Le Bonbon Nuit 67

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Septembre 2016 - n° 67 - www.lebonbon.fr


R.C.S. RPM 0470577088

Une , un citron vert, un rituel.*

Bière brassée au Mexique - * Corona est idéalement servie avec un quartier de citron vert

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


EDITO �

Sarkozy revient pour une dixième saison, Donald Trump est à deux doigts de devenir le maître du monde, Secret Story annonce son retour en politique alors que tout le monde s’en fout, des abrutis se battent pour savoir si oui ou non on doit interdire un bout de tissu sur les plages, TF1 devient plus fréquentable que canal+ et C’est mon choix passe en boucle sur la TNT. Que cette rentrée s’annonce cool. Tu m’étonnes qu’après les gens se réfugient dans la nostalgie… le monde devient si merdique qu’on s’habille tous comme les Spice Girls et qu’on réécoute en soirée des vieux tubes dance qu’on trouvait déjà tout pourris à l’époque. Aussi, je décide d’aborder cette rentrée avec un trip transgressif, suivre cette mouvance old school 90’s. Alors j’ai séquestré mon père pour qu’il m’accompagne faire les courses de rentrée chez Prisunic pour acheter des fournitures. Bon, à 69 ans, le padre n’a plus la même pêche qu’avant, il se laisse moins convaincre qu’à l’époque pour acheter des conneries. Le Prisu est devenu un Auchan, et le prix des fournitures a doublé. Je me dirige tout naturellement vers le rayon alcool. « T’es sûr que t’as pas déjà tout ça à la maison ? » « Mais non papa j’te jure, c’est pour interviewer Nicolas Ker, c’est le prof qu’a demandé ! » Je mets dans le caddie des cartes Pokémon pour Boris Bergmann, des crayons et du papier pour essayer de pécho Charlotte Le Bon et des anti-vomitifs pour Arielle Dombasle, qui a le mal de mer. Pendant que je fais le fou avec mon caddie en achetant n’importe quoi, papa s’enfile ses Prozac au rayon des Swiffer. Fini le Prisunic, j’emmène mon père à Saint-Ouen pour continuer les courses. Arrivé là-bas, le daron lésine un peu sur le prix de mes fournitures : « Oh non fiston, 160 euros les deux, c’est beaucoup trop cher ! » « Mais papa, c’est une super marque péruvienne ! Avec ce matos je vais courir super vite ! » « Bon allez ! Mais après c’est tout hein ! » Me voilà paré pour la rentrée ! Raphaël Breuil

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TEAM �

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION RÉDACTEUR EN CHEF DIRECTEUR ARTISTIQUE CONCEPTION GRAPHIQUE TYPOGRAPHIES COUVERTURE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION GRAPHISTES RÉDACTEURS

RESPONSABLE DIGITAL COMMUNITY MANAGER CHEF DE PROJETS PARTENARIATS RÉGIE PUB DIRECTEUR DES VENTES CHEFS DE PUBLICITÉ PRINT SAS LE BONBON IMPRIMÉ EN FRANCE

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Jacques de la Chaise Raphaël Clément Breuil Tom Gordonovitch République Studio Dinamo Typefaces Charlotte Le Bon par Flavien Prioreau Louis Haeffner Coralie Bariot, Cécile Jaillard Cyrielle Balerdi, Arnaud Chaillou, Laura Dubé, Agathe Giraudeau, Rachel Thomas, Tiana Rafali-Clausse, Olivia Sorrel-Dejerine Antoine Viger Anouk Van Leggelo Dulien Serriere, Florian Yebga Margaux Décatoire, Hugo Derien Thomas Bonnet, Carole Cerbu, Arnaud Laborey Hugo Delrieu Nicolas Portalier, Benjamin Haddad 12, rue Lamartine 75009 Paris Siret 510 580 301 00032 01 48 78 15 64


SOMMAIRE �

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À LA UNE Charlotte Le Bon

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MUSIQUE Nicolas Ker par Arielle Dombasle

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GONZO Cabaret Trash

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LITTÉRATURE Boris Bergmann

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MUSIQUE Acid Arab

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MÉTIER DE LA NUIT Croupière

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CINÉMA L'homme au bras d'or

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HOTSPOTS � ① S’APPROPRIER UN NOUVEAU LIEU Pigalle se dote d’un nouvel établissement nocturne pour notre plus grand plaisir : le B75. Cet ancien "cabaret" a été repris par les fondateurs des collectifs La Brique et Syndrome. L’opening, de minuit à midi, affiche une programmation musclée : Ayarcana, AWB, Parfait & more… Pour notre plus grand plaisir ! Vendredi 9 septembre, au B75 ② SE PERDRE DANS L’ESPACE-TEMPS Les joyeux lurons d’Alter Paname font leur rentrée en accueillant Jeff Mills pour une prestation qui vous permettra de « découvrir et de vivre une autre réalité, un autre espace temps » pendant 5h. Egalement au programme, Kosme, roller disco dancing, les potes d’OTTO10… Tout pour passer une (très) bonne soirée. Vendredi 16 septembre, Lieu TBA

© Flavien Prioreau

③ FAIRE UN TOUR À LA PLAGE Petit détour par le pays du Soleil grâce au crew La Mamie’s. Il sera si bon de goûter une dernière fois aux plaisirs de l’été, pieds nus dans le sable fin… Pour prendre soin de vos oreilles, Kodäma (première signature de Mamie’s Records), la première en France de Kidsuke, La Mamie’s, & more… et plein d’animations des plus loufoques ! Lundi 19 septembre, à la Plage Du Glazart ④ SE RENDRE À LA MESSE Rêve éveillé, rave en journée. Alternative Projects transforme la Grande Halle de La Villette le temps d’une journée en terrain de jeu pour tous les prêcheurs de la bonne parole techno. Laurent Garnier endossera le costume de pape pour un set de 5h, secondé par le pasteur de Détroit Terrence Parker. On a rarement été aussi enchanté d’aller à la messe. Amen. Samedi 1er octobre, Grande Halle de La Villette 5


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CH LE A LA B RLO O EN P N TT A , E CH RE AN NT TI HÈ ER S E

À LA UNE � T RAPHAËL BREUIL P FLAVIEN PRIOREAU

Pour réaliser cette interview, Charlotte Le Bon a invité le Bonbon Nuit là où elle bosse : dans un atelier de sérigraphie vers Montparnasse. Eh oui, la “miss météo de canal+” gribouille. Y’en a même dans le métier qui disent que c’est de l'art. A tout un chacun de vérifier, votre opinion ne lui posera pas de problème. Dès mon arrivée, l’hyperactive, chouchoute de Spielberg, me

montre ses merdes. Non pas que ce soit nul, mais elle me montre littéralement plein de petits cacas, des bananes et des petits cœurs dessinés qu’elle va ensuite vendre pendant la durée de son exposition. Pendant qu’elle travaille et fait mille choses en même temps, on la questionne sur son succès fulgurant, sur son obsession de toucher à tout et sur son tatouage raté qu’elle a sur les fesses. 7


« Dès que j’étais moche, je me sentais libre. De venir sur le plateau couverte de merde ou déguisée en coach gouine, c’était les seuls moments où je me sentais bien.  »

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On ne te voit pas souvent sur les plateaux télé, chez Hanouna, Arthur, toute la team, tu serais pourtant une bonne cliente… Je déteste ça… Je préfère être discrète. C’est un peu putassier, c’est pas mon truc. Je te jure que je ne suis pas bonne cliente. Tu n’as pas dans ces émissions le luxe d’avoir le temps de réfléchir à tes vannes. Les bons clients sont les rois de la punchline, je ne suis pas comme ça. Je ne sais pas si je suis si rigolote que ça. J’aimerais avoir un niveau où tu peux l’éviter. Mais ce n’est pas pour tout de suite, je n’ai pas fait mes preuves encore. Tu n’as jamais rien cherché au fait. Tu acceptes tout ce qu’on te propose ? Non ! Mais j’ai eu beaucoup de chatte effectivement ! On ne dit pas non à Zemeckis ! Mais tout peut s’arrêter demain, j’en suis pleinement consciente. J’accepte un rôle parce que j’accepte un défi. Par exemple avec The Promise, quand tu joues avec des mecs comme Oscar Isaac (Star Wars) ou Christian Bale (Batman), ou quand tu te retrouves face à Robert Zemeckis (Retour vers le futur et plein d’autres films) à qui tu as été recommandé par Spielberg (encore plus de films), bon je me la pète un peu, mais tu te prends une claque tous les jours. Même chose dans le dernier Jalil Lespert (pour et avec qui elle a déjà tourné dans Yves Saint Laurent), je joue une escort girl de luxe. Je ne pouvais pas me rabattre dans le connu, je devais travailler mon rôle. Jalil et moi avons cette relation particulière où l’on s’apprécie “après coup”. Sur les tournages on se prend vraiment la tête. Nous sommes tous les deux perfectionnistes, parfois il me demande de faire des choses que je ne cautionne pas. Il me pousse à essayer, ça me rend ouf, et du coup ça le rend ouf. T’es chiante quoi. Avec lui je suis chiante. Mais ça arrive à

beaucoup d’acteurs qu’après quelques semaines, ils connaissent mieux leur personnage que le réalisateur ou le scénariste. Et à chaque fois que je prends la tête à Jalil, j’ai raison… Bon très souvent il a raison aussi… C’est ça qui construit une belle relation. La preuve, je suis revenue. Comment une petite Québécoise est-elle devenue la petite protégée de Spielberg ? Ça fait 7 ans que j’ai quitté le Canada. J’étais mannequin à l’époque. A 23 ans je marchais bien en France, j’étais indépendante financièrement mais je détestais ce métier sordide. Je me posais énormément de questions sur moi, sur le futur. Jamais je n’aurai pensé à être actrice à ce moment-là. Il me restait un an à faire avant de devenir “trop vieille”, j’ai donc mis le paquet avant la retraite, j’ai décidé de m’installer à Paris et de faire de l’argent pour ensuite être tranquille et voyager. J’ai tout quitté, mon copain, ma famille, et je suis arrivée dans une ville et un pays dont je n’étais pas forcément fan à l’époque. Je me suis fait repérer sur une photo (incroyable hasard) par une directrice de casting de chez canal + qui cherchait la nouvelle miss météo. J’ai passé un bout d’essai avec un texte écrit avec celui qui est resté mon co-auteur pendant un an. Et ensuite tout a déboulé. Ça t’a plu la période canal + ? Maintenant oui, mais à l’époque je détestais ça. Il y a eu une période où être jolie me gonflait. Par rapport à mes années dans le mannequinat. Dès que j’étais moche, je me sentais libre. De venir sur le plateau couverte de merde ou déguisée en coach gouine, c’était les seuls moments où je me sentais bien. Quelques semaines après la rentrée, on m’a quand même demandé de venir au moins un jour par semaine avec une belle robe. A part ça on m’a laissé tranquille.

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Alors qu’est-ce que c’est que cette expo encore ? Je fais ma première exposition de lithos et sérigraphies sur des murs dans le Marais ! Ça faisait longtemps que j’avais envie d’exposer mes dessins. J’ai rencontré Anne Dominique Toussaint, productrice de cinéma et galeriste qui expose souvent des œuvres d’acteurs ou de gens du cinéma comme Depardon, Klapisch, James Franco, ou encore Agnès Varda. Elle m’a lancé un défi, je me suis dit « Je vais avoir 30 ans là c’est bon, faut que je fasse un truc de ma vie ! »

Ce n’est pas une peur de l’échec ? Non c’est une peur du vide. Je n’arrive pas à rien faire. J’ai lu le journal de Keith Haring, qui disait qu’il avait cette nécessité de créer constamment, comme une course contre la montre. Bon après il se trouve qu’il avait le sida. Mais il ne le savait pas ! Ça se trouve je l’ai aussi… (rire caustique) Mais ce qui est sûr, c’est que je n’arrive pas à être dans la contemplation. Quand j’ai fini un truc je le déteste. Tu peux être sûr que là, 50% de ce que j’affiche je vais bientôt le détester. Mais il paraît que c’est bon signe !

Tu te fous de ma gueule ? Non mais je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’impression que j’ai une horloge dans le cul ! Je veux rester dans le milieu du cinéma toute ma vie, mais juste faire l’actrice c’est impossible pour moi. J’écris, je dessine, je fais de la photo… Effectivement je n’ai pas encore trouvé ma voie mais ça va être un mélange de tout ça. Je fais de l’art depuis le lycée, c’est aussi ma vraie nature de faire ça.

Tu ne t’aimes pas ? Tu te sens comme une usurpatrice ? Je ne suis pas un artiste torturé qui se déteste, mais je suis loin de me kiffer. Je suis très dure avec moi-même. J’ai longtemps vécu avec ce sentiment d’imposture dans le milieu du cinéma. Tout est parti tellement vite…

T’as été mannequin, tu as arrêté, tu as fait de la télé, tu as arrêté, tu as commencé une carrière dans le cinéma, tu n’arrêtes pas, mais tu fais une petite pause. N’as-tu pas l’impression qu’en faisant trop de trucs, tu ne te perfectionnes jamais vraiment dans une discipline ? Je ne me suis pas posé cette question. Le mannequinat j’ai détesté, la télé ça m’amuse, mais ne faire que ça c’est impossible. Le perfectionnement il se fait dans les projets qu’on choisit. Si j’enchaîne après sur un film, je me donnerai à 100%, je ne me mélange jamais les crayons. Et chaque expérience peut aussi me faire grandir aussi dans une autre discipline. Mes dessins d’aujourd’hui vont m’aider à bosser un personnage que je jouerai demain. Il faut que j’embrasse le fait que j’ai besoin des deux.

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Du coup, peut-être ne devrais-tu pas mettre JR en avant dans la com’ de l’expo ? JR te sert de caution ? Ce n’est pas moi qui l’ai mis en avant, je leur avais même dit de l’enlever. Après toi tu vas me dire ça mais d’autres vont plutôt penser « Ah ouais putain génial, je vais aller voir l’expo juste pour ça ! », ça marche comme ça. Ils savent ce qu’ils font. Après si demain j’arrête de parler à JR, ça ne changera rien à mes dessins. Tu sais qu’en vrai son nom c’est Jean René ? Ça ne m’étonne pas. Il doit avoir un nom très très moche pour le cacher comme ça ! T’as un tatouage dont tu as honte ? J’ai un cœur sur le cul. Il est super moche, le tatoueur était bourré.


One Bedroom Hotel On The Moon A la Galerie CinĂŠma 26, rue Saint-Claude - 75003 A partir du 9 septembre 2016Â 11


1 mois, 4 films, 4 avis

CINÉMA

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Eternité de Tran Anh Hung Sortie le 7 septembre Pardonnez la violence des propos qui vont suivre, mais cette tentative désespérée de faire un film choral aussi prétentieux que le boulard taille pastèque de Mélanie Laurent me rend hors de moi. De multiples histoires d’amour s’entremêlent pendant un siècle. Eternité porte parfaitement son titre, éternel voyage au bout de l’enfer avec une prétention malickienne (voir affiche) et une photographie jeunesque (comprendre JP Jeunet), c’est dire la débâcle majuscule. Si l’on rajoute le reste du casting avec Bérénice Bejo et Audrey Tautou, là on touche des profondeurs inexplorées.

Victoria de Justine Triet Sortie le 14 septembre Plutôt convaincu par son dernier film La bataille de Solférino, Triet repart à l’attaque avec dans sa besace la touch arty-boboïsante-parigo-dépravante, Vincent Lacoste + Melvil Poupaud. Ça parle de l’avenir de la génération Y, celle qui se pensait plus libertaire que ses aînés, mais qui finit par baiser via Tinder, porter des tailleurs mal ajustés et picoler du vin blanc label Super U dans un verre Ikea. Des histoires d’hommes qui valdinguent la déprime de la routine, et ça sort comme un film convenu sans saveur.


Découvert après l’interminable file d’attente lors du festival de Cannes, le nouveau Dolan était l’attraction de la quinzaine. Touché, même de manière purement éphémère, par Mommy, notre cher Xavier s’attaque à tout autre chose, un huit-clos de mauvais acteurs (mettons de côté Nathalie Baye) malgré une direction d’acteurs brillante. Mais en ressort un film bancal, froid et sans arrière-goût, l’indifférence ayant gagné mon cœur opprimé par cette vaine tentative de Palme d’or. Blink 182 et ses ralentis ne trompent plus personne, cette tentative n’a d’avantage que son absence de prétention qui soulage la lourdeur de cette heure et demie qui en paraît trois. Encore une aberration du palmarès 2016.

La Danseuse de Stéphanie Di Giusto Sortie le 28 septembre A priori tout pour me déplaire, une histoire vraie d’une danseuse jouée par l’ex représentante du folk en pulls tricotés main et poils sous les bras Soko, et première apparition de "la fille de" la plus attendue de l’année Lily-Rose Depp. Et pourtant, même Gaspard Ulliel est convaincant, l’histoire prend vie à travers les draps blancs qui amèneront Loïe Fuller jusqu’à l’Opéra de Paris. Et pour ne plus nous lâcher. Le rythme est élevé, la mise en scène délicate et truffée de la naïveté rafraîchissante d’un premier film. Plaisir-surprise.

Par notre cher Pierig Leray

Juste la fin du monde de Xavier Dolan Sortie le 21 septembre

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Irlande #001

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MUSIQUE � T RAPHAËL BREUIL P AMÉLIE LENGRAND

L’ÉVANGILE SELON NICOLAS KER PAR ARIELLE DOMBASLE

Arielle et Nicolas sont dans un bateau. Ça fait quelques années déjà. Parfois c’est calme, parfois ça tangue. Arielle peut avoir le mal de mer et s’isoler, mais Nicolas, lui, tient le coup. L’alcool certainement. C’est l’image que je retiendrai de cet entretien avec le couple (on ne peut pas les désigner autrement) venu présenter dans un hôtel de luxe son premier enfant platonique, un album nommé La Rivière Atlantique. Et plutôt que de lui faire répéter les bêtises déjà entendues chez Ruquier, j’ai demandé à ma nouvelle

pigiste, l’illustre actrice Mademoiselle Dombasle, chanteuse, auteure et réalisatrice, de me remplacer pour l’interview et de poser ses questions à Nicolas Ker. Je me suis assis sur un fauteuil de bar, j’ai bu un verre de vin blanc en fumant des cigarettes et je les ai écouté parler. La voix douce et maniérée d’Arielle, comme à la télé, questionnant le complexe Nicolas, beau parleur et bon public pour ce genre d’exercice, cherchant au fond de son verre des mots toujours justes. Imaginez leurs voix dans vos têtes… 15


Arielle Dombasle : Il y a une chanson sur ton album (There Is A Storm) qui s’appelle Wearing The Mask. Est-ce que vous croyez qu’on est obligé de « wear the mask » ? Nicolas Ker : Non, j’pense pas. C’est le masque de l’idiot. Dostoïevski a fait un bouquin qui s’appelle L’Idiot. (silence) Mychkine… qui est Jésus en fait. A.D. : Le prince Mychkine, Jésus, est-il un de vos héros préférés ? N.K. : Il est assez cool… Les gens disent n’importe quoi. Les mecs sont baptisés mais ils n’ont jamais lu Le Nouveau Testament. Tu leur demandes « y’a combien d’évangiles ? », ils sont incapables de te répondre. Alors que moi je ne suis pas chrétien mais je l’ai lu (rires). Et en fait le Christ je l’aime bien, il est punk. Après ce qui m’énerve c’est qu’il joue

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sur la superstition en fait. « Je suis le fils de Dieu… » tout ça, bon… (soupire). Il n’avait pas autant de pouvoir, c’était pas un super-héros. Il a juste renversé la table des marchands du temple (silence). Y’a un truc qui m’a vraiment fait triper dans le Christ en fait : à un moment il est avec ses apôtres, et il dit « Bon il faut qu’on traverse le lac » (le lac de Tibériade). Ils arrivent au village natal de Luc, à côté du lac, et sa mère vient le voir et dit « Tiens t’es là ! Ton père vient de mourir ! Heu… ton père vient de mourir il faut que tu restes ». A ce moment le Christ lui dit : « Non, il faut traverser ! Laisse les morts enterrer les morts ! » C’est vraiment trash quand même. Ensuite ils traversent le lac de Tibériade, il y a une grosse tempête, et bref ils arrivent sur l’autre rive. Et là Jésus dit : « Et voilà, on a traversé le lac ». Y’avait aucune raison (encore plus de rires). Mais Socrate et Jésus sont des punks.


A.D. : Vous êtes plus Christ ou Antéchrist ? N.K. : Plutôt Christ. Pourquoi Antéchrist ? Ça sert à rien d’être "anté" quelque chose. Hanté avec un "h" oui. A.D. : Nietzschéen alors ? N.K. : (Soupire) Nietzsche ça fait bien dans la poche arrière du pantalon au lycée, pour faire genre on est cool. C’est ce qui m’énerve chez les philosophes, c’est qu’ils n’appliquent jamais leur pensée à eux-mêmes. A part Bernard-Henri ! Nietzsche tu parles, il se faisait fouetter par Salomé. Quel surhomme ! (encore plus de rires) A.D. : Est-ce que, comme Nietzsche, vous pourriez passer directement au stade de fou sans retour parce qu’on fouette un cheval ? N.K. : C’est une bonne question. Oui, je pense oui. Bien sûr. L’injustice ça me détruit. Je suis ultra sensible à ce sujet. Pas autant que Marylin Monroe c’est sûr. C’est Truman Capote qui le raconte dans Musique pour caméléons. Mais je suis plus sensible que vous Arielle. Je suis ultra triste de… quand j’étais enfant. La première fois que j’ai fumé une cigarette et bu un verre d’alcool c’était à l’âge de 19 ans. Avant ça j’étais triste, c’était la souffrance absolue. A.D. : Mais est-ce que lorsqu’on ne supporte pas le monde… ne peut-on pas justement lui tordre le cou ? N.K. : C’est pas que je ne supporte pas le monde, c’est que j’ai une sorte d’empathie… en fait j’encaisse tout… et je fais encaisser aux autres vu que j’picole. A.D. : Est-ce que vous pensez qu’on est son pire ennemi ?

N.K. : Moi en tout cas je le suis. Après les autres j’en sais rien. Vous êtes aussi votre pire ennemi Arielle. Tout ce qui est votre VRAI travail, vous ne le montrez pas. Vous avez fait des choses superficielles qui vous ont sauvée. Mais vous ne montrez que ça. Vous êtes le pire ennemi de votre œuvre. Je ne suis pas le pire ennemi de mon œuvre. Je la chéris. Vous, votre œuvre, vous l’abandonnez. A.D. : C'est vrai ! Est-ce que vous avez toujours fait ce que vous avez vraiment voulu en musique ? N.K. : Y’a des disques qui sont moins réussis que d’autres. Mais j’adore particulièrement celui qu’on a fait ensemble. Je ne dis pas ça pour la promo. Y’a un moment où on pensait tous avec la maison de disques que c’était horrible. On s’engueulait, on trouvait tous ça pourri. Et quand on l’a masterisé c’est devenu incroyable. Il est vraiment très réussi. A mon goût en tout cas. C’est vrai que c’est un peu étonnant de nous mettre là tous les deux, c’est un peu comme si on avait mis Jarvis Cocker et Booba quoi ! (toujours plus de rires) Mais en vrai c’est pas si incohérent que ça. D’ailleurs depuis qu’on a fini l’album, on a continué à bosser. On a fait un film. Il s’adresse à moi. Un film d’horreur en 35 mm. (Il rit d’avance) A la base on devait faire du Dario Argento et puis en gros ça fait vachement Lynch, Inland Empire. Psychanalytique à la Hitchcock. On est des drama queen tous les deux. On l’a écrit dans l’urgence avec un ami urgentiste. Arielle réalise et moi je joue dedans. Je joue pas mal. C’est facile parce que je joue mon propre rôle, je m’appelle Nicolas, je suis musicien. (Silence) Arielle voulait qu’il y ait plus de sexe. Donc on a rajouté des scènes de sexe. On a tout fait vraiment à l’italienne avec des scènes super gratuites. Un film de zombies… Et d’un coup l’actrice se dessape et dit : « Bon bah je vais prendre une douche ». Ça s’appelle Alien 17


Crystal Palace, c’est l’histoire d’un film dans le film. Personne ne comprend rien. Même Arielle me dit l’autre jour « J’ai rien compris ».

Le Bonbon (seule et unique question) : Comment vous êtes-vous rencontrés vous deux ?

A.D. : Ce que je comprends, et que nous comprenons tous, c’est que le film est basé sur la multiplicité des personnages dans chacun.

NK : Au Cirque d’Hiver, par hasard. On jouait avec Pony Hoax pour le film qu’avait fait Amalric là… burlesque… (Tournée, sorti en 2010, ndlr). Dès le premier jour on est devenus meilleurs copains. Ce qui l’avait le plus étonnée, c’est que je connaissais ses films. Je veux dire ses vrais films. Elle ne connaissait pas Pony Hoax la veille. Et par grand hasard elle a vu le matin même un obscur documentaire d’Arte jamais sorti, je sais pas ce qu’ils foutent d’ailleurs. (Drunk in the house of lords, à paraître, ndlr).

N.K. : Je peux vous poser des questions, moi, Arielle ? Des questions débiles genre Salut les copains. C’est quoi votre couleur préférée ? A.D. : Transparent. (Après deux ou trois questions du style Salut les copains, elle reprend.) Dans votre premier album Hollywood, il y a une chanson qui s’appelle Grand Hotel, et que j’adore. N.K. : Moi j’aime pas. C’est un album qui a 20 ans. Je la chantais comme si c’était une chanson en allemand. En faisant semblant de ne rien comprendre. Avec un accent pourri. Comme si je lisais de la phonétique (des rires en veux-tu en voilà). A.D. : C’est ce qu’il y a de mieux. Le français est vraiment gorgé de sens. Il y a en français quelque chose dans la voix de légèrement plus vulnérable que lorsque vous chantez en anglais. (Silence) A un moment donné vous écrivez, une phrase extrêmement tendre, « I’ll buy you an ice cream ». N.K. : Ça vous plaît ça hein ? Il va falloir que j’aille vous acheter une glace. (S’adressant à moi) Elle arrête pas de me le dire. (Il se retourne vers Arielle) Vous êtes plutôt lait ou sorbet ? A.D. : Lait de coco. N.K. : (à moi) Où est-ce que je vais trouver ça ?

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A.D. : Dernière question, quelle sera votre épitaphe ? N.K. : Je ne veux pas me faire enterrer. Je vous l’ai dit Arielle ! Toutes les filles dont j’étais amoureux, je leur ai dit : « Va pécho mon cadavre à la morgue, tu l’enterres et tu fous un arbre dessus » pour qu’au moins ma carcasse nourrisse quelque chose. En fait y’aura rien. Y’aura pas de pierre tombale. Elles sont toutes d’accord hein, mais elles peuvent aller en prison pour ça. A.D. : Molière disait : « On ne meurt qu’une fois, mais c’est pour si longtemps… » C’est beau… Moi ce sera : « Mes amis, faites semblant de pleurer car je fais semblant de mourir ». Ce n’est pas de moi. (C’est de Cocteau, ndlr). N.K. : Moi ce sera : « Ça me suffit. » (rire de fin) — Arielle Dombasle & Nicolas Ker La Rivière Atlantique (Pan European Recording)


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GONZO � T AURORE KAEPPELIN P CLEMENT VIDON & ORAZIO

MANKO, CABARET TRASH Avenue Montaigne, numéro 15 : il y a le théâtre des Champs-Elysées pour les gens qui vont voir des opéras difficiles, un club pour des gens qui commandent des bouteilles de vodka au prix du RSA, et un espace péruvien avec restaurant, bar, cabaret pour les gens qui aiment les céviches, les pisco sour et les artistes fous… Ce dernier lieu s’appelle Le Manko. La carte a été pensée par une star de la cuisine péruvienne, le chef Gastón Acuri. La décoration est copieuse. Le doré abonde comme pour

nous rappeler que dehors des voituriers rangent de gros sacs dans de grosses automobiles. De filamenteuses jeunes femmes à la taille semblable aux dunkers des Chicago Bulls accueillent et placent les clients dans le restaurant. Il y aussi le bar plus loin où un tout jeune mixologue se courbe pour mélanger respectueusement son assemblage (par contre pour les prochaines sorties ce sera pique-nique rosette Lidl et cubi car c’est quand même cher, la dorure ça se paye). Dans la salle on trouve une table d’Américains du Texas nouvellement nantis, des gens à 21


lourdes montres, des femmes très apprêtées à talonnasse. J’étais en t-shirt 90210 Beverley Hills taille XXL, personne ne m’a rien dit… Et soudain passe nonchalamment un mec outrageusement grimé en danseuse de flamenco gothique. Il annonce le début du spectacle en battant de l’éventail en dentelle noire. Derrière le bar des grosses portes cachent un monde époustouflant. Les femmes à talonnasse sont dubitatives mais finissent par entrer, accompagnées des lourdes montres. L’intérieur du cabaret est classique, y’a des tables avec des petites loupiotes et des fauteuils moelleux, mais sur la scène c’est un mélange explosif de créativité, de provoc' et de fureur de vivre. La Maîtresse de Cérémonie Allanah Satrr inaugure une soirée outrancière. C’est une trans, elle vient de L.A. et répand un truc abracadabrant sur scène avec des seins et un cul de Neptune. Elle dépasse Jessica Rabbit en séduction et proportions - le rapport boobs/taille/booty est encore plus improbable. Elle abandonne sa robe fatale et envoie un sexe plus que respectable. Parfois elle avance dans la salle et s’empare du visage d’une jeune effarouchée pour l’écraser dans sa poitrine dantesque. Au début on voit quelques orbites s’interroger sur le sexe des interprètes et puis tout le monde finit par s’en foutre. L’assemblée s’abandonne à cette intense performance de gens un peu fous, un peu étincelants, un peu différents. Les personnages sont divinement imaginés et exécutés, souvent irrévérencieux. L’acrobate Salvatore, aux allures de dompteur de fauves, se suspend au-dessus des gens avec l’aisance d’un gibbon. La performeuse Julie Demon utilise une chaise roulante comme support pour son nerveux et dérangeant numéro de contorsionniste. La nonne pandémoniaque Magnetic Morgan aux yeux bleus fluorescents et à la chevelure 22

blanche presque transparente, chahute les symboles ecclésiastiques ; elle porte une coiffe gigantesque de gourou qui hypnotise le public. Blanche-Neige se dessape comme une stripteaseuse de vieux motel de la banlieue de Las Vegas… Il y a aussi un mec, Jean Biche, qui est dandy et actrice glam de l’âge d’or hollywoodien en même temps : toute la partie droite de son corps est fardée en Julien Sorel et la gauche en Rita Hayworth. En fonction du profil qu’il présente à la scène, il est alternativement dans une séduction masculine puis féminine. Le boulot sur le make-up est saisissant et permet aux artistes d’être dans une incarnation délirante. Les saynètes s’enchainent et l’impertinence exulte. Une parodie de concours de mini-miss s’organise et les artistes demandent de l’oseille aux spectateurs afin de pouvoir offrir des tétons à une petite (c’est aussi une grosse tarte à ces beaufs de l’Arkansas qui participent à cette industrie d’attardés). Les enchères débutent. Un Qatari file 10 balles, un mec de L.A 20, un riche petit gars du 16e également, je garde en revanche mon billet rose pour un ultime shot de tequila car il est 4h du mat' et je veux célébrer et colorer la clôture de ce show volcanique et neptunien. C’est trash, c’est dark, inventif, pétillant, osé, libre. Surtout libre. Un gros fuck aux conventions dans une maîtrise de la scène, des corps et du divertissement hallucinante. On sort tous cloper, riches, bobos, petits pd et jeunes effarouchées, dans ce petit fumoir qui est un sas entre le monde de la ligne 13 et de la Navigo qui passe pas à travers le sac et cet atome de teuf indescriptible. Ce fumoir, c’est une boîte à voyager dans le temps et ailleurs… Putain Marty on y retourne quand ? Le Manko 15, avenue Montaigne - 75008 www.manko-paris.com Chaque week-end


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Larguée et sans diplôme, Romy Alizée photographie avec amour les corps nus de ses ami.es et de ses amant.es, et passe des nuits entières à faire transpirer le sien. Expo collective du 18 septembre au 2 octobre à l'Atelier Gustave (vernissage le 20 sept) the-room-got-heavy.tumblr.com instagram.com/romixalizee

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LITTÉRATURE � T CARMEN BRAMLY P DIDIER ROGER

BORIS BERGMANN EST-IL TOUJOURS UN PETIT CON  ? Pour répondre à la question, si l’on part du principe qu'un petit con est un enfant prodige qui agace par ses capacités, et qui a tout compris à tout, oui Boris Bergmann est encore et toujours un petit con. Pour la sortie de son quatrième roman, Déserteur, aux éditions Calman Lévy, nous avons rencontré Boris Bergmann, vingt-quatre ans, tout juste diplômé de Sciences Po et journaliste chez Society, à l'aube, au soleil, dans un café de Belleville, à côté de l'endroit où il a grandi.

Pour ceux qui ne s'en souviendraient pas, Boris a publié son premier roman à 15 ans, Viens là que je te tue ma belle, bildungsroman (roman d'initiation en schleu, ndlr) énervé sur les nuits du Gibus, la découverte du rock, l'ivresse et les premières expériences sexuelles. Aujourd'hui, l'ex BB Brunes de la littérature française s'est fait le chantre de sa génération, celle des attentats, celle du tout virtuel, du porno sur Occulus rift et des bitcoins. 29


«  On pensait que la machine allait exterminer la race humaine. En fait elle veut peut-être juste nous piquer notre job. C’est pour ça que je me méfie des caisses automatiques.  »

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Déserteur, en deux mots, c'est l'histoire d'une chute et d'une résurrection, celle d'un hacker qui programme des drones pour l'armée française, quitte le confort des bureaux de La Défense et échoue dans une base militaire au beau milieu du désert, à mille milles de toute terre habitée. L'écriture de Bergmann est criblée de fulgurances, une force fuse à travers les arabesques de ses mots, et on ne demande qu'à le suivre, page à page. Ton livre raconte l'histoire d'un djihad poétique, est-ce que tu peux expliquer le concept ? Le djihad poétique est une révolte intime et créatrice. Une libération par le langage : il s’agit de donner un sens plus pur aux mots de la tribu, en désertant dans ses propres paroles. Mon narrateur-hacker est opprimé par les langages qui l’entourent — langue médiatique, politique, terroriste, militaire et même le code informatique qu’il manie en permanence. Tous ces alphabets lui imposent une vision du monde. En décidant d’écrire son journal, avec ses mots à lui, il s’élève et entame sa libération. Mais il ne vise pas que l’EI. Comme je l’écris dans le livre, la cible n’est pas que les terroristes du califat mais également le terroriste qui sommeille en nous, celui qu’on ne veut pas voir. Le terrorisme au cœur du capitalisme, du libéralisme, de notre système dont on oublie trop vite les vices. Comme l’explique Baudrillard, la montée du Mal n’est jamais séparée de celle du Bien. C’est en questionnant, en critiquant le Bien qu’on portera le coup fatal au Mal. Sur le bandeau du roman on peut lire « faites la guerre, pas l'amour », tu peux expliquer pourquoi ? C’est un exemple de djihad poétique : renverser une expression toute faite, lui donner une nouvelle ampleur. Prendre la tangente en quittant l’habitude de la langue. Pour le

bandeau, il fallait une phrase un peu provocante, qui attire le regard. Pourquoi ton personnage principal et narrateur n'a-t-il pas de nom ? Tout simplement parce que c’est un hacker. L’anonymat est sa seconde peau. Les hackers vont être amenés à jouer un rôle essentiel dans les luttes visibles et invisibles de notre ère. Et puis, avec leur culte du secret, leur poésie du code informatique, je ne pouvais pas rester insensible à ces êtres. Et d’autre part, je voulais aussi que ce "je" omniprésent mais jamais nommé permette au lecteur de s’identifier, de vivre la quête au plus près. Phraser de près : il n’y a que ça qui m’intéresse. Tu es extrêmement critique envers l'armée (« héroïsme formaté » / « race en faillite » / « guerre assise »). Tu vois ton roman comme un texte anti-militariste ? Je dirais plutôt comme un texte qui veut pointer les écueils d’une guerre moderne, présentée comme high tech et "propre" alors qu’elle met en péril nos vies mais aussi notre honneur. Les écrivains ont toujours montré l’envers du décor de la guerre : l’attente, l’ennui, la violence aveugle et absurde, les ordres sans idée, la brutalité, la déshumanisation. Parfois même, la beauté. J’ai voulu faire la même chose avec la guerre en 2016. Ton personnage a un rapport assez particulier aux femmes, comme les personnages de tes précédents romans. Tu te reconnais en eux sur ce point-là ? Dans ce livre au monde très sombre, la femme a presque disparu : elle est mère battue, ex-amour douloureux ou prostituée virtuelle. Malgré tout, dans les dernières pages, une femme apparaît, vision fugitive et salvatrice. Une renaissance au féminin, qui sauve mon héros. La femme est aux deux extrêmes de mon livre. Le juste milieu, l’équilibre n’est pas à sa taille. Ça, je le pense vraiment. 31


A un moment donné, tu racontes une scène de cul en réalité virtuelle, avec des Occulus rift. Tu as essayé ? C'est un fantasme personnel ou au contraire un objet de répulsion ? J’ai essayé, bien sûr. Le pouvoir du virtuel me fascine : il trompe le corps, court-circuite nos sens, nous oblige à avoir peur, ou à jouir. Tout est faux, on le sait et pourtant l’image nous donne du plaisir. Pour l’écrivain qui veut inventer des mondes, l’Occulus rift est un concurrent redoutable… Dans ton roman, les drones ont une place capitale. Quels maux actuels catalysent-ils ? Ils incarnent la foi aveugle de notre société en la technologie. J’aurais pu mettre un iPhone à la place des drones — si seulement l’iPhone savait lancer des missiles… Nous donnons trop d’importance à ces organes externes. Comme toujours avec la technologie, c’est la manière dont les hommes l’utilisent qui la rend effrayante. Même mon narrateur-hacker finit par craindre les drones, symboles d’une peur latente, une angoisse qui monte au fil des pages. Il comprend le mal qu’on peut faire derrière un écran ou un clavier. Il finira par décider de prendre part à la lutte : agir, malgré tout, malgré lui. Tu es très critique envers les réseaux sociaux et la manière qu'ont les gens de réagir aux divers drames, attentats, crise des migrants et autres. Tu n'es pas Charlie ? Si être Charlie c’est avoir la force du rire qui renverse tout, précepte originel de Charlie Hebdo, alors je suis Charlie. Charlie Hebdo, c’est l’esprit français de Molière à Labiche jusqu’au théâtre de l’absurde : le contre-point comique qui peut se permettre de tout dire car rien ne résiste à son pouvoir démolissant. En revanche, la réaction socialement admise des internets n’est qu’un leurre : les réseaux

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sociaux "ne font pas", ils se montrent en train de faire. J’ai vu peu d’action derrière ces réactions virtuelles. Penses-tu que notre génération traverse la même crise que celle de Musset, celle d'une génération privée de l'héroïsme du passé, à l'avenir incertain ? J’en suis convaincu (même si je ne crois pas au terme de "génération" car dans ce cas, ce "mal du siècle" concerne tout le monde). On en revient au même problème qu’avec les réseaux sociaux : nous voulons être reconnus avant d’avoir fait, être likés avant d’avoir créé. Sans tomber dans un passéisme idiot, je pense qu’il faut se libérer de ce culte du like, du <3, de l’image. En revenir au verbe faire. Je fais donc je suis. Rien n’est perdu. Tu évoques le régime du "Pute à Clic". Pour toi, l'information est-elle devenue pur divertissement ? Pas totalement, heureusement. Mais les médias font face à une crise. La transition numérique les renverse jusqu’à la moelle. On n’a pas encore trouvé le modèle qui sache allier qualité et visibilité. Pour l’instant, les rédacteurs en chef se focalisent sur le nombre de vues, le nombre de likes. En sacrifiant tout ce qui fait la force d’un média : distance, temps d’enquête, vérification, déontologie… Brièvement, tu dis qu'à l'ère de la machine et du tout virtuel, la lutte des classes est impossible. L'a-t-on annihilée ou bien redéfinie ? Je dis simplement qu’en donnant trop de place à la machine, la lutte des classes sera bientôt la lutte entre la machine et l’homme pour avoir du travail. Dans la science-fiction, on pensait que la machine allait à terme exterminer la race humaine. En fait elle veut peut-être juste nous piquer notre job.


C’est pour ça que je me méfie des caisses automatiques. Ton livre commence par les attentats de Paris. Tu l'as commencé à ce momentlà ou bien as-tu rajouté cette ouverture après avoir commencé ce roman ? Pourquoi ce choix ? Mon livre se situe « dans un futur si proche qu’il nous ressemble ». Les attentats ne sont que le point de départ du récit de mon narrateur. J’avais cette idée depuis le début. Ton livre est dédié aux vivants et non aux morts. Si tu refuses l'hommage, penses-tu livrer ici une leçon, pour les vivants ? Mon livre se veut un cri de vie. Surtout pas

une leçon, une réponse ou une morale. Il n’est pas dédié aux morts car tout a été déjà dit sur les morts : après les attentats, les journaux se sont occupés des explications, des hommages, du recueillement. C’est leur mission. Celle de la littérature se situe ailleurs. C’est autre chose. Un roman doit déranger, troubler, poser des questions. C’est le seul effet que je souhaite à mon lecteur. Si nous avions fait cette interview IRL, dans quel lieu et à quelle heure aurais-tu voulu que nous la fassions ? Le matin, au soleil, dans un café de Belleville, tout près de là où j’ai grandi. Boris Bergmann — Déserteur (Calmann-Lévy)

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MUSIQUE � T ARNAUD ROLLET P FLAVIEN PRIOREAU

ACID ARAB, L’AXE DU BIEN 34


Quatre ans après les premiers chuchotements à son sujet, Acid Arab s’apprête enfin à sortir un album (un vrai) chez Crammed Discs, institution très appréciée des amateurs de sons hétéroclites. Mais en sortant ce Musique de France, Acid Arab ne fait pas que marquer un peu plus sa place unique dans le territoire électronique français : il permet aussi de s’affirmer plus que jamais en tant que groupe à part entière et de rappeler que la hafla (la fête) ne fait que commencer. Le rendez-vous est pris à l’arrache le matin même de l’interview, l’adresse et les deux digicodes notés sur un petit bout de papier. À 13h pétantes, c’est au milieu du faubourg Saint-Martin que doit avoir lieu l’entretien, près d’un café-snack sûrement très bon un lendemain matin de biture mais pas sexy quand on est à jeun. Dans une cour intérieure lambda et sous le regard méfiant d’un concierge bedonnant, je retrouve finalement David, le monsieur Crammed Discs en France. Le temps d’échanger deux-trois banalités (« ça va ? Et toi ? Tu as pu écouter l’album ? En express, mais j’ai kiffé »), une porte s’ouvre : c’est Nicolas Borne, moitié du duo Sex Schön avec Pierrot Casanova, tous les deux membres à temps plein d’Acid Arab, qui nous invite à entrer. Ici, on est dans le Shelter, l’abri de Nico et Pierrot où « la magie opère » comme écrirait tout bon étudiant de l’ESJ. C’est là que le duo a pu travailler sur le Corpo Inferno de Mansfield TYA et le nouveau Chamfort, mais aussi produire incognito des hits pour des artistes bankables (on a essayé de récolter des noms, en vain). C’est aussi là, au milieu d’un tas de machines aguicheuses, que les 10 tracks du premier album d’Acid Arab ont été finalisés. On tape soudainement à la porte : c’est Guido Minisky, armé d’un sourire détente et d’un sandwich. Sorti du plumard il y a peu, il se remet d’un apéro Chez Juliette devenu traquenard comme

Augustin (vous l’avez ?). Pierrot et Hervé Carvalho étant absents (excuses validées par la vie scolaire), Nico lance le disque en fond sonore et prépare vite fait thé et café : les conditions sont optimales pour enfin parler de ce Musique de France rassemblant plusieurs invités et digérant un tas de courants, de la house au disco en passant par la trap et l’ambient. Sur Crammed et sur-vénère « La moitié des featurings se sont faits en studio, les autres par Internet, explique Nico. Sofiane Saidi est venu enregistrer ici, Jawad El Garrouge aussi. À l’inverse, Rizan Said, l’ancien clavier d’Omar Souleyman, nous a envoyé en ligne ses parties de clavier. » Derrière ces noms inconnus des profanes auxquels s’ajoutent A-WA et Rachid Taha se cachent de bons gros talents de la musique orientale venus prêter main forte aux quatre néo-arabes acidifiés. Un tour de force qui n’aurait sans doute pas pu être possible sur le label qui a révélé Acid Arab aux oreilles de tous : le Versatile de Gilbert Cohen. « Gilbert a assez vite compris que l’album risquait d’être assez lourd et un peu compliqué à gérer, vu qu’on avait envie de travailler avec des musiciens à travers le monde, de les rémunérer, bref de faire un disque un peu cher par rapport aux standards d’un label comme Versatile », raconte Guido. Au culot, le quatuor décide alors de soumettre l’idée d’un deal à Crammed Discs… et ça fonctionne. « Quand on leur a proposé, ils ont répondu du tac au tac "Ok, on le fait", se souvient Guido, heureux comme un gosse dans un magasin de jouets le jour de son anniversaire. Être sur Crammed, c’est une chance, un honneur, et c’est incroyable à plus d’un titre. Déjà, c’est un label qui a l’habitude de ce genre d’albums : Crammed fait fusionner world et électro depuis les années 80, avec tout le travail de Hector Zazou – une inspiration sans fin au début d’Acid Arab -, celui 35


de la chanteuse iranienne Sussan Deyhim, etc. » Pour Nicolas, l’arrivée sur Crammed s’inscrit également dans une autre logique, artistique cette fois, histoire d’asseoir un peu plus les ambitions musicales du groupe en dehors de l’étiquette "Club Only". « Acid Arab avait commencé par des EP’s et une compilation sur Versatile. Là, il y a un album qui vient naturellement. Sauf que, qui dit album, dit travail différent que sur un maxi. C’est quelque chose de plus large. Il y a des collaborations qui ont été faites sur ce disque qui n’auraient pas pu être possibles sur un EP. En termes de vision globale du projet, en termes d’investissement aussi. » Guido rebondit : « Houria avec Rachid Taha est un morceau très lent, hyper dark et pas spécialement dansant. Sur un maxi, il n’aurait pas eu spécialement sa place. Finalement, bien qu’un album soit trois fois plus long qu’un EP, c’est peut-être plus facile à faire, dans le sens où il n’y a plus de besoin de rejeter des trucs, d’élaguer à donf’ et de se formater à un son dancefloor. Du délire "acid house + musique arabe" des débuts, il ne reste pas grand-chose, en tout cas sur cet album où le spectre de la musique électronique dépasse largement celui de l’acid house : sur Gul l'Abi avec A-WA, on est presque sur de la trap. Le Disco avec Rizan Said part justement sur de la house disco sur-vénère. Il y a de tout. » Un tout agrémenté d’une pochette classieuse signée Lamia Ziadé pour ne rien gâcher.

en pleine lumière le travail des habituels hommes de l’ombre que sont Nico et Pierrot, présents depuis les débuts du projet. « Après la sortie du premier EP Collections chez Versatile, les retours ont été incroyablement hystériques sur notre morceau Theme, alors que, sur le même maxi, se trouvait aussi I:Cube ou encore Krikor remixant Omar Souleyman, se souvient Guido. On ne s’y attendait vraiment pas et ça a été un déclic. On s’est dit que, ouais, en fait, on était peutêtre un groupe. Et au lieu d’avoir des "ghost producteurs" comme tout le monde ou de ne pas jouer franc-jeu, on a pensé que la chose la plus simple et la plus cool serait de monter un groupe ensemble, avec Nico et Pierrot. Et ils ont accepté. » Les rôles sont bien répartis : Hervé et Guido font le show lors des gigs, puis rejoignent Nico et Pierrot en studio pour réfléchir à la production. Le public, lui, a conservé le même rôle depuis l’apparition d’Acid Arab dans son champ de vision : il danse joyeusement, voire frénétiquement. Ce sera encore probablement le cas lors des prochains lives et Dj sets du groupe, avec les sons extirpés de ce Musique de France. Les beaufs, eux, ne devraient toujours pas apprécier. Les cons.

Puissance quatre Au-delà de ses chansons (et des paroles en arabe, forcément), ce premier album raconte surtout une vraie évolution, celle d’un simple délire de 2012 représenté par Guendiz et Asma (les anciens surnoms de Guido et Hervé pour le projet, vite abandonnés), dont le seul but était de faire danser (et accessoirement de titiller les beaufs), qui prend désormais les traits d’une véritable formation. Une autre façon de casser les règles et de placer

soundcloud.com/acid-arab facebook.com/acidarab

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— Acid Arab, Musique de France (Crammed Discs). Sortie le 7 octobre.

Acid Arab en live en France : En octobre, le 8 à Nancy, le 14 à Annemasse, le 27 à Massy et le 28 à Castres, le 29 à Paris. En novembre, le 19 à Lyon, le 25 à Rennes et le 26 à Evreux. En décembre, le 7 à Brest, le 10 à Sète et le 16 à Lille.


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MUSIQUE � P AGATHE ZAERPOUR

LA PLAYLIST DE BUVETTE RENTRÉE 96

Incontestablement la découverte musicale de ces derniers mois, Buvette a accepté de nous livrer sa playlist spéciale rentrée. On lui a demandé de nous faire une mixtape d’ado 38

qui rentre en seconde. Nostalgique, puéril, vénère, fun, l’élève a parfaitement achevé son devoir de vacances.


Nirvana School Voici exactement ce que j'écoutais au moment où les jours d'école devenaient longs et que mon intérêt pour les branches "inutiles" fondait comme neige au soleil. Talking Heads The Book I Read Je suis un immense fan de Talking Heads et de David Byrne. Mon batteur Ben le connaît personnellement et il m'a passé son livre How Music Works, que je recommande vivement. Pavement Here Ce morceau contient toute la nonchalance adolescente de Pavement, groupe high school par excellence. A l'écoute de ce titre, je vois un personnage qui porte son sac avec une seule bretelle, une chemise ouverte sur un t-shirt à manches longues. Hartley cœurs à vif quoi. Peter Tosh Legalize it Car on a tous des revendications adolescentes et il y a toujours un vendeur d'herbe dans ou à proximité de l'école. Qui n'a pas commencé à ce moment ? OutKast Git Up Git Out

Cindy Lauper Girls Just Wanna Have Fun La liberté, les bals de fin d'année, les nouvelles rencontres, les expériences qui vont avec, bref tout ce qui est intéressant dans la rentrée scolaire et ce qui s'ensuit. Sonic Youth Teenage Riot Sonic Youth, tout comme Pavement, a beaucoup joué dans les high school ricains. J'aime l'idée que les musiciens et le public aient le même âge. C'est un gros bloc générationnel. Animal Collective College Un titre simple, une seule phrase, celle de la non-obligation, celle de l'alternative. Après tout, est-on vraiment obligé de passer par là ? Frank Zappa Bobby Brown Goes Down J'adore Zappa, j'aime ses textes caustiques et moqueurs. Il cible de vrais clichés. Ici il y va bien fort en parlant de Bobby et le clip est trop drôle. Yves Simon Diabolo Menthe Voilà un bien joli titre du man Yves Simon. Il est bien gentillet, j'adore la prod' même si c'est au lycée qu'on a arrêté de boire des diabolos menthe.

Un morceau qui s'adresse à ceux qui ont peut-être trop profité du précédent.

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MÉTIER DE LA NUIT � T ANNE SOPHIE BAILLY P CASINO • MARTIN SCORSESE

CROUPIÈRE DE CASINO DE BORD DE MER RIEN NE VA PLUS

Sur le front de mer de Port-Leucate, il y a un casino. Situé dans la "Pinède des loisirs", une espèce de zone industrielle déguisée en parc de divertissement, on y donne indifféremment des dîners spectacle ballet russe et des soirées barbecue. La déco vieillotte rappelle que c'est un ancien bijou Barrière. Tout est rouge, noir et recouvert de moquette, avec un faux plafond en placo constellé de (vraies) caméras, et même le fumoir n'est pas épargné par les machines à sous. La Société Générale a flairé le filon et carrément implanté un distributeur à l'entrée. J'y ai rencontré Gaëlle, qui y trime avec bonheur depuis huit ans.

Mélanie est MCD (membre de comité de direction des jeux). Elle brasse par procuration le fric des vacanciers de la petite station balnéaire des années 60, paradis des classes moyennes et populaires françaises et espagnoles. Concrètement, ça veut dire qu'elle passe ses soirées en salle, qu'elle gagne entre 2100 et 2600 euros par mois et qu'elle n'a pas le droit de ramasser un centime par terre parce qu'elle ne peut pas toucher d'argent. Elle voit défiler en moyenne quatre-cents personnes par jour : touristes, flambeurs tristes et solitudes qui se soignent à coups de doigts rageurs sur les machines à sous.

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Elle est impressionnante Mélanie, une grande brune tirée à quatre épingles, toujours fourrée à la caisse, le nez sur le black jack, l'œil aux aguets sur ses "employés polyactifs", une armée de pauvres bougres en tee-shirt bleu canard, tous formés sur le tas. Ils sont tour à tour croupiers, caissiers et barmen. Elle a un grand sourire pas dupe quand je lui demande combien le casino écluse par jour, se défend spontanément de toute activité de blanchiment. Par contre, elle concède le prix d'une machine à sous - 25 000 euros en moyenne pour le jeu préféré des mamies, un peu plus cher qu'une PlayStation. Elle évoque à mots couverts et avec un plaisir évident des rapports réguliers avec les RG et la Police des jeux. Elle aime « vendre du rêve » comme elle dit - et pas moyen de savoir si c'est vraiment du rêve, mais on voit qu'elle aime ça. Elle se réclame de Sharon Stone dans Casino, tranquille, en croisant les jambes sous sa robe en lycra, mal éclairée par les néons épileptiques de son établissement. Dans le salon, un papi esseulé regarde sagement le rugby. Des mamies peroxydées, en solitaire, hochent la tête au rythme des jingles qui s'échappent des machines, toutes différentes et un peu absurdes, classées par thèmes : princes d'Égypte, elfes ou masques mexicains. Elles cliquent comme des forcenées, y engouffrant de bon cœur un bout de leur retraite ou du patrimoine familial. Un asiatique affairé approche de la roulette, y engouffre trois billets de cent balles qu'il sort de sa banane, l'air circonspect. Des couples de soixantenaires effectuent un étrange ballet autour de moi, bières à la main, errant de machine en machine. Des pique-assiettes quasi grabataires rôdent autour du goûter gratuit. Le sage papi est rejoint par son épouse, extatique après son shoot sur une urne phosphorescente bleue constellée de paysages scandinaves fluos et appelée Wolf 42

Spirit. La moyenne d'âge est de soixantedix ans, à vue de nez. Perdus dans un océan de cheveux gris et de crânes dégarnis, des mamans en pantacourt et des familles endimanchées, quelques ados autour de la roulette électronique qui leur intime de faire leurs jeux de sa voix préenregistrée. À droite, un sosie de Selena Gomez mise 50 centimes par 50 centimes et roucoule d'excitation. À gauche, une fille se défend de porter la guigne à son mec : « je suis à côté de toi et je t'admire parce que tu gagnes ». Mélanie, quand elle me parle des clients, elle répète beaucoup « personnes âgées » en baissant un peu la voix pour éviter l'écoute inquisitrice des sonotones. Elle a beau aimer vendre du rêve, elle me dit qu'elle ne fait plus gagner de voyages aux locaux - une gagnante lui a sorti il y a peu qu'elle préférait « avoir une bière à la place ». En revanche, elle soigne les grands joueurs qu'elle est censée ne pas reconnaître dans la rue, mais qu'elle reçoit au casino avec leurs maîtresses comme avec leurs femmes (ces dernières s'exclamant régulièrement que ça « fait longtemps qu'ils ne sont pas venus ici » alors que le salaud claquait sans vergogne et la main sur un autre postérieur la veille). Elle m'évoque avec un peu de pitié contrite et un mot sur la prévention des interdits de casino qui essaient tous les jours d'entrer en promettant la levée imminente de leur bannissement volontaire. Il coûte cher, le rêve, et il ne rapporte quand même pas beaucoup : le gain maximum du Casino de Port-Leucate est de 16 000 euros, gagnés par un accro, rejoués aussitôt. Un coup d'œil dehors : la nationale longe le casino, un aquapark qui aurait presque l'air désaffecté, une fête foraine déserte. Les palmiers sont bercés par le vent. C'est con, à deux-cents mètres, la mer est belle et bleue comme dans un film.


«  Elle aime “vendre du rêve ” et pas moyen de savoir si c'est vraiment du rêve, mais on voit qu'elle aime ça.  »

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CINÉMA DE MINUIT �

CARMEN BRAMLY

L’ A HO UX M BR ME AS D

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Voici un film que nous déterrons des oubliettes pour vous. Si l’on s’arrête sur son titre, L’homme aux bras d’or, on peut s’attendre à un joli conte, une histoire doucereuse, peut-être même mise en

musique par Jacques Demi, colorée de sentiments pastels et déroulant son générique sur une fin radieuse. Détrompezvous, le propos du film gamberge sur d’autres routes… 45


L’homme aux bras d’or est un film d’Otto Preminger, sorti en 1955 et adapté du roman de Nelson Algren, du même nom. Je me permets ici d’ouvrir une petite parenthèse : l’écrivain est en partie connu pour avoir été l’amant de Simone de Beauvoir, pendant 15 ans. La rédaction vous recommande d’ailleurs de lire leur correspondance, approche sexy, s’il en est, de l’existentialisme, qui vous fera vite oublier Sartre et son strabisme. Parenthèse fermée. Otto Preminger, ici, s’acoquine à un sujet qui n’a pas trop dû plaire à une Amérique puritaine, lisse et polie : l’addiction à l’héroïne. D’ailleurs, trente secondes du film ont goûté à la guillotine de la censure. Parler d’un film, c’est toujours délicat. On aimerait tout raconter, sans enlever trop de suspense. Comme l’a dit Roland Barthes, l’érotisme est dans l’entrebâillement du vêtement. Il faut faire attention à bien doser ce que l’on dévoile. N’oublions pas que la frustration crée le désir. Néanmoins, ouvrons tout de même un bouton. Chicago. Frankie Machine, ancien joueur professionnel de poker, sort de cure de désintox avec un rêve : devenir batteur dans un orchestre de jazz. On espère que son système nerveux n’aura pas été trop amoché, un batteur aux bras branlants, c’est pas l’idéal. Mais bon, il paraît que le 46

bonhomme, joué par Franck Sinatra, soit dit en passant, aurait un don. Merci la magie du septième art. Passons. Frankie en parle à sa femme, Zosh, jolie blonde geignarde en fauteuil roulant, qui tente de le convaincre de renoncer à cette nouvelle lubie. Un tantinet possessive, la grognasse. Très vite, le passé tacle Frankie, et il replonge, tout en jouant les croupiers, à contre-cœur, pour éponger ses dettes, soigner sa femme et nourrir son infâme roquet, qu’il lui a offert pour qu’elle se sente moins seule. C’est vrai qu’être l’épouse d’un junkie, surtout quand on est invalide (à ce propos, no spoiler, mais il y a entourloupe), ce n’est pas de tout repos. Heureusement pour Frankie, tout n’est pas perdu. Sa meilleure amie, Molly, dont le rôle est interprété par Kim Novak, fait tout son possible pour le sortir de la drogue, et l’encourage à jouer de la batterie, allant jusqu’à le laisser répéter chez elle. Une audition l’attend, pour intégrer le Big Band de Shorty Rogers, trompettiste qui tient son propre rôle. A partir de là, Frankie titube doucement à travers l’existence, de fixe en table de poker en bar en répétition en désertion conjugale, d’espoirs en désillusions, jusqu’à être accusé du meurtre d’un dealer. Alors bien sûr, aujourd’hui, des films sur l’héroïne, ça ne choque plus personne. Si vous voulez qu’on vous sorte de votre zone de


confort, allez plutôt voir un documentaire sur un jeune royaliste qui écoute de la musique baroque et ne se livre même pas à des orgies masquées. Trêve de plaisanterie. Pour bien comprendre l’impact qu’a pu avoir ce film, il faut se remettre dans le contexte. A cette époque, la drogue était taboue, on ne la montrait pas, et nous sommes bien avant Bad Lieutenant, Requiem for a Dream, Drugstore Cowboys et autres Trainspotting. Ni glamourisation, ni banalisation, juste le silence. Dans les années cinquante, toutes les productions Hollywoodiennes étaient soumises au code Hays, sorte de guide de bonnes manières à la Nadine de Rothschild pour cinéastes en fleurs. Ainsi, il est intéressant d’observer la manière dont Preminger déflore le sujet. S’il allie une certaine pudeur à la crudité des images, il n’en filme pas moins un homme se jetant contre les barreaux d’une prison pour obtenir sa dose, Frankie furibond retournant l’appartement de sa femme en quête de quelques dollars salvateurs, ou encore Sinatra en plein cold turkey (crise de manque) prêt à tout pour un fixe, se tordant de douleur sur un lit. Des scènes qui restent, donc, qu’une lessive cérébrale à base de comédies romantiques mielleuses ne saurait faire partir. Par exemple, à la quarantième minute, Frankie, sur fond de jazz hirsute et bondissant, noue sa cravate autour de son bras, en guise de garrot, « The

Monkey never dies », conclut froidement son dealer (comprenez qu’on ne se débarrasse jamais de l’addiction), et, pour ne pas montrer la seringue pénétrant la chair, le réalisateur s’en sort par un gros plan sur les yeux de Sinatra, exorbités, tandis que la musique s’emballe. Une manière élégante de suggérer les affres de ce mal, devant un public vierge encore de ce genre d’images, de quoi nous rendre nostalgiques de l’époque où les émotions primaient sur la sensation, où le gore, le trash, le vomi et les gros plans purulents n’étaient pas envisageables. Et outre la drogue, pourquoi voir ce film ? Pour les performances de Frank Sinatra et Kim Novak, pour ce Chicago des bas fonds en noir et blanc, pour l’ambiance autour de la table de poker, pour la musique, signée Elmer Bernstein, qui inspirera aux cinéastes une nouvelle manière d’exploiter le Jazz au cinéma (pensez à Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle, sorti en 1958 et sa bande-son par Miles Davis), mais également pour les effets graphiques de Saul Bass, ouvrant le film : novateurs pour l’époque, esthétiques de nos jours. Parce que ce film est un bon film, à voir seul, sans popcorn ni soda, un mouchoir à portée des doigts. *Film disponible en intégralité sur YouTube

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AGENDA �

JEUDI 8 SEPTEMBRE • 00h Rex Club 12€ Les Disques De La Mort w/ Helena Hauff, Tolouse Low Trax Live, Ivan Smagghe at Rex Club VENDREDI 9 SEPTEMBRE • 00h Bus Palladium Bonbon Party, invitations sur lebonbon.fr 00h B75 15€ Opening B75 w/ Ayarcana, AWB, Parfait, Kuss, Prymat', Cross DIMANCHE 11 SEPTEMBRE • 14h in a Warehouse TBA Paris 15€ Insomnia Diurne w/ Rhadoo [a:Rpia:r], Tolga Fidan [live], Marwan Sabb – Paris VENDREDI 16 SEPTEMBRE • 22h TBA Paris 21€ Alter Paname #10 : Planet Opera w/ Jeff Mills, Kosme, OTTO1O, Le Camion Bazar 22h La Clairière 15€ Pain Surprises Green Party w/ Jacques, Polo & Pan, L'impératrice, Le Tournedisque 00h Bus Palladium Bonbon Party, invitations sur lebonbon.fr

LUNDI 19 SEPTEMBRE • 17h La Plage du Glazart Gratuit avant 19h Mamie's Beach Party : Japan Connexion w/ Kidsuke, Kidkanevil, Daisuke Tanabe, Kodäma, Midori, La Mamie's…

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MERCREDI 21 SEPTEMBRE • 22h Nuits Fauves Gratuit avant 00h H A ï K U w/ Acid Pauli, Red Axes JEUDI 22 SEPTEMBRE • 23h 7 lieux 16,80€ Rbma Festival Paris presents : Une Ballade Nocturne à Pigalle VENDREDI 23 SEPTEMBRE • 23h30 Djoon 15€ Into The Deep Présente Confluence w/ Tama Sumo, Lakuti 00h Bus Palladium Bonbon Party, invitations sur lebonbon.fr DIMANCHE 25 SEPTEMBRE • 07h Concrete 15€ Concrete [Rush Hour] w/ Derrick May, Antal b2b Hunee, San Proper, Interstellar Funk… VENDREDI 30 SEPTEMBRE • 23h La Machine du Moulin Rouge 15€ H A ï K U w/ Âme 00h Bus Palladium Bonbon Party, invitations sur lebonbon.fr SAMEDI 1ER OCTOBRE • 14h Grand Halle de la Villette 25€ Warehouse Alternative : Préambule w/ Laurent Garnier, Terrence Parker, MoMs…


19—24 septembre Infos et billetterie redbullmusicacademy.com/france #rbmaparis

lun. 19

mar. 20 lun. 19

Thurston Moore — Rebellion of Joy*

Hyperréalités Thurston — Lives Moore vidéo — Rebellion 360° of Joy*

Red Bull Space Paris

La Gaîté lyrique Red Bull Space Paris

Une exposition et un disque inédits

StephenUne O’Malley exposition & Thurston et un disque Moore inédits Sister Iodine — Powell

mer. 21

jeu. 22 mer. 21

Rap, Beats and Rhymes*

Une ballade Rap, Beats and Rhymes 1 pass* unique 27 artistes & Free—Your Funk nocturne en à collaboration Pigalle avec Yard7 lieux

La Cigale

Les Jardins d’Artois

Thomas de Pourquery Présenté Live par Oxmo Puccino & Supersonic Avec les&musiciens de The Hop Live Matias Aguayo The Desdemonas Lino/Ärsenik — Jazzy Bazz Live Live Mykki Blanco — Christeene Live Burbigo — S.Pri Noir Deen Larry Gus — Dodi El Sherbini Live — A2H Live Oklou LivePanama — Uli K Bende Dinos Punchlinovic — Espiiem Simon Liberati — Eva Ionesco TakeDJA—Mic — Bon Gamin Sonic Boom Jean-Noël Orengo — Nodey Pilooski Supa! — Kiddy Smile — Sky-H1 Nxxxxxs — Jarvis Cocker DJ Juniore — Topper ven. 23Harley VR the Legend — Toxe — Lotic Coly Father Sons : avec Xavier Veilhan Une and conversation Siriac, Manaré, Marvy Les Jardins Bamao Yendé —d’Artois Yannick Do

ven. 23

sam. ven. 24 23

Soumission

Incantation Soumission

Nuits Fauves

Le Badaboum Nuits Fauves

Kowton b2b Tessela b2b Peverelist Dasha Rush — Paranoid London Live Xosar Live — NSDOS Live — Palms Trax

Live Optimo Kowton (Espacio)b2b — Insanlar Tessela b2b Peverelist Jacob Mafuleni Dasha Rush & Gary — Paranoid Gritness Live London Live Live Full crew Live Débruit Live Xosar — Mawimbi — NSDOS — Palms Trax Baris K — Deena Abdelwahed Blackjoy — Isadora Dartial

en collaboration avec Yard & Free Your Funk

Présenté par Oxmo Puccino Avec les musiciens de The Hop Lino/Ärsenik — Jazzy Bazz Deen Burbigo — S.Pri Noir Panama Bende — A2H Dinos Punchlinovic — Espiiem Take A Mic — Bon Gamin Supa! — Nodey

ven. 23 Une conversation avec Xavier Veilhan

La Cigale

joyeuse / Rap,/Rythmes et Rimes | RCS Red Bull|France SaSu Bull 502 914 658 SaSu 502 914 658 ** Rebellion Rebellion joyeuse Rap, Rythmes et Rimes RCS Red France


ALASDAIR GRAHAM, DAVID PETTIGREW ET GRAHAM LORIMER ÉLABORENT LE BLENDED SCOTCH WHISKY DANS LA PLUS PURE TRADITION DU CLAN CAMPBELL.

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LE CLAN CAMPBELL.

L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.


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