB, FKA Twigs et Aretha Franklin. Si si, on n’a pas l’air comme ça, mais on s’y connaît en musique. Indescriptible. Si on pouvait s’arrêter là, ça suffirait déjà. Dans le personnage et dans la musique, on retrouve ce côté DIY d’un Jacques ou d’un Marc Rebillet, avec une folie différente mais tout aussi agréable. Et ses instruments, façonnés à la main, aux allures d’électroménager au son unique… Ouai Stéphane, c’est un peu la perche de ta vie quoi.

MAMA FESTIVAL DANS TOUT LE 18 (ET UN BOUT DU 9) DU 16 AU 18 OCTOBRE PLUS D’INFOS SUR MAMAFESTIVAL.COM


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ÔDE AU MAUVAIS GOÛT :

LE BEAUF STYLE

CE BRANCHÉ COMME LES AUTRES T

MANON MERRIEN-JOLY


À peine terminée sa vadrouille en Europe de l’Est, la Distyllerie rentre à Paris pour une série consacrée à l’esthétique du mauvais goût. Ce mois-ci, focus sur la figure du beauf, lui qui opère un drift fracassant dans l’appart’ de tous les Parisiens un poil dans le vent. Comment l’homme le plus moqué de France inspire-t-il aujourd’hui les sphères les plus hype de Paris ? Au menu : Cabu, voitures tunées, modèles mulets, défilés, fiat Multipla et PMU. Roule ma poule  !


imaxtree

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À l’heure où vous tenez ce bout de papier entre les mains, la Fashion Week s’est achevée depuis quelques jours seulement. Gvasalia a raccroché Vetements, tout le monde est crevé et ne peut plus voir un influenceur en peinture. Heureusement, il y en a un qui vous fait toujours marrer, c’est le beauf. C’est, vous, c’est moi, c’est nous. Mais c’est quoi ? En 1980, Cabu présentait le beauf (personnage qu’il invente dans Mon beauf en 1976 et peaufinera jusqu’en 2014) à la France entière en racontant à un Bernard Pivot amusé dans Apostrophes que « le beauf, c’est le personnage qui n’a aucun doute, que des convictions. Il représente le bon sens français mais ne se rend pas compte qu’il est complètement manipulé. ». Dans la V1, le beauf bosse dans une usine d’armement. Dans la V2, en 1996, il s’est reconverti dans la pub’ ou dans la com’ et a pour ennemi n°1 la version précédente. Détrompez-vous, orgueilleux Franciliens, le Parisien est un beauf comme les autres. Peut-être même le plus représentatif d’entre eux, dixit Cabu :

“ Le beauf, c’est le personnage qui n’a aucun doute, que des convictions. Il représente le bon sens français mais ne se rend pas compte qu’il est complètement manipulé. ” « partout où il va, il se sent le plus intelligent, le plus malin. ». Côté passions, la voiture est en tête du peloton, en particulier les grosses cylindrées américaines. Les bars et les cafés, où il peut vigoureusement faire part de ses convictions avec un pastis dans le nez, sont ses repaires. Côté sapes, le marcel, la gourmette, le T-shirt à l’effigie d’un animal (de type dauphin ou chien de toute race, caniche abricot en vedette) et la chemise à fleurs ont le vent en poupe. Les émissions de télé-réalité du début du siècle type Loft Story rajoutent une couche trash à la caricature. Vingt ans plus tard, les quais du canal de l’Ourcq sont blindés de pétanqueurs amateurs, les packs de Kro jonchent les tables des before du 11e, elles-mêmes piétinées par de jeunes âmes vêtues de rose et de strass en route pour les soirées Darude. En juin dernier, à New York, Discount Universe mettait en scène pour sa collection printemps-été 2020 une jeune



Dani-Miller

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ÔDE AU MAUVAIS GOÛT

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tigresse coiffée d’un gras mulet, chaussée de santiags et vêtue d’ensembles aux motifs enflammés ou d’une combinaison léopard illuminée par des boucles d’oreilles étoiles qu’on trouverait facilement chez Claire’s pour 9,99 €. Au même moment, Demna Gvasalia organisait la présentation de Vetements dans le Mcdonald’s des ChampsÉlysées, point de ralliement des Gilets Jaunes – à maintes reprises taxés de beaufs. Le designer, qui grandit en plein URSS, confiait avoir toujours « voulu organiser une fête dans un McDonald’s ». Les anniversaires passés là-bas prennent immédiatement une autre tournure. BEAUF OU PÉQUENAUD ? « Dans ce monde, tout est fait pour les beaufs. La musique, les automobiles... Tout ! Tout est fait pour un archétype du Français. », remarquait Cabu. Une pure construction marketing venue tout droit de la tête des pubards, profileurs amateurs qui tentent de “décrypter le consommateur” quitte à bourrer ses productions de clichés. Comme le rat des villes et le rat des champs, il existe un beauf des champs, connu sous le nom de péquenaud. Le péquenaud, cul-terreux ou bouseux, contrairement au beauf, n’est pas dupe, moins perméable aux tendances imposées par la société de consommation. Les seules préoccupations de ces femmes et ces hommes de la terre sont leur bétail et la météo. Les deux figures se retrouvent dans le 13 heures de Jean-Pierre Pernaut sous l’œil rieur du Parisien qui, en vacances chez les grands-parents, se trouve bien différent. À croire que les designers matent aussi les infos locales, si l’on s’attarde un peu sur la prolifération de santiags, de salopettes et de T-shirts à portraits jusque sur les podiums. En parallèle, le retour au vert dû à un trop plein de numérique, un climat social rythmé par les grèves et les manifs, la nostalgie du début du XXIe siècle ainsi que deux-trois

“ Dans ce monde, tout est fait pour les beaufs. La musique, les automobiles... Tout ! Tout est fait pour un archétype du Français. ” épisodes de Strip-Tease matés en lendemain de teuf instaurent une volonté de satire permanente. Ruben Bissoli, créateur du label 8IGB Community Clothing, que nous avions rencontré pour le numéro 87 (octobre 2018), disait « jouer avec les codes du marketing » et être entravé par le bon goût, qui l’empêche de « creuser au-delà de ce qui n’est pas forcément joli ». Sus donc à la moustache fer à cheval ? Aux T-shirts à l’effigie de Johnny et au full léopard ? Ne jamais dire jamais, comme dirait le dicton. Après tout, la banane que vous écumez en soirée depuis plusieurs mois est la descendante directe du brocanteurbouliste amateur. Et la Fiat Multipla, qui a suscité l’horreur pendant de longues années, vivait ses heures de gloire à La Rochelle en septembre dernier lors d’un rassemblement organisé par les bonhommes de la Mécanique Générale. Le beauf a-t-il seulement un jour disparu de l’Hexagone, ou s’est-il seulement un jour effacé pour mieux revenir ? Le nouveau beauf est-il le normcore qui pleura la disparition de Concrete ? Ou bien est-ce celui que vous croisez le samedi matin en after à 9 heures au PMU du coin, pour “refaire la France” comme le faisaient si bien nos aînés ? Peut-être trouverons-nous la réponse là-bas…


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T/ JACQUES SIMONIAN P/ NAÏS BESSAIH

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LE MONDE D’ACID ARAB

EST “JDID”


Pour la sortie de leur nouvel album, le bien nommé Jdid, une expression empruntée à la langue arabe et depuis largement popularisée en France, que l’on pourrait traduire par “frais”, nous avons tapé la causette avec le quintette Acid Arab.

Nichés gracieusement dans l’une des pièces de ce bel établissement qu’est l’hôtel Grand Amour, Guido, Hervé, Pierrot, Nicolas et Kenzi nous ont fait voyager de l’Algérie au Niger en passant par la Syrie où la Turquie, sans que nous ayons à quitter le Xe arrondissement parisien. Ils sont aussi revenus pour nous sur cette considération toute nouvelle qu’est en train de vivre la musique orientale.


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À réception du dernier disque d’Acid Arab, nous avons d’abord été agréablement surpris par la simplicité de sa pochette. De ce petit carré aux teintes blanches et grises, où le nom du groupe presque effacé laisse une place plus appuyée au “Jdid” central, qui le domine, il est difficile d’imaginer tout de suite qu’autant de couleurs puissent s’en échapper. Pourtant, dès que nous le retournons pour nous concentrer sur l’autre face, celle où la tracklist règne, des indices se manifestent en nombre, tous écrits avec cette même police noire et majuscule. Il s’agit de l’identité des artistes invités à prendre part au projet, précisément sur 9 des 11 morceaux qui constituent ce disque. Parmi tout ce beau monde, certains nous apparaissent comme familiers (Cem Yıldız, Sofiane Saidi et Rizan Said), car déjà convoqués sur leur précédent essai Musique de France (2016). D’autres sonnent comme des évidences quand on connaît l’insatiable soif de découverte du groupe pour les talents internationaux et reconnus (Les Filles De Illighadad, Ammar 808…), d’un genre à l’appellation si galvaudée et insensée qu’est la “world music” – comme si la musique traditionnelle japonaise partageait autre chose avec le chaâbi algérien que de ne pas être occidentale… Si la démarche de simplement mettre en avant le nom des artistes avec qui le groupe a collaboré pour confectionner son album peut sembler normale, elle porte en fait toute une symbolique que Pierrot explique : « C’est très important pour nous de faire ça. On ne cache pas les featurings, au contraire. Ça veut dire oui OK c’est un disque d’Acid Arab, mais c’est aussi le fruit du travail des personnes qui sont avec nous ». Il faut effectivement insister là-dessus, particulièrement depuis que la musique orientale connaît une nouvelle hype, et que les labels de rééditions fleurissent. Car par le passé, les choses ne se sont pas toujours déroulées ainsi, comme Guido le souligne : « faire des compilations de “world music” est une entreprise très simple,

“ On ne cache pas les featurings, au contraire. Ça veut dire : oui OK c’est un disque d’Acid Arab, mais c’est aussi le fruit du travail des personnes qui sont avec nous” surtout quand on ne fait pas l’effort de rétribuer les chanteurs à l’origine de ses morceaux. On a eu pas mal d’exemples. Mais avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme Jannis (Stürtz, fondateur de Habibi Funk, ndlr) le vent est en train de tourner. ». Ce n’est absolument pas un hasard que Guido évoque cet Allemand : depuis qu’il a lancé son label de rééditions, les cartes du jeu ont été redistribuées. Jannis Stürtz est réputé dans le milieu pour être « un fou ». Sa démence se mesure à la capacité de travail immense qu’il fournit pour que chacune de ses sorties amène avec elle une rétribution aux artistes, ou à leurs familles, si ces derniers ne sont plus de ce monde. « S’il faut attendre 1 an avant de publier un disque pour être sûr que tout soit en règle, il le fera ! Par chance, il a beaucoup de succès, et ça donne un exemple aux autres. C’est difficile aujourd’hui d’arriver et de mal se comporter quand à côté Jannis fait ça. Désormais, grâce à lui, ou à cause de lui, on ne pourra plus arnaquer les artistes arabes comme c’était le cas », renchérit Guido. Ici, il faut rendre à César ce qui appartient



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ACID ARAB

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Avec ce vent nouveau qui souffle sur la musique orientale, toute une frange de personnes sort les violons pour affirmer sans mal que ces démarches agissent à la façon d’une « réappropriation culturelle » – une expression valise dénuée de tout sens, qui ne met pas en avant tous les échanges qu’il peut y avoir entre les partis. Cette idée de « donner autant que l’on reçoit », comme l’identifie Pierrot, n’est pas étrangère à Acid Arab, loin de là. Elle constitue même le cœur de ce projet (et des précédents).

à César, et dire qu’Habibi Funk n’est pas l’unique structure à fonctionner ainsi. Brian Shimkovitz, créateur du blog Awesome Tapes From Africa, devenu label avec le temps (et le succès) est aussi de ceux-là. Bien que tout soit fait en bonne et due forme, et que cette volonté de redécouvrir des œuvres oubliées soit noble, une critique subsiste : qu’en est-il des artistes locaux qui sont actuellement en activité ? C’est une nouvelle fois Guido qui se lance, toujours avec le même nom en bouche : « Avant de fonder Habibi Funk, Jannis avait déjà un autre label, Jakarta Records, qui sortait des artistes du moment. Il n’est pas seul. Il y a quelques jours, j’ai vu Amine (Metani, fondateur de Arabstazy, ndlr), et eux aussi font un travail de recherche de talents actuels plutôt que des trucs anciens. En même temps, c’est cool d’enfin connaître ces styles. ». « Tant que les deux sont bien faits ! », conclut Pierrot.

Pour bien comprendre Jdid, et plus généralement leur musique, c’est avec les termes d’échange donc, et de dialogue, qu’il faut raisonner. Et quel meilleur exemple que la composition du groupe elle-même pour illustrer cela ? D’abord connu à tort pour être l’association de Guido et Hervé, Acid Arab est en réalité un collectif, qui compte en son sein des artistes d’horizons divers, comme le claviériste algérien Kenzi Bourras, membre actif depuis un bout. « Au même titre que les productions de Kenzi ont évolué à notre contact, détaille Hervé, notre façon d’envisager la musique, arabe ou non, a changé aussi. C’est un échange très sain. » Plus que cela, c’est une véritable fusion qui s’opère sur chaque piste de cet album, mêlant à des titres technoïdes le dabke représenté par Rizan Said sur “Ras El Ain”, le raï insufflé par la chanteuse Radia Menel sur “Staifia”, même une espèce de blues touareg pour le morceau “Soulan”, enregistré avec le trio Les Filles De Illighadad ; une sorte de Velvet Underground du désert. Forcément, lorsque l’on parle d’échanges, il faut aussi nécessairement raisonner en termes de rencontres, et donc, de belles histoires. Cet album en est truffé. Gardons le groupe cité plus haut pour illustrer le propos. En bons amoureux de la musique de ces trois femmes (et de leur guitariste Ahmoudou Madassane, qui accompagne aussi Mdou Moctar), originaires d’Illighadad dans le Sahara nigérien, Guido et Hervé sont


allés à leur rencontre pour leur proposer une collaboration. Après un concert et une soirée spécialement organisés pour elles, la paire en profite pour les ramener en studio. Le reste appartient à la légende : « Pour ce morceau, on avait pensé à une petite base, avec le BPM, la tonalité, et quelques références de leurs chansons qu’on adore », se souvient Pierrot. Guido le coupe : « Quand les filles sont arrivées au studio avec leur guitariste, elles se sont assises par terre en plein milieu, et ont commencé à composer. C’était un moment fou ! ». Qui se répète d’ailleurs pour la plupart des collaborations que le groupe entreprend. Ce n’est donc absolument pas une surprise si Jdid agit autant comme une invitation à voyager, selon deux étapes bien précises – l’ordre des morceaux a été scrupuleusement réfléchi. Tout commence de l’autre côté de la Méditerranée, en Algérie – « une influence majeure pour ce disque ». Guidée par cet amour du pays, et de son genre musical signature, le raï, l’exploration sonore trouve son origine avec le titre “Staifia”, et le chant typique de Radia Menel se plonge dans la pure tradition avec la doublette Club DZ-Rimitti Dor, avant de glisser vers d’autres pays. La seconde partie du disque est plus éclectique, et se balade de la Tunisie futuriste d’Ammar 808 mise en exergue sur “Rajel”, à la Turquie de Cem Yıldız (“Ejma”), en passant évidemment par le Niger (“Soulan”), pour se terminer avec le dabke syrien, représenté par l’un de ses claviers les plus en vogue, celui de Rizan Said. La boucle aurait pu être bouclée, mais comme toute histoire qui se respecte, il faut obligatoirement une fin. Ce rôle a été fait sur-mesure pour la dernière chanson de l’album, “Malek Ya Zahri”, en feat avec Cheikha Hadjla. Différent de ces prédécesseurs, ce titre est un puissant mélange entre quelque chose de très raï des années 80, et la bandeson d’un film futuriste. Pierrot confirme :

“ Quand les filles sont arrivées au studio avec leur guitariste, elles se sont assises par terre en plein milieu, et ont commencé à composer. C’était un moment fou !” « Effectivement, c’est rétrofuturiste. Ça représente peut-être l’image que le groupe avait du raï, ou comme on aurait aimé l’entendre aussi ». Et si nous tenions là une indication sur la prochaine direction artistique qu’Acid Arab s’apprête à embrasser ? Pierrot : « J’ai l’impression que tu vises juste ! C’est ce qu’on s’était dit (rires). Ce dernier morceau appelle à autre chose, qu’on fera, ou non. Oui, ça peut être une piste pour un autre disque encore plus pop… » Sans se projeter si loin, on vous recommande d’abord de vous laisser pleinement happer par Jdid, qui mieux qu’un simple album de musique, porte en lui toute une mentalité nécessaire pour être en phase avec l’époque dans laquelle nous vivons. ACID ARAB – JDID (CRAMMED DISCS) SORTIE LE 18.10.2019 EN CONCERT : RENNES, TRANSMUSICALES - 07/12, METZ, LA BAM - 25/01 PARIS, ÉLYSÉE MONTMARTRE - 31/01


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@NACHTCLUBSBERLIN ©SABRINA JEBLAOUI

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JEUDI 10 OCTOBRE 19h Pavillon des Canaux Tentacalme #2 : I:Cube 20h Studio du Lendit Greenroom Experience 20h La Petite Halle Wolf Hour & Trax : Darzack (live) 00h Djoon 10€ On Your Marks: Phil Weeks… VENDREDI 11 OCTOBRE 19h Grand Rex New Order en concert 20h Le Kilowatt 40€ Entente Nocturne Festival 2019 23h Glazart 15€ Bender 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr SAMEDI 12 OCTOBRE 14h Une Journée au Cirque 22€ L’extraordinaire chapiteau de Madame Loyal 23h YOYO Palais de Tokyo 20€ Déjà-Vu : Bjarki, Skee Mask… 00h Rex Club 20€ Bass Culture : Raresh & D’Julz MERCREDI 16 OCTOBRE 19h Paris 18e MaMA Festival 2019

AGENDA

VENDREDI 18 OCTOBRE 23h La Station 13€ Pardonnez-nous 5 ans 23h Pavillon Cambon 30€ Chez Gustave : Darius, Superpoze… 23h Badaboum 15€ Prins Thomas extended set 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr

IMPRIMÉ EN FRANCE

SAMEDI 19 OCTOBRE 22h La Station 15€ Release Party BBX #1 23h Lieu secret 20€ BNK : 3 Years Anniversary 23h La Bellevilloise 18€ Free Your Funk : Jungle & Henry Wu MERCREDI 23 OCTOBRE 20h CENTQUATRE 35€ Four Tet live VENDREDI 25 OCTOBRE 20h La Rotonde Apéros Micro w/ Neighbor Hood 22h La Bellevilloise 15€ Beirut Electro Parade 00h Glazart 10€ Venez danser un slow avec le diable 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr SAMEDI 26 OCTOBRE 19h Montreuil 25€ Looping Festival 00h Rex Club 20€ Folamour’s 4MYPPL Residency #3 00h Nouveau Casino 10€ Skylax Grand Opening JEUDI 31 OCTOBRE 17h Grande Halle de la Villette Pitchfork Music Festival 22h La Karambole Halloween Party w/ Mirely 00h à la folie paris 10€ Gang Coquette : Halloqueen VENDREDI 1 NOVEMBRE 23h La Station 10€ Spectrum 23h Chateauform’ 18€ EXIL x RAW 00h La Machine 20€ GreenHouse 00h Bus Palladium Bonbon Party, invits sur lebonbon.fr


MUSIC

présente à Paris

SHANNON WRIGHT piano solo

FLÈCHE LOVE

14.10

5 & 6.11

@J. Maris

@R. Greco

L A B OULE NOIRE

L E T R IANON

ACID ARAB Live

NAIVE NEW BEATERS

31.01

08.11

@J. Bandit

L E T R IANON

- www.wartiste.com -

@P.Levy

E L Y S ÉE MONTMARTE



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