Les bagnes : Histoire, Types, Mœurs, Mystères

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LES BAGNES.

damné. Quand venait l'heure où l'ouvrier libre regagnait son logis en ville , le Génois offrait au forçat le morceau de pain qu'il avait ménagé pendant la journée, et il ajoutait ce supplément à la m o dique ration du bagne. Le condamné trouvait un adoucissement a sa peine dans cette sympathie que manifestait pour lui l'ouvrier. Les heures étaient moins longues quand le Génois était au travail ; les pensées étaient aussi moins tristes, car l'ouvrier parlait au condamné de ses affaires, il l'entretenait de détails du ménage : cela brisait un peu la monotonie de celle vie incessamment la même que mène l'homme des chiourmes. Le Génois était père de famille. Chaque année sa femme allait passer quelque temps au pays et y portait les économies de l'ouvrier. Déjà plusieurs fois, aux premiers jours d'automne, le Génois avait dit au forçat : Compagnonne est partie pour l'Italie. La compagnonne est le nom familier que les riverains de la Méditerranée donnent à la femme qui partage leur vie active et laborieuse. Une nouvelle année s'écoula ; l'équinoxe était venu ; la femme du Génois avait coutume de partir avant celte époque, que redoutent les passagers, et l'ouvrier n'avait pas annoncé l'absence de sa femme au forçat. Celui-ci interrogea l'étranger, et l'étranger lui apprit que la compagnonne n'avait plus besoin au pays: que n'avait plus d'économie à y p o r t e r . . . Il y avait à peu près six mois que l'ouvrier, cédant à un mouvement d'ambition , avait risqué ses épargnes dans une spéculation de cabotage faite de moitié avec un patron de barque de Livourne. Le petit navire avait péri, et il ne restait plus au Génois que ses bras pour toute ressource. L'Ouvrier eût trouvé encore du courage dans sa position d'homme libre et dans l'assurance qu'il avait de trouver du travail dans le p o r t ; mais sa pauvre femme n'avait pas eu la force morale de supporter le sinistre qui l'avait frappée dans sa petite fortune. La compagnonne était tombée malade, elle avait fait des dettes, les créanciers réclamaient leur prêt, un propriétaire intraitable parlait de faire vendre quelques modestes meubles pourse payer d'un loyer de vingt é c u s . . . et l'ouvrier, abattu, et pensant a chaque heure à la maladie de sa femme et aux embarras du m é n a g e ne cessait de répéter : Poura

compagnonne.


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