L'architecture anthropomorphique, entre figuration et symbolique.

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PAGE DE COUVERTURE : Portrait personnel scanné par Makerslab à Prague, avec l’aide de Simona Popadić à la post-production.


L’ ARCHITECTURE ANTHROPOMORPHIQUE, ENTRE FIGURATION ET SYMBOLIQUE.

DAVID LEGEAI Séminaire « Nouvelles Pratiques Urbaines » Sous la direction de Rémy Jacquier, Maëlle Tessier et Marie Rolland ensa nantes - Juin 2017


REMERCIEMENTS

À Rémy Jacquier, pour ses qualités de tuteur de mémoire, l’espace et la liberté d’expression qu’il m’a accordé. Pour sa disponibilité et la justesse de ses remarques m’ayant permis d’orienter mes recherches et d’approfondir mes connaissances tout au long de cet exercice d’écriture, À Maëlle Tessier et Marie Rolland, pour leur statut d’encadrantes du séminaire, leur ouverture d’esprit et leur conseils, À Simona, pour son soutien de tous les instants, pour son regard critique et ses talents d’infographiste, À Lucie, pour son amitié indéfectible, sa compréhension des choses et ses précieuses remarques, À ma famille, pour leur écoute et leur accompagnement, À tous les interlocuteurs avec qui j’ai échangé, Rytis Daukantas, Zdeněk Fránek, Odette Barberis-Rottier, Nouha Babay et Ombretta Lanonne, À toutes les personnes, qui de près ou de loin, intentionnellement ou non, ont influencé la direction de mon mémoire. Aux auteurs pour la beauté des mots et à mes amis pour les discussions éclairantes, À Internet, enfin, pour sa fulgurante capacité à mettre en relation le monde et accessoirement m’avoir permis de recueillir de la part d’une vingtaine d’internautes, une multitude d’exemples d’architectures anthropomorphiques.



L’ANTHROPOMORPHISME, LA RÉVÉLATION

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L'AMBIGUÏTÉ, ESSENCE MÊME DE L'ARCHITECTURE

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1 / TOUTE ARCHITECTURE EST ANTHROPOMORPHE 1.1 LA PSYCHOLOGIE HUMAINE COMME CATALYSEUR 1.1.1 Les prédispositions perceptuelles de l’homme 1.1.2 Un état émotionnel déterminant 1.1.3 Un environnement culturel façonnant

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1.2 LA CORPORÉITÉ COMME OUTIL DE COMPRÉHENSION 1.2.1 Similitude du corps et de l’architecture 1.2.2 Des notions soumises aux lois universelles

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1.3 LE CARACTÈRE INTRINSÈQUE DE L'ARCHITECTURE 1.3.1 La physiognomonie, vers une appréciation des choses 1.3.2 L’architecture perçue tels des traits de caractère

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1.4 UN LANGAGE ARCHITECTURAL INCARNÉ 1.4.1 Analogie linguistique entre le corps et l’architecture 1.4.2 Personnification de l’architecture

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2 / LES MOTIVATIONS DE L’ANTHROPOMORPHISME 2.1 FORMALISER UNE CROYANCE, UNE PUISSANCE 2.1.1 Des divinités aux hommes de pouvoir 2.1.2 La dimension métaphysique de ces édifices figuratifs

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2.2 UN HOMME MODÈLE ET ARCHITECTURE IDÉALE 2.2.1 L’homme universel guide les formes architecturales 2.2.2 La symbolique d’habiter le corps

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2.3 DÉSACRALISATION DE L'ESPACE ET DE SES FORMES 2.3.1 Le Postmodernisme annonce l’anthropomorphisme 2.3.2 L’ironie postmoderne à travers les organes sexuels

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2.4 ENTRE IDENTITÉ DOMESTIQUE ET COMMERCIALE 2.4.1 L’anthropomorphisme, formalisation de l’identité 2.4.2 Récupération par l’architecture commerciale

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LA PLACE DE L’ANTHROPOMORPHISME

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ENTRETIENS

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BIBLIOGRAPHIE

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ICONOGRAPHIE

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L’ANTHROPOMORPHISME, LA RÉVÉLATION

Choisir un sujet de mémoire est toujours une tâche délicate, c’est surtout l’occasion de faire un point sur ses aspirations et de traiter d’une thématique qui nous anime profondément. Aussi vaste que soit le champ de l’architecture, je me suis toujours intéressé, peut-être de par ma formation initiale en arts appliqués appuyée par une pratique occasionnelle des arts plastiques, à la notion d’hybridation, de fusion des genres dans l’architecture. Une architecture donc qui questionne son académisme. J’ai toujours eu de l’affection et une attraction pour ce qui pourrait être jugé négativement par l’opinion générale, dénigré, parfois hâtivement ; à l’inverse je suis intrigué par le processus qui l’a fait naître. Derrière les théories largement diffusées et une certaine forme de « bon » goût dispensé implicitement par la formation à l’architecture, notre culture se formalise ainsi que notre appréciation laissant quelque fois une mince place à la marginalité, la curiosité. Dans le cadre de mon master, j’ai eu la chance de passer une année en échange dans la capitale de la République Tchèque, Prague. Conscient que je pouvais me saisir de cette opportunité pour orienter mon sujet de mémoire de master, je suis resté attentif à tous les signaux que pouvait me renvoyer cette ville. Intrigué dans un premier temps par son patrimoine préservé depuis plus d’un siècle et ses tentatives d’architecture contemporaine comme avec la très médiatisée Maison qui danse de Frank Gehry, véritable et quasi unique vitrine du Prague contemporain, je me dirigeais initialement sur cette notion d’identité ambivalente que Prague dégage, entre héritage et contemporanéité à définir, à quoi cette capitale aspire vraiment ? Il y a Prague, la Superbe avec ses multiples façades, son ornementation qui ravit volontiers les badauds venus du monde entier, cet imaginaire que la ville transmet n’est-il pas qu’un visage, un masque ? Des visages, je vais en découvrir, mais d’une toute autre nature. Effectivement, au gré des rencontres, à converser des curiosités que recèle la République Tchèque, j’ai découvert le potentiel de ces aberrations architecturales à travers les groupes facebook Divná místa (à traduire par Lieu étrange) ou encore Archwars qui recense


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toutes les bizarreries tchèques. C’est une amie, Gabriela Sládečková, qui me fera part de ce projet des Humanic Houses considéré comme véritable ovni dans le pays. Après la découverte de ce projet imaginé par les frères tchèques Luboš et Michal Galbavý, mon sujet d’étude est alors apparu comme une révélation (fig.1). En effet le principe des jumeaux, respectivement économiste et ingénieur, est d’appliquer à des architectures traditionnelles, pour ne pas dire banales, un visage généralement évocateur, on peut citer par exemple le visage de Lady Diana, Mozart, Toutankhamon ou encore Michael Jackson pour n’en citer que quelques uns parmi les dizaines de créations. Les réalisations des deux jumeaux d’une trentaine d’années, restées au stade d’images numériques, reprennent toujours le même processus de conception. Sur une des façades d’un bâtiment faisant 2-3 étages de hauteur, une figure est appliquée en guise de devanture afin de donner un caractère nouveau à l’architecture, subordonnant la notion d’espace à celle du signe, de l’image et de l’univers qu’elle convoque. C’est de cette découverte et de cette approche initialement visuelle que j’ai voulu me pencher sur la question de l’architecture figurative et plus spécifiquement de l’anthropomorphisme transposé

fig.1 : Les frères Galbavy lors de la présentation de Humanic Houses.


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à l’architecture, c’est-à-dire les formes humaines appliquées à la construction. Charriés dans les médias et particulièrement dans l’émission de télé-réalité tchèque « D-Den » durant laquelle les créateurs tchèques tentaient de convaincre un jury d’investisseurs de financer leurs maisons-visages ; je me suis alors intéressé au phénomène. Les premières interrogations qui me sont apparues furent : Quel est le propos derrière une telle curiosité formelle, derrière une esthétique si littérale ? Comment peut-on qualifier cette génération de formes sans tomber dans l’écueil du jugement de valeur ? Pourquoi attribuer une forme humaine à une matière inerte, l’architecte aurait-il le fantasme de rendre vivante l’enveloppe et par conséquent l’architecture ? Ce projet est-il le fruit d’une association d’idées folles ou bien s’inscrit t-il dans une tendance, une affiliation historique plus large ? N’ayant jamais réellement eu l’occasion de questionner l’anthropomorphisme durant mon cursus universitaire, je me suis alors plongé dans les ouvrages à la recherche d’informations. Rapidement, je me suis rendu compte que ce sujet avait très peu été traité et qu’un travail de défrichage m’attendait, entretenant à la fois l’intérêt du thème et la crainte de ne pas dépasser le stade de la page blanche. Un appel à exemples d’architectures anthropomorphiques passé sur les réseaux sociaux m’ont permis en très peu de temps de constituer une iconographie venant du monde entier. De plus, un internaute me conseilla la lecture des œuvres de l’architecte autrichien Günther Feuerstein pour étoffer mon propos, ce qui m’amena à découvrir les 11 points de l’architecture anthropomorphe par Filarete au XVème siècle, l’une des rares théories à ce sujet. Parmi ces points, on y apprend qu’une architecture peut être considérée comme anthropomorphique si par exemple on observe une égalité entre l’articulation du bâtiment et le corps humain, car les hommes ont besoin de nourriture et de soins médicaux, les bâtiments de maintenance et de soin, car le bâtiment est le résultat de la coopération entre client et architecte, l’équivalent chez l’homme du père et de la mère dans la création de la vie, etc1. Réconforté par ces quelques lectures qui apportaient du crédit à mon intuition, je me suis lancé dans cet approfondissement de l’ar-

1. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, 187 p.27.


chitecture anthropomorphique qui se révéla plein de réflexions et de découvertes.


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Avant de commencer mon exposé, je voudrais clarifier à travers cette introduction quelques notions que mes premières recherches ont fait émerger, je voudrais ainsi donner quelques clés de lecture personnelles qui devrait résonner par la suite avec mon propos. Dresser une réponse univoque et arrêtée sur l’architecture anthropomorphique me semblait de plus en plus vaine au fur et à mesure de ma progression dans le domaine, nous pouvons néanmoins construire une réflexion englobant les facettes multiples de ce concept et ainsi tâcher d’en saisir les nuances avec le plus de justesse possible. L’orientation de mon mémoire sur la notion d’anthropomorphisme a constitué pour moi le prétexte idéal pour me confronter à l’essence même de l’architecture et du sens que nous lui donnons. Très rapidement, s’est heurté à ces formes humaines hissées au rang d’architecture, tout mon héritage culturel et l’apprentissage que j’ai suivi dans le domaine des arts plastiques et appliqués. S’il existe des adjectifs pour chacune de ses branches artistiques, il m’est assez compliqué pour ma part de faire la distinction entre ce qui serait de l’ordre de la création nécessaire et celle qui serait purement futile. L’association de l’anthropomorphisme et de l’architecture en semble être l’exemple par excellence ; lorsqu’une forme aussi assimilée que celle du corps, que celle du visage, devient quelque chose d’autre, lorsque son échelle est modifiée et que le vivant devient inanimé. Toute création émane du vivant, de l’homme ou bien de la nature mais il peut sembler étonnant que l’homme aspire à attribuer des formes humaines à ce qui par nature ne l’est pas. La notion de « bizarre », d’« étrange » est à considérer dans la fusion, l’hybridation du corps et de l’architecture2. Charles Jencks, 1977 De tout temps les architectes ont senti qu’il existait des affinités autres que d’usage entre les édifices et les hommes. La critique

2. JENCKS Charles. Architecture bizarre, Londres, Paris : Academy editions, 1979, p.8.


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architecturale l’exprime confusément qui parle de l’ossature, des membres, de la tête ou de l’épiderme d’une construction. Mais cette impression diffuse a parfois suscité chez les architectes la volonté expresse d’établir des rapports analogiques entre les édifices et le corps humain. Cette manière de faire de l’architecture existe pourtant bel et bien et l’on remarquera qu’elle porte en elle bon nombre de significations. Jugeant rarement une architecture de par son odeur ou sont goût, je me suis principalement concentré sur l’impact visuel de ces architectures qui semblent avoir été conçus en grande partie pour interagir de cette manière. L’architecture anthropomorphique interroge alors en de nombreux points, à commencer par cette distinction lexicale entre l’art et l’architecture puisant leur étymologie dans la même racine ; on serait tenté de vouloir séparer la création qui serait de l’ordre sculptural et celle qui serait spatiale. En d’autres termes, de mettre en tension le travail d’un artiste affairé à façonner le plein pour satisfaire la contemplation et l’esprit du spectateur d’un côté et de l’autre, celui d’un architecte qui serait d’agencer le vide pour permettre la réalisation des besoins corporels. Si on peut s’accorder sur l’idée que l’architecture diffère de la sculpture par le fait qu’elle crée des milieux et non pas des objets, la limite entre les deux notions est parfois trouble. « Bien sûr, il existe un grand nombre de définitions et ces deux notions se répondent et se complètent. Je pense que la seule ligne de démarcation est que l’architecture se termine là où les fonctions pour les usagers laissent place à l’art, et sa vocation esthétique et spirituelle. Où prend fin l’usage commence la sculpture, qui ne contient qu’une valeur spirituelle. Dans un même temps, certaines architectures peuvent présenter une fonction purement spirituelle comme c’est le cas des structures à caractère spatial ou quand les sculptures peuvent être


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habitables. L’architecture et la sculpture forment une boucle perpétuelle3 ». Zdeněk Fránek, 2017 Dans le prolongement des propos de l’architecte tchèque, Rytis Daukantas apportait une définition équivalente ; « La frontière entre architecture et sculpture est très mince. Si on se tourne vers l’Antiquité ou les temples romains : comment pourrait-on dire où l’architecture s’arrête pour laisser place à la sculpture ? Chaque architecture est « sculptée » d’une multitude de manières différentes et chaque sculpture est « équilibrée » et conçue comme s’il s’agissait d’un bâtiment4 ». Si dans le passé et de manière flagrante à la Renaissance, on remarque que les penseurs représentaient toutes les branches de la création, l’évolution des pratiques a tenté de donner deux orientations différentes à l’art et l’architecture. Dans l’histoire contemporaine, on remarque que ces notions se sont rencontrées à de multiples reprises, avec notamment Sacha Sosno, même si on peut attribuer la première au Cheval de Troie (fig.2), parlera de sculpture habitée pour définir ces créations. Les architectes deviennent

3. Propos recueillis lors d’échanges de courriels avec Zdeněk Fránek, architecte tchèque, il a proposé un projet aux allures anthropomorphes pour la ville de Prague, qui fait aujourd’hui objet de controverse, mai 2017. 4. Propos recueillis lors d’échanges de courriels avec Rytis Daukantas, architecte associé de Sacha Sosno sur de nombreux projets dans le sud de la France, mai 2017. fig.2 : Giovanni Domenico Tiepolo, La Progression du Cheval de Troie, 1760.


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fig.3 : Sacha Sosno, La tête carrée, Nice, 1991.

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fig.4 : Sacha Sosno, Yves Bayard, Francis Chapus, Guy Fillon, Bibliothèque Tête Carrée, Nice, 2002.

fig.5 : Sacha Sosno, Visage de la Tête Carrée, Nice, 2002.


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artistes comme c’est le cas de Sacha Sosno, qui dix ans après sa sculpture « La tête au carrée », s’entourera de deux architectes et d’un ingénieur pour réaliser sa sculpture en volume (fig.3-5), ou inversement avec les hollandais de l’atelier Van Lieshout qui de par la remarque d’un client suggérant d’agrandir l’échelle de la sculpture d’un appareil génital féminin afin de créer un véritable espace (fig.6-7). Si on regarde du côté de l’origine des créations anthropomorphiques, la sculpture permettait de créer des icônes, en particulier des figures divines, représenter des portraits de puissances surhumaines résidant ailleurs que dans la concrétisation même de ces puissances. La réalisation de ces formes moins rectilignes, moins directes, moins brutales s’est perpétuée dans l’architecture baroque. Cependant au XVIIIème siècle, on s’interroge sur la qualité de l’architecture et de la sculpture comme deux entités isolables, le philosophe allemand disait, à propos de la sculpture, qu’elle était, contrairement à l’architecture, la seule capable d’attribuer un caractère vivant à la matière inorganique. « L’architecture ne dispose pas de moyens structuraux pour accomplir avec succès une telle métaphore ». Hegel Cependant à l’ère moderne, on a voulu nous faire croire que cet « art ornemental » que représente le travail de la forme, n’était que surplus et constituait une fioriture inutile face à la suprématie de l’Espace. Quoi que l’on concède parfois des caractéristiques spatiales à la sculpture et à la peinture, une architecture sculpturale ou picturale est jugée inacceptable car l’Espace est sacré5. Avec les modernes, la valeur et la nature de l’ornementation se sont alors manifestés visant à donner une signification intellectualisée de ce que veulent dire les formes architecturales, le message qu’elles véhiculent. La doctrine moderne a donc voulu lisser toutes les formes que l’œil pourrait voir attestant ainsi d’une pensée qui ignorait la distinction

5. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven. Learning from Las Vegas. Cambridge : MIT Press, 1972, p.21.


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fig.6 : Atelier van Lieshout, Organs, Rotterdam, 2003.

fig.7 : Atelier van Lieshout, Whombhouse, Rotterdam, 2004.

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grossière que nous établissons entre ce qui est nécessaire à l’accomplissement de fonctions physiques et ce qui a pour objet la satisfaction gratuite des sens. En effet, à travers cet exemple probant, Rudolf Arnheim nous démontre comment les vertus de l’ornementation sont perçues dans certaines cultures. La paire d’yeux peinte à la proue d’un bateau de la Grèce antique ou de la Nouvelle-Guinée est une garantie tout aussi essentielle d’un voyage sans risques que la qualité de la forme et du bois dont le bateau « lui-même » est fait. De la même manière, un bâtiment met la totalité de ses formes au service de l’esprit humain. De ce point de vue, les cannelures qui indiquent la structure d’une voûte dans une église gothique ou dans un stade sportif conçu par Nervi sont tout aussi indispensables que la voûte elle-même et le feuillage d’un chapiteau corinthien aussi nécessaire que la colonne6. À ce titre l’historien de l’art et métaphysicien indien Ananda Coomaraswamy, « rappelle que toutes les grandes cultures du monde ne considèrent pas « l’ornement » et la « décoration » comme des enjolivements gratuits mais comme des qualités essentielles d’un objet ou d’une personne7 ». En prolongement de cette définition de ce qui constitue l’ornement, se présente alors à nous un autre contraste dans notre capacité à appréhender le monde ; celui de faire une analogie directe à l’anthropomorphisme ou bien le suggérer subtilement à travers la métaphore. À savoir, doit-on dénoter ou connoter les formes humaines dans l’architecture, les rendre explicites aux yeux de tous telle une forme-ornement, ou bien les garder implicites. Cette opposition entre deux types d’architecture qui seraient anthropomorphiques à des degrés d’explicité différents, peut trouver écho dans la dualité entre les maisons en bande d’Amsterdam (fig.8) et les édifices-visages de la Renaissance italienne, le palais Zuccaro à Rome ou les monstres de Bomarzo (fig.9). D’une part les maisons hollandaises proposent une métaphore avec leurs hauts pignons perchés, leur visage symétrique et leurs orifices faciaux, fixent le spectateur comme autant de bourgeois prospères et individualistes

6. ARNHEIM Rudolf. Dynamique de la forme architecturale. architecture + recherche : pierre Mardaga, 1977. p.215. 7. Ibid, p.245.


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fig.8 : Maisons en bande avec toits à pignons, Amsterdam.

fig.9 : Pirro Ligorio, La Porte de l’Ogre (entrée des Enfers), Jardins de Bomarzo, Italie, 1550.


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dans un tableau de guilde par Rembrandt, tandis que les figures des jardins italiens constituent une analogie franche avec la surcharge du code est telle que le visage ne parait plus accueillant, mais étranger ou mystificateur8. Si on se réfère à ce que David Pye disait, « la fonction consiste aux principes abstraits, non aux formes », on peut prolonger ce propos par le fait que, l’architecture, par nature, met en place des fonctions et devrait donc être abstraite. Pour illustrer cela, nous pouvons prendre l’exemple contemporain du projet de diplôme de Monika Kalpakidis, qui en 1991, avait proposé un bâtiment dont les volumes de la maquette suggéraient un être avec ses membres mais dispensé de sa tête (fig.10). C’est surprenant que les tendances anthropomorphiques aient un tel degré d’abstraction qu’elles soient pratiquement imperceptibles à une hauteur normale des yeux dans l’architecture contemporaine, qui est généralement perçue comme dépourvue de symboles, ou d’intentions métaphoriques. Ce rejet de perception à travers la vue suggère une nouvelle symbolique mondiale : ce n’est pas seulement la communication visible, intelligible qui est importante, mais ce qui est encodé, les qualités latentes qui peuvent être détectées dans le bâtiment9. Cette tendance à l’anthropomorphisme abstrait se retrouve également dans les métaphores suggérées par la maison Ross House de Maybeck, en 1909, qui se fondent subtilement avec l’image d’un visage à la large figure. Le front peut-être davantage un plan d’avant-toit coupé ; les yeux rappellent les trèfles gothiques et l’œilde-boeuf, avant d’évoquer la pupille et l’iris ; le balcon est une version exubérante du style flamboyant avant d’être une bouche. Ainsi l’image faciale, qui ressort de façon indiscutable une fois qu’on l’a perçue, peut toujours repasser au second plan et se fondre dans le contexte10 (fig.11). « Entre ces deux extrêmes d’iconicité, la construction représentationnelle oscille, tou-

8. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.115. 9. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, 187 p.99. 10. .JENCKS Charles, op. cit., p.115.


fig.10 : Monika Kalpakidis, Clinique spécialisée, Schwerte, Allemagne, 1991.

fig.11 : Bernard Maybeck, Leon Ross House, San Francisco, 1909.

jours en danger de devenir trop abstraite, car dans ce cas le message se perd, ou trop concrète, car dans ce cas le message est univoque11 ». Charles Jencks À propos de ce clivage entre abstraction et concrétisation des figures par la forme, on constate deux points de vue comme celui de Charles Jencks, qui n’est pas à l’origine du mouvement post-moderne, mais qui en est sans doute devenu le promoteur le plus enthousiaste, souhaite que les œuvres soient entourées de mystère pour que l’on soit libre d’en donner les interprétations les plus diverses. Moins la signification est claire, dit-il, plus les interprétations peuvent être nombreuses12. Contrairement à ça, Robert Venturi répond qu’il n’est possible d’ordonner l’environnement bâti si les architectes encouragent, comme on leur suggère de le faire, les métaphores les plus farfelues, s’ils entourent délibérément leurs œuvres de mystère pour que la signification soit la moins précise possible et qu’ainsi le public jouisse de la liberté la plus complète

11. JENCKS Charles. Architecture bizarre, Londres, Paris : Academy editions, 1979, p.14. 12. MELANÇON Joseph. Les métaphores de la culture. Sainte-Foy (Canada) : Les Presses de l’Université Laval, 1992, p.121.


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pour multiplier les interprétations les plus superficielles. Il faut, au contraire, que la signification soit claire et précise afin qu’elle soit bien comprise. Et pour y arriver, il ne suffit pas de traiter l’œuvre d’architecture pour qu’elle soit lue comme un livre, contrairement à ce que demande Jencks dans son ouvrage Le langage de l’architecture post-moderne. D’abord, les formes architecturales n’ont pas de sens précis comme les mots. De plus le signe architectural ne peut pas être réduit au mot écrit ou parlé13. Avis partagé par Claude Roy, qui surenchérit et écrit à propos du baroque, le vitalisme préfère « l’indéterminé aux limites, l’un-peu-trop au juste-assez, l’illusion lyrique au constat objectif, la mise en scène à la suggestion discrète. Il pense qu’il n’y a pas d’abondance sans trop plein, de vie sans excès, de sagesse sans un peu de délire, de feu aux poudres sans poudre aux yeux14 », la pratique de Ricardo Porro elle aussi se veut franche, pour le centre pour les jeunes de Lichtenstein (fig.12), il rajoute deux petites mains pour ne pas qu’il n’y ait pas de doutes sur ses intentions formelles ou enfin le cas de Imre Makovecz (fig.13) qui affirme que « ...tous mes bâtiments ont des visages. Tous les projets ont des visages, ils ont un devant et un derrière.. Au devant ils ont des visages, c’est important. Et donc quand je construis une tour, elle a un visage aussi, elle a des yeux, et regarde dans une direction particulière », (Kuhlmann, 1997). Dans cette guerre prônant la figuration littérale ou non, la question du dosage dans les intentions architecturales est soulevée, de la subtilité et de la pudeur. L’architecte japonais Kazumasu Yamashita a poussé cette tendance anthropomorphique jusqu’à son point d’aboutissement logique et absurde. A Kyoto, sa maison-visage avec ses yeux ronds et son nez en canon de fusil, fronce les sourcils, hurle et en définitive avale l’occupant. Avec un traitement aussi latéral des formes, la métaphore devient réductrice : « ceci n’est rien d’autre qu’un visage impénétrable ». Ce réductivisme, qui reste le grand danger de la « similitude », doit être contrasté avec les exemples d‘Amsterdam ou avec les bungalows populaires d’Amérique aux fronts saillants, ou encore avec les créations anthropomorphiques de Bernard Maybeck15.

13. MELANÇON Joseph. Les métaphores de la culture. Sainte-Foy (Canada) : Les Presses de l’Université Laval, 1992, p.123. 14. ZIPPER Jean-Philippe et BEKAS Frédéric. Architectures vitalistes : 1950 - 1980. Marseille : Parenthèses, 1986. p.8. 15. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.115.


fig.12 : Ricardo Porro, Maison des jeunes, Vaduz, Lichtenstein, 1972. fig.13 : Imre Makovecz, Église de Siofok, Hongrie, 1990.


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La qualité plastique de ces formes architecturales et leur capacité à transmettre un message fait intervenir indéniablement deux acteurs cruciaux ; d’une part le concepteur qui imagine, pense et traduit le message désiré d’une certaine manière et d’autre part le spectateur qui en sera le récepteur et qui l’interprète à travers le prisme de ses acquis, de sa culture. Les limitations de codes basées sur l’apprentissage et la culture orientent notre lecture, et qu’il existe une multiplicité de codes, dont certains peuvent se contredire mutuellement d’une sous-culture à l’autre. Il y a grosso modo deux grandes sous-cultures : celle du code moderne, fondée sur le savoir et l’idéologie des architectes, et celle du code traditionnel, fondée sur le rapport de tout un chacun aux éléments architecturaux courants. [...] ainsi le « volume pur, harmonieux et bien proportionné » de l’architecte moderne devient la « boîte à chaussures » ou le « classeur de bureau » pour le public16. En ce sens, la maison réalisée par Eric Owen Moss (fig.14) et décrite en 1999 par Charles Jencks comme un bâtiment qui « regarde à travers les entrailles de métal lourd sous son chapeau pour accueillir le visiteur qui approche17 », n’a pas réussi à modifier mon regard pour réellement voir et ressentir ce qu’il prétend exister. Bien que le nom donné à cette construction soit « Le visage du propriétaire », je n’ai personnellement pas cerné l’analogie humaine voulue à travers ce projet. On pourra d’ailleurs juger de « bizarre » toute architecture, anthropomorphique incluse, si cette architecture n’évoque pas quelque chose que l’on admet, ne fait pas référence à des objets non-architecturaux que nous connaissons18. On constate donc que l’architecture, et celle qui se pare d’anthropomorphisme encore plus, peut être sujet à l’incompréhension d’un public qui n’aurait pas les clés en main pour admettre et accepter ce genre de formes. Le projet « Head Houses » de Zdeněk Fránek (fig.15) en a fait les frais ; son bâtiment qui laisse apparaître de par l’agencement de ces ouvertures en façade est vivement critiqué par une

16. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.42. 17. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, 187 p.53. 18. JENCKS Charles. Architecture bizarre, Londres, Paris : Academy editions, 1979, p.14.


fig.14 : Eric Owen Moss, Le visage du propriétaire, Mairie, Culver, USA, 1996.

frange des habitants. Pour l’architecte il y a maldonne et les gens ne saisissent pas que cette construction n’est pas fantaisie pure mais s’enracine profondément dans l’histoire du lieu. En effet, il m’expliquait que Prague entretient une lien particulièrement étroit avec la notion de masque ; Giuseppe Arcimboldo déjà à l’époque réalisait d’étonnants portraits pour les monarques du château de Prague et qu’aujourd’hui Zdeněk Fránek perpétue ce thème du masque en faisant référence avec cette architecture anthropomorphe au fait que le bâtiment ce situe à lisière du ghetto juif qui prenait place quelques décennies auparavant. Associé à cet héritage de l’histoire juive, il y a la figure du Golem (fig.16) dont le bâtiment tente d’en faire l’interprétation et d’en convoquer la symbolique. Comme il m’en a fait part, « nous voulions que le spectateur ressente la même sensation que celle éprouvée par ceux qui, à l’époque, se trouvaient face à cette sculpture ». Une profondeur intentionnelle de l’architecture qui semble être relayée au second plan voire incomprise par une partie du grand public car d’après l’architecte, « tout est malentendu, le fait que le projet est spécialement conçu pour ce lieu, qu’il fait écho à son genius loci ». Ce qui est conçu et ce qui est perçu diffère donc parfois en fonction des individus. Selon certains projets, le niveau d’abstraction de la forme peut obscurcir sa signification ; Colquhoun nous dit


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fig.15 : Zdeněk Fránek, Head House, Prague, 2012.

fig.17 : Kazumasa Yamashita, Face House, 1974.

fig.16 : Reproduction du Golem, Prague.


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que les formes physionomiques deviennent ambiguës quoique non entièrement dépourvues de valeur expressive et elles ne peuvent être interprétées que dans une ambiance culturelle particulière19. Pour rappeler la maison d’un designer graphique que Yamashita a dessiné en 1974 (fig.17), virulemment critiquée par Charles Jencks, on peut accuser le fait que ces intellectuels n’ont pas le même avis du fait que leurs cultures réciproques diffèrent, l’un étant japonais et l’autre américain. Dans certaines architectures anthropomorphiques donc, le visage n’est peut-être pas immédiatement identifiable ; du moins a-t-il été conçu comme un élément subliminal, destiné à servir de prolongement aux significations architecturales et à les entourer d’un halo de sensibilité diffuse20 ou par exemple en se référant au travail de Zdeněk Fránek qui dit ne jamais réellement maîtriser l’effet architectural escompté chez le spectateur : « Je pense à une grande expérience pour les visiteurs. À l’intérieur et à l’extérieur. L’expérience peut intéresser, amuser ou provoquer quelqu’un. Cela dépend de l’état de leur esprit. Les sentiments se doivent d’être forts et positifs. Je pense que c’est l’essence de l’architecture21 ». Je voulais donc à travers cette introduction mettre en exergue l’ambiguïté, le paradoxe émanent de la richesse constitutive de l’architecture, cet art de bâtir des formes chargées de poésie. Mon mémoire interroge inlassablement cette forme et surtout le sens que l’on donne à l’architecture, cet art complexe, à l’image de celui pour qui elle est destinée, c’est-à-dire, l’homme. L’impertinence de cet art nous montre ainsi que l’architecture est une notion aux contours sans cesse redéfinissables, qu’elle peut être à la fois tout ou son contraire, ce qui m’a amené à dresser le postulat personnel que de par ses formes ou non, toute architecture est anthropomorphique.

19. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven. Learning from Las Vegas. Cambridge : MIT Press, 1972, p.140. 20. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.115. 21. Propos recueillis lors d’échanges de courriels avec Zdeněk Fránek, architecte tchèque, il a proposé un projet aux allures anthropomorphes pour la ville de Prague, qui fait aujourd’hui objet de controverse, mai 2017.


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L’ ambiguïté, essence même de l’architecture

On peut alors soulever les interrogations suivantes ; l’existence d’une architecture inspirée des formes humaines est-elle légitime ? Et surtout quelles sont les significations d’une telle mise en œuvre plastique ? Au cours du développement de mes parties nous verrons dans un premier temps la manière dont, en tant qu’être humain, nous percevons l’univers construit et comment nous le décrivons pour en faire une entité qui est tout sauf inanimée. De la psychologie humaine à la culture qui façonne notre regard, nous attribuons de manière plus ou moins consciente des traits humains à l’architecture. Dans un second temps, nous survolerons la présence de ses formes humaines dans l’histoire de l’architecture pour nous permettre d’en dégager les motivations des concepteurs et la symbolique de leurs conceptions anthropomorphiques. Nous essaierons de mettre en lumière l’utilisation des figures pour appuyer des croyances divines, religieuses, politiques ou encore commerciales en croisant les représentations de divinités ou de puissances élevées au rang de surhomme pour enfin s’attacher à placer l’homme au cœur de la construction en cherchant à définir un homme universel ou en matérialisant les parties du corps, des organes, comme pour rendre hommage à cette machine organique, complexe et fascinante. Enfin la conclusion me laissera un espace d’expression pour faire une synthèse personnelle de ce panel d’architectures anthropomorphiques. Elle sera l’occasion d’évoquer sa place dans le champ plus large de la construction actuelle, celle qui est inculquée, médiatisée que l’on élève par là même, au statut d’exemplarité.



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[ TOUTE ARCHITECTURE EST ANTHROPOMORPHIQUE ]


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1.1 LA PSYCHOLOGIE HUMAINE COMME CATALYSEUR

1.1.1 Les prédispositions perceptuelles de l'homme Après de nombreuses lectures et avoir accumulé une iconographie conséquente, je voudrais dresser le postulat que toute architecture peut être considérée comme anthropomorphe. Pour tout être humain normalement constitué, le champ des perceptions et en premier lieu, la vue, présente des dispositions innées permettant de reconnaître dans son environnement des représentations du visage ou du corps humain. Les premiers stimulus visuels que le nourrisson reçoit sont ceux du visage de ses parents ou des personnes qui s’en occupent. Effectivement le champ de vision dans les premiers mois qui suivent notre naissance est restreint et conditionne notre appréhension du monde. La question peut alors se poser ; comment expliquer cette polarisation anthropomorphique ? Selon la Gestalttheorie, que l’on peut accorder aux recherches allemandes sur la psychologie de la forme en 1920, ce qui captive le plus immédiatement le regard, c’est la structure d’ensemble, la forme qui est plus et autre chose que la somme de ses éléments ; ceux-ci se déterminant que secondairement, par leur rôle dans cet ensemble, comme les notes d’une mélodie22. La complexité du visage n’est donc pas considérée dans un premier temps, une compréhension sélective du nourrisson s’opère alors, un décodage simplifié de la réalité. La paire d’yeux est indéniablement l’identification la plus efficace pour les êtres humains, on remarque d’ailleurs qu’un enfant jusqu’à l’âge de 6 mois réagit indifféremment par le sourire à tous les visages qui se présentent frontalement, que ce soit celui de sa mère, d’une personne inconnue ou même d’un masque23. La réité du visage n’est donc pas essentielle, la même réaction se produit. « L’enfant ne perçoit pas un partenaire, une personne, un objet mais simplement un signal,

22. ZIPPER Jean-Philippe et BEKAS Frédéric. Architectures vitalistes : 1950 - 1980. Marseille : Parenthèses, 1986. p.84. 23. Ibid.


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le visage, les yeux à eux seuls suffisent pour le signal « gestalt ». René Spitz, 1957 La notion de Gestalt devient alors primordiale au sens du fonctionnement humain dans la perception des choses. Largement documenté par Wolfgang Köhler qui affirme que les formes incomplètes ou éléments sont reformés dans l’esprit, Gestalt est ce que l’on voit dans son ensemble, ce ne sont pas les éléments individuels séparés24. Quant à lui, Rudolf Arnheim, présente ce phénomène comme une réaction humaine naturelle ; « tout schéma créé, adopté ou sélectionné par le système nerveux sera aussi simple que le permettent les conditions données25 ». Par exemple, quatre points sur un papier peuvent être perçus comme un carré même s’ils ne sont pas reliés. Le cerveau humain va être en capacité et même ressentir le besoin de prolonger ces marques, d’en reformer une forme basique, qu’il connaît et qu’il a l’habitude de voir.

1.1.2 Un état émotionnel déterminant Bien que la théorie du Gestalt semble identique pour le commun des mortels, et bien que l’interprétation anthropomorphique des choses fasse partie de la psychologie perceptuelle, l’environnement dans lequel nous évoluons joue un rôle important. Tout d’abord la perception est largement codéterminée par l’intérêt, l’attention, par la mémoire et les émotions26, un mélange complexe qui s’avère être unique pour chaque individu. « Il ne faut pas grand-chose pour qu’on voie dans un objet une forme humaine ou animale. Un objet en marbre peut être dépourvu de jambes, d’yeux, d’oreilles et de presque tous les éléments associés à un être vivant ; il suf-

24. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.15. 25. ARNHEIM Rudolf. Dynamique de la forme architecturale. architecture + recherche : pierre Mardaga, 1977. p.21. 26. Ibid, p.15.


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fit qu’il évoque même vaguement une hanche maternelle ou une joue de bébé pour que nous commencions à y voir un personnage ». Adrian Stokes Arnheim et Wittgenstein prennent l’exemple du triangle qui peut être perçu de plein de manières différentes : une montagne, une flèche, un pointeur... Il semble exister autant d’interprétations que de cultures. Cette perception des choses dépend donc de notre mental, de notre humeur, de nos émotions27. On remarque que l’on ne distingue pas les choses de la même façon en fonction de notre psychisme, de notre imaginaire et des images qui le composent. Cette capacité à l’homme à voir des formes humaines dans des éléments non figuratifs, on la remarque avec le test de Rorschach (fig.18). On cherche instinctivement à reconnaître des formes qui nous sont connues, et celles qui reviennent le plus souvent lors du test de Rorschach sont la tête, le squelette, poisson, chien, crabe, papillon, oiseau, etc... Ce que l’on peut noter c’est que ce genre de test, de par son procédé oriente déjà la perception car il impose une symétrie de la forme, ce qui fait instantanément référence à la symétrie du visage ou du corps vu de face. Un autre test psychologique utilisé au début du XXème siècle, celui du très connu test du Canard-Lapin (fig.19), ou inversement, selon la manière dont on le regarde, montre que selon la façon dont nous abordons une image, une illusion d’optique se forme et nous offre plusieurs lectures, mais on ne distingue qu’une image à la fois à un moment donné. Si notre regard est détendu ou bien crispé par une situation de peur ou de stress ; l’analyse, l’interprétation des choses qui en découlera pourra être altérée. Si l’attention n’est pas complète on pourra assimiler assez facilement un arbre au bord de la route à un corps humain. Ce phénomène qui dépend plus ou moins de l’état émotionnel dans lequel on se trouve est appelé la paréidolie et constitue une sorte d’illusion d’optique qui consiste à associer un stimulus visuel in-

27. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.15.


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fig.18 : Test de Rorschach élaboré par Hermann Rorschach, 1921.

fig.19 : Joseph Jastrow, Le canard-lapin, 1892.


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forme et ambigu à un élément clair et identifiable, endossant souvent l’apparence humaine. « The sleeping greek woman » et « sleeping giant » ou encore la montagne andalouse aux diverses appellations (fig.20) sont des exemples de formes humaines dans la nature, des collines que l’on identifie à des silhouettes humaines28. De même, le point de vue est décisif, à une certaine distance, deux fenêtres avec une porte peuvent être assimilés à ce que l’on a l’habitude de voir ; un visage. Le phénomène est tellement remarquable qu’on peut voir fleurir sur internet des groupes recensant des architectures assimilables à des têtes, à des visages (fig.21-26) sans réussir à savoir si cette formalisation de l’esprit est intentionnelle de la part du concepteur ou s’il s’agit purement d’une déformation personnelle. Dans l’architecture du bonheur, Alain de Botton fait l’association entre l’image de l’homme et l’architecture, des objets tels que des verres, des typographies qui peuvent suggérer un corps aux propriétés spécifiques ce qui appuie davantage la démonstration qui voudrait que les formes humaines soient partout, ou du moins que nous sommes naturellement constitué pour les créer dans notre esprit.

1.1.3 Un environnement culturel façonnant Intervient aussi dans notre capacité à appliquer des formes humaines à notre environnement, le fait que dès notre plus jeune âge, les images qui nous sont données à voir de par notre culture visuelle, qu’elle soit cinématographique ou bien picturale, sont chargées d’anthropomorphisme. C’est le cas avec les dessins pour la bande dessinée allemande Wee Willie Winkle (fig.27), qui on verra par la suite a inspiré des travaux de l’architecte Josef Maria Olbrich (fig.28). Ici la maison est clairement organisée de manière à rappeler le visage humain, l’emplacement des ouvertures et l’ornementation de la façade qui représente distinctement la bouche, ses lèvres et le nez. Peu étonnant donc, que quelques années après sur les bancs de l’école, les enfants dessinent des maisons comme des visages, la

28. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.17.


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fig.20 : Le rocher des amoureux ou Montagne de l’indien, Espagne.

fig.21-26 : Things with face, recensement d’architecture atypiques sur internet.

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fig.27 : William Miller, bande-dessinĂŠe Wee Willie Winkle, 1841. fig.28 : J.M. Olbrich, Maison-Visage, Darmstadt, 1905.


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porte représente la bouche, les fenêtres sont formalisées comme des yeux, et le toit comme un front avec des détails symétriques sur la façade29. Mais les enfants ne sont pas les seuls : la plupart des peuples ont eu tendance, à un moment ou à un autre, à projeter sur leurs édifices leur propre image, tantôt dans un réflexe d’empathie anthropocentriste propre à atténuer leur angoisse existentielle, tantôt dans un geste démiurge30. Les êtres humains perçoivent inévitablement les choses par rapport à un objet similaire, bref ils le perçoivent comme une métaphore. Dans le cas de l’architecture, moins un édifice moderne leur paraîtra familier, plus ils auront tendance à le comparer métaphoriquement à ce qu’ils connaissent. Ce rapprochement entre deux expériences est le propre de toute pensée, et particulièrement de la pensée créatrice31. Notre perception est façonnée et modifiée par les codes fondés sur les expériences antérieures, sous ce que l’on peut qualifier de mémoire culturelle. Et on peut lire dans l’ouvrage de Charles Jencks, à propos de notre perception visuelle et métaphorique de l’opéra de Sydney réalisé par John Utzon : « Il n’y a aucun doute que ces significations sont en rapport à la fois avec certains aspects formels du bâtiment et avec les préoccupations du spectateur 32 ». Charles Jencks On remarque alors qu’il dépendra un tant soit peu de notre héritage culturel, notre capacité à voir telle ou telle analogie dans les choses qui nous entourent. La psychologie humaine propre à chacun fait donc le lien entre le « rappelé » et « l’observé ». Pour imager ces fossés culturels, ces disparités des codes visuels qui peuvent exister d’un individu à un autre, voici la réponse de Kurokawa quand Charles

29. BLOOMER Kent C. Body, memory and architecture. New Haven : Yale university press, 1979, p.2. 30. ZIPPER Jean-Philippe et BEKAS Frédéric. Architectures vitalistes : 1950 - 1980. Marseille : Parenthèses, 1986. 31. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.39. 32. Ibid, p.8.


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Jencks lui rendit visite en 1972, à l’occasion de l’inauguration de son hôtel Capsule et lui faisait remarquer à titre indicatif que les chambres ressemblent de l’extérieur à des machines à laver ; « Ce ne sont pas des machines à laver, ce sont des cages à oiseaux. Au Japon, vous savez, nous construisons des nids en béton pour les oiseaux, avec un trou rond au milieu, et nous les mettons dans les arbres. J’ai construit ces nids d’oiseaux pour les hommes d’affaires de passage à Tokyo, pour les célibataires qui volent jusqu’ici avec leur « belle » 33». Kisho Kurokawa, 1972 Pour revenir à la culture occidentale où la prégnance de l’anthropomorphisme dans la construction de notre univers côtoie les failles du fonctionnement de la psychologie perceptuelle ; de nombreux artistes en ont profité pour créer des œuvres jouant avec notre propre sensation de réalité, s’amusant de notre tendance à la recomposition de l’image, du volume, ils initient l’illusion d’optique quand elle ne s’opère pas naturellement. Pour ne citer que les plus connus, Pieter Bruegel (fig.29) a peint de nombreuses têtes mi-humaines/animales, Giuseppe Arcimboldo qui, au XVIème siècle, a représenté des visages avec des fruits (fig.30), offrant deux niveaux de lecture à ses œuvres, une globale, simplifiée représentant le portrait et une vision rapprochée qui laisse se dessiner en détail l’accumulation de légumes. Le plus marquant est probablement Salvador Dali (fig.31) qui a peint une multitude d’illusions d’optique à travers ses peintures ; toutes ces œuvres, véritables constituantes de l’histoire de l’art et donc partie prenante de notre imaginaire participent à orienter une certaine forme de la réalité de ce que l’on voit dans la vie de tous les jours. Par ailleurs, après de longs mois à approfondir cette notion d’anthropomorphisme architectural, j’ai moi-même fini par développer une sorte d’obsession à vouloir recomposer des visages dans les moindres formes, à voir plus facilement dans l’organisation des

33. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.42.


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fig.29 : Pieter Bruegel l’Ancien, Dessin pour la tentation de St Antoine, 1556. fig.31 : Salvador Dali, Adolescence, 1941.

fig.30 : Giuseppe Arcimboldo, Vertumne (Rodolphe II), 1591.


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choses des références au corps humain, ce qui montre bien que la culture, les images auxquelles nous sommes exposés forgent notre vision et notre imaginaire. Ces quelques mois de recherche ont été très enthousiasmant, mais je pense qu’il était temps pour cette étude de se clôturer avant que l’obsession, la capacité à formaliser un visage à la surface de n’importe quel crépis ne devienne véritablement un 6ème sens. « Ce qui est évidemment impossible, c’est de ne pas classifier ; nous considérons les choses à travers des catégories et non pas des yeux innocents34 ». Ernst Gombrich Mais de cette perception visuelle qui nous permet d’acquérir une force de compréhension du monde sans égal, nous pouvons néanmoins porter un regard critique, à la manière dont le fait Juhani Pallasmaa dans son livre Le regard des sens. Avec la naissance de la perspective, la vue s’est révélée avoir une force inestimée et, a très vite été considérée comme sens déterminant. L’auteur poursuit en prenant l’exemple de l’invention de l’écriture pour prouver le passage du sens dominant de l’ouïe à celui de la vue. Il montre ainsi à travers des moments historiques qui pourraient paraître anodins comment la société occidentale a œuvré et s’est orientée vers un privilège de la vue. Cette hégémonie de la vue dérange l’auteur, il affirme à de nombreuses reprises la nécessité de rester critique face à ce sens qui parasite les autres et ne permet pas d’apprécier, de ressentir les choses au plus profond de soi-même. Pour Pallasmaa, « la vue nous sépare du monde alors que les autres sens nous unissent à lui ». On verra par la suite que l’auteur donnera à la vue les adjectifs comme « réductrice » ou « abusive ». Au-delà de la vue c’est pourtant tout le corps qui rentre en résonance avec l’architecture quand il s’agit de l’appréhender.

34. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.9.



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1.2 LA CORPORÉITÉ COMME OUTIL DE COMPRÉHENSION

1.2.1 Similitudes du corps et de l’architecture Le sujet de l’anthropomorphisme pose la question, avant même de s’intéresser à la conception de formes analogues à l’homme, de la manière dont nous interagissons avec le monde construit qui nous entoure. En effet les outils qui nous sont donnés, avant même que la culture visuelle ne se façonne, sont d’ordre physique, la composition de notre corps permet d’avoir une approche innée et intégrée de l’organisation de la matière. Dans son ouvrage La dynamique de la forme architecturale, Rudolf Arnheim nous éclaire sur les enjeux implicites qui se jouent quand nous sommes face à un bâtiment : « Un édifice, si grand soit-il dans l’ensemble, peut lier contact avec le visiteur en présentant une série de dimensions dont certaines sont assez petites pour être directement apparentées au corps humain. Ces éléments architecturaux de taille humaine servent de lien entre l’habitant organique et l’architecture inorganique ». Aussi étonnant que cela puisse paraître, car nous avons tendance à privilégier l’intellect à notre matérialité corporelle dans notre rapport aux choses et donc dans l’appréciation de l’architecture, cependant de nombreux exemples et théoriciens montrent que les composantes du corps se retrouvent souvent dans l’architecture et vice-versa. « Nous percevons un bâtiment comme un corps35 ». Leon Battista Alberti Depuis l’ancien temps, la colonne a été l’élément qui a le plus été sujet à l’anthropomorphisme. Avec la colonne, l’étude du corps humain est directement intégré à l’architecture, lui donne sa forme littéralement.

35. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.25.


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fig.32 : Fra Giocondo (Joconde), Représentation des cariatides selon Vitruve, 1511.

fig.33 : Cesare Casariano, Illustration des atlantes selon Vitruve, , 1521.

Après l’analogie entre le corps, sa structure verticale et la colonne considérée comme tronc, élément inhérent à l’architecture, l’introduction des cariatides par Francesco di Giorgio Martini (fig.32) et les atlantes (fig.33). À cette époque, le corps humain est directement assimilé à la colonne architecturale comme on le remarque dans les études de Martini (fig.34) qui force le corps, le contraint à épouser les formes de cet élément architectural un peu à la manière de la colonne du temple d’Hactor qui détourne le chapiteau de sa colonne en visage humain (fig.35). Pour imager cette ambivalence entre la colonne et le corps humain, le peintre Nicolas Poussin dit à un ami au XVIIème siècle, « Les belles filles que vous avez vues à Nîmes, ne vous auront, je m’assure, pas moins délecté l’esprit par la vue, que les belles colonnes de la Maison Carrée, vu que celles-ci ne sont que des vieilles copies de celles-là36 ». Il faudra attendre la Renaissance pour voir une transposition plus littérale du corps et de la notion d’espace. Dans ses illustrations, Giovanni Battista Bracelli stylise le corps humain et ses parties, le corps devient un agencement d’espaces, le corps devient poreux, il se tient dressé, stabilisé par un troisième appui, la tête devient

36. CHANVILLARD Cécile, CLOQUETTE Pierre, PLEITINX Renaud, STILLEMANS Jean, Pourquoi est-il si difficile de parler d’architecture ?, Paris : Presses universitaires de Louvain, p.216.


fig.34 : Francesco di Giorgio Martini, étude des proportions, 1480.

fig.35 : Colonne du Temple d’Hactor, dessin du livre Monuments d’Egypte, Dendera, Egypte, IIème siècle av. J.C.

fig.36 : Toviyah Kats, Man and house, Encyclopédie Hébreux, XVIIIème siècle.


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cubique, véritable chimère, on observe une fusion progressive de l’architecture et du corps. Dans un second temps, des représentations telle que la gravure de Toviyah Kats accentuent cette relation entre l’homme et la matière en juxtaposant un tronc humain, à moitié disséqué et une maison laissant découvrir son intérieur à travers les arcades (fig.36). Kats a étudié la médecine et a voulu faire ce parallèle entre les organes et les différentes pièces à habiter, le four est l’estomac et si on se focalise sur la tête, la comparaison est affirmée, les ouvertures dans la partie haute sont les yeux, deux arcades représentent les nasaux et la fenêtre grande ouverte donne une bouche à l’habitation. Les tourelles sur les côtés quant à elles font référence aux oreilles. « C’est un trait naturel de la pensée humaine de voir et d’ordonner le monde objectif en prenant son propre corps comme point de départ de l’orientation ». Le corps humain est un système de référence testé et reconnu, c’est «le modèle sur lequel le monde entier est basé37 ». Ernst Cassirer 1922 Par souci de démonstration de cette analogie, nous pouvons commencer par la partie essentielle à tout corps et toute architecture, le squelette, la colonne vertébrale, structure qui permet à toute entité de s’ériger, de se développer pour créer une forme ou un espace. Certains architectes se sont littéralement inspirés de l’élément corporel (fig.37) pour constituer une architecture, à la manière de Frei Otto (fig.38) ou encore l’interprétation de Santiago Calatrava à travers son bâtiment Turning Torso (fig.39). D’autres éléments anthropomorphiques ont été représentés dans l’architecture traditionnelle : l’équilibre des supports évoquant les jambes, parfois littéralement comme l’a mis en images Ico Parisi à travers ses montages (fig.40), la symétrie corporelle, et l’harmonie des proportions rappelant celle des bras par rapport au torse, ce qui conférait ce côté familier et plaisant de cette architecture.

37. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002.


fig.37 : Profil colonne vertĂŠbrale, Corps humain.

fig.38 : Frei Otto, Flexible Column, 1963.

fig.39 : Santiago Calatrava, Turning Torso, MalmĂś, 2000.

fig.40 : Ico Parisi, Architettura dopo, Gratte-ciel pour Manhattan, New York, 1985.


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Heinrich Wölfflin montre en 1923 que les associations du passé sont toujours actuelles, et fait une comparaison graphique entre le système porteur du corps humain et la colonne : l’expérience du corps humain, son affaissement dû à la gravité est similaire aux colonnes38. Au-delà de son squelette, le corps a besoin d’être animé ; la ville, exactement comme la maison, paraît vide sans ses dimensions anthropomorphiques, sans son « cœur » central ou son équivalent de la place principale, du point focal symbolique. La maison est si riche en points de focalisation anthropomorphiques qu’on peut la considérer comme la vivante preuve de la validité du « sophisme par projection ». Nous projetons sur elle non seulement le cœur (l’âtre) mais, comme l’a souligné Carl Jung, toute l’anatomie du visage et du corps39. Nous pouvons alors remarquer que chaque partie de corps humain peut avoir une équivalence architecturale comme la peau peut s’apparenter à l’enveloppe d’un bâtiment. La peau, enveloppe externe du corps, remplit plusieurs fonctions vitales : elle assure une protection des couches superficielles de l’organisme et des organes, elle permet des sensations par les réseaux nerveux à sa surface, elle régule l’hygrométrie et la température du corps, elle participe pour une petite part à la respiration, elle absorbe des éléments nutritifs (vitamines, minéraux, etc.). Ces fonctions sont aussi celles qui sont demandées à l’enveloppe architecturale : la protection contre les intempéries et contre les agressions, la régulation thermique et hygrométrique par l’isolation et la nature des matériaux utilisés, la respiration (ventilation ou échange par les parois), la sensation (relation de la construction avec son environnement proche), la nutrition (lumière, matières)40. De manière humoristique, on peut voir l’architecture comme un prolongement direct de l’enveloppe corporelle à travers la célèbre pratique des Beaux-Arts de New-York en 1931 dont les architectes arborent, pour leur remise de diplôme, leur réalisation, ce qui peut

38. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.27. 39. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.114. 40. IMFA France, « L’architecture expression vivante du corps humain » tiré des Cahiers d’, numéro 2 : « Vers une Architecture en résonance avec le corps humain », 2005, http:// www.vivarchi.com/spip.php?article7


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fig.41 : Bal costumĂŠ des Beaux-Arts, New York, 1931.

fig.42 : Josef Astor, The New York Four, Michael Graves, Charles Gwathmey, Richard Meier and Peter Eisenman, 1996.

fig.43 : O.M. Ungers, City Metaphors, 1976.


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soulever la question de la ressemblance, en fusionnant le corps humain et la maquette architecturale (fig.41), ou encore la série de portraits d’architectes réalisée par Josef Astor et basée sur le même principe que le bal des architectes (fig.42). En se prêtant au jeu, ces architectes contemporains perpétuent la tradition et suscitent l’interrogation ; est-ce que les édifices sont dessinés à l’image de leur créateur ? Dans un souci d’approfondissement de l’analogie du corps et de l’architecture, les organes ont été étudiés comme dans le cas précédent avec Toviyah Kats (fig.28). Nous pouvons également apercevoir dans des exemples contemporains des associations d’idées à la manière du poétique Guy Rottier, qui superpose sur un même dessin le mécanisme du corps humain et celui de la structure, comme pour montrer leur interconnection, les analogies d’organisation du corps humain et celle de l’urbanité de Oswald Ungers (fig.43), ou encore dans la réalisation de Renzo Piano et Richard Rogers, habituellement les réseaux techniques sont dissimulés dans la partie intérieure la moins noble du bâtiment, tandis que dans le cas du Centre Pompidou à Paris, ils ont le luxe de venir dessiner les façades du musée, « tous intestins à l’air41 ». Néanmoins l’une des métaphores implicites les plus répandues dans le domaine de la construction domestique est celle du visage humain. Pour l’illustrer on peut citer des chercheurs qui ont tâché de définir les corrélations entre les entablements de colonne et les profils humains, comme Francesco di Giorgio Martini en 1481 (fig.44), Diego da Sagredo en 1555 (fig.45) ou encore prendre les nombreuses études menées par Jacques-François Blondel qui a réactivé l’entablement et le visage au XVIIIème siècle (fig.46-48). La référence au visage n’est donc pas un moyen d’établir des proportions. Au contraire, la diversité des individus autorise l’architecte à accentuer telle partie de la modénature avec d’autant plus d’efficacité et de légitimité qu’il s’inspirera de la physionomie des visages utilisés comme modèles : « [...] selon le genre d’édifice, on peut ordinairement augmenter certains membres ; par saillie du larmier d’une cornique que représente le nez d’une tête, abaisser la cimaise supérieure qu’indique le front, et fortifier l’encorbellement, représentation du menton, si l’on a l’intention de donner au profil d’une corniche une expression

41. SOUZENELLE Annick (de), La symbolique du corps humain, Albin Michel, p. 170.


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fig.44 : Francesco di Giorgio Martini, d’après le Traité d’architecture civile et militaire, 1481.

fig.45 : Diego da Sagredo, De l’architecture antique, Paris, 1555.

fig.46-48 : Jacques-François Blondel, entablement toscan de Palladio, de Vignole et de Scammozy, Cours d’architecture, Paris, 1771.


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tout à fait rustique, puisée d’après l’ordre Toscan ; au contraire, dans une architecture noble, on pourrait affecter de donner plus de hauteur à la cimaise supérieure, dans l’intention que, devenant plus élevée, elle prenne le caractère du front de la tête d’un Héros [...]42 ». « La façade symétrique est souvent implicitement un visage sans que l’architecte en ait eu l’intention, parce que, par hasard, il se trouve que la morphologie d’une maison a plusieurs traits en commun avec le visage (la base, le centre, le front, le toit)43 ». Michael Graves Effectivement, l’archétype de la maison occidentale, celle-là même induite par la culture visuelle que je développais dans la partie précédente, est à deux niveaux avec la porte d’entrée au centre, symétriquement encadrée par les fenêtres, un toit en pente et une cheminée, le tout évoquant vaguement une tête avec deux yeux (les fenêtres du haut), un nez (le porche d’entrée) et une bouche (la porte). Les plate-bandes ornant le devant de la maison pourraient être le col de la chemise ou la moustache.44 La maison est tellement perçue comme un visage, qu’elle parait décapitée quand on lui met un toit plat. De plus, les sociologues ont montré que, lorsqu’ils décrivent leur habitation, les gens font souvent la confusion entre l’architecture et leur propre vie ; des études psychologiques ont montré que les gens identifient la structure et la symétrie d’un bâtiment avec leur corps.45 Dans cette quête d’associations d’éléments corporels et architecturaux, en définissant des maisons s’apparentant à des visages, le devant devient très différent du derrière, et on porte une attention plus importante sur nos devants, comme il donne sur le monde, contrairement au soin que l’on apporte à nos derrières et ce que l’on cache derrière nous.

42. BARIDON Laurent et GUÉDRON Martial. Corps et arts : physionomies et physiologies dans les arts visuels. Paris : L’Harmattan, 1999, p.196. 43. JENCKS Charles. Architecture bizarre, Londres, Paris : Academy editions, p.73. 44. .JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.56. 45. JENCKS Charles. op. cit., p.15.


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La corporéité comme outil de compréhension

Nous nous efforçons, dès que possible, de nous tenir debout, avec nos têtes sur nos colonnes vertébrales, en haut, d’une manière différente de toute autre créature dans le monde, en dérive ainsi une série de connotations (y compris morales) en contraste avec ce qui serait considéré comme le bas.

1.2.2 Des notions soumises aux lois universelles Les connivences entre l’architecture et l’homme dépassent sa simple ressemblance physique, sa symétrie, son organisation ; les deux entités existent dans le même univers régit par des lois universelles qui les unissent davantage. Le constat premier étant que le corps tout comme l’architecture sont tous deux des entités qui se dressent, qui se positionnent par rapport à un ordre des choses, qui défient inlassable la loi de la gravité. En référence à cette croissance des êtres vivants, l’architecture peut être perçue comme une élévation, comme un acte de transformation des forces de la pesanteur. Par la position debout et la libération du crâne, le squelette humain porte déjà en soi cette transformation de la pesanteur. « L’organisation de notre propre corps est la forme qui détermine l’appréhension de tout corps physique ». Heinrich Wölfflin Par extension à cette phrase, l’historien se propose de montrer que les éléments fondamentaux de l’architecture, à savoir la matière et la forme, le poids et la force gravitationnelle, dépendent des expériences que nous avons vécues personnellement. Comme Lipps, il a recours à l’exemple de la colonne : « Nous avons porté de lourdes charges et nous avons appris à connaître le poids et le contre-poids. Nous sommes tombés sur le sol lorsque nous n’avions plus d’énergie pour résister à l’attraction vers le bas qu’exerce le poids de notre propre corps. C’est pourquoi nous sommes capable d’apprécier le fier bonheur d’une colonne et de comprendre la tendance de toute matière à s’étaler de façon informe sur le sol46 ». Cette transposition du corps à l’archi-

46. ARNHEIM Rudolf. Dynamique de la forme architecturale. architecture + recherche : pierre Mardaga, 1977, traduit de l’américain, p.211.


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fig.49 : Salvador Dali, Ma femme nue regardant son propre corps devenir marches, trois vertèbres d’une colonne, 1945. fig.50 : Les Cariatides à l’entrée de l’Érechthéion, Acropole, Athènes, 420-405 av. J.-C.


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La corporéité comme outil de compréhension

tecture, notre capacité à se projeter tel un organisme construit, la manière dont l’architecture se comporte vis-à-vis de notre propre ressenti, peut être subtilement imagé par la peinture de Salavador Dali où le corps de sa femme se duplique pour devenir éléments architecturaux (fig.49). Wölfflin et Lipps sont manifestement conscients des qualités expressives inhérentes aux formes architecturales mais, se conformant aux théories psychologiques de l’époque, ils les interprètent comme les projections de sensations musculaires personnelles chez l’observateur. Comme démontré plus tôt, l’effet premier de l’expression visuelle découle des propriétés formelles, des formes visuelles ellesmêmes, et les réactions musculaires sont plus justement décrites comme des réactions secondaires à la dynamique visuelle première. Effectivement, d’après Rudolf Arnheim, il serait erroné de croire que ces sensations perceptives découlent des forces physiques qui régissent la statique d’un bâtiment. Ces forces peuvent être inférées intellectuellement à partir de ce qui est vu et connu mais, de toute évidence, l’observateur ne reçoit aucun effet direct des pressions et des tensions auxquelles sont soumis les matériaux d’un bâtiment. Ce qu’il reçoit, c’est l’image visuelle des forces extérieures, qui acquièrent leur caractère dynamique à mesure que l’image est traitée par son système nerveux. Lipps dit que l’on projette sa propre expérience dans les corps représentés en architecture. C’est pour cela que nous sommes touchés par les cariatides du porche de l’Acropolis à Athènes (fig.50). Elles montrent la descente de charge gracieuse, qui semble se faire sans difficulté, sans effort. Aussi, toute ligne oblique, dit le philosophe Theodor Lipps, est perçue comme ascendante et tout triangle asymétrique s’impose à nous comme une violation de l’équilibre. Il analyse les réactions musculaires, en particulier dans la respiration : « Des colonnes puissantes produisent en nous des influx énergétiques, et la largeur ou l’étroitesse des proportions spatiales régit notre respiration. Nous raidissons nos muscles comme si nous étions ces colonnes lourdement chargées et nous respirons aussi profondément et aussi complètement que si notre poitrine avait la largeur des salles ». C’est donc relativement logique de réagir de la sorte aux espaces que nous découvrons, parcourons, car comme le fait Juhani Pallasmaa, il pratique le projet en s’imaginant dans l’espace, il tente d’éprouver mentalement les sensations qu’il aimerait que le visiteur ressente, en ce sens, durant la conception d’un projet il en résulte


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une communion entre l’usager et le créateur. Comme disait Goethe, on doit dessiner des bâtiments pour éprouver des émotions aussi fortes que ce qu’un danseur ressent. Imaginer parcourir un bâtiment les yeux fermés et éprouver quelque chose47. « Nous regardons, nous touchons, écoutons et mesurons le monde avec tout notre corps ». Juhani Pallasmaa Outre la sensation de gravité qui nous conditionne, en tant qu’être humain nous avons développé un sens de la compréhension par l’expérimentation. À travers la mémoire et l’expérience du corps nous sommes en capacité de juger de l’allométrie, c’est-à-dire de l’influence de la dimension sur la forme, le volume et des effets de la dimension sur la fonction, sur son poids. Les objets qui nous entourent et par extension de l’architecture sont alors décryptés en permanence par notre corps. Allométriquement, un cube de petite taille échappe à la pesanteur. Un simple mouvement du doigt suffit à le faire bouger comme une boîte d’allumettes48. Cette faculté que nous avons nous permet de ressentir instinctivement une émotion à l’approche de la matière, de rentrer en communion avec les forces auxquelles elle est exposée. Tel est le cas de la façade sur rue de la maison Tzara (1925) d’Adolf Loos, où la coupure radicale, sans transition, entre le socle de la façade en moellons et la partie supérieure enduite, génère une impression de scission du corps bâti, induisant chez le spectateur, une sensation désagréable vis-à-vis de son propre corps49. Et enfin, la notion fondamentale à laquelle l’architecture et l’homme sont confrontés est le temps qui passe. Ils ont tous deux une existence, qu’on appelle la vie, celle du bâtiment d’un côté et son programme ou plutôt ses programmes qui seront sûrement amenés à évoluer, à se renouveler avec le temps et le corps qui se développe naturellement pour finir par s’éteindre, retourner à l’état d’inexistence. Cette

47. ARNHEIM Rudolf. Dynamique de la forme architecturale. Architecture + recherche : pierre Mardaga, 1977, traduit de l’américain, p.154. 48. Ibid, p.126. 49. ONANER Süreyya Can. Le suspens en architecture : Adolf Loos et Aldo Rossi [en ligne]. Thèse. Histoire de l’art. Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, 2011, http:// www.theses.fr/2011PA010508 [consulté le 05/05/2017], p.125.


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fig.51 : Atelier Van Lieshout, Alfa & Omega, 2009.

notion du temps qui s’écoule et qui altère la matière peut être assimilée à la dégradation de l’enveloppe du bâtiment et de l’enveloppe corporelle. Dans les deux cas, force est de constater qu’il s’opère un délabrement, un vieillissement de cette peau qu’ils ont en commun qui les dirige inexorablement vers la fin de leur existence, à la mort. Très peu d’architectures ont traité de ce thème de la mort et de la symbolique qu’il en résulte. Nous pouvons tout de même prendre l’exemple de l’Atelier Van Lieshout qui a dessiné un arrêt de bus sous la forme littérale d’un crâne, figure ultime de ce qu’il reste une fois la peau balayée par le temps. C’est arrêt de bus a pour vocation de signifier la fin de la ligne de transport (fig.51).



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1.3 LE CARACTÈRE INTRINSÈQUE DE L’ARCHITECTURE

1.3.1 La physiognomonie, vers une appréciation des choses La physiognomonie est une méthode fondée sur l’idée que l’observation de l’apparence physique d’une personne, et principalement les traits de son visage, peut donner un aperçu de son caractère ou de sa personnalité. Comme nous jugeons les choses par rapports à des éléments connus, des événements vécus, d’après ce que nous avons dit précédemment sur la psychologie visuelle de l’homme et le fait que le visage humain soit le premier des signaux à se cristalliser dans notre mémoire, nous pouvons admettre que ces signaux servent par la suite de références dans notre appréciation de l’environnement construit qui nous entoure. La physiognomonie peut être considérée comme un domaine peu sérieux du fait de sa subjectivité, étant même taxé de racisme scientifique au XIXème siècle par certains scientifiques et philosophes comme Hegel, c’est effectivement une science qui ne semble pas avoir de vérités objectives. Néanmoins, on peut admettre que l’architecture, ce domaine aussi, est une affaire de subjectivité et qu’en ce sens, le regard physiognomonique que nous portons tous sur les personnes, sur les choses, peut être appliqué à l’architecture, à sa morphologie et le caractère qu’elle inspirera à chacun de ses spectateurs. On retrouve les premières marques, les premières évocations de la physiognomonie dans l’antiquité grecque avec les propos d’Aristote dans un passage de ses Premiers Analytiques : « Il sera possible de déduire le caractère d’après les traits du visage, pour peu que l’on accepte que le corps comme l’âme ensemble sont changées par les affections naturelles [...] lorsque je parle d’émotions naturelles, je fais allusion aux passions et aux désirs. Si à chaque changement est associé un signe spécifique, et qu’enfin l’on puisse assigner affection et signe en propre à


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chaque espèce animale, nous serons capables de déduire le caractère d’après les traits du visage ». Aristote, vers 350 av. J.-C. Par la suite, il faudra attendre le Xème siècle pour qu’un livre popularise la notion de physiognomonie et commence à étudier plus en détails les traits de l’homme. Il s’agit d’un livre très populaire, considéré comme le livre le plus répandu en Europe au Moyen Âge, publié sous le titre : le secret des secrets. Les origines de cet ouvrage sont relativement floues et même s’il est traduit de l’arabe au Xème siècle, on attribue son apparition véritable au IVème siècle av. J.-C. avec une lettre qu’Aristote aurait adressé à Alexandre le Grand. Au cours des siècles, la lettre s’est transmise, a été traduite et réécrite, étoffée, approfondie pour faire naître les premières éditions notables au XIIème siècle avec cet extrait présenté dans une traduction en français ancien, il traite du caractère que l’on peut attribuer à la pilosité masculine : « Quant les cheveulx sont plains et souefz, l’omme est courtois, debonnaire et a froit cervel. Quant l’omme a les cheveulz aspres et espéz, il segnefie qu’il est fol et nice. Et quant il a grant quantité de poil au ventre et en la poitrine, saches qu’il a tres bonne et tres merveilleuse complection et singuliere nature, et tient moult en son cuer la villenie ». Pour clôturer cette émergence de la physiognomonie, il faut se pencher sur le travail de Johann Lavater, ses travaux constituent l’apport contemporain remarquable dans le domaine et particulièrement avec le livre L’art de connaître les hommes par la physiognomonie, publié en 1776. Dans cet ouvrage, le texte et les images sont en proportions égales visant à définir de manière très précise voire exhaustive les caractères perçus par l’homme - ou peut être que par Johann Lavater lui-même - en fonction de la morphologie et des composantes de la tête d’un individu lambda et en prenant quelques exemples de personnalités de l’époque. Le reste du corps ne rentrant par foncièrement en considération dans l’attribution du caractère d’une personne, l’attention restera portée sur tous les composants de la tête ; en partant de la forme du crâne (fig.52), du profil de la tête (fig.53) jusqu’à ses parties isolées comme le nez (fig.54), les lèvres de la bouche (fig.55), les oreilles, les


fig.52-53 : Johann Lavater, L’art de connaître les hommes par la physionomie, études du profil, 1806.


fig.54 : Johann Lavater, L’art de connaître les hommes par la physionomie, études du nez, 1806.

fig.55 : Johann Lavater, L’art de connaître les hommes par la physionomie, études des lèvres de la bouche, 1806.

fig.56 : Johann Lavater, L’art de connaître les hommes par la physionomie, études du regard, 1806.

fig.57 : Johann Lavater, L’art de connaître les hommes par la physionomie, études du regard, 1806.


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Le caractère intrinsèque de l’architecture

yeux (fig.56-57), la largeur du front en passant par sa pilosité que sont les cheveux ou encore les sourcils. Ce qui est frappant et critiquable dans ce livre, c’est le manque de nuance dans les propos de Lavater, sa subjectivité semble être une vérité inaltérable. Peu crédibles, car basés uniquement sur l’apparence, ces descriptions sont néanmoins l’opportunité de soulever le fait que nous cherchons à tout interpréter, personnaliser. On peut être d’accord ou non avec les observations de Lavater mais à sa manière nous avons un avis, une opinion sur les traits de caractère humain. Pour prolonger cette étude de l’homme et de ses attributs se confrontant à l’architecture, on peut prendre les travaux d’Henry Espérandieu en 1877 dans son ouvrage Le sentiment et l’architecture qui a mis en parallèle la manière dont les hommes soignent leur apparence et l’esthétique apportée à leur bâtiment (fig.58). Une similitude est alors notable et la coiffe des hommes devient inspiration pour concevoir la forme attique qui couve leur architecture, à moins que ce ne soit l’inverse. La cohérence entre l’allure de l’homme et l’architecture est saisissante et, on ne peut qu’être intrigué par ce point de convergence de l’architecture vers ce qui constitue le caractère de l’homme. Et pourtant c’est un demi-siècle plut tôt, en guise de prélude de la rencontre des lignes architecturales et celles du visage, qu’Humbert de Superville avait initié une déconstruction des expressions du visage. Dans son livre Essai sur les signes inconditionnels dans l’art paru en 1827, il a décomposé et répertorié les traits du faciès humain en lignes droites (fig.59-60) ; cette abstraction a alors permis de voir autre chose que la complexité d’un visage mais des traits de caractère réduits à leur stricte simplicité et faisant alors référence à autre chose que l’homme à tous les signes, toutes les formes qui nous entourent.

1.3.2 L’architecture tels des traits de caractère Cette recherche de l’essence même de ce qui définit le caractère d’un visage va alors pouvoir trouver son écho dans l’architecture, et on va se mettre à étudier l’architecture comme si c’était une personne humaine avec ses propres qualités. C’est ce que compilera Raymond Christoflour dans son ouvrage Petite philosophie de l’habitation en 1945, les traits qui composent


fig.58 : Henry Espérandieu, Le sentiment et l’architecture, révélations posthumes, 1877.

fig.59-60 : Humbert de Superville, Essai sur les signes inconditionnels dans l’art, 1827.

fig.61 : Raymond Christoflour, Petite philosophie de l’habitation, 1945.


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Le caractère intrinsèque de l’architecture

la maison sont directement mis en tension avec les traits qui définissent les expressions faciales ; une maison devient alors triste ou sereine, calme ou audacieuse (fig.61). Ce souci du langage architectural anima toute l’œuvre de Claude Nicolas Ledoux, architecte du XVIIIème siècle. Il attribua parfois à l’architecture la notion de caractère, terme qui exprime sa double nature, grammatologique et anthropologique. Lui-même associe le caractère architectural à la physiognomonie humaine : « Le caractère étant fondé sur les besoins de tous genres, est d’autant plus varié qu’il s’adapte aussi aux convenances. Les vérités qui le constatent, frappent au premier coup d’œil. On peut l’assimiler aux passions dominantes de l’homme : on voit sur le front le calme de la conscience, les vertus bienfaisantes, la générosité, la valeur, l’exaltation, la colère, l’abus des plaisirs50 ». Quelques années plus tard, ce souci de donner une profondeur anthropomorphique à l’architecture se retrouvera dans l’ouvrage Learning from Las Vegas, édité en 1972, dans lequel, les auteurs évoquent le terme utilisé par Charles Jencks pour caractériser cette faculté et cette nécessité de l’architecture a transmettre un certain ressenti ; il parle de « wit », terme anglais à traduire par « esprit » : « Un édifice witty va permettre au public de faire les associations les plus extraordinaires ». Charles Jencks, 1977 Aujourd’hui encore, l’impression de reconnaître une attitude dans les traits de l’architecture est un sentiment courant, des artistes à l’image du belge David Helbich s’amuse à prendre la pose devant des bâtiments reconnus en calquant de manière un peu naïve l’expression faciale qu’ils inspirent (fig.62-64). Pour continuer le propos, nous pouvons nous arrêter sur cette photo tirée du livre de Hannes Coudenys Ugly Belgian Houses à laquelle est associée cette phrase commentant le sentiment éprouvé par l’architecture (fig.65). À cela nous pouvons associer les démarches d’architectes reconnus s’étant très rapidement tournés vers la volonté de donner une expression à l’architecture. Le plus fameux est sans doute Antonio

50. LEBENSZTEJN Jean-Claude. Transaction : (Fleurs de rêve II). Paris : Kargo, 2007, p.56.


fig.62-64 : David Helbich, Trying to look like a building, 2016. fig.65 : Hannes Coudenys, Ugly Belgian Houses, 2015.

fig.66 : Adolf Loos, Maison Tzara, Paris, 1926.

fig.67 : Rudolf Steiner, Atelier, Dornach, 1913-14.


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Le caractère intrinsèque de l’architecture

Gaudi, qui, en 1910, sur le toit de la Casa Mila, façonne les sorties de cheminées et de circulations verticales afin qu’elles s’apparentent, soit à des guerriers casqués qui forment un groupe ou devenir des géants plus gros et plus aimables51. Réalisées à la même période, les façades des maisons de Loos, la maison Steiner (1910) et la maison Scheu (1912), dérangent par leur mutisme. L’impression de « laideur », telle que nous l’entendons communément, n’y est pas due à une question de goût esthétique, mais à un sentiment corporel dérangeant que procure l’architecture52. Can Onaner qualifie également la maison Tzara d’Adolf Loos comme un être qui regarde le spectateur comme un visage défiguré dont on ne pourrait se détourner à cause de sa présence monumentale (fig.66). La porte de l’atelier Glashaus réalisé par Rudolf Steiner en 1914 suit cette même logique de transmettre une sensation, provoquer une réaction ; il semblerait que cette porte vous regarde avec amusement et tristesse53 (fig.67). Avec l’apparition de cette expressionnisme des formes architecturales au cours du XXème siècle, le vocabulaire pour qualifier la construction va lui-même se révéler être teinté de références anthropomorphiques.

51. JENCKS Charles. Architecture bizarre, Londres, Paris : Academy editions, 1979, p.53. 52. ONANER Süreyya Can. Le suspens en architecture : Adolf Loos et Aldo Rossi [en ligne]. Thèse. Histoire de l’art. Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, 2011, http:// www.theses.fr/2011PA010508 [consulté le 05/05/2017], p.123. 53. JENCKS Charles. op. cit., p.53.



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1.4 UN LANGAGE ARCHITECTURAL INCARNÉ

1.4.1 Analogie linguistique entre le corps et l’architecture La transmission, la compréhension, la définition de l’architecture est autant d’étapes qui nécessitent d’être clarifiée par le langage, de prendre leur consistance à travers les mots. Dans son ouvrage, Christian Norbert-Schulz nous rappelle ce que disait le célèbre philosophe : « Quand on les nomme, les choses nommées sont appelées à leur réité ». Heidegger Le langage est indéniable pour qualifier un élément et induit directement des images, une « couleur » à notre propos. On ne peut parler de quelque chose sans faire allusion à une autre chose qui elle, est connue, faisant partie de notre culture, l’analogie semble alors inévitable. Pour parler de l’architecture bizarre dans laquelle on peut retrouver l’architecture anthropomorphique comme sous-catégorie. Charles Jencks disait que si l’on peut placer un édifice bizarre dans un système de classification, comme vous devez le faire pour pouvoir le percevoir, il perd immédiatement un peu de sa qualité magique54. Il démontre ensuite à travers une question rhétorique qu’il est impossible d’apprécier quelque chose de non conventionnel sans chercher à le domestiquer par le langage. Comme l’affirme Heidegger, Il ne suffit pas que l’homme dise « les choses », il doit aussi les garder et les visualiser dans des images concrètes qui puissent aider à voir l’environnement dans lequel on vit pour ce qu’il est. Avec la peinture, la sculpture, la musique, Heidegger nomme explicitement l’architecture comme l’un des arts qui est « par essence de la poésie55 ».

54. JENCKS Charles. Architecture bizarre, Londres, Paris : Academy editions, 1979. 55. NORBERG-SCHULZ Christian, Habiter, vers une architecture figurative. Paris : Electa Moniteur, 1985, p.112.


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Ce que l’on remarque de manière assez manifeste c’est que pour qualifier l’architecture - et ce même si elle n’a pas la prétention de ressembler à des formes humaines - le champ lexical et le vocabulaire lié au corps humain sont allègrement utilisés. L’homme, de manière intrinsèque, projette sa vision du monde à travers son propre prisme, en les nommant, il fait naître les choses à sa convenance. L’architecture n’échappe pas à cette règle et on constate fréquemment le parallèle linguistique qui s’opère entre le corps humain et la construction, le système osseux devient « squelette » du bâtiment. « Nous développons tous une vision anthropomorphique du monde au niveau du discours et, quand bien même cette réaction instinctive serait inacceptable du point de vue de la science, il est légitime de vouloir lui donner un écho au niveau de l’architecture ». Charles Jencks, 1977 Nous pouvons prendre comme origine de ce parallèle linguistique le cas de l’architecture antique et la manière dont les constructeurs, penseurs de l’époque, agençaient la matière pour faire référence à un idéal corporel ; L’ordre ionique est liée à la construction du temple de Diane. Ses inventeurs grecs « appliquèrent à la colonne la sveltesse du corps féminin » et sous le fût, « mirent une base en guise de chaussure ». Sur les côtés du chapiteau, ils « placèrent des volutes à l’imitation des boucles frisées qui pendent de part et d’autre d’une coiffure » et évoquèrent la frange par des festons sur la partie antérieure. Les cannelures de la colonne imitent « les plis des longues robes que portent traditionnellement les matrones56 ». Quelques siècles plus tard, ce goût pour l’assimilation verbale de l’architecture au corps semble perdurer, Adolf Loos dont les écrits sont teintés de métaphores au corps humain et chargé d’émotions57 a lui-même été sujet à un vocabulaire assimilant son architecture à un visage. En effet son bâtiment à Vienne, Michaelerplatz, a été sur-

56. BARIDON Laurent et GUÉDRON Martial. Corps et arts : physionomies et physiologies dans les arts visuels. Paris : L’Harmattan, 1999. 57. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.55.


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Un langage architectural incarné

nommé « le bâtiment sans sourcils » du fait de l’absence de rebords au dessus des fenêtres58. Cette comparaison lexicale ne semble pas avoir de frontières, dans la culture hindoue, on retrouve également le parallèle entre l’habitation et le corps humain, dans un poème tiré de Mahabharata, le livre considéré comme le plus long poème avec ses 81 936 strophes, Pingala qualifie sa demeure comme « ma maison avec une seule colonne et neuf ouvertures ». La colonne est le corps, le squelette et les neuf ouvertures sont les orifices, soit, les oreilles, les yeux, les narines, la bouche, la vulve et l’anus. D’une façon similaire, les bâtiments berbères sont pensés de la même manière qu’un corps, les mots qui sont utilisés sont bouche (la porte), yeux (fenêtres placées sur la façade extérieure qui donne sur la cour intérieure), l’estomac (le parvis devant l’habitation), cœur (la cour intérieure), etc59. Une maison sans centre est une maison sans cœur ; une maison au toit plat est une maison sans tête ; une boîte de verre façon Mies est sourde, muette et aveugle et devrait sans doute être arrachée à sa misère par la dynamite. Ceci est la « Théorie de l’image corporelle », ou à peu près. La partie sérieuse de l’argument est le fait que les gens ont naturellement de la sympathie pour leurs habitations en particulier et pour les bâtiments en général et que, de façon parfaitement inconsciente, ils projettent des états physiques et des catégories physionomiques sur la forme bâtie60. À la manière d’un corps humain, on parle d’un « haut » et d’un « bas », du « devant » et du « derrière », de la « tête » et du « cœur » d’une structure inanimée. En bref, on est sujet au sophisme par projection, notre vocabulaire est vicié par un ancrage naturel à l’anthropomorphisme - et non seulement linguistiquement61.

58. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.55. 59. Ibid, p.61. 60. .JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.15. 61. JENCKS Charles. Architecture bizarre, Londres, Paris : Academy editions, 1979, p.15.


L’ architecture anthropomorphique, entre figuration et symbolique

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Face à ce corps architecturé, on accorde alors aux architectes des qualités de guérisseur, la notion de docteur-architecte apparaît et ils deviennent soudain habilités à réparer les maux de ce que nous mettons en œuvre ; « les bâtiments, la ville, sont considérés comme des corps à soigner62 ». Cet architecte aux pouvoirs insoupçonnés dispose subitement des facultés dépassant l’ordre naturel des choses, il est alors capable de donner une âme aux choses, de les animer ; comme disait l’architecte Baillie Scott, « L’art magique de constructeur est l’une des choses les plus étranges [...] il dispose les pierres d’une certaine façon, les taille d’une manière particulière et voilà : elles commencent à parler, une langue qui leur est propre, avec des significations plus profondes que les mots63 ». À cela on pourrait associer les propos de Paul Valéry sur sa perception de l’architecture qui est bien plus qu’une matière inerte ; « Certaines architectures sont muettes, d’autres parlent, d’autres, plus rares, chantent » et de poursuivre avec les termes suivants « Ces architectures qui chantent sont à la fois organes sensoriels et organes de communication, expressives parce qu’elles permettent et développent en l’être humain la perception et parce qu’elles suscitent des images [...] elles nous communiquent des sentiments, un enseignement, une énergie. Œuvres du passé et œuvres d’aujourd’hui, elles transmettent des qualités proprement humaines, images de l’homme et du monde qui se révèlent patiemment à l’observateur attentif64 ». On peut alors noter qu’au-delà de la simple analogie entre les éléments qui constituent le corps et ceux qui font partie de l’architecture, l’aspiration est d’autant plus grande, l’architecture n’a pas seulement des « yeux », elle « regarde » ; ce qui l’élève, de par le langage et la personnification, au statut de créature vivante.

62. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.35. 63. NORBERG-SCHULZ Christian, Habiter, vers une architecture figurative. Paris : Electa Moniteur, 1985, p.112. 64. VALÉRY Paul, Eupalinos ou l’Architecte, Paris : Gallimard, 1944.


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Un langage architectural incarné

1.4.2 Personnification de l'architecture On assiste alors volontiers à la description d’une architecture qui se personnifie, d’autant plus si elle est romancée, l’homme est tenté de lui attribuer des sentiments, des émotions comme il pourrait le faire à un humain. « L’homme a le besoin de personnifier son environnement, être en contact ou plutôt rentrer en dialogue avec l’architecture65 ». Günther Feuerstein Cette personnification est appuyée dans le travail de Claude-Nicolas Ledoux, dont la prose architecturale s’efforce, comme il l’explique lui-même à propos de son style imagé et qui parle déjà au XVIIIème siècle, « d’animer, je dirai plus, de faire respirer [les] murs66 ». Quelques siècles plus tard, les propos se sont étoffés et d’après Charles Jencks l’architecture doit répondre à de nouvelles facultés ; « Une maison doit maintenant « se dresser sur le sol » sur ses jambes, révéler sa musculature dynamique, battre des paupières-fenêtres, porter son cœur (sa cheminée) sur sa manche (son toit pointu) et cacher ses parties intimes (son fourneau-estomac). Et elle doit faire tout cela implicitement, sans que l’habitant le sache. Toute maison qui ne sourit pas et ne parle pas est aliénée67 » ou encore d’après une description d’Alain de Botton, à propos d’une maison qui viendrait de voir ses derniers occupants la quitter ; « La maison semble prendre plaisir à sa solitude temporaire. Elle se rajuste après la nuit, désengorgeant ses conduits et faisant craquer ses articulations. Cette digne et mûre créature, avec ses veines de cuivre et ses pieds de bois enfouis dans un lit d’argile, a beaucoup enduré68 ». Le point de vue de Charles Jencks confirme cette tendance générale ; « Il n’est pas jusqu’à sa description de l’architecture qui ne soit pas influencée par cette imagerie. Les édifices « s’allongent à

65. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.7. 66. BARIDON Laurent et GUÉDRON Martial. Corps et arts : physionomies et physiologies dans les arts visuels. Paris : L’Harmattan, 1999. 67. JENCKS Charles. Architecture bizarre, Londres, Paris : Academy editions, 1979, p.15. 68. BOTTON Alain de. L’architecture du bonheur. Paris : Mercure de France , 2007, p.15.


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l’horizon » ou en « surgissent », ils ont un « devant » plus apprécié que le « dos » (exactement comme les humains), et ils sont « habillés » ou « nus69 ». Richard Scoffier durant ses conférences, qui reprennent ses théories sur une définition potentielle de l’architecture contemporaine, en parlant d’un de ses projets, dit qu’il a pensé un espace qui rassure, qui protège ; « comme si on protégeait les gens avec ses mains, avec son corps. Comme une maman qui protège son bébé avec son corps [...] des espaces qui nous touchent, vous êtes bien, vous êtes protégés70 ». On ne peut s’empêcher en entendant ces propos de penser à la métaphore qui a fait naître, déjà en 1657, la place Saint-Pierre de Rome dans la tête de Le Bernin ; la création d’un espace délimité par deux séries de colonnades, d’une place à l’image d’un homme sacré qui accueillerait le visiteur dans l’antre de ses bras comme pour le couver, lui assurer une certaine quiétude. On cherche à donner des intentions, un instinct à l’architecture, ce qui se réfère assez directement à l’homme, on intègre inconsciemment que les bâtiments se comporteraient de la même manière qu’un ami qui nous veut du bien. Richard Scoffier poursuit en parlant de « bâtiment qui pourrait nous prendre par les épaules, nous faire aller mieux71 ». Et si l’architecture peut incarner les vertus d’un corps humain il peut également évoquer la dégradation voire la mort de ce dernier. Adolf Loos soustrait l’ornement de manière à ce que la façade - celle de la maison Steiner sur son jardin par exemple - donne l’impression d’une construction dont on aurait retiré la peau72. Dès qu’il manque quelque chose à une architecture, lui retirant sa convention alité, elle paraît soudainement déshumanisée ; « les maisons au toit plat

69. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.55. 70. SCOFFIER Richard, Les 4 concepts fondamentaux de l’architecture contemporaine. [Conférence], école d’architecture de Versailles, 2015. 71. Ibid. 72. ONANER Süreyya Can. Le suspens en architecture : Adolf Loos et Aldo Rossi [en ligne]. Thèse. Histoire de l’art. Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, 2011, http:// www.theses.fr/2011PA010508 [consulté le 05/05/2017]


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Un langage architectural incarné

furent perçues comme maisons bizarres ou même inachevées ou « sans tête ». Les maisons avaient été décapitées73». Dans sa pratique, l’architecte chinois Wang Shu, invite ses étudiants à découvrir des ruines de sites en démolition pour faire des observations, c’est une fois disséqué que le bâtiment peut révéler des éléments sur sa nature, il dit même que « c’est comme assister à des opérations chirurgicales pour des étudiants en médecine74 ». Cette posture rappelle les propos tenus de Charles Jencks dans les années 70 concernant la fin de l’ère moderne et de ses bâtiments comme ceux du quartier de Pruitt-Igoe que l’on démantèle à grands coups de dynamite, « Après tout, puisqu’elle est bel et bien morte, autant nous amuser à dépecer le cadavre75 ».

73. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.55. 74. SHU Wang, Construire un monde différent conforme aux principes de la nature : leçon inaugurale de l’Ecole de Chaillot. [Conférence] Texte établi et traduit par Françoise Ged et Emmanuelle Péchenart, Paris : Cité de l’architecture et du patrimoine, 2013. 75. JENCKS Charles, op cit, p.10.




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[ LES MOTIVATIONS DE CET ANTHROPOMORPHISME ]


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2.1 FORMALISER UNE CROYANCE, UNE PUISSANCE

2.1.1 Des divinités aux hommes de pouvoir Si l’on se penche sur l’histoire pour tenter de mettre en lumière les premières manifestations anthropomorphiques dans les créations de l’homme ; on remarque encore une fois que la distinction entre la contemplation et l’immersion, la limite entre la sculpture habitée et l’architecture sculpturale est très mince, qu’il s’agit finalement de sources d’inspiration mutuelles, dont on ne peut complètement traiter l’un sans évoquer l’autre. Les premières marques d’anthropomorphisme signifiantes, les premières projections de la figure humaine sur une matière inerte, peuvent être attribuées à la représentation des divinités, à la représentation d’un ordre sacré qui est perçu à l’époque comme supérieur à toute vie humaine. Très tôt dans l’histoire, les hommes tentèrent de mettre en évidence ce qu’ils pensaient être l’âme ou l’esprit d’un rocher en lui donnant une forme reconnaissable. Dans de nombreux cas, la forme ressemblait plus ou moins à celle de l’homme, par exemple, dans les anciens menhirs qui évoquent grossièrement les traits du visage76. Les archéologues et historiens reconnaissent la création de petites statuettes de quelques centimètres de hauteur, taillées dans l’ivoire des défenses de mammouth. Mettant en exergue de par la disproportion de leurs attributs, des femmes représentées sont l’allégorie de la beauté et du culte de la fécondité, les chercheurs leur donneront a posteriori l’appellation de Vénus, la plus connue étant celle de Hohle Fels (fig.68). Les principales ressources humaines, économiques et matérielles étaient mises au service de statues mystiques. On peut prendre comme exemple le Sphynx de Gizeh (fig.69), érigé à la période égyptienne en -2 500 av. J-C., qui représente le portrait de Khéops, hybride entre un corps de lion allongé et un faciès à la morphologie humaine de 4 mètres de large.

76. JUNG C.-G, L’homme et ses symboles. Paris : Laffont, 1964, p.233.


81 fig.68 : La VĂŠnus de Hohle Fels, Allemagne, -35 000 av. J.-C.

fig.69 : Sphinx de Gizeh, Egypte, 2 500 av. J.-C.


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Quelques exemples de sculptures figuratives sont notables en Amérique centrale, avec les têtes colossales de la civilisation olmèque datant approximativement de 1000 av. J-C. Les objets d’art retrouvés en Amérique centrale appartenant à cette ère sont pour les deux-tiers des représentations de la figure humaine (fig.70). Si de nombreux cas sont observables dans la culture asiatique avec ses temples grandement ornementés, comme c’est le cas avec la ville d’Angkor Thom, et le statuaire avec sa tour aux 4 visages datant du début du XIIIème siècle. Les blocs de pierre sont taillés, agencés de manière à représenter des figures spirituelles, les yeux fermés comme annonçant la méditation à suivre. Cet exemple fait écho au stuppa bouddhiste à Pashupatinath, au Népal, qui met en scène le bouddha dans une position assise, de méditation, avec des yeux peints sur ses quatre faces, observant ainsi le visiteur qui arrive. Bouddha, figure synonyme de sagesse ayant atteint l’état de grâce du nirvana, a été représenté maintes fois mais nous pouvons nous pencher sur les bouddhas géants d’Afghanistan, tristement célèbres pour leur destruction en 2001. L’historique de ces bouddhas n’est pas complètement précis, la date de leurs constructions oscille entre le IVème et le VIIIème siècle. Le récit d’un voyageur chinois relate en 632 la découverte de ces deux imposantes sculptures (fig.71). On apprendra par la suite l’existence d’une troisième statue et voire même une quatrième, allongée, selon les dires de l’archéologue afghan Zemaryalaï qui s’affaire depuis de nombreuses années maintenant à révéler. Ces statues sculptées à même la falaise étaient tournées vers la vallée, vers le village, mesurant respectivement 55 mètres et 38 mètres, elles constituaient une vraie présence pour les bouddhistes qui vivaient ou simplement traversaient ces terres. En 2001 et par souci de purification idéologique, les talibans proclamèrent la destructions de ces figures véhiculant une image considérée comme impure (fig.72). Pour finir ce tour d’horizon bref mais révélateur des représentations divines et religieuses, la culture occidentale a elle aussi produit ses figures. À l’époque, avec les temples dédiés aux divinités grecques, les dieux prennent l’apparence de l’homme, une esthétique figurative et très représentative, en contraste avec les formalisations abstraites présentes en Asie. On peut prendre les exemples des


fig.70 : Têtes Olmèques, Mexique, - 1000 av. J.-C.

fig.71 : Bouddhas géants, Afghanistan, VIème siècle av. J.-C.

fig.72 : La niche vide du grand bouddha, Afghanistan, 2002.


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Formaliser une croyance, une puissance

dieux Mars (fig.73), Flore (fig.74) ou encore Vénus (fig.75) qui seront par la suite assimilés selon Vitruve à des ordres d’architecture bien spécifique. Il existe des exemples plus contemporains de ces figures de la religion occidentale qu’est le christianisme avec la statue de NotreDame de France érigée en 1860 (fig.76) ou encore le Christ Rédempteur à Rio de Janeiro réalisé en 1931 (fig.77), qui constituent toutes deux à leur échelle, un attrait pour la ville, ayant rassemblé initialement les fidèles et qui maintenant possède une valeur touristique certaine. Dans un échange avec Ombretta Lanonne, une architecte ayant travaillé sur le projet Colosse 2015 qui s’avère être toujours au stade d’esquisse, ce projet a pour vocation de remettre sur pied le Colosse de Rhodes qui a fait toute l’histoire et le passé glorieux de cette île grecque (fig.78). La volonté est donc de réanimer une légende, celle d’un homme capable de porter les aspirations et les ambitions de toute une population. Dans cette version actualisée du colosse, la statue devrait générer des espaces pleinement fonctionnels à l’intérieur de cette coque corporelle en proposant un musée, deux restaurants, une bibliothèque, un belvédère dans le creux de la main du colosse. Auparavant purement contemplative, l’allégorie de la puissance que recouvre le Colosse de Rhodes est désormais palpable, une grandeur traduite non seulement en image mais en espace et expérimentable grâce à un parcours immersif. Cette statue pourrait être assimilée au pendant masculin de la Statue de la Liberté à New-York qui, elle aussi est couronnée et dispose d’un livre dans sa main gauche et d’une flamme dans sa main droite, érigée au bout de son bras comme pour guider sur le chemin de la paix et de la raison (fig.79). Alors que les hommes ont construits pendant des siècles des figures pour célébrer des êtres supérieurs, des divinités qui de par leur symbolique pouvait les guider dans leur manière d’agir, de vivre ; c’est assez naturellement que les hommes ont perpétué cette construction de figures représentant le pouvoir, la puissance. Sur ce point, le milieu du XXème siècle est tristement notable de par le grand nombre de figures humaines ayant été érigées afin d’appuyer la puissance d’un régime en place. Les régimes autoritaires ont été avides de représentations humaines célébrant la gloire de leur représentant, des pays de l’ex-URSS à l’Al-


fig.73 : Statue de Mars.

fig.76 : Jean-Marie Bonnassieux, Statue Notre-Dame de France, Puy-en-Velay, 1860

fig.74 : Statue de Flore.

fig.75 : Statue de Vénus.

fig.77 : Paul Landowski, Christ Rédempteur, Rio de Janeiro, 1930.


fig.78 : Projet Colosse, Rhodes, 2015. fig.80 : Effigie de Mussolini, Siège du parti fasciste, Palais Braschi, Rome,1934.

fig.79 : Gustave Eiffel et Auguste Bartholdi, Statue de la Liberté, 1875. fig.81 : A.G. Ambrosi, Portrait aérien de Mussolini ou le visage du Duce, 1930.


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lemagne, en passant par l’Italie, le corps humain et particulièrement le visage ont pris une place quasi omniprésente dans le paysage des villes. La grandeur architecturale ne suffit plus pour traduire une puissance, à l’image du quartier de l’EUR 42 à Rome qui a vu le jour très rapidement ; qui est inspiré des codes antiques considérés comme nobles, purs et relatant parfaitement le désir de puissance ambiant. Mais comme si les signes purs et abstraits ne suffisaient plus, l’anthropomorphisme semble avoir pris le relais et la figuration devient de rigueur pour véhiculer efficacement un message. Alors nous pouvons voir fleurir le visage de Mussolini sur le Palais Braschi (fig.80), anciennement siège du parti fasciste ; des illustrations montreront ce même visage, sévère et puissant, régissant la morphologie de la ville de Rome (fig.81). Tous ces édifices et ces représentations anthropomorphiques à l’instar des édifices tel que le Sphinx de Gizeh (fig.69) ou encore les bouddhas géants (fig.71), ont introduit la notion de grandeur qui pourrait se traduire par une ferveur religieuse. Une croyance profonde dans l’idéologie de la personne représentée mais qui soulève aussi la question de la hauteur et de la compétition entre les villes, entre les religions, entre les pouvoirs. Dans Learning from Las Vegas, les auteurs affirment que l’architecture a toujours eu un message à faire passer, qu’il s’agit de la matérialisation physique d’une idée, d’un effet architectural qui transmet un sens. Ils prennent l’exemple des coupoles et de leur démesure, elles sont plus imposantes d’extérieur que l’espace qu’elles libèrent à l’intérieur, le but étant de par leur forme, capter le spectateur et l’informer, lui permettre de s’orienter77. La représentation de figures religieuses a toujours véhiculé une idée de grandeur, ce type de construction cherche à la fois à entretenir la ferveur de ses croyants et à affirmer une certaine prestance. Plus une statue est haute, plus elle sera synonyme de puissance. Les constructeurs l’ont bien compris et l’évolution des techniques, les progrès structurels leur permettent maintenant d’égaler des hauteurs impressionnantes. Ces corps déshumanisés de par cette notion du hors d’échelle se retrouvent alors, porteurs d’une dimension métaphysique qui dépasse la simple fascination visuelle.

77. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven. Learning from Las Vegas. Cambridge : MIT Press, 1972, p.31.


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Dans ce chapitre consacré à la traduction des croyances et des puissances à travers des constructions anthropomorphiques, j’aimerais faire une parenthèse atypique avec un objet particulièrement éloquent en terme de puissance qui est celui du billet de banque. Matérialisation physique du système monétaire et de la puissance qu’il véhicule, tous les signes que ce billet porte sont révélateurs d’une certaine grandeur ce qui permet, à ce stade, de nous interroger sur une évolution possible. Initialement pourvus de faciès de personnes considérablement estimés (fig.82), les billets, si nous prenons ceux de la monnaie euro par exemple, laissent désormais voir des bâtiments prestigieux en guise de codification de la puissance (fig.83), on peut alors se demander si une architecture anthropomorphe, synthèse des deux figures jusqu’à maintenant représentées, ne serait pas une consécration du message désiré ?

fig.82 : Billet de 100 Francs sur lequel figure le portrait du peintre Cézanne. fig.83 : Billet de 10 Euros sur lequel figure un exemple d’architecture romane.


fig.84 : Wendel Dietterlin, Dorica oder Toscana, 1598.

2.1.2 La dimension métaphysique de ces édifices figuratifs Pour célébrer la Création, l’édifice peut figurer les règnes humain, animal ou végétal. La figuration évoque directement quelque chose de concret, une forme matérialisée. Le bâtiment est alors une métaphore, une allégorie chargée de mémoire78. À travers les représentations du divin il y a donc au-delà de la figure perceptible, le souhait de propager une idéologie, de par une impression de grandeur, la statue devient alors une source de fascination pour le regardeur, écrasé par les moyens déployés pour ériger ces figures. Quelques intégrations d’effets sculpturaux, dans certains cas de temples, participent à cette sensation d’affaissement sous le poids de la foi, l’homme est réduit de penseur, créateur de l’architecture à celui d’esclave, serviteur d’une force qui le dépasse, à travers les atlantes79 (fig.84).

78. ZIPPER Jean-Philippe et BEKAS Frédéric. Architectures vitalistes : 1950 - 1980. Marseille : Parenthèses, 1986, p.65. 79. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.39.


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Les personnages mystiques représentés servent à incarner la matière inerte, à travers la distinction de ces corps, de ces visages ou de ces postures, l’édifice rayonne. Pour les croyants ces symboles de la religion sont de véritables guides, l’écho de leur foi. Et même ceux qui ne le sont pas, l’incarnation de la matière est perceptible, elle devient soudain expressive et rentre en dialogue avec nous. Ce que l’on remarque également c’est qu’il n’est pas nécessaire de représenter une figure sacrée pour la convoquer ; l’architecture religieuse a la capacité d’endosser une interprétation spirituelle bien qu’elle soit composée d’éléments architecturaux rationnels. La manière dont sont organisées les églises, en forme de croix, réfère directement au corps du Christ en position de crucifixion, en se promenant dans cet espace on peut se projeter à se dire que c’est le corps de Dieu qui a généré ses volumes. L’église qui représente selon la légende (du fait que le chœur soit désaxé de la nef centrale) qu’il s’agit d’une matérialisation du corps de Jésus crucifié sur la croix, la tête posée sur l’épaule, désaxé du corps80 (fig.85). Dans un prolongement de l’interprétation spirituelle de l’architecture religieuse, l’historien de l’art Erwin Panofsy, en 1965, nous donne sa vision : « Prenons l’exemple de la cathédrale de Saint Denis, les douze colonnes qui supportent les grandes voûtes du nouveau chœur représente les douze apôtres, tandis que les douze colonnes dans le déambulatoire se dressent en guise de plus petits prophètes81 ». Erwin Panofsky, 1975 L’exemple montrant d’une manière on ne peut plus éloquente la volonté des édifices religieux d’immerger son visiteur est sans nul doute celui de Gian-Lorenzo Bernini, à Saint-Pierre de Rome, qui a fait édifier une colonnade conférant une dimension anthropomorphique à l’ensemble de la basilique. Le dôme de Michel-Ange devient la tête, la façade de Maderna le cœur, la colonnade elle-même, deux bras qui accueillent la foule des fidèles et matérialisent l’idée

80. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.39. 81. Ibid, p.83.


fig.85 : église Notre-Dame du Rivage, plan de rez-de-chaussée, Vienne, 1330-53, 1394-1414. fig.87 : J. M. Olbrich, étude pour un palais de justice, 1898-1919.

fig.86 : Gianlorenzo Bernini, Croquis symbolique de la Place de Saint-Pierre de Rome, Pierre crucifé, les bras allongés et cassés, 1657.


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d’une église-mère, figurée comme un être humain gigantesque, capable d’embrasser le monde entier (fig.86). Vitruve a également participé à donner un certain aura à ces constructions divines, pour ce faire il a définit les principes de « convenance » et « décor », en édictant une « règle » destinée à faire coïncider le choix de l’ordre de l’architecture avec la divinité à laquelle le temple est consacré. Au regard de l’histoire récente des apparitions anthropomorphiques dans l’architecture, le passage du XIXème au XXème siècle a été fertile en offrant bon nombre d’édifices physionomiques. Claude Nicolas Ledoux ou Joseph Maria Olbrich ont réalisé des bâtiments servant le pouvoir judiciaire en représentant des visages (fig.87). Dans le cas présent, bien que l’inscription palais de justice figure sur la devanture, l’architecture ne se veut pas menaçante comme ça pourrait être le cas, les fenêtres en arc de cercle révèlent des yeux mélancoliques avec les balances de la justice placées au niveau des joues comme une sorte de réceptacle à larmes. Le bâtiment transpose son importance par son caractère dramatique. À propos du projet Colosse 2015, Ombretta Lanonne m’affirmait qu’il y a bien une métaphore derrière la représentation du Colosse que leur équipe avait choisi de représenter : la légende décrivait le Colosse de Rhodes comme un homme grand, debout avec ses jambes ouvertes à l’entrée du port. De son point de vue et pour une majorité d’historiens, il est fort probable que la vraie sculpture n’était pas aussi grande que la tradition, et que c’était une figure, debout avec les jambes fermées sur un podium, au centre de la vieille ville. Néanmoins, ils ont préféré choisir de reproduire la légende parce qu’ils voulaient établir un lien entre le passé glorieux de Rhodes et le rôle qu’ils voulaient redonner à cette ville. « Nous voulions oser un gratte-ciel pour célébrer la Grèce car nous voulions proposer une nouvelle solution pour cette crise économique82 ». Ombretta Lanonne, 2017

82. Propos recueilli lors d’échanges de messages avec Ombretta Lanonne, architecte italienne et membre du collectif Projet Colosse 2015, mars 2017.


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À mi-chemin entre motivations pragmatiques et métaphysiques, dans un cas similaire, la Statue de la Liberté à New-York a elle aussi son lot d’interprétations, considérée comme le symbole de la ville, curiosité à découvrir, cette femme stoïque représente la paix et la liberté, dans une posture qui est censée avoir le pouvoir de prévenir des mauvais esprits83. De cette faculté à donner une âme à l’architecture, la figuration de l’homme peut permettre de convoquer la mémoire, le souvenir à travers un visage et ce que cela représente. Le mémorial du Masque de la Tristesse en Russie en est un exemple relativement probant (fig.88). Réalisé en 1996, ce monument bien qu’il ne représente pas un visage clairement identifiable, a la vocation de commémorer les nombreux prisonniers qui ont souffert et sont morts dans les camps de prisonniers du goulag dans la Kolyma, une région de l’extrême Est de l’Union soviétique, durant les années 1930 à 1950. Ce mémorial a été construit par Kamil Kazaïev et conçu par le sculpteur Ernst Neïzvestny, dont les parents ont été victimes des purges staliniennes des années 1930. Il se compose d’une grande statue en pierre montrant un visage difficilement identifiable, avec des larmes venant de l’œil gauche, larmes en forme de petits masques. L’œil droit représente une fenêtre avec des barreaux. L’arrière de la sculpture représente une jeune femme en pleurs et un homme sans tête sur une croix. L’intérieur est une réplique d’une cellule de prison typique de la période stalinienne84. Sous le « Masque de tristesse » sont gravés les noms d’un grand nombre de camps de travail forcé, de la Kolyma et d’ailleurs, avec la mention des diverses religions de ceux qui ont souffert là-bas. De par ses dimensions encore une fois, le masque mesure 15 mètres de hauteur, le spectateur est submergé par le caractère émanant de ces visages déshumanisés, les traits humains permettent ici de faire rencontrer assez directement le spectateur et le poids de l’histoire. Effectivement l’URSS a eu ses symboles d’une oppression totalitaire de plusieurs décennies. Les figures des doctrines qui ont aliéné

83. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.45. 84. http://www.baikalnature.fr/info/landmarks/2482


fig.88 : Ernst Neïzvestny, Masque de Tristesse, Russia, 1996.

fig.89 : Otakar Švec, Monument à Staline, 1955.


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fig.90 : Rytis Daukantas, Lenin², 2010.

fig.91 : Tête de Staline, 1956.

fig.92 : Buste de Rakosi, 1956.

fig.93 : Statue de Lenin décapitée, photo de Niels Ackermann, Ukraine, 2015.

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les pays d’Europe centrale et de l’Est sont toujours relativement palpable. À Prague la statue de Staline qui surplombait la ville depuis la colline de Letna (fig.89), à la manière d’un être suprême, un Big Brother, a été remplacée par un métronome depuis quelques années maintenant. La présence passée d’une statue magistrale du dirigeant russe a été l’un des premiers témoignages que j’ai eu l’occasion d’entendre lors de mon échange dans la capitale tchèque. Effectivement bien que la statue fut déchue en 1956, les souvenirs et les images restent, à travers cette sculpture de pierre, c’était toute l’idéologie stalinienne qui était incarnée et en émanait, une gravité, un aura, dont le lieu en est toujours quelque peu doté. Le pouvoir idéologique de ce genre de construction, un bâtiment malgré son histoire est généralement préservé, réhabilité, on lui tire profit de ses espaces existants et lui attribue de nouvelles fonctions ; à l’image de la basilique Sainte-Sophie à Istanbul qui a vu s’enchaîner des pouvoirs religieux aux croyances différentes pour être aujourd’hui un musée visité par tous où s’entremêle vestiges de représentations catholiques figuratives et l’abstraction des icônes musulmanes. Qu’en aurait été du bâtiment si l’architecte à qui l’on doit sa construction avait imaginé une tête du Christ habitable en guise de forme globale ? L’évidence du symbole aurait donné peu de chances au bâtiment pour résister à la succession des différentes idéologies. En ce sens on peut dire qu’avec la figure du visage, de la tête, l’architecture ou la sculpture acquiert une âme au pouvoir symbolique très fort. Dans son œuvre, l’architecte et dessinateur de presse lituanien Rytis Daukantas, dans la continuité du concept d’oblitération introduit par l’artiste Sacha Sosno, se joue des symboles de sa culture. Dans son œuvre Lenin², il enserre la figure de Lénine entre deux volumes parallélépipédiques ne laissant que le bras dressé de Lénine en sortir (fig.90) comme pour montrer une certaine désacralisation du personnage et par la même être en position de défiance vis-à-vis de l’ancien dirigeant. Ce projet est une parenthèse personnelle à sa collaboration avec l’artiste Sacha Sosno et est resté à l’état d’esquisse. Pour accompagner son propos il m’expliqua : « J’ai passé mon enfance en Union soviétique et les statues de Lénine étaient partout.


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Lénine devait être une icône. Son bras tendu a montré le chemin vers le communisme. Il s’est avéré que le chemin était nulle part85 ». La métaphysique que dégage une telle construction étant tellement prégnante, doit passer par une destruction radicale pour y mettre fin, nous avons tous en tête des images de statues morcelées pour signifier la fin d’un régime (fig.91-92). Le phénomène que l’on peut observer en Ukraine est relativement notable en terme de destitution symbolique, avec l’adoption de la loi anti-communiste Leninopad en 2013, nous avons pu observer un détournement, une dégradation, voire une décapitation massive de nombreuses statues de Lénine parmi les 5 500 construites sous l’occupation russe (fig.93). Pour conclure cette partie sur cette disposition de l’architecture anthropomorphe à véhiculer une idéologie, à incarner des valeurs, nous pouvons citer cette réflexion philosophique : « Puisque toute pensée humaine doit passer par le médium de l’espace perceptuel, l’architecture, lorsqu’elle invente ou construit des formes, constitue, en pleine conscience ou non, la concrétisation d’une pensée ». Sigmund Freud

85. Propos recueillis lors d’échanges de courriels avec Rytis Daukantas, architecte associé de Sacha Sosno sur de nombreux projets dans le sud de la France, mai 2017.


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2.2 UN HOMME MODÈLE POUR UNE ARCHITECTURE IDÉALE

2.2.1 L’homme universel guide les formes architecturales En se tournant vers l’histoire on observe que l’homme a toujours été un exemple, une référence pour lui-même en tant que créateur. Si les forces et les ressources étaient initialement mobilisées pour mettre en œuvre des figures supérieures à tout être humain, l’évolution de l’homme montre qu’il a recentré ses études sur son propre corps et la volonté de tendre vers une définition universelle. De nombreux travaux ont mis en lumière les études qui ont été menées sur le corps humain, sa représentation, les tentatives de mathématisation et d’organisation du corps humain. Logé dans des formes géométriques, on a tenté d’inscrire l’homme dans un espace fini, de le placer au centre d’un monde qui serait celui de la perfection. Perfection passant par une géométrisation de l’être humain, l’insérer dans un cercle ou un carré, c’est anthropomorphiser la notion même de mesure ; avec la profusion d’images produites au cours de la Renaissance de l’Homme de Vitruve (fig.85-89), l’association entre une forme géométrique simple et un corps humain l’occupant harmonieusement fait partie de la norme. En définissant son nombril ou parfois sa verge comme centralité, l’homme cherche à devenir universel et véritable origine des formes qui l’englobent, il est placé volontairement comme élément de central, autour duquel le monde s’organise ou plutôt on l’organise. Effectivement, pour se convaincre que l’homme est obsédé par l’idée d’une architecture à son image, ou du moins par la projection de sa propre image sur les façades architecturales, il suffit de compter les cariatides, les Hermès et les dieux Terme que l’on trouve parsemés dans toute grande ville d’Europe, véritable ménagerie de visages bizarres et de races étranges86.

86. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.114.


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« Aucun bâtiment ne peut être bien conçu sans la symétrie et la bonne proportion, ou si il ne prend pas précisément en compte tous ses membres comme le corps d’un être humain correctement constitué87 ». Vitruve, -84 av. J.-C. Bien que nous n’ayons pas de traces dessinées de ses principes, on peut faire remonter la tradition d’assimiler des objets et des édifices à des êtres vivants à l’architecte et auteur romain, Vitruve, qui a été le premier en -84 av. J.-C. à s’interroger sur les proportions du corps humain et à le théoriser à travers l’unique traité d’architecture connu de l’ère antique. Le De Architectura de Vitruve s’attache notamment à déterminer les principes fondamentaux de la pensée architecturale, de la ratiocinatio. Celui de symmetria - à comprendre par proportion dans le sens moderne - consiste à s’inspirer des rapports entre les parties du corps humains pour les appliquer à l’architecture88. Il associa notamment chacun des trois principaux ordres classiques à un archétype humain ou divin de la mythologie grecque89. « C’est parce que nos prédécesseurs avaient étudiés toutes les dimensions humaines, qu’ils ont construit leurs bâtiments à leur image, et particulièrement les temples, pour être en harmonie avec ces derniers90 ». Rudolf Wittkower, 1969 Le travail amorcé par Vitruve restera à l’état d’écrit jusqu’à la Renaissance où, de nombreux penseurs dépoussiéreront ses théories et lui donneront une image à travers le très célèbre homme de Vitruve réalisé par Léonard de Vinci vers 1490 (fig.99). L’histoire se rappellera essentiellement de cette représentation à une époque

87. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.21. 88. BARIDON Laurent et GUÉDRON Martial. Corps et arts : physionomies et physiologies dans les arts visuels. Paris : L’Harmattan, 1999, p.190. 89. BOTTON Alain de. L’architecture du bonheur. Paris : Mercure de France , 2007, p.107. 90. FEUERSTEIN Günther, op. cit., p.27.


fig.94-95 : Fra Giocondo, Figure relative à Vitruve, Venise, 1511.

fig.96 : Francesco di Girogio Martini, Figure relative à Vitruve, 1480.

fig.97-98 : Cesare Cesariano, Figure relative à Vitruve, 1521.


fig.99 : LĂŠonard de Vinci, SchĂŠma proportionnel de la figure humaine, Homme de Vitruve, 1500.


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prospère tandis que des études avaient été proposées par Villard de Honnecourt qui, au début du XIIIème siècle envisagea de comprendre la morphologie humaine à travers une géométrie novatrice, en utilisant des triangles, des pentagrammes ou encore le pentagone (fig.100). À l’exception de quelques artistes tel que Giordano Bruno qui s’essaieront à cette géométrie, le pentagramme médiéval avec ses nombreuses interprétations magiques sera remplacé par le carré à la Renaissance, variant quelques fois avec l’hexagone91. Bien que le Moyen-âge ne soit pas très représenté dans l’affirmation de ce lien entre l’architecture et l’anthropomorphisme on ne peut exclure que les bâtisseurs ont pris leur corps comme référence métrique, ils se sont alors mis à mesurer en pouces, en empans ou encore en pieds. La Renaissance rendit ces images conventionnelles, celles d’un corps rationalisé et l’intégra à la dimension architecturale. Peu étonnant en effet que cette corrélation ait eu lieu du fait que les penseurs de l’époque combinaient divers domaines d’étude conjointement. Léonard de Vinci par exemple, passa une grande partie de sa vie a étudier le corps humain, son anatomie tout en dessinant une architecture novatrice. L’architecture classique et occidentale sont largement définies par la géométrie euclidienne. De nombreux chercheurs se sont essayés à la représentation de l’homme de Vitruve : Alberti, Ghiberti, Gauricus, Giocondo (fig.94-95), Martini (fig.96), Cesarioano (fig.97-98), Léonard de Vinci (fig.99). Les trois premiers s’accordent à dire que la beauté physique réside dans la symétrie92, ce qui confirme bien que la représentation de l’homme idéal et la recherche d’une architecture qui posséderait des proportions parfaites suivent les mêmes cadres idéologiques. Faisant suite au carré et au cercle, les penseurs inscrivirent le corps humain à la fois dans le plan et dans l’élévation des églises, ou encore à la manière des dessins de Francesco di Giorgio Martini Giocondo (fig.101). La métaphore était prise tellement au sérieux que, comme vu précédemment, Le Bernin fut même critiqué parce

91. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.29. 92. Ibid, p.21.


fig.100 : Villard de Honnecourt, croquis, 1230-35.

fig.101 : Francesco di Giorgio Martini, Croquis avec annotations constructives, Florence, 1480-90.

que la place de Saint-Pierre de Rome aboutissait à une silhouette humaine, déformée avec les bras tordus93. Si le corps humain a longuement été étudié pour qu’en découle un système de proportions idéales, le visage quant à lui ne sera abordé que réellement à partir du XVème siècle avec les travaux de Francesco di Giorgio Martini, avec essentiellement une analogie entre la composition du faciès et les différentes parties de l’entablement. Pour faire contrepoids à cette mouvance dominante, le philosophe et homme politique irlandais Edmund Burke, au XVIIIème siècle, critiquera sévèrement toute analogie entre homme et architecture,

93. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.114.


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cette volonté de faire concilier des domaines qui n’ont pour lui, rien de compatible : « Je sais que cela a été dit depuis longtemps [...] a été théorisé des milliers de fois par les écrivains, que les proportions de l’architecture ont été déduites de celles du corps humain. Pour compléter cette analogie forcée, ces penseurs représentent un homme aux bras levés et étendus de tout leur long, puis décrivent une sorte de carré, formé par des lignes passant le long de la figure humaine, cette géométrie n’a jamais fourni à l’architecte aucune de ses idées. Car, en premier lieu, les hommes sont très rarement observés dans cette posture contraignante [...] et certainement rien ne justifie pour un architecte de formaliser son œuvre à travers la figure humaine, puisque s’il y a bien deux choses qui ne peuvent avoir aucune ressemblance ou analogie, c’est l’homme et une maison ou un temple94 ». Edmund Burke

94. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.27.

fig.102 : Le Corbusier, Modulor, 1945.


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C’est comme si Le Corbusier avait lu cette critique pour que deux siècles plus tard il propose les dessins annotés du Modulor (fig.102). Mais de ce cas, il retire la posture injustifiée d’un homme écartelé trop longtemps adoptée par souci de géométrie. S’inscrivant dans la tradition de définir un être humain qui serait universel, que l’on pourrait aveuglement reproduire comme standard et référence de toute création architecturale. Le Corbusier a néanmoins réussi à réinventer le genre de l’homme aux proportions idéales grâce au Modulor, en introduisant les notions d’usage au dépend des proportions, de la symétrie et des dimensions purement fantasmées.

2.2.2 La symbolique d’habiter le corps Dans cette recherche d’un corps humain aux proportions parfaites dont le moyen de l’évaluer a évolué de l’époque Antique, au Moyen-Âge puis au retour du goût antique avec la Renaissance, et dernièrement avec les théories de Le Corbusier, on peut retenir cette volonté démiurge de l’architecte pensant qu’il est possible de définir une solution à l’équation de l’architecture implacable, basée sur l’homme universel. Avec la mise en œuvre de cariatides et d’atlantes dont nous avons rappeler les motivations maintes fois, les formes humaines de cette architecture incarnée recherchent la symbolique de cet être universel rentrant en dialogue avec le spectateur qui l’expérimente. Comme par exemple dans ce texte décrivant l’organisation d’un palais de la Renaissance ; « L’étage noble -intermédiaire- est le niveau de la rencontre humaine et est souvent caractérisé, par conséquent, par des colonnes et des piliers anthropomorphes [...]95 ». Le soin apporté ici dans l’agrément anthropomorphique de l’espace a pour vocation d’accompagner l’interaction entre des personnes. De la symbolique de la figure humaine, appréciée en tant qu’ornement architectural et le corps qui devient forme architecturale, il n’y a qu’un pas. Pour faire cette transition, nous pouvons prendre l’exemple de l’organisation de maisons et le point de vue donné à cette perspective par Giovanni Battista Bracelli. À travers son illustration, il donne

95 NORBERG-SCHULZ Christian, Habiter, vers une architecture figurative. Paris : Electa Moniteur, 1985, p.118.


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à voir un corps féminin, allongé, qui prend sa dimension grâce au gestalt provoqué par son urbanisme (fig.103). Bien que l’on dirait un homme à première vue, la métaphore induite par cette organisation de l’architecture, le porche placé entre deux jambes constituées de rangées de maisons étroites, est celle d’un espace dans lequel on accéderait à la tête par le vagin. En partant de ces exemples explicites du bâtiment présenté en tant qu’être féminin, on peut citer la généralisation psychanalytique de Freud, selon laquelle chaque pièce peut être considérée comme « l’intérieur de la femme96 ». Comme le fait remarquer l’architecte et écrivain viennois ; « on remarque que les sculptures accessibles sont généralement féminines, ce sont bien les femmes à l’intérieur desquelles nous pouvons rentrer ; c’est donc à la fois un geste sexuelle et un retour à la situation prénatale, à la sécurité de la vie intra-utérine97 ». La métaphysique s’exprime comme une métaphore implicite ou explicite qui est signifiée dans la forme98. Nous remarquons que notre perception de l’architecture renvoie de manière naturelle à des métaphores du monde vivant. La métaphore dominante est issue de la tradition organique du modernisme et a un rapport très étroit avec les images corporelles et la continuité du monde de l’homme avec le règne végétal et animal. Une métaphysique élémentaire fait maintenant appel à des similitudes directes. Le corps humain, le visage, la symétrie des formes animales deviennent le fondement d’une métaphysique que l’homme trouve immédiate et pertinente. Dans le même sens, il réagit spontanément et inconsciemment aux images corporelles, aux métaphores kinesthésiques du dedans et du dehors, du haut et du bas, aux projections de sa propre orientation corporelle interne99. Les raisons de s’inspirer des attributs humains pour formaliser des architectures sont multiples en fonction des projets ; prenons l’exemple de Guy Rottier qui injecte à toutes ses architectures,

96. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.87. 97. Ibid, p.75. 98. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.113. 99. Ibid.


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fig.103 : Giovanni Battista Bracelli, Bizzarie di varie Figure, Florence, 1624.

fig.104 : Guy Rottier, Abri gonflable et flottant « main », 1979-90.

comme me l’expliquait Nouha Babay100, un sens qui dépasse la lecture première, simplement visuelle ; dans le cas l’Abri main (fig.104), la structure gonflable mise en œuvre remplit certes sa fonction de couverture mais allant plus loin encore dans sa symbolique. Cette main découlant d’un moulage de la main de sa propre fille, Odette, représente à la fois protection et l’assurance d’être couvé par le membre d’un être cher. Le corps humain peut-être utilisé comme modèle constructif, être utilisé pour ériger la matière et générer des espaces comme le projet Colosse 2015 propose de le faire, en définissant les jambes du Colosse pour répartir les charges jusqu’au sol. Dans leur projet, la cape

100. Propos recueillis lors d’échanges de courriels avec Nouha Babay, architecte d’intérieur de formation et historienne de l’art ayant menée un mémoire sur la vie et l’œuvre de Guy Rottier, mai 2017.


fig.105 : Études pour la Cité des arts et des sciences, Valence, Espagne, 2005.

fig.106 : Études pour la tour de Télécommunication, Barcelone, Espagne, 1992.

fig.108 : Rytis Daukantas et Sacha Sosno, La paille dans l’œil du voisin, 2011.

fig.107 : Études pour l’aéroport Barajas de Madrid, Espagne, 1997.

fig.109 : Rytis Daukantas et Sacha Sosno, Au-delà des blocs, 2012.

fig.110 : Georges Margarita et Sacha Sosno, Hôtel Elysée Palace, 1988.


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du Colosse a également une fonction structurelle pour ne pas que la triste histoire du colosse originel ne se reproduise. On peut également prendre l’exemple de l’architecte et ingénieur Santiago Calatrava qui va puiser dans le fonctionnement du corps et particulièrement sa statique pour générer des formes architecturales inspirées mais non littérales, qui place le corps humain au centre de la création à l’image du Turning Torso vu préalablement (fig.39). Ses croquis préparatoires permettent vraiment de saisir la part anthropomorphe de ses œuvres (fig.105-107). Dans son numéro intitulé Vers une Architecture en résonance avec le corps humain, l’association d’architecture organique donne une définition pertinente de notre rapport à l’architecture : Comme l’outil est le prolongement de la main pour augmenter sa force, sa précision ou son habileté, l’architecture étend l’espace interne, espace à la fois physique, culturel et symbolique. Lorsque l’espace construit apporte au corps et à l’âme contraintes, nuisances, rigidité, et porte atteinte à l’intégrité de l’être humain, alors c’est la fonction première de l’architecture qui n’est plus assurée, celle de satisfaire aux besoins fondamentaux, physiques, psychiques et spirituels de protection, de projection, de perception et de relation aux autres101. Lors de mon échange de courriels avec Rytis Daukantas, je lui ai demandé si, pour lui, il existe une idéologie sous-jacente au fait d’habiter des espaces dont la forme générale est littéralement une tête (fig.108), un corps (fig.109-110) ou une de ses parties, s’il y a une signification à travers cela ; il me répondit : « Si tu imagines en quelque sorte que nous sommes tous emprisonnés, condamnés à vivre dans nos corps, ça prend tout son sens102 ».

101. IMFA France, « L’architecture expression vivante du corps humain » tiré des Cahiers d’, numéro 2 : « Vers une Architecture en résonance avec le corps humain », 2005, http:// www.vivarchi.com/spip.php?article7 102. Échanges de courriels avec Rytis Daukantas, architecte associé de Sacha Sosno sur de nombreux projets dans le sud de la France, mars 2017.


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2.3 DÉSACRALISATION DE L’ESPACE ET DE SES FORMES

2.3.1 Le Postmodernisme annonce l’anthropomorphisme Avec la mort de tous les grands noms du mouvement d’architecture moderne aux alentours de la fin des années 60, Le Corbusier, Mies Van Der Rohe, Walter Gropius, Richard Neutra, l’occasion de remettre en question le dogme perpétré depuis le début du XXème siècle se fait alors ressentir, un dépouillement architectural qui faisait sa qualité va finalement se révéler ennuyeux103 et la nouvelle génération d’architectes va alors se tourner vers de nouveaux signes, de nouveaux symboles pour se rapprocher de l’architecture et en finir avec ses concepts modernes déshumanisés et élitistes. En réaction donc à cette fadeur, au jansénisme de la production architecturale qu’avaient dessiné les modernistes sur le paysage construit au milieu du XXème siècle, de nombreux architectes se sont exprimés avec sans conteste l’architecte Robert Venturi en première ligne, dont l’influence a été considérable dans les années 1970, déclare en s’adressant aux acteurs du modernisme ; qu’à l’évidence de l’unité il préfère le désordre de la vie104. On peut encore citer Charles Jencks, sans trop savoir s’il parle d’architecture, ou s’il parle de l’apparence et la beauté intérieure d’une personne avec qui il pourrait partager sa vie , il donne alors une voix à l’architecture : « Je préfère être intéressant que bon, je préfère le caractère à la beauté105 ». On pourrait volontiers prolonger son propos et avancer le fait qu’après cette période moderne, architecturalement coercitive, l’architecture post-moderne cherche surtout à faire l’intéressante.

103. En référence aux deux maximes architecturales qui se sont répondues à partir du milieu du XXème siècle, «Less is more» de Mies Van Der Rohe en 1947 et «Less is a bore» de Robert Venturi en 1966. 104. MELANÇON Joseph. Les métaphores de la culture. Sainte-Foy (Canada) : Les Presses de l’Université Laval, 1992, p.122. 105. JENCKS Charles. Architecture bizarre, Londres, Paris : Academy editions, 1979, p.10.


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L’apparition de l’esthétique postmoderne ayant conforté la libération de la forme, et par la même l’utilisation de formes anthropomorphiques dans la construction, ne peut se comprendre qu’au regard du procès adressé à la période moderne et à son idéologie aliénante. « Je suis intéressé par la figure humaine en architecture. Je trouve l’architecture un peu ennuyeuse de nos jours. Je suis assez nostalgique de la période pré-Post-modernisme, à comprendre par la période Art Déco où l’architecture et la sculpture ne faisait qu’un106 ». Rytis Daukantas, 2017 On observe une analogie entre l’architecture postmoderne et le maniérisme apparue à la Renaissance107 : les deux tendances se sont constituées comme inversion et modification partielles du langage architectural auquel il succède. Le postmodernisme peut donc véhiculer son caractère original, son genre novateur mais, à la différence de l’avant-garde, il rompt avec la notion d’innovation à tout prix ou de révolution incessante. Pour Charles Jencks, il existe deux causes responsables de cette crise architecturale du milieu de siècle : la façon dont le mouvement moderne a appauvri le langage architectural au niveau de la forme ; et l’appauvrissement qu’il a lui-même subi au niveau du contenu, c’està-dire de sa finalité sociale108. On remarque une grande similitude entre des architectures qui n’ont programmatiquement rien en commun. Les auteurs du livre Learning from Las Vegas diront à propos du couvent de la Tourette et du centre commercial Neiman-Marcus, qu’ils se ressemblent de manière troublante : « Cette série de bâtiments, de la Bourgogne au Texas, illustre la tendance moderne à glorifier l’originalité en la copiant109 ».

106. Propos recueillis lors d’échanges de courriels avec Rytis Daukantas, architecte associé de Sacha Sosno sur de nombreux projets dans le sud de la France, mars 2017. 107. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.6. 108. Ibid, p.15. 109. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven. Learning from Las Vegas. Cambridge : MIT Press, 1972, p.145.


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Effectivement, Norberg-Schulz et beaucoup d’autres comme lui ont voulu réagir contre l’appauvrissement auquel conduisait l’architecture fonctionnaliste, connue sous le nom de « style international » et soudainement devenue une bête noire dans les années 1960. On lui reprochait d’être sans rapport avec la vie humaine, d’être incompatible avec le milieu bâti, de détruire la ville, d’être une grande consommatrice d’espace et d’énergie. En un mot, on lui reprochait de ne pas tenir compte des données naturelles et surtout des données culturelles, d’être une architecture déracinée ou qui n’a pas de racines110. L’architecture moderne a été tout, sauf tolérante : les architectes ont préféré transformer l’environnement plutôt que de mettre en valeur ce qui existait déjà. Le Corbusier, Mies Van Der Rohe... Les architectes modernes travaillent en se servant d’analogies, de symboles, d’images ; tel que le silos à grains, le paquebot, la machine de manière générale111. Il semble alors évident que ces symboles, genèse des projets modernistes pendant des décennies finirent par s’essouffler. L’homme a ce désir ancré et naturel de croire en des choses plus palpables, moins déconnectées de sa réalité. En réponse à la question de Guy Rottier qui demandait en 2008 à Ben Vautier s’il savait expliquer pourquoi le seul domaine qui soit en retard soit la maison de l’homme ? À quoi il répondit : « C’est parce que l’individu décide de sa maison qu’il n’a pas envie d’avant-garde, d’être moderne, d’un nouveau qui ne vienne pas de lui : il veut pouvoir retrouver ses chaussons, ses tiroirs, etc.112 ». Ben Vautier L’architecture postmoderne parle aux architectes représentant cette minorité concernée par des significations spécifiquement architec-

110. MELANÇON Joseph. Les métaphores de la culture. Sainte-Foy (Canada) : Les Presses de l’Université Laval, 1992, p.122. 111. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven. Learning from Las Vegas. Cambridge : MIT Press, 1972, p.17. 112. WILLEMIN Véronique et ROTTIER Guy. Guy Rottier : arTchitecte. Paris : Alternatives, 2008, p.71.


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turales ainsi qu’au public en général, aux occupants du lieu, dont les préoccupations sont la construction traditionnelle, le mode de vie. C’est à travers la métaphore de l’être vivant que Charles Jencks parle des dernières minutes du quartier de Pruitt-Igoe de Minoru Yamasaki qui devait « engendrer le bon contenu grâce à la bonne forme, ou du moins la bonne conduite ; l’organisation intelligente de l’espace abstrait devait encourager les comportements sains ». Il rajoute qu’ « à la différence des humains, pour lesquels le décès légal tend à devenir une affaire très complexe d’ondes cérébrales et de pulsations cardiaques, l’architecture moderne s’est éteinte dans un grand boum113 ». Pour lui, le postmodernisme est né à ce moment là, le 15 juillet 1972 à 15 heures 32 pour être précis. Alors que Loos quelques années auparavant, pensait que l’architecture ne pouvait être conçue que comme un prolongement de la nature, c’est-à-dire, comme un objet dont les qualités visuelles auraient semblé dériver entièrement des fonctions physiques qu’elles accomplissaient, à la manière d’un arbre ou du corps d’un animal. Le mouvement postmoderne, quant à lui, voulu mettre à plat ce genre d’aspirations et théories. L’architecture moderne récente a abouti au formalisme tout en rejetant la forme, a promu l’expressionnisme en ignorant l’ornement, et a défié l’espace en rejetant les symboles114. Pour ces architectes succédant au modernisme et désireux de faire évoluer cet art, il est nécessaire que l’architecture soit chargée de signes, de symboles, qu’elle ait quelque chose à communiquer et surtout qu’elle induise une réaction du spectateur partageant probablement ce que disait Cyrano de Bergerac, « c’est encore plus beau lorsque c’est inutile115 ». C’est donc à l’avènement du postmodernisme que l’on s’est intéressé de nouveau au langage du passé qui composait l’architecture, en tâchant de réinterpréter ses symboles, les signes d’anthropomorphisme sont alors réapparus ne suivant aucune règle stylistique établie, si ce n’est celle de désacraliser les codes.

113. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.15. 114. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven. Learning from Las Vegas. Cambridge : MIT Press, 1972, p.155. 115. WILLEMIN Véronique et ROTTIER Guy. Guy Rottier : arTchitecte. Paris : Alternatives, 2008, p.11.


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Comme représentations symboliques de l’ère antique, les cariatides et les atlantes ont été réinterrogées par les architectes postmodernes qui l’ont fait de manière plus ou moins subtile. On peut prendre les exemples du théâtre de Zurich dont la représentation anthropomorphe sur les poteaux de la façade, est à mi-chemin entre le pilastre et le galbe figuratif d’une femme (fig.111), l’intégration de corps humains figuratifs dans le travail de Manuel Núñez Yanowsky avec le commissariat du 12ème arrondissement de Paris (fig.112), ou encore les caryatides de Guyancourt (fig.113). Le collage d’Ico Parasi (fig.114) qui a imaginé dans les années 1980 une série de gratteciel fantasmés, dont celui d’un immeuble qui serait soutenu par quatre corps rachitiques en ses coins, des corps rappelant esthétiquement les sculptures de Giacometti. Ou encore le détournement très humoristique de Michael Graves (fig.115) à travers son siège pour Disney Land où soudain, la robustesse et la musculature des atlantes laissent place aux nains de Blanche-Neige donnant l’illusion de soutenir le bâtiment. L’humour, cette notion est peut-être la notion la plus importante à retenir du mouvement postmoderne. « On a définit « l’humour » comme « un accouplement d’idées inattendu », et plus le rapprochement est inattendu mais réussi, plus il frappera l’interlocuteur et s’inscrira dans son esprit116 ». Charles Jencks Bien qu’elles ne soient pas partagées par tous les architectes précédemment cités, ces notions, d’humour ainsi que de jeu, la question du ludique dans l’architecture vont guider la volonté intarissable de débrider une architecture qui était devenue sacrée mais stérile avec le temps moderne et ses doctrines. Travailler à ce que la rencontre entre une culture d’esthète et celle du peuple ait lieu est une partie louable du rôle de l’architecte ; cela fournit des armes telles que celle de la subversion morale par l’ironie, ou celle de l’utilisation de la plaisanterie pour aboutir à ce

116. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.4.


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fig.111 : Ortner & Ortner Baukunst, Sulzer-Escher-Wyss site, façade de Palais de Justice, Zurich, 2000.

fig.112 : Manuel Núñez Yanowsky et Miriam Teitelbaum, Commissariat du 12ème arrondissement, Paris, 1991.

fig.114 : Ico Parisi, Grattacieli, 1986.

fig.115 : Michael Graves, The Walt Disney Company, Burbank, 1985.

fig.113 : Manuel Núñez Yanowsky, les caryatides, Guyancourt, 1992.


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qui est sérieux, aux artistes non autoritaires dans des situations sociales qui ne leur conviennent pas. L’architecte devient bouffon117. Robert Venturi étoffe son propos de la plus belle des manières pour justifier l’ajout d’humour dans le message de l’architecture : « Il se peut que l’ironie soit l’outil ajusté pour confronter et combiner les valeurs divergentes dans l’architecture d’une société pluraliste et pour concilier les différences de valeurs qui séparent les architectes de leurs clients. Les classe sociales se rencontrent rarement, mais si elles arrivaient à former des alliances temporaires pour la conception et la construction d’une architecture communautaire à valeurs multiples, le besoin d’un peu d’ironie, d’esprit et un sens du paradoxe se ferait sentir de toutes parts118 ». En parlant des travaux de S.I.T.E et de son leader le sculpteur James Wines, Charles Jencks nous en dit plus sur ses motivations : « La première qualité de ces œuvres est de donner de l’humour à un genre de bâtiment qui n’en a jamais eu intentionnellement119 ». Faisant écho à cet humour grandissant dans l’architecture des années 70 et son goût pour un retour du figuratif, l’anthropomorphisme va alors atteindre son apogée avec la représentation des organes sexués, paroxysme de ce désir de subversion architecturale.

2.3.2 L’ironie postmoderne à travers les organes sexuels Dans cette ferveur profonde de déchoir les dogmes pré-établis, quoi de plus désacralisant que la figure des organes génitaux et du postérieur, figures inconvenantes, synonymes de signes impurs pour générer les formes architecturales. A cette tradition inavouée, nous pouvons attribuer l’apparition des formes sexuées à Claude Nicolas Ledoux, figure de lance de l’architecture parlante. Au XVIIIème siècle, en plein siècle des lumières et de l’évolution des pensées, il théorise une architecture qui aurait la forme de la fonction qu’elle recouvre, du message qu’elle prodigue.

117. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven. Learning from Las Vegas. Cambridge : MIT Press, 1972, p.167. 118. Ibid. 119. .JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.10.


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fig.116 : Claude-Nicolas Ledoux, Oikema, Maison du plaisir, 1804.

Il était presque inévitable que l’architecture parlante rencontrât le phallus dans sa course, car il est le signe par excellence, comme le reconnaissait J.-A. Dulaure dans son livre sur le culte phallique publié un an après l’Architecture : « Il faut l’avouer ; malgré nos préventions, il serait difficile d’imaginer un signe qui fût plus simple, plus énergétique, et qui exprimât mieux la chose signifiée. Cette convenance parfaite assura son succès, et lui obtint un assentiment presque général120 ». Pour illustrer cela, nous pouvons nous pencher sur l’Oïkema, projet phare de Ledoux et qui porte indubitablement, le caractère de l’abus des plaisirs (fig.116). Ici, la figure du phallus s’inscrit en plan dans la moitié inférieure d’un cercle formant une galerie de laquelle sortent douze pavillons à deux étages où sont les cellules : l’ensemble contient un salon ovale (gland), un salon et deux antichambres (verge), une salle à manger et un buffet circulaires (couilles)121. Et pourtant comme le signale Anthony Vidler en 1990, « l’Oikéma ne révélait qu’en plan son vrai message », l’édifice porte en lui-même les ambivalences de la pudeur. L’impudeur triomphante de sa forme n’est visible qu’aux yeux d’un oiseau ou d’un dieu, ou d’un homme dans une montgolfière. De cette immersion, on ne voit rien, il faut

120. LEBENSZTEJN Jean-Claude. Transaction : (Fleurs de rêve II). Paris : Kargo, 2007, p.61. 121. Ibid.


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connaître le plan pour deviner l’image que recomposent ces murs, ces toits, ce fronton, ces colonnes. Un peu à la manière du projet de Monika Kalpakidis vu précédemment (fig.10), qui nécessite une connaissance du plan pour y ressentir sa symbolique lors de sa déambulation. La Saline de Chaux renferme aujourd’hui une maquette au centième de l’Oïkema : le visiteur, sans jamais accéder à la perpendicularité qui recompose le phallus, nous survolons son dehors, faisant au gré du point de vue apparaître ou disparaître la Forme122. Il aura fallu attendre près de deux siècles et un nouveau décloisonnement de la pensée avec les postmodernes pour voir la figure du sexe resurgir cette fois arborant une toute autre plasticité, une volumétrie sculpturale appréciable au-delà du plan. Le cas de Ricardo Porro dans les années 1960 peut être pris en tant que préambule remarquable de cette tendance ; c’est l’un des rares architectes a avoir affirmé son affiliation à l’anthropomorphisme dans son architecture, de nombreuses connotations aux organes génitaux123. Il s’amuse à jouer avec des détails que l’on ne comprend uniquement grâce à une lecture métaphysique ou grâce aux explications offertes par Günther Feuerstein qui nous apprend que dans ses projets, Ricardo Porro, arrange des formes circulaires afin de faire référence à une poitrine féminine ou aux attributs masculins, dans ses jardins, les plantes sont traitées de manière à rappeler les poils pubiens, ou encore la mise en œuvre d’une fontaine selon les formes d’une papaye, renvoie indéniablement dans la culture cubaine comme dans beaucoup d’autres à l’appareil génitale féminin. Dans les années 1970, on peut regarder du côté des phénomènes sociétaux pour comprendre ce qui renouvelle la production architecturale. Effectivement, nous observons un gain de liberté important et, avec lui se met en place la révolution sexuelle faisant tomber de nombreux tabous, libérant les pratiques et les images. Ayant peu souvent été mis en parallèle avec l’architecture, on peut néanmoins avancer du fait que l’architecture soit le reflet de la société à une

122. LEBENSZTEJN Jean-Claude. Transaction : (Fleurs de rêve II). Paris : Kargo, 2007, p.61. 123. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.95.


fig.117 : Stanley Tigerman, Daisy House, Indiana, 1976-77.

époque donnée ou bien d’une société idéalisée. Cette émancipation des corps a sans nul doute libéré par là même, les formes architecturales et accéléré son application dans l’environnement bâti. Stanley Tigerman a fait de l’emploi des métaphores explicites une véritable pratique architecturale on lui doit : « l’Animal Cracker House », la « Hot Dog House », les appartements Zipper (fermeture Eclair), et là encore un édifice en forme de phallus baptisé par euphémisme « Daisy House » (fig.117). Ici la justification émanait du client, qui avait vu la Maison Hot Dog et voulait lui aussi quelque chose de visuellement comestible. Diverses raisons d’ordre lubrique ont conduit au choix de la forme définitive, la plus avouable étant sans doute que Tigerman voulait faire rire son client124. Quoi qu’il en soit, le phénomène significatif n’est pas tant pour nous de savoir si les simulacres de Tigerman ou de Takeyama sont justifiables en dernière analyse, mais plutôt que ces architectes, à la différence de leurs homologues modernes, aient ressenti la nécessité de recourir à l’expression métaphorique. Les résultats peuvent être crus et à l’occasion risibles, mais il reste que l’architecte a volontairement utilisé ce mode de discours, jusque-là limité au seul secteur commercial avec ses beignets et ses hot dogs géants ; ces édifices ne sont donc pas les métaphores ratées des barbarismes modernistes, mais les métaphores excessives du post-modernisme à ses débuts125.

124. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.115. 125. Ibid.


fig.118 : Minoru Takeyama, Hôtel Beverly Tom, Hokkaido, 1973-74.

Récemment, les architectes postmodernes ont commencé à employer la métaphore et la métaphysique anthropomorphique d’une façon directe et parfois vulgaire, en transformant l’image en une « similitude » explicite. Ainsi le Beverly Tom Hotel de Minoru Takeyama, 1974, a la forme du symbole shintoïste du « tenri », c’est-à-dire du phallus, symbole répété dans tout le détail de l’hôtel, et jusqu’aux cendriers (fig.118). Au nom de quelle métaphysique cette métaphore se justifie-t-elle ? Il est clair que la forme verticale peut avoir conduit à ce symbole, et que les hôtels sont au sens banal des antichambres du pouvoir ; mais aucune rationalisation ne peut suffire à expliquer le phallus, qui semble être l’affirmation abstraite de la puissance primitive dans le paysage industriel. Mais là encore, pourquoi cet hôtel comme phallus ? Il n’est pas l’équivalent d’un dolmen, de la colonne de Vendôme, d’un obélisque ou d’une flèche d’église : la fonction de l’édifice ne peut pas supposer ici un contenu aussi fort126.

126. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.114.


fig.119 : Hans Hollein, Sketches of Skyscrapers, 1958.

On peut se tenter à une explication concernant la teneur métaphorique du phallus quand nous voyons les croquis de Hans Hollein pour la conception d’un gratte-ciel (fig.119) ; un phallus faisant ici face à un poing tendu bien haut, synonyme à des valeurs de dignité et de puissance, si on se réfère au geste qu’avaient fait Tommie Smith et John Carlos en guise de protestation contre la ségrégation de la communauté noire, lors des Jeux Olympiques de 1968. Dans le cas des croquis de Hans Hollein on peut en déduire que toutes formes verticales peuvent être assimilées à une forme de défiance et de domination, ce qui peut être attribué au symbole du phallus. Cette tradition populaire qui voudrait assimiler l’architecture à des formes phalliques a trouvé écho dans une importante médiatisation à l’aube des années 2000. En effet, le journal académique et néanmoins très respectable Cabinet Magazine, a tenu un concours mondial visant à élire la structure architecturale évoquant le plus littéralement la figure de la verge. Le bâtiment vainqueur fut un


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Désacralisation de l’espace et de ses formes

château d’eau à Ypsilanti, au Michigan, surnommé par les locaux le « Brick Dick » (fig.120). Cette construction ne suggère pas uniquement la forme phallique, due à son aspect cylindrique couronné par un attique au diamètre plus grand, elle est également évocatrice de par son programme ; la structure se remplit de liquide et se vide quotidiennement127. De ces affiliations historiques, Guy Rottier était un grand admirateur de la pensée de Ledoux et de son application à travers ses architectures. Dans son ouvrage arTchitecte, avec un grand T, Guy Rottier convoque toutes les personnes marquantes qui ont influencé sa pratique de l’architecture, et au risque de faire un anachronisme, Guy Rottier imaginera une conversation fictive avec Ledoux. Guy Rottier n’a pas vraiment abordé la nudité dans ses œuvres mis à part quelques rêveries comme avec le Design Cadran solaire pour le Jardin Albert Ier à Nice dessiné en 1983 alors qu’il était toujours reculé au Maroc : le cadran indique l’heure grâce à la course du soleil. Il a réellement réalisé l’expérience en se servant de Odette Rottier comme modèle. Il a calculé l’ensoleillement et l’ombre solaire pour faire son dessin128. Cela étant il a été grandement influencé par la liberté d’action des artistes du groupe des Conspiratifs dans le sud de la France, et fortement par l’humour corrosif de Jean-Marc Reiser, célèbre dessinateur connu entre autres pour l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo. Dans la deuxième partie de sa vie, Guy Rottier se détachera de son héritage moderne inculqué par Le Corbusier, pour tracer sa propre voie en s’employant à réaliser des architectures somme toute fonctionnelles, mais avec un fort pouvoir expressif. Il concevra la maison des enracinés en 1978 avec son fils Yves Rottier, lui-même membre du groupe des conspiratifs et orienté vers l’art, la peinture et le design. Au premier abord on distingue que cette maison représente l’entrejambe d’une femme, son sexe définissant l’une des façades et, son postérieur la toiture (fig.121).

127. WILLIAMS Richard J. Sex and buildings : modern architecture and the sexual revolution. Londres : Reaktion books, 2013, p.88. 128. Propos recueillis lors d’échanges de courriels avec Nouha Babay, architecte d’intérieur de formation et historienne de l’art ayant menée un mémoire sur la vie et l’œuvre de Guy Rottier, mai 2017.


fig.120 : William R. Coats, le château d’eau « Brick Dick », Ypsilanti, Michigan, 1889-90.

fig.121 : Guy Rottier, Maison des enracinés, maison C.U.L.,1978.


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Désacralisation de l’espace et de ses formes

Pour cette maison des enracinés, l’influence est certainement a cherché du côté du projet de Yves Klein, un des fondateurs du nouveau réalisme avec Arman. L’œuvre dont est inspiré le projet est La Vénus d'Alexandrie (Vénus Bleue), elle-même conçue en 1962 et réalisée en 1982, qui est aujourd’hui exposée au MAMAC de Nice (fig.122). À travers cette partie de la figure féminine, Guy Rottier convoque l’idée de l’architecture parlante et l’influence des artistes de l’école de Nice et du nouveau réalisme129.

129. Propos recueillis lors d’échanges de courriels avec Nouha Babay, architecte d’intérieur de formation et historienne de l’art ayant menée un mémoire sur la vie et l’œuvre de Guy Rottier, mai 2017.

fig.122 : Yves Klein, la Vénus d’Alexandrie (Vénus Bleue), Nice, 1982.



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2.4 ENTRE IDENTITÉ DOMESTIQUE ET COMMERCIALE

2.4.1 L’anthropomorphisme, formalisation de l’identité Au cours de cette partie, nous verrons comment l’architecture anthropomorphe peut être mis en œuvre pour donner à l’architecture une qualité propre, la personnaliser pour qu’elle soit à l’image de celui qui l’habite. Cela nous renvoie à la notion du genre. Comme vu tout au long de ce mémoire, nous pouvons considérer les Grecs comme à l’origine de toute théorisation de l’architecture, et ceux-là même ont commencé par donner des genres aux colonnes, le dorique à valeur masculine, l’ordre ionique pour la femme et enfin le corinthien pour représenter une jeune fille, vierge. L’atlante apparaît et constitue la version masculine de la cariatide. Ainsi les temples furent les premières architectures à se parer d’un genre en fonction des divinités auxquelles ils étaient érigés. Découlant de l’esthétique des colonnes, on peut faire la distinction entre les genres féminins et masculin, l’un représente la grâce, la délicatesse, l’autre représente la construction, la hardiesse, montre les efforts130. Au XVIIIème siècle, Jacques-François Blondel superposa le profil du visage d’un homme avec la section d’un chapiteau (fig.38-40) pour marquer l’analogie. Si Blondel tente de retranscrire les traits masculins sur l’architecture, indéniablement, on peut affirmer qu’il s’affaire à donner un genre à ses constructions. Cette théorie du genre en architecture sera prolongée par le mouvement postmoderne plusieurs siècles après, quand ces derniers se tourneront vers le passé pour ancrer leurs créations. Le véritable ambassadeur de ce courant Charles Jencks, relayera, dans

130. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.35.


L’ architecture anthropomorphique, entre figuration et symbolique

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son ouvrage The language of post-modern architecture, les schémas élaborés par l’architecte britannique John Nash au début du XIXème siècle (fig.123-125). Ils ont pour ambition de permettre d’imaginer la manière dont nous pouvons apprécier le genre d’une architecture, en fonction de nombreux axes, l’architecture peut être plus ou moins féminine en fonction du matériau utilisé, l’ordre architectural mis en œuvre ou encore le style architectural convoqué.

fig.123 : John Nash, Cinq styles, XVIIIème siècle.

fig.124 : John Nash, Trois ordres, XVIIIème siècle.

fig.125 : John Nash, Quatre systèmes de bâtiments, XVIIIème siècle. fig.113-116 : Yves Klein, la Vénus d’Alexandrie (Vénus Bleue), Nice, 1982.


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Entre identité domestique et commerciale

Ce qui nous invite alors à nous demander avec Günther Feuerstein, si l’architecture est capable de représenter les genres, alors l’imagination de la plausible création d’un mélange, d’une architecture androgyne est possible131. Ce regard tourné vers la présence du genre à la période antique, nous amène à nous interroger sur les signes dans l’architecture et particulièrement comment les signes anthropomorphiques se mettent en place. On peut concéder à l’architecture parlante, l’introduction des signes, des formes littérales dans l’univers de la construction théorisée par les achitectes qu’Emil Kaufmann a regroupés sous l’appellation un peu vague de révolutionnaires ; tels que Charles Ribart, Claude Nicolas Ledoux, Etienne Boullée ou encore Jean-Sébastien Lequeu. « Ledoux était partisan de ce qu’on a appelé depuis l’architecture parlante ; il croyait avoir trouvé une merveille en faisant la maison d’un vigneron en forme de tonneau132 ». Jean-Claude Lebenzstejn, 2007 Pérouse de Montclos, en 1969, associait l’architecture parlante et l’architecture édifiante ; chez Boulée et Ledoux, elles sont, en effet, une seule et même chose. C’est parce qu’elle est poésie et langage que l’architecture peut s’adresser aux âmes et régénérer le monde. Les formes simples sont les lettres des mots de ce langage : « Le cercle, le carré, voilà les lettres alphabétiques que les auteurs emploient dans la texture des meilleurs ouvrages. On en fait des poëmes épiques, des élégies ; on chante les dieux, on célèbre les bergers ; on élève les temples à la Valeur, à la Force, à la Volupté ; on construit des maisons, et les édifices les plus ignorés de l’ordre social133 ».

131. FEUERSTEIN Günther. Biomorphic architecture : human and animal forms in architecture. Stuttgart : Axel Menges, 2002, p.63. 132. LEBENSZTEJN Jean-Claude. Transaction : (Fleurs de rêve II). Paris : Kargo, 2007, p.52. 133. Ibid, p.53.


129 fig.126 : J.C. Loudon, Comment habiller un cottage utilitaire, l’Encyclopeadia de Loudon, 1834.


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Entre identité domestique et commerciale

Au XIXème siècle, à l’époque du « revivalisme » architectural, il existait une doctrine relativement cohérente en matière de sémantique, qui expliquait quel style employer en fonction du type d’édifice à réaliser. L’ordre dorique convenait à une banque, etc.. à l’image de J.C. Loudon (fig.126), qui proposa une théorie de « l’associationisme », fondée sur la notion « d’association d’idées » et alla même jusqu’à dire, que chaque maison devrait exprimer dans son allure le caractère et le rôle de son propriétaire. Nous allons maintenant nous intéresser aux signes de la maison individuelle quand elle tend à ne plus simplement représenter symboliquement son occupant, mais qu’elle devient clairement le faciès de celui qui l’occupe, une mise en volume de sa tête. On a constaté que de tous temps, la maison est pensée comme le reflet de celui qui l’habite, c’est « un bâtiment qui est conçu, habituellement, comme un refuge stable parmi le brouhaha de l’activité humaine134 », ou selon Frank Lloyd Wright un « vaste refuge, ouvert », en effet Christian Norberg-Schulz ajoute à ça ; « l’Habitat [...] il signifie être soi-même, c’est-à-dire choisir son petit monde personnel. La maison a toujours été cette retraite privée où pouvait se développer la personnalité135 ». « L’âme humaine a besoin de s’approprier un espace qui soit comme le prolongement d’ellemême et du corps ». Simone Weil Christian Norberg Schulz disait que le fait d’ « Habiter, dans un sens qualificatif, est une caractéristique fondamentale de l’homme. C’est avant tout à travers l’identification avec un lieu que la vie se voue à un type d’existence particulier ». Et l’art de construire des bâtiments induit directement notre rapport au monde, notre ancrage : « On parvient à l’orientation et à l’identification à travers l’espace organisé et la forme construite, c’est-à-dire au moyen de l’architecture136 ».

134. ARNHEIM Rudolf. Dynamique de la forme architecturale. architecture + recherche : pierre Mardaga, 1977, traduit de l’américain, p.216. 135. NORBERG-SCHULZ Christian, Habiter, vers une architecture figurative. Paris : Electa Moniteur, 1985, p.7. 136. Ibid.


L’ architecture anthropomorphique, entre figuration et symbolique

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La modernité d’une certaine manière a bafoué le caractère individuel des habitants et sa nécessité innée de pouvoir modifier son environnement, ou tout du moins de rentrer en dialogue avec lui suivant le même langage. On peut néanmoins reconnaître que le contexte ayant suivi la seconde guerre mondiale n’a pas facilité une production architecturale attentive mais a cherché davantage à répondre à la forte demande de logements. Il est vrai que dans le contexte de la construction à grande échelle, l’architecte ne pouvait plus prétendre être la mère de l’édifice, comme pensait Le Filarète au XVème siècle137. De ce passé moderniste, nous pouvons de nos jours en tirer un constat passable. La standardisation du mode d’habiter et la tentative de réduction de l’humain à un homme de série a présenté des limites. À cette époque, il n’était évidemment plus question de donner un visage à cet homme, ni de donner une physionomie à cette architecture qui cherchait une abstraction « puriste138 ». En revanche le Modulor, élaboré entre 1943 et 1950, constituait une volonté de lui donner un corps. Destiné à régner par le standard sur toutes les cotes du bâti, cet homme sans visage interposait sa silhouette entre l’architecte et l’habitant mais il s’avéra que la production selon ce principe ne faisait que cacher les maux de la société pour en créer de nouveaux. Dès la naissance nous apprenons à identifier les signes culturels qui font de chaque lieu urbain un espace propre à un groupe social, à une classe économique, aux individus historiques réels, alors que les architectes modernes passent leur temps à désapprendre tous ces signes distinctifs en tentant de créer pour l’homme universel, ou pour l’Homme Moderne Mythique. Bien entendu, ce monstre n’existe pas, sinon comme fiction historique - invention des romanciers modernes, des sociologues et des planificateurs idéalistes. Mr Double-M est sans nul doute une nécessité pour les architectes et tous ceux qui veulent généraliser une moyenne statistique139.

137. BARIDON Laurent et GUÉDRON Martial. Corps et arts : physionomies et physiologies dans les arts visuels. Paris : L’Harmattan, 1999, p.219. 138. Ibid, p.218. 139. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.26.


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Entre identité domestique et commerciale

Pour illustrer cette déraison de vouloir cantonner l’homme à une figure unique, le contrepoids a intelligemment été imaginé par l’architecte Thomas Carpentier. Pour son diplôme de fin d’étude, il a pris le contre-pied de l’homme universel en détournant les représentations visibles, notamment dans Les éléments de projets de construction écrit par Ernst Neufert qui prétend recenser toutes les mesures nécessaires et standards de l’architecture. À cela Thomas Carpentier a dessiné une architecture qui serait fondée et donc adaptée aux corps non standardisables, singuliers, difformes et marginaux, écartés par le système de mesure généralisé (fig.127). Alors qu’en fait l’homme moderne n’existe pas et si par hasard il existait, il aspirerait à des signes sociaux réalistes, des signes exprimant le statut, l’histoire, l’échange, le confort, le domaine ethnique, des signes montrant qu’on est un bon voisin140. La postmodernité a permis de faire naître un retour à l’individualité, on ne veut plus être considéré comme faisant partie d’un groupe mais comme animé par une personnalité propre et singulière et cela se reflète dans l’architecture : « L’individualisme qui régit notre société préfère mettre l’accent sur les « noms propres », c’est-à-dire souligner le caractère unique et destructif des bâtiments particuliers par rapport à leurs voisins141 ». Rudolf Arnheim rajoute à cela le constat suivant ; « en traversant une ville, nous voyons se refléter des modes de vie [...] déterminés et puissants, d’autres confus et insignifiants...142 ». Si les différences économiques sont indéniables, les différences de goût en sont tout aussi proportionnellement. Chacun a besoin de s’approprier un espace, le faire sien, de l’ornementer pour ainsi dire et enfin extérioriser sa façon d’être, se rappeler à soi-même le jeu et la futilité de l’existence. « On commença à ressentir le manque d’images et le besoin de formes significatives ». Christian Norberg-Schulz

140. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.26. 141. ARNHEIM Rudolf. Dynamique de la forme architecturale. architecture + recherche : pierre Mardaga, 1977, traduit de l’américain, p.205. 142. Ibid, p.216.


fig.127 : Thomas Carpentier, Les mesures de l’homme : Données supplémentaires pour les architectes, Paris, 2011.

En d’autres termes, l’ornementation, la notion de signes et par extension de formes est variable d‘un individu à l’autre mais pourtant profondément nécessaire pour donner un sens aux choses, de l’importance ou du détachement. De nos jours, dit Coomaraswamy, si le juge par exemple n’agit en tant que tel que lorsqu’il porte sa tunique, si le maire est investi de son pouvoir par son collier, le roi par sa couronne, si le pape n’est infaillible et vraiment pontifical que lorsqu’il parle ex cathedra « du siège papal », aucun de ces attributs ne sont de simples décorations143. Coomaraswamy fait également remarquer que l’on appelle charmant ce qui exerce un charme, un pouvoir magique et que le mot cosmétique est dérivé de cosmos et désigne ce qui est nécessaire à une organisation adéquate144. Ce qui a donc été déformé par nos cultures comme étant une surcouche masquant la vérité de la chose peut s’avérer en fait, être la chose elle-même. L’ornementation serait une application de la recherche de bienêtre, tout comme le caractère indispensable de l’isolation pour une maison afin d’en assurer le confort thermique. Tout au long de son ouvrage sur la valeur de « l’Habiter », Christian Norberg-Schulz nous apprend notre rapport complexe à l’habita-

143. ARNHEIM Rudolf. Dynamique de la forme architecturale. architecture + recherche : pierre Mardaga, 1977, traduit de l’américain, p.247. 144. Ibid.


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Entre identité domestique et commerciale

tion et ce qu’il témoigne de ce que nous sommes : « Les moyens architectoniques employés pour que l’être-dans-le-monde de l’homme devienne un fait accompli sont en général l’incarnation et l’admission ou pour utiliser des termes architecturaux, la forme construite et l’espace organisé145 ». À travers l’anthropomorphisation des formes architecturales, l’individu habitant le lieu acquiert une certaine identification à ce dernier, l’identification signifie aussi l’appropriation d’un monde à travers la compréhension146. Bien que le monde soit donné de manière immédiate, pour être compris il doit être interprété ; c’est pourquoi l’homme, pour se sentir à son aise - « chez lui » - dans le monde dont, au demeurant, il fait partie, doit «humaniser» ce qui lui appartient. Dans ce prolongement du désir de donner un caractère humain à l’architecture, Alain de Botton affirme dans son livre, après avoir appliqué la même théorie d’affection aux objets ou aux typographies, « Ce que nous cherchons dans une œuvre architecturale n’est finalement pas si éloigné de ce que nous cherchons chez un ami147 » Guy Rottier transformera littéralement ce point de vue en réalité en dessinant des maisons-solaires pour ces amis artistes et architectes du groupe sudiste des Conspiratifs (fig.128). Alberti définissait la beauté comme « l’harmonie de toutes les parties quel que soit le sujet ». Là où les représentations de Guy Rottier diffèrent avec l’héritage antique par exemple ; mettre en avant le visage du personne qu’il considère comme importante à ses yeux, lui rendre hommage, le sublimer par le fait d’ériger une architecture à son image et non pas selon un hypothétique canon de beauté. Le fait que Guy Rottier dispose ses maisons-têtes dans un contexte urbain en reniant la citation d’Alberti qui disait que « Les ornements de la maison en ville doivent être beaucoup plus austères que ceux de la maison de campagne où sont permis des embellissements plus légers et frivoles ». L’attitude de Rottier témoigne d’une grande liberté, plus proche de celle de l’artiste que de l’architecte qui pense aussi à la satisfaction de l’intérêt commun. Pour Rottier il n’y a pas de pudeur

145. NORBERG-SCHULZ Christian, Habiter, vers une architecture figurative. Paris : Electa Moniteur, 1985, p.7. 146. Ibid, p.17. 147. BOTTON Alain de. L’architecture du bonheur. Paris : Mercure de France , 2007, p.110.


L’ architecture anthropomorphique, entre figuration et symbolique

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fig.128 : Guy Rottier, La rue des Conspiratifs, 2006.

à avoir, l’architecture n’a que trop souffert de cette retenue formelle des puristes modernes et doit aujourd’hui se libérer, utiliser à bon escient les matériaux et les aspirations de notre époque. Elle doit, selon lui, s’inspirer de l’architecture parlante du XVIIIème siècle avec Ledoux et la revisiter, lui donner les formes de son temps sans pour autant mépriser la fonctionnalité ou la technicité. « L’architecture n’est pas seulement une construction, mais son plan et son aspect doivent contribuer à sa lecture148 ». Guy Rottier Bien qu’elles soient d’une très grande plasticité, les œuvres de Guy Rottier et particulièrement ses maisons-solaires (fig.129) sont, avant d’être un geste anthropomorphe, un prétexte de mise en œuvre de matériaux novateurs et d’une compréhension, d’une adaptation soucieuse de son environnement, de la nature. Si les maisons-solaires de Guy Rottier ne représentent pas parfaitement le visage de celui qui en est le modèle vient du fait que l’anthropomorphisme n’est pas pour lui un but en soi, c’est un moyen pour imiter le fonctionnement du corps humain. Ses maisons introduisent principalement une nouvelle façon de concevoir la fa-

148. WILLEMIN Véronique et ROTTIER Guy. Guy Rottier : arTchitecte. Paris : Alternatives, 2008, p.37.


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fig.129 : Guy Rottier, 4 maisons de lumière, 1982. fig.130-131 : Guy Rottier, Maison pour Ben, 1982.


L’ architecture anthropomorphique, entre figuration et symbolique

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çade, son enveloppe caméléon comme il la nomme ; les différentes couleurs et la technicité permettent le mouvement de panneaux et induisent une atmosphère toute particulière à l’intérieur de ces maisons. « Il dessine une maison sous forme de tête pour faire le lien entre justement l’intelligence de l’organique (de manière générale et l’homme en particulier) et l’usage des technologies futuristes149 ». Nouha Babay, 2017 Le caractère anthropomorphique est quant à lui secondaire et a pour vertu principale de faire part de son affection aux personnes qui l’entourent, auxquelles il tient, sa famille, ses amis. Il concevra ces maisons à la suite de son retrait de la scène architecturale française ; après avoir essuyé quelques échecs avec des projets qui n’ont pas abouti, il décide de s’exiler au Maroc quelques temps et c’est à cette période que son aspect théorique se développera. C’est en 1974 qu’il dessine sa première maison-solaire pour son ami et artiste Ben, il l’imaginera et la fera évoluer jusqu’en 1988 (fig.130-131) en contre-partie d’un tableau que ce dernier lui avait offert. Bien que tous ses projets et en particulier ses maisons à visage humain furent dessinées dans l’optique possible d’être construites, aucune ne verra le jour. Peu importe, l’importance pour Guy Rottier devient alors le fait d’exercer son arTchitecture en toute liberté. Dès les années 1960 il va porter un grand soin à ses amis dans sa manière de concevoir, il va chercher des gens avec qui travailler non pas pour mutualiser des compétences diverses mais pour réussir à se rassurer, à s’entourer de personnes lui apportant une confiance, véritable moteur à la création. Il portera donc indéfectiblement un regard bienveillant sur les personnes susceptibles d’habiter ses architectures, il concevra une maison pour son ami Antti Lovag (fig.132) et même quand le sujet n’est pas défini, l’apparence humaine est sous-jacente comme s’il plaçait l’anthropomorphisme comme opportunité de son époque, comme forme naturellement complexe que les matériaux contemporains permettent de mettre en œuvre. C’est le cas avec la maison pour un

149. Propos recueillis lors d’échanges de courriels avec Nouha Babay, architecte d’intérieur de formation et historienne de l’art ayant menée un mémoire sur la vie et l’œuvre de Guy Rottier, mai 2017.


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Entre identité domestique et commerciale

ancien président (fig.133) dont l’humour dans lequel il baigne se fait ressentir ou encore une partie de ses maisons enterrées et faites de terre, venant définir la silhouette (fig.134) ou le portrait (fig.135) d’une personne imaginaire. Cette forme humaine se répercutera également dans son projet d’immeuble de logements collectifs pour lequel des visages seront placés en façade pour venir arroser le logement de lumière, la main quant à elle recevra de la végétation visant à purifier et rafraîchir l’air (fig.136). à travers ces nouvelles formes architecturales on remarque l’habitant ou des personnes sans connotation religieuse, sans représentation du pouvoir sont mis en forme, l’homme ne cherche plus de modèles, il est devenu le modèle. Concernant ce thème de l’identification formelle du visage de celui qui habite l’architecture dans le travail de Guy Rottier, il est intéressant de lui opposer la vision architecturale d’Adolf Loos, quelques décennies auparavant. En effet la démarche de l’autrichien à l’ère prémoderne proposait une expérience à l’opposé de celle de Guy Rottier. Elle était dans une ornementation contenue, pour lui l’enveloppe du bâtiment ne doit pas être parlante, elle doit constituer un masque, une protection de l’identité de celui qui l’habite face à la ville, l’autre. On remarque assez rapidement que Loos ne traduit pas un désir de l’habitant, le client pour lequel il travaille, mais plutôt un de ses traits de personnalité. Ce masque, dont il pare ses bâtiments, Loos semble l’avoir porté luimême toute sa vie. Il déclare ainsi en 1910 : « On ne connait rien de moi. Mais c’est là que se montrent la force de mes idées et la justesse de mon enseignement. Moi que l’on ne publie pas, dont on ignore les travaux, je suis le seul, parmi des milliers d’architectes, à posséder une véritable influence150 ». En choisissant volontairement d’être toujours autrement, en ne se laissant jamais « photographier », c’est-à-dire « fixé » et réduit à un style, Loos a su entretenir sa différence, au prix parfois de son exclusion et de sa marginalisation dans l’histoire151.

150. LOOS Adolf. « Architecture » (1910), publié dans publié dans Paroles dans le vide – Malgré tout, éditions Ivrea, Paris, 1979, p.218. 151. GUENOUN Elias. Adolf loos fuit, article parue dans une revue turque dirigée par Süreyya Can Onaner.


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fig.132 : Guy Rottier, Maison pour son ami Antti Lovag, 1983.

fig.133 : Guy Rottier, Maison de vacances pour un ancien président de la République.

fig.134 : Guy Rottier, Maison enterrée « terrasses en eau», 1965-1972.

fig.135 : Guy Rottier, Maison enterrée « Terrasses en gazon », 1965-1978.

fig.136 : Guy Rottier, Immeuble avec blow-windows, 1984.


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Le masque sert donc toujours pour Loos à entretenir une différence. La façade silencieuse de son bâtiment à Vienne joue le rôle d’assumer et revendiquer la volatilité de l’homme moderne. On est en effet saisi en regardant son œuvre, aussi bien littéraire qu’architecturale de l’extraordinaire cohérence qui s’en dégage, cette cohérence toute entière contenue dans cette « poétique de la différence » évoquée par Benedetto Gravagnuolo. Tout n’est pas donc pas l’affaire du négatif. Loos ne détruit pas (seulement), il se dérobe, comme le sens lui-même échappe toujours au langage. Et dans sa fuite, laisse entrevoir quelques indices qui peu à peu nous renseigne sur ce qu’il est, ou plutôt, sur ce qu’il devient152. Pour Hermann Bahr, écrivain et critique d’art à l’origine du mouvement Sécessionniste, la façade extérieure de la maison doit être à l’image de la personne qui en habite l’intérieur. Il revient à l’architecte de trouver les lignes qui traduisent cette intériorité en expression extérieur153. Il décrit en ces termes les liens particuliers qui selon lui devraient unir l’habitant et l’architecte : « Je devrais donc d’abord dire à un architecte ma beauté intérieure... Il me connaîtra alors, il pourrait sentir ma nature. C’est elle qu’il devrait exprimer par une ligne : il lui faudrait trouver le geste de ma nature... Au-dessus du porche serait écrit un vers : le vers qui correspond à ma nature, et ce que dirait ce vers en paroles ce serait aussi toutes les couleurs et toutes les lignes, tous les papiers peints, chaque chaise, chaque lampe étant toujours le même vers154 ». Pour Adolf Loos, au contraire, la façade ne doit pas rendre publique l’intimité à l’image des maisons Scheu (fig.137) ou Rufer (fig.138), « il faut qu’une maison se montre réservée face à l’extérieur et qu’elle manifeste sa richesse à l’intérieur155 » ; le rôle de l’architecte est de neutraliser les transferts qui se font entre l’intérieur et l’extérieur. Or il n’en est rien. En dépit d’un discours qui met en avant la neutralité et l’anonymat, les façades des maisons de Loos expriment la vo-

152. GUENOUN Elias. Adolf loos fuit, article parue dans une revue turque dirigée par Süreyya Can Onaner. 153. ONANER Süreyya Can. Le suspens en architecture : Adolf Loos et Aldo Rossi [en ligne]. Thèse. Histoire de l’art. Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, 2011, http:// www.theses.fr/2011PA010508 [consulté le 05/05/2017], p.122. 154. Hermann Bahr, Sezession (1900), ed. Kessinger Pub Co, 2009, p.37. 155. LOOS Adolf, L’Art Régional, Paroles dans le vide suivi de Malgré tout, 1914, p.244.


fig.137 : Adolf Loos, Maison Scheu, façade sur rue, Vienne, 1912.

fig.138 : Adolf Loos, Maison Rufer, Vienne, 1922.

lonté paradoxale de s’opposer au milieu environnant, de s’imposer à l’extérieur. C’est par leur ascétisme qu’elles attirent l’attention ; leur incapacité à s’exprimer s’apparente à des masques inquiétants, figés et silencieux156. Ainsi on ne comprend pas à première vue l’organisation de l’architecture, ses façades fonctionnent comme des écrans, l’objectif est de cacher pour révéler ce qu’il se passe à l’intérieur. Ce qui, à la manière du travail artistique de Christo et Jeanne-Claude, recouvrent les bâtiments remarquables par un drapé ajoute une enveloppe à une architecture qui en possédait déjà une, l’esthétique étouffante qui en découle attire indéniablement le regard.

2.4.2 Récupération par l’architecture commerciale Si Adolf Loos a créé des façades introverties mettant en scène, à ses yeux, la nécessaire neutralité de la personnalité de l’habitant pour laisser à son intériorité le soin de la révéler ; on remarque que l’architecture commerciale a adopté au fil du siècle passé une démarche complètement inverse, son objectif étant de transmettre un message clair, sans ambiguïté, sans double-sens possible. Nous allons donc nous intéresser au formalisme dans l’architecture commerciale et la manière à travers laquelle l’enveloppe du bâtiment est dessinée pour capter le spectateur de la manière la plus efficace. Et comme ambassadeur de cette mouvance d’une architecture qui est elle-même ce qu’elle recouvre, nous pouvons prendre la très médiatisée architecture pour une rôtisserie de poulet à New-

156. ONANER Süreyya Can. Le suspens en architecture : Adolf Loos et Aldo Rossi [en ligne]. Thèse. Histoire de l’art. Université de Paris I-Panthéon Sorbonne, 2011, http:// www.theses.fr/2011PA010508 [consulté le 05/05/2017], p.124.


fig.139 : The Big Duck, Long Island, New-York, 1931.

York en 1931. Cette architecture commerciale appelée « The Big Duck » donnera son nom à la néo-architecture parlante intitulée dorénavant en hommage à ce bâtiment, architecture canard (fig.139). Cette architecture pose les jalons de l’architecture de la surprise, celle qui étonne, qui amuse, celle qui marque les esprits. « Quand les systèmes architecturaux d’espace, de structure et de programme sont submergés et déformés par une forme symbolique d’ensemble, nous nous trouvons devant le type de bâtiment devenant sculpture157 ». Robert Venturi, 1972 On peut alors voir une analogie entre cette architecture canard et quelques productions contemporaines comme le très commenté Opéra de Sydney. Quelle que soit la métaphore que nous considérions la plus adéquate, un fait demeure indiscutable, que ce bâtiment se distingue de l’architecture normale : il n’appartient pas à la classe des Opéras, en fait il ne ressemble à aucun des édifices qui l’ont précédé. Il veut être unique en son genre, inclassifiable. À partir

157. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven. Learning from Las Vegas. Cambridge : MIT Press, 1972, p.100.


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du moment où il y a deux Opéras de Sydney, semblables, il cesse d’être bizarre et devient au contraire conventionnel158. Comme théorisé par Richard Scoffier, il y a quelques années on pouvait percevoir les débuts de l’architecture faisant office d’événement, effectivement nous ne sommes plus dans une continuité de la production architecturale ça a pu être le cas, dans la sédimentation, dans la progression, on n’est plus dans la répétition mais dans l’événement, l’architecture peut apparaître et disparaître très rapidement, sans raison159. La temporalité classique et moderne allait d’un point à un autre suivant un cheminement hérité, on n’a désormais plus de cause et d’effet, il ne semble plus exister de suite logique. Avec le cas de Las Vegas comme exemple majeur, l’évolution de l’architecture et de l’environnement qu’elle définit est à appréhender en années plutôt qu’en décennies, ce qui correspond au tempo plus rapide de notre époque, sinon à la qualité moins éternelle du message de la propagande, commerciale plutôt que religieuse. L’architecture à but lucratif cherche donc à provoquer de l’événement, capter l’attention du spectateur à tout prix, satisfaire sa soif d’images et de signes, relayant l’expérience de l’espace à un second plan. Si jusqu’à maintenant on suivait volontiers le slogan « La forme suit la fonction » ce qui n’implique pas d’ailleurs l’existence de quelque terrain typologique mais affirme seulement que les formes sont toujours créées ex novo160, après l’émergence de villes comme Las Vegas, véritable système de communication construit, on s’oriente désormais vers le slogan « Le symbole avant la forme161 » ou encore « L’enseigne est plus importante que l’architecture ». « Ils appellent une architecture de communication directe plutôt qu’une architecture d’expression subtile ». Robert Venturi, 1972

158. JENCKS Charles. The language of post-modern architecture. Londres : Academy, 1977, p.8. 159. SCOFFIER Richard, Les 4 concepts fondamentaux de l’architecture contemporaine. [Conférence], école d’architecture de Versailles, 2015. 160. NORBERG-SCHULZ Christian, Habiter, vers une architecture figurative. Paris : Electa Moniteur, 1985, p.135. 161.VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven. Learning from Las Vegas. Cambridge : MIT Press, 1972, p.22.


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Le projet Colosse visant à remettre sur pieds le géant de Rhodes, n’a pas volonté première de dialoguer directement avec le spectateur, l’habitant, mais recherche davantage à donner envie aux potentiels touristes de choisir Rhodes plutôt qu’une autre destination de voyage (fig.140). Bien qu’il soit un hommage à la gloire passée de la ville grecque est aussi et surtout une motivation économique et commerciale. Composée d’un musée, de deux restaurants, d’une bibliothèque, des hôtels, des magasins et de nombreux autres services, la statue est comme un véritable immeuble à but lucratif comme me l’a appris Ombretta Lanonne, « un nombre très important de personnes de notre âge doivent partir à l’étranger afin de trouver un travail... nous avons donc essayé de penser à une solution pour aider notre pays162 ». La construction de ce géant à la peau dorée a donc pour vocation de relever la situation économique du pays par une architecture symbolique très impactante visuellement : « Rhodes fait partie des destinations des plus prisées en été grâce à ses plages, son paysage, son climat très agréable, et si les gens avaient plus que la mer, la plage et le soleil ? S’ils avaient une raison de plus de visiter l’île et d’étendre la période touristique de 3-4 mois à 12 mois par an ?163 ». La relation à l’anthropomorphisme dans l’architecture est évidente de par la sculpture qui l’a précédé, « nous avons choisi cette forme particulière comme symbole : Rhodes était un endroit légendaire dans le passé, avec une économie prospère alors qu’aujourd’hui la Grèce est à terre, nous voulions à travers ce colosse redonner à ce lieu et aux habitants leur dignité164 ». Si on regarde la situation mondiale de façon holistique, on remarque qu’avec l’avènement de la voiture, les règles ont changé, la vitesse, on appréhende tout plus vite, même l’architecture. Les enseignes doivent nous guider. On peut de nos jours prolonger ce propos avec notre manière d’évoluer dans le monde, notre manière de nous déplacer par exemple, tous nos gestes sont absorbés par la technologie, ils tendent à être effacés. On observe alors de plus en plus l’utilisation de véhicules, d’accessoires nous assistant à l’instar des gyropodes introduisant de nouvelles manières de regarder, d’ap-

162. Propos recueilli lors d’échanges de messages avec Ombretta Lanonne, architecte italienne et membre du collectif Projet Colosse 2015, mars 2017. 163. Ibid. 164. Ibid.


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fig.140 : The Colossus Project, Athènes, Grèce, 2015.

préhender les choses visuellement plutôt que de les expérimenter à travers tous nos sens. Dans son ouvrage Robert Venturi nous rappelle les us et coutumes des urbanités précédentes ou dans les zones épargnées par l’urbanisation outrancière ; dans le bazar, la proximité opère la communication. Avant, avec la proximité, l’odorat, l’ouïe étaient convoqués maintenant seule la vue est utilisée165, ce qui n’est pas sans rappeler le point de vue de Juhani Pallasmaa sur le sens de la vision. « Nous avons décrit, dans l’étude de Las Vegas, la victoire des symboles-dans-l’espace sur les formes-dans-l’espace au milieu d’un paysage brutal pour l’automobile, les grandes distances et les grandes vitesses, où il n’est plus possible

165. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven. Learning from Las Vegas. Cambridge : MIT Press, 1972, p.22.


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d’apprécier les subtilités d’un espace architectural pur166 ». Robert Venturi, 1972 Il y a l’idée qu’une architecture qui se veut élitiste avec ses codes, se doit d’avoir un discours, un langage pour communiquer son existence. Dans le cas d’une architecture figurative, elle fonctionne à la manière du cinéma muet ; l’image parle d’elle-même, la compréhension est rapide et évidente. La jeune génération s’est convertie en une vraie génération de lecteurs d’images. Le phénomène d’ubiquité des images, dans les livres, les revues ou sur l’écran, a créé une nouvelle mentalité en matière de communication visuelle167. Jencks disait, « Comme le savent bien les spécialistes de la publicité, il faut, pour que les choses retiennent l’attention, qu’elles cessent d’être familières, qu’elles étonnent, qu’elles brisent les règles ». Les bâtiments sont composés de la même manière que l’on hiérarchise une affiche publicitaire ; elle se doit dans un premier lieu capter l’attention, puis renseigner pour enfin donner du détail. Dans notre jugement, la forme l’importe toujours sur le fond. Enfin d’un point de vue plus actuel, l’auteur du livre Le regard des sens, énonce le fait que le sens de la vue s’est dégradé avec le temps, de nos jours, la surabondance d’images que notre vision subie n’a fait que l’appauvrir. L’architecture est aujourd’hui une publicité, une construction de façade pour rassurer et satisfaire celui qui regarde. Pour Pallasmaa, il est temps de reconsidérer la valeur des sens et redonner à la vue la place qu’elle aurait toujours dû avoir. « L’hégémonie de l’œil n’a jamais été aussi évidente dans l’art architectural que ces trente dernières années, alors que dominait un type d’architecture visant l’image spectaculaire et facile à mémoriser. Au lieu d’être une expérience existentielle plastique et spatiale, l’architecture a adopté la stratégie psychologique de la publicité

166. Ibid, p.115. 167. FRUTIGER Adrian. L’ Homme et ses signes : signes, symboles, signaux. Reillanne : Atelier Perrousseaux, 2000, p.197.


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et de la persuasion instantanée ; les constructions sont devenues des produits images, détachés de toute profondeur et sincérité existentielles168 ». Juhani Pallasmaa Lors de notre échange, Rytis m’a confié à propos du rapport entre l’architecture et l’anthropomorphisme ; « je n’appellerais pas ça une « obsession » mais ça peut néanmoins être considérer comme une tendance de l’architecture169 ». Les créateurs à l’origine des Humanic Houses l’ont bien compris. En effet pour clôturer cette mise en lumière et mon développement concernant la place de l’anthropomorphisme dans les formes architecturales, j’aimerais revenir - et par la même boucler la boucle - sur le cas atypique énoncé dans l’avant-propos que sont ces concepteurs tchèques Lubos Galbavý et Michal Galbavý. Effectivement, la manière dont leurs créations ont été révélé au grand jour et par là même médiatisé n’est pas commune ; c’est à travers l’émission de télé-réalité Dragon’s Den que les frères jumeaux respectivement ingénieur et économiste, ont présenté leur projet aux allures anthropomorphiques. Le rôle de cette émission est de permettre à des créateurs de présenter leurs idées à un jury d’investisseurs qui, après consultation, pourront attribuer s’ils jugent le projet pertinent une certaine somme d’argent dans la réalisation de ce dernier. Humanic Houses, à traduire par Maisons Humaines, constitue un projet clefs en mains, dans lequel une maison tchèque traditionnelle est transformée grâce à une, deux voire quatre façades pour donner à la construction un caractère humain formel et vivement proclamé (fig.141). Ils appuient leur concept avec l’intention que ces architectures pourraient recevoir de multiples programmes à enjeux commerciaux comme des hôtels à l’allure de Mozart (fig.142), des restaurants ou encore des casinos dissimulés derrière la figure du Joker (fig.143).

168. PALLASMAA Juhani. Le regard des sens. Paris : Éditions du Linteau, 2010. 169. Échanges de courriels avec Rytis Daukantas, architecte associé de Sacha Sosno sur de nombreux projets dans le sud de la France, mars 2017.


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À la question d’un des membres du jury de l’émission ils avouent avoir eu l’idée lors d’un voyage à Las Vegas et notamment pour les maisons reprenant une inspiration égyptienne, le blockbuster cinématographique « The Mummy », réalisé par Stephen Sommers. Ils veulent ainsi offrir à leur propre pays l’occasion de donner une identité remarquable, le caractère unique et original aux bâtiments qui le désirent. À la fin de leur passage télévisé les deux frères accusent le coup et bien qu’ils n’aient pas réussi à convaincre les investisseurs, ils sont persuadés que parmi les téléspectateurs, bon nombre ont apprécié leurs propositions. L’atmosphère qui accompagne ce projet Humanic Houses, que ce soit à travers l’émission de télé-réalité ou encore d‘un blog tchèque que j’ai eu le loisir de traduire, c’est une grande moquerie, des critiques acerbes face à des objets architecturaux jugés inadaptés et naïfs. Sur le site Humanic Houses, qui a été désactivé depuis, on pouvait lire à propos de ces maisons arborées de visages : « la maison de Cléopâtre est un symbole de luxe et de beauté. Il s’agit d’une maison moderne, expressive et colorée, développée par Lubos Galbavý et inspiré du grand Sphinx égyptien à Gizeh. [...] Cléopâtre apporte une plus-value à votre environnement, sa principale caractéristique est son large sourire apportant beaucoup de lumière dans la maison. Le balcon prend la forme d’un nez et permet au propriétaire d’accéder à une vue fantastique sur la nature tout autour de la maison170 » (fig.144). Ils proposent même la possibilité de modifier certaines parties de la façade ; « La forme des sourcils et des lèvres peut être personnalisée pour modifier, et cela affectera évidemment l’ expression du visage et la personnalité entière de la maison ». Bien que la démarche des deux tchèques semble pleine de bonnes intentions, elle ne rencontre pourtant pas les aspirations de son auditoire et sûrement même de l’ensemble de la profession architecturale ; on peut rappeler ce que disait Paolo Portoghesi pour mettre en contraste la démarche de Humanic Houses : « Une forme née d’un processus ne peut se retrouver sans le processus qui l’a nourrie171 », en

170. Pourquoi est-ce si laid ? [en ligne] tiré d’un blog personnel tchèque intitulé Protivná blondýna. 19 juillet 2012. Disponible sur http://www.protivna-blondyna.cz/2012/07/ proc-je-to-tak-hnusny.html [consulté le 27 mai 2017] 171. ARNHEIM Rudolf. Dynamique de la forme architecturale. architecture + recherche : pierre Mardaga, 1977, traduit de l’américain, p.172.


L’ architecture anthropomorphique, entre figuration et symbolique

fig.141 : Humanic Houses, 2015.

fig.142 : Humanic Houses, Pour un musicien classique, 2015.

fig.143 : Humanic Houses, Casino Joker, 2015.

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ce sens, l’ensemble de leurs créations à l’instar de la maison Sphynx dont la figure originelle de Gizeh a vu le jour il y a plus de 4 000 ans, n’a plus de sens hors de son cadre. Arrachée à sa culture, cette association de formes paraît grotesque, elle provoque chez le spectateur une profonde incompréhension et parfois de l’amusement, fruit de cette création maladroite.

fig.144 : Humanic Houses, Maison Cléopâtre, 2015.



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LA PLACE DE L’ANTHROPOMORPHISME

L’anthropomorphisme semble inhérent à l’architecture de par la manière dont nous appréhendons cette dernière, notre capacité à voir dans l’organisation de ses éléments un visage existant ou bien fantasmé, projeté par notre imaginaire. Comme nous avons pu le voir, l’architecture intentionnellement anthropomorphique suit différentes motivations, et même si elles tendent à se chevaucher, s’alimenter les unes aux autres, elles recoupent derrière la volonté sine qua non, de marquer les esprits et de rentrer en résonance avec tous les spectateurs, toutes culture s confondues. La réaction aux stimulus anthropomorphiques étant perceptible et palpable depuis notre enfance. L’être humain, pour renforcer son appartenance au monde a besoin de signes, de comprendre les formes de son environnement proche, de leur trouver une signification et de leur donner un visage quand ce n’est pas une attitude. Au cours du XXème siècle, l’avènement du mouvement moderne et les 5 principes radicaux de Le Corbusier pour en assurer la bonne réalisation, ont mis à mal la notion du figuratif et l’évidence des signes perçus par le grand public. Ce désir de transformer les goûts et les comportements d’une culture, ou du moins les influencer a provoqué un basculement vers une architecture nécessitant un bagage culturel pour l’apprécier, a instauré une certaine incompréhension du message véhiculé de la part de ses usagers. De cette idéalisation de l’esthétique moderne, cette tendance à l’abstraction encore présente de nos jours, en a découlé une perte du langage. Nous avons ramené la réalité à ce qui est mesurable et avons transformé des lieux concrets en espaces abstraits ; le résultat en est que le monde vital du quotidien disparaît et que l’homme devient étranger parmi les choses. La faculté d’imagination, c’està-dire la capacité de comprendre le monde en termes de formes enracinées dans la typologie, s’évanouit172.

172. NORBERG-SCHULZ Christian, Habiter, vers une architecture figurative. Paris : Electa Moniteur, 1985, p.135.


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Dans ce capharnaum culturel où tout le monde perd tout et plus personne ne sait d’où il vient et où il va. On peut prendre l’exemple de l’architecture des pays émergents calquée sur l’architecture de verre des états modernes qui ne témoigne en rien de leur culture et pourtant qu’ils érigent comme symbole de reconnaissance et de réussite. Comme les auteurs Jean-Philippe Zipper et Frédéric Bekas le préconisent ; pour véhiculer un message adapté, il est nécessaire que l’architecture occidentale, modèle pour le reste du monde, sache, en un juste retour des choses, proposer des figurations expressives et explicites173. « Plus une culture évolue au-delà des nécessités élémentaires et plus son architecture répond explicitement au besoin d’un symbolisme qui fait du bâtiment le porteur d’un vaste énoncé visuel174 ». Rudolf Arnheim De la même manière, Edmund Husserl signalait ce danger dans sa critique à la science occidentale et comme remède lançait le slogan du « retour aux choses ». Il plaidait aussi le retour au concret ; Heidegger, Merleau-Ponty, Bachelard, Bollnow et d’autres suivirent ensuite la même direction. De nos jours quoi qu’il en soit, on commence à plaider la cause d’un retour à l’architecture figurative. On discute des problèmes de typologie et de signification et l’on reconnait pleinement la nécessité d’un langage commun175. Dans un monde de plus en plus détaché de notre propre nature, dont les avancées technologiques nous font oublier nos besoins originels, où l’architecture devient générique, où l’espace devient immatériel et dans lequel, les écrans de télévision deviennent les nouvelles fenêtres sur le monde, l’homme tend à un retour de l’ornementation, de signes qui nous « parlent » et confortent notre existence.

173. ZIPPER Jean-Philippe et BEKAS Frédéric. Architectures vitalistes : 1950 - 1980. Marseille : Parenthèses, 1986, p.68. 174. ARNHEIM Rudolf. Dynamique de la forme architecturale. architecture + recherche : pierre Mardaga, 1977, traduit de l’américain, 284 p. 175. NORBERG-SCHULZ Christian, Habiter, vers une architecture figurative. Paris : Electa Moniteur, 1985, p.135.


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La place de l’anthropomorphisme

C’est donc dans ce contexte complexe à l’origine de la création d’espaces que l’architecture anthropomorphique intervient en proposant une signification propre. La remarque que l’on pourrait néanmoins soulever à propos de type d’architecture et de son caractère figuratif, correspond à son aspect exclusivement visuel, au fait qu’elle soit réalisée pour satisfaire principalement le sens de la vue. Or comme l’exposait Juhani Pallasmaa dans son essai confrontant les sens à l’architecture, « la vue isole, alors que le son rapproche. La vision est directionnelle alors que le son est multidirectionnel. Le sens de la vue implique l’extériorité alors que le son crée une expérience d’intériorité176 ». Il faudrait donc continuellement prendre la mesure des choses et savoir ce que l’on cherche à signifier et éviter de tomber dans l’écueil de l’architecture de façade qui constituerait une réduction de l’espace à la notion d’image. En proposant une forme aisément reconnaissable, l’architecture teintée de formes humaines fait appel à notre capacité innée d’identifier un corps ou un visage. Elle valorise ainsi l’influence du souvenir puisque toute forme dotée d’une signification est toujours quelque chose « qui rappelle177 ». En convoquant notre mémoire et notre connaissance des choses, notre rapport à l’architecture anthropomorphique laisse indéniablement transparaître notre jugement subjectif. Bien que mon regard sur l’architecture anthropomorphique, au cours de ce travail d’approfondissement, ait évolué m’amenant à outrepasser tout jugement de valeur précipité, je reste conscient que ce genre de formes et de visuels puisse dérouter voire déranger, en rencontrant assez brutalement nos idéaux et notre culture de l’acceptable et du « beau ». La notion de subjectivité que j’ai tenté d’écarter tout au long de cet exposé semble néanmoins un paramètre décisif dans notre rapport à une architecture que l’on comprendrait instantanément, de par sa littéralité. Ce qui est remarquable pour certains sera dérisoire pour d’autres, et donc pour quelques uns, la statue faite par Eiffel à New-York et sa symbolisation de la liberté par une analogie visuelle de la figure de la femme

176. PALLASMAA Juhani. Le regard des sens. Paris : Éditions du Linteau, 2010, 99 p. 177. NORBERG-SCHULZ Christian, Habiter, vers une architecture figurative. Paris : Electa Moniteur, 1985, p.135.


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couverte de panneaux de cuivre est presque aussi grotesque que l’Éléphant de Charles Ribart178. Nous avons donc tous une sensibilité particulière dans notre considération des choses et parfois, notre subjectivité ne nous permet pas de reconnaître certaines qualités ; comme me le témoignait Ombretta Lanonne à propos du Colosse de Rhodes, « une telle représentation du Colosse, si grand, si « OR » ne pourrait être accepté dans un environnement différent ou dans d’autres pays. Même si je pense personnellement que c’est un peu « too much », tous les grecs qui ont découvert le projet sont définitivement tomber amoureux. Il n’y a pas d’ornementation kitsch, juste des formes adaptées à certains endroits, certains contextes179 ». Face à cette subjectivité certes indissociable de l’individu mais qui ne facilite pas à avoir un regard holistique sur l’architecture anthropomorphe, j’aimerais citer Stendhal, qui avait exposé justement le lien intime entre le goût visuel et nos valeurs en écrivant : « La beauté n’est que la promesse du bonheur ». [...] Comprenant que l’humanité serait toujours aussi divisée dans ses goûts visuels que dans ses inclinations morales, il nota qu’il y a autant de formes de beauté que de conceptions du bonheur. Qualifier de belle une œuvre architecturale ou de design, c’est reconnaître en elle une expression de valeurs essentielles à notre épanouissement, une incarnation de nos idéaux personnels dans un support matériel180 ». Ce mémoire m’a permis, en découvrant bon nombre de projets atypiques et la raison de leur genèse, d’enrichir ma culture architecturale et de formaliser un esprit critique. Fort de mes lectures et des personnes avec lesquelles j’ai eu la chance d’échanger, ce travail m’a permis de prendre de la distance avec mes réflexes culturels et appréciatifs afin d’en apprendre davantage sur les tenants et les aboutissants de ces formes architecturales connotées.

178. BROADBENT Geoffrey, BUNT Richard, JENCKS Charles. Signs, symbols and architecture. NEW YORK : John Wiley and sons , 1981, p.147. 179. Propos recueillis lors d’échanges de courriels avec Zdeněk Fránek en mai 2017, architecte tchèque, ayant proposé un projet aux allures anthropomorphes pour la ville de Prague, qui fait aujourd’hui objet de controverse. 180. BOTTON Alain de. L’architecture du bonheur. Paris : Mercure de France , 2007, p.122.


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À travers les différentes époques de l’histoire nous avons pu remarquer les aspirations idéologiques ayant fait émerger des formes anthropomorphiques, ce qui nous invite aujourd’hui à s’interroger sur leur place et leur revendication dans la production architecturale. On ne peut clairement dire que cette approche de l’architecture soit réellement diffusée, le parallèle entre les formes du corps humain et l’architecture n’est pas véritablement abordé et la majorité des exemples présents dans ce mémoire est le fruit d’une recherche approfondie et non d’un apport universitaire. L’architecture et la manière dont elle est exercée reste profondément ancrée dans une tradition moderniste, qui associé à de maigres moyens financiers, tente indéfectiblement de dépouiller l’architecture, de lisser toute forme de maniérisme, de figuration qui serait déconvenue. En effet l’architecture semble dorénavant décharnée, lors d’une conférence, Yves Moreau disait « Le bâtiment c’est le squelette et la chair ce sont les gens qui vont l’habiter181 » ce qui nous interpelle sur la volonté véritable des hommes de vivre dans des bâtiments cadavéreux. L’architecture semble désormais avoir pour vocation d’offrir des structures inertes, à qui l’on demande uniquement d’être fonctionnelle et de pouvoir répondre aux usages présents tout en anticipant une évolution future, orientant la construction vers une neutralité accrue. Dans un tel contexte, la confrontation avec l’architecture anthropomorphique, prônant des intentions et une signification aux antipodes de cette neutralité, a la vertu de nous perturber et par là même de nous inciter à se positionner. Face à cette architecture générique grandissante, nous avons probablement un enseignement à tirer de l’architecture anthropomorphe. Si la tendance architecturale se révèle majoritairement fonctionnelle et adaptée aux besoins de l’époque, elle ne semble pas permettre à son usager de formuler une appréciation précise de l’environnement dans lequel il évolue. On est alors frappés par la neutralité de cette tendance contemporaine qui s’avère être étouffante pour celui qui l’appréhende, atténuant sa capacité à l’accepter ou la rejeter. De par le refus ostentatoire de signes, l’architecture se préserve de toute assertion, privant celui qui l’habite d’y projeter un avis tranché et ainsi d’en faire une

181. Conférence ayant eu lieu à l’école d’architecture de Nantes, le 2 mai 2017. Yves Moreau dressait le portrait de son agence, Muoto Architectes, et en l’occurrence présentait le projet Lieu de Vie, qui parmi tant de récompenses, avait reçu l’équerre d’argent 2016.


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marque d’identification, qu’elle soit positive ou négative, renforçant son lien avec les choses, le sentiment d’existence.


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[ ENTRETIENS ]


ÉCHANGES DE COURRIELS AVEC RYTIS DAUKANTAS, DESSINATEUR ET ARCHITECTE AYANT TRAVAILLÉ AVEC SACHA SOSNO David Legeai, le 25 mars 2017 Hello, My name is David, I am a french architecture student based in Nantes and I am currently working for my thesis about anthropomorphism within architecture, how we can find human shapes, feelings in building shapes and more precisely does architecture have a face ? I discovered your work through your association with the french artist Sacha Sosno and your fantasticly original productions as ‘La paille dans l’oeil du voisin’ or your previous work called ‘Lenin²’. I wanted to know more about the genesis of this anthropomorphism concept, your ideology about these faces behind the shape itself, why to organize matter like that in order to suggest faces, what does it mean for you ? What are your influences ? I would be glad to hear about you and if you have a bit of time to discuss about this topic, Sincerely, David. Rytis Daukantas, le 26 mars 2017 Hi David, Nice to hear from you. I got to know Sosno in 2009. I was interested in his concept of obliteration. The use of imagination to bring life and art closer together. The concept of “inhabited sculpture” was not new, but I wanted to break the boundaries even more. We decided to do something together. I produced several architectural propositions for him. ‘La paille dans l’oeil du voisin’ was the most ambitious of all. Michelangelo’s David face is iconic shape and form


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in all senses for the last 5 centuries. Thus we made an attempt to brake that shape and scale. Force the audience to use their imagination to construct the object. In some way architecture is still a patchwork of shapes. Best, Rytis

David Legeai, le 27 mars 2017 Hi, First of all, thanks for taking time to answer me. If you can I would like to have some details about your work/ collaboration : 1) You talk about the obliteration concept, the fact to hide a part of something in order to get the spectator involved to rebuild it imaginarily. Why to do it with faces which are moreover quite famous, do you play with symbolism of these heads ? 2) I didn’t figure out that it was Michaelangelo’s David face in the project ‘la paille dans l’oeil du voisin’ but I saw that it was Jules César looking used in the project ‘le guetteur’, what is the purpose to choose these ancient icons, would you talk about post-modernism influence in your productions ? 3) In your practice before to meet Sosno, were you interested by human figure in architecture, sculpture in architecture somehow ? And to talk about future, are you continuing the work that you started with Sosno, can you feel this legacy in your way of thinking architecture ? 4) Moreover I discovered only 3d model about your buildings, except few buildings like ‘la tête carrée’ or ‘le guetteur’ that were built, is there others projects realized that I missed ? And how do you explain the fact that your projects stayed ‘paper project’, is it because of politics,


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Entretien avec Rytis Daukantas

financial issues, inhabitants disagreement ? 5) Is there an ideology behind the fact to live in a head or a body, is there any metaphore, any meaning of that ? 6) Finally, as an open question, could you tell me your point of view of the relationship between man and architecture, does anthropomorphism is an obsession for architects, does he try/want to humanize architecture ? I look forward for hearing from you, Best regards, David Rytis Daukantas, le 29 mars 2017 Hi David, I can express just my personal point of view. Only Sosno would have been able to answer these questions correctly. These are quite philosophical questions. I remember him talking that he befriended with philosopher Emmanuel Levinas. Perhaps, Levinas made influence on him. I can only guess. 1) Symbolism in general (not the symbolism 19th-century movement). 2) Sosno always used these iconc sculptures e.g. Statue of Liberty, Venus de Milo etc. I think it was his way to challenge traditional sculpture. I was influenced by some Yves Bayard works. 3) I am interested in human figure in architecture. I find nowadays architecture a bit boring. I really miss pre-Postmodernism styles e.g. Art Deco when architecture and sculpture were close. My collaboration adventure with Sosno ended with his death. I don’t think that majority of contemporary architects would support this way of thinking. 4) You can add to the list «Elysée-Palace Sheraton Hotel» in Nice. My co-projects with Sosno never meant to be realized except of ‘la paille dans l’oeil du voisin’. I think there are few reasons it was never realized: It was technically far more complex and thus more expensive project. The world and France was still recovering from the 2008 financial crisis. Lastly, I believe, at the time Sosno already had some health problems and he had not enough «force» to push


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such large project forward. Though we made some unsuccessful attempts to find investors. 5) Well, it might. If you think in a way that we all are trapped/ live in our bodies. It makes sense. 6) I wouldn’t call it «obsession», but it may be one of trends for architecture. Best regards, Rytis

David Legeai, le 26 mai 2017 Hello Rytis ! Hope you are fine since our last questions session. Two months later my thesis is getting better and better and I should be ready to send it to you to take a look in few days, even if it’s written in french ! I was organizing my pictures and I found back your project called Lenin² in which you introduce Lenin face and arm into architecture. Because of that I have maybe few more questions for you like what this Lenin gesture with outstrechted arm means ? Where the project was supposed to be located ? And I just discovered this article about Lenin statues in Ukraine, how they treat them, they paint and cut their face, so in that time when you can see this kind of destruction what was the purpose of your proposal ? Is it like for your projects with Sosno, just a play with an iconic person ? I am currently writting about anthropomorphism and power, totalitarian figures as Mussolini, Hitler or Stalin, if you have any point of view about it, feel free to let me know. (I attach you few images to give you an idea). Thanks again for the time you will take to answer me, Sincerely, David.


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Entretien avec Rytis Daukantas

Rytis Daukantas, le 26 mai 2017 Hi David, Lenin² project was my private initiative. It was a play with Soviet symbol. A kind of ‘Déjà vu’. I recall Sosno liked it. I’ve spent my childhood in Soviet Union and Lenin statues were all over the place. Lenin was supposed to be an icon. His outstretched arm once showed the path for/to the communism. It turned out that the path was actually to nowhere.



ÉCHANGES DE COURRIELS AVEC ZDENĚK FRÁNEK, ARCHITECTE TCHÈQUE À L’ORIGINE DU PROJET « HEADS HOUSE » :

(28 MARS 2017)

David Legeai How the idea to give some faces to these housing came to your mind ? What are motivations behind this expressive design ? In the case that this project is a bit ironic, would you talk about post-modernism influence in it ? Or any else inspiration ? Zdeněk Fránek Masks are Prague’s theme. Giuseppe Arcimboldi created portraits for monarch in Prague’s castle and those portraits were made from different subjects. Those beautiful portraits are still surprising and show creativity and humour till today. The place of building is also known for stories from past connected to their path. In this place is border of Jewish ghetto and story about Golem… In this place were running characters from famous comix from 60.70. called ,,Rychlé šípy” and characters from Jaroslav Foglar’s book. Characters usually dark, in masks, who predetermined the mystique of this place. But also his fairy-tale with typical Czech humour and exaggeration. In one video from Ozzy Osbourne were running children in masks. This place has definitely the mystique. There is no irony in this design and definitely not postmodern connotations.

Moreover I discovered only 3d model about the «Face House» and the fact that color change from pink to grey, what is the current state of the project ? How do you explain the fact that this project could stay a ‘paper project’, is it because of politics, financial issues, inhabitants disagreement, historical context ? The acceptation of new/ contemporary architecture in Prague ?


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The project had from the start same colours. Different colours of grey and brick red and white. Those colours are from buildings around. The pink colour is nonsense and it was created thanks to constantly copying from wrong original on wrong printers. The building had from the start colours which I am using in all my buildings. Project is braked by few (nowadays just one) stubborn persons who are afraid. I have support for the professional public. Prague is beautiful city. Residents of this city are afraid and they don’t like changes. Everything is misunderstanding the fact that this project is created for this place and it’s genius loci. Also the fact that investor is Ital who doesn’t except corruption. And that Czech society is not tolerating and not ready for supreme architecture which could bring something exciting and new. As in the past baroque or Josef Plečnik.

Which philosophy is behind the fact to represent human in the way as you did ? In a certain pop style, let say litteral, moreover with the term «Face House» that you used ? Is there any ideology through the fact to live, to experiment inside the head ? Is there any metaphor, any meaning of that ? think that I already answer in my previous answers. The house is called ,,Face house” but in my office was called ,,Heads house” (Hlavový dům). Now we are preparing for changing disposition of flats to match developer’s demands who is probably will by this whole project. I think that in Czech Republic is no one who would build this building or any other building and finish it to pure architectural idea as for example Piet Blom in Rotterdam. In Czech Republic cannot arise architecture for apartment buildings. Next work on projects will show how much is developer intelligent and if he realize that ,,live in head” is for certain group of people ,,priceless”. When I was student I was interested about Anthroposophy and popculture is not strange for me. That is why my design is just like it is. It raises all these associations.

What is the relationship expected between the spectator in front of (inside) the building ? Is it just made to impress,


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Entretien avec Zdeněk Fránek

provocate, amuse? The relationship is different for everyone. It depends on viewers intelligent, perception and sensibility for place. This I never plan. I think about big experience for viewers. Inside and outside. The experience can take interest, amuse or provoke someone. It depends on the state of their mind. The feelings should be strong and positive it is possible. I think that this is the essence of architecture. What about Arcimboldi’s portraits? What they should evoke?

To your point of view, what is the definition of sculpture and archiculture, is there a boundary and where it starts/ ends ? Of course there is a lot of definitions and both blend and complement each other. I think that the only line between them is that where architecture ends where ends usability for people and its art, aesthetic and spiritual function. Where ends usability for human starts sculpturing which contain only spiritual value. But also architecture could present only spiritual function as sculpturing spatial structure and sculpture can be habitable. This is the overlapping of both disciplines.

Finally, we can observe in contemporary ar(t)chitecture a tendency for minimalism, a certain decency, what is your opinion about ornementation ? Or the fact that some people could find it ‘kitsch’ ? Today everything is possible and everything returns in regular waves, always enriched with new possibilities of world development. Good architects design good houses, minimalistic or even ornamental. I am friends with Pezo Von Ellrichshausen and Adam Caruso. Both studios one of the best in world and they are doing opposite things but they appreciate each other’s work because they are top in their field with global reach.


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Finally, as an open question, could you tell me your point of view of the relationship between man and architecture, does anthropomorphism is an obsession for architects, does he try/want to humanize architecture ? Is there something that you keep in mind, or you work on in your respective studio, your own practice ? Anthropomorphism is just word, same as the organic architecture. They are simplifying concepts for very complex processes which are that are complex and long described in the literature. The perception of the building as another human skin is evolving and the need for anthropomorphism to be dealt with. But it may take the form of where it does not know. Architecture can not be humanized, the essence of humankind must be encoded. It is the most visible manifestation of man on earth! And true architecture is the only option and means for human how not hurting the earth.


ÉCHANGE DE MESSAGES FACEBOOK AVEC OMBRETTA LANONNE, ARCHITECTE D’ORIGINE ITALIENNE AYANT COLLABORÉ AU PROJET COLOSSE 2015. (28 MARS 2017)

David Legeai : Hi again, First of all, thanks for the time you will take to answer me. When you get some free time could you give me some details about your work/collaboration on Colossus project please. You can maybe share it with the rest of the team in order to have a global answer with different points of view. I would be glad if you could tell me more about this in order to use it as a real basis for my thesis. How the idea to rebuild this legend came to your mind ? In that climate of crisis within we built only what we need, which is necessary, do you think that project in on purpose ? Adapted to actual aspiration of human needs ? Ombretta Lanonne : All the members in the team come from countries which have suffered from economical crisis in europe (spain, Italy and, most of all, Greece) a huge number of people of our age is forced to «flee» abroad in order to find a job ...Thus we tried to think to a solution to help our own countries without leaving. The project has been settled in Greece because Ari, its main designer, is from Rhodes... One of the top touristic destinations in summer because of the sea, the landscape, the lovely climate. What if tourists had something more than sea, beach and sun, what if there was some more reason to visit the island and enlarge the so-called «touristic season» from 3-4 to 12 months a year? We chose this particular shape as a symbol: Rhodes was a legendary place in the past, with a flourishing economy. Now that Greece is on its knees, we wanted to give this place and its ihabitants their dignity back. In conclusion : the colossus represents Rhodes’past glory. This project may seem useless in such a caothic period, but is would have a positive effect on the economy of the island: a new touristic attraction would lead to a larger flow of tourists: restaurants, hotels, even shop would benefit of this, working all year as they do in summer


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A museum, including 2 restaurants, a library, etc.would also need employees. This would help healing the plague of misoccupation in the island.

Moreover I discovered only 3d model about the Colossus, what is the current state of the project ? How do you explain the fact that this project could stay a ‘paper project’, is it because of politics, financial issues, inhabitants disagreement ? To put it bluntly, I am afraid this project would remain a «paper one»: local authorities won’t help us anyway, in spite of the great interest that the inhabitants and the representatives of local commerce showed. I have no sensed explaination...I know that 10 years ago, the city of Rhodes organised a contest with the aim of rebuilding the colossus... but none joined it or maybe, the whole thing was abandoned as it frequently happens in countries of southern europe, Italy, Greece, Spain...a bunch of lazy people who are not able to give value to their natural resources.

Which philosophy is behind the fact to represent human in the way as you did ? In a certain pop style, let say litteraly in comparaison of historical pictures ? More than just a sculpture, is there any ideology through the fact to live, to experiment inside the body ? Is there any metaphor, any meaning of that ? There is some kind of metaphore behind the representation we chose:The legend described the Colossus of Rhodes as a tall man, standing with its legs wide open at the entrance of the port. It is very likely that the real sculpture was not as tall as tradition says, and that it was a figure, standing with legs closed on a podium, in the center of the old town. We chose the legend because we wanted to establish a link between Rhodes’glorious past and the role we wanted to give it back. We wanted to dare a skyscraper to celebrate Greece as we dare to search for a new solution for this economical crisis.

What is the relationship expected between the spectator in front of (inside) the work ? Is it just made to impress, provocate, amuse ?


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Entretien avec Ombretta Lanonne

We wanted the spectator to feel the same sensation that people felt when they saw this legendary sculpture in the past, when they were used to see two-storeys buildings.

To your point of view, what is the definition of sculpture and archiculture, is there a boundary and where it starts/ ends ? The boundary between architecture and sculpture is very very narrow. Think about Greek or Roman s: how can we say where does architecture stops and gives place to sculpture? Every architecture is «sculpted» in a thousand different ways and every sculpture is «balanced» and concieved as if it was a building

I had the opportunity to discuss with Rytis Daukantas as well (who worked with the french sculptor Sacha Sosno) and in many works they were inspired by ancient icons like Michaelangelo’s David face or to list but a few Jules César looking. As in the colossus project what is the purpose to choose these ancient icons, would you talk about post-modernism influence in your productions ? This is a question only Ari can answer to, I am sorry the «figurative» part of the project was his own. I’ll ask him and then I’ll let you know.

Finally, we can observe in contemporary ar(t)chitecture a tendency for minimalism which is not your specific focus, you produce more figurative, literal reproduction, what is your opinion about ornementation ? Or the fact that some people could find it ‘kitsch’ ? Well, first of all, I’d say that «beauty is in the eye of the beholder» (let me quote Shakespeare). A representation like the colossus, so tall, so « GOLDEN » would have been not accepted in other environments or other countries. Me myself thought it was a little «too much» But all Greek people who saw it, definetly LOVED it as it was. There is no kitsch ornamentation, just something suitable for the right places and contests.


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Finally, as an open question, could you tell me your point of view of the relationship between man and architecture, does anthropomorphism is an obsession for architects, does he try/ want to humanize architecture ? Is there something that you keep in mind, or you work on in your respective studio, your own practice ? I don’t think that man wants to humanize architecture. I believe that every architect has his own, private «obsession» and he puts a little of this in all his works: Norman Foster is obsessed with airships and look at the Gherkin! Everyone who expresses himself through art has some kind of «signature», but I don’t think this is only related to the human figure. I am not sure i understood the last part of your eight question, I am sorry..


ENTRETIEN TÉLÉPHONIQUE AVEC NOUHA BABAY, ARCHITECTE D’INTÉRIEUR DE FORMATION, HISTORIENNE DE L’ART, AYANT RÉALISÉ UN MÉMOIRE SUR L’OEUVRE DE GUY ROTTIER. (24 MAI 2017)

David Legeai Bonjour, Nouha Babay ? Nouha Babay Oui bonjour, c’est David ? Enchantée.

Merci beaucoup pour la réponse que vous avez faite ça m’a permis de survoler Guy Rottier. Voulez-vous que je présente à nouveau mon objet d’étude ? Tu peux me dire plus en détails ce que tu recherches sur Guy Rottier ? Qu’est-ce que tu veux trouver exactement ? On peut se tutoyer si tu veux.

Avec Guy Rottier, j’avais intuitivement dégagé quelque chose de l’ordre de l’identité dans son architecture avec les maisons-têtes et du coup tu m’as appris que c’était un signe de remerciement, d’hommage à ses amis pour son retour du Maroc en France, est-ce que tu en sais plus à propos de ce projet, ce n’était pas une commande ? En fait, c’est pour ça que je voulais qu’on s’appelle parce que c’est plus complexe que ça, il faut savoir qu’à l’origine les formes organiques déjà, je ne parle pas que de l’humain dans ses formes parce que Guy Rottier a étudié l’escargot, le serpent. Pas que l’organique, l’industriel aussi. Sa rencontre avec les artistes de l’école de Nice, cette rencontre était déterminante. Pourquoi je te dis que c’était un hommage, dans les artistes de l’école de Nice il y a des œuvres que ces artistes là vont offrir à Guy Rottier et vice-versa. Par exemple il y a un tableau que Ben lui a offert un tableau et en contre-partie Guy Rottier va réaliser des œuvres pour Ben. Il y a toujours cette réflexion à ses amis, ses proches et ce dès les années 60, ce n’est pas que dès son retour du Maroc.


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À quoi correspond ce retour du Maroc ? Je vais te dire au fur et à mesure.. Pour revenir au corps humain, il l’étudie surtout pour dire que son architecture qu’il propose peut se manifester sous n’importe quelle forme, à la plasticité du matériau. Au début il a commencé par le béton, de par le Corbusier, après il s’est intéressé au bois, puis dans les années 60 le contexte est propice à la production de nouveaux matériaux, plastique, isolants, structure métallique.. tous les architectes des années 60, qu’on appelait les architectes prospectifs qui ont évolué autour de Michel Ragon, en même temps tous les artistes de l’école de Nice vont évoluer par rapport au nouveau réalisme. Par exemple Arman qui est un ami de Guy Rottier pour qui il a réalisé une œuvre, la pratique des déchets et des poubelles, les rebus de la société de consommation qui se manifeste à travers l’humain, à travers une proximité à la nature donc les formes organiques mais aussi à travers l’évolution technologique où on va vraiment chercher à construire autrement avec le papier, avec le plastique, en empruntant ces formes là en l’occurrence le corps humain aussi, il va dire voilà je peux construire avec la terre mais je m’amuse à faire des formes extraordinaires donc ça c’est le contexte général. Par la suite, il est parti au Maroc suite à plusieurs échecs, il a fait plusieurs projets, il n’a pas beaucoup construit, parmi ses projets il avait par exemple imaginé une usine de torréfaction à four solaire, une fondation semi-enterrée, un hôtel semi-enterré, et ces projets-là, qui étaient très ambitieux par rapport à la région, au contexte de l’époque, se sont vus refuser le permis de construire. Pour lui c’était une sorte d’amertume qui l’a poussé à voir ailleurs, à voyager et son départ pour le Maroc et là, ça a vraiment commencé le basculement vers la théorie. Après le Maroc, moi, je ne l’ai pas vraiment étudié, la lacune dans mon travail c’était son voyage au Maroc je n’ai pas rencontré de gens avec qui il avait travaillé, ce sont des lectures qui m’ont permis de dégager cet aspect où il va toujours revenir à une influence, avec Reiser par exemple. Pour lui c’est très important de travailler avec, pas avec quelqu’un dans le sens de partager le projet, mais de s’en inspirer, trouver quelqu’un ou un groupe d’amis qui vont le rassurer, le conforter face à ces difficultés administratives.

Les maisons des conspiratifs en forme de tête, je m’interroge en la comparant à la maison pour Arman dans une toute autre esthétique, est-ce qu’on peut parler de l’identité de la personne qui habiterait la maison, le logement,


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Entretien avec Nouha Babay

qui doit se voir à travers l’architecture, les formes. Oui, oui certainement. C’était en 1972, la première maison. D’abord il a conçu le projet, il a fait la maison-tête comme il l’a appelé, il a fait l’enveloppe caméléon et c’est là qu’est son point de départ, c’est d’abord l’architecture et quelles formes on peut lui prêter. On peut imaginer tout type d’architecture, tout type de sculpture sur ce qu’il va produire comme maison. Il a commencé par Arman.. Ces rencontres avec l’école de Nice, petit à petit il va rencontrer Antti Lovag, d’où la maison Antti Lovag et après les conspiratifs sont arrivés à la fin. Chez Guy Rottier, il met à jour un concept, l’enveloppe caméléon qu’il va ensuite développer de plusieurs manières. L’objectif est de démontrer voilà mon architecture elle est un peu vide certainement mais grâce à sa plasticité elle peut se présenter sous de nombreuses formes dont l’être humain et c’est lui l’être humain, comme les formes organiques, industrielles, il observe le fonctionnement. C’est-à-dire pour les maisons-tête, il a fait ces enveloppes de cette manière là parce que sous forme de mosaïque, il les avait conçu multicolores pour que ce soit adapté à l’ensoleillement tout au long de la journée, ce sont des façades qui changent de couleurs, qui bougent, les fenêtres diaphragmes comme la pupille de l’œil, il y a toujours cette logique de fonctionnement comme le vivant, l’être humain comme une machine. L’humain prend une place importante mais je dirais qu’il y a certes la question d’identité, c’est quelque chose de voulu, de dédier quelque chose à quelqu’un qu’il considère d’important, qui l’a influencé. Mais surtout derrière il y a une logique fonctionnelle il ne le fait pas pour l’esthétique, ça vient à la fin. C’est ce qui est un peu déroutant dans son travail on se dit « ah tiens c’est de l’art plastique » alors quand on comprend son fonctionnement et sa démarche et comment ça a évolué, il y a toujours cette réflexion sur la relation avec l’usager, quand on prend la maison escargot et ça fonctionne aussi avec les autres, c’est toujours le même principe, il réfléchit toujours à la personne qui va l’utiliser, il va faire en sorte que ses maisons reflètent l’image de son époque. Ça reflète ses refus qu’il a embrassé. Dans les archives de Guy Rottier dans les Alpes-Maritimes, il conserve des mémoires qu’il a rédigé lui-même et il en parle de ses échecs et comment il est arrivé aux conspiratifs. Pour lui l’architecture identitaire à travers l’immeuble d’assurances qu’il enflamme, il a une maison radio pour dire c’est une maison radio, tout cela vient de Claude Nicolas Ledoux, et de son architecture parlante, d’ailleurs il lui rendra hommage en présentant une exposition intitulée « l’architecture parlante » avec Reiser.


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Pour resituer, est-ce que vous pouvez m’expliquer qui est Reiser ? C’est un dessinateur très connu de bande dessinées, il était l’un des fondateurs de Charlie Hebdo, l’un des premiers. En fait Reiser c’est une rencontre avec Guy Rottier qui est un peu hasardeuse, c’est grâce à Michel Ragon. Il faut savoir que Guy Rottier, dès le début avec son passé chez Le Corbusier va s’intéresser à l’ensoleillement dans le bâtiment et donc il s’est intéressé à l’énergie solaire, à la nature dans le bâtiment, etc. Grâce à Michel Ragon il va rencontrer Jean-Marc Reiser qui était à l’époque aussi très porté par les questions d’énergies renouvelables et plus particulièrement des énergies solaires. Donc Guy Rottier va être un membre actif dans la commission méditerranéenne de l’énergie solaire depuis 1965, il va rencontrer des ingénieurs, ils vont commencer à réfléchir ensemble sur une cité qui s’appelle écopolis qu’ils vont présenter en 1973 dans une conférence internationale portée par l’UNESCO qui s’appelle « Le soleil au service de l’homme ». Ce jour-là il va rencontrer Jean-Marc Reiser, ils vont alors se retrouver dans le concept du lumiduc et c’est une amitié qui commence entre les deux hommes. Cette amitié va les conduire à faire des expositions ensemble à Rabat c’était pendant la période où Guy Rottier se sentait un peu écarté du paysage architectural français, suite aux refus. Il est parti enseigné l’architecture d’abord à Damas en Syrie puis à Rabat au Maroc, il va réaliser là-bas des projets mais très peu, et commence ses recherches théoriques. Et Jean-Marc Reiser va éditer Guy Rottier plusieurs fois, ensemble ils vont réfléchir à des dessins d’architecture, Reiser avait réalisé des planches inspirées des maisons de Guy Rottier et vice-versa. Guy Rottier va s’inspiré de ses dessins pour faire les maisons enterrées et dénoncer la politique des pays arabo-musulmans je crois et anti-démocratiques et donc il a fait la maison-cible pour chefs d’État. Il y a toujours ce message caché derrière l’architecture, pour lui la symbolique c’est très important mais pas au-delà de la fonctionnalité, à l’usage et ensuite il va réfléchir à la forme à donner, ce plus, et même dans ses réflexions, avec la maison pour la Vache qui rit, la maison top model où il y a une femme qui pose. Son idée c’était au lieu d’avoir du papier qu’on va accrocher partout, la végétation, la terre peut se prêter à des décorations pour le paysage urbain tout en imaginant tout type de formes, pas que l’humain. Bien que l’humain prenne une part importante. Justement après son retour en France, avec les conspiratifs, il a retrouvé ses amis de l’école de Nice, son premier soutien qui l’encourageait dans les années 60 alors que personne ne croyait en ses projets et quand


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Entretien avec Nouha Babay

il est rentré il les a retrouvé et a décidé de maintenir cette effervescence et de continuer dans le même schéma commencé au Maroc. Sa première maison qu’il va faire c’est pour Ben, avec le mot « Ben » qui sortait de la tête. Pour lui ses maisons-têtes peuvent toujours être adaptées au contexte urbain mais ça reste des maisons super colorées parce qu’il a une réflexion sur la façade, voilà d’où c’est parti.

Je me demande, les maisons-têtes étaient des commandes que les conspiratifs avaient passé à Guy Rottier ou bien c’est de par lui-même qu’il avait créé ces projets et les a présenté à ses amis artistes par la suite ? Non, c’est lui qui va créer les projets. Les commandes en fait c’est comme une œuvre d’art, c’est un peu ça le principe aussi, ils se rencontrent dans un café qu’ils appelaient Félix Faure, célèbre pour les artistes de l’école de Nice, et ils commencent à discuter et Guy Rottier propose. Si on prend la maison Arman par exemple, qui est la concrétisation de ces rencontres, Arman a voulu soutenir les concepts amenés par Guy Rottier donc ce n’est pas toujours une commande mais plutôt une rencontre. Guy Rottier ne va pas dire que son projet n’est pas dédié à la construction, pour lui, tous ses projets sont destinés à être construits. Ce qu’il imagine c’est le futur, il a conscience que ses projets ne peuvent être réalisés mais pour lui tout est réalisable si on en a l’idée. Il s’est accroché à ses idées qu’il a réussi à réaliser pour certaines et d’autres qui sont restées au stade de dessin parce qu’il n’a pas trouvé les moyens. La contestation, la provocation font parties de son travail, J’ai rencontré un membre des conspiratifs qui m’a dit que les conspiratifs ce n’est pas une image des conspirationnistes, ça n’a rien à voir, c’est plutôt une image positive, on se rencontrer pour dénoncer des éléments qui rendent l’architecture très moche, qui ne donne pas de valeur ajoutée à l’architecture. On va dire quand même que l’expérience des conspiratifs est moyenne, qui a échoué parce que Guy a voulu faire la même chose que dans les années 60 mais il n’a pas vraiment réussi, c’était la fin de sa vie.

Je voudrais rebondir sur la maison de Ben, avec les mots Ben qui sortent du crâne, est-ce que vous en savez plus sur ce projet, que veut dire le faire d’habiter une maison Ben, avec des papiers qui en sortent ?


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La maison qui parle ça rentre aussi dans ses interprétations. Ça peut faire référence à sa rencontre avec Jean-Marc Reiser et son attrait pour la bande-dessinée. Petit à petit, de l’architecture il passe vraiment à l’art où à la fin de sa vie il va produire des bandes dessinées dans lesquelles il va parler d’architecture mais teintée d’humour, inspirée de Reiser. Donc Jean-Marc Reiser c’est les années 80 avec lui il va réaliser la bande dessinée « Jus de crâne » et je ne sais pas si tu as feuilleté le livre de Guy Rottier « arTchitecte » on y retrouve de la photographie, des dessins, de l’architecture, vraiment tout ce qui constitue sa personnalité. Il va faire des dessins commentés, les lettres, etc sont une influence de la bande dessinée à travers laquelle il va dénoncer ces éléments.

Est-ce que tu as vu les logements qu’il a conçu avec des visages en façade ? Oui, pour ces logements c’est à la fois décoratif et à la fois plutôt fonctionnel. Il l’appelle « blow-window » et donc pour Guy Rottier ces façades c’était d’adapter l’ensoleillement, à travers des diaphragmes. Et la végétation qui en sort, il l’a fait pour rafraîchir le bâtiment et le décorer. Il a toujours cette volonté d’abord fonctionnelle comme par exemple il a une façade de boutique, de centre commercial, il va dessiner des visages évolutifs qui contribuent à l’animation de la façade, ça va rendre la façade vivante et à la fois un aspect fonctionnel où il va imaginer l’ensoleillement du bâtiment, qu’il va essayer de protéger d’une autre façon. Pour resituer le contexte il y a les artistes de l’école de Nice avec le nouveau réalisme et de l’autre côté l’architecture-sculpture mené par Michel Ragon, dans les années 60 bon nombre d’architectes se sont rassemblés autour de Michel Ragon pour faire ce que l’on appelle architecture-sculpture celle inspirée des années 20, des architectes russes particulièrement et vont essayer d’imaginer l’espace architectural comme un espace sculptural, d’où cette influence que percevra Guy Rottier.

Ce que tu disais, les visages sur la façade sont des sortes de vérandas, ils sont transparents, est-ce qu’ils constituent un espace en plus, c’est une sorte d’agrandissement du logement ? Ce n’est pas vraiment un agrandissement, c’est par rapport à l’éclairage, il va imaginer les yeux pour le passage de la lumière et la main


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Entretien avec Nouha Babay

pour soutenir la végétation rafraîchissante en été. C’est les informations que j’ai pu trouver en recoupant des articles. J’ai lu quasiment tous les documents, archives qui traitent de Guy Rottier, c’était très ambitieux au point même de prolonger mon master en 2 ans, pour te dire que des fois j’ai cherché la source au moindre détail mais ça n’existe pas et j’ai dû interpréter avec ce que j’avais engrangé. Voilà, c’est pour ça quand tu m’as parlé d’anthropomorphisme, c’est un bon angle d’attaque mais ce qui est important de dire aussi c’est que ce n’est pas particulièrement ça. Pour lui ce qui est important c’est d’imaginer une nouvelle typologie d’architecture qui puisse se prêter à toutes les formes. Le corps humain c’est complexe à représenter, on ne peut pas reproduire ça avec du béton en revanche avec d’autres matériaux on peut participer à la diversité architecturales qu’on peut réaliser, pour lui il n’y a pas de limites avec l’art, c’est pour ça qu’il parle d’arTchitecture car pour lui il n’y a pas de différences entre art et architecture mais il insiste beaucoup sur le fait que l’architecture se doit d’être fonctionnelle, inscrite dans son époque, quelque soit la forme elle doit être symbolique, refléter justement son intérieur, ce qu’il dessine c’est pour, l’identité de l’architecture, c’est ça pour moi, il la reflète sur le visage de l’architecture.

Ces visages correspondent aux personnes qui habitent à l’intérieur ? Comme il dit souvent que l’architecture se doit d’être parlante, de raconter ce qu’il se passe à l’intérieur ? Alors pour ça, je ne pense pas que ce soit le cas. Il y a un concept qui est le blow-window, après peut-être mais je ne pense pas, j’en suis pas sûr je ne l’ai pas vu. En revanche la façade par exemple avec la tête colorée, avec le vitrage vert et bleu, celle-ci c’est une affiche publicitaire et donc pour lui c’est important d’optimiser l’usage d’un bâtiment en affichant l’identité du bâtiment, si on est par exemple sur une agence publicitaire on va faire ça, si on est dans un immeuble de radio, il a imaginé directement une radio. Comme ce bâtiment avec les visages en façade est public je ne pense pas que ce soit attribué à quelqu’un. Il a fait avec Antti Lovag une exposition et là il a commencé à imaginer un mélange entre les maisons solarium et apparentes et c’est là où le projet a été construit. Il était très ami avec Antti Lovag. Quand il est rentré du Maroc il s’est lié très vite d’amitié avec Antti Lovag, ils se visitent régulièrement, malheureusement moi quand j’ai voulu rencontrer Antti Lovag il était très malade du coup je n’ai pas pu le voir mais voilà j’ai vu


L’ architecture anthropomorphique, entre figuration et symbolique

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des photos. Donc voilà c’est normal qu’il ait fait aussi une maison pour Antti Lovag.

Il a fait aussi des maisons profils, ses maisons rizières ? Ah oui ça c’est ses maisons terrasses, ce sont des maisons en terre, c’est ça ?

Oui exactement et vues en plan elles dessinent le profil d’un être humain, je ne sais pas si ça correspond à quelqu’un en particulier ? Ça ne correspond à personne, c’était juste justement le début de ses expérimentations, il a imaginé l’architecture de terre en 1965 et il a dit que c’était une nouvelle façon de concevoir et que cette façon pouvait se prêter à toutes les formes possibles. Donc, pour ces projets il s’inspire de végétation, je pense qu’en Indonésie de ce genre, les terrasses agricoles, il va s’en inspirer c’est juste de la terre, de la végétation et un ruissellement d’eau. Il va jouer avec les formes donc, il imagine un visage comme il a pu imaginer une main ou un serpent, ça rentre dans cette série d’exploration de l’architecture de terre. Il n’y a pas d’identité derrière, il n’en parle pas.

Effectivement et ça me renvoie à ses projets, le téléphone oreille, le pont qui est suspendu sur des bras. Je me demandais si derrière la formalisation de l’architecture en être humain ou en partie du corps, est-ce qu’il y a une symbolique à travers le fait de téléphoner à une oreille, comme être abriter par une main ? Oui c’est exactement le cas, par exemple cette main, tu l’as vu ce projet ? C’est une main gonflable et elle protège la maison. Cette main, c’est la main de sa fille, un moulage de la main d’Odette donc avec qui tu as pu échanger. Il y a cette proximité avec les gens qui l’entourent, pour lui c’est une source d’inspiration, ça lui permet de s’amuser en créant de l’architecture insolite. Comme par exemple l’idée de la main qui sort du blow-window, c’est comme les moucharabiehs, ça protège et en même temps ça représente une générosité. Il y a aussi un projet, la maison des enracinés qui représente une sorte de buste humain, il l’a imaginé avec son fils, c’est un peintre et


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Entretien avec Nouha Babay

donc ça représente un corps humain sans pieds et sans tête comme la vénus de Milo mais sans tête. Quand on voit la maison-tête, il le dit aussi, l’architecture doit être réfléchie, elle doit être intelligente c’est pour ça qu’il imagine une tête, elle est consciente. On ne peut pas faire une forme pour une forme, pour moi il y a derrière tout un concept ; le cou c’est la base, la tête c’est l’ensoleillement et il imagine toute une structure respirante, qui va s’adapter à la lumière. Ce n’est pas vraiment la forme pour la forme et ça c’est très important chez lui.

La symbolique qu’il pourrait donc y avoir dans le fait d’habiter une tête, c’est d’habiter la conscience, d’habiter le cerveau ? C’est de faire une architecture réfléchie, intelligente, qui respire, qui s’adapte comme le corps humain, qui s’adapte à un milieu externe. Entre le pont sauterelle, les maisons fleurs, il y a toujours une réflexion sur le mode de fonctionnement, quand il fait une maison fleur c’est que ça s’ouvre et se ferme comme une fleur, il y a toujours la notion de la fonction par la forme. Pour le pont sauterelle ça permet d’avoir une structure malléable, d’avoir une structure légère tout en ayant un pont, il réfléchit vraiment aux fonctionnements de l’organique. Dans ses mémoires, il écrit beaucoup sur le corps humain, sa proximité avec les animaux, il a même des expérimentations qu’il a faites, je les avais vu chez Odette, où il prend par exemple un cafard ou un papillon, il était passionné par les papillons et les oiseaux et il va inventer un autre animal imaginaire, en combinant les ailes des papillons et les pattes de cafards et il le fait réellement, il va sécher les animaux et va les disséquer, les coller ensemble.

Très bien merci, c’était très intéressant, j’ai pris quelques notes ça devrait me permettre de développer mon propos. Parfait. En tout cas tu me tiens au courant et je serai intéressée par la lecture de ton travail et voilà si tu as d’autres questions.

Je me demande juste, tu as parlé de la maison des enracinés, je ne vois pas d’iconographie sur internet, est-ce que tu aurais des pièces graphiques là-dessus ?


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Oui j’ai ça je t’enverrai ça demain avec la référence. Je te souhaite bon courage et bonne continuation.

Super, merci beaucoup.


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[ BIBLIOGRAPHIE ]


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187 PALLASMAA Juhani. Le regard des sens. Paris : Éditions du Linteau, 2010, 99 p. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven. Learning from Las Vegas. Cambridge : MIT Press, 1972, 188 p. WILLEMIN Véronique et ROTTIER Guy. Guy Rottier : arTchitecte. Paris : Alternatives, 2008, 124 p. WILLIAMS Richard J. Sex and buildings : modern architecture and the sexual revolution. Londres : Reaktion books, 2013, 224 p. ZIPPER Jean-Philippe et BEKAS Frédéric. Architectures vitalistes : 1950 - 1980. Marseille : Parenthèses, 1986, 99 p.

ARTICLE GUENOUN Elias. Adolf loos fuit, article parue dans une revue turque dirigée par Süreyya Can ONANER

VIDÉOGRAPHIE HUMANIC HOUSES, présentation du projet des frères Galbavý dans l’émission tchèque Dragon’s Den. https://www.youtube.com/watch?v=iSZQzfAXDG8 [visionnée le 21 novembre 2016] SCOFFIER Richard. «Les 4 concepts fondamentaux de l’architecture contemporaine». [Conférence], école d’architecture de Versailles, 28 juillet 2015. Visionnable sur https:// www.youtube.com/watch?v=7Y8F8p5-ZEQ, visionnée le 18 avril 2017 VAN LIESHOUT Joep. Colloque «Beyond the Monument», [Conférence], école d’architecture de Nantes, le 17 juin 2009. Visionnable sur http://event.vodalys.com/Datas/ensa/740414_57f64f929b184/ [visionnée le 24 mai 2017]

WEBOGRAPHIE Pourquoi est-ce si laid ? [en ligne] tiré d’un blog personnel tchèque intitulé Protivná blondýna. 19 juillet 2012. Disponible sur http://www.protivna-blondyna.cz/2012/07/ proc-je-to-tak-hnusny.html [consulté le 27 mai 2017] http://www.protivna-blondyna.cz/2012/07/proc-je-to-tak-hnusny.html CENTLIVRES Pierre. « Vie, mort et survie des Bouddhas de Bamiyan (Afghanistan) », Livraisons de l’histoire de l’architecture [En ligne], 17 | 2009, mis en ligne le 10 juin 2011, consulté le 17 mai 2017. URL : http://lha.revues.org/200 IMFA France, « L’architecture expression vivante du corps humain » tiré des Cahiers d’, numéro 2 : « Vers une Architecture en résonance avec le corps humain », 2005, http://www. vivarchi.com/spip.php?article7 KELLY Kim. « Decapitating Lenin Statues Is the Hottest New Trend in Ukraine », mis en ligne le 25 mai 2017, consulté le 26 mai 2017. URL : https://www.vice.com/en_us/article/ decapitating-lenin-statues-is-the-hottest-new-trend-in-ukraine


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[ ICONOGRAPHIE ]


190

fig.145 : Paul Rudolph, The Government Service, Boston, 1962.

L'AMBIGUÏTÉ, ESSENCE MÊME DE L’ARCHITECTURE

fig.146 : Agustín Hernández et Manuel González Rul, école Militaire Héroïque, 1975.

fig.147 : Alfred Messel, Magasins Wertheim, Berlin, 1906.


191

fig.148 : Atelier Van Lieshout, Janus kop, 2016.

fig.150 : Jozef Jankovic, Project II, 1975.

fig.149 : Barbara hepworth, Deux segments et une sphère, 1936.

fig.151 : M. Maillard, ĂŠcole Miramas (France), 1978.

fig.152 : Sacha Sosno, Le guetteur, 2006.


192

fig.153 : Oskar Schlemmer, Logo du Bauhaus, 1922. fig.155 : Salvador Dali, Le Grand Paranoïaque, 1936.

1.1 LA PSYCHOLOGIE HUMAINE COMME CATALYSEUR

fig.154 : Arcimboldo , 1527-1593. fig.156 : Salvador Dali, Le visage de Mae West pour être utilisé comme appartement, 1935.


193

fig.157 : Beeple, Tinkerboy, 2017.

fig.158 : Matthäus Merian, Faccia Corrosa di Uomo, Paesaggio fantastico.

fig.159 : Arcimboldo, Panier de fruit, 1527-1593.

fig.160 : Otto Hunte, Erich Kettelhut, Karl Vollbrecht, dessin pour Metropolis de Fritz Lang, 1926.

fig.161 : Nicholas Roerich, Ice Sphinx II, 1938.


194

1.2 LA CORPORÉITÉ COMME OUTIL DE COMPRÉHENSION

fig.162 : Johann Lukas von Hildebrandt, Belvedere, Sala terrena, Vienne, 1721-23.

fig.164 : Josef Astor, Philip Johnson, photographie parue dans Vanity Fair, juillet 1996.

fig.163 : Anon, Maison-Visage Jackie Kennedy, San Francisco, 1960.

fig.165 : Josef Astor, Pei, photographie parue dans Vanity Fair, juillet 1996.


195

fig.166 : Projet Cadran solaire, Archives Odette Rottier, 1983.

fig.167 : Choi+Shine, Giant of the wind, 2012.

fig.168 : Dessin d’Adrienne Farb.

fig.170 : Lubetkin et Tecton, Highpoint II, Highgate, 1938.

fig.171 : Jean Le Pautre, Habit d’architecte, estampe, Paris, 1682.

fig.169 : Santiago Calatrava, études pour l’hémisféric de Cité des sciences, Valence, 1998.

fig.172 : Oskar Schlemmer, Die beiden Pathetiker, 1925.


196

1.3 LE CARACTÈRE INTRINSÈQUE DE L’ARCHITECTURE

fig.173 : Lavater, L’art de connaître fig.174 : David Helbich, Trying to look like a building, 2016. les hommes par la physionomie, 1806.

fig.175 : Lavater, L’Art de connaître les hommes par la physionomie, 1806.

fig.176 : Lavater, L’art de connaître les hommes par la physionomie, profils ombragés, 1778.


197

fig.177 : Henry Espérandieu, Le sentiment et l’architecture, révélations posthumes, 1877. fig.178 : Antoni Gaudi, les toits de la Casa Mila, Barcelone, 1905-10.


198

1.4 UN LANGAGE ARCHITECTURAL INCARNÉ

fig.179 : Dessin de Jason Bergsiecker.

fig.180 : Maison-Visage, Chien Méchant, Californie, 1965.

fig.181 : James Thurber, House and woman, 1935.


199

fig.182 : Jacob Bakema, Connecting elements, for the Lijnbaan, Rotterdam, 1951.

fig.183 : Hillel Schocken, Metaphors of Ronchamps.


200

2.1 FORMALISER UNE CROYANCE, UNE PUISSANCE

fig.184 : Statue de Lénine, photo de Niels Ackermann, Ukraine, 2015.

fig.185 : Mur de Tiwanaku, Bolivie, -500 av. J.-C.


201

fig.186 : Illustration pour une revue sur l’Allemagne Nazie, 1978.

fig.189 : Stupa du Bouddha Katmandou, Népal.

fig.187 : Temple Bouddha de la source, 2008.

fig.188 : Ram V. Sutar, Statue de l’unité, 2013-.

fig.190 : Frank Lloyd Wright, Église Milwaukee Wis, 1956.

fig.191 : Paul Landowski, Christ Rédempteur, Rio de Janeiro, 1930.

fig.192 : Gustave Eiffel et Auguste Bartholdi, Intérieur de la Statue de la Liberté, 1875.


202

fig.193 : David Cerný, La Statue de Franz Kafka, Metalmorphosis, Prague, 2014. fig.194 : Statue de Lénine, photo de Niels Ackermann, Ukraine, 2015.


203

fig.195 : Échantillon d’un statue de Lénine, photo de Niels Ackermann, Ukraine, 2015.

fig.196 : Têtes de statues de Lénine, photo de Niels Ackermann, Ukraine, 2015. fig.197 : Grand Bouddha de Leshan, Chine, 803.

fig.198 : Jules Aimé Lavirotte, Immeuble d’appartements, Paris, 1900.


204

2.2 UN HOMME MODÈLE POUR UNE ARCHITECTURE IDÉALE

fig.199 : Egon Schiele, Autoportrait, 1910.

fig.200 : Paolo Soleri, plan masse de Mesa City. fig.201 : Dürer, Exploration géométrique de l’espace et de la perspective plus qu’un idéal esthétique d’origine divine, 1557.


205

fig.202 : Ernst Neufert, extraits de Les éléments de projets de construction, 1936.

fig.203 : James Cavanha Murphy, analyse du monastère de Batalha, Portugal, 1416, 1795.


206

fig.204 : Guy Rottier, Cabine téléphonique « oreille », 1983.

2.3 DÉSACRALISATION DE L’ESPACE ET DE SES FORMES

fig.205 : Atelier Van Lieshout, vue intérieure du Bikini Bar, 2006.

fig.206 : Exposition « Sexy Architecture », Galerie Jaroslava Fragnera, Prague, 2016.


207

fig.207 : Federico Zuccaro, Faรงade de palais via Gregoriana, Rome, 1592. fig.208 : Charles Jencks, Thematic House, Londres, 1980-85.

fig.209 : Charles Jencks, Garagia Rotunda, Wellfleet, 1977.


208

fig.210 : Atelier Van Lieshout, Domestikator, Allemagne, 2015. fig.211 : Gaetano Pesce, Project for door, Mahnattan skyscraper, 1972.

fig.212 : Anthea Hamilton, Lichen! Libido! Chastity!, 2000.


209

fig.213 : Atelier Van Lieshout, Interior of Whombhouse, 2005.

fig.214 : Guy Rottier, Salle de rĂŠunion pour hommes politiques.

fig.215 : Allen Jones, Furniture, 1969.

fig.216 : Atelier Van Lieshout, BarRectum, 2000.


210

fig.217 : Ico Parisi, Grattacielo, 1986.

fig.218 : Ico Parisi, Grattacielo, 1986.


211

fig.219 : Ico Parisi, Utopie réalisable « Segni antropomorfi per l’architettura », 1977.


212

fig.220 : Ico Parisi, Grattacielo, 1986.

fig.221 : Madelon Vriesendorp, Après l’amour, 1975.


213

fig.222 : Hudson Talbott, I’ll take Manhattan, 1980.

fig.223 : Hudson Talbott, Cruising around Manhattan, 1980.

fig.224 : Hudson Talbott, On The Town, 1980.


214

fig.225 : Michael Vanderbyl, Post-modern poster, 1984. fig.226 : Atelier Van Lieshout, BikiniBar, 2006.


215

fig.227 : Atelier Van Lieshout, Luxurious Female Brothel, 2006.

fig.228 : Atelier Van Lieshout, Le Brothel pour hommes 5 étoiles et son intérieur, 2005.

fig.229 : Zaha Hadid, Stade d’Al Wakrah, Qatar, 2022.


216

2.4 ENTRE IDENTITÉ DOMESTIQUE ET COMMERCIALE

fig.230 : Sir Edwin Lutyens, Heathcote, Ilkley, Yorkshire, 1906. fig.231 : Jo Crepain, Maisons groupées avec magasins, Kapellen, Belgique, 1979.


217

fig.232 : Adolf Loos, Maison Horner, Vienne, 1912.

fig.233 : Adolf Loos, Maison Moller, Vienne, 1927-28.

fig.234 : Guy Rottier, Maison de lumière Rue Descartes à Rabat, architecture solaire, 1982.

fig.235 : Atelier Van Lieshout, The Heads, Claudia & Hermann, 2005.


218

fig.236 : Nigel Coates, Millenium Colossi, Londres, 2000.

fig.237 : Le Corbusier, Modulor, 1945.

fig.238 : Guy Rottier, Maison enterrée « Terrasses en gazon », 1965-1978.

fig.239 : Guy Rottier, Maison à verrière solaire, architecture solaire, 1983.


219

fig.240 : Rafael Rivera et Manolo MartĂ­n, Parc de Gulliver, Valence, 1990. fig.241 : Niki de Saint Phalle, Jardin des Tarots, 1979-93.

fig.242 : Tianzi Hotel, Hebei province, China, 2001.


220

fig.243 : Guy Rottier, Immeuble de lumière à Rabat, à caractère publicitaire.

fig.245 : Guy Rottier, Maison Flottante, 1983.

fig.244 : Guy Rottier, Maison enterrée « terrasses en eau », 1965-1972.

fig.246 : Guy Rottier, Maison de lumière pour le dessinateur Reiser, 1982.

fig.247 : Eric Owen Moss, Samitaur, Californie, 1996.


221

fig.248 : Emile Aillaud, La TĂŞte-DĂŠfense, Immeubles miroirs, Paris, 1972.

fig.249 : Guy Rottier, Architecture solaire, Rabat, 1982.


222

fig.250 : Guy Rottier, Immeuble avec blow-windows, 1984. fig.251 : Guy Rottier, Immeuble avec blow-windows, 1984.


223

fig.252 : PublicitĂŠ pour une banque espagnole Bankia, 2017. fig.253 : Luna Park, Sydney, 2000.


224

fig.254 : Humanic Houses, 2015.

fig.255 : Humanic Houses, 2015. fig.256 : Humanic Houses, Maison Gandalf, 2015.


225

fig.257 : Humanic Houses, Maison Lady Diana, 2015.

fig.258 : Humanic Houses, Maison Muscha, 2015. fig.259 : Humanic Houses, Maison Barbie, 2015.


Anthropomorphisme, (subst. masc.) : Tendance à attribuer aux divinités, aux animaux ou aux objets, des caractéristiques propres à l’homme. L’architecture, à elle seule capable de cristalliser des fragments de vie, peut-elle se justifier en empruntant les formes humaines ? À travers ce croisement non exhaustif d’images et de points de vue, cet exercice de recherche dresse un possible constat de l’existence d’une architecture anthropomorphe.

Voguant de la représentation des divinités à l’érection de bâtiments inspirés de la figure phallique, en passant par la mouvance des maisons-visages, ce travail présente au sens large la symbolique d’habiter le corps. Ces quelques pages constituent avant tout un espace de réflexion sur notre rapport aux formes construites et leurs significations ; si l’architecture a pour vocation de transmettre un message à celui qui l’appréhende, sa tendance anthropomorphique serait-elle la formalisation de ce dialogue ?


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