Sang d'encre - 2009

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PIERRE : Vous n’avez pas eu une vie facile, hein? FABIEN : Le hasard Pierre, le hasard. Avoir de bons parents présents ou avoir des parents lâches et égoïstes. Encore le hasard. PIERRE (compatissant) : Vous n’avez pas de femme ou d’enfants? FABIEN : Les femmes ne recherchent pas mon genre d’humour! J’ai fréquenté quelques femmes dans ma vie, mais j’ai toujours été incapable de les aimer. PIERRE (faiblement) : Vous avez trop de haine en vous. Il faut parfois oublier le passé pour avancer dans le futur. FABIEN : Ne te mets pas à pleurer pour moi, mon vieux! Je suis très bien comme je suis. Je ne prendrais pas ta place pour rien au monde. Il est bien plus facile de quitter un monde où nous n’aimons personne et où personne ne nous aime. Regarde-toi, tu te ronges le sang à penser que tu vas laisser ta femme seule avec tes quatre enfants. Tu paniques encore plus à l’idée de ne plus jamais les revoir. Alors, non, je suis aussi bien de mourir seul. Les deux hommes restent pensifs pendant quelques minutes. Pierre sourit alors de soulagement. PIERRE : Si vous avez raison et que je meurs dans quelques temps, je saurai au moins que je n’ai pas vécu pour rien. Au moins, moi, j’ai aimé, j’ai ri, pleuré, joué avec une femme indescriptible et avec des enfants trop tannants. Vous êtes passé à côté de la plus belle chose qui puisse arriver à un homme. FABIEN (soudainement très en colère): C’est à votre tour de vous taire! Vous êtes romantique et plein d’illusions. Et c’est cela qui vous empêche, aujourd’hui, d’accepter que vous allez mourir. PIERRE : Peut-être vais-je mourir! Mais au moins, j’aurai vécu. Je n’aurai pas passé ma vie à haïr tout le monde et à m’empêcher de vivre à cause de vieilles rancunes. Je connais bien peu de votre vie, mais vous me faites déjà pitié! FABIEN (cynique): C’est tout ce que j’ai toujours pu inspirer. PIERRE : Ce temps est révolu. Vous m’avez dit qu’il vous reste trois mois à vivre. Eh bien c’est assez pour vous faire connaître ma famille! Vous allez voir, vous allez adorer mon plus jeune, Maxime. Il vous fera rire, c’est certain. FABIEN (horrifié): Vous n’allez pas amener quatre enfants dans cette chambre, il n’en est pas question. PIERRE : Vous ne finirez pas vos jours seul. Je vais m’occuper de vous. FABIEN (encore plus horrifié): Sortez-vous ces idées de la tête. Nous ne sommes pas dans un film américain. Comment un mourant peut-il aider un autre mourant? Il se lève de son lit d’un bond et va éteindre la lumière en maugréant. FABIEN : Non, mais pour qui il se prend ? Venir déranger la quiétude d’un vieux mourant. (Plus fort pour que Pierre entende) Il est tard et j’ai sommeil. Dans l’obscurité, les deux malades s’installent confortablement dans leur lit.

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