keith n°10

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édito Pourquoi les vieux ne veulent pas vieillir ? En voilà une bonne question. Mais au fond, vieillir, ça ne plait à personne, franchement. Bon ok, peut-être qu'à 14 ans, on a envie d'en avoir 18… Bah oui, pour pouvoir acheter des bières et rentrer dans les sex-shops. Mais passé ce cap, chaque année devient un coup de massue, léger au départ, certes, mais de plus en plus douloureux. Alors, chacun fait ce qu'il peut pour garder une part de jeunesse, mais avoue que ça te fait toujours bizarre d'entendre ton père dire “trop d'la balle” et ta mère te demander de lui télécharger le nouveau Boys Noize… Mais bon, qu'est ce que vous voulez, comme dirait mon buraliste : “C'est la faute des pipeule tout ça…” Et il n'a pas complètement tort. Les actrices arrêtent de vieillir à 42 ans, Beigbeder a toujours l'air d'un ado et les KEITH 37, rue des Mathurins 75008 Paris www.whoiskeith.com

Direction : - Directeur de la publication Benjamin Blanck benjaminblack@keithmag.com

Rédaction : - Directeur de la rédaction Basile de Bure basiledebure@keithmag.com - Directeurs artistiques illustrations Julien Crouïgneau (designJune) julien@designjune.com

- Rédacteurs en chef adjoints Léonard Billot leonardbillot@keithmag.com Clémentine Goldszal clementinegoldszal@ keith-mag.com

Rubriques : - cinéma : Stan Coppin - art : Jeremy Dessaint - musique : Clémentine Goldszal - littérature : Léonard Billot, Augustin Trapenard - théâtre : Nicolas Roux - design : Edouard Michel - mode : Laure Bernard, Jean-Baptiste Pelle

cougars sont devenues le sujet préféré de reportages de Nikos. Bientôt Denisot tcheckera ses invités en leur disant “Wesh, bien ?”, Evelyne Dhéliat présentera la météo en rappant et Ruquier tournera sur la tête pendant le générique de fin. Vous allez voir. Mais bon, vieillir, ça veut aussi dire grandir. Vous tenez entre vos mains le Keith n°10, et on vous avoue qu'on aimerait bien fêter nos 80 numéros… Même s'il est vrai que les magazines ont plutôt des trajectoires de rock star ces derniers temps : trop peu dépasse les 27 unités… Mais on y croit, le combat continue. Et on assumera, promis !

Basile de Bure

Ont collaboré à ce numéro : David Abittan, Marie Bedont, Mateusz Bialecki, Charles de Boisseguin, Giulio Callegari, Julia Canarelli, Zoé Capdevielle, Donatien Cras de Belleval, Alphonse Doisnel, Mathilde Enthoven, Alima Fofana, Elise Fontenaille, Marco Fulgoni, Louise Gamichon, Alain Guillerme, Judith Haik, Thomas Hutter, Benjamin Kerber, François Kraft, Stanislas Marsil, Mauymi Oda, Thomas Pirel, Thibaud Pombet, Laura Roguet, Pierre de Rougé, Martha Sara Crescimanno, Milou Van Groesen K?-03

Photographes : Antoine de Bary, Laure Bernard, Pauline Darley, Léa Gomez Special Thanks : Philippe Blanck, Christine Borgoltz, Delphine Brunet, Gilles de Bure, Mathias Déon, Barbara Dumas, Alice Fleury, Alexandre de Lamberterie (créateur du logo Keith), Olivia de Lamberterie, Next, Claire Oursin, Claude de Rougé, Loïc Seailles, Salvatore Zaffino

Responsable Marketing et Communication : Brice Smo Agbattou bricesmo@keith-mag.com Le magazine KEITH est édité par la société WHO IS KEITH ? SARL au capital de 1000 euros RCS Paris 492 845 714 ISSN en cours. Dépôt légal à parution. Imprimé en France. Ne pas jeter sur la voie publique.


sommaire

- What’s Up ?

Les news de Keith p.6-7

Mort aux vieux !

- A l'antenne

Gustave de Kervern : Télé punk p.8-9 - Dossier

Les chauves sont cool finalement

“Perrin est un enculé”

Girls, Girls, Girls...

Kidults : pourquoi les vieux ne veulent plus vieillir ? p.10-17 - Cinéma

Lady Gaga et London Nights : la matière 2010 ? p.19 Green Zone, L’épine dans le coeur, Mammuth, Rage p.20-21 Ames en stock, New York I Love You, Nuits d’ivresse, La Comtesse, Les sorties DVD p.22-23 Gaspar Noé : Au bout du tunnel p.24-27 - Art

Mec t’es mélomane ? / Mec t’es un puriste ? p.28-29 Mec t’es Kitano / Mec t’as le déclic ? / Mec t’es glamour ? p.30-31 Philippe Perrin : Braqueur de musée p.32-33 - Musique

California Girls (I Wish They All Could Be) p.34-39 She & Him, The Tallest Man On Earth, Wayne Beckford, Sharon Jones, Les Shades p.40-41 Pavement, Domino, MGMT, John Grant, Foals p.42-43 Alina Orlova, Caribou / Jamie Lidell : Inventeur fou p.44-45 Javerlin, Nice Face, The Living Sisters, Miles Kurosky, Rafter, Angus&Julia Stone, Lali Puna p.46-47 Introducing... The Drums p.48-49 - Littérature

La fourchette-ketchup de Jamie Lidell

Racisme, terrorisme et sodomie salvatrice

King Eric !

Chuck Palahniuk : Arme de subversion massive Limousines blanches et blondes platines, de Dan Fante p.50-51 Motti, sa chienne de vie, de Asaf Schurr La passerelle, de Lorrie Moore Mélancolie du rocker, de Toby Litt Beautés volées, de Mara Lee Le fonds de commerce du Pontife Claude Lanzmann p.52-53 L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet, de Reif Larsen Mémoires de la jungle, de Tristan Garcia Où sont les jeunes ? p.54-55 Bayon en selle p.56-57 - Théâtre

Clones Gays (oui, oui)

PEF, David et Edward, Une comédie romantique, Face au paradis, Partons pour Pluton, Gaspard Proust p.58-59 - Design

Philippe Starck vs Ora Ito : le clash des égos. p.60-61 - Une journée à Disneyland Paris...

p.62-65

- Mode

Fashionland p.67-77 - minuscules

frédéric ciriez : bordel de papier p.78-79 - Keith Story :

Elise Fontenaille : Second Child p.80-81

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what’s up ? Let’s Groove Tonight

KOST, L'Art de Lettre est une toute nouvelle maison d'édition créée par une jeune fille d'à peine 20 ans, Léa Viale. Elle a pour but de réunir de jeunes passionnés d'art et de littérature. Le premier ouvrage publié est Hommage à Ricardo Paseyro, recueil de poèmes de Léa Viale, illustré par Andréa Delibes. Le prochain ouvrage est une anthologie de poésie à paraitre fin-avril. De nombreux jeunes poètes y participent. Pour la suite, un projet d'atlas par la photo est lancé. Amateurs comme professionnels envoient leurs photos du monde entier, et le but est de présenter le monde, non pas par des cartes, mais par des photos. A suivre…

expo

marque française créée en 2009 spécialiste des chaussures de ville luxueuses et modernes, lance sa première gamme de chaussures sport chic pour cet été. Les Klop existent en trois coloris et habillent vos pieds en toutes circonstances... Retrouvez les points de ventes sur www.kostparis.com PS : chaussures testées approuvées par notre rédaction.

conce rts - Gush

le 8 juin à la Cigale. Un pur shoot d'endorphines dispensé par les quatre mecs les plus cool de France, ça ne se refuse pas. Si ?

- Jay Z

le 6 juin à Bercy. Mister Beyoncé descend sur terre pour nous faire frétiller du bassin. On to the next one.

- Pavement

le 7 mai au Zenith. Pavement en concert, on n'y croyait plus. Mais la reformation est bien réelle. Pour l'argent ou pour la gloire, who cares ?

- The XX

Ras-le-bol d'aller toujours dans les mêmes galeries ? Envie d'un peu de fraîcheur ? Du 25 mars au 25 mai, une jeune étudiante des ArtsDéco, Clara Citron, présente son travail, une dizaine de dessins et photos allant de 30 à 90 euros, au Studio, petit resto situé à l'intérieur d'une cour pavée entre le Café de la Gare et l'Ecole de danse du Marais. Faites-y un tour, ça vaut le coup. Exposition Autoportrait, Clara Citron The Studio, 41 rue du Temple 75004

le 14 juin à l'Olympia. Session de rattrapage pour ceux qui ont loupé la Cigale. Frissons en perspective, procurés par la pop minimale du trio le plus lancé d'Angleterre.

- Les Libertines au festival de Reading le 28 août. C'est officiel, ils se reforment, et eux, on sait pourquoi. Alors à quand Pete et Carl sur scène à Paris ?

CLIPS COOL

Les clips préférés de Keith Clip Buzz

MGMT - Flash Delirium Clip mystique

Foals - Spanish Sahara Clip historique

Hold Your Horses 70 million Clip sous LSD

Lonski & Classen - The Punisher Clip de culs

Booba - Salade Tomate Oignon (Yuksek Remix) Clip Nazi

The Bloody Beatroots Domino K?-06

hey! Le 18 mars dernier, la revue artistique Hey ! faisait son apparition. Son information est pointue, actuelle mais pérenne, destinée aux collectionneurs, aux amateurs d'art, aux curieux. Elle est aussi une source d'inspiration pour les artistes en quête perpétuelle de documentation. Elle est bilingue et privilégie l'image au texte. A l'affiche de ce premier numéro : Kris Kuksi, Turf One, Alëxone Dizac… Du gros kiffe. *Hey !, 17,90 euros, trimestrielle, disponible dans toutes les bonnes librairies.


Web Keith Spielt Noise Boys est la réédition des très rares premiers enregistrements électro punk de Stephan Eicher. Issus d'une K7 tirée à 25 exemplaires en 1980, ces morceaux enregistrés à l'arrache sur un dictaphone et sur du matériel “volé”, laissent déjà entrevoir le succès que Stephan Eicher connaitra avec son frère l'année suivante et le projet Grauzone et leur hit Eisbar. Et comme le dit le communiqué de presse : “CECI N'EST PAS UN DISQUE DE VARIET / RISQUE DE NE PAS CONVENIR AUX PERSONNES SOUHAITANT DEJEUNER EN PAIX”. Avis aux amateurs… * Stephan Eicher, Spielt Noise Boys (LP/CD)

punk

Bon, des sites et des blogs, il y en a 800 000 nouveaux par seconde. Alors voilà une petite sélection des plus cool, histoire de s'y retrouver. Mais n'allez surtout pas croire qu'on a été objectif, on a juste choisi nos potes.

- Cracki records

Cracki, c'est le nom d'un nouveau label créé par trois jeunes Parisiens. Ils viennent d'ailleurs de signer leur premier groupe, Wiffle (www.myspace.com/wiffleband), dont le premier EP, Pegasus, est déjà en ligne. Pour l'écouter, et découvrir avant tout le monde la crème de l'indie pop-rock-electro-hip hop-jazz-et j'en passe, rendez-vous sur crackisworld.blogspot.com. Parfait pour rembarrer vos potes qui pensent toujours tout connaître…

- États du lieu

Une bande de mecs sympas scanne l'actu avec intelligence, humour et originalité. Comme ils le disent eux-mêmes : “C'est le blog de la situation, fin mot du début.” http://etatsdulieu.wordpress.com

- You's

Un site culturel qui propose de nous prouver que la nouvelle génération artistique est déjà en train de faire oublier l'ancienne. On adhère ! www.you-s.fr

- T-post

Ils ont toujours des bonnes idées ces Suédois… Le concept est simple : abonnez-vous et vous recevrez un t-shirt toutes les six semaines (20 euros le t-shirt). Mais pas n'importe lequel : à chaque fois, un artiste différent imagine le sien en s'inspirant d'un article de journal chelou. Une sorte de garde-robe/magazine en somme. Parfait pour faire naître les conversations au premier coup d'œil ! www.t-post.se

- Great Music Today

Petit blog musical très sympa. Faites-y un tour quand vous ne savez plus quoi écouter sur votre iPod. greatmusictoday.blogspot.com

- Die Antwoord

On parle beaucoup de l'Afrique du Sud en ce moment, coupe du monde oblige. Mais on connait moins les talents musicaux du pays. Die Antwoord, c'est tout simplement le meilleur groupe de hip hop depuis Run DMC. Il suffit de regarder le clip de Zefside pour s'en persuader. Et si vous avez le cœur bien accroché, faites un tour dans leur Secret Chamber. Certains n'en sont jamais revenus… www.dieantwoord.com

- Les Archivistes

Les Archivistes passent les nouvelles tendances et l'actu media et culture au peigne fin à travers des articles de fond, des interviews ou de petit post rapides et marrants. Décalé et frais. www.lesarchivistes.com

slips

Vous vous rappelez de l'époque où le rock était engagé ? Bob Dylan, les Clash, Noir Désir ? Eh bien aujourd'hui, les rockeurs vendent des slips. Oui, oui, des slips ! Izia pour Petit Bateau et Les Shades pour Etam… Mais bon, on leur pardonne, crise du disque oblige, faut bien arrondir les fin de mois. Même les Sex Pistols posaient pour Vivienne Westwood en leur temps. Et puis il faut bien l'avouer, pour un après-midi avec Natalia Vodianova, on vendrait bien notre âme au diable…

o r e z

photo : Toinou

kaïra

Finis la mode des fashionblog des it-girls à deux balles. Les mecs de Kaïra Shopping vont enfin vous conseiller d'acheter des trucs utiles ! Du grizzly à la poupée kaïra, de la meute de loups au mini joueur de l'OM, ce télé-achat des cités est le buzz de ce début d'année. Vous allez kiffer bande de batards ! kairashopping.canalplus.fr

40 m2 bondés d'âmes gingembrées, des murs parsemés de tags, une musique de passionnés : depuis plus de cinq ans, c'est l'ambiance qui règne au Zéro-Zéro, d'où se dégagent une joie et une expression urbaine et spontanée. Et sa réputation n'est pas usurpée : le fameux cocktail ZERO est connu dans le monde entier. Une nouvelle page du Zéro-Zéro s'ouvre actuellement : la création d'une web radio en direct du bar, Radio Zéro-Zéro. www.radiozerozero.com 89, rue Amelot 75011 Paris. Métro St Sébastien Froissart


à l’antenne

Gustave de Kervern

Télé punk On peut le voir tous les samedi à 20h20 jouer le journaliste bourré aux méthodes douteuses dans la dernière émission irrévérencieuse du paf, j'ai nommé Groland. Et à l'occasion de la sortie de son film “Mammuth”, avec Gérard Depardieu et Isabelle Adjani (quand même !), Gustave de Kervern a accepté de répondre à nos questions et de confirmer sa réputation de grand gamin blindé d'idées.

Keith : Quel est ton premier souvenir de télé ? Le moment de télé qui t’a fait le plus rire ? Gustave : Je suis né à l'Ile Maurice et on n'avait pas de télé, mais je me souviens de la série Le Bossu, avec Jean Marais, et d'avoir rigolé comme un fou devant les Tex Avery à minuit sur France 3. C'était présenté par Patrick Brion, et il avait une voix vraiment bizarre, très reconnaissable.

Keith : Pourquoi faites-vous jouer des vieux dans Groland ? Gustave : Peut-être parce que c'est un pays imaginaire… J'adore, ce sont les vieux qui ont le plus d'humour, ils n'en ont rien à foutre de leur image. Avant on les trouvait dans les bars, parfois sur les lieux mêmes des tournages, et c'était des poivrots ou d'anciens tenanciers de bordel, des mecs qui avaient des choses à raconter. Ca les fait sortir de leur routine et de leur solitude, et ils sont payés...

s'amusait beaucoup, mais bizarrement ça n'a pas fait beaucoup de bruit. Keith : D'où est partie ton idée des interviews violentes comme celles de PPDA et Laure Manaudou ? Gustave : Je me suis beaucoup inspiré des techniques extrêmes qu'utilisent les paparazzis et j'ai eu l'idée des deux Yougo baraqués qui m'aident violemment à aller chercher les scoops.

Keith : Comment as-tu commencé à la télé ? Keith : As-tu changé de statut par rapKeith : Tu te fixes des limites ? On t’a Gustave : A l'époque où je suis arrivé à port à ton premier film ? Qu'est-ce que déjà reproché d'aller trop loin ? Canal, tout le monde voulait bosser làça fait de diriger Gérard Depardieu et Gustave : Il y a des sujets sur lesquels il bas. Au début, j'ai raté mon entreIsabelle Adjani, quand on vient d'une tien d'embauche, j'étais minable, ne faut pas aller trop loin, émission irrévérencieuse et politiquetétanisé. Puis je suis rentré comme la religion, ou alors en ment incorrecte ? “par la fenêtre”, en faisant un étant le plus fin possible. Si Gustave : On est des artisans du cinéma, faux CV, et j'ai été pris pour le sketch fout le bordel, ça on a fait le casting nous-mêmes, et sans le top 50 avec Ivan le ne sert à rien. Mais on n'a Depardieu on ne l'aurait pas fait. Comme “Avec Bolloch et Bruno Solo. Je pas vraiment de limites, on n’avait pas envie de bosser pour rien, Groland, on ne savais pas du tout chaque auteur a son on n'avait même pas écrit le scénario, et écrire de sketchs donc je univers propre, ses on est allé le voir en lui proposant l'histoire. est les derniers me suis forcé, je me suis idées. Mais je me rapIl était d'accord, et comme on manquait à faire de fait la main en écrivant des pelle notamment un vraiment d'argent lui et Adjani ont accepté l'humour noir jeux de mots, puis j'ai rensketch qui de ne presque pas être payés. Et il nous a contré Moustic, et je suis avait fait même présenté son producteur, Jeanà la passé à Groland. A l'époscanPierre Guérin. Je m'en souviens parce qu'il télévision…” que, Canal, c'était vraiment dale, était neuf heures du matin et qu'on était une usine à talents, avec les avec une dans le restau de Depardieu près de la Nuls, de Caunes... naine folle Bourse en train de faire un assemblage de du cul qui était vin. On était tous fin cuits, et Guérin arrive entourée d'enfants, Keith : Qu'est ce que tu aimes à la télé et accepte de produire le film alors ça n'avait pas plu à tout aujourd'hui ? qu'il n'avait jamais fait de le monde... Et puis aussi Gustave : Je regarde très peu la télé, cinéma avant, juste de Patrick Sabatier, qui m'avait même pas Groland, mais j'aime les émisla télé. Enfin lourdé auparavant et dont je sions à la con, et je zappe beaucoup. Depardieu a vrai“Ce sont les m'étais “rappelé à son bon J'aime regarder La Nouvelle Star par ment été parfait, il vieux qui ont le nous a bien sentis, il souvenir” dans un sketch. Il exemple, je ne sais même pas pourquoi. avait appelé pour gueuler, Et étant fan de foot, je ne rate aucun était très à l'aise et plus d'humour, mais bon, il ne pouvait plus match, même si je zappe souvent à la mitrès disponible. ils n'en ont rien rien faire… temps parce que je m'emmerde. à foutre de Keith : Quelle Keith : Ton sketch préféré Keith : Qu'est ce que tu penses de la vision as-tu du leur image.” avec Groland ? télé aujourd'hui? La télé-poubelle, le cinéma français ? Gustave : Je me rappelle un fait de chercher l'audience à tout prix ? En général et en tant Gustave : Je trouve que c'est bien parce sketch fait en un plan que réalisateur ? que si les gens sont assez cons pour aller séquence, où je faisais un aniGustave : Je trouve le niveau dans ces émissions, qu'ils le payent ! En mateur de télévision odieux, qui plutôt bon, sauf pour les coméfait je regarde ça comme un sociologue, shootait dans les chiens et insultait les dies. Nous, ce qui nous plait dans les gens dans la rue, puis qui devenait tout ça me donne des idées pour mon métier. films, c'est de mêler vrais comédiens et sucre tout miel dès qu'il arrivait au travail T'as toujours un truc à retenir sur l'être inconnus, mélanger les genres dans une humain là-dedans, et ça m'intéresse de et que son émission commençait. J'avais espèce de cour des miracles, on fait voir jusqu'où peuvent aller les gens. Mais trouvé ça drôle et bien foutu techniqueapparaître des dessinateurs aussi, cette je ne comprends pas les émissions de ment. Et puis il y avait aussi les “cont'enfois c'est Blutch mais pour Louise Michel cuisine du genre Un dîner presque parfait. quêtes”, où avec Michael Kael on jouait c'était Rabaté... On ne fait jamais de Comment peut-on être intéressé par ça ? deux journalistes sous coke et ivres morts bouts d'essai, donc on improvise, on Par contre il y a très peu d'émissions qui enquêtaient sur la mort de personnaaime être surpris, il n'y a pas de story d'humour, je pense même qu'on est les ges célèbres genre Marilyn Monroe ou board, très peu de repérages, on veut que Coluche. On allait vraiment loin et on derniers à faire de l'humour noir... le tournage soit vivant. K?-08


photo : Léa Gomez

Keith : Quel est le film qui t’a le plus choqué ? Pourquoi ? Gustave : C'est difficile de me choquer, et je vais très peu au cinéma, mais s’il y a un film que je ne me lasse jamais de regarder c'est The Big Lebowsky. J'adore Herzog aussi, par exemple Les nains aussi ont commencé petit, où tous les rôles sont joués par des nains, et qui se passe dans une maison de redressement dont les pensionnaires se rebellent contre le directeur, qui prend

un d'entre eux en otage et s'enferme, pendant que les autres foutent le bordel. Herzog est toujours étonnant, original, c'est du cinéma terre à terre, axé vers le documentaire.

la flemme de bouger… En fait, ça me fait chier de parler de politique. Le vote blanc, par contre, c'est un vrai vote de contestation, même si il n'est pas comptabilisé.

Keith : Que penses-tu du taux d'abstention des dernières élections ? Gustave : Les régionales ça ne passionne pas les foules, je comprend l’abstention. En plus, c’était le premier jour où il faisait à peu près beau, les gens ont eu

Keith : As-tu été voter ? Gustave : Oui, j'y vais toujours, vaillamment ! Propos recueillis par Pierre de Rougé.


dossier

Kidults Pourquoi les vieux ne veulent plus vieillir ?

Finies les “cocaïne partys” et les after orgiaques, finis les discours politico-bobos à la terrasse du Flore et le snobisme de nihiliste mondain, la tendance est au cocooning régressif, au retour à l'enfance. Si toi aussi tu veux surfer sur la nouvelle vague de la hypitude, suce des Chupa Chups à la pomme acidulée, roule en Mini Cooper jaune fluo, pleure en écoutant les tubes de Chantal Goya et danse sur ceux de Dorothée, trouve ta trottinette tellement plus “écolocool” que ton scooter et regarde l'heure sur ta Flik-Flak Bob l'Eponge en attendant tous tes amis pour une super soirée Monopoly ou la Bonne Paye. Va chercher au fond de toi l'enfant qui rêve de passer des heures sur sa Nintendo 64 à essayer d'éviter les bombes-carapaces à tête téléguidées de Luigi, de collectionner les figurines Dragon Ball Z, d'adorer la niaise Amélie Poulain et de se goinfrer de bonbons à la première occasion. Cesse donc de réprimer ces instincts primaires que tu croyais dûs à une maladie dégénérative du cerveau, mais qui ne sont - je te l'affirme - que les signes annonciateurs de ton appartenance prochaine à la grande famille des kidults. par Léonard Billot

Génération Chupa Chups

C'est bien beau de te balancer tout de go que tu dois volontairement remettre tes culottes courtes et sucer ton pouce pour t'endormir sous prétexte que Keith t'a dit que c'était branché. Mais toi, les kidults, tu n'en a jamais entendu parler. En plus, comme ça, à la première impression, ça sonne plus comme le nom d'une secte de pèlerins lobotomisés que comme le nouveau lifestyle des happyfew du troisième millénaire. Je t'ai compris ! Laisse-moi te briefer. Celui que l'on surnomme l'adulescent (adulte + adolescent) ou le kidult (kid + adult) in english a majoritairement entre 25 et 35 ans. Il appartient à cette génération du baby-boom qui refuse de grandir et développe une grande nostalgie de son enfance. Pour te dresser un portrait à faire pâlir Estelle Denis dans 100% Mag, rajoutons que le kidult, même s'il est impossible de définir un tableau sociologique stable, habite plutôt en ville, est rarement en couple et malgré les dessins animés qu'il regarde sur Gulli, a souvent une situation professionnelle confortable. C'est Tony Anatrella, un psychanalyste

français, qui dès les années 1970, s'est intéressé au phénomène adulescent. Il est d'ailleurs l'inventeur du terme. Constatant déjà une évolution de la société dans laquelle la confusion des générations s'imposait comme ordre social, l'auteur s'est attaché à décrire un monde où le “paraître jeune” est venu briser la stabilité des valeurs qui préexistaient jusqu'alors. L'autorité parentale explosée, l'enfant se trouve privé d'adolescence - on lui permet de vivre comme un grand. A l'adulte qu'il deviendra de rattraper l'insouciance de sa jeunesse inexistante à l'aube de la trentaine. Plus tard et dans la continuité des travaux d'Anatrella, Dan Kiley, un psychologue américain, a conceptualisé le comportement régressif de ces trentenaires. En observant une population principalement masculine et aisée, il a élaboré le syndrome de Peter Pan pour expliquer le décalage important entre l'âge et la maturité de ses patients. Pour lui, le refus de grandir et de passer à l'âge adulte s'explique par une peur de l'avenir, une angoisse vis à vis d'un univers que l'adulescent imagine hostile et rempli de K?-10

Capitaines Crochet pédophiles et sanguinaires, et de crocodiles radioactifs à dents bioniques. Les thèses développées par ces auteurs pour expliquer le comportement régressif des adulescents reposent sur l'observation des grandes évolutions de nos sociétés contemporaines. Sans entrer dans les détails qui pourraient rapidement nous faire tomber dans une analyse sociologique de café du commerce, les trente dernières années se caractérisent par l'apparition du chômage (en particulier chez les jeunes), le durcissement des rapport sociaux (individualisation des trajectoires, hausse des divorces) et par le renforcement du sentiment d'incertitude et de danger dans un monde en guerre (terrorisme, guerre en Irak, délocalisation, catastrophes naturelles, hausses des prix et baisse du pouvoir d'achat.) L'avenir apparaît donc menaçant pour les jeunes générations. C'est pourquoi les besoins de douceur, de confort, de chaleur trouvent une résonance de plus en plus grande chez les adulescents ; qui, en plus de jouir du confort régressif, développent le sentiment socialisant d'appartenir à un



Kidults EDITO

groupe, une communauté. Et pour oublier la morosité ambiante et la fait que demain peut-être, ce sera toi qu'on retrouvera en morceaux épars dégoulinants sur les vitres explosées et sanguinolentes d'un RER atomisé, pourquoi ne pas passer à l'une des soirées kidult organisées tout autour du monde et dont le succès ne cesse de croitre ? Pourquoi ne pas enfiler ton uniforme d'écolier et prendre l'Eurostar direction la dancing Albion où tous les week-ends, des milliers d'adulescentes balancent leurs jupettes plissées dans la lumière stroboscopique des School Disco ? De Londres à Glasgow, de club en club, ces soirées réunissent des jeunes de 18 à 35 ans, habillés en collégiens pour l'occasion. Des nostalgiques des années lycée en mal de première fois (première bière, premier flirt, première main-dans-taculotte-et-pénis-tout-dur-comme-dubois). En France, les soirées spéciales “Héros de ton enfance”, les “Gloubi-boulga nights”, du nom du plat préféré de Casimir, le dinosaure obèse et neurasthénique atteint d'une jaunisse aggravée, ont réuni plus de 20 000 personnes depuis 2001. Le concept est simple : le DJ passe en boucle les musiques des génériques télé des années 1980, Goldorak, Capitaine Flam pendant que tout le monde essaie de se bourrer la gueule au Nesquick et de s'éclater le cerveau aux smarties. Résultat : comme d'hab’ tu finis la soirée à vomir comme un âne en attendant un taxi à 21h30, heure de fermeture de la boite. Seule différence le lendemain, pas de gueule de bois, juste une grosse indigestion de chocolat et trois kilos en plus. Etre adulescent, ça se mérite ! Mais c'est au Japon que le phénomène kidult rencontre le plus de résonance. On estime aux alentours de 10 millions le nombre de jeunes Japonais dont le style de vie s'articule essentiellement autour du divertissement. Par ailleurs, la diversité des modes d'expression du phénomène adulescent témoigne de son succès : le mouvement Kawaï, incarné par Hello Kitty, est résolument régressif et juvénile. Il mixe des éléments puérils et mignons à d'autres plus ambigus et inquiétants. Le Kawaï est devenu l'expression de l'avantgardisme japonais porté majoritairement par des jeunes filles. Le succès est tel que le mouvement s'est rapidement exporté. De Paris à New York, les jeunes filles sont prêtent à dépenser des fortunes pour avoir la face inexpressive du chaton macrocéphale cousue sur le fessier, pendue au sac à main ou sérigraphiée sur leurs capotes. Un autre mouvement qui exprime ce refus de grandir chez les Japonais passe par la culture otaku. Très répandue chez les fans de jeux vidéo et les lecteurs de mangas, cette tendance a dépassé le cadre initial de mode pour devenir un véritable lifestyle. Elle dicte la façon de s'habiller, les

valeurs à suivre, tout un mode de vie basé sur le jeu et le divertissement. Peut-être au Japon plus qu'ailleurs, le comportement adulescent s'impose comme un acte de rébellion contre les normes d'une société encore très marquée par les traditions (famille, travail, autorité des anciens, shintoïsme). La culture pop japonaise et le foisonnement des différents modes de vie sont le reflet d'une société en pleine évolution, qui se construit une nouvelle identité, un nouveau modèle social.

Société de consolation Comme tout phénomène de société, le mouvement adulescent a été récupéré par le marketing. En surfant sur les nouveaux désirs de ces trentenaires régressifs, les marques ont développé des produits particuliers pour répondre à - ou créer - des besoins spécifi-

ques. Le marché de la consommation régressive est en pleine expansion depuis une vingtaine d'années. Constat qui fait dire à Robert Ebguy que “ce qu'on pensait être une société de consommation devient une société de consolation”. Ainsi, les adulescents récupèrent les produits de leur enfance : de la nourriture enfantine (bonbons, sucettes, Nutella et Kinder) aux fringues intergénérationnelles (Petit Bateau, Kickers, et même Levi's) en passant par les voitures au design nostalgique (réédition de la New Beatle, de la Fiat 500). Les Kidults aiment les marques “refuges”, qu'ils connaissent depuis toujours et qui font résonner chez eux un revival de leur enfance. Toujours dans cette optique de retrouver le confort et la sécurité des premières années. L'exemple du téléphone portable est particulièrement éloquent. Comme le souligne Robert Ebguy dans son livre La France en culottes courtes. Pièges et délices de la société de consolation (Lattès), le mobile sera devenu pour les kidults, un substitut du doudou, une peluche pour K?-03 K?-12

adultes. Plus qu'un simple outil de communication pratique, le portable que l'on décore désormais à l'aide de coques personnalisables et de bijoux fantaisies, aurait maintenant une fonction de remède contre l'angoisse et la solitude. Pour Ebguy, le parallèle entre le portable et le cordon ombilical qui nous relie en permanence aux êtres aimés expliquerait le transfert émotionnel du doudou au téléphone. Même les plus grandes marques ont compris le potentiel représenté par le fort pouvoir d'achat de la cible adulescente et ne cessent de multiplier les actions attractives. Ainsi la maison Louis Vuitton, fondée en 1854, qui trouvait son image trop figée voire surannée a embauché le créateur Marc Jacobs pour se donner un nouveau souffle. Fini les “après un bon lifting, rien de mieux qu'un petit tour chez Vuitton”. En 2002, c'est à Takashi Murikami, artiste contemporain de la culture pop japonaise, que la maison Vuitton a confié la mission d'attirer les Kidults. Le style de Murikami, qu'il nomme lui même poku (à la fois populaire et emprunt de la culture otaku japonaise), reprend les codes du manga et de l'imaginaire tiré des film d'animation dont se délectent les jeunes générations. En revisitant le monogramme classique des sacs à travers le prisme de son style tout en couleurs, et plus généralement de toute la ligne de maroquinerie, l'artiste a permis à Vuitton d'entrer sur le juteux marché de la consommation adulescente. Autre figure marquante de la mode qui a su réinterpréter tout l'imaginaire de l'enfance dans un but créatif : le couturier JeanCharles de Castelbajac. Mis à part dessiner des petits anges un peu partout dans Paris et déguiser son ex-miss France de femme en Minnie pour des soirées de modasses, JCDC est devenu le créateur de la génération Kidult. Du parfum Doudou, « premier parfum transitionnel pour adulte”, sorti en 2001 et qui sentait l'odeur de la colle d'école, aux différentes collections qui détournent les grands symboles de notre enfance (montre ODM Légo, sérigraphies de personnages cartoonesques sur à peu près tout ce qui peut se porter), il a sérialisé la branchitude régressive pour en faire sa marque de fabrique. A l'automne dernier, JCDC a ainsi lancé une collection de prêt-à-porter appelée Punkahontas and the ducks, profondément inspirée de l'univers visuel de Disney et composée de tshirt et robes aux couleurs acidulées à l'effigie de Donald Duck, de ses neveux et des autres héros de notre enfance. Et la récupération du mouvement par les affreux capitalistes aux longues dents et gros bidons ne s'arrête pas au domaine de la mode. Tout est déclinable. L'un des phénomènes qui accompagne le mouvement adulescent concerne l'engouement de ces derniers pour les jouets pour adultes, les Art Toys. Ces petites figurines customisées représentant des personnages humains ou imaginaires ont envahi le marché. Fabriquées en Chine, puis habillées par des designers en vue, elles s'appellent les Kubricks, Bearbricks ou


Jean-Michel Basquiat, Keith Haring, Andy Warhol, Takashi Murakami pâtes à modeler de Jacques Pelissier

ARTdulescent

L'adulscence comme mouvement social s'est également largement développé dans l'art. En reprenant les valeurs et les codes caractéristiques de cette tendance : le goût pour les couleurs criardes, le détournement des personnages appartenant à l'imaginaire collectif, l'utilisation de nouvelles matières, l'artiste Takashi Murakami, dont on évoquait la collaboration avec la marque Vuitton plus haut, s'est imposé comme chef de fil d'une nouvelle ère artistique. Avec le mouvement postmoderne, Superflat, dont il est le fondateur, il revendique avec d'autres jeunes artistes japonais comme Chiho Aoshima ou Aya Takano, des influences aussi bien issues du Pop Art warholien que de la culture manga et de l'imagerie des films d'animation. Comme le Pop Art, Superflat tend à réfléchir sur la société consumériste, basée sur le loisir, le divertissement et les médias. On trouve également au cœur de cet art la volonté d'illustrer la confusion de la période vers laquelle la société évolue. Récupérées et encensées par les trentenaires régressifs branchouilles, les œuvres des artistes du Superflat sont peut-être les plus représentatives de ce que l'on pourrait nommer l'“ARTdulescent”. En Europe, le détournement des objets évocateurs de l'enfance est également une matière de réflexion infinie pour les artistes. Ainsi Jeff Koons avec sa série Celebration composées d'animaux géants aux formes arrondies qui rappellent les sculptures en ballons de baudruche de fêtes foraines, élève le kitch au rang d'art. Son œuvre, autant irriguée par les ready-mades de Duchamp que les objets démesurés du suédois Claes Oldenburg ou le Pop Art, matérialise sa réflexion sur la place des objets dans la société de consommation. Aujourd'hui superstar de l'art contemporain, Koons a toujours revendiqué la volonté de faire de l'art accessible au plus grand nombre. A l'instar d'Andy Warhol qui peignait les boite de conserve Campbell pour leur puissance évocatrice dans les foyers américains, les sculptures gonflables de Koons sont perçues comme un point d'encrage dans l'imaginaire collectif de la petite enfance. On retrouve l'“ARTdulescent” au début des années 80 en France. Sous l'impulsion d'artistes comme Benjamin Vautier (juste Ben pour les intimes, celui qui écrit en blanc sur des fonds noirs) ou Robert Combas, le mouvement de Figuration Libre voit le jour. Né d'une volonté de rompre avec les règles de la figuration classiques, cette peinture se caractérise par l'utilisation de matériaux hétéroclites et de couleurs discordantes. Mixant les références à l'art populaire, à l'art brut et à l'imagerie africaine, le mouvement s'inscrit dans le prolongement de l'ouverture de la peinture à des formes d'expression marginalisées. Les fresques des artistes, animées d'un enthousiasme et d'une désinvolture assumée, colorées à l'extrême et regroupant des personnages enfantins influencés par les contes et les légendes, la publicité et la bande dessinée, évoquent un monde travaillé par ses phobies. Aux Etats-Unis des artistes comme Keith Haring, Kenny Scharf ou Jean-Michel Basquiat vont être assimilés à ce mouvement à l'occasion de l'exposition 5/5, Figuration libre France/USA de 1984. Le travail de Haring, résolument “puériliste”, est en effet en perpétuelle résonance avec la naïveté de l'enfance qu'il n'a jamais cessé de rechercher dans son art.


Kidults

QEE. Et c'est le chinois Micheal Lau qui a lancé le mouvement. L'artiste a commencé à la fin des années 1990 à réaliser des petites figurines représentant ses amis et ses proches. En donnant à ses figurines des détails hyper-précis comme la marque des chaussures, le style vestimentaire, il s'est rapidement fait connaître par les marques qui y ont vu un moyen de faire leur promo de façon ludique. Aujourd'hui, les Art Toys sont l'apanage des adulescents qui y retrouvent les caractéristiques des jouets de leur prime jeunesse. Mais alors que certains ne les achètent juste que parce qu'ils leur rappellent les Playmobils, pour les autres les Arts Toys sont de veritables objets de collection qu'on s'échange, compare, revend. Les concept-stores tel que Colette, petit temple de la hype parisienne, ont bien capté l'engouement autour des petites mascottes pour adultes. Colette s'est d'ailleurs rapidement associé à la tendance en distribuant dans ses rayons les figurines de designers les plus selects. Le Store possède même son propre Toys. Et les exemples de récupération promotionnelle se multiplient : pour ses trente ans, Nike a associé l'un de ses classiques, le modèle Air Force 1 au phénomène Toys, en proposant un Bearbricks Nike collector. Plus massivement, les Daft Punk à la sortie du DVD Interstella, film d'animation manga

réalisé par Kazuhisa Takenouchi et Daisuke Nishio, maitres du genre, ont mis sur le marché 5555 Bearbricks à leur effigie robotique. Parfois le détournement des jouets pour enfant va plus loin. C'est le cas par exemple de la créatrice de mode Sonia Rykiel qui a réinterprété le traditionnel canard de bain pour en faire un sex toy provocant et chic. Vibromasseur, le petit jouet joue sur la nostalgie enfantine et la perversité ludique des acheteurs en détournant l'objet de son usage initial. Rapidement devenu un must have chez les adulescents, le canard Rykiel a quasiment acquis le statut d'objet décoratif. Comme le souligne Corinne Maillet dans le très complet Le marketing adulescent, comment les marques s'adressent à l'enfant qui sommeille en nous (Village Mondial) : “L'apparence d'un objet, sa finition, son raffinement sont des éléments prépondérants dans la décision d'achat des Créatifs Régressifs (sous-groupe de Kidults, ndlr). Comme l'explique un designer qui a lancé une ligne de canapé Cocoon Evolution aux formes organiques et aux couleurs vives, le design n'est plus réservé à une certaine catégorie sociale mais participe à une recherche identitaire.” Le design est donc un autre élément particulièrement marketé pour la cible adulescent. Et la vague rétro seven-

ties qui déferle sur le marché aussi bien de l'automobile que du mobilier, trouve une résonance toute particulière chez les trentenaires émus de retrouver les modèles de leur enfance. Corinne Maillet évoque ainsi le retour en grâce du tabouret TamTam, dont la réédition aux couleurs Fluo, Pop ou Kristal, aux matières transparentes est en pleine adéquation avec le phénomène adulescent. Elle analyse même les différentes raisons du succès de cette réédition en soulignant l'attachement collectif générationnel de l'objet. Au même titre que la Kaleidoscope House, cette maison de poupée ultradesign créée par L. Simmons et P. Wheelwrights. Vendue au rayon “jouets” de la boutique du musée d'Art Moderne de New York, devenue un objet culte de la génération kidult. Tu l'auras donc compris, le style en 2010 se décline au régressif. De la mode au design, de Londres à Tokyo, les adulescents sont les nouvelles coqueluches du marché des branchés. Alors trêve d'excuse, puisqu'on te dit que c'est sociologique, laisse resurgir l'enfant que tu n'as jamais cessé d'être : sucette au bec et kickers au pieds, la première tournée de menthe à l'eau, ce soir, elle est pour toi.


Au jeu des familles

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La Manga pouf' :

La manga pouf', malgré ses 28 ans, continue de penser que Nicky Larson va venir la sauver de son DH tortionnaire, nain libidineux aux lunettes en cul de bouteille, qui ne cesse de la harceler sexuellement à la machine à café. Elle n'a toujours pas compris que venir au boulot déguisée en Sailor Moon ne fera pas d'elle une héroïne du quotidien. Tous les samedi soirs, la manga pouf' retrouve ses copines Sailor Mars et Sailor Jupiter autour d'un plat de sushis pour commenter l'évolution de leurs rhums vaginaux forcement, à se promener en mini-jupe en plein hiver. Le soir, en s'endormant dans sa chambre aux murs couverts de posters Pokemon, la manga pouf' philosophe : “M'en fous, demain je prend ma trottinette direction Tokyo.”

L'adulescence est un mouvement à multiples facettes qui recèle bien des surprises. Si toi aussi, tu hésites encore à te lancer dans cette nouvelle tendance, voici quelques exemples qui, je l'espère, t'aideront à faire un choix.

Le Gamer farouche :

Impossible de savoir à quoi ressemble le Gamer farouche. Enfermé 23h sur 24 dans la pièce qui lui sert de caverne, le Gamer farouche ne sort presque jamais. Il défèque dans des bocaux qu'il entasse dans les coins et mange des insectes qu'il chasse puis fait cuir au ventilateur surchauffé de son ordinateur. Après 33 ans d'une existence spartiate de chasseur sur les terres d'Azeroth (monde virtuel du jeu World of Warcraft), il s'est marié à une charmante Taurens (avatar à tête de bœuf et recouverte de poils) et élève en toute quiétude ses trois enfants Trolls. Sinon, dans sa vie ? Ca va… doucement.

Le ScientificoGeek :

Lauréat du bac à 12 ans, thésard à 14, le scientificoGeek est aujourd'hui physicien. Il travaille ardemment sur le raisonnement thermodynamique du sens physique des probabilités. Attention, le scientificoGeek ne doit pas être confondu avec le Gamer farouche. Malgré son penchant pour les jeux vidéo, il sait partager son temps entre ses multiples passions : les comics, la physique, les comics et heu… la physique. A 25 ans, il habite toujours chez ses parents car malgré sa capacité à résoudre des équations à 35 inconnues de tête, en jouant au jokari sous la douche, le scientifoGeek n'a appris à faire ses lacets qu'à l'âge de 17 ans. Il ne sait d'ailleurs toujours pas ouvrir une boite de conserve et à vivre seul, il risquerait de mourir de faim. Cruelle nature.

Le FreakyBaby:

Vers 18h30, dans le métro qui le ramène du bureau, le freakybaby n'a qu'une chose en tête : enfiler une couche. Oui, oui j'ai bien dit une couche. Malgré ses 33 ans, le freakybaby rêve de se déplacer en landau et milite ardemment pour faire de sa passion une discipline olympique. Le soir, hochet en main, nu dans sa couche, il tanne son conjoint désespéré pour avoir sa fessée. “Quand tu auras fini ton pot de Blédina, chéri”. Et le freakybaby existe, croix de bois, croix de fer si je mens je vais en enfer. Sainte-Anne le recherche activement.


Kidults

Pris pour

cible

Corinne Maillet est analyste financier spécialisé en bien de grande consommation. Auteur en 2004 du livre “Marketing adulescent” (Village Mondial), elle s'est penchée sur les trentenaires régressifs pour comprendre comment ils étaient devenus les cibles d'un marché en pleine expansion.

Keith : Qu'est-ce qu'un adulescent selon toi ? Corinne Maillet : Un adulescent est un jeune adulte âgé de 20-35 ans qui éprouve une certaine nostalgie de son enfance et qui exprime celle-ci par le biais d'une consommation ponctuelle d'objets et services lui évoquant la douceur et l'aspect ludique propre à l'enfance (T-shirt Hello Kitty, pot de Nutella, Art Toys, etc). Il est plus facile de parler de l'adulescence comme un comportement plutôt que d'une classe sociologique à proprement parler. Il s'agit le plus souvent de jeunes citadins provenant de milieux aisés, ayant effectués des études supérieures et des professions diverses et rémunératrices avec de fortes exigences de mobilité (media, finances, conseils, mode). On trouve peu d'adulescents en campagne ou dans les milieux ouvriers. Keith : Tony Anatrella a observé ce mouvement dès les années 1970, dans quelles mesures penses-tu que le phénomène a évolué ? Corinne Maillet : Quarante ans plus tard, le syndrome de Peter Pan est toujours là et il s'est étendu. Le phénomène adulescent s'est propagé depuis les années 1970, il est difficile de dire s'il est apparu aux Etats-Unis ou bien au Japon. Ce que l'on peut dire c'est que la nostalgie de l'enfance liée au stress de la vie adulte s'est exprimée de façons différentes sur les quatre continents. Le phénomène a tout d'abord été étudié d'un point de vue sociologique, puis, depuis le début des années 2000, nous sommes passés à une analyse marketing. Les entreprises ont compris qu'utiliser les valeurs positives liées à l'enfance (joie de vivre, créativité, innocence, protection) était une façon d'offrir une seconde jeunesse à leurs marques/produits. Keith : Comment peut-on expliquer le comportement des adulescents ? A quoi aspirent-ils ? Corinne Maillet : Le comportement des adulescents s'explique par le stress lié à la vie quotidienne. Dans une économie mondialisée, où les risques de chômage, divorce, attaques terrorismes sont bien présents, l'individu adulte doit faire face à un mode de vie plus rapide, plus flexible et extrêmement mobile. Il n'est pas rare qu'un jeune adulte de 30 ans ait déjà vécu dans 5-6 villes différentes au cours de ses études et de ses expériences professionnelles. De plus, les cellules familiales et les réseaux d'amis se sont affaiblis suite à cette mobilité et également à ce désir de changer plusieurs fois d'identité au cours d'une vie. La communication avec sa famille et amis devient de plus en plus virtuelle et éphémère (Facebook, SMS etc.) Face à ces facteurs de stress et aux responsabilités de l'âge adulte, l'adulescence est un comportement quelque peu régressif qui invite à la recréation par le biais de la consommation. Le consommateur adulescent aspire à retrouver la part ludique et innocente de son enfance, il recherche le lien émotionnel dans le produit, mais aussi à se différencier des autres adultes en revendiquant son droit à s'amuser et à ne pas se prendre au sérieux.

mode (La mode s'est inspiré d'Alice aux Pays des Merveilles et autres contes enfantins cette année), il s'agit le plus souvent de consommateurs branchés en quête d'authenticité qui sont prêts à mettre le prix pour un bout de leur enfance.

Keith : La cible adulescente est-elle une simple construction marketing ou renvoie-t-elle à une réalité sociale préexistante ? Corinne Maillet : La cible adulescente, comme toute cible marketing, s'appuie sur une réalité sociale préexistante. Le marketing est un moyen de communiquer avec cette cible et de la séduire. Keith : Penses-tu que ce refus de grandir qui caractérise les adulescents soit “dangereux”, pathologique ? Corinne Maillet : Dans mon ouvrage sur le marketing adulescent, je dresse une topologie de la cible adulescente en expliquant qu'elle se divise en plusieurs segments : les doudou addicts pour les plus régressifs qui refusent tout type de responsabilités (une faible minorité), les trend setters pour le plus branchés, les trend followers pour les consommateurs plus tardifs etc… Je pense que le phénomène n'est pas du tout dangereux tant qu'il s'agit d'un comportement ponctuel qui s'inscrit dans un cadre familial et professionnel normal. Il s'agit d'une aire de recréation dans la vie adulte, rien de plus.... Keith : Comment vois-tu le phénomène évoluer dans les prochaines années ? Corinne Maillet : Je pense que la nostalgie de l'enfance a toujours été présente chez les adultes. Aujourd'hui, elle s'exprime le plus souvent par une consommation “de niche” réservée à une classe aisée habitant en milieu urbain. Le phénomène a pris de l'importance dans une société où “être et rester jeune” constitue le modèle dominant (les magazines de mode et la publicité mettent en avant des jeunes gens de 15-35 ans, rarement plus âgés...) Je pense que le phénomène va perdurer et restera propre aux pays développés ou certains jeunes adultes bénéficient d'un pouvoir d'achat élevé. Après la génération Casimir, il y a la génération Hello Kitty etc. Le phénomène est maintenant bien connu et reconnu par les entreprises, c'est pourquoi la consommation adulescente s'est vulgarisée avec certains produits qui sont entrés dans la consommation courante (doudou, breloques pour customiser les téléphones portables, etc.) Propos recueillis par Léonard Billot.

Keith : Le phénomène adulescent existe-t-il dans les sociétés peu développées ou n'est-il que l'apanage des sociétés industrialisées ? Corinne Maillet : Les adulescents proviennent majoritairement de milieux aisés, par conséquent le phénomène est plutôt propre aux pays développés. Le besoin de retrouver le cocon de son enfance et de montrer que l'on est encore jeune à 35 ans est un besoin secondaire propre à un consommateur qui cherche une reconnaissance sociale au sein d'un groupe. De plus les objets et services qui s'adressent aux adulescents sont le plus souvent proposés à des premium par rapport au prix moyen de leur catégorie. Le phénomène adulescent est proche des milieux de la

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Les envahisseurs Les adulescents sont partout. Ils ont envahi la société. Des plateaux télé aux émissions de radio, des bacs de la Fnac aux rampes de défilés, tu ne peux pas les manquer. Pour savoir qui est “in” et qui est “out” de mouv', Keith te dresse la listes des 6 personnalités kidult qui peuplent ton quotidien médiatique.

Le Kidult licencieux : Pierre Perret.

Age mental : 8 ans Age réel : 75 ans Sous ses airs de papi joyeux aux joues rebondies et à l'œil espiègle, le chansonnier cache un adulescent en puissance. Ses chansons au ton enfantin un peu naïf mélangent depuis plus de 50 ans humour et grivoiserie. Rendu célèbre par ses élucubrations autour du zizi dont il veut tout nous apprendre, il continue aujourd'hui de chanter sur un ton badin les choses de la vie.

Le Kidult tragique : Michael Jackson.

Age mental : 11 ans Age réel : mort à 50 ans Incarnation vivante (enfin… façon de parler, hein) du syndrome de Peter Pan, Bambi est l'exemple même de l'adulte qui a refusé de grandir. Vivant dans son ranch de Neverland (nom du pays imaginaire de Peter Pan), Michael (j'aime cette façon que le gens ont de l'appeler par son prénom comme s'il était leur cousin) entre deux aimait faire de la grande roue en mangeant du popcorn, regarder des dessins animés avec ses amis mineurs avant une bonne partie de touche-pipi, et heu… se gaver de Smarties au Valium.

Le Kidult scato : Difool

Age mental : 15 ans et 11 mois Age réel : 41 ans (mon dieu, les enfants, ça nous rajeunit pas) Depuis 20 ans, Difool passe ses soirées en compagnie d'adolescents pré-pubères aux problèmes sexuels multiples : “A chaque fois que je pénètre ma copine une fumée violette lui sort de l'anus et ses oreilles se mettent à enfler, est-ce que ça vient de moi ?”, “Le mois dernier, avant de sodomiser ma copine, je lui ai élargi le trou de balle avec un manche de pioche, depuis elle ne peux plus manger de choses épicées, combien de temps cela va-t-il encore durer ?” ou “Hier, j'ai décapité ma copine avant de me masturber dans la plaie béante, suis-je normal ?” A plus de 40 ans, Difool continue son cheminement existentiel à la recherche de la vérité absolue.

Le Kidult has been : Dorothée

Age mental : 7ans et demi (c'est elle qui le dit) Age réel : 56 ans Animatrice mythique des trentenaires, Dorothée revient après 15 ans d'absence médiatique. Incarnation des premiers émois sexuels pour toute une génération (ah non… on me signale dans l'oreillette qu'elle n'a été un fantasme pour personne. Ça doit être moi alors), Dorothée s'est également fait connaître grâce à la puissance évocatrice de ses textes de chansons : “Même s'il a beaucoup de charme/ Même si parfois il me désarme/ Hou ! la menteuse/ Elle est amoureuse.” Elle revient en avril avec un nouvel album Dorothée 2010 et plusieurs dates à l'Olympia. J'en trépigne d'impatience.

Le Kidult richissime : Richard Branson

Age mental : 15 ans Age réel : 59 ans A 15 ans, on a tous passé des nuits entières avec Kurt l'amis hollandais, sous la tente en camping dans le Limousin, à se demander ce qu'on ferait avec un millions de francs (Eh oui jeune con, quand on avait quinze ans, nous, on parlait en francs), Richard Branson, le richissime créateur de Virgin, lui, à trouver la réponse. Avec ses 3 milliards de livres (de tête, ça fait aux alentours de 3 377 220 000 d'euros), il joue à l'aventurier : traversée de l'Atlantique en ballon gonflable, voyage dans l'espace, tour de monde en bateau, construction de sous-marin. Branson à l'imagination infinie des enfants, à la hauteur de sa fortune.

Le Kidult pop régressif : Mika

Age mental : 8 ans Age réel : 26 ans Gesticulant, coloré et sûrement castré, le jeune chanteur libanais a imposé sa pop stridente dans le monde entier. Faisant du passage de l'adolescence à l'âge adulte (qu'il n'a objectivement pas optimisé) le thème récurrent de ses chansons, Mika cultive un style volontairement enfantin influencé par l'imaginaire Disney qu'il met à toutes les sauces dans ces clips saturés d'arcs en ciel, de fleurs et d'oiseaux épargnés par la marée noire. Les petites filles de 7 à 77 ans en sont folles et même quelques hommes, en pleine quête identitaire, se mettent à balancer les hanches au rythme simpliste de ces compos



cinéma

Lady Gaga

&

“London Nights” : la matière 2010 ?

Après l'immense vague journalistique de rétrospectives des "Années 2000" en début d'année, on peut dire que ces années paraissent synthétisées et clarifiées d'un point de vue culturel. Elles ont maintenant des couleurs, des spécificités propres: une matière. Il ressort indéniablement que cette décennie était celle de la conclusion de 30 années de diversités culturelles dont l'influence n'a jamais cessé de quitter la tendance actuelle. Les années 2000: remettre à l'ordre du jour, refaire, remaker, sampler. En ce qui concerne la vidéo, qu’en est-il de la tendance d'aujourd'hui, 2010 ayant à peine commencé ? Peut-on déjà apercevoir des esquisses de la matière de demain ? Voici nos prévisions…

Au crépuscule des années 2000, le clippeur Ray Tintori sort pépites sur pépites. Il invente avec MGMT des indiens néo-psychés perdus entre le psychédélisme des années 70, le zeste de ringardise 80, et le côté geek/new rave des années 2000. Des lumières néons en plein jour dans Time To Pretend et Electric Feel de MGMT, le datamoshing et ses transitions d'images qui ressemble à un bug dans Evident Utensil de Chairlift. C'est original, c'est beau, c'est nouveau. Mais alors... ce serait ça le renouveau du vidéo clip, le style caractéristique des années 2010 ? Non. C'est définitivement trop indie pour être le déclencheur d'une vague grand public assez représentative pour valider une telle tendance. Maintenant il faut des dizaines de millions de vues sur Youtube et des passages en boucle sur MTV pour entrer dans la légende. On attendait le hit commercial accessible et adoré par tous pour nous persuader qu'enfin, les années 2010 pouvaient être marquées au fer rouge par leur digne premier représentant. Et le clip de Lady Gaga et Beyonce, Telephone a débarqué.

frange en moins, rencontre le mec parfait, mais voit petit à petit leurs jeux déraper. Elle l'a perdu de vue, et le cherche en vain, sans numéro ni même prénom, dans une ville pleine de souvenirs de ses instants avec lui. Un film sur la jeunesse de Londres, les sorties, la musique, les potes, les néons, l'amour, le sexe, tout ça. En apparence, on peut penser à de la naïveté de la part du réalisateur. Le film est bourré de clichés de la culture bobo internet. Les déguisements de tête d'animaux, les contre-jours, les images polaroïd-isantes... Mais cette naïveté ressort car le cinéma indépendant nous a habitués à l'étiquette de "film réaliste" montrant violence et sexualité frontalement (Larry Clark, Danny Boyle, Todd Solondz). Dans London Nights, l'idée est qu'il est possible de faire un film sur les jeunes ponctué d'images esthétisantes qui leur parlent, sans tomber dans le trash. Et à travers ce pot-pourri d'influences diverses, London Nights devient un film-témoignage sur la vie de la jeunesse d'aujourd'hui.

Telephone et London Nights sont ainsi les réflexions d'une culture vidéographique en devenir, et par leurs poids et impacts si différents, on peut se demander ce que ces reflets de notre époque laisseront comme trace. Telephone est le produit 2010 de l'objet filmique consommé par les jeunes et London Nights ressemble à un almanach filmé de cette même décennie. Mais dans 30 ans, que restera-t-il de ces deux œuvres dans l'inconscient collectif ? Laquelle sera la plus représentative des goûts d'aujourd'hui ? Visualiserons-nous 2010 par les couleurs du clip de Lady Gaga ou par les images de London Nights qui pourraient presque se confondre avec notre réalité présente ? Avec ce flux gigantesque de vidéos en perpétuelle expansion, on boit des images à longueur de journée, avec une difficulté croissante à dater et à rassembler les tendances, devenues d'innombrables microcosmes. Espérons que nous arriverons à les catégoriser correctement afin de les mettre en valeur, et ainsi avoir un souvenir identifiable de notre décennie. L'avenir nous le dira. Bienvenue dans les 2010's !

Et si les années 2010 c'était ça tout simplement ? Le grand retour du clip depuis Try des Smashing Pumpkins. Depuis Thriller de MJ ! Des images ultra référencées sur la culture 2000, une overdose de fringues concepts (Le Haus Of Gaga ressemble de plus en plus à la Factory de Warhol), des placements de produits assumés et plus gênants. Mais où sont passées les références des trente dernières années dont on s'abreuve d'habitude quotidienDR nement ? Les clins d'œil aux films d'exploitations seventies meurent dans ce clip. On ne copie plus l'original, on calque la copie de la copie. La base, la matière première, n'est plus ingérée. C'est une resucée des 00' que l'on a devant les yeux. La vidéo numérique n'essaye même plus de copier la caméra argentique pour faire Vintage. Maintenant, le rendu fait penser à une image numérique vieillie par un temps virtuel. Une image lisse aux couleurs d'une putréfaction saturée sur Photoshop. Comme un capteur digital cramé par le soleil.

Stan Coppin

Mais 2010, d'un autre côté, c'est aussi London Nights de Alexis Dos Santos, qui sort le 28 avril. L'histoire d'un garçon qui vient d'arriver à Londres et a de sérieuses difficultés à se souvenir de la veille lorsqu'il se réveille sur le canapé d'un autre. Il vit alors dans un squat, sort, s'éclate, et cherche son père aussi, qui l'a abandonné lorsqu'il était petit. De l'autre côté, une fille, qui ressemble à ces nerds un peu autistes dont on tombe amoureux dans les films, une Zooey Deschanel, les lunettes vintage et la K?-19


cinéma/actu

AÏE CA PIQUE ! “L'épine dans le cœur”, de Michel Gondry. Sortie le 21 Avril 2010

Ca fait bizarre, un Gondry raté. Ca me la coupe même, normalement c'est toujours “humour absurde, inventivité, maquettes à l'arrache et carton dans tous les sens”. Mais là, en fait, non. Ou presque pas. Durant 1h30, on suit la vie de Suzette, une tante de Gondry, des années 1950 jusqu'aux eightie's, période pendant laquelle elle était prof dans les Cévennes. Oui, c'est un documentaire, voilà. Mais avec plein de petits trucs en plus, pour le meilleur et pour... le reste. Il y a du bon, hein, comme l'histoire de l'arrivée, en 1962, des premiers enfants de harkis scolarisés, et la rencontre avec un de ces gosses, aujourd'hui un grand bonhomme charismatique. Ou la reconstruction d'un mini cinoche dans la forêt, ce genre de choses. Mais bon, on a un peu l'impression d'être sur Arte quand même, malgré les rapides scènes de maquettes rigolotes et quelques plans inventifs. Et puis il y a l'aspect téléréalité. Les questions qui font pleurer la pauvre tante, les gros plans interminables sur ses larmes, le coming out de son fils, l'utilisation des conflits entre eux. Et là, on sort du Gondry qu'on aime pour rentrer dans le voyeurisme inutile, la télé-gerbe. Parce que ces séquences se répètent tout au long du film, et que son but réel reste obscur. Pas très cinématographique, un peu grossier, mal défini : en définitive, un premier pas raté dans l'univers du docu, et c'est dommage. De la part de Gondry, on était en droit de s'attendre à mieux. Pierre de Rouge

SOUS LES BOMBES “Green Zone”, de Paul Greengrass. Sortie le 14 Avril 2010

19 mars 2003 : les premières bombes américaines s’abattent sur Bagdad. L’un des généraux de Saddam Hussein fuit en panique sa résidence devenue une cible potentielle. D’entrée de jeu, la caméra est portée à l’épaule, le montage incisif, la musique oppressante : nous sommes bien dans un film de Paul Greengrass, réalisateur de Bloody Sunday et La Mort dans la Peau. Maintes fois copié (comme en témoigne le dernier James Bond), mais rarement égalé (comme en témoigne le dernier James Bond), le style du cinéaste britannique a ceci de particulier qu’il crée une tension permanente qui s’adapte parfaitement ici au genre du thriller. Car, comme s’en défend le réalisateur, Green Zone est un thriller avant d’être un film politique. Un thriller redoutablement efficace, qui plonge le spectateur en apnée durant deux heures. En effet, Greengrass, et c’est là sa force, ne laisse aucun répit au public qui est amené à suivre le personnage de l’adjudant-chef Miller (brillamment interprété par Matt Damon) dans sa traque du général irakien, censée faire éclater au grand jour la vérité concernant des armes de destruction massive fantomatiques. Un scénario politique donc qui constitue la seconde grande réussite de ce film. Pensé par Brian Helgeland (auteur du prochain Robin des Bois de Ridley Scott), à partir du livre de Rajiv Chandrasekaran, qui fut envoyé spécial pour le Washington Post en Irak, le scénario de Green Zone laisse de côté le quotidien des soldats, qui a déjà fait l’objet d’adaptations cinématographiques (le récemment oscarisé Démineurs de Kathryn Bigelow, ainsi que l’excellent Redacted de Brian de Palma), pour s’attaquer aux rouages de la politique et surtout à ceux qui les manient. À partir d’une intrigue de fiction, Green Zone propose ainsi au spectateur une incroyable analyse du conflit irakien, de sa cause à la manière catastrophique dont il a été géré. Mêlant à la perfection action et réflexion politique, Greengrass prouve qu’il fait partie de ces cinéastes qui disposent d’une réelle patte visuelle, parfaitement mise au service d’une thématique passionnante. Stanislas Marsil

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BALLADE À MOTO “Mammuth”, de Gustave de Kervern et Benoît Delépine. Sortie le 21 Avril 2010

Ce serait avec Serge Pilardosse (Gérard Depardieu), ou plutôt “Mammuth”. Il nous emmènerait farfouiller dans quelques secrets passés. Les cheveux longs, qui dansent, à la rencontre d'une goutte de soleil. On quitterait une Catherine (Y. Moreau) rassurante et touchante, pour retrouver une nouvelle jeunesse. On rencontrerait nos vieux souvenirs. Ceux qui nous enivrent, nous déchirent. Nous font rire aussi. Ils parsèment cette ballade à la dérive. Surgirait alors cette excitation que l'on pensait perdue. Celle de l'inconnue, du neuf. On ne saurait plus où regarder, où aller. C'est un peu ça aussi l'aventure. Les rencontres s'imposent. Une nièce inconnue, un chercheur de trésor, une amoureuse perdue. On aurait l'impression d'être comme dans un film. Vous savez, ceux de notre enfance, avec l'image en pointillés, les couleurs délavées. De jolies notes dans le fond, et puis cette moto, seule sur la route, entre ciel et vert, qui file, qui court. La balade s'arrête. On met un pied à terre. Les lumières se rallument. Pour celles et ceux qui ont soif d'étrange, de curieux, de touchant : courez le voir ! Julia Canarelli

Comment descendre le film “Rage” dans une soirée bobo en quatre points 1.La réalisatrice Sally Potter a pris le parti de faire croire à un faux film d'étudiant (réalisé par un apprenti-réalisateur présent car cité - mais invisible) constitué d'interviews liées au backstage d'un défilé de mode, le tout théoriquement réalisé à l'aide d'un cellulaire. Filmé en vidéo professionnelle, l'aspect de l'image n'a justement rien à voir avec une vidéo de téléphone portable. Le parti pris visuel n'est plus assumé dès la première minute. Les acteurs sont sur des fonds de couleurs vives, appuyant donc le coté superficiel du background choisi. Bien, si on exclut le fait qu'une heure vingt de fonds colorés n'est pas tenable. Résultat : le choix artistique ambiance pop-art et minimalisme lumineux enferme directement ce film à la case Art & Essai. 2.Le sujet, d'abord axé sur le défilé, s'oriente finalement sur un drame que l'on ne verra bien sûr jamais. Derrière tout ça, une prétendue critique du système que l'industrie de la mode représente le mieux. Le fond, en plus d'être en contradiction avec la forme, manque d'impact. Les personnages sont plus cliché les uns que les autres. L'œuvre est d'une fadeur stylistique aberrante. Le scénario - malgré quelques rares envolées textuelles sympathiques - ne parvient jamais à captiver au point de faire oublier l'enclos (qu'aurait pu décorer un LaChapelle) dans lequel les personnages se perdent en attitudes surjouées. 3.La méthode choisie est des plus bancale. Cette volonté de cinéma épuré (naked cinema) est étouffante car sans conviction. Quelques sons hors champ et de légères interactions avec la caméra-réalisateur ne suffisent malheureusement pas à faire vivre un concept trop extrême. La réalisatrice semble avoir surestimé l'écho de sa dictature filmique. Que dire du casting à part la présence médiatisée d'un Jude Law travesti, malheureusement coincé dans un personnage forcement déjà vu (et en mieux). 4.Sally Potter s'impose des limites en pensant que le résultat qui en découlera pourra être un film, mais elle les utilise mal, s'enfermant dans un procédé trop obtus. Il faut profiter des limites pour inventer des parades, les utiliser comme des alliés. Un fond coloré et une caméra statique ne sont pas des ennemis si on ne s'arrête pas à eux. Des œuvres plus originales mais moins épurées ont su trouver leurs publics, des pièces graphiques semblables à Rage ont aussi su le faire ... dans des expositions. Alain Guillerme Rage, de Sally Potter. Sortie avril 2010


cinéma/actu

DANS LA PEAU DE PAUL GIAMATTI “Ames en stock”, de Sophie Barthes. Sortie le 5 mai 2010

Paul Giamatti - dans son propre rôle - est un type charmant. Sans doute plus névrosé ici que dans la vraie vie, il semble prêt à tout pour se vider la tête. Faute de diable, c'est le Docteur Flinstein (David Strathairn), directeur de la banque des âmes, qui lui propose un pacte : ôter sa conscience contre quelques dollars. Paul hésite, refuse, hésite encore, puis s'engouffre dans une grande machine - un genre d'IRM au design futuriste. L'histoire commence là, elle finira en Russie chez des trafiquants d'âmes, mais on est bien loin de tout savoir. Si un tel synopsis peut évoquer la science-fiction, dans les faits il n'en est rien. Cuvée 2007 du Sundance Institute, le film convoque plutôt un univers surréaliste à la Spike Jonze (Dans la peau de John Malkovich, Adaptation, etc.). Par l'humour pince-sans-rire d'abord, la mise en abîme de l'acteur, mais aussi par l'ancrage de l'action dans un contexte contemporain. Seule différence d'époque : l'extraction d'âme remplace l'ordonnance de Prozac, voilà pour le satirique. De la satire au film moraliste, il n'y a qu'un pas, malheureusement franchi. L'humour est trop discret pour sauver des clichés du genre, et les inévitables questions existentielles nous noient dans de l'eau de rose. Parmi les répliques qu'on préférera oublier : “M'aimerais-tu quand même si je n'étais pas le même à l'intérieur ?” Ames en stock se loupe de peu, un problème de dosage sans doute. Car tous les ingrédients sont pourtant réunis, jusqu'au casting magnifiquement mené par Paul Giamatti. Sophie Barthes n'en est qu'à son premier film, le prochain sera sans doute le bon. David Abittan

I LOVE PAS DU TOUT “New York, I love You”, de Mira Nair, Fatih Akin, Yvan Attal… Sortie le 14 Avril 2010

Si on avoue avoir aimé Paris je t'aime (et à raison !), impossible d'épargner son désolant pendant New-Yorkais, pur produit commercial qui ne tromperait pas le plus feel-good d'entre nous. Melting pot-pourri de romantisme urbain sur fond de pop branchouille, New-York I Love You ne parvient même pas à donner l'illusion d'une production semi-indépendante délibérément légère. Les histoires qui se succèdent manquent cruellement d'originalité et de fraîcheur malgré un casting plutôt cher (Orlando Bloom, Andy Garcia, Natalie Portman…), preuve que ni les onze réalisateurs, ni aucun acteur ne s'est vraiment senti plus qu'“invité” sur le film. La ville de NewYork, qui se résume apparemment au quartier de Manhattan, une rame de métro et -attention spoiler- un taxi jaune, a un goût désolant de streetdécor. Sans aller jusqu'à regretter la participation de Scarlett Johansson au film finalement annulée (court-métrage disponible sur Youtube histoire de rire quand même un peu), il reste que ce film choral semble avoir été réalisé par une seule et même personne. Et pourtant le film est mal orchestré, les histoires s'entremêlent bêtement si bien que l'on ne distingue plus qui sort déjà/à la fin avec qui. Et au fond, ça nous est un peu égal, parce qu'on n'y croit même pas. Laura Roguet

GUEULE DE BOIS “Nuits d'Ivresse Printanière”, de Lou Ye. Sortie le 14 Avril 2010

Une femme engage Luo Haitao pour suivre son mari. Elle découvre que ce dernier la trompe avec un homme. Cet homme se rapproche de Luo Haito (qui lui aussi est déjà avec une femme) et l'histoire semble recommencer. Comme les saisons qui reviennent chaque année… Les fleurs, la pluie, la fumée des cigarettes, les premiers rayons de soleil, les néons colorés de la nuit, le film aurait pu nous emporter dans la douceur et la destruction que provoque l'amour, avec pour toile de fond un printemps urbain. Primé à Cannes en 2009 pour son scénario, Nuits d'Ivresse Printanière, pourtant, ne nous embarque pas. Le récit est fouillis, on discerne mal les personnages et les sentiments restent flous. Tout au long du film, nous sommes à la recherche de l'ivresse, de la fièvre que nous promet le titre, croyant désespérément que l'image suivante, que la scène suivante viendra nous surprendre, en vain. Très loin de la puissance et de la subtilité d'Une Jeunesse Chinoise (son précédent film) qui nous avait transportés à Tiananmen, dans une histoire d'amour destructrice entre deux étudiants, Nuits d'Ivresse Printanière nous laisse le souvenir d'une sinistre image digitale, de scènes crues et pénibles et d'un son strident, assommant. Tout sauf la nuit d'ivresse printanière dans laquelle nous avions envie de nous plonger. Zoé Capdevielle

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VEUVE NOIRE CHAUFFÉE À BLANC “La Comtesse”, de Julie Delpy. Sortie le 21 avril 2010

Hongrie, XVIIe siècle. Endeuillée d'avantage par la fugue de son jeune amant, qu'elle croit être le fait d'une rivale plus jeune, que par la mort de son époux, la cruelle et puissante comtesse Erzsébet Báthory cherche dans le sang de jeunes vierges une nouvelle cure de jouvence. Une Comtesse écrite, réalisée, mise en musique et interprétée par Julie Delpy. Ça sonne bizarre, un film de Julie Delpy, après un pitch aussi gothique. Rappelons au passage que c'est elle qui se mettait en scène dans le branché mais réussi 2 Days in Paris. Comparée alors à Woody Allen : dialogues et personnages bien tournés, réalisation faussement négligée, extérieurs aux dehors improvisés. Ici, on change radicalement de registre. Place aux décors, aux costumes, au souci plastique pour cette adaptation de la légende de la comtesse Báthory, souvent associée à la légende du comte Dracula. La forme séduit. Sans débauche de moyens, le film, présenté à Berlin, table sur la subtilité, ni figuration massive, ni plan d'ensemble grandiose, et des libertés mutines prises avec l'exactitude historique. La langue, les danses, ce qui peut préciser l'époque reste brouillon mais appuie cette facture insoumise plutôt plaisante. La réalisatrice et son directeur photo traitent la nature avec talent ; la palette fait sauter aux yeux une nouvelle filiation, cette fois-ci avec les anciens du fantastico-costume, limite Rohmer, et surtout avec le Sleepy Hollow de Tim Burton. La machine à saigner les pucelles n'est pas sans rappeler le coffre meurtrier qui enferme la mère d'Ichabod Crane enfant dans la version Burton. La Française pousse même le vice en allant chercher du côté du gore et de l'hémoglobine - charmant sanglant semblant d'humour noir -, une légitimité dans le genre. Julie Delpy s'offre le rôle-titre sur un plateau sans réussir à se défaire totalement de son visage poupon. La diabolique veuve noire est tour à tour sorcière, maso, lesbienne. Elle s'en donne à corps et à coeur joie pour ce rôle en ajoutant une théorie du complot à la légende et en mettant la condition de la femme au premier plan. L'ennui c'est qu'on ressent Julie Delpy aussi autoritaire que son personnage pour être cadrée avec cet expressionnisme sublimant, façon premiers Dracula. Et on ne peut s'empêcher de penser que c'est l'œuvre d'une enfant gâtée tant elle néglige le reste du casting, pourtant 3 étoiles. Daniel Brühl (Good Bye, Lenin !) n'est qu'un jeune éphèbe, William Hurt (A History of Violence) n'est pas un vrai méchant, Anamaria Marinca (4 mois, 3 semaines, 2 jours) n'a pas le temps (une petite heure et demi) de peser sur sa partition de sorcière. Leurs personnages sont peu creusés, seulement assujettis, laissés pour le compte de la comtesse. Gravitant à outrance autour de la tête d'affiche, n'étudiant pas les facteurs externes du mythe, le récit se noie légèrement. C'est là que le bât blesse : cette impression qu'il en va de ce personnage égocentrique et capricieux comme de sa réalisatrice. Giulio Callegari

- tu sais quand même ce que c’est qu’un vecteur ? - ben oui.. un vecteur de DVD ! mdr

DVD “Brown Bunny”, de Vincent Gallo.

Un beau film sur la solitude, mis en scène par un génie égocentrique qui aime montrer son zizi. “The Savage Eye”, de Ben Maddow, Sidney Meyers, Joseph Strick… Sortie le 21 avril 2010

A ne louper sous aucun prétexte, ce chef d'oeuvre de 1960 est un docu fiction d'exception sur les dessous du Los Angeles de l'époque. La séquence de transe dans l'église restera gravée longtemps dans nos mémoires. “Panique au Village”, de Vincent Patar et Stephane Aubier.

On vous recommande vivement cette adaptation de la série homonyme d'animation sur grand écran. C'est belge, trash et déjanté. “Funny People”, de Judd Apatow. Sortie le 25 mai 2010

Judd Appatow est le producteur de la nouvelle comédie américaine aux US qui ose tout pour nous faire hurler de rire. Il change de registre aussi vite que de casquette et réalise cette fois LA comédie dramatique de l'année. Adam Sandler en profite pour nous prouver qu'il peut aussi nous faire pleurer. “Esther”, de Jaume Collet-Serrat. Sortie en Mai 2010

Encore un réalisateur espagnol surdoué. Le meilleur film d'horreur depuis L'Orphelinat. Le twist final en laissera plus d'un sur le carreau. S.C.


photos : Laure Bernard

cinéma/rencontre EDITO

Gaspar

Noé

Au bout du tunnel

“Fais un regard inquiétant” demande la photographe. Gaspar Noé tente tant bien que mal de baisser un peu la tête et de relever les yeux mais il n'arrive pas à coller à l'image sulfureuse que l'on a pu se faire de lui depuis “Irréversible” et “Doberman”. Calme et passionné, le metteur en scène nous invite à entrer dans son univers singulier où règnent ouverture d'esprit et découverte sensorielle. Son prochain film,“Enter The Void”, sort le 5 mai : un dealer tokyoïte est tué lors d'une bavure. Son esprit, refusant de quitter le monde des vivants, erre dans la ville aux mille lumières, à travers un dernier trip hallucinatoire. Rencontre hallucinante. K?-03 K?-24


Keith : Ton film est une vraie claque visuelle. Quels sont tes partis-pris graphiques ? Gaspar : J'avais envie de faire un film qui puisse être vécu comme une expérience hallucinogène. On a utilisé des couleurs vives, du fluo pour les vêtements et les décors. On a juste choisi d'éviter le bleu car c'est une couleur que je trouve moins mentale. Après il y a d'autre partis-pris visuels, que l'on a travaillés en post-production. Les tremblements de luminances par exemple, les dédoublements d'images. J'avais envie d'introduire des éléments que l'on trouve plutôt dans ce cinéma expérimental. Mais c'est quand même un film commercial que j'ai fait.

Keith : Du DMT, la drogue que prend le héros de ton film ? Gaspar : Oui une fois, mais une seule. Depuis que j'ai commencé le film j'ai complètement arrêté tout ça. T'as besoin de ton cerveau lorsque tu prépares un film, et je n'avais pas envie de décalquer des expériences. Et puis je ne pouvais pas me permettre de risquer un mauvais trip. Ca aurait pu me démotiver, me paralyser émotionnellement. On est tous fragiles. Ca peut te secouer au point de te faire tout arrêter. Je n'ai pas envie de faire un mauvais trip qui ne me donne pas envie de reproduire ce que j'ai vu. Quand je faisais mes études de cinéma, je fumais des joints, ou je prenais du LSD, et je voulais retranscrire ça à l'écran. Dans le genre, il y a quelques passages très réussis dans Las Vegas Parano (Terry Gilliam - 1998) ou Au-delà du réel Keith : Un film commercial ? (Ken Russel - 1980). C'est plutôt réaliste : quand tu prends du Gaspar : Oui, il sera diffusé dans des salles normales, il a été LSD, les visages se métamorphosent, le fauteuil n'est plus un financé avec l'argent de Canal+, de Wild Bunch. Toute la chaîne fauteuil, tu es en train de parler, le verre appade financement, du départ à l'arrivée, est une chaîne commerciale. Il n'y a peut-être pas de célébrité, mais c'est un raît/disparaît... Le temps se dilate aussi. choix depuis le début et il a été accepté par les proJ'avais envie que le spectateur ressente “Los ducteurs. des sensations liées à la drogue. Angeles

n'est pas une Keith : Mais on t'a laissé libre de faire ce que Keith : Comment as-tu travaillé avec ville où j'aimerais tu voulais ? les graphistes pour créer ces visions m'installer, et entre Gaspar : Oui, heureusement. Les gens qui psychotropes et renforcer l'environneNew York et Paris je m'ont produit étaient cool car ils m'ont ment visuel ? suis bien mieux ici. Je donné les moyens de faire mon film Gaspar : Tout est assez centralisé chez suis fasciné par Tokyo, comme je le souhaitais. J'ai eu les jouets BUF, la boite qui s'occupe des effets spéCuba, l'Afrique… Je préféque je voulais, j'ai pu donner les rôles princiaux du film. Tu ne travailles pas directererais faire un film au cipaux à des acteurs peu connus, et même ment avec tous les graphistes. C'est avec Mexique plutôt qu'aux faire des séquences pornos. C'était toléré Pierre Buffin (le directeur artistique de tous Etats-Unis !” alors que je n'aurais jamais pu faire ça avec les effets et patron de BUF, ndlr) et le des producteurs américains. A Sundance d'ailsuperviseur des effets spéciaux que ça leurs, des gens qui bossaient dans l'industrie du se passe. Jusqu'à cinquante personnes cinéma sont allés voir mes producteurs et leur ont dit ont travaillé sur certaines séquences. qu'ils ne se rendaient pas compte de ce qu'ils venaient Pour quelques images, j'avais trouvé de faire, qu'ils étaient fous d'avoir produit un film des références visuelles évidentes, comme ça, que c'était destiné à un musée mais c'était donc facile de montrer ce jamais à une sortie en salle. J'étais très content que je voulais et d'arriver au “Depuis moi, j'ai pris ça pour un compliment ! Mais ça résultat. Par contre, pour d'auque j'ai commencé le film n'en était pas du tout un… tres, on marchait parfois à j'ai complètement arrêté la tâtons et on procédait par élidrogue. T'as besoin de ton cerKeith : Tu as eu des propositions de mination. Le truc le plus flou veau lorsque tu prépares un studios américains ? d'entre tous c'était la séquence film. Et puis je ne pouvais pas Gaspar : Oui, ça m'arrive régulièrement, d'hallucination. Chez BUF, les me permettre de risquer un mais bon... Quand tu as des propositions gens ne se droguent pas du tout mauvais trip.” pour entrer dans une secte, tu acceptes et du coup tu dois avoir des références visuelles, photos, cinématograd’y rentrer ? Hollywood pour moi c'est une phiques très précises: dire que tu veux telgrande secte. J'ai pu être fasciné par la culture les formes hexagonales, pointues et avec des américaine quand j'étais enfant mais je ne le suis piques, les couleurs de Tron, le fluo, le tremblement plus du tout maintenant. Los Angeles n'est pas une d'image... On a exploré pas mal de pistes différentes et ville où j'aimerais m'installer, et entre New York et Paris beaucoup de travaux ont été rejetés car c'était trop graphique je suis bien mieux ici. Je suis fasciné par Tokyo, Cuba, ou pop art et pas assez mental. Le but était de faire un film l'Afrique… Je préférerais faire un film au Mexique plutôt vraiment anxiogène, on finissait donc par choisir l'image la plus qu'aux Etats-Unis ! inquiétante plutôt que la plus belle. Il y avait plein de choses tellement jolies… Quand je regarde certaines de ces séquences je Keith : Quelles sont tes expériences avec les drogues ? me dis que c'est dommage qu’elles ne soient pas dans le film. Gaspar : Quand j'étais adolescent je prenais des champiMais on devait être cohérent et respecter la musicalité de l'engnons et je fumais pas mal. J'ai aussi essayé pas mal de semble. substances psychotropes comme l'Ayahuasca, le LSD.


cinĂŠma/rencontre

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Keith : Pourquoi cette volonté de filmer le personnage de Keith : Comme ton cinéma est très technique, qu'il y a beaudos dans la deuxième partie du film ? Gaspar : Dans la partie flashback, ma volonté était de reproduire coup d'effets spéciaux, as-tu déjà pensé à faire du cinéma d'animation ? Ou même un jeu vidéo interactif ? le mécanisme que ton cerveau utilise pendant le sommeil. Gaspar : Les jeux interactifs comme Myst, Riven ou Gadget me Quand je fais un rêve, je me vois toujours de dos et j'ai l'impresfascinent. Oui, je serais effectivement intéressé par un film d'anision que les plans sont fondus entre eux, qu'il n'y a pas de découpage. C'est comme des mini plans-séquences qui avanmation. Mais je pense que ce qu'il y a de bien, sur un tournage cent. J'ai utilisé les codes tirés de mes rêves, le lanavec des comédiens, c'est que tu changes de gage naturel avec lequel mon cerveau décors, tu rencontres des gens. L'univers dans fonctionne. J'ai essayé de m'approlequel tu es plongé pour fabriquer des films “Je n'aurais jamais pu cher le plus possible de ce langage d'animation est différent, même si on arrive faire un film comme le dernier mais avec une énorme entorse : à des images fabuleuses, on est beaucoup Jacques Audiard, Un Prophète. Je l'ai dans les rêves, les gens ne parlent adoré, mais je me serais senti enfermé plus enfermé, c'est moins social. presque pas. Tu dis quelques dans un univers masculin en permamots clés, d'accord, des "tu m'as nence. Peut-être que je suis con, ou ado Keith : Le contexte social du tournage dit que..." mais tu as l'impression est très important pour toi ? attardé, je n'en sais rien… Mais en tous que tout le reste n'est que de Gaspar : Par exemple, je n'aurais jamais cas je sais que j'aime bien trop filmer l'image. C'est pour ça que le scé- les filles, à la façon de Brian de Palma pu faire un film comme le dernier Jacques nario avait un strict minimum de Audiard, Un Prophète. Je l'ai adoré, mais je ou Dario Argento.” dialogues. Mais lorsque l'on s'est me serais senti enfermé dans un univers retrouvés en tournage, avec des masculin en permanence. Peut-être que je suis acteurs et des non-professionnels, con, ou ado attardé, je n'en sais rien… Mais en j'avais envie que tout le monde soit à tout cas je sais que j'aime bien trop filmer les filles, à la l'aise pour que ça soit réaliste. Je leur ai demandé façon de Brian de Palma ou Dario Argento. Je ne sais de parler comme dans la vraie vie. C'est pour pas si je pourrais me concentrer, trois ans, derrière ça que des films muets comme Inauguration des ordinateurs alors que j'ai envie de faire des priof the Pleasure Dome (Kenneth Anger ses de vues d'hélico. Ce n'est pas le produit fini qui ne me plaît pas, c'est le cheminement pour y arri1954) ou Un Chien Andalou (Luis Buñuel “J'aimerais ver. Les films d'animation japonais sont fasci1929) sont beaucoup plus proches d'un réaliser un nants. Peut-être que j'y viendrai un jour mais ce état onirique que mon film. S'il y avait eu vrai film porno. n'est pas dans mes priorités d'aujourd'hui. Je moins de dialogues et si toute la progresUn film où tu préférerais faire un grand film porno, comme sion temporelle avait été plus fracassée, aurais un vrai plaiceux de Damiano par exemple, en mieux si c'est comme dans L'Echelle de Jacob (Adrian sir sensoriel, auditif, possible. Ou un documentaire. Ce sont les deux Lyne - 1990) ça aurait peut-être été un intellectuelle. Pouvoir genres qui m'attirent le plus en ce moment. J'ai meilleur film. Quoique définitivement le voir du début à la aussi la phobie de travailler avec trop de gens. impossible à financer. Mais peut-être que fin sans avoir honte, Avec le documentaire, l'équipe peut être très je ferai, en bonus dvd, un montage alteren étant fière d'avoir réduite. natif beaucoup plus expérimental. Peutbandé pendant 90 être que ça sera cette version qui sera la minutes.” Keith : J'ai entendu dire que ton prochain projet vraie version psychédélique. serait un porno en 3D ? Gaspar : Ca a été annoncé, mais je ne sais pas Keith : Parlons des acteurs. Paz de la encore ce que je veux faire. J'aimerais faire non pas Huerta est incroyable. Est-elle pareille dans le film et dans la vie ? un film d'auteur à tendance explicite, mais un vrai film Gaspar : Elle ressemble beaucoup au personnage, vraiment. Je porno. Un film où tu aurais un vrai plaisir sensoriel, auditif, crois que c'est Jacques Rivette qui disait : “Quand on voit un intellectuel. Pouvoir le voir du début à la fin sans avoir honte, en étant fier d'avoir bandé pendant 90 minutes. J'ai passé tellement film, on voit un documentaire sur ce qui s'est passé sur le tourde temps à regarder des films pornos, à me branler comme un nage”. Tu as beau mettre un chapeau à quelqu'un, le déguiser, le malade. Je me dis que ça fait partie des plaisirs de mon adolesmec qui est derrière le costume sera toujours le même. Ils doivent avoir l'énergie dès le début. Philipe Nahon dans Seul Contre cence. Après tu as une copine et tu dévies vers des actes sexuels où tu n'as plus besoin de ce côté initiatique, plus besoin Tous (Gaspar Noé - 1998) par exemple, n'est pas du tout un de passer par les images. Ce genre de cinéma me fascine beaufacho ! Mais sa gueule c'est sa gueule et il dégage au delà de coup plus que la science fiction ou le cinéma d'horreur. ses vêtements et de son physique une énergie existentielle. Paz est un peu comme Vincent Gallo, ils ont une capacité à se Keith : Tu as vu des choses vraiment intéressantes dans le dépasser, à faire des prouesses d'acteurs, mais ils sont toujours porno? eux-mêmes. Gaspar : Oui, mais ce sont souvent des séquences à droite, à gauche, quelques instants seulement. Je pense vraiment qu'il Keith : Tu parles souvent de tes références cinématographin'y a rien de plus normal dans la vie que de faire l'amour. ques, mais quid de tes références littéraires ? Gaspar : Dans le cadre de ce film je n'en ai pas vraiment. Je lis Pourquoi faire des films avec des tueurs en série, des films de très peu en ce moment. J’avais envie de reproduire cette réalité guerre, des films de meurtre ? Faire l'amour, c'est beaucoup plus à tiroirs, à la manière de Philip K. Dick. Mais la référence littéraire naturel que de vouloir dominer des gens avec des flingues ou des couteaux. C'est quand les gens font l'amour qu'ils sont le évidente, c'est la description du Livre des Morts Tibétains par plus différents. Alexandra David-Neel dans Immortalité et réincarnation. Côté cinéma, il y a un peu de Strange Days (Kathryn Bigelow 1995), La Dame du Lac (Robert Montgomery - 1947) pour la Propos recueillis par Stan Coppin. vision subjective. Du Brian de Palma aussi. Enter the Void, de Gaspar Noé. Sortie le 5 mai 2010.


art

par Jeremy Dessaint

Joseph Beuys Ja Ja Ja Nee Nee Nee Gabriele Mazzotta Editore, Milano 1970 record 30 cm + booklet 500 n. & stamped Photo Bettina Brach/ Collection Guy Schraenen Keith Haring Malcolm McLaren. Scratchin' Virgin Records 1984 record 30 cm Photo Bettina Brach/ Collection Guy Schraenen Jean Dubuffet Musical Experiences Finnadar Records, USA 1961, publ. 1973 record 30 cm Photo Bettina Brach/ Collection Guy Schraenen A.R. Penck Piano Solo n.p., Bad Homburg 1979 record 30 cm Photo Bettina Brach/ Collection Guy Schraenen

Mec t'es mélomane ? “Vinyl, disques et pochettes d'artistes, collection Guy Schraenen”

Après un succès d'estime au Macba de Barcelone, c'est à la Maison Rouge qu'est aujourd'hui présentée une toute petite partie (800 disques quand même !) de la collection de 33 tours accumulés par l'éditeur britannique Guy Schraenen depuis plus de trente ans. A travers différentes sections consacrées aux principaux mouvements artistiques ayant un lien avec l'histoire du vinyle, depuis les avant-gardes des années 20 comme Dada et le Futurisme jusqu'aux expérimentations plus tardives de Fluxus et du Nouveau Réalisme, l'exposition met l'accent sur le disque 33 tours en tant qu'objet spécifique. Elle montre aussi comment tant d'artistes se sont intéressés au format particulier du vinyle (30 x 30 cm), le point d'orgue se situant dans les années 50/60 lorsque la musique rock et pop se trouve intimement liée aux arts visuels. On y retrouve bien sûr les éditions originales de la fameuse banane jaune du disque du Velvet par Warhol, la scandaleuse braguette zip du Sticky Fingers des Stones, également réalisée par le pape du Pop Art, ou le montage psychédélique de Peter Blake pour Sgt. Pepper's. A l'heure où le vinyle retrouve un fort regain d'intérêt (30% de ventes en plus en 2009), grâce notamment aux dj's qui les ont remis à la mode, la présentation des galettes de Guy Schraenen est précieuse car historique et datée. En effet, le collectionneur a décidé d'arrêter sa poursuite de l'objet rare dans les années 80, estimant que l'imagerie avait perdu de sa substance lorsque la musique était devenue commerciale. Sur ce point, le temps lui a donné tort. En effet, les préoccupations graphiques et visuelles de certains labels contemporains de musique électronique, comme Kill The Dj, démontrent qu'il est toujours essentiel, pour certains, de lier le visuel de la pochette au contenu sonore du disque. Peut être verrons-nous dans trente ans la Maison Rouge présenter une autre collection de vinyles des années 2000 tout aussi intéressante. Exposition “Vinyl, disques et pochettes d'artistes, la collection Guy Schraenen”, jusqu'au 16 mai 2010 à la Maison Rouge. 10 boulevard de la Bastille 75012 Paris. Et aussi : “Chopin à Paris, l'atelier du compositeur”, jusqu'au 6 juin 2010 à la Cité de la Musique. A l'occasion du 200ème anniversaire de la naissance du compositeur, la Cité de la Musique, en collaboration avec la BNF, présente un ensemble de tableaux, dessins, instruments, mais surtout documents et manuscrits rares qui éclairent la vie de Chopin à Paris et l'émulation créative dans laquelle il évolua durant cette période, notamment en côtoyant Delacroix et George Sand. “Ballets Russes”, jusqu'au 23 mai 2010 à la Bibliothèque-Musée du Palais Garnier. Tout l'univers de la compagnie créée en 1909 par Serge Diaghilev et menée par le danseur mythique Nijinsky. A travers cette rétrospective, on découvre que le domaine de la danse connut aussi sa révolution esthétique au moment des avantgardes du début du 20ème siècle. Réunissant musiciens, danseurs, décorateurs et costumiers, les Ballets Russes seront le fruit du concept “d'art total” cher aux avant-gardes. K?-28


Alighiero Boetti. Mappa, 1984. Broderie 112x176cm Alighiero Boetti. Oggi sedicesimo mese dell'anno, 1988. Broderie sur tissu 110x115cm

Mec t'es un puriste ? “Alighiero e Boetti”

On a découvert le travail de l'artiste Alighiero Boetti, en 2006, dans le cadre de l'exposition Une seconde, Une année au Palais de Tokyo. On pouvait y voir la célèbre pièce de l'artiste, Lampa Annuale datant de 1966 ; il s'agit d'une boîte contenant une ampoule qui ne s'allume qu'une fois dans l'année. A la fois frustré et intrigué, le spectateur était alors tenté de rester un long moment à attendre de voir une lumière apparaître. La récente galerie Tornabuoni présente aujourd'hui une rétrospective de l'œuvre de cette figure majeure de l'arte povera dans les années 1960 qui, par la suite, a glissé vers une approche plus conceptuelle de l'art, allant jusqu'à changer de nom pour Alighiero e Boetti, sorte de duo imaginaire. L'exposition propose une large lecture de son travail, avec des pièces datant de 1965 à 1994, l’année de sa mort. On découvre des œuvres emblématiques comme les Postali, enveloppes postées à des proches qui ne les reçoivent jamais ; ainsi, tous les courriers retournés à l'artiste constituent l'œuvre en soi. On pense évidemment aux œuvres postales d'un autre artiste conceptuel, On Kawara. Sont également exposées les Mappa, planisphères géants réalisés par des tisseuses afghanes, où chaque pays est symbolisé par son drapeau. Réalisés entre 1972 et 1994, chaque planisphère sera différent au fil du temps, du fait des changements géopolitiques, comme la chute de l'Union Soviétique. Enfin, les Biro, œuvres réalisées au stylo à bille par un homme et une femme, révèlent les enjeux du processus de fabrication des œuvres de Boetti : un travail manuel et collectif, long et fastidieux. Exposition “Alighiero e Boetti”, jusqu'au 5 juin 2010 à la galerie Tornuaboni Art. 16, avenue Matignon 75016 Paris. Et aussi : “Lucian Freud, l'Atelier”, jusqu'au 19 juillet 2010 au Centre Pompidou. Vingt-trois ans depuis la dernière exposition du peintre en France (déjà au Centre), vingt-trois ans pendant lesquels sa renommée n'a cessé de croître pour devenir l'un des artistes vivants les plus importants. Comme c'est souvent le cas pour les plus grands, certains parlent de génie, d'autres crient au scandale et à l'imposture. Le mieux reste toujours de se faire sa propre opinion... “Crime et châtiment”, jusqu'au 27 juin 2010 au Musée d'Orsay. 1, rue de la Légion d'Honneur 75007 Paris. Projet de Robert Badinter, principal acteur de la suppression de la peine de mort en 1981, et mise en œuvre par Jean Clair, déjà “coupable” de l'exposition Mélancolie, sans doute la proposition la plus riche et intelligente de ces dix dernières années en France, l'exposition propose le rapprochement d'œuvres des plus grands artistes, de Magritte à Van Gogh, autour du thème du crime.


art/actu

Mec t'es Kitano ?

“Beat Takeshi Kitano, Gosse de peintre”

C'est à la Fondation Cartier que Takeshi Kitano présente sa première exposition dans une institution muséale. Célébré en France pour ses films en tant qu'acteur ou réalisateur, comme Sonatine, Hana-Bi ou Aniki, mon frère, il est surtout connu au Japon sous le nom Beat Takeshi, comédien comique d'émissions télévisées et créateur de jeux vidéo. Kitano a investi les lieux de façon inédite et totalement loufoque, concevant son exposition comme un parcours ludique, sorte de parc d'attractions ayant pour thème son univers. L'artiste montre les multiples facettes de son œuvre : de nombreuses peintures, des vidéos extraites de shows tv, mais aussi toutes sortes de “machines” imaginées par lui-même, comme ce gigantesque mécanisme pour confectionner un insignifiant petit ruban, métaphore satirique de ce que signifie l'art contemporain à ses yeux. Kitano livre également nombre de ses fantasmes et théories bizarroïdes comme la cause de la disparition des dinosaures, ou bien la présentation de plans secrets de l'armée impériale japonaise. Déjouant savamment tous les codes de l'exposition institutionnelle classique, Takeshi Kitano invite enfants et adultes à participer activement à une grande foire, le fruit d'un esprit totalement original qui s'approprie librement tous les médium créatifs. Exposition “Beat Takeshi Kitano, Gosse de peintre”, jusqu'au 12 septembre 2010 à la Fondation Cartier. 261, boulevard Raspail 75014 Paris. Et aussi : “Kitano, l'iconoclaste”, jusqu'au 26 juin 2010 au Centre Pompidou. Parallèlement à l'exposition Beat Takeshi Kitano, Gosse de peintre, le Centre Pompidou présente en 40 films, téléfilms et documents, pour moitié inédits, la rétrospective la plus complète jamais réalisée de son travail de cinéaste et d'acteur. Hippopotame-poisson : Beat Takeshi Kitano, 2010 (hippopotame-poisson ranchû) © Office Kitano Inc. Photo Yoshinaga Yasuaki Exposition Beat Takeshi Kitano, Gosse de peintre, Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris, 11 mars - 12 septembre 2010 Tama-Jii (esprit du Bien), photo André Morin © Office Kitano Inc. Exposition Beat Takeshi Kitano, Gosse de peintre, Fondation Cartier pour l'art contemporain, Paris, 11 mars - 12 septembre 2010

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EDITO

Mec t'es glamour ? “Yves Saint Laurent”

Première rétrospective dans un musée pour le plus grand couturier français disparu en 2008. L'exposition rassemble 307 modèles de haute couture et prêt-à-porter retraçant les 40 années qu'il aura fallu à Saint Laurent pour révolutionner la mode féminine ; également de nombreuses photographies, documents filmiques et vêtements prototypes nous éclairent sur la construction d'un mythe en trois lettres : YSL. Ce parcours, établi de manière chronologique, montre les grandes étapes de la révolution esthétique menée par Saint Laurent. Depuis sa première collection Trapèze lorsqu'il travaille encore pour la maison Dior, en passant par la collection Scandale en 1971, le couturier a transgressé tous les codes de la mode jusqu'à installer la garde robe masculine dans la penderie féminine.

Alexandre Guirkinger - 1965

Exposition “Yves Saint Laurent”, jusqu'au 29 août 2010 au Petit Palais. Avenue Winston Churchill 75008 Paris. Et aussi : “Seen - solo show”, du 29 mai au 26 juin 2010 à la galerie Magda Danysz. 78 rue Amelot 75011 Paris. Première exposition personnelle pour celui qui est surnommé “the godfather of graffiti”. On y découvre les multiples facettes du travail de Seen : toute la créativité et le renouvellement de son œuvre, mais aussi ses liens avec l'univers du tatouage et ses tâtonnements vers un art plus abstrait. “Space for Fantasy”, jusqu'au 22 mai 2010 à la Galerie des Galeries. Galeries Lafayette Haussmann, 1er étage. 40 boulevard Haussmann 75008 Paris. Proposition originale de réunir les travaux de cinq créateurs (dont Thomas Lélu) aux univers différents. Chacun a imaginé une œuvre spécifique au temps et au lieu de l'exposition ; à partir de là, les frontières entre les différents champs artistiques deviennent plus floues. Willy Ronis, Usine de textile du Haut-Rhin, 1947 Tirage argentique 40 x 30 cm Succession Willy Ronis, Ministère de la culture et de lacommunication & Stéphane Kovalsky. Willy Ronis, Le Nu provençal, Gordes (Vaucluse), 1949 Tirage argentique40 x 30 cm Ministère de la culture et de la communication, Médiathèque del'architecture et du patrimoine. Willy Ronis, Marché aux puces, 1948 Tirage argentique 40 x 30 cm Succession Willy Ronis, Ministère de la culture et de la communication & Stéphane Kovalsky. Photos Willy RONIS © Ministère de la culture et de la communication & Stéphane Kovalsky / dist. Agence Rapho

Mec t'as le déclic ? “Willy Ronis, une poétique de l'engagement”

Willy Ronis est mort le 11 septembre 2009. Le dernier grand représentant de ce que l'on a appelé la “photographie humaniste” aurait eu 100 ans cette année. A l'occasion de cet anniversaire, il avait accepté l'invitation de la Monnaie de Paris à présenter une première grande rétrospective de son travail. C'est malheureusement à titre posthume que l'exposition voit aujourd'hui le jour. On peut y admirer une sélection de 150 photographies, tirages d'époque et tirages modernes supervisés par le photographe, extraites du fonds de la donation faite par Ronis en 1983 à l'état français. Cette rétrospective s'articule autour de cinq grands thèmes : la rue, le travail, les voyages, le corps et sa propre biographie. Scènes de la vie quotidienne et anecdotes prises dans l'espace public, ou bien clichés plus personnels lorsque Ronis fait intrusion dans l'espace privé ; chacune de ces photos témoigne d'une époque, le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, mais surtout sert le discours d'une idée humaniste partagée par d'autres confrères photographes, cinéastes et écrivains. Grâce à un langage narratif nourri de signes comme les sourires, les scènes de tendresse ou bien une esthétique visuelle raffinée, cette photographie a l'ambition d'avoir une dimension internationale pour “changer le monde”. Exposition “Willy Ronis, une poétique de l'engagement”, jusqu'au 22 août 2010 à la Monnaie de Paris. 11 Quai de Conti 75006 Paris. Et aussi : “Mimmo Jodice”, jusqu'au 13 juin 2010 à la Maison Européenne de la photographie. 5/7 rue de Fourcy 75004 Paris. Après une exposition magnifique, l'année dernière, à la galerie Karsten Grève, l'occasion de découvrir ou redécouvrir les œuvres du photographe italien d'avant-garde. “Jürgen Schadeberg”, jusqu'au 22 mai 2010 à la galerie Polka. Cour de Venise, 12 rue Saint-Gilles 75003 Paris. Exposition des clichés du photographe et directeur artistique de Drum, magazine mythique sud-africain qui lutta contre les lois de l'apartheid dans les années 1950. On y découvre des photos qui témoignent d'une décennie oubliée dans l'histoire de l'Afrique du Sud, où Blancs et Noirs se côtoient encore, rassemblés grâce au jazz notamment.


art/rencontre

Philippe Perrin

Braqueur de musée

Le rendez-vous avec l'artiste Philippe Perrin se passe dans son quartier de Montmartre où il vit lorsqu'il n'est pas dans son atelier de Nice. On se retrouve à une terrasse de café, la première ensoleillée en ce mois de mars. A peine sommes-nous installés qu'il m'abandonne pour discuter avec le patron du bar. Une fois assis, il salue au moins un passant sur deux. Retenant difficilement son attention, je commence par un “Monsieur Perrin”. Erreur de débutant ! “Oh ! Je t'en prie appelle-moi Philippe. Regarde-moi, j'ai l'air d'un vieux avec ma mine superbe et mon corps de vingt ans ?” Je recommence donc à interroger Philippe, en prenant soin de le tutoyer, mais seulement une fois qu'il a terminé de discuter avec les deux charmantes demoiselles qui sont assises à côté de nous… A l'occasion de son exposition à la Maison européenne de la photographie retraçant plus de vingt ans de travail, rencontre avec un artiste au discours aussi franc et percutant que ses œuvres.

Keith : Comment as-tu commencé ? et je disais aux autres étudiants de venir Philippe : Je n'ai jamais vécu mes débuts voir mes créations. dans l'art comme un déclic. On me demande souvent à quel moment j'ai Keith : Tu penses donc que les Beaux-Arts voulu devenir artiste, un peu comme si on ne permettent pas de devenir artiste, mais me demandait pourquoi je serais devenu qu'ils servent de tremplin pour des personinspecteur des impôts. Cela s'est fait nes déjà “artistes” ? naturellement. J'ai présenté les BeauxPhilippe : Oui, en effet. Certaines personArts lorsque j'avais seize ans parce que je nes disent qu'être artiste est un don, moi n'avais pas d'autres perspectives. Et j'ai je vis plutôt cela comme une malédicvécu cette période moins comme une fortion. Tu as cela dès la naissance. Tu n'as mation technique que comme une pas le choix. Et l'idée d'avoir le choix confrontation à un microcosme, comme d'être artiste est bidon. On le voit bien : un “mini marché de l'art”. Pour ce qui est des mecs apparaissent pendant deux de l'apprentissage intellectuel, j'ai tout ans, se disent artistes, puis disparaissent. appris de mon côté, dans la rue ; je n'ai Le plus dur c'est de rester. Surtout dans pas suivi les cours d'histoire de l'art. En l'art contemporain, qui agit encore plus revanche, l'école m'a apporté dans le selon l'effet de mode. On observe bien ce sens où elle m'a placé dans un univers phénomène aujourd'hui, en pleine période particulier où je côtoyais toutes sortes de de crise, où tous les artistes surévalués gens, dans une dynamique créatrice. J'ai par les spéculations s'effondrent. plus vécu ce lieu comme un support à L'avantage de la crise est mon épanouissement artistique que pas mal de que comme un cochonneries vont déclencheur. sauter, il y a un D'ailleurs, grand ménage. “Les Beaux-Arts sont devenus dès ma Par exemple, une sorte de Star Ac', le Palais deuxième pour les artistes de Tokyo étant le “prime année, je chinois, sur cinq time”.” possémille, il va en rester dais déjà cinq ; comme ce qui s'est un atelier passé pour les artistes russes K?-32

dans les années 90. Au niveau des écoles d'art, on observe la même chose. Les Beaux-Arts sont devenus une sorte de Star Ac', le Palais de Tokyo étant le “prime time”.

“Certaines personnes disent qu'être artiste est un don, moi je vis plutôt cela comme une malédiction. Tu as cela dès la naissance. Tu n'as pas le choix.”

Keith : Qu'est-ce que t'évoque la polémique autour de l'œuvre décrochée et autocensurée par la direction des Beaux-arts en février dernier (il s'agissait d'une installation composée de deux fanions sur lesquels était inscrit “Gagner plus” sur le recto et “Travailler moins” sur le verso)? Philippe : D'abord, je trouve l'œuvre plutôt vide de sens et pas très profonde. “Travailler moins, gagner plus”, c'est le souhait de tout le monde depuis toujours ! L'œuvre est vide et constitue une provoc’ au premier degré un peu débile. Le fait de la décrocher est une connerie dans le sens où elle donne de l'importance à une œuvre qui n'en a pas. Ici, censure signifie


surtout promotion. Et cela devient le comble quand il s'agit d'une artiste d'origine chinoise travaillant en France. J'ai participé à une exposition à Pékin il y a quatre ans, et le comité de censure est venu au vernissage pour “contrôler”. Avec mon œuvre Shuriken, grande étoile de ninja reprenant la forme de l'étoile rouge communiste, je pensais que j'allais être censuré. En fait, au bout de cinq minutes, j'étais en train de boire des coups avec le ministre de la culture et le ministre de la censure ! On a même fait des photos ensemble devant mon œuvre… La provoc’ pour la provoc’, ça ne m'intéresse pas. Des photos graveleuses de filles à poil, ça m'emmerde. Je pense que la provocation doit être au niveau du sens. Keith : Justement, cela me fait penser à ta pièce intitulée La Justice a été rendre, porte arrachée sur laquelle est inscrite avec du sang “Omar m'a tuer”. Comment t'est venue l'idée de cette œuvre ? Philippe : C'est parti d'une discussion de bistrot avec Pierre Joseph et Renaud Layrac. L'affaire Marchal nous amusait. La vieille qui se fait descendre, qui marque “er” alors que c'était une bourgeoise qui normalement ne devait jamais faire de fautes... Comme si elle avait eu le temps de réfléchir à faire une faute grammaticale alors qu'elle était en train de mourir ! Ça m'a inspiré. Mais pour l'exposition collective Nouvelle Vague à Nice, ils n'ont pas voulu de l'œuvre. Finalement, je suis

voir dans ces sculptures monumentales, comme le pistolet, les munitions ou le couteau, un rapport phallique. Je conçois plutôt ces pièces comme des “hyperobjets”, sortes de déformations et agrandissements d'images du réel. Et pour ces objets, je ne rattache pas de signification directe ni de discours pré-établi. Je préfère, au contraire, laisser le spectateur se projeter lui-même dans mes œuvres afin qu'il y trouve sa propre interprétation. Par exemple, il est drôle de voir la réaction des gens face à ma dernière installation, Kalashnikov bullets. Dans ces munitions géantes placées à la verticale, des femmes m'ont rapporté y voir des bâtons de rouge à lèvre. Une autre fois encore, pour la pièce Welcome to Miami représentant une lame de rasoir sur un tas de coke, un type est venu me dire : “J'aime beaucoup votre œuvre avec la mousse à raser…” Keith : Parlons maintenant de ton exposi-

tion de mes principaux projets photographiques de 1986 jusqu'à aujourd'hui. Cependant, je ne dirais pas qu'il s'agit d'une rétrospective mais plutôt d'une synthèse d'une partie de mon œuvre. Par exemple, je montre une série de quatre petites photos retrouvées dans une malle, mon travail pour mon diplôme aux BeauxArts. On peut y voir également des photos de boxe datant de 1987. Cet univers a été très présent dans ma vie. J'ai commencé la boxe anglaise étant gamin, et je continuais encore lorsque j'étais aux Beaux-Arts. Plus tard, j'ai rencontré l'univers d'Arthur Cravan (boxeur anglais, poète, et considéré par les dadaïstes et les surréalistes comme précurseur des mouvements) un peu par hasard, et ce personnage fascinant m'a inspiré comme une évidence pour ma première grosse installation avec le ring, nommée Hommage à Arthur Cravan. C'est d'ail-

tion à la MEP. Peux-tu nous raconter sa genèse et comment tu l'as imaginée ? Philippe : Mon histoire avec la Maison européenne de la photographie remonte loin. Son directeur, Jean-Luc Monterosso, avait acheté plusieurs de mes photos pour le fonds en 1990, en 1995 et en 2000. J'avais également fait une petite exposition au sous-sol il y a quelque temps et avais participé à une autre exposition collective. Cette grande exposition que je présente aujourd'hui était prévue depuis deux ans. Comme j'aime tout contrôler du début à la fin, j'ai suivi de près toute l'élaboration : du travail d'archivage conséquent, en passant par le graphisme du catalogue que j'ai réalisé avec un copain, jusqu'aux tirages des nouvelles sculptures dans mon atelier de Nice. L'exposition rassemble une sélec-

leurs pour cela qu'en plus des œuvres photographiques, sont présentées des sculptures, certaines inédites et d'autres anciennes, comme mon grand couteau, The Knife, de 1994 que je plante dans le jardin à l'entrée de l'institution. Une manière de dire : “je suis là !”. Pour moi, une exposition, c'est une femme à séduire, une banque à braquer.

“Pour moi, une exposition, c'est une femme à séduire, une banque à braquer.”

allé arracher une porte des toilettes du musée et j'ai écrit la phrase “Omar m'a tuer” avec du sang que j'avais apporté dans ma poche. Là, les photographes se pointent et le lendemain la photo de l'œuvre était dans Nice Matin. Le musée ne pouvait plus l'enlever ! J'avais réussi à le prendre en otage. Keith : Ton travail est marqué par une obsession pour des caractéristiques propres à la société contemporaine, telles que la violence, la drogue, le sexe… Pourquoi s'intéresser à ce type de thèmes quelque peu racoleurs, et comment les assimiles-tu en tant qu'artiste ? Philippe : Tous ces thèmes sont des choses que l'on voit tous les jours à la télé. On nous bombarde d'images rapides, anxiogènes, violentes. Et il faut être pragmatique, l'histoire des armes c'est l'histoire de l'humanité. Maintenant, mon travail ne représente pas une violence gratuite. De la même manière, il ne faut pas

Propos recueillis par Jeremy Dessaint.

Philippe Perrin, Haut et court. 19862010, jusqu'au 13 juin 2010 à la Maison européenne de la photographie. 5-7 rue de Fourcy 75004 Paris.


musique

California Girls

(I Wish They All Could Be) Interview de ClĂŠmentine Goldszal et Benjamin Kerber. Photos : Antoine de Bary.

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Comme leur nom ne l'indique pas, Girls, ce sont deux gars (même si l'un des deux a les cheveux longs et blonds). Comme le contexte indie-rock intello prise-de-tête de ces derniers mois ne pouvait pas le laisser présager, Chet Jr. White et Christopher Owens ont remis les pendules de la pop bien à l'heure avec un premier album aux airs de simple perfection. Girls est un groupe de San Francisco mais leur soleil est noir, leurs chalalas sont enfouis sous des couches de bizarreries sonores parfois carrément noisy, comme les Beach Boys partouzant avec The Jesus and Mary Chain, sous le haut patronage du salace Phil Spector. Mais l'essentiel, quoi qu'on en dise, n'est pas dans le son mais dans la parfaite et simplissime ossature des mélodies de Christopher Owens, qui pleure sans jamais lasser sur son petit cœur meurtri, dans sa manière de mettre en mots ses amours désespérées, malheureuses même quand elles sont partagées (“I love you so much I wish I was you”, se lamente-il sur “Oh Boy”, face B à se procurer d'urgence, déjà une des plus belles romances de la décennie). Et pourtant, il y a bien d'autres choses sur lesquelles Chris pourrait pleurer : élevé jusqu'à l'adolescence dans une secte chrétienne hippie extrémiste, The Children Of God, c'est en s'en enfuyant à 16 ans qu'il a finalement pu commencer à vivre sa vie, tournant le dos à tout ce qu'il avait connu jusqu'alors. Recueilli par des punks, il se noie dans la musique, monte un groupe avec sa copine, qui sombre au moment où cette dernière se fait la malle, emportant sans doute avec elle ce qui restait à son fragile petit ami d'illusions sur la vie… Le salut artistique viendra de sa rencontre avec Chet Jr White, arrangeur de génie qui aura la finesse de mettre un son sur les maux de Chris. Nous les avons rencontrés à Paris juste avant leur concert renversant à la Maroquinerie. Déprimés s'abstenir.

Keith : Cela fait plusieurs mois que vous êtes en tournée… Vous avez quand même pu vous poser pour penser au deuxième album ? Chet : On n'a pas eu beaucoup de temps pour le préparer. Alors la prochaine sortie sera probablement un Ep. On a plein de bonnes idées, mais sur la route, on bosse quand on a le temps, quand on peut. Et encore, heureusement, on s'enregistre nousmêmes donc on n'a pas besoin de booker du temps, ou un studio, en avance. Keith : Dans son fond et dans sa forme, il semble qu'”Album” soit très lié aux conditions dans lesquelles il a été enregistré : dans un certain dénuement technologique, dans la pure tradition du “Do It Yourself”, avec un sentiment d'urgence dans les paroles… Jouer live chaque soir pendant un an, ça a changé votre manière d'envisager la musique ? Chet : Ça rend les choses plus frustrantes. On a fait le premier album vraiment tous les deux, mais pour jouer sur scène, on a dû intégrer des gens, et ça a forcément modifié notre manière de fonctionner. Il a fallu créer un nouveau langage, intégrer les personnalités des autres musiciens. Dans un groupe, chacun doit renoncer un peu à lui-même pour satisfaire tout le monde. Et avec cette dynamique de groupe, le rythme est forcément moins direct que quand on bossait à deux. C'est nouveau pour nous, on n'a jamais travaillé comme ça avant, alors ça nous rend un peu nerveux, mais on va trouver un moyen d'intégrer toutes ces nouvelles données… Là, on a de l'argent pour enregistrer, on va pouvoir faire quelque chose de meilleur au niveau du son, acheter des trucs, payer des gens pour jouer sur l'album, qui sait ? On a une idée très précise de comment on veut que ça sonne. Keith : Et l'argent ? Ça change quelque chose dans vos idées d'enregistrement ? Chet : On va rester dans cette démarche du “Do It Yourself”. La différence, c'est qu'on pourra le faire où on veut. On va être plus libres, réaliser ce qu'on a en tête. L'argent permet de faire ça : acheter des guitares bizarres et tout… Ça rendra sans doute l'album plus intéressant… Ou pas !


musique/rencontre

Keith : Christopher, tu écris les paroles et vous composez à deux ? Chet : Chris compose la base, la mélodie, les progressions d'accords… Et on bosse ensemble après sur tout le reste. "Tous les gens qui ont vraiment accompli quelque chose, tous ceux que l'on respecte, ne se sont jamais sentis satisfaits de ce qu'ils avaient fait. Ils ne se sont jamais arrêtés à ce qu'ils avaient déjà réalisé." Keith : Y a-t-il une thématique, un sujet principal, pour le deuxième album ? Christopher : Le premier était sur la frustration, l'évasion, le sentiment de vouloir mourir. Ça, ça n'a pas changé.

Keith : Toi, Christopher, tu as grandi sans modèle, par la force des choses… Christopher : Non, pas du tout. Quand tu es élevé comme un chrétien, tu es supposé ne pas avoir d'autres idoles que Dieu. Tu dois te satisfaire de ton statut de créature de Dieu. Mais dès le début, ça n'a pas été le cas pour moi. J'idéalisais les mecs avec qui sortaient mes sœurs, parce qu'ils étaient cool.

Keith : Malgré le succès, la frustration est toujours là ? Christopher : Oh oui ! Exactement pareil. Avec plus de stress. Chet : En ne travaillant qu'à deux pendant longtemps, nous nous Keith : Une de vos chansons s'appelle sommes un peu enterrés dans un petit trou, duquel il nous faut God Damned… Quand Brian Wilson a désormais sortir. Chris et moi nous entendons bien, mais nous écrit God Only Knows, le titre a fait scanavons intégré des gens. Nous sommes perfectionnistes et nous avons tous les deux une idée très précise de ce que nous voudale, parce qu'on n'était pas censé citer lons. On essaye de se rapprocher de ça, mais beaucoup de choDieu dans une chanson. Aujourd'hui ses s'interposent. Je ne peux même pas les citer toutes. Faire des encore, vous pensez que c'est subversif interviews par exemple, c'est très frustrant. Certains trucs qui sont d'avoir un titre de chanson comme celuiécrits sur nous, on doit toujours répondre aux mêmes questions, il là aux États-Unis ? y a plein de trucs très évidents, que tout le monde sait, et on doit Christopher : Si ça l'est, je n'y ai pas en parler encore et encore… Oh la la, je me plains ! pensé. C'était inconscient. Christopher : Tous les gens qui ont vraiment accompli quelque chose, tous ceux que l'on respecte, ne se sont jamais sentis Keith : Christopher, tu détestes la religion ? Christopher : Oui, complètement. Même si satisfaits de ce qu'ils avaient fait. Ils ne se sont jamais arrêtés à j'en aime certaines idées. J'aime Jésus, par ce qu'ils avaient déjà réalisé. Maintenant que nous avons fait ce exemple. Ça a été l'un des plus grands premier album, il y a plein d'autres choses auxquelles nous aspirons, et ce sera toujours comme ça. C'est de ça que parle I Can't Get No Satisfaction, et aussi la tétralogie de John Updike autour du personnage de Rabbit (Cœur de lièvre, Rabbit rattrapé, Rabbit est riche et Rabbit en paix, ndlr). Dès que quelqu'un atteint ce qu'on pourrait appeler une “vie parfaite”, plein de nouveaux problèmes entrent en jeu, qu'il n'avait pas avant parce qu'il ne pouvait simplement pas se le permettre. L'homme pauvre pleure comme l'homme riche quand sa femme meurt. Georges Bush est devenu président puis le plus gros trou du cul du monde. On voudra toujours autre chose, quelque chose de plus… Chet : Même si certains se satisfont de faire de la musique juste pour avoir des bières gratuites ! Christopher : C'est comme Woody Allen : quand il se fait de l'argent avec un film, il flambe tout pour faire le prochain. Quand il a réalisé Manhattan, il était fauché avec le film suivant parce qu'il avait tout dépensé pour s’offrir une chanson bien précise de Gershwin dans la B.O. Il a dû revendre sa maison pour faire le film, alors qu'il était considéré comme le meilleur réalisateur au monde ! C'est pour ça qu'il ne s'est pas "Le but, c'est de faire un très bel album. C'est peut-être déplacé pour recevoir impossible, mais on ne va pas arrêter d'essayer." son Grammy, genre “Merci, j'ai un Grammy, j'y suis arrivé, je suis si heureux”… Au lieu de ça, il était dans un bar à jouer de la clarinette, parce que pour lui c'était juste un rebelles de l'histoire, l'un des premiers penseurs libres. Il a jour de plus, avec un autre film à faire. donné au monde une idée immense, qui est encore l'une des plus grandes jamais élaborées. Avant Jésus, les Juifs vivaient Keith : A quoi sert la musique dans votre vie, si elle ne peut dans la peur de Dieu. Lui a brisé toutes les règles en affirmant pas vous satisfaire, puisque la satisfaction n'existe pas ? qu'on n'était pas supposé avoir peur de Dieu. Et il est mort pour ce à quoi il croyait. Chet : À s'exprimer. Christopher : À essayer de faire quelque chose de beau. Le but, Keith : De la même manière, vous semblez vous mettre en c'est de faire un très bel album. C'est peut-être impossible, mais danger dans votre façon de faire de la musique, sans comon ne va pas arrêter d'essayer. Notre but, c'est d'être les meilpromission, avec vos tripes… leurs, ça n'est peut-être pas réaliste, mais tout est là. Chet : C'est sûr que faire de la musique son métier, ça peut faire peur. Surtout qu'une des grosses frustrations que nous avons Keith : Tous les soirs, en tournée, vous pouvez constater à aujourd'hui, c'est de ne plus voir nos amis, qui étaient une part quel point votre musique touche les gens… Quel sentiment très importante de notre vie. cela éveille-t-il en vous ? Christopher : C'est cool. J'aime bien quand les gosses viennent me voir et me dire qu'ils sont touchés par l'album. C'est génial. Keith : Et il y en a forcément aussi qui vous prennent pour modèle… Christopher : Ça, c'est pas une bonne idée !

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"San Francisco, c'était la Mecque de la révolution hippie, du Summer Of Love… Mais quand on y vit, on s'aperçoit que la contre-culture échoue toujours à la fin."


musique/rencontre

Keith : Ah oui c'est un sacré dilemme… Chet : Oui, alors on essaye d'amener des gens avec nous en tournée, comme Andy, un pote photographe, ou un autre gars qui a fait des vidéos. C'est important, parce que c'est génial et très beau de voyager et tout, mais c'est bizarre de ne plus avoir de bande… En même temps, c'est ce qu'on voulait, on voulait être occupés et partir à tout prix de San Francisco. Christopher : Il y a une chanson de Marilyn Manson où il dit : “When all of your wishes are granted, many of your dreams will be destroyed”. C'est totalement vrai. Keith : Vous vous êtes rencontrés et vous avez formé Girls à San Francisco… Il y a quelque chose de sombre, de bizarre dans cette ville, qui est pourtant censée être la ville de la tolérance et de l'Amour… Chet : C'est une ville très jeune, mais les gens sont très torturés. Il y a un questionnement constant là-bas : “Est-ce que j'en fais assez ?”, “Suis-je assez créatif ?” Et puis c'est une petite ville. Moi, elle m'a toujours semblé dark, mais j'aime bien ce côté obscur. Christopher : Et puis San Francisco, c'était la Mecque de la révolution hippie, du Summer Of Love… La génération hippie avait carrément redécoré tout le quartier de Haight-Ashbury, mais il est tellement évident aujourd'hui que ça a été un énorme échec. Quand on y vit, on s'aperçoit que la contre-culture échoue toujours à la fin. On croise des gens qui, dans d'autres villes, auraient pu passer pour cool ou révolutionnaires, mais, là bas, c'est tellement clair que c'est du bullshit. Et puis il y a plus de sans-abri et de junkies que nulle part ailleurs, ou en tout cas que dans aucune autre ville où nous avons été. Keith : On a le sentiment que ça a mieux fonctionné à Los Angeles… Là-bas, tous les groupes sont composés de

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musiciens enfants de hippies. Chet : La différence, c'est qu'à L.A., on peut faire semblant. Alors qu'à San Francisco, non. À Los Angeles, c'est facile de se déplacer, de changer d'ambiance, de s'évader… Alors que San Francisco est une toute petite ville, très compacte. Chacun a sa routine, son petit monde. On croise les mêmes gens tous les jours. C'est un tout petit endroit, on ne peut pas éviter les gens ou s'isoler. Tu es forcé de socialiser. Tu ne peux pas vraiment faire de pause, à moins de rester chez toi… Keith : Votre groupe ne s'appelle pas “Women”, mais “Girls”… Il y a un truc adolescent dans votre musique, quelque chose de naïf. Vous ambitionnez de rester jeunes pour toujours ? Chet : Qui n'en rêve pas ? Si nous passions notre temps à enregistrer, si nous vivions une vie idéale, si nous ne faisions que ce que nous voulons, on pourrait rester jeunes… Mais ce n'est pas très réaliste. Christopher : En fait tu nais, tu as des rêves ; quand tu es ado, tu as envie de faire plein de choses, et puis tu grandis, et tu n'as plus qu'à transiger peu à peu avec tes rêves, un à un. Jusqu'à ce que tu deviennes vieux, malade, et là il faut accepter que tu vas mourir. Alors peut-être que si nous étions tout le temps en studio… On est très heureux quand on enregistre. Keith : Plus heureux que sur scène ? Chet : Oh oui ! Finalement, un concert, ça ne dure qu'une heure et demie. Le reste du temps, la vie en tournée, c'est traîner avec les mêmes quatre personnes dans des backstage comme celui-ci. Là, on est à Paris, on aimerait pouvoir se promener et tout, mais on ne peut pas. Christopher : Alors que quand on enregistre, on crée quelque chose de neuf. Le meilleur moment, c'est quand on appuie sur


“Play”, une fois la chanson finie. Ou quand on a enfin entre les mains le disque terminé. Keith : En ce moment, vous faites ce dont vous avez toujours rêvé… Sur quels rêves avez-vous dû tirer un trait récemment ? Chet : Je ne veux même pas y penser ! Et en même temps, c'est quand même cool… Christopher : Mais on veut toujours quelque chose de mieux. C'est pour ça que l'enregistrement est un moment satisfaisant, parce qu'on crée quelque chose de nouveau. Là, en tournée, on recrée le même concert tout le temps. C'est cool de le faire parce qu'il y a des défis, on veut s'améliorer, faire en sorte que le public passe un bon moment, mais quand on fait un truc nouveau, on avance vraiment. Chet : Notre situation est un peu particulière, parce que nous sommes devenus un groupe par nécessité, juste parce qu'il fallait bien jouer live. On n'a pas eu de période de croissance, on n'a pas passé beaucoup de temps à travailler ensemble, tous les cinq, à répéter et tout. C'est aussi pour ça qu'on a tellement envie de se retrouver en studio. Je rêve de rentrer au calme, d'enregistrer. En fait, on fait les choses pour nous, pour notre propre satisfaction. Les fans bien sûr c'est important, mais le plus important c'est que nous soyons heureux. C'est bizarre parce que c'est un peu comme de dire que les fans ne comptent pas. Mais en fait les bons groupes sont tellement connectés entre eux qu'ils ne sont même pas vraiment conscients de ce qui se passe dans la salle. Keith : Vous pensez que, dans cette mer de frustrations, l'amour peut être une satisfaction ?

Christopher : Bien sûr. J'aime plein de trucs. Woody Allen, par exemple. Recevoir de l'amour de quelqu'un, ça ne se contrôle pas, mais on peut aimer ce qu'on veut. C'est la seule chose qui soit satisfaisante. Pour tout le monde, le seul moment où on est vraiment heureux c'est quand on partage avec quelqu'un quelque chose qu'on aime, ou qu'on écoute un truc qu'on aime. C'est tout ce qui compte. Keith : En ce qui concerne le son de l'album, certaines chansons rappellent les premiers albums de T Rex. Était-ce une volonté, d'avoir une tonalité vintage ? Chet : On voulait que ça sonne bizarre. Et, pour faire quelque chose d'intéressant plutôt que propre, on a passé pas mal de temps à faire des conneries avec un effet ou le micro d'une guitare. De toute façon, on pourrait leur donner le son le plus clair possible, nos chansons ne sonneraient toujours pas commercial. Donc on a carrément été à l'inverse, on a tout fait pour que ce soit le plus bizarre possible. C'est comme ça qu'on s'est retrouvés à mettre un micro dans une cheminée… Keith : On imagine donc que vous n'avez pas envie de travailler avec un producteur ? Chet : Pourquoi pas, mais tous les producteurs que j'aime sont morts ! Il n'y a pas de disque sorti récemment qui me donne envie de bosser avec quelqu'un ; il ne se passe plus trop de trucs intéressants. A la limite l'indie-rock. Même si je ne suis pas un grand fan, j'apprécie que les gens le fassent avec moins d'argent. Keith : Quels sont les groupes que vous aimez ? Chet : Magic Kids, The Smith Westerns… Ils s'enregistrent tous eux-mêmes.


musique/actu

Little Bird, de Eels Odd Blood, de Yeasayer Be Brave, de The Strange Boys Hemisphere Sud, de Chapelier Fou Bully, de Fortune I'll Build You A Fire, de Seabear Barbe À Papa, de Stereo Total Some Kind of Nature (feat. Lou Reed), de Gorillaz Lone White Wolf (feat. Tim Burgess), de Crookers Gods And Gentlemen, de Drink Up Buttercup Hors la loi, des Shades It's Working, de MGMT

ELLE & LUI + NOUS =

AMOUR “Volume 2”, de She & Him (Double Six/Pias). On l'attendait, il arrive comme de bien entendu avec le printemps. Le second album de She & Him, l'escapade musicale majeure de l'actrice Zooey Deschanel et de son comparse M. Ward, est un délice. Délice de retrouver, tout d'abord, le timbre haut perché et chaud de la chanteuse, son phrasé nonchalant et voluptueux. Délice de renouer, ensuite, avec les orchestrations pleines de tendresse et d'emphase de Ward, qui enrobe les paroles douces-amères et les mélodies sucre d'orge de Zooey d'un nuage de cordes, d'une effusion de chœurs enchanteurs, de parties de piano simplissimes et denses. Léger comme une plume, sans jamais virer niais, ce Volume 2 développe le premier essai, l'étoffant sans en renier le charme pop sixties. Les solos de guitare (sur In The Sun), s'y fondent comme du sucre glace sur un moelleux au chocolat, et leurs deux esprits, on le sent, s'accordent et se complètent comme les voix de Crosby, Stills, Nash et Young : une alchimie un peu magique qui rend ce duo-là si spécial. A la manière d'une Carole King (influence revendiquée), les arrangements empruntent au jazz, pour le côté ardu (hardi ?) et se changent entre leurs quatre mains en de parfaits enrobages pop. Une pop ouvragée, surtout pas cheap, qui redonne ses lettres de noblesse à une précision pas show off, car entièrement mise au service de mélodies en or massif. photo : Chris La Putt

Clémentine Goldszal

ZIMMERMAN JUNIOR “The Wild Hunt”, de The Tallest Man on Earth (Dead Oceans/ Differ-Ant). D'une évidence dylanesque : dix chansons suffisamment hargneuses pour revendiquer les tremblements de terre, comme une incantation à la vie agraire. En lien logique, un certain désintérêt à savoir chanter. C'est qu'ici aussi, il s'agit de signifier, d'extrapoler son intime sur un semblant d'équilibre. Sincérité donc, mot d'ordre du deuxième album de ce cow-boy du pôle nord, aka The Tallest Man on Earth, pseudonyme un brin grandiloquent de Kristian Matsson, homme bien portant quoique loin d'être géant. En marge des groupes à pédales saturées, cette impression qu'au fond, être moderne, c'est savoir toucher à l'intemporel. En 1969 A.D. (Après Dylan), depuis les plaines de neige du fin fond de la Suède, Matsson s'accompagne de cette guitare hippie-sincère, presque naturelle, celle-là même qui met en exergue le rythme éternel que berce la planète Terre. Et touche juste : sans production superflue, un folk presque primitif, entrecoupé de chants d'oiseaux, sans volonté de calibrage, où l'honnêteté semble enfin assumée, apte à être affichée. En entretenant la veine des chanteurs solitaires, The Tallest Man on Earth nous incite à partir à la recherche de la quintessence, au derrière de ce visible, histoire de trouver des réponses à notre tangible. Puis dans un sourire, avec sa guitare en bandoulière, voila qu'il entonne : “Il suffit de marcher pour ensuite ne jamais s'arrêter”. Thomas Hutter

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RETOUR VERS LE FUTUR “Alpha Omega”, de Wayne Beckford (Believe/EMI). “I Learned The Hard Way”, de Sharon Jones & The Dap Kings (Daptone/Differant). “I'm from the future, you're living in the past”. Wayne Beckford annonce la couleur dès Planet Soul qui ouvre Alpha Omega, premier album d'un compositeurproducteur de l'ombre qui a pourtant déjà travaillé pour les plus grands : Outkast, Rihanna, Gnarls Barkley (entre autres !). Le fait qu'il vienne de l'univers de la production fait donc de Beckford un mutant de la même espèce que Kanye West, un homme à tout faire, doué dans tous les domaines. Le sien, c'est la soul. Tout comme la plupart des artistes name-droppés dans cet article, il possède cette sensibilité fréquente chez ceux qui ont d'abord réalisé avant d'interpréter, qui vaccine contre l'esprit revivaliste. Si Wayne décide donc de faire de la soul, il va la produire avec des synthés, des boîtes à rythme et dans un esprit moderne. Globalement tout le contraire de Sharon Jones et ses Dap Kings, les Funk Brothers du label Daptone. Ces Brooklynois ont décidé de capturer l'essence originelle de la soul des années 1960 et 1970, comme le prouve l'écoute de I Learned The Hard Way, ils en ont les moyens. Vous qui avez aimé Amy Winehouse, vous reconnaîtrez ce son si chaleureux et émouvant, puisque les Dap-Kings ont été son backing band. Ce qui lie Wayne Beckford et Sharon Jones aujourd'hui concrètement, c'est la puissance des chansons. Que ce soit de l'ego-trip, que ça parle de cœurs brisés, que ce soit Dynamite, de Monsieur, ou I'll Still Be True, de Madame, cette soul de 2010 frappe fort là où ça fait mal. Benjamin Kerber

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“5/5”, des Shades (Tricatel/Jive Epic/Sony Music).

Deux ans après leur premier album, trois ans après leur premier Ep, quatre ans après leur tout premier enregistrement sur Paris Calling, les Shades sont de retour avec un deuxième opus judicieusement intitulé 5/5. Dès les premières notes, le ton est donné : la chanson s'appelle C'est la guerre et c'est effectivement une bataille que ces quatre gars mènent contre les facilités d'un genre (ils ne sont pas nombreux, les jeunes groupes hexagonaux à s'attacher au français, et à l'utiliser avec ce type de finesse). Le combat est cependant mené avec délicatesse, en témoignent la pochette de l'album, réalisée par un Jean-Baptiste Mondino toujours aussi inspiré, et bien sûr l'ombre bienveillante de Bertrand Burgalat, qui a cette fois-ci laissé le soin de la réalisation à un autre mais auquel on ne peut résister d'imputer une certaine exigence dans le son, une indéniable tenue des arrangements. Le reste est à mettre au seul crédit des Shades : le chant, infiniment plus abouti, la maîtrise générale d'une atmosphère qui est définitivement la leur, ingénue, enragée et désemparée tout à la fois. Autour de Benjamin Kerber (dont vous avez pu apercevoir la signature dans Keith, qui profite régulièrement de ses dons de plume), Victor, Etienne, Hugo et Harry font corps et imposent une cohérence que peu de groupes parviennent à atteindre. Ensuite il y a forcément les chansons préférées (Ton rendez-vous manqué, Hors la loi, Une île déserte ou La Diane), mais là, on en vient à l'intime, à la manière dont les mots et les sons résonneront dans votre crâne et votre thorax. C'est donc le moment où c'est à vous de voir. Une seule injonction : allez voir ! C.G.


musique/actu

CLASSIQUE “Quarantine The Past : The Best Of Pavement” (Domino/Pias). Les années 1990 sont aujourd'hui pour certains un vieux souvenir, mais elles restent surtout pour beaucoup un nid à trésors. En particulier en ce qui concerne le rock. Dans les années 1980 aux Etats-Unis, les pontes des 60's encore en activité semblaient en effet avoir oublié toute forme de finesse. L'effet des mauvaises drogues, peut-être, a en tout cas eu pour résultat de rendre leurs disques très peu inspirés, voire insipides, laissant le champ libre à l'émergence d'une relève toute fraîche (enfin, façon de parler). En sortant du schéma habituel de la chanson rock, de jeunes groupes comme Sonic Youth ou Pixies vont annoncer un mouvement que Pavement a incarné mieux qu'aucun autre groupe à travers la dernière décennie du siècle : l'indie rock américain. Formé par Stephen Malkmus et Scott Kannberg en 1989 du côté de la Californie, leurs premières influences majeures étaient The Fall et The Replacements, ce qui les prédisposait déjà à ne jamais rentrer dans aucun moule. Ultra prolifiques, ils publieront par la suite cinq albums studio en sept ans (de 1992 à 1999). Les trois premiers seront considérés par une pléthore d'artistes comme de véritables classiques. Le groupe sort ici son premier best of, qui résume dix ans d'une “carrière” aussi chaotique que gracieuse. A regarder les débats qui animent les sites de fans autour du choix des morceaux effectué pour Quarantine The Past, on se dit qu'il est encore délicat de définir ce qu'était réellement Pavement. Génial groupe de pop, au sens de la mélodie étrange et aux paroles acides (Here, Gold Soundz, Range Life, Spit On A Stranger), Pavement a rencontré un succès immense auprès des “college radios”. C'était aussi un génial groupe de rock à la puissance phénoménale (Stereo, Unfair). Il incarnait cet aspect bancal de la musique, avec le charme vocal de Malkmus et la production dite “lo-fi” de ses disques, terme en vérité synonyme d'authentique. Au début des années 2000, les Strokes gagnent enfin la bataille inconsciemment menée par Pavement, en montrant que l'indie-rock peut devenir un vrai genre populaire. A la fin de ces mêmes années, Pavement se reforme pour venir contredire ses propres paroles, tirées de Here, l'une des plus grandes ballades jamais écrites : “I was dressed for success, but success it never comes”. * En concert le 7 mai au Zénith. B.K.

C'est une histoire rare, un conte de fées ambiance industrie du disque, une fable improbable sur deux passionnés de musique qui ont eu cette idée folle de monter un label pour signer les groupes qu'ils aimaient. Ça commence au début des années 1990, avec un téléphone et un fax dans un appart londonien. Ça explose au début des années 2000 quand The Kills, duo made-in-Domino, présente au patron Laurence Bell un petit groupe prometteur. Leur nom ? Franz Ferdinand. 2004 : Take Me Out se classe dans le Top 10 des ventes de singles. Le début d'une success-story comme on les aime, intègre et exigeante. La suite ? Arctic Monkeys, These New Puritans, et des brouettes de groupes superbes qui ont pour point commun de départ d'avoir sonné la cloche à Bell. Au catalogue Domino, Pavement et Elliott Smith côtoient Lightspeed Champion et Robert Wyatt, Wild Beasts et Dirty Projectors, Bonnie Prince Billy et Animal Collective. Un label de qualité en somme. www.dominorecordo.com

LABEL COOL

C.G.

ALORS, HEUREUX ? “Congratulations”, de MGMT (Columbia/Sony Music). Un blogueur s'est permis de faire baver le monde des forums en postant un article dithyrambique au sujet du nouvel album de MGMT, utilisant cinq fois le mot “impressionnant” au milieu d'une forêt de superlatifs, j'ai donc compris immédiatement qu'il faudrait choisir son camp vis-à-vis de l'un des disques les plus attendus de ce début de décennie et j'étais loin de penser qu'à la première écoute de Congratulations, j'allais être déçu, comprenez-moi, je suis l'un des seuls à avoir adoré les concerts parisiens du groupe, j'y ai senti un souffle, j'y ai entendu les morceaux qui, je pense, définissent le mieux notre génération, en écoutant cet album j'ai eu le sentiment de n'entendre qu'un groupe faussement ambitieux de plus, empilant des bouts de chansons les uns après les autres sans autre réel message que : “Laissez nous en paix, notre premier album n'avait rien de sincère”, j'ai donc laissé passer plusieurs jours et j'ai compris ceci : nous n'avons ici ni le Aladdin Sane ni le A Wizard, A True Star, des années 2010, mais juste une autre promesse dans un autre registre, la soul psychédélique de Someone's Missing et son texte, comme souvent chez MGMT, beau à pleurer ; Brian Eno et A Song For Dan Treacy qui brodent sur des accords mineurs deux feux d'artifices rock ; It's Working, véritable merveille d'arrangements ; le morceau éponyme qui laisse une boule dans la gorge et rappelle définitivement les plus beaux moments acoustiques d'Electric Warrior de T-Rex. Tous les ingrédients étaient là mais, comme dans la “nouvelle cuisine”, en trop petite quantité. B.K.

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GRAND GRANT

“Queen Of Denmark”, de John Grant (Bella Union/Coop). C'est l'album d'une remontée à la surface, qui a effectivement la consistance transparente et luminescente d'une bulle de lumière. Attention, la légèreté n'est pas ici synonyme de frivolité, mais plutôt d'un talent inouï pour adoucir la dureté des thèmes abordés en les sublimant par une musicalité en dentelle. Au premier plan, il y a la voix profondément tendre de John Grant, le leader de The Czars, qui se retourne sur ses errances (la drogue, l'homosexualité mal vécue dans le milieu très religieux qui fut celui de son enfance), au fil de mélodies qui coulent comme des classiques. Et puis derrière, il y a les musiciens de Midlake, leur flûte enchantée, leurs pianos déchirants, leurs influences Seventies qui vont droit au fond du cœur. On ne va pas vous mentir, Queen Of Denmark est un album douloureux, malgré ses quelques envolées sautillantes, d'une sincérité stupéfiante, où les instrumentations chantent les chagrins avec la mélancolie qui sied aux paroles : des amours perdues, beaucoup (TC and Honeybear, Where Dreams Go To Die), des souvenirs d'enfance (à propos de Sigourney Weaver, un des sommets du disque, Grant explique s'être senti, enfant, alors que la masse le traitait de pédé, “comme Sigourney Weaver se battant contre les aliens, comme si j'étais sur une autre planète”), des déclarations d'amitié (Outer Space), de tristes constatations sur le puritanisme (JC Hate Faggots). Mais par la force de son talent, l'influence lumineuse des années 1970, déconfites mais radieuses, John Grant a construit douze chansons parfaites, d'une délicatesse à pleurer. Un grand disque, vraiment. C.G.

TOTAL FOALS FOREVER

“Total Life Forever”, de Foals (Transgressive/Warner). Sortie le 10 mai 2010

Qu'on se le dise, Foals n'est pas un groupe léger. Ceux qui cherchent des bluettes pour se tortiller le vendredi soir peuvent aller fouiner ailleurs. Yannis Philippakis et sa bande créent une musique urgente, majeure. En un mot, vitale. Beaucoup d'emphase, pourriez-vous dire, mais depuis Antidotes, leur premier album sorti il y a deux ans, le groupe d'Oxford a imposé son rythme : droit devant, et à fond de train. Normal pour un tel projet, l'attente autour de leur second opus est immense. Et elle ne sera pas déçue. Comme le laissent présager les teasers qui tombent au compte-goutte sur le net, Total Life Forever est un disque important, et pas que pour les quatre Anglais qui ont bien failli, ils ne s'en cachent pas, y laisser leur peau (celle de Foals mais la leur propre également). On retrouve donc sur ces onze titres leur marque de fabrique fascinante : des morceaux complexes, qui reproduisent à tous les coups un miracle presque alchimique, se déployant en quelques minutes (le format moyen tourne autour des cinq) autour d'un squelette rythmique simple pour finir par se transformer en des édifices d'une complexité qui ne

fait jamais d'ombre à la clarté du propos. Des beats percutants (Miami), des riffs funky (Total Life Forever), contrariés par des cassures de rythme, des moments d'emphase parfaitement maîtrisés, des atmosphères voluptueuses et touffues qui draguent une infinie mélancolie. La violence est bien là, témoignage des durs moments passés en studio, dans la Suède sauvage, à se battre “comme de vrais centurions” contre la folie menaçante de leur leader control-freak, et l'épuisement nerveux de ses comparses. Bref, Foals mène une guerre. Contre l'easy-listening et la facilité en général. Et nous leur en savons gré. Leur album, essentiel, mérite d'être écouté comme tel, en immersion totale. Le clip de Spanish Sahara, doux mais plombé d'une mystérieuse noirceur, est un bon indice des abîmes où ce groupe-là va puiser pour nous offrir le ravissement. Foals, les nouveaux messies. C.G.


musique/actu Introducing...

A L’EST, DU NOUVEAU “Laukinis Suo Dingo”, de Alina Orlova (Fargo).

photo : D.Matvejev

Elle qui s'ennuie en Lituanie, blasée par le spectacle de sa centrale thermique. Elle qui s'interroge : pom-pom girl ? Les basketteurs plutôt, non merci. Elle qui cogite puis se dit : le piano finalement, quel bon parti. Elle qui s'essaye dans les anciennes kermesses d'URSS. Elle qui persiste. Elle qui enregistre, grave son sensible. Moi qui chronique. Premier album réussi, presque de quoi dire merci : seize titres qui chantent la Baltique d'une voix trouble et poétique. Une sorte d'anti-folk qui engage l'intime dans un moment que l'on sent forcément en abîme. On y sent une filiation avec Kate Bush, les prémices d'un talent indéniable, quelque part entre une Cat Power plus drôle et une Tori Amos moins synthétique. Un piano implicite, du courage dans les suites, de belles envolées lyriques. Plusieurs hic cependant, comme ces mélodies systématiques, trop dans le registre de la mélancolie figée d'un cantique. Surpris aussi par la superposition d'une boîte à rythme, par ce violon-polka, par l'accordéon à deux roubles. On sature vite, se disant qu'à Paris, le métro suffit. Au final, une impression contrastée d'une Lituanie à la voix fébrile où le vieilli des traditions semble s'attacher à tout détruire. Mais impression à deux doigts d'être exalté tant il s'agirait de se donner la peine d'ébouriffer sa tranquillité. T.H.

NAGE LIBRE “Swim”, de Caribou (City Slang/Coop). Sortie le 19 avril 2010 Daniel Victor Snaith n'a pas été doté du patronyme le plus agréable à porter, il est par contre né avec un don particulier pour la musique. Ceci dit, il a peut-être voulu se venger de son nom en portant les pseudos les plus moisis (Manitoba entre 2000 et 2003 puis, suite à un procès, Caribou, donc, de 2006 à nos jours). Swim est le cinquième album de Snaith, et en comparaison à Andorra, sorti en 2007, qui remettait les guitares au goût du jour dans le son du bonhomme, c'est un disque purement électronique. En clair, si l'opus précédent pouvait avoir des réminiscences de My Bloody Valentine, celui-ci se rapproche davantage d'Aphex Twin. Boucles synthétiques, vocaux planants et rythmes tribaux sont au rendez-vous pour ce qui semble être un voyage vers des explorations sonores plutôt passionnantes. Chaque morceau se construit autour d'un motif et petit à petit, les éléments s'emballent, disparaissent, évoluent. Cela donne Odessa, titre d'ouverture groovy à sa manière, et qui passerait aisément en boite sans manquer de casser la baraque. Sun pourrait être l'attrapeur de rêves au dessus de votre lit, histoire de chasser quelques cauchemars. Swim vogue ainsi entre instants dansants et odes sombres ou lumineuses à une nature étrange et cosmique, en mélangeant parfois les deux comme sur Leave House. Amoureux des gracieuses textures sonores contemporaines pleines de détails, si vous n'avez donc pas peur du vide, plongez dans ce disque tête la première. B.K.

… I S S U A ET de ir”, r vo e s e pe a - “R rlo. grou e a c f i, e n a Fa st vr urri d

e ne. C t bon meiln e m e ad ique class Amérique l' e qu The leur.

e qui n rise, p r u de s urs aux e s effet de l' pas toujo mps de et te , e laiss listes le ça arrive ut a e , n p n r o u n jo er. B e. Ça, o n r u o s n ret imme e. c'est ous le dir v jà Ice dé The

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photo : M.B.

Jamie Lidell Inventeur fou

Jamie Lidell est en promo à Paris pour son nouvel album Compass. Las d'avoir répondu aux mêmes questions toute la journée, voici un Jamie Lidell qui trouve en Keith un confident idéal...

les ordinateurs. Ca s'entend pas mal dans mes morceaux où j'ai bidouillé plein d'arrangements.

Keith : Pour toi, Who is Keith ? Jamie : Pour moi Keith, c'est Keith Magna. Il monte des vidéos, et a travaillé pour Beck et moi. Il a notamment fait le teaser du nouvel album.

Keith : Geek de technologie? Jamie : Bien sûr, mais je ne parle pas des trucs modernes comme facebook. Je suis un peu old school. Pour ces choses-là je suis à la ramasse, je commence tout juste à m'y mettre ! Je pense plutôt à des petites inventions auxquelles j’ai réfléchi...

Keith : A propos de Beck, il a travaillé avec toi sur l'album. Quel était son rôle ? Jamie : Il a composé la musique et les paroles de She Needs Me. Mais on a travaillé ensemble sur l'album en général. A L.A, on a enregistré quatre chansons en trois jours. Après, on est partis au Canada dans la maison de Feist en pleine nature, pour méditer, rendre les chansons meilleures. Keith : De la méditation ? Avec quelles drogues ? Jamie : (Rires) Plus aucune ! Eh oui, j'ai une vie saine maintenant, je suis un "clear bastard". J'ai un nouveau mode de vie très équilibré. C'est important de pouvoir prendre de la distance, du temps pour réfléchir sur sa vie, et respirer de l'air pur... Keith : Tu es inspiré par d'autres arts que la musique ? Jamie : Pas vraiment. J’aime bien le cinéma, mais je n’ai pas le temps d’y aller. J’ai vu Mr Fox, c’était génial. Sinon, je n’ai jamais fait de peinture, mais j’aurais aimé. Je n'ai pas beaucoup de temps pour cela. Je consacre le plus clair de mon temps à un autre art : la cuisine. Ma vie se résume maintenant à ça : Fitness, Health, Food. Je suis à la maison avec ma femme, et mène une vie normale, de plus en plus simple ! New York est parfait pour ça, tu peux y mener la vie que tu veux : autant une vie de businessman pressé que de junkie dépravé ou d'artiste fou... Keith : La cuisine est alors pour toi un art à part entière ? Jamie : Oui, c'est moi qui cuisine à la maison et je fais des compositions folles. Tout est question d'équilibre pour trouver la saveur parfaite et en ça, ça se rapproche de la musique ! C'est tellement bon de vivre comme ça. Et c’est un art convivial. A New York, tout le monde a un avis sur la nourriture et aime partager des endroits pour le meilleur café, le meilleur brunch... J’adore ça ! Keith : Musique et nourriture, voici le nouveau Jamie Lidell ! Jamie : Oui, mais j'ai d'autres passions! J'adore la technologie,

Keith : Tu nous expliques ? Jamie : D'accord. J'ai par exemple imaginé une fourchette pour les enfants qui envoie directement du ketchup dans la saucisse (voir dessin) ! Il y a un réservoir dessus. Si on le remplit bien, on peut avoir du ketchup toute sa vie par perfusion ! Mais c'est pour les enfants, le ketchup. Je n'ai moimême jamais été un fan. Je vous fais le dessin pour Keith mais c'est MON IDEE, que personne ne me copie ! J'ai aussi imaginé un aquarium géant pour les défilés de mode dans lequel les mannequins plongeraient et tout le monde serait autour pour regarder. On verrait alors les vêtements en mouvement, ce serait super. Mais il y aurait des noyés à chaque défilé, alors c'est peut-être un peu trop

dangereux... Encore une idée : deux piscines l’une au-dessus de l’autre et tout en verre, avec un espace d'un mètre ou deux entre les deux. En se baignant dans celle du dessous, on se sentirait alors comme sous la mer. Pour peu qu’on mette des poissons dans celle du dessus… Je rêve de faire ça un jour. Pour finir : une bulle géante dans laquelle on met une deuxième bulle plus petite et dans laquelle on met quelqu'un. Cela permet de descendre les flancs de montagne à toute vitesse en rebondissant mais en gardant l'équilibre, et sans se faire mal ! Ca parait difficilement imaginable comme ça, mais ça marche, croyez-moi ! Propos recueillis par François Kraft et Mateusz Bialecki. *Compass, de Jamie Lidell. Sortie le 25 mai 2010. Deux adresses food de Jamie Lidell : - Le meilleur café de New York : Café Grumpy, 224 West 20th Street. - Le meilleur restaurant polonais du monde : Belmonds, sur Reichenburgerstrasse, à Berlin.


musique/actu hhhhhh

JUNGLE

SONORE

- “Animal Feelings”, de Rafter (Asthmatic Kitty/Differ-Ant). Sortie le 12 avril 2010 - “Our World”, de Lali puna (Morr music/La Baleine). Sortie le 6 avril 2010 - “Down The Way”, de Angus & Julia Stone (Discograph). Sortie le 6 avril 2010

Le sac sur le dos, la machette à la main, me voici prêt à m'introduire dans la jungle. Un sentiment sauvage, animal, s'empare de moi quand je lance l'électro festive et dévergondée de Rafter sur mon iPod en bambou. Je m'enfonce alors vers cet enchevêtrement de lianes et de fleurs sauvages. Les percussions d'Animal Feelings provoquent en moi une frénésie incontrôlable. Des oiseaux multicolores semblent participer à la musique, et je me retrouve vite porté de force jusqu'à un village tribal par une bande de singes déchainés entonnant à tue-tête le terrible A Frame. Là-bas, la fête bat son plein. Un Arumbaya dansant au son de Feels Good me fait boire une boisson psychotrope dans sa noix de coco, et je suis alors projeté dans un tout autre monde. La fièvre animale de Rafter est instantanément remplacée par une joyeuse et calme transe, celle de Lali Puna, un petit trésor électronique de morceaux planants. Ma tête s'emplit alors de mélodies suaves et douces, et des étoiles m'emportent hors de cette forêt vierge, en apesanteur au-dessus de la terre. Je vole... Au réveil, je suis dans un lit inconnu. Angus et Julia Stone sont à mon chevet. Ces frère et sœur me jouent Down The Way, leur deuxième album. Une suite mélodieuse de chansons folks touchantes, poignantes même. La voix profonde de Julia provoque en moi un sentiment doux, entre la joie et la mélancolie. Une belle journée commence... Cette aventure et ces sensations sont à la portée de tous. Il vous suffit d'écouter ces trois albums. Vous pourrez alors aller très loin... F.K.

Mélange de genre “No Más”, de Javelin (Luaka Bop/PIAS). Sortie le 26 avril 2010

Véritables plasticiens sonores, les membres de Javelin assemblent des samples et des fragments de sons électro. Il en découle des morceaux d'une richesse sonore intarissable. Seulement, pour accéder à cette œuvre magistrale, une seule solution : entamer la traversée du mur sonore. Chaque porte correspond à une transition vers un nouveau genre. On y retrouve de tout, mais tout a un sens. Grâce à leurs diverses expériences et influences, Javelin rend à la musique sa dimension intemporelle. On se noie rapidement dans des foulées de beats plastiques relayées par des guitares électrisantes. C'est la fresque stupéfiante d'une génération à la dérive identitaire. Le mélange de genres est si frappant qu'on en vient à ne plus rien discerner. Javelin joue sur les sons et l'exercice fonctionne à merveille. Cela n'est pas vraiment rationnel et c'est tant mieux. Chaque style vient faire sa démonstration dans le cercle musical. Ce mélange créatif donne à l'album un ton frais et surprenant. Une formation qui fait preuve d'une décontraction déconcertante. On se resservira. Donatien Cras de Belleval

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BEULAH IS BACK “The Desert Of Shallow Effects”, de Miles Kurosky (Shout! Factory/Import). Sortie le 26 avril 2010

La séparation de Beulah (ex groupe de Miles) représentait beaucoup pour peu et peu pour beaucoup. En fait, une multitude de groupes s'éteignent chaque jour, mais heureusement, pas des groupes de cette trempe. Enfin tout s'arrange. Il faut dire que nous avions bien mérité une petite consolation. Et quel soulagement, l'âme de Beulah plane encore parmi nous. Avec cet album, Miles se réconcilie avec des fans qui seront loin d'être déçus. Les titres s'enchaînent avec une virtuosité égayée et une vivacité surprenante. Il s'agit simplement de 39 minutes de pur bonheur. Pink lips, Black Lungs bat la mesure pour ensuite marteler une mélodie à double sens. Inutile de connaître les codes, tout est instinctif. Vous n'êtes pas livrés à vous-même, Miles vous conduit. N'ayez crainte si vous bouillonnez, si vous virevoltez, vous irez même jusqu'à perdre pied dans la quintessence des compositions affutées. Inutile de l'indiquer, mais Miles n'a pas perdu une once de son talent. Difficile de dire si c'est du Beulah, mais l'ambiance est là. Il faut y voir un prolongement mais aussi un renouvellement : les compositions sont résolument plus épurées et énergiques. L'orchestration révèle à nouveau la maturité et le talent de Miles. Bref, vous l'aurez bien compris, avec The Desert Of Shallow Effects, Miles Kurosky relance la machine ! D.C.B.

(GA)RAGE “Immer Etwas”, de Nice Face (Sacred Bones Records).

On avait perdu tout espoir d'un éventuel retour du garage (l'essence même du rock). Et ce suite à une longue descente en enfer : Iggy n'est plus que l'ombre des Stooges, les BRMC font la B.O de Twilight, Manoeuvre fanfaronne à la Nouvelle Star et les “BB rockeurs” s'acharnent à singer les clichés éculés du rock'n'roll. Les temps sont durs... Mais un souffle nouveau vient réchauffer nos cœurs : Sacred Bones Records, le label New Yorkais, nous présente Nice Face et son incroyable Immer Etwas, truffé de mélanges psyché des plus détonants. I Want Your Damage impose de suite son authenticité avec un pur style horseshit décapant. Situation Is Facing Utter Annihilation est une course contre la mort, où le seul but est d'écraser tout sur son passage. Dans un monde plongé dans le ridicule et l'intolérance, Immer Etwas passe ainsi le Rock à la moulinette : Blood In The Hell sombre dans une danse macabre avec le diable en personne, et Selectron pénètre au plus profond des corps désabusés et meurtris. Enfin, avec son goût du malsain jusqu'au-boutiste, Nice Face montre avec Hard Time qu'il faut se mouiller pour être belle ! Jouissif. M.B.

GIRLS POWER “Love To Live”, de The Living Sisters (Vanguard Records). Sortie le 30 mars 2010

The Living Sisters est sûrement le nouveau projet "100% féminin" le plus abouti de ces dernières années... Dans cette magic team, on retrouve Inara George (The Bird and the Bee), LA songwritter du moment, accompagnée de Becky Stark (Lavender Diamond) et d'Eleni Mandell. Le retour aux traditions est clair : gospel, soul, jazz, country. Double Knots se balade à travers le bruit du temps dans une forêt tropicale où les bêtes sauvages sont des hommes musclés vêtus d'une feuille de vigne (Amérique puritaine oblige !). De quoi ravir nos trois demoiselles… Hold Back (chœurs, et guitare mélodique) ou Good Ole Wagon (bijoux d'architecture suspendue) sont absolument irrésistibles. Love To Live a tout du parfait disque de l'été (un peu en avance), lumineux et gracieux. Il nous apportera les ressources nécessaires quand le soleil tapera sur nos têtes (on y est presque). A consommer sans modération. M.B.


l'assaut de la grande ville, New York. Le rêve américain ! Là, nous avons enchaîné les concerts, et ça a commencé à prendre, les gens étaient vraiment réceptifs et enthousiastes.” Normal, avonsnous envie de dire, à entendre les sept pop songs parfaites qui composent leur Ep,”Summertime”. “Pourtant, continue Jacob, pour la première fois avec The Drums, nous avons composé avec pour seul objectif de nous satisfaire nous-mêmes, sans jamais penser à ce qui était cool ou pas, branché ou ringard. Ça a donc été une énorme surprise de découvrir le public si réactif dès notre premier concert.” C'était en mai dernier. Bonne heure, bon endroit, les chagrins d'amour de Jonathan ont une portée universelle, le dépouillement sophistiqué de ses mélodies, un pouvoir irrésistible. De l'arrache-cœur Down By The Water, au vicieux et souriant Saddest Summer, en passant par le tube ultime Let's Go Surfing ou le frétillant Don't Be A Jerk, Johnny, on pense bien sûr aux girls groups des années 60, Ronettes and co, mais aussi à l'élégance de dandy torturé d'un Ian Curtis ou d'un Morrissey… Difficile, cependant, de mettre en mots le pouvoir de leur musique. On craindrait d'en briser la magie. Sachez juste que l'album sera dans les bacs en juin, ce qui ne vous dispense pas d'acheter l'Ep : un morceau seulement sera recyclé sur le Long Play. Découvrez-les, ça urge, The Drums avancent à toute berzingue !

photos et mise en page : Laure Bernard

Etrange moment pour l'industrie musicale, où une Lady Gaga calibrée pour le succès semble avoir trouvé les clefs de la notoriété, une recette alliant com, son et image pour garantir un succès planétaire. De l'autre côté du monde, les introspectifs XX emportent tout sur leur passage avec leur mélancolie intimiste, et The Drums s'apprêtent à faire pareil, armés, eux, d'un songwriting admirable de simplicité et de grâce. Ce qui se passe avec ces quatre Américains à la mise très “Ivy Ligue post punk”, est un miracle quasi-alchimique : dans l'intimité d'un appartement de Floride, Jacob et Jonathan on écrit, composé et arrangé tout un tas de chansons sans se soucier un instant, disent-ils, du monde extérieur. Aujourd'hui, surprise, des milliers d'étrangers s'entichent de leurs mélodies romantico-dansantes… Une histoire un peu vertigineuse pour le quatuor, de passage à Paris fin février en plein cœur d'une tournée sold out. “Au début, cet engouement était un peu troublant, concèdent-ils, mais il n'y a rien à faire que de se laisser porter. De toute façon, si nous n'étions pas là, nous ferions la même chose, mais à New York”. Car, comme de juste, le ver a envahi le fruit en passant par la Grosse Pomme, Brooklyn plus précisément, redevenu depuis quelques années un vivier pour rockstars en devenir. “Jonathan et moi nous connaissons depuis l'enfance, raconte Jacob, le guitariste. Il y a un an environ, il est venu me rejoindre en Floride pour écrire des chansons. Nous avons travaillé dur, enregistrant un paquet de morceaux, tous en une journée. Quand nous avons eu fini, nous sommes partis à

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littérature

Arme

de

subversion

massive

Chuck Palahniuk : “Pygmy”

Entré droit comme un balle de 35 dans le panthéon des auteurs white trash comme seuls les States savent en produire, Chuck Palahniuk, depuis quinze ans et “Fight Club”, est l'écrivain de la folie généralisée made in US. Après les schizos amateurs de front kicks, les sex addicts “moodiesques” et quelques détours fantastico-satiriques, il revient avec son onzième roman “Pygmy”, une fresque vitriolée de l'Amérique post 11 septembre dans laquelle il condense les obsessions d'un empire sur le déclin : racisme, terrorisme, puritanisme et sodomie salvatrice.

Opération dévastation

God bless America

Pygmy, enfant-kamikaze, espion-nimbus de treize ans, a été lobotomisé par le gouvernement d'un état totalitaire à mi-chemin entre la Corée du Nord, l'Iran et un certain nombre de ces pays blacklistés des G8 pour cause d'extermination systématique de paroles dissidentes. Alors que les autres enfants de son âge se gavent de miel pops en regardant Dragon Ball Z, Pygmy apprend à “citationner” les grands dictateurs et à arracher des têtes, crever des yeux, arracher des sphincters avec le seul petit doigt. Il a été sélectionné, ainsi qu'un petit nombre de ses semblables pour atomiser l'ordre américain, détruire le système capitaliste et par la même occasion “attentationner” un max de suppôts surchargés pondéralement. Le livre divisé en “Dépesches” est le journal de bord de l'agent Pygmy. Chuck Palahniuk confie les clés de la narration au personnage principal et c'est dans une langue déroutante où se mêle du vieux français, du langage texto voire phonétique, des dérapages linguistiques contrôlés que l'auteur déroule son écriture obsessionnelle, proche du dialecte. A travers les yeux du jeune Pygmy, Palahniuk peint la fresque d'une Amérique WASP dégénérée. Ici, les réunions tupperware entre mamans sont devenues des séances d'essayages collectifs de vibromasseurs, le révérend de la paroisse un défroqué engrosseur de mineures, la jeunesse mâle un réservoir à hormones rendue folle par une frustration chronique de ses pulsions sexuelles… Toute la société cainri, aux yeux de Pygmy, n'est plus qu'une grande instance en pleine déliquescence au bord d'une explosion qu'une seule petite étincelle viendrait provoquer. Et cette étincelle, Pygmy se propose de la fournir.

L'écriture de Palahniuk, à l'image de l'Amérique qu'il décrit, fascine autant qu'elle révulse. Dans ce style si particulier qui caractérise le texte de Pygmy (parfois incompréhensible), Palahniuk jongle avec les ambigüités et les névroses obsessionnelles de la première puissance mondiale qui, depuis le 11 septembre, a posé un genou à terre. Avec une énergie satirique compacte, l'auteur souligne les incohérences du pays le plus puissant du monde qui, paradoxalement, vit dans la crainte croissante de l'attentat. Au masque puritain dont se pare l'Amérique, Palahnuik oppose avec humour et burlesque des sodomies non consenties génératrices d'amours homosexuelles, une violence qu'il sous-entend intrinsèque au capitalisme, un misérabilisme vecteur de racisme, une immoralité explicite. Et malgré la caricature assumée, le livre évite de justesse le manichéisme relou. Au fil du texte et malgré le lavage de cerveau totalitaire, le personnage de Pygmy va progressivement voir sa vision de la société américaine évoluer. Il va voir se dessiner derrière l'arrogance triomphante, l'émotion et la rébellion absente du totalitarisme et se laisser gagner par le mouvement. Et Palahniuk de conclure son livre par une pirouette de sitcom AB prod dans une scène tarantiniesque. Après tout, pourquoi pas ? Léonard Billot * Pygmy (Denoël), de Chuck Palahniuk

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“Limousines blanches et blondes platines”, de Dan Fante. Editions 13e Note. 320 pages.

Dan Fante conclut sa tétralogie sur Bruno Fante, son alter ego. Ce Bruno qui a troqué le taxi de Régime Sec pour une white limo. Mais l'alcool finit toujours par le rattraper, le traîner dans des situations embarrassantes, le rendre fou et suicidaire. Les réunions AA (Alcooliques Anonymes) n'y font rien, Bruno ne parvient ni à décrocher ni à faire taire cette voix intérieure qui le harcèle. Il ne lui reste plus qu'à surmonter les galères, reprendre toujours un dernier verre, et surtout garder en tête l'espoir que sa plume incisive soit un jour publiée. «Faire semblant jusqu'à ce que ça marche.” Il pourra alors réaliser son rêve : devenir écrivain comme son père, peut-être même prendre le large et lâcher son boulot. Inspiré de sa propre vie et de son expérience d'ex-alcoolique, Dan Fante raconte le combat d'un homme contre son pire ennemi, ce liquide pernicieux qui s'est déjà emparé de son corps et le ronge de l'intérieur. Un personnage d'antihéros poignant, subissant les revers de la dépendance, et dont la naïveté et le sens de l'humour font rayonner les journées noires d'une existence malmenée. Vivre comme son père (John Fante) et choisir comme lui l'autofiction, ça n'aide pas à couper le cordon. Et pourtant, c'est dans les lettres absurdes de Bruno, ses colères impulsives, sa liaison hors-norme avec Portia et toute cette galerie de personnages loufoques que l'on trouve une chaleur inédite qui n'est pas sans rappeler Hubert Selby Junior, le mentor de l'auteur. Stan Coppin


littérature/actu

“Motti, sa chienne de vie”, de Assaf Schurr. Actes Sud. 192 pages.

Parfois, on a l'impression de pouvoir se représenter un auteur à la lecture de ses livres. Pour Asaf Schurr, j'ai mon idée. Je le vois grand, mince, des cheveux dans tous les sens. Je suis sûr que lorsqu'il discute, il parle vite et fort, et avec ses mains aussi. Le genre de type à se couper lui même la parole, à raconter trois histoires en même temps. Nerveux, dense, comme son écriture, mais drôle tout de même. Nous sommes en Israël, le soleil brille, et Motti, purge par dévotion la peine de prison de son ami Menahem. Une vie de chien, donc, sauf qu'ici les chiens ont plutôt la belle vie. On nous parle du rêve, de l'amitié et de la soumission qu'elle engendre. De plein d'autres choses aussi, parfois disséminées dans la psychologie des personnages. Le tout décomposé, recomposé, agrémenté ça et là d'interventions de l'auteur. Un vrai bordel, soit, mais quel plaisir ! Libre au lecteur de détester ce livre : son enjeu en fait sa faiblesse. C'est une bouffée d'oxygène pour qui sait le lire, mais sans doute déroutant si l'on cherche du concret. Car il n'y a pas grand chose pour s'accrocher ici, le naufrage est aisé, soyons-en prévenus. A lire d'urgence pour qui doute de la diversité des productions littéraires contemporaines. Que ceux qui n'y voient qu'un “geste” sachent au moins l'apprécier. Moi, j'ai choisi mon camp. David Abittan

“La passerelle”, de Lorrie Moore Editions de l'Olivier. 361 pages.

L'auteur du très remarqué Des hisoires pour rien, revient avec un nouveau roman La passerelle, déjà classé parmi les meilleures ventes du New York Times. Il est assez difficile de ne pas tomber sous le charme des mots de la talentueuse Lorrie Moore et de la fantaisie qu'elle utilise pour parler des choses les plus noires. C'est l'Amérique qu'elle écrit. Celle des campus, des gobelets rouges, des cinémas, du Midwest et de l'après 11 septembre. Son héroïne, Tassie, n'est jamais sortie de sa ferme et débarque en ville pour faire ses études et gagner sa vie. Elle est euphorique et veut croquer cette Amérique dont elle a tant rêvé. Telle une petite ingénue, Tassie Keltjin nous décrit ce qu'elle voit, sans rien y comprendre vraiment. Le 11 septembre est encore dans tous les esprits, le pays entre en guerre contre l'Afghanistan, la crise pointe le bout de son trader, et le racisme, n'en parlons pas. Le tableau s'assombrit de jour en jour, mais le ton ne change pas. Avec sa vivacité d'esprit et son humour décapant - presque British - Lorrie Moore nous donne à voir la violence de nos existences et la fragilité des apparences, sans jamais plomber l'ambiance. Piquante et drôle, l'auteure saisit une tranche de vie parmi d'autres avec une émotion bouleversante et ce sens du détail qui lui colle à la peau depuis ses tout premiers romans. Vive La Moore ! Mathilde Enthoven

TORONTO, LOIN DES ÎLES. “Mélancolie du rocker”, de Toby Litt. Éditions Phébus. 285 pages.

Beck et son foutu taxi jaune m'ont encore poussé à forcer sur les tips. Parce que ouais, à 3 heures du mat', entendre la confession d'un ex-guitariste punk qui chie sur ma génération, ça force la générosité. Kensington Avenue, une dernière poignée de dollars - et à lui de me relancer : •“Il était vraiment bien ton concert ?!” •“Ouais... vraiment.” •“Et ils avaient l'air heureux les gars sur scène ?” •“Ca bougeait bien, y avait du monde… Ouais.” •“Ils sont à la masse, tes rock stars ! Ils courent après des fantômes, parce que putain, ils sont nés trop tard!”. Ca doit être ça, La Mélancolie du rocker. Drame du revival. Se voir, une vingtaine d'années et quelques échecs discographiques plus tard, comme l'éternel leader d'un groupe dont les membres sont encore et toujours figés dans leurs rôles d'hier : le batteur, le bassiste, le guitariste. Dans le nouveau roman de Toby Litt, un groupe démembré. Et c'est d'autant plus édifiant qu'il est canadien, ce groupe, et que làbas, tout a commencé avec les sixties. Frustration d'une Histoire quasi-inexistante. Couvé par la presse, le jeune écrivain British peut se targuer d'être historiquement et musicalement crédible. En tous cas suffisamment pour illustrer cette mélancolie née entre les coulisses et la scène. Il aura bien choisi le nom de son groupe : Okay. Une manière de nous faire hocher la tête docilement alors qu'en fait, il fait parler la tristesse : “Le rock est mort. Dieu merci. Mais Dieu est mort, lui aussi. Merci je ne sais qui.” Charles de Boisseguin

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“Beautés volées”, de Mara Lee. Albin Michel. 496 pages.

À l'origine de Beautés volées, il y a un triptyque infernal, Léa, Mia et Laura, ces muses abîmées par leur créatrice, la talentueuse et cruelle photographe Siri. Tantôt blessées, vengeresses, secrètes ou exubérantes, elles sont fascinantes de justesse. Et c'est un véritable plaisir que de les découvrir entre Paris et la Suède, entre le passé et le présent, dans cet entre-deux âges que représente la trentaine. Le lecteur se trouve alors dans la position d'un amateur d'art face à un tableau vivant. Malgré l'enchâssement abrupt des histoires de Léa et Laura, dans la première partie du roman, le passage d'un personnage à l'autre est vite oublié grâce aux flashbacks dans lesquels se déploie l'intrigue. Si l'aspect psychologisant des traumatismes d'enfance est un peu surfait, si la critique du paraître est un poil attendue et si la réflexion esthétique est parfois trop marquée, il faut cependant souligner la subtilité de ce texte qui ne cesse de réfléchir sur luimême. Étonnante Mara Lee qui capte avec brio l'essence de la féminité dans cette fiction haletante et profonde, soutenue par une écriture d'une poésie glaciale. Louise Gamichon

Le fonds de commerce du Pontife Claude Lanzmann Au regard de la polémique germanopratine Haenel/Lanzmann, on est tenté de se demander si les romanciers sont désormais condamnés à n'être que les locataires d'une Histoire dont certains évangélistes revendiquent à présent la propriété ? Devront-ils payer un “droit au bail” aux susdits évangélistes chaque fois que leur imagination (par bonheur on la sait souvent mécréante) les portera à investir littérairement un lieu par d'autres consacré ? On se souvient qu'à la publication des Bienveillantes, à l'automne 2006, Sa Sainteté Lanzmann (toujours équipé d'une loupe et d'un goupillon) rechigna tout d'abord à bénir le clerc Jonathan Littell au prétexte que les SS étant par définition taiseux (“je le sais, je les ai interrogés pour mon film Shoah”) - il n'était pas crédible que l'un d'entre eux se fendît d'une confession de mille pages… Sexe des anges. Argutie théologique. Cependant contraint par la ferveur laïque (120.000 apostats en trois semaines !) l'épais pontife opéra bien vite un repli opportun destiné à préserver la réputation de son Église : “il n'y a que deux personnes au monde qui peuvent comprendre Les Bienveillantes, moi et Raul Hilberg (l'auteur de La Destruction des Juifs d'Europe)” finit-il par concéder, un rien jésuite… Yalta des compétences. Fin des hostilités. Quatre ans plus tard exactement, Sa Sainteté Lanzmann remet le couvert - loupe toujours coincée au dessus de l'oreille, goupillon entre les dents. Cette foisci l'hérétique locataire a la frêle silhouette d'un adolescent. Sa langue est un murmure, ses mots des excuses.

Il dit la prière du Juste polonais Jan Karski, le silence honteux d'autres taiseux (américains et anglais ceux-là) qui ne voulurent pas croire ce que Karski leur dépeignait du sort des Juifs : “je sais que vous ne mentez pas mais je ne vous crois pas”, lui répondaient les sophistes membres du cabinet Roosevelt. Sur le ring, Yannick Haenel et son Jan Karski ne pèsent a priori pas bien lourd face au lourd cerbère des Temps Modernes qui vocifère bientôt dans les couloirs de leur commun éditeur (Gallimard) : “c'est lui ou moi !” Tel Pierre dans le conte musical de Prokoviev, lequel ne cesse de crier au loup pour affoler ses proches (au risque de se retrouver bien seul le jour où le loup menacera vraiment), Lanzmann brame encore une fois à la falsification de l'Histoire, au déni, à la violation de sépultures en imitant involontairement Flaubert qui imitait Cervantes : “la Shoah, c'est moi !”. La belle affaire ! Plus personne n'écoute si quelques-uns entendent encore (le clergé). En réalité, tout le monde le sait, le timide Haenel demanda audience, bien avant la publication de son Karski, au Pontife propriétaire de l'Histoire (sur les conseils du prudent cardinal Sollers) lequel Pontife lui donna sans rechigner son imprimatur. Théâtre vaticanesque que tout cela, se dit-on soudain, en se souvenant qu'en comptabilité générale, le droit au bail est un des éléments constitutifs du fonds de commerce... Alphonse Doisnel


littérature/actu

“L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet”, de Reif Larsen Nil. 400 pages.

Un livre ? Bien plus : un objet ! A peine en main, il attire déjà la curiosité : format carré, couverture plastique. A peine ouvert, vous ne pouvez vous empêcher d'effeuiller les pages : dessins, croquis, schémas, cartes et gribouillages dans la marge. Le résultat est si convaincant qu'on se demande pourquoi personne n'y avait pensé avant. (*1) Une histoire ? Bien davantage : un univers ! L'extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet est avant tout un roman. L'itinéraire du jeune Tecumseh Sansonnet Spivet, jeune prodige scientifique du fin fond du Montana qui gagne un prestigieux prix à Washington pour l'un de ses croquis. Malgré ses 12 ans, il se lance alors à la conquête de l'Est et traverse le pays sans prévenir ses proches. Au cours du voyage, il note tout dans ses carnets et nous fait partager ses drôles de créations. (*2) Le tout ressemble à une recette parfaitement réussie d'un futur best-seller : un savant dosage entre des encarts dans la marge qui donnent du relief aux personnages et à l'histoire, et le récit touchant d'une graine de génie dont la curiosité s'avère contagieuse pour le lecteur. Un livre conceptuel qui aurait tellement de raisons de décevoir et ne commet pourtant aucune faute éliminatoire. Passionnant du début à la fin. Rejoignons Stephen King qui en parlait comme d'un “trésor”. (*1) Pas étonnant que ce livre paru en juin dernier aux USA soit encore dans le top 100 des ventes. (*2)Retrouvez tout l'univers de T.S. sur www.tsspivet.com (en anglais)

Thibaud Pombet

Que dire de “Mémoires de la jungle”, le nouveau Tristan Garcia ? Il y a presque deux ans, La meilleure part des hommes, fresque historico-pop des eighties gay, défrayait la chronique germanopratine et recevait dans la foulée le Prix de Flore et le verre quotidien qui va avec. Presque instantanément propulsé par une critique aussi unanime que dithyrambique dans le cercle restreint des jeunes-auteursbranchouilles-et-talentueux-qui-vendent-beaucoup, Tristan Garcia, 27 ans, plaçait la barre très haut et se mettait tout seul la pression pour la suite. Aujourd'hui, la suite s'appelle Mémoires de la jungle et comme toujours dans le cas d'un premier round auréolé de succès, la tension est à son comble quand le gong de la reprise retentit. En rupture avec le parisianisme de son premier roman, Garcia ancre sa nouvelle histoire dans un futur proche où les hommes sont partis se réfugier dans des stations orbitales et ont laissé la terre retourner progressivement à son état naturel. Doogie, narrateur du livre, est un singe savant. Il porte des chemises, des pantalons et des chaussures cirées, a appris le langage des humains et donne des conférences devant des parterres d'élites subjuguées par son savoir. Mais à la suite du crash de son vaisseau, le simiesque héros se retrouve en pleine jungle africaine. Commence alors un long périple en pleine nature et une profonde réflexion sur la notion d'humanité. Avec ce roman aux airs de conte philosophique, Garcia prend à toute blinde le tournant derrière lequel tout le monde l'attend et confirme si besoin était - que le talent n'attend pas le nombre des années. L.B.

* Mémoires de la jungle (Gallimard), de Tristan Garcia.

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où sont

ROMAN FRANÇAIS :

les

jeunes?

“Attention, le voici ! Puissant, félin, redoutable : le jeune !” On se souvient avec délice des efforts de La Poste pour croquer la jeunesse en une publicité. Rien à faire, l' “animal-djeuns” est populaire… On nous cible, on nous amadoue, on nous explore à coups d'enquêtes et de thèses estampillées “Youth Culture”. Comme le montrent François Bégaudeau et Joy Sorman dans un récent essai,“Parce que ça nous plaît” (Larousse),“la jeunesse” est avant tout un concept récent, une sous-culture inventée de toutes pièces, une fiction contemporaine qui date des années cinquante. Alors, quid du “djeuns” en littérature ? Est-ce une question d'âge, un centre d'intérêt, un fantasme désuet ? Est-il si libre et insoumis qu'il échappe à toute classification, ou est-il devenu, au fil des rentrées, une marque de fabrique destinée à faire vendre ? Keith s'est penché sur le sujet et vous propose, en exclusivité, une petite typologie de nos jeunes lettrés. Le buzzo-djeuns. Parce que le jeune est d'abord un produit et qu'on nous le sert à toutes les sauces depuis le succès de Colette au début du siècle dernier. On ne les compte plus, les enfants prodiges des lettres françaises (Florian Zeller ?), les nouveaux Rimbaud (Boris Bergman ??) ou les Sagan des banlieues (Faïza Guène ???). Car aux yeux de l'éditeur, l'âge de l'écrivain est avant tout un argument de vente et un catalyseur de coup littéraire. Le dernier en date ? Sacha Sperling, 19 ans, qui tricote le mal-être adolescent dans un saisissant premier roman, Mes illusions donnent sur la cour (Fayard). Eh oui, la littérature est un jeu d'enfant. Le mégalo-djeuns. Parce que le jeune est une figure sacrali-

sée et que l'écrivaillon sait en jouer… Qu'on se le dise, le wannabe n'a peur de rien ! Un tel (Gaspard Koenig) place le récit d'une jeunesse dorée sous l'égide de Proust. Une autre (Elsa Fottorino) se fait encenser dans le grand quotidien de papa. Un dernier (Julien Capron) se pique d'enseigner l'écriture aux étudiants de Sciences Po… Ah ! Misère de l'avorton qui se prend pour un demi-dieu ! Même le brillant Vincent Message en a fait les frais. À vouloir révolutionner le roman français par un thriller de 700 pages mâtiné de SF, ses interminables Veilleurs (Seuil) en ont lassé plus d'un.

Le faux-djeuns. Parce que le jeune est

aussi une pose pour les quadras de SaintGermain. Ils ne jurent que par Moins que zéro de Bret Easton Ellis (1985), évoquent avec nostalgie la bande du Mathis et redoublent de mots bizarres comme “générationnel” (so nineties…). On aime quand ils s'essaient à l'abstinence ou se piquent de paternité. Mais il suffit d'ouvrir le Roman français de Frédéric Beigbeder (Grasset) pour tomber sur un dessin régressif. Et malgré les efforts de Nicolas Rey, son double dégradé, Un léger passage à vide (Au Diable Vauvert) ne se départit jamais de ce phrasé préadolescent résolument gênant. Come on, guys… Get a life. Le rétro-djeuns. Parce que le jeune est un fichu oxymore et qu'il suffit de l'attendre au tournant pour qu'il se tire en sens inverse. Est-ce par goût de révolte ou par esprit de contradiction que nos petits plumitifs adulent le passé ? Prenez Julia Malye, 16 ans et toutes ses dents, qui nous propose, en guise de premier roman, une bonne vieille saga historique sur La fiancée de Tocqueville (Balland). Voyez la talentueuse Camille de Villeneuve, dont Les insomniaques (Philippe Rey) empruntent plus aux Thibault de Roger Martin du Gard qu'aux travaux expérimentaux de J.G. Ballard. Philippe Djian n'a qu'à bien se tenir : la tendance est au vintage ! Le virtuo-djeuns. Parce que le jeune est un être en devenir et parfois, heureusement, une graine d'auteur. C'est la belle Jakuta Alikavazovic, 30 ans, dont l'écriture envoûtante finit par triompher dans Le Londres-Louxor (Éditions de l'Olivier), son troisième roman. C'est Alizé Meurisse, 23 ans, et la grâce dont

elle fait preuve pour tourner le moindre cliché en poésie visionnaire dans Roman à clefs (Allia). C'est enfin le discret Arthur Dreyfus, 24 ans, dont La synthèse du camphre (Gallimard) étonne les plus aguerris par sa construction subtile et maîtrisée. Au diable les mauvaises langues, la relève est assurée ! Augustin Trapenard


Littérature/rencontre

Keith : La mort est omniprésente dans le roman. Est-ce Keith : Après La Route des Gardes (Grasset) où tu tombais qu'écrire, c'est ta façon de prendre de la distance face à elle? de moto, Tourmalet, récit de ta chute à vélo, est ton deuxième livre autobiographique. Est-ce qu'il faut que tu Bayon : Ça serait bien mais ce n'est pas aussi simple que ça. La question de la mort m'a toujours accompagné et les accidents chutes pour écrire sur toi-même ? lui donnent une espèce de réalité concrète. Bayon : (Rires) Non, je ne crois pas. D'une certaine manière, il y Mais, peut-être que c'est vrai, que le fait d'écrire, ça n'exorcise a une part autobiographique dans tous mes romans. Par contre, je pense que les accidents mortels sont des signaux pas mais… ça aide un peu à mettre en ordre les choses. Après, assez forts pour lever chez moi un interdit à écrire. Je suis très on réfléchit autrement. Hier par exemple, j'avais cette formule en mal à l'aise avec le livre, je suis très judéo-chrétien au final. Au tête. “Arriver à mourir pleinement en ayant vécu pleinement.” fond de moi, je ne peux m'empêcher de ressentir qu'il y a quelMourir sans regret en ayant vécu sans réserve. Les deux allant que chose de “mal” à publier des livres. ensemble, parce qu'au fond, si on a peur de la mort, c'est parce Pour moi, l'écriture doit être dure. Il faut que ce soit qu'on a peur d'avoir des regrets. On ne peut pas concevoir la vie extrêmement exigeant. C'est à dire qu'il faut sans la mort. que les difficultés soient considérables pour arriver à écrire un livre et même Keith : C'est Dylan qui disait : “qui n'est “Concrètement, il n'y a d'une certaine façon à le lire. pas occupé à naître est occupé à moupas un matin, en comité de rir”. rédaction, où je ne pense pas, Keith : Il y a presque 12 ans entre Bayon : Oui, c'est aussi simple que où je ne vois pas les gens l'accident et le livre… ça. Et si vous retirez la mort, il n'y a morts.” Bayon : Oui c'est vrai. Mais j'avais déjà mis plus aucun intérêt à la vie. Enfin elle beaucoup de temps à écrire La Route des Gardes. Presque n'a plus aucun sens. C'est parce que le temps est compté qu'il a une valeur. trente ans. Comme d'une certaine manière je considérais avoir déjà bouclé la question “coma” qui est aussi au centre de la pro- Concrètement, il n'y a pas un matin, en comité de rédaction, où je ne pense pas, où je ne vois pas les gens morts. Ce n'est pas blématique de Tourmalet, il était évident que je n'allais pas méchant, hein. Mais c'est comme ça. Peut-être que c'est parce réécrire d’emblée sur le même thème. que je suis mort plusieurs fois déjà, peut-être aussi parce que Et puis, la chute à vélo est dramatiquement moins souveraine j'ai vu mourir mes frères. Mon frère cadet, j'en parle dans le livre, que celle à moto dans lequel le décorum était sensationnel : meurt alors qu'il a 5 mois et que j'en ai 16. Ça dit trop tôt ce avec la moto mythique, une machine, comme ça… de guerre qu'est le jeu de la vie. A tout instant ça peut se rompre. presque. C'était une Norton 600cc qui n'existe même plus. Et là-dessus, ce qui m'a fait sortir cette histoire de l'esprit, c'est que mon frère, qui faisait de la course de vélo, de moto, qui faisait tout mieux que moi, en fait - un vrai héros - sur les brisées de ma chute à vélo s'est tué… volontairement. Il s'est donné la mort, alors mes petites histoires de vélo… Je ne comptais pas du tout écrire dessus. Et puis, l'an dernier, un livre a déclenché le processus. C'est un album Rock-critic à Libé et auteur ambitieux, Bayon cultive la dextérité de la plume de BD, assez beau d'aildepuis plus de trente ans. Dans “Tourmalet” (Grasset), récit d'une chute à leurs, qui commémore la vélo dans le col mythique des Pyrénées, il part sur les traces de sa mémoire légende du tour de France déconstruite. et - on va peut être en parL'occasion de rencontrer cet érudit curieux pour parler de cyclisme, un peu, ler cette année-, le premier et du reste, surtout. passage, en 1910, du col du Tourmalet. D'un coup, ça a résonné, Keith : Est-ce qu'écrire, ce je me suis dit : “Finalement l'endroit est aussi mythique que la n'est pas accéder à l'immortalité, Norton” et je me suis remis en chantier. défier la mort d'une certain façon ? Bayon : Non. En revanche, je pense souvent à l'idée de “faire quelque chose.” D'avoir fait quelque chose, malgré le temps qui Keith : Au cœur du livre, il y a la reconstruction de la passe. mémoire, un peu comme chez Georges Perec ? C'est Gainsbourg qui disait : “La scène finit dans la boue à Bayon : Effectivement, peut-être qu'il n'y aurait pas de livre s'il Venise”. Il disait, l'immortalité, qu'est-ce que ça veut dire ? n'y avait pas cette perte de mémoire. Ça me fait penser à ce que l'on connaît par cœur. Je suis truffé de poésie. J'ai des vers en tête en permanence, notamment Car il y a quelque chose de bien Villon, et quand vous récitez, quand vous connaissez par plus grave que l'accident qui est cœur : “Frères humains, qui après nous vivez/ N'ayez l'amnésie. Et pour moi l'amnésie, “Pour moi l'amnésie, les coeurs contre nous endurcis/ Car, si pitié de c'est l'innommable. c'est l'innommable.” nous pauvres avez/ Dieu en aura plus tôt de Même les lettres des témoins qui vous mercis” ce n'est pas du tout comme le viennent raconter ce qui se situe lire. Ça, c'est le poème La ballade des pendus avant ou après l'accident n'abordent que Villon est censé avoir écrit juste avant sa pas l'instant de basculement, c'est à dire la mort dans une cellule où il attendait d'être vraie question de la mort. Le moment où… on passe de l'ici, à l'au-delà. C'est très difficilement concevable. C'est le moment pendu. Alors évidemment ça résonne avec mon frère, passerelle que tout le monde cherche. Et pour les gens qui mais quand vous avez ça en tête, les siècles disparaissent. C'est reviennent, ça devient un prétexte à écrire. comme s'il était là, comme si sa voix, par le truchement des Finalement, peut-être que oui, peut-être que j'écris quand je mots, était portée magiquement. C'est bouleversant. chute, sur ces points de vertige, qui méritent l'effort et justifient En fait, ce qui survit, j'ai mon idée là-dessus, c'est ce qui quitte la honte d'écrire, de se donner en spectacle. Parce que là, c'est l'auteur, c'est ce qui rejoint le flux innommé de la mythologie, ce cher payé. qui devient le moins personnalisé, qui ne porte plus le nom de son auteur et qui rejoint l'inconscient collectif ; c'est là que se Keith : Tu écris : “Je transforme les accidents en livre”. fait l'opération d'alchimie. C'est curieux d'ailleurs… Bayon : Oui, c'est vrai. Mais finalement, ce sont les deux braves gars qui m'ont secouru qui m'ont donné cette histoire, par l'inKeith : Et si tu étais mort cette nuit du 19 septembre 1998, qu'aimerais-tu qu'on retienne de toi ? termédiaire des lettres qu'ils m'ont m'envoyées. Bayon : Une bonne impression. Non seulement ils me ramassent mais ils écrivent, en plus, avec leurs mots. La réponse à la complaisance, elle est là. Quand le hasard, l'aléatoire s'en mêle. Propos recueillis par L.B. Et il y a une chose fantastique que je n'évoque pas dans le livre, c'est que le type qui me tend la main pour me sauver, il n'en a qu'une seule. Qui est-ce qui connaît quelqu'un qui n'a qu'une main ? On se dit qu'il doit y avoir quelque chose, quoi ! C'est une sorte d'autorisation d'en parler.

Bayon en selle

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photo : Pauline Darley


théâtre par Nicolas Roux

Cher Pierre François Martin Laval, de sion occa ça que l' i a j' mme nt à ue si rce q c'est co initiveme dresse a p f e d n é or te e et qu ns d une D'ab e qu Pef. pratique j'appartie ur vous ire encor vous e ll e o s , p l d p lu omme ez s Lava déjà up p a ch vous us ap artin que je voe beaucont bien. C e j'avais is. Il faut ésie. Il y sicale de enté M s i u u o cont ep nço s bo ère, aime ire q mêm ie m e Fraz, je l'espa quand qui vous t vous d obins demour et de coméd me suisspecter r r e i R P u n re s t re er t je fau Cher permett om ce s r les gen itime. Il sein desubtil), d'h pris qu'u uremen ploit de ois eux e e. Vous er votre n s appele suis lég ncore au il, (si si s nd j'ai ap é. Extérieéussi l'excle à la f décalags. récit lent vouois que je s étiez e nge subt lors qua t j'ai jubil s avez r e specta r sens du ngeable semb-là, je cr uand vou s, méla fance. A uremen ied ! Voue dans c le et leu inter cha aurai à le ceux ulière q deux filmpelle l'enris, intérie t. Quel p retrouv du ridicu tés sont is que j' particdoré vos e qui rap tait à Pa Spamalo uche. On tre sens vos quali ernière fo j'ai a ue chos se mon allé voir t votre to oésie. Vo comme pas la d t… Ducre quelqty Python , je suis ajoutan t votre p t de voir ce n'est r naud val, A a L Mon urler. Puis lish en y bsurde e ssionnan sais que artin ois M de h rit so engns de l'a st impre ie car je Franç e c e ierre 17h. p r s P s il e ' c e r e u l' he à l. Av rs q s rem . Leu Lava le dimanc vous z d'ailleu f, je vou artin t ois Mt à 21h e e e ç t P n o ra r N 7h e rre F , che e Pie medi à 1 ne d a Alors n scè h30, le s r e . u e e e is 0 m di à 2 fair dmirat re on et aptati i au vend Un a rd le, ad a Id du m .22 'Eric alot d média .38.22 Spaméâtre Co au 01.42 Au th rvations Rése

Drôle d'endroit pour des rencontres “David et Edward” et “Une comédie romantique”. Deux pièces, deux rencontres. La première dans un cimetière, la deuxième dans une agence SNCF. Le tout pour parler d'amour évidemment. On aime pour…

Les acteurs… D'un côté, Michel Aumont et Michel Duchaussoy. Soit deux classiques, deux acteurs qui ont fait du théâtre un art de vivre et une nécessité. Assez à l'aise pour s'amuser de n'importe quel texte et donner de l'ampleur et de la profondeur à n'importe quel personnage. De l'autre, Stéphane Freiss et Elodie Navarre. Soit deux des meilleurs acteurs de leur génération. Lui l'a prouvé à de nombreuse reprises sur les planches, elle le confirme depuis son énorme prestation dans Médée. Les histoires… David vient d'enterrer sa femme. C'est là qu'il fait la rencontre de l'amant de celle-ci. Et ça dure depuis cinquante ans. Anita et Léon, pour ne rester qu'amants, se font croire qu'ils sont mariés. Un vaudeville à l'envers et efficace… Les morales… On les aime surtout parce qu'il n'y en a pas. Juste des petites idées qui font du bien au cœur. Sur l'amour qui dure toujours, sur la jalousie qui ne s'éteint jamais, sur la légitimité bafouée des amants, sur la passion qui se transforme. David et Edward de Lionel Goldstein. Mise en scène de Marcel Bluwal avec Michel Aumont et Michel Duchaussoy. Au Théâtre de l'Oeuvre du mardi au samedi à 21h. Matinée le samedi à 18h30 et le dimanche à 15h30. Réservations au 01.44.53.88.88 Une comédie romantique de Gérald Sybleras. Mise en scène de Christophe Lidon avec Elodie Navarre et Stéphane Freiss. Au Théâtre Montparnasse du mardi au samedi à 20h30. Matinée le samedi à 18h et le dimanche à 15h30. Réservations au 01.43.22.77.74

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Trois raisons de s'envoler pour Pluton... Au Sentier des Halles, tous les mardis soirs, se joue une drôle de pièce. Un ovni dans le paysage théâtral. Ça s'appelle “Partons pour Pluton”. On y va…

Pour la surprise : On oublie tous ses préjugés sur la magie, les lapins dans le chapeau et les assistantes en maillot de bain à paillettes. Aujourd'hui, la mode est au mentalisme. Des types comme vous et moi qui vous donnent l'impression de lire dans vos pensées. Impossible de lutter : ils sont plus forts que vous… Pour l'humour : C'est sans doute la grande différence avec les autres spectacles de magie : Partons pour Pluton est drôle, option très. Le personnage du docteur Jambou, campé par l'impeccable Gwen Aduh, est gauche, timide, ridicule, bref génial. En plus, la mise en scène est signée François Rollin… Pour être chic : C'est la pièce qui cartonne en ce moment. La petite salle est toujours pleine, les articles commencent à tomber, et le spectacle a déjà été prolongé. Bref, dans quelques mois ce spectacle sera l'événement dont tout le monde parlera. Allez-le voir avant les autres, c'est beaucoup plus classe ! Partons pour Pluton de Gwen Aduh et François Rollin. Mise en scène de François Rollin, avec Gwen Aduh. Au Sentier des Halles, tous les mardis à 20h.

Et vous trouvez ça drôle ? Méchant, corrosif, efficace, Gaspard Proust est le nouveau comique qui monte. Pour notre plus grand bonheur on le compare déjà à un certain Pierre Desproges. Sans doute parce que… :

Il n'épargne personne : Les bien-pensants doivent être ses pires ennemis. Quels que soient les croyances, les convictions ou les courants, il va contre. Avec des arguments si efficaces qu'ils peuvent laisser planer le doute sur ce que lui pense vraiment. Il n'aime pas la scène : Comme son illustre aîné, Gaspard Proust ne se sent pas vraiment à sa place sur scène. Et comme pour Desproges, ça fait partie de son charme. Sa nonchalance, son côté désabusé, tous les efforts qu'il ne fournit pas pour être aimable le rendent irrésistible. Il écrit très bien : Son humour ne souffre pas l'approximation. Ça tombe bien, il n'aime pas ça. Dans son spectacle, aucune facilité. Il avait même un sketch sur Sarkozy (disponible sur internet) qui cartonnait mais qu'il a retiré parce qu'il ne le trouvait pas à la hauteur. Courageux, non ? Gaspard Proust enfin sur scène… de Gaspard Proust. Mise en scène d'Aslem Smida. Au Studio des Champs-Elysées, du mardi au samedi à 20H45 et le dimanche à 16h30. Réservations au 01.53.23.99.19

Alerte à la Cantonade !

Pascal Victor - ArtComArt

Avant qu'elle ne se joue, cette pièce créait déjà l'événement. Avant même les premières répétions, le petit monde du théâtre guettait avec impatience l'arrivée d'Eric Cantona sur les planches. Genre : “on va enfin voir ce qu'il vaut l'ex-sportif qui veut faire l'acteur”, en plus diplomate. Mais l'idée était là. On attendait Canto au tournant. Deux mois après le début de la pièce, le constat est sans appel : ce mec vaut de l'or. Quasi-immobile, blessé, il se dégage de cet homme un charisme animal insensé. Impossible de le regarder sans penser immédiatement à quelques monstres sacrés que notre culture nous a donnés. Il y a du Gabin dans cette carrure. Il y a quelque chose de Depardieu dans cette carcasse. Comme une énergie implacable. Une force contre laquelle il est inutile de lutter. Alors on se laisse emporter et on oublie toutes ces références. La force de Cantona est sans doute là. Il va au-delà des apparences qui auraient pourtant pu lui suffire à assurer le spectacle. Il dépasse son propre personnage pour se fondre dans un autre. Ici un cadre de supermarché, bloqué sous les ruines de son magasin qui s'est effondré. Touchant et philosophe, il varie les émotions. On finit par ne plus le voir. Mais juste l'écouter, puis l'entendre. Loin de ce qu'on attendait de lui, mais tellement au-delà de ce qu'on espérait. Mais plus encore que sa performance individuelle, c'est peut-être, finalement sa capacité à jouer avec son partenaire qui étonne. Lorant Deutsch, comédien aguerri, et lui, jouent en parfaite harmonie. Chacun joue sa partition à la perfection - Canto dans le rôle du sage revenu de tout, Deutsch dans celui du feufollet bavard - mais Rachida Brakni, qui signe une mise en scène exemplaire de bout en bout, réussit à les mettre à l'unisson. Bref, on ressort de cette pièce avec la conviction d'avoir vu naître un grand acteur. Alors, que ça lui plaise ou non, il risque de se faire appeler encore longtemps Eric King Cantona. Parce qu'il le vaut bien. Face au paradis de Nathalie Saugeon. Mise en scène de Rachida Brakni avec Eric Cantona et Lorant Deutsch. Au Théâtre Marigny, salle Popesco, du mardi au samedi 21h. Matinée le samedi à 17h. Réservations : 01.53.96.70.20


design

Djeuns

mais pas tant…

Au firmament de la planète design-people, deux noms éclipsent tous les autres : Philippe Starck et Ora Ito, dont l'actualité, tant ils produisent, est incessante. Symboles absolus de la peopolisation du monde, de la fête, de la jeunesse éternelle. Qu'en estil au juste ? On les rencontre, indifféremment au Baron ou au Montana, à l'hôtel Costes ou au Mama Shelter. Du moins lorsqu'ils font escale à Paris, tant ils jonglent avec les fuseaux horaires, un jour à New York, le lendemain à Hong Kong. Un jour à Milan, le lendemain à Buenos Aires. Un jour à Tokyo, le lendemain à Los Angeles… L'un est encore jeune (petite trentaine), l'autre ne l'est plus (petite soixantaine). Le plus jeune, Ora Ito est déjà un vieux briscard. Le moins jeune, Philippe Starck, aimerait qu'on le prenne pour un perdreau de l'année. L'ancien a été révélé voici 30 ans par l'aménagement des BainsDouches. Le nouveau, voici dix ans, par celui du Cab. Les deux sont des oiseaux de nuit, fascinés par les aubes festives, le clinquant, le star-system, le relationnel, les réseaux. Le premier a baptisé son agence Ubik, le second EgoDesign. Manière de dire je suis partout (ubiquité), je suis tout (égotisme). Il n'empêche, les deux sont designers et très gros travailleurs. Tant et si bien que leur actualité se renouvelle sans cesse. Pas un jour sans qu'un de leurs produits ou de leurs espaces ne s'empare des vitrines et des pages conso des magazines. Pour suivre celle de Ora Ito, il suffit de se rendre chez Guerlain où s'offrent à la vente son flacon pour le parfum Idylle, ou le boîtier du fard Terra Cota, de se balader sur les Champs Elysées pour y découvrir le nouveau show-room Toyota, ou encore de commander, dans un bar branché, une Heineken qui arrivera serrée dans sa nouvelle bouteille en aluminium. Celle de Philippe Starck est encore plus frénétique. Le carrefour Bac/Saint-Germain où campent toutes les grandes enseignes du meuble contemporain est là pour en témoigner. Dernière venue de la longue procession des sièges siglés du surcréateur, la chaise Ring. Pour ceux dont les oreilles sont plus importantes que les yeux, voici venu le Zikmu Parrot, des enceintes sans fil, compatibles avec iPod et iPhone... Mais plus bluffant encore, le tout nouveau yacht de 119 mètres de long, dessiné pour le milliardaire russe Andrei Meinichenko, et qui ressemble à un sous-marin, ou, à venir, l'aménagement de l'astroport des vols galactiques projeté par Virgin. Mais, dans ces deux derniers cas, il faudra pour constater les résultats, prendre la mer ou s'inscrire pour une grande virée dans l'espace… La liste de clients et réalisations du premier est si longue qu'on abandonne l'idée même de l'aborder. Celle du second s'étoffe à grande vitesse. Ce qu'ils produisent ? Des objets et des espaces, et pourtant on ne peut se départir, à chaque fois, du sentiment qu'il s'agit

d'images. Encore une fois d'images éclatantes, lisses, débarrassées de toute scorie, de toute aspérité. “Djeune” pour tout dire. Comme si leurs objets avaient été systématiquement passés aux rayons UV, massés aux crèmes anti-rides, caressés de baumes rajeunissants. Artificiels et cosmétiques en quelque sorte. Le talent est là, chez l'un et chez l'autre, indéniablement. Oui, mais au service de quelle posture, de quelle idéologie ? D'une éternelle jeunesse, d'une artificielle jeunesse, d'une factice jeunesse ? Le grand écrivain Philippe Soupault assénait : “Quand on est jeune, c'est pour la vie !”. Certes, mais rien à voir avec les artères, les artifices, les maquillages, les liftings… Depuis longtemps, les Anglo-saxons opposent l'industrial design au commercial design. Le premier étant supposé satisfaire les besoins des utilisateurs, le second répondre aux objectifs du plan marketing. L'architecte Walter Gropius, fondateur du Bauhaus parlait, lui, de l'affrontement entre “l'arbre de vie et la spirale de vente”. Dans quel camp sommes-nous ici ? Dans celui de l'envie plutôt que du désir, de la jouissance plutôt que du plaisir. Moins dans le champ du design que dans celui de la mode. De cette mode qui se consomme et se consume instantanément, mais sans cesse renaît de ses cendres et qui, cycliquement, affiche toujours le même masque. Que restera-t-il de cette jeunesse fabriquée ? L'avenir le dira. En attendant, laissons le mot de la fin à Jean Cocteau : “Il faut beaucoup pardonner à la mode, elle meurt si jeune'”. Edouard Michel

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Une journée à Disneyland Paris

©Disneyland Paris

Une

©Wim Delvoye

journée

à Disneyland Paris.

Marne-la-Vallée - Chessy, tout le monde descend ! Nous voici parvenus à Disneyland Paris. Avec quelques heures devant nous, non pas pour tuer le temps, mais exécuter les poncifs. Car aujourd'hui, au-delà des attractions, des émerveillements et des gourmandises, nous sommes venus traquer, repérer, recenser tout ce qui est, ici, au-delà de l'univers Disney, de portée culturelle universelle, tant il est vrai que les va-et-vient sont incessants entre Disney et le cinéma, la musique, l'art contemporain, l'architecture, le design et la mode.

chefs-d'œuvre de Pixar, récemment entré dans le giron de Disney, tels Ratatouille, Cars ou Les Indestructibles. Mais il arrive que le voyage se fasse dans l'autre sens. Ainsi en est-il du Pirates des Caraïbes qui fut une attraction avant de devenir un (des) films. Il est vrai que le bateau était tellement fascinant, tellement vivant qu'il était devenu indispensable qu'il s'élance sur les flots.

Point de départ, le cinéma bien sûr, puisque nombre des attractions sont directement nées des films. En témoignent, notamment, le labyrinthe d'Alice au Pays des Merveilles, le château de La Belle au Bois Dormant ou encore, à venir, Toy Story Playland… En attendant, très probablement, toutes celles qui vont naître des petits

Catherine Bay, Blanche-Neige (c)Marc Domage - Fondation Brownstone 2003

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©Lou Doillon

Et puis, bien sûr, la musique avec, emblématique, It's A Small World, composé par les frères Sherman (auxquels on doit également les musiques de Mary Poppins, Les Aristochats et Le Livre de la jungle). A cet égard, le troisième long métrage (après Blanche-Neige et Pinocchio) de Walt Disney, Fantasia fait figure de manifeste ; un “pot-pourri”, si l'on ose dire, de sept compositeurs, et non des moindres (Bach, Beethoven, Dukas, Moussorgski, Ponchielli, Stravinsky et Tchaïkovsky) au service d'une histoire sans paroles et dont l'animation épouse admirablement rythmes et tempos. Fantasia, qui ne connut en 1940 qu'un succès très limité, est aujourd'hui devenu un classique… Les musiciens ont donc toujours inspiré Walt Disney et très réciproquement, si l'on en juge par le Cendrillon de Téléphone, La Belle et la bête des Babyshambles ou encore le Coin-Coin de Rwan. Sans oublier que le surnom de Michael Jackson n'était autre que Bambi…

En retour, l'influence de Disney sur les artistes contemporains est, plus qu'évidente, essentielle. Soit une nouvelle génération de plasticiens nourris, dès leur enfance, de visites répétées à Disneyland. Il suffit pour s'en convaincre de considérer les adaptations qu'en font Catherine Bay avec Blanche-Neige, Borre Saethre avec Bambi, et même l'immense Claes Oldenburg avec son Geometric Mouse. Sans oublier Joyce Pensato qui malmène de toile en toile les figures de Mickey et Donald, et Wim Delvoye dont les initiales identiques à celles de Walt Disney lui ont permis d'en détourner, avec humour, le logo à son profit. Mais le coup d'éclat, celui qui met le plus en lumière la dimension plastique universelle de Disneyland Paris, c'est au photographe plasticien Martin Parr, célèbre et célébré dans le monde entier, qu'on le doit. Dans la veine naturaliste qu'on lui connait , il a photographié Disneyland Paris de telle manière que Colette, l'endroit le plus “in” de Paris, l'a exposé.


Une journée à Disneyland Paris

Le premier grand tour de Disneyland Paris nous a donc permis de repérer, recenser, bien des influences croisées. Une petite pause s'impose qui va conduire nos pas jusqu'au grand hôtel. Dès l'entrée, l'effet est saisissant. L'espace est gigantesque, et non moins gigantesque l'escalier qui, partant d'une seule volée, se sépare à mi-course en une double révolution, rappelant celui d'Autant en emporte le vent. Réussite architecturale évidente que cet hommage au style victorien où s'entremêlent magie et luxe. Et voici que reviennent en mémoire d'autres architectures relevant du merveilleux, édifiées par de grands architectes, tels Franck O. Gehry, Michael Graves, Antoine Grumbach ou Robert A.M. Stern, là-bas, en Californie ou ici à Disneyland Paris… Manière d'illustrer la phrase de ClaudeNicolas Ledoux, grand architecte révolutionnaire du XVIIIème siècle : “L'architecture enlace le spectateur dans la séduction du merveilleux”…

© Lou Doillon

Côté design, l'évidence est là, plus encore que nulle part ailleurs, tant Disneyland et son parc des merveilles a été source d'inspiration pour la génération née dans les années 1980. Avec en point de départ et coup d'éclat, la petite révolution opérée par le groupe Memphis, né à Milan en 1980, et dont les meubles et objets empruntaient aux pieds de Mickey, au bec de Donald, au nez de Pinocchio, aux petits intérieurs des sept

amis de Blanche-Neige… Plus proches, le miroir de Philippe Di Méo, le vase de Jeff Latham ou encore le sac d'Alexis Mabille sont très directement issus de la silhouette et des vêtements de Mickey. Et tous les territoires qui relèvent du design, pas seulement celui qui concerne la maison, sont aujourd'hui revisités pas les jeunes créateurs inspirés par Disneyland, à commencer par les gens de mode qui viennent y chercher leur inspiration dans la déferlante de robes de princesse dont regorge ce lieu magique, et à continuer par les pâtissiers qui viennent y chercher des idées de pièces montées. A l'instar d'un Christophe Michalak, chef pâtissier du Plaza Athénée, qui compose spécialement pour l'anniversaire de Disneyland Paris, un Buzz l'éclair à tomber par terre. Dans la suite logique de ce que fit, l'an dernier, le chef étoilé Thierry Marx avec sa “street food”, dispersée tout au long des allées du parc. Et, toujours dans le registre créatif, comment ne pas souligner l'aventure que vécut à Disneyland Paris, la comédienne Lou Doillon. Armée de son appareil photo, elle y est partie à la capture des différentes tribus - bobo, arty, caillera, nappy, hippie, geek, gothique, bimbo…- qui, sous son objectif, composaient la mosaïque de cette “nouvelle génération” chère à Disneyland. Résultat, une exposition des photos de Lou à Disneyland, du 27 mai au 27 juin prochains à la Galerie W (44 rue Lepic - Paris 18ème).

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© Disneyland Paris

Il est temps de repartir pour notre repérage en profondeur avec, justement, les vêtements en ligne de mire. Car aujourd'hui, nous shootons notre sujet mode à Disneyland Paris qui nous offre un décor, une toile de fond, des perspectives et des enchaînements incomparables… Edouard Michel


illustration double-echo

abonnement

Ok, 2,50 euros le numéro pour un magazine gratuit, ça ne semble pas l’affaire du siècle. Mais imaginez le plaisir de recevoir CHEZ VOUS, ce rutilant magazine, vous qui ne recevez d’habitude que des factures et des pubs. Souvenez vous de l’émotion qui vous étreignait quand, petit, vous receviez du courrier POUR VOUS ! Pas la peine d’aller écumer les lieux les plus branchés de la capitale (qui se trouvent parfois très loin de chez vous !) pour trouver Keith. Finie l’angoisse de rater un numéro. Bonjour le plaisir d’être toujours à la page. Un luxe pareil ça vaut bien 15 euros par an non ? Et puis songez-y : dans quinze ans, la fierté d’exhiber votre collection COMPLÈTE de Keith, et de pouvoir dire : “J’Y ÉTAIS !”. “J’ai fait partie de leurs tous premiers abonnés, à une époque où l’on ne savait même pas s’ils allaient passer le cap du deuxième numéro”. (On ne vous le cache pas, c’était un risque ! NDLR) Bref, si l’on devient, comme il est prévu dans notre “business-plan”, le magazine de référence de la jeunesse mondiale, le symbole de toute une génération, et bien, ce sera un peu... grâce à vous. *Pour passer à l’acte, envoyez un chèque de 15 euros à l’ordre Who is Keith ? ainsi que vos coordonnées sur papier libre à : Keith magazine / 37, rue des Mathurins / 75008 Paris


mode

FASHIONLAND

Bolero : VILSBOL DE ARCE Jupe : JUNKO SHIMADA Escarpin : JUNKO SHIMADA

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Fashionland

Robe: JUNKO SHIMADA Collier: FELIPE OLIVEIRA BAPTISTA

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Fashionland

Trench: ACNE Bustier: ACNE Jupe: ANGLOMANIA par VIVIENNE WESTWOOD Ceinture: REQUIEM ARCHIVE par RAFFAELE BORRIELLO

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Fashionland

Robe: JEAN PAUL KNOTT Mini jupe: PAULE KA Ceintures: PAULE KA

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Fashionland

Robe: REQUIEM par RAFFAELE BORRIELLO Bretelles: DIESEL

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Fashionland

Manteau: JUNKO SHIMADA Robe: RICHARD RENE

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Photographe : Laure Bernard Direction Artistique : Jean-Baptiste Telle Assistant photographe : Thomas Pirel Stylisme : Martha SARA CRESCIMANNO Assistant stylisme : Marco Fulgoni Coiffure : Marie Bedont Maquillage : Mauymi ODA Mannequins : Alima FOFANA et Milou VAN GROESEN (Agence NEXT) Achats d'art : Judith Haik merci Ă Disneyland Paris


minuscules petit portrait en minuscules d'un artiste quasi majuscule

par augustin t. / photo laure b.

en marge.

bordel

c'est l'un des derniers cafés rétro de la rue du faubourg saint-denis, le seul bar albanais de paris, un “bistro de desperado” que frédéric ciriez fréquente assez souvent, non pour écrire mais pour passer le temps. il est là, emmitouflé dans son caban, on dirait un grand enfant. mi-gêné mi-amusé, il masque tant bien que mal sa proverbiale timidité par une sorte de logorrhée, mélange savoureux de réflexions savantes et de vannes à deux balles. peut-être a-t-il aussi le sentiment de n'être pas à sa place, cet homme du littoral et de la périphérie, ce petit-fils de marin qui a passé ses 39 ans à courir “d'un lieu pourri à l'autre”, des côtes d'armor au finistère en passant par dunkerque. quand il monte à la capitale, il y a tout juste dix ans, frédéric ciriez jette son dévolu sur une sous-loc' à pigalle parce qu'il se sent bien dans “ce quartier cradingue, cette zone portuaire en plein cœur de paris”. un sentiment d'appartenance d'autant plus marqué que la ville s'embourgeoise à vitesse grand v et que cette atmosphère est vouée à disparaître. ce goût pour les espaces de la marge, il est au cœur de son unique roman, des néons sous la mer, où trône en baie de paimpol un sous-marin qu'on a changé en bordel : l'olaimp, “phallus de métal et grand vagin de lumière” décrit minutieusement par le loser magnifique qui fait office de vestiaire. on en a dévoré des livres de tout genre, mais comment oublier cet ovni littéraire potache et poétique, fantaisiste et mélancolique, qui illuminait la rentrée 2008 de ses couleurs rose pâle et rose bonbon. rose, comme le néon de lettres fluo qui éclaire le bar du mauri 7, ce vendredi-là, dans la rue du faubourg saintdenis.

de

papier au large.

un barge.

“en bretagne, on ne produit que des cinglés”, s'amuse frédéric ciriez, citant, preuve à l'appui, villiers de l'isle-adam ou alfred jarry. ah ! les quatre cents coups de ce “breton d'honneur” ! une formation de linguiste qui se conclut par un mémoire autour de la signature, de l'acte notarié au pacte avec le diable… une expérience de journaleux avec des interviews satiriques dans la presse d'armor - dont un canular grandiose, la confession d'un faux rg nommé claude pichon qui provoque la colère des autorités bernées (“on nous prend pour des barbouzes à Paimpol !”) et puis un stage à ouest-france, un capes de lettres modernes et une année de cours de français en seconde technique. on pensait qu'il avait trouvé sa voie, mais voilà que ciriez prend ses cliques et ses claques et se tire à paris. on le retrouve en télé-marketteur, en correcteur-réviseur dans un canard dévoué aux poubelles, puis en concepteur-rédacteur chargé des bandes-annonces lorsqu'il signe un slogan digne des plus grands (“prenez-vous en main avec brigitte lahaye, dès 22h30.”) il faut l'entendre raconter ses âneries avec son air de filou et sa jubilation contagieuse ! “je crois qu'on a tous en nous un excès de langage qui ne demande qu'à sortir”, admet-il tout à coup, entre deux digressions barrées, comme pour justifier l'acte d'écrire. ses premiers pas en tant qu'auteur ? quelques poèmes ou fictions dans des revues ici et là. et puis il y a quatre ans, inconnu au bataillon, libre comme l'air, il entame “en sous-marin” des néons sous la mer. ce drôle de roman qui pastiche et parodie les constructions savantes, les discours scientifiques, les codes littéraires. ce livre à son image, aussi brillant que barge.

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dans le “paradis rose” qu'il imagine à paimpol, les putes ont des allures de nymphes marines, fantômes sexy qui envoûtent le narrateur et hantent le texte. frédéric ciriez n'a pas son pareil pour tricoter le fantasme, érotiser le langage furieux “sensualomane” dans son approche de la féminité. ainsi de femmes fumigènes, une nouvelle d'une vingtaine de pages à paraître à la n.r.f. où il invoque trois déesses païennes qui embrument le stade de france : “j'ai voulu dire la frénésie de couleurs, de vulgarité et de sensualité qui entoure un avant-match de football”. là encore, l'exploration de l'imaginaire est au service d'une profonde réflexion sur le langage et la représentation. et tant pis pour ceux qui le bousculent et attendent impatiemment un deuxième roman. dans un paysage culturel saturé de graphomanes, frédéric ciriez est l'un des rares auteurs à ne pas se presser. chez lui, point de projet littéraire, à proprement parler, mais une inquiétude qui le pousse à écrire. c'est que la construction d'une œuvre ne va pas de soi dès lors qu'on a conscience d'interroger le désœuvrement : “ un livre se nourrit d'échecs et se façonne dans l'échec”. il se souvient avec émotion de cet ami écrivain qui a mis fin à ses jours et rappelle, lucide, que la littérature est d'abord “un espace négatif, un océan de tristesse, de choses avortées”. on comprend mieux le mal-être qui émane de son premier roman, cette substance mélancolique, ces figures d'éclopés qui ont construit, ensemble et contre tout, un semblant d'humanité. debout au beau milieu du café, accoudé sur le flipper déglingué, frédéric ciriez regarde l'objectif. dans ses yeux, un brin d'ironie, un rien de folie douce. des néons sous la mer, de frédéric ciriez, éditions verticales - phase deux, 299 p. (en folio le 3 juin)



Keith Story Elise Fontenaille, lauréate du Grand prix de la science-fiction française en 2008 avec son roman Unica (Grasset), explore aujourd'hui la face cachée de l'olympique métropole canadienne dans Les Disparues de Vancouver (Grasset). Entre pédophilie online et tueur en série cannibale, Elise Fontanaille garde de son passage à la rédaction d'Actuel un penchant pour les univers singuliers et la provocation engagée. Elle signe pour Keith une nouvelle inédite sur une délirante histoire de clonage d'enfant, de mariages homosexuels et de bioéthique malmenée. Jouissif.

Second

par Elise Fontenaille

Child

Lorsque le couple entra dans l'agence, Malcolm eut une sorte de frisson. Bon dieu qu'elles étaient belles - et si bien assorties. La Chinoise, grande, fine, altière, une sorte de Gong Li en mieux, et l'autre, plus petite, ronde, indienne sans doute, brune, dorée de teint, avec d'immenses yeux verts. Une actrice de Bollywood, une Miss Monde dont il avait oublié le nom, un fantasme d'adolescent … C'est peut-être cela qui l'émut autant : cette fille était une réminiscence. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas été aussi troublé par un couple. Un pur fantasme lesbien, songea-t-il en fermant un instant les yeux. C'était un couple, il en était certain. Pas des amies, ça non, une onde sexuelle passait entre elles deux, magnétique, c'était presque tangible. Tout en elles sentait l'argent. Le raffinement, la simplicité des vêtements, les manières subtilement distinguées … Clientes intéressantes en vue, songea-t-il. Passionnantes, même. - Que puis-je pour vous, mesdames, dit-il en leur désignant le sofa. Elles se regardèrent, ce fut la Chinoise qui parla. - Nous venons de nous marier, Shakutala et moi, et nous avons décidé d'avoir un enfant. Nos génotypes sont parfaits, aucune tare, ni d'un côté ni de l'autre, il ne nous reste plus qu'à concrétiser le projet. - Qui vous envoie ? - L'agence Perfect Child. Ce sont eux qui nous ont conseillé votre agence. Il inclina la tête. - Nous sommes jumelés. Nous travaillons ensemble depuis longtemps, c'est essentiel, vous savez. Donc vous souhaiterez dupliquer l'enfant à venir…. - Par sécurité, oui … on ne sait jamais. - Nous avons longuement hésité. Il prit son ton le plus rassurant. - Vous avez bien fait. Nous n'avons jamais rencontré le moindre problème. Il effleura son écran. - Fille, garçon, ou aléatoire ? La Chinoise répondit. - Fille. Sa compagne enchaîna. - Nous dirigeons une plantation de thé, nous souhaitons que notre fille en hérite, le moment venu. - Le personnel est exclusivement féminin … Le jeune homme croisa ses doigts sous son menton, et prit un air intéressé. - Je suis moi-même un amateur de thé. Eclairé, si j'ose dire. Quel est le nom de votre cru ? - Doigt d'Or, répondit la Chinoise. Il réprima un sifflement. Doigt d'Or… c'était un des crus les plus prestigieux, un des mieux cotés sur le marché. Il valait une fortune … Lui-même, il n'en achetait qu'à de rares occasions, on l'appelait le champagne du thé. - Je comprends que vous souhaitiez transmettre votre plantation …Il serait navrant qu'une pareille merveille disparaisse avec vous. Elle est basée du côté d'Horse Shoe Bay, si je ne me trompe pas ? Shakutala sourit. - Vous êtes bien renseigné … - Quand pensez-vous concevoir votre petite fille ? - Aussi vite que possible, dès que les dossiers seront remplis. - Nous sommes très impatientes, ajouta Shakutala en rougissant. - Nous mènerons donc les deux démarches en parallèle … nous travaillons depuis toujours en étroite collaboration avec Perfect

Child. Puis-je avoir votre carte ? Je vous envoie le dossier cet après-midi. Ils échangèrent leurs cartes, les deux femmes sourirent, se levèrent, et sortirent. Malcolm entra le nom des deux femmes sur le logiciel Silent Spy. En quelques secondes il apprit tout ce qu'il voulait savoir. La Chinoise, Ana Le, était une xilionnaire en yuan, elle descendait d'une des plus riches familles de Beijing, enrichie dans l'immobilier. Elle-même avait réalisé une jolie fortune personnelle en yuan vert : énergie solaire, épuration d'eau de mer, recyclage des ordures … des yuan propres, ce qui était assez rare. Elle dirigeait aussi de nombreuses fondations, écologiques, humanitaires et féministes : la plantation Doigt d'Or, créée avec succès il y a trois ans, n'employait que d'anciennes prostituées, des exfemmes battues, ou des enfants-junkies sauvées de la rue. Le profil de l'Indienne était purement universitaire, elle sortait de Harvard. La crème de la crème … murmura-t-il, en français. Ses origines étaient plus floues, sur sa famille, on ne savait rien. Pas par Spy, en tout cas. Perfect Child avait certainement leur dossier. Il caressa son écran, un visage exactement semblable au sien apparut à l'instant. - Bonjour Malcolm', je ne te dérange pas ? L'autre lui rendit son sourire. - Pas du tout Malcolm'', que puis-je faire pour toi ? - Un couple sort de chez moi … Ana Le et Shakuntala Roy. Malcolm' sourit. - Elles sont passées nous voir la semaine dernière. Elles souhaitent dupliquer leur enfant, nous vous les avons envoyées, évidemment. - Elles m'ont semblé un peu hésitantes… - Tu sais bien que la plupart des couples sont un peu hésitant, au début. L'idée d'un enfant-bis à activer en cas de divorce, ce n'est pas une option particulièrement romantique, tu le sais mieux que moi… Malcolm'' rit. - Tu peux m'envoyer leur dossier s'il te plaît ? L'autre cliqua : - C'est fait. A ce soir Malcolm''. - On se voit toujours au Betty Blue à 20 heures ? - Bien sûr… Le visage s'éteignit. Malcolm'' était directeur général de Second Child depuis sept ans déjà. C'est sa mère, ancienne psychanalyste, qui avait fondé l'agence, spécialisée dans le duplicata d'enfants, à activer en cas de séparation. Chacun le sien et la paix règne, telle était leur devise. Malcolm', lui, était le n° 2 de Perfect Child, c'est son père qui dirigeait l'agence. Perfect Child était une pépinière d'enfants conçus out utero, comme aimait à dire Malcolm'. En 2070, pratiquement aucune femme ne portait plus son enfant. Sauf les pauvres, évidemment. Ou quelques riches excentriques, partisanes d'un retour à la terre, qui ne mangeaient que des fèves crues et se vêtaient de fibres végétales, ce genre de chose. Les parents de Malcolm s'étaient séparés lorsque l'enfant avait deux ans. Sa mère avait choisi de quitter la maison, et d'activer le duplicata, en demandant au médecin de gommer la plupart des défauts hérités du père. L'agence à laquelle elle s'était adressée pour dupliquer Malcolm était expérimentale, pour ne pas dire clandestine … Son exépoux et elle étaient des pionniers, disait-elle avec fierté. - Dupliquer Malcolm' a été la meilleure idée de ma vie, jamais je n'aurais pu partager mon enfant avec Edward … surtout depuis

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qu'il s'est remarié avec cette garce de Vanessa, tellement zippée qu'elle semble toujours sur le point d'exploser. Elle-même avait été élevée en garde alternée, elle en avait été traumatisée à vie. - J'ai risqué la schizophrénie : je ne veux à aucun prix que Malcolm connaisse ça. Ni aucun autre enfant. Elle avait fondé sa propre agence, Second Child, devenue très vite un must. Elle sous-traitait la partie technique à un laboratoire spécialisé, basé à Seattle, et s'occupait surtout des relations publiques, en duo avec Malcolm''. - Je n’ai pas créé Second Child pour faire fortune, non ! Pour en faire profiter les autres. Et tant mieux si ça marche : l'argent n'est que la marque du succès … La mère de Malcolm' se considérait comme une philanthrope. La loi mondiale sur l'Enfant Unique, promulguée en 2040, soit l'année de la conception de Malcolm' et de son duplicata, avait boosté Second Child. Lorsque les couples avaient encore le droit d'avoir deux enfants, en cas de divorce ils pouvaient toujours prendre chacun le sien, mais depuis le vote de la loi sur l'Enfant Unique, copiée sur le modèle de la Chine, toujours à l'avant-garde, l'idée de dupliquer son enfant était devenu l'alternative idéale, pour les gens qui en avaient les moyens. Car le procédé coûtait une fortune, et peut-être pour rien : si le couple ne divorçait pas, l'argent investi dans le développement des duplicatas était perdu … Il fallait des gens assez aisés pour être prêts à prendre ce risque. Heureusement, l'immense majorité des couples divorçait, souvent dès les premières années de l'enfant. Parmi les clients de Second Child, on observait même une extension du phénomène : une part importante des couples divorçait la première année, sans doute encouragée par l'existence du duplicata, qu'une simple démarche d'un des deux conjoints suffisait à activer. L'agence profitait d'un vide juridique : pour le moment, aucune loi n'était passée pour interdire l'existence de Second Child, les magistrats avaient d'autres chats à fouetter … En haut lieu, personne ne semblait réaliser que la mise en service éventuelle d'un duplicata violait la loi sur l'Enfant Unique. - Profitons-en, cela ne durera pas, prophétisait la mère de Malcolm'.

Elle avait mis au point un système de publicité ciblée qui fonctionnait parfaitement, visant les jeunes mariés clients d'Elite Union, dirigée par son dernier amant en titre, elle avait accès à un listing trié sur le volet. Pourquoi hésiter ? Parmi les clients de Second Child, les divorces étaient beaucoup moins douloureux, et les suites judiciaires simplifiées. Les frais d'avocats étaient donc moindres, on économisait ici ce que l'on dépensait là, c'était un des arguments de Malcolm'' et de sa mère, avec qui il s'entendait parfaitement. Mieux que si j'étais Malcolm', pensait-il souvent. Au moins moi, je lui dois deux fois la vie … Elle a mis Malcolm' au monde par l'ancienne méthode, les femmes portaient encore souvent leur enfant, en ces temps … En choisissant de quitter mon père, elle m'a donné la vie. S'ils étaient restés ensemble, comme certains l'ont fait, ils auraient fini par me désactiver … Je serais retourné dans les limbes, et je n'aurais jamais connu Malcolm' songea-t-il. Le soir venu, il rejoignit Malcolm' au Betty blue, la boite homo la plus hype de Vancouver. Ils dansèrent pendant des heures, grâce à la red death, rentrèrent chez eux, et firent l'amour comme des dieux. On ne dira jamais assez les bienfaits de la red death dans la vie des couples, homo ou pas. - Et si on se mariait, demanda Malcolm' à Malcolm'', au petit déjeuner. - Tu as envie d'avoir un enfant ? - Pas toi ? - C'est peut-être un peu tôt, mais pourquoi pas … fille ou garçon ? - Un garçon, si ça ne t'ennuie pas … les filles sont moins faciles à élever. - On le fera dupliquer ? - J'aimerais autant. - On ne sait jamais … - Ca fera plaisir à maman ... Ils éclatèrent de rire. - Passe à l'agence demain, j'ouvrirai le dossier.


où nous trouver

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Colette. 213, rue Saint Honoré / Le Fumoir. 6, rue de l'Amiral Coligny / Aimecube. 7 rue Vauvilliers / Joe Allen. 30, rue Lescot / Scopitone. 5, avenue de l'Opéra

Lina's. 61, rue Pierre Charron / Le Paris London. 16 place de la Madeleine / Le Mini Palais. 3, avenue Winston Churchill/Le 66. 66, avenue des Champs Elysée

02/

09/

03/

La B.A.N.K. 42, rue Volta / Galerie Eva Hober. 16, rue Saint-Claude / Galerie Chez Valentin. 9, rue Saint-Gilles / Café Baci. 36, rue de Turenne / Galerie Polaris. 5, rue Saint-Claude / La Perle. 78, rue Vieille du Temple / Dolls. 56, rue Saintonge / Kulte. 76, rue Vieille du Temple / Galerie Sutton Lane. 6, rue de Braque / Le Bouclard. 15, rue Charlot / Galerie Baumet Sultana. 20, rue Saint-Claude / Galerie Daniel Templon. 30, rue Beaubourg

04/

Café des Phares. 7, place de la Bastille / Noir Kennedy. 12, rue du Roi de Sicile / Amnésia. 42, rue Vieille du Temple / L'Etoile Manquante. 34, rue Vieille du Temple / La Chaise au Plafond. 10, rue de Trésor / Féria Café. 4, rue Bourg Tibourg / L'Etincelle. 42 bis, rue de Rivoli / Lizard Lounge. 18, rue du Bourg Tibourg / Calourette. 23, rue du Bourg Tibourg / Les Marronniers. 18, rue des Archives / Art Génération. 67, rue de la Verrerie / Le Drapeau. 10, rue du Temple / Open Café. 17, rue des Archives / Comptoir des Archives. 41, rue des Archives / Le Chinon III. 56, rue des Archives / Le Cox. 15, rue des Archives / Adidas. 3, rue des Rosiers

05/

Café Delmas. 2, place de la Contrescarpe / Café Léa. 5, rue Claude Bernard / Le Contrescarpe. 57, rue Lacépède / Music Guest, 19, rue Monge

06/

La Hune Librairie. 170, boulevard SaintGermain / Les Deux Magots. 6 place SaintGermain des Prés / Lipp. 151, boulevard Saint-Germain / Le Vavin. 18 rue Vavin / Le Select. 99, boulevard du Montparnasse / L'Atelier. 95, boulevard du Montparnasse / Café Jade. 10, rue de Buci /Les Editeurs. 4, carrefour de l'Odéon / O'Prince. 52, rue Monsieur Le Prince / Lucernaire. 53, rue Notre Dame des Champs / Le Chartreux. 8, rue des Chartreux / Café de la Mairie. 8, place Saint-Sulpice / Coffee Parisien. 4, rue Princesse / La Palette. 43, rue de Seine / Café des Beaux Arts. 7, quai Malaquais / Galerie Kamel Mennour. 47, rue SaintAndré des arts / Lina's. 13, rue de Médicis / Bar de la Croix-Rouge. 2, place Michel Debré / Le café de Flore. 172, boulevard Saint Germain / La marine. 59, boulevard du Montparnasse / Kulte. 40, rue du Dragon

07/

Librairie l'Atelier. 59, rue des Martyrs / Wochdom. 72, rue Condorcet / La Galerie des Galeries. 40, boulevard Haussmann / L'Hôtel Amour. 8, rue de Navarin / Lazy Dog Citadium. 50, rue Caumartin/No Good Store. 52, rue des Martyrs

10/

Le Point Ephémère. 200, quai de Valmy / Poêle Deux Carottes. 177, quai de Valmy / Le Chaland. 163, quai de Valmy / La Tipica. 4, rue Eugène Varlin / Artazar. 83, quai de Valmy / Chez Prune. 36, Rue Beaurepaire

11/

Lazy Dog. 2, passage Thiéré / Café Fusain. 50, avenue Parmentier / Favela Chic. 18, rue du Fbg du Temple / Café Justine. 96, rue Oberkampf / Café Charbon (Nouveau Casino). 109, rue Oberkampf / La Marquise. 74, rue Jean-Pierre Timbaud / Au Chat Noir. 76, rue Jean-Pierre Timbaud / Le Bastille. Place de la Bastille / L'An Vert du Décor. 32, rue de la Roquette / Pause Café. 41, rue de Charonne / M. and W. Shift. 30, rue de Charonne / Bataclan..50, boulevard Voltaire / Les Disquaires. 6, Rue des Taillandiers / Auguste. 10, rue St Sabin / Music Avenue. 10, rue Paul Bert / Unico. 15,rue Paul Bert/Galerie Magda Danysz. 78, rue Amelot / Motel. 8, passage Josset / La Mécanique Ondulatoire. 8, passage Thiéré / Adome. 35, rue de la Roquette

Galerie W. 44, rue Lepic / Le Floors. 100, rue Myrha / Galerie Chappe. 4, rue André Barsacq / Karambole Café. 10, rue Hegesippe Moreau / La Fourmi. 74, due Martyrs / La Famille. 41, rue des TroisFrères

20/

La maroquinerie. 23, rue Boyer / La Flèche d’Or. 102 bis, rue de Bagnolet

Ecoles/ Chambre Syndicale de la Haute Couture. 45, rue Saint Roch. 75001 / ECV. 1, rue du Dahomey. 75011 / Ecole Camondo. Les Arts Décoratifs. 266, boulevard Raspail. 75014 / ESRA. 198, rue Lourmel et 135, avenue Felix Faure 75015 / Ecole Architecture Paris Belleville. 78, rue Rebeval / Ecole Architecture Paris La Vilette. 144, avenue de Flandres. 75020 / EICAR. 50, avenue du Président Wilson. Saint-Denis / EFAP. 61-63, rue Pierre Charon. 75008 / Science Po. 27, rue SaintGuillaume. 75007

12/

Le Saint Antoine. 186, rue du Fbg Saint Antoine/ La Maison Rouge. 10, boulevard de la Bastille / OPA. 9, rue Biscornet

13/

Les Cailloux. 58, rue des Cinq Diamants / Le Marijan. 20 bis, boulevard Arago

14/

Dalea. 13, boulevard Edgar Quinet / Apollo. 3, place Denfert Rochererau / Zinc D'enfer. 2, rue Boulard / Zango. 58, rue Daguerre / Les Artistes. 60, rue Didot / Café D'enfer. 22, rue Daguerre

16/

Le Tsé. 78, rue d’Auteil / Librairie du Palais de Tokyo. 13, avenue du Président Wilson

Mucha Café. 227, boulevard Saint-Germain / 7L Librairie. 7, rue de Lille / Basile. 34, rue de Grenelle / Café le Saint-Germain. 62, rue du Bac / Le Bizuth. 202, boulevard Saint-Germain

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illustration : julien crouïgneau

Lézard Café.Café. 32, rue Etienne Marcel/ Kiliwatch. 64, rue Tiquetonne / Café Etienne Marcel. 64, rue Tiquetonne / Royal Cheese. 24, rue Tiquetonne / Le Pin Up. 13, rue Tiquetonne / WESC. 13, rue Tiquetonne / Rzostore. 4, rue Tiquetonne / Social Club. 142, rue Montmartre

18/




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