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Pour « The Sochi Project », Rob Hornstra et Arnold van Bruggen ont passé cinq ans à enquêter sur la vie des gens de cette ville de Russie popularisée par les J.O. d’hiver à travers huit chapitres de photos, vidéos, textes et archives. Du slow Web intelligent. Texte : Cathy Dogon – Photos : The Sochi Project

THE SOCHI PROJECT : LA COURSE AU TEMPS LONG « Sotchi est un endroit unique. Sur la côte, vous pouvez donne un effet de vitesse et de perspective à la page. Les profiter d’une journée de printemps, et dans les mon- photographies de paysages d’un autre temps sont statiques, tagnes, c’est l’hiver. […] Merci de soutenir le rêve olympique alors que paragraphes et autres médias flottent à mesure que de millions de citoyens russes. La famille olympique se l’on défile. Tout au long de l’histoire, on scrolle à travers des sentira chez elle. » Un orchestre en musique de fond, un photos du néant original et de personnages atypiques, sur plan serré sur Poutine pour l’annonce des Jeux à Sotchi… lesquelles la structure du site incite à s’arrêter. Les vidéos C’est avec cette vidéo de 2007 que commence The Sochi – « réalisées au Smartphone », nous dit Rob – installent une Project de Rob Hornstra et Arnold van Bruggen. L’air presque ambiance sonore et visuelle sans avoir à cliquer. impérial, fier de son pays, le président russe déploie son « ON A SIMPLEMENT BESOIN DE TEMPS »… texte comme si ces Jeux olympiques étaient une aubaine pour l’ex-URSS. Avec The Sochi Project, le photographe et le journaliste hollandais racontent qu’ils sont une aubaine, Il faut s’accrocher, car l’histoire contient huit chapitres, telle une vraie encyclopédie – parallèlement, les deux oui, mais seulement pour Vladimir Poutine. Depuis 2009, ils ont suivi la métamorphose de la ville et journalistes ont sorti un livre, An Atlas of War and Tourisme les habitants qui la subissent plus qu’ils n’en profitent. in the Caucasus. De la description de la ville de Sotchi à la De manière chronologique, Hornstra et van Bruggen ont politique de Poutine en passant par la situation de quelques tenu un carnet de bord version moderne : un article « long villes laissées à l’abandon, Rob et Arnold reviennent sur l’histoire du Caucase et les conflits qui l’habitent. form » comme on l’appelle dans le métier. Ce « Une région qui n’a pas connu la paix depuis genre journalistique prend de l’ampleur sur le LE VILLAGE OLYMPIQUE EN près de 300 ans », disent-ils au chapitre IV. Mais Web. Entre l’article traditionnel et la nouvelle CONSTRUCTION EN 2010, UN AN APRÈS L’ANNONCE « les lecteurs impatients peuvent s’arrêter à multimédia, il fait bon ménage avec la parallaxe. DES JEUX OLYMPIQUES D’HIVER la deuxième photo de chaque chapitre. Comme Cette tendance du moment dans le webdesign À SOTCHI.

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ça, ils comprennent au moins l’idée », rassure Arnold. Lui et son acolyte sont des « slow journalists », bien qu’ils n’apprécient pas l’appellation. Empreint du slow movement, le slow journalism, comme la slow food, est là pour casser le stress du quotidien. Pour les principaux concernés, « ce qu’on fait n’est pas nouveau. Le “slow journalism” est un terme à la mode pour parler de quelque chose qui existe depuis des années : le travail de documentariste ou celui d’anciens reporters. Mais ça sonne bien. » Ils prennent le temps de digérer l’information et de voir si elle en vaut la peine. « Khaza est le bon exemple. Nous l’avons rencontrée sur le bord de la route et avons discuté avec elle. C’est seulement dix mois plus tard qu’on a décidé d’écrire un livre sur ses secrets. Et on a attendu un an pour lui demander si ça l’intéressait. Certains peuvent dire qu’on est feignants ou lents. Je pense qu’on a simplement besoin de temps. » « J’ai l’intuition qu’on va dans deux directions, dit Rob. Tout a besoin d’aller très vite et c’est très bien pour des petites histoires courtes, sur Facebook par exemple. Mais, d’un autre côté, j’ai le sentiment que certains veulent prendre le temps de s’intéresser à des sujets de fond », comme The Sochi Project. « Pour autant, les deux ne sont pas incompatibles. »

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mais en reversant directement à l’auteur, sous forme de dons ou en achetant le livre final », explique le photographe. Pour monter le projet, Rob et Arnold ont uniquement opté pour le crowdfunding : 650 personnes ont donné entre 10 et 1 500  euros. « On ne voulait pas dépendre de subventions artistiques ou compromettre la narration pour des articles de presse, alors qu’on avait en tête une histoire avec une ligne éditoriale précise : les Jeux olympiques, un siècle de conflits et une région incroyablement photogénique qu’est l’Abkhazie. » En règle générale, les journalistes vendent des piges en parallèle pour s’assurer un revenu régulier. Pas eux. « Je suis incapable de remplir une commande pour un magazine, dit Rob. Je risquerais de revenir les mains vides simplement parce que je n’ai pas saisi l’utilité de photographier ce qu’on m’a demandé. Certains sont bons pour ça, pas moi. » Là, il a fait comme bon lui semblait. Et photographiquement, ça donne quelques surprises : « Deux ans après avoir commencé à travailler sur The Sochi Project, j’ai eu cette idée de représenter les chanteurs dans les restaurants. Je continue à penser que c’était une bonne manière de retranscrire Sotchi. » En mots, les deux journalistes décrivent la ville ainsi : « Sotchi est un endroit unique. Une station touristique subtropicale en plein milieu … ET D’ARGENT ? d’une zone de conflit. Dans les montagnes du Caucase, il n’y a pas seulement de la neige. Un conflit contre les rebelles Plus qu’un site Internet, ils ont étendu leur projet à un séparatistes s’y déroule. Alors qu’à Sotchi des milliards livre et une exposition. « L’un contribue aux deux autres. de dollars sont versés pour les J.O., de l’autre côté de Je ne préfère pas une production en particulier parce que la montagne se trouve la zone la plus pauvre de Russie. chacune permet de raconter l’histoire d’une Si Poutine rêve de fêtes olympiques et d’une nouvelle manière. En revanche, le site nous COMME BEAUCOUP DE RUSSES, image de la Russie restaurée, beaucoup de DIMA VIENT À SOTCHI POUR apporte plus d’audience. » Leur travail est enRusses rêvent d’un pays sans abus des droits LES SPAS. DANS CE LIEU DE tièrement accessible sur Internet, et gratuitement. de l’Homme et sans lois discriminantes. » DÉTENTE ET DE CURE, IL Y SOIGNE SES JAMBES BRÛLÉES « Le lectorat est préparé à financer ce genre LORS D’UN ACCIDENT DANS de travaux. Non pas en achetant un magazine, DE L’EAU SULFURÉE. www.thesochiproject.org

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