Le cimetière, vers de nouveaux rites funéraires

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le cimetière vers de nouveaux rites funéraires

Mise en situation professionnelle Atelier de paysage Landescape, La Rochelle Directeur de mémoire : Stéphane Füzesséry

Antonin Amiot - DSA Urbanisme - Avril 2014




« La nécropole est l’envers de la métropole » Extrait de L’espace de la mort de M.Ragon

Cimetière Saint-Pierre à Marseille, « Cathédrale du silence » ou « HLM de la mort » sources : http://wikimapia.org/15506736/fr/enfeus

le cimetière : « lieu où l’on regroupe les restes des morts » (le petit larousse 2007)

* Page de couverture : plan du cimetière Père Lachaise à Paris 20e * Double page précédente : Cimetière joyeux de Sapanta dans les Maramures en Roumanie (photo personnelle - août 2010)


Sommaire p.7

Avant-Propos

p.9

Introduction

p.10

1 • Mise en situation professionnelle à l’Atelier de Paysage Landescape

p.16

2 • La mort, les funérailles et le cimetière : quelques prérequis

p.20

p.36

- L’agence : un collectif d’indépendants + une ONG - Ses activités en trois pôles : paysage, r&d, médiation culturelle - Contribution personnelle et positionnement

- Que devient le corps après la mort ? - La réglementation et les institutions : qui gère la question funéraire ?

3 • Du fonctionnalisme funéraire au retour de la mémoire des morts

- Évolution dans l’aménagement des cimetières en France - De nouveaux modes de conception des cimetières

4 • Changements des rites funéraires : la crémation

- Transformations des rites funéraires en France - Les conséquences dans l’aménagement des cimetières : Projet de réaménagement du crématorium du PFIS à Saintes (17)

p.43

Conclusion

p.45

Bibliographie

p.46

Annexes


Cimetière de Monmousseau à Ivry-sur-Seine

http://www.bertrandbeyern.fr/spip.php?article250

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avant propos

«J’ai en mémoire l’image de ce cimetière, installé en pleine Beauce, un amer sans attache dans cet océan agricole, mais pourtant presque un non lieu1. Un endroit où l’on ne se sent pas bien, où le poids de la mort est insupportable, où la mémoire s’efface. Ces cimetières là, je ne les aime pas ! On pourrait être sur un parking ce serait la même chose, rien ou presque ne permet de trouver celui que l’on pense chercher, ah si, le nom gravé en lettrine dorée sur ce marbre gris, fade, made in China...» Lorsque Marc Augé décrit «le non-lieu», je pense reconnaître certains cimetières, ces espaces de la mort rationalisés, où l’optimisation foncière est une priorité avant la prochaine extension. Le cimetière semble t-il être le miroir de la ville ? Et la façon dont on l’aborde, par ses rues, ses allées, ses places le rendent presque comparable en ce sens. C’est aussi l’endroit où continu de s’exprimer la société et ses inégalités ; les plus riches s’offrent comme dernière demeure des caveaux - palaces alors que d’autres finissent à la fosse commune. Mais au-delà de ces considérations, le constat est sidérant : aujourd’hui en France nous continuons à concevoir des lieux censés res-

pecter le repos éternel, étant porteur de mémoire, d’accompagner le deuil ; hors nous sommes dans l’ère d’un fonctionnalisme qui ne sert qu’un système marchand spécialisé très lucratif. La stigmatisation et l’uniformité mettent en péril la qualité que peut offrir le cimetière. Paradoxalement on assiste aussi à un changement des rites funéraires, sans doute par une laïcisation de la mort, peut-être aussi par souci d’économies en période de crise financière : la crémation est aujourd’hui une pratique fréquente à plus de 30% en France. Aujourd’hui on ne meurt plus en terre mais en cendres... Cette «transformation» de la mort pose beaucoup de questions, d’abord à l’État - législateur mais aussi aux collectivités - gestionnaires. Peut-on jeter les cendres n’importe où ; dans le square derrière chez soi ? Dans son jardin ? Dans la mer ? Est-ce que cela pollue ? La crémation est une sorte de révolution des rites funéraires du moins en France et son impact dans l’aménagement funéraire transforme progressivement le cimetière «tombal» en cimetière «cinéraire».

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Plan du Champ de Repos par l’architecte P.Giraud (extrait de Dernières demeures de R.Auzelle)


Introduction Après plusieurs mois passés au sein de l’Atelier de Paysage Landescape comme assistant paysagiste-urbaniste j’ai pu participer à l’élaboration de plusieurs études de faisabilité, projets de maîtrises d’œuvres, thèmes de recherche et développement, suivis de chantiers et expositions. Le choix de travailler sur la problématique des cimetières m’est apparu comme une opportunité pour approfondir un thème qui m’était jusque là inconnu ou du moins peu familier. Il s’avère que l’agence est en étroite collaboration depuis deux ans avec l’Union du Pôle Funéraire Public (UPFP) qui assiste les collectivités dans le domaine funéraire. L’Atelier de Paysage Landescape a été sollicité à plusieurs reprises dans des études de faisabilité et des marchés de maîtrise d’œuvre, dans le cadre de la recomposition de cimetières ; avec souvent une extension de concession funéraire dans des contextes atypiques : cimetière installé au-dessus de grottes calcaires classées en zone natura 2000 car abritant des populations de chauves souris rares ; extension de cimetière dans une forêt de milieu dunaire en Vendée ; mais aussi des projets de recherche et développement dans le cadre de la gestion des cendres issues de la crémation. L’objectif de ce mémoire de MSP n’est évidemment pas de faire un exposé exhaustif sur les cimetières mais plutôt de présenter les sujets abordés en agence en alimentant

la présentation par une recherche bibliographique nécessaire à la bonne compréhension de tous les enjeux (anthropologiques, économiques, juridiques, etc.). Il permettra ainsi de dresser la situation du funéraire aujourd’hui en France et d’interroger à travers les projets abordés une nouvelle façon de concevoir les espaces funéraires. Ce travail tente d’amender une problématique encore trop peu abordée dans notre cursus. Le constat de la qualité des cimetières en France est alarmant, les collectivités font face à une évolution de la loi mais aussi à la pression des entreprises privées qui stigmatisent le choix des produits à des tarifs indécents. Notre société semble négliger « les espaces de la mort » en favorisant un fonctionnalisme dénué de rites, de mémoire voire simplement de respect des défunts et de leurs proches. - Comment agrandir un cimetière sur des terres agricoles productives, en zone naturelle sensible, ou au sein d’un quartier en plein essor urbain, etc... - Les rites funéraires sont en pleine mutation, plus de 30% des défunts sont crématisés. Comment « adapter » le cimetière à cette nouvelle pratique ? - Comment gérer le manque de concessions funéraires... Quelle gestion innovante proposer ?

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1 • Mise en situation professionnelle à l’Atelier de Paysage Landescape

L’agence : un collectif d’indépendants + une ONG Landscape : Terme anglais pour définir le Paysage. Landescape : néologisme exprimant la démarche hybride du collectif

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L’Atelier de Paysage Landescape est un collectif d’indépendants ingénieurs paysagistes, photographes, scénographes, vidéastes, graphiste, artistes, enseignants et chercheurs. Il a été créé en 2005 avec la volonté « d’ hybrider et débrider les processus d’aménagement du territoire pour que ces derniers puissent répondre pleinement aux enjeux contemporains du développement soutenable. Il utilise pour cela toute la plasticité de ces disciplines professionnelles en adaptant les outils dont il dispose pour proposer des démarches de projets adaptés. En période de crise économique et de changement climatique, le paysage vu comme le simple traitement d’un « décor » paraît à juste titre, secondaire. Landescape utilise au contraire le paysage comme support et représentation de stratégies de développements ou plus précisément d’adaptations territoriales. L’objectif pour chaque projet, quel qu’en soit l’échelle et le contexte, dépasse la proposition formelle du concepteur pour offrir aux collectivités les moyens de fédérer les différents acteurs d’un territoire, autour d’un processus d’aménagement collectif : + démocratique, + économe dans les moyens de mise en œuvre, + plus riche dans les potentiels qu’il propose et surtout, + écologique »1. L’autre particularité de ce collectif est de fonctionner sous la forme d’antennes indépendantes qui prônent à chaque fois la démarche de Landescape. 1/ Extrait de la présentation de l’agence (Book 2011)

L’antenne principale basée à la Rochelle est représentée par Barthélémy Schlumberger. Elle intervient sur l’ensemble de la région Poitou-Charente ainsi qu’au sud de la métropole Nantaise et au nord du Bordelais. Une seconde antenne est implantée dans les Deux-Sèvres, où Nicolas Riffaud intervient essentiellement sur ce département. Enfin une troisième antenne est aujourd’hui installée dans le nord du Brésil, à Natal où Mathieu Duvignaud s’est spécialisé dans l’événementiel via la Pinacothèque. Chaque indépendant travaille à son compte mais mutualise les références. C’est sur des projets de grosse ampleur que la collaboration prend toute son sens. Par ailleurs, chacun travaille en co-traitance avec des bureaux d’études spécialisés (VRD, BE environnement, génie civil, architecte, urbaniste, économiste, juriste, etc.). Depuis quelques années, Landescape est en étroite relation avec l’agence d’architecture et d’urbanisme HLZ (anciennement HL architectes) qui a remporté le palmarès des jeunes urbanistes en 2012. Cette collaboration a permis entre autre à Landescape d’intervenir sur des projets conséquents, notamment dans la réalisation de deux plans guides urbains, sur les deux boulevards majeurs de la Rochelle : le boulevard André Sautel et le boulevard Joffre ainsi que le canal de Rompsay. Parallèlement, Barthélémy a créé l’ONG Bleu Versant qui s’attache à sensibiliser notre société sur la qualité de l’eau mais de façon territorialisée, c’est à dire, à l’échelle des petits bassins versants.


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Projet de réaménagement du front de mer à Fouras

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Préfigurer par le plan guide les futurs espaces publics autour du boulevard A.Sautel à la Rochelle


Ses activités en trois pôles : paysage, r&d, médiation culturelle

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« - Le pôle paysage véritable creuset du collectif, permet notamment d’élaborer des projets d’aménagement à différentes échelles : de la parcelle au grand territoire et réciproquement - le pôle recherche et développement (R&D) permet d’enrichir et d’expérimenter de nouvelles approches notamment en matière d’ingénierie environnementale. Grâce à cela, les projets apportent des solutions durables sur les gestions des ressources que sont, le sol, l’eau, l’air ou encore la biodiversité. Les notions de réversibilité, de recyclage et de prise en compte de l’énergie grise mobilisée dans la mise en œuvre d’un projet sont pleinement intégrées au processus de projet. - le pôle médiation culturelle, part d’un constat simple. La « ressource humaine » avec ses dimensions sociales et culturelles est nécessaire pour l’appropriation collective d’un processus de projet. Un exemple simple : tout le monde veut plus d’écologie, mais lorsque l’on supprime les désherbants, que l’on fauche deux fois par an au lieu de tondre tous les quinze jours, plus personnes n’en veut. En réalité, ni les élus, ni les services techniques, ni les habitants ne sont «socialement et culturellement » préparés. La sensibilisation, les réunions de travail avec les acteurs institutionnels, la concertation publique sont souvent insuffisants au regard du profond changement à mettre en œuvre. Landescape mobilise donc pleinement cette ressource dans les processus de projet qu’il développe en proposant des actions culturelles in situ, adaptées aux contextes et aux publics concernés. Ces évènements ne sont pas conçus pour être des animations ou des « spectacles » mais sont des temps d’échange, de travail et d’élaboration de référentiel commun.» 1 Ainsi, chaque projet est l’opportunité de mettre en œuvre cette démarche en trois 1/ Extrait de la présentation de l’agence (Book 2011)

pôles de compétences, développés en accord avec le cahier des charges du marché. Le collectif Landescape répond essentiellement à des études et marchés publics de maîtrise d’œuvre, mais il arrive qu’il réalise occasionnellement des projets pour des particuliers (essentiellement des projets de jardins privés). Les principaux commanditaires pour l’antenne rochelaise, sont la ville de la Rochelle et sa communauté d’agglomération, le conseil général de la Charente-Maritime, le conseil régional du Poitou-Charente, l’État, les collectivités du 17, les syndicats mixtes. Les activités de l’agence sont aussi variées qu’il y a de marchés publics. Il arrive fréquemment qu’elle soit sollicitée pour participer en co-traitance avec des agences de la France entière, pour la plupart ce sont des agences d’architectes, des urbanistes et de gros bureaux d’études. Mais l’agence se spécialise et répond préférentiellement à des projets de MO qui concernent le littoral, la gestion de l’eau, les problématiques urbaines et l’agriculture. Récemment Landescape s’est intéressé aux projets de réaménagement et d’extension de cimetières suite à la rencontre de Patrick Lerognon (administrateur à l’UPFP2 ) qui a interpellé l’agence sur l’extension de cimetières en Charente-Maritime. De cet échange est née une véritable collaboration dans l’accompagnement des collectivités dans les projets de réhabilitation et d’extension de cimetières dans des secteurs sensibles et fragiles (secteurs agricoles et urbains). 2/ Union du Pôle Funéraire Public créé en 2010


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PÔLE PAYSAGE / URBANISME : préfiguration urbaine le long du canal de Rompsay à la Rochelle

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PÔLE RECHERCHE & DÉVELOPPEMENT : «Approche Corps-Pays©» des territoires à l’échelle des bassins versants

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PÔLE médiation culturelle : sensibilisation au trajet de l’eau de pluie dans un petit bassin versant à Montlouis-sur-Loire.


Contribution personnelle et positionnement

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Mon expérience au sein de l’atelier de Paysage Landescape s’est révélée être bien plus qu’un stage. J’ai en effet été impliqué dans l’ensemble des activités de l’agence, sans être limité exclusivement à la production de documents graphiques (comme ça peut souvent être le cas dans d’autres bureaux d’études). J’ai ainsi contribué à : - l’élaboration et la finalisation de deux plans guides urbains à la Rochelle - l’animation de concertation publique sous la forme d’ateliers participatifs - la réalisation d’un concours avec des architectes qui a remporté le 1er prix - le suivi de divers chantiers - la réalisation de plusieurs expositions - l’animation d’ateliers pédagogiques en milieu scolaire sur la sensibilisation de l’eau «territorialisée» - la réalisation d’une étude de faisabilité concernant le déploiement d’un réseau cyclable et pédestre dans une vallée connexe de la Charente - la réalisation du diagnostic et de l’AVP du PAPI de la Rochelle - les réponses à de nombreux appels d’offres - ma présence à l’ensemble des réunions - un travail de recherche et développement concernant la gestion des cendres dans les espaces cinéraires1 Ainsi, à travers ces sept mois d’insertion professionnelle, j’ai pu intégrer tous les enjeux nécessaires au bon fonctionnement de ce type de structure et découvrir par la même occasion un éventail de domaines d’expérimentation particulièrement motivants. Mon investissement sur le thème des cimetières a essentiellement été sollicité sur le travail de recherche et développement concernant la gestion des cendres issues de la crémation. 1/ Lieu d’accueil des cendres, peut prendre différentes formes (columbarium, jardin du souvenir, etc.)

Malheureusement pour des questions de confidentialité, ce projet ainsi que le processus expérimental ne pourront être décrits dans ce mémoire de msp. Ceci étant, mon implication au sein de cette démarche m’a énormément questionné sur la façon même de travailler sur les espaces de la mort, d’où ce choix d’approfondir le sujet et de m’intéresser aux cimetières et espaces cinéraires. L’approche de ce mémoire a donc au-moins un double enjeu : m’apporter à travers un travail de synthèse et d’une analyse bibliographique une connaissance solide sur la question des cimetières et des espaces cinéraires en France (et à l’étranger) et d’autre part apporter au lecteur une présentation construite autour d’un thème récurrent : la mort. Que devient notre corps après la mort ? Que laisser ? Une stèle, un caveau, une urne, des cendres... ? Le cimetière n’est que le morne reflet de notre société (passée-présente-future) ; à quand le cimetière joyeux ? Nous ne célébrons plus la mort, nous la fuyons. Rentrons dans les cimetières et attachons nous à comprendre ce qui a changé et ce qui est en train de changer ? Comment, demain, serons-nous sollicités dans la conception ou tout simplement dans la transformation de ces espaces de la mort ?


http://lusile17.centerblog.net/rub-chateaux-du-facteur-cheval--3.html?ii=1

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Tombeau du silence et du repos sans fin, achevé en 1922 par Facteur Cheval « L’architecture funéraire est toujours désuète et naïve. C’est Dysneyland et les habitants paysagistes, le Facteur Cheval et Picassiette ». M.Ragon


2 • La mort, les funérailles et le cimetière : quelques prérequis

Que devient le corps après la mort ? Les attitudes face à la mort n’ont cessé d’évoluer depuis nos origines. Dès le paléolithique on observe un culte des morts : la volonté de préserver une mémoire, « ne disparaître socialement que très longtemps après avoir péri physiquement, tenter la survie du souvenir [...]»1. Ainsi l’histoire nous livre quantité de sépultures, espaces de la mort dont la forme, la mise en œuvre, sont le reflet des us et coutumes d’une époque donnée. L’évolution des rites funéraires ainsi que l’aménagement des espaces de la mort se traduit par une amélioration de la gestion du corps après le décès (les techniques de conservation, les croyances, le cadre réglementaire, l’hygiène, etc.).

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El Greco, l’Enterrement du comte d’Orgaz, huile sur toile, 4,8x3,6 m, 1586-1588

1/ Extrait de «Dernières demeures» de R. Auzelle

Aujourd’hui, en France, le décès est constaté par un médecin qui certifie la mort cérébrale du défunt (1). Selon les volontés de celui-ci, son corps peut-être donné à la science (3) et suivant les conditions de la mort, des organes sont prélevés pour le don d’organes (2). Dans tous les cas la mise en bière (4) est obligatoire avant de procéder à une quelconque cérémonie ou au rite funéraire. En France, le cercueil homologué comporte quatre poignées et peut être en bois ou en carton. Il est toléré de fabriquer son propre cercueil si les normes sont respectées. En fonction des volontés exprimées avant son décès, le défunt peut-être soit inhumé dans un cimetière communal (5) ou dans une propriété privée (6) sous autorisation préfectorale. La crémation (7) est la seconde technique funéraire possible. Ce procédé est aujourd’hui en pleine essor. En effet, plus de 30% des défunts en France sont crématisés. Après la crémation, les cendres du disparu sont placées dans une urne cinéraire (8) qui est soit placée dans un cimetière (5) (sépulture, columbarium, monument funéraire, jardin du souvenir). L’urne peut aussi être inhumée dans une propriété privée (6). La dispersion des cendres en pleine nature (9) est autorisée sous certaines conditions (interdit sur la voie publique ou dans des lieux publics) mais il faut au préalable faire une déclaration en mairie. Nous verrons plus en détail dans la suite de ce mémoire les éléments qui ont trait à la crémation. D’autres techniques funéraire existent mais sont peu ou pas pratiquées car parfois interdites par la loi française (aquamation, inhumation céleste, embaumement, promession à l’azote liquide, canibalisme).


3 don du corps à la science

2 don d’organes

1 mort cérébrale

4 mise en bière

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5 cimetière communal aquamation

6 propriété privée

7 crémation

inhumation céleste 8 urne cinéraire

8’ espace cinéraire

embaumement

9 dispersion en pleine nature promession à l’azote liquide


La réglementation et les institutions : qui gère la question funéraire ? Depuis 1904, le maire est responsable de l’inhumation ou de la crémation de toute personne décédée sur le territoire de sa commune. • La crémation

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La crémation (ou l’incinération) est autorisée en France depuis 1887 mais réglementée depuis 1889. De nos jours, elle concerne plus de 30% des décès. Son autorisation est accordée sur les justifications suivantes : - l’expression écrite des dernières volontés du défunt ou, à défaut d’une personne qui a qualité pour pouvoir aux funérailles ; - un certificat du médecin chargé par l’officier d’État Civil de s’assurer du décès (à l’hôpital, le médecin rédacteur du certificat de décès) et affirmant que celui-ci ne pose pas de problème médico-légal. L’incinération doit être autorisée par le maire de la commune du lieu de décès ou, s’il y a eu transport de corps, du lieu en bière. Elle sera ordonnée dans les 24 heures au moins et 6 jours au plus après le décès. Ce délais peut être allongé si le crématorium n’est pas en mesure d’assurer la cérémonie en temps voulu faute de disponibilité. Les cendres seront recueillies dans une urne fermée et remises à la famille. Selon ses vœux ou ceux du défunt, elles pourront être conservées dans un domicile ou dans n’importe quel lieu privé, inhumées dans une concession ou un columbarium, dispersées dans un jardin du souvenir ou en pleine nature, en mer ou dans le ciel (à l’exception des lieux publics). Les cendres sont considérées légalement comme un « corps » (Art 11 de la Loi du 19 décembre 2008 modifiant l’Art.16-1-1 du Code Civil), et doivent être traitées avec le même respect y compris après la mort. Tous

les droits afférents à un défunt non incinéré s’appliquent de fait à un défunt en cendres. La crémation des morts remonte à l’Antiquité. Elle était très pratiquée au temps des Romains par l’aristocratie alors que la chrétienté s’y oppose formellement (comme les juifs et les musulmans) dans ses débuts. selon eux, le corps détruit par le feu (symbole de l’enfer) ne pourrait ressusciter le jour du Jugement Dernier.. Les Églises orthodoxes et protestantes ne se prononcent pas sur l’incinération. Si les premiers la pratiquent peu, les second l’ont autorisé dès 1898. Pourtant, elle est peu suivie par les pratiquants. Le bouddhisme et l’hindouisme y voient un mode de purification du corps sans pour autant le rendre obligatoire. • L’inhumation L’inhumation dans un cimetière est soumise à l’autorisation du maire de la commune concernée. Il peut s’y opposer en cas d’atteinte à l’ordre public. Il est contraint de l’accepter pour personne domiciliée, décédée ou possédant une sépulture dans ses limites frontalières. L’inhumation doit avoir lieu 24 heures au moins et 6 jours au plus après le décès. Elle peut se faire soit : - dans une concession individuelle ou de famille, perpétuelle, cinquantenaire, trentenaire, temporaire (5 à 15 ans) ; acquise moyennant un versement forfaitaire fixé par le conseil municipal, - dans un terrain communal concédé gratuitement pour une durée habituelle de 5 à 7 ans à toutes personne décédée ou domiciliée sur le territoire de la commune. La concession n’est pas un achat de terrain mais un droit d’usage octroyé à titre privatif pour une certaine durée moyennant le


paiement d’une somme forfaitaire. Les communes sont libres d’en fixer les tarifs. Elles ne peuvent pas refuser à une famille une prolongation de sa concession. L’inhumation dans une propriété privée est autorisée par la loi. Elle est soumise à l’autorisation du préfet. Elle est exceptionnellement délivrée car elle n’est pas sans soulever de nombreuses difficultés à venir. En effet, après l’inhumation si on désire vendre la propriété familiale, l’exhumation et/ou le déplacement de la tombe sera impossible. Les nouveaux propriétaires se verront contraints d’accorder aux anciens propriétaires un libre accès perpétuel à la tombe. Depuis l’abrogation de la loi du 14 novembre 1851, le cimetière n’est plus divisé en autant de parties qu’il existe de cultes. Les cimetières confessionnels qui subsistent appartiennent à des personnes privées. • Repères juridiques Loi du 28 décembre 1904 : création du monopole communal Transfert aux communes de l’essentiel du monopole des pompes funèbres attribué aux établissements cultuels. Loi du 9 janvier 1986 : dérogation du monopole Possibilité de fournir concurremment le service extérieur des pompes funèbres par l’organisation funéraire de la commune de mise en bière, de domicile, d’inhumation ou de crémation, et mise en place du contrôle des entreprises par la délivrance d’un agrément. Loi du 8 janvier 1993 : suppression du monopole communal Le service extérieur des pompes funèbres devient une mission de service public qui peut désormais être assurée par toute régie, entreprise, association habilitée, dans un contexte concurrentiel, les communes et leurs groupements sont seuls compétents

pour la création et la gestion des crématoriums. Loi du 20 décembre 2008 : Modification de la législation en matière de statut des cendres, sites cinéraires, cimetières, surveillance des opérations funéraires, mesures de protection des familles. • Union du Pôle Funéraire Public (UPFP) Depuis le 1er janvier 2010, l’Union des Professionnels du Pôle Funéraire Public (UPPFP) et la Fédération Nationale des Services Funéraires Publics (FNSFP) se sont solidarisés au sein d’une même structure (association loi 1901) : l’UPFP. Ainsi l’UPFP fédère les responsables de services funéraires publics (pompes funèbres, crématoriums, cimetières) afin de faire valoir l’éthique du service public, de mettre en commun et promouvoir leur savoir-faire, de regrouper leurs moyens et leurs actions, et enfin d’organiser leur représentativité. Ils occupent une position privilégiée pour veiller au respect d’une vraie déontologie dans l’exercice de leurs missions. Ils ont également fait la preuve de leur capacité à s’organiser au sein de sociétés d’économie mixte, de régies ou d’établissements publics industriels et commerciaux et de services communaux, afin de répondre aux nouvelles exigences des familles en matière d’accueil, d’accompagnement et de création de nouveaux services et équipements. L’atelier de Paysage Landescape a essentiellement collaboré avec l’UPFP dans la réalisation d’extensions de cimetières, notamment pour des questions environnementales, patrimoniales et plus simplement de compositions spatiales. Nous allons voir dans la suite de ce mémoire l’évolution de l’aménagement des cimetières ainsi que les nouveaux enjeux à intégrer dans les projets de l’agence qui ont trait à l’aménagement des cimetières.

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3 • Du fonctionnalisme funéraire au retour de la mémoire des morts

Évolution dans l’aménagement des cimetières en France « Toute tombe comporte donc un appartement, qui va de la suite royale au studio minuscule. Le défunt continue d’habiter sa maison, réplique de la demeure coutumière [...] dans l’architecture même de certains sarcophages on retrouve des formes structurelle à celles des maisons d’habitation ».1 Ainsi on pense aux stèles - maisons chez les Romains, les tumulus chez les gaulois, voire plus récemment, à Marseille avec les HLM des morts (tours de 7 étages avec plus de 6000 places - Cf. p.4). Les pyramides chez les égyptiens sont plus conçues comme « une sorte d’appareil de communication avec l’au-delà ».

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L’architecture et l’organisation des espaces de la mort s’expriment dans une variété de formes, de matériaux, de lieux. Cela étant conjointement lié aux rites et savoir-faire d’une société donnée, mais aussi de son rapport avec la mort et la mémoire du disparu. Par exemple, à Maceo (Colombie), les indigènes prirent l’habitude d’aller vivre deux à trois semaines au cimetière près du parent qui y aurait été enterré puis finirent par y construire des maisons spéciales pour y séjourner. « Au Moyen-Âge, le cimetière était l’endroit le plus bruissant, le plus affairé, le plus turbulent, le plus commerçant de l’agglomération rurale ou urbaine. L’église était la maison commune ; le cimetière l’espace ouvert, également commun, à une époque où il n’y avait pas d’autres lieux publics, sinon la rue, pas d’autre lieu de rencontre, tant les maisons étaient en général petites et surpeuplées ».2 Au XVIIe , l’Église ordonne la construction 1/ Extrait de L’espace de la mort de M. Ragon 2/ Extrait de L’Homme devant la mort P. Ariès

de murs pour tous les cimetières afin d’y empêcher les bagarres, les vols, la prostitution, les marchés, la pâture. « Quel contraste avec le désert actuel de nos cimetières, seulement peuplés de monuments, nos cimetières musées de tombes et musées des morts ! Comme l’église, le cimetière était un lieu public, un espace urbain où s’assemblait la communauté. Lorsque la bourgeoisie naissante construira partout des hôtels de ville, ceux-ci ne prendront jamais le caractère populaire de l’église et du cimetière. Comme souvent, la laïcisation, en amenant l’ordre et la vertu, suscite l’ennui. Toutefois, un autre espace urbain, la place carrée ou rectangulaire, flanquée de galeries marchandes, va remplacer la fonction animatrice du cimetière lorsque celui-ci, muré et fermé, deviendra seulement espace de la mort [...] En tout cas, au milieu du XVIIIe siècle, les cimetières cessent presque partout en France d’être des lieux de passage, de réunions et de fêtes. Les édits abondent qui interdisent d’y faire sécher le linge, d’y battre le blé, d’y tenir foire ou marché, d’y faire paître les bestiaux, d’y jouer à la paume ou aux boules, de s’en servir de dépotoir, d’y ouvrir des tavernes, d’y organiser des bals et des assemblées. On voit par cette énumération que les activités dans cet espace public étaient multiples. Mais cela exprimait aussi une familiarité avec la mort. En voulant inculquer à ses fidèles une notion abstraite du sacré, l’Église préparait, sans le vouloir, la grande désaffection actuelle à la fois du sacré et du culte des morts ».3 L’aménagement du cimetière est le reflet du rapport qu’entretien l’homme avec la mort. Avec «l’expulsion» des morts de la vie quo3/ Extrait de L’espace de la mort de M. Ragon


tidienne, les sociétés contemporaines font presque un dénis des espaces de la mort. Cette notion est d’autant plus renforcée avec la laïcisation du cimetière qui nous amène au fonctionnalisme radical de la mort. S’il n’est plus coutume de vivre au quotidien avec la mort pourquoi ne pas utiliser la terre destinée au morts pour d’autres usages (habitats, agriculture, industrie, etc.) ? En France, le cimetière accueil une diversité de sépultures et de monuments funéraires qui s’organisent au sein de secteurs bien définis, selon une trame, un plan de circulation, une topographie des lieux. Au Moyen-Âge et jusqu’au XVIIIe s., les gens d’église et les

riches bourgeois se faisaient inhumer dans l’église même ou à proximité, mais la plupart des citoyens finissaient dans une fausse commune, puis plus tard ce seront les charniers (XIVe s.). « Le tombeau ne concerne pas le commun des mortels : il est le luxe de la mort [...] Le vulgaire se loge au cimetière et souvent n’a pas de fosse particulière : on entasse côte à côte les décédés jusqu’à ce que la fosse soit pleine (cette manière de procéder et les inconvénients qui en résultaient du point de vue de la salubrité furent pour beaucoup dans la campagne menée au XVIIIe s. afin d’éloigner les cimetières des agglomérations)».1 C’est à partir du XVe 1/ Extrait de Dernières demeures de R. Auzelle

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Île de Téviec, Morbihan - Tardénoisien récent, 4500 av. J.-C. Extrait de Dernière demeure de R. Auzelle


s. que les monuments funéraires se popularisent. Initialement en bois, ils résistent mal aux intempéries, mais on note cette volonté de vouloir protéger l’emplacement d’une tombe. Quelques cimetières encore conservent de nombreux monuments du XVIIe et XVIIIe s.

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La part belle donnée au végétal au sein du cimetière n’a pas toujours été de mise. En effet, au XVIIIe s. on interdisait toute plantation qui « croyait-on, étaient susceptibles de gêner la circulation de l’air, condition essentielle pour que le cimetière ne soit pas un danger pour les vivants ». Mais la vocation symbolique de certaines espèces au feuillage persistant, les conifères notamment comme les ifs, les buis, les cyprès trouvent une signification religieuse dès l’Antiquité, repris par la suite dans le christianisme. « Une tradition populaire - venue de quelle mythologie antique, grecque, mycénienne, égyptienne ou carthaginoise ? - voulait qu’il poussât une racine dans la bouche de chaque mort »1. Jusqu’à la veille de la Révolution française de 1789, le cimetière est régie par l’Église. Il devient ensuite administratif et laïque. S’entame alors progressivement une transformation qui va mener à l’éloignement du cimetière des centres urbains (pour des raisons sanitaires). Sa forme extérieure n’évolue que très peu mais c’est son organisation interne qui change : le cimetière devient le lieu de sépulture obligatoire et il est compartimenté selon les différentes formes de cultes. En 1881 il n’y a plus de distinctions religieuses. La réforme du 23 prairial an XII, en 1804 définit les dimensions des fosses, les distances entre elles, la durée d’enfouissement des corps, etc. Plus tardivement, il est imposé l’installation d’un ossuaire destiné à recueillir les restes trouvés dans les concessions relevées. La création des catacombes, entre autre à Paris, correspond à ce changement des rites 1/ Extrait de Dernières demeures de R. Auzelle

funéraires et du statut qu’occupe le cimetière avant et après la révolution française. Ces gigantesques ossuaires sont la conséquence du déplacement des cimetières extra muros de cette période. Mais cette pratique funéraire ne sera pas abordée dans ce mémoire au même titre que les monuments aux morts et les cimetières militaires qui apparaissent avec les grandes guerres. L’urbanisme de la mort qui s’en suit (c’està-dire dans la première moitié du XXe siècle voir après) transforme le cimetière en un objet fonctionnel de la ville mis à part quelques exceptions. La question des concessions perpétuelles amène les gestionnaires à optimiser l’espace et très vite le cimetière s’agrandit par pièce de terrain acquise à la hâte et qui dénote d’avantage sur la composition initiale déjà médiocre. Ainsi le cimetière devient un amoncellement monotone de sépultures identiques, faites de granit, de marbre ou de matériau reconstitué qui lui donne l’air d’un champ de pierres taillées. « Le problème, aujourd’hui, semble s’énoncer en données purement matérielles : il s’agit, pour les collectivités, d’inhumer le maximum de corps, dans le minimum de terrain avec le minimum de frais ; pour les individus il s’agit d’acquérir un bien immobilier d’outre-tombe - si l’on ose dire - et qui soit un complément des biens fonciers de la vie [...] ».2 Les enjeux contemporains qui ont trait à l’aménagement du cimetière dépassent aujourd’hui l’enceinte même de cet espace de la mort : il s’agit des enjeux urbains, environnementaux, sociaux, énergétiques, etc. mais aussi territoriaux et paysagers. Le cimetière ne peut-il pas être de nouveau un élément qualitatif et actif de la fabrication de la ville et du territoire ? Il faut quitter l’urbanisme de secteur, retrouver la géographie des lieux, et le cimetière n’en n’est pas exclus ! 2/ Extrait de Dernières demeures de R. Auzelle


Cimetière des Innocents, état en 1551 d’après le plan dit «de Bâle» Extrait de Dernière demeure de R. Auzelle

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Vue aérienne du cimetière de Thiais, près de 109 ha au sud de Paris - capacité de 200 000 sépultures à raison de 16 000 inhumations par an // Extrait de Dernière demeure de R. Auzelle


De nouveaux modes de conception des cimetières

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Dans le choix même d’implantation du cimetière il est nécessaire de ne pas négliger certaines composantes de base : - les données géologiques/pédologiques : la composition du sol (pH), la circulation de l’eau et de l’air sont des facteurs primordiaux de la combustion des corps. Il est nécessaire d’éviter les terrains sourciers pour prévenir toutes contamination de l’eau (eau de ruissellement, eau d’infiltration, proximité de nappe affleurante) - le laps de temps à respecter pour les rotations d’occupation du sol - le sol doit permettre le développement des végétaux (strate arbustive et arborée) - les relevés topographiques - les accès et les moyens de transports en commun (les cimetières sont de plus en plus à l’extérieure des agglomérations), prendre en compte les trajets des convois funèbres - la superficie du cimetière doit être suffisamment réglée pour pouvoir évoluer sans contrainte foncière - la valeur même du sol sur lequel il est projeté (secteur naturel sensible, foncier constructible, terres agricoles) Ensuite viennent les éléments liés à la composition interne du cimetière. Robert Auzelle identifie ainsi trois grands courants d’aménagement : le cimetière parc influencé par le « park cemetery » américain et le parc à l’anglaise, le cimetière forestier et le cimetière architectural. -Le cimetière parc est composé à la manière d’un jardin à l’anglaise. Il laisse une part importante à la végétation qui masque presque les installations funéraires. - Le cimetière forestier utilise la forêt comme un décor (romantisme), il est enrichi d’œuvres sculpturales ou architecturales. Sa mise en œuvre reste compliqué et dépend énormément des caractéristiques du site initial. Cette technique est intéressante sur de futures zones d’extensions en attentes (20 à

30 ans minimum sont nécessaires). - Le cimetière architecturale correspond à une composition basée essentiellement sur des ensembles de tombes délimités par des haies ou des arbres taillés, s’étageant à différentes hauteurs, sur de petites terrasses. L’élément essentiel de la composition est cette fois ramené au groupe de tombes (plus ou moins dispersé) organisé selon des perspectives. Les grands cimetières urbains et intercommunaux sont généralement composés par ces trois formes de dessin. Plus récemment, à partir de la fin du XXe, la notion de cimetière paysager semble se définir. Sa composition met en avant l’histoire des lieux, son rapport au territoire et à sa géographie, ainsi que la considération des éléments architecturaux. L’architecture funéraire française se décline sous différente formes : le caveau (simple, à trois places, ou double à six places avec à chaque fois une ou deux hauteurs supplémentaires), l’enfeu (cimetière aérien), l’ossuaire (individuel ou collectif), l’urne cinéraire, le jardin du souvenir, le cave-urne. Ainsi un corps peut séjourner une première période dans un caveau puis les ossements sont placés dans un second temps soit dans un ossuaire individuel soit dans un ossuaire collectif. D’une manière générale, le choix restreint et ce goût du « kitsch funéraire », amène à un constat désolant : les éléments architecturaux et funéraires sont d’une pauvreté de composition et les matériaux sont inadéquats. Le marbre gris ou rose importé de Chine lisse peu à peu l’image générale du cimetière. Nous allons ainsi développer ces notions d’aménagement plus en détail dans la suite de ce mémoire et illustrer le propos par deux projets abordés par l’agence Landescape.


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Plan du cimetière du Parc à Clamart 1ère et 2eme version // Extrait de Dernière demeure de R. Auzelle


Projet d’extension du cimetière de Saint Savinien (17)

ZNIEFF + Natura 2000

cimetière + extension

0m

500m

N

Carte de repérage du cimetière de St Savinien

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Le travail réalisé par l’atelier de paysage Landescape (en partenariat avec les Pompes Funèbres Intercommunales de la Saintonge) pour la commune de Saint-Savinien à consisté dans un premier temps à développer une analyse du contexte paysager du cimetière existant ainsi que la zone retenue pour son extension et dans un deuxième temps proposer une esquisse d’aménagement de cette extension. Les problématiques développées dans le cahier des charges concernent : - la saturation du cimetière existant et un besoin urgent de nouveaux emplacements - l’extension, le souhait de la mairie est de proposer un cimetière contemporain offrant une diversité d’emplacements (caveaux, cavurnes, colombarium, jardin du souvenir) et un paysage « naturel » en lien avec les spécificités paysagères locales (Label Pierre et Eau) - la création des liaisons entre l’extension et le cimetière existant - l’amélioration du stationnement et son insertion paysagère - la gestion environnementale en cohérence avec le site Natura 2000 (Directive Habitat) Le cimetière existant occupe une surface de

12 387 m2, la future zone d’extension occuperait 4000 m2 supplémentaires. Le site est placé à la limite Nord du périmètre inscrit au titre des monuments historiques (les deux rives de la Charente). Il est également situé dans le périmètre ZR paysage de la ZPPAUP1. Ce périmètre réglementé impose une prise en compte fine des sensibilités paysagères. Le dossier devra être validé par l’Architecte des Bâtiments de France. Le contexte environnemental sensible place le cimetière dans un secteur classé ZNIEFF2 (Carrières souterraines de Chail) ainsi qu’en Zone Spéciale de Conservation pour la protection des chauves-souris. Un DOCOB3 a été produit sur ce secteur et un animateur est identifié. Le projet d’extension du cimetière devra prendre en compte les sensibilités environnementales prescrites tant dans le projet d’aménagement que dans les modalités de gestion. La zone d’extension du cimetière fait l’objet d’un emplacement réservé (n°2) dans le PLU. 1/Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager 2/Zone Naturelle d’Intérêt Écologique, Faunisque et Floristique 3/Document d’Objectifs établit dans le cadre de classement Natura 2000


Cimetière en surplomb, ouvert sur le paysage (Vue Est)

Future zone d’extension du cimetière (4000 m2)

Perspective sur l’église, ambiance très minérale

Monument funéraire singulier à valoriser

Puit d’aération à valoriser

Mur extérieur en appareillage calcaire de qualité

Jardin du souvenir non intégré avec la covisibilité de l’église

Couleurs et matériaux inadaptés

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12

5

8 9 11

4 7

10

5

3

6 1

4

5

6

2

Plan masse de composition

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La singularité de ce projet (développé jusqu’au stade esquisse) est de proposer une solution simple dans le choix des matériaux et dans la composition pour un coût raisonnable (350 000 € HT) pour des communes de cette envergure (2450 habitants). La particularité de ce site est d’accueillir des colonies de chiroptera qui nichent dans les cavités de la carrière installée sous le cimetière. Des puits d’aération par lesquels passent les chauve-souris ponctuent l’ensemble du cimetière, ils seront des éléments importants dans la composition du projet. Les enjeux d’aménagement qui ont été définis concernent autant la composition générale que les éléments de détails singuliers : 1 - le renforcement de la haie bocagère longeant la voie ferrée 2 - la requalification du parking d’entrée du cimetière 3 - la restructuration progressive du cimetière existant (plantations, reprise de caveau, etc.)

4 - maintenir et souligner les perspectives sur l’église 5 - valoriser la présence des puits d’aération (mise en valeur Natura 2000) 6 - valoriser les vues sur le paysage de vallon (espaces belvédères) 7 - maintenir la simplicité des voiries et de leurs accotements (talus empierré + haie bocagère basse) 8 - créer un passage dans le mur de clôture vers l’extension 9 - déplacement progressif de caveaux pour créer d’autres accès à l’extension 10 - créer une allée centrale avec une perspective sur l’église 11 - créer un espace cinéraire très végétal afin d’être le plus compatible avec la zone Natura 2000 12 - créer une haie bocagère dense en limites de parcelle plutôt qu’un mur maçonné (corridor biologique + insertion paysagère ZPPAUP)


Principe du réaménagement progressif du cimetière existant

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Principe d’aménagement de l’extension du cimetière

Références d’aménagement :

Cimetière-Parc à Nantes ; Cimetière Beausoleil à Sornière ; Cimetière de Biganos


Projet d’extension du cimetière de l’Houmeau (17)

0m

200m

N

Carte de repérage du cimetière de l’Houmeau

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Le travail réalisé par l’atelier de paysage Landescape (en partenariat avec l’Association de Mutualisation du Funéraire Public) pour la commune de l’Houmeau à consisté dans un premier temps à développer une analyse du contexte paysager du cimetière existant ainsi que la zone retenue pour son extension et dans un deuxième temps proposer trois esquisses d’aménagement de cette extension. Le cahier des charges développé par la maîtrise d’ouvrage cible un certain nombre de besoins : - la saturation du cimetière existant et un besoin constant de nouvelles concessions - la mairie souhaite mettre en œuvre un cimetière contemporain offrant une diversité d’emplacements (caveaux, cavurnes, columbarium, jardin du souvenir) et un paysage « naturel » en lien avec les spécificités paysagères locales. - créer des liaisons entre l’extension et le cimetière existant - améliorer l’articulation entre le cimetière, son extension et les autres fonctions urbaines environnantes (préconisation étude CAUE 17) Les orientations d’aménagement permettent de définir trois hypothèses de projets pour

répondre aux enjeux identifiés. Enfin, les trois esquisses donnent la possibilité d’illustrer et de chiffrer les propositions de projets. La surface du cimetière existant est de 3000 m2 (soit +/- 470 emplacements) ; la surface disponible pour l’extension est de 5000 m2. Le cimetière de l’Houmeau est situé à la transition entre le secteur historique du bourg et les zones d’habitations récentes situées au Nord-Est de la commune. Il occupe une position de charnière urbaine. Il est aussi le deuxième «poumon vert» urbain avec le parc Beauséjour. Le cimetière et sa zone d’extension sont situés dans le secteur constructible Ue. Cet élément doit également être pris en compte dans l’élaboration du projet car cette zone Ue représente pour la commune des réserves foncières constructibles. Notons que l’ensemble de la zone ludique et sportive limitrophe est située en secteur EBC. Le contexte actuel du cimetière ainsi que l’extension représentent des enjeux urbains stratégiques.


Future zone d’extension du cimetière

Entrée (publique et technique) qualitative

Allée principale, végétation à valoriser

Position inadéquate du jardin du souvenir

Impact visuel négatif de la clôture en béton

Relique de tombe de style 19e en matériau local

Covisibilité avec la zone multi-sport

Clôture béton à supprimer + requalification des sols

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1

2

3

Trois scénari d’aménagement : un cimetière paysager / un cimetière plus compact, ouvert au nord, à l’ouest et au sud / un cimetière paysager compact, boisé, traversant, se prolongeant par un parc paysager

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Au regard de la position stratégique du cimetière et de sa zone d’extension, trois scénari d’aménagement sont proposés pour optimiser l’insertion de l’extension du cimetière au contexte urbain existant. - Scénario 1 : Un grand cimetière paysager accessible par le Sud et par l’Ouest. - Scénario 2 : Un cimetière paysager plus compact et plus ouvert (Accès Sud, Ouest et Nord) - Scénario 3 : Un cimetière paysager compact, boisé, traversant et se prolongeant par un parc paysager. Les trois scénari présentés ici, soulignent l’enjeu incontournable de l’intégration du cimetière dans le tissu urbain et paysager de la commune de l’Houmeau. L’aménagement de l’extension du cimetière, en cœur de ville, dépasse donc le « simple » thème des fonctionnalités liées aux espaces cinéraires. Les trois scénarios montrent comment l’extension du cimetière peut entrainer une mise en valeur globale de ce cœur de ville, structurant pour l’ensemble de la commune.

Diagramme de synthèse Scénario 1 Scénario 2

Scénario 3

Le graphique de synthèse montre assez clairement les niveaux de réponses et les limites qu’apportent chacun des trois scénarios. Ainsi le scénario optimal qui ressort de ces comparatifs est le scénario n°3. Ce dernier répond de façon plus complète aux multiples enjeux identifiés sur la commune de l’Houmeau.


Vue scénario 1

Vue scénario 2

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Vue scénario 3

Références d’aménagement :

Espace de dispersion des cendres à Villerbane ; Pont de l’île de Ré et pavillons de bateaux ; Cimetière marin en Corse


Références et autres démarches Au regard des deux exemples précédents, il s’avère que l’aménagement des cimetières prend sens dans une approche globale du site : à travers la géographie, la morphologie urbaine, les fonctionnalités qui préexistent, les sensibilités paysagères et environnementales. Mais aussi par le détail et la finesse à apporter dans le dessin même de la structure du lieu et l’architecture des monuments funéraires à travers les références locales, le choix des matériaux, le folklore funéraire, l’iconographie, etc.

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Ces deux exemples sont aussi le témoin de l’état désastreux dans lequel sont de nombreux cimetières des communes de provinces. Les causes sont nombreuses : - des moyens financiers locaux insuffisants, - une méconnaissance de l’aménagement des espaces funéraires - la pression des entreprises locales qui vendent des équipements funéraires préfabriqués sur catalogue et directement importés de Chine - et peut-être aussi cet éloignement progressif de notre société avec la mort Les deux références présentées ci-après sont des exemples d’aménagements singuliers : • Le cimetière naturel de Souché situé dans l’agglomération Niortaise se caractérise par l’innovation environnementale mise en œuvre (peut-être à contre courant des traditions locales). C’est le premier du genre à Niort, il fonctionne selon une charte en adéquation avec la politique de développement durable de la ville. Il est installé sur une parcelle de 4000 m² autrefois exploitée en carrière pour les pierres tombales calcaires, le cimetière naturel propose des concessions dédiées aux inhumations, des concessions spécifiques pour les urnes cinéraires et un espace de dispersion des cendres. Son cadre champêtre et arboré favorise le recueille-

ment et le lien avec la nature. Le concept dépasse « le simple aménagement paysager à la gestion écologique ». Toutes les étapes consécutives au décès sont repensées pour réduire au maximum l’empreinte écologique de l’inhumation. Le corps et les cendres sont rendus à la terre le plus naturellement possible. Les familles qui souhaitent une concession doivent signer une charte d’engagement. Les corps ne reçoivent plus de soins de conservation, sauf exception absolue, et doivent être habillés de fibres naturelles. Ils sont déposés dans des cercueils ou urnes en matériaux biodégradables, en pleine terre. Une pierre calcaire permettra d’identifier le défunt dans le respect d’une charte de présentation précise. Dans le jardin du souvenir, les cendres sont enfouies dans du sable recouvert de broyât. Seules les fleurs naturelles déposées dans les vases mis à disposition par la ville sont autorisées. Le nom des défunts ayant fait l’objet d’une dispersion est gravé sur une feuille en laiton fournie par la ville. Elle sera suspendue dans « l’arbre des Printemps » à un emplacement choisi par la famille. Le site est conçu et géré entièrement par la ville dans le respect d’une gestion douce et raisonnée d’une végétation spontanée. Les produits phytosanitaires sont interdits et les déchets verts valorisés sur place. Seules les allées piétonnes sont tondues. Les éléments de mobilier ont été récupérés ou recyclés : clôture de châtaignier non traité, ancien banc en pierre du Donjon, portail d’entrée en bois, etc. Les concessions courront sur les mêmes durées (15 ou 30 ans renouvelables) et seront aux mêmes tarifs que pour les autres cimetières de la ville.


http://www.vivre-a-niort.com/fr/actualites/dernieres-infos

Entrée du cimetière naturel de Souché

• Le cimetière d’Igualada, situé à 60 Km à l’ouest de Barcelone a été conçu entre 1985 et 1995 par les architectes catalans Enric Miralles et Carme Pinós. Il se démarque par la finesse de la réalisation qui s’inscrit admirablement dans un paysage de vallon, dans un méandre de la rivière d’Òdena. C’est un cimetière composé principalement d’enfeus

(1600 niches), une pratique funéraire commune en Espagne et au Portugal. Il accueille également un programme bâti malheureusement inachevé d’une chapelle et d’un laboratoire d’autopsie. La grande force de ce projet est la symbiose du cimetière avec la nature : c’est un cimetière enterré. Il dessine une faille discrète dans le coteau, de l’extérieur, seules les cimes des arbres de l’allée principale sont perceptibles. En pénétrant dans cette faille on y découvre une allée centrale de 150 mètres, aménagée dans la pente du terrain naturel et bordée de part et d’autre par les enfeus dessinés avec simplicité dans le béton. Les jeux de lumière amènent la chaleur nécessaire dans cet espace principalement minéral. La grande richesse de ce projet vient sans doute du fait que les concepteurs aient travaillé avec la finesse des architectes et la démarches des paysagistes.

http://www.enricduch.com/content/1.archivo/13.cementerio-igualada

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Vue de l’allée centrale du cimetière d’Igualada


4 • Changement des rites funéraires : la crémation

Transformation des rites funéraires en France

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Les rites funéraires n’ont cessé d’évoluer, nous l’avons vu avec la séparation de l’Église et de l’État à la Révolution Française de 1789. Mais plus récemment c’est le rapport même à l’inhumation qui est bouleversé, depuis les année 1970, la crémation est en plein essor avec de nouvelles pratiques funéraires associées qui se popularisent (norme sociale). Notons par ailleurs l’apparition d’autres moyens permettant de réduire le corps en poussière : la promession (azote liquide) et l’aquamation (hydrolyse alcaline) qui décompose naturellement les tissus en deux à trois heures. La famille peut ensuite récupérer les restes du défunt comme dans une crémation classique par le feu. Cependant il n’existe pas encore de cadre législatif pour ces procédés funéraires en France, cela est possible uniquement en Suède, en Allemagne et aux États-Unis. Quelles sont les éléments qui ont favorisé ce changement des rites funéraires en France ? « Les Français optent massivement pour la crémation mais la choisissent plus facilement pour eux-mêmes (52%) que pour leurs proches (48%). Ce choix est lié, fortement, aux options religieuses. Rappelons que 58% des Français se disent croyants (dont 11% « croyants et pratiquants ») et 41% « athées et non croyants ». Les « athées ou non croyants » choisissent massivement la crémation à hauteur de 67%. (Ce chiffre tombe à 62% quand il s’agit de décider « pour une personne proche »). Quant aux croyants, plus ils pratiquent, moins ils optent pour la crémation. Pour les croyants (sans pratique) ils sont 41% à opter pour la crémation - et ce chiffre tombe à 37% pour « une personne proche ». En ce

qui concerne les croyants pratiquants, ils ne sont que 27% à opter pour la crémation. Pourquoi les français choisissent-ils la crémation ? Deux raisons sont mises en avant : - 35% des personnes qui y songent souhaitent « ne pas embarrasser la famille » ; - 24% des personnes qui y songent invoquent « des raisons écologiques ». Dans les deux cas, une même préoccupation : ne pas encombrer par son corps inanimé le monde animé. Ce même souci d’écologie sociale (ne pas encombrer les vivants et la Nature) n’est pas sans poser problème ! Ce double retrait - retrait de son corps en cendres ; retrait de l’attention des survivants - en dit long sur l’actuel basculement anthropologique qui s’opère sous nos yeux. L’inhumation ou la crémation sont des manières d’accompagner ses morts, de les conduire jusqu’au bout d’un processus mortuaire. Elles ne présupposent pas a priori une perte de confiance. Or, tel est pourtant le cas en Europe aujourd’hui. Le développement actuel de la crémation - en France en particulier - nous confronte à un double désarroi. Désarroi des crématistes eux-mêmes. Les raisons militantes, athées et nihilistes, qui poussèrent, au XIXe siècle, au développement de la crémation - avec, comme point d’orgue, l’autorisation légale en France de la crémation, en novembre 1887 - ne sont plus celles de ceux qui, aujourd’hui, optent pour la crémation. Second désarroi : celui des institutions symboliques. L’Église, en particulier, qui a accepté la crémation, depuis 1963, la tolère plutôt qu’elle ne la promeut, et n’arrive toujours pas à trouver un rituel adapté - pour autant que celui-ci soit accepté.


The Big Lebowski - « Scattering Donny’s ashes »

La destination des cendres : La loi interdit désormais de conserver l’urne chez soi ou de diviser les cendres. Plusieurs possibilités s’offrent aux familles à l’issue de la crémation. extrait de http://www.pfg.fr/organiser-des-obseques/parcours-funerailles/inhumation-ou-cremation/cremation

Ces deux désarrois mettent en évidence le caractère hybride de l’actuelle crémation en Europe. Son développement est-il dû, d’abord, au refus du religieux ? S’agit-il, alors, seulement d’une technique - chaude, rapide, efficace, moderne, hygiéniste - dépourvue de significations ? Est-ce à dire qu’elle n’en a pas, qu’elle n’en a plus ou qu’elle ne peut pas en avoir ? Y a-t-il une incompatibilité entre la ritualisation mortuaire - avant tout liée à l’inhumation en Europe - et la crémation ? La crémation actuelle, celle pratiquée dans les sociétés européennes, est une technique plutôt qu’une culture. Mieux, elle est une technique dépourvue de culture mortuaire. Or, il n’en fut pas toujours de même ».1 La crémation permet aussi un nouveau rapport à la mort : la mobilité. Notre société contemporaine est moins sédentaire 1/ Extrait de Le GUAY Damien ; La mort en cendres ; La crémation aujourd’hui, que faut-il en penser ?

et s’éloigne de ses morts inhumés. Il devient fréquent de disperser les cendres d’un proche disparu en pleine nature (lieu de vacance, maison de famille, lieu de naissance, paysage symbolique, etc.). On pense avec une note d’humour à la scène finale de « The Big Lebowski » où les deux compères jettent les cendres de leur ami Donny du haut d’une falaise au bord de l’Océan Pacifique malgré le vent fort ce jour là... Cette scène construite dans la symbolique du rite funéraire met en avant avec dérision cette distance que l’on peut avoir avec la mort et le corps réduit en poussière : les cendres volent au vent et arrivent dans le visage du personnage principal, comme du sable sur la plage. Cette transformation du corps disparu en cendre stoppe en quelques sortes le processus « naturel » de décomposition et de retour à la terre. Il «objetise» la mort. On peut citer en exemple la transformation des cendres en diamants par la société allemande Algordanza.

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Les conséquences dans l’aménagement des cimetières : Projet de réaménagement du crématorium du PFIS à Saintes (17)

*

0m

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200m

N

Localisation du siège + crématorium du PFIS à Saintes

Le siège du PFIS1 qui devient le PFP2 est situé en zone péri-urbaine de Saintes, en contre bas de la rocade périphérique et fait face à l’hôpital. Il se compose d’un crématorium, d’une chambre funéraire, d’un pôle d’accueil, d’un showroom (pierres tombales), ainsi que d’un espace cinéraire (columbarium collectif et individuel, cavurne, jardin de dispersion). Cette situation de la ville «franchisée» poussée à l’extrême permet de constater qu’après le centre commercial, les fast-food, les hôtels ce sont les crématoriums et les espaces cinéraires qui viennent s’immiscer dans ces villes contemporaines de la surconsommation. « Ainsi il devient facile d’aller à la crémation d’un proche, ensuite de manger chez McDO et pourquoi pas, aller sécher ses larmes à Auchan en faisant des achats compulsifs ! ». Dans ce contexte, la qualité des lieux ne permet pas d’offrir un espace décent pour le recueillement des familles et l’accompa1/ Pôle Funéraire Intercommunal de la Saintonge 2/ Pompes Funèbres Publiques de Saintes-Saintonge

gnement du deuil. Les photos de la pages de droites parlent d’elles-mêmes. La construction de l’espace semble s’être faite par tranches successives sans ligne directrice de composition. La démarche de l’agence est de proposer la requalification de l’ensemble des espaces extérieurs du bâtiment du siège du PFIS. Pour cela il est nécessaire de traiter les co-visiblités et les entrées (accueil), de réaménager le parking existant, d’étendre l’aménagement à la parcelle limitrophe, d’étendre et réaménager l’espace cinéraire, d’installer une signalétique fine et discrète. La surface totale du projet s’étend à 11 090 m2. Avec l’arrivée rapide de la crémation dans les mœurs on constate que l’encadrement de ces nouvelles techniques n’existe pas tant dans les rites funéraires que dans la qualité des éléments d’architecture cinéraire.


Entrée principale du PFIS

Vue depuis la rocade sur le crémtorim + accueil PFIS

Zone d’activité commerciale jouxtant le PFIS

Arrivée sur le PFIS depuis l’entrée principale

Showroom des éléments funéraires

Jardin du souvenir

Columbarium collectif

Détail sur le jardin du souvenir

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8 5

7

6 9

4 3

1

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2

10 11

12 13

Plan masse de composition

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1- Requalification de l’entrée Sud. Revalorisation de la parcelle en bande N°224 pour réduire l’impact visuel du garage et améliorer la visibilité depuis le rond point Cour Paul Doumer 2- Amélioration de l’insertion paysagère du parking existant 3- Amplifier le masque végétal pour réduire les vues sur le parking depuis le crématorium 4- Requalifier l’entrée piétonne et les assises pour l’accueil du public. 5- Libérer le patio des pierres tombales pour le conforter dans un rôle de jardin patio accueillant le public. 6- Extension de l’espace cinéraire. Aménagement de type cimetière paysager contemporain. 7- Réaménagement progressif de l’espace cinéraire actuel 8- Requalification de la clôture végétale avec mise en place d’une signalétique visible depuis la rocade. Améliorer le couvert végétal du parking.

Maintenir l’accès uniquement au personnel. 9- Créer une plateforme belvédère qualitative et piétonne présentant la diversité des offres de marbrerie. Cet aménagement en terrasse sera particulièrement visible depuis la rocade et le cours Paul Doumer. 10- Parking paysager avec stationnements enherbés 11- Noue de récupération des eaux pluviales avec traitement paysager spécifique (signalétique) 12- Clôture / Signalétique qualitative avec entrée piétonne et entrée véhicule. Accès piéton et dégagement visuel sur le belvédère. 13- Voie d’accès vers le parking existant 14- Espace d’exposition des pierres tombales dans un espace de type cimetière paysager.


Vue de l’aménagement de l’entrée principale du PFIS

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Vue depuis la rocade du réaménagement de l’entrée sud du PFIS

Références d’aménagement :

Dongdajie Sales Pavillon ; Plaque en acier corten découpée ; patio planté accessible au public


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Tombe à char de Ngan-yang - XIIe-XIe siècles Extrait de Dernière demeure de R. Auzelle


Conclusion Cette expérience de mise en situation professionnelle au sein de l’atelier de paysage Landescape aura été l’opportunité d’aborder un sujet qui m’était jusque là peu familier : le cimetière et l’univers de l’aménagement funéraire. Les démarches misent en œuvre par l’agence sont dans un sens celles développées au sein du DSA - urbaniste à l’ENSVAT : c’est-àdire une approche fine et réaliste de la géographie et du territoire, la prise en compte des sensibilités culturelles locales, la valorisation du détail et du singulier. Ce travail de mémoire n’est que le reflet partiel de mon investissement global au sein de l’atelier et c’est avec une grande motivation que j’ai pu découvrir les rouages du fonctionnement d’une entreprise de cette envergure. J’ai eu l’occasion d’aborder de nombreux sujets qui m’ont conforté dans les savoirs-faire acquis au cours de ma formation d’ingénieur paysagiste et maintenant d’urbaniste : l’économie du projet, les relations avec les acteurs (maîtrise d’ouvrage), les temps du projet, les étapes de conception et de réalisation, etc. Le choix de travailler sur les cimetières m’a permis d’approfondir un sujet sur lequel j’avais de nombreuses lacunes. Il est seulement regrettable de ne pas avoir pu développer le thème (r&d) de la gestion des cendres issues de la crémation, mais les raisons de confidentialité de ce projet ne le permettent pas. Mais c’est avec un regard plus construit et plus éclairé que je vais pouvoir m’impliquer dans la suite de ce processus de recherche qui n’en ai qu’à ses balbutiements. Ce travail sur les cimetières, permet de faire un état des lieux concis de la situation du funéraire en France.

Le cimetière est un lieu intemporel dont l’héritage se confronte à notre société contemporaine en pleine mutation sociale face à la mort. L’accélération du nomadisme et l’éclatement du schéma familial traditionnel nous amène à un éloignement physique des espaces de la mort. Nous avons perdu les rapports émotionnels et culturels de ces lieux. La crémation est la nouvelle technique funéraire en pleine expansion sociale (40% en France). Elle favorise la mobilité des morts en cendre. Une nouvelle pratique funéraire c’est associée à la crémation : la dispersion en pleine nature. Ce rituel semble témoigner d’une fuite des cimetières et des espaces cinéraires pour préférer la quête du paysage idyllique : l’Éden ou peut-être l’ortus conclusus ? L’augmentation de la dispersion des cendres en pleine nature n’est pas sans conséquences. On constate des taux de pollutions sur les zones très fréquentées et l’État tente de légiférer d’avantage sur leur statut. Les enjeux d’aménagement semblent se dessiner d’avantage au sein d’un cimetière laïcisé qui accueille une diversité de pratiques et de formes architecturales funéraires ; un retour du cimetière paysager en accord avec le territoire dans lequel il s’inscrit ; un lieux de mémoire et de transmission à retrouver ; une qualité et une finesse dans la composition qui doit prendre la place du cimetière standardisé par les matériaux inadaptés commandés sur catalogue. L’avenir de la qualité des cimetières ne dépend pas uniquement des concepteurs mais bien du choix des collectivités et de l’État dans l’investissement à mettre en œuvre.

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« Ne prenez pas la vie trop au sérieux : vous n’en sortirez pas vivant » Extrait de L’espace de la mort de M.Ragon

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Bibliographie & références Ouvrages • ARIÈS Philippe ; Essais sur l’histoire de la mort en Occident du Moyen Âge à nos jours ; ed. Point, coll. Point Histoire, 1977 • AUZELLE Robert ; Dernières demeures ; Conception, composition, réalisation du cimetière contemporain ; ed. Chez l’auteur, Paris, 1965 • ESQUERRE Arnaud ; Les os, les cendres et l’État ; ed. Fayard, 2011 • GARNIER Jean-Claude et MOHEN Jean-Pierre ; Cimetières autour du monde, un désir d’éternité ; éd. Errance, 2003 • Le GUAY Damien ; La mort en cendres ; La crémation aujourd’hui, que faut-il en penser ? ; ed. du Cerf, Paris, 2012 • Lévy Isabelle ; Croyances & Laïcité, Guide pratique des cultures et religions ; éd. Estem, 2002 • RAGON Michel ; L’espace de la mort ; Essai sur l’architecture, la décoration et l’urbanisme funéraires ; ed. Albin Michel, Paris, 1981 • Tashen Angelika, D. von SCHAEWEN, MAIZELS J. ; Mondes imaginaires, ed. Taschen, 2007 • URBAIN Jean-Didier ; L’archipel des morts ; ed. Payot et Rivages, 1998

Sites internet • http://www.apur.org/etude/situation-enjeux-urbains-amenagement-cimetieres-sifurep • http://www.dignite.fr/news/news/gestion.html • http://alternatives.blog.lemonde.fr/2013/11/01/comment-rester-vert-apres-la-mort/ • http://www.liberation.fr/vous/2006/06/22/renaitre-de-ses-cendres-en-bijou-de-famille_42051 • http://www.cercueil-carton.com/fabricant-cercueil-carton • http://www.afif.asso.fr/francais/Default.htm • http://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do;?idSectionTA=LEGISCTA000006192269&cidTexte=LEGITEXT000006070633&dateTexte=20120331 • http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F14935.xhtml • http://www.afif.asso.fr/francais/conseils/cendres.html • http://vosdroits.service-public.fr/particuliers/F1558.xhtml#N1016C • http://www.upfp.fr/Ensemble.html • http://polefunerairepublic.blogspot.fr • http://www.pompes-funebres-saintes.fr/fr/pg1127-cremations-pfis.html • http://www.landezine.com/index.php/landscapes/landscape-architecture/by-typology/cemeteries-memorials/

Films • BALL Alan ; Six feet under ; saisons 1-5 ; Home Box Office, 2001-2005 • COPANS Richard ; MIRALLES Enric et PINOS Carme ; Le cimetière d’Igualada ; Architecture V.7 ; arte éditions, 2008-2010 • Fleischer Richard ; Soleil vert (Soylent Green) ; Metro Goldwyn Mayer, 1973 • Froehly Vincent 360° - GÉO : Roumanie, les récits d’un cimetière, 19/04/2014 à 20h00 (43 min) • Truffaut François ; La chambre verte ; Les Films du Carrosse, 1978 • VISCONTI Luchino ; Mort à Venise ; 1971

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Annexes

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Article de presse CAUE de la Creuse Extrait de http://www.caue23.fr/depliants-caue/futur-des-cendres-et-passe-de-la-tourbe


Du cimetière minéral au cimetière paysager Extrait de la présentation pour l’étude du projet d’aménagement du cimetière de l’Houmeau (17) par l’atelier de paysage Landescape

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Plan de composition du cimetière d’Igualada en Espagne par les architectes Enric Miralles et Carme Pinós, 1985-1995 Extrait de http://www.enricduch.com/content/1.archivo/13.cementerio-igualada


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Plan de composition du cimetière de Hambourg-Ohlsdorf de l’architecte W. Cordes, 1963 Extrait de Dernière demeure de R. Auzelle

Évolution des pratiques de la crémation en Europe entre 1930 et 1960 Extrait de Dernière demeure de R. Auzelle


1 1• France, Vieux Mareuil (Dordogne) Tombe gitane, utilisation de matériaux nobles (marbre, métal et verre)

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2• Allemagne, Berlin Le Judisher Friedhof der Judishen Germeinde à Weisenree (le plus grand cimetière juif) 3• Japon, Kyoto La crémation y est obligatoire, les stèles verticales optimisent mieux l’espace

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4 4• Maroc, Rabat Terrain mortuaire musulman tombes blanchies à la chaux (sans inscriptions) 5• Sénégal, dans le pays Sérères, les population animistes déposent leurs morts dans les troncs des baobabs

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6 6• Mauritanie, Chinguetti 7• Sumatra, le rassemblement des ossements secs et blanchis Extrait de Cimetières autour du monde, un désir d’éternité

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le cimetière vers de nouveaux rites funéraires

Le cimetière, « espace de la mort » est en perpétuelle redéfinition, à l’image de la ville, il n’a cessé de changer de forme et de localisation. Au Moyen-Âge, le cimetière était l’endroit le plus bruissant, le plus affairé, le plus turbulent, le plus commerçant de l’agglomération rurale ou urbaine, pour tendre progressivement vers le désert mortuaire que l’on connaît aujourd’hui. La laïcisation du cimetière a accentué d’autant plus la notion de fonctionnalisme funéraire. Néanmoins, un renouveau dans l’aménagement contemporain des cimetières laisse entrevoir un autre rapport de la société française face à la mort : les « cimetières paysagers ». Cela étant dit, les rites funéraires changent, la crémation est en pleine expansion ; aujourd’hui plus de 30% des défunts optent pour cette pratique. Les cendres : transformation de la mort et du corps, permettent une migration plus aisée du disparu. On assiste à une dilution des morts dans notre territoire ! L’État tente de légiférer ces nouvelles coutumes. Comment offrir à nouveau, des lieux de deuil et de mémoire pour les familles des disparus ? Ce travail s’inscrit dans la démarche développée par l’atelier de paysage Landescape basé à la Rochelle, qui, depuis quelques années collabore activement avec l’Union du pôle Funéraire Public (UPFP), qui accompagne les collectivités dans leurs problématiques liées au funéraire. Ce mémoire de mise en situation professionnelle à pour objectifs de parcourir rapidement l’histoire de l’aménagement des cimetières pour interroger les nouvelles pratiques funéraires en France mais aussi les nouveaux enjeux d’aménagement : l’environnement, la pression foncière, la crémation.

A cemetery, « space dedicated to death » is in constant redefinition, as is a city – it has never ceased to change in shape and in location. During the Middle Age, cemeteries were the noisiest, the busiest, the vividest places and where all markets were hold of the whole rural and urban area. Suddenly, the proximity between society and death ceased, a relationship that made cemeteries mortuary deserts as we know them nowadays. Cemetery secularization increased even more the notion of funeral functionalism. Nonetheless, a renewal in the contemporary design of cemeteries is making visible a new relationship between our world and death : « landscaped cemeteries ». Let us keep in mind that funeral rites change, cremation is evolving – a choice for 30% of the defuncts. Ashes, as a dematerialization of death and corpse, allow an easier migration of the deceased people. We are witnessing the dissolution of defuncts in our territory ! The State is currently trying to legislate those new customs. How to, once again, offer mourning and contemplation spaces for the families of the deceased ? This works is part of an approach developed by the landscape studio Landescape, located in La Rochelle (France) that has, for a few years now, actively been collaborating with the Public Funeral Pole Union (Union du Pôle Funéraire Public, UPFP), the later accompanies local governments dealing with mortuary issues. This professional inclusion thesis aims to outline the history of cemetery design in order to question the new funeral customs, but also the new planning at stake : environment, real estate pressure, cremation.

Antonin Amiot - DSA Urbanisme - Avril 2014


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