Les bagnes : Histoire, Types, Mœurs, Mystères

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LES BAGNES.

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Quelques chefs d'administration ont voulu à plusieurs époques rétablir le niveau entre ces deux positions. Des difficultés s'étant présentées, tous les condamnés arrivant au bagne, quel qu'ait été leur rang dans la société, leurs habitudes, quels que soient leur crime et la durée de leur peine, sont livrés, sans d'autres exceptions que les malades, aux travaux les plus pénibles, travaux nommés la grande

fatigue.

La grande fatigue est la première étape de la vie du forçat. Tous se trouvent, se coudoient, s'entr'aident, se heurtent sur ce champ de travail où disparaissent toutes les distinctions du monde, tous les orgueils de naissance ou d'éducation. Un homme qui était heureux dans le monde est tout à coup frappé dans sa fortune, dans son état, dans son honneur, dans sa liberté, par suite de désordres de conduite, ou par l'entraînement de ses passions, ou par les crimes que la haine, la jalousie, la vengeance lui ont fait commettre : il devient le sujet d'une accusation impérieuse, grave, capitale; il est traîné au pied de la j u s t i c e ; après toutes les tortures des débats, il succombe et il est condamné aux travaux forcés à perpétuité. La vie du m o n d e , la vie dos autres hommes est finie pour lui : plus de b o n h e u r ! une; infortune sans terme est pour jamais son l o t , ses biens lui sont ravis et passent de son vivant à ses héritiers naturels; il ne lui reste plus rien ; l'affection

et la tendresse que des êtres jadis aimés lui

prodi-

guaient s'affaiblissent et s'éloignent sous L'influence d'autres affections et d'autres intérêts; il est seul, deshonoré , dénué de tout secours, abandonné souvent même par les personnes pour l e s quelles il s'est perdu. Une voiture cellulaire le reçoit, triste, démoralisé, encore tout brisé du jugement qui vient de le frapper; après une longue route pendant laquelle il n'a vu ni le soleil ni un visage d ' h o m m e , il arrive au bagne. La porte de la voiture s'ouvre, des soldats l'aident a descendre, on le conduit ou plutôt on le porte dans une salle où l'on s'assure de son identité, où il est dépouillé de ses v ê t e ments, lavé et habillé on forçat, c'est-à-dire avec une robe de mouy rouge, un pantalon de mouy jaune, une chemise de grosse toile écrue, de gros souliers ferrés et la tète

rasée, et reçoit

pour


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