Final final

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22 futurs historien.ne.s de l’Université libre de Bruxelles à Varsovie et à Gdańsk ré lexions, comparaisons, discussions



Préface Pieter LAGROU professeur d’histoire contemporaine à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) titulaire du cours « L’historien et la demande sociale : entre expertise et vulgarisation »

D

u 28 septembre au 3 octobre 2015, pour la deuxiè me anné e consé cutive, les é tudiants de la deuxiè me anné e de master en histoire à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) ont effectué un voyage d’é tudes en Pologne. Le voyage fut organisé dans le cadre du cours « L’historien et la demande sociale, entre expertise et vulgarisation », module qui s’inté resse à l’engagement des historiens dans les multiples façons de repré senter l’histoire autres sans avoir recour à la monographie scienti-ique ou à l’ensei-gnement scolaire. Vingt-deux é tudiants ont participé au voyage, accompagné s par Jeremy Lambert de l’Institut Polonais – Service Culturel de l’Ambassade de la Ré publique de Pologne à Bruxelles, Charel Roemer, doctorant assistant en

histoire à l’ULB, et Pieter Lagrou, titulaire du cours. Le voyage fut organisé dans le souci d’é viter que son coû t ne constitue un obstacle pour la participation des é tudiants. La participation de chaque é tudiant dans les frais du voyage s’est é levé e à 100 euros, grâ ce notamment à des billets d’avion à bas prix, de Charleroi à Gdań sk pour l’aller et de Varsovie à Charleroi pour le retour (le trajet de Gdań sk à Varsovie ayant é té effectué en train, le -lambant neuf Pendolino) et à un hé bergement en auberge de jeunesse dans les deux villes. Nous avons é galement bé né -icié d’un aide -inanciè re accordé e par la Faculté de Philosophie et Sciences Sociales de l’ULB ainsi que d’un soutien -inancier, logistique et humain important de la part de l’Institut Polonais. Ce dernier a pris en charge les dé placements sur


place et une partie des repas, ainsi que les frais de voyage de son collaboration. Le soutien de la directrice de l’Institut Polonais Natalia Mosor nous fut pré cieux, é galement lorsqu’il s’agit d’organiser dans ses bureaux le 24 septembre 2015, avant notre dé part, une confé rence-dé bat avec Pawel Ukielski, historien à l’Acadé mie des Sciences de Pologne, ancien vicedirecteur

du

l’Insurrection

Musée de

de

Varsovie

(Muzeum Powstania Warszawskiego) et actuellement vice-pré sident de l’Institut

nationale

de

la (Instytut

entiè rement nouvelle donner des formes à sa du passé , un quart de la chute du ré gime

Cette anné e, nous avons eu l’occasion de visiter le

Musée de l’Émigration

(Muzeum Emigracji) de Gdynia qui a ouvert ses portes en mai 2015 ; nous avons vu le chantier du musé e de la Deuxiè me Guerre mondiale à Gdansk sortir de ses é chafaudages là où il n’y avait qu’un grand trou en 2014 et nous avons pu visiter le

Musée

de

Mémoire

l’Histoire des Juifs de Pologne

Pamięci

(Muzeum Historii Żydów Polskich, MHZH P ou Polin) de Varsovie en vitesse de croisiè re alors que nous l’avions visité en avant-premiè re en 2014, pendant que les menuisiers terminaient la mise en place de l’exposition. Quant à

Narodowej, IPN), ainsi qu’une ré ception à l’ambassade aprè s notre retour. Le voyage fut une occasion pour les é tudiants de dé couvrir un patrimoine historique fascinant : la ville hansé atique de Gdań sk et le châ teau teutonique de Malbork, la reconstruction du centre historique (stare miasto) de Varsovie ou son Palais de la Culture et de la Science (Pałac Kultury i Nauki, PKiN) offert par Staline à la ville de Varsovie au dé but des anné es 1950, ou encore le quartier de Zaspa construit sur le site de l’ancien aé rodrome de la l’ancienne ville libre de Danzig. L’objectif du voyage fut surtout d’é tudier de plus prè s les diffé rentes façons dont la Pologne se dote d’une

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infrastructure dans le but de repré sentation siè cle aprè s communiste.

l’exposition du

Centre Européen

Solidarité

(Europejskie

Centrum

Solidarności, ECS) que nous avions visité moins d’un mois aprè s son ouverture of-icielle en septembre 2014, nous avons pu y constater que les quelques problè mes techniques de dé marrage ont trouvé une solution aprè s une anné e de rodage. Parler d’un « museum boom » ne tient donc pas de l’exagé ration. La plupart des musé es que nous avons visité s ont moins d’un an d’existence et


ils rivalisent dans la modernité de leur mise en scè ne, le recours à la technologie de pointe et l’audace de leur architecture. Ce que ces installations, -lambant neuves ou plus anciennes, donnent à voir interpelle au-delà des formes de repré sentation. Comment montre-t-on la pré sence d’une absence, s’agissant du patrimoine allemand soigneusement restauré à Gdań sk et Marbork ? Comment combine-t-on les deux faces de la modernité de Gdynia, ville-symbole de la ré ussite de la Pologne ressuscité e de l’entre-deux-guerres, mais aussi point de dé part de centaines de milliers de Polonais fuyant la misè re de leur terre natale pour des destiné es lointaines ? Comment se conjuguent les ré cits de la Deuxiè me Guerre mondiale offerts à la Westerplatte, au Musé e de l’Insurrection et au POLIN ? Nous avons aussi testé des dispositifs tout à fait inattendus pour vivre la pré sence du passé polonais, comme la visite du quartier de Zaspa à Gdansk, ré habilité par un concours international de peintures murales, nous avons ressenti la nostalgie palpable pour l’esthé tique de l’é poque communiste au Musé e du Né on de Varsovie, nous avons é té la confronté s à l’obsession de l’archivage des services de sé curité dans les dé pô ts d’archives de l’IPN, nous avons fait l’expé rience profondé ment dé rangeante d’une visite dans les lieux

de la ré pression de l’é poque communiste au sein mê me de la prison de haute sé curité de Mokotó w, à Varsovie, toujours en fonction, dans l’intimité et la dé solation du quotidien des dé tenus et leurs gardiens. Quel que soit le dispositif, partout nous avons é té frappé s par la volonté de nos hô tes de partager leur histoire, d’engager notre inté rê t, de laisser leur empreinte, souvent passionné ment. Le reportage qui suit montre comment les é tudiants se sont approprié s cette expé rience. C’est en historiens qu’ils rendent compte de cette diversité des repré sentations du passé , avec un œil pré cis sur certains aspects qu’ils thé matisent tels que la scé nographie, le rô le du guide, l’expé rience sensorielle du visiteur, les dispositifs pé dagogiques pour les publics scolaires et les modes de -inancement de cette -loraison musé ale. Le passé polonais est omnipré sent, de l’urbanisme jusqu’aux billets de banque et les symboles – parfois controversé s – de son passé ré cent, y compris la -igure de Lech Wałęsa. Comment la Pologne gè re-t-elle son rapport au passé communiste, son patrimoine et ses archives de l’é poque communiste en comparaison avec d’autres pays excommunistes ? Comment comparer le rapport de la Pologne à son passé , passé douloureux et ré cent comme une plaie à vif, faite d’une succession rapide de

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ré gimes, de frontiè res, d’EQ tats et de populations diffé rentes, avec celui de la Belgique ? Si la gestion du passé national semble plus dé passionné e en Belgique et les plaies plus anciennes, elle semble aussi occuper une place bien moindre dans l’agenda et dans le portefeuille de ses autorité s politiques. Beaucoup des dispositifs que nous avons visité s, beaucoup de nos interlocuteurs sur place ont voulu nous convaincre de la justesse, et ce par tous les moyens, de leurs visions parfois trè s diffé rentes de l’histoire polonaise. AR dé faut de toujours nous convaincre, ils nous ont fait ré -lé chir, aux contenus comme aux formes de l’histoire publique. Et ils ont souvent gagné notre admiration, pour la façon passionné e, inventive et communicative d’engager le passé . Nous espé rons que les regards, critiques et ouverts, de vingt-deux jeunes historiens offerts dans ce reportage en té moignent, chacun à sa façon.

Comité de rédaction Pauline BACQUAERT + Morgane DEGRIJSE + Marie TIELEMANS Maquette et édition Jeremy LAMBERT


Table des matières Pré face [prof. Pieter LAGROU]

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Une visite à travers la mé moire polonaise [Matteo MAIRA]

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La scé nographie dans les musé es polonais : la modernité au service des expositions [Maud ROBERT]

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Ré -lexions sur la scé nographie dans les lieux de culture : quel impact sur le visiteur et quel rapport avec l’initiative des responsables ? EQ tude et comparaison de quatre visites à Varsovie et à Gdań sk [Marie TIELEMANS & Marion VAN BOECKEL]

27

La didactique dans les musé es polonais : une sortie scolaire pour é lè ves et enseignants [Mauranne DETREQ ]

41

Suivez le guide [Alexandre SCHUCHEWYTSCH]

47

Comparaisons entre les musé es sur l’histoire juive belge et polonais [Camille VAN TOMME]

53

La promotion culturelle polonaise [Edwin PETIT]

59


Financer l’Histoire : l’argent des musé es en Pologne et en Belgique [François BELOT & Alix SACREQ ]

63

Des images de la Royauté au sein d’une Ré publique ? Les images d’une -ierté d’un passé fragmenté [David VINCENT]

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Quelle fonction sociale pour un musé e d’histoire ? Ré -lexion à partir du cas du Centre Europé en Solidarité [Charlotte CASIER]

77

Comparaison du dispositif de l’Institut de la Mé moire nationale (IPN), avec celui des autres pays de l’ex-bloc de l’Est [Catherine BRUNEEL & Majda ROUGUI]

83

Urbanisme et communisme : le cas de Varsovie [Arthur HORMAN]

91

Entre ré conciliation et dé nonciation : la Pologne face à son passé communiste [Marie LINOS]

97

Lech Wałęsa : comment aborder l’image complexe de « l’homme d’espoir » ? [Simon WATTEYNE]

103

Approcher le communisme [Pauline BACQUAERT]

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Mettre en scè ne la violence : entre mé moire et histoire : transmettre la ré alité d’un lieu symbolique de l’histoire nationale. Exemple de la prison de Mokotó w à Varsovie et comparaison avec la Belgique [Coline EVERAERTS] Mettre en scè ne la violence : l’objectivité face à l’é motivité et l’histoire face à la mé moire, dans les musé es et la litté rature [Aude DE WERGIFOSSE] Mé moire et histoire : un rapport parfois dif-icile au passé polonais [Morgane DEGRIJSE] Bibliographie

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Une visite à travers la mémoire polonaise Matteo MAIRA

E

t si nous jouions à un jeu ?

Pour cela, je vous demanderai de vous concentrer, de fermer les yeux et d’imaginer… C’est bon ? Alors, commençons ! Depuis quelques temps, vous songiez à dé couvrir la Pologne, que vous ne connaissez que trop peu. C’est chose faite ! Vous voici en plein cœur de sa capitale : Varsovie ! Il fait un peu froid, mais par chance, le soleil est de la partie et brille haut dans le ciel. Comme vous ê tes chaudement vê tu, rien ne peut vous empê cher de partir à l’aventure. En route ! La promenade est tout à fait reposante, les larges avenues, peu fré quenté es en cette

heure de la journé e, sont propices au bon dé roulement de votre visite. Le dé paysement s’opè re, vous observez d’ailleurs avec fascination les diffé rences architecturales de la ville. Celles-ci vont d’un centre historique pittoresque à un centre d’affaires ultra-moderne aux gratte -ciels gigantesques ; le tout mê lé de longues artè res -lanqué es de bâ timents à la fois imposants par leur taille et sobres en dé coration : ré miniscence d’un passé communiste ré volu. Bien que vous vous sentiez lé gers et heureux, vos sens n’en demeurent pas pour autant inactifs ! Au contraire ! La visite, et votre humeur prompte à la dé couverte, rendent vos sens tout à fait ré ceptifs à ce qui vous entoure. Imaginez d’abord le dé cor gé né ral : la foule, qui circule autour de vous s’en trop s’en soucier. Inconsciemment, vous pouvez en capter l’humeur, l’é nergie. Visualisez le cadre maintenant. Vos yeux, avides de


tout voir, en saisissent les divers é lé ments qui le constituent : des bancs, des lampadaires, des statues, des plaques de rues ou encore des bâ timents de formes et de fonctions varié es. Et puis… oh ! N’entendezvous pas ? Alors que vous venez de passer devant les portes d’un restaurant, un client vient juste d’en sortir. Par la porte dé sormais ouverte, votre ouı̈e surprend une douce mé lodie. Est-ce bien là du piano ? Tout à fait ! On dirait une Nocturne ? Mais oui, c’est la Premiè re, celle de Chopin ! Et vous de vous arrê ter, voire carré ment d’entrer dans le restaurant, et d’é couter cette musique magni-ique. Puisque vous y ê tes, pro-itez-en pour casser la croû te. La nourriture polonaise risque de vous surprendre ! Laissons cependant ici l’imagination prendre le relais. Ne

gâ chons pas la magie du goû t ! En -in de journé e, -inalement, la fatigue vous surprend. Bien que la marche ne soit en dé -initive pas si reposante que cela, elle n’est pas la seule responsable de votre é puisement ! Varsovie, durant cette promenade et sans que vous ne vous en soyez vraiment rendu compte, vous aura fait ressentir sa personnalité , qui vous aura marqué jusque dans votre corps ! D’ailleurs, le repas du midi fut si nutritif que vous vous contenteriez bien volontiers, mê me pour les plus carnivores d’entre vous, d’une petite salade lé gè re et d’un bon digestif pour terminer la soiré e (bien que la vodka n’en soit pas un, cela fera tout de mê me parfaitement l’affaire !). La premiè re journé e se termine, vous ê tes comblé ! Vous pouvez maintenant aller vous coucher serein.

Notre petit jeu vous plaı̂t ? Trè s bien, continuons alors, voulez-vous ? Aprè s votre premiè re journé e au cœur de la capitale polonaise, votre curiosité est piqué e au vif ! Hier, votre premiè re approche vous a charmé e, vous devez en savoir plus. Aujourd’hui, vous partirez à la dé couverte de l’histoire polonaise ! Par où commencer ? Au cours de vos recherches pré liminaires, vous avez constaté que Varsovie compte é normé ment de musé es. Dé jà la veille, vous aviez pu observer de trè s nombreux monuments ou places commé moratives. Vous n’y aviez cependant guè re prê té plus d’attention que cela et, maintenant, vous voulez savoir ce qu’il en retourne. D’un pas ferme et dé cidé , vous voilà reparti sur les routes.

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S’enchaı̂nent les musé es et autres lieux chargé s d’histoire de la ville. Vous commencez par le musé e historique de la ville, que vous faites

suivre

par

le

Musée de l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego), é voquant la ré volte de la ville en 1944 contre l’occupant allemand. Imaginez une mise en scè ne puissante, fé roce, maniché enne. Le but recherché est probablement de vous bouleverser. C’est chose faite ! Vous ne vous rendez d’ailleurs plus trop compte que, de la Deuxiè me Guerre mondiale, vous entrez dans une aile consacré e à l’Armé e rouge, et en-in, au secteur de la Dé fense polonaise. Tout tourneboulé par les bruits de


mitraillettes, les -lashs lumineux et les vidé os de guerre qui vous entourent, vous en signez presque les formulaires d’inscription au service militaire, posé s nonchalamment sur un pré sentoir. Mais soudain, vous vous rappelez que vous n’ê tes pas Polonais, et que vos intentions, en venant en Pologne, é taient avant tout paci-iques. Vous sortez donc du musé e avec la sensation é trange de ne plus trop savoir qui vous ê tes. L’aprè s-midi, aprè s vous ê tre restauré avec prudence, vous visitez le

Musée de l'Histoire des Juifs de Pologne (Muzeum Historii Żydów Polski, MHZH P), qu'on raccourcit souvent par le simple « Polin ». Ce mot est particulier : son sens est double ! « Polin », en hé breu, signi-ie « Pologne », mais possè de é galement le

sens de « tu te reposeras ici », é voquant la diaspora juive, qui aurait, selon la tradition, trouvé en Pologne une terre d'accueil. De l’exté rieur, le bâ timent est impressionant, bâ ti d'une seule piè ce gigantesque et pourtant sobre, é lé gant comme pour vous inviter à entrer. Ce que vous faites de bon cœur. Une fois à l’inté rieur, c’est le soulagement : quel calme ! Quelle atmosphè re reposante ! Vous vous sentez le bienvenu. Il y a mê me, d’ailleurs, un bar où vous vous commandez un petit café , histoire de dé marrer la visite que vous avez hâ te de commencer. Un parcours bien dé -ini vous permet de suivre toute l’histoire des Juifs de Pologne depuis mille ans ; mille anné es que vous traversez en toute sé ré nité . Vous ê tes conquis, et vous retrouvez l'air frais de l’aprè s-midi, parfaitement heureux.

Tiens, une af-iche vous parle du Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS), en la ville portuaire de Gdań sk, où se furent conclus les fameux accords de la Table Ronde, en 1989. Pourquoi n’y feriez-vous pas un saut ? La force de l’imagination vous permet de vous transporter directement à Gdań sk, alors, pourquoi s’en priver ? Allez, hop ! Vous voici à Gdań sk, au bord de la Baltique. Devant vous se dresse un monstre d’acier rouillé , celui d’un ancien bateau en -in de vie : l’ECS. Si vous ê tes intimidé , n’en ayez cure ! L’é tablissement est tout à fait inoffensif. Entrez en paix ! Au cours de votre visite, vous constatez encore l’importante place consacré e aux nouvelles technologies et aux té moignages (dé jà remarqué e au Musé e de l’Insurrection de Varsovie). La politique didactique du musé e est trè s ludique, et vous vous amusez sans doute à jouer avec les diffé rents gadgets mis en place pour attirer votre attention sur divers points de l’histoire du syndicat Solidarnoś ć (Solidarité ). Un sentiment prendra sans doute possession de votre esprit, qui vous rend confus. Rassurez-vous, ce n'est que votre esprit critique. Eh oui, bien que vous appré ciiez peut-ê tre la mise en scè ne du musé e, vous vous rendez compte que celui-ci dé laisse un peu la neutralité qui sié rait à un discours musé ographique. Ici, il s’agirait plutô t d’un hymne à Solidarnoś ć et à ses membres. Inutile d’y chercher un positionnement tout à fait neutre et critique sur le mouvement, vous y perdriez votre temps : l’histoire est trop ré cente, et une partie de ses dirigeants sont d’anciens partisans…

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A-in de pro-iter pleinement de cette nouvelle ville, alors que la journé e s’achè ve doucement, vous vous permettez une petite balade au cré puscule dans les rues de Gdań sk. Il fait frais, l’air est pur au bord de la Vistule, dont l'embouchure n'est qu'à quelques kilomè tres. Vous avez assez vu de musé es pour aujourd’hui, et vous voulez vous dé tendre. Pourtant, force est de constater que l’Histoire, à nouveau, cherche à s’agripper à vous, par le biais notamment de stè les commé moratives, de monuments. Vous apprenez d’ailleurs que Gdań sk, ville à majorité allemande, fut en partie dé truite par l'Armé e rouge au cours de la Deuxiè me Guerre mondiale ! D'ailleurs, n'é tait-ce pas aussi le cas de Varsovie ? Vous vous rendez alors compte que les magni-iques bâ timents que vous admirez sont en ré alité , pour beaucoup du moins, des reconstructions à l’identique (ou presque), sur la base d’archives ou de tableaux. Le nouvel-ancien centre historique date en fait d’aprè s la guerre. Les bâ timents ont, pour la plupart, à peine plus de septante ans. Vous sentez-vous trahi ? Ou au contraire, ressentezvous un respect profond pour ces Polonais si fé rocement attaché s à leur mé moire ? Peut-ê tre est-ce un peu les deux... De retour dans votre chambre d’hô tel varsovienne (un petit saut de 400 kilomè tres vous y a transporté en un clin d’œil), vous mettez -in à votre deuxiè me journé e en Pologne. Vous ê tes sans doute un peu fatigué . Il faut dire que la journé e é tait intense ! Toutefois, alors que vous vous apprê tez à aller vous coucher, une question vous taraude : tant de musé es, tant de monuments… La Pologne a-t-elle autant besoin de se souvenir ? Certes, vous avez pu comprendre que le passé communiste n’é tait pas ni des plus glorieux ni des plus agré able. L'allemand non plus, d’ailleurs… On peut aisé ment compatir aux diffé rents discours fortement marqué s de la journé e. Ce qui vous impressionne, cela dit, c’est avant tout la volonté des Polonais d’effectuer leur devoir de mé moire. Cela vous donne une idé e et votre nouvelle ré solution est prise. Votre troisiè me journé e consistera à en savoir davantage sur la politique « historique » de l’EQ tat polonais. Mais d’abord : dormir ! Le jour se lè ve, amenant avec lui un soleil rayonnant et chaleureux (pourquoi imagineriez-vous autre chose ?). Motivé , vous ê tes sur le point de vous aventurer sur les sentiers sinueux de la politique polonaise. Pour ce faire (puisque l’imagination nous le permet), vous allez vous rendre chez une tante que vous venez de retrouver, et qui vit – tiens donc ! – justement à Varsovie, en espé rant qu’elle pourra combler au moins une partie de vos attentes. Une fois arrivé chez elle, passé es les formules de salutations d’usage, vous ê tes invité avec bienveillance à vous installer sur un canapé , autour d’une table basse chargé e de biscuits et de deux tasses de thé chaud, bien sû r ! En-in, vous vous lancez dans vos questions.

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Votre tante – appelons-là Ania, a-in

de donner un nom à cette charmante vieille dame – sourit et vous ré pond. Selon elle, la politique mé morielle en Pologne est une action trè s ré cente, et mise en place à peine quelques anné es plus tô t. Dé jà , la toute nouvelle Troisiè me Ré publique, qui succè de à la Ré publique Populaire de Pologne (PRL), instaure le changement de l’emblè me de l’EQ tat : un aigle couronné , qui signi-ie que la Pologne a retrouvé sa souveraineté . La mé moire, ajoute Ania, sera toujours d'avantage mise en avant. En 2000, l’Institut

de

la

Mémoire

nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN), est inauguré (bien que dé jà mis en place à partir de 1998). Il est chargé d’é tudier les pé riodes allemande


et communiste, d’en relever les crimes, d’en classer les archives et de les ouvrir au public. On comprend facilement le sourire contrarié qu'af-iche alors Ania. Certaines de ces archives, dit-elle, é taient autrefois secrè tes. Imaginez que certaines d'entre elles concernent l'une ou l'autre de vos familles et leurs comportements sous le ré gime communiste... Cependant, la mise en place d’une politique « historique », continue votre tante, aurait vraiment dé buté e avec la victoire du parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS), aux é lections lé gislatives du 25 septembre 2005 et pré sidentielles du 23 octobre de la mê me anné e. Ce parti trè s conservateur, eurosceptique et pro-atlantiste (voir carré ment pro-amé ricain) rejette profondé ment la pé riode communiste. Ces é lus, avec à leur tê te les jumeaux Lech et Jarosław Kaczyń ski, vont promouvoir une forte politique de la mé moire. Ils « investissent » pour ainsi dire dans la mé moire. Sous leurs lé gislatures, de nombreux projets culturels et musé ographiques voient le jour : le Musé e de l’Insurrection de Varsovie, ouvert en 2004 (dont le directeur est un membre du parti Droit et Justice), l’ECS à Gdań sk ou mê me le Polin, dont le projet est lancé en 2007 et inauguré en 2013). Quant à la didactique mise en place dans les nouveaux musé es, explique votre tante, ce sont les nouvelles technologies qui sont plé biscité es, a-in de pouvoir servir la diffusion du té moignage individuel et audiovisuel. Ces investissements impliquent des -inancements consé -quents, y compris de l’EQ tat, qui met la main à poche. Le retour auprè s du public est trè s favorable, le Musé e de l’Insurrection de Varsovie, par exemple, a comptabilisé entre 2004 et 2007 prè s d’un million et demi de visiteurs.

Au niveau politique, le programme du parti Droit et Justice, en 2007, incluait une partie nommé e « mé moire et responsabilité », qui supposait une « dé communisation » de l’espace public polonais. Les dirigeants du parti auraient donc vu d’un bon œil la suppression de monuments, de noms de rues ou de places datant de l’é poque communiste. En d’autres termes, une damnatio memoria. Ania vous rassure tout de mê me, le parti Droit et Justice n’a pas pu mettre cette derniè re loi au point, du moins en partie. Cela dit, ce n'est que partie remise, le parti a retrouvé la voie des urnes aux é lections pré sidentielles d’aoû t 2015 et lé gislatives d’octobre 2015. Le soir approchant, vous laissez votre tante Ania, dé jà â gé e, se remettre de votre visite. Vous retournez à votre hô tel l’esprit bien rempli. Sur le chemin du retour, vous optez pour un petit dé tour. Pas besoin de plan pour trouver votre nouvelle destination : celle-ci se dresse à plus de deux cent mè tres au-dessus de la ville. Quelques minutes plus tard, un ascenseur -ile vers les hauteurs du trentiè me é tage. Les portes s’ouvrent sur un petit restaurant, dont les fenê tres offrent une vue panoramique sur Varsovie. Commandant un verre de vodka, vous admirez le paysage. Le Palais de la Culture et de la Science (Pałac Kultury i Nauki, PKiN), ancien « cadeau » de Staline à la ville, haut de 237 mè tres, est encore bien solide sur ses fondations. Un sourire aux lè vres, vous comprenez que la mé moire peut prendre parfois le visage de l'ironie.



La scénographie dans les musées polonais :

la modernité au service des expositions

Maud ROBERT

A

lors que l’Histoire suit son cours, les mé dias et moyens de communication é voluent toujours plus rapidement. Dans un monde où tout s’accé lè re, où l’information doit ê tre obtenue et transmise rapidement, les musé es passent rapidement pour des reliques d’un autre temps, relatant sans vie des histoires au moyen de vitrines et d’ennuyeux é criteaux ; pourtant rien n’est moins sû r. Depuis les 30 derniè res anné es, les musé es, vecteurs de connaissances, connaissent d’importantes é volutions (Ballé , 2003) : certains innovent, d’autres encore sont cré é s ex nihilo, mais tous ou presque proposent de nouvelles mé thodes d’appré hension de leurs expositions.

condisciples ont dé jà pu observer comment ce pays a pu mettre à pro-it ces derniè res anné es d’importants moyens -inanciers, accordé s en partie par l’Union europé enne depuis son adhé sion en 2004, pour la cré ation de nouvelles institutions d’histoire. Le titulaire du cours, Pieter Lagrou, dé clarait d’ailleurs avant ce voyage que « plus que n’importe quel autre pays postcommuniste, la Pologne a investi dans la cré ation de nouveaux lieux et nouvelles institutions pour repré senter son passé ». De fait, plusieurs musé es parmi ceux que nous avons eu la chance de dé couvrir furent cré é s au plus tard dans les anné es

Lors d’un premier voyage en Pologne l’anné e passé e dans le cadre du cours « l’historien et la demande sociale », nos

(Muzeum Powstania Warszawskiego) et plus ré cemment encore en 2014 (pour l’exposition permanente) pour le

2000 : 2004 pour le

l’Insurrection

Musée de de Varsovie


Musée d’Histoire des Juifs de Pologne (Muzeum Historii Żydów Polskich, MHZH P ou Polin) ou encore le

Centre

Européen

Solidarité

(Europejskie Centrum Solidarności, ECS), é galement inauguré cette anné e-là . La chance nous a é té donné e de ré ité rer cette expé rience, toujours dans les villes de Gdań sk et Varsovie. Nous avons pu y observer un autre constat dressé par notre professeur, à savoir que la Pologne faisait « -igure de pionnier », de par l’envergure et la diversité des initiatives proposé es. Comme nos camarades avant nous, nous avons eu l’occasion de visiter quelques musé es assez repré sentatifs des nouveaux modes de pré sentation d’une exposition mais avant d’entrer dans les dé tails, quelques pré cisions de vocabulaire s’imposent. Nous dé signons comme « musé ologie » ce qui a trait aux modes de fonctionnement et de pré sentation globaux d’un musé e. Jean Davallon en mentionne

deux types : une premiè re, dite « d’objet », fondé e sur les objets de collection, et une seconde, dite « d’idé es », fondé e sur des savoirs et des objectifs ; l’entré e des musé es dans l’è re des mé dias et de la communication a fait progressivement passer de l’une à l’autre, dont la forme exemplaire de l’unité de pré sentation est l’interactif, nous y reviendrons (Davallon, 1992). La « musé ographie » est le pan le plus pragmatique de la musé ologie : elle dé signe trè s largement l’ensemble de l’amé nagement des musé es et ses formes pratiques ; elle analyse la structure et le fonctionnement des expositions. En-in, le mot « scé nographie » se ré fè re plus spé ci-iquement à l’amé nagement des espaces et des expositions (Merleau-Ponty, 2010). Pour ré sumer en quelques mots : une exposition s’inscrit dans une ou plusieurs scé nographies, elles-mê mes inté gré es dans une ou des musé ographies qui peuvent se combiner dans un musé e selon le dé coupage des salles. Tout cela fondu dans la musé ologie.

La musé ographie et la scé nographie sont les deux points au centre de cet article, dont l’objectif n’est pas de faire une description des musé es visité s, mais bien de se focaliser sur l’agencement des expositions et les moyens utilisé s, et d’analyser dans quels types de musé ographie elles s’insè rent, bref dé crire au mieux les logiques sous-jacentes à la mise en scè ne de l’histoire dans les musé es polonais. Nous nous astreignons ici à n’é voquer que quelques musé es, parmi ceux-ci le Musé e de l’Insurrection de Varsovie, le

Musée de

l’Émigration (Muzeum Emigracji) de Gdynia, et dans une moindre mesure l’ECS de Gdań sk et le Polin de Varsovie. Nous verrons comment ces musé es utilisent, chacun à leur maniè re, une scé nographie assez travaillé e en comparaison avec ce que l’on peut encore trouver dans certains musé es belges, mê me si certains de ces derniers investissent tout autant pour nous offrir de nouvelles expé riences de visites. Nous y reviendrons plus tard. Nous ne pourrons é viter de parler briè vement des é motions que les scé nographies peuvent susciter, mais l’article de Marie Tielemans et Marion Van Boeckel sera plus à mê me de vous fournir une analyse de ce point. Tout en n’omettant pas celles qui nous ont personnellement interpellé es, il ne sera pas question ici de porter un jugement sur la pertinence ou les buts, avoué s ou non, de ces scé nographies.

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Voir p. 27


De mê me, nous avons pu constater dans presque toutes nos visites des dispositifs, des activité s ou des objets orienté s spé ci-iquement vers les plus jeunes. Ils pouvaient d’une part ê tre inscrits globalement dans la musé ographie, comme à l’ECS qui a mis en place des audioguides distincts pour les enfants et propose mê me, sé paré ment de l’exposition, une salle pour les enfants de moins de dix ans conçue pour leur expliquer de façon ludique les diffé rentes activité s portuaires. D’autre part inté gré s dans la scé nographie mê me, au milieu d’autres objets comme au Musé e de l’EQ migration, qui pré sente un panneau reprenant diffé rents moyens de locomotion (bateau, train, etc.) à faire bouger au moyen d’une manivelle qui dé voilera quel moyen de locomotion é tait le plus rapide à l’é poque pré senté e. L’article de Mauranne Detré se chargeant de dé velopper plus en dé tails les procé dé s pé dagogiques observé s lors de notre voyage, je ne m’attarde pas plus sur ce point. Son article tend né anmoins à con-irmer une ré -lexion de François Mairesse. Ce dernier, il y a 15 ans, faisait le point sur la naissance et l’é volution de la « Nouvelle musé ologie », né e en France dans les anné es 1960-1970. Il propose dans son article plusieurs pistes de ré -lexion sur les changements apporté s par cette é volution, et notamment sur le fait que non seulement le public des institutions musé ales s’est transformé mais qu’il est dé sormais le centre de la pratique et de la recherche en musé ologie, et que « l’é ducation est en passe de devenir le principal vecteur, la raison d’ê tre de la plupart des institutions » (Mairesse, 2000 : 49). Nous informions pré cé demment que les musé es sont progressivement entré s dans l’è re des mé dias. Jean Davallon va plus loin, arguant que les musé es eux-mê mes se sont transformé s en un « mé dia » propre, avec pour clientè le les visiteurs venus admirer (et vivre) les expositions. Il nuance tout de mê me en dé clarant du musé e qu’il a « effectivement quelque chose d’un mé dia sans qu’on puisse dé terminer exactement en quoi il est un mé dia et en quoi il ne l’est pas ». Toutefois nous pouvons dire que les musé es ne se pré sentent plus autant sous la forme de savoirs bruts disposé s devant nous : les expositions (surtout les temporaires) sont maintenant conçues comme de « vé ritables outils de communication », de par le dé veloppement des techniques et des nouveaux supports ou encore la recherche et la maı̂trise des effets sensoriels. Ces expositions organisent un espace de rencontre, et permettent une relation entre un public et les objets de musée qu’il vient voir (Davallon, 1992).

17 ECS. Des audioguides différents pour des publics différents

Voir p. 41


Depuis l’é volution globale de la musé ologie vers une musé ologie d’idé e, l’interactif est devenu la tendance gé né rale, si pas le mot d’ordre, de bons nombres de musé es. Cette transformation requiert une diversi-ication et une mobilisation de compé tences spé ciales, pour le design et l’animation notamment, ou pour savoir quel public cibler via quel dispositif, etc. Le savoir est toujours pré sent dans les expositions et les objets qu’elles comportent, mais ils sont dé sormais de plus en plus souvent utilisé s comme maté riaux pour cré er des espaces hypermé diatiques dans lesquels on propose au visiteur d’é voluer. Certaines expositions deviennent mê me des petits spectacles, ré gissant le dé placement des visiteurs par des scé nographies fortes, ou le guidant via des audioguides (Davallon, 1992). Pour commencer par le plus basique, l’on peut dire sans crainte de trop s’avancer que tous les musé es ou presque proposent dé sormais des panneaux ou tablettes interactives, beaucoup plus promptes à inté resser le public, jeune ou adulte, que de simples textes. Ces outils interactifs et les nouvelles technologies poussent toujours plus loin les effets d’illusion visuelle. Selon une dé -inition du terme datant de 1993, ces outils sont des dispositifs « comportant sur un mê me support un ou plusieurs é lé ments suivants : textes, son, images -ixes, images animé es, programmes informatiques dont la structure et l’accè s sont ré gis par un logiciel permettant l’interactivité » (Beuvier, 1999 : 114). L’interactivité s’applique à toutes manipulations né cessitant une participation du visiteur, et pas seulement à une certaine caté gorie de supports (Le Marec, 1993). Nous y reviendrons plus tard.

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Une bonne scé nographie est dé terminante pour le succè s d’une exposition. Il faut qu’elle soit de qualité tout en cré ant un style et une ambiance qui correspondent au but et au message que l’exposition veut faire passer. Doit-elle ê tre didactique ? Chaleureuse ? Ou au contraire doit-elle s’inscrire dans un style froid et cru ? La scé nographie va ainsi cré er une atmosphè re via tout un panel de moyens comme les lumiè res, la hauteur du plafond, l’é troitesse d’un couloir, etc. Cette atmosphè re conditionnera la visite et la perception du visiteur, qui s’en fera le messager via le bouche-à -oreille. Ainsi, nous é tions pré venus par nos pré cé dents camarades que le Musé e de l’Insurrection de Varsovie recelait une atmosphè re pesante, voire suffocante, emplie de bruitages de chenilles et de coups de feu, etc. La plupart en sont ressortis, non pas avec un sentiment né gatif, mais plutô t avec une certaine gê ne. Nous avons pu dé couvrir nous-mê mes cette ambiance particuliè re et nous-mê mes en sommes ressortis avec un on-ne-saitquoi d’é trange, dans la mê me optique que nos camarades de l’anné e passé e. Il est clair que nous ne sommes pas trop habitué s, en Belgique, à faire face à ce genre de scé nographie, qui ne s’inscrit pas dans une dé marche de traitement totalement neutre des é vè nements. Alors que nous allions rentrer dans le musé e certains d’entre nous ont eu l’opportunité de parler à des touristes français, qui eux sortaient bluffé s et impressionné s de leur visite, avec un sentiment plutô t positif. Aurait-ce é té notre cas si nous é tions entré s vierges de tout commentaire ?


Claire Merleau-Ponty cite deux autres grands rô les de la scé nographie, le premier d’entre eux é tant de faciliter la lecture des œuvres. Diffé rents moyens peuvent alors ê tre utilisé s pour valoriser visuellement les contenus des expositions. L’objet est-il visible entiè rement ? Est-il é clairé d’une façon particuliè re ? Fait-il partie d’une sé rie d’autres objets semblables ou au contraire est-il isolé pour le valoriser d’autant plus ? Autant de questions que se posent au pré alable les scé nographes en fonction des buts de l’exposition. Le deuxiè me grand rô le de la scé nographie consiste à aider à l’interpré tation des œuvres, avec la question sous-jacente et parfois controversé e de savoir jusqu’à quel point guider le visiteur (Merleau-Ponty, 2010). En exemple de cela se trouve encore une fois au Musé e de l’Insurrection de Varsovie, qui agence dans un coin isolé mais é clairé quelques dé bris du Châ teau Royal (Zamek Królewski), cela a-in de rappeler que la ville fut presque entiè rement rasé e durant la guerre. La scé nographie é tant contenue en tant que telle dans les expositions, les dé -inir un peu plus pré cisé ment est de rigueur. Les expositions peuvent ê tre, selon Raymond Montpetit, distingué es selon deux caté gories : premiè rement les « expositions à logique exogè ne », où elles seront soit cognitives et donc ancré es dans des savoirs spé cialisé s, soit situationnelles et ancré es à un ré el familier ; deuxiè mement les « expositions à logique endogè ne », fondé es sur la communication et dans lesquelles les objets sont disposé s selon un rô le pré cis, voulu par les concepteurs, dans un scé nario d’ensemble. Il pré cise ensuite des musé ographies selon les logiques mais, comme nous l’avons dit plus haut, certaines peuvent se retrouver, se combiner voir se complé ter au sein d’un mê me musé e (Montpetit, 1996). Dans les expositions à logique endogè ne, nous trouvons les musé ographies thé matiques, narrative et dé monstrative. Sans nous attarder sur la derniè re qui est assez explicite, nous pouvons retrouver les deux premiè res dans les quatre musé es analysé s, qui regroupent et pré sentent chacun des objets en fonction d’un certain thè me et d’une certaine chronologie. Il est né cessaire d’ê tre attentif aux diffé rents supports, multimé dias ou non, a-in de comprendre l’articulation des thè mes. De mê me, ces objets racontent une histoire, histoire qui installe un ré cit avec des é pisodes, amenant le visiteur d’un dé but à une -in. Il est « demandé » au visiteur de s’identi-ier aux personnages et d’en imaginer les actions. Les audioguides font partie inté grante des systè mes narratifs, nous amenant de numé ro en numé ro pour nous dé voiler de la façon la plus cohé rente possible les meilleures parties d’une exposition. Pour le Musé e de l’EQ migration, l’objectif est de nous faire revivre l’histoire de l’é migration polonaise du XIXe siè cle à nos jours. Il pré sente une histoire chronologique, a-in de montrer que ce phé nomè ne existe et a toujours existé : à chaque pas, un pan d’histoire globale et de nombreux objets personnels, comme des photos, sont là pour contextualiser l’é migration associé e à la pé riode. La mê me logique ré git plus ou moins le Polin. Ce musé e retrace dans son thè me principal la chronologie longue de l’histoire des Juifs de Pologne, de leur arrivé e

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dans le pays à maintenant. Pour ce faire, il est divisé en huit salles, chacune repré sentant une part de cette chronologie dans laquelle l’holocauste est une portion comme une autre, sans insistance particuliè re. Pour capter l’attention des visiteurs, des personnages -ictifs, contemporains de leur é poque, nous relatent leur ré cit et nous guident dans la compré hension de la vie à telle é poque, du point de vue de tel personnage, nous é clairant sur la diversité sociale, politique et religieuse des Juifs. Le Musé e de l’Insurrection de Varsovie nous emmè ne lui sur les traces de l’insurrection ayant secoué la ville de Varsovie entre aoû t et octobre 1944. Pareillement aux autres musé es, l’exposition principale nous fait suivre le dé roulement de cette insurrection, via une chronologie sous forme de calendrier que l’on suit au jour le jour. Nous dé couvrons des objets comme des vé hicules, plusieurs centaines de photographies, des murs sur lesquels sont peints des bâ timents en ruines, etc. Il faut cependant pré ciser que le chemin n’est ici pas aussi « balisé » que dans les deux autres musé es, et il est facile pour le visiteur sans audioguide de se perdre entre les panneaux et les nombreuses mini-salles, surtout quand certaines ne concernent plus l’insurrection et viennent à parler des opé rations militaires actuelles de la Pologne. Il est aussi surprenant de devoir refaire le trajet en sens inverse pour sortir quand les autres musé es suivent un circuit avec une entré e et une sortie diffé rencié es. En-in, l’ECS expose l’histoire du mouvement ouvrier, de sa cré ation à sa victoire -inale en passant par toutes les é tapes douloureuses dont elle est ponctué e, comme les grè ves ou les ré pressions brutales. Les piè ces ne

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sont pas ré ellement sé paré es, mais plutô t divisé es en é tapes chronologiques ; il est d’ailleurs possible au visiteur de se rendre directement à celle qui l’inté resse le plus. Comme au Musé e de l’EQ migration, de nombreux effets personnels sont pré sents, et ce dè s la premiè re salle, que ce soit des casques d’ouvriers, des livres, voire une veste troué e de balles (mê me si la veste date de peu avant le dé but du mouvement). D’autres objets nous guident tout au long de l’exposition, comme des boucliers antié meutes, dont le visiteur peut se saisir bien que -ixé s au sol, pour nous emmener dans la pé riode des ré pressions. Les expositions à logique exogè ne engagent elles essentiellement une musé ographie dite « symbolique » : les objets sont montré s de façon à correspondre avec certaines connaissances et ré fé rences partagé es par les visiteurs. L’exemple le plus -lagrant selon nous est l’ECS, qui trouve dans ses visiteurs des personnes ayant ré ellement vé cu l’histoire raconté e. Le musé e ne tombe toutefois pas dans un symbolisme que seules ces personnes pourraient comprendre, mais, selon nous, il est assez clair qu’il s’adresse aussi à ces individus-là , qui s’identi-ient d’autant plus à la symbolique du « tout le monde est un hé ros » que le musé e exhibe. Raymond Monpetit é voque é galement une « musé ographie d’immersion », visant comme son nom l’indique une simulation inté grale. Mê me si nous n’avons pas ré ellement observé de dispositif allant en ce sens, une derniè re musé ographie, é voqué e sans ê tre formellement é noncé e, tend à cré er ce climat d’immersion dans certaines expositions ; il s’agit de la musé ographie analogique, qui se trouve en ré alité inté gré e dans les deux types de logique d’exposition. Au mot « musé ographie » de Raymond Montpetit


nous lui pré fé rons celui de « scé nographie », comme partie inté grante des autres musé ographies susnommé es. Trè s importante si pas incontournable dans les musé es modernes, elle regroupe une grande diversité de mé thodes et de dispositifs destiné s à installer dans l’exposition des « images » du ré el que les visiteurs sont susceptibles de reconnaı̂tre. L’objectif est de nous immerger dans un monde, nous faire oublier que nous sommes dans un musé e. Ces scé nographies ont l’avantage d’ê tre accessibles et ouvertes à tous (Montpetit, 1996). Elles sont dé sormais pré sentes dans presque tous les musé es, et l’é taient allé grement dans les musé es polonais, que ce soit par de simples bornes interactives, des reconstitutions gé antes ou des ambiances cré é es sur mesure. Le vice-directeur du Musé e de l’EQ migration, Sebastian Tyrakowski, nous pré cisait toutefois que, à dé faut d’ê tre choisie, l’exposition multimé dia est parfois né cessaire, surtout quand le « maté riau » est rare. Il faut donc trouver des moyens de repré senter, à dé faut d’exposer.

La scé nographie est pré sente ici pour rendre au mieux la ré alité vé cue par les é migré s polonais, leurs conditions de vie lors des voyages. Nous suivons l’itiné raire de certaines familles, parfois simplement via des photographies, appré cié es par le vice-directeur car elles sont des captations d’un moment. Des reconstitutions maté rielles sont de mise pour pallier le manque de maté riau brut, comme celles d’une cabine d’un bateau a-in que l’on distingue les diffé rences de conditions entre les classes sociales, d’un quai et d’une petite locomotive… Mais le joyau de ce musé e ré side sans nul doute dans la reconstruction à l’é chelle 1/10 d’un cé lè bre bateau, le Batory, dit aussi « The Lucky ship » et surnommé ainsi pour avoir survé cu à la Deuxiè me Guerre mondiale en tant que transporteur de troupes. C’est la plus grande ré plique d’un navire de passagers dans le monde. Dans le musé e elle se trouve certes dans un lieu de passage obligé , mais né anmoins assez isolé e et surtout, sans grandes informations à proprement parler. Seules quelques photos sont visibles le long d’une balustrade en hauteur.

Une telle reconstitution est observable au Musé e de l’Insurrection de Varsovie avec un bombardier grandeur nature. Encore maintenant ce cas nous laisse personnellement perplexes, car autant le Lucky ship est un bateau unique avec une lé gende, autant le bombardier semble super-lu dans cette salle faiblement é clairé e du musé e. D’autant plus que les informations pré senté es directement sous l’appareil ne le mentionnent pas vraiment, parlant juste de l’activité de soutien des forces allié es pendant l’insurrection. Mais comme nous l’avons annoncé en dé but d’article, nous ne dé passerons pas le stade de l’interrogation.

21 Musée de l'Emigration : réplique esseulée du Botary, dit « Lucky ship » © Dominika Ikonnikow


Les musé es proposent bien sû r d’autres outils interactifs, comme des ancê tres du té lé phone au Musé e de l’EQ migration, ou encore des é crans sur lesquels les visiteurs peuvent manipuler des photos, les agrandir ou encore changer la taille de la police dans le cas de textes. AR l’ECS se trouvent des é crans interactifs similaires et des appareils photo où le dé clencheur fait en ré alité dé -iler les photographies comme des diapositives. L’interactivité offerte par ces objets permet aux groupes d’ê tre vé ritablement actifs pendant la visite, le temps de quelques secondes ou de quelques minutes. « […] l’interactif, support musé ologique conçu essentiellement à usage individuel, rompt l’isolement dans lequel se dé roule toute activité de raisonnement et de doute. On constate que les visiteurs en groupe consultent plus d’interactifs et y restent plus longuement que lorsqu’ils sont seuls […] » (Le Marec, 1993 : 104-105). Les nombreux courtsmé trages peuvent aussi ê tre é voqué s, certains perdus au milieu d’autres supports et pouvant aisé ment ê tre oublié s, d’autres diffusé s sur grand é cran impossible à rater. C’é tait notamment le cas au Musé e de l’Insurrection de Varsovie, qui met des gradins à disposition du public a-in de regarder tranquillement trois courts-mé trages sur l’insurrection sous-titré s en anglais. Une autre composante essentielle de la scé nographie analogique se trouve dans le phé nomè ne des period rooms, assemblages d’objets fonctionnant comme une illustration en 3D pour rendre plus clair un propos dans un mode accessible aux visiteurs. Elles mettent en scè ne des lieux et y ajoutent une notion de temporalité . Un bel exemple de cela est agencé à l’ECS avec une repré sentation de la « Table ronde de 1989 ». Une multitude d’informations est disponible dans cette piè ce, jusqu’à l’histoire maté rielle de la table elle-mê me, via des é crans tactiles. Là , l’interactivité de la piè ce est encore renforcé e par la pré sence de camé ras aux quatre coins de la piè ce, permettant à tout un chacun de se mettre dans la peau d’un journaliste à cette é poque en permettant de voir à travers les camé ras des images d’é poque.

22 Musée de l'Emigration : réplique esseulée du Botary, dit « Lucky ship » © Dominika Ikonnikow


De scè nes d’inté rieur, les period rooms peuvent é voluer vers les streetscapes, des paysages urbains, que l’on peut observer au Polin ou au Musé e de l’Insurrection de Varsovie sous la forme de rues pavé es sur une certaine distance. Au Polin l’illusion est renforcé e, à dé faut de bâ timents ré els, par la projection sur des murs blancs de façades de commerces avec la possibilité de rentrer physiquement dans une de ces façades pour arriver dans une sorte de bar. Au Musé e de l’Insurrection de Varsovie, à cheval entre la period room et le streetscape se trouvent les é gouts reconstitué s dans lesquels les visiteurs peuvent dé ambuler a-in de s’identi-ier aux insurgé s.

ECS : Un étudiant belge en 2015 devient journaliste en 1989

23 Polin : Reconstitution d’une rue du quartier juif de Varsovie au début du XXe siècle


En-in, nous ne pouvons conclure notre propos sur les scé nographies sans aborder pré cisé ment le cas des effets sonores, visuels et spatiaux et leur in-luence sur l’atmosphè re des musé es. Ces ambiances spé ciales é taient pré sentes partout mais dans une moindre mesure au Musé e de l’EQ migration. AR l’ECS, le climat é voluait au rythme des salles : au dé part assez calme, trè s vite les clameurs des grè ves s’é lè vent, les couloirs se ré tré cissent ; plus tard c’est mê me Antonı́n Dvoř ák et sa mé morable Neuviè me Symphonie « Du nouveau monde » et son quatriè me mouvement qui s’invite dans les oreilles pour quelques secondes é piques. L’espace tout entier est au service de l’exposition. Dans le Musé e de l’Insurrection de Varsovie, la gravité des é vè nements est renforcé e par l’atmosphè re pesante confé ré e par l’é clairage tamisé , les murs sombres et un fond sonore relativement agressif, tout cela dans une ambiance qu’on ressent comme assez patriotique et martyrologique, à la gloire des combattants armé s et des civils qui souffraient quotidiennement. Au Polin en revanche, l’atmosphè re ressentie au dé but est empreinte de calme, avec une architecture en courbe et une esthé tique travaillé e. Le musé e se trouve en porte-à -faux avec le Musé e de l’Insurrection de Varsovie, arrivant à montrer la richesse de son exposition et de son histoire sans ê tre oppressant. Ici l’ambiance tamisé e et les couloirs é troits ne nous é touffent pas, mais au contraire nous rapprochent de l’histoire pour en sortir touché s bien plus positivement qu’avec le Musé e de l’Insurrection de Varsovie. Bien entendu les histoires ne sont pas semblables et une trop forte comparaison n’a pas de sens, né anmoins l’on ressent que les objectifs ne sont clairement pas les mê mes entre l’un et l’autre. Terminons par un petit dé tour en Belgique. Un bon exemple de musé e moderne et interactif se situe à Ypres dans son musé e In Flanders Fields, cré é en 1998. Son appellation provient d’un poè me é crit par le mé decin militaire canadien John McCrae en 1915, traduit en français par « Au Champ d’honneur ». L’occasion de voir ce musé e me fut personnellement donné e en 2007 lors d’une sortie scolaire, et l’on peut dire sans exagé rer que sa musé ographie est moderne, avec une scé nographie travaillé e tant au niveau de l’ambiance visuelle et sonore que dans ses opportunité s de parcours (visite du beffroi, des « paysages »). Une nouvelle exposition permanente a mê me vu le jour en juin 2011, dé voilant de nouvelles mé thodes interactives : les visiteurs reçoivent dé sormais un bracelet individuel, grâ ce auquel chacun pourra é couter quatre histoires personnelles lors de la visite, dans sa langue, cette derniè re enregistré e automatiquement une fois le bracelet reçu. Le visiteur se sent ainsi unique dans la multitude. Sur leur site internet, le musé e pré sente sa mission en ces mots : « Comme l’essence de la guerre ne change pas au -il du temps, le musé e considè re la pré sentation de cette histoire de la guerre comme un message de paix universel et contemporain et donc, comme une mission sociale importante. »

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Ce message trouve un é cho dans le Musé e de l’Insurrection de Varsovie, mê me si le « message de paix universelle » n’est là pas vraiment mis en avant. Il reste que tout est placé sous le signe d’une expé rience intensi-ié e par les derniers dispositifs multimé dias, d’une immersion dans la vie au front d’un cô té , de l’autre dans la vie durant l’insurrection. Que conclure de tout cela ? En Pologne, la maniè re d’appré hender la mé moire du XXe siè cle est sensiblement diffé rente qu’en Belgique. Certes, notre pays a subi l’occupation de la Deuxiè me Guerre mondiale, mais en dehors des actions « normales » de ré sistance telles que le sabotage ou les renseignements, le dé roulement de la guerre fut sensiblement plus calme qu’en Pologne qui s’est d’abord vu partagé e entre l’Allemagne et la Russie, puis a eu affaire avec des actions de grandes ampleurs telles que l’insurrection du ghetto de Varsovie (1943) puis celle de la ville (1944). Par la suite, l’histoire de la Belgique reste assez calme, alors que la Pologne subit le ré gime communiste, voit le dé veloppement du syndicat Solidarnoś ć (Solidarité ), le premier du bloc de l’Est, avec ses grè ves et ses ré pressions par le gouvernement, et en-in voit la chute de ce mê me ré gime communiste… Tout cela forme une histoire et un passé torturé s, mis justement en scè ne depuis une vingtaine d’anné es, et s’ancrant indubitablement dans la nouvelle musé ologie d’idé e.

AR propos des musé es polonais en euxmê mes, il faut rappeler que les procé dé s de mise en scè ne de la mé moire dé pendent avant tout de la volonté des concepteurs. Ces derniers organisent leurs espaces selon des objectifs pré cis qui divergent selon les musé es mais, presque toujours, c’est notre empathie qui est visé e. Les buts ? Que nous soyons solidaires des insurgé s de l’insurrection de Varsovie, choqué s par les ré pressions subies par Solidarnoś ć, peiné s par le trauma des é preuves des é migrants polonais ou encore surpris par la riche histoire des Juifs de Pologne, qui est loin de se limiter aux souffrances des camps nazis. AR la -in de la visite du Polin, le directeur Dariusz Stola dé clarait que « parfois, c’est l’impression qu’on laisse qui est importante ». Que l’histoire raconté e soit proche ou lointaine, en Pologne ou ailleurs, le but premier des musé ographies et autres scé nographies est de la faire « vivre » comme si nous y é tions : la faire ressentir au visiteur tout en l’instruisant.



Réflexions sur la scénographie dans les lieux de culture : quel impact sur le visiteur et quel rapport avec l’initiative des responsables ? Étude et comparaison de quatre visites à Varsovie et à Gdańsk

Marie TIELEMANS & Marion VAN BOECKEL

A

u cours de notre voyage en Pologne nous avons eu l’occasion de visiter un grand nombre de musé es. Tous pré sentent des types de scé nographies ainsi que des modes de visite varié s, parfois complè tement opposé s. Il semblerait donc dif-icile, à premiè re vue, de trouver un dé nominateur commun aux expositions que nous avons eu la chance de dé couvrir. Cependant, il est une chose qui nous a systé matiquement frappé s : c’est l’ampleur considé rable des moyens mis à disposition, l’é nergie colossale dé ployé e dans la scé nographie par les concepteurs des expositions dans le but d’inté resser le spectateur mais aussi d’orienter la narration vers un discours pré cis. Parmi tous ces moyens, il y a l’utilisation, non seulement de dispositifs d’exposition classiques (objets authentiques ou pas, textes, commentaires historiques sur ces té moignages, etc.) mais aussi de procé dé s qui font la part belle aux nouvelles technologies (touchscreens, -ilms jouant en permanence, bruitages). Indé niablement les cré ateurs de ces expositions ont souhaité solliciter chacun de nos sens, conformé ment aux nouvelles avancé es en matiè re de musé ologie dé crites ici par Daniè le Miguet : « Il semble bien que, pendant longtemps, un seul de nos cinq sens ait trouvé le droit de cité dans les musé es : la vue. [...] Apparaı̂t alors la volonté de faire surgir dans l’exposition


un mode de communication qui n’aurait pas recours au texte é crit, la volonté de provoquer une ré action d’ordre é motif et sensoriel chez le visiteur. » (Miguet, 1998 : 177-178) En sollicitant nos sens et nos é motions, c’est aussi à notre subconscient, et à notre imaginaire que sont envoyé es en permanence des images : « Recré é s, dé formé s, hypertrophié s, suggé ré s, nombreux sont les vecteurs de contextualisation destiné s à cré er une é motion qui marquera la mé moire du visiteur comme autant de sensations fugitives et universelles. Toucher la conscience par le biais de l’inconscience, voilà l’ambition ré elle du scé nographe. » (Grzech, 2004 : 8) Les musé es que nous avons vus ne font en gé né ral pas mystè re de dé fendre un message, une vision, un devoir de mé moire, dont nous ne cherchons pas à juger la pertinence au travers de ce travail. La question que nous souhaitons poser ici, c’est celle des moyens scé nographiques mis en œuvre pour que ce message nous « imprè gne », parce que comme le fait justement remarquer Kinga Grzech : « La scé nographie d’exposition est (aujourd’hui) une forme de mé diation spatiale, un moyen de divulgation d’un propos, d’un concept, d’une é motion, à l’interface entre l’é metteur-objet et le ré cepteur-public. » (Grzech, 2004 : 8) A-in d’identi-ier ce message, nous procé derons par é tapes. Dans un premier temps nous é voquerons tout ce qui tient aux objets, aux sources exposé es et raconté es, passerons en revue les diffé rents dispositifs que nous avons contemplé s. Ensuite nous nous attarderons sur les sensations et é motions

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que ceux-ci ont pu provoquer chez nous : tristesse, ré volte, sympathie mais aussi agacement ou é nervement lors de la prise de conscience de la pré sence parfois é crasante de ces dispositifs. En-in, nous nous demanderons si ces sentiments, ces images provoqué es via tous ces moyens scé nographiques ne seraient pas symptomatiques de la mission que se donnent ces lieux de visites, c’est-à -dire de nous faire parvenir un discours pré é tabli et orienté . Il nous faut dresser les limites de ce travail. En effet, notre dé marche est iné vitablement empreinte de subjectivité : nous sommes conditionné es pas notre connaissance fragmentaire de la culture polonaise et é galement par notre formation et nos convictions. Ces derniè res nous poussent à penser que la vocation essentielle d’un musé e est de faire naı̂tre un questionnement et d’instruire. C’est donc avec ce point de vue que nous examinerons les quatre lieux de visites suivants

:

le

Centre

Européen

Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS) de Gdań sk, le Musée de l’Histoire des Juifs de Pologne (Muzeum Historii Żydów Polskich, MHZH P ou Polin), la

prison de Mokotów et le Musée du Néon , tous trois à Varsovie. Cette sé lection, parmi les nombreuses visites que nous avons effectué es, ré sulte des choix scé nographiques trè s diffé rents adopté s par ces musé es.


D

è s le premier contact visuel avec le bâ timent de l’ECS, le visiteur est interpellé . Le bâ timent fait forte impression par sa grandeur et par son aspect brut et rude dû à l’importante pré sence de mé tal rouillé . De plus, nous sommes accueillis par trois é normes ancres de bateaux, faisant ré fé rence aux chantiers navals, berceau du syndicat Solidarnoś ć (Solidarité ), posé s sur des croix à la hauteur impressionnante. L’exposition d’objets a priori anodins, utilitaires, é levé s en piè ces de musé e constitue quasiment l’ensemble du contenu de l’ECS. Il n’y a pas de sé paration ré elle entre des piè ces mais plutô t une division en é tapes chronologiques de l’histoire du mouvement, de sa cré ation à son succè s, à sa victoire. L’exposition d’objets personnels dé bute dè s la premiè re salle : les casques des ouvriers, leurs boı̂tes à tartines, leurs casiers, une camionnette, des livres, des meubles, etc. La guide insiste dè s le dé but sur le fait que tous ces é lé ments ont appartenu aux membres du syndicat et qu’ils ont é té lé gué s à l’ECS par

Le Centre Européen Solidarité

les ouvriers eux-mê mes ou par leur famille. Certains objets ont particuliè rement retenu notre attention. Une veste troué e de balles est mise en valeur par plusieurs moyens : elle est d’une part le seul objet exposé dans un pé rimè tre assez large et est, d’autre part, mise en vitrine, posé e sur un cintre et é clairé e directement. Par ailleurs, des vidé os attestent qu’elle a appartenu à un jeune membre d’une ré volte de 1970. Une fourgonnette militaire est pré senté e dans une piè ce quasiment entiè rement dé dié e à elle et, plus symboliquement à la ré pression physique de la ré volte. En effet, on y trouve des boucliers militaires, une grille de toute é vidence emboutie ainsi qu’une cage, symbolisant la dé tention. La fourgonnette est accessible au public et permet de s’imaginer l’expé rience vé cue par un opposant arrê té . Un -ilm est diffusé à l’inté rieur du vé hicule et nous plonge dans la violence de la ré pression.

29 ECS : Les casiers des ouvriers des chantiers navals


Le portrait, et les images de foules en gé né ral, font é galement partie des é lé ments scé nographiques ré currents de l’ECS. Les -igures importantes du mouvement ne sont pas particuliè rement mises en valeur : la dimension potentiellement hé roı̈que de certaines -igures clé s est donc peu exploité e. Des murs recouverts de portraits en sé rie et les larges plans de foules mettent l’accent sur la collectivité : l’image des militants lambda est, elle, omnipré sente.

30 ECS : Militants décédés


Dè s le dé but de l’exposition, le dé ploiement de technologies diffé rentes frappe le visiteur. Celles sonores et lumineuses nous assaillent : dans la premiè re salle, en plus des multiples -ilms qui tournent en boucle et ne nous attendent pas pour commencer, des é clairs, des grincements de chantiers et des hurlements de foule se dé clenchent à intervalles ré guliers. En ce qui concerne les autres types de technologies : les é crans sont pré sents à foison. Outre les té moignages et les extraits d’images d’é poque qui sont projeté s en permanence et qui constituent des é lé ments musé aux traditionnels, le visiteur peut aussi contempler de vé ritables -ilms documentaires monté s et arrangé s, par et pour l’ECS. Il y a é galement des dispositifs sur é crans tactiles qui impliquent le visiteur et lui donnent l’impression de pouvoir choisir le document à consulter. AR cô té des images, des photographies, des -ilms, etc. quelle est la place de l’information é crite ? Elle est trè s pré sente dans certaines salles, mais elle semble se subordonner au premier niveau de lecture de l’exposition incarné par le maté riel. Premier niveau qui est presque obsé dant par les effets qu’il a sur nous. De l’ensemble de ces é lé ments maté riels et de notre expé rience ressortent plusieurs sentiments et sensations. Tout d’abord, nous sommes submergé s par la quantité d’objets, de choses à voir et à consulter : il semble impossible de tout lire en dé tail et l’immensité du lieu renforce ce sentiment. Ensuite, l’aspect personnel des objets du quotidien, a priori anodins, engendre un sentiment de proximité et d’identi-ication du visiteur vis-à -vis des membres de Solidarnoś ć, à l’image de la veste susmentionné e. Ce sentiment est renforcé par la dimension collective que cré e l’ECS par les portraits et les images de foule, dont les consé quences sont explicité es par Paul

Williams : « Bien que les musé es mé moriels tentent typiquement de mettre un “visage humain” sur la tragé die, le ré sultat -inal peut ê tre une dé personalisation, dans la mesure où la personne ou les gens dé peints sont souvent perçus comme à peine plus que des victimes sacri-icielles repré sentatives de la narration historique. » (Williams, 2007 : 73) En effet, malgré l’identi-ication par nom et pré nom des portraits et photographies, les individus restent perdus dans la masse. Cela cré e, comme le dit l’auteur, une dé personnalisation, mais qui pour nous engendre un sentiment de proximité avec ces anonymes, qui nous ressemblent. Le sentiment d’identi-ication est é galement renforcé par la dimension implicative de plusieurs dispositifs en dur tels que la fourgonnette mentionné e ci-dessus, ou le mur « Solidarnoś ć » (é quivalent à un livre d’or) à propos duquel il nous faut faire un commentaire. La pose d’un petit papier sur cet é norme mur à l’ef-igie du nom du mouvement gé nè re un sentiment de participation mais surtout d’adhé sion du visiteur puisque chacun est invité à ajouter son mot, construisant ainsi une œuvre collective. De plus, on notera l’ambiance de recueillement cré é e dans cette piè ce, notamment caracté risé e par le calme, le silence, comme l’atteste Cé line Corbel : « Le silence, matiè re riche car polysé mique, peut aussi ê tre utilisé comme un outil de musé ographie : il peut avoir valeur de recueillement, conduire à ê tre submergé par une œuvre [...]. » (Corbel, 2003 : 74) L’implication du visiteur est donc à la fois mentale et physique. Le sentiment gé né ral que gé nè re la scé nographie de l’ECS est l’inclusion, l’adhé rence et l’euphorie de la victoire collective.

31


Sur la base de nos sensations et impressions, il nous a semblé que l’ECS est davantage l’aboutissement d’un enseignement et d’une culture, plutô t qu’un lieu de dé couverte totale pour un touriste inculte. Il tente de susciter notre admiration et approbation envers ce qu’il expose, à savoir le mouvement, plus que de nous instruire. La lutte, l’oppression, la victoire sont davantage mis en avant que la remise en question de ce que signi-ie et implique l’achè vement du ré gime communiste en Pologne. L’ECS propose ainsi à ses visiteurs une vision microscopique et trè s é motionnelle, sans prise de recul. EQ videmment, la pré sentation de tels é vè nements si ré cents et si signi-icatifs dans l’histoire de Pologne n’est pas aisé e et l’on comprend dè s lors le besoin de ce lieu dé dié à la mé moire. Cette dimension mé morielle du lieu se traduit dans la scé nographie par le traitement de l’objet et de l’information é crite relatant le contexte, dans lequel la deuxiè me se subordonne au premier. Mais aussi, et surtout, elle s’illustre dans la politique de sé lection des objets exposé s. Ces derniers sont authenti-ié s soit par le discours de la guide, soit par un complé ment d’explication. Cette authenti-ication repose sur le fait que les objets ont servi directement aux protagonistes de la ré volte, et à l’image de cette veste troué e de balles, les objets sont alors é levé s presque au rang de reliques.

32 ECS : Le Mur Solidarność - Livre d'or


S

Le Musée de l’Histoire des Juifs de Pologne

i l’ECS et le Polin ont une chose en commun, c’est qu’ils se situent tous les deux dans des bâ timents remarquables. AR la diffé rence du Musé e du Né on, à cô té duquel on pourrait passer sans le remarquer, le Polin s’é lè ve en un bloc gigantesque, faisant face à un monument tout aussi imposant. Le bâ timent est fait d’un bloc tout simple, gris, contrastant avec l’aspect brut, rouillé , et les environs des chantiers navals. Nous entrons ici à l’inté rieur d’une construction qui se ré vè le tout en courbes, en couleurs pâ les, lumineuses et apaisantes et où la recherche du calme et de l’harmonie est perceptible dans l’architecture.

Toujours sur le plan maté riel, il est visible que les deux musé es ont é galement adopté des types et des sens de visite bien distincts. L’ECS donne d’abord une impression de centre communautaire, avec des bureaux, une bibliothè que, de multiples activité s possibles. Il faut s’informer pour savoir à quel é tage commence l’exposition. Une fois que l’on se trouve dedans, on a une grande liberté de mouvement. Bien qu’il y ait un sens, il est possible de passer une piè ce, de revenir sur ses pas pour aller ailleurs. Rien de tout cela au Polin. Si d’autres activité s ont lieu dans le musé e, c’est bien la visite qui s’offre en ligne droite au spectateur via une immense passerelle, les seuls arrê ts possibles é tant le vestiaire ou le restaurant casher. Cette rectitude se maintient pendant la visite puisque les piè ces s’enchaı̂nent les unes aprè s les autres, dé veloppant leur contenu chrono-logiquement. La premiè re de ces salles, et pour nous la plus marquante, raconte la pé riode mé dié vale de l’histoire juive en Pologne. D’emblé e, dif-icile de ne pas se laisser sé duire en tant qu’historien par la mise en valeur des textes. Des extraits de sources d’é poque sont en

effet af-iché s, traduits et magni-iquement illustré s, sans toutefois qu’ils soient submergeants. En dehors de cela, on est surtout impressionné par la capacité des organisateurs à avoir cré é un dé but d’exposition sur la base de presque rien. En effet, l’histoire juive polonaise se caracté rise par la rareté des é lé ments maté riels qui ont subsisté , du fait des persé cutions massives subies par la population et des dommages naturels in-ligé s par le temps. Ainsi, les uniques objet-té moignages de cette é poque sont des piè ces de monnaie, mais il s’agit d’une situation plus ou moins ré currente pour toute la visite : on se sert en grande partie de la technologie pour pallier ce manque. Les é crans et touchscreens sont omnipré sents ; ils ne diffusent que rarement des -ilms. Ils pré sentent plutô t des photographies ou des illustrations pour les pé riodes plus anciennes, et bien sû r ils nous donnent accè s à des documents. Les dé cors mobilisé s, les maquettes, la reconstitution d’une rue entiè re ou d’une ancienne synagogue en bois sont é galement exceptionnels par leur taille et leur ampleur. On constate é galement la pré sence d’effets sonores, en plus de la voix de la guide directement dans nos oreilles, via un systè me de casques-audio relié s à son micro. Presque tout est fait au sein de la scé nographie pour nous insé rer dans ce dé cor, comme si nous nous trouvions dans un « thé â tre », parfois spectateur, parfois acteur. Cette recherche d’implication du visiteur est explicité e par Barbara Kirshenblatt-Gimblett, la directrice de l’exposition principale, dans une vidé o de pré sentation du Polin (http://youtu.be/tLeFIEg4z7U).

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Ici, l’accent n’est pas mis tant sur l’authenticité des objets, ou leurs implications directes dans des é vé nements comme à l’ECS, que sur la reconstitution d’une ambiance d’une civilisation, aussi bien maté riellement que culturellement. Le sentiment que nous é prouvons en priorité c’est que plutô t que d’ê tre arrosé s de faits, de visages, de vé rité s, de donné es, nous sommes doucement plongé s dans l’ambiance gé né rale de diffé rentes é poques. Le Polin, contrairement à bien d’autres musé es, refuse de donner plus de place à l’Holocauste qu’à n’importe quelle autre pé riode de l’histoire juive. Il y a donc un refus clair et net d’accabler le spectateur de tristesse ou d’horreur, de susciter la ré volte ou la pitié en permanence. La martyrologie n’a pas sa place ici. Par contre, l’esthé tique extrê mement travaillé e, la beauté de chacune de ces salles et le tact avec lequel les passages les plus durs sont pré senté s nous amè nent à un é merveillement progressif devant la richesse des histoires et des vies quotidiennes qui nous sont dé crites. On é merge de l’exposition avec un sentiment solidaire, mais aussi profondé ment impressionné et admiratif de tant d’abondance de la culture juive.

34 Polin : Maquette du quartier juif de Varsovie (salle médiévale)


Bien que la visite soit plus dirigé e qu’à l’ECS, on a la sensation que cette exposition tend moins à nous imposer un message, si ce n’est nous faire apparaı̂tre la richesse et la diversité d’une culture, ainsi que son enracinement dans cette terre polonaise. On se sent clairement plus dans une dé marche de dé couverte que d’implantation dé -initive d’une vision. Pour autant, il ne faudrait pas penser qu’on se trouve dans un musé e qui a fait le choix d’é carter les aspects commé moratifs et mé moriels de son enseignement. Ces aspects sont bien pré sents, ils sont juste instillé s avec beaucoup plus de subtilité qu’ailleurs et dans des é lé ments qui n’entrent pas toujours directement dans l’exposition. Le couloir d’entré e monumental, repré sentant l’é pisode de la Genè se dans lequel Moı̈se ouvrit les -lots et que chaque visiteur doit emprunter, comme l’avait fait le peuple é lu avant lui, donne directement une dimension spirituelle au bâ timent. La toute premiè re salle de l’exposition, faisant allusion à la maniè re dont une population juive se serait pour la premiè re fois installé e en Pologne, repré senté e par une forê t d’arbres virtuels, nous pré sente un mythe qui explique le nom du musé e. « Polin », en hé breu, signi-ie « Pologne », mais possè de é galement le sens de « tu te reposeras ici ». Il prend clairement une porté e symbolique. La Pologne est é galement une terre juive. Cette volonté d’impliquer le spectateur sur tous les plans, et de le plonger dans cette dimension mé morielle est aussi et surtout con-irmé e par l’importance primordiale accordé e au monument consacré aux hé ros du ghetto. De l’aveu du directeur lui-mê me, l’architecture é puré e du musé e a é té choisie par modestie vis-à -vis du monument. Il ne fallait rien de trop voyant venant é clipser celui-ci. Le musé e vient donc s’y ajouter dans une optique de complé mentarité . En somme, la dé marche est tout autant d’instruire le visiteur que de lui faire prendre conscience de la profondeur é motionnelle et de l’enracinement de l’histoire juive à cet endroit.

Polin : Reconstitution d’une rue du quartier juif de Varsovie au début du XXe siècle

35 Le Polin face au monument aux Héros du ghetto © www.shabbat-goy.com


L

a prison de Mokotó w, qui dé pend de l’Institut

La prison de Mokotów

de la

Mémoire nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN) est notre troisiè me cas d’é tude. Ce lieu de visite possè de une scé nographie tout à fait singuliè re, qui tient notamment au lieu et à son utilisation. En effet, nous avons visité la prison de Mokotó w comme un té moignage du passé , la prison ayant é té en fonction durant l’é poque communiste. Or, ce lieu, dont certaines parties ont é té laissé es en l’é tat dans une optique mé morielle, est toujours utilisé et est mê me actuellement un lieu de ré tention de haute sé curité . Nous visitons un lieu pré senté comme un vestige du passé , dans lequel rien n’a changé ni la fonction ni la con-iguration. Nous avons ainsi parcouru les couloirs, sommes entré s dans les cellules, et avons connu le lieu de « promenade », tous resté s à l’identique. C’est donc le paroxysme de l’immersion pour le visiteur. Cependant la confusion qu’il ressent est grande. En effet, le guide et la visite font totalement -i de l’existence actuelle de la prison. Nous avons croisé des dé tenus, sommes entré s dans leur cellule, avons vu leurs objets personnels, mais rien de tout cela n’est ni expliqué , ni mê me mentionné ou abordé . Il n’y a eu aucune forme d’interaction ni avec les dé tenus ni avec les gardes. Le lieu de promenade dans lequel nous nous sommes attardé s est é galement le leur. Nous avons eu l’impression d’effectuer une visite virtuelle ou d’explorer un aquarium dans lequel les choses continuent à é voluer, que les visiteurs soient pré sents ou non.

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De par cette utilisation actuelle de la prison, il n’y a pas de vestige, à proprement parler, des é poques anté rieures, hormis la con-iguration du lieu, à savoir ses murs. Nous n’avons vu ni photos, ni textes historiques ou quelque objet de cette é poque. Qu’est-ce qui nous fait voyager dans le temps ? Le guide. C’est lui, avec ses ré cits, qui nous plonge dans des lashbacks, faisant grandement appel à notre imagination. L’espace est là , mais toute la vie qui s’y dé roulait, il nous faut nous l’inventer. Les ré cits du guide sont donc primordiaux pour la visite. Ils se composent de dé tails et de descriptions assez sordides qui suscitent chez le visiteur l’horreur, l’indignation, la compassion. Le guide insiste sur les tortures, les conditions de dé tention plus qu’effroyables. Dans cette dimension exclusivement é motionnelle, l’aspect instructif et historique est complè tement dé laissé . Nous ne savons pas qui sont ces hommes qui furent arrê té s ni quelles é taient les raisons pré texté es de leur arrestation. On n’apprend pas plus sur les auteurs de ces arrestations, mis à part qu’ils sont polonais certes, mais des « traı̂tres de polonais », comme le dit le guide. La confusion des visiteurs peut donc aussi dé couler de ces ré cits. En effet, sans le vouloir sans doute, ils ré vè lent un paradoxe pour le moins troublant : le lieu é tant resté à l’identique, les conditions de dé tentions dé crites avec tant d’horreur n’ont -inalement que partiellement changé . Cette visite a indé niablement un objectif primordial : celui de toucher voire de choquer le visiteur. La scé nographie tout entiè re, à savoir un guide charismatique et la mise à pro-it de notre imagination, sert cette -in. L’aspect mé moriel de cette visite est


incontestable, il en est mê me l’axe unique, et cet aspect ne laisse aucune place à l’instruction ou à une quelconque information qui ne relè ve pas de l’é motionnel. AR ce titre, la prison de Mokotó w est un lieu de mé moire et plus encore d’une mé moire orienté e sur le ressentiment vis-à -vis du ré gime communiste. Mais parmi ce ressentiment gé né ral soigneusement cultivé , on perçoit cependant des tabous, notamment la nationalité polonaise des persé cuteurs.

L

’architecture du Musé e du Né on est resté e -idè le à ce que l’on imagine d’une ancienne usine reconvertie, murs de briques, architecture simple, discrè te et fonctionnelle. La scé nographie de l’exposition permanente y est a priori trè s sommaire. En effet, les né ons sont posé s à mê me le sol ou accroché s à des murs qui n’atteignent pas le plafond et qui forment des allé es. La luminosité est trè s faible, nous sommes presque plongé s dans le noir. Ainsi, seuls les né ons, avec leurs multiples couleurs, nous é clairent. Il n’y a pas non plus de sens de visite à respecter : le visiteur peut donc voguer à sa guise dans l’univers des né ons. Nous pouvons tout de mê me observer une

Le Musée du Néon

sé paration dans le lieu d’exposition : des panneaux explicatifs sur l’origine des né ons et l’é poque à laquelle ils appartiennent sont exposé s sur les premiers murs. L’information peut donc ê tre lue avant ou aprè s la dé ambulation parmi les né ons, voire ignoré e : informations et objets ne cohabitent donc pas. En effet, tout est mis en place pour valoriser l’objet et pour attirer vers lui notre attention. Cette volonté s’illustre é galement par l’absence de son puisque la seule chose que l’on entend est le gré sillement des né ons allumé s.

37 Musée du Néon : une des allées du Musée


Nous sommes plongé s dans l’univers des né ons, univers lumineux et apaisant car, sans aucune contrainte, ni thé matique, ni chronologique, nous dé ambulons. La scé nographie sert l’objet : a priori trè s sommaire, elle est -inalement ré -lé chie. L’absence de lumiè re et de son focalise notre attention sur les luminaires, ce qui s’avè re en totale adé quation avec la volonté des responsables, à savoir traiter les né ons comme des objets d’art. Nous sommes libres d’interpré ter et d’investir les né ons comme il nous convient.

AR la lumiè re de ces é lé ments, les né ons nous sont donc inaccessibles dans leur dimension historique : ils sont tiré s de leur contexte et nous apparaissent presque comme intemporels. Cette visite ne repré sente donc que peu d’inté rê t lorsque nous sommes en quê te de culture historique. En revanche, elle revê t un inté rê t à propos du rapport polonais au passé communiste. En effet, il est impossible de nier que ces luminaires incarnent cette pé riode de l’histoire de ce pays. Mais par ce rapport à l’objet, comme objet d’art donc, le Musé e du Né on nous propose d’approcher autrement l’é poque communiste, par le biais des objets urbains du quotidien, sans dimension ni politique ni violente. Cela nous rappelle la vie de tous les jours sous cette pé riode.

38 Musée du Néon : Focus


Pouvons-nous comprendre cela comme une fonction mé morielle et envisager le Musé e du Né on comme un lieu de souvenir, comme peut l’ê tre aussi le Musé e de la Vie sous le communisme (Czar PRL – Muzeum życia minionej epoki, ou Adventure Warsaw) situé juste en face ? Les personnes ayant connu l’é poque où les né ons é taient en grâ ce, peuvent y trouver cette dimension du souvenir. La guide nous a d’ailleurs fait part des é lans nostalgiques de certains visiteurs en voyant ces objets et se souvenant de les avoir vus dans telle rue ou sur telle façade. Ainsi, la dimension potentiellement mé morielle relè ve a priori uniquement du public car, face au silence de la guide à ce propos, nous ne savons pas si les responsables du Musé e du Né on ont voulu, consciemment ou non, nier le

contexte et dè s lors la signi-ication potentiellement polé mique de ces objets. Nous pouvons ainsi conclure qu’ils laissent le choix au public entre une visite de souvenirs ou une visite d’objets d’art. Le Musé e du Né on est en quelque sorte un contre-exemple de l’usage de la mé moire par rapport aux trois visites pré cé dentes. Cependant, de notre point de vue, lui non plus ne trouve pas le subtil é quilibre entre l’instruction et l’aspect é motionnel que revê tent les sujets que ces lieux abordent, puisqu’il refuse d’aborder l’aspect controversé et politique des né ons.

Conclusion

C

e que nous ré vè lent ces quatre visites à propos de la scé nographie, c’est la con-irmation de son rô le clé dans la transmission d’un message é tabli par les concepteurs par le biais des é motions suscité es chez le visiteur. Il apparaı̂t que ces lieux de visites dé ploient une scé nographie avec une ampleur et une é nergie considé rables : si elle est centrale dans la majorité des musé es, nous sentons qu’elle fait ici l’objet d’une attention toute particuliè re. Rien ne semble ê tre laissé au hasard. Cette constatation dé jà faite au pré alable, mise en rapport avec les objectifs des musé es, ré vè le qu’il y a une corré lation é vidente entre une scé nographie dé veloppé e et une volonté forte de faire passer un message. L’intensité et l’intention du message varient d’une visite à l’autre : certaines d’entre elles mettent davantage de moyens et de subjectivité que d’autres à nous convaincre. L’ECS adopte une scé nographie qui vise à impliquer le visiteur et à faire naı̂tre chez lui un sentiment d’adhé sion et d’admiration vis-à -vis du mouvement. En ce qui concerne le Polin, une volonté similaire est adopté e par rapport à la « civilisation » juive polonaise mais il faut souligner que l’aspect instructif est ici plus pré sent et que les é lé ments commé moratifs ne constituent pas l’essentiel du musé e. La prison de Mokotó w fait appel à une scé nographie basé e uniquement sur nos

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é motions gé né ré es par le guide et sur, -inalement trè s peu d’é lé ments maté riels, ré vé lant une fonction exclusivement mé morielle et persuasive. Le Musé e du Né on utilise une scé nographie qui, aprè s ré -lexion, se ré vè le assez travaillé e pour mettre les luminaires en valeur comme des objets d’art. Et l’on peut constater que ce choix scé nographique des responsables met en lumiè re leur volonté de ne pas introduire la dimension historique des né ons. Au regard de ce que nous avons constaté ici, nous pouvons en tirer une observation concernant la place de l’objet dans ces expositions. Finalement, à l’exception du Musé e du Né on, les é lé ments maté riels, c’est-à -dire les sources historiques proprement dites, emblé matiques té moignages du passé , n’occupent qu’une place secondaire par rapport à l’ensemble des dispositifs commé moratifs mis en place. Nous observons un enjeu commun à tous ces lieux : celui de composer avec la mé moire, dé coulant d’un passé compliqué et ré cent. Dè s lors nous comprenons qu’il soit extrê mement dif-icile pour ces musé es de tendre à une scé nographie qui ne ré vè le pas des choix subjectifs. Nous concé dons par ailleurs que notre analyse personnelle est elle-mê me empreinte de nos pré conceptions de ce que doit ê tre une institution culturelle (Crane, 2000 : 12-13). Cependant, à la lumiè re de ces analyses, nous considé rons que la scé nographie peut servir à cré er et à incarner le devoir de mé moire, mais cette fonction-là de la mise en scè ne ne peut pas, à notre sens, se dé partir d’une mission instructive. Celle-ci doit-ê tre aussi importante et doit se baser sur des é lé ments maté riels divers qui laissent place au jugement du visiteur. Cette derniè re considé ration nous pose donc la question de la place de l’esprit critique dans les lieux de culture et de sa possibilité d’exister laissé e par les autorité s qui les dirigent.


La didactique dans les musées polonais : une sortie scolaire pour élèves et enseignants

Mauranne DETREQ

L

es musé es sont, encore aujourd’hui, souvent vus par les jeunes comme des lieux de « sé gré gation sociale » (Fé dé ration Wallonie-Bruxelles, Aller au musée avec les élèves) : des endroits faits pour les personnes â ges et/ou les « riches ». Il est donc important que les parents et les enseignants emmè nent les enfants dans ces lieux dè s leur plus jeune â ge. Premiè rement, familiariser les jeunes aux musé es ou plus gé né ralement aux lieux de mé moire permet de faire tomber les pré jugé s tenus envers eux. Deuxiè mement, « plus l'enfant est jeune, plus son attitude est naturelle et plus il exprime de maniè re spontané e sa curiosité et ses goû ts ; c'est pourquoi, il faut initier les é lè ves le plus tô t possible à ce type de dé marches » (Fé dé ration Wallonie-Bruxelles, Aller au musée avec les élèves). Il est é vident que pour pouvoir é duquer les jeunes aux musé es, il faudrait tout d’abord que ceux-ci ne s’adressent pas uniquement aux adultes. Pourtant, peu de musé es belges s’adressent à un public hé té rogè ne – composé s d’enfants et d’adultes – seules quelques expositions temporaires sont adapté es à l’accueillir. Nous avons é té agré ablement surprise, lors de nos visites dans les musé es polonais tels que le

Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS) de Gdań sk, le Musée de l’Émigration (Muzeum Emigracji) de Gdynia, le Musée de l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego) et le Musée de l’Histoire des Juifs de Pologne (Muzeum Historii Żydów Polski, MHZH P ou Polin) de Varsovie. Les musé es polonais ont trè s souvent é té pensé s en collaboration avec des enseignants et pé dagogues. De plus, l’ECS et le Musé e de l’EQ migration proposent dé jà des ateliers aux é coles maternelles


(respectivement le dé partement Jeu et le programme Off to the Museum with a Schoolbag) alors que le Polin offre un programme spé cialisé dé dié aux é lè ves des é coles de l’hô pital de Varsovie (Education at hospital schools). En tant que future historienne et future enseignante, nous avons trouvé que les musé es polonais s’adressaient tant aux visiteurs les plus jeunes qu’aux visiteurs plus â gé s, et autant à un public spé cialiste qu’à un public profane. Le Musé e de l’Insurrection de Varsovie propose mê me aux visiteurs de regarder comment on imprimait des tracts en 1944, lors de l’insurrection de Varsovie. En effet, un employé du musé e passe sa journé e à « gaufrer » des feuilles qu’il distribue aux gens.

Prenons un autre exemple d’une situation que nous avons vé cue au Musé e de l’EQ migration lors de notre visite. L’exposition permanente a pour but de faire revivre l’histoire de l’é migration polonaise du XIXe siè cle à nos jours. Les Polonais partent à des moments diffé rents, vers diffé rents endroits dans le monde et pour des raisons diffé rentes. Les premiè res salles sont consacré es aux migrations dé butant avec la ré volution industrielle. Plusieurs futurs historiens se demandent pourquoi exposer une machine à vapeur dans le Musé e de l’EQ migration. En tant que future enseignante, nous comprenons mieux la dé marche des concepteurs du musé e. En effet, comment expliquer la Ré volution industrielle aux plus jeunes sans mentionner la machine à vapeur ? Comment expliquer au mieux ce qu’est une machine à vapeur et son fonctionnement au milieu d’un musé e, si ce n’est qu’en reproduisant un modè le ré duit ?

42 Musée de l'Insurrection de Varsovie : Impressions d’affiches


L’exposition traite aussi trè s clairement l’é volution des moyens de transports, ce qui va de pair avec l’é migration. Les visiteurs sont alors transporté s sur un quai de gare, dans une cabine de bateau en troisiè me classe ou encore dans la cabine d’un avion. La scé nographie est utilisé e de maniè re à rendre au mieux la ré alité vé cue par les é migré s polonais. Nous vous renvoyons au chapitre « La scé nographie dans les musé es polonais : la modernité au service des expositions » é crit par Maud Robert, pour plus amples informations.

Voir p. 15

Il faut donc cré er un musé e adapté à tous mais il faut surtout pré parer sa visite avec les responsables du musé e bien sû r mais aussi avec les é lè ves. Il faut noter que les sites internet des musé es que nous avons visité s sont extrê mement complets, tous possè dent un onglet « é ducation » trè s dé taillé . En effet, ces musé es possè dent des services é ducatifs et proposent des dossiers et animations pé dagogiques. Les visites proposé es par ces musé es ne sont pas que « ré cré atives » mais s’inscrivent dans un projet pé dagogique. Certaines des activité s proposé es par le Musé e de l’EQ migration ou le Polin sont compatibles avec le programme de base de certaines é coles polonaises (notamment les programmes Off to the Museum with a Schoolbag et Education at hospital schools cité s plus haut). De nombreux musé es proposent en plus des visites guidé es, des ateliers é ducatifs portant sur des techniques d’art, des jeux physiques, des exercices de simulations, des analyses de textes et de -ilms, etc. AR mon sens, il semblerait normal d’é viter les « visites-confé rences » et favoriser les visites dans les musé es qui proposent des « visites-dialogues », « des visites-animations » et « visites ludiques ». Le but é tant de ne pas refaire une leçon telle qu’elle serait donné e en classe au milieu d’un musé e, mais bien d’apprendre aux é lè ves à observer et à ré -lé chir, ce qui est bien diffé rent de recopier des é tiquettes. Les visites qui seront les plus

43 Musée de l'Insurrection de Varsovie : une machine à vapeur


enrichissantes pour les enfants seront celles qui stimuleront leur ré -lexion. Les visites « actives » du champ de bataille de la Westerplatte, « Znajdź klucz do historii » que l’on peut traduire en français par « Trouvez la clef de l’histoire » sont proposé es par le futur

Musée de la Deuxième Guerre mondiale (Muzeum II Wojny Światowej, MIIW). Les enfants sont plongé s dans un grand jeu é ducatif qui combine apprentissage et plaisir. Ils essayeront de ré soudre des é nigmes historiques et seront aidé s dans leur tâ che par des « animateurs-reconstitueurs ». Les musé es proposent des guides pour aider les enseignants dans leur visite du musé e mais aussi une é quipe de spé cialistes de l’é ducation comme c’est le cas pour le Musé e de l’EQ migration. La guide qui nous a reçue lors de notre visite au Polin s’exprimait en français. Cela prouve qu’il y a une demande de la part des francophones. Nous n’allons pas nous attarder sur la question et plutô t vous renvoyer à l’article « Suivez le guide » d’Alexandre Schuchewytsch. Notons juste que les lé gendes pré sentes, aussi bien sur les panneaux que sur les é crans tactiles, sont é crites en polonais et en anglais, voire parfois en allemand.

Voir p. 47

Nous avons é té é paté e en apercevant le dé partement Jeu de l’ECS. Cette salle ne faisait pas partie de notre visite pourtant il aurait é té trè s inté ressant pour nous, future historienne et enseignante, d’y avoir accè s. Celle-ci a une super-icie de 400 m², et a é té conçue pour les enfants de moins de dix ans. Elle permet d’expliquer aux plus petits la construction d’un navire, le chargement et dé chargement des bateaux, la manutention d’un port, etc. tout en s’amusant ! L’exposition permanente de l’ECS que nous avons visité e, met aussi en place de nombreux procé dé s didactiques tels que des projections de -ilms, des touchscreens, etc., ceux-ci nous ont parfois fait retomber en enfance.

44 Centre Européen Solidarité : des étudiants retombent en enfance


Certains musé es sont trè s complets, l'enseignant doit alors bien cibler ses objectifs, faire des choix et dé terminer des -ils conducteurs, autour desquels s'articulera la visite. En effet, en fonction de l’â ge du groupe scolaire, de la taille du groupe, il faudra adapter le circuit de la visite dans le musé e. Le Polin a é té conçu dans l’idé e de couper certaines salles a-in d’adapter au mieux le circuit au groupe accueilli. Nous noterons que le Musé e de l’Insurrection de Varsovie, quant à lui, n’a pas é té pensé de la mê me façon. En effet, les groupes se dirigent dans le musé e sans circuit dé -ini, il n’y a pas de -lè che indiquant le sens de la visite, de mê me que l’entré e et la sortie se font par la mê me porte ce qui peut nous sembler trè s perturbant. L’enseignant doit veiller à ne pas « saturer » les é lè ves en faisant de nombreuses visites le mê me jour, il doit aussi varier les activité s. L’enseignant doit continuer à exploiter les acquis obtenus lors de la visite, une fois celle-ci terminé e. L’exploitation peut prendre des formes diffé rentes en fonction de l’â ge des enfants, du lieu visité : dessins, peintures, comptes rendus, etc. Ces sorties doivent permettre aux professeurs et é lè ves de tisser des liens avec de nouvelles matiè res et ce dans chaque discipline, c’est-à -dire en histoire, gé ographie, mathé matique, etc. Pour conclure, les visites extra muros, de musé es, d'expositions, de lieux mé moire, etc. sont des complé ments didactiques essentiels à l'enseignement dispensé en classe. Ceux-ci ont l’avantage de stimuler l'observation et la curiosité , de dé velopper l'imagination, de favoriser le questionnement et l'expression, d’enrichir la sensibilité et le sens de l'esthé tique, etc. Les musé es polonais que nous avons visité s, et qui ont é té é di-ié s trè s ré cemment, mettent tout en œuvre pour atteindre cet objectif. Certains concepteurs ou conservateurs de musé es belges devraient s’inspirer de ces derniers. Toutefois, il faut ê tre conscient que les musé es polonais disposent de budgets gigantesques, ce qui n’est pas le cas des musé es belges. La didactique dans les musé es a pour objectif de transmettre aux enfants le goû t de ceux-ci grâ ce à la familiarisation de ce type de lieu. Le but des parents et des enseignants est que le jeune, une fois adulte, se rendre seul dans les musé es en possé dant les outils né cessaires à la dé couverte de ces lieux a-in de pouvoir faire des liens avec l’actualité .



Suivez le guide Alexandre SCHUCHEWYTSCH

A

lors que les visites guidé es é taient autrefois perçues comme un simple complé ment de la mise en exposition, les chercheurs d'aujourd'hui envisagent dé sormais le besoin d'une é tude approfondie de ce moyen de mé diation. Elle sert en effet à la mise en rapport des visiteurs avec une œuvre ou à l'explication de la mise en exposition. Dans un cadre plus gé né ral, les visites guidé es font partie de la large palette qui peut venir complé ter la visite du musé e : audioguides, dé pliants, dispositifs signalé tiques, documentation sé lective disponible devant l'objet pré senté , etc. Cette mé diation doit ê tre d'autant plus é tudié e que les visites gagnent en importance. Depuis les anné es 1970, le phé nomè ne é volue : massi-ication des visites dans les musé es, diversi-ications desdites visites (qui se font aussi dé sormais sur des sites patrimoniaux, en entreprise) et ouverture à un public plus large et plus diversi-ié . Mais l'é tude des visites guidé es dé passe le cadre limité d'une simple é tude abordant la musé ologie car elles touchent aussi l'anthropologie et la communication et brassent plusieurs thè mes : espace public, identité collective, mé moire, etc. On parle de « visite guidé e », mais ce terme comprend les facteurs humains, le guide et le groupe de visiteurs. Pour reprendre l'approche d'Isabelle Cousserand, qu'elle quali-ie de « semio-pragmatique », il faut allier deux composantes pour saisir la complexité des visites guidé es. Premiè rement, il faut comprendre leur sens de production, c'est-à -dire é tudier celles-ci en fonction de leur contexte et des pratiques. Deuxiè mement, il est né cessaire de construire des interpré tations à partir d'une observation empirique de ces pratiques (voire de la pratique elle-mê me). Concrè tement, l'analyse des visites guidé es peut ê tre dé coupé e en trois é tapes complé mentaires :


1/ l'é tude des acteurs, de la scè ne et des vis-à -vis de la mise en scè ne, les relations situations de communication lors de la visite publiques, la formation des guides (quels formations, compé tences, rô les attribué s ?). guidé e ; Au-delà de ce rô le de mé diation, il faut 2/ l'interpré tation du guide (c'est-à -dire les envisager une ré -lexion sur la construction questions de l'orientation argumentative du du ré cit lors de la visite. ré cit, de par sa structure propre et sa ré sonance qu'il donne aux autres ré cits et Car ce dernier se construit en mê me temps qu'il est produit par le guide. Posons-nous la discours pré sents dans le musé e) ; question de son sens et ses dimensions 3/ le guide comme passeur de sens, é nonciatives et discursives ; de son mé diateur culturel et l'enjeu de son statut interpré tation et de son appropriation par le (est-il un habitant, un té moin, un animateur, guide ; et en-in de son inté gration et des un expert ?). transmissions ré alisé es sur les visiteurs. En Tous ces facteurs vont avoir un rô le plus ou clair : comment le visiteur est-il engagé à moins grand et complé mentaire sur partager une vision de l'univers qu'on lui fait l'assimilation et le ressenti de la visite. dé couvrir ? Le discours du guide n'est pas Les visites guidé es sont alors un exercice de immobile, le visiteur et ses attentes sont mé diation qui vise à construire un point de prises en compte dans sa construction et vue pour le visiteur, centré sur lui ; cet donc dans ses effets. L'adaptation du exercice travaille à la fois le « placement » (sa discours, du dialogue et de son rô le permet prise en considé ration et l'adaptation du de se questionner sur le dé veloppement des guide pour le(s) visiteur(s)) et le identité s narratives qui mè nent au ré cit. dé placement de ce dernier. En consé quent, Davantage, si l'on veut analyser ce discours, il a-in de comprendre tous les enjeux d'une est né cessaire de prendre en compte à la fois visite, il faut s'attarder plus longtemps sur le les dimensions verbales et les dimensions rô le de transmission et de mé diation du non verbales (le rô le du corps, de guide. Comme l'analyse Isabelle Cousserand, l'intonation, de la « gestuelle d'infor« la visite guidé e, c'est toute la dif-iculté pour mation ») ; car celles-ci sont orienté es vers le mé diateur culturel de cré er un mode un partage et elles ont une incidence sur partagé autre que minimal, fusionnel et l'interpré tation du visiteur. Parlons aussi de consensuel, facilement accessible à un public ses performances verbales qui é veillent venu pour se distraire ou dé couvrir du l'inté rê t chez le « spectateur » (par sa mise merveilleux » (Cousserand, 2006 : 3), ou bien en ré cit et ses ré ponses aux attentes individuelles ou du groupe). Tout ceci entendu, venu s'instruire. permet de voir toute l'in-luence que peut Elles peuvent aussi ê tre perçues comme un avoir le guide sur l'expé rience et la visite du mode de mé diation culturelle spé ci-ique, en musé e. Mais les visites guidé es ont aussi une ayant une construction du ré cit comme une in-luence sur les autres modes de mé diation « forme privilé gié e du partage ». En effet, (-iches, panneaux, projections, guides plusieurs enjeux sont pré sents dans multimé dias, autoguides, bornes interactives, l'organisation de ces visites : leurs objectifs etc.) et donc sur les straté gies ou choix assigné s, les spé ci-icité s et les contraintes d'é coute des visiteurs. Sophie Deshayes nous dit qu'il faut percevoir le musé e comme un vé ritable mé dia interactif dans lequel le 48 visiteur parcourt le musé e comme il


feuilletterait un magazine : il dé sire aller à son rythme, voir ce qui l'inté resse, é ventuellement zapper certains passages ou au contraire s'attarder plus longuement sur tel ou tel dispositif. D'où la liberté que permet un audioguide « -lexible » (qui ne suit pas forcé ment un trajet pré dé -ini) ou d'un guide humain « -lexible » (qui suivrait les desiderata d'un groupe ou é quipé d'un micro pour que le groupe puisse l'é couter ou non). Cette -lexibilité est importante car le visiteur va porter un inté rê t variable selon son groupe et sa dynamique propre, son niveau d'é tude, son statut social, sa patience, son envie, l'heure du dé jeuner, etc. D'aprè s une é tude ré alisé e en France, les visiteurs privilé gient en effet trè s majoritairement ce qu'on peut quali-ier « d'é coute -lottante » (Deshayes, 2002 : 27-29). C'est-à dire qu'ils affectionnent davantage les dispositifs non contraignants qui peuvent ê tre vus comme des partenaires, des interlocuteurs pendant la visite (l'idé al serait un guide humain de poche qui interviendrait

lorsqu'on le dé sirerait). D'où l'intelligence et la liberté de la mise en place de dispositifs « audioguides avec guides », sorte de compromis entre la liberté des audioguides et la pertinence et la personnalisation du guide humain. On é coute si on le dé sire, quand on le dé sire et on peut se pencher plus longtemps sur telle ou telle partie du musé e un moment, puis revenir vers le guide par la suite. En clair, ils confè rent une autonomie au visiteur qui se voit assisté dans sa visite, é paulé , sans avoir pour autant toutes les contraintes d'une visite guidé e traditionnelle : le visiteur n'est pas obligé de porter le casque, il peut garder une distance avec le guide, lui poser des questions s'il le dé sire, etc. En conclusion, on peut dire que l'analyse de la visite guidé e permet de regarder « d'un autre œil la mise en exposition, car elle porte attention à des processus qui ne sont pas a priori faciles à saisir dans celleci » (Cousserand, 2006 : 2-3).

Deux expé riences pratiques lors de notre voyage en Pologne vont pouvoir illustrer cette importance du guide lors de visite de musé e. Commençons avec la visite à Varsovie du

Musée de l'Histoire des Juifs de Pologne (Muzeum Historii Żydów Polski, MHZH P) ou plus simplement, le Polin. Dans ce dernier, les visites guidé es sont organisé es plusieurs fois par semaine avec les possibilité s de pré sentation en anglais et en polonais, avec un casque audio et un guide professionnel. Cette institution s'ouvrant à un public de plus en plus international, notre visite a pu se dé rouler en français, d'une qualité certaine. Notre guide é tait pourvue d'un casque et d'un micro auquel deux douzaines de casques-audio é taient relié s. Celui-ci permettait au guide de ne pas devoir é lever la voix pour se faire entendre et à nous, de pouvoir garder une distance d'une quinzaine de mè tres avec la pré sentatrice. Outre le confort de par la taille du groupe, cela permettait de garder une oreille ouverte tout en s’arrê tant un instant si on le dé sirait sur telle ou telle partie de l'exposition et de s’appesantir sur un document ou sujet sur lequel on aurait dé siré un approfondissement. Ce casque permettait une grande liberté dans nos dé placements et dans notre expé rience de la visite. Passé s les aspects technico-pragmatiques, on peut reconnaı̂tre à notre guide une

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volubilité et une capacité à inté resser son public, s'adaptant à notre groupe, ce qui permettait de garder notre attention é veillé e pendant les trois heures de visite dans ledit musé e. Nous guidant avec intelligence dans l'exposition musé ale, ré pondant à nos attentes (vis-à -vis de la façon de pré senter celle-ci) et aux questions é ventuelles (ce qui accroı̂t sa cré dibilité ), son apport a é té fort bé né -ique quant à l'appré ciation et à la dé couverte du Polin. EQ tait-ce le sentiment d'ê tre privilé gié par la visite en français, le confort et la liberté du dispositif audio, les qualité s intrinsè ques de la guide, la qualité de l'exposition du musé e, la duré e de la visite adapté e à nos attentes, l'architecture du bâ timent ou encore la pré sentation du directeur au sujet de la justi-ication du projet musé al qui a rendu cette visite remarquable ? Sans doute un peu de tous ces é lé ments qui forment un tout, qui ont chacun permis à leur façon de contribuer à la cré ation et au maintien de notre inté rê t lors de la visite. Ce qui est certain, c'est que le guide garde ici un rô le moteur et fondamental quant à l'é veil né cessaire pour rester concentré pendant plus de trois heures de visite et les desiderata et attentes individuels varié s.

50 Polin : visite guidée


Dans un tout autre style, nous avons pu dé couvrir la

prison de

Mokotów à Varsovie. La forme de cette visite et l'expé rience que nous en avons tiré e sont radicalement diffé rentes. L'entré e au sein de cette institution carcé rale n'est autorisé e qu'à quelques groupes « privilé gié s » car elle est toujours en activité et abrite encore des prisonniers ayant é copé s des plus lourdes peines (d'aprè s les dires de notre guide) ; il fallut en consé quence lui con-ier nos cartes d'identité et passer par un portique de sé curité avant de pé né trer à proprement parler au sein de la prison. Nous sommes, aprè s le passage de plusieurs portails de sé curité , invité s à nous asseoir dans une salle plutô t vieillotte. Ancienne salle de ré fectoire transformé e en salle d'accueil, garnie des portraits de personnalité s historiques polonaises les plus cé lè bres. Nous y fû mes reçus pour la pré sentation de l'institution par notre guide qui dut passer par un interprè te pour que l'on comprenne ses explications. Bref, cette é numé ration descriptive sert simplement à souligner que cette visite s’annonçait plutô t froide et compliqué e. La pré sentation du guide, son attitude, sa sé mantique, tout é tait fait de sa part pour nous embarquer dans un ré cit, et il faut l'avouer, parfois plus mé moriel qu'historique. Par exemple, par son insistance ou son emphase sur les souffrances des « hé ros polonais », par sa condamnation sans é gards des Russes et des « faux polonais » qui é taient aux ordres des sovié tiques. Souvent, notre traducteur dut pré ciser qu'il traduisait -idè lement ce que disait le guide, et on sentait qu'il atté nuait parfois ses emporté es patriotiques. Cet « embarquement » ou « prise d'otage » selon le ressenti des visiteurs, é tait par exemple marqué par la volonté de nous faire prendre la place de ces « hé ros polonais » dans leur cellules. Ainsi, nous fû mes invité à rentrer à 25 dans une cellule de 8 m² dont les grilles furent refermé es (par le guide), a-in de nous faire entrevoir ce qu'ils avaient pu ressentir. Mais davantage, le guide dé sira nous faire rester dans cette cellule jusqu'à la -in de ses explications. Par aprè s, nous fû mes mené s, toujours à 25, dans une salle exiguë où é tait mené es les tortures pendant un long moment. Il nous demanda mê me avec insistance de parcourir le chemin de ronde des prisonniers d'alors et d'aujourd'hui. En-in, dernier embrigadement, il nous -it patienter silencieusement dans le couloir ou tintait une pendule pour nous faire ressentir l'impatience d'un prisonnier qui se voyait forcer d’attendre devant la porte du directeur, espé rant une ré ponse pour une possible grâ ce. Ainsi le guide voulait à tout prix nous inclure au prix de l'inconfort et du malaise de la plupart des participants dans ce rituel mé moriel. Cette mé thode a provoqué chez nous un effort contre-productif (sans doute parce que nous ne sommes pas Polonais) : non pas par un dé sinté ressement de notre part, mais par un rejet, voire une prise de distance et une mise en cause des af-irmations du guide. Son attitude a donc é té né faste quant à l'expé rience vé cue et sa propre volonté de transmettre perçue par de nombreux participants comme « hostiles ».

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En conclusion de ces visites et du rô le des guides, on peut af-irmer qu'ils peuvent ê tre des é lé ments positifs et mettre en valeur les visites, les parcours et le projet musé al en lui-mê me ; et ce, de par leur qualité s propres, leur capacité à ré pondre et s'adapter aux demandes de leur public et en-in selon le projet musé al. Ils peuvent aussi induire, tout au contraire, une mise en doute du musé e et de son ré cit (ainsi que celui du guide), voire provoquer un rejet de la visite et du discours porté dans le projet musé al. Nous percevons dè s lors le guide comme un mé diateur qui possè de un rô le spé ci-ique et complé mentaire, un enjeu dans la bonne ré ception du message transmis par le musé e.


Comparaisons entre les musées sur l’histoire juive belge et polonais Camille VAN TOMME

L

ors de notre voyage en Pologne, nous avons pu visiter de nombreux musé es. La premiè re chose qui nous a frappé s a é té la technologie pré sente dans ceux-ci. Dans chacun d’entre eux, des reconstitutions 3D, des cartes, des é crans tactiles, etc. é taient proposé s. Nous avons choisi ici de comparer trois musé es, deux belges et un polonais, qui traitent du mê me sujet, l’histoire juive : le Musé e juif de Bruxelles, Le Musé e juif de la Dé portation et de la Ré sistance (Caserne Dossin) de Malines et le

Musée de l’Histoire des Juifs de

Pologne (Muzeum Historii Żydów Polski, MHZH P ou Polin) de Varsovie. Nous avons choisi ces trois musé es a-in de voir dans quelles conditions ils ont é té cré é s, ce qu’ils proposent comme contenu, quel est le public visé , ont-ils é té construits dans des lieux symboliques, etc. ?


T

Les Juifs en Pologne et en Belgique

out d’abord, un petit mot sur l’histoire des Juifs de Pologne et de Belgique. Les dé buts de la pré sence juive en Pologne remontent au Xe siè cle, moment où des marchands juifs d’Europe de l’Ouest partent commercer avec des Slaves. L’installation permanente des Juifs se fait au XIIe siè cle. En effet, de nombreux Juifs fuyaient à l’é poque les guerres en Bohè me et avaient trouvé refuge en Pologne. Aprè s le Siè cle d’Or culturel, qui correspond au XVIe siè cle, la communauté juive connaı̂t des heures plus dif-iciles, surtout dans le contexte de la recatholicisation de la Pologne à partir de l’é poque de la Contre-Ré forme. Les actes antisé mites sont de plus en plus nombreux à partir du XVIIe siè cle et l’autonomie totale des Juifs est supprimé e en 1764. Aux XIXe et XXe siè cles a lieu une nouvelle vague d’immigration juive en Pologne : des milliers de Juifs fuient les lois anti-juives en Russie et la pauvreté en Autriche. Durant l’entre-deux-guerres, l’é galité civile et la tolé rance religieuse sont proclamé es en Pologne mais cela reste à l’é tat de thé orie car beaucoup de Polonais sont hostiles aux minorité s. La sé gré gation reprendra dans les anné es 1930. Durant la Deuxiè me Guerre mondiale, dè s que la victoire contre la Pologne est acté e, les nazis enferment les Juifs dans les ghettos. On en dé nombre plusieurs centaines dans toute la Pologne. AR l’est du pays, les Russes dé portent les Juifs dans les goulags. En automne 1941, la Solution inale est mise en place. C’est sur le territoire polonais que sont construits les camps d’extermination. AR la -in de la guerre, environ trois millions de Juifs polonais auront é té tué s, soit 88 % de la population juive de Pologne de l’é poque. En 1945, en

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raison de la domination russe sur les territoires orientaux appartenant anté rieurement à la Pologne, beaucoup de Juifs partent s’exiler aux EQ tats-Unis ou en Israë l. C’est dans les anné es 1980 que l’on assiste à un regain de pré sence juive en Pologne, favorisé par la ré novation de la synagogue de Varsovie et par la nomination d’un rabbin. Depuis les anné es 1990, des efforts sont faits pour ré concilier Juifs et Polonais. En Belgique, il faudra attendre le XIIIe siè cle avant d’avoir une trace d’une pré sence juive. Les Juifs s’installent dans le Brabant, le Hainaut et le Luxembourg aprè s avoir é té chassé s de Rhé nanie, d’Angleterre et de France. Au XIVe siè cle, les Juifs disparaissent de nos ré gions à cause d’un projet de croisade en 1309, de la peste noire en 1348-1349 et de condamnations au bû cher suite à des accusations de profanation en 1370. AR la -in du XVe siè cle, suite à l’uni-ication religieuse due à la -in de la Reconquista en Espagne et au Portugal, de nombreux Juifs quittent la pé ninsule ibé rique pour le nord de l’Europe. AR la -in du XVIIe siè cle, de nombreux commerçants juifs s’installent à Anvers, fuyant la guerre aux Pays-Bas. Durant la pé riode e autrichienne, au XVIII siè cle, les Juifs sont tolé ré s moyennant le paiement de taxes. Lors de la pé riode française, les Juifs deviennent des citoyens à part entiè re et leur culte est reconnu. Cette protection est maintenue durant la pé riode hollandaise ce qui attire beaucoup de Juifs dans nos ré gions. AR l’indé pendance de la Belgique, le gouvernement belge continuera cette politique. Durant la deuxiè me moitié du XIXe siè cle, Bruxelles est la ville qui accueille le plus de personnes juives dans le


pays. AR la veille de la Premiè re Guerre mondiale, ils seront 40 000 dans toute la Belgique. Durant l’entre-deux-guerres, l’antisé mitisme en Pologne et la monté e du nazisme en Allemagne favorisent l’arrivé e de nombreux Juifs. En 30 ans, la population juive de Belgique a presque é té multiplié e par deux (40 000 en 1914 et 70 000 en 1940). Durant la Deuxiè me Guerre mondiale, une fois que la capitulation de la Belgique est of-icielle, les nazis isolent les Juifs du reste de la population. Les Juifs sont arrê té s, individuellement ou par ra-les, et sont interné s à la Caserne Dossin. Là , les Allemands leurs font croire qu’ils vont travailler à l’Est mais en ré alité des convois les amè nent à Auschwitz. Le premier convoi part le 4 aoû t 1942, le dernier le 31 juillet 1944. Sur les 25 000 Juifs dé porté s, 15 000 ont é té gazé s dè s leur arrivé e et 8 000 sont morts en travaillant. Environ 2 000 rentreront à la Libé ration. De plus, prè s de 5 000 Juifs domicilié s en Belgique en mai 1940 ont é té dé porté s au camp de Drancy en France. Seuls 317 reviendront en vie. Aujourd’hui, l’inté gration des Juifs est une chose é tablie, on ne peut plus parler « d’immigration ». Beaucoup sont universitaires ou exercent des professions libé rales. Et leur habitat est dispersé , ils ne se concentrent plus dans les grandes villes.

Trois musées...

C

ommençons notre description des musé es par celui consacré au Polin, à Varsovie. Le musé e a ouvert ses portes en avril 2013. L’exposition qui pré sente l’histoire des Juifs polonais a, elle, é té ouverte au public le 28 octobre 2014. Le musé e a é té fondé par l’association Institut Historique Juif en Pologne en collaboration avec la Ville de Varsovie et le ministè re polonais de la Culture et de l’Hé ritage national. L’exposition sur l’histoire des Juifs de Pologne a é té cré é e par 120 scienti-iques sous la direction du professeur Barbara Kirshenblatt-Gimblett de l’Université de New York, grande spé cialiste de l’histoire des Juifs. Les -inancements publics venant de l’association, du ministè re et de la ville ont couvert le coû t de la construction et de l’é quipement du musé e. Outre ses -inancements publics, des dons privé s ont é té né cessaires pour la conception de l’exposition. Il est d’ailleurs toujours possible de faire un don pour aider le musé e à é largir ses programmes é ducatifs et culturels. Il y a en tout huit parties qui repré sentent chacune un moment de l’histoire des Juifs polonais, de leur arrivé e en Pologne à maintenant. Dans chacune des salles, la technologie et l’interactivité sont bien pré sentes : é crans tactiles, reconstitutions 3D, -ilms, making reconstituant une rue du ghetto de Varsovie…

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La pré sence d’audioguides est aussi un argument non né gligeable. Le musé e veut aussi accueillir des classes et leurs professeurs. L’agencement des salles proposé permet une trè s bonne compré hension de l’Histoire. En-in, notons que le symbolisme est pré sent partout dans le musé e. Premiè rement dans l’endroit mê me où le musé e a é té construit. Celui-ci se trouve à l’endroit exact du quartier nord du ghetto de Varsovie, ghetto le plus important de la Deuxiè me Guerre mondiale dans lequel se trouvaient environ 400 000 personnes. Deuxiè mement, au sein mê me du musé e, dans la partie sur la Deuxiè me Guerre mondiale, les visiteurs doivent monter un escalier pour accé der à une autre salle. Ces marches repré sentent la passerelle qui existait entre le petit et le grand ghetto de Varsovie, elles marquent é galement la cé sure que fut l’Holocauste. Attardons-nous à pré sent sur le musé e juif de Bruxelles. Situé rue des Minimes dans le quartier du Sablon à Bruxelles, le musé e est ouvert depuis plus de 30 ans. Son rô le est de faire dé couvrir l’histoire, la culture et la religion juives. Sur trois é tages, le visiteur est transporté entre ces trois aspects. Le visiteur s’informe sur l’histoire juive au dernier é tage grâ ce à une ligne du temps retracé e sur le mur et sur diffé rents objets exposé s. Les deux premiers é tages sont eux consacré s à la culture et la religion juives. Des explications sur le culte, les objets rituels et les rites de passage sont ainsi donné es. Une synagogue a par ailleurs é té recré é e. En effet, la synagogue de Molenbeek a transfé ré tout son maté riel et son mobilier au Musé e juif lors de sa fermeture en 2004. Les collections sont assez riches : objets, œuvres d’art, photos, af-iches, collection musicale, etc. Le musé e dispose é galement d’une bibliothè que de plus de 25 000 ouvrages et trois millions de documents d’archives. L’aspect culturel est complé té par des expositions temporaires (la derniè re portait sur Henri Cartier-Bresson), des confé rences, des visites guidé es et des activité s pé dagogiques (ateliers cré atifs, jeux, …). L’objectif du musé e est clairement de prô ner l’ouverture d’esprit et la compré hension de la culture et de la religion juives. Le musé e a fermé ses portes en septembre 2015 pour une pé riode de ré novation de deux ans.

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En-in, dé crivons le dernier musé e : la Caserne Dossin. La caserne est é di-ié e en 1756 sous ordre de Marie-Thé rè se d’Autriche pour abriter les soldats autrichiens. Elle reçoit le nom de « Dossin » en 1936 en hommage au lieutenant-gé né ral EQ mile de Dossin qui commandait le ré giment de la caserne pendant la Premiè re Guerre mondiale. AR partir de 1942, la caserne devient un « Sammellager », un camp de rassemblement pour Juifs et Tsiganes. Ce lieu est choisi car il é tait à mi-chemin entre Anvers et Bruxelles, où vivaient la plupart des Juifs, et les voies ferré es passant juste à cô té facilitaient la dé portation. Entre juillet 1942 et septembre 1944, plus de 25 000 Juifs et 350 Tsiganes y sont rassemblé s pour ê tre envoyé s à Auschwitz.


En 1980, il est dé cidé que la caserne sera amé nagé e en appartements mais de nombreuses voix s’é lè vent, notamment l’Union des Dé porté s Juifs de Belgique et le Consistoire central israé lite de Belgique, pour qu’un musé e soit amé nagé . Le Musé e Juif de la Dé portation et de la Ré sistance est inauguré le 7 mai 1995 par le roi Albert II. Le musé e ouvre ses portes au public le 11 novembre de la mê me anné e. Recevant 30 000 visiteurs par an, le musé e devient rapidement trop petit. Une nouvelle aile est donc construite en 2001 et accueille le Mé morial, Musé e et Centre de Documentation sur l’Holocauste et les Droits de l’Homme. Celui-ci ouvrira le 1er dé cembre 2012. Trois thé matiques sont proposé es dans le musé e : la masse, l’angoisse et la mort. Celles-ci respectent un ordre chronologique, respectivement anné es 1920-1930 jusqu’à 1940, de 1940 à 1942 et de 1942 à 1945. Dans ces salles, des panneaux explicatifs sont placé s sur les murs ainsi que des é crans permettant de visionner des petits -ilms. Dans le Mé morial, dans une petite piè ce sont installé s 28 é crans. Sur chacun d’eux dé -ilent les visages des personnes dé porté s depuis la caserne. Des haut-parleurs diffusent leurs noms. Des objets ayant appartenu à ces personnes sont aussi exposé s. En-in, la caserne dispose d’un fonds d’archives trè s important : audio et vidé o, objets, af-iches, photos, archives familiales, dossiers de la police des é trangers, recensement des Juifs par les communes belges, archives de l’association des Juifs de Belgique, etc. Les familles peuvent contacter les archivistes pour retrouver un membre disparu. Cela est é galement possible en Pologne à l’Institut

de la

Mémoire nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN).

L

’histoire du monde juif est intimement lié à la Pologne de par l’histoire du pays pendant la Deuxiè me Guerre mondiale. Mais il ne faut pas oublier que des communauté s juives se sont installé es aux quatre coins de l’Europe et du monde. Bien sû r, la musé ographie ne peut pas passer à cô té des pages sombres de l’histoire juive : la dé portation et l’extermination durant la Deuxiè me Guerre mondiale. Pour cela, deux musé es ont un symbolisme important par leurs emplacements : le Polin, qui est au mê me endroit que le ghetto de Varsovie, et la Caserne Dossin, qui se trouve dans les bâ timents qui servaient de lieu de dé portation des Juifs de Belgique vers les camps de concentration. Mais il est clair aussi que les concepteurs des musé es (exception faite ici de la Caserne Dossin) ne veulent pas s’arrê ter à ces heures noires de l’Histoire et ont le souci de traiter

Conclusion

l’inté gralité de l’histoire juive. Nous remarquons, ensuite, que les musé es ont é té construits sous l’impulsion de la communauté juive du pays, parfois aidé e par les pouvoirs locaux. C’est le signe d’un besoin de transmettre aux autres personnes de la communauté mais é galement aux personnes exté rieures. Au niveau de la technologie mise en place, il est é vident que le Musé e juif de Bruxelles est en retard par rapport aux deux autres en raison sans doute de sa date de cré ation plus pré coce, anné es 1980 pour le Musé e juif de Belgique et anné es 2000 pour le Polin et la Caserne Dossin. En-in, les publics

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visé s sont multiples : enfants et é tudiants via des activité s pé dagogiques et visites guidé es, historiens et chercheurs grâ ce aux archives, population lambda par la disposition des salles et les contenus proposé s. Retenons donc que le but premier des musé es sur l’histoire juive est de transmettre et d’informer sur une culture, qui nous est parfois é trangè re mais que nous rencontrons tous les jours. Malheureusement, on ne peut pas faire abstraction de certaines pé riodes de l’Histoire mais ces musé es essayent de montrer que l’histoire juive ne se ré sume pas à ces moments. Elle est implanté e dans l’histoire de nombreux pays depuis des siè cles et y est totalement inté gré e.


La promotion culturelle polonaise Edwin PETIT

E

n Pologne, depuis la chute de l'ex-bloc de l'Est, le budget alloué à la culture, aux institutions culturelles, ainsi qu’à la diffusion de cette culture en dehors du territoire polonais, semble avoir fortement augmenté . Ce phé nomè ne polonais peut à la fois ê tre expliqué par des politiques nationales et des politiques europé ennes. En effet, depuis le dé but de la Troisiè me Ré publique, malgré tout ré cente, des politiques « de mé moire », des politiques « historiques » furent mises en place par les diffé rents gouvernements polonais. Privé e de sa mé moire nationale sous l'é poque communiste, la Pologne s'est attelé e depuis lors à la transmission de son histoire et à la restauration de son patrimoine. Ainsi, sur les quelque 768 musé es qu'abritait le pays en 2012, prè s d'une centaine aurait é té cré é s au cours des 30 derniè res anné es et les projets culturels continuent de voir le jour un peu partout sur le territoire polonais (Potel, 2013). De plus, la Pologne, membre de l'Union europé enne depuis le 1er mai 2004, fut bien moins touché e par la crise -inanciè re qui secoua ses voisins europé ens, et son é conomie continua de croı̂tre, mê me en pleine crise internationale. Les budgets culturels furent donc maintenus en Pologne, contrairement à la plupart des autres pays de l'Union europé enne, membres de la zone euro ou non. Des pays comme la Hongrie ou la Roumanie durent, dans ce contexte dé licat, pratiquer des politiques d'austé rité , freinant de ce fait les investissements publics dans les domaines culturels.


Le budget alloué à la culture repré sentait en 2009, environ 20 % du budget de l'EQ tat polonais et 80 % du budget des administrations locales (Parlement europé en, 2011). L'EQ tat et les collectivité s locales sont donc les principaux contributeurs à la prolifé ration de nouveaux musé es un peu partout en Pologne. Et bien que le ministè re polonais de la Culture et de l’Hé ritage national soit le principal dé cisionnaire en matiè re culturelle, les entité locales voient leurs pouvoirs se renforcer peu à peu sous la pression du Conseil de l'Europe. De consé quents subsides furent en effet attribué s à la Pologne par l'Union europé enne, ce qui permet à cette derniè re d'insuf-ler quelques recommandations auprè s des hautes instances polonaises. Jusqu'en 2013, le budget dé voué à la culture repré sentait ainsi 1,8 % de ces aides europé ennes, soit un budget de prè s de deux milliards d'euros pour six ans (sur la centaine de milliards d'euros d'aide que la Pologne a reçus de l'Union europé enne). Ces aides -inanciè res furent encore augmenté es pour la pé riode 2014-2020 (Hubert, 2013). Ainsi, pour la construction du Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS) de Gdań sk par exemple, le Fonds europé en de dé veloppement ré gional (FEDER) contribua à hauteur de 38 455 310 euros, soit plus de la moitié du coû t total du Centre (+/- 66,5 millions d'euros). Des contributions de ce Fonds europé en peuvent ê tre recensé es dans de nombreux autres projets culturels polonais, notamment l'amé nagement d'un « quartier des musé es » en Silé sie ou d'un Musé e d'Art Moderne (Muzeum Sztuki Nowoczesnej) à Varsovie.

60

Ce -inancement en faveur de la culture est toujours ré jouissant, mais nous nous demandons naturellement malgré tout s'il y a un impact sur le pouvoir de dé cision dans les musé es ; sur le choix des thè mes abordé s, des documents exposé s, de la version de l'Histoire raconté e, du message que l'on veut faire passer, etc. Bien que la politique nationaliste soit forte dans le pays, l'in-luence de l'Europe semble, elle aussi, grandir de plus en plus (pour le bien comme pour le pire) ! Les musé es -lambant neufs, -inancé s par l'Europe, sont gé né ralement é quipé s des instruments technologiques les plus modernes et cô toient donc à la fois les musé es -inancé s par les instances polonaises (parfois tout aussi modernes, comme le Musée

de l'Insurrection

[Muzeum Powstania Warszawskiego], -inancé par l’EQ tat polonais et la ville de Varsovie elle-mê me) ou des musé es plus indé pendants, comme le

de

Varsovie

Musée du Néon de Varsovie. La Pologne peut aussi parfois bé né -icier d'aides plus particuliè res. De cette façon, le gouvernement allemand s'engagea à verser cinq millions pour la construction du

Musée d'Histoire des Juifs de Pologne (Muzeum Historii Żydów Polski, MHZH P ou Polin). Ce don -inancier rappelle bien sû r implicitement le chapitre important de l'Allemagne nazie dans l'histoire juive du XXe siè cle. Ce musé e, inauguré en 2014 bien qu'ouvert à partir de 2013, fut né anmoins en grande partie construit sur la base d'un -inancement du gouvernement polonais et de la Ville de Varsovie (plus de 40 millions d'euros). Une demande de fonds pour la construction de ce mê me musé e avait é galement é té adressé e au Congrè s amé ricain par les autorité s polonaises, ainsi qu'à Israë l


(Evens, 2010). Ainsi, il semblerait que les nations extra-europé ennes soient donc é galement mises à contribution dans le -inancement de la culture polonaise. Bien qu'assez ré cent en Pologne, l'investissement privé dans la culture n'est pas ignoré mais reste chose rare. La plupart des institutions culturelles dé pendent encore des -inancements de l'EQ tat : seuls 13 % des musé es polonais ne seraient pas administré s sur fonds publics (Potel, 2013). Les aides supplé mentaires, qu'elles soient publiques ou privé es, ne sont donc que des « sources complé mentaires et non des substituts au -inancement public principal » (Cg opic, 2011). Bien entendu, ces investissements culturels, publics, europé ens ou privé s, doivent ê tre rentables. Il est é vident que ces musé es sont construits pour ê tre visité s, par les Polonais eux-mê mes naturellement, mais é galement par les nombreux touristes é trangers. La fré quentation globale des musé es polonais approcherait ainsi des 27 millions de visiteurs par an, chiffre qui semble ê tre en augmentation constante depuis ces derniè res anné es (Potel, 2013). Depuis 1989-1991 et l'ouverture des frontiè res, le tourisme international au sein des pays de l'ex-bloc de l'Est s'est rapidement dé veloppé . Ainsi, en Pologne, le nombre de touristes par an aurait presque quintuplé en seulement une dé cennie, passant de 3,8 millions de visiteurs en 1990 à plus de 18 millions en 1999, avant de se stabiliser à une moyenne d'environ 15 millions par an depuis lors. Ce chiffre fait du territoire polonais l'une des destinations les plus prisé es du continent europé en. Bien sû r, les millions de personnes se rendant en Pologne pour d'autres raisons, principalement

commerciales, ne sont ici pas prises en compte. La majorité des touristes viendraient d'Allemagne (prè s de 25 %), plaçant de ce fait les ressortissants europé ens en tê te comme principaux acteurs du tourisme polonais, bien qu'une progression signi-icative depuis ces derniè res anné es du nombre de Russes ou d'Amé ricains visitant la Pologne est à souligner. Les villes comme Gdań sk, Varsovie ou Cracovie sont les principaux pô les d'attraction touristique polonais, né anmoins, certaines ré gions rurales, font é galement l'objet de destination de vacances, en particulier pour la beauté des paysages (Wieckowski, 2005).



Financer l’Histoire : l’argent des musées en Pologne et en Belgique

François BELOT & Alix SACRÉ

D

epuis une vingtaine d'anné es, la Pologne af-irme sa volonté de cré er de nouveaux musé es. Les thé matiques sont trè s varié es mais surtout

Musée de l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego), Musée de l’Émigration (Muzeum Emigracji) de Gdynia, Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS) de Gdań sk ou encore Musée de l’Histoire des Juifs de Pologne (Muzeum Historii Żydów Polski, MHZH P historiques :

ou Polin) de Varsovie. Tous mettent en valeur de grands é vé nements nationaux, des personnages emblé matiques ou encore promeuvent des lieux de mé moire. Ils sont les produits de la « politique historique » mise en place par le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS), qui fut à la tê te du gouvernement de 2005 à 2007 et dont le but é tait de promouvoir la nation (Szeligowska et Tomasik, 2009). Cette politique se concentrait principalement sur le passé communiste, par rapport auquel il convenait d'af-irmer en-in une position of-icielle et univoque. Une fois que les ambitions atlantistes (entré e dans l'OTAN en 1999) et europé ennes (entré e dans l'Union europé enne en 2004) furent remplies, le gouvernement prit conscience de la né cessité de procé der à une gestion plus institutionnalisé e du passé de la Pologne, ce qui donna lieu à cette politique. Ce foisonnement de nouveaux musé es a de quoi intriguer : tous té moignent


Ce foisonnement de nouveaux musé es a de quoi intriguer : tous té moignent d’investissements considé rables dans le domaine de la culture. En effet, ils sont modernes, é quipé s des derniè res technologies (une avalanche de touchscreens, de projections diverses, etc.) ; ils proposent d’immenses surfaces consacré es aux expositions et aux confé rences, disposent de bibliothè ques et centres de documentation ou d’archives ; les bâ timents qui les abritent sont souvent imposants, majestueux et ont é té dessiné s par des architectes de renom (par exemple, l’ECS ou encore le Polin). De cette maniè re, ils drainent un important public de groupes scolaires, de touristes, de chercheurs ou simplement d’individus. Il est donc lé gitime de se demander pourquoi ce pays connaı̂t actuellement une telle « ré volution musé ale », qui n’a par exemple pas lieu en Belgique : il est en effet é tonnant de constater que, malgré un niveau de vie supé rieur à celui de la Pologne, notre pays ne semble pas investir autant dans la culture et dans la promotion de l’histoire (ce qu’on remarque aisé ment lorsqu’on se promè ne dans certains de nos musé es, dont les amé nagements sont parfois dans un é tat assez dé plorable). AR travers ces lignes, nous nous pencherons donc sur les raisons de cet engouement polonais pour les musé es et pour l’histoire en gé né ral, et ce en mettant en lumiè re plusieurs hypothè ses qui nous semblent pertinentes. D’autre part, nous tenterons de comprendre pourquoi, en Belgique, on n’assiste pas au Une premiè re explication à cet engouement pour les musé es en mê me phé nomè ne ; Pologne tient sans doute au fait que le pays a connu une pé riode pire, à premiè re vue, il d’in-luence sovié tique relativement longue qui a pris -in il y a à apparaı̂t que les musé es peine 26 ans. Assez logiquement, elle se trouve donc dans une belges sont ré ellement phase de construction de son histoire et de son identité nationale, sous--inancé s. construction à laquelle participent les grands musé es d’histoire que nous avons visité s. Nous pouvons par exemple citer le Musé e de l’Insurrection de Varsovie ou encore l’ECS à Gdań sk qui, l’un comme l’autre, vantent les mé rites du peuple polonais face à l’oppression é trangè re, et mettent en valeur des hé ros, comme Lech Wałęsa. Le mê me phé nomè ne peut s’observer en Belgique, quelques dé cennies aprè s l’indé pendance : nous sommes en pleine pé riode romantique et les historiens sont eux aussi à la recherche de grands hé ros nationaux qu’ils dé terrent pour pouvoir doter leur pays de pè res fondateurs (le placement d’une statue de Godefroid de Bouillon au centre de la Place royale n’est pas sans lien avec cela [Montens, 2001]). Plus tô t dans l’histoire, peu aprè s 1830, la Commission Royale d’Histoire est cré é e. Cette institution est notamment chargé e de la ré daction de la « Biographie nationale ». Plus tard, riche de sa fortune provenant du Congo, Lé opold II lance les travaux de construction de plusieurs grands musé es, comme celui de Tervuren et bien sû r du Cinquantenaire. Le tout participe à une politique culturelle dont l’idé e est vé ritablement de cré er un enthousiasme national derriè re une histoire et ses 64 personnages « grandioses » (Beyen, 2001).


Globalement, c’est ce qu’on retrouve aujourd’hui à travers la multiplication des musé es d’histoire en Pologne : l’idé e est de promouvoir l’histoire de la nation et mettre en valeur ses hé ros et ses martyrs. On peut donc dire que, de tout temps, la construction d’un musé e n’est pas anodine et, outre son ambition é ducative et culturelle, il a é galement des -ins politiques, notamment à travers la mise en valeur de l’histoire du pays et de ses grands hommes, derriè re lesquels on peut grouper le peuple pour garantir la cohé sion nationale. Sachant cela, on ne s’é tonnera donc pas de croiser de nombreux groupes scolaires dans les deux musé es que nous venons de citer (ils constituent un tiers des visiteurs du Musé e de l’Insurrection de Varsovie [Potel, 2013]). Il est à noter que ce ne sont pas seulement des musé es qui sont cré é s dans ce processus de construction de l’histoire nationale : on note aussi l’ouverture, à la -in des anné es 1990, de l’Institut

de la

Mémoire nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN), un centre d’archives qui conserve des documents relatifs aux victimes polonaises de la Deuxiè me Guerre mondiale et de la pé riode communiste (Behr, 2014), et qui prend donc part à la mise en lumiè re du passé du pays. De par cet objectif de participation à la mise en valeur d’une histoire, l’approche des faits relaté s dans ces musé es est toujours relativement engagé e. On y vante les hé ros et le mé rite du peuple polonais en opposition à des puissances é trangè res occupantes (dans le cas des deux musé es que nous avons cité , les nazis et les communistes). En effet, le XXe siè cle a é té une pé riode troublé e pour la Pologne : subissant plusieurs phases d’occupation ou d’in-luence diverses, la promotion de son identité nationale et de son histoire n’a pas ré ellement pu se dé velopper pleinement

(ou alors trè s dif-icilement) avant la chute du Mur de Berlin. Le musé e est ici mobilisé pour valoriser une culture et donc une histoire propre, souvent contre l’acculturation par une puissance dominatrice (Gob, 2011). Ce phé nomè ne se retrouve dans toutes les anciennes dé mocraties populaires, où l’indé pendance et donc une plus grande liberté d’expression amè nent nombre d’intellectuels à repenser le passé : ils participent ainsi à la promotion d’une histoire nationale mettant en valeur les lieux, les personnes et les é vé nements que le ré gime communiste avait tenté de faire oublier (des budgets considé rables sont ainsi alloué s aux commé morations de l’insurrection de Varsovie (qui é taient interdites avant 1989) ainsi que pour le musé e portant sur la mê me thé matique). Dans ce processus de construction historique, les musé es occupent une place de choix, notamment parce qu’ils permettent de toucher un large public (Potel, 2013). Ce passé fait de dominations diverses peut expliquer une propension, dans certains musé es, à une victimisation et à une insistance sur la condition de pays sans cesse opprimé , ce qui peut parfois s’accompagner d’une certaine orientation dans la maniè re de traiter les sujets abordé s. On peut imaginer que, face à une histoire aussi complexe et marqué e par tant d’in-luences é trangè res, il est parfois dif-icile de tenir un discours univoque sur l’histoire, dif-iculté qui se reporte sur les musé es et autres institutions culturelles : un choix doit ê tre fait quant à la maniè re de traiter les é vé nements historiques. Cependant, certains musé es contournent

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ce travers nationaliste en se pré servant d’opter pour une approche trop orienté e des faits : ils tentent notamment d’é viter la confusion entre musé e et « martyrologe » (où il s’agit plutô t de parler du passé en soulignant la mé moire des victimes [Szeligowska et Tomasik, 2009]). L’idé e est que, contrairement aux martyrologes, les musé es tentent de conserver une certaine distance par rapport aux faits pré senté s et d’adopter une « dé marche plurale » : il s’agit d’accorder une attention particuliè re aux diffé rentes positions qui peuvent ê tre tenues face à un mê me fait historique. A-in de parvenir à cela, les concepteurs de ce genre de musé es multiplient les ré cits, les commentaires d’historiens professionnels, proposent un discours pé dagogique avec une ouverture sur l’exté rieur, et prô nent ainsi une « dé politisation » de l’histoire. Le but est d’é viter de tomber dans le divertissement pour ré pondre avant tout à une ambition é ducative et é galement touristique. Un bel exemple de cette tendance à l’histoire dé politisé e est sans doute le Polin, qui fut une des visites les plus enrichissantes de notre sé jour : à en juger par son nom, il est logique de s’attendre à une pré sentation relativement engagé e de l’histoire, centré e sur le ré cit de la Shoah avec un net parti pris pour les victimes. En ré alité , le musé e ne s’attarde pas autant sur cet é pisode ; il retrace l’histoire des Juifs en Pologne du Moyen-â ge à nos jours, aborde des pans tout à fait inconnus de celle-ci, le tout d’une maniè re neutre et factuelle, sans jamais sombrer dans le tirelarme. Il ne retrace pas l’histoire des martyrs, mais plutô t l’histoire d’une masse. Il ne tait pas non plus le rô le parfois né gatif

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du peuple polonais envers les Juifs durant les é vé nements de la Deuxiè me Guerre mondiale. La mise en place de ce type de musé e (dé politisé , approche plurale) est dé jà à l’é tude dans les anné es 1990, à un moment où la socié té polonaise est secoué e par de vifs dé bats sur les relations entre Juifs et Polonais durant et aprè s la guerre. L’idé e est donc de pré senter l’histoire de ces relations de la maniè re la plus neutre possible, ce qui donne lieu à plusieurs initiatives tant locales que nationales, et dont la plus importante sera le Polin. Il apparaı̂t que le

Deuxième

Musée de la Guerre mondiale

(Muzeum II Wojny Światowej, MIIW) qui devrait ouvrir ses portes à Gdań sk à la -in de l’anné e 2016 prô nera é galement une dé politisation et une dé marche ouverte et plurale. Cependant, ce type de musé e est fortement critiqué en Pologne, notamment par la droite nationaliste qui accuse dé jà ce futur musé e de ne pas respecter le « point de vue polonais » et doute de la pé rennité de ce modè le. En opposition à cela, elle prô ne la mise en place de musé es plus engagé s politiquement (qui, selon nous, seront certainement plus vite dé passé s, justement parce que moins neutres, et donc plus susceptibles de ne plus correspondre aux tendances politiques). Jusqu’en 2007, de nombreux conservateurs souhaitent en effet utiliser les musé es pour mettre en avant une vision politisé e de l’histoire, ce qu’on retrouve de maniè re assez marqué e au Musé e de l’Insurrection de Varsovie (Szeligowska et Tomasik, 2009). Lech Kaczyń ski, alors maire de Varsovie, a consacré d’importants moyens -inanciers à la cré ation de ce musé e, vé ritable « enfant ché ri » des partisans de cette histoire politisé e. Il apparaı̂t né anmoins que cette


approche ne soit pas la plus ef-icace en matiè re d’é ducation : bien que trè s pré cis et dé coulant sans doute d’un rigoureux travail d’historiens, son contenu a l’air d’ê tre plus conçu pour « nous en mettre plein la vue », au risque de provoquer une confusion chez le visiteur. Une enquê te ré alisé e auprè s des jeunes ré vè le d’ailleurs qu’à la sortie du musé e, une grande partie d’entre eux identi-ient l’insurrection à une grande victoire de l’armé e polonaise, ou la confondent avec l’insurrection du ghetto en 1943 (Potel, 2013). Ceci est peut-ê tre une preuve que la volonté d’imposer une vision politique de l’histoire à travers le contenu d’un musé e é loigne celui-ci de l’une de ses principales missions : l’é ducation. Tous ces projets culturels ont é té ré alisé s grâ ce à la manne de l'Union europé enne : celle-ci a versé des dizaines de milliards d'euros à la Pologne depuis 2004. Une partie de ces fonds a é té utilisé e a-in de promouvoir la « politique historique » dé cidé e par l’EQ tat : la construction de plus d'une centaine de musé es est d’ailleurs pré vue d'ici la -in de la dé cennie (Potel, 2013). En Belgique, la situation est actuellement trè s diffé rente. Nombreux sont les professionnels dans le secteur culturel qui se plaignent d'un sous-inancement chronique de leur institution. La crise dé buté e en 2008 a aggravé la situation. Une simple visite aux Musé es royaux d’Art et d’Histoire de Bruxelles suf-it à nous le prouver : quand il ne s’agit

pas d’in-iltrations d’eau, la mauvaise isolation en fait des gouffres é nergé tiques (et les fonds pour remé dier à cela ne sont malheureusement pas disponibles). La mise en valeur des collections exposé es est é galement assez vé tuste et peu attractive. Ce problè me de -inancement n’est apparemment pas pré sent en Pologne. Combien, nous, é tudiants belges, fû mes é bahis d’apprendre qu’environ 80 places d'historiens allaient ê tre dé bloqué es au sein du MIIW de Gdań sk ! Nous n’avons en effet pas l’habitude d'entendre de si bonnes nouvelles en ce qui concerne l’emploi pour les historiens. Cependant, a-in de nuancer nos propos, il aurait é té inté ressant de visiter en Pologne des musé es plus « classiques » (Musé es royaux des Beaux-arts de Belgique, Musé e des Sciences naturelles, etc.). En effet, si d’importants fonds sont consacré s à la cré ation de nouveaux musé es, ce n’est peut -ê tre pas le cas de l’entretien des musé es plus anciens : toute allocation de ressources implique un choix ré -lé chi dont les musé es classiques sont peut-ê tre exclus comme c’est le cas en Belgique (ce que nous ne pouvons toutefois af-irmer, parce que nous n’avons visité que les musé es les plus ré cents). En Belgique, on compte dix institutions culturelles fé dé rales et donc -inancé es par l’EQ tat. Les autres sont gé ré es par les communauté s (la culture é tant, depuis la troisiè me ré vision de la constitution en 1971, une compé tence communautaire) :

il s’agit notamment de la Bibliothè que Royale, des Archives Gé né rales du Royaume, des Musé es royaux d’Art et d’Histoire, des Musé es royaux des Beaux-Arts de Belgique, du Musé e royal de l’Afrique centrale, etc. Ce sont les institutions les plus importantes, qui se trouvent sur le territoire bruxellois (à l’exception de celui d’Afrique centrale). Annuellement, elles disposent d’un budget total de 125 millions d'euros. Cette somme ne permet malheureusement pas d’entamer des projets ambitieux et ces institutions sont donc forcé es de dé gager des revenus propres, complé mentaires aux dotations qu'elles 67 reçoivent, tout en conservant leur identité de « service public ».


Au niveau des entité s fé dé ré es, les deux communauté s investissent environ huit millions d'euros dans leurs musé es (Kunsten et Erfgoed, 2013 ; Fé dé ration Wallonie-Bruxelles Patrimoine culturel, 2014). Cependant, il convient de mentionner que les musé es -lamands reçoivent aussi de nombreuses aides -inanciè res de la part des villes et des provinces. En outre, la communauté -lamande dé lè gue la gestion du patrimoine culturel à une sé rie d'agences qui ont pour mission de valoriser ce patrimoine par des procé dé s iné dits, grâ ce au savoir-faire de professionnels. L'agence la plus importante est par exemple FARO, qui reçoit deux millions d'euros par an de la part de la communauté . Du fait de ces soutiens multiples, les musé es -lamands ont beaucoup plus de moyens et donc de marge de manœuvre que dans le reste du pays. Il en va de mê me pour les centres d'archives, qui reçoivent un budget d’un million d'euros par an chez les francophones et de six millions d'euros par an chez les né erlandophones. On pourrait penser que, à l’instar de la Pologne, ces importants investissements té moignent, cô té né erlandophone, d’une volonté de promouvoir une identité « nationale » -lamande. Toutefois, en ce qui concerne le contenu des musé es -lamands, la maniè re de traiter les é vé nements n’est pas aussi orienté e qu’on pourrait le croire : les arguments -lamingants (par exemple, l’idé e des petits soldats -lamands qui ne comprenaient pas les ordres des gradé s francophones pendant la Premiè re Guerre mondiale) ne sont pas repris. Cependant, le fait d’accorder plus de fonds à la culture et donc, aux musé es, est tout de mê me une maniè re pour la Flandre de se dé marquer du reste du pays et de se placer sur la scè ne internationale, dans une sorte de processus de sé duction. AR ce sujet, on peut citer le musé e In Flanders Fields dont l’intitulé anglophone n’est pas sans lien avec cette volonté . Face à l'austé rité et aux restrictions budgé taires dans le secteur culturel en Belgique, les directeurs des musé es sont contraints de chercher de nouvelles techniques de valorisation du patrimoine, moins coû teuses que la restauration des infrastructures ou que la construction de nouveaux é di-ices. Il peut par exemple s’agir de l’organisation d’expositions temporaires, é vé nements particuliers permettant d'attirer des visiteurs pour des pé riodes limité es. Ces expositions sont aussi l’occasion de sortir des ré serves des collections le plus souvent invisibles du public. Cela procure aux musé es une certaine -lexibilité qui leur permet aussi de mieux ré pondre à leur mission principale : la communication et la mise en valeur de leur patrimoine. Une autre technique consiste à revoir les parcours à travers les collections, ou à en cré er des nouveaux, a-in de rendre les visites plus dynamiques et varié es. Le but est ainsi de faire revenir plus ré guliè rement les visiteurs en les attirant par de nouvelles collections, ou simplement de nouvelles approches de celles-ci. C’est dans cette logique que le Musé e royal de l’Afrique centrale a pré senté un projet de ré novation de son bâ timent, comprenant la construction d'espaces propices à la ré alisation d'expositions temporaires ainsi que la mise en place de nouveaux parcours dynamiques, s'adaptant aux actualité s. Ces nouvelles techniques de valorisation du patrimoine ont pour but d'augmenter les chiffres de fré quentation des institutions culturelles et ainsi dé gager des fonds propres supplé mentaires permettant de -inancer de nouveaux projets.

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En Pologne, les directeurs de musé e que nous avons rencontré s n'ont pas fait mention d'expositions temporaires ou de redé ploiement dynamique des parcours. Cependant, la ré cente construction des musé es visité s rend moins pré gnante la né cessité de dé ployer ces techniques, en tout cas pour le moment. La nouveauté suf-it en gé né ral à attirer un public important : les chiffres de fré quentation semblent d’ailleurs tout à fait ré jouissants. Gé né ralement, les musé es visité s pré sentent des parcours modernes, surtout à l’ECS et au Polin, qui semblent tout de mê me assez -lexibles, et ce par une inté ressante multidisciplinarité . S’il est clair que les institutions culturelles les plus anciennes manquent de moyen, il serait injuste d’af-irmer que la Belgique se dé sinté resse totalement du secteur. Dans les derniè res anné es, nous avons pu en effet assister à la cré ation (ou à la restauration) de musé es tout aussi modernes que ceux que nous avons pu voir en Pologne et qui, comme là -bas, se centrent sur des é vé nements pré cis de l’histoire du XIXe siè cle. Nous pouvons par exemple citer le musé e In Flanders Fields à Ypres, le Musé e juif de la Dé portation et de la Ré sistance (la Caserne Dossin) de Malines, qui s’est vu doté e d’un nouveau musé e construit juste à cô té du site, ou encore le Musé e de la Guerre à Bastogne (Bastogne War Museum). Comme en Pologne, ces musé es ont bé né -icié d’un important -inancement de la part des autorité s publiques ainsi que d’investissements privé s. Les sources de -inancement des institutions culturelles affectent é videmment leur autonomie. Lorsque les musé es sont -inancé s par le secteur public, il est fré quent que ceux-ci offrent une vision propre au gouvernement en place. Rappelons par exemple le Musé e de l’Insurrection de Varsovie, dans lequel Lech Kaczyń ski (membre et fondateur du parti Droit et Justice), a investi d’importants moyens en sa qualité de maire de Varsovie. Il en ré sulte que le discours tenu dans le musé e est parfaitement conforme à la politique historique voulue par le parti Droit et Justice. Lech Kaczyń ski a d’ailleurs fait de ce musé e un argument pour son é lection à la pré sidence de la Ré publique en 2005, lui donnant ainsi une connotation patriotique jugé e excessive par certains (Potel, 2013). Il en va de mê me pour l’IPN, parfois quali-ié en Pologne de « ministè re de l'histoire » (Behr, 2014), appellation qui té moigne de ses relations avec les milieux politiques. La production historique de l'IPN est donc « of-icielle », ce qui ne signi-ie pas que la rigueur historique de ses chercheurs est remise en question. Toutefois, il est indé niable que les subventions publiques orientent les recherches sur des é vé nements fé dé rateurs ou permettant de dé gager des

facteurs d'identi-ication collective. Loin de pointer une pratique qui ne serait que polonaise, la situation est identique ailleurs, et notamment en Belgique. En effet, l'autonomie des musé es de statut public est considé rablement ré duite du fait du principe de la « ré gie directe ». Cela permet aux autorité s communales, provinciales ou fé dé rales (en fonction des musé es) d'intervenir dans la gestion programmatique et -inanciè re. L'ingé rence des bourgmestres, des é chevins ou des dé puté s provinciaux est donc, plus grande, au risque que ces derniers utilisent « leur » musé e à des -ins de communication, é lectorale ou autre (Gob, 2011). Au niveau fé dé ral, les institutions culturelles sont tout de mê me lié es aux dé cisions de

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l'inspecteur des -inances, dont l'accord est né cessaire pour mettre en place des projets. Depuis peu, ce dernier demande aux directeurs de musé es d'é tablir un business plan a-in de dé montrer que chaque projet proposé permettra de ré aliser des bé né -ices. Il est incontestable que cette politique a des ré percussions dramatiques sur le choix des expositions et des projets mis en œuvre. On peut supposer que les musé es dont le -inancement est « mixte » (-inancé s à la fois par le privé et par le public) sont moins sujets aux ingé rences du politique dans la gestion de leurs programmes. Citons par exemple le Polin (-inancé à 50 % par le public et à 50 % par le privé ) qui, comme dit plus haut, nous a semblé assez peu orienté dans son approche de l’histoire. Il faut toutefois é viter que certains acteurs privé s aient des parts trop importantes et tentent d'imposer leurs visions, reproduisant alors les mê mes mé canismes de l'ingé rence du politique. Certes, ces -inancements sont né cessaires pour attirer le public : touchscreen, parcours attrayants, projections et autres technologies ne sont pas gratuits. Et cela paye : les musé es polonais que nous avons pu visiter sont ré ellement de « beaux » musé es, au sens où les parcours sont agré ables à suivre, les installations ludiques et modernes, ce qui a pour consé quence d’é veiller la curiosité du visiteur, et donc de faire monter les chiffres de fré quentation. Faire l’impasse sur ces amé nagements peut en effet ê tre nuisible aux musé es (le cas des musé es fé dé raux belges est parlant à ce sujet). Les pouvoirs publics sont donc indispensables à la survie -inanciè re des institutions culturelles, mais il est dommage de constater que, dans certains cas, investissement rime avec engagement : comme dit plus haut, les musé es re-lè tent

le plus souvent la vision de l’histoire prô né e par le gouvernement qui les a -inancé s. En ce qui concerne la Pologne, il n’est pas é tonnant de constater une certaine orientation dans la maniè re dont ces musé es pré sentent l’histoire : le souvenir des puissances qui exercè rent leur in-luence est encore trè s pré gnant, et le pays se trouve donc dans une phase de construction de son histoire et de son identité nationale. Il est à espé rer que, dans un futur proche, les politiques et les musé es fassent preuve de plus de recul et parviennent à dé ployer un discours plus nuancé sur certains aspects de l’histoire, a-in que la promotion de celle-ci ne se fasse plus dans le but de se dé marquer des anciens occupants.


Des images de la royauté au sein d’une République ?

Les images d’une fierté d’un passé fragmenté

David VINCENT

L

a Ré publique polonaise, telle qu’on la connaı̂t, existe depuis 1989. L’histoire de la Pologne est marqué e par une varié té de ré gimes : le Duché de Pologne pré cè de le royaume de Pologne et la Ré publique des Deux-Nations. Il s’agit d’une existence longue s’é talant du Xe siè cle à 1795, anné e du dernier partage de la Ré publique. Ce pays disparaı̂t entiè rement durant 123 ans. Toutefois, l’identité polonaise est resté e trè s vivace et trè s pré sente sur le territoire de la Ré publique, c’est ainsi que diverses insurrections voient le jour : celle de novembre 1830, celle de 1846 ou encore celle de janvier 1863. Nonobstant, il faut attendre novembre 1918 pour revoir cette nation au sein des EQ tats europé ens : la Deuxiè me Ré publique polonaise naı̂t du Traité de Versailles. Elle se voit envahir en 1939 par l’Allemagne nazie et l’Union des Ré publiques Socialistes Sovié tiques (URSS) qui se partagent son territoire. De 1945 à 1989, la Pologne est sous in-luence sovié tique (on parle de « Ré publique Populaire de Pologne », PRL). La Pologne connaı̂t actuellement la Troisiè me Ré publique.


Pourquoi ce rappel trè s succinct concernant les grandes pé riodes d’existence de la Pologne ? Il y a un phé nomè ne qui, en tant que Belge, me fascine : la pré sence d’images d’une royauté ré volue au sein d’une ré publique. Si nous prenons le cas français, les images de la royauté sont remplacé es dè s qu’une nouvelle ré publique est mise en place (la premiè re et la deuxiè me, par exemple). Dans le cadre polonais, cette ré publique n’est pas né e sur les cendres d’une royauté renversé e lors d’une ré volution mais a vu sa -in avec la disparition du Royaume des Deux-Nations. C’est donc une autre interpré tation qui entre en jeu. Il est vrai que la royauté occupe une grande part de notre curiosité mais elle n’est qu’un aspect parmi les innombrables autres possibilité s de clé s de lecture telles que les couleurs du drapeau national, le nom des monnaies ou encore la « polonisation » des noms de villes ou lieux -dits. Le but de notre exposé repose sur l’analyse de certaines repré sentations d’un passé ré volu en reprenant, dans un premier temps quelques images de la royauté , puis, en é tendant à d’autres symboles, eux aussi repris de l’Histoire et ré utilisé s dans le temps pré sent. Toutefois, des mises en perspective doivent ê tre ré alisé es pour mieux comprendre certaines é volutions. Notre questionnement commence bien avant le voyage en Pologne lors de notre premier contact avec des billets polonais. En effet, à notre grand é tonnement, sont pré sents sur ce papier-monnaie un duc et des rois : Mieszko Ier (935-992), Boleslas Ier le Vaillant (Bolesław I Chrobry, 9671025), Casimir III le Grand (Kazimierz III Wielki, 1310-1370), Ladislas II Jagellon (Władysław II Jagiełło, 1351 ou 1394-1434) et Sigismond Ier le Vieux (Zygmunt I Stary, 1467-1548). Ces seigneurs ne sont pas classé s par ordre de grandeur ou de hauts faits mais par ordre chronologique : le premier duc de Pologne occupant le billet de 10 zlotys et Sigismond occupant celui de 200 zlotys.

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Toutefois, une question subsiste : qui sont ces personnages ? D’autres rois auraient pu ê tre repré senté s. Commençons par le dé but et Mieszko Ier, sur les billets de 10 zlotys : il s’agit donc du premier duc de Pologne et premier souverain de la dynastie des Piast. Il se convertit au christianisme et, par cette manœuvre religieuse, agit é galement sur le plan politique en se mettant sous autorité directe du Pape, se protè geant ainsi de son voisin germanique et de toutes tentatives de ce dernier à prendre les territoires du duc. Mieszko Ier ré ussit à assurer une indé pendance forte au duché . Il s’agit donc d’une premiè re -igure emblé matique de la Pologne qui paraı̂t sur le premier billet.


Concernant Boleslas Ier le Vaillant, repré senté sur les billets de 20 zlotys, il s’agit du -ils de Mieszko Ier et premier roi de Pologne. Ce dernier ré ussit à uni-ier toutes les tribus slaves à l’ouest, combat le Saint-Empire romain germanique (10021018), annexe divers territoire et s’assure de bien montrer aux deux empereurs en Europe, du Saint-Empire romain germanique et de l’Empire Romain (d'orient), qu’il compte maintenir l’Europe orientale en dehors de toute zone et autorité impé riale. Avec Casimir III le Grand, qui -igure sur les billets de 50 zlotys, un bond de 300 ans est ré alisé dans la gé né alogie des Piast. S’il porte le titre de Grand, ce n’est pas sans raison : il remet sur pied un royaume divisé , conquiert la Galicie et reconquiert la Pomé ranie. Au terme de son rè gne, la Pologne a vu son territoire plus que doubler. Cependant, l’origine de son surnom ne provient pas uniquement de ses faits militaires. Il ré forme en effet la -iscalité , l’administration et la justice et il codi-ie le droit en le retranscrivant dans des registres. De plus, l’enseignement et les sciences bé né -icient aussi de son attention : ce dernier fonde l’Acadé mie cracovienne en 1364. De surcroı̂t, il pratique aussi une politique favorable aux Juifs en accueillant ceux qui sont chassé s des pays d’Europe orientale. Suite à cette acceptation des Sé mites, un grand nombre d’entre eux s’installent en Pologne : d’abord placé s dans des zones peu peuplé es (principalement dans les zones orientales), ces derniers s’installent ensuite dans des quartiers exté rieurs de certaines villes. Casimir III est é galement un roi bâ tisseur. Il existe à ce propos un adage le concernant : « Casimir a trouvé un pays fait de bois et a laissé un pays fait de pierres. » En effet, sous son rè gne, ça n’est pas moins de cinquante châ teaux qui sont bâ tis et

vingt-sept villes qui sont ceintes de remparts. De plus, de nombreux instituts, é glises et hô pitaux voient le jour. Casimir III le Grand donne une nouvelle impulsion au royaume de Pologne. Toutefois, ce roi met -in à la dynastie des Piast au pouvoir : n’ayant pas d’hé ritier mâ le, il repré sente aussi la -in d’une famille. Ladislas II Jagellon, dont la -igure repose sur les billets de 100 zlotys, repré sente un autre type de roi de Pologne. Grand-duc de Lituanie, il se convertit au christianisme à l’occasion de son mariage avec Hedwige d’Anjou. Cependant, intervient une astuce importante : Hedwige est é lue (le 16 octobre 1384), par la Diè te polonaise, pour ré gner sur le royaume de Pologne. AR la mort d’Hedwige en 1399, il conserve le titre de roi de Pologne (en plus de celui de grand-duc de Lituanie) grâ ce à son é lection par la noblesse polonaise. Cependant, ce n’est pas cet é vé nement qui voit naı̂tre la Ré publique des Deux-Nations : Pologne et Lituanie sont encore encore deux é tats distincts unis uniquement par la personne du souverain. Ladislas va asseoir sa domination sur l’ordre teutonique et mettre leur EQ tat dans une situation de quasi-faillite. Le dernier roi repré senté est Sigismond Ier le Vieux, il est pré sent sur billets de 200 zlotys. Durant son rè gne, il essaye de lutter contre la volonté des nobles de mettre en place une monarchie parlementaire oligarchique (le con-lit dure jusqu’en 1569, bien aprè s sa mort). Il favorise é galement l’é panouissement de la Renaissance en Pologne et soutient le dé veloppement é conomique et culturel des villes : cet ensemble amè ne la Pologne à l’apogé e de sa grandeur (XVIe siè cle).

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Cette brè ve pré sentation de ces grandes -igures polonaises montrent bien une volonté de repré senter et, par la mê me occasion, d’entretenir une mé moire en rapport avec un passé glorieux et ancien. En effet, aucune de ces -igures ne repré sentent des personnages des XVIIe, XVIIIe, XIXe ou XXe siè cles, contrairement à ce que l’on trouvait sur les billets de l’é poque de la Deuxiè me Ré publique. En effet, d’abord sur le mark polonais de 1916 à 1924 puis sur le zloty de 1924 à 1939, sont repré senté es les -igures de hé ros polonais : Wojciech Bartosz Głowacki, Andrzej Tadeusz Bonawentura Koś ciuszko et Kazimierz Pułaski. Ces personnages -igurent respectivement sur les billets de cinq (Głowacki), 100 marks ou de 1 000 marks (Koś ciuszko) et de 100 zlotys (Pulaski). En effet, le royaume fantoche de Pologne de 1916-1918 (cré é par dé claration des empereurs d’Allemagne et d’Autriche-Hongrie, nommé e en polonais « Królestwo Regencyjne »), utilise le mark polonais et choisi d’abord Koś ciuszko comme -igure emblé matique. Ce n’est que lors de l’indé pendance, aprè s la Premiè re Guerre mondiale, que la -igure de Głowacki s’ajoute et il faut attendre la -in du mark polonais en 1924 pour voir apparaı̂tre Pułaski. Ces hommes ont en commun qu’ils sont des -igures de proue de la ré sistance polonaise face au dé membrement du royaume durant la -in du XVIIIe siè cle. Ils symbolisent donc un acte de ré sistance. Il semble donc que la volonté de la Deuxiè me Ré publique polonaise de repré senter des hé ros insurrectionnels sur quelques-uns de ses billets serve à illustrer une forme de cé sure et utiliser des -igures pour asseoir son indé pendance vis-à -vis de ses anciens occupants.

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La diffé rence de repré sentativité de grands personnages de l’histoire polonaise diffè re donc de maniè re trè s importante : durant la Deuxiè me Ré publique, cette derniè re s’est basé e sur des -igures de la derniè re dé fense de l’indé pendance de la Pologne. La Troisiè me Ré publique quant à elle, applique un tournant : elle abandonne, sur ces billets, ses premiers hé ros pour retourner à une iconographie basé e sur la construction, l’é tablissement et la grandeur du royaume de Pologne. Le choix d’ailleurs des dirigeants n’est pas anodin non plus : il est inté ressant de noter que, en plus du choix de grands dirigeants, les souverains rè gnent encore sur une Pologne complè tement indé pendante. Mê me lorsque les Jagellon arrivent au pouvoir, avec le titre de grand-duc de Lituanie, les deux entité s territoriales restent indé pendantes. Cela se ressent fortement sur les billets polonais : la partie lituanienne et tout l’aspect de la Ré publique des Deux-Nations restent de cô té . Sur aucun billet en circulation n’apparaı̂t un aspect de l’autre principauté . Il y a comme une cé sure entre les deux entité s. Au -inal, grâ ce à la mise en lumiè re de la comparaison des champs iconographiques de deux phases é loigné es historiquement, nous pouvons mieux comprendre le choix et la pré sence de tê tes couronné es de l’histoire de Pologne. Ainsi, une cé sure et une continuité avec le passé s’opè rent conjointement : l’abandon partiel (ne reprenant que le cas des billets) et une reprise de grands personnages. La cé sure se base sur le choix des personnages : d’abord insurrectionnels pour la dé fense de la Pologne et de l’autre, la reprise des maı̂tres bâ tisseurs d’une Pologne puissante et ancienne.


Nous avons é voqué dans cet exposé diverses pé riodes mais il en est une qui est toute aussi importante : celle de l’é poque communiste (1939/1945-1989). Durant cette pé riode, des billets de 10, 20, 50, 100, 200, 500 et 1 000 zlotys ont é té é mis. Ce nouveau ré gime va se choisir de nouvelles -igures ; dans l’ordre croissant : Jó zef Bem (1794-1850), Romuald Traugutt (1826-1864), Karol SQ wierczewski (1897-1947), Ludwik Waryń ski (1856-1889), Jarosław Dąbrowski (1836-1871), Tadeusz Bonawentura Koś ciuszko (1746-1817) et Nicolaus Copernicus (1473-1543). Ces personnalité s ont toutes une chose en commun avec l’URSS : la sé volution. En effet, ils ont tous participé à une ré volution ou à une volonté de changements. Soit ce fut en rapport avec l’insurrection de 1794 (Koś ciuszko), de 1830-1831 (Bem), de 1863 (Traugutt, Dąbrowski), la lutte anti-nazi (SQ wierczewski) soit ce fut du point de vue intellectuel : Copernic avec l’hé liocentrisme et Waryń ski avec la cré ation du premier parti des travailleurs polonais en 1882. Koś ciuszko semble donc ê tre une -igure incontournable puisque pré sent tant dans la Deuxiè me Ré publique que sous l’URSS. AR l’é poque de la PRL, les personnalité s repré senté s sur les billets, respectent tout à fait quelques idé aux des communistes puisque, en plus, ces gens ont refusé l’autorité impé riale ou, dans un aspect plus large, religieuse (Copernic). En ré sumé , les dirigeants communistes ont choisi des hé ros, certes polonais, mais qui servent pleinement le ré gime puisque, en ces personnages, l’EQ tat y reconnaı̂t des connivences avec ses propres idé aux.

En somme, nous observons qu’avec le temps, le choix des personnages se fait toujours en fonction de la pé riode dans laquelle il s’inscrit. Au-delà d’un aspect purement esthé tique, l’imagerie utilisé e sur le papier-monnaie est un fabuleux outil de propagande ou de contrepropagande dans un but d’af-irmer ou de rappeler l’histoire de la nation.



Quelle fonction sociale pour un musée Réflexion à partir d’histoire ? du cas du Centre Européen Solidarité

Charlotte CASIER

L

ors de notre voyage en Pologne en septembre 2015 dans le cadre du cours « L'historien et la demande sociale, entre expertise et vulgarisation », nous, é tudiants et é tudiantes en derniè re anné e en histoire à l’Université libre de Bruxelles (ULB), avons eu la chance de visiter le Solidarności, ECS).

Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum

ECS : vue extérieure


Cet essai a pour objectif de poser une ré -lexion gé né rale sur les fonctions d’un musé e à partir de l’exemple pré cis et concret de l’ECS, ouvert en 2014 à Gdań sk autour de l’histoire du syndicat Solidarnoś ć (Solidarité ) : si le Centre n’a pas comme unique but de pré senter une histoire objective et scienti-ique de ce mouvement, quelles sont ses visé es ? Pour ce faire, je dé crirai d’abord briè vement l’histoire de cette union et sa place dans la socié té polonaise actuelle. J’ajouterai ensuite quelques informations sur la cré ation du musé e. Il sera ensuite temps de dé crire les impressions des é tudiants lors de notre visite en octobre 2015 pour dé marrer une ré elle ré -lexion sur ce musé e à partir de diffé rents aspects de l’exposition. Je conclurai en mettant en é vidence les idé es clé s de mon exposé et en é largissant le questionnement. Solidarnoś ć est le nom du syndicat polonais fondé à Gdań sk, notamment par Lech Wałęsa, le 31 aoû t 1980 sous le ré gime communiste. Cré é à la suite de grè ves ré pé té es dans les chantiers navals de cette localité , il devient alors le premier syndicat libre autorisé par le pouvoir lors des accords de Gdań sk. Le mouvement voit son nombre d’adhé sions croı̂tre de maniè re fulgurante et s’oppose de plus en plus ouvertement au pouvoir en place, si bien que celui-ci, effrayé par cette monté e en puissance, dé crè te en 1981 l’EQ tat de Guerre, qui marque la -in de la lé galité pour Solidarnoś ć. Si le syndicat tombe dans la clandestinité , il reste une force d’opposition puissante face aux autorité s communistes durant toute la dé cennie. Dans le contexte de l’affaiblissement du bloc de l'Est et à la suite des grè ves nationales de 1988, il est en-in lé galisé en 1989 aprè s les né gociations de la Table Ronde. Il remporte avec succè s les é lections de 1989, entamant ainsi la transition vers un EQ tat polonais dé mocratique. J’ajouterai à ce ré sumé trè s concis quatre é lé ments particuliers de l’histoire de Solidarnoś ć qui me semblent particuliè rement inté ressants : d’abord, le soutien de l’EQ glise au mouvement et l’importance de la religion au sein de celui-ci ; ensuite, son inscription dans une longue tradition de soulè vements populaires et de grè ves en Pologne ; troisiè mement, l’union originale de diffé rents groupes sociaux (ouvriers et intellectuels) ; et en-in, la lutte du Polonais contre le Polonais. Considé ré aujourd’hui comme un é lé ment clé dans la chute du communisme en Europe, Solidarnoś ć bé né -icie encore d’une aura certaine au sein de la socié té polonaise.

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L’ECS est inauguré of-iciellement le 30 aoû t 2014, c’est-à -dire à la date trè s symbolique du vingt-cinquiè me anniversaire de l’indé pendance polonaise et du trente-quatriè me des accords de Gdań sk. Lorsque le projet est lancé en 1998, il bé né -icie du soutien de personnalité s et d’associations de la ville. Aprè s un concours international d’architecture, les travaux du bâ timent sont lancé s en 2011 grâ ce aux -inancements publics de l’Union europé enne et de la municipalité . L’exposition est quant à elle -inancé e par le ministè re polonais de la Culture et de l’Hé ritage national et les autorité s de Gdań sk. L’ECS se trouve au dé but des chantiers navals, où naquit Solidarnoś ć et rappelle la forme d’un bateau.


Comme son nom l’indique, l’ECS ne se veut pas ê tre un simple musé e mais plutô t un centre accueillant des activité s diversi-ié es, une bibliothè que, des confé rences, des projections de -ilm, des expositions temporaires, etc. Cette tendance à faire de ces lieux de savoir des espaces à la programmation varié e et ouverts à d’autres types d’activité s est assez nouvelle mais trè s bien repré senté e dans la nouvelle gé né ration de musé es polonais : c’est le cas du

Musée de l’Émigration (Muzeum Emigracji) de Gdynia, du Musée de l’Histoire des Juifs de Pologne (Muzeum Historii Żydów Polski, MHZH P ou Polin) de Varsovie, et du futur Musée de la Deuxième Guerre mondiale (Muzeum II Wojny Światowej, MIIW) de Gdań sk. Cette conception impose dé jà aux responsables du Centre de faire des choix ré guliers sur les é vé nements qu’ils hé bergent, et donc de se reposer fré quemment des questions sur la ligne « é ditoriale » du musé e. Il faut é galement souligner l’importance de l’é ducation dans les missions que se donne l’ECS. La scé nographie utilisé e, la pré sentation des é vé nements par Anna-Maria Mydlarska, la directrice du dé partement Archives visuelles et l’implication importante d’anciens militants dans l’é laboration de l’exposition ont poussé les é tudiants de notre groupe à s’interroger sur l’objectivité du savoir pré senté . Certains é lé ments ont en effet frappé s les historiens que nous sommes, formé s à coup d’appels à l’objectivité et au dé centrage. Dé jà en pré parant la visite du musé e, j’ai é té é tonné e par les noms donné s aux salles de l’exposition, dont la progression est à la fois thé matique et chronologique : « Le Pouvoir et le Peuple », « la Guerre contre le peuple », « En route vers la dé mocratie », « Le Triomphe de la liberté », qui transmettent une vision trè s té lé ologique de l’histoire mais qui semblent aussi pré senter le combat de Solidarnoś ć comme une é popé e du bien contre le mal. La façon de pré senter les é vé nements anté rieurs à Solidarnoś ć comme la gradation logique vers la cré ation du syndicat nous a parfois semblé e trop simple pour ê tre ré elle. La pré sentation de certains objets tels des reliques intrigue l’historien, habitué à l’objet comme source et non comme souvenir. En-in, je signale un dernier exemple parmi d’autres : est-il pertinent pour la scienti-icité du musé e de le concevoir avec la participation de militants de l’é poque ? Je nuance toutefois ce bilan en signalant que nous avons visité ce musé e dans le cadre d’une visite guidé e ; peut-ê tre qu’une visite individuelle accompagné e d’une lecture minutieuse des panneaux explicatifs aurait pré senté une image plus nuancé e du syndicat. Si ces é lé ments peuvent nous surprendre, ils font toutefois partie d’une orientation clairement assumé e par les concepteurs de l’ECS. En effet, ses objectifs vont clairement plus loin que « simplement » informer le visiteur sur le mouvement Solidarnoś ć puisque « la mission de l'ECS est et suit la conviction que la dé mocratie ne doit pas ê tre tenue pour acquise. Dé couvrir l'histoire et dé cider pour le futur ». Basil Kerski, pré sident de l’ECS, dé clare lors de l’inauguration du Centre que le statut de l’institution confè re à ses responsables « la tâ che de commé morer, conserver et faire connaı̂tre le patrimoine et le message de Solidarnoś ć et de l'opposition anti-communiste en Pologne et dans les autres pays ». En ancrant la ré -lexion dans le pré sent et en se voulant gardien du souvenir de Solidarnoś ć, l’ECS se voit clairement obligé de se positionner par rapport à l’histoire qu’il pré sente.

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Ces é lé ments posé s, on se rend compte assez facilement de la non-pertinence de questionner l’objectivité du musé e. Si l’objectif n’est pas uniquement de pré senter de façon scienti-ique et objective le mouvement Solidarnoś ć, quelles sont les fonctions de ce musé e et de ses modes d’action ? Il s’agit au -inal de poser la question plus large du rô le d’un musé e dans une socié té au passé douloureux telle que la socié té polonaise. Pour mieux comprendre quelles fonctions remplit le musé e et surtout comment, je vais donc pré senter plusieurs aspects concrets du musé e pour nous é clairer sur ces questions : la place accordé e aux militants, la possibilité offerte aux visiteurs de suspendre un mot dans une des piè ces de l’exposition, l’avant-derniè re piè ce du musé e, le caractè re europé en du projet et le contexte d’une socié té au passé douloureux. Tout d’abord, il faut remarquer l’attention qu’accorde l’exposition aux individus du mouvement. En effet, si les grands personnages comme Jean-Paul II (à qui est dé dié e une salle entiè re) et Lech Wałęsa ont leur place au sein de la narration, on remarque les nombreux espaces dé dié s aux anonymes qui ont participé au mouvement. L’importance des té moignages ré colté s et pré senté s, 900 dans la seule salle sur la ré pression, illustre é galement cette tendance. Solidarnoś ć est pré senté comme une mosaı̈que de personnalité s et d’histoires individuelles et pas seulement le ré sultat du travail de quelques -igures majeures. L’ECS propose donc l’histoire du syndicat vé cue par ses militants permettant de cette maniè re à

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chaque visiteur d’y reconnaı̂tre et de comprendre mieux son é ventuelle participation à la lutte ou celle de quelqu’un de son entourage. Pour ceux qui n’ont pas vé cu cet é pisode de l’histoire polonaise, il me semble que cette mise en é vidence permet une plus grande identi-ication aux acteurs de l’é poque. Il est é galement inté ressant d’é tudier l’avant-derniè re piè ce de l’exposition. Celle -ci offre à chaque visiteur la possibilité d’é crire un mot sur une carte à suspendre au mur. L’ensemble des cartes rouges et blanches forme le logo de Solidarnoś ć, tel un immense livre d’or. Il s’agit ici de permettre à chaque visiteur de participer à l’exposition. Le visiteur n’est plus seulement spectateur mais bien acteur. Le mot le plus pré sent de tous est l’indication « j’y é tais », montrant ainsi la né cessité d’offrir un espace d’expression aux personnes qui ont vé cu Solidarnoś ć sous le ré gime communiste. Il faut aussi signaler l’aspect europé en du projet. Comme signalé plus haut, le projet a bé né -icié d’un -inancement de l’Union europé enne, qui a contribué pour moitié au bâ timent, et porte l’adjectif « European » dans son nom. Quelles implications concrè tes cette aide -inanciè re a-t-elle sur l’exposition ? Il n’est pas é vident de ré pondre à cette question. Le projet dé fendu par ses concepteurs est, d’une part. celui de Solidarnoś ć comme une é tude de cas pour ré -lé chir de façon plus large aux autres mouvements sociaux europé ens et non europé ens et, d’autre part, de remettre en avant une histoire trop souvent ignoré e des citoyens de l’Union europé enne. Le premier objectif est -il consé quence ou condition du soutien de l’Union europé enne ? Lors de la visite, on constate rapidement que c’est le deuxiè me objectif qui prime : peu d’attention est


accordé e à d’autres pays que la Pologne. Seule la derniè re piè ce du musé e met en relation la narration de l’exception et des diffé rentes luttes. Elle se pré sente comme un espace de ré -lexion pour le visiteur entiè rement vide à l’exception d’une citation de Jean-Paul II et des photos projeté es sur le mur de Martin Luther King, Ghandi, le Dalaı̈-lama et Aung San Suu Kyi, des -igures trè s « politiquement correctes ».

L’ECS s’inté resse à l’histoire ré cente, il est donc inté ressant de le ré -lé chir dans son contexte, celui d’une socié té au passé douloureux. Est-il né cessaire d’offrir des lieux pour se remé morer les moments passé s et de comprendre son histoire ? L’ECS semble ré pondre par l’af-irmative à cette question. Il est donc sû rement fondamental d’offrir aux citoyens des lieux qui ne montrent pas seulement la ré pression mais aussi un aspect lumineux du passé communiste : la ré sistance et l’union au sein de la socié té polonaise et l’espoir suscité .

Faire vivre le souvenir de Solidarnoś ć et le prendre comme point de dé part pour amener des ré -lexions individuelles et collectives sur l’engagement dans nos socié té s est sû rement plus que né cessaire dans la socié té polonaise. Toutefois, il faut rester vigilant sur les risques inhé rents à de telles dé marches. En effet, la volonté est forte de pré senter un message clair, cohé rent et univoque pour susciter une adhé sion solide au mouvement. On risque alors de perdre en complexité de l’histoire du syndicat Solidarnoś ć en faveur d’un lissage en effaçant les tensions et les critiques internes et externes qui ont parcouru ce mouvement hé té rogè ne, notamment aprè s la chute du communisme. Ei tre neutre n’est jamais possible et ne semble mê me pas pertinent au regard des missions que s’est -ixé es l’ECS. Adopter un point de vue engagé mais de façon transparente, af-irmé e et assumé e me semble donc une option à valoriser pour ré pondre aux demandes d’une socié té particuliè re.

81 ECS : Militants décédés


ECS : Le Mur Solidarność - Livre d'or


Comparaison du dispositif de l’Institut de la Mémoire nationale (IPN), avec celui d’autres pays de l’ex-bloc de l’Est Catherine BRUNEEL & Majda ROUGUI

C

ette anné e, nous avons eu la chance de visiter les archives de l’Institut

de la Mémoire nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN), situé à Varsovie. Nous avons, tout d’abord, é té accueillis par deux employé es de l’é tablissement qui nous ont pré senté la structure, l’organisation et la mission de l’IPN. Ensuite, nous avons pu visiter et observer le lieu de conservation des archives et apprendre comment celles-ci é taient classé es et inventorié es. C'est un endroit bien gardé où seuls les fonctionnaires de l’IPN ont habituellement accè s. Il sera question, dans cet article, de mettre en parallè le, dans la mesure du possible, les politiques archivistique et institutionnelle (en insistant sur celle de lustration) mises en place dans les trois pays suivants : Pologne, Allemagne et Ré publique tchè que. De nombreuses controverses sont né es des politiques de lustration, un aspect polé mique qui n’a pas é té traité par la guide. Ainsi, il nous a semblé inté ressant de mettre en parallè le ces diffé rentes expé riences et d’en dé gager les questions essentielles, tout en se concentrant sur le cas


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Il sera question, dans cet article, de mettre en parallè le, dans la mesure du possible, les politiques archivistique et institutionnelle (en insistant sur celle de lustration) mises en place dans les trois pays suivants : Pologne, Allemagne et Ré publique tchè que. De nombreuses controverses sont né es des politiques de lustration, un aspect polé mique qui n’a pas é té traité par la guide. Ainsi, il nous a semblé inté ressant de mettre en parallè le ces diffé rentes expé riences et d’en dé gager les questions essentielles, tout en se concentrant sur le cas polonais.

IPN : dépôt d’archives


Institut de la Mémoire Nationale

L

’IPN cré é en vertu de la loi du 18 dé cembre 1998, a pour objectif principal de « garder la mé moire sur l’immensité des victimes, pertes et dé gâ ts subis par la Nation polonaise au cours de la Deuxiè me Guerre mondiale et aprè s son achè vement » (Galezowska, 2014 : 1) . Cette mé moire a une dimension individuelle et collective. L’IPN collecte en effet des informations concernant les victimes polonaises ayant subi la ré pression de l’occupant nazi ou sovié tique. Les archives contiennent donc essentiellement les documents polonais portant sur les pé riode nazie et communiste de la Pologne, mais é galement des documents rapatrié s de Russie, é manant de l’Armé e rouge, des institutions et organes de sé curité de l’Union des Ré publiques Socialistes Sovié tiques (URSS). On y trouve é galement des listes de citoyens polonais interné s, d’agents de la Police nationale, et en-in de soldats. En 2013, l’IPN a signé un contrat avec le centre KARTA qui lui a permis de reprendre la gestion d’un programme de recherche lié aux personnes soumises à la ré pression sovié tique. Un an plus tard, un Centre d’Information sur les Victimes de ré pression allemande et sovié tique de la Deuxiè me Guerre mondiale jusqu’en 1989, a é té cré é . Grâ ce à celui-ci, les procé dures de la mise à disposition des documents se sont considé rablement simpli--ié es (Leskiewicz et al., 2014). C’est le bureau de mise à disposition et d’archivage de documents (BUiAD) qui emploie le plus de personnel. C’est là que se fait la grosse partie du travail d’enregistrement, de collecte, de conservation, de pré paration et de mise à disposition au public (Behr, 2010 : 44). C’est, notamment, ce que nous avons eu l’occasion de visiter.

En dehors de son cô té archivistique, l’IPN est doté d’un Bureau d’é ducation permanente, de formation et de recherche mais aussi, et, c’est ce qui en fait sa spé ci-icité par rapport aux organes similaires dans les autres pays de l’ex-bloc de l’Est, d’une Commission d’enquê te et de poursuite des crimes contre la nation polonaise. Celle-ci comporte donc un volet judiciaire. En 2006, un bureau des lustrations s’est rajouté à l’institution. Nous reviendrons sur ce dernier point un peu plus loin.

85 IPN : travail d’enregistrement et de conservation des archives


Cette Commission pour la poursuite des crimes contre le peuple polonais a pour but de mener des enquê tes sur les crimes de l’é poque nazie mais aussi sur ceux de l’é poque communiste, c'est-à -dire entre 1939 et 1989. Elle succè de à une structure pré existante fondé e en 1945 et appelé e « Commission pour la poursuite des crimes allemands en Pologne ». Celle-ci deviendra, en 1949, la Commission pour la poursuite des crimes hitlé riens. En 1991, cette derniè re est ré organisé e avec l’ajout de la poursuite des crimes commis pendant la pé riode communiste (Beaupre, Bensussan & Dakowska, 2006). Cette commission est donc anté rieure à la cré ation de l’IPN.

Ailleurs dans les autres pays de l’ex-bloc de l’Est

L

a mise en place d’institutions de la mé moire comme l’IPN en Pologne est lié e à la dynamique des pays pour sortir du ré gime communiste. Avec l’effondrement des ré gimes communistes dans les pays d’Europe centrale et orientale, on assiste à une vé ritable « ré volution archivistique ». Comme le dit Marc Bloch dans son Apologie pour l’Histoire : « Ce sont les ré volutions qui forcent les portes des armoires de fer et contraignent les ministres à la fuite avant qu’ils n’aient trouvé le temps de brû ler leurs notes secrè tes. » (Beaupre, Bensussan & Dakowska, 2006 : 1) Partout dans ces pays, on assiste à la cré ation d’une politique archivistique qui permet l’accè s à des fonds d’archives spé ci-iques. Ces politiques sont d’ailleurs ré vé latrices du rapport que ces socié té s entretiennent avec leur passé mais aussi du rô le qu’elles jouent dans la construction des mé moires collectives (Beaupre, Bensussan & Dakowska, 2006 : 1).

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Ainsi, dans les pays d’Europe centrale et orientale, il existe des politiques dites de lustration. Ces derniè res consistent à dé celer l’existence de liens é troits ou non entre des personnes et la police secrè te de l’ancien ré gime totalitaire communiste ; l’objectif est donc d’é carter des postes publics toute personne ayant collaboré de prè s ou de loin avec les anciens services secrets communistes, sur la base des archives. Cependant, la publication des listes de collaborateurs fait encore dé bat aujourd’hui. AR partir de quel moment peuton considé rer qu’une personne a collaboré avec l’ancien ré gime ? Ces listes ne creusent -elles pas un fossé toujours plus profond entre les individus d’un mê me EQ tat ? Comment é viter les pratiques abusives ? Le danger de ces archives ré side dans le fait qu’il est possible de discré diter l’une ou l’autre personnalité en l’accablant de faits qu’elle n’a peut-ê tre pas commis. L’instrumentalisation des sources est donc l’une des principales problé matiques soulevé es dans les dé bats sur la politique de lustration. Encensé e par ses plus fervents dé fenseurs mais dé crié e par ses opposants,


elle a dé jà à plusieurs reprises suscité des remous politiques, largement mé diatisé s. Nous y reviendrons plus loin. En Pologne, dè s 1992, une premiè re liste circule, 66 noms de personnalité s importantes de l’EQ tat y -igurent. Cependant, il faudra attendre 1996 a-in qu’une loi soit cré é e ainsi qu’une cour spé ciale chargé e de trancher sur les cas de collaboration. En-in, en 1998, on assiste à la cré ation de l’IPN qui se dote en 2006 d’un bureau chargé de la lustration ; c’est donc auprè s de celui-ci qu’il faut se rendre si nous voulons accé der aux dossiers reprenant les noms des collaborateurs de la police secrè te communiste. Seulement, la Pologne est loin d’ê tre pré curseur en la matiè re. Dans les pays comme l’ex-Tché coslovaquie ou l’exRé publique dé mocratique allemande (RDA), cette politique de lustration (ou plus gé né ralement l’institutionnalisation de la mé moire) s’est faite plus rapidement qu’en Pologne. En effet, dè s 1991, l’uni-ication allemande presse l’Allemagne de l’Est à se pourvoir d’une lé gislation et d’une institution : l’Institut Gauck (Bundesbeauftragter für die Stasi-Unterlagen der Ehemaligen DDR, BStU) qui conserve les archives de sé curité de l’ex-RDA. Cet institut est pourvu d’un bureau chargé de traiter les dossiers de lustration (Gatelier, 2005). Les fonds d’archives pré sents à l’IPN sont plus hé té rogè nes bien que l’Institut Gauck dispose de moyens humains plus importants qui lui permettent de satisfaire plus de demandes. En 2009, l’IPN a ainsi ré pondu positivement à 63 000 demandes d’accè s à des dossiers, soit à peine la moitié du total des demandes satisfaites par l’Institut Gauck. De plus, bien que l’activité de ces deux instituts repose sur de mê mes bases, à savoir sur les archives des services secrets, leur public et leur statut juridique sont diffé rents. En effet, à l’institut

allemand, la majorité des sources s’adresse à des particuliers. De plus, l’Institut Gauck est rattaché à la Commission pour la culture et les mé dias du ministè re de l’Inté rieur. Il est donc sous tutelle ministé rielle tandis que d’un point de vue formel, l’IPN est plus autonome. En Ré publique tchè que, dè s 1991, une loi de lustration est voté e et ré glemente l’accè s à des fonctions publiques. En 1996, une loi permet à toutes les victimes du ré gime communiste d’accé der aux dossiers des collaborateurs. Cependant, il faudra attendre 2007 pour voir la cré ation d’un Institut tchè que pour l’é tude des ré gimes totalitaires (Ústav pro studium totalitních režimů, UQ STR). Les mesures de ré pression à l’encontre des collaborateurs sont plus sé vè res en Ré publique tchè que et en exAllemagne de l’Est qu’en Pologne. En effet, la loi de lustration polonaise, destiné e à priver l’accè s aux fonctions publiques et politiques aux anciens collaborateurs des services de sé curité communiste, est moins radicale car ne sont sanctionné s que les personnes omettant de mentionner des faits de collaboration. Cependant, les instituts tchè que et allemand comportent tous deux un centre d’archives et un centre de recherche et d’é ducation (Behr, 2010 : 2630). Il est inté ressant de constater le « retard » de la Pologne en ce qui concerne les mesures de lustration et plus gé né ralement la politique d’institution-nalisation. En effet, elle fait partie des derniers pays d’Europe centrale et orientale à entreprendre des dé marches concrè tes vis-à -vis du passé communiste ; l’Allemagne de l’Est et la

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Tché coslovaquie é tant les deux pays les plus rapides en la matiè re. Pourtant, la Pologne fait partie avec la Hongrie, des premiers pays de l’Europe centrale à avoir adopté des ré gimes dé mocratiques. Alors, pourquoi un tel retard ? Selon Tomá š Bezá k, é tudiant slovaque en sciences politiques, dans les pays où les communistes ont activement participé au processus de transition vers la dé mocratie, le temps de la gestion du passé communiste est arrivé bien plus tard (Sg imeč ka, 2009). Contrairement à l’Allemagne de l’Est, la Pologne n’a pas directement é té sujette à la pression de rendre accessible les archives des services de sé curité . EQ tant donné qu'il n’y a pas eu de cassure radicale avec le passé communiste, celui-ci n’é tait pas au centre des revendications politiques aprè s 1989. Une continuité institutionnelle ré gnait et l’ouverture de ces archives risquait de mettre en pé ril les secrets d’EQ tat liant des personnalité s toujours pré sentes sur la scè ne politique. De plus, la pression sociale pour l’ouverture des archives é tait moins pré gnante. En effet, en ex-RDA, la pression venant à la fois des Mouvements de citoyens mais aussi du processus d’uni-ication (qui é veille la crainte que les archives des services de sé curité ne soient transfé ré es en Allemagne de l’Ouest) fut tellement forte qu’il a fallu une rapide confrontation au passé , ce qui a permis la mise en place d’un dispositif de lustration important en Allemagne. Il en va de mê me pour la Ré publique tchè que qui connaı̂t une rapide prise en charge du passé communiste, dè s la -in de l’anné e 1989 (Behr, 2010 : 27). Dans ces pays, le processus de dé communisation apparaı̂t dè s le dé part. Une autre raison invoqué e quant au « retard » de la Pologne

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est la multiplicité des documents polonais é manant de Services spé ciaux toujours actifs dans la nouvelle Pologne et le caractè re hé té rogè ne de ceux-ci. Ils viennent de diffé rents ministè res et sont dè s lors plus dif-iciles à rassembler. Elles couvrent é galement une pé riode beaucoup plus longue qu’en Ré publique tchè que ou en ex-RDA. Les politiques de lustration ont donné lieu à de nombreux scandales. En Pologne, il convient de parler de « l’affaire Wałęsa ». En effet, en 1992, le ministre de l’Inté rieur, Antoni Macierewicz, rend publique une liste de supposé s collaborateurs au ré gime communiste. Ces derniers auraient communiqué des informations aux anciens services de sé curité communistes. Dans cette liste -igurait le nom de l’ancien pré sident polonais : Lech Wałęsa. Le scandale fut tel qu’il entraı̂na la chute du gouvernement. Plus tard, en 2005, une autre liste viendra é branler la Pologne : « la liste Wildstein ». Celle-ci, diffusé e par le journaliste Bronisław Wildstein, reprenant 160 000 noms de personnes -igurant sur la base de donné es de la police secrè te communiste, s’est retrouvé e sur internet alors qu’elle n’é tait pas censé e sortir des murs de l’IPN. Cette publication fut suivie de nombreuses ré actions ; des personnes impliqué es voulant obtenir un certi-icat de non-collaboration a-in d’ê tre dé -initivement blanchies (Gatelier, 2005). Prenons un autre exemple, tchè que cette fois-ci : « l’affaire Kundera ». En 2008, l’é crivain tchè que, Milan Kundera fut accusé de collaboration avec l’ancien ré gime communiste. Le document à l’origine de cette accusation est en fait une é manation de l’UQ STR. C’est l’historien Adam Hradı́lek qui en dé terrant un rapport des services secrets de l’IPN, jeta le discré dit sur Milan Kundera. Selon ce rapport, ce dernier aurait dé noncé en 1950 un agent amé ricain à


Prague. L’intellectuel s’é tait empressé de dé mentir cette information. Ainsi, « l’affaire Kundera » peut ê tre comparé e à « l’affaire Wałęsa ». Dans les deux cas, les institutions ont é té ciblé es. Le principal reproche qui leur é tait fait est de n'avoir utilisé qu'un seul type de sources, les archives des services secrets communistes, sans ré elle mise en contexte et travail d’historien en amont.

poursuivis (Behr, 2010 : 48-50). Un autre problè me à soulever, cette fois commun à tous les pays d’Europe centrale et orientale, est celui de la -iabilité des sources. En effet, il faut rester prudent quand on sait qu’une partie des sources de l’appareil de sé curité ont é té dé truites entre 1989 et 1990 et que ces services avaient l’habitude de falsi-ier des documents.

Cela soulè ve un point inté ressant : la place de l’historien dans de pareilles institutions. En effet, à l’IPN, la cohabitation entre historiens et procureurs n’est pas aisé e puisque l’usage des archives n’a pas la mê me -inalité . Pour les procureurs, il s’agit d’investiguer sur les crimes du passé et de ré gler les comptes avec l’ancien ré gime ; pour l’historien, il s’agit de produire un travail scienti-ique qui requiert une certaine mise à distance des documents. Le passé est donc analysé diffé remment selon la place qu’on occupe et peut parfois gé né rer des tensions quant aux buts contradictoires

En-in, avant de conclure cet article il nous faut pré ciser l’in-luence que les trois institutions ont pu avoir entre elles. En effet, selon Valentin Behr, il existe un lien de parenté entre ces diffé rents instituts : l’UQ STR se serait inspiré de l’IPN, qui aurait lui-mê me é té in-luencé par le BStU en Allemagne de l’Est. De plus, ces diffé rents instituts interagissent puisqu’ils organisent des confé rences scienti-iques communes sur des thè mes se limitant pour la plupart à l’opposition au communisme et à l’appareil de sé curité de l’é tat (Behr, 2010 : 31).

Ces institutions mé morielles sont donc né es dans les diffé rents pays d’Europe centrale et orientale à la chute du bloc de l’Est. Ministè re de l’histoire dont le but est de cré er un ré cit historique ? La cré ation d’une institution comme l’IPN a suscité de nombreuses polé miques et controverses. Parmi celles-ci, on lui reproche de donner une vision ré ductrice du passé , vu essentiellement sous un angle ré pressif car analysé uniquement à partir des archives des Services de Sé curité . La comparaison de diffé rents types de sources paraı̂t donc essentielle à la production d’ouvrages scienti-iques et se pencher sur l’histoire sociale est un autre moyen d’analyser le passé sans se focaliser uniquement sur cet aspect. L’histoire sociale fut, pendant les premiers temps, laissé e de cô té par l’IPN qui voyait essentiellement l’histoire de son pays sous un angle politique. Celui-ci re-lé terait donc la vision de l’histoire du pouvoir politique. Mais quel est son degré de dé pendance par rapport à celui-ci ? Quelle objectivité ont ses productions ? Les historiens qui travaillent dans ces institutions sont-ils, comme le dit Valentin Behr, des historiens de bureau limité s dans leurs recherches à cause de leur statut ? Depuis quelques anné es, les lois de l’IPN ont é té modi-ié es suite à « l’affaire Wałęsa », et une certaine dé politisation a é té opé ré e. Malgré ces critiques, cette institution reste né anmoins, un centre de recherche hors du commun grâ ce à l’é tendue des ressources documentaires dont elle dispose.



Urbanisme et communisme :

le cas de Varsovie

Arthur HORMAN

D

ans l'imaginaire collectif occidental, une ville d'Europe centrale ou orientale ayant é té soumise à l’in-luence de l'Union des Ré publique Socialistes Sovié tiques (URSS) pré sentera toujours certaines caracté ristiques architecturales peu -latteuses. Nous avons tous cette image d'un immeuble gris et carré , au milieu d'autres bâ timents identiques, et cela à perte de vue. Il est vrai que les architectes sovié tiques avaient un goû t prononcé pour l'ordre et la rationalisation. Tout n'est cependant pas à jeter dans l'urbanisme communiste, sur le papier du moins. C'est en tout cas l'impression que j'ai eu en visitant Varsovie. Le cas de Varsovie est d'ailleurs un exemple inté ressant car elle a é té sujette à une attention toute particuliè re de la part du ré gime communiste lors de sa reconstruction. Une brè ve histoire de la reconstruction de la ville s'impose avant de s'interroger sur le pour et le contre du couple communisme-urbanisme. Varsovie a é té sé vè rement abı̂mé e durant la guerre. AR partir de l'insurrection de la ville, dé marré e en aoû t 1944, jusque sa prise par l'Armé e rouge en octobre 1944, l'armé e allemande transforme la cité en un vé ritable champ de ruine. Seul un quart des bâ timents de la rive droite de la Vistule est encore debout et 15 % de ceux de la rive gauche. Les 9/10 de l'industrie de la ville sont dé truits, il n'y a plus de ponts, d'é lectricité , d'alimentation en eau potable, etc. Cette destruction sans pré cé dent repré sente une aubaine pour le ré gime communiste qui voit là une opportunité pour rebâ tir une cité parfaite correspondant aux idé aux communistes. D'autant plus que Varsovie occupe une place straté gique entre Moscou et Berlin. Une sé rie de projets voit alors le jour dans les anné es qui suivent la -in de la guerre et la reconstruction de Varsovie va connaı̂tre plusieurs phases.


Durant la premiè re phase de construction, qui s'é tend de 1945 à 1949, on pare surtout au plus pressé pour accueillir les dizaines de milliers de personnes qui reviennent dans la capitale chaque anné e. Il y a cependant plusieurs points de vue qui s'opposent quant au plan à suivre. Certains pensent qu'il faut reconstruire le plus vite possible et pro-iter de tous les bâ timents qui sont encore debout, d'autres pensent qu'il faut saisir l'opportunité qui est offerte et reconstruire l'entiè reté de la ville dans un style cohé rent, socialiste, quitte à dé truire les rares bâ timents ayant tenu le coup. C'est au -inal la seconde proposition que sera retenue. En 1949, la doctrine du ré alisme socialiste est adopté e lors de la mise en place du plan sexennal de reconstruction de Varsovie. L'architecture devient un monopole é tatique et la relative liberté de cré ation dont bé né -iciaient les architectes durant la premiè re phase de reconstruction va disparaı̂tre. Né anmoins certains projets lancé s auparavant auront le temps de se -inir comme par exemple le tunnel et l'artè re Est-Ouest qui relie les deux rives de la Vistule. Cet ouvrage de l'architecte Jó zef Sigalin, clairement inspiré par les idé es de Sir Leslie Patrick Abercrombie dans son plan du grand Londres de 1944, sera un des rares à ê tre inspiré d'une ville occidentale. D'autres architectes modernistes signeront les premiers bâ timents of-iciels, mais ce style, jugé trop lié au capitalisme, sera abandonné lors de l'instauration de la nouvelle doctrine. Cette doctrine prô ne le rationalisme et l'objectivité dans l'architecture moderne. Cette vision avance l'idé e d'une ville comme une œuvre d'art totale et cohé rente à l'inverse de la ville capitaliste dont le

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chaos architectural ré sulte de l'entreprise individuelle (comme nous le verrons plus bas, c'est exactement la consé quence qu'aura la mise sur le marché des espaces urbains de Varsovie en 1992). Le plan sexennal a plusieurs objectifs. Il faut avant tout cré er pour le travailleur des nouvelles conditions de vie, meilleures é videmment et plus rationnelles en tenant compte de ses besoins sociaux. Il faut noter que les conditions de vie du prolé tariat à Varsovie avant sa destruction sont particuliè rement dif-iciles, la densité de population est extrê mement é levé e (les chiffres avancé s dans le rapport pré senté à la confé rence du Parti Ouvrier Polonais Uni-ié , le parti communiste polonais [POUP ; en polonais Polska Zjednoczona Partia Robotnicza, PZPR] à Varsovie le 3 juillet 1949 pré sentent une moyenne de 3,8 personnes par piè ce) et ses quartiers ne bé né -icient que rarement d'eau courante, d'é lectricité et d'eau potable d'où l'insistance sur ce point en particulier dans le nouveau plan sexennal. Le plan veut é galement passer d'un dé veloppement spontané mais irré gulier et sans fondement durable de l'urbanisme, à une organisation plani-ié e. Une autre ligne directrice ré side dans le fait que Varsovie va devenir la capitale d'un pays socialiste et qu'il faut donc lui donner un contenu idé ologique. Comme Varsovie est une ville hautement industrielle avant sa destruction (la ville contient 10 % des ouvriers de Pologne alors qu'elle n'abrite que 4 % de la population du pays) et que le prolé tariat polonais est trè s investi politiquement il y a la volonté de rendre à la classe ouvriè re le rô le d'avantgarde qu'elle joue dé jà avant la guerre. Pour cette raison le plan sexennal met en avant la ré industrialisation de Varsovie pour en refaire une ville ouvriè re. Suite à un dé bat quant à l'emplacement des industries,


il est dé cidé qu'au lieu de construire des zones industrielles desservies par un ré seau de communication moderne (vision occidentale), il faut enchâ sser les industries directement dans les quartiers d'habitation pour plus d'ef-icience. La reconstruction du centre-ville suscite é galement des dé bats. Deux visions s'opposent à nouveau. La premiè re envisage le centre-ville à l'occidentale comme le siè ge des fonctions repré sentatives, commerciales et culturelles. L'autre au contraire dé crie cette vision capitaliste traditionnelle et estime que les ouvriers, eux aussi, ont droit au centre-ville. C'est la deuxiè me vision qui l'emportera. En-in, la reconstruction la plus rapide possible de la Vieille Ville (stare miasto) fait l'unanimité auprè s de tous, le dé bat se porte plutô t sur la maniè re de faire et c'est la reconstruction dans le style d'origine, en ne laissant pas de traces des ruines, qui est privilé gié e. Cette nouvelle vague de reconstruction va se poursuivre jusqu'en 1956. AR partir de cette anné e le modernisme tardif ou modernisme socialiste va se ré introduire doucement. On marie des solutions é conomiques et utilitaires, des principes fonctionnalistes et le mode de construction industrielle par la pré fabrication d'é lé ments modulaires. C'est à travers la cré ation d'immeubles de logement standards que ce nouveau style transparaı̂t notamment. Il y a né anmoins un mouvement de ré sistance au sein du groupe des architectes polonais, la volonté de se tourner vers une esthé tique architecturale plus occidentale se fait de plus en plus pré sente.

En 1968, en raison de l'impossibilité de pratiquer leur mé tier comme bon leur semble et suite à une vague de ré pression politique, é normé ment d'architectes polonais vont é migrer. Les 20 anné es qui suivent peuvent pratiquement se ré sumer à la mise en place de grands ensembles de pré fabriqué s. Il n'y a de fait aucune innovation urbanistique.

En 1989, tout change. La socié té rejette les principes de l'ancien EQ tat centralisé ce qui amè ne donc au rejet du systè me de plani-ication urbaine. En 1992 un nouveau plan d'urbanisme voit le jour. 517 km² de la capitale sont ouverts à l'investissement privé , avec une lé gislation trè s vague et gé né rale pour ré guler ces ventes. La notion d'inté rê t publique, trop souvent dé tourné e sous le ré gime communiste, disparaı̂t complè tement du vocabulaire et la socié té civile de Varsovie n'y voit aucun inconvé nient. On bascule dans un urbanisme dirigé par le marché de l'immobilier avec une liberté maximale.

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L'idé e d'une forme urbaine harmonieuse et globale est complè tement mise de cô té , à tel point que mê me les espaces verts qui structuraient la ville sont mis en vente. L'impô t ad valorem (taxe qui touche un bien proportionnellement à sa valeur) est supprimé ce qui fait que Varsovie devient un paradis pour la spé culation immobiliè re. On retrouve du coup beaucoup de terrains dont la construction a é té postposé e en attendant une valorisation, on pense notamment à tous les espaces autour du Palais de la Culture et de la Science (Pałac Kultury i Nauki, PKiN) en plein centre-ville. Une autre consé quence de cette libé ralisation excessive est la dispersion des investissements vers la pé riphé rie ce qui empê che le centreville de bé né -icier de capitaux pour achever la reconstruction des places historiques. Cette volonté d'expression aprè s des dé cennies de contrô le strict par l'EQ tat aboutit à un chaos architectural total : des bâ timents hauts avoisinent des maisons familiales et les gratte-ciels jouxtent les bâ timents historiques. Aprè s cette brè ve description de l'urbanisme varsovien depuis 1945, je me pose certaines questions. La premiè re qui me vient à l'esprit, me semble assez importante : l'urbanisme communiste est-il plus à pointer du doigt que l'urbanisme capitaliste ? Certes la pé riode allant de 1956 à 1989 est en é chec d'un point de vue urbanistique mais essentiellement pour des raisons é conomiques. Les bureaux responsables de l'urbanisme et du -inancement é taient distincts et la communication entre les deux n'é tait pas toujours claire et aisé e. De plus, au fur et à mesure des dé cennies la Ré publique Populaire (PRL) va se retrouver dans une situation é conomique de plus en plus pré caire. En revanche si on s'inté resse à la premiè re dé cennie qui suit la guerre, la reconstruction de Varsovie, bien que vite muselé e esthé tiquement par la doctrine du ré alisme socialiste, porte dans un premier temps ses fruits et une nouvelle ville avec une esthé tique travaillé e voit le jour. Les plans et dessins pré senté s dans le cadre du plan sexennal de reconstruction de Varsovie, toujours consultables aujourd'hui,

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prouvent que si les -inancements avaient é té suf-isants, la ville aurait é té trè s belle, un peu trop parfaite mê me. Il est dommage de se dire que les exactions commises par Staline et l'URSS ont tellement impré gné l’imaginaire collectif lié à l'idé ologie communiste qu'au lieu de penser aux ré ussites des architectes communistes, nous imaginons directement des villes ternes avec des blocs d'immeubles à perte de vue. Les plans pré senté s pour la reconstruction de Varsovie ont certes vieilli mais té moignent d'une vé ritable volonté d'embellir la ville. La tendance né o-libé rale de ces derniè res dé cennies qui ré duit le communisme à ses é checs, aussi é normes soient-ils, me semble un tort. On peut é galement s'inté resser à l'impact du capitalisme sur l'urbanisme de Varsovie. On s'aperçoit assez vite que celui-ci n'a apporté que le chaos. En tant que Bruxellois je ne me suis d'ailleurs pas du tout senti dé paysé en visitant la capitale polonaise, cette absence totale de cohé rence me rappelait ma chè re ville natale. Ce n'est pas pour rien que le mot « bruxellisation » est un terme employé par les urbanistes... Et c'est sans doute en tant qu'habitant d'une ville qui a vu une partie de son patrimoine disparaı̂tre pour permettre une soi-disant modernisation que je suis sensible à la situation dans laquelle se trouve Varsovie aujourd'hui.


Varsovie donne aujourd'hui l'impression d'un chantier gé ant où s'affrontent passé et pré sent. Les architectes ont en-in le droit d'exprimer leur cré ativité , et c'est un bien, mais faut-il pour autant laisser une ville qui a é té , au moins durant la premiè re dé cennie de sa reconstruction, pensé e comme un ensemble urbain structuré , se transformer en un ensemble incohé rent et inesthé tique juste pour pouvoir faire un pied de nez au passé ? Que les polonais se mé -ient de l'omnipré sence de l'EQ tat, c'est tout à fait compré hensible au vu de leur passé communiste. Je pense qu'il faut né anmoins que celui-ci intervienne pour mettre le holà à l'urbanisme galopant qui dé -igure lentement mais sû rement la capitale polonaise. Le retour de l'initiative privé e est une bonne chose, surtout du point de vue artistique, indispensable en architecture, mais cette libé ralisation extrê me des espaces urbains de Varsovie pro-ite avant tout aux gros investisseurs et dé tenteurs de capitaux, et je doute fort que la beauté de Varsovie soit leur pré occupation premiè re. Né anmoins, tant que les Polonais n'auront pas fait la paix avec leur passé , l'esthé tique de Varsovie hé rité e des anné es communistes n'est pas prê te de bé né -icier d'une politique de mise en valeur.



Entre réconciliation et dénonciation :

la Pologne face à son passé Marie LINOS

L

e discours est bien ancré dans nos petites tê tes d’é tudiants : le communisme, c’est mal. Si en Belgique ou ailleurs en Europe occidentale, le message semblait dé jà trè s clair, il faut avouer qu’en Pologne, des efforts parfois gigantesques sont mis en œuvre pour nous en convaincre. De la guide du Centre Européen Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS) té moignant avoir failli ê tre é borgné e lors de la ré pression des manifestations du syndicat en passant par la visite du

Musée de

l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego) où , de toute é vidence, tout est accompli pour rendre la visite drô lement inconfortable. Force est cependant de constater que la palme revient au guide de la prison de Mokotó w qui n’a pas hé sité à nous faire -lirter avec nos tendances claustrophobes pour nous faire parvenir son message. Celuici est donc limpide : le communisme, au mê me titre que le nazisme, doit ê tre condamné massivement. D’autres pays de l’ex-bloc de l’Est dé livrent un discours similaire. En Roumanie, par exemple, la commission pré sidentielle d’analyse de la dictature communiste, é crit dans son rapport -inal en 2006 : « Aujourd’hui, la condamnation du ré gime communiste est avant tout une obligation morale, intellectuelle, sociale et politique. » (Tismaneanu, 2008 : 172) Elle conclut d’ailleurs en ces termes : « L'extrê me gauche doit ê tre rejeté e tout autant que l'extrê me droite. Le dé ni des crimes du communisme est tout aussi inacceptable que celui des crimes du fascisme. » (Tismaneanu, 2008 : 173) EQ videmment, ce genre d’actions ne manque pas de susciter chez nous, é tudiants en histoire, de nombreuses questions. On nous a appris à nous mé -ier des discours tranché s, nous ché rissons la nuance. Pourtant, celle-


abandonner lorsqu’il s’agit de relater notre expé rience relative aux musé es polonais. En effet, trè s vite, nous distinguons unanimement deux types de visites : d’une part, les musé es et visites qui semblent miser sur l’analyse et la critique, le

Musée de l’Histoire des Juifs de Pologne (Muzeum Historii Żydów Polski, MHZH P ou Polin), la visite du quartier Zaspa, le entre autres ; et d’autre part, celles qui sollicitent activement l’é motion, le Musé e de l’Insurrection de Varsovie et la visite de la prison de Mokotó w au premier rang. Une analyse de cette division semble é vidente : le premier groupe provient d’initiatives libé rales, proeuropé ennes tandis que le second appartient à une tradition plus conservatrice et nationaliste. Si une partie de ces dichotomies (libé raux contre conservateurs, pro-europé ens contre nationalistes) tient la route, il semble plus inté ressant de les dé passer pour rendre compte d’un tableau plus critique. Comme nous le rappelle Leszek Koczanowicz, « le passé n'est pas seulement un terrain à observer, à interpré ter et à laisser vierge de toute intervention du pré sent » (Koczanowicz,1997 : 259). La maniè re de parler du passé ré vè le en effet les clivages tensions idé ologiques actuels. Comprendre donc la narration du passé né cessite d’analyser les dé bats contemporains. L’é tude des diffé rentes positions de la Pologne postcommuniste doit à cet é gard permettre de dé passer les dichotomies, certes structurantes mais qui sacri-ient une bonne partie de la nuance des dé bats polonais sur la mé moire.

Musée du Néon

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Aprè s les dé clarations parfois choquantes des guides sur le communisme en Pologne, on lit avec une certaine incompré hension les propos de certains historiens selon lesquels ce pays a connu un ré gime communiste assez libé ral, que celui-ci s’est fortement assoupli dans les anné es 1960 (Fowler, Szerbiak & Williams, 2003 : 7 ; Kopstein, 2009 : 293). Pourtant, les historiens polonais eux-mê mes se divisent en trois camps pour l’analyse de la pé riode 1956j 1989 : ceux qui estiment qu’il s’agit d’une continuation de l’EQ tat totalitaire stalinien, ceux pour qui 1956 marque la -in du ré gime totalitaire et le dé but de ce qu’on appellerait une « dé mocratie autoritaire » et en-in, ceux qui demandent davantage d’analyses pour permettre de mettre en é vidence les points né gatifs et positifs de la version communiste appliqué e en Pologne (Koczanowicz, 1997 : 266). De mê me, de nombreuses initiatives se multiplient en Pologne pour cé lé brer Edward Gierek, le premier secré taire du Parti Ouvrier Polonais Uni-ié , le parti communiste polonais (POUP ; en polonais Polska Zjednoczona Partia Robotnicza, PZPR), é lu à ce poste en 1970. L’è re Gierek est en effet vé cue par une partie des Polonais comme une pé riode paci-ique caracté risé e par un communisme dans sa (Caillat-Magnabosco, version idé ale 2005 : 301). Notre ressenti de l’anticommunisme polonais semble donc sé rieusement à revoir. Si l’on a pu « revivre » les né gociations de la Table Ronde en 1989 grâ ce à la musé ographie de l’ECS où l’on a appris que la Pologne s’est « dé barrassé e » paci-iquement du communisme, on n’imaginait pas que le tableau soit si contrasté . En 1989, lorsque la transition politique est né gocié e en Pologne, la question du rapport au passé se pose immé diatement. Elle est tout aussi vite ré solue : Tadeusz Mazowiecki, premier chef de gouvernement non communiste, dé clare


qu’il faut tirer un gros trait (gruba linia en polonais) sur le passé (Fowler, Szerbiak & Williams, 2003 : 7). Cette ré solution paci-ique prô né e par un leader du syndicat Solidarnoś ć (Solidarité ), principale force d’opposition au ré gime communiste en Pologne à partir de 1980, laisse pré sager un rapport serein au passé . Pourtant, l’histoire polonaise sous le communisme apparaı̂t trè s douloureuse. Des tabous concernant des é vè nements clé s durant le second con-lit mondial (le massacre de Katyń ou l’insurrection de Varsovie auxquels les autorité s sovié tiques avaient fourni une narration of-icielle qu’il convenait de ne pas contredire) aux ré pressions des manifestations de Solidarnoś ć notamment lors de l’instauration de l’EQ tat de Guerre entre le 13 dé cembre 1981 et le 22 juillet 1983, cette histoire est chargé e de souffrances. Celles-ci sont d’ailleurs mises en avant dans certains musé es. Une rupture radicale a donc eu lieu entre 1989 et aujourd’hui, puisque dé sormais, le discours of-iciel semble davantage mettre en é vidence le caractè re victime et innocent de la Pologne. Le « gros trait » de Tadeusz Mazowiecki est bien dé passé … Pour Valentin Behr, 2005 repré sente une anné e charniè re pour la « politique historique » en Pologne (Behr, 2013 : 2). Cette anné e-là , les frè res Lech et Jarosław Kaczyń ski, candidats du parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS), remportent les é lections en ayant mené campagne en faveur d’une intervention de l’EQ tat dans l’histoire. De maniè re plus gé né rale, le parti Droit et Justice veut mener une politique de dé communisation, estimant que cette derniè re n’a pas vé ritablement eu lieu (vu la sortie « à l’amiable » du communisme via les accords de la Table Ronde), ce qui a causé la dé sinté gration de l’identité nationale. En ce sens, fournir une version of-icielle de

l’histoire, en procurant un sentiment de -ierté , doit permettre de renforcer l’identité collective des Polonais (Ochman, 2010 : 512). L’ensemble du discours de la « politique historique » consiste en une dé nonciation des acteurs de la Troisiè me Ré publique (d’où le discours rhé torique du parti Droit et Justice consistant à faire naı̂tre une Quatriè me Ré publique) et de l’intelligentsia libé rale de gauche (Behr, 2013 : 4). L’Institut de la Mé moire nationale (Instytut Pamięci Narodowej, IPN) joue un rô le dans cette « politique historique ». Le 18 dé cembre 1998 est voté e la loi sur l’IPN mais ce n’est qu’en 2000 que l’institut voit le jour (Behr, 2011 : 8). Critiqué e initialement pour son caractè re hybride, historique (puisqu’il est chargé de la gestion des archives communistes) et juridique (puisqu’il est chargé de poursuivre en justice les criminels du ré gime communiste), il se ré vè le bien moins nationaliste que pré vu. La droite conservatrice se montre d’ailleurs particuliè rement dé çue lorsque la publication de Jan Gross, Les voisins, relatant le massacre de Jedwabne, donne l’inspiration à l’IPN de publier un ouvrage collectif sur les massacres de Juifs par les Polonais (Behr, 2013 : 2). L’historien Andrzej Nowak ré agit d’ailleurs publiquement en ré digeant un article intitulé « Westerplatte ou Jedwabne » dans lequel il critique la dé marche de l’IPN de produire une histoire critique en é crivant sur les crimes polonais qui, selon lui, demeurent marginaux. Dans cet article, il plaide d’ailleurs pour une histoire monumentale, des « hé ros polonais » (Behr, 2013 : 3). Il trace ainsi la voie de la

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« politique historique » du parti Droit et Justice. Le tableau dé peint ici de l’IPN se dé marque de celui que nous avons pu nous forger lors de notre sé jour en Pologne. Si la dé couverte des archives é tait inté ressante, la visite de la prison de Mokotó w, gé ré e par le dé partement varsovien de l’IPN, nous a clairement fourni de multiples raisons de nous mé -ier de cette maniè re de pré senter l’histoire. Valentin Behr souligne d’ailleurs que l’IPN hé berge des historiens « militants ». Il conclut pourtant en af-irmant qu’il s’agit d’une minorité et qu’il existe une critique interne qui s’oppose à une lecture simpliste et martyrologique du passé (Behr, 2011 : 24). L’IPN repré sente donc une structure bien plus complexe que ce qui nous a é té permis d’observer. EQ videmment, son directeur, qui est é lu par le Parlement et dé pend donc de la majorité en place en Pologne, donne une ligne directrice importante à l’IPN. Les anné es post-2005 se sont donc montré es plus nationalistes que celles qui ont pré cé dé cette pé riode. Pourtant, mê me durant cette pé riode plus « nationaliste », la critique des historiens travaillant au sein de l’IPN nous empê che de le caté goriser aussi facilement. De maniè re assez similaire, la dé cennie 1990 repré sente, pour le parti Droit et Justice et autres promoteurs de la « politique historique », une pé riode d’amné sie. Or, il s’agit des anné es de dé communisation assez importante puisqu’elles verront le changement de noms de rues, le dé placement des monuments communistes (Behr, 2013 : 4). Si la politique de « gros trait » a d’abord inhibé ce genre d’action, le changement de noms et le dé placement de monuments communistes ne s’est pas fait tarder en Pologne. Dè s

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1991, alors que Lech Wałęsa est pré sident, cette politique de dé communisation est mené e. Pourtant, l’ensemble des monuments communistes n’est pas dé placé ou remplacé . La situation dé pend essentiellement de chaque localité puisque la dé cision d’agir ou non sur ces monuments revient aux municipalité s. Il faut attendre 2007 pour que le parti Droit et Justice s’attaque concrè tement à cette question. Le ministre de la Culture et de l’Hé ritage national annonce alors le retrait obligatoire des symboles communistes (Ochman, 2010 : 512). De maniè re assez é tonnante, la mesure ne remporte pas l’adhé sion des citoyens. Lors d’un sondage, prè s de 60 % se dé clarent contre cette dé cision alors qu’un tiers de ré pondants se montre favorable. Aucun critè re ne permet de vé ritablement distinguer les ré pondants favorables et dé favorables, aucun sauf l’â ge. En effet, les gé né rations les plus anciennes se montrent largement contre le projet voyant dans l’initiative une maniè re de les faire disparaı̂tre de l’histoire. De mê me, les plus jeunes sont é galement opposé s à la mesure dans laquelle ils voient une tentative d’imposer une version of-icielle et coercitive de l’histoire. Finalement, seule la gé né ration de Solidarnoś ć soutient le projet du gouvernement (Ochman, 2010 : 524). Cet exemple montre bien que l’opinion polonaise se ré vè le plus complexe que l’impression ressortie de notre voyage. En-in, le dé bat sur les lustrations repré sente é galement un angle inté ressant à partir duquel aborder la complexité de l’opinion polonaise sur le passé communiste. La lustration dé signe un processus de puri-ication et se traduit concrè tement par l’obligation de certains membres des administrations et du milieu politique de dé clarer s’ils ont collaboré avec la police politique durant le ré gime communiste. La premiè re loi sur la lustration est voté e en


1997 et est entré e en vigueur en 1999. Elle concernait alors les hauts fonctionnaires et les candidats à ces fonctions. En cas de mensonge, la personne concerné e est é vincé e pendant dix ans du monde politique. Si initialement, 60 % de la population polonaise se prononce en sa faveur, le bilan de cette mesure semble pourtant plus mitigé puisqu’en 2005, seul plus d’un tiers de la population estime que la lustration a « apporté plus de bien que de mal » et ils sont tout autant de Polonais à af-irmer le contraire, alors que le dernier tiers choisit de s’abstenir sur la question (Paczkowski, 2008 : 92). Malgré la ré ticence dé jà exprimé e par les citoyens, les frè res Kaczyń ski dé cident d’é tendre la loi aux intellectuels : dé sormais, enseignants, universitaires, journalistes sont é galement obligé s de dé clarer s’ils ont collaboré avec le ré gime communiste. La mesure provoque un vé ritable tollé en Europe. Le Monde diplomatique é crit à cet é gard en avril 2007 que la loi « ré duit par comparaison le maccarthysme amé ricain des anné es 1950 à un anticommunisme amateur » (Ramonet, 2007 : 1). Elle sera -inalement invalidé e par la Cour constitutionnelle polonaise le 11 mai 2007. L’anticommunisme visible dans les musé es constitue donc une construction du pouvoir politique conservateur. Serait-il donc plus correct de dire que l’anticommunisme virulent que nous avons pu expé rimenter est né en 2005 ? A nouveau, trancher la question de cette maniè re se ré vè le bien plus complexe que pré vu. Le phé nomè ne d’ostalgie a d’abord é té exclusivement attribué à la nostalgie des anciens citoyens de la Ré publique dé mocratique allemande (RDA), mais depuis quelques anné es, le concept s’applique é galement dans d’autres pays de l’ancien bloc de l’Est, notamment en Pologne. Dominik Bartmanski voit dans ce sentiment une ré ponse aux grandes

dé ceptions gé né ré es par le capitalisme. Pour lui, la volonté de pré server les né ons (et donc l’initiative du Musé e du Né on à Varsovie) s’intè gre parfaitement dans ce phé nomè ne. La standardisation imposé e aux habitants, à travers l’é limination des né ons pourtant encore fonctionnels et en bon é tat, aurait provoqué cette nostalgie (Bartmanski, 2011 : 223-225). De maniè re plus globale, la dé mocratie et le capitalisme ont suscité d’immenses espoirs qui n’ont pas é té satisfaits. Des franges entiè res de la population n’ont pas bé né -icié de la modernisation du pays suite à la chute du communisme (Caillat-Magnabosco, 2005 : 302). Ces dé ceptions entrainent é videmment des discours plus critiques à l’é gard du marché libre et donc un regard plus nuancé sur le mode de vie sous le ré gime communiste. On a pu, par exemple, dé celer ce genre de discours plus nuancé chez le guide qui nous a fait visiter le quartier de Zaspa où ont é té construits, dans les anné es 1970, de grands immeubles à appartements. Existerait-il dè s lors deux temps dans l’historiographie polonaise : un premier de 2005 à 2010, dominé par les conservateurs et leur « politique historique » mettant en avant une histoire monumentale, profondé ment nationale auquel a succé dé un second, depuis 2010, qui a fait place à une histoire plus critique, plus ouverte aussi sur l’Europe ? Si cette caté gorisation tient la route dans la mesure où elle prend en compte les dynamiques politiques actuelles pour comprendre la maniè re de pré senter l’histoire, elle demeure assez sché matique. En effet, il s’avè re plus compliqué de tracer deux camps avec des caracté ristiques propres. On a bien montré combien il est pé rilleux de caté goriser l’IPN et que, mê me lorsque celui-ci s’est orienté vers une

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histoire monumentale, de nombreux historiens ont critiqué cette voie. De mê me, si Paweł Machcewicz, directeur du Musée

de la Deuxième Guerre mondiale (Muzeum II Wojny Światowej, MIIW) qui devrait prochainement voir le jour à Gdań sk et ancien conseiller de Donald Tusk, se classe parfaitement dans le rang des historiens critiques et qui prô nent une histoire europé enne, il ne s’oppose pas pour autant au principe de la « politique historique » mais souhaite que celle-ci prenne une forme plus nuancé e (Behr, 2013 : 15j 16). En-in, l’ECS) repré sente peut -ê tre parfaitement le complexe é quilibre que tente d’atteindre l’historiographie polonaise. Si le ré gime communiste y est critiqué et que certains acteurs ont é té impliqué s dans les é vè nements relaté s, on observe tout de mê me la volonté du musé e de raconter une histoire de la lutte polonaise, une histoire positive et d’y jeter un regard critique. Aprè s tout, si les membres de Solidarnoś ć ont é té les principaux opposants du communisme en Pologne, ils sont é galement les artisans du compromis atteint en 1989… S’il s’avè re inté ressant de penser en termes de dynamiques politiques, il convient tout de mê me de dé passer les caté gorisations faciles. En effet, il semble impossible de tracer une ligne entre deux camps : l’un qui serait complè tement nationaliste, conservateur, anticommuniste prô nant une histoire des « martyrs » polonais et l’autre libé ral, europé en et qui plaiderait en faveur d’une histoire critique. La ré alité apparaı̂t plus complexe et dé pend des caracté ristiques locales (par exemple, le sentiment vis-à -vis du ré gime communiste varie sensiblement des villes aux

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campagnes). Le discours polonais s’avè re donc bien plus complexe que l’on ne l’aurait imaginé . Lors de mon retour de Pologne, j’ai d’ailleurs eu l’occasion de me confronter à cette complexité . En parlant avec Ewa, polonaise immigré e en Belgique, j’apprends qu’elle a dû quitter son pays car l’entreprise pour laquelle elle travaillait a é té privatisé e. Elle a donc perdu son emploi de gé omè tre, pour lequel elle est diplô mé e, et n’a pas su retrouver un autre emploi en Pologne. Elle fait donc partie de ces Polonais qui n’ont pas pro-ité du capitalisme et qui en ont mê me souffert. Elle parle du ré gime communiste en ces termes : « En-in, non, je ne regrette pas ce que j’ai vé cu, cela m’a appris à me dé brouiller dans la vie, on m’a donné une é ducation pour faire face aux dif-iculté s, ce n’est pas si mal… En-in, si, c’é tait mal, on n’é tait pas libre ! »


Lech Wałęsa comment aborder l’image complexe de « l’homme d’espoir » ? Simon WATTEYNE

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a premiè re visite de notre groupe universitaire eut lieu à Zaspa, un quartier de Gdań sk, fondé sur un lieu anciennement occupé par un aé roport. Les vieilles pistes d’atterrissage font dé sormais place à d’immenses habitations et forment les axes principaux du quartier. Les buildings de Zaspa, au premier abord, n’ont rien de spectaculaire. Fidè les à la tradition communiste, ce sont uniquement des logements ré sidentiels ; pas de grands magasins, pas d’agitation, seulement des habitations silencieuses. C’est alors qu’on dé couvre d’immenses peintures murales sur la plupart des façades, qui font toute la beauté de Zaspa. Hormis cette immense galerie d’art ouverte, le quartier est é galement cé lè bre pour avoir accueilli une -igure marquante de l’histoire polonaise. Il ne s’agit pas du pape Jean-Paul II, dont le visage est pré sent sur l’une des façades, bien qu’il visita Zaspa le 12 juin 1987. Il s’agit du leader historique et charismatique du syndicat Solidarnoś ć (Solidarité ), Lech Wałęsa. D’ailleurs, son visage est é galement peint en dessous de celui de Jean-Paul II, ainsi que sur une plus petite façade, à l’é cart des plus grands buildings. La particularité de cette deuxiè me peinture est d’offrir une repré sentation -loue du hé ros de Solidarnoś ć.


Le guide nous explique qu’il existe un dé bat houleux entre les conservateurs du parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) qui le voient comme un collaborateur de la police politique communiste dans les anné es 1970, les anciens des chantiers navals de Gdań sk où Lech Wałęsa a travaillé et qui sont partagé s sur la maniè re dont les chantiers ont é té privatisé s, et une autre partie de l’opinion publique qui continue à voir Lech Wałęsa comme un hé ros, « l’homme d’espoir » de Andrzej Wajda (qui lui a consacré un biopic, titré Man of Hope, en 2013). Le guide avance que l’appartement de Lech Wałęsa à Zaspa lui a é té donné en contournant les procé dures lé gales grâ ce à ses bons contacts, et la controverse qui l’entoure est la raison qui explique le choix d’une repré sentation -loue sur le mur de Zaspa. Le leader de Solidarnoś ć, qui a contribué à la chute du communisme dans les pays d’Europe centrale et orientale, reste un personnage particuliè rement ambigu dans son pays, où ses dé tracteurs ont les mots les plus durs à son é gard. La Pologne investit é normé ment « dans la mé moire », en particulier dans des projets traitant de l’histoire ré cente du pays, aussi Lech Wałęsa y tient -il un rô le de grande importance. Mais à l’heure où le pays de Fré dé ric Chopin souffre d’un important malaise social et politique et que la demande sociale pour une histoire vulgarisé e n’a jamais é té aussi forte, quelle place Lech Wałęsa continuera-t-il à occuper dans les livres d’histoire ? Pourquoi certains dé fendent-ils l’image d’un hé ros et d’autres celle d’un personnage mé diocre ? Quels sont les con-lits et les inté rê ts qui permettent de comprendre l’é volution de la repré sentation de Lech Wałęsa dans son propre pays ?

104 Zaspa : Peinture murale de Lech Wałęsa


Lech Wałęsa en quelques mots

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ech Wałęsa, né en 1943, est é lectricien de formation, il travaille sur les chantiers navals de Gdań sk à l’é poque de la Pologne communiste. En 1970, une grè ve des chantiers navals est sé vè rement ré primé e et le pays connaı̂t dans les anné es suivantes une sé rie d’augmentations des prix de produits alimentaires tandis que les salaires stagnent, menant aux protestations populaires de juin 1976 et à la cré ation du Comité de Dé fense des Ouvriers (Komitet Obrony Robotnikow, KOR) qui a la particularité de rassembler – pour la premiè re fois en Pologne – des intellectuels et des ouvriers. Des ré seaux clandestins vont se former et mener aux grè ves de juillet 1980. Aucun syndicat indé pendant du pouvoir n’ayant de valeur lé gale, les contestations sont spontané es et non hié rarchisé es. En 1978, l’é lection de Jean-Paul II, premier pape polonais, soulè ve l’enthousiasme de la population et la croyance d’une ré forme de la socié té . AR la suite du renvoi d’Anna Walentynowicz qui cré e une association indé pendante pour les ouvriers, considé ré e comme illé gale, une grè ve é clate le 14 aoû t 1980 et donne naissance au syndicat Solidarnoś ć, fondé par Lech Wałęsa et Anna Walentynowicz. Ce syndicat ré ussit à rassembler un large mouvement social non violent contre le ré gime communiste en place, regroupant la masse ouvriè re, des membres de l’EQ glise catholique, des intellectuels socialistes et libé raux dissidents, dont les membres du KOR, qui jouent dé sormais le rô le d’experts du syndicat. Le 31 aoû t 1980, l’accord de Gdań sk, qui marque le point culminant d’une sé rie de grè ves, lé galise le syndicat. Lech Wałęsa est é lu à sa tê te en septembre 1981, Solidarnoś ć regroupe rapidement dix millions de salarié s. Toutefois, dans une tentative d’ané antir toute opposition politique, le gé né ral Wojciech Jaruzelski instaure l’EQ tat de Guerre le 13 dé cembre 1981, suivi d’une dure ré pression des activistes, menant -inalement à l’interdiction de Solidarnoś ć, à l’arrestation de Lech Wałęsa ainsi qu’à la mort de dizaines de personnes. Des grè ves nationales forcent toutefois le gouvernement à dialoguer avec le syndicat à la -in des anné es 1980. En 1989, un gouvernement de coalition est mis en place aprè s les premiè res é lections semi-libé rales de l’ex-bloc de l’Est, avec un pré sident communiste et un Premier ministre issu de Solidarnoś ć ; en 1990, Lech Wałęsa est dé mocratiquement é lu pré sident de la Ré publique. Candidat à sa ré é lection en 1995, il est toutefois battu par le socialiste-dé mocrate Aleksander Kwaś niewski. Il se repré sente à nouveau à l’é lection pré sidentielle de 2000 mais recueille que 1,01 % des voix, ce qui le pousse à annoncer son retrait de la vie politique. Encore aujourd’hui, il jouit d’un grand prestige car nombreux sont ceux qui le considè rent comme le libé rateur de la Pologne du joug communiste et comme une -igure importante dans la chute du bloc de l’Est.

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n dehors de la Pologne, Lech Wałęsa conserve son image de hé ros, comme en té moignent les dé bats du Parlement europé en en 2005 à propos du 25e anniversaire de Solidarnoś ć et de son message pour l’Europe. Timothy Kirkhope, dé puté europé en britannique, dit de Lech Wałęsa « qu’il est la personni-ication la plus é minente de Solidarnoś ć et de son succè s. Il a reçu de nombreuses distinctions de diffé rents pays et organisations à travers le monde en reconnaissance de son courage et de sa vision, le plus grand honneur ayant peut-ê tre é té son é lection à la pré sidence de la Pologne aprè s la chute du communisme » (Débats au Parlement Européen : 25e anniversaire de “Solidarność” et son message pour l’Europe, 2005). Cette image positive de Lech Wałęsa est fortement lié e à l’image positive de Solidarnoś ć en Europe. Ainsi, pour Charlie McCreevy, membre de la commission, « les é vé nements historiques d’aoû t 1980 ont amorcé le processus qui a mis un terme à la Guerre froide et conduit à la ré uni-ication de l’Europe. L’action mené e alors par Solidarnoś ć est un symbole du prix que tous les Europé ens attachent aux valeurs partagé es de liberté et de solidarité . Grâ ce au courage et à la dé termination des dirigeants de Solidarnoś ć, l’in-luence de la grè ve des ouvriers des chantiers navals de Gdań sk ne s’est pas arrê té e aux frontiè res de la Pologne. […] C’est pour la liberté que Solidarnoś ć se battait, et ce syndicat est é galement associé de maniè re é troite, aujourd’hui, à la solidarité en tant que valeur fondamentale partagé e par les Europé ens. Il n’y a pas d’Europe sans solidarité . Solidarnoś ć est un symbole lourd

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Différences des perceptions

de sens qui rappellera cette alliance aux futures gé né rations europé ennes » (Débats au Parlement Européen : 25e anniversaire de “Solidarność” et son message pour l’Europe, 2005). La perception de ce personnalité en Pologne est plus mitigé e. « Dans 100 ans, il y aura un monument à ma mé moire mé moire dans toutes les villes de ce pays » (Haaso-Bastin, 2013), dé clara le leader de Solidarnoś ć lors d’un cé lè bre dé bat té lé visuel avec Alfred Miodowicz, leader des syndicats favorables au ré gime, le 30 novembre 1988. L’homme est mé galomane, et beaucoup ont en ré alité du mal à l’entendre fanfaronner qu’il est venu à bout du communisme tout seul ou presque, car il inspire des sentiments trè s contrasté s dans son pays natal. C’est peu dire qu’en Pologne, « l’homme d’espoir » soulè ve la controverse. Si, pour beaucoup, il reste un hé ros polonais (le chauffeur de notre bus a par exemple dé cidé spontané ment de ré aliser un dé tour sur son trajet pour nous montrer la demeure actuelle de Lech Wałęsa) l’image du lauré at du prix Nobel de la paix de 1983 a bien pâ li aux yeux d’une partie de la population polonaise depuis le temps où il dirigeait le syndicat Solidarnoś ć dans sa lutte contre le ré gime communiste, mê me ses anciens collè gues des chantiers navals de Gdań sk ont un avis mitigé sur lui.


Nous avons aperçu les chantiers navals depuis la terrasse du

Centre Européen

Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS). Le Centre lui-mê me est gigantesque, moderne, et té moigne de l’importance accordé e au passé du mouvement de Solidarnoś ć. Il est situé aux portes des chantiers navals qui sont le berceau du syndicat. Le lieu se montre ainsi chargé d’histoire et de symboles, une sorte de ville dans la ville, où les grandes grues apparaissent aujourd’hui comme un hé ritage industriel. Mais depuis les grè ves de 1980 qui ont donné naissance à Solidarnoś ć, les chantiers ont subi plus d’un changement. Contre plus de 17 000 travailleurs qui mettaient 32 navires à l’eau dans les anné es 1970, les chantiers n’embauchent dé sormais que 1 700 personnes, et ont é té privatisé s en 2007. Seulement deux coques de navires sont produits chaque anné e, les -initions é tant ré alisé es en Norvè ge. L’é conomie polonaise s’est radicalement modi-ié e. (Szymanowska, 2012) Si l’ECS est magni-ique et gigantesque, les chantiers, eux, n’attirent plus les nouveaux -inancements. La ville fantô me que sont devenus les chantiers navals de Gdań sk illustre une situation é conomique trè s problé matique pour la majorité Polonais (Kalinowski, 2015 : 4345), qui trouve ses racines durant la pré sidence de Lech Wałęsa. Au dé but des anné es 1990, le pays se lance dans un capitalisme agressif avec la privatisation des entreprises nationales, devenant une source de revenus pour les socié té s occidentales à travers les politiques de privatisation et de concurrence -iscale mises en place par les gouvernements successifs, et entraı̂nant une augmentation du chô mage et des iné galité s sociales, principalement parmi les jeunes. Le propos n’est pas de savoir quelle est la part d’implication de Lech Wałęsa dans l’é volution é conomique du pays, en bien ou en mal, ni de juger ses choix d’ouverture au capitalisme occidental, mais de comprendre que cette é volution é conomique dé favorable à toute une partie de la population engendre une image né gative de l’ancien pré sident aux yeux de ladite partie de la population, tels que les anciens des chantiers de Gdań sk (Szymanowska, 2012).

107 Gdańsk : chantiers navals


Le mouvement syndical lui-mê me s’est trè s fortement affaibli aujourd’hui en Pologne, et ne comptait dé jà plus que 500 000 membres en 2005. Cet affaiblissement se produit dè s 1989 : uni contre le communisme, Solidarnoś ć vole en é clat à la chute du ré gime, et cela se ré percute sur l’image de son leader. En effet, au niveau politique, il ne fait plus l’unanimité suite à la sé paration de Solidarnoś ć en diffé rents groupes. Les dé tracteurs de Lech Wałęsa, comme Jarosław Kaczyń ski, pré sident du parti Droit et Justice, et le reste de la droite polonaise, utilisent des mots trè s durs et le quali-ient de « personnage diabolique », « d’incarnation de la mé diocrité ». L’ancien conseiller politique de Lech Wałęsa, Krzysztof Wyszkowski, est devenu l’un de ses critiques les plus fé roces et avance que « malheureusement, Lech Wałęsa n’a jamais é té un hé ros », il explique encore « qu’en 2005, lors d’une entrevue à Radio Maria [radio conservatrice et catholique], on m’a demandé s’il avait ou non é té un agent du ré gime communiste. J’ai ré pondu qu’il l’avait é té , tout en apportant beaucoup de nuances ». (Coupet, 2015) Ces allé gations selon lesquelles le chef de Solidarnoś ć aurait fourni des renseignements aux services secrets communistes, bien qu’aujourd’hui é carté es et plus cré dibles, sont connues en Pologne et furent mê me au cœur du discours populiste de la droite catholique et nationaliste, convaincus que les communistes avaient in-iltré le systè me é tabli aprè s la chute du ré gime sovié tique, grâ ce à l’aide de Lech Wałęsa qui fut accusé

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d’avoir signé dans les anné es 1970 une dé claration de collaboration avec la police politique communiste. Le fond du problè me trouve ses racines dans l’é volution de la dé mocratie en Pologne. Pour les conservateurs du parti Droit et Justice, le pays est trop corrompu et pas assez religieux. Selon eux, Lech Wałęsa est responsable de tout ce qui va mal, mê me si les accusations d’ê tre un traı̂tre ont é té é carté es. Et le contexte politique actuel n’est pas favorable à l’image de Lech Wałęsa ; le conservateur Andrzej Duda a é té é lu à la tê te du pays en mai 2015, malgré toutes les pré visions, et le parti Droit et Justice dont le pré sident est issu, a remporté les é lections lé gislatives du 25 octobre 2015 en obtenant 242 siè ges de dé puté s sur 460. Le parti Droit et Justice n’est pas le seul à critiquer Lech Wałęsa qui s’attire l’opposition des partis laı̈ques et sociauxlibé raux comme le Mouvement Palikot (Ruch Palikota, RP) pour ses propos souvent choquants, comme par exemple en avril 2013 lors d’une interview sur TVN 24, une chaı̂ne de té lé vision nationale, où il a estimé que les dé puté s homosexuels devaient sié ger à l’arriè re-ban de l’Assemblé e nationale polonaise, et mê me en-dehors. (Johnson, 2013) Les dé clarations de Lech Wałęsa sont en fait typiques d’une ancienne gé né ration et d’une certaine Pologne profondé ment conservatrice et profondé ment catholique.


Pistes de réflexion

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lors que retiendront les Polonais de Lech Wałęsa ? Il ne s’agit pas de pré tendre que ses dé tracteurs ont tort ou raison dans l’image de mé diocrité qu’ils vé hiculent à son propos, ni au contraire de dire que ses dé fenseurs ont tort ou raison de le traiter en hé ros. Il s’agit de comprendre que ces diffé rentes images coexistent et peuvent se comprendre à la lumiè re des é volutions socioé conomiques et politiques de la Pologne. Le chef de -ile de Solidarnoś ć a su faire naı̂tre un espoir dans le cœur et l’esprit de nombre de ses compatriotes. Mais cela n’a eu qu’un temps, mê me s’il demeure une -igure d’autorité dans son pays. L’é clatement de Solidarnoś ć s’est accompagné e d’une grande dé ception dans le pays, des intellectuels de gauche aux conservateurs catholiques. L’homme a versé dans le populisme, et n’a pas offert un bilan extrê mement positif de sa pré sidence, de 1990 à 1995. La situation politique actuelle en Pologne pourrait causer bien du tort à son image ; le nombre de controverses que la sortie du biopic « L'homme d'espoir » a suscité en 2013 en est un bon exemple, alors qu'il n'en aurait é té rien, vingt ans auparavant. Quoi qu’il en soit, l’individu est insé parable de l’histoire ré cente de la Pologne. Pour l’historien Piotr Jeglinski, la plus grande erreur de Lech Wałęsa reste d’ê tre devenu pré sident en 1990 : « On connaı̂t pourtant des gens simples qui pris le pouvoir, mais il a é té dé passé par tout ça. Il avait le soutien de la population, mais il a trop parlé . Il a fait des promesses qu’il n’a pas su tenir. » (Coupet, 2015) L’historien concè de bien à Lech Wałęsa un certain mé rite : « On ne peut pas nier qu’il est le symbole du changement, malgré son passé ambigu. On ne sait pas si un autre aurait fait mieux. » (Coupet, 2015)

Cette ré -lexion ne se limite pas au seul personnage de Lech Wałęsa ; nombreux sont les hommes d’espoir à avoir accè s à la gouvernance, et laissant parfois des sentiments mitigé s. C’est le cas de l’ex-gué rillero et -ils d’agriculteur, José Mujica, devenu pré sident de l’Uruguay en 2010 et dont la politique, malgré son style atypique, engagé et trè s populaire, s’est inscrite dans la continuité de ses pré dé cesseurs. On peut é galement citer le bré silien Luiz Inacio Lula da Silva, ancien ouvrier mé tallurgiste et -igure importante du syndicat bré silien, devenu pré sident du Bré sil de 2003 à 2009, et qui dé clarait lors dans son discours inaugural : « Le changement, voilà notre mot d’ordre. L’espoir a vaincu la peur, notre socié té a dé cidé qu’il é tait temps d’emprunter une nouvelle voie. » (Lula da Silva, 1er janvier 2003) Comme Lech Wałęsa, l’homme a beaucoup promis, mais a -ini par dé cevoir alors qu’il continuait la politique exigé e par le Fonds Moné taire International (FMI).

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Face aux pressions des mé dias, du malaise politique actuel, de l'é volution de Solidarnoś ć, de la situation é conomique dif-icile pour la majorité de la population, de la demande sociale pour une histoire vulgarisé e du passé ré cent, l’image de hé ros du leader de Solidarnoś ć rencontre dé sormais celle d’un mé galomane corrompu, conservateur ou encore mé diocre. L'historien, quant à lui, ne doit pas trancher en faveur d'une des images de Lech Wałęsa, mais doit continuer à les é tudier toutes, en analysant les con-lits et les inté rê ts à l'origine des vives polé miques de « l'homme d'espoir », comme pour des hommes tels que José Mujica et Lula da Silva, car la vulgarisation de l’histoire n’en signi-ie pas une simpli-ication, et il faut appré hender l’idé e que Lech Wałęsa incarne tout ce que la Pologne a de plus remarquable comme de plus contestable.


Approcher le communisme Pauline BACQUAERT

« Le paradoxe de la mémoire, c'est que son principal soucis est le présent » G. LANKAUSKAS

C

es quelques jours passé s entre Gdań sk et Varsovie auront é té l'occasion de se remé morer l'histoire douloureuse du peuple polonais et de ressentir à quel point les plaies sont encore vives. Nous avons pu entrevoir toute l'effervescence que ce passé a suscité ces derniè res anné es, à pré sent que la parole a é té libé ré e et qu'il s'agit de reconstruire le ré cit historique national. Les enjeux sont multiples ; la classe politique l'a bien compris et la socié té civile n'est pas en reste, à la fois actrice et spectatrice de cette bataille vieille comme le monde mais toujours brû lante d'actualité .


S

i

les

La politique historique en Pologne

diffé rentes visites que nous avons effectué es sont peu de choses pour saisir la complexité de la question, il nous a semblé que le passé communiste de la Pologne et son traitement mé riteraient que l'on s'y attarde davantage, et de façon plus nuancé e. AR cet é gard, chaque pays de l'ex-bloc de l'Est a dé veloppé une straté gie qui lui est propre. Le cas de la Pologne est particulier, dans la mesure où la sortie du communisme fut ré alisé e de façon né gocié e. Dè s lors, et en vue de pré server la cohé sion nationale, « ce sont les straté gies d’un rè glement de comptes immé diat et sé vè re avec le passé , puis de son con-inement aussi rapide que possible dans la sphè re de l’oubli qui l’ont emporté aprè s la chute du communisme en Europe de l’Est. Par la suite, s’est mise en place une "amné sie consciente" et publiquement dé claré e qui s’est installé e dans la socié té polonaise ». (Paczkowski, 2008 : 91) Bien que dè s 1992, plusieurs projets de loi sur la « dé communisation » aient é té proposé s, aucun d'eux ne fut voté s par le Parlement polonais. Quant à la loi sur la « lustration », elle n'entra en vigueur qu'en 1999, soit dix ans aprè s la -in du ré gime. Sans remonter plus en dé tails dans les anné es 1990, il semble que la victoire du

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parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) lors des é lections de 2005 ait constitué un tournant dé cisif, avec l'imposition du concept de politique historique. Selon ces conservateurs radicaux, les questions concernant l'histoire et la mé moire, y compris celles concernant la gestion du passé communiste, avaient é té dé laissé es par les gouvernements pré cé dents. Ces questions sont pourtant essentielles à leurs yeux, car elles permettent de raffermir certaines valeurs morales et traditionnelles supposé es fondatrices de l'identité nationale et de construire une Pologne plus forte. Le nouveau ministè re polonais de la Culture et de l'Hé ritage national fut chargé de mettre en œuvre cette politique historique. Ainsi, le programme « Patriotyzm jutra » (Patriotisme de demain) fut cré é , tandis que le programme « Dziedzictwo kulturowe » (Hé ritage culturel) fut é largi et le programme « Znaki czasu » (Signes du temps), censé promouvoir l’art moderne, diminué . Des voix s'é taient alors é levé es pour dé noncer la surrepré sentation des tragé dies passé es, voire le caractè re martyrologique de certains musé es.

Le Musée du Néon 'est dans l'atmosphè re d'un retour au pouvoir du parti Droit et Justice que nous

avons eu l'occasion de dé couvrir le Musée du Néon , situé dans le quartier de Praga à Varsovie. Cré é en 2012 à l'initiative de la photographe Ilona Karwiń ska, ce musé e atypique se consacre à la mise en valeur des né ons ayant orné les façades de la capitale durant la Guerre froide.

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En effet, les anné es 1960 et 1970 furent l'â ge d'or des né ons. Ils é taient alors conçus par les meilleurs designers, qui bé né -iciaient d'une totale liberté artistique, tandis que l'entreprise municipale d'installation d'enseignes lumineuses (SPIRS) avait le monopole de leur fabrication et de leur entretien. Si le pouvoir communiste souhaitait donner à la ville un air lumineux de mé tropole europé enne, les né ons de l'é poque n'avaient pas qu'une fonction publicitaire. Ils é taient pensé s de façon à s'inté grer harmonieusement aux immeubles et à leur environnement, de maniè re à garantir une unité urbanistique et à embellir la ville. Fruits d'une é poque ré volue, ils disparurent peu à peu du paysage urbain, tant derriè re la volonté d'effacer les symboles communistes que derriè re le dé ferlement des publicité s occidentales. Bien que le Musé e du Né on soit pensé comme un espace dé dié à l'art et n'offre pas vé ritablement la possibilité d'amorcer une ré -lexion historique, il nous a semblé que cette initiative ouvrait de nombreuses perspectives. Nous pensons que les anné es de la Ré publique populaire (PRL) ne peuvent ê tre abordé es uniquement sous l'angle de l'autoritarisme et de la ré pression. Il ne s'agit pas ici de relativiser quoi que ce soit, simplement de permettre d'approfondir notre regard et d'é tudier vé ritablement une é poque, une expé rience et une socié té bien plus complexe. Il s'agit aussi de redonner voix à ces hommes et ces femmes que la dictature n'a pas empê ché de vivre, de s'organiser, de dé tourner et de cré er. La reconnaissance des souffrances qu'ils ont vé cues ne doit pas é clipser le reste de leur existence jusqu'à les en dé possé der. Il importe de ne pas les -iger dans une position victimaire, mais d'analyser de quoi furent faits leur quotidien et leurs é changes. Garder l'ensemble de ce passé à l'esprit est fondamental pour aider individus et collectivité s à savoir qui ils sont et à construire leurs identité s. De plus, l'histoire ne se limite pas à ce qui nous plaı̂t ou ce qui nous dé plaı̂t un temps, comme pour mieux justi-ier notre condition actuelle. Ce n'est que dans sa complexité et sa globalité qu'elle peut nous é clairer sur les temps pré sents et nous permettre d'amorcer une vé ritable ré -lexion. Quant à la mé moire, elle ne peut que se conjuguer au pluriel, sous peine d'en devenir suspecte. AR ce titre, des projets tels que le Musé e du Né on, pour peu qu'ils aient la volonté de s'inscrire dans une dimension historique et politique, offrent l'occasion d'aborder les ré gimes communistes sous un angle original. De là , des ré alité s mé connues et des considé rations nouvelles peuvent é merger a-in d'enrichir notre compré -hension de la vie à cette é poque. Cette approche permet d'ouvrir le dé bat et d'entamer une vé ritable ré -lexion qui ne soit pas sclé rosé e par des positions de principe. En tant que visiteur d'un musé e, comment ne pas ê tre af-ligé du traitement ré servé aux prisonniers politiques dans les prisons, comment ne pas se montrer solidaire du combat mené par les ouvriers des chantiers navals de Gdań sk et le syndicat Solidarnoś ć (Solidarité ) ? Et pourtant, lorsque ces visions sont les seules à ê tre pré senté es au public, il peut ê tre dif-icile de dé velopper un regard critique sur cette é poque et sur la nô tre, qui remporte forcé ment tous les suffrages. Non pas, loin s'en faut, que le ré gime communiste et la vie qu'il permettait de mener grâ ce ou malgré lui soient les seuls contrepoids aux politiques capitalistes et né o-libé rales actuelles. Mais pourquoi se priver de cette expé rience encore palpable, alors mê me que ce travail apparaı̂t comme né cessaire a-in de faire dialoguer et d'apaiser les mé moires polonaises ? D'autant que pour les jeunes gé né rations, le dé ni du passé , sa compré hension partielle et un discours -igé repré sente plus une menace qu'une ressource.

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Des initiatives similaires

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our permettre de mieux cerner notre propos, nous avons choisi de l'illustrer au moyen de quelques projets originaux ayant é mergé dans les terres autrefois soumises au ré gime communiste. Rendons nous tout d'abord en Russie, où la question de l'hé ritage sovié tique est loin de faire l'unanimité . En 2000, le Musé e national historique de Saint-Pé tersbourg accueillit l'exposition « Mé moire du corps : Lingerie de l’é poque sovié tique », qui offrait un é chantillon des sousvê tements des anné es 1920-1980. Les salles se succè dent, correspondant chacune à une pé riode du passé . Ainsi, notre parcours dé bute avec les anné es 1920-1940 avec « le particulier/le collectif », moment de l'idé al collectiviste imposé par le pouvoir, et s'achè ve avec « la dé pression/le rê ve », couvrant la pé riode allant de 1964 à 1991, durant laquelle les in-luences occidentales ont peu à peu envahit l'Union des Ré publiques Socialistes Sovié tiques (URSS). Selon les commissaires de l'exposition, il s'agissait de contribuer à é crire l'histoire sovié tique par un autre biais que celui, plus traditionnel, du pouvoir, de l’idé ologie et de la politique : ces dessous, frontiè re entre le public et le privé , permettaient d'approcher le quotidien d'un citoyen ordinaire. (Nivat, 2000 ; Vasilyeva, 2013 : 54) Ils ont pu provoquer une analyse du passé et une relation ré aliste de chacun avec ce passé .

Un autre grand projet intitulé « Les cadeaux aux dirigeants » fut organisé par les Musé es du Kremlin en 2006. Il entendait pré senter l’é volution des relations ré ciproques entre le pouvoir et le peuple et pré sentait plus de 500 objets offerts aux dirigeants entre 1920 et 1990. Les ré actions du public furent é tudié es à travers le livre d'or de l'exposition. Celui-ci é tait placé juste à cô té d'une installation vidé o projetant un documentaire tourné lors d’une exposition de cadeaux offerts à Staline à l’occasion de son 70e anniversaire, dont certains passages montraient des gens é crivant des commentaires dans un livre d’or. Il en est ressorti que les discussions portaient essentiellement sur les diffé rences de ressentis entre les gé né rations et sur l'é valuation du passé sovié tique, souvent avec beaucoup d’é motion. Les visiteurs ne se sont pas contenté s d'apporter leurs té moignages, ils ont lu ceux des autres et les ont parfois corrigé s sur l'espace de plusieurs pages. Face à l'absence d'unanimité quant à la valeur de l'hé ritage communiste et l'ambivalence des objets maté riels exposé s, l'exposition est devenue un vé ritable forum de discussion sur la nature des relations entre la population et le pouvoir, aussi bien que sur le rô le et la responsabilité sociale de l’é tat, hier comme aujourd’hui.

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Ces deux exemple russes dé montrent que les objets maté riels fortement lié s aux expé riences personnelles, que l'historien Pierre Nora quali-ie de « lieux de mé moire », semblent constituer des mé dias ef-icaces, capables de recueillir conjointement les sens sociaux, les é motions et les associations (Vasilyeva, 2013 : 66). Partons maintenant jeter un œil en Lituanie, au sud de Vilnius, au sein du Parc de Grutas. En se baladant dans ce parc thé matique, on dé couvre des nombreuses statues de propagande sovié tique, jadis dé chues et radié es du paysage, aujourd'hui considé ré es comme monuments culturels à valeur historique. Ces statues sont loin d'ê tre anodines, puisque l'appropriation et la ré organisation de diffé rents espaces publics constituaient un des principaux moyens par lesquels l’EQ tat manipulait alors la mé moire et l’histoire nationale (Lankauskas, 2006 : 50). Descendues de leur pié destal, elles racontent un passé tout en inspirant une sensation de victoire et de puissance à ceux qu'elles entendaient dominer autrefois. Au sein du café du musé e, l'expé rience se poursuit et permet de redé couvrir la cuisine façon sovié tique. Pour l'anthropologue Gediminas Lankauskas, l'inté rê t de Grutas ré side en ce qu'il permet un travail de mé moire qui se distance de l'approche logocentrique habituelle pour privilé gier la voie sensorielle, tant visuelle que gustative. Ces remé morations corporelles font remonter des souvenirs complexes et des atmosphè res aux rapports con-lictuels, entre rejet et empathie. Si les icô nes provoquent un dé sir de distanciation, la consommation de plats quotidiens engendrent une certaine nostalgie de la sociabilité d'alors. Ici, les sens permettent é galement d'aborder la pé riode sovié tique sous un angle original, pré mice potentielle à des é changes et une ré -lexion plus approfondie sur l'histoire, les mé moires et le changement.

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'aucuns pourraient avancer que les dé marches proposé es sont susceptibles de provoquer des ré actions que l'on pourrait quali-ier de « nostalgiques » chez un public ayant connu l'é poque communiste, voire plus jeune, ou encore auprè s des visiteurs é trangers, comme si cette é motion é tait d'emblé e à considé rer de façon né gative. Traité es à la lé gè re et sans volonté d'amener un questionnement, il y a effectivement un risque que ressortent, au pire, le dé sir d'un retour à des formes autoritaires de gouvernement, au mieux, le cô té pittoresque, le charme dé suet ou le caractè re fun et vintage de cette pé riode, comme pour mieux annihiler la pensé e. Sans pré juger de leurs qualité s, il est permis de

Conclusion : de la nostalgie

s'interroger sur la philosophie des Communism Tours qui se dé veloppent actuellement dans les pays de l'ex-bloc de l'Est. AR Cracovie par exemple, une entreprise propose aux touristes de dé couvrir le quartier de Nowa Huta à l'arriè re d'une ancienne Trabant. Entre curiosité sincè re de dé couvrir le quotidien des gé né rations pré cé dentes, humour dé calé pour mieux é vacuer un passé

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douloureux et motivations commerciales, il faut espé rer que ce genre d'initiatives privé es, qui n'ont pourtant pas l'obligation de porter un regard critique, n'amè nent à une conception faussé e des socié té s qu'elles dé crivent. Cependant, et mê me si la socié té polonaise s'est emparé e dè s les anné es 1990 de cette problé matique, il nous semble que les pouvoirs publics ont la capacité et le devoir d'accompagner cette « nostalgie », qui ne constitue rien de moins qu'une occasion de bâ tir une socié té plus juste. En effet, jusqu'à pré sent, les visions positives du socialisme ont é té moins é tudié es que les visions né gatives. Cet é tat de fait a souvent é té justi-ié par le recours à la notion « d'ostalgie », les visions positives du socialisme ne pouvant é maner que du regret de la jeunesse perdue ou d'un besoin de sé curité qu'offrait ce monde connu face aux ré formes en cours. Né anmoins, il semble que ce type d'interpré tation soit problé matique, car il relè gue les visions positives du socialisme au niveau des é motions et nient leur capacité heuristique. Il offre en tous cas une excuse pour ne pas avoir à investiguer la diversité des besoins ressentis lors des é vocations du socialisme. Or, ces discours « nostalgiques » constituent autant des essais de lé gitimation de sa propre position et de dé lé gitimation des autres acteurs dans le champ social que des commentaires sur les transformations actuelles dans les pays d'Europe centrale et orientale, sur leurs possibles directions futures et sur les « projets de socié té » dé siré s, comme nous l'explique Sabina Stan dans son é tude sur les anciens cadres agricoles roumains. (Stan, 2005 : 83) Dans une socié té dé mocratique, il paraı̂t donc essentiel de pouvoir entendre tous les points de vue, mais plus encore de comprendre ce qui fait sens derriè re des

propos, des peines et des frustrations parfois exprimé s maladroitement. En dé -initive, la nostalgie n'est donc ni à craindre ni à fuir pour peu qu'elle trouve des espaces où ê tre repensé e et des dynamiques où transformer un certain regard en arriè re en un pas de cô té . Depuis quelques mois s'est ouvert à Cracovie le Musé e de la Ré publique Populaire (Muzeum PRL-u), que nous n'avons malheureusement pas eu l'occasion de dé couvrir. Ce musé e, autour duquel gravitent de nombreuses activité s, semble prendre la mesure de la né cessité qu'il y a à aborder cette pé riode dans sa globalité , en multipliant les angles d'approche, les sujets et les objets d'é tude. AR l'heure où les musé es polonais attirent un public grandissant venu d'Europe occidentale, et en tant que jeune n'ayant connu qu'un monde capitaliste aux perspectives de plus en plus sombres, il nous paraı̂t souhaitable que de tels projets se multiplient. Des lieux d'histoire, de mé moires et de ré -lexions qui ne disent pas quoi penser, mais qui donnent à penser ; des lieux où le devenir d'un pays reste à tracer.


Mettre en scène la violence : entre mémoire et histoire

transmettre la réalité d’un lieu symbolique de l’histoire nationale. (Exemple de la prison de Mokotów à Varsovie et comparaison avec la Belgique) Coline EVERAERTS

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’histoire d’une nation peut ê tre approché e par les voyageurs é trangers que nous sommes via les musé es par exemple, mais aussi par des lieux de mé moire. Notons bien entendu que nous ne sommes pas les visiteurs exclusifs de ces endroits : chaque pays se doit de transmettre son histoire nationale aux citoyens, notamment à travers un devoir de mé moire. Dans cette introduction, nous mê lons volontairement deux termes : l’histoire et la mé moire. Quelle est la frontiè re entre ces deux notions ? Dans quelle mesure faut-il la saisir ? La visite de la prison de Mokotó w nous permettra d’illustrer nos propos. Et puisqu’il est inté ressant d’ouvrir les horizons, nous verrons quelle comparaison peut ê tre faite avec des é tablissements pé nitentiaires en Belgique, ainsi qu'avec la visite du fort de


Breendonk. Cet article fait é cho à une problé matique é galement traité e par Aude de Wergifosse : la mise en scè ne de la violence. Les lieux dont nous parlerons ont é té té moins d’é vé nements que l’on peut quali-ier de « cruels ». Mais de quelle maniè re en parlent-ils ? Quel est le lien avec l’histoire et la mé moire ? Est-il universel ? L’histoire et la mé moire ont des points communs, ce qui rend dif-icile, intellectuellement, de sé parer nettement les deux termes. Commençons cependant, par souci de clarté , par les divergences. Selon Pierre Nora, la mé moire est cré atrice de particularismes, d’identité s, tandis que l’histoire a une vocation universelle. La mé moire relè ve de l’affectif et fait appel à l’é motion ; l’histoire, quant à elle, se sert de la raison (Nora, 2006). Les objectifs de la mé moire sont de conjurer l’oubli ; ceux de l’histoire, de conjurer l’ignorance. Ensuite, la principale convergence que l’on peut noter, est l’appropriation du passé . En ce domaine, l’histoire et la mé moire se complè tent, comme l’explique Dominique Vidal : « La transmission de la mé moire […] ne peut s’effectuer sur le seul terrain des sentiments : elle suppose qu’on en appelle à la ré -lexion sur les leçons conjoncturelles et universelles des é vè nements. » (Vidal, 2008). Les synecdoques des « sentiments » et de la « ré -lexion » repré sentent respectivement la mé moire et l’histoire, selon ce qu’en disait Nora. Ici, la mé moire ne peut, à elle seule, faire parler le passé . On note qu’il n’est pas pré cisé si l’inverse est é galement vrai. L’historien se doit d’ê tre neutre, et en cela, toute é motion repré sente un danger. La mé moire est-elle donc un danger pour l’histoire ? Nous pourrions craindre une instrumentalisation de

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l’histoire au service de la mé moire, qui serait au dé triment de la premiè re. Et c’est pour cette raison que les deux notions ne peuvent pas ê tre confondues, ni intellectuellement, ni dans une é ventuelle mise en scè ne dont le but est de faire parler l’histoire, comme, par exemple, lors de la visite d’un musé e ou, dans le cas qui nous occupe, d’une prison. La prison de Mokotó w est tristement cé lè bre pour ce qu’il s’y passa dans les anné es 1940, lorsque le pays é tait sous le contrô le de l'Allemagne nazie, et 1950, alors que la Pologne vivait sous le ré gime communiste. La prison est considé ré e ici, comme l’indique le titre de cet article, comme un lieu symbolique de l’histoire nationale, car il est pré senté sur place comme tel. Des Polonais enfermé s là pour avoir ré sisté au pouvoir en place é taient torturé s psychologiquement et physiquement, et parfois exé cuté s. L’endroit a é té gardé dans un é tat sensiblement identique à l’é poque des é vè nements dont nous parlons. Jacek Pawłowicz fut notre guide. La visite se passa ainsi : nous avons vu les couloirs de la prison, les cellules de surpopulation intentionnelle, la salle d’exé cution (doublé e d’une salle de torture) et, à l’exté rieur, l’endroit dit de promenade. Les murs de la prison té moignent de son histoire : par endroits, ils sont iné gaux car on y a ajouté du bé ton, où il y avait avant des niches par lesquelles il é tait possible d’observer les prisonniers, de les surveiller, et, expliquait Jacek Pawłowicz, de tirer ou mê me lancer une grenade. Les cellules que j’ai quali-ié es de « surpopulation intentionnelle » ont é té en fait cré é es pour accueillir un seul homme, avant la guerre. Aprè s celle-ci, on les utilisa pour en contenir

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une vingtaine. Jacek Pawłowicz nous -it entrer les uns tout contre les autres et ferma la porte, nous faisant tenir debout ainsi une ou deux minutes avant de nous libé rer, pour nous faire ressentir ce que cela pouvait repré senter. Plus loin, dans les salles d’exé cution et de torture, il expliqua les procé dé s utilisé s par les bourreaux. Il expliqua que le sol sur lequel nous marchions é tait le mê me que celui qui avait servi à ré colter le sang des Polonais qui, courageux, avaient ré sisté aux autorité s. En-in, le lieu de promenade é tait un rectangle de peut-ê tre une cinquantaine de mè tres carré s, entouré de hauts murs terminé s par des barbelé s. Ce qui m’amè ne à é crire cet article s’inté ressant à la mise en scè ne de la violence est justement la mise en scène de cette visite. Le terme sert dans son sens propre, car cette violence nous sera raconté e parfois de maniè re assez thé â trale, que ce soit dans le choix des mots ou dans la maniè re de nous transmettre l’histoire des lieux. La proximité temporelle et la charge affective de ce que l’on a pu visiter explique probablement cela. L’histoire est confuse car la mé moire l’emporte parfois, et avec cela, la neutralité se trouve en danger par moments. Dans une vidé o mise en ligne sur Youtube par le Żołnierze Niezłomni (Les Soldats insoumis, faisant ré fé rence à la ré sistance armé e anti-communiste en Pologne aprè s 1945), nous pouvons revivre en dix minutes la visite dont je viens de parler, visite qui en ré alité dure toute la matiné e. La vidé o est intitulé e Mokotow Prison on Rakowiecka Street In Warsaw : The Place Where Communists Murdered Polish Heroes (http://youtu.be/J0BBATWSW7w). Le choix des mots est lourd d’é motion, on considè re les communistes comme un tout indissociable, des bourreaux, et les Polonais

comme des hé ros qui ont é té murdered, assassiné s. Cette description heurte vite la volonté de neutralité des historiens (é trangers, je le rappelle) que nous sommes, de mê me que certaines tournures de phrases nous ont fait froncer les sourcils lors de notre visite. Ne partageant pas l’é motivité qui anime ces discours, on ne peut s’empê cher de souligner le manque de raison, d’histoire, en faveur de la mé moire. Au-delà de tout cela, un fait é tonnant ré side dans le fait que la prison soit toujours en activité . Cela explique le choix du terme « ré alité » et pas « histoire » dans le titre de cet essai : transmettre la ré alité d’un lieu symbolique. Avec des prisonniers vivant encore actuellement au sein de la prison, nous é tions plongé s dans leur ré alité . L’endroit dit de promenade où nous avons fait la derniè re partie de la visite est encore utilisé actuellement. Le passé louvoie avec le pré sent dans plusieurs domaines : il est raconté avec beaucoup d’é motion tant il est proche, comme nous venons de le voir ; mais aussi, la double utilité de la prison (devoir de mé moire et accueil des dé tenus) fait coexister deux é poques, notamment avec le dé cor inchangé . Par ailleurs, les actes commis par les bourreaux semblaient intemporels à travers le discours du guide : on aurait pu croire que, jusqu’à la -in du ré gime communiste, les mê mes tortures et exé cutions illé gitimes é taient toujours en cours. Cela renvoie à l’image des communistes comme un seul homme, ou plutô t une bê te. Pour terminer concernant la limite -loue entre le passé et le pré sent, mentionnons la possibilité qui nous fut offerte de visiter des cellules occupé es, ce qui n’entrait pas dans l’inté rê t historique des bâ timents.

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Puisque la neutralité a tant d’importance, nous avons jugé inté ressant de faire une visite similaire en Belgique. Aucune prison n’a connu un passé semblable bien entendu, ce qui permet dif-icilement d’ê tre autorisé à parler de visite « similaire ». Cependant, il nous semblait pertinent de nous inté resser au passé de l’un ou l’autre centre pé nitentiaire toujours en activité , ainsi qu’à la maniè re dont on nous y parlerait de ce passé . Il y a dé jà une diffé rence notable : il nous fû t absolument impossible non seulement de visiter une prison active, mais aussi de pouvoir rencontrer une quelconque personne y travaillant ou pouvant nous en dire plus sur l’histoire des prisons belges. Les critè res de visite sont extrê mement stricts (en plus d’un dé lai d’attente considé rable, il faut impé rativement faire des é tudes ayant un lien avec l’administration pé nitentiaire, pour ne citer que cela). Une visite é tant impossible, nous avons voulu rencontrer une personne travaillant dans la prison, pouvant é galement nous é clairer sur son histoire. Aprè s avoir é té relé gué e de contact en contact, la demande est resté e sans ré ponse. Certaines prisons belges ont bien servi à l’ennemi durant les guerres que nous avons connues, mais il ne semble pas indispensable aux responsables actuels de partager cette partie de leur histoire. Ces guerres datent de plusieurs gé né rations, trop peut-ê tre pour qu’un quelconque besoin de mé moire ne se fasse ressentir au sein des é tablissements pé nitentiaires en Belgique. Nous nous sommes alors souvenue d’une autre visite, à l’ambiance similaire à celle de la prison de Mokotó w, qui nous laissa un sentiment semblable : le fort de Breendonk. La visite se -it en deux groupes, chacun avec son guide. Lorsque nous nous sommes retrouvé s dans la salle de tortures, la diffé rence entre les deux guides sautait aux yeux : le premier expliquait, l’autre narrait, respectivement avec objectivité et passion. Devons-nous pré ciser que l’un avait une dé marche historique et l’autre remplissait un devoir de mé moire ? Car la diffé rence se trouve là : dans le choix des mots, dans la mise en scè ne. Pour justi-ier la comparaison, nous pouvons é tablir un point commun entre la prison de Mokotó w et le fort de Breendonk : ces endroits ont accueilli des é vè nements capitaux dans l’histoire nationale et sont aujourd’hui tous deux des lieux symboliques de celle-ci.

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Le passé de ces deux é tablissements est relativement proche de nous, mais les quelques anné es de diffé rence sont notables : alors que la plupart des té moins survivants de la Deuxiè me Guerre mondiale é taient adolescents lors des faits, le communisme en Pologne a fait partie de la vie de nombreux citoyens encore vivants aujourd’hui, et son souvenir est pré sent d’une maniè re bien plus forte, à chaque instant, rien que dans l’univers architectural. Il est certain que la proximité temporelle ne doit pas freiner les initiatives en matiè re d’histoire et de mé moire, mais il faut ê tre conscient de son é motivité face à ce que l’on veut transmettre. L’histoire et la mé moire peuvent cohabiter dans la mise en scè ne d’une visite historique quelle qu’elle soit. Encore une fois, la conscience du fait que la mé moire ne doit pas dé passer l’histoire est essentielle, car, comme l’explique Dominique Vidal, la mé moire à elle seule ne suf-it pas pour s’approprier le passé (Vidal, 2008).


Lorsque l’on veut partager un pan de notre histoire, et que celui-ci est si proche qu’il nous est raisonnablement dif-icile d’ê tre neutre, prenons le temps de voir si l’on veut faire de l’histoire ou de la mé moire. Ne prenons pas l’un pour l’autre, au risque de confusion. Soyons conscient du fait que l’é motion est un danger pour la neutralité . AR la prison de Mokotó w, l’histoire et la mé moire se mê laient, peut-ê tre trop. Au point où la visite prenait parfois une tournure dé calé e, notamment avec la visite de cellules de prisonniers. On suppose qu’au vu des é vé nements, il est dif-icile pour la nation polonaise de parler de tout cela en d’autres termes que ce qui nous a é té pré senté . Par ailleurs, que l’on ne se mé prenne pas : la visite fut une expé rience unique et trè s inté ressante. La proximité temporelle et la charge affective de ce permet de comprendre que c’est humain : la dif-iculté de rester parfaitement neutre est ré elle lorsqu’on parle de notre histoire. Il faut ê tre d’autant plus attentif à ce que l’on pré sente et à la maniè re dont on le pré sente, la mise en scè ne. Elle doit servir l’histoire et non la mé moire. On remarquera que, dans notre introduction, nous avons é galement mê lé les termes « histoire » et « mé moire », a-in de pouvoir souligner ce qui les lie et les diffé rencie. Tout au long de l’article, les termes ne cessent de se croiser, s’approcher, s’é loigner. Cela montre encore une fois la dif-iculté de l’ê tre humain (si imparfait) d’ê tre objectif face à sa propre histoire. Les hauts lieux de mé moire se doivent de transmettre l’histoire nationale aux citoyens, et par extension nous pourrions pré tendre que chaque nation a un devoir de mé moire, né cessaire à sa construction identitaire. Pour conclure, nous dirons qu’il faut, dans la mesure du possible, é viter l’instrumen-

talisation de l’histoire au service de la mé moire. Nous avons vu en quoi ces deux notions se mê lent et se distinguent, et à quel point il nous semble né cessaire de saisir ces diffé rences. Il reste que, sur le terrain, ce sont plutô t des dé tails qui vont nous indiquer qu’à tel moment, nous nous trouvons dans l’un ou l’autre cas, ou encore dans un mé lange. Ils ré sident principalement dans la « mise en scè ne » (ici dans son sens large). Considé rons que le visiteur pourrait rencontrer l’histoire et la mé moire à des « moments » donné s d’une visite. Dans les deux exemples que nous avons mentionné s, les guides ne semblaient pas faire le choix conscient des « moments » d’histoire et des « moments » de mé moire, notamment car ils ne distinguaient pas les deux notions. Ce manque de prise de conscience fait que les visiteurs eux-mê mes n’ont pas l’occasion de se positionner objectivement par rapport à ce qu’on leur propose. Un endroit se voulant « lieu d’histoire » et pré sentant surtout des « moments de mé moire » pose à mon sens problè me dans la perception du visiteur, qui prendra pour histoire ce qui n’est « que » mé moire ; à moins de repé rer, dans la mise en scè ne, les dé tails qui lui montreront dans quel « moment » il se trouve.



Mettre en scène la violence : l’objectivité face à l’émotivité et l’histoire face à la mémoire, dans les musées et la littérature Aude DE WERGIFOSSE

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n peut dire que de tout temps nos socié té s ont cherché à comprendre, transmettre, se souvenir et é duquer par l’histoire. Par des ré cits historiques ou -ictionnels, des œuvres d’art, des musé es et autres lieux de mé moire, etc. tant de ré alisations à pré tention tantô t scienti-iques et objectives, tantô t ouvertement chargé es d’é motion et de subjectivité ; qui relè vent tantô t du domaine de l’histoire, tantô t de celui de la mé moire. En matiè re d’histoire : si l’historien se veut ê tre le garant de la rigueur scienti-ique, comment ne pas se laisser aller à une certaine é motion lorsqu’il s’agit de faire le ré cit de la violence et des é vé nements douloureux du siè cle ? Peut-on seulement comprendre ces derniers sans rendre compte, par une forme de singularité et de subjectivité , de la violence qu’ils ont

constitué e pour ceux qui les ont vé cus ? Comment mettre en mots ces é pisodes intolé rables, sans se heurter à l’insuf-isance des « procé dé s narratologiques » autorisé s par l’historiographie ? Quant au domaine de la musé ologie, entre histoire et mé moire, quelle place ré serve-t-il aux musé es d’histoire contemporaine, qui traitent d’é vé nements dont la proximité et la vive douleur encore souvent associé e, doublent la simple volonté de comprendre et transmettre le passé d’un besoin de commé morer celui-ci et ceux qui en furent les victimes ? Comment toucher et communiquer ef-icacement sans y mettre de l’é motion ? Dans le cas de la Pologne, au vu de la vive é motion de ses habitants vis-à -vis de leur passé proche, de mê me qu’au vu des importants moyens dé ployé s pour conserver la mé moire de ce passé doulou-


reux, qu’il s’agisse de l’occupation nazie, du joug communiste ou de l’insurrection de Varsovie, le ré cit des faits stricto sensu ne semble pas suf-isant pour rendre compte d’une histoire encore si vive dans les consciences actuelles. Et la mise en scè ne du passé est chargé e de cette é motion et de ce dé sir de mé moire.

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On voit d’ores et dé jà se dé gager de ces questionnements la problé matique de l’objectivité dans la mise en scè ne de l’histoire, dont traitera plus particuliè rement l’article de Charlotte Casier ; de mê me que la problé matique du rapport entre histoire et mé moire, que dé velopperont les articles de Coline Everaerts et Morgane Degrijse. Quant à cet article, il tentera de faire la synthè se de cette double problé matique de la scienti-icité face à l’é motivité et de l’histoire face la mé moire, au travers des mé canismes de mise en scè ne de l’histoire dans les musé es et la litté rature : deux lieux de ré incarnation du passé au parti pris plus ou moins assumé ?

En matiè re de litté rature, Pierre Nora souligne dans le numé ro 165 (2011) de la revue Le Débat intitulé L’histoire saisie par la iction le brouillage entre litté rature et histoire qui apparaı̂t ces derniè res dé cennies. Un brouillage qui se marque plus particuliè rement – dit-il – dans les ré cits des é vè nements tragiques du XXe siè cle. Mais pourquoi l’histoire chercherait-elle le soutien de la litté rature, alors que le XIXe siè cle avait instauré une cé sure nette entre ces deux disciplines ? AR cela, Raphaë lle Guidé e ré pond que « la litté rature n’a pas seulement vocation à pallier le manque ou l’absence de traces, elle se pose é galement comme remè de aux insuf-isances du discours historien » (Guidé e, 2013). Et de fait, la simple mention, par exemple, du nombre de juifs exterminé s pendant la Deuxiè me Guerre mondiale ne signi-ie rien pour celui qui se contente d’un chiffre, et il faut pour bien comprendre la tragé die qui se cache derriè re ce chiffre prendre conscience de la singularité et du destin individuel de chacune des victimes. C’est ce que permet la -iction, lorsqu’elle dé crit le quotidien et la vie d’un ou plusieurs personnages. Leurs conditions de vie, leur vé cu, les dé tails de leur quotidien, etc. sont autant d’é lé ments qui permettent au lecteur de s’identi-ier. Et si c’est le destin de ces personnages singuliers qui va pousser le lecteur à tourner le roman page aprè s page, c’est à l’entiè reté de la classe ou de la communauté à laquelle ils appartiennent que fait é cho leur histoire. Dans À marche forcée par exemple, Sławomir Rawicz se met en scè ne lui-mê me, et au travers de sa propre histoire, renvoie à la ré alité et au quotidien de tous les prisonniers de la Loubianka, du voyage (en train et à pied) des dé porté s vers la Sibé rie, du travail dans le camp 303 et des tentatives de fuite et de survie de quelques-uns de ces dé porté s – comme en té moigne l’é vasion de sept bagnards et d’une Polonaise rencontré e alors qu’elle fuyait les kolkhozes – de la Russie en Inde (Rawicz, 2002). Quant à Ken Follet, dans L’Hiver du monde, il raconte notamment, au travers du destin d’une famille

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berlinoise, la monté e au pouvoir d’Hitler et la ré pression de l’opposition, les meurtres caché s de handicapé s et le viol d’Allemandes par l’armé e russe à son entré e dans Berlin. Ce parti pris (qui est souvent celui des victimes), pleinement assumé par la litté rature historique contemporaine, fait qu’elle serait « davantage que le ré cit historique, apte à restituer et transmettre la façon dont l’histoire fut vé cue par les victimes » (Guidé e, 2013). Elle ne se contente pas d’expliquer le passé , elle le montre. Dans les musé es, si les expositions sont constitué es de photos, té moignages, objets et documents divers, empreints eux aussi de singularité , prime l’histoire globale qu’ils permettent de reconstituer. Ainsi, le visiteur ne suit gé né ralement pas, comme dans le roman, la vie d’une seule et mê me personne, mais est invité à suivre le parcours d’une ou plusieurs communauté s (juifs, immigrants,

insurgé s, prisonniers politiques, etc.), que les histoires singuliè res ne viennent qu’illustrer. Et les archives mises en scè ne constituent, avec les sons et lumiè res, les dé cors, les dispositifs permettant une interaction avec le visiteur, les visites guidé es et les panneaux de vulgarisation, autant de moyens de rendre le musé e vivant et accessible à tous. Au Centre

Européen Solidarité (Europejskie Centrum Solidarności, ECS) par exemple, sont exposé s des -ilms des manifestations des anné es 1980 et des photos des manifestants arrê té s, des tablettes permettent d’en savoir davantage sur les membres importants du syndicat Solidarnoś ć (Solidarité ), etc. tant d’é lé ments qui permettent de mettre des noms, des visages et des images sur ces é vé nements.

125 ECS : Manifestants arrêtés lors des manifestations de Solidarność


Lors de la visite de la prison de Mokotó w, on nous propose d’expé rimenter le regroupement d’une vingtaine de personnes dans une seule et mê me cellule, la promenade des prisonniers, et l’attente du condamné à mort qui se demande s’il va se faire gracier. Au

Musée de

l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego), tout est fait pour nous immerger : des dé cors et des dispositifs son et lumiè re grandioses (comme des é gouts par exemple) qui rappellent les conditions de l’insurrection ; une scé nographie dé boussolante, où la progression à la fois chronologique et au travers de l’exposition est marqué e par un calendrier dont au voit dé -iler les jours au -il de la visite.

Si l’article de Marie Tielemans et Marion Van Boeckel s’attache à é tudier plus en dé tail l’aspect sensoriel, é motionnel et psychologique de ces scé nographies, notons toutefois dé jà que – et nous l’avons plus particuliè rement ressenti lors de notre visite de la prison de Mokotó w et du Musé e de l’Insurrection de Varsovie – la volonté de ces musé es est de jouer sur la sensibilité

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ECS : Manifestants arrêtés lors des manifestations de Solidarność

des visiteurs et de les plonger dans l’é tat d’esprit des victimes, en vue de les toucher et de mieux susciter leur inté rê t. Ne retrouve-t-on pas là un procé dé similaire à celui des œuvres de -iction ? Dans le roman historique toutefois, à la grande diffé rence du musé e d’histoire, le parti pris est clairement assumé par l’auteur et gé né ralement d’entré e de jeu connu par le lecteur. Si c’est à lui de faire la part entre -iction et histoire, il en est 126 averti.

Dans les musé es en revanche, c’est au visiteur de faire jouer son sens critique et de dé gager de la scé nographie l’aspect ou le point de vue mis en avant ; de sorte que, si le musé e né glige un aspect, il puisse le restituer par ses connaissances ou par une autre visite. Ainsi, la volonté du Musée

de l’Histoire des Juifs de Pologne (Muzeum Historii Żydów Polski, MHZH P ou Polin), par exemple, é tait de pré senter mille ans d’histoire juive polonaise.


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La place qui y est consacré e à la Shoah est -inalement peu consé quente en regard de la taille du musé e et ceux qui voudront s’en é mouvoir feraient mieux de se rendre à Auschwitz. La visite de la prison de Mokotó w, quant à elle, mettait en lumiè re (avec une é motion et un ressentiment visibles) les injustices causé es au peuple polonais sous le joug communiste. Quant au Musé e de l’Insurrection de Varsovie, il mettait trè s clairement en é vidence l’aspect nationaliste et hé roı̈que de cette insurrection. Si mettre en avant tel ou tel aspect n’est, il me semble, pas un problè me, et si c’est mê me bien souvent iné vitable, que ce soit à cause de l’ampleur du sujet, des ressources disponibles à l’exposition ou des choix scé nographiques à faire, un musé e se doit d’ê tre autocritique vis-à -vis de ces choix et de respecter au mieux les attentes du visiteur. Ainsi le visiteur qui viendrait pour s’instruire est en droit d’attendre du musé e une honnê teté intellectuelle. Peut-ê tre attendra-t-il é galement une forme d’objectivité (fantasmé e ou non ? de nouveau, nous renvoyons à ce sujet à l’article de Charlotte Casier). Cette autocritique me semble d’autant plus importante que le visiteur non averti n’aura pas toujours conscience de l’orientation d’un musé e. Dans le cas de la prison de Mokotó w par exemple, si se souvenir des victimes de Staline est bien é videmment important, ce ressentiment des Polonais envers la Russie stalinienne ne doit pas ê tre confondu avec un ressentiment des Polonais envers la Russie actuelle, et la volonté de faire comprendre le vé cu des victimes ne doit pas ouvrir la voie ni aux jugements personnels des employé s du musé e, ni à entretenir la haine d’un pays pour un autre. Le Polin semble à ce sujet ê tre un modè le à suivre, dans la mesure où , premiè rement, il adopte un point de vue diachronique trè s riche et pré sent dans peu de musé es juifs (centré s sur l’holocauste) ; deuxiè mement, il est rendu vivant par des dé cors riches sans ê tre excessifs et des possibilité s d’interactions nombreuses ; troisiè mement, il intè gre une part de symbolisme et d’é motion sans donner au visiteur le sentiment de chercher à le rallier à une cause, comme cela a pu ê tre le cas au Musé e de l’Insurrection de Varsovie notamment, de par une forte valorisation du nationalisme des insurgé s ainsi qu’une mise en parallè le de ce musé e avec le travail de l’armé e polonaise actuelle. AR noter que, tandis que le Musé e de l’Insurrection de Varsovie est le produit de Polonais, le Polin n’est pas le produit de Juifs. La prise de recul y est donc sans doute beaucoup plus aisé e. En guise de conclusion : lieux d’exposition et d’apprentissage de l’histoire pour certains, lieux de mé moire et de pè lerinage pour d’autres, le musé e d’histoire contemporaine – bien que tenu à l’honnê teté intellectuelle – ne doit pas forcé ment tenir à l’é cart toute forme de symbolisme et d’é motivité . Il devra toutefois dé terminer ses objectifs ainsi que les attentes du public, et y ré pondre par un terrain d’é quilibre entre histoire et mé moire et objectivité et subjectivité .



Mémoire et histoire : un rapport parfois difficile au passé polonais Morgane DEGRIJSE

P

our é crire cet essai, qui se veut une interrogation sur le rapport qu'entretient une socié té avec son passé et son histoire (c'est-à -dire ce qu'on pourrait appeler sa « mé moire »), je pars d'une observation ré alisé e lors de notre bref sé jour en Pologne. En effet, en tant qu'é tudiante formé e en histoire à l'Université Libre de Bruxelles (ULB) depuis maintenant quatre ans et demi, certains é lé ments m'ont fortement interpellé e au cours de nos nombreuses visites. Parmi ceux-ci je peux par exemple citer la maniè re dont l'histoire est mise en scè ne dans les musé es polonais : faisant bien souvent appel au pathos plutô t qu'à l'ethos des visiteurs, elle semble se dé rouler comme un ré cit dans lequel la Pologne tiendrait le rô le de personnage principal, luttant avec courage pour sa survie et le maintien de son unité face à des ennemis bien identi-ié s, dont l'image caricaturale ne laisse pas beaucoup de place à la nuance. Je tiens à pré ciser que ce que j'expose dans cet essai relè ve d'une premiè re impression sur le vif, strictement personnelle, probablement issue de ma confrontation avec une histoire diffé rente de celle que je cô toie quotidiennement, sous sa forme la plus acadé mique. Il est pertinent de s'interroger sur les raisons de ce choc : suis-je conditionné e par un certain enseignement ? Celui-ci est-il repré sentatif d'une culture plus vaste et cette derniè re serait-elle caracté ristique d'Europe occidentale ? Dans quelle


mesure les musé es belges utilisent-ils ce mê me genre de procé dé s ? D'autres questionnements, plus larges, viennent alors à l'esprit, auxquels je ne me propose pas de ré pondre systé matiquement : la façon dont un pays mé diatise son histoire (ici principalement dans les musé es) est-elle lié e à son passé particulier ? Si c'est le cas, dans quelle mesure et de quelle maniè re ? Quelles sont les diffé rentes positions scienti-iques sur le sujet ? Dans quelle mesure est-on en droit de mettre l'histoire en scè ne, mê me dans une perspective louable de vulgarisation ? Où se situe la limite entre histoire, passé , mé moire ? Certaines de ces questions sont dé veloppé es par mes collè gues dans leurs essais. Comme toujours, il est inté ressant de se pencher sur la dé -inition des termes utilisé s, a-in d'identi-ier clairement les diffé rents objets de ré -lexion. Par exemple, selon le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL, en ligne) le passé se dé -init d'une maniè re trè s gé né rale comme un « temps situé dans une é poque ré volue » et ensuite, lorsqu'il s'agit plus particuliè rement du passé de quelqu'un ou de quelque chose, comme « ce qui a é té accompli, commis, subi par une personne ou une collectivité , ce qui l'a faite ce qu'elle est, ses anté cé dents, son histoire, sa vie passé e ; ce qu'elle en conserve dans sa mé moire ». Suivant cette derniè re dé -inition, le passé de la Pologne serait donc constitué d'un amalgame de tout ce que le peuple polonais (notion qu'il conviendrait é galement de dé -inir : est-on Polonais car on possè de la nationalité of-icielle, plutô t par sentiment d'appartenance à une nation ou encore d'identi-ication à une histoire commune ?) a

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accompli, commis ou subis collectivement. Ce passé serait donc constitué , plus que d'é vé nements historiques à proprement parler, des sentiments de -ierté , culpabilité et souffrance qui y ont é té (et y sont toujours) associé s, dans la mé moire collective du pays. Les dé -initions multiples de la mé moire, selon qu'elle soit considé ré e d'un point de vue biologique, philosophique ou encore poé tique, utilisé es dans des contextes trè s divers, comprennent toutes une dimension trè s personnelle : la mé moire correspond à la maniè re dont une entité (individuelle ou collective) intè gre et assimile son passé et à ce qu'elle dé cide (consciemment ou non) d'en retenir. En effet, dans la repré sentation de l'histoire d'un pays, comme dans celle d'une personne, certains é lé ments sont obligatoirement occulté s et/ou passé s sous silence (il est impossible de tout retenir, raconter, expliquer) alors que d'autres sont mis en avant et cé lé bré s comme des accomplissements. Ce tri peut ê tre effectué inconsciemment à cause d'un traumatisme, d'un sentiment de honte ou de culpabilité (lié à des é vé nements dif-iciles à assumer ou dé sagré ables à se rappeler par exemple), mais il peut é galement se faire en toute lucidité , que cela provienne de l'action de l'EQ tat (à travers des lois mé morielles par exemple), d'institutions telles que les musé es, ou encore d'initiatives privé es (à travers l'art, les manuels scolaires, les campagnes politiques, la publicité , etc.). Selon Andrzej Paczkowski, « tout changement de systè me politique s'accompagne d'un problè me d'é valuation de l'ancien ré gime et d'attitude à l'é gard de ses gouvernants, serviteurs et partisans » (Paczkowski, 2008 : 91). Aprè s la chute du communisme en Pologne, cela s'est traduit par un « rè glement de compte


immé diat et sé vè re avec le passé » (Paczkowski, 2008 : 91), sous la forme d'un processus de « dé communisation » de la socié té – parfois remis en question – et des institutions ainsi que d'une « amné sie consciente » et assumé e vis -à -vis de cette pé riode. Cela passe notamment par le remplacement des symboles communistes, tels que certains noms de rues, places, institutions et organisation, ou encore par leur destruction pour certains monuments, plaques commé moratives, etc. Beaucoup de pays d'Europe centrale et orientale, dont la Pologne en 1999, ont é galement promulgué des lois sur la lustration, c'est-à -dire l'é tablissement de listes de collaborateurs, potentiels ou ré els, des services secrets de l'ancien ré gime communiste. Entre cette date et 2004, plus de 18 700 Polonais occupants certains postes (notamment au sein des administrations é tatiques), ont du faire une dé claration of-icielle et ont é té l'objet de vé ri-ications concernant leur é ventuelle collaboration. Ceux qui é taient soupçonné s d'avoir menti (environ 0,7 %) passaient devant un tribunal. Au -inal trè s peu furent jugé s coupables d'avoir fait une fausse dé claration et condamné s à l'exclusion des fonctions publiques pendant dix ans (Paczkowski, 2008 : 92). Cette pratique, qui gé nè re un climat de suspicion, couplé e à la volonté d'effacer les traces d'un ré gime politique imposé et subi durant des dé cennies, illustre bien la volonté polonaise de faire table rase d'une partie de son passé , faisant ainsi le choix d'exclure certains é lé ments de la « mé moire nationale » ou de les y pré senter sous un jour particulier. Cela nous amè ne à la distinction qui existe entre mé moire et histoire. Ce dernier terme, pouvant recouvrir une vaste gamme de signi-ications, est ici entendu en tant que

discipline scienti-ique é tudiant le passé de l'humanité d'une maniè re qui se veut la plus objective possible, en se basant sur des sources (l'objectivité totale demeure pourtant une illusion dè s qu'un é lé ment humain entre en ligne de compte). L'historien tente de comprendre, expliquer et exposer le passé dans toute sa complexité , sans le juger ou en dissimuler certains aspects. Mê me s'il a recours à des rè gles rigoureuses, il lui est bien é videmment impossible d'ê tre exhaustif. La dé marche historienne reste cependant trè s diffé rente de celle de la construction collective (né cessairement sé lective) d'une mé moire, qui se veut une simpli-ication du passé , orienté e par un certain jugement moral. Si les membres du corps acadé mique de l'ULB ne sont sans doute pas unanimes sur la position à adopter face à la problé matique de l'utilisation de l'histoire dans la construction d'une « mé moire collective » (que ce soit à l'é chelle nationale, europé enne ou mondiale), un message clair et concis a tout de mê me traversé de part en part nos é tudes : il existe une ligne de dé marcation infranchissable entre histoire et mé moire ! La plupart de nos enseignants se positionnent d'ailleurs clairement contre une institutionnalisation de cette mé moire, à travers par exemple l'adoption de lois mé morielles telle que la loi Gayssot (1990) en France, qui institue comme un dé lit le fait de nier l'existence du gé nocide juif en tant que crime contre l'humanité . En effet, mê me si ces derniè res sont compré hensibles d'un point de vue é motionnel, il est plus discutable au niveau scienti-ique de -ixer

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une partie de l'histoire aux yeux de la loi. De nombreux historiens se positionnent ainsi en faveur de la « liberté pour l'histoire » (Nora & Chandernagor, 2008), insistant sur le fait qu'il s'agit d'une discipline mouvante, en constante é volution, malgré le fait qu'elle soit consacré e à l'é tude du passé . Ils considè rent que les chercheurs ne devraient ê tre in-luencé s par aucune contrainte exté rieure.

destiné à jeter de la poudre aux yeux du visiteur, transformé pour l'occasion en spectateur é bahi. D'un autre cô té , je reconnais que l'effet produit est intense : j'ai eu l'impression de « vivre l'histoire » comme si j'y é tais et j'en garde une impression forte, qui demeurera sans doute plus longtemps et plus vivement dans ma mé moire que tout ce que j'ai bien pu lire sur la vie dans les prisons ou le soulè vement de Varsovie.

Ayant baigné dans un contexte aussi intransigeant à propos de l'instrumentalisation de l'histoire, il n'est pas é tonnant que j'ai é prouvé quelques dif-iculté s à encaisser des dispositifs, certes impressionnants (voire mê me effrayants dans certains cas), qui mettent en scè ne l'histoire d'une maniè re poignante et touchante, comme dans les exemples suivants. Je ne m'é tendrai pas ici sur la scé nographie particuliè re des diffé rents musé es et institutions que nous avons eu la chance de visiter à Gdań sk et Varsovie, car elle est dé taillé e dans d'autres essais, mais il faut tout de mê me souligner la « mise en spectacle » de l'histoire à laquelle nous avons assisté , particuliè rement lors des visites du

Pour produire un tel effet, il est né cessaire de faire appel à l'empathie : face à de tels dispositifs, on se sent solidaire avec les insurgé s, compatissant envers les anciens (et actuels !) dé tenus de la prison, impressionné ou scandalisé par l'histoire qui nous est pré senté e (prê t à prendre les armes pour dé fendre la Pologne ?). L'expé rience est certes incroyable, mais l'histoire telle qu'elle nous est pré senté e est é puré e, simpli-ié e, lissé e, rodé e pour que les é vé nements s'emboı̂tent parfaitement ; elle n'est issue que d'une seule voix, et ne laisse que peu de place aux contrastes ou nuances. Certaines interrogations surviennent à nouveau : à quel point ce type de mise en ré cit est-elle (re)commandé e par les pouvoirs politiques ? Ne charrie-t-elle pas une vision orienté e de l'histoire ?

Musée de l’Insurrection de Varsovie (Muzeum Powstania Warszawskiego) et de celle, pour le moins spectaculaire, de la prison de Mokotó w. Aprè s le premier moment de submersion, dans un espace sonore et visuel complè tement saturé dans le premier cas et sous le coup d'une é motion et d'un sentiment de suffocation dif-icilement ré pressibles dans le deuxiè me, je me demande tout de mê me à quel point scé nariser l'histoire de cette maniè re est

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En dehors de ces deux exemples, la plupart des visites que nous avons effectué es, pré sentaient l'histoire de la Pologne sous un jour moins personnel, certes é galement travaillé (c'est iné vitable dans un musé e), mais de maniè re beaucoup moins unidirectionnelle et é vidente. Par contre, sans exception (à part peut-ê tre le

Musée de l’Histoire des Juifs de Pologne [Muzeum Historii Żydów Polski, MHZH P ou Polin]), ces musé es charrient tous, à mon sens, une image particuliè re du passé national comme terriblement lourd,


dif-icile à porter et douloureux. Sans avoir à la base de grandes connaissances concernant l'histoire de ce pays, je suis sortie de chacune de nos visites avec l'impression que cette derniè re é tait constitué e de luttes incessantes, que ce soit pour l'indé pendance ou la ré uni-ication de certains territoires, ou encore contre un envahisseur national socialiste allemand ou communiste. Sarah Gensburger et Agnieszka Niewiedzial situent à la moitié des anné es 1950 le dé but de cette mise en place d'une politique publique de la mé moire en Pologne, visant à é laborer un « ethos national fondé sur le martyre et l'hé roı̈sme du peuple polonais » à l'aide de commé morations et de mises en ré cit de l'histoire (Gensburger & Niewiedzial, 2007 : 130). Je me demande à quel point cette vision de l'histoire est in-luencé e par une certaine volonté politique, une tradition nationale ou encore une peur du recommencement ? Comme on nous l'a expliqué , la Pologne souffre en effet au niveau international, sans pouvoir rien y faire, d'une association d'idé es trè s commune avec les « camps de la mort » nazis, ayant abrité sur son territoire le plus tristement cé lè bre camp d'extermination d'Auschwitz–Birkenau. Peut-ê tre le fait d'insister sur une repré sentation de la Pologne en tant que martyre de l'histoire (ayant connu un nombre incroyable de tragé dies) est-il une straté gie politique (consciente ou non, c'est un autre dé bat) ? Dans cette perspective d'amé lioration de l'image de la Pologne dans le monde, et plus particuliè rement auprè s des populations juives, on peut souligner le projet, en 2005, de fonder un musé e à la mé moire de ZH egota, la Commission d'Aide aux Juifs (Rada Pomocy Żydom), une organisation clandestine de la Ré sistance polonaise

durant l'occupation allemande dont le but é tait d'aider les juifs à é chapper aux dé portations massives ré alisé es par les Allemands. Ce projet de commé moration, qui n'a visiblement pas abouti, devait voir le jour à Cracovie (alors que l'organisation é tait principalement basé e à Varsovie) pour qu'elle se trouve sur le chemin des nombreux touristes é trangers (dont beaucoup d'Israé liens) venus visiter le site d'Auschwitz (Gensburger & Niewiedzial, 2007). Je trouve par ailleurs que cette mission de montrer que les juifs et la Pologne sont lié s « par 1 000 ans d'histoire partagé e » est remplie d'une maniè re grandiose et juste par le Polin, ouvert en 2014 à Varsovie. Ce musé e, dont le but avoué est de mettre en avant la vie des juifs en Pologne plutô t que la dé cimation systé matique de leur peuple (comme c'est le cas dans de nombreux musé es consacré s à la Shoah), inaugure peut-ê tre une nouvelle maniè re d'appré hender le passé polonais. En effet, plutô t que d'occulter ou stigmatiser les é vé nements tragiques a-in de diminuer un certain sentiment de honte, il semble vouloir mettre en lumiè re la richesse du reste de l'histoire polonaise. Cette autre façon d'appré hender le passé , de le -ixer dans la mé moire collective, permet peutê tre de se concentrer sur le pré sent et le futur de la Pologne avec un esprit plus serein et optimiste.



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