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DOSSIER

SQUAT ELSE

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UN CHAPITRE DE LA CULTURE ALTERNATIVE RENNAISE SE FERME : L’ÉLABO DOIT QUITTER SON FIEF HISTORIQUE. UN TOURNANT POUR CE SQUAT ARTISTIQUE AUJOURD’HUI COINCÉ ENTRE DÉSIR DE RECONNAISSANCE ET VISCÉRALE VOLONTÉ D’INDÉPENDANCE.

Photos : Camille Alric et Bikini

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’est un crève-cœur de partir. Ici, les lieux sont gorgés d’histoire : 24 ans de rencontres, d’échanges, de fêtes… Mais aujourd’hui, on n’a pas le choix : on doit s’en aller. » Niché depuis 1997 dans la plaine de Baud, à l’est du centre-ville de Rennes, le collectif de L’Élaboratoire est en plein dans les cartons. En cette rentrée, ce squat artistique doit en effet quitter le hangar du 17 bis avenue Chardonnet (ancien bâtiment désaffecté reconverti en pôle dédié au spectacle vivant), ainsi que le « terrain des chap’ », où une dizaine de caravanes sont installées. Un premier déménagement avant celui, d’ici deux ans, de son espace au 48 boulevard Villebois Mareuil qui abrite des ateliers de plasticiens, une salle d’exposition et des caravanes où logent une trentaine de personnes. Après de nombreuses années de négociations avec la mairie (qui est, rappelons-le, propriétaire des différents terrains occupés), les heures de L’Élabo semblent donc – vraiment –comptées dans le quartier BaudChardonnet. Un emplacement qui n’a cessé de fondre, l’ancienne friche industrielle étant aujourd’hui au cœur d’un plan d’aménagement XXL qui prévoit notamment 2 600 logements sur ce site de 35 hectares. « Ça grignote, ça grignote… Les tours et les immeubles poussent comme des champignons. Avant, on avait une vaste étendue. Aujourd’hui, on ne pourrait même plus y mettre un chapiteau », pestent Greg, Camille et Fabien, porte-paroles du collectif. Membre historique de L’Élabo, Benoît Guérin, “Gros Ben” pour les intimes, constate lui aussi le terrain réduit à peau de chagrin. « Je n’ai jamais vu autant de grues au même endroit. Les chantiers successifs ont mangé tout l’espace, reléguant les caravanes au bout de l’avenue. Avec les travaux, c’est devenu tout sauf agréable, reconnaît l’artiste de rue. Cela n’a rien à voir avec ce qu’on a pu connaître. Il faut imaginer cette ancienne friche : une grande plaine, des arbres… Y avait un côté campagne à la ville. » Un temps révolu, symbole de ce que le ministère de la culture allait nommer les “nouveaux territoires de l’art”, que regrette Benoît, nostalgique des grandes heures de L’Élabo. « En 1998, lors de notre premier festival Élabohème, on avait invité 80 compagnies qui avaient donné plus de 120 spectacles. Cela avait duré un mois, se souvient celui qui avait alors 22 ans. C’était une époque formidable. Il y avait une énergie incroyable, une création non stop, une ébullition permanente. Des compagnies venaient de partout. Tout le monde était à fond ! »

« De jour comme de nuit »

Suivront des épisodes heureux (la grosse nouba pour les vingt ans notamment, avec des festivités pendant vingt jours) et des moments tragiques (le 21 mars 2018, “La Villa”, une annexe du squat, était détruite par un incendie. Un homme décédera des suites de ses brûlures). Le tout ponctué de discussions plus ou moins tendues avec la municipalité. Jusqu’à cette dernière lettre reçue avant l’été, demandant de faire place nette. « Nous sommes obli-

«Cela montre un désaveu de notre travail»

gés d’engager ces procédures. Les travaux doivent se poursuivre dans le cadre du projet d’urbanisme : des logements vont être construits au terrain des chap’ et le bâtiment du 17 bis va devenir un équipement à vocation socio-culturelle pour les riverains, expose Daniel Guillotin, l’élu de quartier, qui pointe des problèmes de sécurité pour le 48 boulevard Villebois Mareuil, proche de la Vilaine. Un dernier contrôle montre que la digue protégeant cet espace est corrodée et peut tomber à tout moment. Le projet de la ville est de revenir à l’état naturel du site, ce dernier pouvant être inondé en cas de crue. » Le long de cette berge, un futur axe piétons-vélos sera aménagé et permettra de rejoindre la gare. Des plans qui n’intègrent pas l’Élabo (malgré une pétition lancée avant l’été pour le maintien du collectif) mais cela est tout sauf une surprise. « Ça a toujours été clair avec eux. Depuis dix ans, on leur explique le projet, en les invitant à réfléchir à la suite. Cette échéance était connue de leur part, se défend Benoît Careil, adjoint à la culture qui, en septembre, doit

Photos : Bikini à nouveau rencontrer des membres du squat pour trouver des solutions de repli. À court terme, les artistes travaillant au 17 bis pourront répéter au sein d’autres structures rennaises, via le dispositif de “plateaux solidaires”. Puis, en prévision de l’échéance dans deux ans, nous allons discuter du possible site qui pourra accueillir le collectif de façon durable. » Une relocalisation sur laquelle Greg, Camille et Fabien, respectivement couturier, photographe et mécano, se veulent exigeants. « Il faut que cela soit intrarocade afin de garder un contact avec la ville. Nous avons également besoin d’un espace suffisamment grand qui réponde à nos besoins : cela doit être à la fois un lieu d’habitation et de création avec un accès de jour comme de nuit. Les différents espaces s’articulent, on ne peut les dissocier », arguent les trois membres qui se désolent que L’Élabo ne soit pas reconnu comme un acteur à part entière dans la vie culturelle rennaise. Un avis que partage Gros Ben : « Prenons le 17 bis : on va remplacer un lieu déjà usité par un nouveau lieu. Cela montre bien un désaveu de notre travail. On répond pourtant à des besoins que des usagers ne trouvent pas ailleurs : on

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«Dans une démarche d’éducation populaire»

accueille des artistes qui se cherchent et qui ne sont pas encore prêts pour des lieux plus institutionnels. » Si Benoît Careil reconnaît l’importance d’un tel lieu (« C’est un espace de liberté pour des artistes qui ont besoin de se mettre en marge des circuits conventionnels pour créer. Des endroits comme celui-là sont nécessaires »), l’élu rappelle néanmoins les difficultés chroniques pour échanger avec le collectif. « L’Élabo est une entité mouvante. On ne leur demande pas la même rigueur que les autres acteurs culturels, mais on peut tout de même définir un cadre dans lequel ils peuvent intervenir. Jusqu’à présent la ville a fait preuve de patience et de tolérance. Mais en prévision du futur lieu qui sera mis à leur disposition, il faudra établir une convention, comme on le fait avec n’importe quelle autre structure. » Une « concession » qu’est prêt à accepter le collectif malgré son ADN punk et libertaire. « Signer un papier, c’est déjà un gros truc pour nous… On veut bien se formater un peu. On sait que la case “convention” est obligatoire. Le problème, c’est qu’on ne rentre pas dans les cases : on déborde ! Nous avons un mode de vie basé sur l’autogestion et l’indépendance. Cela ne correspond pas aux normes administratives. Un carré aura toujours du mal à rentrer un rond. »

« Un lieu d’hybridité »

Un laborieux mariage de la carpe et du lapin que l’on retrouve également à Brest où la municipalité tente tant bien que mal de négocier avec le collectif de l’Avenir. Réunissant habitants du quartier, artistes et militants politiques, ce groupe squatte un terrain à deux pas de la place Guérin depuis 2015. Un dossier épineux pour la mairie, même si Yohann Nédelec, l’élu de quartier, se montre confiant pour la suite des événements. « En août 2020, j’ai pris contact avec eux leur expliquant que je voulais renouer le lien. Une première rencontre a eu lieu en décembre. Les choses mettent du temps à se mettre en place, du fait de leur fonctionnement très horizontal, mais c’est un premier pas positif, se satisfait-il, avouant cependant faire face à de la défiance. Certains des membres ont une relation compliquée avec les institutions. Et notamment avec les politiques. » Si le collectif autogéré n’a pas souhaité répondre officiellement à nos questions, deux de ses habitués rencontrés sur place justifient leur position vis-à-vis de la mairie, évoquant les différents rebondissements depuis la démolition, en 2010, de l’ancien équipement culturel et sportif qui occupait les lieux. « La construction d’une nouvelle salle avait été votée, avant d’être abandonnée quelques années plus tard, soit disant faute de budget. Puis, il y a eu un projet immobilier privé (qui a mis le feu aux poudres et déclenché l’occupation du terrain en 2015, ndlr), puis celui d’une crèche. Tout ça fait que nous sommes méfiants », explique Patrice qui parle aujourd’hui d’un « rapport de force » avec la municipalité. « Ce qu’il faudrait, c’est refaire une maison de quartier, ouverte à tous. La plupart des gens qui viennent ici sont déjà dans une démarche d’éducation populaire. Des concerts sont organisés, mais aussi différentes sortes d’ateliers : forge, bois, four à pain… », illustre Pascal. Si un nouvel hangar a été érigé par les membres de l’Avenir, la mairie concède que l’installation ne peut pas rester en l’état. « Il faut d’abord sécuriser la chose, afin de pouvoir accueillir correctement le public. Il s’agit d’un terrain municipal, il faut donc être aux normes, pose Yohann Nédelec. Restera ensuite à imaginer ensemble et dans une relation de confiance un projet qui viendra

s’intégrer au plan d’aménagement actuellement en cours place Guérin. » Parmi les pistes privilégiées par l’élu, un projet de “communs” : « un espace cogéré, construit de façon collaborative, ouvert sur la ville, un lieu de passage urbain… Un modèle qu’on retrouve dans d’autres villes européennes mais qui n’existe pas encore sur Brest. » Transformer une occupation illégale en un partenariat avec une municipalité, une perspective que n’exclut pas le collectif Oups (pour “Occupation d’Utilité Publique Surprise”) à SaintBrieuc. Le 25 janvier 2020, ce groupe réunissant une trentaine d’artistes de rue, musiciens et plasticiens a réussi un joli coup en investissant 800 m2 de locaux vides au premier et second étages d’un immeuble du centre-ville. « Un lieu inoccupé depuis trente ans, précise Gaspard Verdure, à l’initiative de cette occupation sauvage. Il était évident que le propriétaire allait refuser qu’on s’y installe, on s’est donc rendu à l’évidence qu’il fallait le squatter. Avec cette envie d’en faire un endroit qui n’existait pas à Saint-Brieuc : un lieu d’hybridité où des artistes pourraient venir librement pour créer et expérimenter. » Cela sera le cas pendant plusieurs semaines, jusqu’à leur départ le 11 mai 2020, à la suite d’une décision de justice. Un happening « d’abord à vocation artistique » mais également politique. « C’était une façon de mettre en lumière l’absurdité de la vacance commerciale qui touche Saint-Brieuc et de nombreux centres-villes. Pendant notre squat, on a d’ailleurs eu le droit au défilé des candidats alors en lice pour les municipales. Si l’adjoint à la culture nous a indiqué qu’il ne pouvait soutenir l’illégalité de notre démarche, il a reconnu que cela soulevait de bonnes questions. »