2023IIB080 COP 27 We Still have a Chance French

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GreenFutures

Il nous reste une chance

COP27 Stories Translated into French by Emily Cooper and Anthony de Carlile


Copyright LEGAL NOTICE: All rights reserved. No part of this book may be reproduced, or stored in a retrieval system, or transmitted in any form, or by any means without prior permission from the editors or The University of Exeter and other copyright holders. www.exeter.ac.uk/greenfutures

ISBN: 978-1-3999-3844-0 Front cover image credit: ESO/M. Kornmesser NOT FOR REPRODUCTION

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We Still Have a Chance was born in translation, of art and science, of planetary health and activism, and of course of the stories themselves. Storytelling is part of all languages and languages have their own stories to tell about people and places. That is why We Still Have a Chance also has translation at its heart: experience and understanding of climate change is felt differently in different languages. To explore how other languages tell the stories, a team of undergraduate student interns recruited from Exeter’s Department of Languages, Cultures and Visual Studies have translated into languages studied for their degrees or in which they were already bi- or trilingual, from Afrikaans to Welsh. We’re sharing their translations here, to open We Still Have a Chance to new readership in other languages, to celebrate our students’ work, and to provide an example of how translation can give hope that we do indeed still have a chance.

Translations into: Afrikaans, by Anthony de Carlile French and Italian, by Emily Cooper and Anthony de Carlile Polish, by Zuzanna Bialas Spanish, by Emily Cooper and Paula Berriel Welsh, by Rhian Hutchings

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Il nous reste une chance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 L’âge de raison . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 L’air et l’eau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 La survie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 Le pêcheur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Attends ici . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

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Il nous reste une chance Une collection unique de courts récits pour nous unir et forger un monde durable, plus sain et socialement juste. Une création collective par des climatologues, des professionnels de santé, de jeunes activistes pour le climat, des écrivains, des traducteurs et des artistes, en Égypte et à Exeter, pour la conférence COP27 sur les changements climatiques à Charm el-Cheikh, en Égypte, en novembre 2022.

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L’âge de raison

Karim El Hayawan

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L

es enfants ne connaissent pas encore le monde tel que nous le connaissons. Ils ont leur propre façon de coder et décoder. Ils renomment ce qu’ils trouvent et lui donnent une autre dimension. Ce n’est que plus tard, quand ils deviendront adultes et qu’ils seront obligés d’adapter leur compréhension et leur comportement au nôtre, qu’ils accepteront que les nuages ne soient pas le souffle d’un géant et que les étoiles ne soient pas des têtes d’épingle dans le velours noir du ciel. Hashem était différent. Hashem était un enfant réaliste dans une mesure inquiétante. Depuis le jour où il posa le pied sur la terre de ce monde entre deux voyages, il fut sans illusion et vit la vie sous sa vraie forme. « Tu m’as dit que les moineaux ne se transformeraient pas en corbeaux, n’est-ce pas, maman ? » dit Hashem, mon enfant de sept ans. « Non, mon chéri. Les moineaux sont des moineaux et les corbeaux sont des corbeaux ». « Les oiseaux peuvent-ils renoncer à leurs couleurs et devenir seulement noir et blanc ? » « Non, Hashem. Les corbeaux sont noirs mais les autres oiseaux garderont leurs couleurs jusqu’à la fin des temps ». « Tu es sûre maman ? » 5


« Oui, Hashem ». J’étais sûre. Je ne savais pas alors ce qu’un enfant de sept ans savait. Il voulait me croire. J’étais sa mère. Mais il secoua la tête. Le tissu de l’illusion réconfortante était déchiré et Hashem ne pouvait s’empêcher de voir à travers la déchirure. « Non maman. » dit-il. Il est difficile maintenant de se souvenir de l’éclat de ces couleurs. Maintenant que les corbeaux règnent, elles ne sont plus qu’un lointain souvenir.

Translated by Emily Cooper

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Karim El Hayawan


L’air et l’eau

Corinna Wagner

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O

sman entend un cri comme si quelqu’un souffrait et regarde la rizière, tenant sa main sur ses yeux pour les protéger de l’éclat du soleil. Il voit son père debout au milieu du champ, les bras croisés derrière le cou, secouant la tête, griffant sa peau. Il n’y a pas de cause évidente de détresse, si ce n’est l’odeur ; l’odeur insistante que porte la brise. C’est l’odeur des ordures et de la pourriture et, alors qu’il se penche pour enlever ses chaussures, Osman se rend compte qu’elle est omniprésente et qu’il s’y est simplement habitué. Il ne se souvient pas de l’odeur de l’air dans le passé, quand lui et ses amis jouaient au football près d’ici. Il n’y avait aucune odeur. Ils inspiraient profondément pendant qu’ils couraient, taclaient, donnaient des coups de pied et poursuivaient le ballon, et ils ne pensaient jamais à ce qu’ils respiraient et expiraient. Parfois l’air avait le goût de la rivière, des roseaux et du vert, et parfois il avait le goût de la terre chaude, mais ces sensations allaient et venaient. Il se tient droit et regarde au-delà de son père qui est maintenant courbé vers la terre, et de l’autre côté de la rivière vers l’usine d’embouteillage sur l’autre rive. C’est un bâtiment gris et trapu avec de hautes cheminées soufflant une fumée noire dans le ciel bleu. C’est ce qui a mis fin aux matchs de football. Après sa construction et le début du pompage de ses fumées dans l’atmosphère, l’air cessa d’être aussi respirable. Il secoue le poing dans un geste impuissant. On devrait pouvoir au moins respirer l’air.

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Le père d’Osman trouva probablement des résidus de plastique. Il s’en était déjà plaint auparavant. Le labourage en vue de la récolte d’été lui prend plus de temps maintenant. Il s’inquiète des petits morceaux qui pourraient échapper à sa recherche, des minuscules particules qui se retrouvent partout. Pourtant, son père fait ce qu’il peut, ramasse tout ce qu’il trouve, morceau par morceau, et continue. Il est de plus en plus difficile d’entretenir la ferme, surtout à cette époque de l’année, celle des inondations, lorsque l’eau traverse les rizières. Mais ils se débrouillent. Ils s’adaptent. On peut s’adapter à tout, à n’importe quel changement, pense Osman, mais il aimerait que, juste pour une fois, le changement soit positif. Une pelle à la main, il se dirige pieds nus vers son père, mais l’odeur nauséabonde qui monte de la terre, remuée par ses pieds, l’arrête. Cette odeur atteignit un tout autre niveau. Il regarde le sol et est frappé par l’inquiétude que ses orteils ne se corrodent dans la boue puante, la chair arrachée à l’os. Il les remue pour s’assurer qu’ils sont toujours là et laisse échapper le même cri qu’émit son père cinq minutes plus tôt. L’eau est rouge, sombre et violette. L’eau qui irrigue leur terre, qui nourrit les plantes, qui fait pousser le riz que son père vend pour le nourrir, lui, son frère et ses sœurs, sa mère et sa grand-mère, n’est pas claire comme elle devrait l’être, mais sombre et trouble. Il ferme les yeux et se tient debout, se balançant dans la potion noire. Il se souvient des verts vibrants du riz et des cris des cigognes qui volaient au-dessus de sa tête. L’air n’a pas d’odeur et l’eau est transparente, pense-t-il. N’est-ce pas ainsi que les choses devraient être ?

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Il se reprend, serre les dents et continue à patauger. S’il n’y a pas d’eau, il n’y a pas de riz. S’il n’y a pas de riz, il n’y a pas d’argent, et il n’y a pas d’université pour Osman, pense-t-il en avançant dans la saleté. Son père arrache le riz contaminé dans la parcelle où il se trouve et le jette dans son seau : comme si cela allait faire une différence alors que la contamination s’est étendue à tout le champ. L’usine dut laisser tous ses déchets toxiques se déverser dans la rivière sans les diluer. « Aide-moi », dit son père. À chaque coup de pelle, Osman sent sa rage grandir. Qu’est-ce que cela signifie d’aider face à cette pollution ? On peut s’adapter à tout, à tout changement, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus.

Translated by Emily Cooper

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La survie

Pam Gurney

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Tigre ! Tigre ! brûlant brillant Dans les forêts de la nuit, Quelle main, quel œil immortel, A forgé ton effroyable symétrie ? (William Blake : 1794)

«E

t tout d’un coup, il était là… avec des yeux qui rassemblaient à des médaillons. Puis il y a eu un flash d’ambre et de noir et il a disparu, camouflé par les couleurs de la forêt. » « Il a disparu ? » « C’est ce que j’ai cru. Mais ensuite j’ai tourné le dos et avant de m’en rendre compte, il s’est jeté sur moi ! ». Tamasi éclata de rire sur les genoux de son grand-père qui faisait semblant de rugir, sa moustache argentée se retroussant aux extrémités. « Bien sûr, si un tigre m’avait attaqué, je n’aurais pas survécu ». Il arrêta de parler pour prendre de grandes respirations. « Ce sont des animaux si puissants ». « Mais as-tu vraiment vu un tigre, grand-père ? » Il commença à tousser, se couvrit la bouche avec un mouchoir et fit signe à Tamasi de sortir. Tamasi était souvent chassée dans la cour murée, surtout quand les adultes parlaient. Cette-dernière offrait une certaine isolation du bruit et du smog de la ville. Elle contenait une corde à linge, une table bancale, quelques pots de fleurs et un petit carré d’herbe qui était, pour Tamasi, comme un bijou serti dans le béton. L’une de ses tâches consistait à verser les eaux usées sur l’herbe pour la garder verte et vivante. Lorsqu’elle s’allongeait sur le sol et regardait 13


l’herbe, elle pouvait voir un sous-bois luxuriant et les feuilles des plantes en pot formaient une dense canopée d’ombre. Parfois, une flaque d’eau qui s’accumulait sous la corde à linge créait une sorte d’étang. Elle pensait aux arbres, aux insectes, aux reptiles, aux oiseaux et aux mammifères. Dans son monde imaginaire vivaient des créatures que Tamasi avait apprises à l’école et auprès de son grand-père. Cependant, aucune d’entre elles ne l’intriguait autant que le mystérieux tigre. Elle avait écouté attentivement son professeur qui parlait des habitats où la faune sauvage prospérait autrefois et Tamasi n’a pas pu oublier un détail essentiel : « le tigre est menacé d’extinction ». Une cigale se posa sous les vêtements trempés sur la corde à linge. Elle la prit soigneusement dans ses mains et posa son corps ruisselant d’eau sur l’herbe. « Éloigne-toi de cette flaque. Elle est pleine de germes », s’exclama la mère de Tamasi depuis le seuil de la porte, en essuyant la sueur sur ses joues. « Tu as toujours la tête dans les nuages… » Les paroles de sa mère furent couvertes par le bruit d’un avion s’élevant dans le ciel, venant de décoller de l’aéroport de la ville. Tamasi comprit que les prix des produits alimentaires avaient à nouveau augmenté. Elle savait qu’il ne fallait pas qu’elle dise à sa mère qu’elle avait faim. La récolte de cette année fut gâchée par les inondations, les pires que Mumbai ait connues depuis des années. « Un sac de riz coûte 5 500 roupies au marché aujourd’hui. Le monde est devenu fou ! », avait crié le père de Tamasi en rentrant chez eux la semaine précédente, alors qu’il se débattait avec la béquille cassée de son cyclomoteur. « Nous n’avons pas d’autre choix que de nous serrer la ceinture ». 14


« Mais papa, tu ne portes pas de ceinture », répondit-elle. Après, son grand-père, avec sa moustache argentée qui tremblait, déclara : « Alors, pas de ceinture, pas de problème ! ». Tamasi rit lorsqu’il poursuivit en suggérant : « Faisons semblant d’être des tigres ! ». Cependant, il devint essoufflé rapidement et dut s’asseoir. « Nous avons plus de chance que la plupart des familles », ajouta sa mère. « Nous avons été épargnés par le choléra. Au moins, Tamasi peut aller à l’école, même si elle doit arrêter de rêvasser. Et tu y contribues. » Elle jeta un regard désapprobateur en direction du grand-père de Tamasi. « Tu lui remplis la tête d’images d’animaux qu’elle ne pourra jamais voir. » « Laisse-la rêver. » dit son grand-père à la moustache tremblante. « Il faut que les enfants imaginent comment ils peuvent guérir le monde, et dépolluer l’air ». « Maintenant c’est trop tard », expliqua sa mère, en se détournant et en retournant à la cuisine, où elle commença à déplacer les couverts et les casseroles. De retour dans la cour, la cigale s’était envolée et Tamasi regardait deux avions dont les fumées laissaient une croix dans le ciel. Elle fit le vœu que, lorsqu’elle serait grande, elle pourrait voyager avec son grand-père pour voir les tigres dans leur habitat naturel. Plus tard dans la nuit, elle se réveilla brusquement et, par-dessus le bruit lointain de la respiration sifflante de son grand-père, elle entendit un miaulement quelque part à l’extérieur. Il y avait des rapports concernant les grands félins informant que ces-derniers

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venaient dans les villes parce que les forêts, leurs habitats naturels, étaient abattues. Et si c’était un chaton ou un ourson perdu, orphelin ou, pire encore, blessé ? Le miaulement devint plus fort. Tamasi savait qu’elle ne pourrait jamais tourner le dos alors elle marcha pieds nus dans la rue. Elle savait qu’elle devait aider tous les animaux restants dans le monde à survivre. Le « Projet Tigre » lancé en Inde vise à faire passer la population de tigres à l’état sauvage à 4 000 au cours de la prochaine décennie, grâce à des mesures de conservation visant à lutter contre le braconnage, à protéger leurs habitats de l’activité humaine et à restaurer les espèces proies.

Translated by Emily Cooper

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Le pêcheur

Aldward Castillo

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M

ahmoud s’est assis au bord de la corniche pour contempler le coucher du soleil. Noha et Khaled jouaient dans le sable et les vagues venaient s’écraser. Le globe ambré du soleil coulait vers l’horizon, faisant onduler la mer en or et faisant resplendir les bâtiments de la rive d’Alexandrie. Il avait fini de pêcher, les prises ramenées au marché, et il ne lui restait plus rien à faire avant le souper, si ce n’est de s’asseoir ici, dans ce charmant petit coin, à la fin de la journée, et y fumer une cigarette. Pourtant, Mahmoud ne se sentait pas heureux comme d’habitude. Son âme était plongée dans la tristesse comme si c’était un empoisonnement. Il avait toujours été un homme laborieux et cela n’avait pas du tout changé. À l’instar de son père, il se rendait quotidiennement en Méditerranée, il lançait son filet de pêche dans ses eaux miroitantes en se disant une prière. Il se levait toujours tôt, il était toujours le premier à pêcher les meilleurs poissons, les plus gros, les plus succulents, les plus juteux, ceux que l’on trouvait aux premières lueurs magiques de l’aube. Il subvenait aux besoins de sa famille et, depuis la mort de sa femme, puisse-t-elle reposer en paix, il s’occupait tout seul de ses enfants. Ils étaient sa fierté et sa récompense, la première étudie à l’université et les deux plus jeunes sont encore à l’école mais ils prospèrent tous, ils se débrouillent bien. Esraa, sa fille aînée qui était spécialisée en sciences, essayait toujours de lui faire comprendre. Elle lui racontait les déséquilibres de l’écosystème et le dégagement de gaz à effet de serre potentiellement meurtriers. Elle le bombardait de renseignements sur les déchets plastiques. Tout n’était que pessimisme, misère et destruction. Il ne pouvait pas le prendre

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en compte. « Tu t’occupes de la science et moi, je me charge de la pêche », disait-il, et il amplifiait la musique, se trémoussant au son de la voix envoûtante d’Umm Kalthum et il les faisait tous rire. Il a toujours été un père attentionné et cela n’a pas changé non plus. Mais désormais, alors que le soleil se couchait, un goût amer se faisait sentir dans sa bouche. « Tu as surmonté cette période difficile, je vois », lui avait dit son ami et voisin Ahmed alors qu’ils jouaient au Tawla au café du bord de la route le samedi aprèsmidi. Puis, Mahmoud avait hoché la tête et tenté de sourire, sans pouvoir parler, et il avait regretté d’avoir attiré l’attention sur le fait qu’il avait augmenté ses revenus en offrant à tout le monde du thé à la menthe et des gâteaux. Ahmed faisait référence à la saison basse pendant laquelle Mahmoud sortait en bateau comme d’habitude mais revenait quasiment bredouille. Lorsqu’il a remonté son filet de pêche plusieurs fois, il percevait parfois le poids du filet en le tirant et il était momentanément optimiste, mais il s’apercevait ensuite que ce même filet était saturé de poissons morts et il devait le relancer à la mer. Jour après jour, cela continuait. Comme s’il était maudit. Les prises ne constituaient qu’une fraction de ce qu’elles étaient auparavant. Il devait élever trois enfants et il n’avait personne d’autre sur qui compter. Il empruntait de l’argent à ses amis et la peur le traversait. Le choix s’est fait tout seul. Cela semblait être le cas. Peut-être que le mal semblait toujours tel à celui qui le commettait. Il ne s’était pas dit : « Je vais garder ces toxiques poissons morts et ensuite les écouler chez les distributeurs en faisant semblant qu’ils

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étaient toujours vivants au moment où je les ai attrapés ». Un jour, simplement il s’est retrouvé à le faire et les poissons ont atteint un bon prix sans que personne ne s’en aperçoive. Et voilà comment ça se passait. Il pensait sans arrêt que les grossistes le découvriraient, mais ils embarquaient quand même les poissons dans des camions et ils disparaissaient quelque part à l’intérieur des terres. Et si, à une table à Damanhour ou dans un café à Tanta, un client était victime d’une maladie, que pouvait-il bien avoir à faire avec Mahmoud ? Il était un homme pour de bon et désormais il ne l’était plus. C’est ce qui avait changé. Et ça le dévorait de l’intérieur. Il était difficile de cacher son chagrin aux enfants. Esraa, par chance, était occupée par ses propres intérêts. Elle avait adhéré à un groupe écologique. Elle portait un grand t-shirt avec le slogan “ Protectrice de la mer” sur le devant et elle faisait des sorties avec un groupe de militants. Il n’avait pas beaucoup entendu parler de ces initiatives, mais elles étaient saines, elles la maintenaient occupée et la rendaient moins abattue. Occupée par sa propre vie, elle ne se souciait pas tant de son père. Mais il n’y avait pas moyen de cacher la vérité à Noha, qui avait onze ans et était une petite maligne. « Que s’est-il passé, Baba ? Pourquoi es-tu si triste ? » dit-elle. Elle lui rappelait sa mère quand elle le regardait avec une telle intensité. « Rien », répond-il toujours en tentant de sourire. Mahmoud la baissait les yeux et la voyait maintenant sur la plage, serrée contre Khaled, murmurant quelque chose à l’oreille. L’idée de ce qu’il était en train de faire faisait tourner la tête de Mahmoud, mais il ne voyait pas comment s’en sortir. Il s’est levé d’un pas las. 20


« Venez les enfants. On rentre à la maison », a-t-il dit. Plusieurs jours plus tard, lorsqu’il est arrivé au bord de la corniche pour rejoindre ses enfants, un accueil enthousiaste lui a été réservé. Il y avait un barbecue sur la plage avec des gens assis en groupes avec du poisson cuit à la flamme sur des assiettes posées sur leurs genoux. Il a vu Ahmed parmi la foule et un ou deux autres joueurs de Talwa. Il y avait aussi les amis des enfants. Noha est arrivé en courant à sa rencontre et lui a pris la main. « C’est pour toi, Baba », a-t-elle dit. Ils s’étaient réunis pour acheter du poisson. « Mes poissons ? » « Pour que tu sois heureux de nouveau ». Et pour un instant, ou peut-être n’était-ce qu’un dixième de seconde, il était à peine heureux puisque ses enfants avaient organisé cette belle fête pour lui remonter le moral. Ils étaient bien élevés et il les aimait. Debout sur le sable, entouré par les rires des jeunes et le crépitement salé des poissons grillés sur les feux, il a réussi pendant une infime seconde à faire abstraction de la connaissance des poissons toxiques. Et puis tout s’est précipité, comme les vagues. « Non !, arrêtez de manger », a-t-il crié. Une fois qu’il a reconnu ce qu’il avait fait. Après qu’il ait demandé pardon. Après que les enfants aient été soulagés de leur maladie. Après tout cela, il s’est assis à la table de la cuisine, la tête dans les mains, et il a finalement commencé à écouter ce que sa fille aînée lui racontait. 21


« Les gens massacrent les poissons avec ces déchets qu’ils jettent dans notre belle Méditerranée », a-t-elle dit. Il savait que c’était la vérité. Il avait essayé de ne pas comprendre, de fermer les yeux. Maintenant, il le regardait droit dans les yeux et se sentait impuissant. « Que peut-on faire ? » a-t-il demandé. Nettoyer. Arrêter de jeter des déchets. Interdire le plastique à usage unique. Informer les gens. Qu’est-ce que je peux faire ? Dites aux autres pêcheurs ce que l’on sait. Fais-en sorte qu’ils t’écoutent. Dorénavant, tous les samedis après-midi, plutôt que de jouer au Tawla au café, Mahmoud dirige son équipe de pêcheurs portant des t-shirts blancs, qui ramassent les déchets sur les plages. Et il embarque dans ses bateaux de jeunes gardiens de la mer, les plongeurs et les ramasseurs de plastique. Ils jettent leurs filets de pêche et leurs corps dans les eaux miroitantes en se disant une prière.

Translated by Anthony de Carlile 22


Attends ici

Karim El Hayawan

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L

e chien était couché sur un côté du chemin, en plein soleil du désert.

« Kadin », Mariam lui a dit. « Kadin, lève-toi ». Elle le cherchait depuis l’aube, l’appelant par son nom, et il était là, endormi, pas loin de la maison. Sa mère n’aurait pas aimé que Mariam amène le chien errant dans la maison. Mais il était le compagnon de Mariam. De plus, sa mère n’était pas là pour la gronder. « Attends ici », lui avait dit sa mère. « Je reviendrai avec de l’eau. Je ferai aussi vite que possible. Ne va nulle part ». Sa mère était partie depuis longtemps. Et hier, ou avant-hier, ou peut-être même avant, les derniers villageois étaient partis et ils avaient emmené les troupeaux avec eux. Il n’y avait pas de pâturage pour brouter et ils ne pouvaient donc plus rester. Mariam s’est cachée parmi les tamarins parce que si elle partait, comment sa mère pourrait-elle la retrouver ? Elle est restée sous les feuilles sèches et plumeuses et Kadin l’a rejoint pour qu’elle ne soit pas seule. L’eau que sa mère lui avait laissée était déjà épuisée. Elle l’avait partagée avec Kadin, mais elle avait donné au chien la plus petite partie, parce qu’elle était la plus grande et parce que, de droit, l’eau était la sienne. Il avait léché le seau avant de laisser sa langue dépasser pour lui montrer qu’il avait encore soif. « Lève-toi, Kadin », elle lui a supplié. Elle aurait dû mieux s’occuper de lui. Sa tête battait et la lumière du soleil perçait ses yeux et rendait la vue difficile : c’est pourquoi elle était presque passée devant Kadin sans le remarquer. Il semblait n’être qu’un petit chiffon de fourrure parmi les déchets que les gens avaient laissé tomber ou jeté en partant. 24


Mariam se retrouvait seule sur le chemin de terre entre les deux bâtiments de pierre qui se trouvaient au centre du village. Kadin ne s’est pas levé donc elle s’est assise à côté de lui et a posé sa main sur sa peau raide et a ressenti une terrible solitude. Quand elle s’est réveillée, il faisait nuit et elle a frissonné dans la brise froide du désert qui soufflait du sud. Elle regardait le ciel nocturne. Tout semblait bizarre, comme si ses yeux étaient grands ouverts et que les étoiles tombaient vers elle. Elle a cru entendre la voix d’une femme qui l’appelait, mais c’était peut-être le chant des sables autour des dunes ; leur gémissement. Le matin, avant de se lever, elle attendait que le soleil la réchauffe. Sa langue était tellement gonflée qu’elle ne pouvait pas avaler. Elle a regardé la vallée, une étendue de sable rougeâtre, entrecoupée de rochers et de broussailles grises. Sa mère aurait eu une bouteille d’eau dans son sac à dos et un autre récipient à la main, elle n’aurait donc pas pu se déplacer rapidement. Un point noir vacillait devant elle, mais elle ne parvenait pas à s’y concentrer, à maintenir son regard stable où à le transformer en une silhouette humaine. Elle s’est retournée et a scruté la pente plus élevée où les ondulations du sable formaient des crêtes. Elle a louché vers le ciel bleu ininterrompu où deux vautours tournaient en rond. Elle s’est recouchée pour attendre sa mère.

Translated by Emily Cooper 25


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