keith n°11 BD

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KEITH 37, rue des Mathurins 75008 Paris www.whoiskeith.com Direction : - Directeur de la publication Benjamin Blanck benjaminblack@keith-mag.com Rédaction : - Directeur de la rédaction Basile de Bure basiledebure@keith-mag.com - Directeurs artistiques illustrations Julien Crouïgneau (designJune) julien@designjune.com - Rédactrice en chef adjointe Clémentine Goldszal clementinegoldszal@ keith-mag.com

édito Ah, la BD ! Le thème de ce numéro me rend bien nostalgique. Je repense aux Titeuf, aux Petit Spirou, aux Donjon qui ont bercé mon enfance… En grandissant, ça devient plus compliqué. On n'ose plus trop dire qu'on lit de la BD, ça fait pas sérieux ! “Je relis Balzac en ce moment…” Tu parles Charles, je sais très bien qu'il y a une pile de Thorgal à côté de ton lit ! Mais bon, c'est un peu en train de changer. Maintenant la BD devient branchée, donc rassurez-vous, vous pouvez oser un “Je lis le nouveau Sfar” à la terrasse du Flore, on ne vous regardera plus comme un attardé. Mais ce qui est fascinant, c'est que la BD est partout autour de nous. Oui, j'ai bien dit partout, et tout le temps. Vous vous rappelez d'Iznogoud, qui voulait être Calife à la place du Calife ? Eh bien dans la vraie vie il a réussi, il est Président de la République. En plus il se tape Falbala. La honte pour elle… Espérons que notre prochain Président sera plus classe. On espère DSK pour 2012 ! Lui, il serait plutôt Lucky Luke. Il paraît qu'il tire plus vite que son ombre… Pour finir avec nos politiques, en relisant Tintin au Congo, il m'a semblé reconnaître certains discours de Brice Hortefeux, à vérifier… Et vous vous rappelez des Schtroumpfs ? Je me suis toujours dit que

c'était bizarre, un village avec une seule fille, ça devait pas être facile pour la Schtroumpfette… Un peu comme Zahia quoi, elle a dû en avoir des bleus. On peut continuer comme ça longtemps : Terry Richardson, un vieux lubrique à lunettes fan de gros nichons ? Tortue géniale dans Dragon Ball ! Karl Lagerfeld, accent allemand qui fait peur et catogan ? Un méchant dans Tintin, obligé. En parlant de Tintin, et du capitaine Haddock, un petit maigre et un grand barbu qu'on voit quasiment jamais avec des meufs : Xavier et Gaspard de Justice, Milou en moins. Pour finir, je me suis amusé à regarder les personnages des 4 Fantastiques, vous savez, les super-héros de Comics. On a donc Mister Fantastic, la Femme Invisible, le Torche Humaine et La Chose. Ça a fait Bing ! Le jury de la Nouvelle Star ! Dédé Manoukian en Torche Humaine, c'était juste parfait… Je vous laisse le soin de trouver autour de vous d'autres exemples de ce genre (si vous trouvez des Bidochons dans votre famille, on est désolé pour vous…), en attendant, bonne lecture, et comme je le dis souvent : Le combat continue… Basile de Bure

Rubriques : - cinéma : Stan Coppin - art : Jeremy Dessaint - musique : Clémentine Goldszal - littérature : Léonard Billot et Augustin Trapenard - design : Edouard Michel - mode : Laure Bernard Ont collaboré à ce numéro : David Abittan, Mateusz Bialecki, Charles de Boisseguin, Giulio Callegari, Malin Carlsson, Donatien Cras de Belleval, Anna Dabrowska, Alphonse Doisnel, Sarai Fiszel, Elise Fontenaille, Grégoire Henrion, Nathalie Gomez, Thomas Hutter, Chloé Jacquet, Louis Jacob, Antoine Kalewicz, Benjamin Kerber, François Kraft, Olivia de Lamberterie, Alexandra Leforestier, Stan Marsil, Jules Matton, Emma Paoli, Emilie Papatheodorou, Thibaud Pombet, Marie Revelut, Laura Roguet, Pierre de Rougé, Alice Samson Photographes : Laure Bernard, Pauline Darley, Shelby Duncan, Kimberly Gordon, Antoine Harinthe, Myles Pettengill, Francesco Roversi Special Thanks : Nine Antico, Pénélope Bagieux, Philippe Blanck, Delphine Brunet, Aïna de Bure, Eglée de Bure, Gilles de Bure, Sylvie Chabroux, Barbara Dumas, Agathe Faucheur, Alexandre de Lamberterie (créateur du logo Keith), Catherine Meurisse, Hugues Micol, Christophe Ono-dit-Biot, Frédéric Poincelet, Sigolène Prébois, Claude de Rougé, Jacques de Rougé, Neil Tamzali, Salvatore Zaffino Responsable Marketing et Communication : Brice Smo Agbattou bricesmo@keith-mag.com Le magazine KEITH est édité par la société WHO IS KEITH ? SARL au capital de 1000 euros RCS Paris 492 845 714 ISSN en cours. Dépôt légal à parution. Imprimé en France. Ne pas jeter sur la voie publique.

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sommaire

- What’s Up ?

News + Avant-Première : le nouveau projet de La Caution / p.6-7 - A l'antenne

Tu aimes Kourtrajmé et leurs amis ? Super-héros 2010

La vie de Mouloud / p.8-9 - Dossier

La Bande Dessinée : Evolution ou Révolution ? / p.10-21 - Cinéma

Dog Pound, de Kim Chapiron / p.23 Air Doll, Eyes of War, Les rêveurs de Mars, Baaria, Dirty Diaries / p.24-25 La disparition d'Alice Creed, L'autre monde, Le grand amour, Tamara Drewe, les sorties DVD / p.26-27 SUPERSFAR / p.28-31 Reportage : Keith à Cannes ! / p.32-37 - Art

La Diva de la BD Complètement m’artaud... Mort à Jean-Pierre Pernaut !

Mec t'es archi ? / p.39 Mec t'es galerie ? Mec t'es photo ? / p.40 Mec t'es classique ? / p.41 Mec t'es contemporain ? / p.42 Textile et création contemporaine / p.43 BD et art contemporain / Pompidou Metz en chiffres / p.44 Habib Diab : Zeitgeist, l'esprit du temps / p.45 ODS est fou ! / p.46-47 - Musique

Sexy Sushi : Têtes de dindes / p.49-53 Villages, Jonjo Feather, Born Ruffians, Karen Elson / p.54-55 Kele Okereke, Lily Wood&The Prick, Stereolive, 1973 / p.56-57 Siobhan Wilson, Ich Bin Ein Berliner / p.58 Musique contemporaine ou l'histoire d'un abîme / p.59 Baths, Club 8, Palpitation, James Yuill / p.60-61 Introducing... Io Echo / p.62-63 Reportage : Trois jours à Coachella / p.64-67 - Littérature

Robert Crumb

Bob&Harv : Le combat ordinaire / p.69 Et demain la mort, La vilaine Lulu, Trois jours en été / p.70-71 Face Cachée, Les chemins de traverse, Ab Irato / p.72-73 Laurent Bonneau : Urban Jungle / p.74-75 - Design

Sigolène Prébois : Dessine-moi un écureuil / p.76-77 - Mode

Mieux que Vogue (oui, oui)

The Beauties and the Beasts / p.79-89 - minuscules

nine antico : le cactus sous la jupe / p.90-91 - Keith Story :

6 pages exclusives de Girls Don't Cry, le prochain album de Nine Antico / p.92-97

Les filles ne pleurent pas

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what’s up ? Let’s Groove Tonight

Le Ke du m ith ois

Pourquoi Keith ? L'éternel refrain, la question que tout le monde nous pose. Alors la réponse est devenue automatique : Keith Richards, Keith Haring, Keith Moon, Keith Jarrett… une référence à tous ces génies. Mais force est de constater qu'au-delà des classiques, nombreux sont les artistes talentueux à porter ce prénom. On vous en fait la preuve à chaque numéro...

KEITH SCHOFIELD

On parle souvent des clips de Michel Gondry, Spike Jonze ou Jonathan Glazer, mais Keith Schofield n'a rien à leur envier. Ce réalisateur d'à peine trente ans est déjà l'auteur de plusieurs classiques du genre. Fasciné par les années 1970 et 1980, Keith réalise des concept-clips à couper le souffle, dans lesquels il explore des effets toujours plus originaux et décalés. Témoin de son succès : le prix du meilleur clip vidéo rock qu'il remporte pour Bad Blood de Supergrass aux UK Music Video Awards 2008. Parmi ses collaborations : Charlotte Gainsbourg (Heaven Can Wait), Goose (British Mode), Death Cab for Cutie (Jealousy Rides With Me), Lenny Kravitz et Justice (Let Love Rule)… Retrouvez tous ses clips, ainsi que ses publicités, sur son site www.keithschofield.com.

Hot + hype = amour La sublime rousse de Mad Men, Christina Hendrix, apparaît en guest androïde dans le dernier clip de Broken Bells, The Ghost Inside. Classé Hendr-X ?

Den !s Toasts&Beers

ELVIS IS NOT DEAD !!

On ne le répètera jamais assez. Dernier exemple en date de la vivacité discographique du King : Sony réédite en version remasterisée huit B.O. introuvables. Frankie and Johnny, Girls ! Girls ! Girls !, Viva Las Vegas ou encore G.I. Blues ressuscités. C'est youpi.

Fargo

Fargo, c'est un label folk français qui cartonne, mais aussi, depuis peu, une boutique* où il fait bon traîner. Vinyles, vieilles affiches, livres, et même billetterie collector pour les esthètes. On y (Far)go ! * 42 rue de la Folie Méricourt, 75011

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Den!s est un bar à merveilleux vins dans lequel on se régale d'une "finger food" haut de gamme. Den!s ré invente les pinxos du pays Basque Espagnol, assemblant avec audace les produits, les épices et les saveurs. Nul besoin d'attendre, les tapas fusion vous sont présentés derrière une vitrine et il vous suffit de les choisir pour avoir en une minute de quoi accompagner votre vin ! Formules à partir de 8 euros. Ouvert tous les jours de 18h à 02h

t m mg Collectionneurs, à vos marques. Le vinyle à vous procurer ce mois-ci, c'est l'édition collector de Siberian Breaks, l'OVNI épique de douze minutes de MGMT, pressé à seulement mille exemplaires. Vite vite !


photo : Antoine Harinthe / www.antoineharinthe.viewbook.com

por no

avanti-ère prem

Après la version censurée du clip génial de Lust For Life, les Californiens de Girls creusent le sillon porno : les spécialistes pourront entendre leur chanson Solitude dans I Want Your Love, le court-métrage hardcore du réalisateur Travis Mathews. Rrrrr.

Avant-première : Le nouveau projet de La Caution.

expo Rockeurs, rêveurs et autres joyeux garçons, c'est l'exposition du photographe Pierre Hybre sur le rock à Paris, Gibus, Shebeen et compagnie. The good old days, comme dirait l'autre. * jusqu'au 31 juillet à la Petite Poule Noire, 12, bd des Filles du Calvaire, 75011

Véritables touche-à-tout, Hi-Tekk et Nikkfurie se lancent dans un nouvel exercice de style : le projet 1051 a pour but de réunir Paris et Berlin à travers la rencontre d'artistes venant d'univers différents. Ainsi, les deux rappeurs et le collectif de vidéastes berlinois Transforma travaillent actuellement sur une performance artistique unique reliant image et musique et qui sera présentée au Batofar en octobre. Ils ouvriront les portes de leur atelier le 9 juillet pour présenter le travail en cours le temps d'une soirée*.

Keith : Parlez-nous du projet 1051. La Caution : Le challenge nous a tout de suite motivés : travailler avec des artistes d'un univers complètement différent, d'un autre pays, et tenter de faire fusionner leur univers et le nôtre. Notre musique devra être le manteau de leur création. Le film mettra en scène deux personnages métaphoriques représentant Paris et Berlin. L'univers sonore de chacune des deux villes sera présent, et prendra une dimension spatiale, invitant le spectateur à se déplacer, à vivre la performance. Mais toutes nos idées vont évoluer, rien n'est encore déterminé. Keith : Que vous évoque Berlin ? La Caution : C’est une ville assez dure à comprendre, d'une richesse culturelle énorme. On avait fait un concert incroyable là-bas : nos paroles défilaient en sous-titres pendant nos chansons, à une vitesse folle, en temps réel ! Ça nous avait impressionnés, l'importance que les gens donnaient aux mots. Keith : Vous avez toujours cette volonté de créer des passerelles entre les différents arts ? La Caution : C'est vrai qu'on aime bien explorer de nouveaux horizons. Mais que ça soit avec Kourtrajmé, les clips, Le Mouv', le projet 1051, il y a toujours une logique : la musique. Keith : Cela vous laisse-t-il le temps de préparer un prochain album ? La Caution : On le finalise cet été, il devrait sortir fin 2010. Le premier extrait arrive bientôt, un morceau bien violent… On ne peut pas en dire plus pour l'instant ! Propos recueillis par Basile de Bure. Du lundi 5 au vendredi 9 juillet de 13h à 17h, stage “Musique et Vidéo” En compagnie de La Caution et Transforma Découvrez comment écrire, réaliser et monter un film Avec l'aide des artistes, vous sélectionnerez les éléments les plus intéressants et participerez au montage final d'une œuvre où musique et vidéo se répondront A l'issue du stage, votre film sera diffusé au Batofar Atelier ouvert aux jeunes de 16 à 25 ans / Participation forfaitaire : 30euros Renseignements et inscriptions : 01.53.14.78.73 ou actionculturelle@batofar.org Vendredi 9 juillet : “PROJET 1051… IN PROGRESS” Terrasse du Batofar de 19h à minuit, accès libre DJ's + Projections audio/vidéo : “Projet 1051… in progress”, travail issu de cette première semaine de création + le film réalisé par les participants au stage “Musique et Vidéo”


à l’antenne

La vie de

Mouloud

“Louis Leterrier me propose un petit rôle dans “Hulk”. J'arrive à Toronto sans avoir dormi, je débarque sur le plateau, et je m'endors ! Je me réveille, je vois des photos d'Edward Norton en train de me faire des oreilles de lapin et Liv Tyler qui se moque de moi !”

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Studios Canal, Paris XV. On débarque en plein enregistrement du Grand Journal, il y a du mouvement, on ne connait pas trop, on ose a peine...“Bonjour, on vient interviewer Mouloud Achour pour Keith magazine...” Sous-sol, salon d'accueil, et puis la loge. Le bonhomme est la, posé sur le canap', un regard et il nous met a l'aise. On s'installe, on sait que ca va durer, il a une longue histoire pour un trentenaire. Retour sur la vie et les avis d'un journaliste malgré- lui, un personnage poly-medias qui a su se fondre avec souplesse et présence d'esprit au cœur de la culture française. Interview de Charles de Boisseguin et Emma Paoli. Photos : Laure Bernard.

Keith : On t'as lu dans Radikal, dans Technikart, on t'as vu dans La Matinale, au cinéma dans Le Choc des Titans, maintenant au Grand Journal... Au final, qui es-tu, quel est ton statut, qu'est-ce qui te branches le plus ? Mouloud : Le Grand Journal c'est une espèce de somme de tout ce que j'ai pu faire avant, je viens donner une expertise des choses que j'aime bien. C'est une émission à la fois pop et populaire, et j'essaye de concilier les deux en glissant des références un peu underground, je m'adapte ! C'est un exercice que je n'avais jamais fait avant, d'ailleurs j'aime bien dire que ça fait deux ans que je fais de la vraie télévision. Keith : De la “vraie” télévision ? Mouloud : Ouais ! La Matinale c'était assez expérimental, juste un mec avec un micro dans la rue qui allait à l'arrache dans les meetings ! Ensuite, MTV, c'était ni fait ni a faire, et je ne recommencerai jamais ; c'était juste pas de la vraie télévision ! Pour moi, c'était de la presse filmée, comme les délires que je pouvais me taper à Radikal où on s'amusait à foutre le bordel, à déconner... Non, vraiment, pour moi la vraie télé a commencé avec Le Grand Journal. Keith : Et Radikal, le Hip Hop, c'est un peu ta culture de souche finalement ? Mouloud : En fait c'est le militantisme qui m'a amené au Hip Hop : en 1996, j'ai commencé a m'intéresser au Mouvement de l'Immigration et des Banlieues, c'était l'époque ou il y avait un espèce de ras le bol sur les lois racistes, la double peine “prison+expulsion”, la recrudescence des bavures policières... Il y avait une grosse pression sur les quartiers et eux avaient monté une initiative qui s'appelait “11 min 30 contre la loi raciste”, à laquelle ont collaboré Jean-François Richet et les gars d'Assassin. De là, j'ai rencontré la plupart des artistes qui étaient dessus, j'ai pu m'introduire a Fréquence Radio Plurielle, j'avais 16 ans. J'ai commencé à aller interviewer des rappeurs et ca m'a donné le goût du journalisme ; j'envoyais des chroniques à Radikal et ca a plu à Teki Latex qui m'a alors propose d'écrire sur le rap français. C'était un peu chaud d'ailleurs, parce qu'a l'époque, ça n'était pas top de parler de rap français... Disons que le délire était plus porté sur Mary J Blige ou Eminem ! Keith : Tu dis que “ça n'était pas top de parler de rap français” ; ne penses-tu pas que c'était tout de même plus valable que d'en parler aujourd'hui ? Mouloud : Si, dans le sens où c'était une vraie culture contestataire, ça existait vraiment. C'est un peu prétentieux de dire ca, mais je pense que ça s'est arrêté dès le début, dans le sens où les premiers groupes comme NTM ou Assassin ont très vite balisé ce discours de contre-culture, de rébellion sur fond de message assez brut... La plupart des choses qui sont venues ensuite ont été soit mal digérées, soit mal réinterprétées, et ce que le hip hop français a eu de plus contestataire c'était les gens profondément dans le naturel, comme Ideal J ou Lunatic. Aujourd'hui les rappeurs qui se disent “conscients” sont chiants et pontifiants, trop de discours vaincs et rabâchés... Keith : Quand tu dis “pontifiants”, tu penses à qui ? Booba ? Mouloud : Pour moi Booba c'est un mec qui s'inscrit dans la tradition du rap américain que j'aime, une tradition de performeur, de punch liner : l'amour de la belle rime avant tout. C'est un mec qui a plusieurs degrés de lecture, et je le prends au 5ème ! C'est un mec super musclé qui pose avec un chat, et ça le rend hyper cool ! Keith : Et donc ta passion pour le Hip Hop t'as poussé à créer Kerozen avec La Caution … Mouloud : Exactement ! C'est ma plus grande fierté ce label ! On l'a fondé en 1998, mais j'ai concrètement arrêté de bosser dessus après le deuxième album de La Caution. Chacun est parti sur ses projets, l'idée étant qu'on a tous les trois des points de vue et des aspirations différentes ; Hi-Tekk se lance dans le cinéma (prochain long métrage produit par Romain Gavras), Nikkfurie fait vraiment de la musique de film et de série, moi je fais mes trucs... Mais on se retrouve pour le prochain album de La Caution (qui va être essentiellement dominé par Nikkfurie).

Keith : Parles nous un peu de ton parcours ciné… Mouloud : Il est incohérent au possible ! Mon modèle ultime, c'est Takeshi Kitano et j'adore l'idée de pouvoir aller jouer dans des blockbusters pour pouvoir ensuite faire mes propres films. C'est ce que je suis en train de préparer, pas une énième comédie-télé à la Michaël Youn, non, un truc plus perso, dont le deuxième rôle est tenu par mon chat ! Ensuite, en tant qu'acteur, Le Choc des Titans m'a amené plein de scénarios, donc je lis des trucs... Keith : Une petite anecdote sur ton entrée dans le septième art ? Mouloud : Une grosse ! On partait a New York avec les gars de Kourtrajmé, un peu a l'arrache, on ne savait pas où dormir... Nikkfurie nous avait filé le contact d'un pote dont la meuf était à New York : on l'appelle, elle nous rencarde à une soirée chez Marc Ecko. On tombe nez à nez sur RZA du Wu Tang, qui, pour se débarrasser de nous, nous dit d'aller voir un français qui buvait son verre un peu plus loin... Ce mec là, c'était Louis Leterrier ! On discute, il connaissait un peu mon travail sur MTV, on reste en contact et il me rappelle quelque temps après pendant le tournage de Hulk : “Je suis avec Edward Norton, on fait un film, ça te dis d'y faire une petite apparition ?”. J'y vais, j'arrive à Toronto sans avoir dormi, je débarque sur le plateau, et je m'endors ! Je me réveille, je vois des photos de Norton en train de me faire des oreilles de lapin, Liv Tyler qui se moque de moi, et Louis qui hallucine : “Mec tu sors d'où, c'est quoi ton délire ?” Paradoxalement, on est resté en contact et il me propose, peu de temps après, un rôle dans Le Choc des Titans. Le rôle le plus physique du monde ! J'ai du suivre un entrainement commando, perdre 20 kilos, penser “sport” 24/24, pour enfin me lancer dans le tournage ! Keith : C'est toutes ces activités qui ont provoqué cette “accalmie” chez toi depuis que tu es au Grand Journal ? Mouloud : Mais ça ne sert a rien de gueuler là où on ne t'entend pas ! Le discours de La Matinale au Grand Journal serait éludé dans les paillettes... Quand tu vas dans une soirée et que tu n'aimes pas danser, tu n'y vas pas, ça ne sert à rien ! Ce que je veux dire, c'est que c'est inutile d'être dans une posture rebelle là ou il n'y a pas de rébellion. J'ai toujours mon mot à dire, sauf que les choses sont placées de façon plus insidieuse et moins évidente. Le Grand Journal, c'est du divertissement, je n'ai pas tellement de raisons de militer, contrairement à La Matinale où je portais l'urgence sur les présidentielles car personne ne parlait vraiment de quartier, on avait juste des discours démago sur fond de discrimination positive complètement foireuse ! Ceci dit, je reviendrai pour les prochaines présidentielles... Keith : Si tu étais une chanson, un film, un personnage de BD ? Mouloud : Les Rues Electriques, par La Caution ; L'aventure c'est l'aventure, de Claude Lelouch ; Tortue Géniale dans Dragon Ball Z !


dossier

La

Bande Dessinée :

Évolution ou

Révolution ?

Evolution ou révolution ? Ce qui est sûr, c'est qu'en dix ans, la bande dessinée a changé de genre et qu'aujourd'hui, elle n'en fait qu'à sa tête (de l'art) ! Format, public, auteurs, narration, tout a changé. Et nombreux sont ceux qui pensent que c'est dans ce chaudron que bouillonnent les énergies les plus novatrices. Enquête sur un phénomène qui n'a pas fini de faire des bulles.

NRF et BD, des initiales qui vont très mal ensemble… Et pourtant, dans son numéro de janvier 2010, la plus prestigieuse des revues littéraires propose à ses lecteurs un dossier de 133 pages consacré à la bande dessinée. Au programme, la crème de la crème : des pointures comme Tardi, le drôle de couple Dupuy & Berbérian, le surdoué de la nouvelle génération Nicolas de Crécy, on en passe et d'aussi bons. La vieille dame chic des lettres (la Nouvelle Revue Française est née en 1908) serait-elle devenue une vieille dame indigne ? Qu'elle s'ouvre au 9ème art (le 8ème étant la télé, ô rage ô désespoir) montre que ça bouge dans les cases. Pour un Umberto Eco confiant “quand je me cherche à me détendre, je lis un essai de Engels, quand je veux quelque

chose de plus sérieux, je lis Corto Maltese.”, combien d'intello estiment que la BD est un truc de rigolos pour grands ados ? Un peu partout, la BD sort de sa bulle ! La très sérieuse chaîne Arte a commandé au très en vogue Mathieu Amalric un documentaire sur Joann Sfar, père du Chat du rabbin. Au Festival de Cannes, la charmante Tamara Drewe, héroïne du roman graphique du même nom (Denoël Graphic) a monté les marches, via l'adaptation cinématographique qu'en a faite Stephen Frears. Architectes et auteurs de bd se rencontrent dans K?-10


une immense expo à la Cité de l'architecture et du patrimoine (jusqu'au 28 novembre). En ce début d'été, la BD qui fait le buzz et marrer tout le monde a pour héros, un certain Alexandre Taillard de Vorms. Pas besoin d'être expert en politique internationale pour reconnaître Dominique de Villepin dans tous ses états, glorieux et grotesques… Et si Quai d'Orsay (Dargaud) de Blain & Lanzac était le meilleur documentaire sur le fonctionnement du Ministère des Affaires Etrangères ? Christophe Onodit-Biot, directeur adjoint de la rédaction du Point, n'est pas loin de le penser. “La bande dessinée est devenue aujourd'hui l'un des média les plus efficaces pour décrypter et représenter le monde. La preuve par Marjane Satrapi qui a raconté dans Persepolis la Révolution Iranienne ou par le Maltais Joe Sacco qui illustre en images le conflit du Moyen Orient.” Ecrivain et fin connaisseur de BD (il a été l'un des premiers critiques littéraires à défendre en France le roman graphique), Christophe Ono-dit-Biot ajoute : “de tout temps, parallèlement à une bande dessinée de pur divertissement, il a existé une BD miroir de notre société. Il ne faut pas oublier que dans les années 1930, Superman était le héros juif qui combattait les nazis. La BD d'anticipation décrypte aussi le monde. Relisez les albums d'Enki Bilal, dans La trilogie Nikopol, il a quasiment prévu les événements du 11 septembre, et dans Animal'z, il décrit une planète complètement polluée. Dans un registre plus léger, Riad Sattouf raconte les ados d'aujourd'hui dans La vie secrète des jeunes dont le deuxième tome vient de sortir. On a l'impression que c'est une caricature alors qu'en fait c'est un exercice de style extrêmement juste.” Le cas Sattouf est intéressant car emblématique du grand boom de la BD. Trentenaire, Riad est en train de devenir une star. D'accord, on ne lui arrache pas encore son jean dans la rue, mais il est entré… au Centre Georges Pompidou qui lui consacrait en mai une rencontre dessinée. En quoi est-il emblématique ? Prenez La vie secrète des jeunes :

1) Rien à voir avec le sacro saint format de l'album franco-belge, sa couverture brillante et cartonnée et ses 48 pages standardisées. Physiquement, la BD a fait sa mue. En 2010, elle fait ce qui lui plait. Elle sort en noir et blanc ou en couleurs, dans le format qui lui sied et avec le nombre de pages qui lui convient. C'est là l'une des conséquences de l'arrivée en France du roman grap h i q u e . Traduction de l'américain “graphic novel”, le mot est attribué au créateur Will Eisner en 1978 ou à un obscur journaliste Richard Kyle dans un article de 1964. Quoi qu'il en soit le terme désigne un livre souple, souvent en noir et blanc, plus épais qu'une BD traditionnelle et avec un mode de narration ambitieux plus proche que celui d'un roman que d'un scénario. Il y a dans le roman graphique un nouveau souffle et un vrai style. 2) Riad est édité par l'Association qui fête cette année ses vingt ans. C'est là que (presque) tout a commencé. Fondée en 1990 par une poignée d'auteurs, Menu, Stanislas, Matt Konture, Killoffer, Lewis Trondheim, David B et Mokeït, L'association à la pulpe est le moteur d'une nouvelle façon de penser la BD.


La Bande Dessinée :EDITO Evolution ou Révolution ?

Le Top ten Keith de la BD 1) Quai d'Orsay, de Blain & Lanzac (Dargaud). Une chronique plus vraie que nature sur la vie quotidienne du Ministère des Affaires Etrangères. Rivalités, coups bas et jalousies : ca vole petit chez les “grands” de ce monde. 2) La vie secrète des jeunes (tome 2), de Riad Sattouf (L'Association). Ils sont patauds, boutonneux et ne voient pas plus loin que le bout de leur queue… Un traité de sociologie en bien plus rigolo. 3) Cadavre exquis, de Pénélope Bagieu (Bayou, Gallimard). La preuve que quand les filles se mettent à la BD, elles savent tenir leur crayon et leur histoire. C'est “la nouvelle Sfar” dit-on de la nouvelle recrue de Joann. 4) Lui, de Jean-Philippe Peyraud et Philippe Djian (Futuropolis). Un homme est tiraillé entre sa femme et son ex. Cette adaptation d'une pièce de théâtre de Djian est trouble et moderne, dommage que la fin soit si obscure. 5) Blast, de Manu Larcenet (Dargaud). Le noir et blanc est exceptionnel, l'histoire, une grande claque, Larcenet est trop fort. D'ailleurs, il vient de recevoir le prix des libraires BD 2010. 6) Le Montespan, de Jean Teulé et Philippe Bertrand (Delcourt). Tous les hommes rêvaient que leur femme squatte le lit du Roi Soleil, sauf le Montespan… Philippe Bertrand vient de mourir, et ça c'est une vraie tragédie. 7) La parenthèse, d'Elodie Durand (Delcourt). Le récit d'un combat contre l'épilepsie qui lui ronge sa vie et sa mémoire. Incroyablement créatif et bouleversant cet album montre qu'il n'y a plus de sujet tabou en BD. 8) Le rayon de la mort, de Daniel Clowes (Cornélius). L'histoire d'Andy, un garçon paumé et sans illusion, à qui le tabac donne des super pouvoirs ! Un sommet de poésie et de créativité. Mais interdit de fumer, ça ne marche que sur Andy… 9) Sextape, de Thomas Cadène (KSTR, Casterman). La BD s'envoie en l'air, c'est la tendance lourde du moment. La preuve par cette variation sur le thème de la manipulation. 10) Mega-krav-maga, de Mathieu Sapin, Lewis Trondheim et Frantico (Shampooing). En périple au Portugal, nos deux héros découvrent un art martial qui permet d'anticiper l'avenir… Esprits sérieux, s'abstenir.

Royce de l'édition. Il n'y a qu'à feuilleter leur livre anniversaire pour voir que les stars d'aujourd'hui y sont presque toutes nées. Quant aux relations actuelles des uns avec les autres, on pense au Mouvement Surréaliste quand la renommée des uns ne faisait pas forcément le bonheur des autres... Qu'importe, l'Association a inscrit son nom dans l'histoire.

Oubliés les super héros en collant ou en pantalon de golf capables de sauver le monde en quelques pages. Lancée par les mêmes en 1992, la revue Lapin , raconte Christophe Quillien dans son arti-

cle de la NRF, “offre un véritable laboratoire à tous ceux qui expriment un refus d'une bande dessinée commerciale pour s'essayer à d'autres graphismes et d'autres modes de narration.” Ce qui est passionnant, c'est qu'assez vite, ce courant alternatif est devenue la Rolls

3)L'année dernière, Riad Sattouf a réalisé Les Beaux Gosses qui a séduit un million de spectateurs et remporté le César du meilleur premier film. Il emboîte ainsi le pas de Marjane Satrapi dont Persepolis avait été présenté au Festival de Cannes et qui est en train de préparer son deuxième film Poulet aux prunes. Il a été suivi par Joann Sfar avec Gainsbourg (vie héroïque). “Aujourd'hui, les producteurs nous font confiance et c'est nouveau, confie Sfar. Hugo Pratt n'a jamais voulu qu'on adapte son Corto Maltese parce que les financiers refusaient qu'il le mette en scène luimême. Et Hugo disait qu'il ne voulait pas que d'autres s'amusent avec son jouet à lui.” Si notre beau gosse Sattouf a su toucher un grand public, il n'est pas seul dans sa bulle. Tous ces jeunes loups qui voulaient scalper la houppette de Tintin ou faire la peau d'Astérix cartonnent. D'autant qu'ils dessinent comme ils respirent et qu'ils ont des productions délirantes, à croire qu'ils ont bu de la potion magique. Ils publient à tout va dans plein de maisons différentes, se publient les uns et les autres, car ils sont souvent aussi édi-

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teurs. Forcément, ce succès énerve certains… Dans le petit village de la BD, les luttes de clans font rage. D'autant que le petit village est devenu une mégapole. Dans son excellent livre La Bande Dessinée (Le Cavalier Bleu), Benoît Mouchart note qu'on relevait près de 3600 nouvelles BD parues en 2008. Attention, pas d'enthousiasme excessif… Parmi ces nouveaux titres, combien à jeter, combien à garder ? La proportion de daubes ni dessinées ni à dessiner reste considérable… Ce qui est nouveau aussi, c'est que la BD a même pointé le bout de son graphisme dans les maisons de littérature générale, touchant un nouveau public. Moins de fans, plus de femmes. Moins d'ado, plus de bobos ! La collection “Denoël graphic” qui veut explorer toutes les relations entre le texte et l'image possède l'un des plus formidables catalogues : des classiques comme La Genèse selon Crumb, ou des modernes comme Une jeunesse soviétique de Nikolaï Maslov. Même la très exigeante maison P.O.L s'est ouverte aux images en publiant sous sa très chic et très littéraire couverture blanche l'excellente Version live de Sigolène Prébois. Gallimard a offert à Joann Sfar de diriger une collection, Bayou. “C'est très agréable de travailler pour eux, confie-t-il. Parce que j'ai l'impression d'être considéré exactement comme un romancier. Et être édité par Gallimard change considérablement le regard des gens sur la BD. C'est génial, parce que le but, c'est quand même d'arriver à ce qu'elle soit considérée comme un genre de littérature à part entière.” La BD flirte avec la littérature, noces rebelles ou mariage d'amour ? En tous les cas, ils ont parfois de beaux enfants : Quartier lointain de Jirô Taniguchi qui sortira bientôt au cinéma dans une mise en scène de son auteur est déjà un classique. Témoins de cette union, les grands écrivains (de Proust à Djian) sont adaptés en BD avec des résultats divers. Ce qui est sûr pour Guillaume Allary, c'est que les mentalités sont en train de changer. D'abord éditeur chez Hachette littérature, il a publié des romans graphiques sur des thèmes aussi variés que la famille recomposée ou les coulisses du Parti Socialiste. “Je pense que

c'est un genre idéal pour raconter les changements de société. La BD peut avoir aujourd'hui les mêmes vertus que le documentaire.” Aujourd'hui, éditeur chez Nil, il continue de publier des romans graphiques mais sans les ranger dans une collection particulière. “Parce que pour moi, un roman ou un roman graphique c'est la même chose. Il y juste des dessins en plus”. Guillaume Allary est l'une des rares personnes à voir lu LE roman graphique le plus convoité au monde qui a fait l'objet d'énormes enchères à la foire de Francfort. “C'est l'histoire d'un jeune garçon prodige qui devient la plus grande star mondiale de la musique. Et qui se peint comme dépressif, mort à l'intérieur. C'est un roman graphique écrit par Michael Jackson et illustré par l'un de ses amis. Ce qui est étonnant c'est qu'il ait choisi cette forme plutôt que la forme classique des mémoires.” Le livre sortira chez Robert Laffont quand les héritiers se seront mis d'accord. Alors, évolution ou révolution, c'est vous qui voyez… Basile de Bure et Olivia de Lamberterie


La Bande DessinĂŠe : Evolution ou RĂŠvolution ?

Le tour du monde de la BD

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Dans notre périple au gré des bulles, un tour à l'étranger s'impose. Un peu partout, face aux traditionnels comics US, BD belges et mangas japonais, émerge une nouvelle génération d'artistes pour qui le 9ème art est autant le moyen d'expression graphique et autobiographique d'un questionnement identitaire que le support d'une virulente critique sociale. De Johannesburg à Beyrouth, de New York à Téhéran, Keith dresse un état des lieux hautement sélectif et largement non exhaustif de ce qui se fait de mieux aujourd'hui en BD. Par Alice Samson.

Afrique du Sud :

publiée en France par le biais de l'Association, la revue Bitterkomix est un pilier de la BD sud africaine et, paradoxalement, un de ses éléments les plus subversifs. Amères et provocatrices, les bulles radicales de Bitterkomix traitent de la paranoïa de l’homme afrikaner, parodiant la société puritaine et bourgeoise et ses relents d'apartheid, à travers des dessins violents, crus, parfois pornographiques lorgnant autant vers l'imagerie coloniale type Tintin au Congo que celle de Crumb.

JAPON :

le pays de Dragon Ball et Miyazaki voit double : entre une production commerciale issue des grands studios éditant des mangas (littéralement dessins fantaisistes) pour sosies vivants d'Hello Kitty et des romans graphiques underground destinés aux adultes, les gekigas (dessins dramatiques), l'étendue de la production est très vaste. D'une qualité impressionnante, autant graphique que littéraire, la bande dessinée alternative nippone regorge de perles comme l'oeuvre de Yoshihiro Tatsumi. Parrain du genre, il crée dans les années 1960 “du manga n'est pas du manga”, destiné à un public adulte. Ses oeuvres comme L'Enfer et plus récemment son autobiographie L'errance du gekiga retracent le quotidien du Japon dans l'après Hiroshima. Minimaliste, épuré, parfois triste et sombre, le travail de Tatsumi reflète les difficultés d'une génération sacrifiée. Soulignons également la nouvelle vague Manga menée par Jirô Taniguchi, plus proche de la bande dessinée occidentale que du manga traditionnel, tant la composition et le dessin évoquent la beauté trouvée dans la simplicité du quotidien.

USA :

Pays Arabes et Moyen Orient :

ringardisant cruellement les rythmes sauvages du rock catho comme outil de prosélytisme, les super-héros musulmans de la bande dessinées Les 99 (en référence aux Quatre Fantastiques et aux 99 attributs d'Allah) véhiculent les valeurs de l'islam au cours de leurs missions autour du monde. Moins didactique mais tout aussi efficace, le roman graphique est un genre actuel majeur. Raconter les conflits de l'intérieur par le “bout de la lorgnette”, c'est l'idée de l'Iranienne Marjane Satrapi et son désormais classique Persepolis publié chez l'Association. Dans la même veine, Zeina Abirached dessine son enfance en noir et blanc à Beyrouth pendant la guerre civile. Et même si, de Téhéran à Jérusalem, les revues spécialisées et les bandes dessinées se multiplient, la censure, comme celle de Metro au Caire du dessinateur égyptien Magdi Al-Chafei pour atteinte aux bonnes mœurs, nivelle toujours la majorité de la production vers une certaine uniformité apolitique. Notons qu'une production plus underground contournant la censure, mais du coup très peu diffusée, émerge peu à peu.

S'il fallait n'en garder qu'un, on choisirait Chris Ware. Artiste américain barré, régulièrement qualifié de génie, son travail incroyablement fou et inventif est absolument fascinant. S'affranchissant des contraintes formelles de la BD, son travail est protéiforme et réinvente le genre. Innovant autant dans l'utilisation des couleurs que dans les choix typographiques, chaque planche regorge d'une multitude de dessins d'une précision effrayante, mettant le lecteur dans une situation de découverte merveilleusement excitante. Une visite chez le libraire s'impose donc. Mais parler de la BD américaine sans mentionner l'immense Robert Crumb serait aussi absurde que Booba chantant la Traviata. D'autant que son dernier ouvrage, une illustration du livre de la Genèse est indispensable. Explorant les voies les plus impénétrables, la Bible revisitée par Crumb ne devrait pas manquer de remplir les bancs des églises.


La Bande Dessinée : Evolution ou Révolution ?

L’évolution

du héros

américain

Emblème de la BD américaine, le comics est l’élément essentiel de la bibliothèque de tout nerd qui se respecte. Mais les super-héros ne sont pas forcément ce qu’on croit. Frise de leur évolution… Par Alice Samson

1934 : Superman, par Jerry Siegel et Joe Shuster, chez DC Comics.

Trop gentil (la seule fois où il tue quelqu'un délibérément, pas d’bol, il meurt), trop sympa (il n'hésite jamais à quitter la rédaction du Daily Planet pour secourir la veuve et l'orphelin) il est aussi le trop cool et attentionné mari de Loïs Lane. Plus sérieusement, Superman est un symbole fort de la culture juive américaine : créé par des dessinateurs juifs dans l'entredeux-guerres, seul survivant de la destruction de sa planète Krypton, il atteint la terre après un long voyage et vit d'abord seul, déraciné, avant de combattre les nazis. Premier véritable super-héros et parangon du genre, la complexité de son personnage fascine autant les lecteurs que les universitaires, à l'image d'Umberto Eco qui lui a consacré un essai surprenant, De Superman au Surhomme.

1939 : Batman, par Bob Kane et Bill Finger, chez DC Comics.

1940 : Captain America, par Jack Kriby et Joe Simon, chez Marvel.

1942 : Wonderwoman et Catwoman, chez DC Comics.

Autre création de DC Comics mais loin de l'univers technicolor de Superman, ni vraiment gentil ni vraiment méchant, Bruce Wayne a.k.a l'homme chauve-souris est le superhéros sombre et torturé. Dénué de super pouvoirs, il purge Gotham City du vice et des méchants, le Joker en tête, de ses propres mains, avec l'aide de Robin, un jeune orphelin qu'il prend sous ses ailes.

Encore plus explicite que son nom, le costume aux couleurs du drapeau US annonce la nature du combat de Captain America. Portant fièrement le héraut des valeurs américaines, il est réutilisé au gré des changements d'ennemis. Il casse la gueule d'Hitler avant d'être recyclé pendant la Guerre Froide pour combattre les perfides communistes et fait même un tour au Vietnam. Tu peux pas test.

Assister à un débat des Chiennes de Garde sur la représentation de la femme dans les comics américains doit être aussi effrayant que Lady Gaga au réveil, aussi absurde qu'une antenne PCF à Neuilly-sur-Seine (oups, ça existe) aussi désolant que croiser Jean-Pierre Coffe en douce au Macdo. Heureusement, il y a Wonderwoman et Catwoman pour rattraper la casse. Superbonnes mais pas seulement, elles sont aussi fortes que leurs collègues poilus.

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1962 : Spiderman, par Stan Lee et Steve Ditko, chez Marvel.

1962 : Hulk, par Stan Lee et Jack Kirby, chez Marvel.

Années 1970 : Fritz the Cat et Mr Natural, par Robert Crumb.

Personnage né de l'esprit de Stan Lee (Hulk, Iron Man, Les Quatre fantastiques, X-Men et Dardevile), Peter Parker est une figure singulière des comics books. L'amoureux de Mary Jaaaane acquiert ses pouvoirs d'homme araignée vers l'âge de 15 ans alors que la majorité des super-héros sont déjà des hommes. Vengeur de son oncle, son adage “un grand pouvoir implique de grandes responsabilités” est un peu LA définition du super-héros.

Fais-lui la peau si tu veux du cuir véritable. Plus fort que Booba, Hulk casse tout mais ce n'est pas de sa faute : le docteur Bruce Banner se transforme en colosse vert pétri de rage dès qu'il est trop stressé et redevient normal une fois le coup de chauffe terminé. Accidentellement irradié par une bombe nucléaire, ce personnage s'inscrit lui aussi dans une problématique sociétale plus large : rassurer les Américains en pleine course à l'armement. Mais nan, la bombe atomique ne fait pas mal !

Anti-héros lubriques, obscènes, macabres, racistes, machistes, vulgaires, salaces, antisémites et scabreux, Fritz the Cat et Mr Natural dépeignent ironiquement une partie de la société américaine dont le Bukowski du comics, Robert Crumb, figure emblématique de la contre-culture US des années 1960, n'aura de cesse de se moquer.

Années 1990 : Jimmy Corrigan The Smartest Kid On Earth, par Chris Ware

OK, ce n'est pas vraiment un super-héros, mais après tout il est le Smartest Kid on Earth donc il a quand même sa place ici. Petit bonhomme à la tête ovale (comme Hé Arnorld), ce héros contemporain, en proie à une situation familiale pénible, aux doutes et questionnements des plus profonds, voit la complexité de ses émotions fabuleusement retranscrite dans la remarquable délicatesse du graphisme de Chris Ware.


La Bande Dessinée : Evolution ou Révolution ?

Leurs

super-héros...

La scène française de la BD regorge d'artistes aussi divers que talentueux. Plutôt qu'un portrait ou une interview, le meilleur moyen de les découvrir est encore d'observer leurs dessins ! Nine Antico, Frédéric Poincelet, Hugues Micol, Catherine Meurisse et Agathe ont joué le jeu en réalisant pour Keith un dessin, sur un thème légendaire qui ravira nos amis geek fan de comics : le super-héros. Nine Antico est l'un des grands espoirs de la jeune bande dessinée française. Elle est l'auteur de Coney Island Baby (L'Association, 2010) et de Girls Don't Cry (Glénat, à paraître à la rentrée).

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Hugues Micol n'avait quelques mois lors du festival de Woodstock qu'il regrette encore d'avoir raté. Il fait de la BD depuis une dizaine d'années et ça l'amuse beaucoup. Dernière sortie : Terre de feu T2, avec David B, (Futuropolis). A conseiller vivement : Séquelles, (Cornélius). A paraître : Le Chien dans la vallée de Chambara (Futuropolis).


La Bande Dessinée cinéma/actu : Evolution ou Révolution ?

Frédéric Poincelet est une figure importante de la scène du dessin contemporain. Il collabore à de nombreux magazines et est à l'origine du collectif Frédéric Magazine, qui se place dans une position de revendication du dessin qui ne se justifie que pour lui-même. Il publiera l'année prochaine Le château des ruisseaux (Dupuis).

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Agathe est une illustratrice parisienne dotée d'un melon colossal à la place de la tête et d'un artichaut à la place du cœur. Elle nous raconte toutes ses histoires extraordinairement normales sur son blog www.agathe-the-melon.com.

Catherine Meurisse est née en 1980. Dessinatrice à Charlie Hebdo, elle illustre également des livres pour la jeunesse et est auteure de bandes dessinées. Derniers albums parus : Mes Hommes de lettres (Sarbacane), Drôles de femmes (Dargaud).



cinéma

Welcome to Enola Vale “Dog Pound”, de Kim Chapiron Sortie le 23 juin 2010

Après le délirant “Sheitan”, le français Kim "Kourtrajmé" Chapiron revient avec “Dog Pound” (la fourrière en français). Un film sur une prison de délinquants mineurs du Midwest. Trois détenus débarquent en même temps dans l'univers carcéral d'Enola Vale et vont faire équipe pour tenter de survivre aux lynchages successifs et à la violence quotidienne de la prison. Complètement à l'opposé de Sheitan, Dog Pound semble bien être le film de la consécration. Loin du délire d'adolescent, plus sérieux, plus mature dans son propos, c'est l'œuvre d'un réalisateur qui peut désormais affirmer ses choix car les moyens suivent et supportent l'entreprise. La direction d'acteurs est remarquable, surtout lorsque l'on sait que le casting des seconds rôles regroupe des acteurs non professionnels issus de prisons pour mineurs - pour “l'authenticité” dixit Chapiron. Le premier rôle est quant à lui tenu par Adam Butcher, casté une semaine avant le début du tournage après le désistement de l'acteur principal. Un jeune sorti de nulle part si ce n'est de séries télé américaines de seconde zône, mais impressionnant en adolescent incapable de contenir sa haine. Impossible d'imaginer le film sans lui. Kim Chapiron n'a pas oublié de faire un film divertissant dans le sens premier du terme. Et cela pourrait aussi être considéré comme un problème. L'univers carcéral est manichéen et sans variance. Les méchants défoncent les gentils qui défoncent les méchants. La critique sociale est inexistante ou presque, mais on finit par comprendre que ce n'est clairement plus le problème de cette génération de cinéastes. C'est peut-être ce qui l'éloigne du Scum d'Alan Clarke, dont le film est adapté, mais qui le rend aussi plus grand public. Dans Scum, il était d'abord question de faire un état des lieux de la jeunesse de l'époque. Ici, nous avons affaire à de l'entertainment à caractère social. Les scènes de violence rappellent celle de La Mémoire dans la Peau, de Doug Liman. Tout est dans le son, la violence de l'impact après l'élan. Dans Dog Pound, la vengeance est l'élément central du film et il n'y a aucune recherche de rédemption. De toute façon, ce n'est pas dans un envi-

ronnement pareil qu'il est possible de s'en sortir. Ce point de vue adopté, le film prend véritablement son envol, et devient généreux en terme de sensation. Cela faisait longtemps depuis... depuis quand déjà ? - qu'une scène de vengeance n'avait pas été aussi jouissive. La méthode Chapiron est infaillible pour retourner le spectateur et le faire sortir de ses gonds : 1) Nous rendre fous de rage en nous montrant les tortures infligées aux victimes des prisonniers tortionnaires. 2) Les voir impuissants d'abord puis proches de la rupture. 3) Sentir que la haine monte et que la vengeance approche. 4) Lorsque l'on s'y attend le plus, montrer l'explosion de violence de manière frontale d'une vengeance destructrice pour créer un plaisir paradoxal chez le spectateur. Résultat : les spectateurs sont en feu et les applaudissements et les rires fusent dans la salle. Pourtant, la séquence fait froid dans le dos sortie de son contexte. Et le malaise est d'autant plus grand que l'on regrette d'avoir aimé. Un peu comme les vidéos de Romain Gavras, du même collectif Kourtrajmé. C'est sûr que nous ne sommes pas ici dans la subtilité de la violence esthétisée de Stanley Kubrick, dont les deux s'inspirent énormément. Mais qui a dit que la subtilité était nécessaire pour faire un bon film ? Personne. Et encore moins les deux compères cinéastes. L'essentiel est de faire et de ne rien dire de trop pour plaire. Et cela, ils l'ont bien compris. Stan Coppin

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cinéma/actu

EDITO

PLUS GONFLANT QUE GONFLÉ “Air Doll”, de Kore-Eda Hirokazu. Sortie le 16 juin 2010

Une poupée gonflable qui prend vie, c'est le pitch du nouveau film très moyen de Kore-Eda Hirokazu. Mais rien à voir avec Chucky, la poupée sanguinolente. Le réalisateur japonais, auteur des très beaux Still Walking et Nobody knows, revient cette année avec un film parfois poétique, mais pas toujours très subtil. La poupée s'anime et s'en va découvrir le monde, la vie d'employée, les ballades en amoureux. Ou Pinocchio pour les grands. Et elle découvre que le monde n'est pas si beau, et que l'amour, ça fait mal parfois. Niais ? Un peu, oui. Et ce n'est pas la “jolie” musique omniprésente qui nous fera changer d'avis, ni d'ailleurs le jeu assez crispant de l'actrice Bae Doona, pourtant très bien dans The Host. Autour de la femme-poupée gravitent de nombreux personnages, tous plus paumés les uns que les autres, tous en quête de quelque chose pour remplir leur vide au cœur. Une femme qui a peur de vieillir, une autre qui comble le vide de sa vie en mangeant… Mais ces scènes n'ajoutent pas grand-chose au film, et le propos n'est pas vraiment révolutionnaire. Notre société manque d'humanité, et il n'est pas toujours facile d'y (sur)vivre. Quel choc ! Miranda July le traitait bien plus intelligemment dans son premier film Moi, toi et tous les autres. Certaines scènes assez poétiques sauvent pourtant le film. Notamment celle dans laquelle la poupée prend vie. Mais plutôt que de passer deux heures dans une salle pour le voir, on préférera encore aller chez Toys 'R' us. Antoine Kalewicz

OUISTITI ! “Eyes of war”, de Danis Tanovic. Sortie le 16 juin 2010

Nous sommes au Kurdistan en 1988, peu avant le gazage de la région par l'armée Irakienne. On observe la violence des combats à travers l'objectif de David et Mark, reporters en mission. Fusils d'assauts et pellicules photos, le décor est planté. Un décor déjà vu, à priori : film de guerre, têtes d'affiches et bons sentiments. Et puis les deux amis se séparent : l'un rentre de son plein gré, l'autre sera rapatrié à la suite d'une blessure. Changement d'horizon, c'est plutôt bon signe. Nous voilà à Dublin les semaines suivantes, et des deux compères, David a disparu. Il ne reste que Mark, boiteux et fébrile de sa récente blessure. Il se fait suivre, et nous on suit tout ça : Mark, le psy, et les souvenirs de guerre. Il est question de mémoire, de remords, d'impuissance et de traumatisme, le tout sans un pétard : jusque là on y croit. Hélas, le film avance et les personnages se révèlent : il y a les premiers rôles stéréotypés (le héros solitaire et le vieux sage), et les autres complètement effacés. Il n'en faut pas plus pour que tout tombe à l'eau, car c'était là l'enjeu. Un film décevant : des thèmes assez frais pour un traitement des plus convenus. Reste Collin Farrell, omniprésent sur toute la durée. De là à dire que ça vaut le coup... David Abittan

MARS, ET ÇA REPART “Les Rêveurs de Mars”, de Richard Dindo. Sortie le 16 juin 2010

Sous l'écrasante chaleur du désert de Mojave, aux EtatsUnis, une poignée de scientifiques jouent aux astronautes. Qu'ils soient géologues, ingénieurs, étudiants ou écrivains, ils partagent un rêve, une passion presque maladive : se rendre un jour sur Mars, ou participer à sa conquête, par tous les moyens possibles. Tous s'accordent à dire que le salut de l'Humanité dépend de la colonisation de ce lointain caillou rougeâtre, qui permettrait la mise en place d'une nouvelle société juste, pacifiste, humaniste et j'en passe. Face à la caméra de Richard Dindo, ils expliquent en quoi leurs domaines de compétence respectifs sont indispensables à la future “terraformation” de Mars, c'est à dire au processus qui rendrait la planète habitable “d'ici à mille ans”. Bon courage. Parfois intéressant - l'avis de deux vieux amérindiens sur la conquête spatiale -, souvent un peu triste les espoirs vains de ces gentils allumés - le film est gâché par de multiples scènes de “découverte” de Mars en 3D qui semblent dater du début des années 1990, rythmées par des sons angoissants totalement hors de propos. L'obsession utopique de ces hommes et femmes, qui ne font plus confiance à leur contemporains pour assurer la survie de leur espèce et s'acharnent à atteindre de nouvelles frontières, est pourtant bien retranscrite par les scènes de travail et de réflexion, surtout quand celles-ci se déroulent dans leur “base spatiale” au milieu du désert. Mais au sortir du film, devant l'absence de belles images et la construction hasardeuse, on a plus l'impression d'avoir vu un documentaire de moyenne facture sur Arte qu'une œuvre cinématographique à part entière. Pierre de Rougé

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IL ÉTAIT UNE FOIS EN ITALIE... “Baaria”, de Giuseppe Tornatore. Sortie le 16 juin 2010

Il aura fallu 66 Mostra et 25 millions d'euros pour que Venise ouvre (enfin) sa compétition sur une production faite maison... Et quelle production ! Des centaines d'acteurs, des dizaines de milliers de figurants, des décors à faire pâlir Polanski et, surtout, de majestueuses symphonies orchestrées par Ennio Morricone. Une superproduction, en somme. Et c'est ce qui peut déranger. Oui, la fresque est pleine de charme. Elle est à l'Histoire italienne ce que Baaria, le petit village sicilien, est à Tornatore : torturée, vive, fleurie, “allégorie de tous les lieux où on voit le jour”. On lui jette un œil amusé, parfois hagard, on y révise ses dates, son communisme, son fascisme et ses guerres. Oui, on s'attache à ses protagonistes ; Peppino le fougueux (Francesco Scianna), la belle Mannina (Margaret Madè), les mamas en deuil et les gamins criards, dans une ambiance famiglia Corleone où la poésie remplacerait l'argent. Mais, peut-être parce que Berlusconi se cache derrière l'étincelante production, l'affection que donne le réalisateur à ses personnages ne prend pas. Le traitement de l'image nous aveugle plus qu'il ne nous éblouit. Le long feuilleton populaire tourne à la mollesse d'Il était une fois en Amérique. Les amples mouvements de cameras, contrastés par le rapide enchainement des séquences, nous fatiguent comme un mauvais 20h qui passe de l'intime au collectif, oubliant l'essentiel. Une comédie humaine, oui, mais pas celle de Balzac, et c'est ce qui nous manque : du lyrisme simple, vivant, humble et généreux. Une réflexion politique et morale, certes, mais trop allusive, et on le déplore : ça aurait dû être bien. Charles de Boisseguin

A SWEDISH PORN STORY “Dirty Diaries”, d'après une idée de Mia Engberg. Sortie le 30 juin 2010 12 réalisatrices décident de “repenser la pornographie” en fondant un manifeste du porno féministe en 12 courts métrages érotiques et pornographiques filmés au téléphone portable. Un échec en demi-teinte selon nous.

Pour

L'intention est honorable et attendue depuis longtemps. Après les essais foireux de faire du porno arty et différent comme le Baise Moi de Virginie Despentes ou le 9 Songs de Michael Winterbottom, l'arrivée du concept-film Dirty Diaries est redoutée. Enfin une approche réussie de la pornographie ? Après visionnage, pas tout à fait, mais le film dénote une vraie tentative de faire du porno un travail de vidéaste. On retiendra surtout Body contact où une femme trouve un partenaire sexuel sur internet et filme la rencontre et le sexe tel qu'il est réellement arrivé, et le sensoriel Red Like Cherry où la sexualité s'illustre à travers des images mentales colorées traduisant le ressenti sexuel, peut-être le segment le plus réussi. Stan Coppin

Contre

“Repenser la pornographie” nous assène l'affiche de ce Dirty Diaries. Pourquoi pas. En filmant chaque court métrage avec un téléphone portable ? Le pari semble déjà moins alléchant. D'autant que le fond a du mal à suivre. Hormis le second court métrage, Skin, réalisé par Elin Magnussin, qui fait preuve d'une étonnante puissance érotique, les segments de ce film ressemblent plus à des ersatz de vidéos amateurs sur youporn plutôt qu'à des œuvres conceptuelles. On est loin du pourtant mitigé Destricted qui voyait de grands réalisateurs confirmés (Larry Clark, Gaspar Noé) s'attaquer au genre pornographique. Mention spéciale toutefois à la musique, composée pour la plupart des courts métrages par le groupe Fever Ray, qui ne sauve pas pour autant un film creux et profondément ennuyeux. Stan Marsil


cinéma/actu

RETOUR AUX SOURCES ? “La disparition d'Alice Creed”, de J. Blakeson. Sortie le 30 juin 2010

Un jeune scénariste anglais s'attaque au polar Made in U.K en prenant pour parti pris un pitch d'une simplicité étonnante : le kidnapping d'une jeune adolescente d'une vingtaine d'années par deux loustics en manque de cash money. Un lieu, 3 personnages, un générique. Blakeson amène le spectateur dans son univers restreint et tente d'inventer un genre : le polar socialo-minimaliste. 10 ans après Snatch, on attendait curieusement ce “Alice”. Un Blakeson dans le ton de ses prédécesseurs ? Tout faux, il nous file entre les doigts et propose un film sombre, physique, tendu, même si finalement convenu dans son déroulement et ses effets de surprises en papier mâché. Une grosse rupture pour un petit film. Snatch, Layer Cake, Lock Stock... Pendant les années 2000, Guy Ritchie avait inventé un format polar à l'anglaise, mélange de multiplicité d'intrigues, de pseudo-violence à tendance jouissive, d'absurde et de coolitude incarnée par ses personnages. C'est là que réside la rupture avec ce à quoi tonton Ritchie nous avait habitués. Blakeson va droit au but : il filme l'organisation d'un kidnapping avec une précision plutôt dérangeante et met son actrice principale dans des situations organiques auxquelles on assiste rarement au cinéma. Malheureusement, à par ça, R.A.S. On reste suffisamment captivé pour ne pas regarder sa montre, mais le film se déroule sans dommages particuliers, exceptés les nombreux retournements de situation pré-digérés, digérés, et même post-digérés depuis une vingtaine d'années. Intéressant. Grégoire Henrion

SECOND LIFE “L'Autre monde”, de Gilles Marchand. Sortie le 30 juin 2010

T’ETAIX OU ?

Imaginez un Second Life plongé dans le noir : Black Hole. Une geek bombe sexuelle (logique) - Louise Bourgoin - et son partenaire décident de se suicider dans la vie réelle. Un jeune garçon la sauve in extremis de la mort. Leur rencontre éclair le perturbe au plus haut point et il décide de la retrouver en se créant un avatar dans le jeu. L'Autre monde ne se prête à rien de déjà vu jusqu'à présent. Un thriller techno d'auteur à la française ? Plutôt un mix entre Tron (sans son charme) et le cinéma de Dominik Moll - Harry, un ami qui vous veut du bien - co-scénariste du film. L'ambiance caractéristique subsiste, le travail d'écriture aussi mais tout le reste est anticinématographique au possible. Mettre en scène ces univers virtuels au cinéma est un pari car ils n'ont rien d'attirant dans la vie réelle. Black Hole c'est d'abord une personne assise devant son ordinateur, puis un jeu video qu'il faut concevoir et adapter pour le cinéma, tenter de le rendre immersif. Et situer l'intrigue dans un village près de Marseille n'ajoute rien de très glamour à l'ensemble. De plus, plutôt que d'en faire un divertissement prenant, Gilles Marchand voit en L'Autre monde un film d'auteur, une réflexion. Et il s'embourbe presque exclusivement dans la relation entre Gaspard et cette fille inaccessible, en tant qu'icône du désir adolescent. Cela fait prendre un tournant au film et la réflexion sur l'isolement disparaît au profit d'une énième bluette sur le passage à l'âge adulte. Stanou_7588 a quitté la partie.

“Le grand amour”, de Pierre Etaix. Sortie le 7 juillet 2010

S.C.

Invisible depuis près de 20 ans, le chef-d'œuvre de Pierre Etaix ressort ce mois-ci sur les écrans français dans une nouvelle version entièrement restaurée. Salué en son temps par la critique, Le Grand Amour (1969) est l'œuvre d'un réalisateur atypique, loufoque et génial, collaborateur et ami de Jaques Tati, inspiré par les maîtres du burlesque américain. Le grand amour, c'est celui de Pierre, un nouveau bourgeois de province marié un peu trop vite, qui tombe amoureux de sa jeune secrétaire et fantasme leur idylle à chaque instant de sa journée. Une histoire banale donc, bien loin des ambitions de la génération de la Nouvelle Vague, auxquelles Etaix est toujours resté sourd, mais traitée avec tant d'humour et de tranchant que l'on en rigole encore. Démodé ? Certainement pas. De nombreuses scènes semblent avoir été écrites aujourd'hui tant la mise en scène prend de liberté. A l'opposé du cinéma “révolutionnaire” de l'époque, le cinéma de Pierre Etaix est celui d'un touche-à-tout un peu fou, qui n'a jamais eu d'autre ambition que de nous faire rire à sa manière, cruelle et tendre à la fois, invariablement poétique. Ce film fait partie de la rétrospective Pierre Etaix qui propose l'intégrale de ses films et courts métrages restaurés, à ne louper sous aucun prétexte. Laura Roguet

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“Moon”, Duncan Jones

Sortie le 16 Juin. Un film avec Sam Rockwell c'est bien. Un film avec plein de Sam Rockwell c'est mieux. De la science-fiction intelligente par le fils de David Bowie. “Shutter Island”, Martin Scorsese

Sortie le 24 Juin. Martin Scorsese signe son plus beau film depuis Gangs Of New York. Une démo de maîtrise totale de mise en scène avec un Leonardo DiCaprio habité par les fantômes du passé, et tout cela dans un hôpital psychiatrique perdu sur une île au beau milieu de l'océan. Le film de l'année. “I Love you Philip Morris”, de Glenn Ficarra et John Requa

Sortie le 16 Juin. Jim Carrey et Ewan McGregor n'ont jamais été aussi gays et touchants. Une comédie américaine bien au-dessus de la norme. “The Lovely Bones”, de Peter Jackson

Sortie le 15 juin. Une fresque colorée et pleine d'espoir sur une adolescente assassinée qui tente de résoudre son propre meurtre. Adapté du roman culte d'Alice Sebold La Nostalgie de l'Ange par le réalisateur du Seigneur des Anneaux. “Thirst, ceci est mon sang”, de Park Chan Wook

Sortie le 4 août. Park Chan Wook (Old Boy) s'attaque au mythe du vampire avec le meilleur acteur coréen, Kang-Ho Song. Une bombe. S.C.

ANARCHY IN THE UK “Tamara Drewe”, de Stephen Frears. Adapté du roman graphique de Posy Simmonds. Sortie le 14 juillet 2010

Une fois de plus, après Les Liaisons Dangereuses et High Fidelity, le cinéaste anglais à l'œuvre aussi variée qu'insoumise, porte à l'écran une œuvre littéraire : cette fois-ci c'est le roman graphique de Posy Simmonds, librement inspiré du poème de Thomas Hardy, Loin de la foule déchaînée. Pourtant, le cinéaste revendique sa liberté : “Ne soyons pas sérieux, c'est une comédie irrévérencieuse, complètement anarchiste”. Loin des rumeurs du swinging London, s'endort le cottage de Stonefield et sa retraite d'écrivains. Tamara Drewe, jeune Vénus aux courbes étourdissantes et journaliste pour le magazine The Independent, retourne dans son bled paumé pour revendre la maison de sa mère. Son arrivée provoque, suite à une passion adultère funeste, une réaction en chaîne inattendue. Frears livre avec brio une galerie de portraits tout aussi attachants qu'absurdes : entre la rock star à l'ego surdimensionné, l'universitaire frustré en panne d'inspiration et le romancier populaire coureur de jupons, le ridicule atteint son paroxysme. Alors, une comédie loufoque et décalée estampillée girls only ? Le dernier film de Stephen Frears est avant tout un vaudeville enlevé, une comédie pastorale grinçante où Frears exploite les ficelles de la comédie romantique - un triangle amoureux, une épousé bafouée et une nymphette un peu paumée - pour donner à sa critique acerbe de la bourgeoisie anglaise une véritable puissance comique. Alors soyons désinvoltes, n'ayons l'air de rien, et filons tout oublier le temps d'un film. Emilie Papatheodorou

©Posy Simmonds - Denoël Graphic


cinéma/rencontre

SUPERSFAR

Il dessine comme il respire. Cinq cents dessins pour concevoir son film “Gainsbourg (vie héroïque)” qui vient de sortir en dvd ! Autant de boulot pour adapter en dessin animé la BD qui a fait de lui une super star “Le chat du rabbin” (Dargaud). Et il prépare aussi un album sur Chagall, un roman-photo érotique, une expo sur Brassens, rêve d'un film de vampires, se réjouit de la réédition de son livre pour enfants “Monsieur Crocodile a beaucoup faim” (Gallimard). Il a l'enthousiasme contagieux d'un petit garçon en même temps qu'un discours super malin sur son travail. Rencontre avec un créateur surdoué (dont Mathieu Amalric prépare un portrait pour Arte) autant qu'un homme attachant. Keith : Six mois après la sortie de Gainsbourg, tu en penses quoi de ton film ? Joann : C'est un film de puceau, j'ai tout à apprendre ! Mais je ne vais pas faire ma chochotte, je ne sais pas si le film est bien mais je sais qu'il ressemble au plus près à celui que j'avais imaginé. Ce qui est agréable, c'est que les idées les plus difficiles à vendre aux producteurs - les effets spéciaux, la marionnette géante, mes délires…- sont les moments du film qui ont le plus plu. Cela m'a appris que je pouvais transposer mon univers, dans ce qu'il a de plus baltringue, au cinéma.

“J'ai refusé sept propositions d'adaptation, des gens qui me disaient “on aime tellement votre BD !”. Moi je traduisais : “Ça va tellement bien marcher !”, ils ne me donnaient pas envie.”

Keith : Qu'est-ce qui t'a le plus plu en faisant du cinéma ? Joann : Filmer des jolies filles et faire rire. C'est inattendu parce que je ne suis pas un auteur comique. Contrairement à l'album, le dessin animé du Chat du rabbin est vraiment perçu comme un film comique et ça me plait bien. Il faut dire que c'est François Morel qui fait le chat, et ça c'est vraiment du bonheur. Keith : Réaliser un dessin animé, ce n'est pas comme mettre en scène un film, quels étaient les enjeux ? Joann : J'ai refusé sept propositions d'adaptation, des gens qui me disaient “on aime tellement votre BD !”. Moi je traduisais : “Ça va tellement bien marcher !”, ils ne me donnaient pas envie. Alors un jour, j'ai créé ma société de production et je m'y suis collé. L'enjeu, c'est qu'il fallait tout changer, sans que les gens qui avaient aimé le livre s'en rendent compte ! J'avais peur de faire un film mou. Du coup, dans Gainsbourg qui dure 2H08, il y a 700 plans, dans Le chat… qui dure 1h29, il y en a 1200 ! Je voulais un rythme trépidant. Keith : Toi qui es habitué à dessiner tout seul, comment trouves-tu le travail d'équipe ? Joann : Génial ! Tout à coup, il y a 150 personnes qui veulent jouer avec moi ! Je suis tout à fait favorable au mélange de l'amitié et du travail. Je ne sais pas bosser dans le conflit, je crée dans la joie. Le cinéma t'oblige à un certain pragmatisme, tu es obligé de tenir compte de la réalité. Alors que quand tu dessines, tu es tout seul, tu as le droit de tout faire, même un dessin tordu. Tu peux jouer Monsieur Loyal toute la journée, c'est toi qui décides. Keith : Le fait de travailler en équipe t'a obligé à des compromissions ? Joann : Au cinéma, tout le monde donne son avis sur tout, tout le temps, mais moi je suis l'inverse du Crédit Lyonnais, j'ai le pouvoir de dire non ! J'écoute et puis je décide. Keith : Finalement, on a l'impression qu'il n'y a pas tant de différences entre le cinéma et la bd, il s'agit toujours de créer ? Joann : La différence, c'est que je connais bien la bd contemporaine alors qu'au cinéma, je ne vais voir que des films de divertissement, Dragons et L'âge de glace 3 avec mes enfants. Je connais les films de Lubitsh, Hitchcock, Wilder, mais peu ceux d'aujourd'hui. Il y a un type qui m'impressionne, c'est Tim Burton, parce qu'il s'amuse avec les jouets que lui donnent les studios américains tout en faisant quand même des très bons films très personnels. Keith : Toi aussi, on t'a donné des jouets qui coûtent très cher… Joann : Pas tant que ça, Gainsbourg a couté la moitié de Lucky Luke, moins cher que Le prophète. Et 1,2 millions de gens ont été le voir, 150 000 dvd sont sortis… Je n'ai fait perK?-28


photos : Laure Bernard

dre de l'argent à personne. L'enfer, au cinéma, c'est la soirée de chiffres, le jour de la sortie. Les gens font la gueule, mais il paraît que c'est la tête normale de la soirée des chiffres. C'est une différence avec la bd, je me fiche des ventes de mes albums alors que là, comme ce n'était pas mon argent, j'étais soucieux que ça marche… L'autre truc qui tue, c'est d'entrer en secret dans une salle de cinéma qui projetait Gainsbourg et de voir des gens envoyer des sms pendant le film…

Keith : Tu as envie de réaliser d'autres films ? Joann : Oui, un grand film avec des princesses, et un autre avec des vampires, pas comme ceux des Twilight, des vampires très pervers qui se conduisent très mal ! Un truc délirant. Le vrai monde, je n'en a rien à faire. Moi ce que j'aime c'est Resnais ou Fellini qui inventent un univers. Je ne suis pas là pour raconter le monde comme il est, je laisse ça aux journalistes ou aux historiens.


cinéma/rencontre

Keith : Là, tu dessines une vie de Chagall, qu'est-ce qui t'intéresse ? Joann : C'est comment, dans l'histoire la plus sanglante de la Russie, un type s'obstine à peindre des fleurs et des oiseaux. Je suis content de revenir à la bd, à cette spontanéité implacable : tu as une idée, et tu as deux heures pour en faire un dessin, la faire exister. Dessiner toute la journée, personne ne peut le faire à ta place, ça oblige à rester modeste. Keith : Depuis la parution du Chat du rabbin il y a une petite dizaine d'années, la bd a connu une révolution, non ? Joann : Ce qui a changé c'est toi, c'est le lectorat. Des auteurs doués ou poétiques, il y en avait déjà il y a dix ans. Ce qui est nouveau, c'est que la bande dessinée est regardée aujourd'hui avec sérieux. On nous aime ou pas, mais on est considérés comme des auteurs de littérature générale et plus comme des marioles. Je pense que Marjane Satrapi avec Persepolis y est pour beaucoup, ce n'était pas évident de mettre en images la Révolution Iranienne. C'est aussi grâce à elle que des types comme Riad Sattouf ou moi avons pu faire du cinéma. Keith : Riad, Marjane… on peut dire que vous formiez un mouvement ? Joann : Non, même si on a tous commencé au même endroit, qu'on est pas mal à avoir été édités par l'Association. Aujourd'hui, avec Riad Sattouf, Mathieu Sapin, Christophe Blain, on partage le même atelier, on est proches, on travaille ensemble, on se regarde, on se parle, on ne se fait pas de cadeau, on est en concurrence, il y a une émulation entre nous. Et en même temps on se protège, on sait pourquoi on travaille. On s'est baptisés très humblement la Société Nationale de Bande Dessinée. Keith : Ce qui a changé aussi, c'est que la BD a cessé d'être uniquement épique pour s'intéresser à tous les sujets. Joann : C'est vrai, il n'y a pas de censure, on peut s'attaquer à tous les sujets. Christophe Blain peut s'attaquer à Villepin dans Quai d'Orsay alors que si vous faites un documentaire sur Sarko, vous avez tout de suite un contrôle fiscal. En BD, il n'y a pas de limite à l'imagination. Mais j'ai toujours beaucoup de tendresse pour la BD épique. Keith : Qu'est ce que tu as appris en cette dizaine d'années qui a fait de toi un auteur connu et respecté ? Joann : Les gens ne me reconnaissent pas dans la rue et c'est très bien comme ça. Ce que j'ai appris… c'est que j'aime mieux les gens de 30 ans que de 40, âge que j'approche… Il me semble qu'ils ont une insouciance, un sens de la rigolade que j'aimerais bien retrouver parfois. Je suis devenu un moraliste, un peu chiant... Alors j'essaie de rester un peu con aussi, je me dis qu'il faut savoir foutre en l'air un personnage, donner un coup de pied dans une histoire, la torpiller même. Ryad sait très bien faire ça, j'admire beaucoup cela chez lui. Il ne faut pas qu'on se laisse avoir par l'esprit de sérieux, se demander : qu'est-ce qu'on va penser de moi si je fais ça ? Je n'ai pas envie de devenir une couille molle. Keith : En même temps, tu diriges une collection de BD dans la plus prestigieuse des maisons d'édition, Gallimard, celle de Proust et de Céline… Joann : Ça, c'est vraiment génial, c'est chic, ça aussi ça change le regard des gens sur la bd. Ce sont les gens de Gallimard qui sont venus me chercher et ce qui est agréable c'est que j'ai l'impression qu'ils travaillent avec moi comme avec n'importe quel auteur de la maison. C'est vraiment une manière d'intégrer la littérature générale. Je veux m'adresser à tous, j'aime pas du tout l'idée d'être compris par dix personnes mais en même temps pas faire ma pute pour autant, je veux garder ma bonne réputation. Le petit Prince ou Gainsbourg, ce qui m'intéresse, ce sont les

mythes. Des mythes bien français. Ce que j'aime c'est les transfigurer. Keith : C'est important qu'ils soient français ? Joann : Oui, ca ne sert à rien de passer son temps à dire que nos modèles sont américains et à se flageller en se lamentant qu'on ne fera jamais aussi bien. Moi je me dis que je vais essayer de faire aussi bien ! Je fais toujours de mon mieux pour aimer mon pays. Du coup j'aime bien prendre des figures françaises qui rayonnent à l'étranger, Le petit Prince, Gainsbourg et jouer avec. En même temps je suis conscient que c'est délicat, parce que ça touche aux souvenirs des gens. Keith : C'est dans cette envie de t'attaquer aux mythes que tu travailles aujourd'hui sur Brassens ? Joann : Oui, je vais être le commissaire de l'expo Brassens à la Cité de la musique l'année prochaine. Je vais faire des tonnes de dessins, plein de comédiens vont venir dire des textes, chanter des chansons. Mon modèle, c'est l'expo Kitano à la Fondation Cartier, un truc vraiment malin mais qui peut plaire aux gosses aussi. Keith : Qu'est ce que tu aimes chez Brassens ? Joann : C'est un moraliste, il a une vraie pensée. Mon fantasme,

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EDITO

“Il ne faut pas qu'on se laisse avoir par l'esprit de sérieux, se demander : qu'est-ce qu'on va penser de moi si je fais ça ? Je n'ai pas envie de devenir une couille molle.”

c'est qu'il aurait pu être un copain si on s'était rencontrés. Aujourd'hui, on a de lui l'image du petit bonhomme un peu plan plan des émissions de Jacques Chancel, mais c'était aussi un mec hyper séduisant, capable de soulever cent kilos de fonte, qui a fait des cambriolages… Et puis il y a les chansons… Keith : La chanson, c'est un amour d'enfance ? Joann : Ma mère était chanteuse, elle a enregistré deux disques, elle était belle, elle avait été élue “Mademoiselle âge tendre”. Mon père était pianiste dans des bars et des bordels en Algérie ; son heure de gloire c'est d'avoir accompagné Sydney Bechet pendant un set parce que son pianiste était malade. J'ai vraiment été élevé dans la musique, pour moi les chanteurs étaient des princes et des princesses Et puis maman est décédée quand j'étais tout petit et mon père a fermé son piano. Et moi je me suis interdit la musique pendant trente ans jusqu'à ce que je me mette au youkoulélé, mais j'en joue très mal. Keith : Tes enfants lisent-ils tes livres ? Joann : Ils aiment bien la série des Donjon et Sardine de l'espace mais ils préfèrent les pokémons. Ma fille a commencé la lecture des mes carnets de voyage mais elle m'a dit qu'elle n'aimait que les passages où je parlais d'elle. Le modèle de père de mon fils, c'est Homer Simpson, tu vois, la barre n'est pas très haut… Mais

j'adore écrire pour les enfants, ça permet de développer des idées simples avec, au milieu, des petites explosions. Keith : Beaucoup de BD aujourd'hui sont des adaptations de classiques, cela te tenterait ? Joann : Mon rêve serait, non pas d'adapter mais d'illustrer La tête coupable de Roman Gary, un type qui déprime et part à Tahiti et qui a une histoire avec une fille qui déprime aussi… Le chat du rabbin, pour moi, c'est presque une adaptation d'Albert Cohen… En fait, ce que j'aime, c'est inventer une histoire à moi en pensant à un auteur. Là, en dessinant la vie de Chagall, je pense à Singer, à Isaak Babel. Keith : Tu travailles vraiment tout le temps ? Joann : Quand je pars en vacances, il parait que je suis très vite… gavant ! Alors ma femme et mes enfants m'envoient dessiner dans ma chambre ! Keith : Quel est ton super héros préféré ? Joann : Conan le Barbare parce que c'est un type qui n'aime pas trop discuter et qui trouve des solutions simples à des problèmes très compliqués ! Propos recueillis par Olivia de Lamberterie.


cinéma/cannes

Retour de Cannes Par les envoyés spéciaux Stan Coppin et Giulio Callegari Photos : à l'arrache

Mercredi 12 mai 2010. Ici Paris, qu'est ce qui se passe ? Les rues sont désertes, les clubs ferment boutique, les projectionnistes sont seuls, les people ont disparu. Il ne doit rester que Cachou dans un PMU. Le festival de Cannes vient de commencer un peu plus au sud. Ni une ni deux, on fait nos valises, on repasse nos smoking et on embarque pour la Croisette, là où il faut être. Tout le monde est là. Tout le monde montre qu'il est là. C'est le grand raout cannois, qui, 10 jours par an, polarise une galerie de personnages incroyables : le producteur érotique brésilien, le cinéaste indépendant tchadien, le chercheur d'invitations, le musicien en promo, le nœud papillonné, le comédien raté prêt à tout, le vigile/chauffeur/videur/gorille, l'oiseau de nuit parisien, la groupie en mal de tissu, Tim Burton, le journaliste accrédité jaune/bleu/rose ou encore la cannoise peroxydée auto-bronzée. Bienvenue à la foire d'empoigne du 7ème art, bienvenue à la grande kermesse du m'as-tu-vu, bienvenue au 63ème Festival de Cannes.

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Best of de la Quinzaine en une journée type. `

7h : Réveil dans la villa Keith, un 2 pièces/cuisine entre le Carlton et le Martinez. 8h : Galère d'accréditation, une pour deux ça va pas le faire longtemps. Un patron de presse solidaire nous permet d'en avoir une autre. 8h30 : Projection presse de Fair Game. Trop tard pour le Palais, les badges roses, ces salauds, sont prioritaires. On se fait la séance bis, 9h dans une salle à côté. Le film est lancé mais les sous-titres ne s'enclenchent pas. La lumière est rallumée pour un débat. Les locaux crient avec accent qu'ils ne comprennent pas l'anglais, et la presse internationale “is loosing precious time”. Micro tollé, ce sera en anglais sans sous-titres, les cannois quittent la salle. 10h30 : Après une photo avec Chewbacca, open café au stand Nespresso pour les accrédités. Faut choisir sa capsule et surtout sa serveuse. Coup de cœur pour la blondinette, aka la Zahia D. cannoise. 11h : Au choix : salle de presse pour bosser entourés de la crème des canards internationaux ou conférence de presse pour avoir des blagues de Jamel, un sourire de Naomi Watts. 12h : L'aïoli de Brochant, le maire de Cannes. Quelques journalistes invités à déjeuner à l'œil en compagnie des membres du jury. On s'incruste et on s'attable à deux mètres de Tim Burton et consorts. On voit que Kate Beckinsale se fait courtiser par le compositeur chineur Alexandre Desplat. La branche latine de ce jury (Benicio del Toro, Victor Erice…) complote en bout de table. On pique-assiette, on chipe leurs cartons de placement et on file à l'anglaise. 14h : On se sépare pour mieux trouver des perles inattendues. Sélections parallèles pour l'un, Marché du film pour l'autre.

16h30 : Direction Juan les Pins, la villa Schweppes, squattée par Nova. Pendant que l'un d'entre nous chronique en direct à la radio, l'autre sieste tranquille. 19h : On passe nos tuxedos et on papillonne nos nœuds. Invités par Titi l'Américain, direction les marches, les vraies, pour Kitano en présence du Beat. Un pote photographe joue le jeu et crie nos noms pour la pose. Les autres photographes croient sur parole les “Stan, Giulio, Gomorra !” et nous mitraillent dans la foulée. 22h : Standing ovation de circonstance pour le réalisateur japonais + Un MacDo habillés en pingouins. 23h : Début d'ambiance à la soirée de Carlos (le film, pas Big Bisou). Vikash Dhorasoo est assis tout seul, Philippe Val n'a rien à faire là, Gaspard Ulliel se la donne. 01h : Au VIP, le pass Canal + d'un ancien stage fait son effet, on grille la queue. Dedans un nain superman danse avec une Catwoman en latex. Une écolière patine à glace sur un miroir. On pose avec Jean Roch. R.A.S. 02h30 : Négociations, relations, pistons, après une demi-heure de pourparlers, on entre à la soirée Technikart au Chérie Chéri. Bon son, beautiful people. Gaspar Noé et le réalisateur de La Casa Muda parlent plans séquence. On se concentre sur l'actrice principale du film. “Tengo el novio”, mais on lâche pas l'affaire : “lo que pasa en Cannes, remane en Cannes (sic)”. Choux blanc, elle s'acoquine avec Benicio Del Toro. 03h20 : Arianne Massenet et Yann Barthès, - ce sont eux les vrais rois de la Croisette -, passent comme des spectres. On ne les reverra jamais. 04h00 : Salut, Gael Garcia Bernal. En Président du jury de la Caméra d'Or, tu devrais aller te coucher au lieu de faire la nouba. 04h01 : Toutes les routes mènent au Baron (à Cannes pour la Quinzaine), frivole à Paris mais indispensable ici. Il nous faut une heure pour comprendre qu'il y a un showcase de -M- sous nos yeux. 5h30 : H-2 avant la prochaine projection presse. Un pote en smoking s'invite sur le canapé.


cinéma/cannes

HypoCannes,

Sous le tapis, le Marché du film

Des stands les uns sur les autres, classés par pays, des milliers de flyers et d'affiches de films dans tous les sens et la plupart vous sont inconnus. Arpenter le marché du film, c'est se prendre un shoot de cinéma en pleine figure, à vous en faire tourner la tête. Les producteurs et distributeurs du monde entier sont réunis pour essayer de vendre leurs dernières productions. Le meilleur peut côtoyer le pire. Certains sombres films asiatiques qui ne sortiront jamais chez nous côtoient les stands des grosses productions en recherche de financement. On aurait bien acheté un porno gay brésilien pour qu'il tourne en boucle dans les locaux de Keith mais l'addition aurait été trop salée. En revanche, on a réussi à se faufiler dans quelques salles.

Un nanar “The Dancing Ninja”, de Kelly Sandefur.

En se baladant au marché du film, on est tombés sur le stand d'un distributeur coréen qui proposait Dancing Ninja, le Ninja Danseur, avec un bon vieux David Hasselhoff sur le retour. Alors bien sûr quand on voit ça on part pour s'inscrire direct à la projection. On a les accréditations presse mais un responsable nous bloque avec son accent asiatique : “No No No dyournalist, Movie not over, byers only”. Le film n'est pas terminé, encore en post production, alors ils ont peur des journalistes. En magouillant avec un ancien badge de stagiaire Canal +, on réussit à se faire passer pour des acheteurs en herbe. Nous voilà dans la salle au milieu de producteurs de série B très louches. Le film commence en précisant “Work In progress” et on va vite se rendre compte qu'il n'est en effet pas terminé. Le pitch est fabuleux. En gros ça commence par un prologue en dessin animé. Un bébé tout blanc tout blond est jeté à la mer. Il est retrouvé par un pêcheur chinois auteur de films pornos amateurs. Seize ans plus tard, l'orphelin Ikki tombe par hasard sur une démonstration d'arts martiaux. Il sent que c'est son destin et s'inscrit à un casting de Ninja. Le maître de l'école refuse de le prendre parce qu'il est blanc et mauvais. Changement de carrière et en deux ans, il devient le meilleur joueur d'un jeu video à la Dance Dance Revolution. Grâce à ses dance mooves, Ikki se rend compte qu'il sait aussi se battre. Il pourrait bien être le Dancing Ninja (!) dont parle une prophétie ancestrale. Mais avant de pouvoir en parler à Maître Sabu, ce dernier est assassiné par le maléfique Ansel Ladouche, une star des arts martiaux américaine, ancien élève de Sabu, David Hassellhoff. Pour réaliser son destin de Ninja Danseur, Ikki doit venger Sabu en tuant Ladouche et en sauvant le monde. Donc ça, c'est pour le fond. Faut savoir qu'on ne parle que du premier quart d'heure d'un film de 2h. On a quitté la salle ensuite. Un gros nanar, c'est drôle. Un gros nanar en cours de production, c'est un cauchemar. Parce que sur la forme, c'est l'enfer. Des séquences en dessin animé, des images de jeux vidéos un peu partout, une grosse machina asiatique non mixée en guise de bande son. Et le film n'étant pas terminé, il manque tous les effets spéciaux. On voit les cordons des cascadeurs, le time code: l'horloge du tournage qui défile en bas. L'image n'est pas retouchée, on dirait un vieux camescope DV. Les acteurs asiatiques ne parlent pas bien anglais donc on ne comprend pas grand chose. À notre avis, Dancing Ninja ne sortira jamais dans les salles obscures. Si vraiment vous voulez voir, on parie sur une sortie exclusivement en VHS pour la rentrée.

Une perle “Exit trough the gift shop”, de Banksy.

Au marché du film, on peut aussi tomber sur des bijoux. Notre coup de cœur : le docu de Banksy, ce grapheur britannique mondialement connu pour ses pochoirs détournés et critiques posés aux 4 coins du monde. Le type n'a jamais été démasqué et reste l'homme à abattre par Scotland Yard outre-Manche. Ses oeuvres font aujourd'hui le bonheur de guides touristiques un peu improvisés dans les quartiers choisis par l'artiste. Le couple Brandgelina aurait même acheté des toiles du maître anonyme. Banksy nous livre ici un reportage générique sur le graffiti à travers le personnage de Thierry Guetta, aka Mr Brainwash. Durant la première partie, on suit ce Thierry, un amateur d'art de rue français à Los Angeles et caméraman compulsif. Derrière son objectif, on rencontre la crème du graff international, les ténors de la bombe et du collage. Il y a les frenchies Space Invader et André, mais aussi Shepard Fairey (l'instigateur du mouvement Obey Giant, celui qui a canonisé l'icône Obama). Guetta qui n'est encore qu'un admirateur un peu looser ne rêve que d'une seule chose, rencontrer Banksy, son idole, sa bataille. C'est chose faite avec l'entremise de Shepard. C'est là que commence la deuxième partie, et que le documentaire va réellement se démarquer des docs de rue classiques. La rencontre s'avère initiatique pour Thierry. En suivant le travail et les conseils de Banksy, qui apparaît masqué, le français va se lancer dans l'art. On comprend que c'est en fait le point de vue de Banksy himself qui s'est glissé derrière la caméra pour observer les aventures de ce grapheur plutôt médiocre. Tout est dans le titre du film : Exit through The Gift shop, littéralement “Sortie par la boutique de souvenirs” Banksy critique par là l'emballement ridicule dont il a pu être le héros, et le marketing vandale de produit dérivés de ses oeuvres, qui, étant affichées sur les murs, n'ont qu'un copyright moral. Banksy nous dirait par là que sa place ne sera jamais dans les musées ni dans leurs rayons cadeaux. Une journaliste du New York Times a inventé le terme de “Prankumentary”, en gros farcumentaire, pour qualifier ce nouveau sous-genre du cinéma. Une espèce de “fake” maitrisé qui n'est pas sans rappeler les excès de Joaquin Pheonix devenu hirsute, gros et rappeur pour les besoins d'un docu encore mystérieux. Quand on connait la ruse de Banksy, on veut bien croire que c'en est un.

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Cannes Abysses Le Festival des controverses Cette année, comme jamais, le Festival de Cannes a eu son lot de polémiques. Extraits.

Climat volcanique

Deux jours avant le début de la grande kermesse cannoise, une tempête a ravagé les installations (héliport, plages privés, affiches…). De mauvaise augure. Et puis ce bon vieux volcan Eyjafjöll qui a repris du service, bloquant une nouvelle fois l'espace aérien et par là les jets des people. Heureusement tout a bien commencé. Pendant la Quinzaine, tapie derrière le soleil de façade, c'est la température qui a nous a joué des tours. Les pharmacies de Cannes ont écoulé tout leur stock d'Actifed aux journalistes trahis par la promesse du beau temps. Ils ne sont pas venus / il n'aurait pas du venir

Terrence Malick, Sofia Coppola, beaucoup sont les gros poissons attendus sur les marches qui n'ont pas terminé leurs longs-métrages à temps. Ils seront du Festival de Venise en septembre, sous la présidence de Tarantino. “C'est plus ce que c'était” on entend sur le remblai. La faute au calendrier imposé par Hollywood, la faute aux autres festivals, la faute à la crise, aussi… Un type inconnu qui n'est pas venu mais qui a eu sa part de buzz, c'est le ministre de la culture italien. Il a encouragé ses compatriotes à boycotter comme lui le Festival à cause d'un documentaire taquin sur la gestion de l'après tremblement de terre par Berlusconi. Résultat, la séance de Draquila - l'Italia che trema, promis aux oubliettes, était pleine. C'est le russe Nikita Mikhalkov qui aurait dû rester chez lui. En sélection officielle, le cinéaste a défrayé la chronique. Parce que le type est un proche de Poutine, qui règne en maître sur les financements du cinéma russe et son exportation. “Hors la loi”, beaucoup de bruit pour pas grand chose

Scandale annoncé. Avant même la cérémonie d'ouverture, des députés de la majorité, le maire UMP de Cannes Brochant en tête, ont tout fait pour faire enlever le film de Rachid Bouchareb (Indigènes) de la Compétition. La raison ? un conflit mémoriel autour des massacres de Setif, le 8 mai 1945. Le matin de la projection, pendant qu'on était peinards dans la salle, ils étaient 1500 en arrivant au port, les manifestants. UMP, FN et Bloc identitaire ont donné de la voix. Les contrôles de badges et les fouilles des sacs après la projo pour entrer en salle de presse ont bien fait de nous rappeler que la France a toujours du mal avec son histoire. En Sélection officielle cette année, Fair Game de Doug Liman, parle d'une sale affaire entourant l'invasion américaine en Irak durant l'ère Bush Jr, moins de 10 ans après les faits. Plus de 60 ans après les faits décrits dans Hors la loi, la France n'a toujours pas fait son travail de mémoire. Il y a comme un problème. Le film dans tout ça ? des dialogues cheezy, une débauche de reconstitutions, pas de subtilité, aucun non-dit, mais un bon grand film populaire en fin de compte. Le rôle de Jamel lui va bien, Bouajila

est solide mais Roshdy Zem passe un peu à côté. 2h30 de film à 8h30 du matin, sans s'endormir, faut le signaler. C'est en conférence de presse, à la fin du film, quand Bouchareb se compare à Scorsese et Coppola père, qu'on a envie de piquer du nez. Et la polémique sur l'exactitude historique ? “C'est une fiction”. Mouais. Chaises vides

Pendant la Quinzaine et jusqu'à la cérémonie de clôture, l'ombre de Jafar Panahi a plané sur la Croisette. Le réalisateur iranien enfermé à Téhéran pour avoir préparé un documentaire sur la réélection controversée de Mahmoud A., était invité symboliquement à faire partie du jury. Sa chaise aux côtés de Tim Burton & friends est restée vide. La polémique Roman Polanski a aussi empli sur le tapis rouge. Alors que les réalisateurs se succèdent pour signer une pétition pour sa libération, une nouvelle actrice sort de l'ombre pour accuser le cinéaste de pédophilie. Et Jamel Debbouze de rajouter une couche en conférence de presse : “Moi aussi, j'ai été violé par Roman Polanski à 16 ans”, lol. Un festival, des festivals

Beaucoup ont critiqué la faiblesse de la Sélection Officielle, sans les mégastars habituelles des marches, et les choix peu académiques comme le téléfilm Carlos, d'Olivier Assayas. D'autres se sont réjouis de ces choix originaux qui ont fait la part belle aux autres cinémas. Certains ont aussi applaudi la richesse des sélections parallèles. Oliveira ou Godard pour Un Certain Regard, ou les Rolling Stones à la Quinzaine des Réalisateurs. Un Certain Regard, Quinzaine des réalisateurs, Semaine de Critique, Sélection ACID (Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion), c'est vrai qu'on s'emmêle un peu les pinceaux entre toutes ces compétitions. En marge de la sélection officielle se trament à Cannes une multitude de remises de prix plus inattendues les unes que les autres. On peut citer la Palm Dog, remise au meilleur acteur chien ou chienne des films présents sur la Croisette. Cette année c'est Boss, le boxer de Tamara Drewe de Stephen Frears qui a raflé l'award. La Queer Palm, “palme gay”, a récompensé le film, toutes sélections confondues, le plus gay friendly. Si Les amours imaginaires, du réalisateur ado dans le vent Xavier Dolan, était bien parti pour remporter ce prix, c'est le très bon Kaboom de Gregg Araki qui a finalement reçu la majorité des votes des journalistes du jury.


cinéma/cannes L'équipe de Rubber

Brèves en playlist “Paradise Circus” de Massive Attack

C'est cette ritournelle qui maquille les magnifiques portraits de femmes que le photographe JR nous a offerte dans son documentaire Women are Heroes. Diffusé sur la plage, à la belle étoile, il a été ovationné par les centaines de transats momifiés sous les couvertures (il a fait froid). Massive Attack a composé toute la bande originale du documentaire. “Tumbling Dice” des Rolling Stones

On nous avait dit oui, puis non. On n'y croyait plus quand on s'est assis dans la salle de projection de la Quinzaine des réalisateurs. Mick Jagger himself est finalement venu (!) pour introduire devant un public, et nous, médusés, le documentaire Stones in Exile. Le leader des Stones en costard/Nike pump air force (la vérité) a levé le rideau, dans un français impeccable, pour un shot d'images d'archives exclusives sur l'enregistrement épique de l'album Exile on Main Street, en 1971. “Dans les 60's/70's, on était jeunes, beaux et cons. Aujourd'hui on est juste cons”, nous a balancé Mick. Le fisc aux fesses, le groupe britannique avait trouvé refuge dans une mansion de la Côte d'Azur pour une année de sexe, drogue & rock'n'roll. “Chivers as a Female” de Sébastion Tellier, Mr. Oizo et Sebastian

En attendant la sortie du film Rubber, présenté en Semaine de la Critique, et de sa très chouette bande originale, réécoutons ce titre électro/mystique tiré de la BO de Steak, du même réalisateur Quentin Dupieux, a.k.a. Mr. Oizo. Le cinéaste barbu signe la bande son de Rubber avec Gaspard Augé, le jus de Justice. Toute la clique Ed Banger de Pedro Winter s'est pressée à la soirée du film. Nous on a cru que sur un malentendu ça pouvait marcher, mais non.

“Polio” du Staff Benda Bilili

Depuis une couverture du Monde 2 et les coups de boost de Radio Nova, ceux qu'on appelle le Staff ont lentement conquis les oreilles de puristes. Héros du documentaire Benda Bilili ! (Quinzaine des réalisateurs), ces as du funk et de la rumba congolaise, parias des faubourgs de Kinshasa, handicapés moteur, ont littéralement explosé sur la Croisette en devenant les coqueluches de tous les récupérateurs. Live à la soirée des Inrocks, couverture de Variety, blablabla, jusqu'au très bling-bling plateau du Grand Journal (“face le Martinez”), qui s'est approprié tout ce qui a bougé Cannes. Le Staff a le succès qu'il mérite. “Lose Your Soul” de Dead Man's Bones

Dead Man's Bones, c'est le groupe magistral de Ryan Gosling, le comédien prodige de Half Nelson. Il squatte le tapis rouge à Cannes pour Blue Valentine, une romance dramatique sélectionnée pour Un Certain Regard, qui pêche par excès d'indie, mais dans laquelle Ryan excelle bien évidemment. Et comme dans le film il pousse la chansonnette de sa voix embaumante - et avec ukulélé -, il a sa place ici. Sur le port, on a regardé discretos Ryan, qui regardait incognito les boulistes, qui regardaient leurs boules.

Courtes critiques des sélections Cannes, c'est aussi des films. Petits topos sur un choix non exhaustif de longs-métrages, toutes compétitions confondues. La saga du vide :

- Rebecca H., de Lodge Kerridan - Two Gates of Sleep, de Alistair Banks Griffin - Aurora, de Cristi Puiu

Outrage, de Takeshi Kitano (En Compétition) : La créativité des meurtres chez les Yakuzas, histoires drôles de famille, humour noir et photo rouge, la palme de Giulio.

Kaboom, de Gregg Araki (Hors Compétition) : Sexe, drogue et secte mystique quelques heures avant la fin des temps. Le grand retour d'Araki qui règle ses compte avec Donnie Darko. The Myth of American Sleepover, de David Robert Mitchell (Semaine de la critique) : Viens voir dans mon pyjama si j'y suis.

The Housemaid, de IM Sang-soo (En Compétition) : Un simple drame coréen en apparence, un vrai trip de cinéaste fou en réalité. Après The President Last Bang, IM Sang-soo continue son mélange des genres et fait une critique virulante de la haute bourgeoisie coréenne.

Belle Epine, de Rebecca Zlotowski (Semaine de la critique) : Léa Seydoux chez les motards de Rungis.

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Wall Street 2, de Oliver Stone (Hors Compétition) : Après une bande annonce qui donnait l'eau à la bouche, c'est une déception énorme. Un krash cinématographique en pleine crise économique. Oliver, depuis L'Enfer du dimanche, que fais-tu ? Shit Year, de Cam Archer (Quinzaine des réalisateurs) : Après l'excellent Wild Tigers I have Know, Cam Archer est décidément un réalisateur à suivre de très près.

La Nostra Vita, de Daniele Luchetti (En Compétition) : Un téléfilm de chaîne hertzienne qui s'est trouvé une place au soleil dans la sélection. Oncle Boonmee…, de Apichatpong Weerasethakul (En Compétition) : Apichatpong Weerasethakul (Joe pour les intimes) nous emmène dans un carnaval d'âmes et de fantômes à travers sa mémoire et celle de son pays. La palme de Stan, La palme de Tim.


3D/5D : la révolution en marche à côté des marches

3D, entre nanars et cul

Alors qu'elle révolutionne le cinéma, la 3D est absente de toutes les sélections cannoises. C'était sans compter sur le marché du film, repère de tous les cinémas, et sur les présentations non-officielles qui veulent profiter du raout cannois. Pas une tranche horaire, cette année, sans que le marché ne donne à voir un projet mis en relief. Casse-noisette, une adaptation du ballet de Tchaikovsky avec John Turturro, est un exemple parmi d'autres à découvrir lunettes sur le nez. Au marché, on a aussi vu le pire de la 3D, comme la tentative d'approfondissement du champ du film Hybrid d'Éric Valette, qui fait mal au crâne. Projeté dans un boudoir tout de velours rouge clouté, le projet 3D qui nous a le plus marqués est sans aucun doute celui de Marc Dorcel. Le pape du X français est venu présenter à Cannes un échantillon du premier porno 3D. Nous avons rencontré son fils, instigateur de la révolution et PDG du groupe. Un vrai vendeur de Darty, très corporate. Contrairement à la 3D classique, qui augmente la profondeur de champ, les Dorcel, père et fils, ont développé une 3D tape-à-l'œil, pleine de “jaillissements” qu'ils disent. La démo qu'ils nous ont montrée, l'effeuillage coquin d'une actrice qui vient nous chercher en dehors de l'écran, nous a tout chamboulés. Le but : avoir “l'impression que la scène se passe sur vos cuisses”. Cool.

Canon 5D, le chouchou des indie

Le Canon 5D Mark II est un appareil photo numérique sorti en 2008. Il permet de prendre des vidéos en haute définition avec un rendu tellement convaincant que des professionnels l'utilisent pour la télévision. Clips, publicités et même séries télé sont tournés en 5D pour des raisons budgétaires et logistiques. Cannes est un moyen de mesurer l'ampleur que prend l'appareil photo de Canon sorti en 2008. Ici, tous les photographes en ont un au cou et deux films tournés avec ont été sélectionnés au Festival cette année. La Casa Muda, un film d'horreur uruguayen tourné en un plan séquence de 1h20 et Rubber de Quentin Dupieux, notre Mr. Oizo national, tombé sous le charme de cette caméra miniature. Dans une interview donnée aux Cahiers du cinéma, qui ont adoré la plastique du film, il explique qu'il ne tournera plus qu'avec ça. Après la projection de La Casa Muda, on comprend que cet appareil est une micro-révolution. Par sa petite taille, la caméra est capable de se faufiler dans les moindres recoins et la sensibilité de l'appareil en basse lumière autorise la prise de vue en semi-obscurité. Le film propose ainsi une expérience inédite. Son parti pris de suivre l'héroïne au plus près pendant tout le film permet une immersion inégalée depuis Rec de Jaume Balaguero.



art

Mec t'es archi ?

- copyright Nicolas Borel

“Archi et BD - La ville dessinée” 3 bonnes raisons d'aller voir cette expo : 1) C'est d'abord l'occasion de découvrir la Cité de l'architecture et du patrimoine rouverte en septembre 2007 dans l'aile “Paris” du Palais de Chaillot. Il s'agit du plus grand centre d'architecture au monde. 2) Parce que ce n'est pas tous les jours qu'il y a une exposition sur la bande dessinée, tous les amateurs pourront y découvrir des planches originales de Windsor McCay, d'Enki Bilal ou de Moebius. 3) Enfin, parce c'est une exposition passionnante qui met en lumière la manière dont la bande dessinée représente la ville et le monde qui l'entoure. Le tout dans une scénographie et une mise en lumière à couper le souffle. Archi et BD - La ville dessinée jusqu'au 28 novembre à la Cité de l'architecture et du patrimoine, Palais de Chaillot 1 place du Trocédro 75016 Paris Jeremy Dessaint

Et aussi

“Dreamlands - des parcs d'attraction aux cités du futur” jusqu'au 9 août au Centre Pompidou 75003 Paris Cette exposition protéiforme, parcourue par des films, documents, photographies, maquettes, soulève la question des “dreamlands”, ces utopies architecturales, et de leurs conséquences sur notre manière de vivre la ville. Depuis les projets présentés lors de grandes expositions universelles jusqu'aux projets pharaoniques aujourd'hui mis en place à Dubaï par exemple, l'exposition tend à montrer comment ces prophéties urbanistiques sont théorisées et appliquées dans la vie réelle.

- copyright Chaland 1984

Olivio Barbieri Site specific, Las Vegas, 2005 Film 35 mm sur DVD, sonore 12 min 30sec Courtesy Olivo Barbieri, Brancolini Grimaldi Arte Contemporanea, Roma © Olivo Barbieri

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Kader Attia Untitled (Skyline), 2007 Courtesy : BALTIC Centre for Contemporary Art Courtesy Galerie Anne de Villepoix, Paris © Colin Davison


art/actu

Mec t'es galerie ?

Kendell Geers Typhonic Beast 1, 2007 Spray-painted hippopotamus skull Courtesy of the artist, Yvon Lambert

“Wish list of a young collector”

L'idée pour cette exposition collective qui dure tout juste un mois est de laisser libre cours aux envies d'un collectionneur, en l'occurrence ici Carl Ganem. Avec ce jeune collectionneur, le galeriste de la rue Vieille-du-Temple a imaginé rassembler à la fois des œuvres déjà acquises par le collectionneur ainsi que d'autres peut-être à acquérir dans le futur. Mises en abîme de la galerie et de la collection, les œuvres dans la première salle sont rangées dans des rayonnages, comme dans une réserve. L'accrochage évoluera pendant la durée de l'exposition selon l'humeur de Carl Ganem, laissant voir des œuvres de Nan Goldin, Jenny Holzer, Loris Gréaud ou Andy Warhol entre autres. “Wish list of a young collector” du 1er juillet au 31 juillet à la galerie Yvon Lambert, 108 rue Vieille-du-Temple 75003 Paris. J.D. Louise Lawler Red/Yellow/Black, 2008 Cibachrome face mounted to plexi on museum box Courtesy of the artist, Yvon Lambert

Golden Years, 2010 Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac, Paris/Salzburg

Et aussi

“Jack Pierson” jusqu'au 30 juillet à la galerie Thaddaeus Ropac, 7 rue Debelleyme 75003 Paris A découvrir les dernières œuvres de l'artiste branché américain avec des dessins géants sur toile brute, des œuvres sur papier ainsi qu'un de ses fameux “word piece”. “Gilles Barbier - There is no Moon without a Rocket” jusqu'au 31 juillet à la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36 rue de Seine 75006 Paris

Mec t'es photo ? “L'impossible photographie, prisons parisiennes (1851-2010)”

Voici une exposition bien particulière. D'abord pour son sujet, le milieu carcéral. La photographie en prison est très difficile voire impossible, car interdite. Les premières photos de prison sont d'abord des photos d'inventaire, elles servaient d'archives pour les services administratifs. Le musée Carnavalet a donc, pour cette exposition, effectué un énorme travail de recherche et d'archivage pour inventorier près de 4000 documents photographiques pris en prison. Il en résulte une sélection de 340 photos qui montrent la prison, souvent sans ses prisonniers. Car là est la limite, la photographie ne peut pas retranscrire l'isolement, la violence ressentis par les occupants. Le témoignage photographique est alors intelligemment relayé par la vidéo ou le document écrit pour appuyer le propos. Enfin, dans le cadre de cette exposition, sont montré pour la première fois trois reportages photographiques réalisés à la prison de la Santé entre 2008 et 2009 par Jacqueline Salmon, Michel Séméniako et Mathieu Pernot . “L'impossible photographie, prison parisiennes (1851-2010)” jusqu'au 4 juillet au Musée Carnavalet, 23 rue de Sévigné 75003 Paris J.D.

Et aussi

“Pierre Gonnord - Témoins” jusqu'au 11 juillet au Centre photographique d'Ile-de-France, 107 avenue de la République, 77340 Pontault Combault Les sujets de Pierre Gonnord sont ici les marginaux, le gitan, l'immigré. Par des portraits de très grand format articulés autour du regard, le photographe capte l'humanité de ces personnes tout en leur conférant une noblesse par une présence incroyable. K?-40


Florian Pugnaire et David Raffini Casse-Pipe, 2009-2010 Courtesy des artistes

Laetitia Badaut-Haussmann No one returns ! (Une performance invisible), 2010 Simu lation Courtesy de l'artiste

Mec t'es contemporain ? “Dynasty”

Voici l'exposition à ne rater sous aucun prétexte ! 1 exposition, 2 lieux - le Palais de Tokyo et son voisin le Musée d'Art Moderne - 40 artistes, 80 propositions. L'idée : une collaboration inédite entre l'ARC et le Palais de Tokyo pour présenter la future scène de l'art contemporain français. Chaque artiste invité a imaginé une œuvre originale pour chacune des institutions. Le résultat est à la hauteur de l'attente. On y trouve des propositions audacieuses et alternatives. Enfin, une institution décide de promouvoir les véritables artistes émergents, ceux qui sortent des écoles d'art et des FRAC. Voilà la véritable vocation du Palais de Tokyo ! “Dynasty” jusqu'au 5 septembre au Palais de Tokyo et à l'ARC, 13 avenue du président Wilson 75116 Paris J.D.

Et aussi

“Duane Hanson - Le rêve américain” jusqu'au 15 août au pavillon Paul Delouvier, Parc de la Villette 75019 Paris. L'exposition propose de découvrir les dernières sculptures de l'artiste hyperréaliste américain décédé en 1996. Ces personnages à échelle réelle, qui sont tant réalistes qu'ils perturbent notre perception, sont pour l'artiste le fruit d'une réflexion d'une certaine vision - souvent critique - d'une Amérique consumériste et pathétique. “Valérie Jouve” jusqu'au 13 septembre au Centre Pompidou 75003 Paris. Première exposition dans une institution majeure pour cette photographe et vidéaste française qui depuis longtemps poursuit un travail sociologique et anthropologique sur notre comportement dans l'espace urbain.

Duane Hanson, Man with Walkman, 1989 Collection Hanson, Davie, Floride - photo : Alan Ginsburg © ADAGP, Paris 2010 Courtesy of the Institut für Kulturaustausch, Tübingen


art/actu

Mec t'es classique ? “Paul Klee (1879-1940) - La collection d'Ernst Beyeler”

Avant de devenir peintre, Paul Klee fut et resta tout au long de sa vie musicien. Ce sens du rythme et de la mélodie se retrouve dans les petites toiles du peintre allemand. Klee applique les règles de la partition sur la toile. Courbes et lignes s'accordent parfaitement avec une palette chromatique unique. L'exposition au musée de l'Orangerie regroupe 27 tableaux et dessins de la collection du célèbre marchand. Il s'agit d'œuvres de période tardive notamment lorsque Klee est réfugié en Suisse à partir de 1933, fuyant l'Allemagne nazie. L'artiste devient plus angoissé, l'œuvre prend des accents plus dramatiques. Les lignes se font plus tendues et les tonalités s'assombrissent. “Paul Klee (1879-1940) - La collection d'Ernst Beyeler” jusqu'au 19 juillet au musée de l'Orangerie, Jardin des Tuileries 75001 Paris J.D.

Et aussi

“Pakistan - Terre de rencontre (Ier-VIè siècles) Les Arts du Gandhâra” jusqu'au 16 aout au musée Guimet, 6 place d'Iéna 75116 Paris Carrefour entre les civilisations, entre la Grèce d'Alexandre et l'Inde du Bouddha, la région du Gandhâra en Inde va être le berceau d'un art totalement singulier, fruit de multiples influences. Ce syncrétisme entre les arts grec, romain et perse va donner naissance à cet art si particulier que l'on a qualifié souvent de “gréco-bouddhique”. Avec plus de deux cent œuvres dont des stèles, des statues et des bas-reliefs, on y découvre des bouddhas dans des drapés et des positions aux allures d'Apollon.

© Peabody Museum of Archaeology and Ethnology, Harvard University

“La Fabrique des Images” jusqu'au 17 juillet 2011 au musée du Quai Branly, 37 quai Branly 75007 Paris. L'Homme a créé 4 grands systèmes de vision du monde. Ces 4 “ontologies” sont l'animisme, le naturalisme, le totémisme et l'analogisme. A travers une sélection de 160 œuvres et objets, le musée du Quai Branly nous invite à découvrir et décrypter ces différents modèles iconologiques. Et encore une fois, le pari est tenu de réussir à éveiller les consciences, éclairer le spectateur sur le monde qui nous entoure, pour faire disparaître tout ethnocentrisme primaire latent.

DR

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Textile et création contemporaine Sorti des intérieurs feutrés, le médium textile ré-art-ctualise notre sensible. Artificialisées dans un souci d'honnêteté, ces œuvres figurent notre tangible, le laissant quasi autonome, comme pour le laisser par lui même témoigner. En l'énonçant plus qu'en la dénonçant, l'idée est de signifier son dédain en dressant le constat d'une situation. Au delà de la critique ce qui anime, c'est un certain plaisir à reproduire. Quoique différents dans leurs intentions, ces artistes ont en commun l'idée de s'exprimer visuellement via un médium à la fois long et pénible à réaliser. De fait, l'ensemble de leurs œuvres doit plus à la concentration et à la maitrise qu'au simple abandon. Alors comme l'artiste argentin Tomas Saraceno, c'est en dehors de tout sentimentalisme qu'il s'agit d'architecturer le réel, de reproduire à partir de fil un agrandi d'échelle, comme ici d'une toile d'araignée. Catalysant le flottement de la valeur plastique des années 80, les recherches d'artistes amènent progressivement à l'émergence de nouveau médium. Dépassant le formalisme pesant de l'art conceptuel, le textile opère à un retour au subjectivisme, à un impressionisme plus léger dans son intellectualisation, plus direct dans ses aboutissants. Depuis deux décennies sa pratique se fait reconnaitre alors qu'il devient l'un des vecteurs incontournables du plasticien. Son importance est régulièrement mise en exergue lors d'expositions recentrées sur le sujet – Extreme Embroidery à New York, Métissages en France Se servant du fil comme d'un fusain mal aiguisé, Ghada Amer considère la broderie comme le médium idéal pour raconter

les histoires sexuelles de notre quotidien, comme un journal intime raconté sans maniérisme. En 2008, elle a l'honneur d'une rétrospective personnelle au musée de Brooklyn. Manière de retourner vers l'ouvrage de dame en changeant ses intentions, s'agissant ici moins d'habiller que d'exprimer, l'utilisation du textile en temps que médium a souvent été teinté de valeur féministe. En précurseurs dès les années 60, Louise Bourgois et Annette Messager s'opposent à la vocation décorative de la broderie, s'arrangeant pour lui donner plus de substance. Via cette pratique les femmes renforcent peu à peu leur place dans l'art contemporain, notamment dans l'expression abstraite, jusqu'à lors extrêmement masculinisé. Espérons que par cette voie, elles parviennent à plus s'implanter sur le devant de la scène, à exprimer ce qu'elles savent rendre si intelligible. Au regard de l'histoire de l'art, la période médium textile pourrait devenir le témoignage d'une société en voie d'être féminisée, marquer le prémisse d'une voie de sortie aux échecs successifs de l'exercice du pouvoir par le genre masculin. Cathos fachos & machos, arrêtez de nous cassez le clito. Thomas Hutter

Louise Bourgeois, Mother and Child, 2001, Tissu, verre, inox et bois, Musée d'art Moderne de Séoul

Tomás Saraceno, 14 Billions (Working Title), 2010. Courtesy Bonniers Konsthall Ghada Amer, Knotty but Nice, 2005. Broderie et acrylic sur toile.


Introducing... art/actu

Pompidou-Metz en chiffres Symbole de la décentralisation des grands musées parisiens, le Centre Pompidou Metz vient d'ouvrir ses portes. Avec son architecture translucide et organique, ainsi qu'une exposition inaugurale magistrale, la nouvelle institution est promise à un grand avenir. Nous n'irons plus rue Louis Weiss, mais nous irons souvent à Metz !

- 12 mai 2010,

inauguration officielle. 33 ans après l'ouverture du Centre Pompidou à Beaubourg.

- 5020 m2,

c'est la surface totale d'exposition. Avec un rapport exceptionnel de un mètre carré d'exposition pour un metre carré d'espace logistique.

- 10 millions d’euros,

c'est le budget de fonctionnement pour la première année.

- 780,

le nombre d'oeuvres majeures regroupées pour l'exposition inaugurale “ Chefs-d'oeuvre?”

- 200 000

visiteurs attendus pour l'année 2011. J.D.

BD et art contemporain,

Les liens entre la bande dessinée et l'art contemporain sont à la fois étroits et fragiles. Il existe bien sûr une bande dessinée d'art, dont les auteurs se revendiquent plus du milieu de l'art contemporain que de celui de la BD. Mais si la BD est souvent surnommée le Neuvième Art, elle a toujours été snobée par le milieu de l'art et plus précisément par les institutions artistiques. En effet, en raison peut-être de sa jeunesse ou de son côté trop populaire, la bande dessinée a toujours été sous-représentée dans les musées. C'est en fait aux artistes contemporains qui s'en sont inspirés qu'elle doit sa reconnaissance. Il faut attendre les années 60 et les artistes du Pop Art qui vont se servir des artefacts de la culture populaire comme humus. La bande dessinée en fera partie. Warhol dira un jour : “le plus grand peintre du XXè siècle, c'est

L’hospice vue globale, de Gilles Barbier.

je t'aime moi non plus.

Walt Disney.” C'est encore Warhol d'ailleurs qui détourna Mickey Mouse sur certaines de ces oeuvres et on a tous en tête les fameuses toiles de Lichtenstein inspirées des planches de DC Comics. Aujourd'hui, les rapports entre BD et art contemporain ont tendance à se resserrer. De nombreux artistes encore prennent inspiration dans l'art de la bulle tels Gilles Barbier, Wim Delvoye ou bien Philippe Parreno et Pierre Huygues qui ont acheté un personnage de manga, Ann Lee, à une société japonaise et la font vivre dans des films d'animation qu'ils mettent en scène. Et la vente récente pour 800 000 euros d'une couverture gouachée de Tintin en Amérique de 1931 par Hergé achève l'union entre la BD et le milieu de l'art… J.D.

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Zeitgeist, l'esprit du

temps

Etudiant en histoire de l'art depuis maintenant cinq ans, je me suis souvent demandé où allaient atterrir tous ces jeunes passionnés n'ayant pas choisi la “Voie Royale”, comme a dit un jour le directeur de l'Ecole du Louvre dans son discours aux élèves de première année dont je faisais partie. Chers lecteurs, il existe un espoir, je l'ai découvert. Rencontre avec Habib Diab, passionné d'art contemporain et jeune fondateur de la galerie Zeitgeist.

Keith : Quel est le projet de la galerie Zeitgeist ? Quel est son propos, son action et comment la définir ? Habib : Tout d'abord je tiens à préciser que Zeitgeist n'est pas une galerie ! En effet, je ne possède pas de lieu propre d'exposition. Zeitgeist ne se définit pas par son lieu (à l'inverse d'une galerie traditionnelle) mais par ce qu'elle produit. Je préfère voir Zeitgeist comme une galerie qui serait en mouvement, qui irait vers les gens. Concrètement cela signifie que depuis un an maintenant, j'expose les artistes avec qui je travaille sur des stands dans les grandes foires internationales. L'idée est que pour chaque foire, nous pouvons recréer un nouveau lieu d'exposition original. A l'inverse des grandes galeries qui vivent les foires comme une vitrine, un showroom, pour leur lieu principal, je vois le stand d'une foire comme un lieu vierge que je vais investir de manière totalement libre. Il va s'agir d'imaginer une exposition propre et non simplement accrocher des toiles pour les vendre. C'est pour cela d'ailleurs que je suis très exigeant avec les organisateurs de ces foires, leur demandant tous les détails sur les cimaises, les éclairages… (rires). Keith : Parlons maintenant du choix des artistes. Comment s'opère ton choix pour des artistes notamment comme Zeus ou bien La Fratrie ? Et où faut-il aller les chercher ? Habib : Je reçois aujourd'hui entre 15 et 20 propositions d'artistes par jour. Mais il est très difficile de découvrir le travail d'un artiste par ce biais, je préfère moi-même aller à leur rencontre. Pour être honnête, je n'ai pas encore “découvert” un artiste. Je fréquente beau-

coup les vernissages et il suffit d'une rencontre avec tel ou tel artiste pour avoir un coup de cœur et envie de travailler avec lui. Je ne crois pas avoir de ligne conductrice quant au choix des artistes. Zeus par exemple, qui est depuis longtemps un artiste reconnu, a bien voulu travailler avec moi pour un projet lors de la foire Fountain à New York car nous nous sommes bien entendus et nous avons tout de suite été sur la même longueur d'onde. Avec les deux frères de La Fratrie, cela s'est aussi passé comme ça : je les ai rencontrés, je leur ai proposé de travailler avec eux pour un projet et ils ont accepté. J'étais même surpris qu'ils veuillent travailler avec un type inconnu alors qu'ils avaient déjà été exposés pour des grandes galeries à l'étranger ! (rires) photo : Francesco Roversi

Keith : Parle-nous d'abord de ton parcours. Comment as-tu atterri dans le milieu de l'art ? Habib : Après mon bac, j'ai commencé une licence d'histoire de l'art à la Sorbonne. Puis je suis parti une année à Edimbourg en Erasmus. Mais je ne me suis pas réveillé un jour pris de passion pour l'art. Je pense que cela s'est fait naturellement, j'ai toujours été plutôt sensible à la chose artistique, et en particulier l'art contemporain. J'ai d'abord créé avec quelques amis l'association Curart ; il s'agissait de regrouper plusieurs jeunes curateurs dans le but de produire des expositions. Et c'est pendant l'été 2009, de retour d'une soirée bien arrosée, que je me suis lancé dans le projet d'ouvrir ma propre galerie. Plutôt que de galérer à multiplier les stages improductifs dans les galeries, je préférais galérer tout autant, mais avec ma propre structure ! Quelques jours plus tard, je déposais les statuts juridiques et la Galerie Zeitgeist était née.

Keith : Toi qui représentes la nouvelle garde, quel est ton regard sur le monde des galeries. S'agit-il d'un concept dépassé ? Comment vois-tu l'avenir de l'exposition et de la production artistique ? Habib : Déjà, le fait d'ouvrir si jeune ma propre structure alors qu'il existe des centaines de galeries était risqué. Tu as plutôt intérêt à apporter des idées nouvelles si tu veux tenir ! Alors il faut faire table rase des anciennes propositions ! Plus sérieusement, il est certain que le fonctionnement d'une galerie traditionnelle, le White Cube théorisé par Brian O'Doherty, est dépassé. Le fait même de posséder une galerie, espace blanc généralement le plus neutre possible, est réducteur. En effet, aujourd'hui, nombres d'artistes ne peuvent plus exposer des projets d'installation dans ces espaces. L'art contemporain a éclaté les supports et les proportions. En plus, beaucoup de grandes galeries sont totalement submergées par les frais engrangés par les espaces qu'elles louent. Et malheureusement, c'est de l'argent en moins pour l'art. Je préfère favoriser la dimension artistique plutôt que le lieu, c'est pourquoi je préfère être nomade et suivre les collectionneurs. Cela dit, il n'est pas non plus impossible d'envisager avoir un lieu dans quelques

années. Mais il faudra vraiment que ce soit un lieu exceptionnel ! (rires) Keith : Quel est ton point de vue sur la place qu'occupe la France dans la production et l'exposition d'art contemporain ? Habib : Je crois que l'art en France est aujourd'hui endormi. Pour ce qui est de la formation par exemple, je crois que l'école des Beaux-Arts de Paris est largement dépassée, elle forme des artistes qui ne sont pas assez pluridisciplinaires. Cependant, il existe des structures plus dynamiques comme Le Fresnoy ou les Beaux-arts de Cergy, plus tournés vers les nouveaux médias. Mais il faut se rendre compte surtout que le milieu de l'art en France est tout petit, il fonctionne par réseaux. En gros, il n'y a que quelques grandes galeries avec les mêmes artistes, où se retrouvent les mêmes personnes… Cela a tendance à produire une sorte de goût, d'art officiel où personne n'ira critiquer le travail de Kolkoz à la galerie Perrotin par exemple, alors que c'est profondément nul ! (rires) C'est à nous maintenant d'être vigilants et d'apporter des propositions alternatives. Propos recueillis par Jeremy Dessaint. *Retrouvez le projet Zeitgeist sur www.galeriezeitgeist.com


art/portrait hhhhhh

ODS EST FOU Complément m'artaud Performeur, peintre, sculpteur… ODS est fou. Je l'ai appris à mes dépens, en passant une nuit enfermée dans son atelier - un cloître à SaintNazaire - en tête-à-tête avec un rossignol déchaîné, entre ciel et mer, à la suite d'une série de péripéties rocambolesques.

Son oeuvre multiforme est une descente en enfer, une chute apocalyptique, horizontale, et qui n'en finit pas : Alice au pays de l'effroi. Devant chacun de ses autoportraits, où il se représente - mêlant peinture et photo - nu, défiguré, éventré, ensanglanté, déclinant avec jubilation tous les états du martyre, un allègre chemin de croix, je sentais sa main m'arracher les tripes, avant de les remettre gentiment en place, tapotant ensuite affectueusement mon (bas) ventre, avant de murmurer, de sa voix douce et rieuse : t'en fais pas, ça va aller. Ses vidéos-performance, c'est pire encore. Quant à ses sculptures, golems à taille d'enfant façonnés dans de l'argile, hérissés de pointes et de clous, c'est un autre univers, perpendiculaire : un peuple de spectres en marche. La vie toute entière d'Olivier de Sagazan - ODS pour ses amis artistes - est une performance, pour le meilleur et pour le pire. Il y a du William Blake chez ce type : les noces du ciel et de l'enfer. J'ai cauchemardé sur celle où il se garrotte le bras avec jubilation, et peint le masque de glaise aveugle dont il vient de s'enduire le visage, avec un pinceau trempé dans son sang. Conçu par hasard sur un paquebot mythique, le Pasteur, né en Afrique, sa terre-mère, allaité pendant deux ans par une mama black dont l'éloignement fut un arrachement, ODS est blanc à l'extérieur et noir à l'intérieur : il y a du sorcier chez lui, à fleur de chair, du sourcier aussi. Après un bizarre arrêt du cœur, il y a quelques mois (ultime performance ?) il s'est photographié sur son lit de semi-mort, entouré de spectres bienveillants, penchés sur son berceau-tombeau, et bien sûr, de cette scène de gisant, il a fait une suite de tableaux.

Ensuite, à peine revenu d'entre les morts, il s'est mis à creuser frénétiquement la terre battue de son atelier, nuit et jour, sans pouvoir s'arrêter, et sans comprendre pourquoi… Jusqu'à ce qu'il trouve, enfouie sous une gangue de glaise, la momie d'un enfant de douze ans, mort il y a peut-être quatre siècles, assassiné (?) d'après le diagnostic d'une amie archéologue. Sur son bureau, trône un joli fœtus ivoire, d'environ six mois, rêvassant dans le formol : don d'une admiratrice. Dans ma tête, la vision de cet ange errant dans les limbes fait écho à la performance où l'on voit ODS jaillissant nu, crâne rasé, enduit d'argile comme de la cire blanche dont sont oints les nouveaux-nés, d'un œuf en acier, qui se fend sous nos yeux. On l'a vu aussi pédalant des heures durant dans une roue-cage de fer, écureuil-humain vociférant du Beckett… Vu les tourments qu'il s'inflige - qu'il nous inflige - pas étonnant qu'il ait l'allure émaciée d'un danseur de Béjart. Olivier de Sagazan est issu d'une tribu de catholiques fervents, lui même avait la foi chevillée au corps, jusqu'à ce que des études de biologie et de philosophie entrecroisées tuent la divinité en lui… L'art à corps perdu, à âme rabattue, fut à dater de ce jour le sens qu'il a choisi de donner à sa vie, pour éviter de sombrer dans la folie. A part ça, il a la beauté acérée d'un ange déchu. La grâce, sans doute… Extirpée aux forceps de l'Ades, son œuvre bifide tutoie parfois le sublime. Elise Fontenaille

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Programme 2010 - Mai-juin 2010 : Galerie Vitoux, Place Sainte-Catherine 75004 - Du 3 au 10 juillet : Les sept mercenaires à La Petite Maison dans la Prairie, 3 rue du Lavoir 44600 Saint Nazaire Vernissage et nuit Blanche le samedi 3 juillet - Juillet-août 2010 : TRANSVERSALITE, images fabriquées, art numérique, photographie, Palais des Congrès, Saint-Jean-de-Monts - Juillet-août : Galerie Jakez, 5 rue Louis Lomenech 29930 Pont Aven - Novembre : Performance le jeudi 4 et exposition à Lasecu, espace d'art contemporain. 26 rue Bourjembois 59000 Lille - Novembre : Galerie Australe, vernissage et performance le vendredi 12, 65 rue Victor Mac Auliffe 97400 Saint Denis (Ile de la Réunion) A noter pour 2011, Ron Frick (réalisateur des films cultes Baraka et Koyaanisquatsi) et Mark Madginson ont filmé et intégré la performance Transfiguration dans un long métrage qui s'intitulera Samsara. Performances, peintures et sculptures : http://nefdesfous.free.fr



musique

“On a appelé cet album “Cyril” parce que c'est l'ancien nom de Christina Ricci.”

Sexy Sushi Têtes de dinde

Rebecca Warrior et Mitch Silver sont-ils deux dangereux psychopathes ? Va-t-on retrouver nos corps mutilés dans une usine de copeaux de bois après cette interview ? C'est le genre de questions que l'on est en droit de se poser lorsqu'on écoute les paroles déjantées des tubes de Sexy Sushi. Entre l'appel au meurtre de Jean-Pierre Pernault, l'amour sadique de Rebecca pour les coups de pied, et le sang qui recouvre les portes de leur “Forêt mystique”, leur nouvel album,“Cyril” (Labelmaison/Pias, sortie le 21 juin 2010), regorge de chansons plus effrayantes les unes que les autres. C'est donc la peur au ventre que nous pénétrons dans le café où les deux moitiés de Sexy Sushi nous ont donné rendez-vous. Finalement, nous en sommes sortis indemne. Mais s'ils ne sont pas dangereux, ils sont bel et bien complètement allumés… Rencontre. Interview de Basile de Bure et François Kraft. Photos : Laure Bernard.

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musique/rencontre

“On aimerait bien demander a Cascada de nous faire un remix.”

Keith : Vous préparez une grosse tournée pour la sortie de Cyril. La scène fait totalement partie de votre univers ? Rebecca : Oui, c'est la première fois qu'on fait autant de dates dans un temps si réduit. Et on a hâte d'y être ! On adore être sur scène, c'est une vrai performance pour nous. Mitch : C'est vraiment le moment où la fusion entre mes beat technos super linéaires et faciles à retenir et les textes complètement fous de Rebecca a lieu. Rebecca : Au début je me rappelle, Mitch venait au concert avec son ordi de bureau, il le poussait sur un skate… On a fait des trucs de fou : des prises d'otage, des massacres, on avait une roue… Keith : Une roue ? Mitch : Oui, avec les titres de nos morceaux inscrits dessus. On la tournait pour choisir celui qu'on allait jouer. Rebecca : Mais on a du arrêter… Les gens avaient fini par l'appeler “la roue de l'infortune”, parce que ça tombait souvent sur le même morceau, qu'on rejouait plusieurs fois de suite du coup. Il y avait aussi une case “chanson insupportable”. On jouait une chanson horrible d'un artiste à la con. Et une case “rappel”. Donc on pouvait faire le rappel au début du concert… Et bien sur, une case banqueroute… Quand elle tombait, on s'en allait. On l'a fait une fois, on s'est fait tuer par les mecs de la salle… Mais bon, ce soir là, la scène était déjà envahie avant même qu'on arrive. Mitch : On adore ce genre d'ambiance. Un jour, un mec a ouvert une bombe lacrymo dans le public. C'était la panique ! Rebecca : C'était génial. J'aimerais bien qu'on arrive à faire fermer toutes les salles où on passe.

Keith : Quelle genre de public vient vous voir ? Le buzz a-t-il vraiment changé les choses pour vous ? Rebecca : Arg ! “Buzz” c'est le mot interdit. Ça fait sept ans que les gens nous disent qu'il ya un “buzz”. Mitch : Disons que la vraie différence, c'est qu'au début on ne sortait pas de vrais disques. On les gravait nous même, il fallait se donner du mal pour les trouver. Depuis qu'on a un distributeur, ça nous a effectivement fait plus connaitre. Rebecca : Au début, notre public était plutôt composé de trentenaires un peu comme nous. Maintenant on voit des gens plus jeunes. Keith : Vous êtes devenu hype en fait. Rebecca : Deuxième mot interdit ! Mitch : On déteste les gens hype. Rebecca : On ne contrôle pas les gens qui nous écoutent. Mais c'est toujours aussi violent, donc on est content. En fait c'est drôle de voir la répartition de la salle : plus tu es près de la scène, plus les gens sont jeunes et sautent dans tous les sens. Mitch : C'est vrai que la plupart des gens nous ont découverts assez récemment. Rebecca : Mais bon on est toujours aussi fous sur scène. On est des neuneus c'est clair. Keith : On a découvert votre autre groupe, Mansfield. TYA, qui est très différent de Sexy Sushi. Vous êtes un peu schizophrènes ? Rebecca : Nan mais c'est pas nous ! C'est le groupe de ma sœur jumelle. Elle marche sur mes plates bandes. Les gens confondent souvent…

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“En ce moment tout le monde écrit des morceaux en disant “je suis dingue”. Emmanuel Seigner est dingue, Christophe Maé est dingue… Tout le monde est dingue. Nous on est dinde.”

Keith : Parlons de ce nouvel album. Question de journaliste à la con pour commencer : pourquoi Cyril ? Mitch : Parce que c'est l'ancien nom de Christina Ricci. Rebecca : Mais nan, ça c'est notre réponse à pourquoi on s'appelle Sexy Sushi normalement ! Mitch : Ah ouais merde ! Rebecca : En fait le vrai nom de l'album c'est Cyril Paramaren Vigil. Keith : Et ça veut dire quoi ? Rebecca : Bah rien. Keith : Ça sonne vaguement breton. Rebecca : Ba voila, c'est du breton, tu as ta réponse. Ca me plait beaucoup le breton ! Mitch : Non mais en fait, je te laisse compter le nombre de lettres, les mettre à l'envers et additionner 23. On en reparle après… Keith : Sur ce nouvel album, les textes sont moins dispersés, vous racontez de vraies histoires… Rebecca : Je ne sais pas, moi je n'ai aucun recul par rapport à mes textes. Mitch : La différence, c'est que celui-là, on l'a vraiment pensé comme un album. On l'a fait avec une volonté de cohérence. Avant, on regroupait juste nos tubes. Rebecca : Mais ça n'était toutefois pas prévu à la base. On devait juste enregistrer deux chansons. On s'est enfermés pour ça, et ça a donné cet album. Après je ne sais pas si c'est un vrai album, c'est toujours un peu batard. Mais c'est ça qui est bien.

Keith : Comment vous concevez vos morceaux ? Vous composez et écrivez ensemble ? Mitch : Généralement, je compose les instrus et je choisis un titre. Et le tire inspire Rebecca. Rebecca : Voila, j'essaye d'être cohérente par rapport au titre. Et c'est souvent très drôle, parce que les titres de Mitch sont complètement cons… Princesse voiture par exemple. C'est drôle d'ailleurs, une marque d'assurance voulait se servir de cette chanson pour une pub. Ça tombait bien, je l'avais écrite pour la sécurité routière. Keith : Parlez-nous de la chanson Meurs meurs JeanPierre Pernault. Cette haine est vraiment sincère ou c'est l'expression d'un amour refoulé ? Rebecca : Je le déteste vraiment. Sa manière de diffuser l'info est juste exécrable Il mérite vraiment qu'on le détruise. Je déteste aussi Freud, mais Michel Onfray a eu l'idée avant moi. Donc Jean-Pierre c'était une évidence. Keith : Quelles réactions pensez-vous provoquer ? Rebecca : J'espère qu'il va se prendre un bon cocktail Molotov dans la gueule. Et qu'il va vraiment mourir. Quand j'étais au collège, j'avais fabriqué une petite poupée en patte à modeler à l'effigie de ma prof d'anglais. Je lui plantais des compas, des ciseaux, des cutters… Un jour, elle a eu une crise cardiaque et elle n'est jamais revenue. Je dois avoir un don de medium… J'espère que ça va se reproduire avec Jean Pierre. Keith : Tu n'aurais pas du tout de remords ? Rebecca : Pas du tout. Et si ça pouvait tuer les vieux qui le regardent en même temps, ça serait parfait.


musique/rencontre

Keith : Il y a un message derrière ce genre de texte ? Mitch : Nan, ça sonnait juste bien. On n'est pas un groupe à message. C'était pour la rime en fait. Rebecca : “Meurs Meurs Jean-Pierre Pernault”, ça rime. Et puis c'est un alexandrin en plus. Keith : Il y a plus de violence et moins de cul sur cet album... Rebecca : En fait en ce moment je baise les morts, j'avais besoin que ça se ressente. Nan mais on a toujours été aussi violents je pense. Keith : Vous vous êtes inspiré de quelqu'un pour La tête de dinde ? Mitch : Pas de quelqu'un, mais en ce moment tout le monde écrit des morceaux en disant “je suis dingue”. Emmanuel Seigner est dingue, Christophe Maé est dingue… Tout le monde est dingue. Nous on est dinde. Keith : Et Marin ? C'est pas un peu niais comme paroles ? Rebecca : C'est notre côté breton pédé. Mais on est un peu niais en fait. J'aime les chevaux, les dauphins. Je suis quelqu'un de simple. Je suis dinde ! Keith : Il y a aussi des morceaux sans paroles… Mitch : En fait c'est parce qu'on a conçu Cyril comme un live. C'est la même durée que nos concerts, et en live on fait toujours deux instrus, comme sur l'album. Keith : Le son est plus propre qu'avant. C'est l'effet major ? Rebecca : On s'est surtout améliorés au niveau de l'enre-

gistrement. Mitch : Mais on est toujours aussi mauvais en technique. C'est toujours aussi artisanal. Mes morceaux, je les enregistre de la même façon qu'en live, d'un seul coup. Si pendant l'enregistrement je fais un bruit de pas, ça sera sur l'album. Rebecca : Je recoupe un peu les pistes derrière lui pour que ça ne soit pas trop terrible. Mais bon c'est clair que ça n'est pas un son qui peut passer en boite. Keith : Vous travaillez avec Pias maintenant. Comment ça s'est passé ? Rebecca : Au début de Sexy Sushi, on faisait nos cd nous même. Puis Scandale Records est venu nous chercher. Et maintenant, à chaque album, quelqu'un d'un peu plus gros vient nous proposer quelque chose. Donc on est plutôt contents. Mitch : Mais on a nos conditions, on ne veut aucune contrainte. Pias distribue notre disque, mais on a vraiment pu faire le disque qu'on voulait. Keith : Vous vous sentez appartenir à une scène en particulier ? Rebecca : Oh nous tu sais on déteste tout le monde. On ne fait pas de concessions, on s'en fout. Keith : Il y a des gens avec qui vous aimeriez travailler quand même ? Rebecca : Surtout avec des graphistes ou des réalisateurs, pour nos pochettes de vinyle et nos clips. On aime bien sortir de l'univers de la musique, on ne se considère pas seulement comme des musiciens. Sinon on aimerait bien demander à Cascada de nous faire un remix.

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Keith : C'est une blague ? Rebecca : Nan, j'adore ! La dance allemande, c'est parfait. Mitch : On écoute beaucoup Fun Radio tu sais. Rebecca : Ils ne veulent pas passer nos titres malheureusement. Mitch : Les gens ont tendance à nous classer dans une case “punk electro”. Mais nous on est vraiment à mi chemin entre plein de trucs. Mais bon, c'est vrai que les journalistes ont souvent du mal à comprendre, ils ne savent jamais si on est sérieux ou pas, à quel moment la blague s'arrête... Rebecca : On adore Alizée aussi. Keith : Ah zut, c'est toujours aussi nul pourtant… Vous ne voulez pas lui produire des chansons pour l'aider ? Ou lui écrire des textes ? Rebecca : Avec plaisir, mais pour l'instant personne ne nous demande jamais rien !

Keith : Dans le dossier de presse, Rebecca tu te décris comme une “poète née et morte a Saint-Nazaire”… Déjà mourir c'est pas cool, mais alors à SaintNazaire… Mitch : Dis pas ça, elle vient de là-bas ! Rebecca : Et je suis très fière de mes origines ! Le côté ouvrier, usine, pluie… Mais en fait pour la bio, on a juste ouvert le dico et pris des bios d'autres gens pour mettre à la place des nôtres. Et on s'est pas mal inspirés de la vie de Guy Marchand aussi. Keith : C'est la dernière question : vous pouvez dire ce que vous voulez. Mitch : J'en ai ras le cul des perceuses ! Rebecca : Moi je voudrais dire à ma tante que oui, c'est vrai qu'on ne se voit pas beaucoup, mais la dernière fois que j'ai voulu organiser un truc, ma mère n'était pas libre. J'espère qu'elle comprendra.

PORTRAIT CHINOIS Si vous étiez… Un animal ? Mitch : Un sarcopte, c'est le parasite responsable de la gale. Rebecca : Un phoque. Un objet ? Mitch : Un coin de porte. Rebecca : Une piscine municipale. Une guerre ? Mitch : J'étais nul en histoire, j'en connais qu'une seule… Alors 39-45. Rebecca : Moi ça serait les tranchées, 14-18. Un homme politique ? Mitch : Pierre Beregovoy. Rebecca : Pol Pot. Un rayon aux Galeries Lafayette ? Mitch : Le rayon parfumerie, avec les vieilles vendeuses horribles. Elles me font super peur. Rebecca : La pièce où ils emmènent les mecs qui se font gauler en train de voler pour les fracasser. Une bière de supermarché ? Mitch : Une Heineken, je suis très classique. Rebecca : Une Jupiler, la bière des Belges !


musique/actu

LA FÊTE AUX VILLAGERS “Becoming A Jackal”, de Villagers (Domino)

photo : Richard Gilligan

Domino Records est un label qui a l'habitude de signer des voix masculines intenses, Elliott Smith, Robert Wyatt, Alex Kapranos… Conor J. O'Brien ne déroge pas à la tradition. Ce poète et chanteur irlandais a décidé d'appeler son groupe Villagers car ça n'affecterait pas trop les chansons. Importantes, elles se tiennent là, évidentes comme des dolmens. Premier bonheur : pas besoin de livret avec paroles pour apprécier celles-ci, tant l'articulation des mots est claire, et l'on comprend vite que ce n'est pas un hasard. Tout a démarré par là. “Can you hear me now, calling from despair, I'm spitting words but there's no meaning” dit-il gaiement sur That Day. Faux. Du chacal aux tigres, chaque texte est un bouillon d'histoires et d'idées, souvent ironiques au sens le plus britannique du terme, souvent ponctuées par une punchline pop : “I'm selling you my fears”, “You'll be my master, and I'll be your fever”, “I've been in pieces”. Deuxième bonheur : l'abondance délicieuse de fertiles et délicates mélodies, la frugalité des arrangements de piano, de guitares, de cordes, parsemées comme des décorations sur d'élégants fûts recouverts de belles nappes d'orgues. Dernière et ultime source de bonheur : le système référentiel est agacé par la fraîcheur du récital. Il va être difficile de rattacher Villagers à quoi que ce soit de déjà existant. Par contre, si la conjoncture le veut bien, on risque de rattacher pas mal de monde à Villagers dans les années à venir. Benjamin Kerber

RATTRAPAGE Sorti en avril dernier, le très bel album de cet Anglais de 21 ans avait échappé à notre vigilance. Négligence réparée. “Is Or Ok”, de Jonjo Feather (Num Tongue/Cargo Records)

A force d'exalter l'image des durs au cœur tendre, on en omet trop souvent l'existence des frêles au cœur de pierre. Digne représentant shoegazien, tête d'ampoule assez irréelle, Jonjo Feather le rappelle avec douceur et tonnerre. Synthèse chatoyante du Velvet et du Jesus & Mary Chain, il affiche ce consensus contemporain, cette voie médiane qu'impose notre quotidien. Se présentant plus comme trace d'intention que comme but en soi, son premier album, Is Or Ok, met en avant cette “post anomie” chère aux Liars, cette illustration sonore de la désintégration des liens. Dans un univers ivre et tâtonnant implose ici le désenchantement, un son en apparence chaotique qui s'organise peu à peu dans une clairvoyance encore trouble, comme si le verbe frissonner devenait synonyme de pétiller. Alors, dans un moment épars qui brise la glace, à l'écoute, le soleil se fait pastel et le lo-fi plane. Et du son monochrome émanent ces accords câlins, cette chaleur sordide, cette voix éraflée, cette électricité statique qui ébouriffe les cheveux. “Electricity comes from other planets”, Feather aussi.

photo : Jon Sullivan

Thomas Hutter

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POPEURS NÉS “Say it”, de Born Ruffians (WARP/ Discograph)

Aperçu dans Skins, le trio canadien livre son second opus. Groupe d'étudiants en sortir de scolarité, Born Ruffians complète avec talent la scène des formations élevées au Mister Propre, Arctic Monkeys et consorts. S'efforçant de dépasser les standards pop, le groupe gagne en personnalité en entretenant un contre-temps reggae qui, en retrait, dynamise, rappelant comme sur Retard Canard les belles échappées africaines des premiers Talking Heads. Minimalisme musical aux séquences hachurées, le trio joue fort par séquences brèves, se basant sur des bases polyrythmiques imprévisibles dans leurs enchainements. Amas sonores de gentilles mélodies à la fièvre sous-jacente, Say it trotte l'amble d'une énergie condensée, qui reprend, en plus déstructuré, le concept Supergrass des débuts (sur l'excellent Nova Leigh). Originalité, sens particulier de la composition, Born Ruffians réussit le paradoxe d'entretenir une rythmique mécanique sur une voix sensible, quoique parfois un peu pénible. Très bon sous stroboscope. photo : Kid With Camera

T.H.

ELSON JUSTE “The Ghost Who Walks”, de Karen Elson (Third Man/XL)

Jack White est un guitariste, compositeur, chanteur de génie. C'est entendu. Mais il ne s'en contente pas, et le prouve depuis des années maintenant : The Dead Weather vient de sortir un deuxième album, et même si l'on savait qu'Alison Mosshart avait un côté sauvage, White en a sans aucun doute révélé une face cachée. On connaissait Brendan Benson pour son talent de mélodiste pop, mais jamais il ne fut aussi bon qu'avec les Raconteurs, Meg n'existerait pas en tant que batteuse sans les Whites Stripes… Alors à qui le tour ? Karen Elson et Jack se sont rencontrés en 2006, sur le tournage du clip de Blue Orchid. Mais le top model international, image du parfum Opium, rousse flamboyante, n'a pas qu'une pretty face. On l'avait entendue en duo avec Cat Power reprendre Gainsbourg, et aujourd'hui, enfin, Elson chante ses propres compositions : des comptines gothiques, des mélodies évidentes qu'elle pourrait susurrer à l'oreille de ses deux jeunes enfants, et qui trahissent l'influence énorme de Nashville sur la petite Anglaise. Produites par Jack White, les douze chansons suintent aussi les bonnes obsessions du Third Man : bordée de claviers branques et de guitares dotées d'âme, la voix de Karen est le plus souvent doublée, dans une ambiance inquiétante mais jamais glauque, gothique et lumineuse… Cet album ne fait pas la roue pour séduire, ne scotche pas par de vaines innovations, mais va tout naturellement prendre la place qui est la sienne dans le rayon “classiques” des discothèques. Et ça, ça n'a pas de prix. Clémentine Goldszal

photo : Kate Elson


musique/actu

GALOP D'ESSAI “The Boxer”, de Kele Okereke (Wichita/Cooperative Music).

Le frontman de Bloc Party a composé quelques-uns des hymnes majeurs des années 2000. Des titres tendus, épiques, symboles d'une époque nostalgique et désenchantée. Kele est un jeune homme de son temps. Il a grandi en (ab)usant des guitares, le langage privilégié de la classe moyenne anglaise, avant de découvrir, comme bien d'autres, l'électro sur le tard. Et il a aimé. Follement. Depuis le split de son groupe, Kele est libre. Libre de triturer seul en studio des machines dont il ignorait quasiment l'existence. Libre d'aborder ce disque comme il l'avait fait par le passé : sans pression. Epaulé par son compère XXXchange à la production, Kele s'est sans doute beaucoup amusé en composant ce Boxer résolument anglais. Un album rentre-dedans, entre électro pop extatique taillée pour les clubs, pseudo dance parfois nauséabonde et boucles déstructurées et planantes (souvent les plus convaincantes). Alors oui, The Boxer décevra les fans de Bloc Party, déplaira aux défenseurs de la cathédrale électro (la plupart des prods sont un peu usées), et emballera de nombreux “weekenders”. Gageons, ceci étant, qu'à défaut de passer l'hiver, l'album permettra à son géniteur de réendosser son costume de star et d'enflammer les festivals. Dans quelques années, Kele sortira son chef d'œuvre, son OK Computer, et l'on verra sans doute The Boxer comme le brouillon, certes attendrissant, d'un artiste majeur. Louis Jacob

LILLY WOOD FAIT FEU DE TOUT BOIS “Invincible Friends”, de Lilly Wood & The Prick (Cinq7/ Wagram)

Leur reprise du tube de Santigold, L.E.S. Artistes, leur a valu un buzz prématuré sur le net et l'attention précoce des média, mais ce n'est que maintenant que Lilly Wood & The Prick sortent leur premier album. Et ça valait le temps d'attendre. La folk tranquille des débuts s'est étoffée en studio, s'amusant à ouvrir le disque par un riff à la Gorillaz (It's Ok), se reposant en toute confiance sur le timbre incroyable de cette chanteuse qui vaut de l'or (Cover My Face), et se laissant parfois même dévergonder par une boule à facettes (Down The Drain, My Best). Lilly Wood flirte alors avec l'énergie brute et le timbre rageur d'une Beth Ditto, avant de redescendre en guitare sèche comme une Sinead O'Connor toujours d'actualité (Little Johnny). Bref, ce disque cite les meilleurs et en a les épaules. Dire que tout ça a commencé à Houlgate, Calvados. Ça pourrait carrément nous faire aimer la Normandie. C.G.

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photo : Thibault Jeanmougin

RADAR “Stereolive”, de Stereolive (Ep)

Si vous n'aimez pas les Fratellis, passez votre chemin. En revanche, si le premier album des Ecossais vous avait fait sauter sur place (et que leur second vous avait atterré par son changement de cap malvenu), Stereolive est fait pour vous. Un groupe parisien totalement libéré de la mouvance néo-rock, emporté par un chanteur suant le sex-appeal, gouailleur comme il faut et délicieusement timbré, qui se balade sur des compos pas crâneuses, efficaces et joyeuses. Oui, il y a plein de groupes dans ce style, mais seuls certains ont ce genre de supplément d'âme. Déjà repéré par les fouineurs de CQFD, leur Ep, juste sorti, promet des lendemains qui chantent. www.myspace.com/bandstereolive C.G.

PREMIERS DE LA CLASSE

photo : Damien Guillery

“Bye Bye Cellphone”, de 1973 (Blonde Music/Sony)

Parfois, la musique rejoint de manière évidente le paramètre saisonnier. Et voilà les journalistes à la recherche éperdue du “tube/album/single/hit de l'été”. Bon début, on a déjà trouvé l'album. Attention, on ne parle pas de mois d'août à Ibiza, mais plutôt de mois de juillet à l'île de Ré, en marinière Petit Bateau et espadrilles. Ça tombe bien, c'est revenu à la mode, et il faut dire que depuis le joli disque de Revolver l'an dernier, on s'est surpris à apprécier ces musiciens pas tapageurs, qui font du son avec application mais non sans passion, et tricotent des albums raisonnables et bien fichus. Si l'on voulait prendre 1973 par le côté obscur, on soulignerait que Nicolas, Thibault et Jérôme (on se croirait dans Hélène et les garçons, oui, question de génération) ont opéré récemment en première partie de Air, leurs aïeux noyés depuis quelques temps dans une profonde neurasthénie. Certes, il y a ce petit truc poli vaguement agaçant de la French Touch versaillaise chez 1973, mais la fraîcheur en plus. Belle voix, superbes harmonies, mélodies pop, banjo, harmonium, slide guitar, Mellotron… Ces garçons, c'est sûr, se sont éclatés en studio, mais pas pour nous en mettre plein la vue, juste avec la sagesse d'orfèvres qui savent ce qu'ils font, sans pour autant perdre l'impétuosité des vrais passionnés. Good job. C.G.


musique/actu

PREMIER ALBUM “Songs”, de Siobhan Wilson (My Major Company)

photo : Romain Bernardie James

Son d'ambiance de ma dernière nuit blanche, les chansons de cette jeune Ecossaise incarnent à merveille l'intérêt musical des univers neutres, désintéressés. Alors que les idées se troublent, il est parfois reposant de n'avoir qu'à se laisser bercer par un univers feutré, presque trop timide pour se permettre de déranger. Bande sonore réservée, ce premier album ressemble à l'expression d'un sensible sur laquelle aurait été rajoutées quelques mélodies charnelles, capables de réveiller le coté frictionnel de toute nuit terne. Partageant les mêmes intonations brumeuses qu'une Cat Power, c'est sur des compositions lissées au son pop-Spector que se dégagent quelques bons singles, petits tubes Dolce Vita qui accompagneraient sans l'interférer un dîner de jeunes fiancés. Plus en retrait, les autres morceaux font allusion à une sorte d'anti-folk atonale, rappelant parfois le jeu au doigt de ce cher Devendra. Voix de cantatrice nordique, solide comme une chaîne des Highlands, l'album baisse lorsque Siobhan se surprend à la jouer “reine de la nuit”. Parfois pesante, sa musique empire lorsqu'elle s'imbibe d'une officialité celtique plutôt dispensable, comme sur cette horrible reprise de Brel, illustration claire des stupides stratégies marketing de son horrible label. A écouter les cils cernés. T.H.

“Ich Bin Ein Berliner”, compilation 2CD (Araknid Rec/Season of Mist)

“Ich bin ein Berliner”. Je l'ai été, du moins. À l'époque, le “Berghain” n'était pas un “temple” mais la ville était déjà là : furieuse, entière, offerte à tous. C'était bien. Et ca n'a pas changé. Cette compilation se veut le reflet de la scène alternative berlinoise, la plus productive et la plus déglinguée d'Europe. Un tracklisting ardu, dense mais irréprochable illustre le foisonnement de ces formations couillues et iconoclastes. Electro, punk, pop, new wave… Tout y passe. Et pas un des artistes représentés n'en respecte les codes. Une compilation à l'image de cette ville : sans concession. L.J.

LE BRUIT DE LA VILLE

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MUSIQUE CONTEMPORAINE OU L'HISTOIRE D'UN ABÎME

Comment en sommes-nous arrivés là ? Je veux parler d'un fossé, d'un abîme, d'un monde : celui qui sépare, puisque nous parlons ici de musique, les jeunes mélomanes electro-pop-rock-rap de la création musicale dite “contemporaine”. Combien sont ceux qui en connaissent même l'existence ? Pour qualifier la musique du XXè siècle pré-Seconde Guerre, nous parlons en général de musique “moderne” : Ravel, Stravinsky, Bartok, Debussy, Prokofiev, etc. Après 1945, c'est là que nous pouvons commencer à parler de “musique contemporaine”. C'est là aussi que tout bascule. C'est là que l'abîme va se creuser entre jeunes mélomanes — transportés au temps de Mozart, transportés au temps de Stravinsky (cf. 29 mai 1913, émeute à la création parisienne du génialissime Sacre du Printemps entre pro et anti) —, et la musique qui se veut héritière des grands génies que nous citions plus haut. Que s'est-il passé ? L'histoire est assez simple, assez triste aussi. Dans les années 1910, un dénommé Schoenberg, immense talent (écouter la Nuit Transfigurée, 1899 (Transfigured Night sur deezer)), veut révolutionner la musique. Il s'agit d'en finir avec le système ancien, avec la musique tonale. Dorénavant toutes les notes, tous les rythmes, toutes les harmonies doivent se valoir ; plus de répulsion, d'attraction, la musique doit abandonner sa dimension magique d'envoûtement pour devenir l'oeuvre de l'intelligence épurée de toute dramaturgie. Reflet de l'Idée, elle doit devenir le signe du Progrès. Hélas, l'aplatissement du relief harmonique et mélodique fait disparaître toute poésie, toute sensualité, toute matière, c'est-à-dire toute vie, et par extension toute musique. Un échec. Au sortir de la Seconde Guerre, un jeune loup décide de reprendre ces théories à son compte et de les radicaliser en étendant le sérialisme schoenbergien à tous les paramètres de la musique (non plus seulement la note, mais l'intensité, la dynamique, le rythme). Il s'appelle Pierre Boulez.

La création d'un empire

Bien meilleur politique que compositeur, Boulez gagne en popularité, les gens aiment ses discours qui se veulent progressistes, des concerts de “musique nouvelle” sont organisés en présence de grands noms de la littérature (René Char, entre autres) qui n'y comprennent pas grand-chose mais qui aiment bien l'idée. Sur de la poussière, une réputation naît. Au fil des décennies, Boulez devient un empire, auquel se soumettent peu à peu salles de concerts, magazines musicaux, conservatoires. Son nom même devient synonyme de musique contemporaine. Mais les mélomanes se détournent peu à peu de cette Avant-garde pseudo-à la marge devenue nouvelle orthodoxie officielle, n'y trouvant pas de quoi satisfaire leur goût du drame, de l'humour, de la surprise et de l'ambiguïté. Voilà l'origine de l'abîme. Très naturellement, et avec un mépris des plus féroces, le camp boulezien, devant le constat du fossé grandissant entre eux-mêmes et la société civile, accuse l'incapacité des auditeurs à s'élever aux nécessités évolutives de la nouvelle musique. 1952, le jeune Boulez écrit : “Tout musicien qui n'a pas ressenti la nécessité du langage dodécaphonique est inutile. Car toute son oeuvre se place en deçà des nécessités de son époque”. Les frontières se ferment, la tyrannie culturelle du jeune loup et de ses camarades européens peut commencer. Son ami Karlheinz Stockhausen, vénéré en Allemagne comme Boulez le fut et l'est encore en France, écrit un Helikopter-Quartett (1993) : deux violons, un alto et un violoncelle sont respectivement enregistrés depuis quatre hélicoptères ; s'ensuivent naturellement d'innombrables et profondes réflexions sur l'espace sonore et les nouvelles manières d'organiser cet espace sonore... Ce même Stockhausen qui, début 2002, parlait des attentats du 11 septembre comme de “la plus grande oeuvre d'art de ces dernières années”. Nous cernons le personnage, duquel nous ririons volontiers si Boulez, quelques italiens et lui-même n'avaient pas régné de manière hégémonique sur le monde musical européen de 1950 à nos jours, et ceci avec l'aide appuyée des institutions étatiques... Nous oscillons là entre l'envie de rire et l'envie de pleurer. A écouter sur deezer : - Steve Reich : Music for 18 Musicians (1976) grande fresque d'1h10 à écouter calmement, très calmement. - Philip Glass : String Quartets, et en particulier le No.3 (1985). - John Adams : Grand Pianola Music (1982), Shaker Loops (1983), Violin Concerto (1993). - György Ligeti : Lontano (1967), Atmosphères (1961), - Torù Takemitsu : l'album Quotation of Dream (1993) (en passant la piste 1). - Alfred Schnittke : Concerto for Piano and Strings (1979), Concerto for Mixed Chorus (1990), In memoriam (1978). - Olivier Greif : Sonates pour violon et piano (1964-76), Trio pour Piano (1998). A commander sur Amazon, trois chefs-d'oeuvres : - Alfred Schnittke : 3è Symphonie (1981). - Olivier Greif : La Danse des Morts (1998), Quatuor No.4 “Ulysses” (2000).

Quelques portraits salvateurs

Pourtant, au-delà des frontières de notre chère Europe — et même en son sein de la part de quelques dissidents —, combien de chef-d'oeuvres ont pu naître entre 1950 et 2010 ! Ceux-là sont ceux que les siècles retiendront, dans un futur où Boulez et ses amis ne seront plus considérés que comme une parenthèse malheureuse de l'Histoire. Steve Reich, Philip Glass, Alfred Schnittke, György Ligeti, Erkki-Sven Tüür, John Adams, Torù Takemitsu, Olivier Greif, et bien d'autres. Ces compositeurs sont difficiles. Leur musique n'est pas jolie ou agréable, elle doit être bouleversante. Elle parle de sang, de sexe, de violence, de tendresse, elle vacille entre la plus grande anarchie et la plus grande plénitude, les larmes les plus lourdes et la joie la plus extrême. Quelques portraits : Steve Reich, et avec lui Philip Glass et Terry Riley, vont développer une technique particulière fondée sur la répétition et le décalage progressif des voies, créant un sentiment de transe proche de celle de la bonne electro. C'est là ce qu'on appelle le minimalisme américain, né par opposition à la complexité, l'anti-tonalisme et l'anti-répétitisme systématiques de l'Avant-garde européenne. Compositeur vivant le plus joué au monde (bien que très peu en France pour les raisons évoquées plus haut), John Adams hérite du courant minimaliste tout en se dégageant de la radicalité de ses aînés, afin de créer des mondes d'une richesse infinie, avec accrocs rythmiques, envolées lyriques, harmonies simplissimes prenant place dans un temps étiré par la lenteur délicieuse des développements thématiques. De l'autre côté de l'Atlantique, György Ligeti (compositeur de la musique du 2001 de Kubrick) étire sa matière sonore de manière à effacer tout sentiment de pulsation : nous planons dans l'espace, des touches de lumière apparaissent ici et là au milieu de la violence des frottements chromatiques. Par une orchestration d'une immense délicatesse, Torù Takemitsu crée une musique méditative, narrant les paysages les plus doux et les plus infinis. Honni en France, Alfred Schnittke mêlera au sein d'une même oeuvre différents “styles” afin de créer un décalage féroce, ironique, distorsion violente de la conscience saturée. Tristesse dans la joie, ironie dans la douleur, la musique de Schnittke ressemble aux larmes d'un clown triste fellinien. Violente, dissonante (dissonance d'où jaillit toujours la lumière), la musique d'Olivier Greif, retrouvé mort au pied de son piano il y a exactement dix ans, reflète la vie dans toute son horreur et toute sa beauté, cette ambiguïté primordiale qui fait de nous des êtres tendus et magnifiques. Ces quelques portraits plantent le décor d'un paysage musical d'une richesse qui n'est hélas pour l'instant que le privilège d'un nombre très réduit. Cependant, avec l'extension d'Internet, la disponibilité des médiathèques parisiennes (dont l'abonnement annuel est de 30€...), nous n'avons plus d'excuses pour justifier cette ignorance. Ces innombrables univers brisent les barrières et les codes, ils nous prennent par la main pour nous faire explorer des abîmes, fragments d'humanité et d'éternité. Bouleversés, nous sortons de l'écoute plus profonds, plus féroces, plus beaux, en larmes de joie ou de mélancolie. Nous avons fait là la plus extraordinaire des expériences qui soient : celle de l'Art. Jules Matton


musique/actu

CHAPEAU BATHS “Cerulean”, de Baths (Anticon).

Des litres, il en faudrait pour noyer l'incompréhension et l'excitation dans lesquelles nous plonge cet album. Aucun doute, l'expérimentation se construit et se déconstruit à travers des structures à la fois palpables et malléables. Le fragment fini par devenir matière. Le refrain n'existe plus, on se risque à éviter les redondances. Le passage ultime est unique ; Alzheimer fait des siennes. Aucune vision d'horreur, la pesanteur est statique. Une réconciliation avec la nature se produit, les cinq éléments découlent puis disparaissent. Nous sommes livrés à nous-mêmes, avec nous-mêmes. L'harmonie présente un flottement incomparable. Les images nous apparaissent tout de suite plus claires, l'imagination ne s'est jamais révélée aussi prolifique. L'étonnement général des sens est indescriptible. Les palpitations se transposent avec acuité. Aucun retour n'est possible pour le moment. Les battements cardiaques deviennent audibles ou alors se mêlent simplement au rythme des pistes. On discerne plus que l'on associe. La mise en scène est pataphysique. L'imaginaire prend le dessus sur la raison. L’incandescence finit par révéler l'obscurité et la met en valeur. Jamais l'exploration du soi n'avait été si intense. Quand les paliers filent, les images défilent. Le retour à la réalité marque une nouvelle entité. Donatien Cras de Belleval

UN VOYAGE EN SUÈDE Le sept est le chiffre du hasard têtu. Ainsi Club 8 a emporté dans ses valises quelques souvenirs du Mali. Pour ces nordiques, l'échappée belle était essentielle à l'agencement de formes nouvelles. Une dimension psychologique domine The People's Record. S'il y a des lois à l'intérieur des problèmes, l'indie pop de Club 8 en est la solution. Le quotidien ingrat disparaît soudain à la lueur des guitares psyché et de la voix absolument innocente de Karolina Komstedt. Like me représente l'équation de la souplesse, l'action devient possible. Le cadavre exquis boira le vin nouveau. On se verrait très bien auprès de Ryan Gosling dans Blue Valentine de Derek Cianfrance. Be Mad, Get Ill, Be Still retentit tel un hymne Flower Powder à bord de son bus magique, parcourant les terrains vagues d'un pays inconnu. Back to A : retour au point de départ... Palpitation, et changement de bulles ; les répliquantes s'abandonnent à une quête métaphysique. Plus typées que leurs compatriotes, les demoiselles harponnent les routes de Falkenberg à vélo. Si la musique ne guérit pas, elle n'est pas vraie. What if transporte l'amour dans une maladie enchantée. L'histoire est faite de vérités qui deviennent à la longue des mensonges. Une mythologie enfantine s'articule dans ces douces mélodies. Wait/Fall/Leave frappe par sa puissance de l'esprit et introduit à la perfection One Step Behind. Coïncidence ou pas, il y a des signes qui ne trompent pas. L'horizon musical est très dense ; “la vraie vie” recherche la simplicité dans cette œuvre quadriphonique qui se construit subtilement dans un crescendo angélique parfait pour clore l'album. In Five Years... Mateusz Bialecki

Et aussi… - “Butterfly House”, de The Coral (sortie le 12 juillet). Les mecs les plus classieux d'Albion sont de retour et fidèles à eux-mêmes, c'est-à-dire au meilleur. Il va faire bon trainer dans cette maison aux papillons. - “Night Work”, des Scissor Sisters (sortie le 28 juin). Un bon son bien efficace pour un troisième album en forme de bulldozer à charts. Ça va chauffer dans les justaucorps. - “Blood Like Lemonade”, de Morcheeba. Juste parce que Skye est revenue et qu'on attendait ça depuis Part of the Process. - “Lives”, de Dan Sartain. Un songwriter fracassé qui ne néglige pas les mélodies mais s'éclate aux arrangements. - “Sexuality Remix”, de Sébastien Tellier. Boys Noize, A-Trak, Danger, Kavinsky, Midnight Juggernauts… Un casting de dingue pour un album de remixes à couper le souffle. C.G.

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photo : Kjell B Personn

“The People's Record”, de Club 8 (Labrador) “Palpitation”, de Palpitation (Luxury)


L'ALBUM DE L’ÉTÉ “Movement in a Storm”, de James Yuill (Moshi Moshi/Cooperative Music)

Enfin, enfin, enfin ! On l'a trouvé ! On est tous à sa recherche en cette période, où notre ami Soleil revient enfin de sa migration en de meilleurs cieux. On se prépare toujours un peu en avance pour ne pas se trouver au dépourvu. Eh bien cette fois, on l'a bel et bien trouvé, et on est généreusement servis : l'album de l'été est là ! Dans Movement in a Storm, l'électro, la pop et la folk se mêlent et se marient mieux que jamais ; leur union donne vie à un véritable petit mélange euphorisant. Comme si vous ne saviez pas que choisir entre une ambiance cosy d'après-midi au soleil, ou un after déjanté dans un parc à Berlin. James Yuill explore ici encore davantage les rythmiques et ambiances électroniques, qui tendent parfois même vers la minimale, et y délaisse un peu plus son coté pop. Avec toutes les mélodies jubilatoires qui se succèdent dans cet album, vous détenez entre vos main une vraie potion d'amour, de joie et de magie, qui vous tiendra éveillés des jours et des nuits durant... Et toujours avec le sourire ! François Kraft

“Butterfly House”, de The Coral “We Are The Bankers”, de Poni Hoax “Fire With Fire”, de Scissors Sisters “A Kingdom”, de Karaocake “Divine (Danger Remix)”, de Sébastien Tellier “Robert Crumb's Natural Gait”, de Funki Porcini “Baby!Baby!Baby!”, de Tobias Fröberg “Le rêve d'Hermès”, de Saint Schizoïde “Hope”, d'Etienne De Crécy “Drugs”, de Ratatat “Nibiru”, de Château Marmont “En noir et blanc”, de Séverin


introducing... photos : Shelby Duncan make up : Sarai Fiszel

introducing...

io echo

Sur leur Myspace, Joanna et Leo prétendent être frère et sœur… On pourrait éventuellement passer outre leurs différences physiques et y croire, mais leur musique dégage une telle tension sensuelle que l'on serait gêné de les savoir liés par le sang. Heureusement, ils ouvrent la bouche et l'accent anglais de Leo alors que Joanna a grandi à Washington - rend caduque tout soupçon incestueux. L'histoire est simple et évidente : ils se rencontrent il y a quatre ans, deviennent amis, traînent ensemble, écoutent de la musique (PJ Harvey, Jonathan Fire Eater, The Birthday Party ou même Muse). Depuis quelques mois, Joanna se console d'un chagrin d'amour en apprenant à jouer du piano ; dans son coin, elle compose des chansons “classiques et tristes”, tout en voulant devenir journaliste culinaire. Lui est musicien depuis toujours. Né à Los Angeles, élevé en Angleterre à la bonne école garage punk, il a joué dans des tas de groupes, appris les ficelles de la production en filant un coup de main dans un studio. Lassé de Londres, il retourne en Californie à 21 ans (il en a aujourd'hui 28), où il fait des remixes électro, compose des musiques de pub, de courts-métrages, de shows télé, et même celle d'un film avec Denzel Washington, travaille comme producteur, guitariste, auprès de Nine Inch Nails, Grace Jones ou Brigitte Fontaine, part en tournée avec The Big Pink, ses amis d'enfance… Ils se connaissent depuis quelques mois quand Joanna se décide à faire écouter ses petites chansons à Leo. Il aime et y

décèle surtout “une capacité d'explosion cachée, inexplorée parce qu'elle composait toute seule au piano.” De ce coup de foudre naît ce son très brut, très cru, mais non dénué de mélancolie, ces ambiances rock ultra-modernes, sombres et écorchées. Tous deux se consacrent aujourd'hui à Io Echo (prononcez “ayo echo”), et ils ont toutes les raisons d'y croire : depuis quelques mois, les labels se bousculent pour mettre le grappin sur ce “next big thing from L.A.”, qui fait bouillir les esprits avec ses concerts sauvages, s'est fait connaître en première partie de Florence & The Machine, The Drums, ou A Place To Burry Strangers, et a déjà prouvé son potentiel commercial avec le gros buzz suscité par l'utilisation de la chanson Doorway pour une pub Palm. Pourtant, même s'ils jouent aujourd'hui avec un groupe sur scène (Leo : “Je voulais un gros son, quelque chose d'assez noisy et charnel pour aller avec les paroles de Joanna, alors pourquoi utiliser une batterie électronique en live quand on peut avoir un vrai batteur ?”), les compositions d'Io Echo ont quelque chose d'intime, de bruyant mais de confidentiel, et c'est d'ailleurs ce qui fait leur valeur. Après un single sorti sur le label californien IAMSOUND, leur album sera sans doute prêt d'ici la fin de l'année. Les thèmes ? “L'amour, la paranoïa, l'excès, la furie, l'isolement…” L'essentiel, quoi. Clémentine Goldszal

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musique/reportage

TROIS JOURS A

COACHELLA Ongles turquoises, bagues et Batman : t’as le look Marco !

A deux doigts du style parfait

Qui a pris Har Mar Superstar dans son filet ?

King Khan est in ! Un grand festival de musique, c'est comme une guerre. Une guerre qui voit couler des hectolitres de son dans des allées boueuses. Et une guerre perdue d'avance de surcroît, puisque, plus la programmation est alléchante, moins vos chances sont grandes d'en profiter dans son entièreté : ce genre de bataille devrait pouvoir se mener simultanément sur tous les fronts, mais le don d'ubiquité (et une capacité de concentration hors du commun) me font défaut, et l'on se trouve donc vite contraint d'écouter The XX en entendant au loin débuter le concert de Beach House, de vouloir entendre Hockey au moment où She & Him fait don de sa grâce, de cavaler se mettre en place pour Thom Yorke alors que Charlotte Gainsbourg susurre encore sur scène les chansons de son père… Bon point cependant, il n'y a pas de boue à Coachella. Et pour cause : à deux heures de voiture de Los Angeles et

quelques encablures de l'affreuse Palm Springs, où des milliers de retraités aux cheveux mauves mangent des œufs brouillés avant leur partie de golf ou de gin rami, le festival californien se tient dans le désert. Partis dans l'après-midi de la grande L.A., nous arrivons donc en début de soirée sur les lieux du crime, après avoir avalé comme si de rien des dizaines de kilomètres d'une highway monotone. Le timing est à l'avenant, nous avons déjà raté une bonne partie des groupes du jour, mais nous devrions arriver à temps pour Vampire Weekend, Them Crooked Vultures, The Avett Brothers et enfin Jay Z, qui clôt la première journée de festivités. Mais ce serait trop simple. 23h00, après trois heures désespérantes qui ne nous aurons vu avancer que des quelques centaines de mètres, nous nous garons sur le parking d'un centre commercial et nous résolvons à marcher 40 minutes jusqu'au lieu dit. La

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photos : © Myles Pettengill

Les Specials : ya pas d’âge pour en manger !

© Disneyland Paris

Julian Casablancas : le clou du spectacle

On peace dans l’herbe Sans alcool, la fête est plus folle

Les New Yorkais de Yeasayer en mode Cali

P.O.S. de Rhymesayers ne dort que d’un oeil...

route qui remonte de Palm Springs à Coachella ressemble aux Champs-Elysées un jour de fête nationale : des milliers de voitures roulent au pas. Dans leurs habitacles, des Américains dociles écoutent de la mauvaise musique en grignotant des chips à l'oignon. La file d'attente motorisée pour le festival le plus cool du monde ne respire pas le bon goût, et c'est noyés dans un troupeau mélomane que nous nous acheminons vers le supposé Paradis. Pas très engageant. Enfin parvenue à l'entrée, je découvre que la liste sur laquelle mon nom devrait figurer se trouve en fait dans un hôtel de l'autre côté de la ville. Signe du destin, l'annonce m'en est faite au moment même où retentit au loin le mur-

mure du concert de Mister Beyoncé. Loupé. Coachella m'a lâchée, mis un lapin lamentable le soir de notre première “date”. Drôles de débuts pour une idylle. Le lendemain, plus tranquillement, je prends le temps d'observer cette foule, supposément les 800 000 personnes les plus branchées de la planète : Coachella, n'est-ce pas le point de rendez-vous de hordes de hipsters venus communier en mode peace & love dans un même élan d'amour de la musique ? Mais à l'horizon, malgré quelques tenues improbables et réussies, la masse chamarrée se compose de filles à moitié nues dans des combi-shorts à imprimés fleuris, de mecs en chapeau de paille même pas sexys, de


musique/reportage

Haut les mains, peau de lapin, Beyonce en maillot de bain

Sympathie pour le Damon Thom Yorke va-t-il réussir à avaler son micro ?

Alex de Edward Sharpe magnétise les foules

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photos : © Myles Pettengill

Phoenix n’a laissé que des cendres


photos : Kimberly Gordon

mode

Coachella-oit ! (la clef de ce calembour est cachée dans les 90’s) grands Ricains un peu trop musclés… Hors de l'espace VIP, point de salut, et même dans cette enclave surpeuplée où le chaland boit du jus de coco à même le fruit, la foule est diverse : tout un chacun ici a le droit d'être “very important” en échange de 700 dollars, le prix d'un billet Coachella VIP. Bon, ne boudons pas non plus totalement notre plaisir de midinette : on aura regardé Edward Sharpe coude à coude avec Agyness Deyn, croisé Paris Hilton sans même la reconnaître à l'after-show de Phoenix (dans un endroit plutôt sordide où tout le monde était, sauf le groupe, reparti juste après leur show titanesque !), vu Beth Ditto faire la bombe à 2h du mat' dans une piscine en forme de piano à queue dans la maison de feu Frank Sinatra à la fête Jeremy Scott, assisté au concert triste à pleurer d'un Sly Stone au

bord du coma incapable d'aligner deux mots (on ne vous parle même pas des notes !), vu Alexa Chung de loin sur la pelouse de la fête Lacoste, un havre d'herbe verte et d'eau fraiche où il a fait bon chiller dans l'après-midi avant de retourner dans l'enfer brûlant de la course aux concerts... Mais on aura surtout gagné le plus important : le droit de dire “j'y étais” d'un air détaché, comme si l'on avait participé à Woodstock, alors qu'on est sans doute en réalité arrivé quatre ans trop tard. Le moment où Coachella était au top, c'était au début, quand la faune “hippister” de L.A. en avait fait son terrain de jeu, pas encore rendu indigeste par le gigantisme absurde de la masse underground. Le bon vieux temps les enfants. Clémentine Goldszal

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littérature

LE COMBAT ORDINAIRE Bob&Harv

Cleveland, Ohio, automne 1962. Au détour d'une vieille bicoque de bois dont les planches disjointes laissent passer le vent du nord, Harvey Pekar fait la connaissance de Robert Crumb. Fans inconditionnels de jazz, les deux hommes se lient d'amitié sur une impro de Thelonious Monk. Presque soixante ans plus tard, Pekar est devenu scénariste de bande dessinée pour raconter sa jeunesse de looser dépressif et cyclothymique. Et Crumb à la pointe du crayon, s'est imposé comme le dessinateur référence d'une génération, le pape incontestable de la contre-culture comics made in U.S. “Harv&Bob” est le fruit de l'amitié entre ces deux titans de la bande dessinée. Pekar écrit, Crumb illustre, les très sélectives Editions Cornélius publient.

Théorie quantitative de la loose

Au milieu des seventies, Harvey Pekar est loin du trip hippie, patchouli et mandoline parties. Quand il n'est pas au chômage, il travaille comme archiviste dans un hôpital public de Cleveland, mange des sandwichs au beurre de cacahuète pour économiser les quelques deniers qui lui permettront de compléter sa collection de disque de jazz, et rumine sur la morosité du quotidien. Entre deux relations sentimentales minables, il a une illumination : il va faire de son existence de loser la matière principale de ses histoires. Commence alors une longue série de récits de vie, tranches de quotidien dans lesquelles Pekar va se mettre lui-même en scène. Caractère de chien, tempérament à tendance dépressive, radin invétéré - le personnage qu'il forge à son image est tellement antipathique qu'il en devient attachant. Pekar, avec un humour et une autodérision cinglante, dresse le portrait d'un antihéros en marge de l'American Dream. Car au-delà des triomphes ordinaires, des frustrations chroniques et des anecdotes grivoises, c'est toute la middle class américaine que dépeint l'auteur. Tout au long des 14 récits qui composent Bob&Harv, Pekar se fait le héraut de cette Amérique désenchantée qui ne s'est jamais vraiment relevée de la crise de 1929 et qui compte ses morts dans le bourbier vietnamien. Et Cleveland, ville désabusée, ville en noir et blanc dans laquelle (pour d'obscures raisons) l'auteur continue de vivre aujourd'hui, de servir de décor aux vicissitudes ordinaires.

Comic trip

Pour illustrer ses monologues cyniques et la complexité de ses crises existentielles, Pekar a fait appel au maître Robert Crumb. Propulsé malgré lui (bien trop défoncé qu'il était pour s'en rendre compte à l'époque) dessinateur phare de la contre-culture et du mouvement hippie (que pourtant il déteste), Crumb est aujourd'hui le chef de file de la frange underground de la bande dessinée. Illustrateur de la folie sous acide, de la sexualité débridée et de la violence sociale, le créateur de Fritz the Cat a composé une œuvre irriguée par le jazz et la paranoïa. De son coup de crayon dense et précis, il met en image les errances quotidiennes de son ami Pekar. Il impose une esthétique tortueuse, travaillée par son obsession de la laideur et de l'absurde. De vignettes en vignettes, à l'image des jours qui se succèdent, Crumb cerne l'angoisse qui suinte des textes de son auteur et exprime avec justesse l'insoutenable pesanteur de l'existence dans une ville comme Cleveland. Bob&Harv (Editions Cornelius), texte d'Harvey Pekar et dessin de Robert Crumb Léonard Billot

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littérature/actu

BD NOIRE, PROPHÉTIE DE COMPTOIR. “Et demain... La mort, Cahier premier”, scénario de Cyril Picard et dessin d'André Le Bras. Editions Bac@bd, 56 pages.

Vu comme ça, de manière complètement graphique, ce grand rectangle n'est pas le genre de lecture avec laquelle on passerait ses dernières minutes. On évite de le poser sur sa table basse, pour pas faire trop “Goth”. Et de toute façon, la grosse tête de mort sur la sombre couverture mérite de rester face contre terre. Mais se dire que les Brit' appelleraient ça un “comic (s)trip” atténue les doutes de la première impression : après tout, pourquoi pas... Axe : balayage kaléidoscopique - un rien plastique - de la société cosmopolite de demain, en proie à la plus vieille fascination du monde humain. Thèmes : mort, euthanasie, réincarnation. Ton : futuriste, faussement académique, bavard. Cette BD illustre avec espoir les mille et une manières dont vous mourrez plus tard, si vous en avez envie... Une mosaïque de clichés un peu chiants, comme une longue discussion ésotérique entre deux geeks bourrés vomissant leurs illusions dans le caniveau cradingue du roman graphique. Si ce “cahier premier” ne meurt pas dans l'œuf, le tome 500 aura le mérite d'un Prix Nobel chez les martiens. Le Bras et Picard, visionnaires de l'inutile ? Charles de Boisseguin.

LA BD QUI FAIT KIFFER MA MÈRE Après la bio et l'expo, la bd Saint Laurent ! Ecrite en 1956 alors que le grand Yves aiguisait son talent chez Christian Dior, La Vilaine Lulu est bon chic… mauvais genre. Grassouillette comme une petite oie, elle se prend pour le nombril du monde, s'imagine en Lulu Marlène ou en Lulucrèce, se voit déjà à l'Académie Française, montre ses fesses à tous les passants, fait punir ses amies à sa place … Bref, cette petite fille moderne, dont le doudou est un gros rat blanc, est aussi insupportable qu'irrésistible. De là à y voir un double de son célèbre papa, il y a un pas à ne pas franchir. La vilaine Lulu, ce n'est pas moi, précise Yves Saint Laurent qui ajoute, en revanche, que “toute ressemblance avec des personnes qui existent ou ont existé est parfaitement voulue”. Mine de rien, le milieu de la mode et les grands de ce monde sont épinglés dans ces drôles d'aventures, preuve qu'en plus du talent, le couturier avait plus d'un (mauvais) tour dans son sac… griffé Saint Laurent bien sûr. Une bd vintage qui, comme les robes de son créateur, n'a pas pris une ride. Olivia de Lamberterie

*La Vilaine Lulu, Editions de la Martinière, Fondation Pierre Bergé Yves Saint Laurent.

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CONTE D'ÉTÉ “Trois jours en été”, texte et dessin de Bastien Quignon. Editions de l'An 2, 96 pages.

Trois jours en été, trois chapitres et autant de péripéties. Sous un soleil brûlant, deux garçons vaquent à leurs activités champêtres : des aventures sans but précis, simples conneries de pré-ados. Gaël et Alban s'ennuient sans doute un peu dans cette campagne excentrée. Ils n'ont pas quinze ans, pas conscience de la hiérarchie qui les relie : quand l'un parle, l'autre se tait. Tous deux explorent, chacun à sa manière, les territoires inexplorés de l'âge adulte : l'indépendance, la liberté … et l'oisiveté aussi, car autant dire qu'il ne se passe pas grand-chose par ici. Tout en finesse, l'auteur assume la modestie de son propos et fait preuve, dans le traitement, d'une admirable sobriété. La narration est discrète, lente, concentrée sur de courtes périodes. Le silence et la lumière suffisent seuls à retranscrire l'atmosphère estivale. Bastien Quignon signe ici sa première publication, un ouvrage nostalgique qui sonne comme l'album photo de nos jeunes années. Restent quelques clichés, une fois le livre refermé, quelques instantanés en gris et blanc de deux jouvenceaux de province, ou l'image touchante d'une adolescence universelle. David Abittan


littérature/actu

PARIS-TÔKYÔ-BOBO Les éditions Futuropolis publient “Face Cachée” de Sylvain Runberg et Olivier Martin, un manga réalisé par des occidentaux. Dans la métropole tokyoïte, un analyste financier s'éprend d'une jeune secrétaire gironde tandis que sa femme et sa fille l'attendent dans leur maison en banlieue en buvant du saké. On te le conseille :

Malgré le pitch qui rappelle les téléfilms allemands diffusés sur Arte le samedi soir, que t'étais obligé de te taper jusqu'à tes 15 ans et cette soirée de décembre où plein de courage tu as décidé de t'émanciper de l'autorité paternelle en fuguant jusqu'à l'ascenseur avant de te rendre compte qu'il faisait -3° dehors et que malgré tout, dormir avec Fred le clochard d'en bas, ça ne pouvait qu'être pire que les tribulations bavaroises de Hermann le violoniste manchot amoureux de sa théière. Pour le dessin tellement poétique, aérien et fin que si t'accroches pas avec l'histoire du trader et de sa greluche, tu peux toujours découper les pages pour les encadrer ça fera intello-bobo-qui-encadre-des-planches-de-bd-pour-les-mettre-entre-le-masque-africainet-la-lettre-manuscrite-de-Saint-Exupéry-sur-le-mur-du-salon. Parce que tu ne vas quand même pas acheter le dernier Zep, Happy Girls (Delcourt) qui est en fait une réédition des Filles Electriques publié chez Dupuis dans les années 90 avec une nouvelle couverture et deux euros de plus au prix d'achat, alors que la version originale est toujours vendue moins cher. Faut pas te prendre pour un teu-bé. Léonard Billot

ABSURDISTAN “Les chemins de traverse”, texte de Maximilien Le Roy et dessin de Soulman et Maximien Le Roy. La boîte à bulles, 95 pages.

C'est un peu sérieux, jeune homme ! Et ça tient sans doute au sujet : le conflit israélo-palestinien. Deux destins qui se côtoient sans se croiser et l'occasion d'un voyage sur cette “frontière”, théâtre de l'absurde où certains n'hésitent pas à perdre un œil pour ouvrir ceux de leurs concitoyens. Deux auteurs, deux récits aussi courts que poignants. A l'échelle humaine d'abord : une histoire personnelle à la première personne. Sans doute la plus touchante. Mais conclure que “les larmes ont le même goût salé, quelle que soit la terre de naissance” fait vite basculer la sensibilité dans le tire-larmes moralisateur. Surtout que la seconde partie se révèle vite du même ressort : retranscription imagée d'un discours qui prône l'amour de son prochain, la prise de conscience du danger, les vertus de l'obéissance et l'éternel désengagement de la jeunesse… Une photo va jusqu'à souligner la violence de la réalité, comme dans Valse avec Bachir, le long métrage d'animation d'Ari Folman qui rappelle à bien des égards ces Chemins de traverse. Mais de combien d'ouvrages aurons nous encore besoin pour voir des hommes et non “des numéros ou des caractères typographiques d'une colonne de journal” ? Certainement un de plus. Car au final, l'ambition noble du taayoush (“vivre ensemble”, en arabe) semble servie un peu trop simplement. Message reçu, en tout cas. Thibaud Pombet

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ANTICI-PASSION “Ab Irato, vol. 1”, texte et dessin de Thierry Labrosse. Éditions Vents d'ouest, 56 pages.

Thierry Labrosse, un Québécois que les Français connaissent pour son illustration de Moréa (la série de Christophe Arleston) se lance en solo avec une nouvelle série : Ab irato. Cette fois, il dessine un monde dévasté par une catastrophe naturelle, un monde bilalien où s'affrontent rebelles et police d'état. Dans le Montréal de 2111 ravagé par les eaux, le jeune Riel Beauregard, fraîchement débarqué de sa campagne natale, est un peu comme le lecteur : déboussolé par toute cette violence. Car dans tout premier tome de BD, il s'agit de créer une atmosphère, développer les personnages, insuffler un ton. Le scénario se situe quelque part entre le film d'Alfonso Cuaron, Les Fils de l'homme, et l'univers romanesque et futuristico-cyberpunk de William Gibson. En attendant la suite, on s'émerveille de la maîtrise du cadre et des vignettes dont le découpage évoque la technique cinématographique. Thierry Labrosse nous ballade d'ellipses en ellipses avant de se focaliser sur des séquences plus intenses. On tourne les pages à toute vitesse. Pour le reste, c'est une question de goût. Il faut aimer les univers pré-apocalyptiques, Matrix III et les mechas Stan Coppin

Goebbels l'a rêvé, la bande dessinée l'a fait. Force est de constater aujourd'hui qu'à l'inverse de ce qui se disait encore trente ans auparavant (trente ans, toute une vie !) à l'entour des zincs revanchards de la douce France giscardisée qui s'inquiétait de l'avenir du socialisme prémitterrandien, la vérité reposait bien au fond des verres d'alcool. (On attend l'historien qui rendra hommage à la vodka comme principal instrument idéologique de résistance au socialisme soviétique.) Il convient désormais d'étendre la fameuse interrogation (le socialisme est-il soluble dans l'alcool ?) très au-delà de la seule sphère politico-historique où l'on a cru longtemps opportun de la cantonner : il n'y a pas que le socialisme qui se dissolve dans le coulis éthylique. Pour en arriver à parler de bande dessinée, l'argument peut sembler jésuite - nous le confessons bien aisément. Qu'on en juge : un certain vendredi soir de ces temps que les moins de vingt ans etc..., le sieur Pivot convoqua sur son plateau couru quelques huiles de la chanson française de l'époque dont Serge Gainsbourg et Guy Béart. Malgré tous ces vers de mauvaise contrebande, n'êtes-vous pas un peu... poète ? tentait l'animateur. (Entendez : pouët ! Klaxon plutôt qu'amant des Muses.) Les subtilités sémantiques les plus productives naissent ainsi - parfois - de ces malentendus catastrophiques (au sens de la théorie mathématique des catastrophes, c'est-à-dire d'une discontinuité aléatoire). Le faux artiste maudit aux portugaises ventées (il avait, aurait dit le regretté Albert Fabre-Luce, les oreilles en bataille), tout empêtré dans le brouillard métis d'une Gitane et d'une bouteille de Scotch, s'empêtra dans ses névroses comme un ivrogne dans les plis d'un tapis. Pour ne pas chuter, groin en avant, dans le ridicule d'une frustration pathétique (la peinture, la peinture, vociférait son ombre plus sobre que lui) il se redressa, vieux coq aux Repetto immaculées, et affirma que la chanson était un art mineur. Un art mineur ! s'étouffa l'ingénieur Béart, et Dylan ? et Cohen ? et Ferré ? hoquetait-il, le manche de guitare en avant - telle une mitraillette. Et l'autre de vomir aussitôt sur ses chausses : un art mineur, rien que cela ! La démonstration gagnait en concision ce qu'elle perdait en éloquence. Mais ce choix rhétorique fut efficace - l'incident marqua. Reprenons donc ici la stratégie gainsbourgeoise - laquelle consiste à ne rien démontrer, seulement à mugir : la bande dessinée ? Un art mineur ! Un agglomérat de piètre littérature, de piètre roman, de piètre théâtre, de piètre peinture, de piètre dessin ne saurait constituer un remarquable ensemble. C'est mathématique, encore une fois : additionner des nombres négatifs n'a jamais donné un nombre positif. La bande dessinée ? Un salmigondis de sous-cultures aimablement rebaptisé contre-culture par des cancres au front bas, une macédoine de riens célébrée par une génération d'autistes qui se pensent rebelles (quand ils ont un peu de vocabulaire). Le rêve de Goebbels enfin réalisé : la culture flinguée à coups de revolver… Alphonse Doisnel


littérature/rencontre

URBAN JUNGLE

Laurent et Julien Bonneau sont frères. Du haut de leur vingtaine fraîchement fêtée, ils signent le premier tome de la série “Métropolitan”, un album noir et résolument contemporain. Dans un Paris stylisé à l'extrême, les trajectoires de leurs trois protagonistes désabusés vont se télescoper sur le quai d'une station de la ligne 6. Avec dextérité, ils condensent les névroses de nos sociétés modernes vérolées par l'indifférence, gangrenées par le cynisme. L'occasion pour Keith, de rencontrer Laurent, le dessinateur de cet album tant ambitieux que réussi. Qu'on se le tienne pour dit, en BD, la relève est assurée. Keith : Tu as fait les dessins et ton frère les textes de Metroplitan, comment se passe le travail à deux ? Qui a proposé l'idée ? Laurent : En fait, c'est un projet qui a commencé il y a longtemps, avant que je passe mon bac. A l'époque, j'avais à peine 18 ans et Julien 20. Moi, j'ai toujours voulu faire de la bande dessinée et lui petit à petit, il a commencé à trouver des idées de scénario. En fait, il trouve beaucoup plus facilement que moi la trame narrative, les péripéties, les personnages… On se complète parfaitement. En l'occurrence, on travaille ensemble le début de chaque tome. C'est à dire que je descends à Bordeaux pendant un mois et on fait le story-board, le séquencier pour bien définir la trame de chaque page. Après, il m'envoie les textes et je fais les illustrations. Keith : Ta rencontre avec Marc Moreno le dessinateur du Régulateur (Delcourt) t'a donné un coup de pouce, non ? Laurent : Oui, on l'a croisé lors d'un festival de bande dessinée à Bordeaux et je suis allé le voir en lui montrant quelques dessins, qu'aujourd'hui je trouve pourris, mais que lui a appréciés. Il a perçu que pour mon âge, 14 ans, il y avait quelque chose à creuser. Il m'a filé l'adresse de son atelier et je suis allé le voir. Petit à petit on a commencé à travailler ensembles sur le projet d'une série dérivée du Régulateur. Monter des séries parallèles avec d'autres auteurs est quelque chose qui se fait beaucoup en BD. Bon, ça ne s'est pas fait mais ça nous a permis, à mon frère et moi, d'apprendre à monter un projet. Marc est vraiment un ami maintenant, il m'a énormément appris.

Keith : Il y a une dimension cinématographique très forte dans Metropolitan… Laurent : Oui, mon dessin est rempli de codes cinématographiques. Car le cinéma et la BD sont aujourd'hui les deux choses qui me passionnent le plus. C'est pour ça que j'essaie d'amener les codes de l'un dans l'autre et de les faire se compléter. Et même, s'ils restent deux média différents, ils gardent énormément de points communs : le story-board, le cadrage, la lumière… Pour te donner un exemple, dans l'album j'ai clairement pensé le temps en terme d'image, de grandeur d'image, de la place qu'elle va prendre sur la page. J'ai essayé de rendre en image, comme dans le cinéma, le ralentissement de certaines situations et l'accélération des autres. Je fais aussi très attention au placement du corps

photo : Pauline Darley

Keith : Tu as aussi fait dix ans de guitare au conservatoire, tu pratiques la photo, réalises des courts-métrages… Quel est le lien entre toutes ses activités ? Laurent : C'est vrai j'ai commencé la guitare quand j'avais cinq ans. Au début la musique et le dessin étaient vraiment les deux “trucs” de ma vie. Mais au bout d'un moment, j'ai du faire un choix. Ce qui fait le lien, c'est que tous ces média sont liés au ressenti. La musique est un peu en parallèle, mais ils ont tous en commun de construire une image ou une ambiance. Au fond, tout est lié à l'image. Dans tout ce que je fais je le pense en terme de représentation et d'image.

dans l'espace. Je réfléchis beaucoup à la place qu'il doit occuper dans une case, comment il se situe par rapport aux autres éléments du paysage. Ce n'est pas anodin, si, sur la couverture, on a mis le visage d'un homme en plan très serré. Keith : Ton travail est donc plus influencé par le cinéma que par la bande dessinée ? Laurent : Pas forcement. Je me nourris du travail des uns comme des autres. En BD, j'aime énormément les albums Rêves d'enfant (Humanoïdes Associés) de Kastsuhiro Otomo et Little Némo

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(Edition Horay) de Winsor McCay, que je considère vraiment comme des classiques. Après, je ne pourrais pas dire s'ils ont particulièrement influencé mes dessins. En ce qui concerne le cinéma, ce ne sont pas les réalisateurs qui m'intéressent mais plutôt les films en eux mêmes. Si tu prends un film comme Matrix par exemple, pour moi, c'est un chef d'œuvre graphique. En fait, je me nourris des plans cinématographiques depuis que je suis tout petit, je passe mon temps à les analyser et dans Matrix, il y a un découpage qui mêle l'action, la philosophie et la contemplation particulièrement riche au niveau de la mise en scène. Keith : Le terrorisme, l'individualisme exacerbé et l'indifférence sont les thèmes de votre album, vous avez une vision très négative de notre société contemporaine... Laurent : Oui, c'est vrai… mais certains d'entre eux sont abordés de façon intentionnelle tandis que d'autre non. Comme on est baigné dans cette société, on ne se rend pas compte. On a juste assimilé ces comportements à ça ressort dans Metropilitan. Après, ce qui nous a vraiment intéressé dans l'album, c'est de se concentrer sur la personnalité des personnages. On a vraiment voulu faire ressortir le fait que personne n'est parfait, que dans la nature humaine, il y a du bon et du mauvais. Bon là, je dis ça très grossièrement mais tu verras que chacun des tomes de la série est axé sur un personnage en particulier qui au fil de l'histoire se révèle être à la fois un salaud et un héros. Enfin, pour revenir sur l'indifférence des gens, c'est quelque chose avec lequel on vit, tout simplement. Dans Metropolitan, il y a une scène où un type fait un malaise dans le métro et presque tout le monde s'en fout. Même si je n'ai pas vécu cette situation précisément, l'indifférence des gens les uns envers les autres est quelque chose qui me touche, qui nous touche, mon frère et moi. Si on l'a mis dans l'album, c'est que ça a retenue notre attention. Propos recueillis par Léonard Billot


design

DESSINE-MOI

UN ECUREUIL

Elles pédalent au fil des rues de l'est parisien, l'une tout de jaune et de vert vêtue, l'autre rouge et noire de la tête aux pieds. A moins que, selon l'humeur du jour, le violet et le bleu, le rose et l'orange, le fuschia et l'arc en ciel ne s'en mêlent... En 1991, elles assemblent des tubes en verre en une délicieuse guirlande. “Le vase d'avril” est né. Le fleuriste Christian Tortu en fera son symbole et les Tsé & Tsé sont lancées. Depuis, elles ont élaboré un univers consistant et infini, fait de ponctuations légères (comme un semis de notes sur une partition), de notations infimes (comme des impressions et des esquisses au fil des pages d'un carnet de voyage), de sensations fugaces qui se cristallisent sous forme de vases et de lampes, de vaisselle blanche et de guirlandes multicolores, et qui entremêlent délicatement la France et le Japon, l'Inde et le Brésil... Moins du design au sens industriel du terme que la mise en forme réelle d'innombrables rêves d'enfance. Non pas une crispation sur la jeunesse, non pas le refus paniqué de vieillir, non pas une pathétique posture “djeune”, mais au contraire, cette grâce infinie dont très rares sont celles et ceux qui en sont touchés, la faculté de préserver en eux cette splendeur qu'est l'enfance. Voilà donc 20 ans tout rond que Catherine Lévy et Sigolène Prébois enchantent les addicts à ce que Vladimir Jankélévitch appelait “le presque rien”, et qui, en réalité, dit tout, vaut tout, est tout. Il y a deux ans, elles ont, à quatre mains, Sigolène au dessin et Catherine aux textes, publié un délicieux petit ouvrage, Les dessous des Tsé & Tsé associées ou l'histoire véridique d'une modeste PME, qui raconte avec humour et légèreté leur trajectoire. Aujourd'hui, avec sa Version live (P.O.L. Éditeur, 13 euros), Sigolène est seule aux commandes, textes et dessins conjugués. Histoire dans laquelle elle raconte sur un mode grave et léger à la fois la mort de sa mère. Une histoire dessinée donc, bien plus qu'une bande dessinée, et à propos de laquelle, dans le n° du 7 mai 2010 du magazine Elle, Olivia de Lamberterie écrit qu'au fil des pages “tout est illuminé”. Référence étrange au passionnant et fulgurant roman éponyme de Jonathan Safran Foer (L'Olivier éditeur), beaucoup moins léger que l'univers de Sigolène. Quoique, lorsque l'on sait le goût qu'elle a de Sfar et de Spiegelman, le lien se tisse...

Keith : Tu dis histoire dessinée plutôt que bande dessinée. Il y a une différence ? Sigolène : Ce sont des différences infimes et pourtant essentielles. Des histoires de cadrages, de rythmes, de scansions. Disons pour simplifier, que la bande dessinée est plus cinématographique et l'histoire dessinée plus littéraire... Keith : Tu as des exemples ? Sigolène : On dit de Winsor McCay, l'auteur du sublime Little Nemo en 1905, qu'il est l'inventeur de la bande dessinée. Mais pour moi, il s'agit plus d'histoire dessinée. J'aime beaucoup, dans ce registre, ce que font des auteurs comme Claire Bretécher ou Sempé.

Keith : Et côté BD, tu as des références, des préférences ? Sigolène : Ah oui ! Côté nostalgie, dominent Bicot de Martin Branner et Zig et Puce d'Alain Saint-Ogan. Plus tard, vinrent Fritz the Cat de Robert Crumb et Les yeux du chat de Moebius... Keith : Face à l'écureuil, beaucoup de chats... Sigolène : C'est vrai, je n'y avais pas pensé. D'ailleurs, j'adore Le chat du rabbin de Joann Sfar. A l'opposé, si j'ose dire, les souris de Art Spiegelman occupent une place essentielle dans mon imaginaire. A Survivor's Tale et From Mauschwitz to Castkills, qui lui valut d'ailleurs le prix Pulitzer le plus important prix littéraire aux Etats-Unis, sont des splendeurs absolues. Keith : Toujours des personnages anthropomorphiques. Jamais d'humains? Sigolène : Si, bien sûr ! J'aime infiniment Marjane Satrapi et les quatre tomes de son Persépolis qu'elle a d'ailleurs porté à l'écran avec Vincent Paronnaud. Soit une bande dessinée devenue cinéma d'animation, ce qui lui a valu le Prix du Jury à Cannes en 2007, deux Césars en 2008 et, la même année, une nomination dans la catégorie Meilleur Film Etranger aux Oscars... Keith : Bretécher, Sempé, McCay, Saint-Ogan, Crumb, Moebius, Sfar, Spiegelman, Satrapi, somptueuses références. Mais où sont les mangas? Sigolène : Je n'aime pas les mangas. Tout y est trop plat, trop lisse. Je n'y vois aucune profondeur, aucune ligne de fuite, aucune échappatoire. Tout ça manque trop d'épaisseur, de mystère et d'humour.

Keith : Le dessin chez toi ? Sigolène : Bien sûr, je pourrais te dire, comme tout le monde, que j'ai toujours dessiné. Déjà, petite, je composais des histoires qui nous mettaient en scène, mon frère Christophe et moi. Lui, sous la forme d'un ornithorynque, moi sous celle d'un écureuil. Les deux sont restés, mais se sont enrichis d'un petit ours qui figure Catherine. Plus sérieusement, tout a vraiment commencé à l'ENSCI/Les Ateliers avec Catherine, pendant nos études de design. Tout, les cours, les idées, les projets, prenait la forme d'histoires dessinées. Catherine écrivait, je dessinais, la plupart du temps. Et ça n'a jamais cessé. Si tu regardes autour de toi, ici, au milieu du foutoir de notre atelier, tu vois bien que nos cahiers et carnets prennent infiniment plus de place que les ordinateurs. K?-76

Propos recueillis par Edouard Michel. Dessins de Sigolène Prébois.




mode

The Beauties and the Beasts

Photographe : Laure Bernard Assistante lumière : Anna Dabrowska Assistante numérique : Chloé Jacquet Styliste : Marie Revelut Assistante styliste : Malin Carlsson Coiffeur : Nathalie Gomez Maquilleur : Alexandra Leforestier Mannequins : Alima et Faye (agence Next) Merci au studio La Plateform.

Alima : veste noir et pantalon : Is Not Dead bottes : Red Valentino poncho et pull gris : Akris colliers : Pilgrim et By Malene Birger sac a main : Barbara Bui bracelet : By Malene Birger Faye : robe bustier : Dsquared2 robe organza noir : Paule Ka ceinture : Dacute chaussures : Minna Parrika bonnet et chaussettes : Red Valentino

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The Beauties and the Beasts

Alima : corset : Lie Sang Bong culotte haute : Gasimi fourrure : Lie Sang Bong bottines cloutĂŠes : Via Uno ceinture : Marion Mille

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The Beauties and the Beasts

Alima : robe : Jasmin Di Milo collier : Escada bottines : Barbara Bui gants cuire : Jasmin Di Milo Faye: veste et leggings argent : Karl Lagerfeld chaussures : Karl Lagerfeld by Ruppet Sanderson collier : Anne Fontaine ceinture et chapeau : By Malene Birger gants : Junko Shimada

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The Beauties and the Beasts

Faye : robe : Red Valentino gilet : Paule Ka veste en python: Dacute porte-jarretelles : Bijule montre : Castelbajac collier et bracelet : Mouton Collet chapeau : Yoshiko Creation chaussures : Junko Shimada

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The Beauties and the Beasts

Alima: combinnaison : Acne gilet : Galliano gilet cuire : City You chausures : Nuuc serre tĂŞte (oreille) : Mini Mercredi bracelet de force: Barbara Bui Faye : corset ivoire : Qasimi t-shirt manche longue : Anne-Valerie Hache gilet fourrure: By Malene Birger bottes : Cassadey renard en cuire : Xuan Then Nguyen collier : Marion Mille bracelet : Pilgrim et Barbara Bui serre tĂŞte: Xuan Then Nguyen bague : Vivienne Westwood

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The Beauties and the Beasts

Alima : chemise en mousseline plisser : Homme robe Ă brettelles plissĂŠes : Yoshi Yamamoto chaussures : Barbara Bui collier : Pillgrim, Scooter gants : Junko Shimada Faye : manteau de fourrure, combinaison short en dentelle : Red Valentino chaussures : Dsquared2 collier : Marion Mille

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minuscules petit portrait en minuscules d’un artiste quasi majuscule

par augustin t. / photo laure b.

le cactus girly.

sous la jupe

elle hésite à prendre la pose. elle se recoiffe, se remaquille. elle est un peu gênée, mais pas trop, nine antico. à l'image des sacrées midinettes qui hantent ses dessins, c'est une fille d'aujourd'hui : libre, enthousiaste, extravertie. de celles qui fument des clopes et se piquent de rock'n'roll. celles qui tentent des trucs, se prennent des claques et se coupent la frange. nine antico n'a pas trente ans mais elle vit de son neuvième art. en 2008, le très autobiographique goût du paradis, mémoires du 93 dans les années '90, lui a valu d'être sélectionnée à angoulême dans la catégorie “jeune révélation”. son deuxième album, le très érotique coney island baby, une bio croisée de betty page et de linda lovelace, est déjà annoncé comme l'un des grands favoris du prochain festival. et quant à girls don't cry, à paraître à la rentrée, il s'inspire d'une série de saynètes résolument girly qu'elle a crée pour le magazine muteen. on l'aura compris, derrière ses personnages de papier (l'ado d'aubervilliers, la pin-up et la star du porno un rien désenchantées, ou toutes ces jolies amoureuses au crayon à papier), c'est toujours d'elle qu'il s'agit. une fille d'aujourd'hui : drôle, sensible, déterminée. de celles qui prennent leur destin en main et finissent toujours par faire ce qui leur plaît. celles qui savent jouer de leur féminité avec une pointe de malice et d'autodérision. elle a les lèvres et les ongles peints en rose orangé. les cheveux blonds en bataille et ce tatouage, sur le bras gauche, en hommage au boys don't cry des cure, auquel elle s'est permis d'ajouter une larme. quand on lui demande pourquoi, elle est formelle, nine antico : “parce que tout le monde pleure.”

edgy.

groupie.

dans son panthéon personnel, très peu de bandes dessinées. une poignée de vieux films en noir et blanc, des livres de sade ou de maupassant, et quelques disques fondateurs dont un album de bob dylan qu'elle a déniché un jour à la fnac, complètement par hasard. nine antico l'avoue volontiers : “je suis une pure autodidacte”. après un long détour par l'audiovisuel, elle se lance dans le dessin, échoue aux beaux arts et aux arts déco mais ne lâche rien. un job de serveuse, une parution ici et là, puis un poste à mi-temps aux éditions cornélius où elle découvre les rouages du métier. mais la clef du succès lui vient de la musique. quand à l'âge de dix-huit ans, elle se met à dessiner de façon compulsive les concerts de rock, de pop et de folk indé. sparklehorse, shellac ou le cultissime daniel johnston qui reprend une de ses illustrations sur son site internet. il faut l'imaginer, ce petit bout de fille, en train de gratter plus vite que la musique sur son petit carnet ! dix à quinze planches qu'elle n'hésite pas à diffuser à droite à gauche dans les salles parisiennes, la presse ou ce fanzine qu'elle a elle-même créé, rock this way. petit à petit, l'oiseau fait son nid, les artistes apprécient, keren ann et bardi johansson l'invitent même à un de leurs shows pour se faire tirer le portrait. singulier parcours que celui de nine antico. quand on y pense, c'est au rythme des guitares que son crayon s'est affûté. aujourd'hui, elle a un peu lâché la scène, mais revient volontiers à ses vieilles amours, le temps d'une exposition ponctuelle ou d'un festival comme “filmer la musique”, au point éphémère, où elle vient d'exposer ses délicieux croquis des dumdum girls ou de xiu-xiu.

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chez calourette, un concept store rétrokitsch en plein cœur du marais (où l'on trouve comme il se doit une pile de keith), nine antico parle de ses bd. trois albums où au lieu de verser dans un discours formaté, elle a pris le parti de la simplicité, laissant libre cours à son inconscient, ses émotions, son passé. à chaque page, elle raconte, en creux, sa destinée d'adolescente complexée, d'éternelle amoureuse et de jeune fille déterminée à comprendre cette obsession pour le crayon. il faut l'entendre évoquer son “parcours un peu bâtard”, depuis le temps où elle copiait les publicités calvin klein, fascinée par les jeux d'ombre et de lumière, jusqu'à son drôle d'apprentissage du scénario, le jour où elle rassemble ses dessins de dimanche en famille et se convainc d'en tirer un album ! avec le recul, elle s'amuse de son culot, consciente que la rage s'est apaisée et que son dessin nervuré s'est considérablement adouci. loin des blogueuses branchouilles, nine antico se distingue aujourd'hui par son trait sensuel et savoureux, ses rondeurs et ses arabesques. elle révèle une féminité pleinement assumée dans un monde où les hommes ont une fâcheuse tendance à occuper tout le terrain. girls don't cry, son nouvel album, sera d'ailleurs dédié à sa bande de copines. elle y reprend leurs tribulations de post-adolescentes, leurs débriefs arrosés, leurs soirées qui ne savent pas se terminer… et si l'on gratte un tant soit peu sous l'humour et la légèreté, on y trouvera cette cruauté qui a fait la gloire des comédies à l'italienne. après tout, le propre des filles, nous dit nine antico, ce sont les petites histoires, les vannes, le mauvais esprit. bref, l'art de déceler “le cactus sous la jupe”. le goût du paradis, de nine antico, ego comme x, 2008. coney island baby, de nine antico, l'association, 2010. girls don't cry, de nine antico, éditions glénât, à paraître en septembre 2010.



Keith Story En exclusivité, Nine Antico nous livre les toutes premières planches de sa BD Girls Don't Cry, qui paraîtra en septembre 2010. Enjoy ! Girls Don't Cry / Nine Antico © Glénat 2010. La bande dessinée (54 pages, couleurs) paraîtra en septembre 2010.

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où nous trouver

Colette. 213, rue Saint Honoré / Le Fumoir. 6, rue de l'Amiral Coligny / Joe Allen. 30, rue Lescot / Scopitone. 5, avenue de l'Opéra / Jean-Charles de Castelbajac. 10, rue Vauvilliers / Vans. 93, rue Saint Honoré

02/

Lézard Café.Café. 32, rue Etienne Marcel/ Kiliwatch. 64, rue Tiquetonne / Café Etienne Marcel. 64, rue Tiquetonne / Royal Cheese. 24, rue Tiquetonne / Le Pin Up. 13, rue Tiquetonne / WESC. 13, rue Tiquetonne / Rzostore. 4, rue Tiquetonne / Social Club. 142, rue Montmartre / Le Café. 62, rue Tiquetonne / Les Têtes Brulées. 21, rue Turbigo / La Grosse Caisse. 160, rue Montmartre

03/

La B.A.N.K. 42, rue Volta / Galerie Eva Hober. 16, rue Saint-Claude / Galerie Chez Valentin. 9, rue Saint-Gilles / Café Baci. 36, rue de Turenne / Galerie Polaris. 5, rue Saint-Claude / La Perle. 78, rue Vieille du Temple / Dolls. 56, rue Saintonge / Kulte. 76, rue Vieille du Temple / Galerie Sutton Lane. 6, rue de Braque / Le Bouclard. 15, rue Charlot / Galerie Baumet Sultana. 20, rue SaintClaude / Galerie Daniel Templon. 30, rue Beaubourg

04/

Café des Phares. 7, place de la Bastille / Noir Kennedy. 12, rue du Roi de Sicile / Amnésia. 42, rue Vieille du Temple / L'Etoile Manquante. 34, rue Vieille du Temple / La Chaise au Plafond. 10, rue de Trésor / Féria Café. 4, rue Bourg Tibourg / L'Etincelle. 42 bis, rue de Rivoli / Lizard Lounge. 18, rue du Bourg Tibourg / Calourette. 23, rue du Bourg Tibourg / Les Marronniers. 18, rue des Archives / Art Génération. 67, rue de la Verrerie / Le Drapeau. 10, rue du Temple / Open Café. 17, rue des Archives / Comptoir des Archives. 41, rue des Archives / Le Chinon III. 56, rue des Archives / Le Cox. 15, rue des Archives / Adidas. 3, rue des Rosiers

05/

Café Delmas. 2, place de la Contrescarpe / Café Léa. 5, rue Claude Bernard / Le Contrescarpe. 57, rue Lacépède / Music Guest, 19, rue Monge

06/

La Hune Librairie. 170, boulevard SaintGermain / Les Deux Magots. 6 place Saint-Germain des Prés / Lipp. 151, boulevard Saint-Germain / Le Vavin. 18 rue Vavin / Le Select. 99, boulevard du Montparnasse / L'Atelier. 95, boulevard du Montparnasse / Café Jade. 10, rue de Buci /Les Editeurs. 4, carrefour de l'Odéon / O'Prince. 52, rue Monsieur Le Prince / Lucernaire. 53, rue Notre Dame des Champs / Le Chartreux. 8, rue des Chartreux / Café de la Mairie. 8, place Saint-Sulpice / Coffee Parisien. 4, rue Princesse / La Palette. 43, rue de Seine / Café des Beaux Arts. 7, quai Malaquais / Galerie Kamel Mennour. 47, rue SaintAndré des arts / Bar de la Croix-Rouge. 2, place Michel Debré / Le café de Flore. 172, boulevard Saint Germain / La marine. 59, boulevard du Montparnasse / Kulte. 40, rue du Dragon

08/

Lina's. 61, rue Pierre Charron / Le Paris London. 16 place de la Madeleine / Le Mini Palais. 3, avenue Winston Churchill / Le 66. 66, avenue des Champs Elysée

09/

Librairie l'Atelier. 59, rue des Martyrs / La Galerie des Galeries. 40, boulevard Haussmann / L'Hôtel Amour. 8, rue de Navarin / Lazy Dog Citadium. 50, rue Caumartin

18/

Galerie W. 44, rue Lepic / Le Floors. 100, rue Myrha / Galerie Chappe. 4, rue André Barsacq / Karambole Café. 10, rue Hegesippe Moreau / La Fourmi. 74, due Martyrs / La Famille. 41, rue des TroisFrères

20/

La maroquinerie. 23, rue Boyer / La Flèche d’Or. 102 bis, rue de Bagnolet / La Bellevilloise. 19, rue Boyer

Ecoles/

10/

Le Point Ephémère. 200, quai de Valmy / Poêle Deux Carottes. 177, quai de Valmy / Le Chaland. 163, quai de Valmy / La Tipica. 4, rue Eugène Varlin / Artazar. 83, quai de Valmy

11/

Lazy Dog. 2, passage Thiéré / Café Fusain. 50, avenue Parmentier / Favela Chic. 18, rue du Fbg du Temple / Café Justine. 96, rue Oberkampf / Café Charbon (Nouveau Casino). 109, rue Oberkampf / La Marquise. 74, rue JeanPierre Timbaud / Au Chat Noir. 76, rue Jean-Pierre Timbaud / Le Bastille. Place de la Bastille / L'An Vert du Décor. 32, rue de la Roquette / Pause Café. 41, rue de Charonne / M. and W. Shift. 30, rue de Charonne / Bataclan..50, boulevard Voltaire / Les Disquaires. 6, Rue des Taillandiers / Auguste. 10, rue St Sabin / Music Avenue. 10, rue Paul Bert / Galerie Magda Danysz. 78, rue Amelot / Motel. 8, passage Josset / La Mécanique Ondulatoire. 8, passage Thiéré / Adome. 35, rue de la Roquette

Chambre Syndicale de la Haute Couture. 45, rue Saint Roch. 75001 / ECV. 1, rue du Dahomey. 75011 / Ecole Camondo. Les Arts Décoratifs. 266, boulevard Raspail. 75014 / ESRA. 198, rue Lourmel et 135, avenue Felix Faure 75015 / Ecole Architecture Paris Belleville. 78, rue Rebeval / Ecole Architecture Paris La Vilette. 144, avenue de Flandres. 75020 / EICAR. 50, avenue du Président Wilson. Saint-Denis / EFAP. 61-63, rue Pierre Charon. 75008 / Science Po. 27, rue Saint-Guillaume. 75007

12/

Le Saint Antoine. 186, rue du Fbg Saint Antoine/ La Maison Rouge. 10, boulevard de la Bastille / OPA. 9, rue Biscornet

13/

Les Cailloux. 58, rue des Cinq Diamants / Le Marijan. 20 bis, boulevard Arago

14/

Dalea. 13, boulevard Edgar Quinet / Apollo. 3, place Denfert Rochererau / Zinc D'enfer. 2, rue Boulard / Zango. 58, rue Daguerre / Les Artistes. 60, rue Didot / Café D'enfer. 22, rue Daguerre

16/

Le Tsé. 78, rue d’Auteil / Librairie du Palais de Tokyo. 13, avenue du Président Wilson

07/

7L Librairie. 7, rue de Lille / Basile. 34, rue de Grenelle / Café le Saint-Germain. 62, rue du Bac / Le Bizuth. 202, boulevard Saint-Germain K?-98

illustration : julien crouïgneau

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