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à 43 Top 100 musique

DOSSIER

QUELS SONT LES MEILLEURS MORCEAUX BRETONS DE TOUS LES TEMPS ? NE CHERCHEZ PLUS, LES VOICI.

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TOP 100

WHEN MY TEARS RUN COLD

C’est peu dire que la disparition de Dominic Sonic à l’été 2020 a été un choc pour le monde culturel breton. Le Dinannais de naissance était l’un des leurs. « Un type adorable, le rockeur pur et dur qui n’a jamais cédé à la facilité », d’après le conférencier et critique musical Christophe Brault. Pour Jean-Louis Brossard des Trans, Sonic était « le coup de cœur éternel, un chanteur charismatique ». « J’étais un fan absolu, renchérit Jean-Jacques Toux des Vieilles Charrues. J’ai dû le voir plus de vingt fois sur scène quand j’étais jeune. » François Floret de La Route du Rock n’est pas moins élogieux : « C’était un incontournable de la scène rennaise, version plus rock, plus sale. » Ancien leader du groupe punk lamballais Kalashnikov, Dominic Sonic signe un coup de maître avec son premier album, Cold Tears, sorti en 1989 avec ce tube qu’est When my tears run cold. « Ça pète, c’est très dynamique. Dominic Sonic, c’est un peu la revanche du rock énervé. Il a fait beaucoup de bien à la scène

DR rennaise qui, à la fin des années 80 avait tendance à phosphorer, à se prendre trop au sérieux », reconnaît Frank Darcel, ancienne tête pensante de Marquis de Sade. Pour Thierry Houal d’Hydrophone à Lorient, « When my tears run cold est un titre underground qui a marqué beaucoup de monde, issu d’un grand disque qui n’a pas pris une ride ». L’auteur brestois Arnaud Le Gouëfflec achève l’hagiographie : « Sur son premier album, Dominic Sonic incarne l’esprit du rock’n’roll, tout simplement, dans sa version de cuir noir, stoogienne, droit dans ses boots. »

POP

Dans les 90’s, c’était simple : pour percer dans la musique indé, il fallait passer à Nulle Part Ailleurs sur Canal Plus. Sloy a eu droit à cet honneur en y interprétant ce tubesque Pop, très grunge dans l’attitude. Un morceau qui a marqué l’adolescence de Gaétan Nael, programmateur de l’Antipode à Rennes : « Dans n’importe quelle soirée, il passait. Un morceau énergisant au possible. » Qui vaudra à ce trio originaire de Béziers, mais installé à Rennes, de faire les premières parties de Noir Désir, PJ Harvey et Placebo. ’VEL PA VEFEMP

Ce titre a beau être relativement récent (sorti en 2020), nul doute qu’il constitue déjà un futur classique. Signé Brieg Guerveno, ce morceau de folk ambiant donne toutes ses lettres de noblesse au breton qui, ici, s’épanouit hors du répertoire traditionnel. Une langue « chargée de poésie, de beauté et d’images », comme le décrit l’artiste originaire de Saint-Brieuc. Une composition aussi brute que délicate qui, à chaque écoute, ne cesse de nous emporter. GOUSPEROÙ AR RANED

Le plus ancien enregistrement breton se trouve sur un cylindre phonographique. Un rouleau de cire, considéré comme l’ancêtre du disque, qui à la fin du 19e siècle était un des formats les plus courants de captation sonore. Parmi les cylindres dénichés parmi l’association Dastum, plusieurs rouleaux datant de 1900, les plus vieux recensés à ce jour en Bretagne. On y entend la conteuse Marc’harit Fulup, originaire du Trégor, interpréter différents airs traditionnels. Parmi ceux-ci : Gousperoù ar raned, une des pièces majeures du Barzaz Breiz (recueil de chants bas-breton du 19e siècle). Un morceau d’histoire.

BACK TO MAGNETA

« Un brûlot punk. » Voilà comment le journaliste musical Olivier Polard qualifie ce titre iconique de la formation brestoise Nicolas Cruel sorti en 1978. « Le morceau dure seulement 1 minute et 38 secondes. Quelque chose de très intense qui donne tout. » Un groupe dont la notoriété n’a jamais réellement dépassé la cité du Ponant. « Il avait pourtant l’étoffe d’être connu nationalement. Il avait notamment assuré quelques premières parties de Téléphone. Sur scène, son leader Félix Bagheera était un personnage hors norme, une sorte d’Iggy Pop. » Si Nicolas Cruel connaîtra par la suite différentes moutures (avec Nicolas Rastoul comme nouveau chanteur qui orientera la formation vers le glam rock), seule sa première version garde l’affection de ses fans. Parmi ces derniers, le street-artiste rennais Poch qui prépare une compilation dédiée au groupe brestois pour début 2022.

AN INTAÑVEZ

« Les sœurs Goadec, c’est le premier groupe de rap que j’ai vu, sourit le Breton Gérard Pont, boss des Francofolies. Trois vieilles dames en noir et en coiffe qui faisaient danser 3 000 jeunes uniquement avec leur voix et leur flow. Une rythmique parfaite. » À l’image du morceau An Intañvez, notamment interprété lors de leur concert à Bobino à Paris en 1973 et dont le disque live constitue « l’apogée de leur carrière », estime Christophe Le Menn, tout nouveau directeur de la Kreiz Breizh Akademi, lorsqu’il évoque le drôle de destin de ses trois sœurs nées au tout début du 20e siècle à Treffrin, dans les Côtes d’Armor. « Même si je préfère les écouter a cappella, on peut également retenir leur collaboration avec le jeune Alan Stivell sur Elysa. »

LES PROLÉTAIRES

Sortie sur le même album que La Blanche Hermine en 1971, la chanson Les Prolétaires de Gilles Servat évoque, avec une certaine prémonition, le sort que connaîtront les matelots, paysans, petits commerçants et ouvriers. Une tribune qui dézingue les politiques libérales et souligne les difficultés ataviques de la classe prolétaire.

LA BLANCHE HERMINE

Le plus célèbre titre de Gilles Servat constitue sans nul doute l’hymne officieux de la Bretagne et, certainement, la première chanson punk bretonne. « J’ai rencontré ce matin devant la haie de mon champ / Une troupe de marins, d’ouvriers, de paysans / Où allez-vous camarades avec vos fusils chargés / Nous tendrons des embuscades, viens rejoindre notre armée ! » Lorsqu’il écrit ces lignes, le garçon a 24 ans et son texte sonne comme une mobilisation générale, pour ne pas dire une déclaration de guerre. « Il faut se remettre dans le contexte de l’époque, nous expliquait récemment Gilles Servat pour célébrer les 50 ans de ce morceau (lire Bikini n°50). Au début des années 70, la situation de la Bretagne était telle qu’on se demandait si on n’allait pas être obligé de prendre les armes pour que la région retrouve sa langue et, à défaut d’indépendance davantage d’autonomie. » Dès sa sortie, ce chant de protestation, racontant l’histoire d’un homme partant faire « la guerre aux Francs », résonne dans une région en pleine agitation politique et sociale. Ce qui, forcément, ne plaît pas à tout le monde. « La chanson ne passait pas sur les ondes françaises. Et même sur certaines radios bretonnes, c’était compliqué… » Idem avec les politiques. « En Bretagne, les gens au pouvoir à cette époque étaient quasiment tous des mecs de droite. Ils n’aimaient pas trop ce que je chantais… Je me souviens notamment d’une tournée dans le Morbihan où la préfecture nous avait interdit de monter notre chapiteau. » La Blanche Hermine traversera les décennies avec la même force revendicatrice, malgré quelques péripéties. Comme cette fois où le morceau sera récupéré par le Front National, au grand désarroi du chanteur engagé à gauche et ancien membre de l’Union démocratique bretonne. « Un jour, j’ai appris que le morceau passait dans certains de leurs meetings. La blancheur de l’animal devait sans doute leur plaire. S’ils savaient seulement que sa couleur change avec les saisons… En réaction, j’ai écrit Touche pas à la blanche hermine, une façon de remettre les pendules à l’heure. »

TOP 100

BREIZH POSITIVE

« Quand mon frère Frédéric et moi avons commencé à jouer en fest-noz à la fin des années 1980, il n’y avait quasiment pas de groupes de jeunes. C’est un milieu qui, je pense, avait besoin d’un nouveau souffle. C’est ce qui nous a sans doute portés, rembobine Jean-Charles Guichen, cofondateur du groupe Ar Re Yaouank. Nous étions dans le même état d’esprit : on avait envie de moderniser la musique bretonne. On voulait montrer à nos potes que le trad pouvait aussi être cool. » Très vite, la guitare et l’accordéon des deux frangins, alors âgés de la vingtaine, sont rejoints par le biniou de Gaël Nicol et la bombarde de David Pasquet. Avant l’arrivée (déterminante) de la basse de Stéphane de Vito, qui venait du hard rock. « Cela a permis d’apporter de la puissance à tous nos arrangements », poursuit Jean-Charles dont l’hypnotique jeu à la guitare sèche va contribuer à modeler le son d’Ar Re Yaouank : bloqués de cordes, open tuning (« un accordage spécifique qui permet d’avoir un bourdon ») et une frénétique main droite qui vient apporter toute la rythmique. Point d’orgue de cet assemblage : le morceau Breizh Positive, sorti sur l’album du même nom en 1995. « À la base, c’est une gavotte, qu’on a totalement décomposée. On y a intégré toute l’énergie qui nous animait. Ce qui se prête bien au côté tribal de la musique traditionnelle », juge le guitariste. « Quand ce morceau est sorti, il a fait débat, se souvient Glenn Jegou, du festival Yaouank à Rennes. Pourquoi ? Car c’était une révolution. Ils utilisaient des instruments trad, mais avec un esprit et une attitude rock. Certaines personnes se plaignaient, elles disaient que ça ne respectait pas les temps de la danse… Ar Re Yaouank a pourtant constitué une locomotive du fest-noz dans les années 90. » Ce que confirme Joran Le Corre, directeur artistique de Wart et programmateur de Panoramas. « Le groupe a remis le fest-noz au premier plan. À la grande époque, chacun de ses concerts rassemblait une foule impressionnante. Ça transpirait sec tous les week-ends aux quatre coins de la Bretagne ! » « Ar Re Yaouank a drainé un public fidèle qui n’hésitait pas à faire des centaines de kilomètres chaque samedi pour les voir sur scène, embraye Glenn Jegou. Le groupe fédérait les amateurs de musique trad, mais pas que : il a réussi à dépasser ce cercle. » Un engouement populaire (près de 80 000 exemplaires de l’album Breizh Positive seront vendus) qui permettra à Jean-Charles et ses compères de s’inviter dans de nombreux festivals. « Les Trans, les Francos, les Charrues, Saint-Nolff… Dans nos concerts (près d’une centaine en 1995, ndlr), le public rock et le public de fest-noz se retrouvaient. C’est ce qu’on avait toujours voulu faire. » AQUALAST

Rover est un homme du monde. Timothée Régnier de son vrai nom a vécu à Beyrouth et à New York, mais c’est à Tréguier, où sont ses origines, que ce personnage charismatique, qu’on croirait échappé d’un roman de Chateaubriand, a trouvé le lieu idoine pour enregistrer son premier album en 2011. Un projet solo qui s’ouvre par ce Aqualast grandiose dans lequel s’exprime une voix bouleversante, aux tonalités extrêmes.

TONTON ALAIN MICHEL

Avec Totorro, il est beaucoup question d’insouciance. Les quatre membres du groupe rennais ont beaucoup de talent mais ne se prennent surtout pas au sérieux, ce qui fait du bien dans un milieu math rock parfois trop intello. Eux s’amusent comme des gosses. Meilleur exemple avec Tonton Alain Michel, sorti en 2014, génial morceau construit autour d’un air de guitare entêtant et qui donne envie, comme dans le clip qui l’accompagne, de faire des roulades dans les dunes.

MA BRETAGNE QUAND ELLE PLEUT

Tragiquement disparu à l’âge de 35 ans, Jean-Michel Caradec fait partie de ces artistes de variété injustement oubliés. Précurseur (un des rares artistes de l’époque à avoir sa propre maison d’édition et un home studio), il était « inspiré par Bob Dylan et fréquentait Le Forestier, Souchon…, situe Gérard Pont, le boss des Francos. C’était le premier chanteur populaire à chanter la Bretagne. » À l’image du morceau Ma Bretagne quand elle pleut, en 1977, où le Morlaisien clame tout en douceur son amour pour sa région.

DORS MON GÂS

Si La Paimpolaise reste son morceau le plus connu, Théodore Botrel, chansonnier d’origine dinannaise, a signé en 1905 Dors mon gâs. Une berceuse reprise avec talent par Bachar Mar-Khalifé sur son album Ya Balad en 2015. Alors tout jeune papa, l’artiste franco-libanais justifie : « Comme toutes les berceuses, elle a un double sens très fort. La peur du sommeil chez l’enfant peut correspondre à la peur de la mort chez l’adulte. C’est aussi une métaphore de l’exil : l’arrachement aux gens qu’on aime est une douleur mais aussi une énergie de vie. »

PASSANT PAR LES CHAMPS LE LONG DE LA RIVIÈRE

Personnage atypique, Manu Lann Huel enregistre au studio Iris à Milizac son premier album à l’été 1976. Un disque de folk progressif, essentiellement en “parlé-chanté”, où l’on retrouve Passant par les champs le long de la rivière, chanson antimilitariste où le texte puissant et habité du Brestois s’appuie sur une guitare électrique planante.

SEULE DANS LA NUIT

Cette composition fait quelque peu penser à Retiens la nuit de Johnny Hallyday, mais sans les paroles. « J’avais pourtant commencé à en griffonner. Mais je n’ai finalement pas donné suite, ce qui fait de Seule dans la nuit un morceau entièrement instrumental », explique Micky Runarvot, l’auteur de ce slow aux harmonies de blues. Aujourd’hui âgé de 77 ans, il est le dernier survivant des Loups Noirs, formation née en 1961 à Brest, que l’on peut considérer comme l’un des (le ?) premiers groupes de rock en Bretagne. « J’avais alors 17 ans et j’habitais le quartier du Landais. Parmi mes voisins, il y avait des jeunes musiciens, dont Nico Luiz, Ricky et Charly, avec qui j’ai fondé le groupe. Bien sûr, on a tous américanisé nos prénoms : quand tu fais du rock, Micky ça sonne mieux que Michel ! », rembobine celui qui officiait à la basse. Tous les quatre fans de rock’n’roll – genre musical qui vient alors tout juste de débarquer en France –, ils reprennent naturellement des morceaux des Shadows, d’Elvis ou encore de Vince Taylor qu’ils jouent dans les salles du Finistère. « Dans ces années-là, le rock, ce n’était pas vraiment des concerts, mais plutôt des bals, situe le journaliste musical brestois Olivier Polard, qui a pas mal bossé sur Les Loups Noirs. Musicalement, on ne peut pas dire que c’était extraordinaire, c’était des sous-Chaussettes Noires, mais sur scène les mecs défonçaient la concurrence : ils jouaient quatre heures d’affilée, descendaient dans la foule, faisaient passer les instruments dans leur dos. C’était la folie. » Des souvenirs confirmés par Micky. « Ça ne nous intéressait pas de dan-

DR ser la valse ou le paso doble. Pendant les concerts, le public se défoulait, les filles essayaient de grimper sur scène... C’était une libération pour la jeunesse de cette époque. Cela fait qu’on a eu la chance d’avoir un public fidèle. » Une notoriété naissante qui conduira le groupe à sortir un 45 tours en 1962 (réédité en 2020 par Cameleon Records) sur lequel figurent trois reprises et Seule dans la Nuit donc. « La seule composition qu’on ait pu enregistrer », regrette Micky qui, après Les Loups Noirs (qu’il quittera en 1964), jouera notamment pour Eddy Mitchell.

ISTANBUL

Punk is not dead. En tout cas pas dans l’esprit ni dans le mode de vie des Mass Murderers, formés en 1994 à Saint-Brieuc. Le groupe est emblématique de l’époque du Wagon, fameux squat alors installé au Légué. Extrait du premier album, le joliment nommé The First & The Finger of law in your assholes, le titre Istanbul n’est pas qu’un témoin musical de cette folle époque. C’est d’abord et surtout un p… de bon morceau.

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CONRAD VEIDT

Il faisait froid à Rennes à la fin seventies. Aussi froid qu’à Manchester où une bande de joyeux lurons nommée Joy Division décide de passer la musique au freezer. Fini les délires hippies et les élucubrations punk, place à une cold wave bien rigide jouée par des jeunes gens modernes en chemise repassée et mocassins. New York s’y met aussi avec Television, de même que David Bowie en exil à Berlin. En France, ce sont donc les Rennais de Marquis de Sade qui se lancent avec succès en 1979 dans cette nouvelle aventure synthétique, grâce à un album inaugural, Dantzig Twist, salué par la critique (notamment celle d’Actuel, magazine culturel de référence à l’époque), et dont est extrait ce Conrad Veidt, morceau germano-français d’une implacable efficacité. « Notre style était celui d’un rock adulte, volontiers sombre et dépres-

SKIN DISEASE

Moins connu que Conrad Veidt ou Wanda’s Loving Boy, les tubes de Marquis de Sade (« même si on n’a jamais vraiment eu de hit », reconnaît le guitariste Frank Darcel), Skin Disease – orthographié Skin Desease sur la pochette originelle de l’album Dantzig Twist en 1979 – est rétrospectivement l’une des plus belles réussites du combo rennais. « C’est le post-punk dans toute sa splendeur et sa noirceur, s’enthousiasme Philippe Le Breton du festival Bars en Trans. Dans les boums de l’époque, la basse et le pont nous rendait fous, pour mieux repartir en exaltation et frénésie dansante. » FINAL FOG (BROUILLARD DÉFINITIF)

Marquis de Sade est l’une des victimes du fameux « difficile virage du deuxième album ». Non pas que Rue de Siam, paru deux ans après Dantzig Twist en 1981, soit mauvais (au contraire, il a même mieux vieilli que le premier), mais il a conduit à des dissensions musicales entre les membres du groupe et à sa fin prématurée. Dommage, à l’époque les Rennais jouaient dans la cour des grands du post-punk (Television, Cure, Gang of Four…), en atteste ce Final Fog (Brouillard définitif) « très jouissif à jouer sur scène, témoigne Frank Darcel, avec son jeu de guitare-basse funk et la voix de Philippe Pascal à son meilleur ». sif », présente le guitariste Frank Darcel. « Je reste marqué par le son sec, très mat de ce titre, c’était très impressionnant », remet le critique musical Christophe Brault. « C’était une révolution, analyse Gérard Pont, programmateur de l’ancien festival breton Elixir désormais à la tête des Francofolies. Ça sonnait la fin du rock progressif à la Barclay James Harvest, que je détestais. Une nouvelle décennie naissait. » « Ça reste pour moi le meilleur groupe de rock breton », assène Yannick Martin de La Carène. Son homologue d’Hydrophone Thierry Houal est tout aussi dithyrambique, estimant que « Marquis de Sade révolutionne réellement la musique en Bretagne dans toutes ses dimensions et structures. Sans eux, il n’y aurait pas cette vitalité sans cesse renouvelée des musiques pop, rock et électro dans la région ».

L’ÉCLAIRCIE

La déflagration Marquis de Sade a entraîné une myriade de projets satellites. Aucun néanmoins n’a réussi à surpasser le groupe originel. Marc Seberg a bien tenté pourtant, le temps de quatre albums et dix ans d’existence. La formation emmenée par Philippe Pascal, chanteur charismatique des Marquis, a eu son heure de gloire éphémère le temps d’un tube : L’Éclaircie, sorti en 1985. « C’est un poème dansant, apprécie Philippe Le Breton des Bars en Trans. En soirées, on chantait tous ce titre à tue-tête. » Cette « incroyable claque », dixit François Floret de La Route du Rock, a eu droit à sa récente reprise par Dominique A en 2020. Classe.

ACTEURS

Il est libre, Frank, y en a même qui disent qu’ils l’ont vu voler. Avec son nouveau groupe Octobre, monté moins d’un an après la fin de Marquis de Sade en 1982, Frank Darcel peut exprimer sans entrave ses nouvelles velléités musicales que le journaliste musical Christophe Conte présente ainsi : « du funk blanc d’inspiration Talking Heads. » Le projet ne durera que le temps d’un EP, d’un album et d’une première partie de Bowie en 1983. Reste en héritage cet Acteurs, morceau dance-pop bien branlé.

NIGERIA WHAT ?

Carhaisien aujourd’hui installé à Bruxelles, le producteur électro Xavier Thomas, plus connu sous le nom de Débruit, a sorti en 2010 Nigeria What ?. Une petite bombe aux accents ouest-africains et à la guitare dansante qui a conduit le garçon sur les plus beaux festivals d’Europe cet eté-là (Glastonbury, Sonar, Dour…)

SKOLVAN

Cette “gwerz” (complainte) issue du répertoire bas-breton compte de nombreuses versions. Parmi les interprétations qui mettent tout le monde d’accord, celle de MarieJosèphe Bertrand, chanteuse traditionnelle née en 1886, qui tient a cappella les huit minutes de ce chant. « Elle est considérée par de nombreuses personnes (dont Erik Marchand, YannFañch Kemener, Denez Prigent, ndlr) comme la plus grande interprète de gwerzioù. Une chanteuse de la trempe de Bessie Smith ou de Gertrude Ma Rainey », estime Christophe Le Menn (Krismenn), de la Kreiz Breizh Akademi, pour qui son interprétation de Skolvan est « magistrale ».

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ATTIRÉ PAR LE VRAI

Les T5A n’ont sorti que deux titres dans leur carrière. Et pourtant. Pionniers du rap rennais, ils ont eu le temps de connaître les montagnes russes du succès grâce à leur single Attiré par le vrai. Un coup d’un soir resté dans les annales, funky au possible, mais qui leur a apporté une flopée de galères. Petit retour en arrière : en 1990, les T5A, composés d’Alee, Hicham, Greg, Khalid, Swank et DJ Chap, écrivent leurs premiers textes dans leur quartier du Blosne. Quatre ans plus tard, ils ont l’opportunité de figurer sur une compilation des Trans Musicales dédiée au rap breton, Quartiers en Trans. Leur titre Attiré par le vrai se détache clairement du lot et attire les convoitises de la maison de disques EMI qui les signe dans la foulée. « En fait, ils voulaient juste signer le single, se rappelle Alee. On leur a dit qu’on avait d’autres morceaux en stock, mais ils en avaient rien à faire. » Le label sort les grands moyens et met même à disposition un car pour embarquer une volée de jeunes des quartiers de Villejean et de Maurepas afin de tourner le clip à Paris. À la sortie du single en 1996, les T5A sont pris dans un tourbillon, passent sur les plateaux télé, avant d’être vite recrachés par l’industrie. « On a sorti un deuxième single avec EMI, mais ils n’ont fait aucune promo. Ça a planté. Juste après nous, ils ont signé les Worlds Apart. On a été mis au placard. » Dégoûté, soumis à des tensions internes, le groupe stoppe net sa carrière. Seul Alee se relancera en solo et mènera une belle carrière indépendante. Conscient d’avoir été un précurseur et d’avoir offert un sacré tube au rap français. E KREIZ AN NOZ BREIZONEC BLUES

Roland Godefroy Chanson incontournable dans de nombreux cours de breton, E Kreiz an Noz est le titre d’ouverture de l’album sorti en 1975 par Youenn Gwernig. Une ballade folk épurée que le musicien et poète a enregistrée au retour des États-Unis où il a vécu entre 1957 et 1969. Un passage fondateur pour l’artiste finistérien qui y a découvert les auteurs de la beat generation, dont Jack Kerouac avec qui il s’est lié d’amitié. Saviez-vous que la capitale bretonne fut un des bastions français du jazz ? Dans les années 1940, le Hot-Club de Rennes faisait partie des meilleurs orchestres du pays. S’il reprenait essentiellement des standards, il composera en 1947 Breizonec Blues, considéré comme le premier morceau de jazz écrit en Bretagne. « Un swing explosif, commentent Lionel Besnard et Guillaume Michelet, deux passionnés qui, à la rentrée, ont restauré et ressorti quatorze titres du Hot-Club. Si l’aventure s’arrête en 1952, certains de ses membres feront une belle carrière : Jacques Souplet sera nommé PDG du label CBS Disques ; Bib Monville, un musicien antillais installé à Rennes, deviendra un des plus grands saxophonistes français... »

ANIMALS

Samedi 3 mai 2014, Stade de France : l’En Avant de Guingamp vient de battre le Stade Rennais en finale de la Coupe de France. Et alors que Lionel Mathis et Thibault Giresse brandissent le trophée face aux 80 000 spectateurs, Animals du groupe guingampais The Craftmen Club résonne dans les gradins. Venu assister au match, Yann Ollivier, le batteur du quatuor rock, est comme un fou lorsqu’il entend le riff de guitare qui signe l’intro du morceau tiré de l’album Eternal Life. Un souvenir plutôt flou, confesse cependant le garçon. « J’étais complétement DÉ-MÂ-TÉ, se marret-il encore. Heureusement que j’ai filmé la remise de la coupe avec mon portable. Surtout qu’on ne s’y attendait pas, le club ne nous avait pas prévenus qu’il passerait Animals. » Un titre bestial taillé pour les tribunes et un refrain scandé tel un cri de guerre qui, cette saison-là, retentissaient régulièrement dans les enceintes du stade du Roudourou à Guingamp. « Pendant quelques temps, ça a été “l’hymne” de l’En Avant. Son directeur de la com’ trouvait ça chouette d’associer le petit club de foot et le petit groupe de rock que nous étions. »

HUNVREOÙ MERGLET

DR Gouaille nerveuse, flow saccadé et débit mitraillette : cela fait plus de dix ans que Christophe Le Menn, aka Krismenn, impose son hip-hop en breton. « Une langue qui se prête bien à ce style musical, grâce à son accent tonique et ses diphtongues », nous expliquait-il l’an passé (lire Bikini n° 49). Point d’orgue, l’album S’habituer à l’obscurité sorti en 2017 et son morceau phare Hunvreoù merglet (“Des rêves rouillés”, en breton). Trois minutes et 24 secondes où le rappeur navigue entre trip-hop et expérimentations électro. Pour Tangui Le Cras, qui a été son manager pendant de nombreuses années, nul doute que ce disque fera date. « Alors oui, on pourrait imaginer que je manque d’objectivité, mais je pense sincèrement que cet album restera. Il a marqué les années 2010 », estime le garçon qui souligne aussi la beauté du titre Liv Mut : « Une berceuse dont la poésie résonne même dans sa traduction en français. Un bijou. »

ALONE

Le musicien costarmoricain Glenn Besnard et sa troupe de Bumpkin Island font de la pop comme d’autres de la bière : avec amour, patience et goût des bonnes choses à déguster entre amis. C’est sophistiqué sans être prétentieux, à l’image de ce que font leur modèle Sigur Rós, dont l’ingé son Birgir Jón Birgisson s’est vu confier le mixage de l’album Ten Thousand Nights, sorti en 2013 et qui s’ouvre par le merveilleux morceau Alone et sa folle montée finale. Un tube de dream pop trop méconnu.

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SODOME MOTORIQUE

Autre monstre sacré de la chanson bretonne : Glenmor. Dès son premier album Cet amour-là en 1969, il incarne un barde moderne, « catalyseur de la conscience d’un peuple qui recouvre son identité », écrit Arnaud Choutet dans l’ouvrage Bretagne : folk, néo-trad et métissages. Une position autonomiste, libertaire et rebelle que l’on retrouve dans le titre Sodome. Une diatribe anti-Paris (et anti-France par extension) où le texte du poète centre-breton s’habille magistralement de l’orchestre de François Rauber, l’arrangeur de Jacques Brel.

GALETTE-SAUCISSE JE T’AIME

« Galette-saucisse je t’aime, j’en mangerai des kilos, dans toute l’Ille-etVilaine, avec du lait-ribot. » Pas besoin d’être supporter du Stade Rennais, ni même fan de foot, pour connaître ces paroles. Auteur d’une étude sur la galette-saucisse, le journaliste Benjamin Keltz en explique la genèse : « C’est au retour d’un déplacement à Marseille dans les années 90 que deux figures historiques du RCK – le principal kop rennais – nommés Christophe et Dada ont eu l’idée de réinterpréter l’air paillard 51 Je t’aime, qui est une ode au pastis. C’est devenu un marqueur identitaire de revendication de la bretonnitude rennaise parfois moquée ailleurs en Bretagne. » Il y a les groupes qui font beaucoup d’esbroufe pour pas grand-chose et puis il y a les autres, comme Mermonte, qui brillent dans la discrétion. La fanfare pop de poche emmenée par le brillantissime Ghislain Fracapane distille une musique gracieuse pour initiés. Bientôt dix ans que ça dure, ce qui est une forme d’exploit à l’heure du zapping effréné. Issu du troisième et dernier album en date, Mouvement, paru en 2018, Motorique est un savant mélange de guitares enivrantes et de voix éthérées. Un lumineux charivari.

LES CONSEILS

Louis Blonce

Le décès en 2019 de Bichon (photo), chanteur d’Al Kapott, a suscité une vive émotion à Brest. Preuve de la place particulière qu’occupait cette formation punk devenue culte. Actif entre 1983 et 1987 (avant un éphémère come-back en 2005), Al Kapott a laissé quelques titres phare comme Les Conseils, « un morceau hyper technique », précise Jacky du groupe punk brestois Syndrom 81 pour qui « les musiciens d’Al Kapott ont compté humainement pour de nombreux jeunes artistes brestois. Ils étaient bienveillants avec tous ceux qui débutaient ».

THE LIVING DEAD

Certains artistes divisent la critique, ce n’est pas le cas de Laetitia Shériff. Humainement comme artistiquement, la Rennaise d’adoption installée en Bretagne depuis près de 20 ans fait l’unanimité. « Elle est sincère, humble et hyper intègre. Elle se fout des tendances musicales, elle suit sa ligne et s’y tient admirablement, droite dans ses bottes », portraitise Jeanne Rucet des Vieilles Charrues. « C’est la grande rockeuse rennaise par excellence. Elle est notre PJ Harvey ! », embraye l’écrivain Arnaud Le Gouëfflec. « Laetitia, c’est l’Artiste avec un grand A, admire tout autant François Floret de La Route du Rock. Je l’avais sollicitée pour un remplacement en urgence lors du festival hiver en 2009, elle a vécu un véritable triomphe. » Yannick Martin, de La Carène, était présent. « Ça a été mon concert préféré, et de loin, se souvient-il. On retrouve chez elle les mélodies acérées de la scène

LOOKING FOR YOU

Qu’elle est belle cette échappée solo de Victor Gobbé, chanteur et membre du groupe nord-finistérien The Slow Sliders. Sous le nom de Lesneu (car originaire de la ville de Lesneven), le garçon « poétique, lyrique, pétri d’humour, unique », comme le décrit Jean-Louis Brossard, patron des Trans Musicales de Rennes, a sorti en 2019 son second album Bonheur ou Tristesse. Un disque d’indie pop qui, comme son nom l’indique, oscille entre bonheur et tristesse. Un ascenseur émotionnel parfaitement résumé par l’ardent et flamboyant morceau Looking for you.

DR indé américaine, de Sleater Keaney au premier Cat Power. » Au moment de choisir un morceau parmi son répertoire riche de quatre albums studio et deux EP, en revanche les avis divergent : People Rise Up est choisi par Jeanne Rucet, A Stirring World par Arnaud Le Gouëfflec et The Living Dead par Yannick Martin, dont on partage l’argumentaire : « Ce titre (paru en 2014 sur Pandemonium, Solace and Stars, ndlr) est une ode au cinéma de série Z et au temps passé, avec un côté ciel gris breton qui lui va si bien. »

LA GUERRE EST DÉCLARÉE

Un titre comme un manifeste. La Guerre est déclarée ne joue pas de faux semblants : c’est martial, incantatoire, menaçant, hostile. « Ça fait partie de mes premières grosses claques de jeune cold waveux », se souvient François Floret, fondateur de La Route du Rock. Originaire de Vannes, délocalisé à Rennes, Complot Bronswick a sévi pendant six albums et quatre passages aux Trans entre le début des années 80 et les années 2000. Jamais le groupe n’a été aussi impressionnant qu’avec cette déclaration guerrière des débuts, issue de l’album Maïakovski paru en 1984.

TOP 100

L’APOLOGIE

« Un pétard ou un Ricard, si t’as vraiment le cafard / À choisir y’a pas photo, moi je choisis le maroco / Les alcools ont leurs soulards, le cana c’est le panard / Y’en a qui le mystifient, moi je fais son apologie ! » C’est l’un des refrains marquants de l’été 1998 et de son ambiance si douce, pour ne pas dire heureuse (le double de Zizou !). Pourtant caché par les hits Lambé an dro, Les Moutons ou encore Emma qui cartonnent à la radio, L’Apologie va finir par s’imposer comme LE morceau de La Ouache, le premier album de Matmatah. Un titre festif (que Stan le chanteur s’amuse à comparer à un zouk) dont une grande partie de la jeunesse bretonne a connu les paroles par cœur. Plus qu’un tube, L’Apologie peut être considérée comme une chanson culte. « C’est Sammy qui est arrivé avec le texte, fait savoir Julien Banes, le manager du groupe depuis ses débuts. Plus qu’une apologie, c’est une réflexion pertinente sur le comportement de l’État au sujet des drogues légales et celles qui ne le sont pas. La chanson pose des vraies questions dans un pays qui a une telle culture de l’alcool. » Un discours et un positionnement qui vont apporter aux Brestois leur lot d’emmerdes. En décembre 1999, les musiciens sont convoqués au commissariat de Brest pour provocation à l’usage de stupéfiants et présentation du cannabis sous un jour favorable. Une procédure lancée par un agent de la brigade des stups de Nantes (le même qui avait voulu intenter un procès à Billy Ze Kick pour Mangez-moi !) après un concert dans la cité des ducs. Un épisode que se remémore encore très bien Marc Ribette, alors tourneur du groupe. « J’avais accompagné les gars au commissariat ce jour-là. C’était n’importe quoi. Même les flics brestois trouvaient ça ridicule et étaient désolés. La convocation s’est terminée en séance de photos et de dédicaces. » La légende parle même d’un apéro. Ce qui aurait pu être une rigolote anecdote débouchera néanmoins sur un procès le 15 mai 2000 au tribunal correctionnel de Nantes et à une condamnation à 15 000 francs pour chacun des membres. « Continuer à chanter L’Apologie n’était pas interdit, mais il y avait tout de même cette amende. Cela crée une jurisprudence qui, un jour, pourra concerner d’autres artistes et d’autres chansons, regrette Julien Banes pour qui cette médiatisation XXL n’a pas servi Matmatah. À ce moment-là, on terminait la tournée, on était déjà à 700 000 exemplaires de La Ouache vendus… Par contre, ça nous a poussés à abandonner tout projet de single pour L’Apologie. On avait déjà une idée de pochette, mais notre maison de disques nous a dit que c’était même pas la peine d’y penser. » Si le groupe renoncera à faire appel (« on n’en pouvait plus de cette procédure et on souhaitait se concentrer sur la musique »), il signera le morceau Quelques sourires sur l’album suivant pour en finir avec cette affaire.

LAMBÉ AN DRO

Présent sur le premier CD 2 titres de Matmatah sorti en 1997 (qui contient aussi Les Moutons), Lambé an dro a réussi le miracle de s’exporter. Malgré des références 100% brestobrestoises dans les paroles (« ça n’aurait jamais dû marcher en dehors de la ville», s’amuse le journaliste musical Olivier Polard), le titre va devenir un carton. Un morceau qui, dès les débuts du groupe, sort du lot. Notamment grâce à son riff trouvé par Sammy un jour de vacances. À ses côtés, Stan le chanteur accroche direct et commence à écrire les paroles. Une première démo sera rapidement mise sur bandes, avec des djembés en intro (« à l’époque, c’était la grande mode, pour ne pas dire le fléau », nous confiait il y a quelques temps Stan, lire Bikini n°25). Ils disparaitront de la version finale présente sur l’album (ouf).

OUT

Dernière piste de Rebelote, second album de Matmatah, Out occupe une place à part dans le répertoire des Brestois. « C’est le premier morceau que le groupe a joué tous ensemble en 1995 », éclaire Julien Banes. Un titre quasi instrumental révélant les indéniables qualités de guitaristes des garçons qui, sur scène, s’amusaient toujours à le faire durer. « Certaines versions ont dû monter jusqu’à 20 minutes. »

OUEST-FRANCE

Mauvais goût assumé avec le titre Ouest-France des Costarmoricains de Franz Kultur et les Kramés. L’histoire d’Yvonne Le Gall qui, en allant chercher son journal, se fait percuter par un camion. Un groupe potache qui, dès 1983, se lançait sur un créneau alors naissant : le punk humoristique.

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FIVE MINUTES

Si la scène rennaise des années 2010 est numériquement dominée par le rock garage, elle restera surtout dans l’histoire pour un groupe pop-soul : Her. Et un morceau tête de gondole, à la reconnaissance internationale : Five Minutes. Échappés de The Popopopops, groupe pop-rock qui peinait à sortir du lot, Victor Solf et Simon Carpentier se décident à changer de registre en duo. « Pour lancer le projet Her, on avait décidé d’avoir un bagage d’une vingtaine de titres d’avance, histoire de ne pas se faire rattraper par les concerts, la promo, etc. Avec, parmi eux, Five Minutes, enregistré à Dinard avec Simon à la voix, se remémore Victor. C’est un morceau épuré, avec un jeu de guitare reconnaissable d’emblée et cette phrase tout aussi facile à retenir : all I need is five minutes. » Fin 2015, Gaétan Nael de l’Antipode est consulté et, tout de suite, ça fait tilt aux oreilles du mélomane. « Il y a une émotion dans ce titre qui ne te lâche pas. » Le programmateur n’est pas le seul séduit. Dès la sortie de Five Minutes (accompagné d’un autre tube, Quite Like), le succès est « foudroyant », se rappelle Victor : « Il y eu un emballement médiatique, lié notamment à Apple qui s’est servi du morceau pour faire la promo de l’Apple Watch, avant qu’Yves Saint-Laurent ne l’utilise aussi pour ses propres publicités. » Le décès tragique de Simon le 13 août 2017 a fait passer Five Minutes à la postérité. Un héritage musical à assumer pour son compère Victor, qui poursuit désormais seul sa carrière artistique. « C’était son morceau fétiche. J’ai longtemps eu du mal à me le réapproprier mais je commence maintenant à reprendre du plaisir à le jouer live. » En sa mémoire.

MAMAD

C’est parfois difficilement explicable comme une musique peut prendre aux tripes. Avec Bantam Lyons, c’est une question de feeling. En studio (deux mini-albums et deux albums, le dernier vient tout juste de sortir) comme en live, le post-rock des Brestois d’influence Interpol fonctionne toujours hyper bien. La voix habitée de Loïc Le Cam est incroyable d’intensité et de variations dans ce Mamad, extrait du deuxième EP du groupe, l’excellent S/T sorti en 2015. Chair de poule, à chaque fois. PLINN

Une clarinette, un synthé, une basse, et roule ma poule. Les touches rock, jazz et électro du trio Fleuves subliment le trad sans le travestir et « modernisent le fest-noz comme Ar Re Yaouank à l’époque, apprécie Joran Le Corre de Panoramas. C’est frais, original et prenant ». « C’est super moderne, il n’y a pas mieux comme musique à danser », acclame Jeanne Rucet des Charrues, dont la préférence va au morceau Plinn et « son intro de dingue ». JEAN-PAUL II

« Jean Paul II ! Jean Paul II ! Jean Paul de mes deux ! » Pour le journaliste Olivier Polard, c’est ce morceau « bête et méchant à la Coluche » qui symbolise le mieux le groupe punk brestois Les Collabos (« des antifas de première malgré leur nom »). Simplement trois années d’activité au compteur (de 1982 à 1985), mais une notoriété qui traverse le temps (« dans le milieu punk, ils sont vénérés »).

FREESTYLE DU SALE

Fer de lance de ce qu’on appelle le “troll rap”, Lorenzo a réussi à imposer sa dégaine (son bob Game Boy Pikachu <3), ses expressions débilos (« Mamène ») et ses préoccupations existentielles comme le cannabis, le porno ou Jean-Pierre Coffe. Un vrai personnage (« ce qui compte dans la musique », estime Gaétan Nael à l’Antipode) qui, au-delà du phénomène Internet (ses scores streaming sont hallucinants) passe haut la main l’épreuve du live avec, en 2018, une tournée quasi sold out et des shows bien véner. Point d’orgue : le titre Freestyle du sale, texte fondateur et hymne furieux.

GET IT OUT !

Sorti en 1993 sur World Up, premier album du groupe Skippies, le punchy Get It Out ! reste le titre le plus connu de cette formation rennaise qui tournera jusqu’en 1998 (avant que trois de ses membres ne fondent Bikini Machine). Un morceau entre grunge et punk rock qui va aussi bien chercher du côté de Nirvana que des Thugs. Pas de fioriture, droit au but.

JOHNNY COLÈRE

« Et la victoire caresse l’espoir de nous appartenir ! » Johnny colère a deux vies : une première un peu mésestimée, avant une tardive et éclatante revanche populaire. Ce morceau est d’abord celui des Nus, éphémère groupe rennais qui n’a eu sa chance que le temps d’un seul album en 1982. « Le potentiel était là pourtant mais le disque a pâti d’une mauvaise production et d’un pressage calamiteux. Résultat : il s’est fait défoncer par la critique. Merci, au revoir », contextualise le conférencier Christophe Brault. « Il y a quelques regrets c’est sûr, reconnaît son leader Christian Dargelos, ancien de la galaxie Marquis de Sade. On était dans une veine new wave à la The Cure qui sonnait plutôt bien. Johnny Colère était déjà notre titre phare avec ce son tribal arabisant et ces paroles qui font très mitterrandienne première époque, pleines d’une douce euphorie anarchisante. » Dix ans plus tard, c’est avec les Bordelais de Noir Désir que le succès arrive, grâce à une reprise offrant à Johnny Colère un nouveau souffle. « Il étaient fans des Nus, on s’était vu après un concert et on s’était promis de rester en contact, confie Dargelos. Un jour, qu’ils étaient en studio en Angleterre pour l’enregistrement de Tostaky, Cantat m’appelle pour me demander l’autorisation d’inclure cette cover à l’album. Bien sûr que j’ai accepté ! Aux dernières nouvelles, il s’est écoulé 800 000 copies de Tostaky. On se dit qu’on est indirectement pour quelque chose dans ce carton. »

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JE VEUX TE VOIR

L’année 2004 fut bipolaire pour le hip-hop français. D’un côté, c’est l’avènement de Diam’s avec Brut de femme, album de l’année aux Victoires de la musique. À l’autre extrémité, la bande de TTC cartonne avec Bâtards Sensibles, aux morceaux outrageusement machistes. « J’aime les chattes, quand je rentre dans la boîte, j’ai la trique. Toutes les chattes des putes sont moites, c’est pratique. Elles vont frotter toute la nuit. Pute, je suis ton mac alors suce ma bite gratuit », balancent crûment Teki Latex et Cuizinier. Des paroles qui ne vont pas tomber dans l’oreille d’une sourde. Du côté de Saint-Brieuc, une certaine Julie Budet (qui ne s’appelle pas encore Yelle) s’amuse avec son copain JeanFrançois Perrier (qui ne s’appelle pas encore Grand Marnier) à bidouiller une réponse aux Parisiens. Ah ils font dans le vulgaire ? Alors ils vont avoir du vulgaire. « Cuizinier avec ton petit sexe entouré de poils

INGÉNIEUR-INFORMATICIEN

« Ingénieur-informaticien, je suis ingénieur-informaticien, j’aime les ordinateurs, Windows 98 ! » Ces paroles évoquent certainement quelque chose aux trentaines. Le souvenir d’un morceau lo-fi bricolé par un certain Michel et qui fut un tube sur Internet au début des années 2000. Figurez-vous que le Michel en question est Rennais et était bien ingénieurinformaticien, assure Benoît Careil. « Il m’avait contacté alors que je gérais un petit label, se rappelle l’ancien de Billy Ze Kick. L’album a fait un bide mais des mecs comme Didier Super lui doivent beaucoup. » roux, je n’arrive pas à croire que tu puisses croire qu’on veuille de toi (…). Je veux te voir dans un film pornographique, en action avec ta bite, forme potatoes ou bien frites », clashe-t-elle en réaction. « On a fait ça à la maison avec un PC tout cheap, se rappelle Grand Marnier. C’était notre première expérience d’enregistrement ensemble, j’étais bluffé par la force rythmique de Julie, bam bam bam ! » Diffusé sur le Myspace de la jeune Briochine, le morceau Je Veux te voir devient une des premières expériences de chanson virale sur Internet. « C’était génial de voir que quelques personnes avaient les références des paroles, puis très vite, que les gens s’accaparent ce titre comme une chanson “normale”, poursuit l’éternel complice de Yelle. Le succès de Je veux te voir nous a clairement dépassés. » Gaétan Nael de l’Antipode se rappelle d’une « déferlante », d’un « emballement »

OCTAGONE VIERGE

Plus de vingt ans après sa sortie, Jeanne Rucet des Charrues se souvient encore de la « nouveauté » et de « la claque » que représentait le premier album Abstrackt Keal Agram, duo finistérien formé par Lionel Pierres et Tanguy Destable (aka Tepr) : « C’était électro, hiphop mais aussi noise… » Un mélange des genres qui permettra au groupe d’être playlisté par John Peel de la BBC, notamment Octagone Vierge. Un titre aux beats puissants et aux scratchs hip-hop dont est toujours fan Gaétan Nael de l’Antipode : « Il y a une telle intensité dans ce morceau ! » inattendu. « Toute la jeunesse française chantait cet hymne féministe, se souvient Philippe Le Breton des Bars en Trans. On avait programmé Yelle au P’tit Bazar à Rennes, le bar était tellement blindé que Julie a COMME UNE ROSÉE DE LARMES

Ils ne sont pas nombreux les artistes français à avoir remporté l’Oscar de la meilleure musique de film : Maurice Jarre, Michel Legrand, Francis Lai, Alexandre Desplat, Georges Delerue, Gabriel Yared… À cette liste prestigieuse, il faut dorénavant ajouter Ludovic Bource qui, en 2012, a raflé une statuette pour la bande originale de The Artist. Un film muet où les compositions du natif de Pontivy jouent un rôle central. À l’image du thème principal Comme une rosée de larmes, inspiré par un lied allemand et entièrement interprété au piano.

dû passer par la fenêtre de derrière pour accéder à la scène. Deux ans plus tard, je la retrouvais au festival Sonar… » Un phénomène qui n’a pas non plus échappé à Tangui Le Cras, producteur de la même génération que Julie. « C’est impressionnant de voir que dès ce premier titre, les codes de sa musique étaient fixés, loue le producteur centre-breton. C’est faussement naïf, avec la rythmique de Grand Marnier qui assure derrière. Après avoir bien usé Bâtards Sensibles l’année d’avant, j’ai un souvenir amusé et satisfait d’entendre cette meuf du 2-2 rabattre le caquet de TTC. Je crois que ça a fait vachement de bien à l’époque qu’une nana s’empare de cet univers rap macho et de ses codes. » « Aujourd’hui encore c’est notre titre le plus joué et de loin, indique Grand Marnier. Il est apparu dans beaucoup de séries notamment aux États-Unis, il “trend” de temps à autres sur TikTok… Bref, il continue sa vie ! »

JE T’AIME ENCORE

Étonnante carrière que celle de Yelle qui connaît plus de succès à l’international que dans son propre pays. Sorti en 2020 en plein confinement, Je t’aime encore raconte ce paradoxe. « C’est une chanson à double lecture, son “Lettre à France” », reconnaît Grand Marnier, son compagnon sur scène et dans la vie, en référence au tube du Polnareff. « C’est super malin de sa part, applaudit Jeanne Rucet des Vieilles Charrues. Yelle chante une relation amoureuse tumultueuse de façon douce et apaisante. Et puis c’est d’abord et surtout une très belle chanson. ».

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LES PRÉLIS

« Un truc un peu mélo qui te prend. Un morceau fort », juge Gaétan Nael pour qui Les Prélis, sorti en 2016 sur le premier album de Columbine, constitue « son morceau de cœur » du collectif rap rennais, « notamment le passage de Foda C ». Une chanson parlant de solitude qui, comme son nom l’indique, démontre l’importance des préliminaires jusque dans sa construction : l’intro dure près de 2 minutes 40, soit plus de la moitié du titre. THIS IS BREST MÉTROPOLE OCÉANE NOT VENISE BEACH

À l’image de leurs anciens aïeux Les Collabos et Al Kapott, le groupe de hardcore Trashington DC a lui aussi marqué les esprits brestois. Grâce à ses morceaux frappant vite et fort (durée moyenne une minute), comme sur les 45 secondes de This is Brest Métropole Océane not Venice Beach (avec la petite référence aux Goristes qui va bien : « ça, ça c’est brestois ») paru en 2007 sur son premier album.

DR

PATRIARCAT

HAUNTED HOUSE

La scène garage rock rennaise des années 2010 fut prolifique. Le temps n’a pas encore fait assez son œuvre néanmoins pour dire ce qui restera dans l’histoire mais on ne se mouille pas trop en sélectionnant les Madcaps, ultra efficaces en concert comme en studio, comme avec ce Haunted House très psyché 60’s qui figure dans l’album S/t paru en 2015 et sur la B.O de la saison 3 de La Casa de Papel.

LOGUIVY-DE-LA-MER

Été 1965, François Budet (future papa de Julie Budet, Yelle de son nom d’artiste) découvre le petit port de Loguivy-de-la-Mer, en tombe amoureux et décide d’en faire une chanson. Ce sera son plus grand succès et ça reste aujourd’hui l’un des classiques du répertoire musical breton. « Il n’y a pas un grand repas de famille depuis l’enfance qui ne finisse par cet air, confesse Tangui Le Cras, producteur de musique. Derrière le chant de marin, il y a une écriture sensible qui parle du travail, de la perte, de l’espoir. »

JP Roche

Le féminisme n’a pas attendu les années 2010 pour faire entendre ses légitimes revendications et ses critiques à l’encontre du machisme. En atteste ce Patriarcat de Brigitte Fontaine, « morceau incroyable, ultra-moderne, sorte de comptine de derviche tourneur électro-orientale » choisi par l’auteur brestois Arnaud Le Gouëfflec. Pour Thierry Houal d’Hydrophone, « Brigitte Fontaine incarne la radicalité et l’avantgardisme sur des questionnements aujourd’hui centraux ».

LETTRE À MONSIEUR LE CHEF DE GARE DE LA TOUR DE CAROL

Cette lettre aussi géniale qu’hallucinée de Brigitte Fontaine est « un classique underground de l’atypique et inclassable Morlaisienne, enregistré en 1970 avec son complice Areski Belkacem et l’Art Ensemble de Chicago », présente Jean-Louis Brossard, boss des Trans Musicales.

AL LAGAD FOLL

Denez Prigent, ça n’est pas qu’une voix pénétrante et hypnotisante. C’est également un sacré révolutionnaire, dans la lignée d’Alan Stivell, du genre à dépoussiérer la musique bretonne avec pas mal de radicalité. Pour son troisième disque, Me ’zalc’h ennon ur fulenn aour, il s’est associé à un certain Arnaud Rebotini, producteur électronique aujourd’hui émérite, mais parfait inconnu en 1997. « Denez a découvert les musiques électroniques à la

GORTOZ A RAN

Joran Le Corre, programmateur de Panoramas à Morlaix, est formel : « Même un énarque succombe devant tant d’émotion. Le résultat colle des frissons indélébiles. » Et il n’a pas tort. Tirée du superbe album Irvi de Denez Prigent sorti en 2000, la chanson Gortoz a Ran a connu un destin international inattendu en figurant sur la bande-originale du film La Chute du Faucon Noir de Ridley Scott. Invitée en duo sur le morceau, la chanteuse australienne Lisa Gerrard (du groupe Dead Can Dance) improvise des passages dans une langue inventée, et contribue à l’aspect mystique et mélancolique de ce titre.

Rave des Trans », se souvient JeanLouis Brossard. Dès lors, l’idée de mélanger les gwerz à la dureté des machines, se réunissant autour de la notion de transe, était évidente aux yeux du chanteur. Le déclic, comme on dit. « On s’est rencontrés, et on a passé des heures chez moi à écouter des vinyles pour décider de la direction à prendre, raconte Arnaud Rebotini. À l’époque, c’était la première vague de la jungle anglaise, on a décidé de partir là-dessus. » Le titre Al Lagad Foll est le morceau majeur de l’album, celui qui résume cette démarche et reste dans la mémoire musicale collective. Aux rythmiques épileptiques de Rebotini se greffent les chants traditionnels de Prigent, souvent puisés dans le répertoire ancestral. « Pouvoir travailler avec un tel talent à disposition, une telle richesse vocale, c’était magnifique, avoue le producteur. Les chansons étaient incroyables, et l’interprète était d’exception. »

HYPERNUIT

Ce titre illustre la capacité de Bertrand Belin, originaire de Quiberon, à marier la profondeur de sa voix, la discrétion de sa guitare et ses textes mystérieux. « Un style qui n’appartient qu’à lui », assure le producteur Gérard Pont.

KARANTEZ VRO

Il y a quarante ans mourrait Anjela Duval, grande poétesse bretonnante, autrice de Karantez Vro. Dans ce texte puissant, il est question de déracinement et d’amour. « Il dit le courage des femmes, la mer, les landes, la douleur et le Léon, décrit le boss des Francos. J’aime son adaptation en musique par le groupe Gwalarn. »

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PENDANT QUE LES CHAMPS BRÛLENT

Niagara, c’est typiquement ce qu’on appelle un “guilty pleasure”. Le plaisir coupable d’insérer dans une honorable playlist un groupe ou un artiste moins coté mais qui, sans qu’on se l’explique vraiment, fait kiffer. Comme le petit Envole-moi de Jean-Jacques Goldman glissé innocemment au milieu d’un répertoire de rock indé ou le Murder on the dancefloor de Sophie Ellis Bextor en madeleine de Proust de ses lointaines années lycée. « Bon… Niagara, faut quand même se dire que c’est dur à défendre quand tu milites depuis des années pour la reconnaissance de Sonic Youth, des Pixies ou de My Bloody Valentine, souffle l’historien de la musique Christophe Brault. Et pourtant c’est tout aussi difficile de ne pas les aimer du tout. Pas seulement parce qu’ils sont Rennais et qu’on est un peu chauvins, mais aussi parce que c’est bien produit pour de la variet’ quand même. » Un avis partagé par Christian Dargelos qui a côtoyé le duo dans les années 80 : « T’avais Muriel Moreno, bonne chanteuse qui faisait le boulot. Et puis Daniel Chenevez, la tête pensante, super bon musicien. Ce qui fait que c’est solide comme musique. C’est pas de la soupe. On les aimait bien les Niagara, même si c’était loin de notre univers. » « C’est de la petite pop qui a profité de la vague Daho pour se placer, analyse le critique musical Christophe Conte. La décennie était propice aux duos jetables gars-fille façon Elsa et Glenn Medeiros et, dans le lot, c’est franchement loin d’être le pire, ce qui est déjà pas mal. » D’autant que Niagara a intelligemment su insérer à son répertoire très grand public (Tchiki Boum, L’Amour à la plage, Je dois m’en aller, J’ai vu…) des morceaux plus honorables, comme Quand la ville dort (« une merveilleuse comptine nocturne, aussi malicieuse que légèrement mélancolique, qu’il faut absolument passer à toutes les afters », selon Carole Boinet des Inrocks), mais aussi Pendant que les champs brûlent, sorti en 1990 sur Religion, le troisième album du groupe vendu à 300 000 exemplaires (avec aux manettes un ingé son nommé Philippe Zdar, qui deviendra une grande figure de la french touch sous le pseudo Cassius). Sur ce morceau repris depuis par des artistes comme Flavien Berger, Izia et Thérapie Taxi, Muriel Moreno est langoureuse comme jamais, sa voix grave bien servie par l’orgue Hammond et la boîte à rythmes de Daniel Chenevez, avec des nappes de violon et des chœurs surannés pour habiller le refrain. « Honnêtement c’est une vraie pépite, jure Flavien Berger qui a réinterprété Pendant que les champs brûlent pour l’émission Monte Le Son en 2016. C’est une chanson d’amoureux, nostalgique, coquine et sensuelle, très maline dans sa construction. Si c’est culte trente ans après, c’est parce que ça tient la route musicalement. Niagara mérite sa place au panthéon de la chanson française, au même titre que les Rita Mitsouko. Pendant que les champs brûlent, c’est leur Marcia Baïla. »

L’AMOUR À LA PLAGE

« C’est l’amour à la plage, ah-ouh, cha cha cha ! » Sorti en 45 tours en 1986, L’Amour à la plage fut le plus gros tube de Niagara, avec 19 semaines de présence continue au top 50. Tout de même, ça pèse. « C’est de la musique de supermarché. Et je le dis sans snobisme, ce n’est pas péjoratif. Un morceau dont on se souvient bien, il m’arrive encore parfois de le fredonner », confesse Gaétan Nael de l’Antipode.

EVNIG BIHAN

Difficile de retenir un morceau dans la riche carrière de Yann-Fañch Kemener, grand artisan du renouveau du kan ha diskan depuis la fin des années 70 jusqu’à sa mort en 2019. Le chanteur et musicien Clément Le Goff, grand admirateur et connaisseur de l’œuvre, a relevé le défi en sélectionnant Evnig Bihan, issu de l’album Île Exil paru en 1996. « Parce qu’il résume bien l’univers de Yann-Fañch, ancré dans une culture orale bretonne qu’il met en valeur dans ce dialogue poétique entre le chant et le piano de Didier Squiban ». « Autant Erik Marchand, autre grande voix bretonne, me fait penser à la terre, autant la voix de Yann-Fañch m’évoque la mer, analyse Joran Le Corre. C’est d’une beauté rare. »

WE ARE YOUNG

Musicien accompli de Lucie Antunes, le Rennais d’adoption Jean-Sylvain Le Gouic a eu son moment de gloire il y a dix ans tout juste avec son projet Juveniles et le morceau We are young apprécié aussi bien par le DJ Julien Tiné (« il a vraiment synthétisé une nostalgie 80 générationnelle ») que par la Briochine Carole Boinet, journaliste aux Inrocks (« un tube électro-pop tendance Poni Hoax et Minitel Rose »).

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GWERZ MARV JORJ JACKSON

Fondé en 1976, le groupe Storlok fait figure de référence pour de nombreux musiciens bretonnants : avant lui, personne n’avait osé chanter en breton sur une musique rock, sortant ainsi cette langue du répertoire traditionnel où elle était alors cantonnée. « Les années 70 étaient propices à un changement d’atmosphère. C’est comme ça qu’on s’est dit que ça serait bien de marier notre langue avec cette musique qu’on écoutait : les Doors, les Stones, du blues…, nous racontait l’an passé Bernez Tangi, l’un des cofondateurs et chanteur de Storlok (lire Bikini n°49). On en avait assez des vieux chants traditionnels. C’était toujours les mêmes rengaines. Dans nos textes, on voulait parler du temps présent : la mobilisation de Plogoff, la religion qu’on aimait bien attaquer… Pour beaucoup de brittophones, ça a été un soulagement : leur langue sortait enfin du ghetto et devenait moderne. » « La preuve que le breton peut être aussi rock que l’anglais », assure Gérard Pont, le patron des Francofolies, fan de leurs textes, « mélange de gwerz (complainte, ndlr) et de manifeste politique ». En tête bien sûr, Gwerz marv Jorj Jackson, morceau sur le militant noir américain George Jackson abattu dans la cour de sa prison en 1971. « Une chanson universaliste qu’on retrouvait dans tous les juke-box des bars de l’époque en Bretagne », fait savoir le journaliste Olivier Polard.

GWERZ AR VEZHINERIEN

Écrite par Denez Abernot, une des têtes pensantes de Storlok, cette “complainte des goémoniers” figure sur le premier (et unique) album du groupe sorti en 1979. Un texte et une superbe mélodie repris magistralement par Denez Prigent en 1993 sur son album Ar Gouriz Koar. BZH

« En juillet, Saint-Pol-de-Léon, rendez-vous de tous les hippies… » Ainsi s’ouvre cet OVNI musical qui sent à la fois la crêpe au beurre et le patchouli. Signé Jean-Louis Chesnais, BZH est à ranger dans la catégorie des « chansons décalées », estime le journaliste musical Olivier Polard pour qui « c’était une des premières fois qu’on entendait des binious sur un air psychédélique ». Pour Jean-Louis Brossard, ce 45 tours sorti en 1970 constitue « le premier disque de pop bretonne ».

LES PRIMEVÈRES DES FOSSÉS

« Une invitation champêtre à l’amour dans l’herbe mouillée dans un élan pop sincère, synthétique et bricolé. » C’est ainsi que Carole Boinet, journaliste aux Inrocks, décrit cette jolie chanson du Vitréen Robin Poligné qui, avec son projet Rouge Gorge, s’inscrit en digne hériter d’Étienne Daho (dont il a fait la première partie aux Trans en 2019).

SPIT IN YOUR FACE

C’est un volet musical de Rennes aujourd’hui largement oublié, et pourtant : la capitale bretonne a bien été aussi l’une des places fortes françaises du hardcore dans les 90’s. Grâce notamment aux très estimés Stormcore et à ce Spit in your face à déguster en baggy pants, débardeur et collier à boules. « Une scène importante et singulière découlera de ce groupe aux mythiques concerts à l’Antipode et aux Tontons Flingueurs », rappelle Julien Tiné, admirateur de la première heure.

ARRIETTY’S SONG

« Un énorme coup de chance. » Voilà comment Cécile Corbel qualifie sa collaboration avec le studio Ghibli pour le film Arrietty : le petit monde des chapardeurs. Un film sorti en 2011 et dont la chanteuse et harpiste a signé la bande originale. Une première pour la Finistérienne, mais aussi pour le studio d’animation japonais qui, pour la première fois, faisait appel à un compositeur étranger. « Cela débute par un CD envoyé un peu naïvement. J’étais fan du studio et de ses films. J’avais envie de leur faire parvenir un de mes disques et, par je ne sais quel miracle, il a atterri sur le bureau de Toshio Suzuki, un des producteurs… » En pleine création de son prochain long métrage, Ghibli cherche alors une musique et mise sur la harpe de la Bretonne pour accompagner les aventures d’Arrietty, le personnage central. « Ils m’ont fait parvenir quelques dessins et le scénario afin que je puisse me représenter l’univers. J’ai composé une première maquette – qui leur a plu –, puis trois nouvelles chansons, et finalement toute la bande originale. » Un travail qui durera 18 mois jusqu’à la sortie du film, ponctué du thème principal Arrietty’s song que Cécile Corbel interprétera en plusieurs langues, dont le japonais. « Ghibli est une institution là-bas. Chaque sortie de film est un événement. J’ai été emportée dans ce tourbillon. La chanson a été beaucoup diffusée. Je garde depuis un lien particulier avec le Japon où je retourne régulièrement. »

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POP PLINN

S’il y a un morceau qui illustre la démarche révolutionnaire d’Alan Stivell à l’aube des années 1970, c’est bien Pop Plinn. Paru en 45 tours en 1971, voici un véritable électrochoc, une musique et un succès que personne d’autre que lui n’avait réellement vu venir. Certes, le harpiste avait déjà entrepris d’intégrer quelques guitares électriques à ses airs traditionnels sur son second album, Reflets, paru l’année précédente. Mais rien de comparable avec cette nouvelle démarche. « Il y avait eu quelques tentatives de modernisation de la musique bretonne, convient Alan Stivell. Mais elles manquaient de radicalité. » Et de la radicalité, en voilà. Pop Plinn est en fait le résultat d’un long cheminement artistique et personnel de son auteur. « Quand j’avais 14 ans et que le rock’n’roll débarquait en Europe, cette envie de le mélanger à la musique bretonne m’a tout de suite animé. Ça s’est fait par étapes. Pop Plinn est un manifeste, une façon d’allier nos racines à la musique qu’écoutaient les gens de ma génération. Ça n’avait rien de contre-nature. » Mais pour mettre en application ces belles idées tout en restant crédible, il faut s’entourer de musiciens de talent. Le jeune guitariste Dan Ar Braz, aux influences rock prononcées, est l’homme de la situation. Ensemble, ils réunissent une équipe d’instrumentistes triés sur le volet. Alan Stivell reprend un thème breton bien connu qu’il avait déjà joué lorsqu’il sévissait comme sonneur ou arrangeur pour des bagads, en modifie l’approche rythmique pour la rendre plus rock, et compose une introduction restée dans les mémoires. « Beaucoup de personnes ont cru qu’elle était inspirée d’un cantique breton. Mais son air est en fait emprunté à une danse bretonne. » Lorsque le morceau démarre réellement, que la guitare

LET THE PLINN

« C’est vrai que j’ai toujours adoré Led Zeppelin, avoue Alan Stivell. Mais là, c’est plutôt mon côté gamin qui ressort. Je me suis toujours amusé à jouer sur les mots, à chercher des titres qui interpellent et qui parlent aux non-Bretons. Bon, je ne suis pas un grand humoriste, il faut bien l’avouer… » Qu’importe la qualité de la blague. En 1995, lorsque le musicien sort son album Brian Boru, il a l’idée franchement folle de marier sa musique bretonne chérie au rap émergent sur le titre Let The Plinn. À l’époque, les alliances entre le hip-hop et les autres genres musicaux relèvent bien souvent de la parodie ou du grand raté. Mais cette fois, l’apport des boîtes à rythmes savamment arrangées par Erwan Le Marc’hadour, le mixage discret des sonneurs et les chœurs mystérieux des chanteuses du groupe écossais Tannas injectent une furieuse dose d’authenticité au projet. Alan Stivell ne se prend pas pour un rappeur. Il parle, s’inspire des codes, et fait infuser son héritage musical dans la modernité des années 1990. Avec la même volonté d’universalité qu’à ses débuts. « J’avais 13 ans à l’époque, se souvient Tangui Le Cras de Route 164, structure de production musicale. Je n’avais jamais entendu le breton sonner comme cela. Ça a eu une influence très forte sur la production bretonne de la fin des années 1990. » Gérard Pont, des Francos, ajoute : « Avec cette chanson, il montre combien la langue bretonne est moderne. Ça pourrait être du MC Solaar, c’est du Stivell.»

électrique de Dan Ar Braz retentit, la musique bretonne entre dans une nouvelle ère. À sa sortie, Pop Plinn est un carton. Europe 1 diffuse le single, d’autres radios nationales emboîtent le pas. Naïvement, on pourrait croire que les défenseurs de la tradition voyaient cette modernité d’un mauvais œil. « J’ai été très peu critiqué, rectifie Alan Stivell. Je faisais partie de ce milieu, on me connaissait pour en être depuis l’enfance. Je ne dis pas que les gens avaient tous cette même envie de changement, mais ils pouvaient admettre ma position, mon concept. Quelques critiques sont venues plus tard de la part de gens que j’avais moimême amenés à la musique bretonne grâce à Pop Plinn et qui se découvraient une âme de puriste. » Sorti presque en même temps que Renaissance de la harpe celtique, le troisième album du musicien, Pop Plinn ouvre surtout la voie à l’immense succès de son Live à l’Olympia paru en 1972 et écoulé à plus de deux millions d’exemplaires.

SON AR CHISTR

Écrite en 1928 par deux adolescents originaires du village de Guiscriff dans le Morbihan, le morceau Son Ar Chistr (la chanson du cidre, en breton) a traversé les décennies pour atterrir sur le deuxième album d’Alan Stivell, Reflets, sorti en 1970. Écourtée, habillée de la harpe du protagoniste mais également du banjo du musicien américain Steve Waring, elle se complexifie rythmiquement, mélange les percussions des deux continents, et annonce l’arrivée frontale du rock dans la musique bretonne moderne. Oui oui, rien que ça.

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MANGEZ-MOI

« Le tube de l’été, le scandale de l’automne. » C’est ainsi que Benoît Careil résume l’histoire de Mangez-moi, l’un des plus surprenants braquages de l’industrie musicale. Billy Ze Kick apparaît au début des années 90, fondé par la chanteuse Nathalie Cousin (photo) et le musicien Benoît Careil, aujourd’hui élu à la mairie de Rennes. « On était une joyeuse troupe de galériens à écumer les lieux alternatifs du coin. Avant de clore ce chapitre, on décide d’enregistrer un album que j’autoproduis, avec Mangez-moi. Et là, le carton, j’en vends 2 000 par moi et on passe aux Transmusicales en 1993. » La major Polygram a vent de cet inattendu succès et rachète la licence pour une distribution nationale qui s’emballe. « On devient n°2 du top 50, juste derrière Neneh Cherry et Youssou N’Dour… » En cet été 94, la France entière chante Mangez-moi (« le slogan d’une génération », d’après Gaétan Nael), ode aux champignons hallucinogènes (« du vécu à 100 % », confesse Benoît Careil), reprise d’un classique rocksteady du groupe jamaïcain The Mighty Diamonds. « On s’amusait beaucoup, même si derrière la légèreté enfantine on avait un discours militant bien sûr. » Ce qui génèrera à l’automne une belle polémique, une plainte officielle pour apologie (qui aboutira à un non-lieu), la censure des radios et la fin rapide de l’aventure. « Un beau feu d’artifice en épilogue ! » HUNVRE

Elle est « l’une des plus grandes harpistes bretonnes de l’histoire, avec Alan Stivell bien sûr », d’après le poète Yvon Le Men. Tous deux furent membres de la fascinante expérience Névénoé, une coopérative musicale et utopique qui vit le jour aux débuts des années 1970 (lire ci-dessous). C’est sur ce label pas comme les autres que Kristen signa en 1976 le sublime album Marc’h Gouez dont est extrait Hunvre, morceau inspiré de danses bretonnes, aux influences jazz. « Une comptine aussi envoûtante que bouleversante », expose Arnaud Le Gouëfflec. « Une belle entrée dans la musique bretonne », promet le DJ briochin Julien Tiné, autre grand fan. PAR LA RUE HAUTE D’ABORD

Par la rue haute, d’abord est encore un autre trésor immanquable de la coopérative Névénoé, chanté de sa voix de conteuse, à la fois chevrotante et forte, par Annkrist. « L’une des plus grandes chanteuses bretonnes, avec une poésie qui n’appartient qu’à elle », affirme Arnaud Le Gouëfflec. « Comme Glenmor, elle a su être Bretonne en chantant en français », admire Gérard Pont des Francofolies.

LE CAFÉ

Le slam n’est pas né avec Grand Corps Malade et Abd al Malik. En 1975, dans le nord de la Bretagne, un jeune homme de 22 ans nommé Yvon Le Men pratiquait sans le savoir (et sans que le terme n’existe encore) un style oral à la croisée de la musique et de la poésie. Ce qu’on appelle aussi dans les pays anglo-saxons le spoken word. « J’ai toujours aimé écrire et dire, raconte l’intéressé. En 1972, mon ami et voisin musicien Serge Kerguiduff me propose de me produire sur scène. Seul avec une guitare que je gratouillais, j’ai clamé un poème et ça a été comme un coup de foudre. » Yvon Le Men a trouvé sa voix et se fait adopter par une famille artistique : Névénoé. Plus qu’un label, une « coopérative utopique d’expression populaire », fondée en 1973 par Patrick Ewen et Gérard Delahaye. « Nous collaborions ensemble entre membres et répartissions l’argent égalitairement pour financer les projets des uns et des autres. » C’est ainsi qu’est né Le Café, avec l’aide des musiciens Gérard Delahaye, Melaine Favennec et de la chanteuse Annkrist. Yvon Le Men clame une apologie du comptoir comme « lieu social évident, rendez-vous des communards, ceux de 36 et de 68 ». « Le Café est un blues rageur et halluciné qui fait penser à Léo Ferré et au titre Le Chien », juge l’écrivain brestois Arnaud Le Gouëfflec, grand admirateur. « C’est tribal, haletant, il y a un côté chamanique avec ce bourdonnement de fond, commente le poète. Mon élocution hachée, due à mon asthme, apporte une urgence juvénile qui rend ce titre étrangement intemporel. »

BULLY

« I’m gonna make some moneyyyyyy ! » En 2007, les Morlaisiens de Fortune (monté par Lionel Pierres d’Abstrackt Keal Agram) déboulent avec Bully, qui restera leur (seul) hit. Un tube électro rock qui rappelle la bonne époque du blog Fluokids.

MENEZ DAOU

Une gavotte des montagnes double ton, mais version punk. Sur Menez Daou, boîte à rythmes et guitare saturée accompagnent biniou et bombarde. Un morceau, sorti en 2010 sur l’album Amzer an dispac’h, qui réunit la chanteuse de kan ha diskan Louise Ebrel et les Ramoneurs de Menhirs, groupe de rock celtique fondé, entre autres, par Loran, ancien membre des Bérus. On comprend mieux la boîte à rythmes.

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LA DISPUTE

Qu’il est difficile de choisir parmi l’excellente et prolifique discographie de Yann Tiersen. « L’alliance parfaite entre musique populaire et musique contemporaine », estime Philippe Le Breton des Bars en Trans. Révélés au grand public grâce au Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (film qui fête d’ailleurs ses 20 ans cette année), les morceaux présents sur cette B.O sont principalement tirés de ses trois premiers albums : La Valse des monstres, Rue des cascades et Le Phare. Parmi ceux-ci, La Dispute, issu du Phare. « C’est par ce titre que j’ai découvert l’artiste. Il m’a fait chaviré », se souvient Gaétan Nael de l’Antipode. Un morceau « nostalgique » où le mélodica laisse place au piano, son instrument fétiche. PORZ GORET

Sorti en 2016, Eusa est la déclaration d’amour de Yann Tiersen à Ouessant, île où il s’est établi. Un album entièrement interprété au piano, dont chaque titre fait référence à un coin de ce caillou au large du Finistère. Pièce centrale, l’atemporel morceau Porz Goret.

PALESTINE

Marquant le virage électronique du Ouessantin, le disque Dust Lane (dévoilé en 2010) occupe une place particulière dans son parcours, en particulier l’épique morceau Palestine. « Un beau moment et le souvenir d’un album riche, se remémore François Floret qui, cet été-là, l’avait programmé à La Route du Rock. Ça avait été l’apothéose au fort Saint-Père. »

MONOCHROME

Également sorti sur Le Phare en 1998, le titre Monochrome signe la première collaboration entre le multi-instrumentiste et le chanteur nantais Dominique A. Une sublime chanson (reprise en 2019 sur l’album Portrait, avec Gruff Rhys de Super Furry Animals) dont la montée crescendo fonctionne toujours autant. À QUAI

Titre phare de la B.O d’Amélie Poulain, À Quai figure sur L’Absente, sorti la même année que le film. Un album (« au-dessus de tout classement », juge Yannick Martin de La Carène à Brest) sur lequel participe l’ensemble orchestral Synaxis et ses 43 musiciens, donnant force et corps aux compositions de Tiersen. HARD TIMES, GOOD TIMES

Aux origines de Zoo, il y a un groupe nommé Les Dolmen’s emmené par les frères André et Michel Hervé, originaires de Guémené-sur-Scorff. « C’était un groupe de baloches comme il en existait plein dans les années 60, indique Frank Darcel, futur cofondateur de Marquis de Sade. Beaucoup de ces formations qui écumaient les bals de village faisaient des reprises, mais pas eux. Ils avaient leurs propres compositions. » Elles vont faire leur succès. Montés à Paris, ils rencontrent le guitariste et chanteur Joël Daydé, changent de nom et se font repérer par un certain Léo Ferré qui cherche à électriser son répertoire. « Ils vont l’accompagner sur scène et en studio pour le 45 tours La The Nana et Le Chien, puis pour Amour Anarchie. Ce n’est pas rien », précise le musicien rennais Christian Dargelos. Après cette collab, Zoo reprend son indépendance et sort en 1972 l’album Hard Times, Good Times, dont le morceau éponyme fleure bon l’époque : guitares acides et batterie lourde façon Led Zep, le tout relevé de cuivres. Malgré les bonnes critiques et une distribution internationale, la sauce proto-hard rock ne prend pas et Zoo splitte peu de temps après, laissant des regrets. Oui, car cinquante ans après sa sortie, le titre phare des Morbihannais a étonnamment bien vieilli.

KANA DISKAN

DR Elle était belle et insouciante la France de la fin des années 90 et du début des années 2000. Avant le 11-septembre, avant Le Pen au second tour de la présidentielle, la jeunesse d’alors se payait un revival hippie à base de cuivres, de chansons écolo, de trois feuilles bien tassés et de t-shirts Goéland. Une aventure à laquelle participèrent largement les Rasta Bigoud, groupe de reggae breton (une authentique niche musicale) qui rencontra le succès avec ses deux premiers albums : Breizh Zion en 1999 et Kana Diskan en 2001 qui s’ouvrait par le morceau éponyme. « Ce titre, c’était mon idée, se marre Reynald, le guitariste. On avait pour habitude de beaucoup jouer tous ensemble et c’est une fois qu’on avait la mélodie qu’on posait des textes dessus qui pouvaient être parfois politiques – comme avec la chanson Jean-Marie –et parfois plus légers. » Comme ce fut le cas avec ce Kana Diskan jouant sur deux grands amours des Rasta Bigoud : leur région et la sainte ganja. « Regarde le Breton devant toi, sous ses pas l’herbe repousse bien, c’est l’inverse d’Attila. Kana Dis-KAN, l’agriculture bretonne, Kana Dis-KAN, la culture rayonne », font les paroles, chantées comme un jumelage improbable entre Douarnenez et Kingston. C’est pas du Bashung ni du Brassens mais ça a le mérite de l’efficacité. « Vingt ans après, on m’en parle encore régulièrement, c’est flatteur de savoir qu’on a marqué notre époque », se félicite Tanguy, le clavier.

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NON NON NON NON (JE NE SUIS PLUS SAOÛL)

Au début des années 1990 en France, faire du rock sans batterie était une hérésie. Il n’est donc pas très surprenant d’apprendre que le premier album du groupe brestois Miossec, Boire, a bien failli être totalement inconnu du grand public. Il a fallu le discernement et l’oreille d’un journaliste, JeanDaniel Beauvallet, alors fondateur et ponte de l’hebdomadaire Les Inrockuptibles, pour le sauver in extremis de l’anonymat. « J’ai reçu une cassette à la rédaction, l’attaché de presse m’a dit : “Ça n’intéresse personne, vous êtes les derniers à qui je l’envoie, après j’abandonne.” C’était extrêmement rugueux. On l’a passée en boucle, on la connaissait par cœur à la fin de la journée. J’appelle ça de la musique tartare : coupée au couteau de boucher, brute, crue. On adorait le fait qu’ils soient rejetés par l’industrie. » Christophe Miossec et ses deux musiciens, Bruno Leroux et Guillaume Jouan, ont axé ce premier album sur les textes. C’est le poids des mots qui compte, leur tranchant, pas le volume sonore. Dans le rock, c’est rare. « Avec Dominique A, ils ont été à l’origine d’un renouveau de la chanson rock française, résume Thierry Houal, directeur artistique du festival Les Indisciplinées. C’était comme un coup de pied dans la fourmilière. » « Il faut évoquer l’ensemble de ce premier album qui est un pur chef d’oeuvre, un OVNI à l’époque, une merveille », renchérit François Floret de La Route du Rock. Le morceau d’ouverture s’appelle Non non non non (Je ne suis plus saoûl). Bourré de cynisme, imbibé d’ironie, il dépeint les états d’âme sentimentaux d’un type en train de dessaouler de la veille, mais dont les pensées sont encore parfaitement enivrées. La première strophe est on ne peut plus claire : « Je vous téléphone encore ivre mort au matin / Car aujourd’hui, c’est la Saint-Valentin ». C’est frontal, disgracieux, presque comme en doigt d’honneur aux amoureux trop niais qui dînent aux chandelles dans les belles adresses brestoises. Et puis, il y a l’alcool, l’un des grands thèmes de la discographie et de la vie de Miossec. « Il est vite devenu une bête de foire, estime Jean-Daniel Beauvallet. C’est triste, son entourage l’a trop laissé jouer à ce personnage. » Depuis plus de dix ans maintenant, Miossec est pourtant sobre. « Ça le vexe qu’on le ramène à cela aujourd’hui, continue le journaliste. En même temps, il l’avait un peu cherché en appelant son premier album Boire et en débarquant ivre mort sur scène. Ça faisait partie de lui, certes, mais il a été poussé au vice. » Non non non non (Je ne suis plus saoûl) symbolise donc le personnage public, mais également une démarche musicale dépouillée qui disparaîtra dès le deuxième album de Miossec, plus rock. « C’est dommage, regrette JeanDaniel Beauvallet. Il a été amené dans cette direction, dans quelque chose de plus déglingué qui collait à son image d’alcoolo. Sur Boire, il y a trente ans de sa vie, trente ans de rancœur, de phrases assassines, de jouissances, de joies… » Et suffisamment de sincérité pour en vendre 150 000 exemplaires et installer Miossec parmi les chefs de file de la nouvelle chanson française.

LA FIDÉLITÉ

Après s’être installé dans le paysage alors mouvant de la chanson acoustique, Miossec change de direction musicale et n’hésite pas à incorporer des batteries à son second album, Baiser. Cette fois, l’électrique prend ses droits, comme sur le morceau emblématique La Fidélité sur lequel la voix du chanteur se fait déchirée et déchirante : « Et si ma bite et mon cœur font grève, je peux très bien me toucher / Et si ma langue traîne par terre, je peux très bien l’avaler. »

BREST

Cette chanson, parue sur le cinquième album de Miossec, 1964, est un hymne, une déclaration d’amour à sa ville natale qu’il avait quittée, une illustration du déracinement et d’un retour aux sources. Elle a la particularité de mélanger les deux grands aspects de la musique de son auteur : la chanson à textes sur les couplets, et les arrangements rock sur le refrain, lui conférant une énergie lente, une montée en puissance. « Elle parle d’un homme qui aime sa ville, ajoute François Floret, directeur du festival La Route du Rock. Brest a un passé compliqué, une architecture rude et décriée, une météo souvent maussade mais une jeunesse incroyablement rock. » On retrouve tout cela dans ce morceau. « La rade », « le port », « l’avenue Jean-Jaurès »… Et leur nostalgie.

LE DERNIER CHAPITRE

Fers de lance du rap breton au début des années 2000, les Rennais de Psykick Lyrikah n’ont eu de cesse de mélanger les sonorités les plus électroniques à leurs beats rap. En témoigne Le Dernier chapitre, en collaboration avec Abstrackt Keal Agram, titre phare de leur album, Des lumières sous la pluie.

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MORT ET IMMERSION DE MALGUEN / FIN DU VOYAGE

Avec ses allures de guitar hero, Dan Ar Braz a contribué à façonner les albums d’Alan Stivell des années 1970. Sur Douar Nevez, son premier disque solo sorti en 1977, il continue cette exploration du mariage entre le rock et les musiques celtes en s’inspirant grandement du mythe de la Cité d’Ys. Pas question de se limiter aux joyeux airs bretons joués en distorsion : Dan Ar Braz puise dans l’ésotérisme et la mélancolie, notamment avec Mort et immersion de Malguen / Fin du voyage. Un titre en deux parties qui s’inspire autant des longues digressions de Mike Oldfield que du rock progressif, théâtre d’un dialogue gracieux entre sa guitare et la cornemuse.

PEN HAD

Quelques années avant Yann Tiersen et son album Eusa consacré à Ouessant, le musicien Robin Foster s’était lui aussi lancé dans une cartographie musicale. Celle de la presqu’île de Crozon où ce Britannique de 47 ans s’est installé. Pièce centrale de l’album Peninsular sorti en 2013, Pen Had, épique morceau de post-rock qui donne envie de courir le long des falaises (mais pas trop près du bord quand même).

MORT AUX CONS

En 2017, le groupe Tagada Jones avait déjà 25 années de carrière dans les pattes. Pas de quoi assagir la formation rennaise qui, avec son titre à succès Mort aux cons présent sur l’album La Peste et le choléra, fustigeait l’apathie des populations face à la montée de l’extrême droite et le manque de radicalité dans les luttes. MARCHE OU RÊVE

Au début des années 2000, on a vu débarquer ce drôle de groupe qui mélangeait le métal, les influences ragga et l’électronique pour créer une fusion unique. Freedom For King Kong était un OVNI lorientais qui a écumé les scènes, certes, mais aussi produit de sacrés albums, à l’image de Marche ou rêve en 2003. Le titre éponyme ressemble furieusement à un coup de poing dans la tronche, une ouverture virulente sur l’univers d’un groupe à part.

THE BIG TREE

La voix de Pupajim est reconnaissable entre mille. En 2012, son groupe brestois Stand High Patrol sortait son premier album, Midnight Walkers, après presque dix ans de scènes et de sound systems reggae/dub. « On avait de très bons contacts avec Radio Nova, se rappelle le chanteur. On voulait qu’ils diffusent le titre Brest Bay, mais eux préféraient The Big Tree. Ils ont un peu choisi l’ordre des singles finalement... » Les deux sont de beaux succès, mais The Big Tree, par son côté plus classic reggae et sa mélodie accrocheuse, se détache. « C’est certainement celui qui a le mieux traversé les âges. » Se rappelant au bon souvenir d’un grand arbre planté dans le jardin de ses parents et symbolisant l’enfance et la mélancolie, Pupajim a écrit ce morceau en une demi-heure. « C’est souvent les meilleures chansons, d’ailleurs. On bossait notre musique, mais ce premier album, il sortait du cul de l’ordi. Il n’est pas mixé, on est juste allé faire le mastering en Allemagne. Aujourd’hui, ça serait impensable de faire ça. »

TOMBÉ POUR LA FRANCE

DR

Paru sur mini-album en 1985 puis intégré sur Pop Satori l’année suivante, Tombé pour la France est le premier vrai grand tube du jeune et fringant Rennais, qui va devenir grâce à ce titre la coqueluche des médias et du public. 19 semaines consécutives de présence au top 50 vont lancer ce que le journaliste Christophe Conte appelle « la Dahomania ». Il poursuit : « C’est un morceau comme une étincelle qui révèle son interprète en

WEEK-END À ROME

Biographe d’Étienne Daho et donc forcément admirateur, Christophe Conte reconnaît ne pas être « grand fan » de Week-end à Rome, plus grand tube du chanteur rennais sorti sur son deuxième disque La notte, la notte paru en 1984. L’intéressé luimême disait que « ce n’est pas une de (ses) meilleures chansons ». Mais « on ne peut pas ne pas la mettre » concède Gaétan Nael de l’Antipode. Pour l’insouciance qui s’en dégage, sa légèreté juvénile, « et parce que c’est quand même THE tube qui accompagnait toutes les sorties nocturnes, confie François Floret de La Route du Rock. C’est l’incontournable d’un artiste majeur. Une fierté ».

artiste majeur des années 80, avant qu’il ne transforme l’essai quelques années plus tard avec Saudade, autre single majeur de sa carrière. Tombé pour la France reste encore aujourd’hui extrêmement efficace sur scène, ce qui est la marque des grands titres. » Carole Boinet, des Inrocks, reconnaît également « une grande passion pour celui qui rêve de revoir sa bien-aimée à Sables d’Or près des dunes », pour reprendre les paroles de ce hit très pop new wave. « La mélodie est super et la production, bien que très marquée eighties, passe encore largement la rampe », estime l’historien de la musique Christophe Brault. « C’est de la pop dansante, avec ce petit swing léger qui fait que les gens réagissent de suite », loue également Christian Dargelos, lui aussi ancien de la scène rennaise. Thierry Houal, d’Hydrophone à Lorient, salue à travers ce morceau « les qualités fédératrices de Daho. Il s’assume en totem de la pop rennaise et bretonne ».

LE GRAND SOMMEIL

De la période rennaise du Daho débutant dans les années 80, Christophe Conte retient surtout Le Grand Sommeil, paru sur l’album La notte, la notte. « Parce que ce morceau résiste admirablement au temps, justifie-t-il. C’est bien écrit, bien produit, ça ne bouge pas. »

Julien Marchand, Régis Delanoë et Brice Miclet

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