VIVRE PARIS 54

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ÉDI TO

À bas les idées reçues !

P

armi la quantité de problèmes auxquels nous avons à faire face à notre époque, il y en a un qui me fait particulièrement peur : souvent nous croyons, avant de savoir. Nous avons des idées préconçues sur tout, et il est parfois difficile de faire évoluer notre idée de départ. Faire bouger les lignes, c’est en partie le rôle des médias dont le métier consiste à livrer l’information en multipliant les points de vue. C’est précisément ce que nous avons voulu faire dans ce numéro de Vivre Paris en donnant la parole à des « mal-aimés » : les bouchers qui subissent de plein fouet la tendance du véganisme, ou les prostituées chinoises honnies par certains Parisiens. Écouter l’histoire de l’autre afin de pouvoir à nouveau se comprendre et échanger : telle est également la mission de la Maison de la conversation, un lieu dédié à la parole retrouvée et partagée, Porte de Montmartre. Les Parisiens renfermés sur eux-mêmes, occupés à s’insulter plutôt que de se parler ? Voilà un autre cliché qu’il va falloir apprendre à déconstruire !

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Estelle Surbranche Rédactrice en chef


RÉDACTION Vivre Paris 55 boulevard Pereire 75017 Paris Directeur de la publication Yann Crabé infos@vivreparis.fr Editor at large Estelle Surbranche estelle@vivre.paris Direction artistique & Design graphique Grand National Studio hello@grandnationalstudio.com Secrétaire de rédaction Marianne Ravel Administration et finance Marjorie Batikian marjorie@vivreparis.fr

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VIVRE PARIS est édité par Capitale Publishing SARL de presse au capital de 5 000 € Siège social 55 boulevard Pereire, 75017 Paris RCS 517 815 908 Gérant : Yann Crabé PUBLICITÉ Mediaobs 44, rue Notre-Dame des Victoires 75002 Paris Tél. 01 44 88 97 70 Fax 01 44 88 97 79 Pour envoyer un mail, tapez pnom@mediaobs.com Directrice générale : Corinne Rougé (93 70) Directrice déléguée : Sandrine Kirchthaler (89 22) Directeur de publicité : Arnaud Depoisier (97 52) Distribution France MLP

Photographes/ illustrateurs Laure Cozic Estelle Surbranche Lucile Casanova Stéphane Grangier Madame Nora Hegedus Florence Valencourt Carmen Vazquez

Numéro commission paritaire 1 224 K 90156 ISSN : 2106-9816 IMPRIMERIE Rotimpress. Girona, Espagne Photo de couverture Stéphane Grangier

Contributeurs Marie Dufour Juliette Le Lorier Thomas Thévenoud Marianne Hesse Caroline Ricard Florence Valencourt Carmen Vazquez Lucas Lahargoue Axelle Carlier Gabrielle Carayon Rémi Yang

Ce magazine comprend un supplément culturel de 16 pages. Ne peut être vendu séparément.

ABONNEMENTS Vivre Paris marjorie@editionsvivre.fr

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Le papier de ce magazine est issu de forêts gérées durablement et de sources contrôlées. pefc-france.org



SOMMA I RE

© CHANEL

© Young-Ah KIM

© Chloe Vollmer Lo

V I V RE PARI S P R I NTEMPS 2023

Culture —

Basquiat-Warhol : l’expo de tous les superlatifs p. 12 Manon Savary et Marc Zaffuto : le fantasme parisien p. 14 Sur les traces de l’égyptologie à Paris p. 23 Dans l’atelier de la street artiste Madame p. 30 Success-story… Producteur de spectacles et d’artistes, propriétaire de cinq théâtres privés à Paris, JeanMarc Dumontet est omniprésent sur la scène parisienne. Il a fait de la culture une success-story personnelle. Rencontre ! p. 36

À l’affiche du thriller politique De grandes espérances et de Tango y Tango, un spectacle théâtral, musical et chorégraphié autour du tango, Rebecca Marder, une enfant du 13e arrondissement, impressionne ! p. 42

Food —

Spécial carnivores ! À la découverte d’une toute nouvelle génération de bouchers qui bat le pavé parisien, bien décidée à démontrer qu’on peut conjuguer la boucherie au futur, à condition de faire le pari de l’éthique p. 50 LE TOP 10 Entre petits-déjeuners so cocorico, créatif, jetlagué ou encore version palace, Vivre Paris a croqué pour vous la Capitale au petit matin ! p. 58

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Portfolio —

Alors jeune photographe de 25 ans, Arnaud Baumann a photographié les nuits du Palace, la mythique boîte de nuit, de 1978 à 1983 : ses clichés ressuscitent le Paris des années 80, festif, libre et assoiffé de plaisirs p. 64

Enquête —

Environ 1000 travailleuses du sexe chinoises exercent à Paris et dans sa région. Cette communauté discrète et marginalisée s’est regroupée au sein d’une association, les Roses d’acier. Plongée dans leur quotidien entre les quartiers de Belleville, la Fourche et le 13e arrondissement p. 76



SOMMA I RE

Green —

Mathilde et Audrey Désirée Fleurs, un caféfleuriste qui propose uniquement des fleurs de saison p. 87 Sise Porte de Montmartre, la Maison de la conversation a pour ambition de réapprendre aux Parisiens à se reparler pour mieux se comprendre. Rencontre avec Xavier son fondateur, et Lola sa programmatrice p. 90

Enfants —

Japonaise, Parisienne d’adoption et maman de deux enfants, Shiho Copolata a fondé la marque de pyjamas Comète Paris p. 97

© Lucile Casanova

© Marine Brusson

© Stéphane Grangier

V I V RE PARI S P R I NTEMPS 2023

L’expo qui fait grrr, miaou et rrhooo : à la découverte des félins au Jardin des plantes p. 100

Bien-être — Rencontre avec Kari Gueham, fondatrice de Minéralsophie p. 106

Paris inspire les nez les plus prestigieux pour des jus d’exception p. 108

Déco —

Souad Massimelli, le pont déco entre l’Algérie et Paris p. 130 Visite chez Cécilia Mergui, (re)fondatrice de Bienaimé et fana d’Art déco p. 132

Escapade — Week-end à Rome, tous les deux sans personne… p. 142

Mode —

Amoureuse des métiers d’art, Ekaterina Grangier a d’abord fondé la marque Chapeaux Atelier 5, avant de sauver de la banqueroute Artnuptia, créateurs de fleurs et de plumes pour la haute couture. Une passionnée aux doigts d’or ! p. 122

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L’humeur du moment de l’illustratrice Laure Cozic : qui sont ces « repentis » dans Paris ? p. 146




Culture ×

“Je sais qu’ils vont l’accrocher au mur, le regarder tous les matins. Je me dis que ça y est, on est colocs.” La street-artist Madame p. 30

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© Estate of Jean-Michel Basquiat Licensed by Artestar, New York ; © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / Licensed by ADAGP, Paris 2023. Courtesy Galerie Bruno Bischofberger, Männedorf-Zurich

L’événement du printemps

EXPOSITION. Au même titre que les blockbusters annoncés au cinéma, certaines expositions sont promises à un succès phénoménal : Basquiat x Warhol, à quatre mains à la Fondation Louis Vuitton en fait indéniablement partie. Pourquoi ? En solo, ces deux artistes attirent déjà les foules ; leurs œuvres communes « à quatre mains » devraient donc susciter une folle curiosité, et multiplier les publics. Initiée en 1982 par Bruno Bischofberger, le galeriste des deux génies de l’art contemporain persuadé de la pertinence de la « collaboration » dans le mouvement post-moderne, cette association se concrétise finalement par 160 toiles. L’exposition en montre 80, accompagnées d’œuvres individuelles de chaque artiste, des photographies (dont la série aux gants de boxe réalisée par Michael Halsband pour le poster de l’exposition de JeanMichel Basquiat et Andy Warhol en 1985), ainsi qu’un ensemble de travaux d’autres personnalités (Keith Haring, Jenny Holzer, Kenny Scharf…), afin de restituer la scène artistique du downtown new-yorkais des années 1980. On a hâte ! ES Basquiat x Warhol, à quatre mains, à la Fondation Louis Vuitton, du 5 avril au 28 août 2023 012

➀ Andy Warhol et Jean-Michel Basquiat #143 New York City, July 10, 1985 ➁ Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, Untitled (collaboration no.23) / Quality, 1984-1985 Mixed media on canvas 287 x 279 cm. Collection privée ➂ Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, OP OP, 1984 Acrylique sur toile. 287 × 417 cm Collection Bischofberger, Männedorf-Zurich

© Estate of Jean-Michel Basquiat Licensed by Artestar, New York ; © The Andy Warhol Foundation for the Visual Arts, Inc. / Licensed by ADAGP, Paris 2023. Courtesy of Bischofberger Collection, Männedorf-Zurich

© Michael Halsband 2022



© Clément Dezelus

© Florian Cléret

FANTASMA - CIRCUS EROTICA, une création de Manon Savary et Marc Zaffuto, au théâtre des Variétés à partir du 13 avril

Manon Savary et Marc Zaffuto, le duo sexy qui fait rougir Paris

Cirque des fantasmes Manon Savary et Marc Zaffuto renouvellent le genre (et les genres) du cabaret avec une création sexy, joyeuse et décomplexée autour des fantasmes, Fantasma-Circus Erotica. Marc : Je suis un dingue d’image et Manon vient du théâtre, Marc des de musique. J’ai cocréé les légendaires soirées. Comment vous êtes-vous soirées Club Sandwich, collaborant rencontrés ? avec l’industrie de la mode pendant Manon : J’ai passé mon enfance plus de dix ans. L’amour des artistes sur les planches, itinérante, dans et le plaisir de raconter des histoires les coulisses de tous les théâtres nous ont tout de suite réunis et se sont d’Europe puis à Chaillot et à concrétisés par la création de notre l’Opéra-Comique. Puis, très jeune, duo symbiotique : Savary & Zaffuto. j’ai commencé à travailler avec mon père qui m’a appris toutes les facettes Comment est venue l’idée de ce métier, de la prod à la mise en de Fantasma ? scène en passant par la technique Marc : Nous rêvions de présenter un et la lumière. Cette passion ne m’a nouveau spectacle à Paris, un show de jamais quittée et j’ai commencé à cabaret qui nous ressemble, sensuel, voler de mes propres ailes et à faire libre et décalé, accessible au plus moi-même de la mise en scène à grand nombre… À travers un cabaret 25 ans. C’est le Manko Cabaret qui érotique et un éventail de fantasmes, nous a réunis, Marc et moi, en 2015 nous voulions parler de véritable pour inventer ensemble les shows liberté, questionner la notion du du cabaret. J’étais engagée comme genre, jouer avec la masculinité et metteuse en scène et lui comme présenter une identité féminine forte directeur artistique, ça a cliqué déterminée… tout en s’amusant immédiatement nousMerouani ne nous et MélanieetCanivet Sylvain Mante, et Cédric et sans se prendre au sérieux ! sommes plus lâchés ! 014

Dans ce spectacle unique, vous renouvelez l’idée du cabaret et mettez au goût du jour le « fantasme ». Comment vous êtes-vous mis d’accord sur les « fantasmes » que vous vouliez mettre en scène ? Manon : Nos deux cerveaux fonctionnent totalement à l’unisson et se mettre d’accord n’est jamais un sujet, nous fonctionnons comme un étrange animal bicéphale, Marc et moi ! Notre travail s’est toujours nourri des fantasmes et de l’imagerie prolifique qui y est étroitement liée et j’ai la certitude que nous l’écrivons sans nous en rendre compte depuis des années ! Est-ce que Paris est toujours la ville de tous les fantasmes, ou finalement s’est-elle fait dépasser par d’autres métropoles ? Manon : Paris sera toujours Paris ! Une ville de liberté, de créativité et de plaisirs ! Une nouvelle génération libre et sulfureuse redonne à Paris sa réputation d’enfant terrible et ça n’a pas l’air d’être près de s’arrêter ! Marc : Paris est un véritable fantasme pour le monde entier… Et d’ailleurs, Paris serait la ville où les gens font le plus l’amour ! ES



Photos © Joséphine Brueder

Joanie Lemercier - Constellations

Speculum - The Garden of Earthly Delights

Stéphanie Lüning - Island of Foam

Une nuit de fête ART CONTEMPORAIN. Jusqu’ici la Nuit blanche n’avait qu’un seul défaut à nos yeux : elle se déroulait en automne, et parfois on revenait glacé de notre épopée nocturne. Bonne nouvelle, suite au grand succès des 20 éditions précédentes, une nouvelle Nuit blanche aura lieu juste avant l’été, dans la nuit du samedi 3 au dimanche 4 juin 2023. Cette première édition sublimera la Seine, moteur de développement économique et de rayonnement culturel qui traverse la Capitale, la Métropole du Grand Paris, et accueillera le lancement des Jeux olympiques 2024. Tous les établissements culturels situés le long de ses rives seront étroitement associés à l’événement, dont la direction artistique a de nouveau été confiée à l’indomptable Kitty Hartl. On compte sur la fondatrice du Cabaret New Burlesque (celui du film Tournée de Mathieu Amalric) pour que cette fête de l’art contemporain soit aussi divertissante que surprenante et intelligente ! MH Nuit blanche, événement gratuit et ouvert à tous 016


Du destin

Némésis, mise en scène Tiphaine Raffier, création aux Ateliers Berthier à Odéon, théâtre de l’Europe, du 23 mars au 21 avril

Tiphaine Raffier, une jeune voix prometteuse du théâtre contemporain

Géométrie dansée HIP-HOP. Inspiré par le tutting, une branche du popping, Sadeck Berrabah a créé un style de danse hip-hop robotique unique. Remarqué par les stars (il a dansé avec Shakira et les Black Eyed Peas pour le clip de Girl Like Me), il monte aujourd’hui son premier spectacle, Murmuration : 40 danseurs pour 1 h 15 de show « whaou ». MD © DR

Du 11 avril au 8 juillet au théâtre Le 13e art 017

© Pierre Martin

THÉÂTRE. En décidant d’adapter le dernier roman publié de l’écrivain américain Philippe Roth, Némésis, la metteuse en scène Tiphaine Raffier fait de nouveau un choix audacieux car l’histoire de Bucky, jeune professeur de gymnastique dans une école du New Jersey, pendant l’été 1944, n’est pas facile. À cause de sa mauvaise vue, il est reformé, condamné à rester chez lui, honteux, pendant que les siens combattent sur les côtes normandes. Arrive l’événement terrible, la poliomyélite. Une hécatombe ingérable bouleverse alors les équilibres fantasmés… Personne n’échappera au jugement de Némésis, déesse grecque de la vengeance et du châtiment céleste, dont la sentence tombe toujours : l’occasion pour la metteuse en scène de montrer avec subtilité des personnalités entre ombre et lumière. MD


© Richard Haughton

Room, de James Thierrée

© Giovanni Cittadini Cesi

La famille Chaplin à Paris

Le Cirque invisible

CIRQUE. L’attente a été longue. Mais cette fois, c’est sûr, Room, la dernière création de James Thierrée, auteur, metteur en scène, interprète et s’il faut le rappeler, un des petits-enfants de Charlie Chaplin, arrive au théâtre du Châtelet ! Le moment sera magique et poétique, sans aucun doute. Entre théâtre musical, cirque et danse, ses spectacles, merveilleusement inclassables, ont le don d’enivrer nos sens. Bien souvent, sa mère, Victoria Chaplin, signe les costumes, amenant sa touche fantastique personnelle. Pas ici. Room a été entièrement conçu par James Thierrée. Mais on y retrouvera sans aucun doute l’univers familial inimitable que James pratique depuis ses 4 ans. À cet âge, il faisait en effet ses débuts acrobatiques dans Le Cirque invisible, une création de ses parents en hommage aux arts circassiens. Concours de circonstances ou pas, dix dates de cette œuvre féérique sont programmées ce printemps au théâtre du Rond-Point. Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin y sont incroyables, transformant le quotidien en rêve. Espérons que cet « esprit Chaplin » envahisse la Capitale ! MD Room, de et avec James Thierrée, au théâtre du Châtelet, dans le cadre des saisons du théâtre du Châtelet et du théâtre de la Ville hors les murs, du 22 mai au 1er juin 2023 Le Cirque invisible, de et avec Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée au théâtre du Rond-Point, du 4 au 16 avril 018


De la glisse à la scène DANSE DE RUE. Pour sa dernière création, la chorégraphe et danseuse danoise Mette Ingvartsen s’intéresse au mouvement. On retrouvera ce qui fait sa personnalité : une volonté de mélanger et fédérer différents univers. Skateurs et danseurs performent ainsi sur un espace de glisse habillé d’art urbain, au public lui aussi, investi. MD © Bea Borgers

Skate Park Piece de Mette Ingvartsen au Chaillot Nomade à la Villette, du 9 au 14 mai

La danse comme un documentaire

Hope Hunt and the Ascension into Lazarus d’Oona Doherty/Sandrine Lescourant, dans le cadre du festival Séquence Danse Paris au Centquatre Paris, du 5 au 7 avril 2023

© Lucas Truffarelli

DANSE. Hope Hunt et the Ascension into Lazarus est un double solo créé en 2016 par la danseuse et chorégraphe originaire de Belfast Oona Doherty. L’artiste de 37 ans est reconnue pour son approche énergique du corps, empreinte autant de douleur que d’espoir. Sa gestuelle, proche du documentaire, est souvent comparée au travail cinématographique de réalisateurs comme Ken Loach, et ces deux spectacles ne font pas exception : Hope Hunt explore en effet les attitudes corporelles des jeunes exclus de Belfast, leurs façons de s’exprimer, de marcher, tandis que The Ascension into Lazarus s’intéresse à l’argot des rues de Belfast. Sur fond de musique classique, deux mondes s’affrontent. Portées et incarnées par Sandrine Lescourant, ces deux créations fortes forment comme des enquêtes précises sur une masculinité actuelle. MD

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Le frère de…

Claude Monet Portrait de Léon Monet 1874 huile sur toile 63 x 52 cm Collection particulière

© Collection particulière

IMPRESSIONNISME. Dans la famille Monet, découvrez le frère, Léon, chimiste en couleurs, industriel rouennais et collectionneur. Pour soutenir son frère Claude et ses amis, il devient mécène en acquérant une impressionnante collection de peintures impressionnistes : Alfred Sisley, Camille Pissarro et Auguste Renoir. Son incroyable collection est à voir au musée du Luxembourg, lors de la nouvelle exposition Léon Monet, frère de l’artiste et collectionneur (du 15 mars au 16 juillet 2023) MH

La couleur et le ton de Venise

© Culturespaces / Studio Sébert Photographes

MAESTRO. Un sentiment d’harmonie, certainement dû à la rigueur géométrique de l’artiste, des couleurs chatoyantes typiques et des sujets entre sacré et profane, Giovanni Bellini (v. 1430-1516), père de l’école vénitienne, est la vedette de l’exposition de printemps du musée Jacquemart-André. À travers une cinquantaine d’œuvres issues de collections publiques et privées européennes, dont certaines présentées pour la première fois, on redécouvre l’art de ce grand maître de la peinture qui a eu une grande influence, puisqu’il a été le professeur éclairé de deux élèves devenus célèbres, Giorgione et Titien. Les prémices artistiques de l’âge d’or de la Sérénissime. MH Giovanni Bellini, Influences croisées, jusqu’au 17 juillet Giovanni Bellini et atelier Vierge à l’enfant, vers 1500 Huile sur panneau de bois. 131 x 103 cm Musée Jacquemart-André, Paris

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© Mahdi Aridj © Camilla Winther © Anthony Ghnassia

© Mahdi Aridj

Au bois de Vincennes FESTIVAL. Pour son édition 2023, We Love Green Festival offre une affiche époustouflante qui devrait satisfaire tous les amateurs de musique. Le rap français sera à l’honneur avec la venue vendredi 2 juin d’Orelsan (dont l’album Civilisation est le disque le plus vendu de l’année 2021) puis du rappeur mélancolique (et adulé) Lomepal le dimanche 4 juin. Les têtes d’affiche du samedi soir seront également françaises : les Phoenix, connus pour assurer des shows impressionnants, devraient, comme d’habitude, épater avec leurs projections, leurs jeux de lumière et évidemment leurs tubes repensés en mode trépidant… Et entre deux concerts, dans le village, il sera toujours possible de participer aux talks qui expliquent les innovations de demain ou de rencontrer des personnalités engagées sur le sujet de la transition écologique. ES

Rencontre musicale

© Zamrznuti tonovi

ÉVÉNEMENT. Le Disquaire Day, la journée des disquaires indépendants, aura lieu le 22 avril. L’occasion de voir des concerts, chiner des pépites chez les disquaires de la Capitale, et surtout rencontrer d’autres amateurs de musique en vinyles. 022


© World Heritage Exhibitions

© 2020 World Heritage Exhibitions

Buste en granit de Merenptah. Nouvel Empire, XIXe Dynastie.

Ramsès le Grand à La Villette EXPOSITION. Comme vous le découvrirez dans les pages suivantes, la fièvre de l’égyptomanie brûle Paris depuis fort longtemps. Et elle risque d’embraser à nouveau la Capitale avec l’exposition événement Ramsès et l’or des pharaons ! Ramsès… Le nom nous transporte immédiatement près de 1300 ans avant Jésus-Christ sur les rives du Nil ! Mythique, il évoque tout autant la puissance que la richesse – les merveilles retrouvées dans son tombeau sont aujourd’hui inestimables. C’est précisément ce trésor « pharaonique » qui a été prêté exceptionnellement à la France par l’Égypte : 180 pièces, entre bijoux fabuleux, amulettes « magiques », masques royaux, le sarcophage de Ramsès II et du mobilier des tombes inviolées de la ville de Tanis. Outre ces objets, la scénographie propose plusieurs animations virtuelles comme la visite des monuments les plus impressionnants de Ramsès II : les temples d’Abou Simbel et la tombe de la reine Néfertari. Le fantôme de cette dernière accueille d’ailleurs le visiteur et l’entraîne dans une aventure palpitante. MH Ramsès et l’or des pharaons à La Villette, du 7 avril 2023 au 6 septembre 2023 023

© World Heritage Exhibitions

Cercueil intérieur reconstruit en cartonnage de Chechonq II. Troisième Période intermédiaire, XXIIe Dynastie.

Masque en bois plaqué or du cercueil d’Aménémopé. Troisième Période intermédiaire, XXIe Dynastie.


Photo 969-15 © Roger-Viollet / Roger-Viollet

H I STOI RE

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L’Égypte à Paris En ce printemps 2023, Paris s’enflamme pour l’Égypte… Et cet engouement ne date pas d’hier !

Texte Axelle Carlier Photos Roger-Viollet.fr

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u fil des rues de Paris, de nombreuses références égyptiennes racontent la grande histoire qui unit notre capitale au pays des pharaons. Des monuments, comme l’obélisque de la Concorde et la pyramide du Louvre, les œuvres d’art que ce dernier abrite, le passage du Caire, plusieurs noms de rues ou encore les grandes expositions qui sont organisées sur ce thème montrent la fascination des Français pour l’Égypte… Et cette attirance remonte à bien plus longtemps qu’on ne le pense ! Partons ensemble sur les traces de cette civilisation souvent rêvée, toujours admirée, parfois fantasmée dans la Capitale : et vous serez peut-être surpris de découvrir à quel point elles sont multiples et variées.

Le mythe des origines Selon certains historiens, l’attrait de Paris pour l’Égypte remonterait au temps des Gaulois. Peu avant notre ère, la région est occupée par la tribu des Parisii, qui tente de résister à l’invasion romaine, et donne son nom à Paris. Quelques statues de la déesse égyptienne Isis, retrouvées au cours de fouilles archéologiques, laissent croire que le nom des Parisii viendrait de « par Isis », qui veut dire « la maison d’Isis ». Cette hypothèse, soulevée depuis le XVIe siècle, ne

‹ Guillaume Larrue (1851-1935). Salle égyptienne du Louvre, vers 1885. Paris, musée du Louvre.

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2 place du Caire en est l’un des plus beaux témoins : sa façade arbore d’immenses têtes de la déesse Hathor, des fresques de hiéroglyphes, et abrite une galerie rappelant les souks orientaux. Ce fameux passage du Caire est même aujourd’hui le plus ancien passage couvert de la Capitale ! Quand Napoléon Bonaparte rentre de sa campagne d’Égypte en 1801, ce phénomène d’égyptomanie prend donc encore plus d’ampleur. Il touche tous les domaines, des arts décoratifs à la littérature, en passant par la sculpture. Des rues parisiennes sont nommées, du Nil, d’Aboukir, d’Alexandrie… Et donnent naissance au quartier de « la petite Égypte », dans notre actuel 2e arrondissement.

Photo 25210-2 © Musée Carnavalet / Roger-Viollet

L’omniprésence égyptienne

Sceaux, armoiries et couleurs de la Ville de Paris : empire (Napoléon Ier), lettres patentes du 29 janvier 1811. Paris, musée Carnavalet.

fait cependant pas l’unanimité… Mais elle en dit long sur la volonté, apparue au fil du temps, de rapprocher à tout prix Paris de l’Égypte ! À tel point d’ailleurs que sur les armoiries de la ville du début du XIXe siècle, Isis trône fièrement à la proue du bateau qui symbolise Paris.

Naissance de l’égyptomanie

“L’attrait de Paris pour l’Égypte remonterait au temps ➀ des Gaulois”

Dans les années 1750, des artistes français découvrent avec émerveillement le musée égyptien du pape à Rome. Ils intègrent cette influence dans leur art et leur architecture, qui devient très à la mode à Paris. L’immeuble du 026

Le style dit « retour d’Égypte » touche alors toute la ville. La fontaine du Fellah, qui s’élève au 42 rue de Sèvres, intrigue avec son grand personnage à coiffe égyptienne qui tient deux amphores. Puis celle du Palmier, qui s’érige place du Châtelet, impressionne par ses quatre majestueux sphinx qui distribuent de l’eau potable aux Parisiens. Mais l’engouement pour l’Égypte n’est pas que stylistique et politique : il prend une autre dimension lorsqu’un Français, Jean-François Champollion, déchiffre les hiéroglyphes en 1822. C’est le premier à percer enfin le mystère des dynasties antiques, qui attise les passions depuis des millénaires ! Le père de l’égyptologie choisit également l’obélisque qui trône place de la Concorde, parmi les deux obélisques offerts le roi Méhémet Ali à la France. Le transport du premier fut néanmoins tellement compliqué (il a fallu six ans pour le rapporter), que le second est resté à Louxor. Du haut de ses 3 200 ans, il constitue de


Photo 8718-13 © Roger-Viollet / Roger-Viollet

nos jours le plus vieux monument de Paris. La plupart des précieuses collections du musée du Louvre sont aussi liées à Champollion, puisqu’elles ont été achetées sous son impulsion, et qu’il en fut nommé conservateur. Dehors, les façades du palais regorgent de références à l’Égypte : dans la cour carrée, on aperçoit Cléopâtre reconnaissable à sa coiffe, un serpent à la main. Ou encore Isis, couronnée de son disque solaire, et le Nil, personnifié par une femme adossée à une pyramide, le

pied posé sur un crocodile. Dans la cour principale, la célèbre pyramide de Pei est quant à elle devenue le troisième monument le plus prisé du Louvre après la Joconde et la Vénus de Milo !

Des lieux inattendus À chaque époque, les Parisiens ont trouvé dans la culture égyptienne un écho qui les a touchés : que ce soit dans l’art ou l’architecture, mais aussi dans une certaine dimension ésotérique, et le rapport à la mort. 027

Paris VIIe arr., rue de Sèvres. La fontaine du Fellah dessinée par Bralle (1806). 1944-1945.

Le cimetière du Père-Lachaise, qui est le plus visité au monde, compte d’ailleurs plusieurs tombes inspirées de l’Égypte. Parmi les plus connues, il y a celle de Champollion, qui est en forme d’obélisque, et celle d’Oscar Wilde, représentant un sphinx ailé. La plus surprenante cependant est celle d’un vivant ! Jean-Louis Sacchet, pharmacien


Photo 59741-1 © Waroline / Roger-Viollet

Photo 24037-8 © Eugène Atget / Musée Carnavalet / Roger-Viollet

H I STOI RE

À gauche : 2 place du Caire, façade, IIe arr. Photographie : Eugène Atget (1857-1927). Paris, musée Carnavalet. À droite : Cinéma Le Louxor. Paris (Xe arr.), vers 1930.

“La francmaçonnerie puise également de nombreux symboles dans la mythologie égyptienne”

passionné d’égyptologie, construit sa propre pyramide depuis plus de vingt ans dans la division 23. Selon les rites funéraires égyptiens, il peint l’intérieur de hiéroglyphes et souhaite se faire momifier le moment venu. La franc-maçonnerie puise également de nombreux symboles dans la mythologie égyptienne. La façade du temple maçonnique du Droit humain (9 rue Pinel dans le 13e arrondissement) est ornée de croix ansées et de colonnes en forme de fleurs de lotus. Au pied de la tour Eiffel, le monument des Droits de l’homme est inspiré des mastabas égyptiens. Plus près de nous, le cinéma le Louxor à Barbès est superbement décoré de tiges de papyrus, de scarabées, et d’ailes de faucon. L’Égypte est partout ! Et vous pourrez peut-être la remarquer d’autant plus désormais lors de vos prochaines promenades parisiennes ! 028

Et dans le futur ? Bien que l’histoire entre Paris et l’Égypte ne date pas d’hier, il est fort probable que la Ville Lumière et la terre des pharaons ne nous aient pas encore livré tous leurs secrets. Riches d’un passé et d’un patrimoine extraordinaires, elles ont donc de quoi passionner les chercheurs et autres curieux pendant plusieurs siècles ! La France continue ainsi de faire des recherches en Égypte, notamment avec l’Institut français d’archéologie orientale (IFAO), qui chapeaute actuellement 35 missions et accueille environ 550 chercheurs par an, depuis plus de cent quarante ans. Ces investigations sont menées en coopération avec des partenaires égyptiens ou internationaux, et sous l’égide du ministère des Antiquités de l’Égypte. Cette relation amicale, politique, culturelle, parfois controversée, a encore de belles années devant elle.



Texte Thomas Thévenoud Photos Madame

MADAME COLLE Dans un paysage du street art encore trop masculin, Madame fait entendre une petite musique bien à elle, faite de phrases poétiques, de collages vintage, d’inspirations théâtrales. De ses petits formats jusqu’à ses œuvres monumentales, elle invente un street art de l’intime, touchant et drôle. Rencontre avec une Parisienne aussi à l’aise dans ses baskets que dans son art.

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“Aujourd’hui le street art, c’est l’ADN de Paris” dans l’idée de coller du papier sur les murs. » Son premier collage public a été réalisé il y a douze ans, à la sortie du tunnel des Halles, rue Montorgueil. Un singe avec une trompe d’éléphant qui sortait de la braguette, une œuvre érotique et provocatrice. Entretemps, d’un tunnel à l’autre, le street art a changé d’image et de position. Il est devenu l’épicentre de la création contemporaine. Madame l’affirme : « Aujourd’hui le street art, c’est l’ADN de Paris. » Invitée récemment de l’expo Capitale(s), 60 ans d’art urbain à Paris, elle bénéficie régulièrement des conseils professionnels de Nicolas Laugero Lasserre, l’un des commissaires de l’exposition et l’un des concepteurs de Fluctuart, la péniche consacrée au street art amarrée au pont des Invalides. Madame l’appelle son « papa dans l’art ».

De la généalogie

Madame colle ses poésies picturales à Paris, mais aussi en Inde, à Cuba…

Des tunnels de Châtelet à l’Hôtel de Ville « Du clair à l’obscur (ou l’inverse), ce n’est pas l’œil qui change mais la façon dont on l’ouvre. » En lettres d’or sur fond bleu, la phrase se lit dans les deux sens et fait office de manifeste à l’exposition du collectif qui a investi le tunnel des Tuileries. Paris se réinvente grâce au street art, même en souterrain. Œuvre de 40 mètres de long, animalière et végétale, elle met en scène un couple de jeunes femmes qui s’enlacent et le loup et l’agneau. C’est un clin d’œil au Louvre tout proche, « là où il y avait des loups », qui incite le piéton à revoir ses a priori. Le musée n’est plus là où l’on croit. Madame colle du papier sur les murs. C’est comme ça qu’elle se définit : collagiste, par amour du papier. « Le papier est moins agressif. C’est pour ça qu’on dit “je ne peux plus les voir en peinture”. Le papier ce n’est pas pérenne, c’est fugace, c’est le moment. C’est ce que j’aime 032

Dans la vraie vie, elle a commencé les collages quand elle avait 8 ans : carnets de voyage, journaux intimes, papiers collés. « Je sais que d’autres l’ont fait bien avant moi. Mais je préfère ne pas regarder. Si c’est pour me rendre compte que Prévert faisait mieux que moi… merci ! » Madame vient d’une famille d’artistes. « Chez moi, quand j’étais enfant, c’était open bar pour l’art. » Son grand-père, scénographe au théâtre de Tours, lui a enseigné l’art de la mise en scène et de l’éphémère. Elle s’en inspire encore dans ces petites boîtes en relief où personnages, vanités et maximes résument un monde, un moment de vie. Ce sont ce que Madame appelle des « castelets », petits formats qui se déploient ensuite en œuvres monumentales dans l’espace public.

Chercheuse de trésors En alliant dans son travail de collage le texte et l’image, elle construit un street art de l’intime et nourrit son travail aux sources de la mémoire, comme une plongée dans l’histoire des familles. Madame fouille dans nos greniers, dans nos albums photos, dans nos secrets cachés. Les images qu’elle y trouve servent à nous embarquer dans un imaginaire du passé. D’abord nostalgiques, nous songeons à la vie


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de ces couples disparus depuis longtemps qui s’embrassent devant nous. La casquette et les moustaches de ce soldat de la guerre de 14 nous parlent comme si c’était hier… L’amour du papier toujours : « T’aimer c’est comme affronter un océan sur un bateau de papier. » Madame chine. Aux puces de Saint-Ouen, elle a découvert un jour un vieux stock de La Vie du rail. Enfant, elle se cachait dans le grenier à la recherche de trésors. Aujourd’hui, elle arpente les brocantes. Elle aime utiliser des vieilles matières, des images fanées, une iconographie issue du début du siècle. Le précédent bien sûr.

Quand le théâtre s’en mêle Madame aime écrire aussi. Après des études de lettres, elle devient comédienne de théâtre. Madame aime les mots et les écrivains qui cognent : Marguerite Duras, Nicolas Mathieu, Édouard Louis, la Beat Generation. Mais les phrases qu’elle utilise sont toujours les siennes, jamais des citations, car « le verre ne fait pas toujours le poète », assène-t-elle avec humour. Dans la rue, quand elle colle, Madame est sa propre comédienne et sa propre metteuse en scène. Le public vient sans préjugés, il est pris sur le vif. Comme un théâtre sans mise en scène. Madame philosophe. C’est pour ça qu’elle met du texte dans ses œuvres. « Je suis en interrogation. Mes œuvres sont là pour poser des questions. » Un enfant écoute à l’intérieur d’un crâne : « Ce n’est pas parce que ça sonne creux que c’est vide de sens. »

Le dialogue… ou pas ! Madame aime aller au Louvre. Pour elle, le street art doit dialoguer avec la peinture classique. Sur un mur de la Bastille, des gouttes de sang tombent de deux de ses personnages, enlacés et transpercés par des flèches comme saint Sébastien. La phrase interpelle le passant : « Et l’on boira le calice jusqu’à la lie pour enfin se repaître de la vie. » Mais, la plupart du temps, l’œuvre n’est pas là pour illustrer le texte. La phrase est là pour faire réagir, le visuel pour consoler, ou l’inverse. Il n’y a pas de rapport direct entre les deux. Les phrases se jouent de nous, tantôt maximes, tantôt vrai-faux dictons, elles s’attaquent à notre esprit de sérieux, avec détachement : « L’on ne fait pas d’un bœuf un oiseau sans décloîtrer ses idéaux. » Ou bien encore : « Cure est le rire qui redresse ses torts à la nature. »

“Elle aime utiliser des vieilles matières, des images fanées, une iconographie issue du début du siècle. Le précédent bien sûr” Une Madame du XVIIIe Madame aime les voyages. Elle les aime même plus que tout. « C’est ma seule addiction. » Elle a vécu à Rome pendant cinq ans, à l’époque où elle était comédienne de théâtre. Aujourd’hui, elle parle plusieurs langues et voyage dès qu’elle peut. C’est d’ailleurs pour ça qu’elle a choisi son nom d’artiste : « Madame, le nom se comprend dans toutes les langues. » Madame n’aime pas montrer son visage. Casquette Nike et créoles dorées, New Balance aux pieds, jean et sweat noirs, elle parle vite, volubile et un peu gouailleuse. Elle continue à habiter à Barbès et à coller à la Goutte d’or, son quartier favori. « L’air de rien, Paris est un p… de terrain de jeu. »

De l’art d’être populaire Madame joue le jeu. Aujourd’hui, elle a transformé le finissage de son exposition en bingo. L’ancienne comédienne anime l’après-midi, un micro à la main qui déforme sa voix. « Ce n’est pas antinomique d’être artiste et populaire. Sinon on perdrait le lien avec les gens. Je veux que chacun puisse avoir accès à ce que je fais, même s’il ne peut pas se payer une lithographie. » Car, désormais, Madame vit de son art. Au débotté, elle lâche une phrase : « Plus que l’œuvre, c’est le temps que j’essaie de fixer. C’est le moment qu’on s’achète. » Qui pourrait bien devenir l’une de ses maximes de moraliste. Quand on lui achète un de ses petits formats, elle a l’impression de rentrer dans l’intimité des autres. « Je sais qu’ils vont l’accrocher au mur, le regarder tous les matins. Je me dis que ça y est, on est colocs. » L’époque est au ressentiment et Madame n’aime pas ça : « Puisque même bâillonné l’amer ne cesse de fuiter, autant le tarir plutôt que s’y mouiller. »

À découvrir Madame existe aussi en puzzle-street art ! Alors draguons le sort pour embras(s)er la vie, Puzzle 1000 pièces par Madame, 27,95 € (éditions Alternatives)

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SU C C ESS STORY

Texte Gabrielle Carayon et Thomas Thévenoud Photos Voir mentions

Dans le bureau de Jean-Marc Dumontet Producteur de spectacles et d’artistes, propriétaire de cinq théâtres privés à Paris, collectionneur avisé de street art, Jean-Marc Dumontet est omniprésent sur la scène parisienne. Il a fait de la culture une successstory personnelle. Rencontre avec un homme secret qui, depuis son bureau, murmure à l’oreille des puissants.

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© Emmanuel Dumontet


© Gaël Rebel

Le collectionneur

Le théâtre Antoine, dans le 10e, est inscrit au titre des monuments historiques.

“Il ne se passe pas un soir sans qu’un des spectacles produits ou choisis par Jean- Marc Dumontet ne se joue à Paris”

En arrivant dans les bureaux parisiens de Jean-Marc Dumontet, on se croirait à Avignon. Les flyers des spectacles sur les consoles de l’entrée, les affiches au mur, l’écran sur lequel défilent les prochaines dates, le théâtre est partout, dans sa diversité et sa profusion. L’agitation fébrile de ses collaborateurs qui entrent et sortent d’une grande pièce, le portable collé à l’oreille, donne aux couloirs de la maison de production une allure de plateau où se jouerait un vaudeville. Autre accumulation, à même le sol, des dizaines d’œuvres de street art de tous les formats et de tous les styles qui composent au milieu des couloirs une mosaïque de couleurs. Jean-Marc Dumontet a commencé à collectionner en 2015. Il possède aujourd’hui plus de 300 œuvres parmi les plus grands noms du street art. Il vient de terminer un « appel important » et nous reçoit derrière son large bureau Empire. Regard perçant, costume et cravate bleu nuit, d’une voix fluette, il détaille sa collection. Évidemment, la Marianne de Shepard Fairey, dit Obey, est présente. C’est une pièce 038

© Gaël Rebel

© Gaël Rebel

SU C C ESS STORY

iconique du street art mondial, dont Jean-Marc Dumontet possède l’un des deux tirages originaux. L’autre se trouve à l’Élysée, dans le bureau du président de la République. Invader, Set, Vils, ses autres artistes préférés, bénéficient également d’une place de choix dans la scénographie d’une pièce qui comprend des tableaux encore emballés dans du papier bulle, des photographies d’artistes (on reconnaît Alex Lutz, Pierre Richard, Alexis Michalik…) et les souvenirs personnels de Jean-Marc Dumontet.

Rompre avec le schéma familial Son histoire, c’est celle d’un entrepreneur à succès qui commence comme une vocation ratée. Dans la famille Dumontet, on est notaire de père en fils en Gironde. Il commence donc à faire du droit mais, en réalité, il aime la presse, la communication et déjà… la politique. En 1988, à 22 ans à peine, il anime un meeting de Chirac à Bordeaux devant 15 000 personnes. Aujourd’hui, aux murs de son bureau, l’Appel du 18 juin et la photo de de Gaulle côtoient une lettre de Jean-Paul Sartre. « Au départ, ce que


© Laura Gilli

De gauche à droite : Jean-Félix Lalanne, Jean-Marc Dumontet et Jean-Louis Grinda

© Laura Gilli

Sur le filage de Al Capone : la chanteuse Anggun entourée de Roberto Alagna et Bruno Pelletier (à gauche).

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je voulais, c’était mettre les autres au travail. » Il rencontre Nicolas Canteloup et sent immédiatement le potentiel de l’imitateur. Il décide d’en faire une star. Pour cela, il faut « monter à Paris ». À l’époque où il vit à Bordeaux, il trouve la Capitale « trop bruyante, chronophage, peu adaptée à une vie paisible ». Aujourd’hui, il en possède une partie. Après quelques années de concurrence effrénée avec Fimalac, le groupe de Marc Ladreit de Lacharrière, il est devenu le roi du théâtre privé à Paris.

© Black Legends

Black Legends : la comédie musicale qui cartonne depuis des mois n’est pas une production Dumontet, mais se joue à Bobino, un théâtre qui lui appartient.

“Des talents, des personnalités singulières… il y en a partout. Ce qui est plus rare, c’est de trouver ceux qui travaillent dur et qui acceptent la contradiction” Une programmation forte… et viable « Je n’ai acheté que des théâtres dont je ne voulais pas. » Parfois en dix minutes sur un coup de tête, parfois en six mois après bien des hésitations. Mais avec toujours la même méthode : réfléchir en amont à une programmation forte et économiquement viable car « si vous ne vous intéressez pas à l’argent, l’argent vous rattrape ». Pour JeanMarc Dumontet, il faut multiplier les créneaux d’ouverture, sortir des « deux heures de spectacle », faire venir le public le plus tôt possible. Dans tous les théâtres qu’il dirige, la soirée commence à 19 heures. Patron engagé, obnubilé par la diversification de l’offre au sein de ses théâtres, il a organisé en mars dernier la 6e édition de Paroles citoyennes, le festival de théâtre des récits contemporains. Chaque année, ce rendez-vous construit des ponts entre création artistique et grands sujets de société. Les lieux ne doivent pas cesser de vivre, ils doivent être « effervescents ». Rencontrer des auteurs, avoir des idées, leur donner vie, c’est un processus créatif permanent. C’est pour ça qu’il a voulu aussi être propriétaire de théâtre : « Avoir un théâtre est un déclencheur de projets. »

Un soir, un spectacle… Dumontet

© Gaël Rebel

Jean-Marc Dumontet le reconnaît, la France favorise la création. « La force du théâtre ici c’est le système de l’intermittence. Un système génial, que le monde entier nous envie. » Face aux autres grandes métropoles, elle n’a pas à rougir de son offre théâtrale, même si JeanMarc Dumontet aimerait plus de « porosité » entre le public et le privé. Il y a un besoin incontestable d’aller 040


Paternaliste malgré lui Jean-Marc Dumontet a du flair et le don pour déceler ce qui attise la curiosité des spectateurs. « Le challenge, c’est notre capacité à créer et repérer des spectacles qui suscitent le désir. » L’autre challenge, ce sont les artistes, « ses » artistes. Au fil des années, il a acquis la réputation de découvreur de talents. Nicolas Canteloup bien sûr, qu’il produit depuis plus de vingt ans, mais aussi Les Coquettes, Verino, Fary et bien d’autres. Paternaliste malgré lui, il se fait un devoir de les protéger mais aussi de les pousser dans leurs retranchements pour donner le meilleur d’eux-mêmes. « Tout à coup, ils me confient leur carrière. » Jean-Marc Dumontet y voit aussi une urgence à les faire grandir. « Des talents, des personnalités

singulières… il y en a partout. Ce qui est plus rare, c’est de trouver ceux qui travaillent dur et qui acceptent la contradiction. » Pour lui, la clé du succès réside dans une constante remise en question, « aussi bien pour mes artistes que pour moi-même ». L’entretien s’achève, sans doute « un nouvel appel important » à passer… Il contourne le large bureau pour nous raccompagner. Un bureau de futur ministre de la Culture ? « Non, c’est celui de mon père qui était notaire. Moi, je ne postule pas. »

Le Point Virgule, une salle intimiste située au cœur du Marais

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© Laura Gilli

Parmi ses derniers grands succès, à Bobino, Jean-Marc Dumontet a programmé Black Legends. « C’est un show malin. Il y a une trame historique illustrée par des chansons de soul music connues de tous, avec un réel propos. » Carton plein. À partir du 31 mars, autre succès assuré, le théâtre accueillera la comédie musicale Flashdance qui jouera les prolongations à Bobino après son triomphe au Casino de Paris. Sa dernière production, la comédie musicale Al Capone, est à l’affiche des Folies Bergère jusqu’à mai. Emmenée par Roberto Alagna, un des plus grands ténors de notre temps, la chanteuse Anggun

Grand Point Virgule Beaucoup de grands noms et de jeunes talents de la comédie sont passés par là. Jusqu’à fin mars, ce seront Les Coquettes.

© Laura Gilli

Ses succès à l’affiche

et Bruno Pelletier (le chanteur de Notre-Dame de Paris), la comédie musicale nous transporte dans l’Amérique de la prohibition au cœur des rivalités entre le célèbre gangster et Eliott Ness, agent du Trésor américain. Musiques live, chorégraphies endiablées, le spectacle bouscule les genres, entre rythmes charleston, pop-rock et opéra.

© Laura Gilli

chercher les talents sur toutes les scènes. À Paris, la richesse de cette offre théâtrale, c’est en partie lui qui l’orchestre. Pièces de théâtre, spectacles d’humour, stand-up ou encore comédies musicales : il ne se passe pas un soir sans qu’un des spectacles produits ou choisis par Jean-Marc Dumontet ne se joue à Paris, dans l’un de ses cinq théâtres (théâtre Antoine, Théâtre libre & Scène libre, Bobino, Le Point Virgule et Grand Point Virgule).


Texte Juliette Félix Photos Voir mentions

En espérant Rebecca Marder À l’affiche du thriller politique De grandes espérances et de Tango y Tango, un spectacle théâtral, musical et chorégraphié autour du tango, Rebecca Marder impressionne et se met en danger. À sa manière, avec grâce et délicatesse, l’ancienne pensionnaire de la Comédie-Française enchaîne les succès en jouant des femmes fortes, engagées, lumineuses. Rencontre avec une étoile qui monte.

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Rebecca Marder au dîner des révélations des César 2023

© Chanel

Mise en beauté par Chanel Habillée en Chanel Haute joaillerie Chanel

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“Dans la vie, j’ai tendance à m’excuser d’être, à me tenir comme un bossu et à vouloir disparaître”

Tango y Tango Création du 10 au 27 mai au théâtre du Rond-Point Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo Musique Philippe Cohen Solal (Gotan Project) Livret Santiago Amigorena Avec Rebecca Marder, Cristina Vilallonga, Rodolfo de Souza, Julio Zurita et Mauro Caiazza

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ujourd’hui, j’ai rendezvous avec une enfant du 13e arrondissement, sur un de ces bancs du parc de Choisy, où elle venait profiter du soleil de printemps quand elle chantait dans la chorale du quartier. À peine quelques minutes de retard et elle s’excuse déjà : « Je déteste l’idée qu’on joue à l’artiste. C’est mon métier. J’essaie de l’exercer le plus sincèrement possible. En revanche, c’est vrai que, dans la vie, j’ai tendance à m’excuser d’être, à me tenir comme un bossu et à vouloir disparaître. » Désarmante et volubile, c’est elle qui, curieuse de l’autre, voudrait poser les premières questions. Entre la piscine de la Butte-auxCailles, le restaurant Pho 14 de l’avenue de Choisy et le conservatoire du 13e, c’est là que Rebecca Marder fait ses premières armes devant les autres. Un directeur de casting la repère et lui permet de jouer dans un premier film, à 5 ans : « Je me souviens très bien de ce tournage. C’était un film avec Annie Girardot, je jouais la petite sœur de Louis Garrel et, comme je ne savais pas encore lire, j’avais appris les dialogues de tous les personnages pour être sûre de ne pas rater le moment de dire mes répliques. Entre chaque prise, j’étais remerciée en bonbons. »

Une vocation contrariée Elle a toujours voulu être actrice, contre l’avis de sa mère qui refusait de signer les autorisations pour qu’elle travaille pendant les vacances scolaires, mais encouragée par son père musicien. « Je n’osais pas me dire que ce métier si aléatoire et si difficile pouvait être celui que je choisirais. Alors, je m’imaginais dans un double rôle : actrice et 044

bouchère, actrice et fleuriste, actrice et réalisatrice. » Et, puis après le bac, après avoir fait quatre rentrées différentes en une année, après avoir quitté l’hypokhâgne puis la fac de lettres, elle est reçue au concours de l’école du théâtre national de Strasbourg : « J’étais sauvée ! » Elle ne restera qu’une année. Repérée par Éric Ruf, l’administrateur de la ComédieFrançaise, elle intègre la maison et joue pour son premier rôle dans Les Rustres de Goldoni : « Les premiers mots que j’ai prononcés à la Comédie-Française c’était Mère ! Mère ! »

De l’Escurial à la ComédieFrançaise Pendant les sept années où elle est pensionnaire de la ComédieFrançaise, Rebecca Marder joue avec les plus grands metteurs en scène. « J’étais galvanisée, stimulée par une énergie et une excellence dans le travail qui, je le pense et je le sais, ne se retrouvent nulle part ailleurs. » C’est pourtant vers cet ailleurs qu’elle décide de se diriger. Cet ailleurs qui porte un nom qu’elle connaît déjà : le cinéma. Elle raconte, des lumières dans les yeux, ses souvenirs à L’Escurial, boulevard Arago, où elle allait enfant ou, plus tard, au Grand Action où elle séchait les cours de lycée pour découvrir les chefsd’œuvre du cinéma japonais ou italien.

Le rôle des César Elle quitte alors la troupe et enchaîne les tournages : « J’ai ressenti le besoin de chercher qui était Rebecca, surtout parce que j’ai eu envie de connaître une autre manière de faire mon métier, éprouver d’autres aventures. Et


Rebecca Marder sur le tapis rouge au dîner des nommés des César 2023, mise en beauté par Chanel : Soin N° 1 de Chanel Crème Riche Revitalisante au Camélia Rouge, teint N° 1 de Chanel, Fond de Teint Revitalisant au Camélia Rouge B20, sur les yeux Stylo Yeux Waterproof Or Antique et Mascara Noir Allure, sur la bouche Rouge Allure Velvet Éternelle.

© Chanel

Habillée en Chanel Haute joaillerie Chanel

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© The jokers

© The jokers

“Est-ce que si l’on apprenait que Greta Thunberg avait du sang sur les mains, sa cause en serait moins noble ?”

De grandes espérances de Sylvain Desclous avec Rebecca Marder, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Berçot, sortie le 22 mars 2023

puis sept ans c’est un cycle : l’âge de raison, le renouvellement des cellules, sept ans de réflexion. » L’année dernière, le hasard des rôles l’a fait incarner deux femmes fortes, engagées, marquées par le cours de l’Histoire. Dans Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain, le rôle pour lequel elle était nominée aux César dans la catégorie meilleur espoir féminin, elle joue une femme qui essaie d’échapper à son destin. Pour Simone, le voyage du siècle, elle incarne avec force et réalisme Simone Veil au moment de la déportation et de retour des camps, l’icône avant qu’elle le devienne.

Les planches et le grand écran Cette année, elle retourne sur les planches, sur la scène du théâtre du Rond-Point en mai pour la création Tango y Tango, une pièce dansée, mise en scène par Marcial Di Fonzo Bo sur la musique de Philippe Cohen Solal (Gotan Project). Et elle ne quitte pas le grand écran. En mars sort ainsi De grandes espérances, où elle incarne 046

une jeune assistante parlementaire qui veut changer le monde. Déterminée et idéaliste, Madeleine est « un cœur pur » qui va devoir se salir les mains. En jouant ce rôle, Rebecca Marder a découvert un autre monde : « Le réalisateur Sylvain Desclous m’a demandé de regarder des documentaires sur la politique. C’était très différent de ce que j’ai eu l’habitude de faire jusqu’à présent au cinéma. C’est un plaisir de jouer le secret au cinéma, de jouer un personnage trouble qui doit mentir, de jouer quelqu’un qui joue. »

Un thriller shakespearien Peut-on réellement échapper à son destin ? C’est la question que pose ce film. « Il y a quelque chose qui tient de la tragédie grecque dans cette histoire. Qu’est-ce que l’on est prêt à faire pour nos convictions ? Est-ce que si l’on apprenait que Greta Thunberg avait du sang sur les mains, sa cause en serait moins noble ? Madeleine est un personnage pour qui j’ai beaucoup d’empathie et qui me plaît. »À sa façon, avec modestie, en s’excusant presque à nouveau, Rebecca Marder s’impose peu à peu pour jouer les « femmes fortes, passionnées et droites dans leurs souliers ». Sur ce banc du parc de Choisy, au soleil retrouvé, elle veut « continuer d’espérer malgré toutes les raisons que l’on nous donne de baisser les bras ». Le printemps est inexorable, comme aurait dit Pablo Neruda.


Food ×

“Si l’éthique est devenue rock’n’roll, moi j’applaudis.” Hugo Desnoyer p. 50

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Photos © DR

Lucille Battafarano

Vive la fermentation ! Venue de la communication, Lucille Battafarano a lancé à 27 ans Piquette, une marque de pickles, de tartinades et de sauces aussi originale que délicieuse pour l’apéro – et pas seulement. Comment est née votre passion pour le vinaigre ? Je suis une grande consommatrice de produits d’épicerie… Mais j’étais souvent assez déçue du goût, je trouvais qu’on ne sentait pas bien les aromates ou les légumes dans les tartinades par exemple. Et puis je voyais que l’huile d’olive devenait une star sur les tables des chefs… Alors pourquoi pas le vinaigre ? Il est tout aussi complexe que le vin ou la bière : il nécessite même une double fermentation. J’ai commencé à faire des tests à la maison, dans mon appartement de Montrouge. Vous imaginez, dans 47 m2, c’était sport ! Puis je suis partie en « wwoofing » [un bénévolat dans de petites exploitations qui ont des pratiques agricoles biologiques] chez des maîtres vinaigriers du duché de Modène pour découvrir la fabrication du vinaigre balsamique traditionnel. Passionnant ! Là-bas, j’ai eu le déclic…

et j’ai lancé Piquette en janvier 2022 avec la volonté de sortir le vinaigre des salades ! En plus en ce moment, une théorie circule sur le vinaigre : il serait très bon pour la santé car il ferait baisser le taux de glucose… Oui, il est préconisé de boire une cuillère de vinaigre de cidre le matin pour rééquilibrer la flore. Mais il faut bien choisir son vinaigre justement : s’il est filtré et pasteurisé, il perd beaucoup de son intérêt. Vous avez d’abord travaillé le vinaigre via les pickles [légumes marinés dans une saumure à base de vinaigre]… Ma première idée de recette a été de constituer un pickles avec des oignons rouges, du vinaigre de xérès, intéressant pour son côté boisé, et de l’amande. L’ADN de tous les 048

produits Piquette, ce sont des produits classiques twistés grâce aux épices. Et vous fabriquez tout vous-même ? Oui, je suis artisane à 100 % ! Je développe les recettes, puis je m’occupe de la fabrication. Heureusement, j’ai un papa chef cuisinier dans la restauration collective, et qui a pu m’aider pour le sourcing des produits… Puis j’ai loué une cuisine professionnelle à Carcassonne, et ma sœur, mon père et mon conjoint m’ont aidée pour ma première production. Charlotte sur la tête, nous avons tout fait : de la transformation au collage des étiquettes sur les pots… C’était beaucoup de travail, et en même temps un moment très chaleureux. Où peut-on trouver Piquette ? Sur mon site, à l’épicerie Fine de Belleville, et j’aurai un stand au popup de Bande de créateurs à la Bastille, ainsi qu’au tout premier festival de France dédié à la fermentation à la Cité fertile (Pantin), le lundi 12 juin, de 12 h à 19 h… ES

Pickles Piquette, 5,50€ tartinade 6€ et sauce 5,50€


RESTAURANT. « Ambos » signifie « Tous les deux » en espagnol. Et c’est bien ainsi que les chefs Cristina Tejeda et Pierre Chomet entendent vivre et cuisiner, dans leur premier restaurant, pile en face du Sénat. Un lieu moderne et chaleureux, où le couple officie à quatre mains et avec un seul grand cœur, pour le plaisir des fines gueules du Luco. Choisissez le comptoir pour voir en live leurs mains virevolter et la magie opérer. Au menu, une synthèse enthousiasmante de leurs racines respectives et de leurs voyages à deux. Pour Cristina, du Venezuela à la table de la reine Elizabeth II. Pour Pierre, de la Bretagne à Top Chef saison 12. À eux deux déjà, de nombreuses tables étoilées et un séjour à Bangkok. À l’arrivée, une belle table chic et dans l’air du temps, avec des assiettes percutantes qui changent de la bistronomie parisienne et qui donnent envie de revenir à chaque saison. FV

© Pierre Lucet-Penato

À deux, c’est mieux !

Pierre et Cristina, les deux chefs à la tête de Ambos

ambos-restaurant.fr

© Léo Kharfan

© Thomas Jaspers

Bon Grain à SaintGermain

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BAR. Petit dernier du groupe très germanopratin Les Becs parisiens (Le Christine, Le Colvert, mais aussi Chocho), Grain[s] réveille ce coin du 6e avec une splendide cave à vin et à saké, où il fait aussi bon boire que picorer grâce au talent du sommelier Mathieu Guérin et du chef Julian Avila. Que du bon grain et pas d’ivraie ! FV


© Anne Bergeron

Boucherie Bidoche

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Texte Florence Valencourt Photos Voir mentions

Néo-bouchers, 100 % appellation d’origine contrôlée Alors que la doxa nous enjoint à ne plus manger de viande si on veut sauver la planète et ne pas se faire mal voir de son voisin, une toute nouvelle génération de bouchers bat le pavé parisien, bien décidée à démontrer qu’on peut conjuguer la boucherie au futur, à condition de faire le pari de l’éthique. Vivre Paris est parti à la rencontre de ces louchébems d’un nouveau genre !

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© Young-Ah KIM © Guillaume Czerw

© Emma Picq

À gauche : Les Apaches dans leur chambre froide À droite : Le chef étoilé Jacky Ribault dans sa boulangerie-boucherie à Noisy-leGrand, « Suzanne et Lucien ».

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ous pensiez que le métier était en voie d’extinction, uniquement exercé par des commerçants vieillissants ? La réalité est tout autre ! On n’a, au contraire, jamais vu fleurir autant de vocations et de nouvelles échoppes de quartier. Nous sommes partis à la rencontre de huit artisans aux quatre coins de Paris : Butcher of Paris (Paris 3e), Viande à Part (Paris 18e), Billot Club (Paris 17e), Viande Viande (Paris 3e), Bidoche (Paris 11e), Suzanne et Lucien (Noisy-le-

Grand), Les Apaches (Paris 20e) et enfin, le pionnier du genre, Hugo Desnoyer (Paris 14e et Paris 16e). Déjà, un premier constat : la moitié de ces néo-bouchers ont ouvert leur boutique l’an dernier… Pour paraphraser une formule devenue populaire : « Ces bouchers, qui sont-ils et quels sont leurs réseaux? »

Que des (re)convertis, ou presque À l’exception notable de Yann Le Bourdonnec (Viande à Part) – fils du boucher star Yves-Marie – et du chef Jacky Ribault (Suzanne et Lucien), pour qui la boucherie est plus un retour aux sources qu’une révélation, tous les bouchers interrogés sont des reconvertis épanouis. Pour tous en revanche, passage obligé par un CAP d’un an ou un CQP (certificat 052

de qualification professionnelle) et plusieurs stages, avant de se lancer. Pourquoi la boucherie, précisément ? La majorité cite un amour de la gastronomie, mais aussi la volonté d’exercer un métier manuel, artisanal et en contact direct avec le client. Pour Louis-Marie Martin, ancien directeur des opérations des boucheries Le Bourdonnec et heureux fondateur de The Butcher of Paris, le documentaire/livre Steak (R)évolution de Franck Ribière et Vérane Frédiani a aussi eu une influence décisive, en montrant la filière sous un angle nouveau et plus durable. Adrien, associé chez Viande Viande et ex-architecte DPLG, va dans son sens et même un peu plus loin : « La viande est un matériau noble à travailler et j’avais dans l’idée de remettre les éleveurs sur le devant de la scène, d’exercer le rôle


© Marie Lepin

© Adrien Quennepoix

La jeune et belle équipe de Viande Viande, rue Saint-Marin, propose aussi des « paniers apéros ».

de médiateur. » Pour les compères des Apaches, anciens coéquipiers de rugby, on dira que la culture de la barbaque était déjà dans leur ADN de sportifs et que les rencontres et le hasard (le père de Vincent Deniau s’est vu offrir une dizaine de salers pour ses 50 ans) ont fait le reste.

Les a priori à l’encontre de la viande La viande a mauvaise presse, cela ne vous a pas échappé. Elle serait un boy’s club ? Faux ! Depuis fin novembre 2022, Stéphanie Hein est même la première femme MOF « boucherie étal » et suscite de nouvelles vocations féminines. Pour tous ces néo-bouchers, le challenge est de redorer le blason de la filière. Tous veulent démontrer que celleci peut se réinventer grâce à de

nouveaux acteurs et de nouvelles valeurs. Les associés de Billot Club – passés par une école de commerce et la finance pour deux sur trois d’entre eux – ont même choisi délibérément la boucherie comme projet entrepreneurial, en s’appuyant sur une étude de marché démontrant que le secteur de la viande de qualité est en hyper croissance, du fait du repositionnement vers le « moins mais mieux » et que les opportunités de développement sont là.

Les valeurs de la « famille » Quel que soit leur parcours initial, ce qui rassemble tous ces jeunes bouchers, ce sont les valeurs, les convictions qu’ils défendent au jour le jour. On peut résumer leur credo en quelques mots : travail en direct avec les producteurs, bêtes 053

“La viande est un matériau noble à travailler et j’avais dans l’idée de remettre les éleveurs sur le devant de la scène, d’exercer le rôle de médiateur” Adrien, Viande Viande françaises de pure race, élevées en plein air, nourries à l’herbe, achat des carcasses entières, juste rémunération des éleveurs, abattage respectueux du bien-être animal, valorisation de tous les morceaux (ceux qui ont une cuisine sont avantagés). Si Hugo Desnoyer, Yves-Marie Le Bourdonnec ou encore la famille Metzger leur ont ouvert la voie en France, beaucoup d’entre eux citent également des figures étrangères comme pères spirituels : Henrik Dierendonck en Belgique, Tim Wilson en Angleterre et les gars de The Meat Hook à Brooklyn, aux États-Unis.


© Marielle Gaudry

Dans son livre Partisan boucher, Hugo Desnoyer réunit ses recettes iconiques pour cuisiner la viande.

Le pionnier, Hugo Desnoyer

L’amour des bêtes

À propos d’Hugo Desnoyer, il faut rendre à César ce qui lui appartient et rappeler qu’il a été un vrai précurseur en matière d’éthique. Lorsqu’il a commencé il y a trente-cinq ans, on le prenait pour un hurluberlu, alors que c’était un visionnaire… Comme il le raconte dans son nouveau livre-manifeste, Partisan boucher : « Le bien-être animal a toujours été au centre de mon métier et de mon approche de celui-ci. La réflexion intervient dès l’élevage. Je choisis chacun de mes éleveurs et il est primordial que celui-ci ait un rapport fort à ses bêtes (…). J’ai passé beaucoup de temps à sourcer mes bêtes et j’ai pris le temps de visiter de nombreux abattoirs. C’est en observant, en étant à l’écoute de tout ce qui se passait là-bas que j’ai compris qu’il y avait beaucoup de choses à améliorer et qu’il était nécessaire d’agir vite et de manière pérenne. »

Certaines maisons, comme Viande Viande, poussent d’ailleurs leur conception de la morale jusqu’à ne pas travailler le veau et ne faire de l’agneau qu’à Pâques. Chez Suzanne et Lucien, Jacky Ribault, qui a pourtant appris à tuer les animaux dès 6 ans et qui n’hésite pas à « mettre encore la main à la pâte quand il peut », ne fait pas de lapin pour faire plaisir à sa fille qui en avait deux à la campagne… Pour tous, L214 (association de défense des animaux utilisés comme ressources alimentaires) est un mal pour un bien, qui permet de mieux expliquer et qui rend le client plus réceptif à une approche différente. Même Hugo Desnoyer, qui a pourtant été la cible d’attaques directes, trouve leur combat honnête et correct, soulignant même son rôle dans le développement et le succès de maisons de qualité. Ils ont tous en tête le mantra : « Moins, mais mieux », parfaitement en accord avec la tendance flexitarienne. Ils attachent tous une grande importance à la transparence à chaque étape, à commencer par l’aménagement de leur boutique.

La néo-boucherie, un lieu de vie ? Les associés de Viande Viande annoncent la couleur : « On ne vend pas un produit, mais une expérience ». De fait, la devanture et l’intérieur de leur boucherie – comme celle de tous les autres – ne laissent aucun doute. On voit la différence avec les boucheries à l’ancienne où Madame est à la caisse… La plupart ont délaissé les longs étals pour installer des frigos et des chambres de maturation transparentes. De même, le contact avec le client se fait plus spontanément autour d’un billot central, où les bouchers travaillent devant tout le monde et peuvent montrer et expliquer au fur et à mesure ce qu’ils font. On est dans la pédagogie, dans l’échange et dans le partage. C’est un point fondamental

© Marielle Gaudry

“Pour tous, L214 est un mal pour un bien” 054


© Romain Bassenne

© Viande à Part

© Romain Bassenne

“Nos bouchers ont dit non au tablier blanc plein de sang, pour revêtir l’uniforme de tous les modeux de la Capitale : doudoune sans manches Patagonia, bonnet Caterpillar et tatouages sur les avant-bras” boutique et de la déguster dans un espace attenant. Une tendance qui plaît à la nouvelle clientèle, plus jeune, que toutes ces boucheries attirent.

© Viande à Part

pour tous. Ils ont à cœur d’expliquer leur démarche et sont ravis quand on leur demande de donner des recettes. Chez Billot Club, il y a tout un tas de jolies fiches cartonnées à disposition pour apprendre à faire « le poulet rôti de nos mamies » ou enfin ne plus se tromper dans la cuisson, grâce à un « tuto steak » ultime. Et pour ceux qui ne veulent pas cuisiner eux-mêmes, Bidoche, The Butcher of Paris, Hugo Desnoyer et dans un autre genre Suzanne et Lucien chez les Mérovingiens proposent tous de cuisiner la viande choisie en

Le sens du marketing Les jeunes branchés se retrouvent d’ailleurs dans tous les codes affichés par les néo-bouchers. Et ça commence dès le nom de la boutique… On n’est pas chez monsieur Tartempion, comme il était d’usage pendant des années, mais chez Viande à Part, Bidoche ou Les Apaches. Ça claque autrement, non ? Par ailleurs, nos 055

À gauche : The Butcher of Paris au marché des Enfants-Rouges À droite : Chez Viande à Part, dans le 18e, on conjugue produits de qualité et bons conseils cuisine !


© Anne Bergeron

Boucherie Bidoche : un des meilleurs restaurants à viande de Paris, où on peut aussi acheter des pièces pour chez soi.

bouchers ont dit non au tablier blanc plein de sang, pour revêtir l’uniforme de tous les modeux de la capitale : doudoune sans manches Patagonia, bonnet Caterpillar et tatouages sur les avant-bras. Chez Viande Viande, ils portent une blouse bleue de chez Le Laboureur et Bidoche a bien envie de leur emboîter le pas. Certains vendent même des tote bags à leur nom et

ils en sont fiers ! Comme l’explique Adrien de chez Viande Viande : « Cette esthétique est voulue. C’est un partipris car on vend un univers, on est une équipe, pas un seul artisan, on veut proposer une identité globale. Et, oui, on a le souci du détail ! »

Une famille unie ? Tous déclarent qu’ils sont plus confrères que concurrents. D’ailleurs ils se connaissent et se rendent des services à l’occasion. Forment-ils un groupe homogène pour autant ? Pour les Apaches, pas vraiment : 056

« Ce qui nous rassemble tous, c’est le fait de travailler en direct, mais il n’y a pas de fratrie de butchers en chemise à carreaux ! » Avant d’ouvrir son comptoir dans le marché des Enfants-Rouges, Louis-Marie Martin de Butcher of Paris avait eu la volonté de fédérer tout ce petit monde et même créé une association, en 2018 : Meat Revolution. L’idée était de créer du lien entre éleveurs, bouchers et consommateurs, au travers d’événements en région et d’apéros du boucher tous les mois. Pour l’instant, la structure est en


© Billot Club

sommeil car il est débordé, mais l’idée de reprendre le titille. Quant à Jean-Nicolas de Billot Club, il a lancé un fanzine dédié cet hiver, Le Rousigueur, et espère avoir le temps d’en éditer un deuxième numéro au troisième trimestre 2023… Car, in fine c’est ça qu’il faut retenir : néo ou pas, tous ces bouchers

ne comptent pas leurs heures et travaillent énormément. Ce qui les unit donc, c’est surtout la passion et l’amour du travail bien fait. (Re) donner du sens à un métier qui était déprécié. Et, comme le dit encore Hugo Desnoyer – à qui on laissera le dernier mot : « Si l’éthique est devenue rock’n’roll, moi j’applaudis. » 057

© Billot Club

“Chez Billot Club, il y a tout un tas de jolies fiches cartonnées à disposition pour apprendre à faire « le poulet rôti de nos mamies »”

Chez Billot Club, on est « défenseurs du bon steak » et on propose aussi une délicieuse cuisine à emporter.


Texte & Photos Carmen Vazquez (sauf mentions)

SÉLEC TI ON

LES 10 MEILLEURS PETITS-DÉJEUNERS PARISIENS Entre petit-déjeuner so cocorico, créatif, jet-lagué ou encore version palace, Vivre Paris croque la Capitale au petit matin !

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© Ilya Kagan

Le Cinq du George V


Du côté de la Californie ÉCHO. Au cœur du Sentier, le soleil de L.A. caresse notre palais de bon matin dans ce deli minimaliste aux teintes californiennes. Inspiré par les cafés créatifs du hipster-cool quartier de la cité des Anges, Echo Park, cette all-day canteen réinvente les classiques du breakfast US en y insufflant des twists mexicano-asiatiques. De quoi faire valser le palais sur de divins roller coasters sensoriels ! La hot sauce fermentée au habanero apporte un kick à la Westside Brioche. Les toasts, coiffés d’œufs brouillés aux poireaux, sont escortés d’un bacon caramélisé au sirop d’érable. Les Muffin Breakfast Sandwichs jouent les contrastes croustillants-moelleux : smash patties aux bords croquants, chili oil ou encore du chorizo mexicain grillé à l’extrême. L’or vert californien, l’avocat, s’affiche en toast funky avec tomates confites, pickles de daikon, crème à la carotte et togarashi. Et pour l’atterrissage sucré, le pamplemousse caramélisé et le cookie crème brûlée mettent K.O… de plaisir.

Comme à Buenos Aires PILO’S. À deux pas du Père-Lachaise, des effluves sucrés au parfum d’ailleurs attirent vers Pilo’s. Quelques tables jouent le collé-serré, laissant une belle vue sur le comptoir sur lequel défilent les créations sucrées-salées de Pilar, la pâtissièretaulière argentine. La star est la medialuna, le croissant argentin, plus fluffy et beurré que l’hexagonal, laqué d’un sirop sucré. À déguster nature ou toasté au jambon-fromage avec un maté comme à Buenos Aires. Les alfajores et les feuilletés salés valent aussi le voyage. 059


SÉLEC TI ON

Typiquement parisien

© Ilya Kagan

ATELIER P1. Le pain du Square, le Montaquoy, les focaccias… Les hit-sellers au levain naturel et farines de céréales anciennes non hybridées de la boulangerie montmartroise Atelier P1 joueront désormais les petits-déjeuners en prolongation chez P1 Bouche, leur adresse où s’attabler. Tartines, œufs déclinés, croissants cuisinés, viennoiseries de partage, produits fermiers salés… Julien Cantenot souhaite réinventer l’art du petit-déjeuner en puisant dans sa déjà très jolie collection boulangère. Sortie du four courant juin.

Palace

Photos © Clemence Sahuc

LE CINQ DU GEORGE V. Ce printemps, le Four Seasons Georges V réinvente son petit-déjeuner version gastro grâce aux talents du chef étoilé Alain Taudon, accompagné du tandem star composé par le pâtissier Michael Bartocetti et le boulanger Guillaume Cabrol, le tout souligné par le travail de l’art de la table. À peine escortés jusqu’à la flamboyante salle de leur table trois étoiles, le Cinq, l’heure de la décadence a sonné. Le menu signature à 76 € s’inaugure par une pièce de partage, un kouglof d’exception ce jour-là. Viennent ensuite les pièces d’orfèvrerie de la maison : les viennoiseries – chausson aux pommes, pain au chocolat, cruffin – d’un feuilletage inégalable. Les pains – feuilleté, pain au maïs, baguette – se tartinent des confitures signées Christine Ferber, d’un beurre végétal aux fruits de la passion ou encore d’un miel à orner de pollen ! La partition salée autour de l’œuf, composée par le chef étoilé Alain Taudon, est la plus éblouissante : omelette fluffy comme au Japon au homard bleu et bisque, ou œuf cocotte au foie gras et à la truffe câliné de jus de viande. Incroyable ! 060


Plus près du Japon

© Johanna Alam

MOKONUTS. Dans leur micro-échoppe toute boisée, où leurs influences orientalo-nippones dictent le menu, Moko et Omar, couple à la ville comme en cuisine, jouent les petits-déjeuners surprise dès 8 h 45 ! Si l’incontournable labneh pimpé à leur sauce, escorté selon l’envie de man’ouché ou focaccia au zaatar, reste inlassablement en tête d’affiche, la suite se réinvente au quotidien. Lors de notre visite, ce fut breakfast sandwich à l’egg salad et chorizo, scones à la pomme et seigle, tarte à la ricotta ou encore un clin d’œil au très british toast à l’œuf au plat, remasterisé en version végétale avec un pain noir aux graines, fraîchement sorti du four, tartiné de pesto aux herbes et graines de courge. Les indétrônables cookies, parmi nos préférés en ville, sont encore brûlants, idéaux en pairing avec leur chocolat chaud parfumé au miel, d’une légèreté et densité rares. Les habitués connaissent la bonne tactique : soit on s’y installe à la première heure, ou l’on débarque à 10 h pétantes pour le last call. Il n’y aura pas de rab pour les retardataires !

En version bistronomique CANTINE FARMERS. De la poutargue à déguster dès 9 h du matin ? Oui, oui, en baguette ! À la Cantine Farmers, la bistronomie guide le menu du matin au soir. À l’heure des premiers crocs, l’adresse joue les fausses simplicités en proposant des œufs au plat auréolés d’une pluie de lard crispy, ou brouillés ornés de poutargue pour un joli kick marin. Le registre sucré se révèle tout aussi créatif avec des pancakes façon sponge cake ou une brioche perdue, ce jour-là pimpés à la crème fouettée de faisselle, ananas et réglisse. 061


SÉLEC TI ON

Végétal HOY HÔTEL. Banquettes dodues, tables marbrées, fleurs séchées, tissages aux accents sud-américains… Baignée par la lumière naturelle, la salle à manger du HOY est l’un des plus jolis havres de paix parisiens. L’esthétique a beau jouer un rôle dans la magie du moment matinal, la philosophie et l’âme holistique de ce lieu de vie lui confèrent une saveur d’apaisement total. Servi dès 7 h 30, le petit-déjeuner 100 % végétal honore les racines latino-américaines des lieux. Les Purple Corn Pancakes sont la plus juste illustration de ce pari jet-lagué : le péruvien maïs violet sert d’appareil aux pancakes, coiffés de confiture, fruits de saison, yaourt vanillé, beurre d’amandes torréfiées, banane, chips de coco & sirop de yacón. La focaccia au charbon végétal, champignons glacés au bouillon d’algues et crème aux baies roses, épate le palais dès bon matin. À escorter d’un golden latte Shavasana signé La Main Noire avec beurre de coco, cardamome, poivre noir et cayenne… Beaucoup plus doux qu’un café noir dès l’aube.

Signé Septime

© DR

TAPISSERIE. Dans la famille Septime, l’un des meilleurs restaurants au monde, on demande la sœur boulangère, créatrice de Tapisserie. Sis rive gauche, le lieu offre un espace rétro-cocooning où dévorer un petit-déjeuner all day long. Chou à la flouve, focaccia salée, œufs à la coque escortés de mouillettes de pain de mie, croissants fourrés au jambon de Paris et comté ou encore pain au lait bombé à l’œuf mayo et œufs de truite délectent les palais de 8 h 30 à 16 h… Qui a dit que le petitdéjeuner était une affaire matinale ? 062


À la mode de Hong Kong BINGSUTT. Amoureuse du café de spécialité et nostalgique des saveurs matinales de son île, Davina Chang ouvre ce petit bout de Hong Kong à Paris début 2023 pour révéler les pâtisseries sucrées comme salées qui ont bercé son enfance, tout en préparant du café d’auteur. La déco nous jet-lague tout de suite : elle est identique à celle des cafétérias typiques hongkongaises, reconnaissables à leur carrelage blanc au sol, banquettes à l’américaine et ventilateurs rétro au plafond. Dès 9 h, l’iconique milk tea, un mélange de thés noirs infusés dans un lait concentré non sucré, prépare le palais à cette expérience en terres méconnues. Les becs sucrés fonceront vers la egg tart, une sorte de tarteletteflan aux œufs à déguster tiède, ou le croustillant pineapple bun, brioche ornée d’un craquelin sucré dans lequel vient se nicher un bon morceau de beurre français. En version toastée, le bun jambongouda magnifie l’art du sucré-salé. Buns aux oignons verts, minitourtes fourrées au curry, Ovomaltine en cookies ou en chocolat chaud… Hong Kong n’a jamais semblé si près.

Hors du temps

Photos © DR

CAFÉ SINGULIER. Ce spot aux allures scandinaves se révèle être le nouvel eldorado des gourmets free-lance matinaux en quête de bonnes vibrations. Il y a d’abord cette cuisine ouverte sur salle, dans laquelle une tendre équipe féminine enfourne cookies, focaccias, granolas, mitonne œufs cocotte au beurre de harissa, feta et zaatar ou masterise l’art du café de spécialité… Le chaï latte maison est l’un des plus réconfortants de la Capitale. Notre conseil ? Allez vers le fond et découvrez cette table communale cachée, sous une véranda que le soleil traverse à longueur de journée… 063



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Arnaud Baumann, l’œil du Palace 065


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Alors jeune photographe de 25 ans, Arnaud Baumann a photographié les nuits du Palace, la mythique boîte de nuit, de 1978 à 1983 : ses clichés ressuscitent le Paris des années 80, festif, libre et assoiffé de plaisirs. Par Estelle Surbranche

Vous êtes l’un des rares photographes à avoir shooté à l’intérieur du Palace. Comment avez-vous fait ? Beaucoup de photographes sont venus au Palace invités par l’attachée de presse de l’époque, Sylvie Grumbach, à l’occasion des fêtes les plus prestigieuses, où venaient les stars. Mais c’étaient des photographes de soirées : ils restaient à l’entrée pour shooter l’arrivée des people. Ce qui comptait, c’était de ne pas rater l’arrivée de untel ou unetelle. C’est aussi pour cela qu’ils restaient dehors. Moi je n’avais aucune envie de faire ça. J’avais 25 ans, je venais avant tout pour faire la fête avec mes copains et copines, mon Leica planqué sous ma veste, un peu clandestin… Je faisais mes photos en douce. Sylvie Grumbach m’a remonté plusieurs fois les bretelles : en dehors des soirées mondaines, elle interdisait les photos. Et puis un jour, elle les a vues dans la presse… et finalement elle m’a demandé de les projeter au cours d’une fiesta.

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Ce sont des photos prises entre 1978 et 1983 ? Oui, ce sont les plus belles années, lorsque Fabrice Emaer dirigeait le Palace. D’un point de vue intellectuel, il était hors normes : il savait mélanger les genres et les milieux sociaux. Beur, noir, blanc, riche ou pas, si vous étiez looké, vous rentriez au Palace. En revanche, un fils à papa ringard se faisait recaler. Mort en 83, Fabrice Emaer ne vivait que pour le Palace. Il réinvestissait tout dans la boîte… Il payait des fêtes somptueuses à Karl Lagerfeld ou à Kenzo, mais c’était en quelque sorte son budget de pub : les photographes immortalisaient les people, ensuite les gens voyaient ça dans les magazines et voulaient absolument y aller. À Paris comme en province. Du coup, le Palace faisait salle comble, tous les soirs de la semaine, et le client lambda lui, il banquait… Avec la sortie de mon livre, pas mal de gens me disent aujourd’hui, même après toutes ces années : « Ah le Palace, c’était mon rêve d’y aller ! »…


LES LIVRES COLLECTOR FÊTE AU PALACE Format 30,5 x 20,5 167 pages 150 g Couverture rigide Numéroté, signé, limité à 50 ex. 95 € PALACE BAUMANN Format 27 x 36 60 pages rigides Couverture toilée Layflat (ouverture à plat) dans un coffret toilé Signé, limité à 30 ex. 420 €

Lorsque vous photographiez ces nuits au Palace, vous avez déjà la sensation que ce lieu et ces soirées vont devenir mythiques ? Si on savait tout cela à l’avance… Je sentais bien que quelque chose d’unique s’y passait. Et je voulais en être… Je compare ce sentiment à mon désir absolu de fréquenter et travailler avec les gens de Hara-Kiri et Charlie Hebdo : Reiser, Wolinski, Gébé, Willem, Cabu, Cavanna, Choron… Des génies, comme nulle part ailleurs, et je le savais déjà à l’époque. Pour autant, je ne pouvais deviner qu’un jour, le monde entier se dirait « Charlie ». Le Palace, c’était un nouveau genre de boîte de nuit et vos photos ont donné le ton à l’esthétique des premières images de la culture clubbing… J’ai toujours eu envie de trouver ma signature, visuellement. Je ne voulais pas ressembler aux autres. C’était un endroit où, même avec tous ces lasers, il y avait peu de lumière ambiante. Je me suis mis en danger sur le plan technique, en prenant un film peu sensible puis, avec des poses très lentes, parfois

plusieurs secondes, j’ai trouvé le moyen d’équilibrer la lumière des lasers avec un petit coup de flash que je donnais sur les visages. Ça donne effectivement un ton particulier à mes photos. Vos clichés respirent la joie et la liberté… C’est ce que les jeunes me disent à la vue de mes photos. Ce monde est tellement différent de celui qu’ils connaissent. Une folle liberté régnait au début des années 80 : les femmes se baladaient seins nus, les hommes en travestis. Ce livre, c’est aussi une manière de parler d’une époque de liberté, une liberté qui est de plus en plus mise à mal aujourd’hui.

collectiondesphotographes.com Instagram : arnaudmann Exposition : La Fête au Palace au Studio Idan, du 24 avril au 17 mai

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Enquête réalisée par Rémi Yang Photos Voir mentions

Environ 1 000 travailleuses du sexe chinoises exercent à Paris et dans sa région. Cette communauté discrète et marginalisée s’est regroupée au sein d’une association, les Roses d’acier. Ensemble, elles cherchent des moyens d’améliorer leur quotidien. 07 7


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l’invitation, réunies autour de tables tournantes typiquement chinoises où les plats commencent à arriver. Bar à la vapeur, travers de porc frits, pâtes de riz au lard… Les convives piochent dans les différentes assiettes et se servent en bière et vin. Au milieu du festin, un petit groupe mené par Meigui vient à la rencontre de chaque tablée et trinque avec elle. « Ganbei ! Ganbei ! Ganbei ! » Les verres se vident et se remplissent pour fêter l’anniversaire des Roses d’acier : huit ans qu’elles tentent d’améliorer le quotidien de leurs consœurs. À Belleville, principalement, mais aussi dans d’autres quartiers de Paris où la prostitution chinoise est bien installée, comme le 13 e arrondissement ou La Fourche, dans le 17e.

Belleville, le quartier d’arrivée

e voudrais remercier chaque membre pour le soutien et la confiance qu’elle porte dans les Roses d’acier, et particulièrement certaines de nos membres qui nous ont apporté leur aide cette année. Notre sœur Han, qui nous a fait don d’un tensiomètre. “KK”, pour son très généreux don d’argent. Et toutes celles qui ont aidé pour les ateliers de tricotage, sans oublier celles qui ont participé aux distributions des gâteaux de lune et des bouillottes ! » Debout sur une petite scène, micro à la main, Meigui récolte une salve d’applaudissements après avoir prononcé son discours annuel. Comme chaque année depuis 2015, l’association de travailleuses du sexe chinoises qu’elle préside a privatisé ce bar-restaurant-karaoké du basBelleville, dont les Roses d’acier préfèrent taire le nom. Quelque 80 personnes ont répondu à 078

Cent trente à cent cinquante prostituées chinoises différentes travailleraient chaque jour à Belleville, selon le Lotus Bus, un programme de Médecins du monde qui accompagne ce public. « C’est l’endroit à Paris qui concentre le plus de travailleuses du sexe chinoises, éclaire Nora Martin Janko, coordinatrice du Lotus Bus. Elles arrivent quasiment toutes par ici. Avant le Covid, une ou deux nouvelles arrivaient par semaine. » En réalité, il y en a certainement plus : ce chiffre ne compte « que » les femmes rencontrées par le Lotus Bus lors de ses tournées hebdomadaires. Certaines ne bougent jamais du quartier tandis que d’autres, poussées par la concurrence, partent parfois quelques jours travailler dans une ville de province – où il y a moins de monde – avant de revenir se reposer quelques jours à Belleville, puis de repartir. Figures de Belleville, elles ne sont pas forcément bien accueillies par les habitants. Lors des conseils de quartier, où les résidents font remonter aux équipes municipales leurs doléances, le « problème » que représentent les femmes prostituées revient régulièrement à l’ordre du jour. Certains demandent par exemple : « Que faites-vous concernant les problèmes liés à la prostitution dans le quartier ? », ou encore « Le quartier rencontre des problèmes récurrents de racolage. Quelle est votre position sur le sujet ? » Plusieurs travailleuses du sexe, qui se sont constituées en association, ont essayé d’ouvrir


130 à 150 prostituées chinoises différentes travailleraient chaque jour à Belleville un dialogue avec les riverains. Les Roses d’acier ont organisé des opérations de réunions publiques, des balayages dans les rues de Belleville, ont chanté pour la Fête de la musique… S’il est difficile de tirer un bilan de ces actions, Hélène Le Bail, une bénévole du Lotus Bus, considère qu’elles ont « forcément eu un impact sur les personnes avec qui elles ont échangé », bien qu’elle reconnaisse qu’elles ne représentent qu’un très faible pourcentage des habitants du quartier.

© Estelle Surbranche

© Estelle Surbranche

Une association communautaire Fortes de plus de 180 adhérentes, les Roses d’acier sont fières d’être une association communautaire. La structure a été fondée par des travailleuses du sexe chinoises, pour des travailleuses du sexe chinoises. Ce petit ovni du microcosme associatif – les associations communautaires ciblant un public marginalisé et non-francophone sont rares – se démène autant qu’il peut pour subvenir aux besoins des travailleuses du sexe chinoises. « Nous intervenons sur trois dimensions », expose Ting Chen, le coordinateur de l’association. Il a été embauché par les Roses d’acier en 2019, notamment pour gérer l’administratif. « Nous donnons une voix aux femmes dans le débat public en essayant d’informer sur leurs situations et la diversité de celles-ci. En rencontrant des journalistes ou des politiques, par exemple.Nous existons aussi au niveau local, où nous nous efforçons de nouer des liens avec les acteurs locaux pour mener des projets. Et surtout, il y a la dimension communautaire. Le travail du sexe est une pratique très concurrentielle, ce qui pousse les femmes à s’isoler pour travailler. Nous nous efforçons de rompre leur isolement. » 079


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Cours de français, fond d’urgence…

© Chloe Vollmer-Lo

Le journaliste Rémi Yang : bénévole à l’association Roses d’acier pendant deux ans, il a tiré un livre de son expérience.

LE LIVRE Rémi Yang, l’auteur de cet article, est un journaliste indépendant, spécialiste de la prostitution chinoise. Il livre le fruit de plus de deux ans d’enquête auprès de la petite communauté des travailleuses du sexe de Belleville dans un livre passionnant, Roses d’acier. En devenant volontaire pour cette association singulière, il a pu suivre au plus près cette communauté très fermée, et rapporte un témoignage édifiant, bien loin des clichés, autour de ces femmes et de leur vie quotidienne. Ce livre parle de la violence des clients ou des institutions, mais aussi d’amitié entre prostituées, et de solidarité entre personnes ostracisées. Et il tend un miroir peu flatteur à nos politiques qui ont rendu le quotidien de ces femmes encore plus compliqué à cause de lois inadaptées au terrain, voire contre-productives. À quand un vrai débat sur la prostitution où l’on entendrait enfin la voix des principaux et principales intéressés ? ES Roses d’acier de Rémi Yang, éd. Marchialy, 20 €

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En leur organisant des cours de français, préparés spécialement pour répondre à leurs problématiques (du français « courant », mais qui leur permet aussi de remplir et comprendre des documents administratifs, ou de communiquer avec leurs clients sur les pratiques et les tarifs). En les équipant d’alarmes personnelles, pour prévenir des agressions. En finançant un fonds d’aide d’urgence, pécule destiné à celles qui souffrent de maladies les empêchant de travailler. Dernièrement, les Roses d’acier se sont ainsi lancées dans le tricot. Une fois par semaine, elles se réunissent dans le local et, sous la supervision d’une adhérente vétéran du crochet, réalisent des fleurs ou des drapeaux qu’elles accrochent sur des sacs en toile. Ils sont ensuite vendus lors de différents événements pour financer le fonds U-Care, un soutien financier destiné aux femmes de la communauté ayant contracté une maladie les incapacitant pendant un long moment, comme le cancer du col de l’utérus. « C’est très artisanal », note Ting, en souriant. Il cite l’exemple de la trésorière, une sexagénaire qui tient les comptes de l’association sur un petit carnet et accumule les factures papier alors que l’exercice est « normalement » réalisé sur un logiciel comme Excel. « On essaie, on expérimente, on n’est pas dans une logique d’association comme les ONG qui savent gérer des projets d’une manière professionnelle, continuet-il. Chez nous, la réflexion vient directement des femmes qui expriment leurs besoins, des urgences auxquelles il est parfois très difficile de répondre. On essaie de mobiliser la communauté pour voir ce qu’on peut faire ensemble jusqu’à ce que ça prenne la forme d’un projet. » Ainsi, Ting estime que les activités des Roses d’acier – qui ne touchent pas un sou de subvention publique – sont un substitut de ce que l’État devrait réaliser. « Nos actions ne pourraient pas se mettre en place sans le soutien de nos partenaires comme Médecins du monde ou Act-Up, par exemple. »

Un choix dicté par la nécessité En Île-de-France, on estime à plus de 1 000 le nombre de prostituées chinoises – dont au moins 150 rien qu’à Belleville. « La plupart d’entre elles ont entre 40 et 55 ans et ont des enfants, le plus souvent en Chine. Leur famille n’est pas au courant de leur activité en France », éclaire Ting. En Chine, la France est considérée


“J’ai choisi le travail du sexe parce qu’il n’est pas illégal en France. Ce n’est peut-être pas un travail honorable, mais au moins je me sens libre.” Meigui comme le pays de tous les possibles. Les « passeurs » – qui ne sont que des « agences de voyages » un peu louches – profitent de cette image et promettent aux femmes qui cherchent à quitter la Chine qu’une fois arrivées à Paris, elles trouveront du travail facilement. Car la migration observée chez les Chinoises en France est principalement économique. Elles veulent mettre de l’argent de côté pour rembourser des dettes, par exemple, mais le plus souvent, elles migrent pour subvenir aux besoins de leurs enfants.

Meigui rejoint ce profil sur de nombreux points. Cette grande quinquagénaire qui se tient droite comme un piquet, le visage sévère, reconnaissable aux petites lunettes rouges (sans verres) qu’elle porte parfois sur le nez, est arrivée en France en 2015. « En Chine, après avoir fait plusieurs boulots dans des secteurs différents, je me suis retrouvée femme au foyer. Financièrement, la vie était difficile pour ma famille. La France représentait un pays de rêve pour moi : on disait qu’il était facile de s’y faire de l’argent. Je pensais que j’y serais très libre et que je pourrais envoyer de l’argent à ma famille en travaillant dans un restaurant. Mais sans papiers et sans parler français, c’était impossible d’accéder à ces activités-là. Quand je suis arrivée à Belleville, beaucoup de femmes de mon entourage étaient dans la même situation et s’étaient tournées vers le travail du sexe. Alors j’ai fait pareil. » Pendant plusieurs années, Meigui a travaillé dans la rue, en racolant les clients sur le boulevard de la Villette. Aujourd’hui, elle a déménagé loin de ce quartier, qu’elle ne considère plus sûr pour travailler. Au fil des années, elle s’est constitué un carnet de clients réguliers qui lui

© Alex Linch

L’histoire de Meigui, présidente des Roses d’acier

permettent de gagner sa vie sans avoir à faire le pied de grue. « J’ai choisi le travail du sexe parce qu’il n’est pas illégal en France. Ce n’est peut-être pas un travail honorable, mais au moins je me sens libre. »

La disparition des « bons clients » Il est vrai qu’en France, la prostitution n’est pas punie par la loi. Jusqu’en avril 2016, il existait un délit de racolage passif, créé en 2003 dans le cadre de la « loi Sarkozy » – ce dernier étant à l’époque ministre de l’Intérieur – et caractérisé par « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive », de procéder publiquement au racolage d’autrui. Treize ans après, ce délit est abrogé au profit de la pénalisation du client. Cette fois081


ENQU ÊTE

De plus en plus de cas d’agression de travailleuses du sexe par des clients, ou des personnes se faisant passer pour des clients, sont recensés ci, le client peut-être verbalisé s’il recourt aux services d’une travailleuse du sexe. Si le délit de racolage passif avait déjà entraîné une forte mobilisation des associations de défense des droits des travailleuses du sexe, elle fut d’autant plus grande lors des débats autour de la loi d’avril 2016. Associations et travailleuses du sexe craignaient notamment une inversion du rapport de force entre clients et TDS : au temps du délit de racolage, les travailleuses du sexe détenaient une sorte de « pouvoir » sur leurs clients. Elles prenaient les risques, et pouvaient utiliser cet argument pour imposer leurs règles : port du préservatif, refus de certaines pratiques, fixation d’un tarif minimum…

Des lois iniques Les Roses d’acier ont longuement milité contre cette loi de 2016. Elles ont participé aux manifestations aux côtés des autres collectifs de 0 82

TDS, multiplié les interviews pour défendre leur cause et ont même été auditionnées par le Sénat et l’Assemblée nationale. Lorsque le texte a été adopté, elles l’ont vécu comme une amère défaite. Les effets n’ont pas tardé à se faire sentir. « Depuis la pénalisation du client, il y a beaucoup moins de demande, constate Meigui. Les “bons clients” – c’est-à-dire ceux qui ne négocient pas les prix ou les pratiques, et surtout qui n’agressent pas – n’osent plus venir nous voir. » Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur les conséquences de cette loi consigne les témoignages de plusieurs TDS, qui notent : « On voit de plus en plus de négociations venant du client sur le port du préservatif, car ils estiment qu’avec la pénalisation du client, c’est maintenant eux qui prennent les risques, et qu’ils sont en position de décider. » « L’ensemble des témoins sont d’accord pour dire que la loi de pénalisation des clients a changé le profil des clients. Il y a moins de bourgeois et plus de marginaux, ce qui expose les prostituées à plus de violences. C’est une réforme qui les a fragilisées », confirme Maître Julien Gasbaoui, avocat ayant défendu plusieurs femmes de la communauté.

Des violences pouvant aller jusqu’au meurtre Depuis, de plus en plus de cas d’agression de travailleuses du sexe par des clients, ou des personnes se faisant passer pour des clients, sont ainsi recensés. En 2019, trois femmes de la communauté chinoise sont ainsi assassinées. « C’était une situation inédite pour nous, ça a été une année très dure. Le dernier meurtre remontait à 2015 et c’était quelque chose d’assez isolé », rembobine Nora, coordinatrice du Lotus Bus. « On a aussi eu à gérer trois tentatives de meurtre cette année-là. » En plus, le contexte législatif autour du proxénétisme finit d’isoler les travailleuses du sexe. Tel que défini par le Code pénal, il s’agit du « fait (…) d’aider, d’assister ou de protéger la prostitution d’autrui ». Si on s’en tient strictement à ce texte, les activités d’associations comme les Roses d’acier ou d’ONG comme Médecins du monde relèveraient du proxénétisme et seraient donc passibles de sept ans d’emprisonnement assortis d’une amende de 150 000 euros.


© Ronny 80

Les cibles de préjugés

© Matthew Wardell

Pour lutter contre ces violences, les Roses d’acier ont organisé, fin 2019, une cagnotte pour financer l’achat d’une centaine de « dispositifs anti-agression », de petites alarmes portables. Dans un petit local à Belleville, Ting, Meigui et Ajun, la trésorière, ont reçu chaque semaine un petit groupe d’adhérentes des Roses d’acier pour leur distribuer l’appareil et leur apprendre à l’utiliser. Ting n’est même pas 100 % convaincu de l’utilité du gadget. « Même si elles l’activent, ça sera probablement trop tard pour intervenir. Par contre, ça permet de garder une trace de l’agression. Plus important, c’est aussi un moyen d’amener les femmes à ne pas rester silencieuses et à ne pas s’enfermer sur elles-mêmes. C’est la première pierre qui permet de poser les bases d’un dialogue pour évaluer leurs besoins. » 083


ENQU ÊTE

« Pour les agresseurs, les prostituées chinoises sont des “cibles faciles” en partie à cause du stigmate autour de l’activité de travailleuse du sexe qui laisse sous-entendre que ce public n’a pas connaissance de ses droits et n’osera pas pousser la porte d’un commissariat pour porter plainte », poursuit Nora Martin Janko du Lotus Bus. « Il y a cette idée très répandue que les prostituées sont des “sous-femmes”, et que par conséquent, ce n’est pas “grave” de les attaquer ou de ne pas respecter leur consentement. » La coordinatrice du programme de Médecins du monde intervient régulièrement pendant les audiences liées aux violences subies par les travailleuses du sexe chinoises pour apporter

un contexte et démonter certains stéréotypes. Comme le mythe autour des réseaux ou des proxénètes qui surveilleraient et exploiteraient les femmes chinoises. Lors d’un conseil de quartier en 2011, Jacques Rigon, le patron de la brigade territoriale de contact de Belleville, cherchait lui-même à dissiper les fantasmes autour des « réseaux » de proxénètes chinois. « Il ne s’agit pas d’un réseau structuré ou d’une mafia, à la différence par exemple des réseaux roumains de prostitution (hébergement à l’hôtel, recrutement des prostituées, taxe à la journée, etc.). Le schéma ici est celui de femmes qui font un choix personnel sous la contrainte économique. Quelques personnes en tirent profit, mais sans la logique de réseau. »

Cette prostitution chinoise, très spécifique par sa structure à Paris, est le sujet des Fleurs amères, réalisé par le Belge Olivier Meys en 2017. Il filme avec subtilité le parcours de Lina (Xi Qi, magnifique), une jeune Chinoise du nord-est de la Chine qui vient à Paris pour avoir une vie meilleure, pensant devenir nounou… et qui va finalement sombrer dans la « prostitution consentie », c’est-à-dire sans maquereaux ou réseaux, pour fournir un confort matériel à sa famille restée au pays (sans leur avouer la vérité). Le film est disponible en VOD sur la plateforme d’Arte. MH

La comédienne Xi Qi dans le rôle de Lina, une prostituée chinoise à Paris

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Photos © Urban Distribution

À L’ÉCRAN


Green ×

“Toute la société a besoin de réapprendre à vivre ensemble. Chacun vit dans sa petite bulle de réseaux. On ne se parle plus. La conversation, c’est le contraire des écrans car c’est l’écoute de l’autre, et prendre un risque, celui de l’entendre. La conversation, ce n’est pas le consensus, c’est accepter la différence. C’est l’altérité. L’idée, c’est de débattre sans se battre.” Xavier Cazard de la Maison de la conversation p. 90

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Photos © Marine Brusson

Mathilde (à gauche) et Audrey, devant leur boutique-café

sont heureux, ce qui participe à la survie de la filière ! Et on ne va pas se mentir, avec deux boutiques, c’est moins facile à faire qu’avec dix !

Un café nommé Désirée Fleurs MAGASIN. Mathilde et Audrey se rencontrent au travail, avant de devenir amies et de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale avec Désirée Fleurs. Un café-fleuriste qui propose uniquement des fleurs de saison. Aujourd’hui à la tête de deux établissements, les jeunes femmes comptent bien poursuivre leur mission ! Vous avez ouvert votre premier établissement en 2017. Comment est né le projet Désirée Fleurs ? Mathilde : Audrey et moi on s’est rencontrées il y a treize ans sur notre lieu de travail ; on était acheteuses pour la grande distribution. On a remarqué que certaines filières étaient méconnues du consommateur, et souvent défavorables au producteur. On s’est intéressées à la fleur et on a découvert un lobbying très puissant. Mais il faut savoir que Désirée, ce n’est pas un simple projet de reconversion ! Pour ma part j’ai quelque chose de très sentimental avec la fleur, qui vient de ma famille. D’ailleurs le premier mot que j’ai prononcé, ce n’était pas papa ou maman, mais fleur !

Audrey : Au départ on plaisantait, puis on s’est demandé à quoi ressemblerait notre fleuriste idéal. Et dès le début, on a imaginé cette verrière qui sépare le café du coin fleuriste. Les gens nous disaient qu’on était folles, qu’on n’arriverait jamais à travailler toute l’année avec des fleurs de saison. Et puis… On l’a fait ! Aujourd’hui vous avez un caféfleuriste à la Folie-Méricourt, et un autre à Laumière. Quels sont vos projets avec Désirée Fleurs ? M. : On souhaite trouver d’autres boutiques ! On a très envie d’avoir un réel impact ; on milite énormément pour que les producteurs soient payés à un juste prix. Plus on est nombreux à avoir cette vision, plus les producteurs 086

Que feriez-vous si vous n’aviez aucune contrainte financière ? M. : Je crois qu’on ferait exactement la même chose ! Désirée c’est une mission liée à la filière horticole, mais c’est aussi une mission sociale ! L’humain a drivé notre parcours et on a découvert à quel point le métier de fleuriste pouvait avoir un impact positif sur le moral des gens. A. : Je crois qu’on a vraiment envie de faire bouger les lignes, mais si on n’avait aucune contrainte, on ferait sans doute plus de création et de visites avec la production : c’est ce qui nous passionne. Avez-vous des endroits préférés à Paris pour vous ressourcer ? M. : J’ai vraiment un truc avec le parc des Buttes-Chaumont. J’habite juste à côté et je serais très malheureuse de vivre à Paris si je n’y avais pas accès aussi facilement. A. : De mon côté, je suis tout le temps dans l’atelier de mon copain qui est artiste, c’est un vrai sas de décompression. CR desireefleurs.fr


© Dingo Photos

Rouler à 1, 2… ou 3 MOBILITÉ. Imaginée par Amélie Guicheney quand elle a eu son bébé il y a deux ans dans le but d’améliorer la vie quotidienne, Gaya est la nouvelle marque de vélos électriques qui coche toutes les bonnes cases. On les aime d’abord pour leur praticité : ils se déclinent en plusieurs longueurs pour satisfaire aussi les familles (le grand peut accueillir deux passagers enfants). On les adore aussi pour leurs looks, formes galbées et couleurs peps, leur connectivité (qui permet de les verrouiller en cas de vol) et leur écoconception. Pensés pour durer longtemps, les Gaya sont équipés en effet de la première batterie amovible et réparable (fabriquée à Bordeaux). Et pour les Parisiens, il est aussi possible de se former à l’entretien et à la réparation de vélos à l’atelier Gaya situé quai de Valmy. MH

La bonne initiative

© DR

POLLUTION. Avec 22,6 millions de touristes accueillis chaque année à Paris, le sujet des bouteilles en plastique distribuées dans les hôtels est loin d’être anodin. C’est pourquoi la décision du Novotel Paris Centre Tour Eiffel de renoncer aux 400000 bouteilles en plastique par an distribuées à ses clients, pour mettre à la place des fontaines à boire, est remarquable… Et si les autres s’en inspiraient ? MH 0 87


L’appel de la forêt FESTIVAL. Connaissez-vous tous les bienfaits de la forêt ? C’est justement pour découvrir leurs secrets que les Nuits des forêts ont été créées. Du 9 au 18 juin, des événements seront organisés dans les forêts franciliennes afin de vous faire découvrir les bois à côté de chez vous, leurs acteurs (comme les forestiers), leur importance vitale pour notre environnement ou leurs bienfaits pour la biodiversité… et apprendre tous les bons gestes pour préserver cet indispensable capital vert ! Tous les événements organisés dans ce cadre seront gratuits et ouverts à tous et se dérouleront dans des forêts publiques ou privées. MH

Photos © Eric d’Hérouville/Jardins, jardin

nuitsdesforêts.com

Au jardin des Tuileries

Les jardins urbains selon Jardins, Jardin

FESTIVAL. Jardins, Jardin, le festival pour les amoureux de déco, d’aménagement, d’outils ou de mobilier de jardin, se déroulera du 31 mai au 4 juin. Le thème de cette année est celui des « Jardins ressources, responsables et généreux » avec un focus sur la nature en ville. MH 088


© Ambroise Tezenas

© Renaud Konopnicki

© Renaud Konopnicki

Julien Gorrias dans son atelier à Paris, 12e

Le design à impact positif MEUBLE. Les problématiques environnementales influent plus que jamais dans la réflexion des jeunes designers, et en boomerang sur notre mobilier de demain. Ancien meneur d’une troupe de théâtre et artisan sur bois et cuir, Julien Gorrias s’est très vite passionné pour la conception d’objets et d’espaces qui aident à réduire et réguler l’impact environnemental des entreprises et des personnes. Logiquement, le sujet de la transition écologique est aujourd’hui au cœur de l’approche de Carbone14.studio, son agence de design d’objets, de mobilier et d’espaces spécialisés, créée fin 2020. Le meilleur exemple de son travail est La Chaise qui cache la forêt, une création présentée lors de la Paris Design Week en septembre 2022. Conçue à partir de bois de frênes, les planches du bois de la chaise se dégradent, se séparent au fil du temps (et des pluies) puis laissent germer les graines, qui donneront vie à des arbres. Un cercle vertueux qui permet aux matériaux de retourner à la terre sans altérer l’environnement. Vous pouvez le rencontrer aux Ateliers de Paris, rue du Faubourg-Saint-Antoine (Paris 12e). MH 089


L’art du débat

Photos DR / La Maison de la conversation

© DR

Sise porte de Montmartre, la Maison de la conversation a pour ambition de réapprendre aux Parisiens à se reparler pour mieux se comprendre. Rencontre.

Texte Estelle Surbranche

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La culture du clash On le sait : les algorithmes des réseaux sociaux favorisent la culture du clash. Plus un post va être polarisant, plus il sera vu car il va générer des commentaires. Alors forcément si on se fie uniquement à son écran, on a vite l’impression que la guerre civile nous guette… Comme un antidote à ce poison, un collectif a décidé de créer un tiers-lieu pour réhabiliter un art tout simple, presque désuet, un art qu’on pensait inné, mais qui ne l’est pas : celui de la conversation. Pensé par Xavier Cazard, la Maison de la conversation a vu le jour en septembre 2021 dans une zone périphérique de Paris, à Porte de Montmartre. « Nous sommes installés sur un territoire très fermé, entre le périf, Saint-Denis et SaintOuen. Le maire du 18e me le résumait ainsi : ici, il y a quatre niveaux de pauvreté et souvent, un seul point commun, l’envie de repartir. Les gens se parlent entre eux mais n’osent pas sortir du quartier. C’était donc le bon endroit pour monter notre première Maison de la conversation », sourit-il. « Toute la société a besoin de réapprendre à vivre ensemble. Chacun vit dans sa petite bulle de réseaux. On ne se parle plus. La conversation, c’est le contraire des écrans car c’est l’écoute de l’autre, et prendre un risque, celui de l’entendre. La conversation, ce n’est pas le consensus, c’est accepter la différence. C’est l’altérité. L’idée, c’est de débattre sans se battre », explicite-t-il.

Des ateliers pour parler Finalement, Xavier Cazard et son équipe brisent un tabou : non, il n’est pas naturel pour tous d’aller vers l’autre, de lui parler. En 2023, il est beaucoup plus facile de passer son temps derrière un téléphone que de sourire à son voisin de métro. La bonne nouvelle, c’est que parler avec les autres, cela peut

Une table ronde à la Maison de la conversation

s’apprendre via les ateliers proposés ici. Il suffit de s’inscrire pour participer : tout est gratuit. « Nous organisons par exemple des tables rondes, des projections, des ateliers artistiques avec du théâtre d’impro ou d’écriture… Nous proposons également beaucoup d’ateliers pour apprendre des pratiques de conversation comme du design thinking pour booster sa créativité, ou tout simplement des sessions pour apprendre à “débattre sans se battre”. La première règle donnée 091

“En 2023, il est beaucoup plus facile de passer son temps derrière un téléphone que de sourire à son voisin de métro.”


par les modérateurs pour que tout se passe bien, c’est tout simplement ne pas couper la parole à l’autre », précise Lola Kerc, la responsable de la programmation.

La cocréation à la base de tout

Xavier Cazard, le fondateur de la Maison de la conversation

Dans ce quartier, un tiers des habitants a moins de 25 ans et un quart d’entre eux n’est ni en emploi ni en études – soit 9 % de plus que dans le reste de Paris. Pour contrer cet échec scolaire, la Maison de la conversation s’est donné pour mission d’imaginer des ateliers pour « emcapaciter » les jeunes, leur faire comprendre qu’ils sont capables

de beaucoup de choses. Mais pour ne pas être hors-sol, mixer les populations et s’assurer surtout d’être utile aux gens du quartier, tout est cocréé en partenariat avec les habitants, des associations ou des jeunes du quartier. « Pour nous, ce qui est important c’est de faire de l’innovation sociale afin de créer du lien, être ouvert sur le quartier et sur la ville. Et pour notre équilibre financier, nous proposons également à des entreprises des formations, du conseil, mais aussi des séminaires ou du team building. La conversation est en effet un ingrédient essentiel des soft-skills », ajoute le fondateur.

L’un des programmes phares des lieux est la bibliothèque vivante des métiers (la prochaine aura lieu le 14 mai). « Avec ce concept, on emprunte non pas un livre, mais une personne en chair et en os qui va vous parler pendant vingt minutes de son métier, puis vous pourrez lui poser des questions pendant dix minutes… Nous avons déjà eu par exemple le producteur du groupe de rap PNL qui est venu se faire “emprunter” », s’enthousiasme Lola. Outre cette idée originale pour faire découvrir des métiers, la Maison de la conversation offre

Découvrir des artistes, un bon moyen de nouer la conversation

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© DR

J’emprunte une personne


© SylvieDupic - Image et Lien

Débattre, apprendre ou danser : tout est possible à la Maison de la conversation.

“Avec la bibliothèque vivante des métiers, on emprunte non pas un livre, mais une personne en chair et os qui va vous parler de son métier pendant vingt minutes” une programmation foisonnante au printemps : un festival dédié à la valorisation des patrimoines culturels des différentes diasporas africaines, baptisé Artschives, ainsi que des ateliers sur la culture urbaine (slam, rap, beatbox), avec Leah Douglas et le collectif Mystik Poétik ou le Fréquence Festival (des rencontres entre artistes, peintres, musiciens…) venant de tous les pays limitrophes francophones. Enfin, le premier Café de la conversation verra le jour en avril au rez-de-chaussée du bâtiment en partenariat avec Mam’Ayoka, le traiteur qui promeut la cuisine solidaire. La

convivialité est évidemment un élément important pour le lieu. « Notre projet est aussi de sortir et d’être hors les murs. Nous préparons par exemple pour cet été un banquet citoyen dans la rue », conclut ainsi Xavier. Déguster un plat tout en échangeant des idées : ne serait-ce pas l’acmé de l’art de vivre à la française in fine ?

La Maison de la conversation 10-12 rue Maurice Grimaud Paris 18e L’agenda des mois à venir est accessible en ligne sur le site internet maisondelaconversation.org

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C A RNET D ’ A D R E S S E S

Culture

Studio Idan 43, rue Beaubourg 75003 Paris du lundi au samedi de 11 h à 19 h Musée du Luxembourg 19 rue Vaugirard 75006 Paris Musée JacquemartAndré 158, boulevard Haussmann 75008 Paris musee-jacquemartandre.com

Food

Ambos 38, rue de Vaugirard 75006 Paris Du lundi au vendredi, midi et soir Grain[s] 6, rue Mabillon 75006 Paris grains.becsparisiens.fr Fine l’Épicerie de Belleville 30 rue de Belleville 75020 Paris

Green

Gaya 93 quai de Valmy 75010 Paris

Désirée Fleurs 96 rue de Meaux 75019 Paris 5 rue de la Folie-Méricourt 75011 Paris

Enfants

Forum des images Westfield Forum des Halles 2, rue du Cinéma porte Saint-Eustache 75001 Paris Le Théâtre Libre 4 bd de Strasbourg 75010 Paris Le Renard doré, 41 rue Jussieu, 75005 Paris

Bien-être

Musée des Arts décoratifs Musée Nissim de Camondo École Camondo Ateliers du Carrousel 107 rue de Rivoli 75001 Paris Centre Racine 2 16 rue Anatole France, 92300 Levallois-Perret centre-racine2.com

Mode

Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris 10, avenue Pierre Ier de Serbie 75016 Paris palaisgalliera.paris.fr Pop-up Quiksilver 44 rue du Temple 75004 PARIS Chapeaux Atelier 5 30 rue Robert Giraudineau, 94300 Vincennes

Déco

Maison Munja (ouvert sur rendezvous) 16 rue Le Sueur 75016 Paris contact@ maisonmunja.com maisonmunja.com Dame des Arts 4 rue Danton 75006 Paris Bienaimé 1935 30, rue Saint-Roch 75001 Paris Du lundi au samedi, de 11 h à 19 heures bienaime1935.com

Shades’s Apothecary 20 rue du Pont Louis-Philippe 75004 Paris

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Enfants ×

“Nous avons choisi de montrer des objets touchables, comme des moulages, pour pouvoir être accessible à tous, aux enfants, mais aussi aux personnes malvoyantes” Sophie Grisolia, cheffe de projet de l’exposition Félins à la Grande Galerie de l’évolution p. 100

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Japonaise, Parisienne d’adoption et maman de deux enfants, Shiho Copolata propose avec sa marque Comète Paris des pyjamas pour bébés aussi pratiques que mignons. Explications. Quel est le concept des pyjamas Comète Paris ? Comète Paris, ce sont des pyjamas malins pour les 0-5 ans, dotés d’une fermeture éclair à double sens – pour les plus petits – et de chaussettes dépliables brevetées – pour tous. Ils sont à 100 % en coton biologique certifié GOTS, et fabriqués dans un petit atelier au Portugal. Et ils sont tellement jolis qu’on peut aisément sortir bébé avec ! En plus d’être confortable, le pyjama est parfaitement portable à l’extérieur si les motifs et couleurs sont bien accordés. En tant que maman, ça permet

Photos © DR

Pyjama party !

Shiho Copolata et l’un de ses fils en pyjama Comète Paris

en plus de faciliter les préparatifs de sortie des tout-petits sans avoir à les déranger pour les déshabiller/habiller à chaque fois. Le système de Zip à double sens est tellement pratique : c’est aussi une solution facile pour changer l’enfant sans encombre, dans n’importe quelle situation. Sans compter les chaussettes rabattables au niveau des chevilles si le petit fait la sieste, qui permettent de le protéger du froid. Au Japon, nous apportons un soin particulier à l’environnement du tout-petit ; nous essayons notamment de réduire au maximum l’inconfort de l’enfant. Vous vivez vers le faubourg Saint-Antoine. Avez-vous des adresses favorites pour les enfants à nous livrer dans le coin ? La rue du Faubourg-Saint-Antoine et ses alentours sont remplis de bonnes adresses pour des promenades, gustatives notamment, en famille. Nous 096

aimons beaucoup nous promener vers le jardin de la Folie-Titon et prendre un dessert, ou tout simplement un croissant, à la pâtisserie de Cyril Lignac. On apprécie aussi le petit restaurant coréen Kim & Kim de la rue Chevreul, qui sert une cuisine bon marché et copieuse, ou le restaurant chinois Chez He près du jardin de la Folie-Titon lors des jours de pluie, avec sa grande salle de jeu en soussol pour que les enfants puissent se défouler. En redescendant la rue, on fait escale au square Raoul Nordling et juste un peu plus bas au square Trousseau – c’est aussi l’occasion de déjeuner italien chez East Mamma ou japonais chez Jin-chan Shokudô qui sont à côté ! On finit sur la place de la Bastille et de là, on reprend la Coulée verte si l’on souhaite aller au bois de Vincennes, ou on continue vers les quais de seine ! ES cometeparis.com


Graines d’artistes

L’atelier découverte Penninghen

© DR/ Pennighen

© DR/ Pennighen

© Agence photographique du musée Rodin, Pauline Hisbacq

Futur sculpteur ou directrice artistique en apprentissage !

TOUCHER. Les petits Parisiens ont de quoi cultiver leur talent artistique au sein des plus prestigieuses institutions, dès ce printemps. L’atelier Rodin, espace conçu pour les enfants au sein du musée Rodin, revient ainsi pour une seconde édition : ils pourront y découvrir la pratique de la sculpture et l’œuvre de Rodin grâce à du modelage, du dessin, des expérimentations, des livres, des podcasts, etc. (du 15 avril au 27 août, gratuit et sans réservation). Et pour les plus grands, la prestigieuse école Penninghen propose désormais deux ateliers : l’atelier pépinière, soit un cours de dessin à destination des 14-18 ans (tous les mercredis, de 17 h à 20 h) et pour les lycéens et les étudiants, un atelier découverte de 5 jours en immersion. MH

L’atelier Rodin

La pépinière Penninghen

CINÉMA. Tous les mercredis et dimanches jusqu’au 29 mars, le Forum des images propose à nos rejetons de passer « de l’autre côté du miroir » à travers la programmation Cinékids, soit une projection d’un dessin animé mythique, suivie d’un goûter et d’une animation. Après James et la pêche géante, les enfants seront par exemple initiés à la fabrication de thaumatropes (29 mars). MH James et la pêche géante

À partir de 4,50 € 0 97

© Collection Christophel

Plein les yeux


Du côté de Strasbourg Saint-Denis CLOWNS. Inspirés par les stars du cinéma muet, Chaplin en tête, Camilla Pessi et Simone Fassari, clowns, acrobates et musiciens de la Compagnia Baccalà, nous emmènent avec Pss Pss dans une performance hors du temps et infiniment poétique. MH © Geri Born

À partir de 6 ans, au Théâtre Libre Durée 1 h 05

Critique en herbe PHOTO. Il n’est jamais trop tôt pour éduquer l’œil à l’art ! Oui, on peut emmener les enfants, même très jeunes, découvrir de la photographie contemporaine et les initier ainsi à la diversité des points de vue… surtout si les équipes de l’expo nous facilitent le travail en pensant en amont des activités ludiques dédiées à nos rejetons ! Little Circulation(s), la version « kids » du festival Circulations, propose ainsi cette année une scénographie qui favorise l’interaction des jeunes visiteurs avec les séries des artistes exposés. Il y aura notamment des jeux à faire sur place qui permettent d’aiguiser le regard des petits, ainsi qu’un livret-jeu distribué gratuitement, à remplir sur le moment ou à rapporter à la maison. L’occasion de parler des images vues, de leur signification, et de partager un moment artistique en famille ! MH

© Matjáz Tančič

Circulation(s), Festival de la jeune photographie européenne, organisé par le collectif Fetart au Centquatre Paris du 25 mars au 21 mai 2023 098


© Sanoe © Laurent Koffel

La quête de Cornélius Renard

© DR

Mickaël Brun-Arnaud

Sanoe

LIVRE. Si vos enfants – et vous ! – aimez la culture manga, vous connaissez déjà l’auteur de Mémoires de la forêt – Les Carnets de Cornélius Renard puisqu’il s’agit de Mickaël Brun-Arnaud, fondateur de la librairie du Renard doré dans le 5e, spécialisée dans le manga et la culture japonaise en général. Le libraire, expsychologue, est de nouveau retourné sur les sentiers de la forêt de Bellécorce, qui avait déjà connu la gloire l’année dernière au moment de la sortie de Mémoires de la forêt - Les Souvenirs de Ferdinand Taupe. Pour cette seconde aventure, Archibald Renard part à la recherche de l’histoire de son grand-père Cornélius, afin de découvrir son héritage – au sens large du terme. Pour illustrer ce beau roman d’aventures qui parle de filiation et d’amitié, Sanoe est de nouveau au crayon : elle nous émerveille avec ses couleurs magnifiques et la tendresse de son trait qui rendent cet ouvrage particulièrement apaisant. ES 099

Mémoires de la forêt : Les Carnets de Cornélius Renard de Mickaël Brun-Arnaud et Sanoe, 320 pages (Neuf/L’École des loisirs), 14,50 € (à partir de 9 ans)


Grrr ! Miaou ! Raoh ! Les Félins à Paris

© Emmanuel Baril

Ce printemps s’annonce féroce à Paris avec l’exposition Félins, ces animaux qui fascinent petits et grands, à la Grande Galerie de l’évolution.

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Texte Estelle Surbranche

Photos Voir mentions


Un panorama spectaculaire Peut-être parce qu’ils nous ont chassés pendant des milliers d’années avant de devenir nos proies, les félins fascinent les humains, petits ou grands ! Grâce à cette expo, la curiosité de toute la famille sera assouvie : elle émerveille tout autant qu’elle instruit grâce à quatre espaces bien pensés et des animations accessibles de 3 ans à… 103 ans ! « Dans la première partie, nous dressons un panorama des 38 espèces de félins connues aujourd’hui sur la planète, accompagné de moulages des squelettes de leurs ancêtres, comme le fameux tigre à dents de sabre », explique Sophie Grisolia, la cheffe de projet en charge de l’exposition. « Nous avons choisi de montrer des objets touchables, comme des moulages, pour pouvoir être accessible à tous, aux enfants, mais aussi aux personnes malvoyantes. »

© F-G Grandin / MNHN

Pour les kids ici : Ils adoreront le jeu du « Qui est-ce félin ? », un jeu de cartes qui se joue à deux, où ils devront deviner de quel félin l’autre parle en se posant mutuellement des questions.

Des chasseurs hors pair Dans la seconde salle, place à la biologie et aux comportements de ces grands sportifs carnivores avec des installations de félins couchés à l’affût, par exemple une panthère qui attaque trois impalas, associées à des projections pour montrer leur comportement. Des animations permettent aussi de comprendre leurs armes. Dans le « mur des sens », adultes et bambins sont invités par exemple à se mettre dans la silhouette – ou plutôt la tête – d’un chat et de comparer, via un écran vidéo, la vision diurne et nocturne entre l’homme et le chat (spoiler : oui, il voit beaucoup mieux que nous !).

Pour les kids ici : Pour tous les ados qui suivent leur première classe de biologie, une grande table multimédia tactile propose d’enlever la peau d’une lionne pour découvrir son anatomie, son squelette, etc.

Des félins et des hommes Autant fascinés que craints, les félins ont inspiré des mythes et des contes sur les quatre continents, depuis la nuit des temps. « Le sphinx égyptien, c’est la tête du pharaon avec le corps du lion. C’est une manière de lier le pharaon et Dieu. En Afrique, 101

“Un atelier pensé pour tous les ados qui suivent leur première classe de biologie”


© F-G Grandin / MNHN

© F-G Grandin / MNHN

“Le chat est le seul félin que l’homme ait apprivoisé : il méritait une pièce d’expo à lui”

© Agnès Iatzoura / MNHN

beaucoup de rites de pouvoir sont liés au léopard. Le jaguar et le puma sont essentiels dans les traditions chamaniques en Amérique… » rappelle notre guide. « En Asie, le tigre est vu comme un protecteur, et le caractère “roi” dit “wang” en chinois est similaire aux trois bandes d’un tigre. Alors beaucoup de mamans le dessinent sur leur nouveau-né pour le protéger, ou sur les joues des enfants pour les aider quand ils ont mal aux dents… Dans l’expo, des tampons avec ce caractère permettront d’ailleurs de se marquer de ce signe. Et nous allons exposer tous les objets liés à ces croyances, comme un sphinx ou des représentations de la déesse Sekhmet à tête de lion, que nous avons empruntés au Louvre, au quai Branly, etc. » Félins Museum d’histoire naturelle, du 21 mars 2023 au 7 janvier 2024

Pour les kids ici : Un jeu multijoueur intitulé Culture Cat, pour retrouver tous les félins présents dans la littérature, le sport, les dessins animés, etc. 102

Notre ami, le chat Le chat est le seul félin que l’homme ait apprivoisé (et encore !). Il méritait donc bien une pièce d’expo dédiée, pour tout apprendre sur lui. Un bon moyen de sensibiliser les enfants aux thématiques animales. Oui, un animal on s’en occupe. Et oui, certains félins, comme les servals, ne peuvent être apprivoisés, malgré ce que prétendent certains imbéciles sur les réseaux sociaux ! Pour les kids ici : Un chat aussi peut être dangereux. Un jeu de cubes montre les différents signes de menace des matous (un chat qui crache, qui tape la queue, etc.). Enfin, avant de partir, faites un tour dans l’espace pédagogique de 60 m2 pour les enfants, avec des ateliers sur les familles Lion, un jeu sur la diversité des félins où les enfants devront replacer les animaux sur une carte, etc.


Bien-être ×

“Mon superpouvoir est de croire que je peux tout faire.” Kari Gueham de Minéralsophie p. 104

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© DR © Noel Manalili

Kari Gueham

Le talisman minéral Après plus de quinze ans à exercer le métier de juriste, Kari Gueham s’est reconnectée à son essence en créant Minéralosophie, des bijoux-talismans qui exploitent le pouvoir et l’énergie des minéraux pour éloigner la peur, ressentir de la force ou retrouver son optimisme. Minéralosophie, c’est la contraction de Minéral et de Sophia (la sagesse, le savoir). Quel est votre rapport à la spiritualité ? C’est simple, mes bijoux sont avant tout le reflet de mon histoire personnelle. Avec Minéralosophie, j’ai voulu m’inspirer de différents symboles comme la femme, Dieu ou encore les mudras. Pour moi, mes créations sont à la croisée des chemins entre les rituels spirituels du passé et une vision beaucoup plus contemporaine de l’ornement. Vos créations ne sont pas disponibles sur internet, et votre atelier est très privé : il faut

prendre rendez-vous pour y accéder. Pourquoi ce choix ? J’aime le côté libre et méditatif de mon travail manuel : ça s’équilibre parfaitement avec les moments d’échanges que j’ai avec les personnes qui veulent découvrir ma collection ! Ce fonctionnement colle aussi très bien avec mon envie d’une consommation plus raisonnée : j’ai opté pour des stocks et une production limités, une fabrication française. Pour moi, c’est un gage d’authenticité ! Mais je pourrais très bien collaborer avec un lieu qui partage mes valeurs et mon univers, et surtout, qui assure à la femme une place particulière. 104

D’ailleurs la femme revient souvent dans vos créations… Il faut dire que je suis issue d’une grande famille de femmes : j’ai sept sœurs ! La sororité fait partie de mon éducation. Aujourd’hui je m’aperçois d’ailleurs que nous réactivons les solidarités féminines, telles que les pratiquaient nos ancêtres. C’était donc une évidence que mes bijoux sculptures honorent et célèbrent les femmes, ces héroïnes ! Vous êtes devenue mère. Est-ce que cela influe sur votre créativité ? La naissance de mon fils est pour moi une bénédiction. J’ai vécu six fausses couches, dont la première a failli me coûter la vie. Mon parcours a été difficile et courageux. Et c’est d’ailleurs ce qui m’a inspiré plusieurs bijoux, comme la mudra de la Force, l’Héroïne, la puissance créatrice, ou la boucle d’oreille Ange. Ces talismans m’ont permis de tenir le coup, de me relever et d’y croire ! Ma mère me disait « mon superpouvoir est de croire que je peux tout faire ». Une fois de plus, elle avait raison ! Où aimez-vous aller pour vous ressourcer à Paris ? J’adore le musée d’Art moderne, le musée Guimet mais aussi le palais Galliera. Et mon fils est mon compagnon de balades culturelles et gourmandes ! Comme lorsque l’on se rend chez Balilli, une trattoria italienne dans le 16e ou chez Toraya rue Saint-Florentin ! CR mineralosophie.com


© Katrin Backes

Une nuit à Paris

La construction des apparences

Marisol Suarez Perruque tressée

EXPO. Le musée des Arts décoratifs présente une exposition consacrée aux cheveux et aux poils dans le monde occidental. Ce projet original montre à travers plus de 600 œuvres, du XVe siècle à nos jours, comment la coiffure et l’agencement des poils humains véhiculent un message, que ce soit l’adhésion à une mode, une conviction, une contestation, et peuvent être porteurs d’une multitude de significations, comme la féminité, la virilité ou la négligence. ES Des cheveux et des poils, au musée des Arts décoratifs, du 5 avril au 17 septembre 2023 105

SÉRUM. Un soir, en 2010, alors qu’il était à Paris pour un congrès, un des chercheurs de l’équipe du professeur Miroslav Radman, généticien, fondateur du MedILS (Mediterranean Institute for Life Sciences) et spécialiste de la longévité cellulaire appliquée aux maladies liées à l’âge (Parkinson, Alzheimer…), a l’idée de récolter un flocon de neige sur le balcon de son hôtel pour l’analyser. Et là, surprise ! Il découvre une « bactérie des neiges » qui possède l’étonnante capacité de se réparer ellemême, associée à un pouvoir antioxydant supérieur à toutes les autres molécules connues. Treize ans – et une multitude d’expériences – plus tard, les laboratoires Naos ont réussi à décrypter son secret et en ont créé un principe actif, Age Proteom. Ce dernier répare les dommages créés au protéome, c’est-à-dire l’ensemble des protéines de la peau (première cause de vieillissement cutanée) en abaissant le taux de carbonylation des protéines. En 28 jours, la peau vieillit deux fois moins vite ! Une révolution made in Paris dans la beauté et le « pro-aging », dont on devrait entendre parler pendant longtemps… ES Age Proteom, Institut Esthederm, 30 ml, 95 € (sortie le 1er avril)


© And-One

© DR © DR © DR

Au royaume des cheveux

Une clinique tout confort où l’on peut regarder la télévision pendant la greffe !

SANTÉ. Perdre ses cheveux est certainement l’un des plus gros complexes beauté des hommes. Depuis Samson et Dalila, les cheveux sont en effet associés dans l’imaginaire à la force, la vitalité, voire la virilité. Or à 50 ans, la calvitie touche un homme sur deux – et parfois elle se déclare même beaucoup plus tôt. Si certains règlent le problème avec une tondeuse, d’autres ne se résolvent pas à perdre leur bel attribut. C’était le cas du fondateur de Racine Carrée, le plus grand centre européen dédié à l’implant capillaire et aux traitements antichute, qui vient de s’installer à Levallois. Effaré par les prix dans les cliniques françaises (parfois jusqu’à 11 500 euros pour un lobe frontal !), et refusant de se faire opérer en Turquie (un pays reconnu dans cette spécialité), il a imaginé cet espace ultraspécialisé en compagnie de médecins spécialement formés. Ici les prix commencent à 2 000 euros pour un service qui comprend la greffe, mais également le suivi à long terme du patient (les effets d’une greffe ne sont visibles qu’au bout de six à douze mois). Et pour prévenir plutôt que d’implanter, Racine Carrée propose également un éventail de traitements protecteurs comme la mésothérapie, une injection d’acide hyaluronique et de vitamines pour densifier la fibre capillaire et activer la repousse. ES centre-racine2.com 106


© Sixtine Legrand

Le bienfait des plantes

Shade, en consultation dans son herboristerie

ÉCHOPPE. Au coin d’une rue ancienne de Paris, dans le Marais côté Seine, une boutique aux faux airs de pharmacie ancienne attire l’œil : Shade’s Apothecary. Renseignement pris, il ne s’agit pas d’une pharmacie, mais il est bel et bien question de guérison en ces lieux, puisqu’on y trouve des potions à base de plantes 100 % naturelles, afin de prendre soin de soi. Après quinze années passées dans le milieu des cosmétiques et une maternité, Shade, la fondatrice de cette néo-herboristerie, explique qu’elle a ressenti le besoin de se reconnecter à elle-même et pour cela, elle s’est souvenue de l’héritage de sa grand-mère martiniquaise. Considérée comme une guérisseuse, elle soignait sa famille avec les plantes de son jardin. Aujourd’hui, sa petite-fille veut partager ce savoir-faire avec toutes les femmes à travers des rituels tous plus délicieux les uns que les autres. À découvrir au détour d’une balade ! MH

Et de 2 ! MASSAGE. Après le 11e, Les Jardins suspendus ouvrent un second institut dans le branché So-Pi. Si à l’extérieur, le quartier bouillonne, et que la déco est différente, cette adresse conserve tout ce qui a fait le succès de la première boutique de Déborah Séroka : un personnel compétent, au petit soin, des produits bio et un environnement supra-apaisant. MH © DR

Massage à partir de 105 €, pour les abonnés 90 € 1 07


Texte Estelle Surbranche Photographe Nora Hegedus Assistant photographe Brayan Gaspard Illustration illustres-inconnus.com

Les parfums de la ville Célébrée en vers, dans les films ou en musique, Paris inspire les créateurs en tout genre. Les « nez » ne font pas exception et composent régulièrement des poèmes olfactifs à sa gloire. Vivre Paris vous emmène dans une balade tour à tour fleurie, orientale, chyprée et boisée dans les arrondissements de la Capitale…

Un bouquet onirique Ne nous mentons pas, les jardins ne pullulent pas à Paris et les quelques parcs ouverts sont littéralement pris d’assaut les premiers beaux jours venus. Mais pour les parfumeurs, Paris vaut bien les meilleurs bouquets, et ce aux quatre coins de la ville ! Sublimant « le rayonnement d’une ville en perpétuel mouvement », le nez Olivier Cresp livre ainsi un hommage fleuri à la « plus belle avenue du monde » où

se dresse la toute première boutique Guerlain. La transparence sage d’une rose laisse ici affleurer un mimosa éclatant comme jamais : un jus rayonnant qui souligne l’éclat d’une personne (Champs-Elysées de Guerlain, eau de parfum, 100 ml, 119 €). Ce parfum a traversé le temps, comme le mythique 24 Faubourg d’Hermès. Cette fragrance a été élaborée par Maurice Roucel entre les murs du siège historique du fameux label, 108

sis au 24 rue du Faubourg-SaintHonoré dans le 8e (où se niche également un musée secret autour du cheval, à découvrir dans le numéro 34 de Vivre Paris). Absolument intemporelle, comme toutes les créations Hermès, elle célèbre la féminité pure, notamment grâce à une brassée de fleurs blanches (fleurs d’oranger, tiaré, jasmin Sambac et ylang-ylang). (24 Faubourg, Hermès, eau de parfum, 100 ml, 183 €)


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“Ce « je-ne-sais-quoi » de Montmartre a été traduit pour le nez Thomas Fontaine par une escalade des sensations olfactives” Dans le sillage du Moulin-Rouge

Le « je-ne-sais-quoi » de Montmartre

Un autre monument parisien – et ses occupantes – attise encore et toujours tous les fantasmes : le Moulin-Rouge. Le cabaret légendaire s’est associé avec la maison Histoires de Parfums pour imaginer « sa » fragrance : un floral poudré aux notes de mandarine, absinthe et cœur d’Iris, qui évoque le rouge à lèvres très poudré des filles, l’absinthe que servait Toulouse-Lautrec aux danseuses ou l’iris que les artistes pschittent dans leurs loges… (1889 MoulinRouge, Histoires de Parfums, eau de parfum, 60 ml, 117 €)

La maison parisienne qui aime casser les codes, État Libre d’Orange, trouve sa muse dans l’architecture extraordinaire de la ville. Son nouveau parfum, un boisé magnifique qui sort en avril, a été conçu comme « l’âme d’une architecture, la croisée verticale et horizontale d’un tout, symbole d’équilibre absolu » selon le nez Mathieu Nardin. (Sous le pont Mirabeau, État Libre d’Orange, eau de parfum, 100 ml, 150 €). Le bâti si particulier de Paris a également inspiré l’opus « 222 » de la maison Le Galion. 110

Ce boisé ferait écho à la petite rue Foyatier dans le 18e arrondissement de Paris. Cette rue, l’une des plus pentues de la ville, affiche 222 marches et n’est constituée que d’un escalier. Le charme indicible de ce coin du 18e en somme ! Ce « je-ne-sais-quoi » de Montmartre a été traduit par le nez Thomas Fontaine par une escalade des sensations olfactives, similaire à une succession de caresses. « La violette offre un dévoilement progressif à ce très beau santal, onctueux et balsamique. Et juste ce qu’il faut de cuir pour une lascivité maîtrisée. » (222, Le Galion, 100 ml, 180 €)


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Cette sensualité – Paris n’est-elle pas la ville des amants ? – se lit également dans les créations ambrées florales comme Odéon de Memo Paris ou Montaigne de Caron. Le premier a été créé par Aliénor Massenet, un nez Symrise, pour la jeune maison de parfums de luxe Memo Paris en pensant « au feu créatif de l’Odéon », à ses poètes, ses écrivains et ses toits d’argent. Un parfum qui sied autant aux hommes qu’aux femmes et où l’ambre interprète une partition sexy, attisée par la datte confite et le bois de santal (Odéon de Memo, eau de parfum, 75 ml, 230 €).

Un oriental somptueux dans le Triangle d’or Dans un registre plus voluptueux, Montaigne de Caron joue lui un jeu de textures raffiné, entre le santal indien et une absolue de mimosa aux notes florales miellées, digne des plus grands couturiers de l’avenue Montaigne. Dans les années 80, Caron possédait en effet une boutique-boudoir, au numéro 34 de cette artère classée aujourd’hui parmi les plus chères de Paris. La maison lui a dédié cette fragrance sur mesure. Le magasin a depuis déménagé au 23 rue François-1er mais cet oriental majestueux, plébiscité par les connaisseuses, a été adopté dans la catégorie « Collection merveilleuse » de la marque. (Montaigne de Caron, eau de parfum, 30 ml, 205 €).

Des adresses iconiques Comme une évidence, les adresses originelles des maisons de couture, là où tout s’est joué pour les créateurs, entre réflexions passionnées, doutes ou rencontres, jouent en effet un grand rôle dans l’imaginaire olfactif des parfumeurs. Certaines rues sont d’ailleurs devenues célèbres grâce aux labels de prestige qui y ont élu domicile. Ainsi si l’on vous dit « rue Cambon », ne pensez-vous pas tout de suite à Chanel ? En 1918,

Mademoiselle y installe sa maison de couture au numéro 31. Cette adresse réunit les ateliers de haute couture, l’appartement de Gabrielle Chanel et le studio de création où le ToutParis artistique se presse. Un escalier majestueux, entouré de miroirs offrant des vues changeantes sur le rez-de-chaussée, constitue la pièce maîtresse des lieux. Il est devenu mythique car Gabrielle Chanel s’y asseyait, dans l’ombre, pour regarder ses défilés. Cette adresse est ainsi devenue synonyme du style Chanel. Jacques Polge, parfumeur de la maison, lui a dédié d’ailleurs 113

“Si l’on vous dit « rue Cambon », ne pensez-vous pas tout de suite à Chanel ?”


trouvait son studio photo. Cette adresse a donné son nom à une collection de vêtements sportwear sophistiqués et à un parfum, Paris, 21 rue SaintGuillaume. « Pour raconter l’esprit de la rue Saint-Guillaume, j’ai tout de suite eu envie de travailler une création à la fois sensuelle et minimaliste, à l’image de cette femme parisienne chic, sans artifices, qui séduit par son naturel et sa simplicité », explique la parfumeuse Émilie Coppermann. Le jus s’écrit donc dans une belle transparence florale (rose, jasmin, gardénia) juste soulignée par des notes boisées de santal. Aussi facile à porter que la mode de Karl ! (Paris, 21 rue Saint-Guillaume, Karl Lagerfeld, eau de parfum, 100 ml, 55 €)

Embrasser la ville

“Yves Saint-Laurent adorait cette ville où toutes les libertés étaient possibles”

un chypré élégant, relevé d’iris, de poivre noir et de vétiver, intitulé 31 rue Cambon, qui appartient à la collection « les Exclusifs ». (31 rue Cambon, Chanel, eau de parfum, 200 ml, 330 €)

La rive gauche selon Karl Lagerfeld Amoureux de la rive gauche (il affirmait n’être jamais allé dans un café rive droite, et ne fréquenter que le Flore), Karl Lagerfeld avait logiquement installé le siège de sa propre marque rue Saint-Guillaume, non loin de la librairie 7L où se 114

Des rues de la rive gauche, où l’intelligentsia aime à débattre, aux branchés des troquets de SoPi, Paris est une ville aux mille visages, capitale de tous et de chacun. Pour en capturer l’esprit dans son Eau Capitale, Diptyque a choisi le chypre, cet accord lui aussi aux mille facettes. La marque le décline ici dans une partition très libre, qui part de l’acidulé de la bergamote pour laisser place à une explosion de roses enivrantes. (Eau Capitale, Diptyque, eau de parfum, 75 ml, 150 €). Enfin, un couturier a fait de multiples déclarations d’amour à la Capitale : Yves Saint Laurent. Paris a toujours incarné une source d’inspiration inépuisable dans son travail et dans sa vie. Il adorait cette ville, la complice des amants, où toutes les libertés étaient possibles. Il lui a dédié plusieurs parfums, dont Mon Paris, une réinterprétation subversive du chypre traditionnel, à la fois floral et fruité… Sur sa « muse », il écrivait alors « Pour ce nouveau parfum, c’est ton nom que j’ai choisi, parce qu’il n’y en a pas de plus beau. Parce que je t’aime. Mon Paris. » (Mon Paris, Yves Saint Laurent, eau de parfum, 50 ml, 113 €)


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“À 12 ans, j’ai même dit à ma mère qu’un jour, j’aurais une boutique de chapeaux sur les Champs-Élysées !” Ekaterina Grangier, fondatrice de Chapeaux Atelier 5 p. 122

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1997, année explosive EXPOSITION. Cette année-là, il y eut le décès de Lady D à Paris et la chanson Candle in the Wind d’Elton John, l’ouverture du concept store Colette à Paris, Lionel Jospin devenait Premier ministre après la dissolution de l’Assemblée nationale par Jacques Chirac… et la fashion week haute couture printemps-été 1997 de Paris explosait tous les codes connus pour inventer les looks du futur : les corps déformés par Comme des Garçons avec la collection Body Meets Dress, Dress Meets Body, les vêtements conceptualisés par Martin Margiela avec la collection Stockman, les canons de la beauté masculine redéfinis par Raf Simons avec la collection Black Palms ou encore les corps féminins dissimulés par des tchadors par Hussein Chalayan avec la collection Between… Est-ce que ce millésime 1997 serait tout à la fois l’acmé de la mode des années 1990 et la charnière vers le nouveau millénaire ? C’est ce qu’affirme l’exposition 1997, Fashion Big Bang au Palais Galliera, qui fait revivre à ses visiteurs cette révolution de la mode contemporaine en lui présentant ces pièces essentielles. MH 1997, Fashion Big Bang au Palais Galliera, du 7 mars au 16 juillet 2023

© Jean-Baptiste Mondino

➀ Thierry Mugler, ensemble,

© Condé Nast / The Irving Penn Foundation

haute couture printemps-été 1997, collection Les Insectes. Photo Jean-Baptiste Mondino publiée dans Vogue Paris en mars 1997. Mannequin Kristen McMenamy.

➁ Comme des Garçons par Rei

Kawakubo, collection Body Meets Dress, Dress Meets Body, prêt-à-porter printemps-été 1997. Photo Irving Penn publiée dans Vogue Paris en mars 1997. Mannequin Christina Krusse.

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© Sony Pictures Entertainment

Le musée de l’Éventail a besoin de vous ! MÉTIER. Alors que le métier d’éventailliste est inscrit à l’inventaire national du Patrimoine culturel immatériel en France depuis cette année, le musée qui est dédié à cet accessoire est menacé de fermeture. Pour éviter la disparition de ce fond unique, rendez-vous sur la cagnotte helloasso « Sauvons le musée de l’éventail » ! MH

Certains éventails utilisés dans le film Marie-Antoinette de Sofia Coppola viennent des ateliers du musée.

À Paris 16e

© Adolfo Fiori

ACCESSOIRES. La marque de bijoux fantaisie Zag, fondée par Michelle Zhang et son frère Hervé, se dote d’une seconde adresse dans la Capitale, dans la très convoitée rue de Passy. Ce beau succès est dû à la créativité de Michelle, qui imagine un nombre considérable de pièces par an, et leur maîtrise de l’acier 316 L, l’acier des outils chirurgicaux. À la base de tous leurs bijoux, cette matière hypoallergénique et inaltérable assure une résistance quasi à vie aux pièces Zag. Parfait pour la Parisienne qui aime vivre avec ses joyaux nuit et jour… En plus, l’aspect de ce métal est particulièrement modulable : grâce à des polissages spécifiques, il peut être très brillant ou très mat, de quoi satisfaire tous les goûts. Lorsqu’on demande son secret de réussite à Michelle, elle sourit, taquine : « J’étais la petite dernière, la rebelle de la famille… et j’ai toujours eu du caractère ! » MH 119


Simple et basique

Photos © DR

© Zmirov

DURABLE. La marque japonaise qui excelle dans les basiques à prix moyens, Muji, lance une nouvelle collection de vêtements intemporels à base de kapok, une fibre naturelle, hyper légère et très douce. Disponible dans les six magasins de la marque à Paris. MH

En attendant la vague POP-UP. Le vent de l’Australie et l’air de Biarritz soufflent rue du Temple dans le Marais : la marque emblématique des surfeurs, Quiksilver, a ouvert en effet un pop-up store qui sent bon le sable chaud et les bords de l’océan. Surnommé The House of Boardshorts, il propose une collection inédite de boardshorts et de combinaisons de surf, les incontournables de la marque. Des inédits et collections capsules s’ajouteront également en boutique tout au long des semaines. Le tip mode ? Les fashionistas adeptes de la tendance Y2K (pour Year 2000) se jetteront sur le corner de pièces vintage des années 90 et 2000 redécouvertes dans les stocks de la marque par des professionnels. MH 120


FOOT. Le Paris Saint-Germain poursuit sa mue en marque globale en organisant des événements hors foot et en développant sa marque mode. Le club réédite donc, comme les grandes maisons, ses maillots emblématiques via sa collection Héritage. En ce printemps sont ainsi mis en vente deux maillots iconiques, portés lors de la saison 93/94, qui marquent les grandes années du club en tant que champion de France pour la deuxième année de son histoire (avec des joueurs historiques comme David Ginola, George Weah, Valdo Filho ou encore Bernard Lama). Parallèlement le PSG lance We Run Paris, son premier 10 km, le 2 juillet prochain, ouvert à tous. Lors de cette expérience, les amateurs de running et de sport partiront depuis l’enceinte du parc des Princes, se rendront « dans le cœur de la Capitale » lors d’un parcours « jalonné d’animations exclusives qui encourageront les sportifs à chaque kilomètre », pour retourner ensuite dans le Parc. Il paraît que quelques joueurs et anciennes légendes seront de la partie… ES Maillot « Héritage » du Paris Saint-Germain, 50 € + dossards « We Run Paris » grand public, de 15 € à 40 € 121

Photos © DR

Ici, c’est Paris !

Foot, mode et maintenant organisation de course de running : le PSG n’en finit plus de se diversifier !


La plus parisienne des Géorgiennes Photos Stéphane Grangier

Texte Estelle Surbranche

Amoureuse des métiers d’art, la modiste Ekaterina Grangier a d’abord fondé la marque Chapeaux Atelier 5, avant de sauver de la banqueroute Artnuptia, les derniers créateurs indépendants de fleurs et de plumes pour la haute couture, labellisés Entreprise du patrimoine vivant. Une passionnée, aussi modeste qu’adorable, que vous pouvez rencontrer dans sa boutique-atelier de Vincennes.

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« Oui je suis sûre ». À 12 ans, j’ai même dit à ma mère qu’un jour, j’aurais une boutique de chapeaux sur les Champs-Élysées ! Je n’étais jamais venue à Paris mais j’en rêvais déjà : la mode, la tour Eiffel, les belles boutiques…

“En France, mes premières créations ont été des turbans pour des premières dames africaines” Comment est née votre passion pour les chapeaux ? Je suis née en Géorgie et petite, j’adorais regarder ma grand-mère s’habiller : elle finalisait toujours sa tenue avec un chapeau. J’étais admirative, ça lui donnait une telle élégance ! Vers l’âge de 12 ans, alors qu’on se baladait avec ma mère à Tbilissi, nous sommes passées devant une boutique de modiste. Je lui ai demandé de rentrer dans la boutique pour savoir si les propriétaires voulaient bien me prendre en stage. La modiste a accepté et c’est là où tout a

commencé. J’y suis restée pendant trois ans, jusqu’à son décès. Vous aviez seulement 12 ans ?! (Sourire) Et oui… Quand on a commencé, je ne savais même pas coudre ! Je travaillais sur le cuir ou des toques en fourrure car les femmes en portaient beaucoup. C’était après l’explosion de l’Union soviétique. Les gens souffraient beaucoup et n’avaient pas vraiment besoin de chapeaux. Ma patronne me demandait toujours « Tu es sûre de vouloir ça ? Peut-être que le métier va disparaître » et je lui répondais 124

Et vous vous installez à Paris juste avant vos 30 ans ? Oui car j’ai rencontré l’amour ici (Sourire). J’ai alors commencé à travailler comme assistante d’Erik Schaix [un créateur de haute couture]. C’est lui qui m’a poussée à faire des turbans pour des premières dames africaines qu’il accompagnait. En France, ces turbans ont été mes premières créations… Il m’a appris la perfection totale que demande la haute couture, et a redéclenché l’envie de faire des chapeaux. À tel point qu’en 2017, j’ai ressenti le besoin d’ouvrir ma propre marque, pour vivre mon rêve de petite fille. C’était le début de Chapeaux Atelier 5. Il y a de plus en plus de clientèle pour les chapeaux ? Oui ! Les gens osent de plus en plus. C’est pourquoi nous avons d’ailleurs élaboré des gammes pour toutes les bourses chez Chapeaux Atelier 5. Nos modèles de prêt-à-porter en laine commencent à 50 euros… et ça peut monter jusqu’à 700 euros


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“Nos chapeaux ne se déforment jamais grâce à notre travail minutieux sur la forme et les matières” pour un très beau chapeau sur mesure. De toute façon, même pour notre ligne de prêt-à-porter, une partie est faite à la main. Nous ne cousons rien sur nos chapeaux : la cliente peut ainsi choisir la couleur évidemment, mais aussi l’ornement qu’elle désire mettre dessus. On peut lui ajouter une fleur, une voilette, une chaîne… Nous les finalisons toujours à la boutique. Et elle peut revenir changer les ornements si elle est lassée. Nous nous honorons de faire du travail à l’ancienne… Nos chapeaux ne se déforment jamais

grâce à notre travail minutieux sur la forme et aux matières que nous sélectionnons… Même sous la pluie, même si on les plie. Et pour les coiffes de mariage ? Ça va de 350 jusqu’à 1 000 euros… Nous avons aussi des peignes ou des serre-tête pour les mariages, qui sont moins onéreux. Vous étiez déjà très occupée avec Chapeaux Atelier 5, pourquoi avoir décidé de reprendre Artnuptia, une entreprise spécialisée dans le travail de la fleur et de la plume pour la haute couture, labellisée Entreprise du patrimoine vivant (EPV) ? J’ai appris que mes fournisseurs de fleurs, que je connaissais depuis des années par la haute couture, avaient des problèmes financiers et allaient fermer. Je connaissais toute l’équipe… Et oui, je voulais sauver ce 126

merveilleux patrimoine, alors je me suis lancée. Artnuptia est née en 1936. Son histoire est incroyable. Il y a un atelier à Paris et un autre immense en Normandie avec toutes les archives de la marque. C’était impossible de laisser cette entreprise mourir ! Ce savoir-faire français m’a toujours tellement inspirée. Partir d’un bout de tissu ou d’une plume, et en faire un véritable objet d’art qui se retrouve ensuite sur les plus belles robes des défilés, ou sur les costumes des danseuses de l’opéra Garnier ou Bastille avec qui nous travaillons… C’est une magie inouïe ! C’est tellement beau que l’on peine à croire que ce sont nos mains qui ont créé ça. Chapeaux Atelier 5 et Artnuptia 30 rue Robert Giraudineau, 94300 Vincennes chapeauxatelier5.fr/ artnuptia.com


Déco ×

“Dans une vie antérieure, j’ai dû vivre dans les années 30.” Cécilia Mergui, de Bienaimé p. 132

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Le jeune label d’édition Maison Munja crée un pont entre l’artisanat algérien et le savoir-faire français. Rencontre avec sa fondatrice. Maison Munja, c’est une deuxième vie professionnelle pour vous ? Oui, j’ai vécu en Algérie jusqu’au bac, puis j’ai fait mes études d’ingénieur en France. Ensuite, j’ai travaillé dans l’industrie automobile. À côté de ça, j’ai toujours été passionnée de déco. J’ai eu la chance de grandir en Algérie entourée d’objets artisanaux anciens, car ma maman adorait l’artisanat. Cette passion a grandi en moi au fur et à mesure des années… Je passais un temps fou dans les magasins de déco à vouloir tout acheter. (Rires) Mais je ne m’imaginais pas travailler dans ce milieu, car j’étais dans un métier très cartésien. Il y a quatre ans, j’ai dû aller longuement à Alger

© Les Chahutées

© Franck Schmitt

Souad Massimelli de Maison Munja

Souad Massimelli dans son salon

pour des raisons personnelles et là-bas, j’ai redécouvert la grande beauté des objets artisanaux. L’idée de Maison Munja a germé : jeter un pont entre ma culture d’origine et ma culture française. Je voulais associer les techniques artisanales que je connais bien à mon goût pour la déco française, voire parisienne. Vous habitez depuis longtemps à Paris ? Trente ans ! J’ai habité dans le 17e et maintenant à Boulogne. C’est là que j’ai commencé Maison Munja… Désormais j’ai un bureau-showroom dans le 16e. Où sont les artisans avec qui vous travaillez ? Les tisseurs sont dans la région d’origine de ma maman, dans la ville de Tlemcen : ils font un très beau travail de tissage artisanal, à l’ancienne, sur des métiers à bras horizontaux. Moi j’interviens en leur demandant 128

des couleurs au goût du jour et des motifs de tissage allégés. Une fois la couverture prête, je la fais découper. Puis je transforme les découpes en coussin ou en édredon en les assemblant avec de la passementerie et des tissus d’ameublement français. Toute la confection est faite en France. Vos modèles font d’ailleurs la part belle aux couleurs épurées, beige ou noir et blanc… Oui ! Je me souviens d’ailleurs la première fois que j’ai demandé à l’artisan avec qui je travaille en Algérie de faire sa couverture en noir et blanc, il a été choqué. J’ai insisté… et il l’a fait mais clairement ce n’était pas son goût ! (Rires) À mon échelle, mon but est de faire vivre ces techniques anciennes et éviter qu’elles ne disparaissent. ES

Coussin, à partir de 52 € maisonmunja.com


Paris en torchon

© Coucke

ART DE LA TABLE. Si le dicton veut qu’on ne puisse pas mettre Paris en bouteille, la marque Coucke, qui fabrique du linge de table et de cuisine depuis 1931 à Dieppe, a figuré ses monuments sur toute sa nouvelle collection intitulée « Paris », qui fleure bon le bistrot. MH

© Ludovic Balay

© Ludovic Balay

À partir de 9,90 €

HÔTEL. Auréolé du prix du Designer de l’année au salon Maison&Objet en janvier dernier, le designer Raphaël Navot vient de dévoiler sa dernière réalisation dans la Ville Lumière après le Silencio (avec David Lynch) et l’Hôtel national des Arts et Métiers (Paris 3e) : l’aménagement intérieur du nouvel hôtel Dame des Arts du côté de Saint-Michel (une ancienne école de théâtre dont les fenêtres aux motifs géométriques d’origine sont classées). Le créateur y a conservé un style parisien très rive gauche tout en apportant quelques touches industrielles, et toujours un parti pris fort sur le choix de matières minérales et naturelles. Les plafonds de bois sont ainsi sculptés ou ornés de fresques contemporaines, les murs habillés de demi-cylindres de chêne cannelés… Un conseil : si vous visitez les lieux, il faut absolument grimper jusqu’au rooftop bar, la vue à 360° sur Paris est à couper le souffle. MH 129

© Cerruti Draime

À voir

Raphaël Navot, designer de l'année 2023 et du nouvel hôtel Dame des Arts


© N. Lascourrèges © Pauline Guyon

Paris Ateliers Olympiades

Une spécialiste de la maison de vente aux enchères Maurice Auction

Entrée libre. symev.org

Musée des Beaux-Arts de Dijon

© Alice Bertrand

ENCHÈRE. Du vendredi 12 au dimanche 14 mai, les Journées Marteau permettent, comme chaque année, de faire gracieusement expertiser et estimer ses objets, bijoux ou encore œuvres d’art. Et on peut aussi participer à des événements orchestrés par les commissairespriseurs : expositions, ventes thématiques, visites guidées, nocturnes, conférences, dédicaces, ateliers interactifs et ludiques ou encore escape game et chasses au trésor… L’occasion pour beaucoup de découvrir le monde passionnant des enchères ! MH

© Direction des musées de Dijon – François Jay

Un trésor dans le grenier ?

Fauvel - Normandy Ceramics

À la découverte de l’excellence PATRIMOINE VIVANT. La 17e édition des Journées européennes des métiers d’art (JEMA) se tiendra du 27 mars au 2 avril 2023, autour du thème « Sublimer le quotidien ». Pendant une semaine, des artisans d’art ouvriront au public les portes de leurs ateliers ou les coulisses de sites prestigieux où ils officient (comme l’Opéra-Comique ou encore le musée Zadkine à Paris) afin de faire connaître leurs métiers, leurs savoir-faire et leurs créations qui subliment notre quotidien. En Île-de-France, on pourra découvrir ainsi tout autant le métier de perruquier au sein de l’atelier Peruke que la taille d’ardoise ou la gravure au poinçon avec la boutique 10sign dans le 4e. MH Une centaine d’évènements et d’initiations sont prévus pour tous les publics dans la région, le plus souvent gratuits. Il suffit de s’inscrire sur le site journeesdesmetiersdart.fr 130


Profession : décorateur EXPO. Et si le métier de décorateur d’intérieur était né à Paris ? Telle est la suggestion de l’exposition Eugène Lami au musée des Arts décoratifs. Peintre de profession, Lami se fait connaître des princes d’Orléans en campant leurs loisirs sur toile. Puis il se voit confier l’aménagement des demeures les plus luxueuses des enfants de Louis-Philippe sous la monarchie de Juillet, ainsi que de la famille Rothschild dans la seconde moitié du XIXe siècle. La chatoyante polychromie des marbres, des dorures, des peintures murales et des textiles très Louis XIV compose son style à la théâtralité revendiquée, surnommé « grand goût Rothschild ». Mais dans cette avalanche de luxe ronflant, le peintre, costumier et décorateur n’oublie jamais d’insérer le dernier cri du confort moderne… Pour toutes ces raisons, il connaît un succès tel qu’il supplante les architectes des palais, et inaugure dès les années 1840 le métier de décorateur d’intérieur, dont la figure sera reconnue au siècle suivant. Ses aquarelles, sortes de « perspectives » de l’époque, sont exposées au Salon 1900, spectaculaire galerie de l’Exposition universelle de 1900, exceptionnellement ouvert au public pendant la durée de cette rétrospective organisée à l’occasion du Salon du dessin. MH Eugène Lami (1800-1890), premier décorateur moderne, au musée des Arts décoratifs, jusqu’au 2 avril Salon du dessin, du 22 au 27 mars 2023 au palais Brongniart

© Les Arts décoratifs / Photo : Jean Tholance

Eugène Lami, Projet pour le salon d’audience du duc de Nemours au palais des Tuileries, vers 1844, graphite, plume, encre brune, aquarelle et gouache sur papier.

© Les Arts décoratifs / Photo : Cyrille Bernard

Eugène Lami, Projet de décoration pour le grand hall du château de Ferrières, vers 1860, graphite, aquarelle et gouache sur papier.

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Texte Juliette Le Lorier Photos Lucile Casanova

L’ART DÉCO AU GOÛT DU JOUR (Re)fondatrice de Bienaimé, une marque de soin et de beauté née dans les années 30, Cécilia Mergui est une passionnée de la période Art déco, dont elle réussit à insuffler l’esprit dans son intérieur en évitant l’écueil du muséal. Visite guidée.

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“Grâce à cette passion pour l’ancien, j’ai découvert que les objets de beauté tels que les poudriers ou les flacons étaient autrefois considérés et pensés comme de véritables pièces d’art de vivre”

Cécilia Mergui

Cécilia Mergui, de la mode à la beauté « Dans une vie antérieure, j’ai dû vivre dans les années 30 », s’amuse Cécilia Mergui en parcourant les bibelots, affiches et luminaires qui composent la décoration de son appartement parisien. Mais si le grand raffinement, les subtiles touches de laiton et les évidentes références visuelles et graphiques des lieux évoquent indubitablement la période des Arts décoratifs, son appartement évite clairement l’écueil du poussiéreux ! Donnant sur une jolie cour privative du 10e arrondissement, l’espace de vie s’avère au contraire moderne, audacieux et joyeusement vivant, à l’instar de sa propriétaire… Sémillante et entreprenante jeune femme, Cécilia Mergui possède une tête bien faite qui, de surcroît, bouillonne d’envies et d’idées. Après des études en école de commerce puis un parcours sans faute dans l’univers du retail et du prêt-àporter, Cécilia se lance en 2019 dans

le rachat de la marque de soins et de beauté Bienaimé, une institution dans les années 30, 40 et 50 qui tomba plus tard dans l’oubli, faute d’être exploitée. Cecilia la renomme Bienaimé 1935. « Si on m’avait dit que je relancerais une marque de cette période-là, j’aurais pu le croire tant je suis passionnée par l’esthétique Art déco depuis que je suis petite. En revanche, je n’aurais jamais imaginé m’aventurer dans l’univers de la beauté », s’étonne encore la jeune cheffe d’entreprise.

Spécialiste du vintage Longtemps happée par la mode sur le plan professionnel, Cécilia Mergui a nourri sa passion pour la déco vintage comme un hobby, passant son temps libre et ses heures creuses à chiner, brocanter et renchérir, de préférence en ligne. Les sites de Drouot, Selency, Ebay, Le Bon Coin, Interenchères ou encore Catawiki deviennent rapidement les repères privilégiés et véritables cavernes aux trésors de 134

Cécilia qui accumule les jolies choses sans faute de goût. « C’est grâce à cette passion pour l’ancien que j’ai découvert que les objets de beauté tels que les poudriers ou les flacons étaient autrefois considérés et pensés comme de véritables pièces d’art de vivre. C’est dans les années 50, avec l’avènement du plastique et de la production de masse, que l’on a perdu cette exigence dans les packagings, au profit de produits purement utilitaires et jetables. Rapidement, j’ai donc nourri l’idée de conjuguer à nouveau l’univers du beau et celui de la beauté en lançant une gamme de produits à consommer et à vivre… »

Robert Bienaimé Lors d’une énième escapade sur Ebay, la jeune femme croise, par le biais d’un poudrier, la route de Robert Bienaimé, fondateur de la marque de soins et de parfums éponyme. « J’ai eu, au-delà de mon attrait pour les objets de la marque, un véritable coup de cœur pour ce nom de famille qui m’a poussée à enquêter sur ce monsieur. » Et les résultats fructueux de ses recherches ne tardèrent pas à convaincre Cécilia d’aller plus loin. Ingénieur chimiste et matériau de formation, Robert le bien nommé comptait aussi en son temps parmi les nez les plus réputés. Auteur du premier parfum de synthèse,


SALON Table basse : La Redoute Canapé : Bolia Rideaux : Cyrillus Coussin : India Mahdavi & Monoprix Coussin rond : India Mahdavi Suspension vintage Meuble bas scandinave chiné Tapis persan chiné Lampe de table : House Doctor Vase : Fornasetti Alphabet : Bifur de Cassandre Lampe feuilles : Maison Jansen chinée sur Le Bon Coin

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➀ SALLE À MANGER Suspensions Atelier : Areti Table : La Redoute Banquette sur mesure et coussins Monoprix (collaboration Polder) Chaises : Baumann chinées sur Le Bon Coin Peinture : Farrow & Ball

➁ CHAMBRE Papier peint : Collection Fornasetti chez Cole and Son Rideaux : Cyrillus Linge de lit : H&M Rangement : sur mesure Applique : Selency Suspension : Vintage Selency Peinture : Ressource

il fut l’un des pères de la parfumerie moderne et le pair des plus grands, ainsi qu’en témoigne son amitié avec Jean-Jacques Guerlain, qui a prononcé son oraison funèbre. « Robert Bienaimé n’ayant pas de descendant, sa marque s’est éteinte à sa mort à la fin des années 60. Mais j’ai eu la chance de retrouver sa trace et de rencontrer l’une de ses quatre belles-filles, Françoise, qui était ravie d’apprendre qu’une femme allait relancer le nom, puisque à son époque c’était inimaginable ! »

Esthétique rétro made in Europe Bien décidée à s’inscrire dans la lignée du fondateur pour faire honneur à ce bel héritage, Cécilia Mergui compose avec le plus grand raffinement une gamme d’objets de soins et de beauté à l’esthétique délicieusement rétro, destinés à être consommés autant qu’à orner les intérieurs contemporains 136

comme le sien. Fabriqués en France ou en Europe, pour revaloriser les artisanats locaux, les parfums, bougies ou encore les savons Bienaimé sont disponibles en ligne, chez Sézane et quelques revendeurs en province depuis 2021, et dans la ravissante boutique écrin de la marque, rue Saint-Roch, qui a ouvert ses portes en novembre 2022. Non contente de se lancer dans cette aventure aussi enthousiasmante qu’ambitieuse, Cécilia Mergui s’est concomitamment engagée en 2019 dans l’acquisition et la rénovation de son appartement.

Sublimé par les Filles d’intérieur Malgré la cuisine fermée, le tout petit salon et la décoration un peu triste aperçus lors de sa première visite, la jeune femme entrevoit d’emblée le potentiel des lieux et s’adjoint les talents des architectes Les Filles d’intérieur pour l’aider à concevoir


“Dans la chambre, un céladon de chez Ressource côtoie un papier peint imprimé nuage de la collection Fornasetti chez Cole and Son, pour une ambiance délicatement aérienne” 1 37


SALLE DE BAINS

© Damien de Medeiros

et redistribuer l’espace. La cuisine ouverte et la verrière de l’entrée contribuent alors à agrandir l’espace de vie, tout comme les bibliothèques et rangements sur mesure du couloir amenant à la chambre et à la salle de bains qui, en outre, sont de véritables terrains de jeu décoratifs pour Cécilia. « J’ai choisi un terracota de chez Farrow and Ball sur les bas des murs et sur les bibliothèques fermées, et c’est drôle car avec le temps et la lumière, la teinte tourne au vieux rose et se rapproche des codes couleurs de la marque Bienaimé. Les rangements bas sont en outre de formidables espaces d’exposition pour ma multitude d’objets. » Dans la chambre, un céladon de chez Ressource côtoie un papier peint imprimé nuage de la collection Fornasetti chez Cole and Son, pour une ambiance délicatement aérienne, tandis que la ravissante salle de bains s’approprie l’esthétique ouvertement féminine des boudoirs d’antan, avec son arche

© Damien de Medeiros

Vasque : Hudson Reed Miroir : Selency Carreaux de ciment : India Mahdavi pour Bisazza Poignées de porte : Bonnemazou Cambus Applique : Flos Peinture : Farrow and Ball

tout en rondeur qui ouvre sur la baignoire, sa vasque vintage, son rose poudré et ses carreaux de ciment….

Mélange des genres Passionnée d’objets et de mobilier, Cécilia a évidemment gardé la main sur la partie purement décorative en mêlant les pépites vintage, luminaires en tête, qu’elle a dénichées en ligne ou en brocante, avec des pièces plus contemporaines. « Je suis une grande admiratrice du travail d’India Mahdavi, et j’achète volontiers des mobiliers édités par de grandes maisons, mais je possède aussi pas mal de pièces, de linge de maison ou d’accessoires plus accessibles qui viennent de chez Ikea, H&M ou Cyrillus, par exemple. » Maîtresse dans le mélange des genres et des époques, Cécilia Mergui s’est ainsi créé un cocon coloré, joyeux et inspiré, qui est en outre imprégné continuellement des senteurs Bienaimé pour achever d’emballer les visiteurs… 138

LE COCON BIENAIMÉ Pour vous plonger dans l’univers de Bienaimé 1935 – et vous offrir au passage un voyage dans le temps –, faites un tour du côté d’Opéra où se trouve la boutique de la marque : 18 m2 revus et magnifiés par l’architecte d’intérieur et designer Paul du Pré de Saint-Maur et le décorateur et directeur artistique Damien de Medeiros. Une fois franchi le seuil de la façade sculptée, une délicate musique jazzy berce nos tympans et nos yeux s’enchantent d’un sol terrazzo coulé sur place, de meubles en loupe de chêne ainsi que de délicates appliques en forme de coquillage. Il ne nous reste qu’à nous enivrer de senteurs en humant les parfums ou en essayant les délicats savons liquides ou solides dans la vasque en pierre taillée sur mesure.


× “Ici, pas grand-chose à voir. Tout est à sentir : l’ambiance, l’atmosphère pépère qui se dégage de ces ruelles sans touristes, et la fête qui transpire le soir quand tous les bars déploient leurs terrasses extérieures.” Lucas Lahargoue, à propos du quartier de Pigneto à Rome p. 142

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Photos © Jessy Hihn

Pour les amateurs de balade vivifiante, le chemin des douaniers longe la côte de part et d’autre de l’hôtel.

Le coup de boost du printemps La sève monte dans les arbres mais le Parisien et la Parisienne se sentent à plat, la faute au rythme effréné imposé par la Capitale (mention particulière aux métros et aux bus bondés comme jamais). Avant de (dé)bloquer, direction la région Pays de la Loire et plus précisément la Thalasso Alliance de Pornic pour un grand bol d’air marin salvateur ! THALASSO. Spécialisé dans la prévention santé et le bien-être, le lieu mise autant sur les bienfaits de l’eau de mer que sur les nouvelles technologies pour requinquer ses clients. Dans un cadre majestueux, face au golfe de Gascogne, vous reprenez ainsi votre souffle sous la houlette d’un médecin ou d’une infirmière qui, après un court bilan sur votre état général, vous

donne toutes les clés pour conserver votre « capital santé ». Le focus est notamment mis sur la bonne marche du microbiote intestinal, le fameux « deuxième cerveau », et son analyse avec le système Gniom. Entre jets d’eau, séances de détox infrarouges, massages et délicieux repas ayurvédiques (en alternance avec des savoureux plats gourmands concoctés 140

par le chef Bruno Manusset), le corps est chouchouté. Il retrouve résistance et tonus pour combattre le stress, la fatigue ou les troubles digestifs. Quant au « Tao de l’eau » avec Jordane Saunal, un soin dans un bassin chauffé à 34° qui combine à la fois la sonothérapie (avec des gongs, des chants, un bol de cristal…), du watsu (shiatsu sous l’eau), du wata et un emmaillotage, il prépare même à tous les nouveaux départs. Une expérience hors du temps à ne surtout pas louper ! Au final, l’esprit de cette escapade de trois jours est de vous aider à conserver votre punch et votre santé le plus longtemps possible. Bien plus qu’un simple séjour à l’hôtel en somme ! ES Hotel Thalasso Spa Alliance Pornic thalassopornic.com


© A. Mostras © A. Mostras

© Archivio FS Italiane

Paris – Lyon – Milan À bord du Frecciarossa

1 MILLION ! En décembre dernier, Trenitalia a fêté son millionième voyageur sur la ligne Paris-Lyon-Milan. La compagnie italienne née en 1905 opère sur les rails français depuis décembre 2021 grâce à ses trains à grande vitesse, icônes du made in Italy. À l’intérieur, chaque voiture est pensée pour le confort du passager. Que l’on voyage en classe Standard, Business ou Executive, les fauteuils sont élégants, les couleurs douces, et on trouve facilement de l’espace de rangement. Une fois à bord, que l’on parte en vacances ou sur un rendez-vous de travail, il est facile de se connecter au wifi qui est gratuit, sans limite de temps et de consommation. Un kiosque à journaux, livres, musique ou cinema est disponible lorsque l’on se connecte. C’est « le Portale Frecce ». Ensuite, c’est aussi en ligne, grâce au service EasyBistrò, que l’on peut commander un plat ou une boisson au bar du train, avant de se faire livrer par

un agent de la compagnie. Les passagers de la classe Executive, quant à eux, peuvent même profiter de plats typiquement italiens concoctés par Carlo Carro. Le chef étoilé s’attache à travailler des produits frais, régionaux et de saison, pour donner le meilleur aperçu de la gastronomie italienne. Il y a donc du confort et de la qualité lorsqu’on voyage sur les trains italiens entre Paris et Lyon, ou Milan. Mais choisir le Frecciarossa 1000 c’est aussi opter pour un train moins énergivore. Son aérodynamisme permet de réduire sa consommation d’électricité, et sa composition en matériaux recyclés et presque 100 % recyclables en font un moyen de transport vertueux. Si l’on savait déjà que le rail est l’un des moyens de transport les plus écologiques qui soit, la société Trenitalia va plus loin et occupe la première place dans le classement Green Star 2021 des entreprises les plus durables. LL 1 41

© A. Mostras

5 fois par jour, une torpille rouge vermeil file à toute vitesse entre Paris et Lyon. Trenitalia propose des liaisons entre la capitale et la troisième ville de France à bord de trains modernes, dans un confort irréprochable, et à des prix abordables. Il est aussi possible de prolonger le voyage jusqu’à Milan, décidément !

INFOS PRATIQUES Paris – Lyon 5 allers-retours quotidiens À partir de 23€ en Standard, 29€ en Business, 139€ en Executive. Tous les billets sont échangeables et remboursables, sans limite, et gratuitement (sous réserve d’ajustement tarifaire). Gratuité pour les enfants de moins de 4 ans. -50 % de 4 à 14 ans. trenitalia.com/ trenitalia-france.html


Un week-end à Rome

Texte Lucas Lahargoue Photos Voir mentions

© ecstk22

C’est une ville éternelle. Et comme toute ville éternelle, on ne s’y ennuie jamais. Qu’on y vienne pour la première ou la quinzième fois, Rome a toujours quelque chose à offrir, un nouveau visage à montrer. Esquivons les vieilles pierres, et allons voir ailleurs ce qu’il y a d’original ou de différent dans la capitale italienne.

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© Simona poncia

C

’est une ville-musée. Mais Rome est aussi une ville… de musées, et tous ne se ressemblent pas. Oublions la galerie d’Art ancien, ou la villa Borghèse. Dans le quartier de Flaminio, le MAXXI a ouvert ses portes en 2010 dans un bâtiment dessiné par Zaha Hadid. L’architecte angloirakienne a été primée pour cet édifice controversé qui abrite des œuvres d’Anish Kapoor, d’Ugo Rondinone ou de Maurizio Cattelan. À l’intérieur les murs sont penchés, les planchers ondulés et beaucoup d’angles sont cassés, comme pour faire perdre quelques repères aux visiteurs qui viennent y admirer le travail des grands artistes du XXIe siècle. Mais pour errer dans un musée plus rock’n’roll, il faut quitter

le centre de Rome. Le MAAM est installé dans une fabrique de viande abandonnée, à l’est de la ville. Plus de 200 personnes, immigrées pour la plupart, vivent entre ces murs abîmés, habillés d’immenses fresques de street art. Ce Musée de l’autre et de l’ailleurs ne coûte que 2 euros et donne à voir l’image d’une ville colorée et cosmopolite où chaque œuvre a un message fort.

Drôles de clochers Dans Rome, les églises aussi sont variées. À l’ombre de la basilique Saint-Pierre, des dizaines de clochers pointent leur nez au-dessus des toits de la ville. Beaucoup sont classiques, d’autres le sont moins. C’est le cas de Sainte-Catherine, église orthodoxe qui se dresse sur la colline 143

© Maxim Apryatin / Shutterstock.com

© Arthur Yeti

L’église du Jubilé

Le musée MAXXI

du Janicule. Pas de gros bulbes, mais un toit pointu qui surmonte un ensemble inauguré en 2006. L’intérieur est sobre, très tourné sur le blanc comme l’église du Jubilé située à l’autre bout de la ville, dans une bourgade de banlieue. Celle-ci est catholique, et a été imaginée par Richard Meier. Achevée en 2003, elle a une allure futuriste, avec ses pans incurvés que l’architecte a voulus pour limiter les grands écarts de température à l’intérieur. Une prouesse visuelle et technologique au service du religieux.


© American Bar

TROIS ROOFTOPS À ROME

American Bar

© znatalias / Shutterstock.com

© Rhinoceros Entr’acte

Cet hôtel n’est pas tout neuf et mériterait un petit lifting. Néanmoins son rooftop offre une des plus belles vues sur le Forum, la colline du Capitole et le Vittoriano. Un bon spot pour déguster un prosecco avec pleine vue sur les temples romains. ristoranteroofgardenforum.it

Rhinoceros Entr’acte

© W Roma

Le restaurant et la galerie occupent d’anciens immeubles qui ont été rénovés par Jean Nouvel pour Alda Fendi qui en a fait un espace dédié à l’art contemporain. Au sommet, vue panoramique très dégagée sur le mont Palatin, idéal pour un petit verre après la visite de la galerie. rhinocerosroma.com

W Roma

Cet hôtel inauguré il y a moins d’un an est situé dans le quartier de Barberini, à cinq minutes de la place d’Espagne et de la villa Médicis. On adore son mobilier signé Meyer Davis Studio, son architecture labyrinthique, sa piscine panoramique et son bar sur le rooftop ! marriott.com

Quartier Pigneto

“Pigneto, un quartier plus excentré, est le nouveau repère des Romains branchés” De Monti à Pigneto Au-delà des musées et des églises, Rome est une cité qui vit. Le centre est agité de visiteurs qui défilent à toutes périodes de l’année. Le Trastevere a gardé son charme, mais reste envahi. Mieux vaut aller voir d’autres quartiers pour sentir la vie romaine véritable. Monti est un recoin effervescent en plein cœur de l’agglomération. Rues pavées, galeries d’art et boutiques de créateurs font le caractère de ce « village » en équilibre entre le Colisée et la gare Termini. Il prend doublement vie quand la nuit tombe. C’est le cas aussi de Pigneto, un 144

quartier plus excentré mais qui est le nouveau repère des Romains branchés. Ici, pas grand-chose à voir. Tout est à sentir : l’ambiance, l’atmosphère pépère qui se dégage de ces ruelles sans touristes, et la fête qui transpire le soir quand tous les bars déploient leurs terrasses extérieures. L’envers de Rome, à portée de métro du centre-ville. Y ALLER De nombreuses compagnies proposent des vols Paris-Rome, dont Air France, Ryanair, WizzAir, Vueling ou encore Easyjet. À partir de 150 € l’aller-retour. Compter 2 h de vol.



L’ H U MEU R DU MOME NT

Comment oublier Paris ? L’Illustratrice et graphiste Laure Cozic a remarqué le comportement étrange de certains Parisiens de retour de province après une escapade post-pandémie ! 146



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10/02/2023 16:00


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