Raconter le reel - Le journalisme littéraire en Pologne et en Belgique

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réel Raconter le réel – Le journalisme littéraire en Pologne et en Belgique

Brochure éditée par l’Institut Polonais – Service Culturel de l’Ambassade de Pologne à Bruxelles dans le cadre de la table ronde intitulée Raconter le réel organisée à Mons le samedi 5 décembre 2015.

– le journalisme littéraire en pologne et en belgique



– le journalisme littéraire en pologne et en belgique Publication réalisée par l’Institut Polonais de Bruxelles à l’occasion du débat/workshop Raconter le réel (Mons, 5 décembre 2015) organisé en collaboration avec le Club de la Presse du Hainaut-Mons et en partenariat avec le Mundaneum, Arts2, l’École supérieure des Arts de Mons, et la Maison Losseau.

Bruxelles, 2015



Table des matières

introduction

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Mariusz Szczygieł, La mer dans une goutte d’eau

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Skan Triki, Quelques mots aux friands du récit

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Wojciech Tochman, Aujourd’hui, nous allons dessiner la mort (extrait)

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Alain Lallemand, Cent heures en Crimée

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bibliographie sélective

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Les opinions exprimées dans les textes appartiennent strictement aux auteurs et aux personnes qu’ils citent.



introduction

Le journaliste a pour vocation de décrire le monde qui nous entoure. Il le fait à travers la hiérarchisation des événements qu’il appréhende mais également à travers la mise en scène de sa langue. Certains cherchent même à passer outre la forme classique du journalisme et poussent le style jusqu’à la littérature : on parle alors de « journalisme narratif ». Les États-Unis ont depuis longtemps installé la non fiction sur les étalages des librairies. Mais qu’en est-il en Pologne et en Belgique ? La tradition du « reportage littéraire » est très importante en Pologne, elle plonge ses racines dans les récits de voyage de Henryk Sienkiewicz, lauréat du prix Nobel de Littérature en 1905, et continue à travers les textes de Ryszard Kapuściński, de Hanna Krall ou de Małgorzata Szejnert, publiés dans les colonnes de périodiques comme Polityka, Kultura, ou, plus tard, Gazeta Wyborcza, puis sous la forme de livres qui connurent un large écho en Pologne. La création de l’Institut du Reportage en 2010 à Varsovie souligne la vivacité de cette forme littéraire en Pologne. Deux de ses créateurs, Mariusz Szczygieł et Wojciech Tochman, ont accepté de participer à cette publication : le premier revient sur la spécificité du reportage littéraire en Pologne, tandis que le second illustre d’un extrait choisi cette forme particulière de récit. En Belgique, cette forme est moins connue, peut-être parce qu’elle s’exprime par des canaux plus sélectifs, les blogs et la bande dessinée notamment, ou les très récents mooks (contraction des mots magazine et books). Skan Triki, un jeune journaliste très impliqué dans la propagation du reportage écrit, livre un court texte sur son admiration pour ses grands prédécesseurs. Quant à Alain Lallemand, théoricien du journalisme narratif, il en illustre l’efficacité par un texte très vivant. Ces articles, qui, nous l’espérons, éveilleront chez le lecteur un enthousiasme pareil au nôtre, offrent un trop bref panorama du journalisme narratif. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre à la disposition des lecteurs une bibliographie sélective qui lui permettra d’élargir encore ses horizons. Bonne lecture !

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La mer dans une goutte d’eau Mariusz Szczygieł

1. Je vous prie de lire ce texte à propos d’une femme et de son fils : « La veille de Noël, une inconnue entra dans l’appartement et lui dit qu’elle était sa mère. Il avait cinq ans, il ne la crut probablement pas. Ils passèrent onze hivers ensemble avant qu’elle ne meure. Puis, adulte, il s’efforça de reconstituer sa vie – ce qu’il fait toujours – et arriva à la certitude que les termes qui lui seyaient le plus étaient : la maîtrise de soi. Elle était maîtresse d’elle-même quand la sélection commença. Un officier demanda s’il y avait des docteures dans le convoi. Elle leva la main. Elle était maîtresse d’elle-même quand on l’envoya travailler dans le bloc dix du camp d’Auschwitz, où les médecins ss injectaient des liquides toxiques dans l’utérus des jeunes femmes et tuaient les patientes usées par les expériences avec 10 grammes de phénol. Elle était maîtresse d’elle-même et racontait objectivement la vie au camp. À la maison, assise à son bureau, elle rédigeait son rapport. Même dans la phrase « J’avais l’impression qu’on m’avait placée dans un endroit qui était une combinaison de l’enfer et d’une maison de fous », on sentait sa maîtrise. Anna Heilman, une détenue de seize ans qui était venue la voir une nuit en secret pour un médicament le nota : « Elle dégage une force inexplicable qui m’hypnotise littéralement. Sous son regard, au son de sa voix, je sens que je perds le contrôle sur moi-même. » Elle était maîtresse d’elle-même lorsqu’en été 1931 elle alla de Kielce, en Pologne, à Prague, pour étudier la médecine. Son père, peintre en bâtiment, la dota de cette phrase : « Sois un être humain, ma fille. » Elle était maîtresse d’elle-même et même heureuse quand, en 1937, elle épousa un homme qu’elle voyait, le jour de son mariage, pour la première et la dernière fois. Le Comité d’Aide de l’Espagne

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Démocratique à Prague envoya un hôpital ambulant à la guerre. Pour devenir membre de l’équipe de médecins, elle devait avoir la nationalité tchécoslovaque. Des connaissances lui trouvèrent un candidat et elle épousa Monsieur Klein. Elle était maîtresse d’elle-même quand elle écrivait à l’avance des lettres fictives à ses parents. Elle en avait laissé tout un paquet, et ses amis de Prague devaient les envoyer à Kielce. Elle était maîtresse d’elle-même pendant l’évacuation de l’hôpital de Benicassim en Espagne. Comme elle était la plus jeune de tout le personnel, le médecin chef lui donna l’ordre de partir avec le premier convoi, mais elle refusa. Elle était maîtresse d’elle-même quand on l’arrêta en févier 1951 à Prague pour espionnage au service des puissances impérialistes. Elle fut libérée au bout de quatre ans (c’est alors que, en tant que femme inconnue à son fils, elle entra dans l’appartement) et réhabilitée au bout de six. Elle était maîtresse d’elle-même en apprenant que l’État ne voulait pas d’elle en tant que médecin. On lui attribua le poste de paqueteuse dans une usine de médicaments. Sa maîtrise de soi lui servit un an plus tard, à Varsovie : elle avait 44 ans et elle recommençait tout à zéro. À l’Institut de la Tuberculose. Tous les ans, les sœurs franciscaines de Laski lui adressaient leurs vœux de fin d’année, exprimant leur gratitude pour les soins qu’elle prodiguait à l’une des leurs. Elles lui assuraient qu’elles priaient pour elle, docteur athée et communiste. Un jour le fils vit sa mère perdre sa maîtrise de soi. Quand j’ai fini l’école primaire, raconte Józef Lorski, ma mère nous a emmenés en vacances en Occident. On ne pouvait recevoir de passeport que sur invitation d’un membre de la famille la plus proche, qui devait s’engager à couvrir les frais de séjour. Notre oncle de Paris nous a invités. Le bateau sur lequel nous avons voyagé sur la mer Méditerranée s’est arrêté dans le Pirée. Ceux qui le souhaitaient sont allés visiter Athènes. La seule idée de nous trouver dans un tel endroit nous faisait tourner la tête. À l’époque, nous étions tous les deux convaincus que nous ne reviendrions plus jamais à Athènes, le berceau de notre civilisation. Que c’était une occasion unique et que

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personne ne nous laisserait plus sortir de Pologne. Sur l’Acropole, certains touristes se mirent à réclamer à voix haute qu’on en finisse avec ces pierres et qu’on aille enfin faire les magasins. Et c’est là que ma mère vit rouge. Tout d’un coup, elle se mit à crier sur ces inconnues. Elle les accabla d’injures. Je suis resté pétrifié de peur, je me souviendrai jusqu’à la fin de ma vie du cri de ma mère et de ce qu’il exprimait. » Ce texte s’intitule « Un voyage en Grèce ». C’est l’un des reportages les plus courts de ma vie. Je l’ai écrit pour le plus grand quotidien de Pologne, Gazeta Wyborcza.(Un reportage, selon ma définition et celle de mes confrères reporters, est une histoire qui s’est réellement passée et qui doit faire réfléchir). Monsieur Józef Lorski, le fils de Dorota Lorska (1913–1965) que je viens de décrire, m’a beaucoup parlé de sa mère. 50 ans se sont écoulés depuis sa mort, c’est pourquoi il tenait à ce que le journal publie un texte en son hommage. Il l’écrivit d’abord lui-même. La rédactrice lui reprocha d’avoir écrit un texte trop long (9 000 signes) et lui dit qu’ils publieraient son hommage s’il le raccourcissait à 5 000. Il ne savait pas le faire. Tout, dans la vie de ma mère, me semble important, dit-il. Je ne sais absolument pas ce que l’on pourrait supprimer. Comment raccourcir ce texte ? me demanda-t-il, car nous nous connaissions depuis des années. Je lui demandai de me parler de sa mère. Après la discussion, je lui proposai d’écrire moi-même ce texte qui aurait encore moins de signes, seulement 3 600. Il ne me croyait pas : Mais c’est une vie si riche ! On pourrait en écrire 36 000 signes ! – Oui, Józef, mais moi, j’ai de la place pour 3 600 signes et il me semble que ce sera suffisant pour dire le plus important sur votre mère. Vous vous doutez que le plus important, ce n’est ni Auschwitz, ni sa participation à la guerre civile en Espagne, ni le mariage fictif avec un Tchèque. Je n’entends bien sûr pas expliquer directement ce qui est important dans ce texte, je laisse cela au lecteur. Je pense toutefois que si j’ai écrit ce court récit comme cela et pas autrement, c’est parce que je suis un enfant de « l’école polonaise du reportage ». Je sais ainsi que : en Pologne, le reportage est plus qu’un simple article de presse.

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C’est l’association « des faits et du beau ». La vérité est le plus souvent racontée suivant des principes littéraires ; le reporter peut employer tous les procédés que l’écrivain utilise dans ses romans ou dans ses nouvelles, mis à part un seul : il ne peut rien inventer ; dans le reportage, il devrait en principe n’y avoir aucun commentaire : tout peut être montré par l’image ; le reporter ne doit se plier à aucun schéma journalistique, c’est pourquoi je peux par exemple répéter dans chaque paragraphe « Elle était maîtresse d’elle-même… », alors que dans un texte de presse, ce serait perçu comme un maniérisme inacceptable ; le reportage devrait avoir une valeur supplémentaire, autrement dit raconter à la fois ce qu’il raconte (les faits), et, en même temps, autre chose. En un mot, avoir ce que la reporter la plus renommée de Pologne Hanna Krall appelle « une supériorité sur les faits ». À la publication de mon recueil de reportages Gottland à l’étranger, on a écrit en France que c’était des essais, aux États-Unis que c’était des nouvelles, en Allemagne des récits, en Russie des esquisses historiques. Et en Pologne, que c’était des reportages. Je dois toujours expliquer que ces textes ont également été publiés dans un journal quotidien, ce qui suscite l’étonnement. Récemment, un hebdomadaire tchèque a fait l’éloge du reportage polonais : « Ce qui est suggéré chez nos voisins du nord, est explicité chez nous ; là où les Polonais se rapprochent de la littérature, les Tchèques en restent à la relation des faits ; et ce qui reste un mystère en Pologne doit être achevé d’une pointe en Tchéquie. » 2. À la fin du xixe siècle, de plus en plus de reportages sont publiés dans la presse. En Pologne, le premier texte moderne de ce type a été écrit par un auteur de vingt-sept ans. Il se rendit, avec un gigantesque groupe de catholiques, dans ce qui à leurs yeux était le plus saint des lieux. Le pèlerinage à Częstochowa (1895) de Władysław Stanisław Reymont est aussi considéré comme la première œuvre de Reymont à avoir révélé le trait principal du talent du futur Prix Nobel. Comme l’ont affirmé les critiques, c’est « la richesse du monde écrite à l’aide d’un appareil d’observation prodigieusement sensible ».

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Revenons au pèlerinage. « Pourquoi je marche ? Je ne sais pas », avoue l’auteur. Il rend avec brio les dialogues qu’il entame avec les hôtes hébergeant les pèlerins à la campagne : « Couchées sur la paille, quelques dizaines de sœurs, si serrées que se retourner sur l’autre côté est chose infaisable. Elles dorment déjà toutes. Extrêmement bavard, ce peuple des environs de Varsovie, il m’inonde de questions à n’en plus finir : – Vous êtes avec vot’ famille, Monsieur ? – Non, je suis seul. – Alors sans vot’ femme ? – Sans. – E’ vous a laissé partir tout seul ? – Je n’ai pas de femme. – Mais ?! lança mon hôtesse avec incrédulité. – Vraiment. – Mais vous êtes de Varsovie ? – Oui. – Là-bas c’est tous les messieurs qui courent la gueuse, c’est à qui vivra le plus longtemps sans femme. Un instant de silence, puis ils me racontent à l’envi leurs tracas et leurs affaires […]. » Il observait les gens pour trouver, sur leurs visages, quelque chose de commun : « Je vois des têtes dures, des fronts bas, des profils comme sauvages, et des regards incroyablement lumineux, à l’expression enfantine. Ils me regardent d’un œil méfiant. » On considère également Le pèlerinage comme un document psychologique littéraire. Reymont a tâché, dans le comportement de quatre mille pèlerins, d’observer ce qu’il pourrait généraliser de façon à ce que son reportage soit un reportage sur la Pologne en général et sur la mentalité polonaise. On a écrit que le voyage de Reymont était une description du « moi collectif ». « Toutes les poitrines chantent et tous les cœurs semblent mettre leur foi entière dans ces mots et toutes les âmes semblent chanceler et se fondre dans ce vaste chant séculaire et incroyablement fort.

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– C’est le ciment qui les soude et les unit, pensai-je, explorant leurs visages. Je voudrais trouver un visage connu. Mais il n’y a personne. Ce chant général, chanté en chœur, s’achève. Un grand frère entonne un autre chant, mais au moins une dizaine de chants aux mélodies différentes se font entendre en même temps. On voit maintenant que ce corps énorme n’a pas de centre unique : il en a quelques dizaines ; on voit des centaines de rassemblements, ils avancent avec leurs semblables, par paroisse, par village, bah ! même par canton, et, toujours, une personne s’avance à leur tête, ouvre un livre et entonne un nouveau chant. Il en naît une telle cacophonie, un galimatias si terrible qu’on ne peut les écouter ; la complainte de ces voix crée un tourbillon atrocement bruyant et impitoyable qui bat contre mon ouïe dans un fracas perçant et éraillé. » Sur le chemin, d’importants changements se produisent chez le jeune auteur : avant toute chose, il ne doute plus de la foi profonde des simples gens : « Je sais pourquoi ils marchent. Et mon “moi” sceptique, ironique car élevé dans l’étroite pièce obscure de la vie urbaine, recule avec crainte et admiration ». Dans cette phrase, le futur Prix Nobel construisit le fondement sur lequel s’appuient la plupart des reporters polonais, y compris moi. Un fondement qui reste puissant jusqu’à aujourd’hui : être reporter, c’est comprendre. Comprendre pourquoi l’être décrit se comporte ainsi et non autrement. Ne pas critiquer, ne pas achever, ne pas vanter, ne pas juger, ne pas embellir, mais comprendre. 3. Les écrivains polonais des années 1920 et 1930, engagés dans la construction d’une Pologne indépendante, savaient qu’influer sur l’esprit des Polonais grâce aux romans pouvait prendre beaucoup de temps. Il faut un ou deux ans pour écrire un roman, alors qu’on peut écrire un reportage en une semaine. Grâce au reportage, ils purent rapidement parler publiquement de sujets sociaux importants. Ils traitèrent ce genre comme une sorte de « machine à café ». Les hebdomadaires polonais étaient donc pleins de reportages écrits par

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les auteurs les plus brillants. De là ce soin pour la forme que nous cultivons jusqu’à aujourd’hui. « Le chagrin dénué de forme est impudique », disait Hanna Krall. Quand Ryszard Kapuściński, amateur de la forme, est rentré d’Ethiopie à la fin des années 1970, il a mis beaucoup de temps avant de se mettre à écrire Le Négus (Cesarz) : il n’arrivait pas à trouver de langue appropriée à l’histoire de Hailé Sélassié qui, dans un pays pauvre, avait construit une cour fastueuse. Il estimait qu’il ne pouvait raconter cela dans une langue contemporaine ni moderne. Il se tourna vers la littérature baroque, pleine d’excès, et y entendit le style de son nouveau récit. 4. Les reporters pouvaient-ils écrire honnêtement aux temps du communisme ? J’entends cette question dans de nombreux pays. Je sors alors le reportage de Barbara N. Łopieńska, La Patte dans la patte (Łapa w łapę) de 1976. Je dis qu’il parle du dressage de tigres au cirque, qu’il est né d’une conversation avec une dresseuse, Halina, et j’en lis quelques extraits à haute voix : • « Voici son conseil : les nourrir avant le numéro. Pas trop, pour qu’ils ne soient pas paresseux, mais pas trop peu non plus. Car un tigre doux et calme qui a faim fera de la lèche, tandis qu’un tigre nerveux peut attaquer. » • « Frapper, c’est une méthode dépassée. Maintenant, depuis peutêtre une dizaine d’années, tous les dresseurs sont passés à un dressage doux. Même si, selon elle, ce type de dressage est plus dangereux. Une familiarité excessive n’est jamais une bonne chose. » • « Ils ne se sont encore jamais rebellés tous en même temps. D’ailleurs, d’après Halina, ils ne seraient pas mieux en liberté. Savent-ils seulement qu’ils sont enfermés dans une cage ? » • N’importe quel homme de cirque peut devenir dresseur. Qu’il ait été jongleur ou, disons, homme élastique. » • Halina dit qu’il y a, dans chaque état, un dresseur qui devient célèbre, mais que c’est en urss que les dresseurs sont les mieux

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lotis. Il y a un cirque permanent dans chaque ville, là-bas. Ils ont de bonnes conditions et du point de vue du dressage, ils ont le plus haut niveau ». Les reporters durent apprendre à écrire de sorte à ruser avec le service de la censure étatique, à être loyal envers le lecteur et pouvoir se regarder dans les yeux (dans le miroir évidemment). Les reporters – comme le dit Małgorzata Szejnert, de la même génération que Krall et Kapuściński – ne pouvaient écrire sur les généralités, ils écrivaient donc sur les détails. Le reporter soignait ainsi le côté littéraire de ses textes. On disait que le lecteur y cherchait un deuxième fond. Parfois il en trouvait un septième… « Nous disions du reportage que c’était un art qui permettait de voir une goutte d’eau dans la mer », écrivit Adam Michnik, rédacteur en chef de Gazeta Wyborcza. Le lecteur savait que dans les images décrivant des mœurs apparemment banales se cachait un diagnostic du système. C’est ainsi que la littérature s’infiltra dans les journaux. Je vais donc vous lire encore une fois à haute voix (je parle ici au public étranger) ces six extraits sur les tigres. Si vous souhaitez savoir comment les comprenait le Polonais de 1976, souvenez-vous que les tigres, ce sont les citoyens, et les dresseurs, le pouvoir. La police secrète ou le parti communiste au pouvoir, par exemple. Je lis, et le public étranger est amusé. Le reportage en Pologne, conclus-je, était justement un moyen de se débrouiller avec l’interdiction de parler directement du système. La quantité de ce que l’on réussissait à faire passer dépendait de la forme. Les reporters parlaient aux lecteurs de ce dont la littérature ne leur parlait pas. Ils étaient des maîtres dans ce qu’ils écrivaient et, en même temps, dans ce qu’ils n’écrivaient pas. Lire aujourd’hui des textes anciens et déchiffrer ce que le reporter « n’a pas écrit en écrivant » peut être un vrai régal. Prenons encore l’ouvrage de Hanna Krall sur l’urss, A l’est de l’Arbat (Na wschód od Arbatu), datant de l’époque où elle y était correspondante pour l’hebdomadaire Polityka, à la fin des années 1960. En Pologne, tout le monde savait tout sur l’urss, et, en même temps, on ne pouvait pas écrire ouvertement la vérité sur ce pays.

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Krall bâtit avec génie l’information selon laquelle un autobus desservant un village reculé de Sibérie ne passait presque jamais. Bien entendu, en 1969, il était impossible d’écrire que quelque part en urss des autobus ne passaient pas, car dans notre propagande, les pays communistes dépassaient les pays capitalistes en toutes choses. C’est pourquoi, quand on amena Nicolae Ceaușescu, lors de sa visite à Paris, dans une galerie commerciale près de l’Opéra, le dictateur roumain était convaincu qu’on y avait rassemblé tous les produits de tous les magasins parisiens spécialement pour sa venue, car il était impossible qu’il y eût autant de biens dans un seul magasin. Puisque chez nous, de l’autre côté du Rideau de Fer, on vivait mieux ! C’est pour cela que Hanna Krall écrivit dans son livre sur l’urss que l’autobus sibérien passait tous les jours. À quoi ressemble ce « tous les jours » sous la plume de l’astucieuse reporter polonaise ? « Tous les jours, à l’exception des jours où il pleut, où il y a des amas de neige, où il y a de la boue printanière ou automnale, et où il y a des nids de poule sur la route ; et après la pluie, la boue et les amas de neige. » Parenthèse ironique – c’est ainsi que l’on pourrait qualifier cette méthode, et c’est ce qui attirait le plus dans le style de Krall. Ce n’est pas de l’urss qu’il s’agissait pour les lecteurs, mais de la façon dont on la décrivait. De la façon dont on faisait passer la vérité en contrebande. 5. C’est peut-être parce que le reportage débuta en Pologne chez les plus grands écrivains de la fin du xixe siècle et du début du xxe siècle (Maria Dąbrowska, Zofia Nałkowska, Henryk Sienkiewicz, Bolesław Prus, Stefan Żeromski) que nous, reporters d’aujourd’hui, aimons tant les détails. Il n’y a pas de reportage sans détail. Le détail construit le texte, il est sa matière première. Le détail est à l’échelle de l’homme, il l’aide à retenir l’histoire. Le détail attire l’attention du lecteur. Les généralités sont les assassins du reportage. On préfère écrire que quelqu’un a frappé du poing sur la table, et pas qu’il était énervé. Un conseil aux étudiants : n’écrivez pas « Ma mère était toujours élégante », mais « Sans maquillage, ma mère ne descendait pas même les poubelles ». N’écrivez pas « Ma grand-mère

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était riche, mais modeste », mais « Ma grand-mère ne laissait jamais paraître qu’elle avait deux servantes ». N’écrivez pas « Ils se sont connus dans une usine de pianos où ils travaillaient tous les deux », mais « Ils se sont connus en polissant un clavier ». 6. Après 1989, lorsqu’on a pu écrire sur tout, il semblait que le reportage allait disparaître. Que ce que l’on appelle l’information pure le chasserait. Un reporter talentueux cessa complètement d’écrire car, comme il l’expliquait : « après la chute du communisme, l’histoire s’est tant accélérée que le reportage, surtout littéraire, semble ne pas suivre les événements ». Rien de plus faux. Le reportage polonais est sorti de la presse et s’est installé dans les livres. Les reporters Lidia Ostałowska, Wojciech Górecki, Jacek HugoBader, Wojciech Jagielski, Małgorzata Rejmer, Wojciech Tochman, Filip Springer et Witold Szabłowski sont publiés en Europe et au-delà de ses frontières. Aujourd’hui, en Pologne, nous pouvons appeler les choses par leur nom, et non plus jouer à de subtiles descriptions du monde. Dans le reportage, nous ne devons plus écrire entre les lignes. Il faut utiliser des couleurs plus vives, plus denses, des traits plus marqués, des sons plus forts. Car le flot d’informations sur la souffrance humaine est si grand que cette souffrance se dévalue. Nous voyons du sang à la télévision et ça nous est égal. Nous buvons notre thé, nous mangeons notre dîner. « Il faut donc tâcher d’écrire de façon à ce que le lecteur perde l’appétit. Écrire de telle sorte que le lecteur, ne serait-ce que pour un court instant, rentre dans la peau du héros. Qu’il frissonne et pense : ça pourrait aussi m’arriver », dit le reporter Wojciech Tochman, auteur de livres sur la Bosnie, le Rwanda et les Philippines. En 2008, avec Wojciech Tochman, nous avons créé ce qui serait notre manifeste : « Le reportage a changé. Pas seulement parce que le communisme est tombé. Un reporter aguerri est capable d’écrire un texte immédiatement après son retour d’un événement. Mais aujourd’hui, les bons reporters laissent la priorité à leurs collègues qui écrivent les dépêches. Car le temps des reportages de presse rapides est fini.

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Ryszard Kapuściński en a parlé. Nous ne pouvons pas concurrencer la radio, la télévision live, internet, ni même les dépêches des unes des journaux. Le développement des médias électroniques a changé le travail du reporter et a changé le reportage. Les actualités nous livrent toujours les thèmes, mais aujourd’hui, le plus important dans le reportage, c’est ce qu’il n’y a plus dans les actualités. Aujourd’hui, le reportage ne peut être qu’une simple relation des faits. Pourquoi écrire quelques jours après un événement sur une chose que nos lecteurs ont déjà lue ailleurs, qu’ils ont entendue à la radio, qu’ils ont vue à la télévision ? Le reportage devrait aller là où le micro et la caméra des dépêches n’arrive pas, sous la surface de l’événement. Il devrait s’enrichir de l’émotion personnelle et de la réflexion de l’auteur. Dans le reportage, le monde a une odeur, il a un goût, il est glacial ou brûlant, clair ou obscur. Il fait naître le calme, le dégoût ou la peur ». 7. Avec Tochman et Paweł Goźliński, le rédacteur de Gazeta Wyborcza, nous avons créé il y a cinq ans la Fondation de l’Institut du Reportage. Nous avons commencé avec une librairie-café dans le centre de Varsovie. Aujourd’hui, nous dirigeons aussi un centre culturel, une école d’écriture, une agence artistique pour reporters et notre propre maison d’édition. Nous promouvons le reportage et la littérature non-fiction. Notre devise est une courte phrase du Voyage avec Hérodote (Podróż z Herodotem) de Ryszard Kapuściński : « Tous, nous en savons peu sur tout ». Et c’est, selon nous, l’une des raisons pour lesquelles les gens voudront toujours lire des reportages. Mariusz Szczygieł (1966) est auteur de recueils de reportages traduits en 17 langues. En français ont été publiés Gottland et Chacun son paradis (Zrób sobie raj) dans une traduction de Margot Carlier. Gottland a reçu en 2009 le Prix du Livre Européen à Bruxelles et le Prix Amphi à Paris. Mariusz Szczygieł a récemment publié en Pologne une anthologie du reportage polonais du xxe siècle qui compte trois tomes et presque 3 000 pages : 100/xx. Antologia polskiego reportażu xx wieku. Traduction française : Cécile Bocianowski

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Quelques mots aux friands du récit Skan Triki

Chers friands du récit, avant d’entrer dans le vif du sujet, prévenons tout de suite. En causant au téléphone avec un organisateur de l’évènement, une idée hasardeuse m’a piqué. Elle paraissait bête comme chou. Erreur ! C’était un embarras au lieu d’une reposante promenade au royal domaine des mots. C’était un éloge au reportage, à l’exemple de Gaston Leroux quand il chantait dans les colonnes du Figaro en 1901 : « Nul comme lui n’a la joie de vivre, puisque nul comme lui n’a la joie de voir ! Ah ! vivre ! vivre ! Voir ! Savoir voir, et faire voir ! Le reporter regarde pour le Monde ; il est la lorgnette du Monde ! Quoi de meilleur que de parcourir la face du globe pour écrire le geste des hommes ? Comme je t’aime, ô mon métier. » Après cette brillante déclaration, faut-il gribouiller un autre discours approchant ? Mentionner ce grand aventurier semble peutêtre plus judicieux. Or l’apprenti qui vous parle a encore d’innombrables épreuves à traverser avant d’essayer tout lyrisme au métier. Il souhaite néanmoins vous adresser un petit billet, même s’il est jeune, qu’il apprend sur le tas, qu’il gaffe de temps en temps. Chaque jour, à un rythme effréné, l’information surgit des quatre coins du monde en annonçant l’horrible comme l’adorable. De nombreux médias se bousculent vers l’actualité chaude, cherchent le buzz, veulent du scoop, même s’il dure moins d’un jour – l’important est d’augmenter l’audience. Cette fureur existe depuis toujours. Jules Verne raconte tout au début du roman Michel Strogoff : « Vrais jockeys de ce steeple-chase, de cette chasse à l’information, ils enjambaient les haies, ils franchissaient les rivières, ils sautaient les banquettes avec l’ardeur incomparable de ces coureurs pur sang, qui veulent arriver “bons premiers” ou mourir ! » Voilà une amusante métaphore au journaliste avide du petit succès. Au xviie siècle, Théophraste Renaudot, un fondateur de la presse française, cherchait aussi à rendre compte au plus vite des nouvelles avec son hebdomadaire La Gazette.

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Vous pensez peut-être : « Pourquoi cet inconnu compare-t-il des époques ? » Car l’actualité chaude fait partie de la presse, tout comme hier. Chaque siècle l’a comprise selon ses moyens. Autrefois, c’était au rythme du pigeon voyageur ; aujourd’hui, au rythme d’internet. Contre cette tendance frénétique, le journalisme lent propose du récit pour lequel l’auteur a donné beaucoup de temps, d’observation. Au fond, cela n’a rien de neuf. Des héros comme Albert Londres et Joseph Kessel l’avaient pratiqué. Mais ils s’étaient aussi frottés à l’actualité chaude. Tantôt ils composaient dans l’urgence, tantôt ils mettaient des semaines à narrer leurs aventures. Dans son manifeste publié en hiver 2013, la revue xxi énonce notamment quatre piliers pour une nouvelle presse post-internet. On note par exemple : « La presse du xxie siècle doit explorer d’autres rythmes, et réapprendre à surprendre, à étonner les lecteurs. » Et quelques lignes plus loin : « Par le détail, l’évocation des odeurs et des couleurs, la restitution des émotions, les faits laissés dans l’ombre, le journalisme doit donner vie et chair à ce qui n’existe pas dans l’essoreuse médiatique. Tout ce qui n’entre pas dans le calcul de l’unité de bruit médiatique devient le terrain privilégié de la presse de demain. Cela tombe bien : cela laisse 99% de la surface de la planète. » « Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques. » Cet alexandrin tiré du poème « L’Invention » d’André Chénier évoque l’utilité des techniques anciennes appliquées aux nouveaux outils. Au xvie siècle, les poètes de la Pléiade, comme Ronsard ou Du Bellay, suivaient pareille méthode en assimilant les œuvres antiques grecques et latines. Peu importe si le journalisme lent, ou prompt, rappelle un métier d’autrefois. Il reste utile. À l’heure du web, il possède d’autres façons de raconter le monde. Son principe fondamental, comme au début du xxe siècle, n’a pas changé. On se rappelle sans arrêt cette maxime d’Albert Londres : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie. » Il fut un temps où la presse finançait au prix fort des reportages. Aujourd’hui, elle traverse une crise interrogeant son modèle écono-

Quelques mots…


mique et son existence. Elle se cherche, se demande s’il faut abandonner le journal papier, privilégier un espace web payant, etc. On avance dans la grande débrouille. C’était aussi le cas des reporters d’il y a un siècle, quand ils devaient se documenter sur un pays lointain, suivre un itinéraire, trouver un interprète efficace, obtenir un saufconduit, etc. Avec internet, ces côtés pratiques sont facilités, d’autres obstacles se dressent. Dans ces remous technologiques, ces questions angoissantes, ces incertitudes monétaires, une seule chose compte : apporter au public une narration gorgée de vie. Skan Triki est journaliste pour le mook 24h01 (www.24h01.be) et pour le site d’informations Ijsberg (https://ijsbergmagazine.com). Avide de Homère, de l’histoire du journalisme et des grands reporters comme Jules Vallès, Gaston Leroux et Joseph Kessel, il se considère comme un disciple apprenant à regarder et à comprendre la nature humaine, tout cela dans un but : raconter l’homme. Il conçoit le journalisme comme une loupe toute en nuances qui observe les moindres aspects de l’homme et de la société.

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Aujourd’hui, nous allons dessiner la mort. Retour au Rwanda (extrait) Wojciech tochman

Il y a cent ans, avant la colonisation du Rwanda, il n’existait pas de conflits entre les Hutus, les Tutsis et les Twas, en tout cas, pas de ceux qui marquent les mémoires. Lorsqu’il fallait livrer un combat au nom du roi, tous luttaient ensemble. De même qu’ils vivaient ensemble. Dans la promiscuité, à l’étroit. Les divisions n’avaient guère d’importance, elles ne correspondaient en rien à la représentation que l’on donne aujourd’hui du Rwanda d’antan. Avant la colonisation, le Rwanda avait en Afrique la réputation d’un pays hostile. Les Rwandais avaient la réputation d’être un peuple valeureux et méchant. Ils n’avaient jamais permis à aucun envahisseur de pénétrer sur leur territoire, ils avaient empêché la déferlante arabe et le prélèvement d’esclaves. En revanche, ils étaient eux-mêmes des envahisseurs. Ils tuaient leurs voisins en masse, de façon cruelle. Les hommes surtout, car les femmes de l’ennemi se faisaient incorporer dans le Banyarwanda. Cent ans avant le génocide, le premier homme blanc posait son pied sur le sol rwandais. C’est pourtant le nom du deuxième, arrivé deux ans plus tard, qui entra dans l’histoire. Il était allemand et s’appelait Gustav Adolf von Götzen. À l’époque, par une décision du monde civilisé, le Rwanda était déjà une colonie allemande. L’Allemand rencontra le fils du roi. Il écrivit qu’il avait eu l’étonnement de voir un homme grand aux traits délicats. Non pas un noiraud, un nègre, mais un beau prince. Quelqu’un de grand et de beau ne pouvait pas être noir. C’est cette remarque d’un homme blanc – comme certains le prétendent aujourd’hui au Rwanda – qui fut le début de l’inimaginable. C’était le noyau du racisme. En résumé, les choses se passèrent ensuite ainsi : M. von Götzen a été immédiatement suivi au Rwanda par l’Église catholique (les Pères blancs). Les missionnaires ont introduit l’écriture au Rwanda. Ils ont appris aux gens comment cultiver les champs, comment faire pousser

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le blé, des pommes de terre, du café ou du thé. Ils ont construit non seulement des églises, mais aussi des hôpitaux, des dispensaires, des écoles. Ils ont formé des charpentiers, des menuisiers, des briquetiers, des maçons et des tailleurs de pierre. Et aussi des couturières. Puis arriva la Première Guerre mondiale et le Rwanda est passé sous domination belge. Après un bref examen de la situation, les Belges ont vite repéré ce qui, quelques décennies plus tard, serait à l’origine de l’apocalypse au Rwanda. Ils ont constaté que leur petite colonie était peuplée par trois ethnies : les Pygmées Twas, peu nombreux et ne présentant aucun problème, les Hutus, de vrais nègres, noirs et robustes, et des seigneurs tutsis, intelligents, délicats et beaux, pas vraiment blancs, mais pas tout à fait noirs non plus. Il faut se mettre à la place des jeunes princes rwandais (nous sommes dans les années 1920). Ils s’étaient entendu dire que, contrairement à leurs voisins, ils n’étaient pas des nègres, et ils avaient mordu à l’hameçon : Nous sommes d’une race supérieure à ceux que nous gouvernons. Car le mot « race » venait de faire son apparition. Le colonisateur belge achève son œuvre au début des années 1930 en introduisant des cartes d’identité au Rwanda. Ce fait est considéré comme le symbole d’une division définitive. Jusqu’au génocide de 1994, sur la carte d’identité de chaque Rwandais figurait la mention de sa race : Tutsi, Hutu ou Twa. En 1994, le 7 avril à l’aube, au lendemain de l’attentat contre l’avion présidentiel, tous les carrefours de Kigali avaient été bloqués. Des barrages avaient été dressés. Toute personne qui voulait passer était soumise à un contrôle. Lequel était effectué par les hommes des Interahamwe. Pour passer il fallait avoir la bonne pièce d’identité. Celui qui ne l’avait pas tombait sous les coups des machettes. En deux jours, les rues de la ville se couvrirent de centaines de corps. Il faisait chaud, les cadavres se décomposaient, les chiens s’en nourrissaient. Aujourd’hui, quinze ans plus tard, on peut poser sa tête sur l’épaule d’un inconnu dans un bus et s’assoupir sans crainte. Personne ne proteste, personne ne s’étonne. La proximité à la rwandaise : comment savoir si un meurtrier n’appuie pas sa tête sur l’épaule d’une victime qui n’a dû

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qu’au hasard de ne pas être égorgée ? J’y pense chaque fois que je vois la confiance avec laquelle les gens d’ici se permettent de le faire. Le contraire aussi peut très bien se produire : Léonard, par exemple, peut sommeiller appuyé contre le bras de l’assassin de son père. La tête va d’elle-même sur le côté lorsque le bus, rempli à craquer, fonce sur les routes sinueuses (les routes principales du Rwanda sont bitumées). Une multitude de minibus et d’autobus. Les uns derrière les autres, ils roulent dans toutes les directions. Combien de gens ont-ils une affaire à régler loin de chez eux, combien achètent un billet (ils sont très bon marché) pour monter dans un bus : un million de personnes par jour ? Un million et demi, peut-être deux millions ? À chaque instant, un car arrive avec plusieurs dizaines de personnes à la gare routière de Kigali. À chaque instant, un autre s’en va. La gare ressemble à une ruche. Cette comparaison se justifie non seulement à cause du nombre, ou des ruelles étroites qui s’enfoncent entre les maisons à étage dont le rez-de-chaussée est occupé par des échoppes de misère. Difficile même de parler de rues, il s’agit en fait d’entrées étroites, de portails débouchant sur des arrière-cours étriquées. Les courettes sont remplies de passagers et de revendeurs, leur marchandise attachée à la ceinture. Au milieu de cette cohue, des cars au moteur fumant manœuvrent entre les façades des maisons et les autres véhicules. Les cours remplissent la fonction de quais de gare, même si elles n’y ressemblent en rien. J’aime emprunter l’escalier étroit de la maison qui fait l’angle, commander une Mutzig et contempler du haut de la petite terrasse ce qui se passe à la gare de la capitale : tout le monde se connaît. Amakuru, comment vas-tu, et ta fille, ta tante, et comment se porte ton oncle paternel ? Cela s’adresse à une seule personne. Qu’est-ce que t’as acheté, d’où viens-tu, t’es belle. À une autre personne. Et puis à une autre encore : Salut, ma chère, tout va bien chez toi ? Et chez toi ? Tout le monde se salue, se serre la main, agite le bras en signe d’adieu. La gare de Kigali disparaîtra sans doute bientôt, telle qu’elle est actuellement en tout cas. Le président du pays poursuit un objectif : faire de la capitale une ville moderne. Des quartiers entiers disparaissent sous les bulldozers, les premières tours apparaissent. Ici même, au milieu de la gare, on en construit une. Pour le moment, la

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gare de Kigali fonctionne à la perfection. Dans un pays où personne ne vient à l’heure à un rendez-vous, les autocars partent sans une minute de retard. Même s’il faut faire du nettoyage. Et c’est souvent le cas : tous les estomacs ne supportent pas les routes montagneuses en lacet. Pour être exact, une personne vomit lors d’un trajet sur deux. Je le sais, je passe ici de longues heures dans les cars. Lorsque je sens l’odeur aigre de la digestion humaine, je pense toujours à la proximité de la victime et de l’assassin. Le car roule à toute vitesse, cahote dans les tournants et les virages ; tout le monde est pressé, personne ne pense à crier au chauffeur de s’arrêter lorsque le contenu de son estomac lui remonte à la gorge. Tant pis. Tout le monde se touche, tout le monde est serré, corps contre corps, dans une sorte d’étreinte incestueuse, lié pour l’éternité, la même semence, le même sang, le même vomi. La proximité des victimes et des bourreaux, c’est la proximité de la mort. « Tu viendras avec nous à Kicukiro ? » Le chef de l’association des étudiants rescapés organise le voyage pour la cérémonie annuelle. Chaque mois d’avril, le Rwanda se met en deuil. Les gens disent ressentir alors de l’angoisse, de la peur et de la tension. Ou bien comme une touffeur : on manque d’air, on se sent plus à l’étroit que d’habitude, l’espace vital se réduit, la présence de la mort devient pressante. C’est le temps (officiellement une semaine) où l’on peut évoquer le passé haut et fort. Le mot « Tutsi » peut être prononcé sans crainte. Mais l’autre mot – « Hutu » – pas vraiment. Des panneaux d’affichage violets (de loin, on dirait une publicité pour le chocolat Milka) et des banderoles se voient à tous les coins de rue durant ces quelques jours. Ils rappellent le triste anniversaire du génocide perpétré sur les Tutsis. Sans préciser par qui. À raison. Ce serait une simplification grossière et injuste, car bien que l’on puisse affirmer qu’en 1994, tous les Tutsis étaient voués à l’extermination, on ne peut pas dire pour autant que tous les Hutus étaient des assassins. Tout ce que l’on peut dire, c’est que le génocide fut perpétré au nom de tous les Hutus. Chaque année, le 7 avril, le jour anniversaire des premiers meurtres, le pays se fige : les bureaux et les magasins restent fermés, les cabarets aussi. Celui qui n’a pas pensé à acheter de l’eau minérale la veille

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transpire sous le soleil en priant Dieu que le discours présidentiel ne soit pas trop long. La cérémonie officielle à laquelle participent les plus hautes personnalités de l’État se déroule chaque année dans un endroit différent. Pour le quinzième anniversaire du génocide, elle a lieu à Kicukiro, dans les faubourgs de Kigali, où plusieurs milliers de personnes ont été exécutées. L’année suivante, au grand stade Amahoro. Là aussi, on tuait. En 1994, on tuait partout – il n’existe pas d’école au Rwanda, pas de dispensaire, de bureau, de route, de ruelle ni de coin de rue où le sang n’ait pas giclé d’une gorge tranchée. – Je viendrai, dis-je avec reconnaissance au président des étudiants rescapés. Quelques jours auparavant, des missionnaires blancs m’avaient déconseillé de participer à la cérémonie de commémoration : Ils n’aiment pas trop nous voir là, ils nous tiennent pour responsables, mieux vaut ne pas y aller pour ne pas provoquer. – Super ! se réjouit Léonard, et il me demande de venir au campus avant l’aube. Le car universitaire partira de Butare à six heures du matin. Nous arriverons sur place trois heures plus tard. Nous sommes le 7 avril, le car est rempli d’orphelins. Point de soleil, mais de gros nuages gorgés de pluie, des arbres verts, luxuriants, sur une terre rouge, des trous dans l’asphalte, des flaques d’eau, des routes sinueuses, des tournants, des virages, personne n’a pris son petit-déjeuner, personne ne vomit, la traversée de la capitale, puis l’arrivée sur place, une file d’attente serrée pour le contrôle de sécurité, vérification des sacs et des poches, pour pouvoir enfin entrer sur un terrain clôturé. C’est ici que commence la cérémonie, à côté des tombes de cinq mille personnes assassinées. Elle durera de longues heures. Léo est malin, il attrape vite deux chaises en plastique. Nous nous asseyons. Chaise contre chaise, épaule contre épaule, corps contre corps. Avant l’élocution du président, une survivante s’approche du micro et dépose son témoignage. Une voix de femme, calme, nous ne voyons pas la personne qui parle. – Les soldats ont encerclé la maison. Les cancrelats, sortez ! Ils ont tiré. Je suis tombée par terre. Sur dix-neuf personnes, ma sœur et moi étions les seules à respirer encore. Je m’endormais puis je me réveillais.

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Nous sommes restées couchées ainsi une demi-journée. Les voisins sont arrivés. Nous écoutons en silence. Certains, le plus souvent des hommes, se cachent le visage avec les mains. Des haut-parleurs disposés entre les arbres portent la voix de la survivante. – Ils se tenaient au-dessus de nous et se demandaient s’ils devaient nous achever. Ils se disputaient pour décider comment le faire. Ou plutôt avec quoi. Avec une binette, un couteau ? Les femmes sortent leurs mouchoirs, s’essuient les yeux. – Ma sœur était blessée, pas moi. Ils sont partis chercher une binette. Les nuages se dissipent, le soleil brille, les haut-parleurs continuent : – Nous avons rampé jusqu’aux latrines. Que se passe-t-il ? Les hommes (ils sont nombreux) se replient sur eux-mêmes et mettent leur veste sur leur tête. Léonard murmure comme un parfait souffleur de théâtre : Au Rwanda, les hommes n’ont pas le droit de verser des larmes. Les haut-parleurs : – Un voisin est arrivé et a ouvert la porte des latrines. Soudain notre recueillement est déchiré par un cri inhumain, tel le dernier râle d’un animal égorgé. C’est une femme. Fort de son expérience des années précédentes, le pouvoir a mobilisé des équipes d’infirmiers prêts à porter leur aide en cas d’incident. Les infirmiers se précipitent vers la femme, attrapent ses jambes, ses bras, puis la soulèvent et essaient de la transporter vers la sortie, mais la femme crie de plus en plus fort, elle hurle, se débat, agite ses membres, comme un animal blessé auquel on veut porter secours, mais qui ne comprend rien, qui est en état de choc, qui panique. La femme est à peine consciente, mais elle gémit encore, car tout son corps sent la force des hommes qui la soutiennent à présent. Les images du passé reviennent. Il ne s’agit pas d’un souvenir tragique. Ce n’est en rien un souvenir. Cela se passe au présent, cela dure toujours : les assassins viennent d’attraper une victime, lui saisissent la jambe gauche, puis la droite, son entrecuisse est dénudé, l’entrée est ouverte, tout se passe sous les yeux de la foule. Nous regardons tous, sans gêne. – Il nous a sorties des latrines pour nous conduire dans le champ voisin, poursuit la voix.

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Elle agit comme un déclencheur, comme un détonateur, car une autre femme se met à gémir. Les infirmiers accourent vers elle, son cri frappe tout le quartier : aboiements, jappements de chiens, frayeur, les hommes lui montrent une fois de plus leur force, ils la soulèvent comme une plume, abîmée dans son cri, dans ses convulsions, la femme crache, tousse, se tord comme une épileptique en crise, mais ils la tiennent fort et n’ont pas l’intention de la relâcher, décidés, habiles, rapides, ils la portent jusqu’à un poste de secours, sous une tente blanche. Le murmure, dans les haut-parleurs, se poursuit avec force : – Le voisin nous a enroulées dans des nattes de paille. A présent, c’est un homme qui se met à agiter les bras, il vacille et ne sait plus ce qui se passe. Ou plutôt il ne le sait que trop bien : quelqu’un l’attaque, il ouvre la porte des latrines ou du poulailler (au Rwanda, rares sont ceux qui possèdent une armoire), il s’y cache, il voit une machette. Il hurle comme un taureau blessé. La foule regarde la souffrance de l’homme, sa douleur. Moi, je regarde Léonard. Il ne se cache pas les yeux avec la main, ses yeux ne sont pas humides. Il déglutit. Sans s’arrêter, comme s’il mangeait sa salive. – Cela m’a sauvée, murmure la voix dans le haut-parleur. Mais pas ma sœur. Juste avant, elle a rendu son âme à Dieu. Je me suis retrouvée seule. Le président s’approche du microphone, il rend hommage aux victimes et passe au principal message de son allocution : – L’avenir ne peut pas se construire sur le deuil et la tristesse. Pas plus que sur la culpabilité. Léonard respecte et admire le président du Rwanda. Paul Kagame était un tout jeune enfant lorsqu’il dut fuir avec ses parents. À cette époque, les pays africains déclaraient, les uns après les autres, leur indépendance. Jusqu’ici complaisants envers les colonisateurs belges, les Tutsis ne cachaient pas leur objectif : Nous voulons la liberté pour le Rwanda ! Tout de suite ! Par conséquent, la Belgique, avec la complicité des missionnaires blancs, cessa de porter appui à ses favoris. Elle permit que la monarchie soit abolie (la mort du roi en 1959 n’a pas été élucidée jusqu’à ce jour) et que les Hutus prennent le pouvoir. Les premières colonnes de réfugiés

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se mirent à quitter le Rwanda (en cette même année, et c’est pourquoi on les appelle les « fifty-niners »). Car les pogroms visant les Tutsis ont débuté aussitôt. Avec quelques brèves interruptions, ils se poursuivront jusqu’à l’apocalypse de 1994. De nombreuses personnes furent tuées, emprisonnées, chassées. Dans le seul Ruhengeri, une région fertile au nord du pays, des milliers de Tutsis ont ainsi été supprimés. Le Rwanda déclara son indépendance en 1962. Les instituteurs entraient dans leur classe et commençaient leurs cours par : Les Tutsis, levez-vous ! Regardez-les bien, disaient-ils à ceux qui avaient le droit de rester assis, et souvenez-vous bien de quoi ils ont l’air. C’est le souvenir d’enfance qu’a sans doute gardé en mémoire toute personne ayant fréquenté l’école entre le début des années 1960 et 1994. En rentrant à la maison, chaque enfant tutsi devait probablement demander à ses parents : Qu’y a-t-il de mal à être un Tutsi ? Des vagues successives de Tutsis quittaient le pays. Des milliers de Tutsis. En une trentaine d’années, des dizaines et des centaines de milliers. Ils se réfugiaient juste derrière la frontière : au Zaïre (aujourd’hui la République démocratique du Congo), en Tanzanie, au Burundi et en Ouganda. En 1973, les Hutus se sont disputé le pouvoir entre eux. Un coup d’État s’est ensuivi qui porta au pouvoir Juvénal Habyarimana ; il déclara que désormais seul son parti, le seul légitime, était autorisé dans le pays. Le parti hutu. Un quart de siècle avait passé quand les enfants des réfugiés fiftyniners, des hommes tutsis dans la force de l’âge à présent, rejoignirent le maquis ougandais et luttèrent dans ses rangs contre le régime de Milton Obote. Un an après sa chute, ils fondèrent en Ouganda le Front patriotique rwandais (le fpr). Parmi ses dirigeants, on retrouve l’actuel président du Rwanda, Paul Kagame1. 1  En août 2010, le président Paul Kagame a été élu pour un deuxième mandat de sept ans (avec 93% des voix). Peu avant les élections, les Reporters sans frontières avaient adressé un appel à l’Union européenne pour qu’elle suspende son aide au Rwanda, à cause des arrestations répétées de journalistes, de la fermeture des journaux indépendants et du blocage des sites internet hostiles au pouvoir en place. Des observateurs internationaux avaient noté que, durant la période préélectorale, plusieurs politiciens et journalistes ayant critiqué le président avaient été tués par des inconnus. Les autorités rwandaises ont déclaré que rien ne permettait d’insinuer qu’elles étaient mêlées à ces meurtres.

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Leur objectif était clair : reconquérir le pays. L’offensive commença en octobre 1990. Quelques mois plus tard, le président Habyarimana, en poste à Kigali, accepta la formation des partis d’opposition, brisant ainsi le monopole politique des Hutus. En apparence seulement, car il contrôlait toujours tous les ministères stratégiques. Avec l’appui des médias et du clergé, le pouvoir attisait la peur envers l’armée tutsie en marche vers la capitale. Mais aussi envers tous ceux qui, au pays, les attendaient les bras ouverts. Les arrestations des sympathisants du fpr commencèrent. C’est à cette époque qu’on arrêta le père de Léonard. Il fut battu. – Et ils ne lui donnaient que du riz cru, raconte Léonard. Ses codétenus ont fui ensuite au Burundi. Mon père aurait pu nous y emmener. Avant tout ça. Il aurait eu le temps de partir. Et il aurait été fier de moi, maintenant, de voir que je termine mes études. Après le diplôme, j’aurais acheté quelque chose de cher à mes parents. Pour qu’ils voient que je gagne ma vie. Et que je suis un bon fils. Mais il en fut autrement. Papa est allé au cabaret le 12 avril. Le soleil brillait. Mais les Tutsis, on les frappait déjà bien avant ce 12 avril. Dans les cabarets, les administrations, sur les routes. Parfois, il y avait un mort. Par-ci, par-là. Puis on en tua plusieurs à la fois. Plusieurs dizaines. Dans les trois années précédant le génocide, avec l’aide de la police et des pouvoirs locaux, des milliers de Tutsis furent liquidés. C’est alors que les milices interahamwe ont été créées. – Il aurait eu le temps de partir, répète Léonard. Avant ce qui est arrivé. L’armée a augmenté ses effectifs de cinq mille à quarante mille soldats. Ils ont été formés par des militaires français2 qui faisaient 2  Dans « Conférence sur le Rwanda », Ryszard Kapuściński écrit ceci : « Contrairement à la majorité des métropoles européennes qui se sont radicalement débarrassées de leur héritage colonial, la France représente un cas de figure à part. » Pourquoi la France s’est-elle autant engagée politiquement et militairement au Rwanda, pays qui n’avait jamais été sa colonie ? D’après Kapuściński, après l’époque coloniale, il reste en France « un groupe important, actif et bien organisé, d’hommes qui ont fait carrière dans l’administration coloniale, qui ont vécu (comme des coqs en pâte !) dans les colonies et se sentent, maintenant, en Europe, étrangers, inaptes

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venir des armes à Kigali et conseillaient l’armée gouvernementale sur la façon de se défendre contre l’avance des troupes tutsies. En voyant la détermination des Français, les dirigeants du fpr ont stoppé leur offensive. Le pays a été divisé en deux parties. À titre provisoire. Làdessus, aucune des deux parties n’avait le moindre doute. Aujourd’hui, chaque Hutu rencontré au Rwanda nous parlera, si nous parvenons à gagner sa confiance, des crimes perpétrés à l’époque et au cours des années suivantes sur les territoires occupés par le fpr. Il parlera des Hutus, disparus sans laisser de trace, des massacres non revendiqués, des villages incendiés, des exécutions sommaires sur la population civile. Mais interrogé sur un détail concret – où ? quand ? combien de victimes ? – notre interlocuteur se tait soudain, troublé. Pourquoi ce Blanc veut-il en savoir autant ? Qui l’a envoyé ici ? Qui l’a autorisé à travailler ici, à enquêter, à espionner ? Avec quel Tutsi ce Blanc est-il de mèche ? Mieux vaut se taire, ne pas prendre de risque. Car le Rwanda a des oreilles. Le Rwanda est le pays de la peur. À l’instar de tout le continent. À cette différence près qu’ailleurs les Africains ont peur de la sorcellerie, du mauvais œil et des esprits. Le Rwandais, lui, a peur de l’autre, il craint le chantage, la calomnie, la dénonciation, l’accusation. D’avoir participé au génocide ou comploté contre le pouvoir. Peu importe que l’accusation soit fausse. Il est difficile de s’en défendre. Lorsqu’un Blanc arrive dans une maison, une voisine accourt aussitôt. Sans même avoir été invitée. Elle écoute. Un voisin vient aussi s’asseoir sur le banc. Personne ne leur dit de partir. Cela a toujours été ainsi : un visiteur était une distraction pour les autochtones, tout le monde et inutiles. D’un autre côté, ils sont convaincus que la France est non seulement un pays européen, mais aussi une communauté regroupant tous les peuples de culture et de langue françaises, bref, que la France, c’est aussi un espace culturel et linguistique : la Francophonie. Traduite dans la langue simplifiée de la géopolitique, cette philosophie prône que si quelqu’un, quelque part dans le monde, attaque un pays francophone, c’est comme si la France était attaquée […] C’est ce qui se passe quand Paris apprend que les Tutsis anglophones sont partis des territoires anglophones de l’Ouganda pour pénétrer dans le territoire francophone du Rwanda, qu’ils ont violé les frontières de la Francophonie ». Ébène, Plon, Paris, 1988, pp. 180–181

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voulait le regarder de près, le toucher. Tout le monde avait le droit de l’écouter. Mais aujourd’hui, il n’est pas seulement question d’une attraction. Aujourd’hui, mieux vaut que les voisins sachent pourquoi le visiteur lointain est venu ici. Qu’ils entendent les questions qu’il pose et les réponses qu’il reçoit. Qu’ils sachent tout. Une information claire est préférable à des suppositions : un muzungu3 est venu, il a dû payer, tout le monde paie, car on reçoit en fonction de ce que l’on donne, combien a-t-il donné ? Pas mal sans doute, et pour savoir quoi ? Pourquoi les a-til payés, eux, et pas moi ? Les suppositions de ce type sont dangereuses. Elles font naître l’envie, et il n’y a ensuite qu’un pas jusqu’à la délation, qui réveille toujours la curiosité du pouvoir et ne présage rien de bon. Ou jusqu’à l’empoisonnement. Car le Rwandais craint aussi d’être empoisonné. C’est pourquoi, lorsque quelqu’un vous offre à boire ici, il avale d’abord une gorgée de la bouteille ou du verre qu’il vous tend. Il le fait devant vos yeux4. Les gens ne se font pas confiance. Surtout maintenant, après ce qui s’est passé en 1994. Les réponses aux questions ne sont jamais précises : Où vas-tu ? Quelque part. D’où viens-tu ? De là-bas. La vérité ne paie pas, en général. C’est ce que l’on enseigne aux enfants dans beaucoup de familles : Ne parle pas trop, ne t’adresse pas à un inconnu, mais fais aussi très attention aux personnes que tu connais. N’oublie pas que les Hutus tuent. Ou les Tutsis. C’est selon. Chaque enfant hutu sait qu’aujourd’hui son pays est gouverné par les Tutsis. Et il grandit avec les peurs et les obsessions de ses parents : Dans notre famille, il y en a qui ont tué, alors quelqu’un cherchera peut-être à se venger. Parmi les nôtres, certains doivent être au service des Tutsis. Est-ce qu’ils mouchardent ? Est-ce qu’une nuit, la police ne viendra pas frapper à notre porte ? Les petits Tutsis, quant à eux, perçoivent les craintes de leur mère et de leur père : Les Hutus ne vont-ils pas reprendre le pouvoir dans quelque temps ? Ils auraient vite achevé le génocide une fois pour toutes, sans commettre l’erreur une deuxième 3  Un Blanc. 4  En 2010, lorsque j’entrais au stade Amahoro à Kigali pour la cérémonie de commémoration, un soldat qui procédait au contrôle me demanda de sortir la bouteille d’eau minérale que j’avais dans mon sac, de l’ouvrir et d’en boire quelques gorgées. Après seulement, il m’autorisa à l’emporter dans le stade.

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fois, sans laisser aucun d’entre nous en vie, ça ne fait pas l’ombre d’un doute, heureusement que notre président les tient de court, qu’il nous favorise, c’est nous qui faisons des études, qui occupons des postes à responsabilité, les Hutus n’ont plus qu’à travailler pour nous. Ces pensées-là, mieux vaut ne pas s’en vanter. Car le pouvoir prône l’égalité et la réconciliation : les Tutsis, les Hutus, ça n’existe pas. Pourtant, ils existent. De même qu’il existe toujours une division sanglante. Et des blessures non cicatrisées. Comment pourraientelles se refermer ? demandent les Hutus. Tout bas, car pour ce genre d’interrogation, on peut finir en prison. « Finir » veut dire ne jamais revenir. Beaucoup en ont peur. Beaucoup se demandent : Comment discuter de ce qui s’est passé ici, alors que seuls les Tutsis ont le droit d’énoncer la vérité ? Alors que nous, nous avons dû fermer notre gueule. Les uns sont autorisés à pleurer publiquement leurs proches assassinés, les autres n’ont pas même le droit de verser une larme pour les leurs. C’est pourquoi les exactions commises sur la population hutue, bien qu’elles aient eu lieu, ont été passées sous silence. Elles ont été peu documentées5. Mais il suffit de se rendre dans les villes et les bourgades du nord du Rwanda et de vérifier le nombre important d’orphelins de cette période-là. Ils n’ont pas encore vingt ans et ignorent qui ils sont. 5  Dans son essai Konflikty w rejonie Afrykanskich Jezior 1959–2000 [Les Conflits dans la région des Grands Lacs, 1959–2000], Marek Pawelczak, historien de l’Afrique orientale des xixe et xxe siècles, écrit que « la vengeance des vainqueurs a coûté la vie à plus de cinquante mille personnes ». Cela signifie sans doute que ce nombre inclut aussi les victimes du fpr de 1994 et des années qui ont suivi. Cependant, au Rwanda, les Hutus (et aussi les missionnaires blancs) avancent des chiffres bien plus importants, parfois multipliés par dix. On connaît certaines tueries de masse perpétrées par l’armée gouvernementale tutsie, comme le meutre de vingt mille Hutus au camp de réfugiés de Kibeho, en 1995. J’y suis allé à plusieurs reprises. On y avait construit un mausolée à la mémoire des victimes du génocide de 1994 – les Tutsis assassinés dans l’église paroissiale. Rien pour les Hutus tués ici un an plus tard. Comme il ne reste aucune trace des dizaines de milliers de Hutus partis se réfugier au Congo voisin à la fin du génocide. Parmi eux se trouvaient de nombreux assassins qui, dans des camps de réfugiés, s’étaient mêlés à la masse des innocents. L’armée tutsie les a suivis jusqu’au Congo et les a forcés à revenir au Rwanda pour y être jugés. En route, des milliers de personnes furent tuées.

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Ils ne se souviennent pas de leurs parents. Victimes du sida ou du fpr. Morts avant le mois d’avril 1994 ou après, alors que les combats se sont poursuivis ici encore durant plusieurs années. Résumons : en 1993, après trois années de guerre, le pouvoir de Kigali plia sous la pression internationale et parvint à un accord avec le Front patriotique rwandais dans la ville d’Arusha, en Tanzanie. Au Rwanda, un gouvernement de transition fut créé avec la participation des partis d’opposition. Bientôt le fpr aussi allait accéder au pouvoir. Auparavant déjà, son intégration dans l’armée gouvernementale avait été envisagée. Les forces de l’onu devaient veiller au processus de paix. À Kigali, tout le monde n’appréciait pas la docilité du président en fonction. D’aucuns faisaient courir le bruit que le président Habyarimana avait trahi. Ce qui ne devait pas être exact, car c’est précisément à cette époque-là, avec son accord sans doute, que l’on fit venir de Chine des machettes flambant neuves. Dans d’énormes caisses en bois. Cinq cent quatre-vingt-un mille, selon les estimations6. C’est alors que des listes de Tutsis ont été dressées. Et aussi de Hutus soupçonnés de ne pas approuver la solution finale. Des commandos Interahamwe ont reçu un entraînement pour apprendre comment tenir une machette et frapper sur la nuque. La Radio des Mille collines (plus tard, les rescapés la surnommeront Radio Machette) a commencé à émettre en boucle, attisant la peur : Les cancrelats arrivent depuis l’Ouganda ! les serpents ! Ils nous prendront notre terre, violeront nos femmes ! Ils nous tueront jusqu’au dernier ! Le 6 avril au soir, l’avion du président Habyarimana fut abattu audessus de Kigali. À ce jour, on ignore qui se tenait derrière cet attentat, mais on sait comment il a été interprété : Les Tutsis ont tué notre président ! La radio lança le signal de l’irréversible : Abattez ces grands arbres !

6  Plusieurs sources avancent ce chiffre. Mais dans Conspiracy to murder, Linda Melvern écrit qu’il s’agissait de 581 000 kilogrammes de machettes.

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Wojciech Tochman a été reporter pour le quotidien Gazeta Wyborcza de 1990 à 2004. Il est l’auteur de neuf livres, traitant de thématiques telles que la guerre de Bosnie, le sentiment religieux en Pologne, le génocide rwandais ou les réfugiés syriens. Il continue son travail de journaliste par une implication dans l’aide aux victimes. Co-fondateur, avec Paweł Goźliński et Mariusz Szczygieł, de l’Institut du Reportage (Instytut Reportażu), il est traduit en huit langues, dont l’anglais, le français et le néerlandais. http://tochman.eu/ Extrait de : Aujourd’hui, nous allons dessiner la mort. Retour au Rwanda (2010), traduction de Margot Carlier, Noir sur Blanc, Lausanne, 2014, pp. 23–36. Publié avec l’aimable autorisation des éditions Noir sur Blanc.

Aujourd’hui, nous allons…


Cent heures en Crimée, à la lueur de Mars Alain Lallemand

Une après-midi radieuse s’achève, les ombres du soir se lèvent sur Simferopol, et Lida ne parvient à croire ce qu’elle voit se dresser dans ces premières ombres de la nuit de mars : sur l’avenue Pouchkine, à deux pas de nous, trois sections de quarante hommes chacune se sont formées en rangs impeccables. « C’est absolument inédit, me dit-elle, dans cette ville qui ne rêve que de calme et de paix. Une mobilisation populaire… » À un ordre donné par leur chef en civil portant le brassard rouge des volontaires de la « République Autonome de Crimée », les quelque 120 hommes ici rassemblés s’apprêtent à pivoter à droite – « Droite ! » – et à remonter l’avenue jusqu’à la caserne la plus proche. Bientôt, ils avancent en formation au cœur de la ville, obtiennent priorité aux carrefours où les véhicules s’arrêtent pour leur céder le passage. Bien qu’elle soit née ici, « je ne savais même pas que cela existait ! », admet Lida. Des militaires ? Non. Certains portent une pièce d’uniforme, un treillis, parfois le badge russe à l’épaule. Ils sont pour la plupart habillés de sombre, chaudement vêtus pour la nuit qui s’annonce, mais ils se sont équipés de bonnets civils, simples écharpes de laine, vestes matelassées. Les plus influents portent le brassard des volontaires, et tous ont noué, à un endroit ou un autre, le ruban orange strié de noir, le « ruban de Saint-Georges », qui commémore la victoire militaire contre l’Allemagne nazie. Leurs rangs comptent quelques jeunes mais la plupart approchent de la pension, et tous sont de condition modeste. Qui sont-ils, où vont-ils ? Ils se sont d’abord réunis vers 17h devant le vieux théâtre, mais la clé de l’énigme se lit sur une plaque boulonnée sur le trottoir opposé : « Association des vétérans d’Afghanistan ». Dans la capitale de la Crimée, c’est eux qui articulent le mouvement d’auto-défense pro-russe : avec eux, la « révolution » venue de Kiev ne passera pas.

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Moscou a largement puisé dans les contingents de Crimée pour soutenir l’effort de guerre en Afghanistan : puisque les paysages étaient similaires, les Criméens ont été jugés plus aptes que tout autres à combattre dans les plaines afghanes. De cette guerre est née une solidarité entre russophones d’une même génération, celle qui applaudit aujourd’hui l’entrée de bâtiments de guerre russes dans le port de Sébastopol et l’atterrissage à l’Est de l’île d’hélicoptères de combats et d’avions militaires de transport. « Non, à l’évidence je n’ai pas combattu », reconnaît Ivo, 27 ans, dont la poitrine s’orne pourtant du ruban orange et qui marche ce soir avec les vétérans afghans. « Mais mon grand-père a combattu à Sébastopol. Nous sommes liés à la Russie… Et dites bien que nous ne sommes pas séparatistes, nous sommes autonomistes ! Nous voulons que la Crimée reste ce qu’elle est, libre, sans que les fascistes de l’Ouest de l’Ukraine puissent nous imposer leur loi. » Après vingt minutes de marche, la troupe marque le pas, se disloque devant l’une des entrées de l’ancienne école militaire : le « check-point du régiment 3009 ». C’est là que les volontaires russophones vont recevoir leurs ordres pour la nuit et la journée de mardi : devant quel bâtiment se poster, comment organiser les distributions de boissons chaudes et nourriture, où collecter les dons publics… « S’il y en a qui ont peur, ils ne sont pas obligés de rester », précise l’un des commandants civils. « Non, je ne fais pas cela tous les jours », expliquera-t-il peu après. « Mais nous devons nous prémunir contre les fascistes, les provocateurs, ceux qui viendraient s’infiltrer… » Le seul meneur à avoir revêtu un treillis militaire complet s’étonne que nous nous étonnions de cette mobilisation : « Mais que voyez-vous ici d’extraordinaire ? Rien que des ingénieurs, des hommes d’affaires, des professeurs, des… » Il se moque. Mais pour les avoir vus à l’œuvre, nous savons déjà à quoi ils servent : ils ceinturent les bâtiments publics, formant de petites chaînes humaines devant des militaires sans insignes qui, eux, ont investis, armes à la poitrine et tubes lance-grenades dans le dos, les bâtimentsclé de la capitale. Ces « volontaires » russophones font tampon entre le peuple et une armée non identifiée. « Non identifiée », mais sur le parlement régional ne flottent plus que deux drapeaux, le russe et le

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criméen, tandis qu’a été planté dans les parterres un exemplaire du drapeau blanc à croix de Saint-André de couleur bleue. Le pavillon de guerre de la Russie ! Malgré cela, la république autonome ne semble pas en état de guerre, loin s’en faut. Alors que les vols civils pour la Crimée ont été rétablis dimanche, nous pénétrons désormais sans difficulté dans la presqu’île – du moins jusqu’au pied des bâtiments officiels… Toute la ville de Simferopol s’est détendue avec l’arrivée d’un soleil de printemps mais aussi avec les gestes de fermeté militaire posés par Poutine. Dans l’animation des galeries commerçantes, devant les aubettes à café et marchands de fleurs, pas un seul passant pour condamner le déploiement russe, que du contraire. Les protestations des badauds attaquent systématiquement « Kiev », « les fascistes », « l’Ouest de l’Ukraine », pour une somme de motifs politiques, culturels et même religieux qui semble se réduire à un grand choc : le régime de Kiev a fait tomber la langue russe de son piédestal, les 60% des russophones que compte la Crimée se sont sentis en danger. Place Lénine, les manifestants anti-fascistes sont à peine en nombre suffisant pour répondre aux sollicitations des télévisions étrangères qui tentent d’obtenir un « face caméra » encore un peu vivant : la crise est passée. Mais si vous vous promenez place Lénine, face au parlement, regardez vers la droite le drapeau des « vétérans de l’Afghanistan » tenu à bout de bras par Nicolaï Maximovitch, dit « Maxivitch », authentique poilu de Kaboul. C’est lui qui, sur cette place, collecte discrètement l’argent des forces d’auto-défense pro-russes. Et tant que « Maxivitch » est là, c’est le signe le plus certain que la paix n’est pas revenue. Mais l’enjeu n’est pas ici, il est sur la côte. Nous y descendons le lendemain. Ville blanche et fière, dressée sur un promontoire où se distribuent à ses carrefours de petits drapeaux russes, le port de Sébastopol partage avec Brest et Istanbul un même rapport complexe à deux bras d’eau distincts. Du centre-ville, il est aussi difficile de joindre à sec le Quartier Nord que de quitter Sainte-Sophie pour gagner l’Asie, ou le pont de Brest pour rejoindre Plougastel. Des géographies uniques. Mais qui aurait cru qu’à cent soixante ans d’intervalle, ici, à Sébastopol, l’Histoire serve un même plat avec une telle précision

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topographique ? Car le point d’eau que Tatiana me montre du doigt, au loin sur la rive Nord, là où des navires militaires russes bloquent un navire de commandement ukrainien, n’est autre que l’endroit exact où avait débarqué en pleine guerre de Crimée un capitaine nommé Tolstoï. Pour comprendre le bras de fer naval entre Russie et Ukraine, il faut gagner ce lointain Quartier Nord, quitter l’agitation du centre-ville, réaliser une boucle de plusieurs dizaines de kilomètres autour de la baie de Sébastopol pour rejoindre « la baie des poulets » et, ce faisant, effectuer un pèlerinage instructif le long de quais stratégiques et parfois secrets que l’Union soviétique a partiellement léguée à l’Ukraine. Première surprise : la ville est à nouveau « fermée », comme au temps de la guerre froide lorsqu’un laisser-passer spécial était requis pour gagner Sébastopol. Les voies d’accès sont toutes barrées de checkpoints tenus par les forces d’auto-défense pro-russes, et en certains endroits, par des cosaques en vestes cintrées et coiffés de la papakha, la haute toque d’astrakan. Leur sourire serait déplacé : ils représentent aujourd’hui une milice de supplétifs, d’autant plus dangereux qu’ils sont parfois armés. Deuxième surprise : jusqu’ici, les Russes ne se sont pas préoccupés de la base autrefois ultrasecrète de Balaklava, où les sous-marins nucléaires trouvaient refuge sous la montagne. Aujourd’hui, la base est simplement déserte, et les riverains en profitent pour écouter religieusement, sur la télévision russe, la conférence de presse de Poutine en mangeant des tassergaux grillés. Drôle de conflit. Surprise finale, après être passé par la vallée de la mort, là où est venue mourir en un autre siècle la charge de la brigade légère, nous sommes bien arrivés sur les lieux de la confrontation entre flottes russe et ukrainienne. Mais nous ne savons plus sur quel territoire nous posons le pied. Nous sommes en Ukraine, mais le poste militaire régulier que nous longeons est russe : il fait partie de la base de la Flotte de la Mer noire. Ceci pour nous rappeler que les 27 navires de la flotte ukrainienne proviennent d’un seul et même arsenal soviétique qui donna aussi naissance à cette Flotte russe de la Mer noire. Les ennemis du jour sont frères de sang. À trois cent mètres devant nous, le navire de commandement ukrainien U510 Slavutych est bloqué par un bâtiment militaire russe à

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l’identification incertaine, lequel a donné ordre aux soldats ukrainiens de se rendre. Sur les trois ponts du Slavutych, les matelots s’affairent, n’ont plus été ravitaillés depuis trois jours et continuent à échanger avec les Russes par haut-parleurs interposés. Les Ukrainiens retirent en début d’après-midi les matelas qu’ils avaient sortis sur les bastingages, sans doute pour se protéger. Mais les navires restent figés. Un ou deux bateaux bloqués, pas plus, mais ils ont tous leur importance. Mettre le Slavutych sous blocus est un geste grave, il s’agit d’une plateforme de commandement de première valeur en matière de renseignement électronique. En début d’après-midi, un mouvement inattendu nous a fait craindre le pire. Un nouveau bâtiment de guerre russe est entré en rade de Sébastopol, le navire de débarquement 127 Minsk. Une présence étonnante en ce lieu, puisqu’il appartient, lui, à la flotte de la Baltique. Capable de déplacer 25 transporteurs de troupe et les hommes qui les remplissent, c’est ce type de bâtiment, dit « Ropucha », que Moscou a utilisé en 2008 en Ossétie du Sud pour débarquer ses troupes… Mais le Minsk a accosté sans qu’une guerre n’éclate. Pas aujourd’hui. Trop centré sur ce bras de fer naval, nous avons manqué les premiers coups de feu de cette non-guerre. Ils ont claqué un peu plus tôt et un peu plus au Nord, à quinze kilomètres de là, à Belbek – à nouveau sur la route de Tolstoï. Belbek est aujourd’hui un aéroport militaire, tenu par les troupes russes depuis la semaine dernière. En cet endroit, Poutine ne peut nier l’invasion de troupes obéissant à Moscou – leurs blindés ont été photographiés. Mais nous, nous n’avons pas vu ces troupes. Seules les forces d’auto-défense pro-russes nous ont accueillis bien avant l’entrée de l’aéroport, affirmant que « tout est calme », que « la télévision ukrainienne ment ». Le nom de notre interlocuteur, portant le brassard de Saint-Georges ? « Je suis un patriote », lance-til, clôturant les civilités. Pour la troupe régulière ukrainienne, qui a tenté de reprendre l’aéroport ce mardi matin, il y a bien eu tirs russes de sommation – les premières cartouches tirées dans cette nouvelle crise de Crimée – avant que ne s’enclenche un dialogue laborieux. À neuf heures, en présence de plusieurs médias nationaux et internationaux, une colonne de soldats ukrainiens a entonné l’hymne national puis s’est

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engagée sans arme sur l’accès de l’aéroport, portant haut les drapeaux de l’Ukraine et de l’Union soviétique. Malgré ce geste, malgré la reprise d’un chant soviétique, des soldats identifiés comme russes ont tiré en l’air, intimidant les Ukrainiens. Un dialogue s’est finalement noué à la mi-journée, mais sans que les Ukrainiens soient autorisés à gagner la piste d’atterrissage et à reprendre leurs patrouilles. À l’heure d’écrire ces lignes, le face-à-face reste tendu, tant à Belbek que sur les quais du Quartier Nord de Sébastopol. Ce n’est ni la guerre ni la paix, mais c’est déjà un bon titre de livre, M. Tolstoï. Ce fragile entre-deux sera rompu au troisième jour. Les forces russes déployées en Crimée ont tombé le masque le mercredi. Alors que nous remontons au cœur de la Crimée, elles ne se cachent plus derrières les cordons des milices d’auto-défense favorables à Moscou. Et tant pis si cette présence assumée fait voler en éclat les démentis de Poutine : ce mercredi, toute la Crimée a pu voir les convois militaires russes, dûment immatriculés, sur la route du sud menant de la capitale Simferopol à l’ancienne capitale des Tatars, Bakhtchyssaraï. Dans cette ville, tout en encerclant les forces ukrainiennes, les soldats russes déposent désormais armes et casques sur le gazon, et ne se cachent plus de personne. Pourtant, ils n’y sont pas les bienvenus. Enfoncé dans un relief étonnant de falaises calcaires, presque caché du monde, Bakhtchyssaraï a été durant trois siècles l’unique capitale du khanat de Crimée, à l’époque où c’étaient eux, les Tatars de Bakhtchyssaraï, qui mettaient le feu à Moscou et trainaient leurs prisonniers russes et circassiens jusqu’aux marchés d’esclaves de Crimée. Il y a tout juste septante ans, Staline se vengeait en les déportant en masse lors de ce qui fut appelé la « Sürgün ». Plusieurs témoignent aujourd’hui des incroyables difficultés rencontrées en 1989–1990, lorsque le bloc soviétique s’effondra enfin et que les Tatars purent revenir au pays : « Un pareil exil, cela vaut trois incendies », lance un épicier de la vieille ville. « Salachic », la vieille ville. C’est là, autour du Grand palais et des mosquées du centre, que se pressent en d’autres temps les touristes afin d’y explorer les vestiges de l’ancienne civilisation turcophone. Il

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n’y a plus un chat, et Mustafa, 59 ans, barbe filasse et large bonnet de laine, traque un travail qui ne vient plus. Il a compris que les troupes russes venaient ici pour soutenir une minorité à l’échelle de l’Ukraine. Mais en Crimée, les Russes sont majoritaires et la minorité est tatare : ils sont 250 000 au moins, entre 12 et 15% de la population. Qui va les protéger, eux ? Après avoir finassé quelques minutes – « Pourquoi m’interroger en tant que “Tatar”, le problème est entre les Russes et les Ukrainiens, non ? » – Mustafa choisit la métaphore pour éclairer la crainte qui étreint les siens : « On assiste à une partie entre deux gros joueurs, où les Tatars ne sont qu’un tampon. L’Ukraine est au centre géographique de l’Europe, c’est un beau morceau de tarte pour les politiciens de l’Est et de l’Ouest, et aucun des deux camps ne veut d’une Ukraine forte et indépendante. En russe, on dit que lorsque les hobereaux se disputent, ce sont les serfs qui prennent les coups… On dit aussi que lorsque deux chevaux se battent, la mule qui se perd entre les deux est vouée à la mort. En clair, il faut que les Tatars évitent d’être cette mule. » Au cœur de la ville basse, en lisière du marché aux légumes, trois amis Tatars de 55, 51 et 48 ans, acceptent de se livrer à cœur ouvert, non sans déclencher les regards suspicieux de vendeuses ukrainiennes. « Cette présence de troupes russes, cela fait monter la pression. Le plus déplaisant, c’était le discours de Poutine ce mardi, lorsqu’il disait qu’il n’y avait pas de troupes russes ici, et qu’il était possible de se procurer un uniforme russe dans n’importe quel magasin ! Or nous savons, nous, que ce sont des troupes russes. Voir passer des armes dans Bakhtchyssaraï, c’est très dérangeant. » Décidément, les vendeuses ukrainiennes ne les quittent pas du regard. Un problème ? Sommes-nous surveillés ? L’occupation russe serait plus dangereuse pour les Tatars que pour les autres ? « Non, répondent les trois hommes dans un sourire. Nous avons tous les trois conclu des mariages mixtes, et regardez nos femmes ukrainiennes : elles vous surveillent, elles nous protègent ! » C’était donc cela… Abrités dans un recoin du marché, quatre autres Tatars tapent le carton sur un étal de mercerie. Ils jouent à « ochko », l’équivalent du « vingt-et-un », pour des mises de cinq à dix centimes d’euro : « Poutine n’avait aucun droit de nous envahir, lance le plus jeune des joueurs.

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Nous ne craignons pas les Russes, mais leur invasion est illégitime, et cette agression nous rend plus liés, plus solidaires. Entre Tatars, une confiance nouvelle est en train de naître. Non, les soldats russes ne viennent pas dans le village, et certainement pas dans le marché. Mais des étrangers venus de Russie se sont engagés dans nos ruelles : ils ont commencé à parler aux gens pour tenter de les convaincre de se mettre du côté russe. Je suis convaincu que ce sont des agents envoyés par Poutine. » Plus liés, plus solidaires ? Celui qui nous lâchera le morceau est le gardien de la mosquée « Orta Jami », récemment reconstruite avec l’argent de la diaspora. Chefket a 63 ans et ne digère pas l’arrivée des Russes : « C’est un attaque. Un pays étranger qui intervient dans notre pays, ce n’est pas bon. J’ai beaucoup d’appréhension : ils sont venus de nuit, se sont emparés des unités militaires… Poutine nie que les troupes russes soient ici, et c’est un mensonge : ces soldats eux-mêmes admettent qu’ils sont russes. » Surtout, Chefket confie : pour la toute première fois depuis leur retour historique en Crimée, les Tatars ont créé leurs propres services de sécurité. « Il n’y a jamais eu de problèmes ici, mais à cause de cette situation nouvelle, nous venons de former une équipe de cinq personnes qui, chaque nuit, surveille la mosquée. Et c’est pareil dans chaque mosquée de la ville. C’est la première fois que nous faisons cela. Nous craignons une provocation. Il suffit d’une seule personne, à laquelle on donnerait de l’argent… » L’initiative n’est pas isolée. Après s’être désolée des réservations annulées par les agences de voyages, la gérante d’une auberge confirme la mobilisation de milices tatares : « Je vis dans un quartier de la ville où il y a beaucoup de Tatars. Et chaque nuit, des équipes de 5 à 6 personnes – jeunes et moins jeunes – commencent à patrouiller les rues pour assurer le calme. Ce sont des volontaires qui ouvrent l’œil. Nous ne savons pas ce qui pourrait arriver : il faut préserver notre zone, préserver la sécurité... Cela ne s’était jamais produit auparavant. Jamais ! » Surtout, ne pas être la mule au milieu d’un combat de chevaux… La peur des Tatars se nourrit du triomphe des Russes de Crimée, regroupés autour de Yalta. Yalta ! Imaginez le chic de Montreux en

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bord de Mer noire, adossé aux reliefs montagneux de Funchal. Un peu de neige sur les crêtes, pas mal de cheveux blancs sur la promenade Lénine et, dans ce climat de farniente, des vignes et cèdres du Liban pour encadrer une enfilade de magasins de luxe : Colette, Natasha Miller, Zarina, etc. Passés les cuistax à tête de canard, la statue de Lénine ferait presque tache. Pourtant c’est là que bat le cœur de la station balnéaire. Sous une large tente aux couleurs de la Russie, surmontée d’une pancarte « Nato Niet ! », des bénévoles reçoivent les dons en faveur des forces d’auto-défense pro-russes : nourriture, eau, essence. Ce jeudi, ils continuent à enrôler. « Rien que pour Yalta, nous avons recruté 8 000 personnes les deux premiers jours, explique Andreï, 45 ans, l’un des initiateurs du mouvement. En une semaine, nous avons atteint 25 000 volontaires, principalement des ex-militaires, militaires à la retraite et anciens sportifs de carrière. Lorsque les gens ont vu les violences du 26 février à Simferopol, où deux personnes ont été tuées dans la foule, elles se sont mises à se rassembler spontanément pour se protéger, protéger nos monuments et sites militaires, enfin rétablir la vérité et diffuser une information fiable. » À l’extérieur de la tente, une liste distingue les sites d’informations qu’ils jugent fiables de ceux qui ne le seraient pas. Ironie de l’Histoire, pravda.com figure parmi les sites déconseillés. Car comme partout en Crimée, Yalta s’interroge : dans cette crise où s’affrontent les points de vue de Kiev et de Moscou, qui ment ? Lorsqu’Andreï affirme avoir rameuté 25 000 volontaires dans une agglomération de 80 000 personnes peuplée de seniors, vous avez déjà identifié un menteur. Mais la population indigène de Yalta, celle qui est née ici et vit de ses commerces, ne l’entend pas de cette oreille. Elle se plaît à voir dans le relief de l’une de ses montagnes le profil de Catherine II de Russie, et vit toujours dans la gloire d’une victoire diplomatique remportée ici par Staline. Pas un seul badaud qui ne se réjouisse de pouvoir voter un rattachement à la Russie. Ce n’est pourtant pas le cas du personnel du palais Livadia, où s’est tenu la conférence de Yalta. Désormais recyclé en musée pâlot, on y présente les marbres de Carrare, lustres de Mirano et toute la gloire de Staline, mais le personnel y tire une sombre mine : venus d’Ukraine,

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les employés y ont nommés d’autorité par l’ex-président Ianoukovytch, en virant le personnel local. Quoi qu’il arrive, pour eux cela sent le licenciement. Dès que vous quittez le palais, les louanges pleuvent à nouveau. « Catherine II nous a délivré de l’asservissement au Khan, c’est un fait historique », remarque Vlad, 31 ans, marchand de bibelots et de manuels d’histoire dans le parc de Livadia : « C’est la Russie qui nous a conféré notre autonomie, et de grands artistes russes ont trouvé ici leur inspiration – Tchékhov, Tolstoï – ce qui a façonné en retour notre culture. Ce sont des données qui ne cadrent pas avec la politique menée par Kiev, mais que nous n’allons pas réécrire pour plaire à des politiciens. » Les deux mains sur sa canne, profitant du grand air – « Peu de gens quittent Yalta quand ils ont connu un climat pareil ! » – Anushka opine. Elle a 73 ans, est née durant une guerre où sa mère, agent de renseignement soviétique, est morte en mission face aux Allemands. Elle avait 18 mois. « Ceux qui réécrivent l’Histoire sont des barbares, et le fascisme qui monte de Kiev est dangereux. C’est bien et c’est normal que les troupes russes viennent à notre secours. Nous en sommes reconnaissants à la Russie. » Étranglé de rage, un homme nous interpelle : Vladimir a 55 ans, il pense que nous n’oserons pas transmettre ce qu’il a à dire. Il a tort car nous avons rencontré une demi-douzaine de personnes exprimant la même opinion : « Nous considérons les troupes russes comme nos forces de maintien de la paix ! Quand la contestation pacifique a commencé sur la place Maïdan à Kiev, nous y étions favorables car nous n’aimions pas Ianoukovytch. Mais lorsque le bain de sang a commencé, là, c’était différent. Et lorsque des extrémistes dictent leur loi, lorsqu’ils vous disent quelle langue il faut parler, alors, oui, nous avons peur. » « S’il le faut, nous avons des armes, menace Vladimir, et nous nous défendrons, il y aura un bain de sang en Crimée. Mais c’est mieux d’avoir les troupes russes que d’avoir un bain de sang, non ? » Nous ne le saurons jamais. L’éclaircie aura duré quatre jours et quelques heures. Nous étions venus par le premier avion autorisé à atterrir à

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Simferopol, et lorsque nous prîmes l’avion de retour le vendredi, nous ne savions pas que notre vol serait le dernier avant que l’espace aérien se referme à nouveau sur le huis-clos de Crimée. Alain Lallemand est grand reporter au quotidien Le Soir et maître de conférences à l’Université catholique de Louvain. En un quart de siècle, comme journaliste d’enquête ou reporter de guerre, il a sillonné plus de 70 pays et s’est plongé dans une demi-douzaine de conflits. Il est l’auteur d’un manuel concret de récit journalistique, Le Journalisme narratif en pratique (De Boeck, coll. Info & Com, Bruxelles, 2011). http://alainlallemand.be/

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bibliographie sélective

Littérature polonaise Artur Domosławski, Kapuściński. Le vrai et le plus que vrai, traduction de Laurence Dyèvre, Les Arènes, Paris, 2011 Jacek Hugo-Bader, La Fièvre blanche. De Moscou à Vladivostok, traduction de Agnieszka Zuk, Noir sur Blanc, Lausanne, 2012 Jacek Hugo-Bader, Journal de la Kolyma, traduction de Agnieszka Zuk, Noir sur Blanc, Lausanne, 2015 Wojciech Jagielski, The Night Wanderers, translation by Antonia Lloyd-Jones, Seven Stories Press, New York, 2012 Wojciech Jagielski, Towers of Stone, translation by Soren Gauger, Seven Stories Press, New York, 2009 Ryszard Kapuściński, Autoportrait d’un reporter, traduction de Véronique Patte, Plon, Paris, 2008 Ryszard Kapuściński, Ébène : aventures africaines, traduction de Véronique Patte, Plon, Paris, 2000 Ryszard Kapuściński, D’une guerre l’autre, traduction de Véronique Patte, Flammarion, Paris, 2011 Ryszard Kapuściński, La Guerre du foot et autres guerres et aventures, traduction de Véronique Patte, Plon, Paris, 2003 Ryszard Kapuściński, Imperium, traduction de Véronique Patte, Plon, Paris, 1999 Ryszard Kapuściński, Mes voyages avec Hérodote, traduction de Véronique Patte, Plon, Paris, 2006 Ryszard Kapuściński, Le Négus, traduction d’Évelyne Pieiller, Flammarion, Paris, 1998 Ryszard Kapuściński, Le Shah ou la démesure du pouvoir, traduction de Dennis Collins, Flammarion, Paris, 1999 Ryszard Kapuściński, Œuvres, traduction de Véronique Patte, Flammarion, Paris, 2014 (comprend : Le Bush à la polonais [extraits inédits], D’une guerre l’autre, La Guerre du foot [extraits], Le Négus, Le Shah, Imperium, Ébène, Mes voyages avec Hérodote) Hanna Krall, Prendre le bon Dieu de vitesse, traduction de Pierre Li & Maryna Ochab, Gallimard, Paris, 2005


Hanna Krall, Danse aux noces des autres, traduction de Margot Carlier, Gallimard, Paris, 2003 Hanna Krall, Là-bas, il n’y a plus de rivière, traduction de Margot Carlier, Gallimard, nrf, Paris, 2000 Hanna Krall, Preuves d’existence, traduction de Margot Carlier, éd. Autrement, Paris, 1998 Hanna Krall, Les Retours de la mémoire, traduction de Margot Carlier, éd. A. Michel, Paris, 1993 Hanna Krall, Le Roi de cœur, traduction de Margot Carlier, Gallimard, Paris, 2008 Hanna Krall, Le Sous-locataire, traduction de Margot Carlier, éd. de l’Aube, La Tour d’Aignes, 1994. Hanna Krall, Tu es donc Daniel, traduction de Margot Carlier, éd. Interférences, Paris, 2008 Paweł Smoleński, Gazeta Wyborcza. Miroir d’une démocratie naissante, traduction de Éric Morin-Aguilar, Noir sur Blanc, Lausanne, 1991 Mariusz Szczygieł, Chacun son paradis, traduction de Margot Carlier, Actes Sud, Paris, 2012 Mariusz Szczygieł, Gottland, traduction de Margot Carlier, Actes Sud, Paris, 2008 Wojciech Tochman, Aujourd’hui, nous allons dessiner la mort. Retour au Rwanda, traduction de Margot Carlier, Noir sur Blanc, Lausanne, 2014 Wojciech Tochman, Mordre dans la pierre, traduction de Margot Carlier, Noir sur Blanc, Lausanne, 2004 Mariusz Wilk, Dans le sillage des oies sauvages, traduction de Laurence Dyèvre, Noir sur Blanc, Lausanne, 2013 Mariusz Wilk, Dans les pas du renne. Le Journal du Nord, traduction de Robert Bourgeois, Noir sur Blanc, Lausanne, 2009 Mariusz Wilk, Le Journal d’un loup, traduction de Laurence Dyèvre, Noir sur Blanc, Lausanne, 2015 (1999) Mariusz Wilk, La Maison au bord de l’Oniégo, traduction de Robert Bourgeois, Noir sur Blanc, Lausanne, 2007 Mariusz Wilk, Portage, traduction de Robert Bourgeois, Noir sur Blanc, Lausanne, 2010 La vie est un reportage. Anthologie du reportage littéraire polonais, sous la direction de Margot Carlier, Noir Sur Blanc, Montricher, 2005

Liens utiles : Institut du Reportage (Instytut Reportażu) : www.instytutr.pl Institut du Livre (Instytut Książki) : www.bookinstitute.pl

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En français Jean-Dominique Boucher, Le reportage ecrit, éd. du cfpj, Paris, 1995 Alain Lallemand, Journalisme narratif en pratique, De Boeck, coll. « Info & Com », Bruxelles, 2011 Alexandre Janvier, Les Grands Reporters. Du mythe à la (parfois) triste réalité..., L’Harmattan, Paris, 2008 Marc Lits, Du récit au récit médiatique, De Boeck, Bruxelles, 2008 Nicolas Pelissier, « Le Journalisme narratif : vecteur privilégié du storytelling ou antidote à ses dérives ? », in : Marc Marti & Nicolas Pélissier, Le Storytelling, succès des histoires, histoire d’un succès, L’Harmattan, Paris, 2012 Nicolas Pelissier & Alexandre Eyries, « Fictions du réel : le journalisme narratif », in : Cahiers de Narratologie [En ligne], 26 | 2014. url : http://narratologie.revues. org/6852 Laurence Pivot, Le Reportage en presse écrite : Préparation, terrain, écriture, éd. du cfpj, Paris, 2012 Jean Touzot, « Portrait d’un “animal très bizarre” : l’écrivain journaliste », in : Littératures contemporaines, n°6 : L’écrivain journaliste, Klincksieck, Paris, 1989 Marie Vanoost, « Journalisme narratif : proposition de définition, entre narratologie et éthique », in : Les Cahiers du Journalisme, n° 25, 2013 Pascale Bourgaux, Campi & Zabus, Les Larmes du seigneur afghan, Dupuis, coll. « Aire Libre », Marcinelle, 2014 Étienne Davodeau, Les Ignorants : récit d’une initiation croisée, Futuropolis, Paris, 2011 Aurélien Ducoudray & François Ravard, Clichés de Bosnie, Futuropolis, Paris, 2013 Guy Delisle, Chroniques birmanes, Delcourt, coll. « Shampooing », Paris, 2007 Guy Delisle, Chroniques de Jérusalem, Delcourt, coll. « Shampooing », 2011 Guy Delisle, Pyongyang, L’Association, Paris, 2003 Guy Delisle, Shenzhen, L’Association, paris, 2000 Emmanuel Guibert, Didier Lefevre & Frédéric Lemercier, Le Photographe (3 tomes), Dupuis, coll. « Aire Libre », Marcinelle, 2010 Emmanuel Lepage, Un printemps à Tchernobyl, Futuropolis, Paris, 2012 Emmanuel Lepage, Voyage aux îles de la Désolation, Futuropolis, Paris, 2011 Mook 24h01 (http://www.24h01.be/) Ijsberg magazine (ijsbergmagazine.com)

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Lire également les ouvrages de : Prune Antoine (La fille et le moudjahidine), Charles Baudelaire (Articles et chroniques), Blaise Cendrars (Hollywood, Rhum et Hors la loi), François René de Chateaubriand (Itinéraire de Paris à Jérusalem), Chris De Stoop (Elles sont si gentilles, monsieur. Les trafiquants de femmes en Europe), Françoise Giroud (Profession journaliste et Le tout Paris), Albert Londres (Au Bagne, La Grande Guerre et Chez les fous), Delphine Minoui (Je vous écris de Téhéran), Jules Vallès (Tableaux de Paris et Fortan Crusoé), David Van Reybrouck (Congo, une histoire), Olivier Weber (La Confession de Massoud et Sur les routes de la soie) ainsi que l’œuvre de Joseph Kessel parue aux éditions Tallandier et le l’anthologie Grands reporters : Prix Albert Londres, 100 reportages d’exception de 1950 à aujourd’hui parue aux éditions Les Arènes

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remerciements Nos remerciements vont aux auteurs des articles ainsi qu’aux reporters présents lors de la table ronde. Merci également à Sophie Hermant et à Manu Flament, du Club de la Presse du Hainaut-Mons, pour leur enthousiasme, leur créativité et leur efficacité. Sans eux, ce projet n’aurait pu se faire ! Merci encore à Delphine Jenart, la directrice adjointe du Mundaneum, ainsi qu’à son équipe et à Françoise Delmez, la directrice de la Maison Losseau, qui ont chaleureusement accueilli l’événement. Merci enfin à Sylvie Landuyt, Jean-Francois Politzer et leurs étudiants à l’École supérieure des Arts2 pour leur vivante participation à la table ronde.

www.culturepolonaise.eu www.pressclubmons.be www.mundaneum.org www.esapv.be www.maisonlosseau.be auteurs : Alain Lallemand, Mariusz Szczygieł, Wojciech Tochman, Skan Triki conception et rédaction : Jeremy Lambert développement : Sophie Hermant et Jeremy Lambert traduction : Cécile Bocianowski, Margot Carlier (© éd. Noir sur Blanc) projet graphique : Tomasz Bierkowski L’Institut Polonais – Service Culturel de l’Ambassade de Pologne à Bruxelles a pour but principal de faire connaître l’histoire, la langue et la culture polonaises en Belgique ainsi que d’y présenter l’actualité intellectuelle et artistique polonaise. Son travail consiste à encourager les échanges entre la Pologne et la Belgique dans le domaine de la culture, de l’éducation et des sciences humaines et exactes. Il œuvre à assurer la présence de la culture polonaise en Belgique et à cette fin il collabore tant avec des institutions et des ong belges qu’avec des festivals, des asbl, etc. L’Institut Polonais – Service Culturel de l’Ambassade de Pologne à Bruxelles est membre de eunic Bruxelles – Réseau Européen des Instituts Culturels Nationaux. www.culturepolonaise.eu, www.facebook.com/PolishCultureBrussels twitter : @PLInst_Brussels


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